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Les Notes de la Fondation Jean-Jaurès Les tables rondes de la Fondation Jean-Jaurès L a Fondation Jean-Jaurès, présidée par Pierre MAUROY, a montré une nouvelle fois, à travers le haut niveau de participation et d’intérêt de nos partenaires étrangers, la capacité de mettre en place la quatrième table ronde inter- nationale sur un sujet aussi délicat que: la drogue. une approche globale pour une réponse efficace. L a tenue de ces tables rondes internationales répond toujours aux mêmes exigences. Dès l’origine, ces ren- dez-vous annuels ont été créé, comme des “anti-col- loques”, avec la volonté de concevoir un espace discret où mener une réflexion sérieuse sans médiatisation, ni préci- pitation. Ils permettent à des responsables politiques, intel- lectuels, syndicaux, hauts fonctionnaires de se rencontrer, dans un espace de dialogue ouvert, sans contrainte disci- plinaire, afin de réfléchir ensemble aux problèmes nou- veaux que nos sociétés connaissent à l’aube du XXI ème siècle. E n 1997, la Fondation Jean-Jaurès a souhaité organi- ser, avec la Fondation espagnole Pablo Iglesias, une table ronde sur l’efficacité des stratégies internationales LES NOTES DE LA FONDATION JEAN-JAURÈS - N° 7 - FÉVRIER 1998 - 1

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Les Notes de la Fondation Jean-Jaurès

Les tables ro n d e sde la Fondation Jean-Jaurès

La Fondation Jean-Jaurès, présidée par Pierre MAUROY,a montré une nouvelle fois, à travers le haut niveau de

p a rticipation et d’intérêt de nos part e n a i res étrangers, lacapacité de mettre en place la quatrième table ronde inter-nationale sur un sujet aussi délicat que: la drogue. uneapproche globale pour une réponse efficace.

La tenue de ces tables rondes internationales répondtoujours aux mêmes exigences. Dès l’origine, ces ren-

dez-vous annuels ont été créé, comme des “anti-col-loques”, avec la volonté de concevoir un espace discret oùmener une réflexion sérieuse sans médiatisation, ni préci-pitation. Ils permettent à des responsables politiques, intel-lectuels, syndicaux, hauts fonctionnaires de se rencontrer,dans un espace de dialogue ouvert, sans contrainte disci-p l i n a i re, afin de réfléchir ensemble aux problèmes nou-veaux que nos sociétés connaissent à l’aube du XXIè m e

siècle.

En 1997, la Fondation Jean-Jaurès a souhaité org a n i-s e r, avec la Fondation espagnole Pablo Iglesias, une

table ronde sur l’efficacité des stratégies intern a t i o n a l e s

LES NOTES DE LA FONDATION JEAN-JAURÈS - N° 7 - FÉVRIER 1998 - 1

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actuelles en matière de lutte contre la drogue dans lem o nde.

Egalement soutenu par les fondations allemande (Frie-drich Ebert Stiftung) et autrichienne (Karl Renner

Institut), ainsi que par le groupe socialiste du ParlementE u ropéen, ce groupe de travail était composé d’universi-t a i res, de chercheurs et d’experts sociaux-démocratesd’Europe, d’Amérique Latine et des Etats-Unis.

De nombreux pays sont à la fois producteurs et consom-mateurs, c’est pourquoi l’objectif de ce “rendez-vous”

était d’aboutir à un échange de points de vue afin dec o n n a î t re et d’approfondir les diff é rentes propositions depolitiques alternatives.

La Table-Ronde Internationale 1997 vise une discus-sion libre et pragmatique sur les possibilités de mise

en oeuvre de politique de contrôle, de maîtrise de la drogueet de limitation de ses méfaits avec des objectifs clairs desanté publique.

Cette réunion fermée ayant duré deux jours, nous avonspris le parti de re p ro d u i re la synthèse des principales

i n t e rv e n t i o n s . ❖

—————————————-La Fondation Jean-Jaurès re m e rcie Claudette Bardou et François Rebsamenpour la réécriture des interventions; Véra Matthias pour la conception etl ’ o rganisation du séminaire; l’Observ a t o i re géopolitique des drogues pour sap a rticipation et ses conseils. La Fondation exprime sa gratitude à l’ensembledes personnes qui ont participé, de près ou de loin, à la réalisation de laquatrième table ronde internationale et de la présente note.

La drogue :UNE APPROCHE GLOBALE

POUR UNE RÉPONSEEFFICACE

Table ronde intern a t i o n a l e

N° 7 - février 1998

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Si nous avons choisi cette forme de réunion de préfé-rence à un colloque élargi, c’est parce que nous pen-

sons que cela favorisera une discussion franche et ouver-te, une confrontation d’idées et d’expériences pour analy-ser les réponses à apporter au problème mondial de lad rogue. “Guerre à la drogue”, tel est le mot d’ord re leplus couramment utilisé pour traduire la volonté des gou-v e rnements et des responsables politiques de lutter contrela production, le trafic, la vente et la consommation ded rogue à travers le monde. Derr i è re les mots se cache uneréalité qui fait apparaître un profond décalage entre lesintentions affichées et les effets réels des politiquesmenées.

Sans entrer dans les détails chiffrés, mais pour situerl’ampleur du problème en France, il faut savoir que le

n o m b re d’interpellations pour usage de stupéfiants estpassé de trois mille en 1975 à plus de cinquante mille en1994. Même si l’on tient compte du fait que cet indica-teur traduit aussi, dans notre pays, l’activité des serv i c e sde police, de gendarmerie et des douanes, il sert néan-moins de révélateur et démontre, si besoin en est, que laconsommation de drogue s’est désormais installée en

France mais aussi dans toute l’Europe. L’évolution dun o m b re de décès par surdose portés à la connaissance dess e rvices de police et de gendarmerie est également signi-ficative: 35 en 1976, 564 en 1994. Dans 90 % des cas, lep roduit susceptible d’avoir provoqué la mort était l’héro ï-ne. Ainsi, malgré les déclarations volontaristes des gou-v e rnants, apparaissent au grand jour les limites des stra-tégies actuelles de contrôle de la drogue dans le monde.En effet, la production illicite de cannabis, d’opium, decoca et de drogues synthétiques atteint des sommets his-toriques. Les marchés illégaux de produits “raff i n é s ”g é n è rent des dizaines de millions de dollars de bénéfices,“emploient” des milliers de personnes et enrichissent, deplus en plus, les organisations criminelles.

Des dizaines de gouvernements sont perméables à lac o rruption qui y est associée. Saisies de dro g u e ,

a rrestations et incarcérations ont beau se multiplier, lesdoutes sur l’efficacité de la politique officielle de guerrec o n t re la drogue grandissent sans cesse. Le régime géné-ral de prohibition globale de la drogue qui sert de poli-tique unique à travers le monde a résisté, à ce jour, avecsuccès, à tout examen critique, sans doute en raison destabous qui pèsent sur ce sujet. Les termes d’un débatfranc et ouvert sur des stratégies alternatives sont rare-ment posés au niveau des gouvernements voire au niveaui n t e rn a t i o n a l .

Les politiques de lutte contre la drogue continuentd ’ ê t re basées sur le “mythe” de la réussite de

méthodes de plus en plus répressives allant de pair avecune coopération internationale re n f o rcée. Le tempssemble venu de dresser un bilan objectif et critique des

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Exposé intro d u c t i fP i e rre MAUROY

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Repenser la stratégie i n t e rn a t i o n a l e

L’absence de dialogue entre les professionnels et lespolitiques empêche la mise en œuvre de toute action

c o h é rente. Pourtant, la production et la consommation ded rogue augmentent. Face à ce danger, il convient deréagir avec pragmatisme.

La drogue est un problème international. On ne peutdonc l’aborder par une série d’actions au niveau national,pour deux raisons: tout d’abord, les institutions politiquessont perturbées par les efforts de subversion du crime orga-nisé, qui ne sont pas dissociables du trafic de la drogue; ensecond lieu, les ressources tirées du trafic et du commercesont tellement élevées qu’elles entraînent une corru p t i o nde haut niveau dans tous les pays.

L’année 1996 a vu une production inégalée d’opiumpour une valeur totale de 500 milliards de dollars. Il s’agitd’une somme énorme. Pour l’héroïne, malgré les eff o rt sd’éradication et de substitution de la communauté inter-nationale, la production a atteint 4500 tonnes d’opium,principalement en Afghanistan ( 1 ) et en Birmanie ( 2 ) . L’Af-

1)- En 1994, lap re m i è re enquêtede terr a i nexhaustive a étée ffectuée danstoutes les“ p ro v i n c e ssuspectes” afind’évaluer lap roduction de(s)d rogue(s). Il enre s s o rt que lesc u l t u res de pavots’étendent sur 80 000 hectare sp e rmettant derécolter près de 3 000 tonnesd’opium. Les deuxprincipales régionsp ro d u c t r i c e sd’Afghanistan sontle Nangahar à l’estet l’Helmand au sud. Enquêtee ffectuée par le Programme des Nations Uniesde ContrôleI n t e rnational desd rogues (PNUCID)

RAYMOND E. KENDALL,

Secrétaire général INTERPOL.

I. Une appro c h ep o l i t i q u e

❖ ❖ ❖ ❖ ❖ ❖ ❖ ❖ ❖ ❖ ❖ ❖ ❖ ❖politiques conduites et des postulats qui les fondent; c’està cette tâche que nous pourrions nous atteler. Si nousavons cet échange d’idées, c’est aussi pour tenter de pro-poser une nouvelle approche sur ce sujet, à partir duconstat que je viens de faire. En effet, trop de re n c o n t re si n t e rnationales s’ouvrent sur l’examen des eff o rts de limi-tation de l’off re des pays consommateurs. Comme den o m b reux pays sont, tout à la fois, consommateurs etp roducteurs, l’échange des diff é rents points de vue doitp e rm e t t re d’approfondir les connaissances.

Très concrètement, notre objectif est d’analyser la pos-sibilité de mise en oeuvres de politiques altern a t i v e s

de contrôle de la drogue et de limitation de ses méfaits, laconnaissance scientifique et des objectifs de santépublique trop souvent oubliés. En 1993, déjà, le Secrétai-re général d’Interpol avait lancé un appel aux Etats pourqu’ils modifient leur stratégie de lutte contre la drogue enrenforçant les méthodes et les moyens de la prévention aulieu de privilégier la seule répression qui fonctionne unpeu comme “un tonneau des Danaïdes”.

Le but, disait-il, est de casser la demande. Cette pro-position a-t-elle été entendue, les moyens financiers

adéquats ont-ils été dégagés, cette nouvelle stratégie est-elle réaliste et réalisable, voilà des questions parm id ’ a u t res auxquelles nous allons tenter de répondre durantcette table ro n d e . ❖

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ghanistan a été, en 1996, un gros producteur d’héroïne. 10tonnes ont été saisies en Europe. Pour la cocaïne, il fautsavoir que dès qu’un groupe disparaît, un autre le rempla-ce. Aux Etats-Unis, la cocaïne est la drogue la plus utilisée.44 tonnes ont été saisies en Colombie et en Italie. Les tra-fiquants cherchent de nouveaux marchés: cannabis, psy-chotropes.

Face à un tel constat, nous devons nous interroger surles stratégies qui peuvent être engagées, en tenant comptede toute une série de paramètres:

d les producteurs représentent les plus grandes fortunesdu monde

d en 25 ans, de 1970 à 1995, le continent européen a étéinondé, et les messages d’avertissement ne sont pas passés

d la morphine et l’héroïne transitent à 80% par les Bal-kans

d les Etats-Unis sont un marché pour l’héroïne en pro-venance du sud-est asiatique, mais 70% de la cocaïne vientdu Mexique

d 5600 hectares de coca sont cultivés; les cartels sud-amé-ricains envahissent les marchés européens. Deux laboratoire sont été détectés, l’un en Espagne, l’autre en Allemagne

d l’Afrique a un gros problème avec l’Afrique du Sud

d 700 tonnes de cannabis ont été saisies dans l’UnionE u ropéenne, en provenance du Maroc par voie maritime

puis à travers l’Espagne.

d les trafiquants re c h e rchent en permanence de nou-veaux produits hors liste de contrôle des conventions inter-nationales, ce qui leur permet de dégager d’import a n t sbénéfices

d l’absence de contrôle qualité ( 3 ) représente un granddanger pour le consommateur.

E u ropol ( 4 ) est une bonne idée pour la coordination auniveau européen, mais cette institution dispose de moyensi n s u ffisants. Faute de volonté aff i rmée d’abandon d’élé-ments de souveraineté nationale, le problème de l’espacej u d i c i a i re européen n’est toujours pas résolu, alors mêmeque les réponses nationales sont de toute évidence ineff i-caces.

La drogue constitue en effet une menace sérieuse pour ladémocratie, plus sérieuse que ne le fut le conflit Est-Ouest.La “guerre à la drogue” est proclamée, cependant la réalitéest bien diff é rente. Les pays européens n’investissent pasl ’ a rgent nécessaire pour réduire la demande. Dès lors queles institutions de la démocratie sont menacées, les moyensconsacrés à combattre cette agression doivent être à la hau-teur de l’enjeu. Le G7 affiche comme priorité la lutte contrele trafic de la drogue. Mais quelle est sa stratégie?

Une étude française révèle qu’il est plus efficace d’inves-tir l’argent dans la prévention que dans la répression. Oraujourd’hui, 25% des ressources sont affectées à la réduc-tion de la demande, c’est-à-dire la prévention, et 75% pourfaire respecter la loi. Ce déséquilibre indique que nous ne

3)- Exempleexposé par leP ro f e s s e u rBollinger Lore n zde l’Université deB remen enAllemagne. inTi t re II. UNEA P P R O C H EP R A G M ATIQUE.

