Les temples votifs de la Rome républicaine ......temple décoré par Fabius Pictor 305 L. Postumius...

20
Roma illustrata, P. Fleury, O. Desbordes (dir.), Caen, PUC, 2008, p. 29-48 LES TEMPLES VOTIFS DE LA ROME RÉPUBLICAINE : MONUMENTALISATION ET CÉLÉBRATION DES CÉRÉMONIES DU TRIOMPHE À la fin de la période républicaine, les temples de Rome constituent une part impor- tante de la monumentalité de la ville. Lors de la seule année 28, celle de son sixième consulat, Auguste affirme avoir restauré quatre-vingt-deux temples dans Rome sous l’autorité du Sénat 1 . L’importance du nombre des monuments délabrés traduit le trouble des périodes précédentes, mais témoigne aussi de la considérable accumula- tion d’édifices religieux durant les siècles passés. L’action des généraux victorieux dans la construction de cette foison d’édifices reli- gieux a été depuis longtemps soulignée. Velleius et Tacite nous informent qu’Auguste lui-même incita ceux qui avaient obtenu les triomphes et les plus importantes magis- tratures à embellir la cité et à illustrer leur postérité 2 . Ce recours aux butins des généraux et des derniers triomphateurs de la période républicaine n’est que l’ultime manifes- tation d’un phénomène qui s’est développé dès les siècles précédents. Il était d’usage que ceux qui avaient remporté une victoire consacrent une part de leur butin de guerre à bâtir des édifices dans Rome. Ces constructions réalisées durant les derniers siècles de la République ont pu être ainsi qualifiées de « monuments de victoire » par les auteurs modernes 3 . Pour la période des guerres puniques (264-146), L. Pietilä-Castren énumère plus de trente édifices construits par les généraux victorieux. Plus des 4 / 5 de ce total sont des tem- ples. Ils ont été édifiés à proximité du parcours triomphal, et notamment dans le sud du Champ de Mars et au forum Holitorium, où se constituait le cortège du triomphe. Ces édifices, qui commémoraient le plus souvent des triomphes, constituaient un 1. R. Gest. diu. Aug. 20, 4. 2. Velleius, 2, 89, 4 : « principes uiri triumphisque et amplissimis honoribus functi adhortatu principis ad ornandam urbem illecti sunt » ; Tacite, ann. 3, 72, 1 : « nec Augustus arcuerat Taurum, Philippum, Balbum hostilis exuuias aut exundantis opes ornatum ad urbis et posterum gloriam conferre ». Suétone, Aug. 29, 5, évoque les temples d’Hercule aux Muses pour Marcius Philippus, de Diane pour L. Cornificius et de Saturne pour Munatius Plancus. 3. L. Pietilä-Castren, Magnificentia publica. The Victory Monuments of the Roman Generals in the Era of the Punic Wars, Helsinki, Societas Scientarum Fennica (Commentationes Humanarum Litterarum ; 84), 1987.

Transcript of Les temples votifs de la Rome républicaine ......temple décoré par Fabius Pictor 305 L. Postumius...

  • Roma illustrata, P. Fleury, O. Desbordes (dir.), Caen, PUC, 2008, p. 29-48

    LES TEMPLES VOTIFS DE LA ROME RÉPUBLICAINE :MONUMENTALISATION ET CÉLÉBRATION

    DES CÉRÉMONIES DU TRIOMPHE

    À la fin de la période républicaine, les temples de Rome constituent une part impor-tante de la monumentalité de la ville. Lors de la seule année 28, celle de son sixièmeconsulat, Auguste affirme avoir restauré quatre-vingt-deux temples dans Rome sousl’autorité du Sénat1. L’importance du nombre des monuments délabrés traduit letrouble des périodes précédentes, mais témoigne aussi de la considérable accumula-tion d’édifices religieux durant les siècles passés.

    L’action des généraux victorieux dans la construction de cette foison d’édifices reli-gieux a été depuis longtemps soulignée. Velleius et Tacite nous informent qu’Augustelui-même incita ceux qui avaient obtenu les triomphes et les plus importantes magis-tratures à embellir la cité et à illustrer leur postérité2. Ce recours aux butins des générauxet des derniers triomphateurs de la période républicaine n’est que l’ultime manifes-tation d’un phénomène qui s’est développé dès les siècles précédents. Il était d’usageque ceux qui avaient remporté une victoire consacrent une part de leur butin de guerreà bâtir des édifices dans Rome.

    Ces constructions réalisées durant les derniers siècles de la République ont puêtre ainsi qualifiées de « monuments de victoire » par les auteurs modernes3. Pour lapériode des guerres puniques (264-146), L. Pietilä-Castren énumère plus de trenteédifices construits par les généraux victorieux. Plus des 4 / 5 de ce total sont des tem-ples. Ils ont été édifiés à proximité du parcours triomphal, et notamment dans le suddu Champ de Mars et au forum Holitorium, où se constituait le cortège du triomphe.Ces édifices, qui commémoraient le plus souvent des triomphes, constituaient un

    1. R. Gest. diu. Aug. 20, 4.2. Velleius, 2, 89, 4 : « principes uiri triumphisque et amplissimis honoribus functi adhortatu principis ad

    ornandam urbem illecti sunt » ; Tacite, ann. 3, 72, 1 : « nec Augustus arcuerat Taurum, Philippum, Balbumhostilis exuuias aut exundantis opes ornatum ad urbis et posterum gloriam conferre ». Suétone, Aug. 29, 5,évoque les temples d’Hercule aux Muses pour Marcius Philippus, de Diane pour L. Cornificius et deSaturne pour Munatius Plancus.

    3. L. Pietilä-Castren, Magnificentia publica. The Victory Monuments of the Roman Generals in the Era of thePunic Wars, Helsinki, Societas Scientarum Fennica (Commentationes Humanarum Litterarum ; 84),1987.

    00_Roma_illustrata.book Page 29 Lundi, 5. janvier 2009 3:48 15

  • 30 Jean-Luc Bastien

    support de mémoire important au moment de solliciter les suffrages des citoyensdans une période proche de l’élection des magistrats supérieurs4.

    La corrélation entre l’aptitude à triompher et celle à construire un temple àRome a été peu explorée5 ; je me propose d’envisager ce lien de manière quantitativeen dressant une liste des temples votifs édifiés par les triomphateurs, avant d’exposerles modalités utilisées par eux pour exalter leur prestige grâce aux temples. Comptetenu de l’ampleur de la tâche, je me contenterai ici de l’étude de leurs jours anniver-saires.

    Les commémorations des triomphateurs

    Il existe une évolution dans les commémorations triomphales au tournant des IVe etIIIe siècles avant notre ère qui concerne la construction d’édifices, mais aussi la con-sécration des dépouilles 6. On assiste alors à une hellénisation des pratiques. Il ne sau-rait être question ici de faire un bilan complet des commémorations, mais il convientde présenter quelques-unes des étapes les plus significatives.

    Ainsi en 338, le Sénat aurait assuré sur le Forum l’érection de statues équestrespour les deux consuls ayant triomphé cette année-là : C. Maenius et L. Furius Camil-lus. La pratique devait se répéter en 306 pour Q. Marcius Tremulus, qui en obtint uneplacée devant le temple des Castors 7.

    Les généraux pouvaient avoir l’initiative des commémorations et utiliser les plusbelles pièces de leur butin, et notamment les armes pour les exposer dans les espacespublics. L. Papirius Cursor père et fils auraient pratiqué tous deux ce genre de dédi-cace lors de leurs triomphes respectifs de 309 et 293 8. Le père aurait orné les boutiques

    4. La question des bénéfices politiques du triomphe est souvent affirmée mais rarement étudiée ; cf. ma thèsede doctorat : Le Triomphe romain et son utilisation politique à Rome aux trois derniers siècles de la Républi-que, Rome, École française de Rome (Collection de l’École française de Rome ; 392), 2007 (microfichée parl’ANRT de Lille III sous le no 1341.44658 / 05). Sur le problème spécifique des temples, cf. E.M. Orlin, Tem-ples, Religion and Politics in the Roman Republic, Leyde, Brill (Mnemosyne, Suppl. ; 164), 1997.

