Les universités inquiètes pour leur avenir

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En s’invitant en fin de semaine à Dakar avant de se rendre à Kinshasa pour le sommet de la Francophonie, François Hol- lande a joué finement. Après avoir longtemps pesé le pour et le contre de sa participation à son premier sommet franco- africain sur le continent noir, il a choisi finalement de se rendre au Congo. Pour y dire sa vérité sur sa conception des droits de l’homme et de la démocratie dans un pays, y rencontrer ses pairs avec qui la relation est parfois mal- heureusement incontournable, et saluer les opposants au Président Kabila, histoire de consolider un pluralisme menacé. Mais vu l’équilibrisme que suppose ce déplace- ment, François Hollande a donc choisi de s’arrêter aupa- ravant à Dakar. Étape obligée depuis que le Sénégal fait figure des rares bons élèves de la démocratie africaine. De Senghor à Macky Sall en passant par Diouf et Wade, François Hollande saluera ces héros de la démocratie. Il pourra et devra s’essayer à un nouveau « discours de Dakar » qui, pour être crédible, devra dépasser la contra- diction qu’il ne manquera pas d’apporter à Nicolas Sarkozy dont la fameuse phrase sur la place de l’homme africain « dans l’Histoire » était si mal passée. François Hollande veillera aussi à confier à ses interlo- cuteurs la crainte que lui inspire la situation au Sahel. Et la confiance qu’il a dans son plan de mobilisation des Européens, des organisations régionales africaines, le tout sous bannière des Nations unies, pour enfin intervenir au Nord-Mali. Laurent Fabius a condamné les attentats sacrilèges à répétition commis par les islamistes à Gao comme à Tombouctou. Jean-Yves Le Drian a mis en garde la semaine dernière, à Chypre, ses collègues européens contre un terrorisme djihadiste qui se rapprochait de nos frontières. François Hollande n’attend pas moins des chefs d’État de la région une prise de responsabilité dans cette affaire, quitte à ce que certains fassent le ménage dans leurs hiérarchies pour y débusquer les complices des trafi- quants et des terroristes. Mais aucun de ces gestes ne portera s’ils ne sont pas ac- compagnés au mieux par un soutien militaire, au pire par un feu vert tacite de la part de l’Algérie. Avec son immense frontière avec le Mali, elle peut tout faire réussir ou tout faire échouer. Militairement, c’est la puissance la plus forte de la région. Mais l’Algérie, dont certains des chefs islamistes régnant désormais au Nord-Mali sont issus, ne tient pas à ce stade qu’une intervention africaine soutenue par les Occidentaux ne déborde chez elle après une guerre civile qui a fait plus de 100 000 morts dans les années 1990. François Hollande n’a jamais caché qu’il souhaitait nor- maliser une fois pour toutes la relation franco-algérienne. Il serait dommage que ce projet fort se heurte à une intran- sigeance d’Alger et mette en danger par là même une intervention au Sahel qualifiée, à raison, par la France de prioritaire. Gérant-Directeur de la publication : Bruno Pelletier Rédacteur en chef : Joël Genard www.lhemicycle.com NUMÉRO 451 — MERCREDI 3 OCTOBRE 2012 — 2,15 ¤ PATRICK HERTZOG/AFP MEHDI FEDOUACH/AFP La situation financière des universités se dégrade. C’est une des conséquences techniques de la loi sur l’autonomie. Geneviève Fioraso annonce une rallonge de 250 millions d’euros pour 2013, déjà considérée comme sous-évaluée face aux besoins. SÉBASTIEN BOZON/AFP JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN/AFP Jean-Luc Mélenchon P. 3 Jean-Louis Borloo P. 2 G eneviève Fioraso était attendue au tournant. « Je ne m’attends pas à me faire couvrir de louanges par les prési- dents d’université », a ironisé la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Re - cherche lors de la présentation du bud get de son ministère pour 2013. L’exercice paraissait pourtant réussi, avec l’annonce d’une hausse de 2 % du budget consacré aux universités, l’un des rares épargné par la rigueur. Mais cette hausse, ramenée à 0,3 % après inflation, est-elle susceptible de calmer la bronca qui sévit dans le milieu universitaire? Rien n’est moins sûr. Alors que 19 universités françaises sont actuellement dans le rouge, dont 11 depuis deux ans, les présidents sont de plus en plus nombreux à tirer la sonnette d’alarme. Directement visée, la loi « LRU » (relative aux libertés et responsabilités des universités) portée par Valérie Pécresse en 2007. En vertu de celle-ci, les universités doivent désormais gérer l’intégralité de leurs dépenses, en parti- culier la masse salariale, qui représente quelque 80 % de leur budget. Une partie des dirigeants d’université estime que les dotations de l’État – qui représentent entre 70 % et 90 % des budgets des universités – sont sous- évaluées par rapport à la réalité des dépenses. La ministre, elle, rejette la faute sur son prédécesseur et pointe le manque d’accompagnement de la loi LRU sur le terrain. « Il y a eu une autonomie bradée, on assainit les bases, explique-t-elle. Mais il s’agit désormais de remettre les universités devant leurs responsabilités de gestion. » Le dialogue s’annonce compliqué. Tatiana Kalouguine >Lire en p. 6 et 7 Voici Hollande l’Africain Les universités inquiètes pour leur avenir Et aussi Au sommaire Aux Quatre Colonnes : L’heure de la sobriété budgétaire et de l’équité a sonné par Anita Hausser >p. 4 Erasmus est un luxe par Éric Maulin >p. 4 Économie : La câlinothérapie des départements en période de vaches maigres par Florence Cohen >p. 5 L’agglomération marseillaise en quête de statut par Ludovic Bellanger >p. 8-9 Acte III de la décentralisation : Les villes moyennes bien décidées à se faire entendre selon Christian Pierret >p. 10 Hubert Védrine appartient au cénacle de personnalités politiques capables de manier avec talent le verbe géostratégique. L’ancien secrétaire général de l’Élysée sous Mitterrand et ministre des Affaires étrangères du gouvernement Jospin revendique ses passions pour Balzac et Proust. En politique, François Mitterrand le fascina, tout comme son père. >Lire l’Admiroir d’Éric Fottorino en p. 15 DR Édito François Clemenceau Hubert Védrine, la liberté au nom du père et de Mitterrand