4)- Le 10d é c e m b re 1991,le Conseile u ropéen réuni àM a a s t r i c h tdécide, surp roposition duc h a n c e l i e rd ’ A l l e m a g n eHelmut Kohl, lacréation d’unO ffice euro p é e nde police( E u ropol) dont lafonction initialeserait d’org a n i s e rl ’ é c h a n g ed ’ i n f o rm a t i o n ssur les stupéfia n t se n t re les Etatsm e m b res de laC o m m u n a u t é .Pour certains, cet“ O ffice” serait labase du futur“FBI euro p é e n ”dès lors qu’unpouvoir euro p é e ncentral existera.

2)- Le S.P. D . C(State Peace andD e v e l o p m e n tConcil - exS . L . O . R . C . ) ,nouvelle versionde la dictatureb i rmane, achangé pourmoins laisserp a r a î t re son goûtpour la répre s s i o ns a n g l a n t e .A u j o u rd ’ h u i ,o u t re le fait quela Birmanie faitp a rtie duTriangle d’Or, onpeut noter que sap ro d u c t i o nd’opium estpassée de 1 400tonnes en 1988 à2 600 en 1993.En 1996, lesp a rts du régimedans le trafic sesont accrues avecla reddition sanscombat, de l’unedes fig u re se m b l é m a t i q u e sde ce trafic, “leroi de l’opium”,Khun Sa et de sest roupes. Enéchange de cettel i b e rté, l’ex-commandant del’Etat Shan, s’estvu pro m e t t re lap o s s i b i l i t éd’investir dansdes “activitéslégales” de sonp a y s .

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faisons pas face à nos re s-ponsabilités. Pour le corr i-ger, il s’agit non pas de dimi-nuer le montant des re s-s o u rces consacrées à la

r é p ression, mais d’augmenter celles qui permettraient laprévention.

Les politiques ont une responsabilité dans ce déséqui-l i b re. Le tout-répressif correspond à une forme d’oppor-tunisme: les effets produits par l’affectation de re s s o u rc e sà la réduction de la demande ne sont en effet pas visiblesimmédiatement, ce type d’action nécessite donc un enga-gement à long term e .

S’agissant du traitement des drogués, je suis hostile àleur criminalisation. Le problème est avant tout sanitaireet social. L’attribution des re s s o u rces étant déséquilibrée,les moyens pour soigner les drogués manquent et len o m b re de centres de traitement reste très insuff i s a n t .

Nous devons nous fixer l’objectif, fût-il utopique,d’une société sans drogue. Je désapprouve toute forme delégalisation des substances toxiques et toute diff é re n c i a-tion entre drogues douces et drogues dures. Il faut main-tenant dire ce qui est légal et/ou illégal, dire si le canna-bis est nocif. Toutefois, il convient de bien orienter lesp rogrammes de prévention comme cela a été fait avecsuccès pour le tabac. L’enjeu est de modifier les compor-t e m e n t s .

Devant le constat d’échec actuel, le moment est venu dedonner une impulsion politique. Tous les pays d’Euro p e ,

h o rmis la Suède, font lad i ff é rence entre utilisateurset trafiquants. Ils distin-guent aussi dans l’interprétation de la loi entre dro g u e sdouces et drogues dures. C’est dire que les lois actuelles netiennent pas compte de la réalité. Des milliers de personnesviolent la loi et il est impossible de la faire appliquer. Si elleest inapplicable, elle doit être changée. ❖

Une politique du tout répressif ou de contrôle?

Je n’évoquerai pas de grands principes comme l’accen-tuation de la lutte contre la drogue ou non, la libérali-

sation de la drogue ou la criminalisation. Je préfère exa-miner des hypothèses sous-jacentes à la politique de lad rogue, les objectifs des politiques anti-drogue et les cri-t è res d’évaluation.

A peu près partout dans le monde, de nombreux leaderspolitiques s’expriment dans les mêmes termes. Le véritableenjeu est de savoir comment traiter le problème des villeset des banlieues où la drogue est de plus en plus présente,avec les peurs qu’elle suscite et les effets déstabilisantsqu’elle induit.

Monsieur KENDALL dit qu’on ne peut pas avoir unesociété sans drogue mais que tel doit rester l’objectif: je

“Si la loi est inapplicable, elle doit être changée”

“S’agissant du traitement des dro g u é s ,je suis hostile à leur criminalisation. Le problème est avant tout sanitaire et social”

Prof. ETHANNADELMANN,Directeur du

Lindesmith Center,New York, USA

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pense que c’est une erreur.Les drogues ont toujoursexisté, elles existeront tou-jours. Ce serait un défi

futile que de vouloir construire un mur autour de nous, denos enfants, de nos villes, pour rejeter la drogue.

Le véritable défi est de savoir comment vivre avec ladrogue pour qu’elle cause le moins de dégâts possible, voi-re qu’elle fasse du bien.

Il s’agit donc de re c h e rcher la politique la plus prag-matique possible en matière de drogue. Puisque l’objectifne peut être une société sans drogue, pourquoi ne pas sef i x e r, comme aux Etats-Unis, un objectif officiel qui seraitde réduire autant que possible la consommation ded ro g u e ?

Sur ce seul critère, les années 80 seraient pour les Etats-Unis un grand succès: 40 millions d’Américains utilisaientdes drogues au début des années 80, contre 20 millionsaujourd’hui. Mais aujourd’hui, la consommation de drogueaugmente chez les enfants et l’inquiétude s’accroît. Donc ils’agit d’une mauvaise lecture des objectifs.

Au début des années 80, personne n’avait entendu par-ler du crack (5): 10 ans plus tard, le crack était devenu unfléau national. En 1980, personne n’avait entendu parlerde drogué atteint du SIDA ou séropositif. Il y avait 80 000drogués ou trafiquants en prison, ils sont 400 000 aujour-d’hui. En 1980, les Etats-Unis dépensaient un milliard dedollars pour lutter contre la drogue: ils y consacre n taujourd’hui dix sept milliards.

Les Etats-Unis peuvent-ils dans ces conditions être priscomme modèle? Certes, il y a moins d’Américains qui sed roguent; mais il y a beaucoup plus d’argent dépensé, depersonnes à problèmes, de malades du SIDA, donc pas deprogrès réels.

Quels doivent donc être les critères pour évaluer les poli-tiques en matière de drogue? Le nombre d’utilisateursn’est manifestement pas un critère suffisant. Les vrais cri-tères devraient être le nombre de décès, de crimes, de mala-dies, de souffrances, associés à la drogue. La question n’estpas d’être dur ou pas, moraliste ou pas, mais de diminuerles crimes, les maladies, bref de pre n d re en compte desvaleurs universelles.

Les interrogations sont multiples. Comment le re s p o n-sable d’une ville peut-il traiter “la dimension drogue” dansles problèmes de crime, d’insécurité, de maladie, de misè-re? Vue d’une ville, la question de légaliser ou pas n’est paspertinente. Elle l’est au niveau mondial ou de l’AmériqueLatine, pas à celui de la cité. Comment la politique d’in-t e rdiction peut-elle répondre aux critères que je viensd’énoncer?

Tout d’abord, il me semble qu’il faut utiliser ses frustra-tions, sa colère, pour diriger son énergie contre les difficul-tés politiques et sociales sous-jacentes au problème de lad rogue. Mais pour réus-sir dans ce combat, il fautavoir un esprit pragma-tique et compre n d re quel’on ne reviendra jamaisen arr i è re, dans une

5)- Le crack,appelé la cocaïnedu pauvre, est led e rnier arrivé surle marché desd rogues dures. Ilest fait de petitscailloux blancs decocaïnes peur a ffinée et debicarbonate desoude. A faiblecoût, sap r é p a r a t i o ns’obtient à part i rde solvants(mazout, gas-oil).L’ a c c o u t u m a n c eest rapide, il suffitd’un mois pourê t re dépendant.Son coût est de200 francs poursix cailloux maisles utilisateurspeuvent enc o n s o m m e rjusqu’à près de40. Outre lesd é p e n d a n c e sphysique etpsychique trèsf o rtes, son usageentraîne desc o m p o rt e m e n t sd a n g e reux etg é n è re égalementdes étatsp s y c h o l o g i q u e sd i ffic i l e m e n tc o n t r ô l a b l e scomme lap a r a n o ï a .

“Les vrais critères, pour évaluer les politiques en matière de dro g u e ,devraient être le nombre de décès, de crimes, de maladies, de souff r a n c e s ,associés à la dro g u e ”

“Le véritable défi est de savoir comment vivre avec la drogue afin qu’ellecause le moins de dégâts possible”

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société sans drogue. Lep roblème est l’avenir, lanécessité de réduire lesdécès, maladies et crimes

associés à la drogue. Il faut donc accepter d’entendre toutesles options et éviter de grandes généralisations sur ladrogue, les drogués et les trafiquants.

Comment fait-on pour réduire les dégâts à Hambourg ,à Brême, dans les villes d’ Australie, telle est la questionque se posent ceux qui il y a dix ans voulaient extirper lefléau de la drogue. Dans ces villes, on a commencé parvouloir écraser les distributeurs de drogue. En réalité, ilsont été dispersés, pour certains mis en prison, tandis quede nouveaux apparaissaient. Le nombre de personnes enprison pour criminalité liée à la drogue a été multiplié parhuit en dix-sept ans, au prix de milliards de dollars pourles contribuables et les Etats. La plupart des gens empri-sonnés étaient des revendeurs. Beaucoup de dealers sontdes drogués, des utilisateurs, des chômeurs, des personnessans travail qui se considèrent comme des entre p re n e u r svendant des produits que les gens aiment.

Une politique pragmatique commence par l’examen desfaits. Des centaines de millions de gens ont fumé de lamarijuana et sont vivants: 70 millions pour les seuls Etats-U n i s( 6 ). Les Hollandais ont essayé de séparer les marc h é sd rogue douce/drogue dure, en régulant le marché desd rogues douces, en essayant de le contrôler puisque, pourdes raisons internationales, ils ne pouvaient le légaliser.

L’inconvénient de ce système tient à sa transpare n c e :on peut en filmer pour la télévision les aspects les plus

s o rdides dans un coffee-shop d’Amsterdam. Pourtant cet-te politique, en dépit de ses inconvénients, notammentpour les pays voisins, réussit. L’utilisation de la marijua-na est au même niveau aux Pays-Bas que dans les autre spays, mais les problèmes y sont en comparaison minimes.Aux Etats-Unis par exemple, il existe un marché noir dela marijuana et des millions de gens sont chaque annéea rrêtés et emprisonnés parce qu’ils en cultivent et en ven-dent. Pourtant, la consommation des adolescents dans lescollèges a été multipliée par deux ces cinq dern i è re sa n n é e s .

Il existe peut-être des politiques plus appropriées pourd’autres pays que celle qui est conduite aux Pays-Bas, maisau moins ce modèle est-il intéressant, satisfaisant, et sur-tout pragmatique.

Reste un problème lourd, qui est celui des héro ï n o-manes, de ceux qui ont besoin d’une piqûre.

6)- «En France,19% des 12-44 ans, soit sept millionsde personnes,auraient déjà goûtéau “cannabis”. Un jeune sur deuxcesserait de fumerdès les pre m i e r sjoints. Tout enétant illégale, la consommationde “cannabis” s’est beaucoupbanalisée puisque près de 3 à 4 millions de Français en seraient desc o n s o m m a t e u r sréguliers.» KoppP i e rre, L’ é c o n o m i ede la dro g u e, LaD é c o u v e rte, 1997.

MARIJUANA : POURCENTAGE DE CONSOMMATEURS PARMI LES JEUNES AMÉRICAINS (1972-1991)

Classes d’âge 1972 1974 1976 1979 1982 1988 1990 1991 1992

1 Consommateurs occasionnels

12-17 ans 14,0 23,0 22,4 30,9 26,7 17,4 14,8 13,0 10,6

18-25 ans 47,9 52,7 52,9 68,2 64,1 56,4 52,2 50,5 48,1

26 ans et plus 7,4 9,9 12,9 19,6 23,0 30,7 31,8 32,7 33,0

2 Consommateurs réguliers

12-17 ans 7,0 12,0 12,3 16,7 11,5 6,4 5,2 4,3 4,0

18-25 ans 27,8 25,2 25,0 35,4 27,4 l5,5 l2,7 13,0 11,0

26 ans et plus 2,5 2,0 3,5 6,0 6,6 3,9 3,6 3,3 3,2

* Les pourcentages sont exprimés par rapport au nombre de ménages américains. - Source : NHSDA (1994).

“La question de légaliser ou pas est pertinente au niveau mondial, pas à celui de la cité”

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16 - LES NOTES DE LA FONDATION JEAN-JAURÈS - N° 7 - FÉVRIER 1998 LES NOTES DE LA FONDATION JEAN-JAURÈS - N° 7 - FÉVRIER 1998 - 17

Une pre m i è re option estla méthadone. Elle est àl ’ h é roïne ce que le patchest à la cigarette, de la

nicotine qui réduit l’accoutumance. Dire oui à la méthado-ne en vue d’une désintoxication complète n’est pas un juge-ment scientifique. Car d’un point de vue scientifique, l’ex-périence montre que des gens peuvent pre n d re de laméthadone pendant dix ou quinze ans sans que cela nuiset rop à la santé ( 7 ). Ils peuvent conduire, travailler, fairefonctionner des grandes machines. Ils ne sont pas plus“accros” que des diabétiques à l’insuline, et peuvent vivreune vie sans drogue, hormis bien sûr la méthadone.

A Bruxelles, la méthadone avec une bonne méthodedonne de bons résultats. Aux Etats-Unis, elle est hyper-réglementée, stigmatisée au point que son efficacité en estpresque sabordée.