    5. Un seul auteur, à ma connaissance, l’a posée formellement : M. Aberson, Temples votifs et butin de guerre dansla Rome républicaine, Rome, Institut suisse de Rome (Bibliotheca Helvetica Romana ; 26), 1994, p. 138 sq.

    6. La question de la signification des termes servant à désigner le butin (spolia, manubiae, praeda) n’est pastotalement résolue, cf. M. Aberson, Temples votifs…, p. 55-102 : les manubiae seraient la part dont disposele triomphateur sous forme d’objets précieux ou monnayables ; elles lui serviraient en particulier à cons-truire les temples votifs ; spolia désignerait les plus belles des pièces et notamment les armes destinées àêtre exposées.

    7. Tite-Live, 8, 13, 9 : Additus triumpho honos ut statuae equestres eis, rara illa aetate res, in foro ponerentur, et9, 43, 22 : Marcius de Hernicis triumphans in urbem rediit, statuaque equestris in foro decreta est, quae antetemplum Castoris posita est.

    8. Les signes d’hellénisation sont clairs. Pline, nat. 34, 19 précise que les statues équestres de Rome sont édi-fiées à l’exemple de celles des Grecs. L’exposition des dépouilles à Rome évoque les peintures de Paestum,notamment celles de la tombe 61 ; cf. A. Greco Pontrandolfo, A. Rouveret, « Pittura funeraria in Lucaniae Campania. Puntualizzazioni cronologiche e proposte di Lettura », DArch, II, p. 91-130, et surtout n. 53,p. 106.

    00_Roma_illustrata.book Page 30 Lundi, 5. janvier 2009 3:48 15

  • Les temples votifs de la Rome républicaine… 31

    de changeurs du Forum de boucliers samnites, et le fils aurait répété cette pratiquetout en distribuant le surplus aux alliés et aux colonies voisines pour orner les tem-ples et les lieux publics. À Rome même, il aurait également disposé des armes dans letemple de Quirinus voué par son père à l’occasion d’une de ses victoires9.

    Ces constructions importantes sont permises par les butins de guerre quis’accroissent substantiellement : la victoire de M’. Curius Dentatus sur Pyrrhus en 275aurait été particulièrement remarquable, il présenta dans son cortège triomphal unequantité extraordinaire d’objets précieux. Les sommes d’argent tirées de ce butinpermirent à Dentatus de construire un aqueduc (l’Anio uetus) durant sa censure de272 10.

    Le phénomène du temple votif

    La construction de temples votifs figure parmi les actions les plus prisées par lestriomphateurs de cette période ; mais le phénomène n’apparaît certes pas durant laRépublique médiane : la tradition le rapporte aux origines mêmes de la ville. Sonfondateur, Romulus, aurait voué le temple de Jupiter Stator lors de sa bataille contreles Sabins 11, et le plus important sanctuaire de la ville, celui de Jupiter Capitolin,aurait été voué par Tarquin lors d’une bataille contre ce même peuple12 : plusieurssources attestent de l’usage du butin pour sa construction.

    Le tournant de la fin du IVe siècle est initié par le vœu, puis la dédicace du templede Quirinus par les Papirii 13. Ce temple marque le début d’une longue liste : on n’encompte pas moins d’une cinquantaine construits selon ce modèle pour les trois der-niers siècles de la République (293-29) (cf. tableau 1). La conception d’un tel tableausuppose des arbitrages et des choix entre des versions différentes. Il n’était pas conce-vable de donner pour chacun des temples la totalité des références anciennes et desétudes modernes14.

    9. Tite-Live 9, 40, 15 et 10, 46, 7. Plusieurs auteurs modernes ont pu douter de la réalité des actions du père,qui semblent un simple doublet de celles du fils. J’ai pu montrer dans ma thèse qu’il y a de nombreusesfalsifications de triomphes à cette époque et que celui de 309 peut être une invention.

    10. Sur le butin, cf. Florus, 1, 13, 25-27 ; sur l’usage de ce butin pour construire l’aqueduc, voir Frontin, aq. 6,1. Cf. M. Aberson, Temples votifs…, p. 193-198, pour les sources et les études sur la question.

    11. Tite-Live, 1, 12, 3-6 ; cette action est d’ailleurs actualisée à l’époque qui nous concerne, puisque M. AtiliusRegulus voue un temple au même dieu en 294.

    12. Cf. Tite-Live, 1, 38, 7 ; Denys d’Halicarnasse, 3, 69, 1.13. La date du vœu du temple reste incertaine : le père l’aurait voué en 324 ou en 309 ; le fils réalise sa dédicace

    en 293. A. Ziolkowski, The Temples of Mid-Republican Rome and their historical and topographical context,Rome, « L’Erma » di Bretschneider (Saggi di Storia Antica ; 4), 1992, évoque pour cette période « l’âge d’ordu temple votif ».

    14. On se référera au Lexicon Topographicum Vrbis Romae, E.M. Steinby (dir.), Rome, Quasar, 1993-2000, 6vol. J’ai suivi de nombreuses hypothèses de M. Aberson, Temples votifs…, et de F. Coarelli, Il campo Mar-zio. 1. Dalle origini alla fine della Repubblica, Rome, Quasar, 1997 ; cf. aussi R.D. Weigel, « Roman generalsand the vowing of temples, 500-100 B.C. », Classica et Mediaevalia, 49, 1998, p. 119-152.

    00_Roma_illustrata.book Page 31 Lundi, 5. janvier 2009 3:48 15

  • 32 Jean-Luc Bastien

    Tableau 1 – Temples votifs (ou présumés tels) construitsa de manubiis par des triomphateurs

    Année du triompheet nom du triomphateur

    Divinité concernéepar le vœu

    Commentaires diversVœu et dédicace du temple

    324 /309 L. Papirius Cursor Quirinusvœu en 325 (ou 310-309). Dédicacé par son fils

    l’année de son propre triomphe en 293

    311 C. Junius Bubulcus Salusvœu en 311 et dédicace en 302

    temple décoré par Fabius Pictor

    305 L. Postumius Megellus Victoria temple dédicacé en 295

    295 Q. Fabius Rullianus Jupiter Victorla même année, son fils Gurges,

    lors de son édilité, voue un temple à Vénus

    294 M. Atilius Regulus Jupiter Stator

    293 Sp. Carvilius Fors Fortuna dédicace en 289 lors de sa censure ?

    275 M’. Curius Dentatus Summanus dédicace en 272 lors de sa censure ?

    272 L. Papirius Cursor ConsusPapirius était représenté en costume triomphal

    dans ce temple

    268 P. Sempronius Sophus Tellus dédicace en 252 lors de sa censure ?

    267 M. Atilius Regulus Palesmeurt en 255 avant d’avoir mené

    la construction à terme

    264 M. Fulvius Flaccus VertumnusFulvius était représenté en costume

    de triomphateur dans ce temple

    260 C. Duilius Janus dédicace lors de sa censure en 258 ?

    259 L. Cornelius Scipion Tempestates dédicace en 258 lors de sa censure ?

    257 A. Atilius Caiatinus Spes et Fidesle temple de Spes a pu être voué

    en 258-257, 254 ou 249

    250 L. Caeciliusb Ops dédicace pendant son consulat en 247 ?

    241 C. Lutatius Catulusc Iuturna

    241 Q. Lutatius CercoJunon Curitis, Minerva Capta

    (Jupiter Fulgur ?)dédicace lors de sa censure de 236

    233 Q. Fabius Verrucosus Honos dédicace lors de sa censure en 230 ?

    231 C. Papirius Maso Fons triomphe sur le mont Albain

    225 L. Aemilius Papus Feroniad

    222/211 M. Claudius Marcellus Honos et Virtus vœu en 222 (ou 211)e ; dédicace par son fils en 205

    207 M. Livius Salinator Iuuentas dédicace en 191

    200f L. Furius PurpureoVeiovis

    (ou Jupiter)dédicace en 194

    197 C. Cornelius Cethegus Junon Sospita dédicace lors de sa censure en 194

    194 M. Porcius Cato Victoria Virgovœu en 195 – l’aedicula est dédicacée

    près du temple de Victoria sur le Palatin

    190 M. Acilius Glabrio Pietas dédicace par son fils en 181

    189 L. Aemilius Regillus Lares permarinidédicace par un parent, Aemilius Lepidus,

    qui est censeur en 179

    00_Roma_illustrata.book Page 32 Lundi, 5. janvier 2009 3:48 15

  • Les temples votifs de la Rome républicaine… 33

    187 M. Fulvius Nobilior Hercule aux Muses dédicace lors de sa censure en 179

    180 Q. Fulvius Flaccus Fortuna Equestris dédicace lors de sa censure en 173

    173 C. Cicereius Junon Monetatriomphe sur le mont Albain ;

    temple construit in monte Albano

    Tr ? L. Licinius Lucullus Felicitas victorieux dans son consulat de 151g

    146Q. Caecilius Metellus

    MacedonicusJupiter Stator

    et Junon Reginadédicace lors de son consulat en 143

    ou lors de sa censure en 131 ?

