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RICHARD SEFF

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ISBNþ: 978-2-91539-731-4

Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation

réservés pour tous pays.

© Éditions du Marque-Pages, 2009.

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La gloire est le deuil éclatant du bonheur.

Madame de Staël

Je repense à la phrase de Bob Dylan, unjour, alors qu’il s’apprêtait à entrer dansun bar, voyant à travers la vitrine les gensà l’intérieur, buvant tranquillementÞ:«ÞDès l’instant où je pousserai la porte,rien ne sera plus pareil.Þ»

Interview de Nick Cave

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Il fallait que je le fasse, il le fallait… Ce n’est pas un homme,c’est le diable. Le diableÞ! Vous comprenezÞ? Il a pris mon âme, ilme l’a volée. Il fallait que je le fasse. C’était le seul moyen…

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Deux mocassins blancs baignant dans une flaque desang. C’est la première chose que Dan vit en entrant dansle salon. Ils étaient posés bien à plat, parallèles, et s’enfon-çaient dans l’épaisseur du tapis de laine, blanc lui aussi, enformant de fines rigoles rouges autour de leurs semelles.Dan se figea, paralysé par l’émotion, et laissa tomber sur leplancher le gros dossier noir qu’il tenait sous son bras. Àcôté de la paire de mocassins gisait le corps d’un homme,allongé sur le dos, avec un impact de balle à la hauteur dela poitrine et un autre qui lui avait arraché la carotide gauche.Sa chemise à moitié retroussée laissait apparaître, à traversles poils noirs et drus de son ventre proéminent, une croixsanguinolente tracée avec la pointe d’un objet tranchant.Dan sentit sa tête se vider brutalement de son sang et sesjambes se dérober sous lui. Il recula en titubant jusqu’à lacuisine, piétinant les liasses de feuilles échappées du dos-sier, et vomit dans l’évier au moment où il ouvrait le robi-net pour se rafraîchir.

Il resta plusieurs minutes assis sur une chaise, le soufflecourt, le visage encore ruisselant, à essayer de mettre unpeu d’ordre dans sa tête. En bon avocat, il s’efforçait de

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trouver un début d’explication à ce qu’il venait de voir,mais il ne faisait que mouliner dans le vide, ne parvenantpas à emboîter deux idées ensemble, comme un enfantjouant avec un puzzle absurde, dont les pièces n’auraientni forme ni dessin.

Il se releva et marcha avec appréhension jusqu’au salonqui paraissait encore plus grand que d’habitude. Tout aubout, l’homme aux mocassins blancs, assis au bord du longcanapé, semblait minuscule, tel un naufragé perdu enpleine mer. Il avança jusqu’à lui. Le bruit de ses pas sur leplancher résonnait dans toute la pièce, se mélangeant auxbattements sourds de son cœur. Dan contourna le cadavresans oser le regarder et en évitant de mettre les pieds sur letapis imbibé de sang.

–ÞPaul, que s’est-il passéÞ?L’homme ne réagit pas.–ÞPaul, réponds-moiÞ! Qu’est-ce que t’as foutuÞ? C’est

quoi çaÞ? Mais tu me répondsÞ! Tu m’entendsÞ?Il avait beau le secouer, attraper son visage entre ses

mains pour le forcer à le regarder, Paul semblait ni le voirni l’entendre. Dès qu’il le lâchait, il retrouvait une sorte deposition fœtale, recroquevillé sur le rebord du canapé, lesyeux fixés sur un point indéfini, loin devant lui.

–ÞPaul, tu dois me dire ce qu’il s’est passé ici, tu entendsÞ?Je suis ton avocat, ton ami, je peux t’aider… Parle-moi.

–ÞIl fallait que je le fasse, il le fallait… balbutial’homme aux mocassins blancs sans détourner son regard,comme s’il parlait à un fantôme, avant de retomber dansun mutisme définitif.

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Dan ne connaissait Paul que depuis deux ans, mais ilfaisait partie de ses rares amis, de ceux qui étaient autorisésà venir chez lui – Paul lui avait même donné le code dela porte d’entrée –, ce dont il était très fier. Côtoyerquelqu’un de célèbre, partager son intimité, c’est s’appro-prier un peu de sa gloire. Des quelques amis que le jeuneavocat fréquentait, Paul était celui auquel il tenait le plus.Non parce qu’il l’aimait davantage ou qu’il avait avec luiplus d’affinités, mais parce que cette relation le flattait, levalorisait, lui donnait un supplément d’importance auxyeux des autres dont il était conscient. Il ne ratait jamaisl’occasion dans les dîners en ville ou pour impressionnerun de ses clients de glisser dans la conversation le nom dePaul Hamilton précédé de «Þmon ami…Þ» ou de «Þcommeme le disait hier…Þ», ce qui entraînait toujours chez sesconvives la même expression d’incrédulité et d’admirationmêlées, suivie immanquablement de la même questionÞ:«ÞVous connaissez Paul HamiltonÞ?!Þ» Dan prenait alorsun air détaché, inversement proportionnel à la satisfactionqu’il éprouvait à ce moment-là. Il enchaînait avec quelquesanecdotes sur la star dans lesquelles il se distribuait sou-vent le beau rôle, laissant échapper au passage une ou deuxindiscrétions pour bien souligner les liens privilégiés quiles unissaient. Et chaque fois, l’intérêt qu’on lui portaitsemblait soudain se décupler, les regards se tournaient verslui, les oreilles se tendaient, même parfois jusqu’aux tablesvoisines. Dan avait un physique agréable, pas très grand,mais avec une silhouette mince et des traits fins, desmanières raffinées. Il venait d’une famille de la bonnebourgeoisie, comme on dit en province. Il avait été unétudiant brillant et travaillait aujourd’hui dans un des

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meilleurs cabinets d’avocats de la ville. Pourtant, jamaispar son mérite et ses qualités personnelles il n’avait obtenuune telle attention, attiré à ce point l’intérêt et la sympathiede ses congénères. Sans parler des filles…

Être l’ami d’une star qui défrayait régulièrement lachronique par ses excentricités et ses excès lui procuraitune aura inespérée, à l’opposé de l’image du garçonsérieux, bien élevé et un peu trop lisse qui lui collait à lapeau.