Que faire en revanche pour ceux qui ne veulent pasabandonner? Aux Etats-Unis, la solution, c’est la prison:solution coûteuse, cruelle, insuffisamment sophistiquée. Ilfaut une philosophie pragmatique de réduction du mal.

Une des approches possibles de réduction du mal pourceux qui ne sont pas en mesure d’arrêter consiste à atté-nuer les conséquences négatives de l’utilisation de lad rogue: il ne s’agit pas de l’opposé de l’abstinence, maispeut-être d’une étape sur la voie de l’abandon, en aidant ledrogué à réduire sa dépendance et les risques, surtout pasen le manipulant mais en lui permettant de se voir encitoyen. Les seringues propres, comme en Suisse, sont unepremière étape avant la méthadone.

Je terminerai par uneanalogie avec la prostitu-tion: elle a toujours exis-té et ne disparaîtrajamais. Aujourd’hui, onessaie d’en réduire le pluspossible les effets négatifs mais on ne peut l’arrêter. Il en vade même avec la drogue: il faut faire disparaître le trafic etles vrais dealers.

Le seul moyen de progresser sur la voie pragmatique estpourtant de pouvoir poser les vraies questions. Il faut aus-si être intellectuellement honnête et se souvenir des valeursdu socialisme sur la dignité de tout être humain quel qu’ilsoit, quelle que soit sa drogue. ❖

L’Etat-nation et l’économie de la dro g u e

Je commencerai par un bref rappel historique. A l’époquede la reine Victoria, on autorisait l’empoisonnement des

peuples par l’opium alors qu’il était interdit en Angleterre.C’est un peu comme le tabac et les Etats-Unis aujourd’hui!Ensuite, l’Inde s’est ouverte au commerce de l’opium etl ’ A n g l e t e rre en a retiré d’importants bénéfices. D’où lavraie question qui se pose: faut-il abolir ou conserver lesystème actuel de prohibition?

7)- “Dans l’étatactuel desconnaissances, la méthadone( p roduit des u b s t i t u t i o nadministré pours e v rer lest o x i c o m a n e s )constitue lem e i l l e u rtraitement de ladépendance àl’opium. L’ e m p l o ide la méthadonene peut être lié àun sevragerapide. Sap rescription doittoujours s’inscriredans un pro j e tt h é r a p e u t i q u eprécis etcontrôlé.” Pro f .Henrion, Rapportde la commissionde réflexion sur la drogue etla toxicomanie, 3 février 1995.

“La méthadone est à l’héroïne ce que le patch est à la cigarette : de la nicotinequi réduit l’accoutumance”

“Le seul moyen de pro g resser sur la voiepragmatique est d’être intellectuellementhonnête et se souvenir des valeurs dusocialisme sur la dignité de tout être humainquel qu’il soit, quelle que soit sa dro g u e ”

Prof. JOSETHIAGO CINTRA,

Colegio de Mexico, Mexique

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18 - LES NOTES DE LA FONDATION JEAN-JAURÈS - N° 7 - FÉVRIER 1998 LES NOTES DE LA FONDATION JEAN-JAURÈS - N° 7 - FÉVRIER 1998 - 19

Actuellement, les Etats-Unis sont dans une situa-tion de monopole du

p o u v o i r. Les Anglo-saxons, que l’on dit pragmatiques,cherchent pourtant des croisades. La guerre à la drogue aremplacé la guerre froide. Mais où mène cette croisade?

La production mondiale de drogue en 1996 atteignait1200 tonnes pour la cocaïne et l’héroïne confondues. LesAméricains pensent que donner un coup de frein à l’off reen Colombie, au Pérou, en Bolivie, augmenterait telle-ment le prix du gramme que le trafic et la consommationen seraient stoppés. Ils ont multiplié par deux leur budgetc o n t re la drogue pour favoriser l’augmentation des prix.Le résultat est qu’ils reçoivent aujourd’hui 760 tonnes decocaïne en provenance du Pérou, de la Bolivie et de laColombie, contre 200 tonnes en 1981. Quant au prix dugramme, il est passé de 170 dollars en 1980 à 100 dollarsen 1996. (8)

8)- Vo i re carte ett a b l e a u

“La guerre à la drogue a remplacé lag u e rre froide. Mais où mène cette cro i s a d e ? ”

PLACE DE LA COCA DANS LES ÉCONOMIES PÉRUVIENNE ET BOLIVIENNE

Bolivie Pérou

Valeur de la production de coca (millions de dollars) 313-2,300 869-3,000

Exportations de coca (millions de dollars) 132-850 688-2,1

Revenu total (millions de dollars) 246-442 743-1,2

Nombre d’emplois (en centaine de milliers) 207-463 145-700

Surface cultivée 35 000-55 400 115,530-166,500

Part de l’économie de la coca en %

Dans le PNB 6 - 19 2 - 11

Dans les exportations 15 - 98 14 - 78

Dans la dette extérieure 7 - 25 3 - 18

Source : NCIS américain (International Narcotic Control Strategy)1989 .

EXPANSION DES NARCOACTIVITÉS DANS L’ESPACE LATINO-AMÉRICAIN (1960-1994)

ATLAS mondial de la dro g u e, PUF, 1997.

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La responsabilité améri-caine est donc lourd epuisque leur politique afavorisé le développementde la production de cocaï-ne au Mexique, avec pour

ce pays des conséquences morales et économiques lourd e s :sécurité nationale et forces armées menacées, du fait del ’ é n o rmité des sommes en jeu, et corruption du système.

A un moment, la transaction a dû être que l’argent pro-venant du trafic de l’héroïne et du cannabis devait s’inves-tir dans le développement de l’économie nationale.

D’une manière générale, les Etats fragilisés économi-quement, comme le Mexique, sont plus sensibles que lesautres encore aux effets négatifs de la drogue, notammentà la mise en place d’une économie parallèle. Il est difficilede lutter contre le blanchiment alors que les grandes insti-tutions utilisent l’argent sale, et que les trafiquants s’intè-g rent dans le système financier. De plus, la crise écono-mique a fait baisser les prix et favorisé le développementdu marché noir. Ce sont les entrées d’argent sale, environ 8milliards de dollars, qui sauvent le pays de la faillite tota-le. Sans cette imprégnation de l’argent de la drogue et del’économie, le Mexique ressemblerait encore à l’Albanie.

Les pays qui “s’en sortent” dans le monde sont ceux quiont plus de 1000 hectares de cocaïne, plus de 1000 hec-tares d’opium, ou plus de 5000 hectares de haschich, ceuxqui produisent, trafiquent, et lavent l’argent sale.

Il faut opérer une sorte de cert i fication ( 9 ). Par exe m p l e ,

quand un pays est très important pour l’intérêt nationaldes Etats-Unis, sa certification ne lui est pas enlevée,même s’il s’agit du Liban, du Pakistan ou de la Colombie.A ce jour, plus de 70% de la cocaïne passe par le Mexique.Il en résulte plus de crise, plus de corruption, mais si lesEtats-Unis retiraient la certification, l’élément clé queconstitue pour eux le Mexique disparaîtrait. On dit que lasouveraineté doit être visible, mais au Mexique c’est laDEA ( 1 0 ) qui fait la loi. Pourtant, la consommation ded rogue n’augmente pas vraiment au Mexique. Le vrai pro-blème est la misère, notamment dans les ghettos noirsaméricains. Les milliards de dollars dépensés par lesEtats-Unis n’ont pas réduit la consommation, et la dro g u ey est moins chère, plus disponible, plus accessible. L’ a r-gent est donc jeté par les fenêtre s .

C’est donc toute la stratégie qui doit changer, car la poli-tique menée ne sert à rien. Il y a 150 ans, le même pro b l è-me s’est posé avec l’opium. Que se passerait-il si, part o u tdans le monde, on disait: “messieurs, maintenant on libéra-lise la drogue, et tout le monde va le faire”? Dans un tel cas,si j’étais trafiquant, je dirais à ma femme: “je change deplanète, mon petit commerce ne marche plus, je n’ai plusde travail si ce n’est plus illégal”. Ce ne serait même plus lapeine de faire sortir le produit de Colombie. A ce jour, lep roduit sort à 1600 dollars le kilo, pour être vendu 100 000dollars le kilo. Le système serait rompu. Mais personne necalcule le coût marginal d’une telle décision, car une part i ede notre société y perdrait. Le premier qui disparaîtrait, ceserait le trafiquant, puisqu’il n’y aurait plus de trafic.

C’est ainsi que l’establishment s’oppose toujours à lalibéralisation de la drogue. L’examen de l’histoire de la

9)- Liste établiepar leg o u v e rn e m e n taméricain despays re m p l i s s a n tc e rt a i n e sc o n d i t i o n sp o l i t i q u e s ,économiques quien font des“ i n t e r l o c u t e u r sautorisés”. Anoter unec e rt a i n es u b j e c t i v i t épuisque si l’Irann’en fait pasp a rtie, laColombie, leP é rou, leP a k i s t a n( p o u rt a n tp roducteur ded rogues) sontp a r a d o x a l e m e n tc e rt i fié s .

“Les pays qui “s’en sortent” dans le mondesont ceux qui ont plus de 1000 hectares de cocaïne, plus de 1000 hectares d’opium, ceux qui produisent, trafiquent, et lavent l’argent sale”

10)- Le DEA( D ru gE n f o rc e m e n tA d m i n i s t r a t i o n ) ,créé en 1973, estla section charg é eau sein duD é p a rtement de la Justice de la lutte contrele trafic illicite de stupéfia n t s .

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d rogue depuis la Révolution française révèle que ce sonttoujours les intérêts qui jouent. Or, en 1997, c’est la sou-veraineté nationale qui est en jeu, la stru c t u re nationalequi est mise à mal.

Les trafiquants ont besoin d’institutions corro m p u e s .Le Mexique est ainsi passé d’un Etat national à la situa-tion de narc o - E t a t .

En conclusion, je dirais que je suis favorable aux poli-tiques de répression à condition qu’elles donnent desrésultats. Car de nos jours, c’est toujours à l’off re qu’ons’attaque, jamais à la demande, ni à la consommation.Cette situation est un tunnel sans fin. ❖

De l’importance très relative du trafic de d rogues pour les Etats

Avant d’étudier les nouvelles formes que prend le traficde la drogue, je partirai d’un constat: la drogue et son

trafic, pour les Etats, ce n’est pas important! C’est en toutcas moins important que les relations internationales, leszones d’influence, la diplomatie, l’économie, malgré leconcept de “guerre de la drogue”. Depuis l’Antiquité, lesEtats ont toujours considéré la drogue comme un produitinterdit pour le plus grand nombre et permis pour un petitn o m b re. Cela donnait une possibilité d’agir au niveau dupouvoir politique, un moyen d’intervenir sur la société. Ilen va ainsi depuis le néolithique! Aujourd’hui, noussommes passés de la “magie” à l’interdit et aux règles dep rohibition, qui permettent à la drogue de jouer un rôledans nos sociétés. Les Etats sont conscients que la drogueconstitue un produit à manier avec intelligence et tact dansun monde en désordre.

La complexité de notre société est liée à la complexitédes drogues. La France mène une politique prohibitionnis-te intelligente et propose des cultures de substitution à lacoca, sans a priori ni pression particulière (11). Elle a ainsila possibilité d’entrer dans la chasse gardée des Etats-Unis.Le Zaïre, lui, est passé dutrafic d’or et de cobalt autrafic de la drogue, et cesont les Etats-Unis qui enc o n t re p a rtie ont raflé lem a rché zaïrois. Des pays

MICHELKOUTOUZIS,ObservatoireGéopolitique

des drogues, France

“La drogue et son trafic sont moinsi m p o rtant que les re l a t i o n si n t e rnationales, les zones d’influence, la diplomatie, l’économie, malgré le concept de «guerre à la drogue» ”

11)- A l’inversedes Etats-Unis, laF r a n c esubventionne lespolitiques d’aideà la substitution,en Amérique dusud, sanss o u m e t t re cespays à uneobligation derésultat. cfi n t e rvention deJaime PazZamora (ancienPrésident deBolivie). in Ti t re I UNEA P P R O C H EP O L I T I Q U E .

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comme la Tchétchénie, Panama, ne connaissaient pas deproblème tant que les opérateurs étaient mixtes et se par-tageaient la part du trafic de pétrole, de la drogue et desarmes. Puis un désaccord est apparu et on s’est aperçu quela Tchétchénie était un pays de trafiquants, notamment dufait des officiers russes qui s’y trouvaient avant.

Les Etats-Unis ont donné la possibilité de créer, au nordde la Birmanie, des aires de culture pour financer le Kuo-mintang nationaliste; celles-ci représentent aujourd ’ h u i70% de la production d’héroïne consommée aux USA. Ain-si, un pays qui ne produisait que très peu d’héroïne, sur-tout de l’opium, est devenu en l’espace de trente ans le plusgrand exportateur d’héroïne à destination des Etats-Unis,par le fait de la CIA (12).

Avant la chute du mur de Berlin, l’utilisation “diploma-tique” de la drogue par les services secrets était “l’aff a i redes princes”. Très peu de gens étaient au courant. Unenotion nouvelle est apparue: le narco-Etat, conséquenced’un processus très lent, étalé sur près d’un siècle, et quidéfinit aujourd’hui comme ennemi principal, après la finde la guerre froide, non plus le communisme mais les paysp roducteurs de drogue. Il y a ainsi prolifération des aire sde production mais aussi des trafiquants et de leurs cir-cuits. Les grandes organisations criminelles travaillentcontre les circuits politico-mafieux. Les conflits sont finan-cés par la drogue, et génèrent des circuits de trafic telle-

ment lucratifs que desg u e rres inutiles se pro l o n-gent pour poursuivre lestrafics et pro d u i re desbénéfices.