    146 L. Mummius Hercule Victor dédicace lors de sa censure en 142

    146P. Scipion Africanus

    AemilianusHercule Victor (Aemilianus)

    dédicace lors de sa censure en 142

    136 / 135h D. Junius Brutus Callaicus Mars vœu en 138 ; dédicace vers 130i

    117 L. Metellus Delmaticus Castores réfection du temple

    111 C. Metellus Caprariusj Magna Mater réfection du temple

    101 Q. Lutatius CatulusFortuna

    Huiusce Dieivœu le 30 juillet 101,

    jour de la bataille contre les Cimbres

    101 C. Marius Honos et Virtus

    71 Q. Metellus PiuskCastores

    au Champ de Mars

    61 Cn. PompéeMinerua et

    (Vénus Victrix ?)vœu durant son proconsulat de 66-61

    46 C. Julius César Vénus Genitrix vœu en 49

    43 L. Munatius Plancus Saturnus vœu en 43

    29Auguste

    (Imp. Caesar Divi f.)

    Mars Vltor, Apollon Palatinl ? et Apollon

    in circovœu de Mars Vltor, en 41, comme IIIuir

    a. Deux triomphateurs ayant assuré une réfection de temple et non une construction sont ajoutés autableau 1 : cf. les années 117 et 111.

    b. Les sources concernant ce temple sont rares : cf. son attribution au consul de 251 par F. Coarelli, Il campoMarzio…, p. 227 sq.

    c. Il existe des confusions possibles sur les deux frères Lutatii qui triomphent en 241. Dans ce tableau, je suis laversion de F. Coarelli, Il campo Marzio…, p. 216 et 236.

    d. Sur ce culte de Feronia et l’attribution à L. Aemilius Papus, cf. F. Coarelli, Il campo Marzio…, p. 197-209.e. Cf. M. Aberson, Temples votifs…, p. 145-148. Les versions littéraires ne sont pas convergentes sur la date du

    vœu ; d’après Aberson, il faut préférer Tite-Live, qui renvoie le vœu à Clastidium (27, 25, 7 et 29, 11, 13).f. Cf. M. Aberson, Temples votifs…, p. 127-130. La tradition est complexe, le vœu est parfois associé à son con-

    sulat de 196.g. Le triomphe de ce personnage n’est pas assuré : aucune source littéraire ne l’atteste, et les Fastes triomphaux

    capitolins sont lacunaires pour la période 155-129. Cf. Inscriptiones Italiae, XIII. fasc. 1. Fasti consulares et trium-phales, A. Degrassi (éd.), Rome, Unione Accademica Nazionale – La Libreria dello Stato, 1947, p. 557 sq.

    h. Années triomphales proposées par A. Keaveney, « Three Roman chronological problems (141-132 BC) »,Klio, 89, 1998, p. 66-90.

    i. Selon F. Coarelli, Il campo Marzio…, p. 493.j. Le temple de la Magna Mater brûle en 111 ; il est reconstruit par un Metellus, dont l’identité pose problème ;

    on l’attribue parfois à Numidicus, qui triomphe en 106 (sur l’incendie et sa date : Val. Max. 1, 8, 11 ; IuliusObs. 39 ; sur la restauration par un Metellus : Ovide, fast. 4, 348).

    k. Le temple des Castores est attribué à Metellus Pius de manière convaincante par F. Coarelli, Il campo Mar-zio…, p. 504 sq.

    l. Le caractère votif et manubial du temple d’Apollon est discuté par M. Aberson, Temples votifs…, p. 42.

    00_Roma_illustrata.book Page 33 Lundi, 5. janvier 2009 3:48 15

  • 34 Jean-Luc Bastien

    Le processus de construction du temple excédait souvent plusieurs années : le vœuréalisé sur le champ de bataille devait être suivi d’une locatio du temple à Rome, laconstruction et la dédicace étant le plus souvent effectuées après un accès à la cen-sure 15. En cas de mort prématurée du triomphateur, il était commun qu’un fils ou, àdéfaut, un parent mène à bien le processus votif, comme ce fut le cas en 293 pour letemple de Quirinus.

    On peut remarquer qu’après 180, le phénomène du temple votif est moins fré-quent : on en compte une quinzaine seulement. Les triomphateurs réalisent davantagede constructions dites profanes : porticus, fornix, ensemble monumental qui intègreparfois un temple. Ce nouveau type de construction s’apparente davantage à l’acti-vité traditionnelle des censeurs (cf. tableau 2).

    Lien entre poursuite du processus votif et triomphe

    Le fait de triompher semble avoir été une condition nécessaire pour mener à bien unvœu. Nous ne connaissons que cinq temples construits après le vœu d’un généraln’ayant pu accéder au triomphe après sa victoire.

    15. Je ne détaille pas ici ces questions qui n’intéressent pas directement mon propos ; cf. J.E. Stambaugh,« The Functions of Roman Temples », ANRW, II, 16, 1, p. 553-608, notamment p. 557-568, et M. Aberson,Temples votifs…, p. 102-133.

    Tableau 2 – Constructions profanes réalisées par les généraux avec leur butina

    a. Le nom du seul personnage qui n’a pas triomphé figure en italique.

    Année du triomphe et nom du général

    Édifice Commentaire

    L. Stertiniusdeux fornices au forum Boarium

    et un au circus Maximusconstruction après 196

    201 P. Cornelius Scipionfornix (Africani) à l’entréede l’esplanade capitoline

    non relié au triomphe de 201,mais érigé avant son départ en Asie

    comme légat de son frère en 190

    167 Cn. Octaviusporticus ad circum

    Flaminium

    146 Q. Metellus Macedonicus porticus Metelli censeur en 131

    120 Q. Fabius Allobrogicus fornix Fabianus campagne de 121

    106 M. Minucius Rufus porticus Minucia

    101 Q. Lutatius Catulus porticus Catuli

    100 /93 T. Didius restaure la uilla Publica (?)

    61 Cn. Pompée curia, porticus, theatrum

    46 C. Iulius Caesarforum, basilica,

    uilla Publica, saepta

    00_Roma_illustrata.book Page 34 Lundi, 5. janvier 2009 3:48 15

  • Les temples votifs de la Rome républicaine… 35

    Le faible nombre de généraux présents dans le tableau 3 peut sans doute être encore réduit. Les deux derniers généraux, M. Aemilius Lepidus et L. Porcius Licinus, pour-raient figurer dans les Fastes triomphaux, qui sont lacunaires pour la période 187-178 16. App. Claudius a peut-être assuré la dédicace du temple qu’il avait voué à Bellona Victrix, mais là encore rien n’est certain : la date de la dédicace se situe dans la grande lacune de Tite-Live, après 293 ; on lui attribue cette dédicace, mais peut-être à tort.

    Les cas de L. Manlius Vulso et de P. Sempronius démontrent que lorsque le triom-phe n’avait pas été accordé, le Sénat ne permettait pas aux généraux de mener à bienle processus votif. En 218, le vœu est singulier : il est prononcé lors d’une sédition mili-taire, le Sénat assure bien la continuité du vœu, mais en confie la charge à des IIuiriaedi dedicandae ; la dédicace échappe au général 17.

