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Le Praticien en anesthésie réanimation (2014) 18, 123—128 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com MISE AU POINT Les variations respiratoires de la pression artérielle pulsée sont-elles un monitorage fiable de l’hypovolémie ? Are pulse pressure variations reliable for monitoring hypovolemia? Ileana Iordache a,b , Sabri Soussi a,b , Matthieu Legrand a,,b,c,1 a Département d’anesthésie-réanimation, centre de traitement des brûlés, groupe hospitalier Saint-Louis—Lariboisière, AP—HP, 1, avenue Claude-Vellefaux, 75010 Paris, France b Université Paris Diderot Paris 7, 1, avenue Claude-Vellefaux, 75010 Paris, France c Inserm UMR 942, 1, avenue Claude-Vellefaux, 75010 Paris, France Disponible sur Internet le 7 mars 2014 MOTS CLÉS Variations respiratoires de la pression artérielle pulsée ; Remplissage vasculaire ; Précharge dépendance ; Débit cardiaque ; Interactions cœur—poumon ; Ventilation mécanique Résumé Le maintien d’un niveau optimal de volémie et de débit cardiaque chez les patients hémodynamiquement instables est un défi pour les anesthésistes et les réanimateurs. L’expansion volémique est l’un des principaux traitements symptomatiques des états de choc. Cependant l’administration en excès de liquides peut s’accompagner de complications propres. La ventilation mécanique induit des changements cycliques de la pression transpulmonaire qui sont accompagné, chez les patients présentant une réserve de précharge biventriculaire, par des variations de la pression artérielle pulsée (delta PP). Les indices qui exploitent ces chan- gements sont définis comme des indices dynamiques de précharge dépendance et sont utilisés pour prédire et guider le remplissage vasculaire chez les patients en insuffisance circulatoire aiguë. Cette revue expose le concept des indices dynamiques, notamment le delta PP, analyse les valeurs seuil retrouvées dans la littérature et explique leurs limites au lit du patient. © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (M. Legrand). 1 Photo. 1279-7960/$ see front matter © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.pratan.2014.01.006

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Le Praticien en anesthésie réanimation (2014) 18, 123—128

Disponible en ligne sur

ScienceDirectwww.sciencedirect.com

MISE AU POINT

Les variations respiratoires de la pressionartérielle pulsée sont-elles un monitoragefiable de l’hypovolémie ?

Are pulse pressure variations reliable for monitoring hypovolemia?

Ileana Iordachea,b, Sabri Soussi a,b,Matthieu Legranda,∗,b,c,1

a Département d’anesthésie-réanimation, centre de traitement des brûlés, groupe hospitalierSaint-Louis—Lariboisière, AP—HP, 1, avenue Claude-Vellefaux, 75010 Paris, Franceb Université Paris Diderot Paris 7, 1, avenue Claude-Vellefaux, 75010 Paris, Francec Inserm UMR 942, 1, avenue Claude-Vellefaux, 75010 Paris, France

Disponible sur Internet le 7 mars 2014

MOTS CLÉSVariationsrespiratoires de lapression artériellepulsée ;Remplissagevasculaire ;Préchargedépendance ;Débit cardiaque ;Interactions

Résumé Le maintien d’un niveau optimal de volémie et de débit cardiaque chez lespatients hémodynamiquement instables est un défi pour les anesthésistes et les réanimateurs.L’expansion volémique est l’un des principaux traitements symptomatiques des états de choc.Cependant l’administration en excès de liquides peut s’accompagner de complications propres.La ventilation mécanique induit des changements cycliques de la pression transpulmonaire quisont accompagné, chez les patients présentant une réserve de précharge biventriculaire, pardes variations de la pression artérielle pulsée (delta PP). Les indices qui exploitent ces chan-gements sont définis comme des indices dynamiques de précharge dépendance et sont utiliséspour prédire et guider le remplissage vasculaire chez les patients en insuffisance circulatoireaiguë. Cette revue expose le concept des indices dynamiques, notamment le delta PP, analyseles valeurs seuil retrouvées dans la littérature et explique leurs limites au lit du patient.

cœur—poumon ;Ventilation

© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

mécanique

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (M. Legrand).