Le Liban est un pays où la guerre a continué après leretrait des “sponsors”, du fait de l’explosion de la culture del’opium dans la plaine de la Bekaa. A u j o u rd’hui, le Libann’est plus producteur mais ceux qui étaient en contact avecles stru c t u res de blanchiment continuent à opérer et àe x p o rter leur savoir- f a i re. Il s’agit là du premier conflitm o d e rne permettant d’exporter un modèle de fin a n c e m e n tde la guerre par le trafic des armes et de la drogue. Lesmêmes opérateurs se re t rouvent en Arménie, en Géorgie, enBosnie, au Brésil, en Californie, et continuent à faire fonc-tionner cette machine non pour une cause mais pour leursp ro p res intérêts. Un mécanisme analogue est en place enTu rquie: la guerre avec les Kurdes continue et l’armée vendmaintenant ses services ( 1 3 ). Alors que ce conflit coûte à laTu rquie 12% de son PIB et devrait s’arr ê t e r, il continue cartous les opérateurs en re t i rent du pro fit. Les org a n i s a t i o n sont des diasporas et la distribution “militante” s’opère dansla rue comme avec le PKK ( 1 4 ) ou les Loups Gris d’extrême-d roite ( 1 5 ) puisque les bénéfices ne cessent de s’accro î t re.

Tout cela est connu à travers le monde. Voilà pourquoije dis que la drogue, finalement, n’est pas très importantepour les Etats, car si elle les menaçait vraiment, ils inter-viendraient de manière plus drastique. Elle est si peuimportante que l’on ne considère pas nécessaire de poser lep roblème de l’héroïne lors des négociations sur l’uniond o u a n i è re avec la Tu rquie ou le Maroc: une cert a i n e“pudeur” commande de ne pas en parler.

Dès lors, le décalage entre ce que l’on dit et ce que l’onfait apparaît comme la manière la plus efficace de re n f o rc e rle trafic, inscrit dans ces contradictions fondamentales entrele “dit” et le “fait”. Pour certains trafiquants, il est intére s-

12)- En 1949lorsque les forc e sde Chiang-Kai-Shek sontvaincues par lesc o m m u n i s t e sdirigés par MaoZedong, legénéral Li Miavec le reste de sadivision passe enB i rmanie ets’installe dansl’Etat shan. Lest ro u p e sn a t i o n a l i s t e sc h i n o i s e s ,r é o rganisées parla CIA afin detenter uneinvasion de laChine par le sud,obligent lesminorités localesà payer un impôtsous form ed’opium brut, lesamenant ainsi àaugmenter las u rface cultivablede pavot.Pendant près decinq ans, la CIA,ne pouvant aiderces “forces derésistance” avecl ’ a c c o rd fin a n c i e rdu Congrès,p r é f é rera ferm e rles yeux sur cest r a fic s .

13)- Depuis let e rr i t o i re turq u etransite et set r a n s f o rme prèsde 70 % del ’ h é roïne àdestination del ’ E u rope. Atlasmondial desd ro g u e s ,O b s e rv a t o i regéopolitique desd ro g u e s .

14)- Le PKK( p a rti destravailleurs duK u rd i s t a n ) ,m o u v e m e n tm a rx i s t e - l é n i n i s t e ,a engagé une luttei n d é p e n d a n t i s t ea rmée dans lesud-est du paysdepuis 1984. Ce mouvementmène sa luttei n d é p e n d a n t i s t eau coeur de la zone det r a n s f o rmation de la morphine en Tu rquie et“contrôle” les régionsf ro n t a l i è res avecl’Iran, l’Irak et laSyrie, lieux oùt r a n s i t e n tl ’ h é roïne ou lamorphine basei m p o rtée duC roissant d’Or.

“ Avant la chute du mur de Berlin,l’utilisation «diplomatique» de la drogue par les services secrets était «l’aff a i re des princes»”

15)- Cetteo rg a n i s a t i o n ,violente, ultra-nationaliste, a étéfondée par lecolonel A.TURKES leadercharismatique del ’ e x t r ê m e - d roite d

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sant que les fro n t i è res restent contrôlées, puisqu’en réalitéelles ne le sont pas mais que le fait de s’y référer multiplieles plus-values. En clair, les passeurs augmentent les prixsous le prétexte de fro n t i è res supposées dangere u s e s .

Tout trafiquant voit l’espace comme un espace unique.Dans les années 20, les marchands achetaient en Europe cequi était légal et le vendaient légalement en Chine. Quandils ont vu leur espace se restreindre aux seuls Etats du faitde la chute des grands empires, les commerçants se sonttransformés en trafiquants.

L’Albanie est un bon exemple. Ce pays est sorti du com-munisme en même temps que ses fro n t i è res étaient misessous embargo. Les commerçants albanais ont tout de suitei d e n t i fié trafic et commerce. Pour commerc e r, ce qui étaitpolitiquement correct, il fallait casser l’embargo. Ils ontcommencé par des produits de pre m i è re nécessité, maisdans la mesure où il fallait payer des bakchichs aux doua-niers et tenir compte des solidarités classiques interf ro n t a-l i è res, avec notamment le Kosovo et la Macédoine, l’espacedélimité par l’embargo est devenu producteur de richesse.A partir de là, certains produits sélectionnés sont re s t é spolitiquement corrects, comme le pétrole, d’autres incor-rects, comme la drogue. La représentation de la sociétécapitaliste, pour l’Albanie, c’est une société du trafic. Lacommunauté internationale a feint de cro i re qu’il existaitdeux partis politiques en Albanie, l’un, libéral, à soutenir,l ’ a u t re, communiste, à combattre ( 1 6 ). En réalité, deux clanss ’ a ff rontent, le Nord et le Sud, contrôlés par des org a n i s a-tions en opposition. Quand l’embargo s’est terminé, l’Alba-nie est rentrée dans un désord re nécessaire à l’existence desclans. Si ce désord re continue, alors pourquoi intervenir?

Ce système très performant est devenu un modèle pourcertaines régions du monde: la vision marchande apparaîtplus efficace que la vision industrieuse. ❖

De la nécessité de relativiser l ’ i m p o rtance réelle dup roblème de la dro g u e

Il est important d’avoir une évaluation du problème de ladrogue et de se demander dans quel espace social, éco-

nomique et culturel, nous lui donnons un sens.

L’utilisation de drogues illicites n’est pas un problème trèssérieux, sauf aux Etats-Unis où un tiers de la population ena eu une expérience. Dans la plupart des pays industriels,moins de 10% de la population est concernée, ce qui signi-fie une utilisation chronique et durable inférieure à 5%. Ain-si, parmi les usagers réguliers qui consomment, à Amster-dam, une marijuana de bonne qualité, à bon prix, 65% n’enont pas consommé plus de 25 fois et pour ceux qui dépas-sent 25 fois, le rythme est inférieur à une fois par semaine.

Le système le plus répressif se trouve aux Etats-Unis. Lamarijuana y est diabolisée mais il est toujours facile de s’enp ro c u rer! Une génération entière, qui a entendu un dis-cours d’endoctrinement contre la marijuana, augmentecependant sa consommation.

t u rque, décédé enavril 1997. LesLoups Gris ont étéactifs dans l’immi-gration turque enAllemagne. Ils por-tent une lourd eresponsabilité dansles violences, dirigées contre lesintellectuels en1978-80, qui ontamené au coupd’Etat du 12 sep-t e m b re 1980 enTu rquie. Ils ont faitde l’entrisme dansc e rtains secteurscomme l’adminis-tration, la police,l ’ a rm é e .

d

16)- L’Albanie as u rvécu économi-quement grâce àl ’ e m b a rgo que lac o m m u n a u t éi n t e rnationale aimposé aux paysl i m i t rophes (Ser-bie, Monténégro ,Macédoine). Lalevée des embar-gos, à la fin de lag u e rre en ex-Yo u-goslavie, a cassé lec o m m e rce triangu-l a i re “arm e s -d ro g u e s - c o n t re-bande de pétro l e ”des sociétés pyra-midales. Les org a-nisations mafie u s e ssudistes, au delàde la chute du pré-sident Berisha,c h e rchent la fin dela suprématie desm a fias nord i s t e sa fin de devenir lesseuls interlocu-teurs des org a n i s a-tions mafie u s e si t a l i e n n e s .

Professeur PETER COHEN,

Universitéd’Amsterdam,

Pays-Bas

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Dans aucun de nos pays industrialisés, il n’existe dep roblème très grave de drogue. Dès lors, pourquoi la pré-senter comme l’un des problèmes majeurs de notre temps,quand malgré l’augmentation des tonnes produites et dessaisies, la drogue ne menace rien? Pourquoi tant demythes à propos de la dro g u e ?

J’émettrai quelques hypothèses. En tant que socio-logue, je pose cette question: dans quel état nous tro u-vons-nous? Nous sommes dans une situation de transi-tion, marquée par la disparition des conflits religieux et ledéveloppement de la démocratie et des diff é rents part i spolitiques. Il y a donc des méthodes de résolution desconflits pour certains problèmes. Selon les pays, existentd i ff é rents systèmes envers le sexe, la mort, la pro c r é a t i o n .C’est dire que nous ne disposons plus d’un système moraldominant régissant nos relations avec ces questions. Cequi pose problème, c’est la coexistence dans nos pays deg roupes ethniques diff é rents, car, l’utopie de l’égalité éco-nomique ayant disparu, des problèmes sociauxi n c royables et très divers sont apparus. Nous cherc h o n sdonc des systèmes de valeur dominants, des choses quinous unissent face à toute cette diversité. Notre sociétédoit traiter ces diff é re n c e s .

La drogue exerce une fonction de symbole sur lequeltout le monde est d’accord. Elle augmente le potentiel dem a rginalisation, alors que la peur d’être marginalisé estprésente chez chaque individu. Au lieu d’accepter desd i ff é rences de goût entre les gens, on pose un principedominant: on ne peut pas s’intoxiquer avec cert a i n e sd rogues illicites, mais on le peut avec d’autres.

En réalité, il faut accepter diff é rents types de compor-tement: certains boivent un verre de whisky, d’autre sfument une cigarette de marijuana. Dans cert a i n smilieux, avant d’aller danser, on prend de la MDA, del’extasy ( 1 7 ) : pourquoi ne pas s’accommoder de diff é-rences finalement moins destructrices qu’on ne le dit?Bien sûr, certains auront des problèmes, et il faudra créerdes institutions pour les aider.

C e rtaines questions méritent d’être posées. Quellessont les institutions qui obtiennent le plus d’argent? Lesb u reaucraties n’utilisent-elles pas le problème de lad rogue pour s’approprier une partie du gâteau? Sachantque l’inflation de la drogue peut enrichir cert a i n sg roupes, quels sont les groupes qui pâtiraient d’un chan-gement de politique?

Il faut tro u v e r, et les forces sociales-démocrates sont lesmieux placées pour le faire, une manière d’évoquer lep roblème de la drogue de manière empirique, en term e sréels. La question n’est pas de savoir combien de per-sonnes consomment de la drogue. Elle est de s’interro g e rsur les fonctions symbolique et politique de la présenta-tion spectaculaire de ce pro b l è m e . ❖

17)- La côte ouestdes Etats-Unis, àla fin des années60, re d é c o u v re undérivé amphétami-nique, la MDA,baptisée “la pilulede l’amour”. Lep roduit a été iden-t i fié dès 1910 parla firme allemandeM e rck. L’extasy ouXTC n’est qu’undes multiples déri-vés amphétami-niques, sous form ede pilule. Cetted e rn i è re, forte desa réputation dep roduit convivial a franchi l’Atlantique dès1985 pour devenirl’une des dro g u e sles plus consom-mées par les jeunesd ’ E u rope occiden-tale. Les quantitéssaisies, en Italie,ont augmenté de 5 000 % entre1990 et 1994. Les Pays-Bas p roduisent 80 %de l’amphétamineet la quasi-totalitéde l’extasy saisi en Euro p e .

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30 - LES NOTES DE LA FONDATION JEAN-JAURÈS - N° 7 - FÉVRIER 1998 LES NOTES DE LA FONDATION JEAN-JAURÈS - N° 7 - FÉVRIER 1998 - 31

De la “guerre blanche” et des moyens d’en sort i r

Dans les pays dont je vais parler, les pays en voie dedéveloppement, ceux du pacte andin, la Bolivie, il

existe par rapport à la drogue un problème psychologique.Un Bolivien qui se rend à l’étranger se sent mal à l’aise:partout dans le monde industrialisé, un passeport bolivienconstitue une raison d’être suspecté. Est-il normal d’êtretoujours traité par les services d’immigration et de douanecomme un trafiquant potentiel?

Après la guerre froide, une autre guerre a commencé.Toutes les grandes puissances ont en effet besoin de trou-ver des justifications pour mener leurs actions. Leurlogique, leur dynamique interne, supposent l’existenced’un ennemi contre lequel il faut se battre. Après la guerrefroide, elles ont donc engagé la guerre blanche. Après Cubaet la Corée, l’ennemi est la Bolivie.

C’est donc le problème Nord-Sud qui se pose à travers laquestion de la drogue. La dynamique semble-t-il vient duN o rd et le Sud doit en accepter les conséquences. Les deuxdynamiques s’auto-alimentent: consommation pour les uns,

p roduction pour les autre s .

Il se passe des chosesb i z a rres au niveau de labureaucratie censée lutter

c o n t re la drogue. Les décisions sont prises par des paysextérieurs à la Bolivie, sans que les niveaux politiques ensoient informés. Chacun défend son métier parce qu’il envit. Supprimer le problème de la drogue reviendrait à créerbeaucoup de chômeurs. Tant que le problème existe, cer-tains bureaucrates qui vont dans les pays en voie de déve-loppement pour lutter contre la drogue touchent des «sur-primes» comme s’ils se rendaient en zone de guerre. Cettebureaucratie-là prend des décisions en toute indépendanceà l’égard du politique, alors qu’il faudrait coordination etarticulation entre bureaucratie et politique.