    Ainsi, comme l’a souligné M. Aberson, le Sénat pouvait assurer la prise en charge du processus votif dans différentes circonstances, et notamment quand il a pu exister un conflit avec le général 18. Le contrôle de l’assemblée sur le triomphe est aussi plus marqué. De nombreux généraux en butte à l’opposition du Sénat doivent se contenter

    16. Cette lacune des Fastes est comblée par des triomphes mentionnés par Tite-Live (cf. A. Degrassi, Fasti…) ;néanmoins, le cas des deux triomphes de 180 pourrait être révisé. Tite-Live, 40, 38, 8 sq., précise qu’unBaebius et un Cornelius obtinrent de triompher sans avoir livré bataille ; mais l’examen interne du textelivien fait apparaître des erreurs (notamment le cognomen de Cornelius), et le contexte politique pesantsur l’octroi du triomphe durant ces décennies ne milite pas pour le vote d’un triomphe aussi peu justifiéaux deux consuls de 181. Il existe donc, peut-être, la place pour une alternative à la restitution.

    Tableau 3 – Généraux ayant voué des temples, mais n’ayant pas triomphéa

    a. Cf. M. Aberson, Temples votifs…, p. 141-144. Le vœu du temple de Jupiter par P. Villius Tappulus n’a pasété intégré au tableau ; Tite-Live, 32, 6, 8, précise que seul Valerius Antias le rapporte.

    Date du combat ou du vœu

    Nom du général Divinité Commentaire

    296 App. Claudius Caecus Bellona Victrixégalement à l’initiative du temple

    d’Hercule de l’ara Maxima (?)

    218 L. Manlius Vulso Concordiavoue le temple au coursd’une sédition militaire,

    mais la dédicace lui échappe

    204 P. Sempronius TuditanusFortuna

    Primigeniala dédicace est assurée par un IIuir,

    Q. Marcius Ralla

    187 M. Aemilius LepidusJunon Regina

    et Dianedédicace ses temples

    comme censeur en 179

    184 L. Porcius Licinus Vénus Érycinele fils s’acquitte du vœu en 181,

    après la mort de son père

    17. Tite-Live, 22, 33, 78, et 23, 21, 7, pour le vœu et la nomination des duumuiri.18. M. Aberson, Temples votifs…, p. 133-137.

    00_Roma_illustrata.book Page 35 Lundi, 5. janvier 2009 3:48 15

  • 36 Jean-Luc Bastien

    du triomphe sur le mont Albain, qui reste à la discrétion du général, ou de l’ovation, qui est beaucoup moins prestigieuse : une demi-douzaine sont votées dans le premier quart du IIe siècle 19. On remarquera que C. Cicereius, qui dut se résigner à triompher sur le mont Albain en 173, renonça aussi à la poursuite du vœu de son temple à Rome pour le faire bâtir et dédicacer sur le mont Albain20.

    Autres processus de construction de temples : l’action des Fabii

    La construction de temples n’a pas été uniquement le fruit de l’activité des généraux-triomphateurs et la conséquence de leur victoire sur les champs de bataille. En 304,l’édile Cn. Flavius inaugure un nouveau procédé, il consacre un temple à la Concordeet, pour la circonstance, contraint le grand pontife Cornelius Barbatus à lui dicter lesformules ; celui-ci s’y opposait, car, « d’après la tradition des ancêtres, seul un consulou un général pouvait dédier un temple » 21. En cas de crises graves, notamment lesdéfaites et les épidémies, le Sénat pouvait également prendre l’initiative de procédu-res conduisant à la construction de temples, notamment après la consultation deslivres sibyllins.

    Or l’étude de plusieurs de ces temples, non voués par des généraux, montre qu’ilsont un lien avec le triomphe et son idéologie. Les cas abordés dans cette étude con-cernent Vénus et la gens des Fabii. En 295, durant son édilité, Fabius Gurges voue etconsacre un temple à Vénus Obsequens l’année même où son père Fabius Rullianustriomphe et voue un temple à Jupiter Victor (cf. tableau 1) 22. En 217, Fabius Cuncta-tor, le petit-fils de Gurges, demande la consultation des livres sibyllins après la défaitede Trasimène, et les Décemvirs préconisent de vouer des temples à Vénus Érycine età Mens Bona. La dédicace de celui de Vénus échoit au Cunctator, et celle de Mens à unde ses alliés politiques 23.

    Depuis la magistrale étude de R. Schilling sur Vénus24, on sait que, dans les deuxcas, la divinité ainsi honorée est la mère des Énéades, protectrice des Romains, cellequi fait donner la victoire par Jupiter grâce à une offrande de vin ou la promesse des

    19. Sur l’exposé du droit du triomphe et sa réglementation, on se reportera à C. Auliard, Victoires et triomphesà Rome. Droits et réalités sous la République, Besançon, Presses universitaires franc-comtoises (CollectionInstitut des sciences et techniques de l’Antiquité), 2001 ; je présente dans ma thèse une approche globalesur les rapports entre le Sénat et les triomphateurs ; les années 211-175 sont déterminantes dans la régle-mentation du triomphe.

    20. Tite-Live, 45, 15, 10, pour Junon Moneta in monte Albano.21. Tite-Live, 9, 46, 6 pour l’intégralité de l’édilité de Flavius.22. Tite-Live, 10, 31, 9 ; ce vœu est parfois attribué à tort à son proconsulat de 292-291 ; cf. l’opinion

    d’A. Ziolkowski, The Temples of Mid-Republican Rome…, p. 167 sq.23. Tite-Live, 22, 10, 10, pour les vœux ; 23, 30, 13 et 23, 31, 9, pour les dédicaces des temples. Cf. G. Dumézil,

    La Religion romaine archaïque, 2e éd., Paris, Payot (Bibliothèque historique ; Les religions de l’humanité),1987, p. 469-473.

    24. R. Schilling, La Religion romaine de Vénus depuis les origines jusqu’au temps d’Auguste, Paris, De Boccard(Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes et de Rome ; 178), 1954 (19822).

    00_Roma_illustrata.book Page 36 Lundi, 5. janvier 2009 3:48 15

  • Les temples votifs de la Rome républicaine… 37

    vendanges. Le jour anniversaire de chacun des temples correspond aux fêtes desVinalia : les Rustica, soit le 19 août, pour le temple de 295, et les priora du 23 avril pourle temple de 215 25. Le mythe étiologique de ces fêtes est constitué par la lutte entreÉnée, qui dirige les Latins, et le roi de Caeré Mézence : ce dernier voulait conserverpour lui une partie des vendanges, quand le pieux Énée les promettait à Jupiter 26.

    Il existe d’ailleurs une illustration de ce mythe sur une ciste de Préneste antérieured’une cinquantaine d’années au premier vœu des Fabii ; elle est datée des années 340 27

    (fig. 1). Les deux personnages compris entre le quadrige et les assistants du sacrifice secaractérisent par des vêtements et des accessoires orientaux – comme pour les braiesou pantalons, et le casque phrygien qui coiffe l’homme qui tient les rênes d’un deschevaux. Ces éléments les identifient à des Troyens, et plus précisément à Énée et àson fils Ascagne 28. L’épisode de la vie des personnages est identifiable par l’impor-tance du vin (il y a une libation avec patères et dolia, et des Silènes sur les pieds del’objet) : il s’agit de la victoire d’Énée sur Mézence après l’offrande du vin à Jupiter.

    Le dieu est figuré sur le quadrige et présente un caractère victorieux et souverain.Le personnage qui suit son char porte sur l’épaule un instrument que M. Menichettiidentifie comme une « trompette-lituus », qui symboliserait le pouvoir et particuliè-rement l’imperium et l’auspicium. Les deux personnages juvéniles présents sur leschevaux extérieurs du quadrige sont les Castors, annonciateurs et pourvoyeurs devictoire dans le monde grec et à Rome depuis le début du Ve siècle 29 (cf. tableau 4).

    Le commentaire du tableau 4 permet de résumer mon propos. Il existe un docu-ment iconographique présentant l’offrande du vin à Jupiter à Préneste au milieu duIVe siècle. Il est conforme au mythe d’Énée qui a cours dans le Latium à la même épo-que et qui est partagé par l’ensemble des Latins30. Les Fabii l’adoptent dans un regis-tre cultuel à Rome en 295, puisque la même année, le père et le fils dédicacent untemple à Jupiter Victor et à Vénus. Cette idéologie est renouvelée en 215 après Trasi-mène.