1 Photo.

1279-7960/$ — see front matter © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.http://dx.doi.org/10.1016/j.pratan.2014.01.006

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KEYWORDSDelta PP;Pulse pressurevariation;Ventricular preload;Cardiac output;Heart-lunginteraction;Mechanicalventilation

Summary Optimization of cardiac output and blood volume in hemodynamically unstablepatients remains a real challenge for anesthesiologists and intensivists. Fluid replacement isone of the most commonly used treatments in patients in shock. However, excessive fluid loa-ding may lead to fluid overload and its own complications. Mechanical ventilation induces cyclicchanges in the trans-pulmonary pressure associated, in patients with a preload reserve, withpulse pressure variations (delta PP). Indices evaluating these changes are defined as preloaddependent dynamic indices, and are used to guide fluid therapy in patients in unstable hemo-dynamic conditions. This review aims at discussing the pathophysiology and the concept ofdynamic indices of the preload dependency with a special focus on delta PP, the thresholdsvalues reported in the literature are discussed for their applicability and limits at bedside.

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lrrvdrde la précharge : c’est-à-dire les situations où une aug-mentation de la précharge n’est pas accompagnée d’uneaugmentation du volume d’éjection ventriculaire (Fig. 1).

Figure 1. Courbe de Franck-Starling en cas de fonction ventri-culaire gauche normale (A) ou altérée (B). La même augmentationde précharge cardiaque (1) conduit à une augmentation significa-

© 2014 Elsevier Masson SAS

ntroduction

a volémie (le volume de la masse sanguine totale) est unes déterminants majeurs du débit cardiaque et du trans-ort de l’oxygène dans l’organisme. L’hypovolémie, qu’elleoit absolue (diminution du volume sanguin total circulant)u relative est une situation fréquemment retrouvée au blocpératoire et en réanimation. L’hypovolémie est dite rela-ive lorsque le volume intravasculaire est normal, mais laistribution prépondérante dans le compartiment veineuxon-contraint diminue le retour veineux efficace au cœurroit.

D’une part, l’hypovolémie induit une diminution de laerfusion des organes, conduisant dans les cas extrêmes

une défaillance multiviscérale. D’autre part, le remplis-age excessif peut avoir des effets néfastes secondaires à’augmentation de la pression hydrostatique (surcharge pul-onaire, œdème et dysoxie tissulaire). Pour ces raisons, laétermination du niveau optimal de la volémie et la pré-iction de la réponse au remplissage, suscitent beaucoup’intérêt. Les études menées sur ce sujet ont démontré chezes patients hémodynamiquement instables, que la moitiéeulement de ces patients étaient répondeurs au remplis-age.

Il existe deux options sur l’indication d’un remplissageasculaire en pratique clinique. La première est l’épreuvee remplissage [1]. Elle consiste en l’administration d’unexpansion volémique rapide pour distinguer les patientsépondeurs des patients non-répondeurs au remplissage. Laeuxième option est la prédiction de la réponse au remplis-age vasculaire, dont l’objectif est d’estimer la probabilitéu’a un patient d’augmenter son débit cardiaque en cas’augmentation du retour veineux et ainsi déterminer de’intérêt potentiel d’un remplissage vasculaire pour cettendication. L’arsenal du clinicien est très varié en ce quioncerne les indices qui peuvent prédire une réponse auemplissage. Ces indices peuvent être divisés en indices sta-iques et dynamiques.

Les études évaluant les indices statiques tels que les pres-ions veineuse centrale et artérielle pulmonaire d’occlusion,u le calcul du volume ou surface télé diastolique du ventri-ule gauche ont échoué à démontrer une corrélation avec larédiction d’une réponse au remplissage. Ce manque de fia-ilité a conduit à l’utilisation d’indices dynamiques, basés

ur les interactions cardiopulmonaires, dont l’un des plusopulaires est les variations respiratoires de la pression arté-ielle pulsée (delta PP).

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rights reserved.

ases physiopathologiques

a précharge ventriculaire est définie comme étant laension existante dans la fibre myocardique au début dea contraction. La relation entre la précharge cardiaquet le volume d’éjection ventriculaire est établie par laoi de Franck-Starling : plus le muscle myocardique esttiré pendant le remplissage, et plus le nombre de pontsctine—myosine formés est important, donc plus la force deontraction myocardique et le volume éjecté sont augmen-és.

La forme de la courbe de Franck-Starling n’est pasinéaire mais curvilinéaire. La première partie de la courbeaide caractérise un cœur avec une précharge basse, quiépond à une augmentation de la précharge (par expansionolémique) en augmentant le volume d’éjection systoliquee manière significative. La deuxième partie, le plateau,egroupe les situations caractérisées par une indépendance

ive du volume d’éjection systolique en cas de fonction ventriculaireauche normale (A), mais à une augmentation du volume d’éjectionystolique négligeable en cas de fonction ventriculaire gaucheéduite (B). Plateau de la courbe de Franck-Starling (2).