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L'Hémicycle, octobre 2012

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Page 1: Les universités inquiètes pour leur avenir

En s’invitant en fin de semaineà Dakar avant de se rendre àKinshasa pour le sommet de laFrancophonie, François Hol-lande a joué finement. Aprèsavoir longtemps pesé le pour et le contre de sa participationà son premier sommet franco-

africain sur le continent noir, il a choisi finalement de serendre au Congo. Pour y dire sa vérité sur sa conceptiondes droits de l’homme et de la démocratie dans un pays,y rencontrer ses pairs avec qui la relation est parfois mal-heureusement incontournable, et saluer les opposants au Président Kabila, histoire de consolider un pluralismemenacé. Mais vu l’équilibrisme que suppose ce déplace-ment, François Hollande a donc choisi de s’arrêter aupa -ravant à Dakar. Étape obligée depuis que le Sénégal faitfigure des rares bons élèves de la démocratie africaine.De Senghor à Macky Sall en passant par Diouf et Wade,François Hollande saluera ces héros de la démocratie.Il pourra et devra s’essayer à un nouveau « discours deDakar » qui, pour être crédible, devra dépasser la contra-diction qu’il ne manquera pas d’apporter à Nicolas Sarkozydont la fameuse phrase sur la place de l’homme africain« dans l’Histoire » était si mal passée.François Hollande veillera aussi à confier à ses interlo -cuteurs la crainte que lui inspire la situation au Sahel. Etla confiance qu’il a dans son plan de mobilisation desEuropéens, des organisations régionales africaines, le toutsous bannière des Nations unies, pour enfin intervenirau Nord-Mali. Laurent Fabius a condamné les attentatssacrilèges à répétition commis par les islamistes à Gaocomme à Tombouctou. Jean-Yves Le Drian a mis en gardela semaine dernière, à Chypre, ses collègues européenscontre un terrorisme djihadiste qui se rapprochait de nosfrontières. François Hollande n’attend pas moins des chefsd’État de la région une prise de responsabilité dans cetteaffaire, quitte à ce que certains fassent le ménage dansleurs hiérarchies pour y débusquer les complices des trafi-quants et des terroristes.Mais aucun de ces gestes ne portera s’ils ne sont pas ac -compagnés au mieux par un soutien militaire, au pire parun feu vert tacite de la part de l’Algérie. Avec son immensefrontière avec le Mali, elle peut tout faire réussir ou tout faireéchouer. Militairement, c’est la puissance la plus forte dela région. Mais l’Algérie, dont certains des chefs islamistesrégnant désormais au Nord-Mali sont issus, ne tient pasà ce stade qu’une intervention africaine soutenue par lesOccidentaux ne déborde chez elle après une guerre civilequi a fait plus de 100 000 morts dans les années 1990.François Hollande n’a jamais caché qu’il souhaitait nor-maliser une fois pour toutes la relation franco-algérienne.Il serait dommage que ce projet fort se heurte à une intran-sigeance d’Alger et mette en danger par là même uneintervention au Sahel qualifiée, à raison, parla France de prioritaire.