    25. H.H. Scullard, Festivals and Ceremonies of the Roman Republic, Londres, Thames & Hudson (Aspects ofGreek and Rome Life), 1984, p. 106-108 ; 177.

    26. Cf. P. Grimal, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Paris, PUF, 1974, p. 295, qui présente lesdifférentes versions du mythe et fournit l’essentiel des références littéraires. Cf. J. Poucet, « La diffusion dela légende d’Énée en Italie centrale et ses rapports avec celle de Romulus », Les Études classiques, 58, 1989,p. 227-254 (il montre que dans la version la plus ancienne, celle de Caton, les Troyens sont encore associésaux Latins et non aux seuls Romains, comme dans la version plus tardive de Virgile).

    27. Cette ciste du musée du Charlottenburg de Berlin (inventaire misc. 3238) est parfois qualifiée de « cistetriomphale ». Pour la description et l’histoire de cette ciste, on se reportera à l’étude de R. Adam, « Fauxtriomphe et préjugés tenaces : la ciste Berlin misc. 3238 », MEFRA, 94, 1989, p. 597-641 ; pour l’interpréta-tion de la ciste, cf. M. Menichetti, « Praenestinus Aeneas. Il culto di Iuppiter imperator e il trionfo suMezenzio quali motivi di propaganda antiromana su una cista prenestina », Ostraka, III, 1, 1994, p. 7-30.

    28. Le caractère troyen des personnages n’est contesté par aucun auteur ; cf. les références dans R. Adam,« Faux triomphe… », p. 603, n. 33.

    29. L’ancienneté de leur culte dans le Latium est bien attestée : cf. F. Castagnoli, « L’introduzione del culto deiDioscuri nel Lazio », Studi Romani, 31, 1983, p. 3-12.

    30. Cf. supra note 26.

    00_Roma_illustrata.book Page 37 Lundi, 5. janvier 2009 3:48 15

  • 38 Jean-Luc Bastien

    Fig.

    1 –

    La c

    iste

    «tr

    iom

    phal

    de P

    rén

    este

    00_Roma_illustrata.book Page 38 Lundi, 5. janvier 2009 3:48 15

  • Les temples votifs de la Rome républicaine… 39

    Ainsi, il apparaît que certains temples, qui ne sont pas construits dans le cadred’une victoire et d’un triomphe, utilisent néanmoins de manière éclatante l’un desprincipaux modèles de victoire et de triomphe à Rome. Pour les Romains de la Répu-blique, cela ne pouvait que renforcer le lien perceptible entre l’édification de templeset le phénomène triomphal.

    L’utilisation des dates anniversaires des temples votifs

    À l’époque augustéenne, les jours anniversaires des temples républicains ont été sys-tématiquement modifiés afin de les faire correspondre avec des moments singuliersde la vie du prince et de son entourage 31. Ainsi, le nouveau dies natalis d’un des tem-ples dans lequel se faisaient habituellement les demandes de triomphe, celui d’Apol-lon, est fixé le 23 septembre, date qui était le jour de naissance d’Auguste 32.

    Tableau 4 – Le mythe d’Énée et l’idéologie triomphale

    Nature de la documentation

    (lieu)Contenu Commentaire

    registre mythique(Rome et Latium)

    offrande du vin par Énée, qui manifeste sapiété à un Jupiter souverain par le biais deVénus (mère des Énéades). Ascagne, son fils,est vainqueur de Mézence (l’impie)

    Jupiter, le dieu qui collationne lepouvoir, intervient et offre la vic-toire par l’intermédiaire de Vénus

    registre iconographique(Préneste)

    offrande du vin par Énée, en présence d’As-cagne, à Jupiter Imperator monté sur un qua-drige ; les Castores l’accompagnent.

    représentation iconographique dumythe des uinalia à Préneste

    registre cultuel par les Fabii

    (Rome)

    vœux et constructions de temples en 295 àJupiter Victor par Rullianus, à Vénus Obse-quens par son fils Gurges.Dédicace du temple à Vénus Érycine en 215par leur descendant Cunctator.

    Les fils des deux triomphateurs de295 et 233 accèdent au pouvoir oule conservent de manière extra-ordinairea.

    Idéologie triomphale : l’hérédité du pouvoir et du triomphe est acquise par la dévotion à Vénus et à Jupiter,sur le modèle des héros troyens Énée / Ascagne. Le triomphateur est une image de Jupiter, et ses enfantspeuvent figurer les Castorsb.

    a. En 291, le consul Gurges obtient une prorogation de son pouvoir après l’intervention de son père au Sénat ;en 213, Cunctator est consul et préside les élections qui assurent l’accès au consulat de son fils.

    b. Je me contente ici de souligner la dimension héréditaire du pouvoir et du triomphe qui est impliquée parle décor de cette ciste et l’action des Fabii sans la développer ; cf. ma thèse, Le Triomphe romain…

    31. Cf. P. Gros, Aurea templa. Recherches sur l’architecture religieuse de Rome à l’époque d’Auguste, Rome,École française de Rome (Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes et de Rome ; 231), 1976, p. 31-76, et,pour une approche plus générale des fêtes et calendriers, A. Fraschetti, Rome et le Prince, Paris, Belin(L’Antiquité au présent), 1994, notamment p. 17 sq. (traduction française de Roma e il Principe, Rome –Bari, Laterza (Biblioteca universale ; 571), 1990).

    32. Cf. F. Coarelli, Il campo Marzio…, p. 389. Des temples dédiés à Jupiter Stator, Mars, Neptune, Felicitas etJunon reine eurent également une nouvelle dédicace ce même jour. On trouvera des réflexions générales

    00_Roma_illustrata.book Page 39 Lundi, 5. janvier 2009 3:48 15

  • 40 Jean-Luc Bastien

    Ces modifications du calendrier à des fins idéologiques n’ont fait que reprendredes pratiques plus anciennes, développées par les principales gentes triomphatricesde Rome. Je me propose dans cette étude de déceler les corrélations établies entre lesjours anniversaires de temples et les triomphes, et de les analyser succinctement.

    Un initiateur : C. Junius Bubulcus

    À la fin du IVe siècle, l’accès des familles plébéiennes au consulat et, de ce fait, à lanouvelle aristocratie qui se constitue, la nobilitas, n’est acquis que depuis deux géné-rations. Les familles plébéiennes pouvant accéder aux magistratures supérieures et autriomphe restent de ce fait peu nombreuses33. Quand C. Junius Bubulcus triomphepour la première fois en 311, il est alors le sixième ou septième plébéien à obtenir levote d’une telle cérémonie et le premier de sa gens. L’enracinement de sa toute nou-velle noblesse ne pouvait reposer que sur l’exaltation de ses propres exploits militai-res, car il n’avait pas d’ancêtre victorieux. Il dédicace un temple à Salus en 302, vouéavant son premier triomphe de 311, et choisit de le faire décorer par le premier peintrede Rome, Fabius Pictor 34. La nature précise de ces peintures n’est pas connue, mais lesétudes les plus récentes s’accordent pour établir qu’elles s’appropriaient les acquistechniques de la peinture grecque contemporaine et constituaient donc un signed’hellénisation. La peinture devait être narrative, et on imagine qu’elle pouvait pré-senter des registres figurant les épisodes victorieux des campagnes de Bubulcus35.

    32. sur la modification du natalis des temples et un tableau commode présentant les temples restaurés sousAuguste et Tibère dans S. Estienne, « Les lieux du religieux à Rome, de César à Commode, un état de laquestion », Pallas, 55, 2001, p. 155-175, et notamment p. 164-166.

    33. Sur la nobilitas, cf. K.J. Hölkeskamp, Die Entstehung der Nobilität. Studien zur sozialen und politischenGeschichte der römischen Republik im 4. Jhdt. v. Chr., Stuttgart, F. Steiner, 1987. Entre 367, c’est-à-direl’élection d’un collège consulaire mixte, et 300, on compte une dizaine de familles plébéiennes qui accè-dent au triomphe.