Qui sait exactement ce qui se passe sur cette planète?L’ i n f o rmation utilisée doit être objective. A l’époque oùj’étais Président de la Bolivie, les pays du pacte andin, avecGeorge Bush, Président des Etats-Unis, ont fait d’énormesefforts. Les pays consommateurs, les pays producteurs, lespays de trafic de notre hémisphère se sont pour la premiè-re fois mis d’accord pour accepter le principe de la respon-sabilité partagée. L’objectif des pays consommateurs étaitde réduire la consommation grâce à la prévention. Celuides pays de trafic de cocaïne était d’exercer une répressionrenforcée. Celui des pays producteurs de chercher un déve-loppement alternatif.

Mais d’autres préoccupations sont apparues: parexemple, le problème des produits chimiques. Pour pro-duire de la cocaïne, la feuille de coca ne suffit pas: il fautaussi des produits chimiques que la Bolivie ne produit pasfaute d’industrialisation. Aujourd’hui, on accorde enfinplus d’importance au contrôle du commerce des pro d u i t schimiques. En Bolivie, nous essayons de bloquer leur arri-vée. Quant au problème du blanchiment de l’argent, rela-

JAIME PAZZAMORA,

ancien Président de la Bolivie

“Après la guerre froide, les grandespuissances ont engagé la guerre blanche. Après Cuba et la Corée, l’ennemi est la Bolivie”

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tivement peu import a n ten 1990, il a pris del’ampleur depuis lors.

La Bolivie est un paysp roducteur de matière

p re m i è re de feuilles de coca. Elles sont transformées enpâte de base envoyée ensuite en Colombie ( 1 8 ). Puis cettepâte est transformée en cocaïne. Aujourd’hui, les trafi-quants transformateurs travaillent avec le Chili, l’Argenti-ne, le Paraguay, où la cocaïne transite avant d’être expé-diée vers l’Europe.

En Bolivie, le problème majeur est de nature sociale:c’est celui des paysans. Depuis des milliers d’années, cepays produit de la coca pour une petite consommation tra-ditionnelle. Le problème de la cocaïne n’existe que depuis1950. Il s’est amplifié sous les régimes militaires. La démo-cratie revenue, notre système subit une distorsion sous l’ac-tion des Etats-Unis. La police n’a tué aucun trafiquant enBolivie. Seuls meurent les paysans qui défendent leur pro-duction. Ils ont peur de se retrouver au chômage à cause dela politique néo-libérale imposée par le FMI. La pro d u c-tion de matière première de feuilles de coca est en effet ledernier secteur où ils peuvent trouver du travail.

En Bolivie, la législation interne a fait disparaître leprincipe de la présomption d’innocence. La coopérationavec les Etats-Unis (19) concerne surtout la répression, dan-gereuse pour nos institutions. Pour la première fois aujour-d’hui, l’Europe intervient, des ressources sont prévues pourlutter contre le trafic de drogue et un programme de 40millions de dollars pour la mise en place de cultures alter-

natives entre en vigueur. Dans la zone andine, l’opinionpublique pense donc que les Etats-Unis viennent pour larépression et les Européens pour nous aider à trouver descultures de remplacement.

La drogue doit devenir une cause nationale en Bolivie,comme d’ailleurs au Pérou ou en Colombie: indépendam-ment des décisions qui seront prises dans les pays consom-mateurs, nous souhaitons lutter contre la production dedrogue et relever le grand défi de la mise en oeuvre de cul-tures alternatives. Nous proposons qu’une partie de notredette extérieure puisse être réinvestie après négociationdans les cultures alternatives en remplacement de la feuillede coca. Nous pensons que le financement de l’investisse-ment n’est pas seulement un problème de l’Etat, mais quel’investissement privé européen et américain doit êtreencouragé.

Rien ne se fera sans l’acceptation de la notion de co-re s-ponsabilité planétaire et le respect mutuel entre les diff é-rents pays. ❖

18)- La Boliviereste le deuxièmep ro d u c t e u rmondial, après leP é rou, de feuillesde coca et de basede cocaïne. Lap a rt de la Boliviesur le marc h éi n t e rnational dela drogue est trèsi n f é r i e u re à celledes deux autre spays andins.Toutefois, le niveau de sapopulation (7 millionsd’habitants) et de son activitéé c o n o m i q u e(moins de unm i l l i a rd dedollars) font que le revenu de la drogue a un impactconsidérable : 21 % du PIBagricole et 7 %du PIB national.

19)- L’un desp r i n c i p a u xi n s t ruments de lalutte contre lad rogue a été leFonds des NationsUnies (FNULAD),devenu en 1990 leP rogramme desNations Unies dec o n t r ô l ei n t e rnational desd ro g u e s(PNUCID). LesEtats-Unis ontposé commecondition à leuraide économique,pour und é v e l o p p e m e n ta l t e rnatif, uneréduction annuellede 7 500 hectare sdes plantations de cocaïers. Lespaysans recevant 2 000 dollars ded é d o m m a g e m e n tpour chaqueh e c t a re“ re c o n v e rt i ” ,visant ainsi àcompenser la pert ede revenus. (lafeuille de coca serécolte quatre foispar an et l’opiumpeut être stockéi n d é finiment). Ilest clair que lesp rojets fin a n c é spour und é v e l o p p e m e n tintégral, denouvelles culture s ,donnent desrésultats peup e rt i n e n t s .

“Le problème majeur est de nature sociale :la production de matière pre m i è re de feuilles de coca est en effet le dernier secteur où les paysans bolivienspeuvent trouver du travail”

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L’Union e u ropéenne à la re c h e rche d’une stratégie globale

Le rôle de la Commission européenne, en matière delutte contre la drogue, découle directement du traité

de Maastricht, qui mentionnait en 1993, pour la pre m i è refois, le mot “drogue” dans deux articles et donnait un rôleà l’Union en la matière. Il stipule ainsi que “l’Union euro-péenne peut entre p re n d re des actions pour combattre ladépendance à l’égard de la drogue” (article 129- santé) etque “la toxicomanie est un sujet d’intérêt communautai-re” (article 4-14- justice - aff a i res intérieures). Mais letraité dit que la Commission ne peut pas proposer d’ac-tions dans le domaine de la législation pénale ni de lacoopération douanière et policière .

Le traité de Maastricht maintient les pouvoirs natio-naux sur la législation. La Commission n’a donc que peuou pas de pouvoir dans les domaines d’harmonisation, desanté et de répression. L’Union européenne finance desc u l t u res alternatives, comme en Bolivie ou en Afrique duN o rd .

La Commission a consulté les quinze Etats membre spour savoir pourquoi ces dispositions figuraient dans letraité: quinze réponses diff é rentes ont été apportées. Enréalité, il existe une diff é rence de perception sur la politiquede la drogue et de vraies diff é rences sur ce que font dans lapratique les quinze Etats, sur les objectifs et les moyens.

Les points communs semblent cependant plus nom-b reux que les divergences. En 1995, une Conférence s’esttenue avec le Parlement pour inviter les Etats membres àprésenter concrètement leur politique dans les domainesde la prévention, de la répression, du respect de la loi, ducontrôle, de la législation pénale et de la coopération péna-le. La plus grande partie du débat s’est tenue dans le gro u-pe de travail “prévention”, révélant une définition diff é-rente de la prévention par les Etats membres. C’est pour-quoi nous attendons beaucoup des résultats des travauxde l’Observ a t o i re de la drogue de Lisbonne, qui, entrea u t res missions, doit dégager une terminologie communep e rmettant d’établir des comparaisons entre les pays.

La Conférence a peu débattu de l’harmonisation deslégislations. Elle est en revanche arrivée assez loin en ter-me d’organisation juridique.

Le besoin d’harmonisation est grand sauf dans les nou-velles drogues synthétiques pour lesquelles trois systèmesexistent dans l’Union européenne. Il s’agit de répondre àla question de savoir si la possession et l’usage de dro g u e ssont ou non des crimes.

Actuellement, trois législations principales ( 2 0 ) sont env i g u e u r :

1- en France et en Suède, il faut un délai de deux àt rois ans pour que certaines substances fig u rent sur la lis-te des produits contrôlés

2- en Allemagne et aux Pays-Bas, il est possible decréer une liste d’urgence pour décider d’une interd i c t i o nprovisoire

3- au Royaume-Uni et en Irlande, le système est

NILS ÖBERG, expert auprès

de la Commissioneuropéenne

20)- A l’exceptiondes Pays-Bas et àun moindre degréde la Suisse, lalutte anti-dro g u econsiste à tenterde limiter laconsommation etle trafic grâce àun “policy-mix”où l’équilibree n t re préventionet répression est plus quefavorable à cetted e rn i è re .L’objectif desp o l i t i q u e spubliques à cesujet a pour butde ramener laconsommation ded rogue à undegré zéro .

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très souple et rapide,mais la définition desp roduits contrôlés re s t etrès large d’où des pro-

blèmes pour définir les substances interd i t e s

En Italie, la possession est considérée comme un crimegrave, et l’usage personnel différemment apprécié.

En réalité, les Etats membres n’ont pas mis à l’ord redu jour la dépénalisation et la décriminalisation. Il existeun problème réel avec les drogues synthétiques chimiquesdont la production est en train de passer de l’Union euro-péenne aux pays de l’Est. Ainsi, la production d’amphé-tamines est passée de la Belgique et des Pays-Bas à laPologne. Les systèmes juridiques ont du mal à suivre lerythme de création des nouveaux produits chimiques. LesNéerlandais ont permis un grand progrès en prenant uneinitiative pour que chaque pays soit informé dès l’appa-rition d’une nouvelle substance, car l’échange rapided ’ i n f o rmations est une priorité pour les Etats membre s .

Les pays de l’Union sont en revanche en désaccord surle problème de la conditionnalité avec les pays tiers com-me la Bolivie et le Maroc. Certains estiment que la cultu-re alternative est un engagement à très long terme et qu’ilfaut offrir aux populations qui survivent dans des régionstrès éloignées, d’autres cultures, des investissements etdes institutions pour résoudre le problème durablement.Mais les Etats membres exercent de fortes pressions dèslors qu’il s’agit de contrôler les fonds dépensés par laCommission. D’autres Etats membres préfèrent doncobtenir des résultats tout de suite et refusent des investis-

sements productifs seulement à moyen ou long terme. Ilsvoudraient des réponses sur le succès ou l’échec des cul-t u res alternatives avant même que l’évaluation de l’ac-tion ait pu être réalisée. Cela constitue donc un pro b l è m ei m p o rtant que l’Union européenne devra abord e r.

La Commission travaille également sur la préventiondans le cadre d’un programme de lutte contre la dépen-dance. En fait, elle re c h e rche une stratégie globale. ❖

“Les systèmes juridiques ont du mal à suivre le rythme de créationdes nouveaux produits chimiques”

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France

Le Forum européen pour lasécurité urbaine re p r é s e n t e

un réseau qui travaille sur prèsde 200 villes en Europe. A l’extérieur, on peut dire quenous sommes entrés dans une civilisation de la drogue dontnous ne sortirons que par une mesure législative, nationa-le ou internationale. Je prendrai deux exemples:

P remier exemple: dans les villes européennes, existeune économie souterraine qui fait vivre beaucoup de per-sonnes dans les quartiers difficiles. Ce phénomène mal étu-dié, mal connu, témoigne d’une sorte d’ économie de sur-vie. Il faudra donc mettre en place des politiques socialesv i g o u reuses pour compenser les pertes de revenus qu’en-traînerait la fin du petit commerce de drogue.

Deuxième exemple: un sondage a été réalisé dans uneécole sur la perception de la drogue par des enfants de 7 ans, afin de tester la pertinence des messages à transmettreen matière de prévention. A la surprise générale, à l’excep-tion de deux enfants, tous les écoliers connaissaient le nomdes produits, la façon de les consommer, leurs dangers. Ils

évoquaient même la senteur et les odeurs pro p res au mondede la toxicomanie. Nos enfants vivent donc déjà, de fait, dansune culture de la drogue. Un tel constat eff a re les adultes.

Comment sortir de cette civilisation de la drogue, tel estdonc le problème majeur. Aujourd’hui, nous sommes foca-lisés sur quelques produits phares, comme le haschich etl ’ h é roïne, alors que la consommation de médicaments abien souvent largement dépassé celle de ces produits.

En termes de volume et de quantité, les “produits vedettes”du marché changent. Mais je ne pense pas que notre pratique,nos comportements, soient adaptés à une politique de pré-vention de ces nouveaux produits. Une autre dérive concern eles jeunes des classes moyennes qui pratiquent la “défonce duweek-end” ( 2 1 ) en mélangeant alcool, médicaments etd rogues. Le lundi matin, ils sont à nouveau insérés au

Dr. Michel MARCUS,délégué général

du Forum européenpour la sécuritéurbaine, France

II. Une appro c h ep r a g m a t i q u e . . .

❖ ❖ ❖ ❖ ❖ ❖ ❖ ❖ ❖ ❖ ❖ ❖ ❖ ❖

21)- Voir tableau« C o n s o m m a t i o nde drogue enFrance (1995)».

C O N S O M M ATION DE DROGUE EN FRANCE (1995)Consommation la vie l’année

de drogue (en %) en millions (en %) en millions

au cours de ... d’individus d’individus

Cannabis 15,2 7 4,4 2

Cocaïne 1,1 0,5 0,1 —

Ec stasy, amphétamines 0,7 0,3 0,3 0,1

Héroïne 0,4 0,2 0 —

Toutes drogues y compris

médicaments et produits

licites détournés de leur

usage 15,8 7 4,4 2

Source : C. CARPENTIER et J.-M. COSTES [1995], Drogues et toxicomanies, indicateurs et tendances. Observatoire fran-

çais des drogues et des toxicomanies [1996].