Gérant-Directeur de la publication : Bruno Pelletier Rédacteur en chef : Joël Genard

www.lhemicycle.com NUMÉRO 451 — MERCREDI 3 OCTOBRE 2012 — 2,15 ¤

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La situation financière des universités se dégrade. C’est une desconséquences techniques de la loi sur l’autonomie. GenevièveFioraso annonce une rallonge de 250 millions d’euros pour 2013,déjà considérée comme sous-évaluée face aux besoins.

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Geneviève Fioraso était attendue autournant. «Je ne m’attends pas à me

faire couvrir de louanges par les prési-

dents d’université », a ironisé la ministrede l’Enseignement supérieur et de la Re -cherche lors de la présentation du bud getde son ministère pour 2013. L’exerciceparaissait pourtant réussi, avec l’annonced’une hausse de 2 % du budget consacréaux universités, l’un des rares épargnépar la rigueur. Mais cette hausse, ramenéeà 0,3 % après inflation, est-elle susceptiblede calmer la bronca qui sévit dans le milieuuniversitaire? Rien n’est moins sûr.

Alors que 19 universités françaises sontactuellement dans le rouge, dont 11depuis deux ans, les présidents sont deplus en plus nombreux à tirer la sonnetted’alarme. Directement visée, la loi « LRU »(relative aux libertés et responsabilitésdes universités) portée par ValériePécresse en 2007. En vertu de celle-ci, lesuniversités doivent désormais gérer l’intégralité de leurs dépenses, en parti-culier la masse salariale, qui représentequelque 80 % de leur budget.Une partie des dirigeants d’universitéestime que les dotations de l’État – qui

représentent entre 70 % et 90 % desbudgets des universités – sont sous- éva luées par rapport à la réalité desdépen ses. La ministre, elle, rejette lafaute sur son prédécesseur et pointele manque d’accompagnement de laloi LRU sur le terrain. « Il y a eu une

autonomie bradée, on assainit les bases,explique-t-elle. Mais il s’agit désormais

de remettre les universités devant leurs

responsabi lités de gestion. » Le dialogues’annonce compliqué.

Tatiana Kalouguine>Lire en p. 6 et 7

Voici Hollande

l’Africain Les universités inquiètespour leur avenir

Et aussi

Au sommaire • Aux Quatre Colonnes : L’heure de la sobriété budgétaireet de l’équité a sonné par Anita Hausser>p. 4 • Erasmus est un luxe parÉric Maulin>p. 4 • Économie : La câlinothérapie des départements en périodede vaches maigres par Florence Cohen >p. 5 • L’agglomérationmarseillaise en quête de statut par Ludovic Bellanger >p. 8-9• Acte III de la décentralisation : Les villes moyennes biendécidées à se faire entendre selon Christian Pierret>p. 10