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Figure 2. Variations des pressions artérielles chez un patienten ventilation mécanique en fonction des cycles ventilatoires. Lapression pulsée (PP = pression systolique − pression diastolique) estmaximale à la fin de l’inspiration (PPmax) et minimale pendantl’expiration (PPmin). Avec : �PP (%) = 100 × (PPmax−PPmin)

(PPmax−PPmin)/2. Pres-

sion VA : pression des voies aériennes ; PPref : pression pulse deréférence (en pause expiratoire) ; SPV : variation de pression sys-tolique ; � Up : partie augmentant de la SPV par rapport à la SPVdSD

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Les variations respiratoires de la pression artérielle pulsée

La ventilation mécanique induit des changementscycliques des pressions intrathoracique et transpulmonaire.Cette dernière correspond à la différence entre la pressionalvéolaire et la pression pleurale. Ceci aboutit à des varia-tions cycliques du volume d’éjection cardiaque, liées à desmodifications biventriculaires des conditions de charge. Eneffet, ces variations de volume d’éjection sont le résultatde plusieurs mécanismes.

L’insufflation mécanique augmente la pression transpul-monaire, provoquant une augmentation de la postchargedu ventricule droit. Dans le même temps l’insufflation estaccompagnée par une augmentation de la pression intra-pleurale (donc d’une augmentation de la pression dansl’oreillette droite) qui diminue le gradient de retour veineuxau cœur droit (le gradient de retour veineux représente ladifférence entre la pression systémique moyenne qui règnedans le territoire veineux et la pression dans l’oreillettedroite). L’augmentation de la postcharge du ventricule droitet la diminution de sa précharge se manifestent par unediminution du volume d’éjection ventriculaire droit pen-dant l’insufflation. Cette réduction du volume d’éjectiondu ventricule droit se traduit par une diminution de la pré-charge du ventricule gauche qui atteint sa valeur minimaleaprès le transit pulmonaire du sang (approximativementtrois battements cardiaques plus tard) pendant la phaseexpiratoire. Pendant l’insufflation, le sang est chassé descapillaires pulmonaires vers le cœur gauche, augmentantla précharge ventriculaire gauche. De plus, la postchargeventriculaire gauche diminue pendant l’insufflation. Celaest induit par l’augmentation de la pression intrapleuralequi conduit à la diminution de la pression transmurale del’aorte intrathoracique, facilitant l’éjection ventriculairegauche. Ce mécanisme est un déterminant mineur de lavariation de volume d’éjection du ventricule gauche dansle cas d’un cœur normal, mais il devient significatif dansle cadre d’une insuffisance ventriculaire gauche. In fine,la ventilation mécanique induit des changements cycliquesdu volume d’éjection ventriculaire gauche, déterminant lesvaleurs maximales et minimales de la pression artériellesystolique et pulsée (Fig. 2).

Delta PP ou variations de la pressionpulsée

Chez un sujet en ventilation spontanée, une diminutionde la pression artérielle se produit à l’inspiration del’ordre de 5 mmHg. L’amplification de ce phénomène a étédécrite la première fois dans le cadre d’une péricarditeconstrictive sous le nom de « pouls paradoxal » par AdolfKussmaul : « le pouls qui disparaît pendant l’inspiration etréapparaît pendant l’expiration ». Le phénomène inversedu pouls paradoxal est rencontré pendant la ventilationmécanique, l’insufflation étant accompagné par une aug-mentation de la pression artérielle suivie d’une diminutionpendant l’expiration. La relation entre les variations de lapression artérielle en fonction des cycles respiratoires et le

statut volémique d’un patient a été suggérée pour la pre-mière fois dans les années 1970 par Rick et Burke. Depuis1987, suite à des études animales, Perel et al. ont clarifié laphysiopathologie déterminant les variations systoliques de

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e référence ; � Down : partie diminuant de la SPV par rapport à laPV de référence.’après [2].

a pression artérielle et ont mis l’accent sur le rôle majeure l’hypovolémie dans l’amplitude de ces variations. Cestudes ont ouvert le chemin d’une littérature riche, inves-iguant la relation entre les deux variables et permettant leéveloppement d’indices dynamiques basés sur cette rela-ion. Parmi les indices dynamiques utilisés pour prédire laéponse au remplissage, les variations de la pression pulséet leur forme arithmétique (delta PP) font partie de ceuxui ont suscité le plus d’intérêt.