    34. Pline, nat. 35, 19 ; Valère Maxime, 8, 14, 6, et Denys d’Halicarnasse, 16, 3, 2.

    Tableau 5 – Junius Bubulcus, dates de triomphes et natalis du temple de Salus

    Année C. Junius Bubulcus Dates

    311 vœu d’un temple à Salus

    triomphe nones de Sextilis

    302 triomphe III des calendes de Sextilis

    dédicace du temple à Salus nones de Sextilis

    35. Voir, par exemple, F. Coarelli, « La cultura artistica a Roma in età repubblicana. IV-II secolo a. C », inRevixit Arx. Arte e ideologia a Roma. Dai modelli ellenistici alla tradizione repubblicana, Rome, Quasar,1996, p. 15-84, et notamment p. 31 : « è praticamente sicuro che le pitture del tempio di Salus rappresentasseroscene delle guerre contro i Sanniti e contro gli Equi, e forse lo stesso trionfo di Bubulco ».

    00_Roma_illustrata.book Page 40 Lundi, 5. janvier 2009 3:48 15

  • Les temples votifs de la Rome républicaine… 41

    Mais le plus singulier dans ces commémorations n’a pas été souligné : on peutremarquer à la lecture du tableau 5 que Bubulcus choisit de dédicacer son templequelques jours à peine avant son triomphe de 302 et que le natalis de ce temple coïn-cide avec l’anniversaire de son premier triomphe.

    On s’est parfois interrogé sur les raisons ayant pu conduire à la réalisation depeintures dans des lieux inaccessibles aux regards des contemporains. Le choix deBubulcus éclaire en partie ce questionnement : le jour anniversaire de son triomphe,les citoyens romains pouvaient contempler dans le temple de Salus, ouvert pour la cir-constance de son natalis, les fresques figurant ses exploits et peut-être son triomphe.

    Les dédicaces et les triomphes des Papirii

    Certaines commémorations triomphales des Papirii Cursores ont été présentées audébut de cette étude ; il s’agit de l’exposition des armes ennemies dans les lieux publicsde Rome en 309 et 293. Il a été souligné qu’en cette occasion, les actions du fils étaientmises en parallèle avec celles de son père.

    L. Papirius Cursor aurait triomphé à trois reprises selon les sources : en 324, 319 et 309 36 ; il aurait voué un temple à Quirinus avant une de ses batailles entre 324 et 309. Mais ce temple n’est dédicacé qu’en 293 par son fils.

    La lecture du tableau 6 permet de comprendre l’imbrication des dates réalisée par L. Papirius Cursor fils. Il choisit de dédicacer le temple voué par son père en lien direct avec son propre triomphe, en respectant un écart de quatre jours. Il ne s’agit pas d’une simple coïncidence : le triomphe du fils est à la fois un rappel et un dédoublement du triomphe du père. Chacun a triomphé des Samnites, et Tite-Live précise qu’on com-parait les dépouilles du fils à celles ramenées par son père 37. Il décora le temple voué par son père avec les dépouilles prises par lui-même à l’ennemi (cf. tableau 6).

    Cette correspondance entre les triomphes du père et du fils est d’ailleurs réitérée à l’occasion d’un second triomphe contre les Samnites en 272 ; Papirius voue à Consus un temple dont le natalis coïncide précisément avec le premier triomphe de son père sur les Samnites en 319 38. Festus précise que Papirius figurait dans le temple de Consus en costume triomphal39. Sa mise en scène était donc plus élaborée que celle de Bubul-cus trente ans plus tôt. Le X des calendes de septembre, natalis du temple de Consus, l’accès à la cella de l’édifice permettait de voir Papirius en triomphateur, le jour même de l’anniversaire du triomphe de son père.

    Les deux exemples de Bubulcus et des Papirii permettent de distinguer l’action desmembres de la nobilitas encore en gestation. Les hommes nouveaux comme Bubulcus

    36. Les Fastes sont conservés pour les trois triomphes de 324, 319 et 309 ; cf. A. Degrassi, Fasti…, p. 541-544.37. Cf. supra note 9.38. Je ne développe pas ici les aspects idéologiques des cultes de Quirinus et Consus. Il existe, au début du

    IIIe siècle, une vive concurrence sur l’appropriation de ces dieux et des dates qui les célèbrent ; cf. mathèse, Le Triomphe romain…

    39. Festus 228, 21-23 L.

    00_Roma_illustrata.book Page 41 Lundi, 5. janvier 2009 3:48 15

  • 42 Jean-Luc Bastien

    assurent la célébration de leur propre victoire pour leur postérité. L. Papirius filsaffirme l’hérédité des aptitudes triomphales en mettant en parallèle les siennes aveccelles de son père. Cette démarche n’est pas sans rappeler celle des Fabii, en 295 40.

    Les épisodes de l’année 179 : célébrations de la Concorde et de Fortuna

    Il existe un regain d’intérêt pour la commémoration des jours triomphaux au débutdu IIe siècle 41 ; il s’explique par la réapparition d’un contexte pythagoricien. Les pre-miers épisodes, décrits dans cette étude, suivaient la publication d’un calendrier auComitium en 304 par Cn. Flavius 42. Or le triomphateur de 187, M. Fulvius Nobilior,fait à son tour afficher un calendrier dans le temple d’Hercule aux Muses (divinitéd’inspiration pythagoricienne), qu’il dédicace en 179 43.

    La date du triomphe de ce personnage est en elle-même singulière. En décembre187, il s’apprête à triompher quand il apprend que son ennemi irréductible, le consulM. Aemilius Lepidus, marche sur Rome, déterminé à l’en empêcher. Tite-Live préciseque M. Fulvius, qui « avait fixé son triomphe au mois de janvier, […] en avança ladate » 44.

    Tableau 6 – Triomphes et dédicaces de temples par les Papirii Cursores

    L. Papirius Cursor (père)

    triomphes

    324 X des calendes de septembre

    319 et 309

    voue un temple à Quirinus en 324 / 309

    L. Papirius Cursor (fils)

    293triomphe aux ides de février (13 février)dédicace le temple de Quirinus le XIII des calendesde mars (17 février)

    272triomphevoue un temple à Consus, dédicacé le X des calendesde septembre (année ?)

    40. Cf. tableau 4 et note b.41. À la fin du IIIe et au début du IIe siècle, les dates de triomphes se concentrent autour de la période de Nou-

    vel An, en mars : cf. mon article, « Remarques sur la signification et l’utilisation des processions triompha-les romaines à partir de l’étude de leurs dates (280-19 avant J.-C.) », Sources, Travaux historiques, no 51-52,2000 (Actes de la table ronde Processions et parcours en ville), p. 13-26.

    42. Cf. J. Rüpke, Kalender und Öffentlichkeit. Die Geschichte der Repräsentation und religiösen Qualifikationvon Zeit in Rom, Berlin – New York, de Gruyter (Religionsgeschichtliche Versuche und Vorarbeiten ; 40),1995, et M. Humm, « Spazio e tempo civici : riforma delle tribù e riforma del calendario alla fine delquarto secolo a. C. », in The Roman Middle Republic. Politics, Religion and Historigraphy c. 400-133 B.C.,C. Brunn (éd.), Rome, Institutum Romanum Finlandiae (Acta Instituti Romani Finlandiae ; 23), 2000,p. 91-119.

    43. P. Boyancé, « Fulvius Nobilior et le dieu ineffable », Revue de philologie, 29, 1955, p. 172-192.44. Tite-Live, 39, 5, 11-12.

    00_Roma_illustrata.book Page 42 Lundi, 5. janvier 2009 3:48 15

  • Les temples votifs de la Rome républicaine… 43

    Or, en 179, les deux ennemis sont élus censeurs et réconciliés de manière solen-nelle par Q. Caecilius Metellus au Champ de Mars en présence des sénateurs et dupeuple romain45.

    M. Aemilius, dont le triomphe n’est pas assuré (cf. tableau 3), dédicace plusieurstemples à l’occasion de sa censure : le temple des Lares permarini, voué par AemiliusRegillus en 190 (cf. tableau 1), ainsi que deux temples à Junon Regina et à Diane, qu’ilavait lui-même voués avec son collègue au consulat en 187, dans leur lutte contre lesLigures Apuans 46.