Ils s’étaient rencontrés par hasard, alors que Paul rem-plaçait au pied levé pour une audience un des associés ducabinet qui avait eu la mauvaise idée de suivre son fils horsdes pistes, en surf des neiges, et avait été rapatrié à l’hôpi-tal avec une triple fracture. Paul avait téléphoné la veilleau chanteur, tard dans la soirée, pour avoir quelques préci-sions sur le dossier qu’il devait défendre. Il était tombé surson répondeur – il ne savait pas encore que Paul Hamiltonne répondait jamais directement aux appels téléphoniques –,mais ce dernier l’avait rappelé quelques minutes plustard et lui avait donné rendez-vous chez lui à minuit. Cen’était pas une heure habituelle, même pour un avocat.Mais Dan n’avait pas hésité une seconde pour accepterl’invitation. Il n’avait jamais été un couche-tôt et il n’étaitpas rare qu’il traîne jusqu’à deux ou trois heures du matindans les bars et les boîtes de son quartier en quittant soncabinet. Mais surtout, avoir l’occasion de rencontrer unecélébrité comme Paul Hamilton, chez lui, l’approcherdans sa vie quotidienne, était une expérience qui l’excitaiténormément.

Le premier soir, ils parlèrent jusqu’à tard dans la nuit.Dan avait le goût de la conversation et savait l’alimenter,

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la faire rebondir, manier la digression et trouver toujoursquelques anecdotes amusantes pour illustrer son propos.Paul intervenait peu, mais prenait visiblement du plaisirà l’écouter. Ces réunions nocturnes se renouvelèrent régu-lièrement. D’abord pour le travail. Dan devint l’un desavocats attitrés du chanteur pendant son procès contre sanouvelle maison de disques. Puis, juste pour le plaisird’être ensemble. Paul ne sortait jamais de chez lui. Dan luirapportait les échos du monde extérieur. Il lui racontait lesspectacles qu’il avait vus, des gens qu’il avait rencontrés,les derniers ragots qu’il avait entendus. Et il repartait unpeu ivre, après avoir vidé une bonne partie de la bouteillede vodka que Paul laissait toujours à portée de la main,sans jamais y toucher lui-même.

La bouteille de vodkaÞ! pensa Dan, tout à coup. Il enaurait bien besoin en ce moment. Juste un verre pour seremonter. Dan ouvrit la porte d’un des meubles laqués deblanc au-dessus du plan en inox de la cuisine, puis seravisa. Ce n’était pas le moment de rajouter ses empreintesni de laisser traîner des indices dans l’appartement, encoremoins de sentir l’alcool quand la police viendrait l’interro-ger. Il resta plusieurs minutes à tourner sur lui-même, semordant la lèvre inférieure, serrant dans sa main moite sontéléphone portable sans se décider à taper un numéro. Ilespérait que Paul sorte de sa léthargie, qu’il lui donne uneexplication pour pouvoir préparer ses arguments – réflexed’avocat –, avant d’appeler la police.

Dan regagna le salon et, en se penchant pour ramasserses liasses de papiers éparpillées par terre, remarqua sur letapis un long morceau de verre dont la pointe était recouverte

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d’un filet de sang. Il osa un regard vers le cadavre ens’attardant sur la croix tracée sur son ventreÞ: deux traitsfins et irréguliers, peu profonds, qui se croisaient au-dessusdu nombril. Qu’est-ce que cela voulait direÞ? CommentPaul aurait pu faire une chose pareilleÞ? Pourquoi cettemarqueÞ?… Dan remonta jusqu’au visage du mort. Il seredressa d’un bond en reculant si violemment qu’il faillitperdre l’équilibre. Malgré l’expression de terreur qui luidéformait les traits, il le reconnut tout de suite. C’étaitPatrick Leibowitz, l’ancien manager de Paul. Il sentit ànouveau un spasme violent lui soulever l’estomac. Quefaisait-il là, dans cet appartement, alors qu’il était de noto-riété publique que les deux hommes étaient fâchés et ne separlaient plus depuis plusieurs annéesÞ? Dan se força à res-pirer profondément pour maîtriser sa nausée. Il ramassa lesfeuilles de son dossier en faisant attention de ne rien tou-cher d’autre, de ne rien déplacer. La situation était assezcompliquée comme ça, ce n’était pas le moment de seretrouver impliqué par erreur dans cette affaire. Dès qu’ileut serré les feuillets entre les pans de carton noir, ilsortit son téléphone de sa poche, composa le numéro ducommissariat central, et demanda à parler au commissaireArchambaud.

–ÞLe commissaire Archambaud n’est pas là cette nuit. Jepeux vous passer l’inspecteur de garde si c’est urgent, luirépondit d’une voix fatiguée le standardiste.

Dan regarda sa montre. Il était un peu plus d’une heuredu matin.

–ÞOui, c’est urgent. Passez-le-moi.

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