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travail. Que valent nos messages de prévention, notre dis-positif social et éducatif, vis-à-vis de cette population?

La difficulté pour les responsables des politiquespubliques est ainsi qu’ils doivent communiquer sansmême avoir le temps de constru i re un discours, sans avoirle temps de s’adapter aux évolutions très rapides du mar-ché et des modes culturels de prise de la dro g u e .

C’est au niveau des villes que doit s’organiser mainte-nant la politique de prévention et de lutte contre la toxi-comanie, à partir d’un suivi adapté et de la mise en œuvredes dispositifs adéquats de partenariat. Les engagementsb u d g é t a i res européens doivent donc s’orienter beaucoupplus vers les villes et les réseaux de villes, l’Etat conser-vant la responsabilité de la lutte contre le grand trafic.

Que peut l’Europe par rapport à la toxicomanie? Peut-il exister, comme ce serait souhaitable, une politiquee u ropéenne commune, les législations nationales n’étantplus adaptées? Une certaine frilosité est manifeste, ycompris au sein du parti socialiste français. ( 2 2 ) Tous lesg o u v e rnements évitent d’aff ronter la question de la dépé-nalisation et c’est donc l’Europe qui peut offrir une port ede sortie eff i c a c e .

Au sein du Forum, nous avons travaillé avec une dizai-ne de villes en essayant de suivre les pratiques policière set judiciaires. Il en re s s o rt, quelles que soient les législa-tions, le constat d’une homogénéisation des pratiquesp rofessionnelles face à la drogue. C’est pourquoi il fau-drait d’abord faire discuter les professionnels de terr a i net ensuite modifier les législations.

L’ E u rope peut aussi agir sur l’off re. Les pro g r a m m e ssont trop limités, notamment en Amérique du sud. Lapetite et la grande criminalité sont toujours liées. Ainsi,pour avoir une mafia liée à la drogue dans une ville, il fautqu’elle puisse re c ruter chez les “petits criminels”. Ilconvient donc d’aider aussi les villes d’Amérique du sudpour développer une politique sociale dans les quart i e r sles plus défavorisés.

Même s’il y a un jour légalisation, il sera toujours néces-saire de trouver un équilibre entre l’ordre public et la san-té publique, donc de maintenir une étroite coopérationentre le bloc répressif et le bloc préventif. ❖

Suède

L’expérience de la Suède estcelle d’une politique stricte. Dès les années 30, notre

pays a adopté les premières lois sur les narcotiques interdi-sant la production, la fabrication, l’introduction et la ven-te de produits narcotiques. Selon une enquête, soixante-dix personnes utilisaient alors de la drogue.

En 1954, le Parlement étudie le problème. Une nouvel-le enquête menée à Stockholm révèle l’existence de deuxtoxicomanes intraveineux. En 1960, le Parlement proposede contrôler la possession et la distribution de drogue. Il ya alors mille toxicomanes en Suède, et certains à cetteépoque luttent pour la libéralisation. En 1965, les méde-cins sont autorisés à pre s c r i re les drogues légales. Quatremille toxicomanes sont recensés cette année-là. La pra-tique tolérante va être stoppée en 1967, face aux abus des

22)- Guigou E.,“Débat sur lad é p é n a l i s a t i o ndes dro g u e srelancé enFrance”, Figaro ,2 4 - I X - 9 7 .

Dr. ULRICHERMANSSON,

Suède

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prescriptions médicales qui avaient pour conséquence uneaugmentation de la consommation. Dans les années 80, lesSuédois ont décidé que la toxicomanie ne pouvait pas deve-nir un élément de leur culture. Un point de non-retour aété atteint et, depuis 1988, la consommation de narc o-tiques est totalement interdite.

Une étude menée auprès des autorités douanières d’unp o rt du sud de la Suède a révélé que beaucoup de per-sonnes, non pas des chômeurs mais des gens qui tra-vaillent, s’occupent de la drogue parallèlement à leur acti-vité.

Il ressort d’une évaluation réalisée à Malmö sur un pro-gramme d’échange de seringues que 20% des dro g u é savaient un emploi stable. Sur un autre groupe de délin-quants arrêtés pour drogue, 50% avaient un emploi stable.Nous ne connaissons pas réellement l’ampleur du pro b l è-me sur les lieux de travail, mais nous pouvons mesurer lesconséquences en matière d’insécurité et de re t a rd dans laproduction notamment.

Pour empêcher la consommation de drogue sur les lieuxde travail, nous pensons qu’il faut une politique, de l’infor-mation, des tests, et un programme de réinsertion. On nepeut, en Suède, licencier pour drogue, mais on peut dire auxgens qu’ils risquent de perd re leur emploi s’ils se dro g u e n t .

Une politique anti-drogue suppose l’appui le plus larg edes travailleurs sociaux, des parents, des diff é rents acteurs -comme la police, les enseignants- et une bonne coord i n a t i o ne n t re eux. Elle doit aussi intervenir à temps, car mieux vautprévenir que guérir et agir avant que les jeunes n’aient com-

mencé à se dro g u e r. La prévention est la formule la moinscoûteuse et celle qui permet à tous les acteurs de travaillerensemble, sans concurrence mais en complémentarité.

En Suède, nous considérons les consommateurs commela base du groupe qui soutient l’ensemble du marché. Sinous supprimons les importateurs, ils peuvent être rempla-cés. Mais si nous limitons l’accès du marché au consom-mateur, les règles du marché joueront. ❖

Suisse

En Suisse, nous avons com-mencé par aff ronter les problèmes par un tâtonne-

ment quotidien, sans aucune stratégie cohérente. Notrepays était en tête des pays européens pour le nombre dedécès dus à la drogue, les infections HIV, les cas de SIDA.

Nous avons donc commencé par tenter d’endiguer dansles villes les infections HIV. En 1980-85, a été mise en placeune stratégie pour examiner les conditions de pro p a g a t i o ndu SIDA. La distribution de seringues a permis d’atténuersensiblement ce problème. Ensuite, nous nous sommes atta-chés aux problèmes d’ord re public visibles du monde entier,comme ce parc de Zurich où s’échangeaient les seringues.

Le problème d’une “scène ouverte” (23) au milieu de laville, attirant les drogués bien sûr, mais aussi les dealersp rofessionnels, s’est très vite posé et la population suisses’en est émue.

Les communes ont demandé aux autorités fédérales de

Dr. Margret RIHS,Ministère

de la santé, Suisse

23)- C h a q u ed rogue “a sonh i s t o i re”. AZurich et à Bern e ,les “places ouscènes ouvert e s ”f u rent créées pour perm e t t reun meilleure n c a d re m e n ts a n i t a i re destoxicomanes touten espérantr é d u i re le niveaude violenceassocié au petitt r a fic dess t u p é fiants. Ces “expérienceso u v e rt e s ”re s t reintes ded i s t r i b u t i o n d

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stopper l’expérience enmilieu ouvert et de privi-légier l’approche prag-matique anglaise, endistribuant seringues et

p roduits mais sans publicité.

Nous nous sommes également référés à la politique sué-doise, cohérente, alliant contrôle social avec un très hautniveau d’accompagnement et de prise en charge, et aumodèle hollandais admiré en Suisse.

Nous avons alors engagé une action basée sur:

d la répression, avec doublement des effectifs de policeaffectés à la lutte contre la drogue.

d la prévention non punitive, dont la pratique s’inspired’expériences réalisées dans d’autres pays: nous avons ain-si quatorze mille personnes en programme méthadone.

N o t re objectif est de perm e t t re à chaque toxicomanie det rouver le traitement adapté à sa problématique. Horm i sl’échec des “scènes ouvertes”, l’ensemble des mesures appli-quées a permis de réduire les maux, les maladies, la délin-quance, liés à la drogue. Nous avons enregistré une fort ediminution des morts par overdose, et une diminution sen-sible de la consommation de drogues dures chez les jeunes.

Il n’existe pas de recette miracle. Chaque pays, chaque ville,doit chercher des solutionsà ses pro p res problèmes eten fonction de sa culture . ❖

U S A

Je ne pourrais pas commencerune intervention aux Etats-

Unis en citant Gramsci, (24) mais ici, entre sociaux-démo-crates européens, cette citation s’impose! Gramsci disaitque les vieux systèmes mouraient et que les nouveaux neparvenaient pas à naître, et qu’entre-temps on connaissaittout un éventail de symptômes morbides.

Aux Etats-Unis, la politique de lutte contre la drogue estla plus répressive, la plus coûteuse et la plus inefficace despays industrialisés: nous connaissons donc des symptômesmorbides.

E n t re 1986 et 1992, un programme de lutte contre lacocaïne a été mis en œuvre. Des ressources de plus en plusimportantes ont été consacrées à la répression, et rien n’achangé, au contraire.

Au début de son mandat, Bill Clinton ( 2 5 ) a essayé deréorienter cette politique, mais la guerre a continué et coû-te de plus en plus cher. Clinton voulait privilégier lesaspects sanitaires. Mais les conservateurs l’ont traité dedéserteur, et il mène aujourd’hui la même politique ineffi-cace et coûteuse que Reagan et Bush avant lui.

La politique du tout répressif est un échec. Prohibitionet punition ne combattent pas la drogue mais en aggraventles dégâts. Tous ceux qui travaillent avec les drogués ontdû trouver d’autres approches, comme par exemplel’échange de seringues. Les politiques de santé publique, sielles peuvent être envisagées en Europe, apparaissent qua-

d ’ h é roïne, qui nedevaient toucherque quelquescentaines det o x i c o m a n e shelvétiques, ontp e rmis à den o m b re u xt o x i c o m a n e se u ropéens dep ro fiter de cette“manne”. Encréant un espacede libert éd’usage, la Suissea dû lutter contreun “narc o -tourisme” enrenforçant sap o l i t i q u er é p ressive pourtous les individusqui ne re n t re n tpas dans le cadrede ce pro g r a m m e .Cet “essailibéral” et ouverta été abandonnéau pro fit d’une n c a d rement plusd i s c re tm é d i a t i q u e m e n tet politiquement.

d

“Suite aux «scènes ouvertes», l’ensemble des mesures appliquées a permis de réduire les maux, les maladies,la délinquance, liés à la dro g u e ”

“Chaque pays, chaque ville, doit cherc h e rdes solutions en fonction de sa culture ”

Prof. CRAIG REINARMAN,

Université de Californie, USA

24)- AntonioGramsci fut lep remier secrétairegénéral du PCI.En 1921, lesc o m m u n i s t e sléninistes créère n tle PCI : Gramscifut le leader de ceux quisouhaitaient quece nouveaumouvement aitcomme axepolitique etstratégique lecontrôle ouvriersur lese n t re p r i s e s .

25)- D e p u i s1 9 9 1 ,l ’ a d m i n i s t r a t i o nClinton a tenté de faire quelquespas vers unr é é q u i l i b r a g ee n t re les dépensesde traitement etles dépenses enfaveur de lar é p ression. Maissous la pre s s i o ndes Républicains,la stratégie de BillClinton a re p r i sla droite lignetracée parl ’ a d m i n i s t r a t i o nBush: “répre s s i o nre n f o rcée de la d

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46 - LES NOTES DE LA FONDATION JEAN-JAURÈS - N° 7 - FÉVRIER 1998 LES NOTES DE LA FONDATION JEAN-JAURÈS - N° 7 - FÉVRIER 1998 - 47

siment subversives aux Etats-Unis. Ainsi, ce n’est que trèsp ro g ressivement, après une grande campagne scientifiq u eet médiatique, que le gouvernement américain a autorisél’échange de seringues. Les travailleurs sociaux re n c o n-t rent beaucoup de difficultés. Quelques avancées médi-cales encourageantes sur l’utilisation de la marijuana àdes fins thérapeutiques ont pu voir le jour, comme en Cali-f o rnie où les électeurs font la diff é rence entre l’hystériea n t i - d rogue et les besoins d’ord re médical. Autre signeencourageant, cinquante juges fédéraux viennent de re f u-ser une peine d’incarcération minimale, ce qui témoignede la résistance judiciaire, voire policière, à une politiquede plus en plus punitive. Ainsi, une nouvelle politique deprévention se met en place car l’ancienne politique, noir-cissant exagérément le tableau, ne fonctionnait pas,n’était pas entendue par les jeunes.

Par contre , aux Etats-Unis, l’“hyperactivité” desenfants est soignée avec des tranquillisants. Un écoliersur dix reçoit des médicaments type Prozac ( 2 6 ), soit prèsde quatre millions. Le but du Prozac n’est pourtant pasde calmer l’agitation des enfants. Il semble cependantqu’une prise de conscience des effets néfastes de l’admi-nistration abusive de tranquillisants aux enfants com-mence à se manifester.

Les problèmes de drogue ne se limitent pas aux stupé-fiants. Les problèmes les plus graves touchent les popula-tions les plus défavorisées, notamment les gens de couleur.D’où la nécessité d’insister sur la politique sociale.

A cet égard, il y a une fracture dans la politique pro h i-bitive mondiale: en Europe, il faut développer des mesure s

sociales, cruciales dansla lutte contre la dro g u e .La remise en cause del ’ E t a t - p rovidence mena-ce toute une partie de lapopulation, entraînant désespoir et drogue. Ce pro c e s s u sest exactement celui qui se déroule aux Etats-Unis.

Le problème de la criminalité exige également la priseen compte de la prohibition. Aux Etats-Unis, le lien entretoxicomanie et délinquance est très mal compris. On nedevient pas délinquant parce que l’on consomme de ladrogue, même s’il existe une délinquance liée à la drogue.On ne devient pas criminel parce que l’on consomme de lad rogue, même si la délinquance liée à la dro g u e ( 2 7 ) et lacriminalité des rues sapent notre système démocratique.