La réponse au remplissage vasculaire est souvent défi-ie par une augmentation du débit cardiaque de plus de0 à 15 % suite à l’administration d’un remplissage vascu-aire. Cette définition de la réponse au remplissage datees années 1990 avec comme méthode utilisée pour le cal-ul du débit cardiaque la thermodilution pulmonaire, pare cathéter de Swan-Ganz, avec un coefficient de variatione la mesure du débit cardiaque de 10 à 12 % [1]. Pour pas-er outre cette variation et s’assurer que l’augmentation duébit cardiaque est liée à un effet du remplissage et nonas que une variation de la mesure, la logique imposait auoins un seuil de 10 à 15 %.Une des premières études menées chez des patients sous

entilation mécanique, qui montre une corrélation entre laaleur du delta PP et la réponse au remplissage vasculairest celle de Michard et al. [3]. Une valeur seuil du delta PPvant l’administration du remplissage vasculaire de 13 % faita discrimination entre les patients répondeurs au remplis-age (ceux qui augmentent leur débit cardiaque de plus de5 %) et les non-répondeurs, avec une très bonne sensibilitée 94 %, une spécificité de 96 % et une aire sous la courbeOC de 0,98 ± 0,03.

Une méta-analyse datant de 2009 reprenant 29 études qui’étaient intéressées à la corrélation entre les indices dyna-

iques et la réponse au remplissage chez les patients sous

entilation mécanique, trouvait que la valeur seuil de 12,5 %u delta PP avait la meilleure sensibilité (0,89), spécificité0,88) et aire sous la courbe ROC 0,94 (0,93—0,95) pour

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1 I. Iordache et al.

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Tableau 1 Principales limites des variations de la pres-sion artérielle pulsée (delta PP).

Situation clinique Erreurs liées àl’utilisation du delta PP

Ventilation spontanée,Vt < 8 mL/kg

Faux négatif

Arythmie cardiaque Faux positifRatio fréquence

cardiaque/respiratoire < 3,6Faux négatif

Défaillance cardiaque droite Faux positifInsuffisance cardiaque gauche

congestiveFaux positif

Syndrome de compartiment Faux négatif

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rédire la réponse au remplissage, par rapport à d’autresndices dynamiques tels que les variations de la pressionrtérielle systolique et les variations du volume d’éjection4]. Ces études incluaient des patients après chirurgie hépa-ique, cardiaque, ou neurochirurgie, mais aussi des patientse réanimation ventilés avec des volumes courants (Vt)ntre 8 et 10 mL/kg. Dans les différentes études, les cut-offses delta PP variaient entre 11 à 13 %.

Prédire la réponse au remplissage peut être d’unemportance capitale surtout chez les patients ayant unyndrome de détresse respiratoire aiguë. En effet, l’excèse remplissage peut aggraver l’œdème pulmonaire et unetratégie restrictive doit être privilégiée chez ces patients.a ventilation protectrice, souvent implémentée pour lesatients présentant un syndrome de détresse respiratoireiguë, a longtemps été considérée comme une limite à’usage du delta PP pour prédire la réponse au remplissage.our expliquer cette limite, la raison invoquée était quee faible volume courant était insuffisant pour générer deshangements significatifs de la précharge cardiaque. Or leelta PP ne dépend pas uniquement du volume courant,ais aussi des variations des pressions dans les voies

ériennes et de la transmission de ces pressions au niveauéricardique et pleural donc, de la compliance pulmonaire.uite à cette constatation Monnet et al. ont publié en012 une étude prospective réalisée chez des patients ayantn syndrome de détresse respiratoire aiguë, montrant quee delta PP avait une spécificité très basse pour prédire laéponse au remplissage chez les patient ayant une compli-nce pulmonaire basse (inférieure à 30 mL/cmH2O) [5]. Ilsoncluaient donc que plus la compliance thoracopulmonairetait basse, plus la sensibilité du delta PP était diminuée. Ilsecommandaient alors l’utilisation d’autres indices commee test de lever de jambes passif ou le test d’occlusion télé-xpiratoire. Récemment l’équipe de Freitas a démontré queême chez les patients ventilés avec des Vt ≤ 6 mL/kg, leelta PP pouvait différencier les répondeurs au remplissaget les non-répondeurs avec une sensibilité et une spécificitécceptables [6]. Pour une valeur seuil du delta PP de 6,5 %l’AUC ROC 0,91 (0,82—1,0)], la sensibilité était de 0,89,vec une spécificité de 0,90, une valeur prédictive positive

0,89 et une valeur prédictive négative à 0,90. Une valeure compliance pulmonaire supérieure à 30 mL/cmH2Otait aussi nécessaire pour identifier les répondeurs. Lesimites de cette étude sont l’utilisation semi-continue de lahermodilution pour la détermination du débit cardiaque,ui pourrait selon les auteurs en avoir sous-estimé lesariations après le remplissage. La deuxième limite seraita détermination automatique du delta PP jamais évaluée

bas volume courant.