Hubert Védrine appartient au cénaclede personnalités politiques capables demanier avec talent le verbe géostratégique.L’ancien secrétaire général de l’Élyséesous Mitterrand et ministre des Affairesétrangères du gouvernement Jospinrevendique ses passions pour Balzac etProust. En politique, François Mitterrandle fascina, tout comme son père.> Lire l’Admiroir d’Éric Fottorino en p. 15

DR

ÉditoFrançois Clemenceau

Hubert Védrine, la liberté aunom du père et de Mitterrand

Page 2: Les universités inquiètes pour leur avenir

La situation financière desuniversités françaises se dé -grade. « La moitié d’entre elles

ont un fonds de roulement inférieur àun mois et un quart ont une trésorerienégative en 2012 », analyse LouisVogel, président de l’universitéPanthéon-Assas, qui préside égale-ment la Conférence des présidentsd’université (CPU). Pour certaines,la situation est critique, comme àAngers où l’on s’attend à essuyerune nouvelle perte de 3 millionsd’euros, après des déficits de700 000 euros en 2010 et de 3,3 mil-lions en 2011.Même les universités aux budgetséquilibrés tremblent pour le pro -chain exercice. À Strasbourg ou Aix-

Marseille, les directions s’apprêtentà devoir faire des efforts pour bouclerle budget 2013. À l’université ParisDescartes, c’est la sécurité mêmedes bâtiments qui est en jeu. « Celas’annonce compliqué car il nous fautdégager une marge d’autofinance -ment pour investir nos bâtiments qui ont été frappés d’un avis négatif par la commission de sécurité. Ce qui

implique 2 à 3 millions d’euros detravaux », témoigne François Paquis,le directeur général des services.

Plusieurs lacunes dansle calcul des budgetsBien que l’autonomie ne soit pascontestée par les dirigeants d’uni-versité, la plupart veulent un ré -équilibrage des dotations pourmieux prendre en compte la réalitédes dépenses. Ainsi la dotation del’État ne prenait pas en comptejusqu’à maintenant l’anciennetédes fonctionnaires et les change-ments d’é chelons, connus sous lenom de « glissement vieillissement technicité », ou GVT. À l’université Bretagne-Sud (UBS),

au budget pourtant équilibréjusqu’en 2011, la situation sedégrade et le GVT est le poste quia le plus augmenté depuis 2009,comme en témoigne le directeurgénéral des services, Jean-MichelLe Pimpec. En France, le manqueà gagner dû au vieillissement dupersonnel est évalué entre 35 et45 millions d’euros pour l’ensemble

des universités. Un passif qui seraépongé en 2013 grâce à la rallongede 250 millions d’euros accordéepar Geneviève Fioraso. Mais lesannées suivantes ? « Il faut que l’État réintègre le GVT dans le trans-fert de la masse salariale », prévientLouis Vogel.Dans les facultés de médecine, ladotation de l’État ne couvre pasnon plus la rémunération desmédecins ayant le statut de pro-fesseur des universités-praticienhospitalier (PU-PH) en surnombre.Ces fonctionnaires peuvent en effet, dans certaines conditions,conti nuer à exercer et percevoirleurs salaires après 65 ans, mêmeaprès l’embauche d’un remplaçant.

Un « oubli » qui coûte cher auxuni versités. « Dans les principalesfacultés de médecine, le surcoût varieentre 500 000 et 800 000 euros »,estime François Paquis. À l’univer-sité Paris Descartes, ce poste consti -tue un surcoût non compensé de820 000 euros par an, précise-t-il.Enfin, l’autonomie implique de nou-veaux coûts, qui n’auraient pas étécorrectement budgétisés, ajoute LouisVogel. « Il faut des instruments de ges-tion, des systèmes d’information sophis-tiqués, une comptabilité analytique, du personnel formé et en particulier descontrôleurs de gestion », énumère-t-il.Autant d’investissements qui de -vraient permettre, dans un se condtemps, de faire des économies.