Si des personnes ont des prescriptions médicales leurp e rmettant d’accéder à leur drogue, la délinquance dimi-nuera de manière draconienne.

Trop de malentendus interf è rent dans les débats sur lad rogue. Le problème doit être replacé dans tout uncontexte de problèmes sociaux. On ne comprend pas lad rogue si on ne comprend pas l’injustice sociale, l’inégali-té économique, l’exclusion, la marginalisation. Si nousn’établissons pas ces distinctions, nous ne pourrons pasp ro g re s s e r. ❖

p ro d u c t i o ndomestique dem a r i j u a n a ”(même si une ff o rt est fait surles designersd rugs - dro g u e sde synthèse-, la cocaïne etl ’ h é roïne) etaugmentation desfonds des agencess p é c i a l i s é e scomme le DEA.

d

2 7 ) - La difficilerelationdrogue/délin-quance est due àla contrainterencontrée par lestoxicomanes dem o b i l i s e rd ’ i m p o rt a n t e sre s s o u rc e sfin a n c i è res pourse pro c u rer de lad rogue. Peu desolutions s’off re n tà ces usagersdéfavorisés pourfinancer leurc o n s o m m a t i o n .Dit autrement, lacaractéristique duc o n s o m m a t e u rdéfavorisé est derepousser la contrainteb u d g é t a i re par le délit. Cec o m p o rt e m e n td i ff è renotablement duc o n s o m m a t e u r“classique” quipeut respecter la contraintefin a n c i è re .

26)- Le Pro z a cest una n t i d é p re s s e u rl a rgement utiliséen France

“On ne comprend pas la drogue si on ne comprend pas l’injustice sociale,l’inégalité économique, l’exclusion, la marg i n a l i s a t i o n ”

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Allemagne

Nous vivons une période tran-s i t o i re: nous sommes passés

de l’abstinence et de l’interd i c-tion à l’acceptation. Pour diminuer les risques et les fléaux,il n’y a pas de différence entre les deux paradigmes, si cen’est une différence d’optique.

En Allemagne, la position officielle reste l’interdiction, àsavoir la prévention comme moyen de réaliser l’objectif del’abstinence. C’est donc un système qui s’apparente à lapratique de la carotte et du bâton. Ce système dual répres-sion-prévention débouche sur une certaine dialectique derenforcement des deux systèmes.

De nombreuses institutions vivent de la prévention. Lalutte d’influence sur les mentalités s’est soldée par un véri-table échec. Quant au système des traitements pilotes, il estégalement critiqué. La police en profite: du fait qu’elle dis-pose pour ce faire de davantage de crédits et de moyenshumains, des intérêts totalement étrangers à l’objectifentrent en jeu.

Après analyse, une nouvelle stratégie a été mise au pointen Allemagne, celle de l’acceptation: ( 2 8 ) il s’agit, commepour l’alcool, d’accepter en évitant l’abus.

La méthadone a été prescrite dès 1979 par les méde-cins. L’ O rd re des médecins s’y opposait alors que les tri-bunaux l’acceptaient. Avec le développement du SIDA,on a eu de plus en plus recours à la méthadone et à lacodéïne pour réduire les effets nocifs. En dépit des résis-

tances des médecins, lep rogramme s’est déve-loppé, avec un moded’emploi. Le systèmeétait assez efficace, avecune pratique très pragmatique de la part des individuscomme des associations. ( 2 9 )

Ensuite a été mis en place le système d’échange deseringues, légalisé depuis 1992 dans les prisons commedans les centres de détention. Durant cette période transi-toire, un échange d’expérience entre les villes s’est organi-sé, à partir de ce qui se faisait en Suisse et aux Pays-Bas.Des études scientifiques ont démontré l’efficacité de cesactions.

L’étape suivante a consisté à proposer aux drogués despièces propres, hygiéniques, avec des infirmiers. Francforta suivi en cela l’exemple suisse. Il s’agit de salles où l’onpeut se piquer “pro p rement”, dans de bonnes conditionss a n i t a i res. Après de longues discussions à Francfort entreinstitutionnels, associations, ONG, l’idée de ces salles desanté a été acceptée, et aujourd’hui il est admis que c’estune bonne idée, suivie depuis à Hambourg et Hanovre. Cessalles sont mises à disposition de manière légale.

La dern i è re phase qui vient d’être lancée re p rend unsystème existant aux Pays-Bas. Il s’agit d’accepter lesessais de stupéfiants pour minimiser les risques. L’ e x p é-rience a commencé à Hanovre et Hambourg. Comme pourles salles de santé, aprèsles réticences et les polé-miques, la légalisation

LORENZBOLLINGER,

Université de Bremen,Allemagne

28)- L’ A l l e m a g n ene connaitaucune forme der é p ression de laconsommation des t u p é fia n t s .Toutefois, lapossession et let r a fic de dro g u e ssont sévère m e n tpunis. Les peinese n c o u ru e speuvent atteindreq u a t re ans pourla possession etquinze ans pourle trafic. Diaz M.,Afework M-E.,La dro g u e ,Hachette, 1995.

29)- En 1997,dans le cadre desc u res de sevrage,l ’ A l l e m a g n ep ropose cesp rogrammes àplus de 8 000p e r s o n n e s .

“ F r a n c f o rt a suivi l’exemple suisse en proposant aux drogués des pièces pro p res, hygiéniques, avec des infirm i e r s . . . ”

“Après les réticences et les polémiques, la légalisation interv i e n d r a ”

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i n t e rviendra. Les substances contenues dans l’héro ï n esont testées, analysées, pour éviter les décès dûs aux pro-duits toxiques contenus dans certaines héroïnes: si uneh é roïne très toxique arrive sur le marché, la police infor-me les toxicomanes et leur demande d’apporter leurd rogue pour que la composition en soit vérifiée et éviterainsi les morts par overdose. C’est une bonne idée.

A Francfort, la municipalité donne de l’héroïne à cer-tains toxicomanes. Cela est actuellement en débat devantla Cour Suprême. A Hambourg, des scientifiques exami-nent les substances et la vente de cannabis en pharm a c i eest envisagée. La majorité des Allemands y est favorablemais le ministre fédéral, totalement hostile, en appelleaux Nations-Unies.

Dans le domaine de la drogue, rien n’est clair et net,mais, si les mentalités changent, les politiques évolueront.

Depuis deux décennies, le chanvre ne peut plus êtrep roduit en Allemagne. Mais je pense que le chanvre médi-cal va être légalisé. La question du cannabis sembleréglée, nous nous penchons donc sur les autres dro g u e s ,e x t a s y, MDA notamment. De plus en plus d’étudesd é m o n t rent qu’il n’est pas dangereux d’en pre n d re unpeu. Ce sont l’abus et l’excès qui créent la toxicomanie.Aussi, des scientifiques, des juges, des juristes, deman-dent de plus en plus nombreux la légalisation de cesd ro g u e s .

La police elle-même, constatant l’inefficacité des poli-tiques actuelles, demande la légalisation des drogues illi-c i t e s .

Il apparaît donc bien qu’il faut changer de politique.L’Allemagne s’oriente vers l’acceptation en réinterprétantla législation. Toutes sortes de changements peuvent doncs ’ o p é rer sans changer la loi, et il est re g rettable que despays comme la France et la Suède re n f o rcent la politiquede répression alors que celle-ci échoue. Cela n’est pas unebonne chose pour l’Europe. ❖

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La coca et la cocaïne : les possibilitésde contrôle

Il existe une inégalité de rapports entre pays du Nord etdu Sud. Les campagnes anti-coca ont été initiées dans

les années 30-40 alors même que la cocaïne comme pro-duit dérivé n’existait pratiquement pas sur le marché mon-dial illicite. Malgré cette absence de menace, une grandecampagne contre l’usage de la feuille de coca a commencéen Bolivie et au Pérou. La Convention unique de 1961 (30)

a évoqué l’élimination totale de l’usage traditionnel de lafeuille de coca en vingt-cinq ans. Ces vingt-cinq ans sontpassés, l’usage persiste, même si la Convention de Vienneen 1988 a rappelé cet objectif.

Quels sont en réalité les usages que l’on veut éliminer?Les usagers de la coca sont-ils une espèce particulière del’humanité qui mérite d’être éliminée de la surface de lat e rre? Des arguments “historiques” voudraient cantonner

l ’ usage de la feuille de coca entre le Nord du Pérou et lec e n t re de la Bolivie, c’est-à-dire sur les hauts plateauxandins: en réalité, dans plusieurs régions de Colombie, del’Amazonie brésilienne, du Chili ou de l’Argentine, la feuillede coca a aussi été utilisée de manière traditionnelle.

Les objectifs des Conventions précitées sont impossiblesà réaliser car ils reposent sur une sorte d’apartheid auxbases ethnologiques peu fiables.

J’expliquerais un tel apartheid par la non-compréhen-sion des différentes pharmacologies associées à la coca soustoutes ses formes. Le président Zamora avait demandé àl’OMS de refaire ses études afin d’exclure la feuille de cocades Conventions. Car si la feuille de coca contient de lacocaïne, elle n’en a pas les effets. Les concentrations decocaïne dans le sang sont très différentes si l’on consommede la feuille de coca, qui produit un effet de plateau, ou ducrack, qui produit un effet de pics répétés.

Une large gamme de pharmacologie est possible à partirde la feuille de coca. Sous forme de tisane, l’absorption decocaïne reste très faible. La coca, au contraire du cannabiset des opiacés(31), offre une occasion unique d’intervenir defaçon positive, en faisant en sorte que l’usager recherche laforme la moins nuisible.

L’objectif ne peut être l’arrêt de toute consommation.Trois aspects sont fondamentaux: l’aspect pharm a c o l o-gique, l’aspect culturel et social, l’aspect éthique -qui pro-cède de l’exemple de bon usage donné par des sociétés par-venant à maîtriser la consommation d’une substance, soittout le contraire de l’interdit et de la prohibition.

Prof. ANTHONYHENNMAN,Directeur

“Drug Reform”,Monmouth,

Grande-Bretagne

III. Une appro c h escientifique...

❖ ❖ ❖ ❖ ❖ ❖ ❖ ❖ ❖ ❖ ❖ ❖ ❖ ❖

30)- Le 30 mars1961, 77 délégationssignent, à New York, laC o n v e n t i o nunique sur less t u p é fia n t s ,fondement dud roit positifi n t e rn a t i o n a l .Cette conventionm a rque lepassage d’unobjectif politiquequi se traduit parune répre s s i o nc ro i s s a n t e .

31)- O p i a c i é ,p a rticipe passédu verbe opiacer( a s s a i s o n n e rd’opium) : se dit de toutess u b s t a n c e sre n f e rmant de l’opium.

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Cette forme d’auto-contrôle de cultures traditionnellesqualifiées à tort de primitives devrait nous serv i rd’exemple. Ces “primitifs” sont beaucoup plus intelligentsque nous, aussi pourquoi demander la disparition de cesusages ancestraux? S’agit-il de déstabiliser politiquementces populations, de renforcer le monopole économique desEtats-Unis? La guerre menée contre la drogue en Amé-rique Latine revêt assurément une certaine fonctionnalité.Je pense qu’il s’agit surtout d’éliminer ce mauvais exempled’une consommation de drogue socialement maîtrisée etd’imposer partout notre modèle, notre interprétation de latoxicomanie. L’élimination de la consommation tradition-nelle de la feuille de coca traduit bien la volonté d’impo-ser au monde nos choix historiques occidentaux.

Le refus d’écoute du message traditionnel ne fera qu’ag-graver nos contradictions, symbolisées ces dern i è re sannées par l’apparition du crack. Avec un marché illégal,apparaît toujours un produit plus concentré et plus dange-reux.

Un processus de domestication de la coca et de la cocaï-ne sous toutes ses formes est de toute façon inexorable.Nous re c o n n a î t rons tôt ou tard les vertus d’une plantemédicinale, considérée dans ses terres d’origine commeune plante bénéfique, et qui constitue une des plus impor-tantes contributions des civilisations amérindiennes.

Du fait de la mondialisation du marché de la drogue, ladistinction entre pays pro-ducteurs et pays consom-mateurs est de moins enmoins vraie.

Les pays en voie de développement re n c o n t rent des diffi-cultés croissantes avec la drogue. Le Pakistan ( 3 2 ) utilise del ’ h é roïne injectable, de même que le Népal et d’autres pays.Quant aux pays occidentaux, ils fournissent de la drogue aureste du monde, notamment des produits chimiques.

S’agissant de l’héroïne et des opiacés, il faut des législa-tions adaptées. L’ h é roïne, qui est la drogue la plus dange-reuse en raison des conditions d’injection, est un pro d u i tindustriel qui nécessite des investissements et des pro d u i t schimiques, sans oublier l’organisation criminelle charg é ede sa diffusion. Les pro fits nécessaires aux investissementssont obtenus grâce à la loi anti-opium. Nous avons ainsid’un côté la situation juridique qui tente désespérément dese maintenir à flots, de l’autre la mafia qui agit en sensi n v e r s e .

D’un point de vue juridique, l’héroïne est le diable per-sonnifié, mais cette diabolisation repose sur des connais-sances insuffisantes car en réalité, l’héroïne en tant que tel-le n’est pas active dans l’organisme, elle se métabolise. Ilest donc possible de pro d u i re cette substance métaboliséeet de l’administre r. Dix minutes après l’injection, on neretrouve plus la moindre trace d’héroïne dans le sang, maisles métabolites de la substance se re t rouvent à un niveauextrêmement élevé.