    La dédicace et la locatio du temple de Junon sont singulières : elles s’effectuent enconnexion avec la date du triomphe de son collègue et le temple d’Hercule qui le com-mémore. En effet, le temple de Junon est contigu au temple d’Hercule aux Muses, aucircus Flaminius, et son dies natalis, comme celui de Diane, se situe le surlendemainde la date anniversaire du triomphe de Nobilior47.

    Cette inscription dans le même espace et le même temps des commémorationsvictorieuses témoigne de la réconciliation d’Aemilius avec son collègue et de la fin deleur discorde. Cette coïncidence est d’ailleurs renforcée par le natalis et le sens desdivinités du troisième temple, celui des Lares permarini. Il est dédicacé le 22 décembre,et les Lares permarini sont l’interprétation romaine des Cabires de Samothrace, assi-milés à Rome aux Pénates troyens et aux Castores, divinités étroitement associées à laConcordia 48.

    C’est sans doute à partir de la deuxième guerre punique que ces thèmes de la con-corde, de la réconciliation et de l’entente fraternelle deviennent fondamentaux àRome. En 207, la réconciliation des deux consuls est magnifiée : elle permet de vain-cre l’alliance des deux frères puniques : Hannibal et Hasdrubal. Une grande partie dulivre 40 de Tite-Live concerne la discorde des deux fils de Philippe de Macédoine dansles décennies qui suivent : elle s’achève par le meurtre de Démétrios en 180 49. C’estdans ce contexte qu’un Metellus réconcilie les deux censeurs de 179 (cf. tableau 7).

    Quelques mois après les dédicaces des censeurs de 179, Tite-Live rapporte letriomphe de Q. Fulvius Flaccus, pour lequel il précise que « le plus remarquable futque, par un caprice du hasard, Fulvius le célébra le même jour que celui célébrél’année précédente après sa préture »50. La traduction de forte par « par hasard » n’est

    45. Cet épisode célèbre est rapporté par Tite-Live, 40, 45, 6-46, 15.46. Tite-Live, 40, 52, pour ces trois dédicaces ; il rapporte même l’inscription dédicatoire apposée devant le

    temple des Lares par M. Aemilius Lepidus au nom de L. Aemilius Regillus.47. Sur ces trois temples, cf. F. Coarelli, Il campo Marzio…, p. 452-487.48. Cf. F. Coarelli, Il campo Marzio…, p. 258-268, pour le temple des Lares permarini. Pour le thème de la

    Concorde, cf. mon article : « Les Castores et la concorde fraternelle : réflexions à propos du double triom-phe de 111 avant notre ère », in Les Rites de victoire (IVe siècle avant J.-C.-Ier siècle après J.-C.) (Actes du col-loque tenu à l’École française de Rome, 19-21 avril 2001), Rome, École française de Rome, à paraître.

    49. Pour l’entente des consuls de 207, Tite-Live, 27, 35, 6 ; 28, 9, 4-9. Sur la discorde entre les fils de Philippe,cf. Tite-Live, 40, 3-16 et 40, 20-24.

    50. Tite-Live 40, 59, 3 : Nihil in eo triumpho magis insigne fuit quam quod forte euenit ut eodem die triumpharetquo priore anno ex praetura triumphauerat.

    00_Roma_illustrata.book Page 43 Lundi, 5. janvier 2009 3:48 15

  • 44 Jean-Luc Bastien

    sans doute pas adéquate 51. Comme le montre l’anecdote de M. Fulvius Nobilior, letriomphateur peut choisir et même modifier sa date de triomphe. Cette répétition de179 ne peut être anodine : elle se situe après l’affichage d’un calendrier dans le templed’Hercule aux Muses.

    Q. Fulvius Flaccus avait voué un temple à Fortuna, à laquelle sa famille était liée,avec l’épithète Equestris pour magnifier le rôle de la cavalerie lors de la victoire52. Il ledédicace en 173, aux ides de Sextilis, jour qui était également le natalis du temple deVertumnus dédicacé par son grand-père après son triomphe de 264 sur Volsinies.

    À la manière des triomphateurs du IVe et du IIIe siècle comme Bubulcus et lesPapirii, Q. Fulvius Flaccus utilise les dates pour magnifier son propre triomphe etmettre ses exploits en relation avec ceux de ses ancêtres : son grand-père (commeL. Papirius Cursor) était, d’après Festus, peint en costume triomphal dans le templequ’il avait édifié.

    Tableau 7 – Correspondance des temples et des triomphes des deux ennemis réconciliés

    M. Fulvius Nobilior M. Aemilius Lepidus

    187Le proconsul doit avancer la date de sontriomphe au X des calendes de janvier(21 décembre)

    Il est l’ennemi d’Aemilius et tente d’empêcher sontriomphe

    179 Les deux ennemis sont réconciliés et élus censeurs

    dédicace le temple d’Hercule aux Muses ;un calendrier y est affiché

    dédicace un temple de Junon à côté de celuid’Hercule.Son dies natalis est le VIII des calendes de janvier(25 décembre), comme celui de Diane.Le natalis du temple des Lares permarini est le22 décembre.

    51. Cf. J. Champeaux, « Forte chez Tite-Live », REL, 45, 1967, p. 363-389 : forte évoque souvent la chance pro-videntielle ménagée par les dieux.

    52. F. Coarelli, Il campo Marzio…, p. 268 sq.

    Tableau 8 – La Fortuna de Q. Fulvius Flaccus

    Q. Fulvius Flaccus

    180voue un temple à Fortuna Equestris

    triomphe le IV des ides de mars

    179 triomphe le IV des ides de mars

    173

    dédicace aux ides de Sextilis ;même dies natalis que le temple de Vertumnus

    dédicacé par son grand-père,le triomphateur de 264

    00_Roma_illustrata.book Page 44 Lundi, 5. janvier 2009 3:48 15

  • Les temples votifs de la Rome républicaine… 45

    Le temple des Castores et les triomphes des Caecilii 53

    En 111 avant notre ère se déroulèrent à Rome deux triomphes tout à fait extraordinai-res, que les sources n’évoquent pourtant quasiment pas54. Deux généraux, M. CaeciliusMetellus et C. Caecilius Metellus Caprarius, triomphèrent le même jour : aux ides deQuintilis. Ces deux frères avaient choisi cette date, car elle correspondait au dies nata-lis du temple de divinités fraternelles et victorieuses : Castor et Pollux. On commé-morait ce jour leur intervention aux côtés des Romains, puis leur épiphanie sur leForum, à la fontaine de Juturne, pour annoncer la victoire ; un temple leur est édifiéà la suite du vœu du dictateur A. Postumius.

    Les Caecilii n’ont pas initié leur lien avec les Castores en cette circonstance de 111,et il ne saurait être question d’y voir une simple coïncidence « fortuite ». Le cousingermain des deux frères, L. Caecilius Delmaticus, avait lui-même triomphé quelquesannées auparavant, en 117, et avait obtenu d’assurer la reconstruction du temple desCastores (cf. tableau 1). Cette appropriation d’un des plus prestigieux temples deRome reposait elle-même sur une série d’antécédents : ainsi en 207, après la victoiredu Métaure, et en 168, après la défaite de Persée, les grands-pères et pères de nostriomphateurs avaient assumé la charge de nuntius uictoriae, fonction éminemmentdioscuréenne selon le modèle de l’épiphanie de 499 55.

    Le message politique élaboré à l’occasion de ces épisodes de 117-111 vise à légitimerla domination des Caecilii sur la République après les morts successives de Tibériuset Caïus Gracchus en 123. Ces épisodes sont apparus comme une rupture fondamen-tale de la Concorde régnant au sein de l’État romain.

    Le temple de la Concorde restauré en 121 par l’auteur de la répression contre lespartisans de Caïus est une première tentative de réconciliation – qui apparut néan-moins comme une provocation pour le peuple : on écrivit « sous la dédicace du tem-ple ce vers : La Discorde bâtit ce temple à la Concorde » 56. L’appropriation du templedes Castores en 117 exprime une fois encore la volonté d’exalter la Concorde et l’amourfraternel dans une ville déchirée par cet épisode de la mort des Gracques. Mais lesCaecilii se présentent aussi comme une famille victorieuse et triomphale au moment

    53. En attendant la publication de mon article sur les Castores (cité note 48), on se reportera à ma thèse et auxarticles du collectif Castores. L’immagine dei Dioscuri a Roma, L. Nista (éd.), Rome, De Luca, 1994, et auxdeux volumes de la série « Lavori e studi di archeologia » éditée par De Luca : Lacus Iuturnae. I, 1 : Analisidelle fonti materiali dagli scavi Boni (1900), E.M. Steinby (éd.), Rome, 1989 ; The Temple of Castor andPollux : the pre-Augustan temple phases with related decorative elements, I. Nielsen, B. Poulsen (éd.), Rome,1992.