Dans toutes les études évaluant la capacitédu delta PP de prédire la réponse au

remplissage, les valeurs des cut-offs permettantde distinguer les répondeurs des non-répondeursau remplissage vasculaire, sont proches de 13 %.

Toutes les études utilisent une seule valeur seuil, pouraquelle la spécificité et la sensibilité dérivées des courbesOC sont optimales. Cannesson et al. ont été les premiers

eplé

abdominalChirurgie à thorax ouvert Faux négatif

établir le concept de la zone grise. Dans l’étude multi-entrique qu’il ont mené chez 413 patients en per- ou enostopératoire immédiat, ils ont démontré qu’il existait unntervalle des valeurs du delta PP (entre 9 % et 13 %) dansequel la réponse au remplissage ne pouvait pas être pré-ite de manière fiable, et que 25 % des patients se trouvaientans cet intervalle [7].

Cette zone grise est délimitée de deux cut-offs : leremier est choisi pour exclure le diagnostic (les répon-eurs) avec certitude (donc privilégie la spécificité), et leeuxième est choisi pour inclure le diagnostic avec certitudedans ce cas la sensibilité est privilégiée). Quand le delta PPe trouve dans la zone grise, il existe des incertitudes ete clinicien doit poursuivre les investigations avec des outilsdditionnels.

De nouvelles stratégies non invasives de calcul automa-ique du delta PP ont été proposées ces dernières années. Laression artérielle et le delta PP sont déduits de la mesuree la pression artérielle au niveau d’une artère digitale uti-isant la technique du clampage volumique : le diamètre de’artère est maintenu constant malgré les changements desressions artérielles par le gonflement d’un petit brassardutour du pouce : les modifications en diamètre sont tra-uites en modifications de pression. Dans un travail récent,onnet et al. ont montré que le calcul du delta PP non

nvasif pouvait être utilisé pour prédire la réponse au rem-lissage avec une précision similaire au delta PP invasif [8].ela dit, les mêmes auteurs relatent l’impossibilité de mesu-er la pression artérielle par cette technique chez huit des7 patients inclus dans l’étude.

imites

algré la simplicité du calcul et la notoriété acquise par leelta PP, il existe des situations, assez souvent rencontréeshez les patients critiques, au cours desquelles son appli-abilité reste limitée (Tableau 1). La première conditionequise pour pouvoir appliquer la mesure du delta PP, quandn s’interroge sur l’indication d’un remplissage vasculaire,

st la présence d’une ventilation mécanique chez unatient sans activité respiratoire spontanée. Si c’est le cas,a sensibilité et la spécificité du delta PP pour prédire uneventuelle réponse au remplissage vasculaire sont très
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Les variations respiratoires de la pression artérielle pulsée

faibles pour permettre de discerner les répondeurs et lesnon-répondeurs au remplissage [9]. Concernant les régimesde ventilation protectrice, on retient l’utilisation d’unevaleur du delta PP supérieure à 12 % comme étant prédictived’une réponse au remplissage vasculaire pour les patientsayant une compliance pulmonaire ≥ 30 mL/cmH2O. Uneautre limitation est la présence d’une arythmie cardiaque(entre 5 % et 30 % des patients de réanimation présententdes arythmies supraventriculaires). Celles-ci peuventinduire des faux positifs, dans ce cas le delta PP est lié àdes temps diastoliques différents et non pas à une réservede précharge existante.

Une autre limite à l’utilisation du delta PP est la venti-lation à fréquence élevée. De Backer et al. ont démontréchez des patients hypovolémiques ventilés à fréquence res-piratoire basse à 14—16 cycles/min, qui était augmentéepar la suite à 30—40 cycles/min, que le delta PP passait de21 % (18—31 %) à 4 % (0—6 %). Les auteurs concluent que ledelta PP devient négligeable lorsque le ratio fréquence car-diaque/fréquence respiratoire est inférieur à 3,6 et que laprédiction de la réponse au remplissage vasculaire par ledelta PP est limitée en cas de ventilation à fréquence élevée[10].