Des gels de postesau programmeMal préparées, les universitésdoivent bel et bien faire des effortspour éviter le dérapage incontrôléde leurs finances. Des plans d’éco -nomies ont été mis en place unpeu partout. « Nous avons dû réduireles budgets de fonctionnement desservi ces centraux : la documentation,les affaires internationales, l’infor-mation pédagogique, les services fi -nancier et informatique », indiqueJean-Michel Le Pimpec. « Impossi-ble de toucher à la masse salariale,précise-t-il. Mais nous avons décidéde geler quelques postes en 2012. »Pourtant, malgré 360 000 eurosd’économies réalisées cette année,

il signale que l’équilibre budgétairede son établissement est de plusen plus incertain.L’université d’Angers quant à elleprévoit de supprimer 25 contrac -tuels, de réduire les heures supplé-mentaires et les frais de fonction-nement. « Tout ceci ne suffit pas »,note cependant le président, Jean-Paul Saint-André, qui réclame « unrebasement de notre dotation afinqu’elle colle à la réalité et permetteun fonctionnement plus sain ». Enattendant, alerté par le président del’université, le rectorat a mandatétrois inspecteurs en juillet dernierpour lui apporter une assistancecomptable et stratégique.Il faudra sans doute aller plus loindans les économies, « geler des postesde personnels partant à la retraite

Les universités inquiètespour leur avenirSuite de la page 1

6 L’HÉMICYCLE NUMÉRO 451, MERCREDI 3 OCTOBRE 2012

Dossier

L’université de Montréal butesur le « printemps érable »

« L’Université de Montréal aconnu en 2010-2011 son

premier exercice équilibré depuis2005 », clamait la direction enmars 2011. Le triomphe aura étéde courte durée. Après les mani-festations étudiantes du « prin -temps érable » qui ont agité laprovince, le Parti québécois, victorieux aux législatives du4 septembre, a décidé d’annulerl’augmentation des frais de sco-larité prévue par l’ancien gou-

vernement. Pour la célèbre uni-versité, seconde du Canada ennombre d’étudiants (60 000), ilfaut désormais boucler le pro -chain budget avec 4,5 millionsde dollars en moins. Pour sortir durouge, l’université de Montréaln’avait pas ménagé ses efforts : autotal 45 millions de dollars decoupes (7 % du budget) sur sesdépenses de fonctionnement sursept ans, et le blocage du renou-vellement de tous les postes

vacants plusieurs mois durant.Mais elle a surtout beaucoup misésur le renchérissement de la sco-larité. Lors du dernier exercice,la hausse de 6,9 % avait permisde faire rentrer 6,2 millions dedollars dans les caisses. « À l’hori-zon 2016, la seule hausse de la scolarité devrait rapporter plus de37 millions de dollars » sur un an,affirmait la direction l’an der nier.Aujourd’hui la situation est d’autant plus préoccupante que

l’établissement est lourdementendetté – au Québec, les univer-sités, gérées par le gouvernementprovincial, ont recours à l’em-prunt pour combler leur déficit.La dette cumulée de l’universités’élève à 144 millions d’euros etles intérêts lui coûtent chaqueannée 2 % de son budget. Pour les vingt prochaines années, leséconomies budgétaires ne profi -teront pas à l’enseignement, maisau désendettement.

«L’AUTONOMIE DESUNIVERSITÉS IMPLIQUE

DE NOUVEAUX COÛTS QUI N’AURAIENT PAS ÉTÉCORRECTEMENT BUDGÉTISÉS »

Louis Vogel, président de l’université Panthéon-Assas,président de la Conférence des présidents d’université

DR

Page 3: Les universités inquiètes pour leur avenir

notamment, avance Louis Vogel.Compte tenu de l’importance de lamasse salariale dans nos budgets, c’estsur ce poste qu’il est le plus logique defaire des économies. »