    54. Tite-Live est bien évidemment lacunaire ; on trouve deux mentions, l’une dans Velleius, 2, 8, 2, l’autredans Eutrope, 4, 25, ainsi que l’attestation épigraphique dans les Fastes, cf. A. Degrassi, Fasti…, p. 561.

    55. La victoire de 168 a tout particulièrement un arrière-plan dioscuréen : des sources attestent de leur appa-rition à Rome le jour de la victoire, et le roi Persée est capturé à Samothrace, l’île des Cabires avec qui lesCastores sont assimilés.

    56. Plutarque, Caius Gracchus, 17, 8-9.

    00_Roma_illustrata.book Page 45 Lundi, 5. janvier 2009 3:48 15

  • 46 Jean-Luc Bastien

    où Rome connaît des revers militaires importants contre les Cimbres et les Scordis-ques, qui font resurgir la menace d’une invasion gauloise 57.

    Ce recours au double triomphe célébrant la concorde sera utilisé à différentesreprises par les triomphateurs du siècle suivant. Ainsi en 40, après la paix de Brindes,les deux triumvirs Octave et Antoine font une entrée triomphale dans la ville à cheval,pour avoir fait la paix l’un avec l’autre 58.

    Sous le Principat, Tibère lui-même dédicace à nouveau les temples des Castoreset de la Concorde en son nom, mais aussi en celui de son frère mort, suivant ainsi lemodèle de l’amour dioscuréen. Cependant, dans son propre triomphe de 12, ce sontses enfants, Drusus, son fils naturel, et Germanicus, son fils adoptif, qui sont explici-tement comparés aux Castores 59.

    La majorité des temples construits sous la République évoquent des épisodesmilitaires mythiques ou historiques de Rome. Depuis l’extrême fin du IVe siècle, lesgénéraux ont adopté l’usage de vouer des temples à l’occasion de leur victoire et d’enassurer la dédicace. Les dimensions à la fois personnelle et gentilice des temples étaientbien affirmées : par les inscriptions dédicatoires, par les peintures figurant le général,par les armes inscrites au nom des vainqueurs 60.

    Les témoignages dont nous disposons sur Junius Bubulcus et les Papirii Cursoressoulignent que le premier tiers du IIIe siècle est une période charnière. À ce moment,la nouvelle aristocratie, la nobilitas, dont la réussite militaire est une des valeurs lesplus recherchées, utilise les modes de commémoration hellénistiques pour inscriredans la topographie de la cité les signes de ses victoires.

    Mais les dates de triomphe et de dédicace des temples vont également permettred’utiliser le calendrier. Les triomphateurs mettent en coïncidence le natalis de leurtemple avec leur jour de triomphe ou ceux de leurs ancêtres, affirmant ainsi le carac-tère triomphal de leur gens.

    Certains temples des Fabii construits en l’absence de triomphe révèlent aussi uneidéologie triomphale : au début du IIIe siècle, un père et son fils enracinent à leur pro-fit dans la topographie et le calendrier romain les cultes de Jupiter Victor et de Vénus.

    Une seconde étape émerge dans notre documentation : après les années 180, lecontrôle du Sénat s’est renforcé sur l’attribution du triomphe, et le nombre des céré-monies comme celui des temples votifs est en très net recul. La prestigieuse famille

    57. Sur le contexte de crise en 114-113, cf. les interventions de T.J. Cornell, A. Fraschetti et J. Scheid dans LeDélit religieux dans la cité (table ronde, Rome, 6-7 avril 1978), Rome, École française de Rome (Collectionde l’École française de Rome ; 48), 1981.

    58. Les Fastes qualifient ces cérémonies d’ovation et mentionnent les raisons de leur attribution à chacun :quod pacem cum M. Antonio fecit pour Octave ; quod pacem cum imp. Caesare fecit pour Antoine ; cf. DionCassius, 48, 31, 3.

    59. Ovide, Pont. 2, 2, 81-86, et E. La Rocca, « Memore di Castore : Principe come Dioscuri », in Castores.L’immagine dei Dioscuri a Roma, p. 73-90.

    60. L’usage est attesté par Tite-Live pour l’année 325 (8, 30, 9). Cf. aussi la cuirasse inscrite aux noms des con-suls de 241, J.-L. Zimmerman, « La fin de Falerii veteres : un témoignage archéologique », The J. Paul GettyMuseum Journal, 14, 1986, p. 309-333.

    00_Roma_illustrata.book Page 46 Lundi, 5. janvier 2009 3:48 15

  • Les temples votifs de la Rome républicaine… 47

    des Metelli parvient à s’approprier deux des plus prestigieux temples de Rome, ceuxdes Castores et de la Magna Mater, et à utiliser la circonstance remarquable des ides deQuintilis 111 pour élaborer un message complexe.

    Ainsi, quand, au début du Principat, Auguste et ses proches reconstruisent lestemples et en modifient les jours anniversaires, ils mettent un terme à une série d’éla-borations gentilices, dont certaines d’ailleurs devaient avoir cessé d’être signifiantesfaute d’avoir été actualisées depuis plusieurs générations 61. Néanmoins, la nouvelledédicace des temples des Castors et de la Concorde par Tibère démontre la vivacité deces constructions idéologiques du IIe siècle avant notre ère.

    Jean-Luc Bastien

    Université de Reims Champagne-Ardenne

    61. Dans son Pro Murena, 16, Cicéron tourne en dérision Servius Sulpicius, dont la gens avait connu de nom-breux triomphes aux IVe et IIIe siècles, et lui assène : « ce n’est […] pas dans les propos des contemporains,mais dans la poussière des annales qu’il faut aller chercher des témoignages de ta noblesse » (trad.A. Boulanger).

    00_Roma_illustrata.book Page 47 Lundi, 5. janvier 2009 3:48 15

  • /ColorImageDict > /JPEG2000ColorACSImageDict > /JPEG2000ColorImageDict > /AntiAliasGrayImages false /CropGrayImages true /GrayImageMinResolution 150 /GrayImageMinResolutionPolicy /OK /DownsampleGrayImages true /GrayImageDownsampleType /Bicubic /GrayImageResolution 300 /GrayImageDepth -1 /GrayImageMinDownsampleDepth 2 /GrayImageDownsampleThreshold 1.50000 /EncodeGrayImages true /GrayImageFilter /DCTEncode /AutoFilterGrayImages true /GrayImageAutoFilterStrategy /JPEG /GrayACSImageDict > /GrayImageDict > /JPEG2000GrayACSImageDict > /JPEG2000GrayImageDict > /AntiAliasMonoImages false /CropMonoImages true /MonoImageMinResolution 1200 /MonoImageMinResolutionPolicy /OK /DownsampleMonoImages true /MonoImageDownsampleType /Bicubic /MonoImageResolution 1200 /MonoImageDepth -1 /MonoImageDownsampleThreshold 1.50000 /EncodeMonoImages true /MonoImageFilter /CCITTFaxEncode /MonoImageDict > /AllowPSXObjects false /CheckCompliance [ /None ] /PDFX1aCheck false /PDFX3Check false /PDFXCompliantPDFOnly false /PDFXNoTrimBoxError true /PDFXTrimBoxToMediaBoxOffset [ 0.00000 0.00000 0.00000 0.00000 ] /PDFXSetBleedBoxToMediaBox true /PDFXBleedBoxToTrimBoxOffset [ 0.00000 0.00000 0.00000 0.00000 ] /PDFXOutputIntentProfile (None) /PDFXOutputConditionIdentifier () /PDFXOutputCondition () /PDFXRegistryName (http://www.color.org) /PDFXTrapped /Unknown

    /Description >>> setdistillerparams> setpagedevice