Les défaillances cardiaques droites et gauches sont deslimites importantes pour le calcul et l’applicabilité dudelta PP. Le ventricule droit éjecte dans une circulationà basse résistance, avec une postcharge faible. Il ne peuts’adapter à une augmentation brutale de la postcharge ; ilva se dilater, comprimer le ventricule gauche en systole etgêner son éjection, participant ainsi à la baisse du débitcardiaque. L’insufflation mécanique, en dehors de toutehypovolémie, va imposer une charge supplémentaire dansla voie d’éjection de ce ventricule droit défaillant, produi-sant une diminution du volume d’éjection du celui-ci (lacomposante delta down va augmenter). Cette augmenta-tion reflète la défaillance ventriculaire droite aggravée parl’augmentation de la postcharge induite par l’insufflationmécanique et pas une hypovolémie. Dans ce cas précisLe remplissage vasculaire peut majorer la congestion etla compression du ventricule gauche [11]. La défaillanceventriculaire gauche est accompagnée d’une composantedelta up importante, liée à une augmentation du volumed’éjection ventriculaire gauche suite à une baisse de la pres-sion transmurale du ventricule gauche pendant l’insufflationmécanique. Dans cette situation la valeur importante dudelta PP est due à l’amélioration de la défaillance cardiaquependant l’insufflation et pas à une hypovolémie.

Le syndrome de compartiment abdominal avec une pres-sion intra-abdominale supérieure ou égale à 20 mmHg etl’ouverture du thorax représentent aussi des situations quirendent le delta PP inopérant par la diminution de la trans-mission des pressions cardiopulmonaires pendant le cyclerespiratoire. Enfin, il est nécessaire de tester le systèmede mesure (ligne artérielle) avant le calcul du delta PP etd’éviter les erreurs d’amortissement (bulle d’air dans latubulure, caillot de sang), de zéro et de calibration.

Conclusion

Le delta PP peut être utilisé pour prédire la réponse au rem-plissage vasculaire chez les patients au bloc opératoire ou en

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éanimation. Ce n’est pas un outil de mesure de la volémie,ais un indice qui sert à déduire le profil hémodynamique’un patient : anticiper sur quelle partie de la courbe deranck-Starling il se situe, s’il y a une réserve de préchargeiventriculaire ou pas. Hors limitations détaillées ci-dessus,l peut être un marqueur fiable quand on s’interroge sura pertinence d’un remplissage vasculaire. A contrario, unelta PP positif chez un patient stable qui ne présente pase signes d’hypovolémie ou d’hypoperfusion tissulaire resten chiffre isolé, et ne doit pas poser l’indication à lui seul’un remplissage vasculaire.

POINTS ESSENTIELS

• L’expansion volémique est l’un des principauxtraitements symptomatiques destinés à améliorer lafonction circulatoire lors de l’état de choc.

• Le remplissage vasculaire pose un double problèmethérapeutique. D’une part, ce traitement n’induitqu’inconstamment une augmentation significativedu débit cardiaque. D’autre part, l’administrationexcessive d’un remplissage vasculaire est susceptibled’avoir des effets délétères d’autant plus marquéschez les patients présentant un syndrome dedétresse respiratoire aiguë.

• Plusieurs indices ont été développés afin de prédirela réponse à l’expansion volémique dont lesvariations respiratoires de la pression pulsée (deltaPP) chez les patients sous ventilation contrôlée.Ces indices sont issus de l’influence physiologiquepressions intrathoraciques sur la fonction circul-atoire avec (interactions cœur—poumon).

• La prédiction de la réponse au remplissageest généralement définie comme la capacitédu paramètre (ici le delta PP) à prédire uneaugmentation du débit cardiaque supérieur à10—15 % après remplissage vasculaire.

• La précision de prédiction varie selon les populationsétudiées et les conditions d’étude. Il existe plusieurscirconstances où le delta PP n’est pas valide, telsqu’une arythmie, une compliance pulmonaire basseet une défaillance cardiaque droite.

• Des variations isolées de pression pulsée chezun patient stable qui ne présente pas de signesd’hypoperfusion tissulaire ne doivent pas faire poserl’indication d’un remplissage vasculaire.

éclaration d’intérêts

es auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts enelation avec cet article.

éférences

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