Justifier l’argent publicPour l’an prochain, la ministre apromis une hausse « de 1,5 % à 3 %des dotations selon les universités ».Ces rallonges apporteront certai -nement du liant. Mais le paquet de250 millions d’euros supplémen-taires promis par le ministère doitêtre relativisé. Une fois déduite l’inflation, les 27 millions censésêtre alloués à l’embauche de 1 000em plois nouveaux en premier cycleet les 35 millions au titre du GVT,il n’en restera plus grand-chose.Geneviève Fioraso assume, et metles présidents devant leurs respon-

sabilités : « L’autonomie ne se résumepas à demander des chèques au mi -nistère. » Priorité est donnée à l’ac-compagnement et au contrôle desdépenses. « En tant qu’État stratège,nous avons besoin de justifier l’argentpublic, d’investir dans des outils donneurs d’alerte », ajoute-t-elle. Deséquipes « d’ingénierie » composéesd’inspecteurs et de personnels desrectorats auront pour mission dedébusquer les sources d’économiescachées. Façon de botter entouche ? Certains ne sont pas loinde le penser. Le chercheur PascalMaillard, membre du collectifSauvons l’Université, estime quele gouvernement est en train depréparer les universitaires « à uneacceptation résignée de l’austéritédans le cadre d’une politique de ges-tion de l’existant ».

Les fondations se multiplientRésignés, les dirigeants d’univer-sité ? Certains louchent déjà vers le privé pour s’assurer des recettesà l’avenir. Et développent la forma-tion continue, l’apprentissage, lescontrats de recherche, les chaires ouencore les fondations qui permet-tent de faire rentrer des ressourcescomplémentaires. Depuis la loi du10 août 2007 autorisant les établis -sements publics à recourir à ce typede financement, une trentaine d’universités auraient déjà lancéleur fondation afin d’attirer les capi -taux privés. L’une des plus grandesfondations d’université en France aété créée à Strasbourg après la fusionde trois établissements alsaciens,début 2009. Deux ans après le débutde la première campagne de levée defonds, celle-ci a récolté 12 millions

d’euros (pour un budget de 420 mil-lions). Les fonds serviront à fi nan cerdes bourses, des projets de re cher -che, de formation ou la venue d’unprofesseur étranger. Une chaire dechimie est ainsi intégralementfinancée par l’assureur Axa.La fondation de l’université de Stras-bourg emploie dix personnes àplein-temps, dont quatre chargéesde lever des fonds auprès des entre-prises. L’objectif est de lever 20 mil-lions sur cinq ans. « Nous démarronsaujourd’hui pour être prêts dansquelques années. L’ambition est dedevenir comme la Fondation X [Poly-technique, ndlr] et d’internatio na -liser la levée de fonds », note JeanGagneux, le directeur financier.Même la petite université d’Angers,qui dépend à 90 % des subsides del’État, ne rejette pas l’argent du

privé. Une chaire « Règles etmarchés » a été créée en 2009 avecdes entreprises de la région et unprojet de fondation serait dans lescartons. « À ce jour les fonds privésnous servent essentiellement à finan -cer des opérations ponctuelles et n’ontpas vocation à atteindre une part im -portante de notre budget », nuance ce -pendant Jean-Michel Saint-André.On est encore loin d’un véritablecomplément de financement. Àl’heure actuelle, l’ensemble des fon-dations d’université n’ont collectéque quelque 70 millions d’euros,soit l’équivalent d’une seule levéede fonds d’HEC. Une chose est sûre,comme le relève François Paquis :« En 2013-2014, ce ne sont pas lesfondations qui vont permettre auxuniversités de sortir de la crise. »

Tatiana Kalouguine

Selon la Conférence des

présidents d’université, les

dotations de l’État ne permettent

pas de couvrir les dépenses

réelles. Quelle est votre analyse ?

L’autonomie a été proclamée maisil n’y a eu aucun accompagnementdans la mise en place de l’auto no -mie des universités et les transfertsont été sous-évalués. Nos pré dé -cesseurs ont construit le budget2012 sur trois impasses : il manque160 millions d’euros au titre desbourses (10e mois et rattrapage de20 millions empruntés à un autrecompte), il manque 62 millionsde masse salariale, qui ont étépromis aux universités en « pré -emptant » les crédits gelés (alorsque le dégel n’est jamais acquis),et il manque entre 30 et 40 millionsd’euros de GVT (glissement vieil-lissement technicité), qui n’ontjamais été budgétisés.

Les dotations de l’État

prendront-elles en compte

l’ancienneté (ou GVT)

dans les années à venir ?

Je comprends l’attente forte quiest exprimée par la Conférence desprésidents d’université (CPU). Maisles faits sont là. Aujourd’hui, dansun contexte économique difficile,nous héritons d’une situation fi -nancière difficile et chacun peutcomprendre que nous ne pouvonscombler en quelques mois de gou-vernement ces trois impasses. Maisj’ai toujours indiqué à la CPU quenous faisions une priorité, d’abordd’honorer les notifications de sub-vention promises aux étudiants etaux universités, ensuite, si possible,d’examiner la question du GVT.À moyen terme, c’est-à-dire à l’ho -rizon 2014-2015, j’espère que nousserons parvenus à asseoir l’auto -

nomie sur des bases solides et destransferts sincères : les universitésmaîtriseront alors pleinementl’évolution de leur masse salariale.

Certaines universités ont

commencé à geler des postes,

réduire le nombre de contractuels

et limiter les heures

supplémentaires. Où pourraient se

trouver les réserves d’économies

supplémentaires ?

Sans vouloir tomber dans le ca -tas trophisme, la situation est bel et bien à l’aggravation de la situa-tion financière de certaines uni-versités. Mais aucune universitén’est en « faillite », comme je le lisparfois, et l’État continue d’assu rerentre 80 et 90 % du financementdes établissements.Notre priorité est d’inverser cettetendance et d’accompagner les uni-versités pour identifier les causes desdéficits et apporter une ingénieriepermettant la mise en place d’unplan d’actions. Contrairement à la mise sous tutelle, prévue par undécret de 2008, ce processus se veutplus responsabilisant et respectueuxde l’autonomie. Dans le mêmetemps, je me suis engagée à re -mettre en chantier, à partir de 2014,le système d’allocation des moyenspour rétablir de l’équité et de latransparence dans le financementdes universités. Plus que d’éco no -mies, c’est de ce rééquilibrage dontnous avons besoin. La création de5 000 postes dans le quinquennatdont 1 000 en 2013, fléchés defaçon prioritaire pour la réussiteen premier cycle, permettra de ré -guler les situations des universités.

Que pensez-vous de la

multiplication des fondations

et chaires d’université dont le but

est d’apporter des ressources

complémentaires aux

établissements ?

Le gouvernement a pleinementréaffirmé le choix national en fa -veur d’un enseignement supérieuraccessible au plus grand nombreet financé très majoritairement sur les ressources publiques puis -qu’il s’agit d’un investissement – gagnant – de la nation sur sajeunesse. Dès lors, les ressourcescomplémentaires que vous évo-quez sont une chance et je lesencourage pleinement, mais àcondition qu’elles restent… com-plémentaires. À aucun titre il n’yaura substitution, même partielle,entre ce type de ressource et le fi -nancement de l’État.

Certaines collectivités locales

s’intéressent et participent

financièrement au lancement

des fondations d’université

en espérant des retombées

économiques sur leurs territoires.

Est-ce une tendance que vous

encouragez ?

D’une façon générale, je souhaiteque l’État, les collectivités et lesétab lissements, y compris leurfondation, coordonnent davantageleurs initiatives et programmentde concert leurs investissementsau profit de la réussite étudiante,de l’accès du plus grand nombreaux formations su pé rieures et del’attractivité de nos universités àl’international. J’ai déjà évoqué laperspective de passer des contrats« de site » : c’est une premièreétape, et je prendrai d’autres ini-tiatives pour améliorer la lisibi -lité, la cohérence et l’efficacité des différents financements quiirriguent un territoire.

Propos recueillis par T.K.

NUMÉRO 451, MERCREDI 3 OCTOBRE 2012 L’HÉMICYCLE 7

Dossier

« Aucune université n’est en faillite »

Geneviève Fioraso. La ministre de l’Enseignement supérieuret de la Recherche lors d’une conférence de presse, le 5 septembre.

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