Une politique globale devrait tendre à réduire au maxi-mum les dégâts de la drogue et à prévenir autant que pos-sible la consommation. Les dégâts existent aussi pour lesystème économique, contaminé par l’argent sale et ledéveloppement de la corruption. Seules les org a n i s a t i o n scriminelles tirent profit de la situation actuelle.

32)- Le Pakistana joué un rôle clédans lap roduction etl ’ e x p o rt a t i o nd ’ h é ro ï n edestinée àl ’ E u rope dès ledébut de laG u e rre enAfghanistan. LesEtats-Unis ontc h a rgé less e rvices secrets de l’arm é epakistanaise, l’ISI(Inter Serv i c e sIntelligence), dela livraison del’aide militairea u xm o u d j a h i d i n safghans. L’ISI ap ro fité de ce rôlepour installer son contrôle surle trafic de lad rogue. Selon les économistes,le narc o t r a ficp a k i s t a n a i sreprésenterait dedeux à quatrem i l l i a rds ded o l l a r sa n n u e l l e m e n t ,p e rmettant ainside financer desactions ded e s t a b i l i s a t i o n s ,en Inde, ensoutenant lesf o rces sikhs etc a c h e m i r i s .

“Le processus de domestication de la cocaet de la cocaïne sous toutes ses formes est de toute façon inexorable”

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Si l’on re c h e rche des solu-tions, je pense que l’élé-ment central est la réduc-tion des bénéfices réalisés

à tous les niveaux, y compris chez les scientifiques ou lespoliciers. La prévention est à cet égard une bonne réponse.Elle implique une véritable politique sociale. ❖

Le cannabis : un examen de décriminalisation et de légalisation contrôlée

Le cannabis existe aux Etats-Unis depuis environ centans. C’est donc une nouvelle drogue. Or, il est très dif-

ficile pour une civilisation de faire face à l’apparition d’unenouvelle drogue.

Depuis trois cents ou quatre cents ans ( 3 3 ), les dro g u e ssont apparues par l’échange de produits dans les culturesoccidentales. Parmi les produits échangés lors de l’explora-tion du monde, figuraient bien évidemment les dro g u e s .Après adaptation, les sociétés sont en mesure de mettre enœ u v re des contrôles sociaux des drogues, comme pour lacaféine, l’alcool, la nicotine.

Le cannabis est entré aux Etats-Unis au début du siècle,par la fro n t i è re sud, Mexique et Caraïbes. Consommé à

l’époque essentiellementpar les travailleurs mexi-cains, il a ensuite gagnéle nord des USA. Aud é p a rt, il était surt o u tconsommé par des sujets“déviants”. C’est ainsi que la marijuana, parce qu’elle étaitutilisée par les classes les plus dangereuses pour l’ord reétabli, a été considérée comme illicite, sans qu’aucune étu-de scientifique ne soit conduite. Des rumeurs ont alors cir-culé sur cette drogue non seulement aux Etats-Unis, maisau Canada, puis dans le monde entier: elle était censéerendre fou dangereux; la rumeur courait que l’on forçait dejeunes blancs à consommer cette drogue, et que s’ils enconsommaient, ils deviendraient fous et massacre r a i e n tleurs familles; elle était accusée de provoquer chez lesfemmes des comportements sexuels débridés. C’est ainsique la législation américaine est devenue de plus en plusdure, sans remise en cause de ces rumeurs.

Au début des années 50, aux Etats-Unis, les mêmessanctions, pouvant aller jusqu’à l’emprisonnement à vie,étaient encourues pour le cannabis, fût-ce pour la posses-sion d’une quantité minime, que pour l’héroïne ou lacocaïne. En fait, on considérait que c’étaient les classespotentiellement dangereuses qui consommaient cettedrogue.

Des évolutions sont apparues dans les années 60, quandde plus en plus d’enfants ces classes moyennes se sont misà consommer ouvertement du cannabis. La législationultra-répressive qui paraissait fondée à l’encontre des gensde couleurs n’est plus apparue juste. Un sénateur améri-

33)- Voir la cart esur «La diff u s i o ndu chanvre à fib reet du cannabis du XVIe au XIXe

s i è c l e » .

Prof. LYNNZIMMER,

Queens College,New-York,

USA

“La prévention est une bonne solution mais elle implique une véritable politique sociale”

“Parce qu’elle était utilisée par les classesles plus dangereuses pour l’ordre établi,la marijuana a été considérée comme illicite, sans qu’aucune étudescientifique ne soit conduite”

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LES NOTES DE LA FONDATION JEAN-JAURÈS - N° 7 - FÉVRIER 1998 - 5958 - LES NOTES DE LA FONDATION JEAN-JAURÈS - N° 7 - FÉVRIER 1998

LA DIFFUSION DU CHANVRE À FIBRE ET DU CANNABIS DU XVIe AU XIXe SIÈCLE

ATLAS mondial de la dro g u e, PUF, 1997.

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60 - LES NOTES DE LA FONDATION JEAN-JAURÈS - N° 7 - FÉVRIER 1998 LES NOTES DE LA FONDATION JEAN-JAURÈS - N° 7 - FÉVRIER 1998 - 61

cain dont le fils avait étéarrêté pour possession demarijuana a déposé unep roposition de loi visantà supprimer toute sanc-tion pour les détenteurs

de cannabis. Dans les années 70, un certain nombred’Etats ont levé les sanctions et les Etats-Unis ont sembléévoluer vers une normalisation de la situation. Une com-mission nationale mise en place par Nixon a préconisé ladépénalisation du cannabis, car la légalisation ne pouvaitplus être mise en oeuvre, compte tenu du nombre deconsommateurs. Les Etats-Unis sont ainsi passés de sanc-tions strictes à une attitude beaucoup plus permissive. Desévolutions convergentes se sont produites aux Pays-Bas, enAustralie, en Angleterre.

Dans les années 80, les USA ont lancé une nouvelle guer-re contre la drogue. En 1995, cinq cent mille personnes ontété arrêtées pour détention de cannabis, et certaines incar-cérées. ( 3 4 ) Des contrôles par test ont été effectués sur leslieux de travail, pouvant aller jusqu’au licenciement du tra-vailleur convaincu de consommation. La situation est doncbeaucoup plus grave aujourd’hui que dans les années 70.

Malgré cette guerre, la consommation de cannabis aug-mente. Lancer une guerre contre le cannabis revient às’aliéner une partie importante de la population, qui n’estpas convaincue de la dangerosité de cette drogue.

Une politique de prévention a été définie. Tous les jours,des messages télévisés décrivent les horreurs causées par lecannabis. Mais les jeunes ne croient pas à ces messages.

Nous devons pourtant les alerter sur les dangers du canna-bis, mais sans les exclure de leur école, de leur travail, niles pousser dans la marginalisation. Je pense que nousdevons donc cesser d’incarc é rer les détenteurs et lesconsommateurs de cannabis et apprendre à vivre avec cet-te drogue, sauf à créer des catégories de délinquants et àaccroître encore la révolte des jeunes. Nous devrions doncprendre exemple sur les Néerlandais ou les Espagnols, c’estla seule voie possible. ❖

Les drogues synthétiques: perspectives de contrôle

En tant que pharmacologiste, j’ai tout au long de mac a rr i è re étudié l’impact des drogues sur les être s

humains, qu’il s’agisse de l’alcool, du tabac, de l’héro ï n e ,de la cocaïne. Je ne pense pas comme les autres, et je risquede vous surprendre en disant un certain nombre de véritéssur l’interaction homme-drogue.

Je m’exprime comme citoyen scientifique. Nos législa-tions ne sont jamais fondées sur une idée complète de laréalité des dangers des drogues. On a légiféré sans rienconnaître des effets du cannabis sur l’homme.

Les produits chimiques absorbés pour le plaisir sont re l a-tivement peu toxiques pour les tissus humains. Si une sub-

34)- L ap robabilité d’êtrea rrêté aux Etats-Unis peut êtrecalculée encomparant le nombre desa rrestations et celui desc o n s o m m a t e u r s .Près de 15 millionsd ’ A m é r i c a i n sconsomment dela marijuana(estimation 1995de Reuter P. )mais seulement2% d’entre eux,risquent unea rrestation pourpossession demarijuana. Kopp P. ,L’économie de laD ro g u e, LaD é c o u v e rte, 1997.

“Je pense que nous devons cesserd’incarcérer les détenteurs et lesconsommateurs de cannabis et apprendreà vivre avec cette drogue, sauf à créer des catégories de délinquants”

Dr JOHNP. MORGAN,

CUNYMedical School,

New-York,USA

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62 - LES NOTES DE LA FONDATION JEAN-JAURÈS - N° 7 - FÉVRIER 1998 LES NOTES DE LA FONDATION JEAN-JAURÈS - N° 7 - FÉVRIER 1998 - 63

stance donne du plaisir à petite dose, elle agit rapidementsur le cerveau sans entraîner de changement de comport e-ment. Les dommages à long terme sont très peu courants.

La toxicité peut avoir des effets sur les tissus à dosesmassives. C’est la dose qui fait de la substance un poison.Des dommages peuvent également intervenir en cas demauvaise administration du produit ou si la substanceconsommée est polluée.

La substance la plus dangereuse est l’alcool éthylique.Des doses massives abîment les tissus et les cellules. Or,pour avoir des effets, il faut en consommer souvent, et onpeut en consommer à des doses impressionnantes, doncc’est dangereux.

Les produits très puissants comme le LSD (35) n’abîmentpas les tissus humains. Il n’y a pas de toxicité à long termesi les doses sont minimes.

Le tabac est par contre une substance très dangereuse :1% ou 2% des fumeurs auront un cancer du poumon. Lanicotine est une substance très dangereuse -elle est utiliséecomme pesticide dans les jardins. Mais à faible dose, ellen’est pas dangereuse. Ce n’est pas la nicotine qui donne lecancer, mais les hydrocarbures qu’elle contient.

Quant aux substances qui font le plus peur, comme l’hé-roïne, la morphine, les amphétamines, elles ne présententpas de danger à long terme pour les cellules humaines sielles sont absorbées à faible dose.

Des personnes ont pris des amphétamines pendant 30

ans quotidiennement, àfaible dosage et sous sur-veillance: nous n’avonsaucune preuve que les cellules de leur cerveau aient étéendommagées.

Avec des opiacés, des tranquillisants ou des somnifères,les gens peuvent sombrer dans le sommeil, ou le coma, voi-re mourir, tout dépend de la dose. Les individus peuventmourir s’ils ne connaissent pas la dose d’héroïne à prendre,mais s’ils en prennent une dose régulière et faible, ils peu-vent le faire toute leur vie.

En matière de toxicomanie, il faut cerner les causessociales. (36)

Prises pendant longtemps, des substances comme lesopiacés, l’alcool, entraînent des dépendances. Les amphé-tamines ou la cocaïne n’entraînent pas de dépendance etne posent donc pas de problème de sevrage.

Pour certains individus, le niveau d’acceptation du pro-duit est très faible. Cependant, certains vont sacrifier à lad rogue leur mariage ou leur vie sexuelle; mais en général,la plupart des consommateurs de drogues ne sont pas toxi-comanes. Le risque de toxicomanie vient bien sûr de laprise d’une substance, mais ce n’est pas la drogue qui créele toxicomane. Dire le contraire revient à aff i rmer quec’est la faute de l’eau si quelqu’un se noie. Il n’est doncpas approprié de marginaliser ceux qui prennent de lad rogue, et peu importe la drogue. La drogue devient enfait un bouc émissaire pour faire oublier le contexte socialet psychologique.

35)- Le LSD(acide lyserg i q u ed i e t h y l a m i d e ) ,d ro g u esynthétique, a étéd é c o u v e rt par unc h e rcheur suissedes laboratoire sSandoz, M. Hofmann. Sa compositionchimique estidentique à celled’un champignonparasite du seigle:l ’ e rg o t .

36)- “ L ep roblème desd rogues, ce n’estpas le pro b l è m edes drogues c’estl ’ h é roïne. Lep roblème del ’ h é roïne, ce n’estpas le pro b l è m ede l’héroïne c’estl’abus d’héro ï n e .Le problème del’abus d’héro ï n e ,ce n’est pas lep roblème del’abus d’héro ï n ec’est l’abusd ’ h é roïne par lesp a u v re s . ”e n t retien avec M. Koutouzis, 7 janvier 1998 à l’Observ a t o i regéopolitique des dro g u e s .

“ En matière de toxicomanie, il faut cerner les causes sociales”

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auprès des jeunes, dans les soirées “rave” par exemple, enE u rope comme en Amérique du Nord. L’extasy aide lesgens à danser pendant des heures.

Les autorités tentent de lutter contre l’extension de l’ex-t a s y. Le résultat ne s’est pas fait attendre: le produit estdevenu moins pur parce qu’on procède à des synthèses etcertains produits sont devenus très dangereux, plus dange-reux que le MDMA.

R é d u i re les effets néfastes, c’est donner de l’eau auxdanseurs, les informer que le seul risque réellement encou-ru est la déshydratation. Les limitations de la fabricationont fait apparaître une extasy à base d’éphédrine qui a eudes effets négatifs.

Les drogues synthétiques sont de mieux en mieux maî-trisées au niveau des précurseurs, et il n’y a pas eu d’ex-plosion de ces drogues sur le marché. On en est resté auxproduits du début du siècle. Mais il convient de rester pru-dent, car dans un contexte de prohibition, des individuspeuvent se mettre à synthétiser des produits très dange-reux: quelques décès récents aux USA le prouvent. Si lessynthèses illégales ne sont pas courantes, elles peuvent seproduire, surtout dans un contexte de prohibition. ❖

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Les psychotropes peu-vent être consomméssans problème par la plu-p a rt des utilisateurs,mais peuvent aussi être

mal utilisés. Depuis une centaine d’années, les chimistes del’industrie pharmaceutique ont cherché à mieux soigner lesmaladies et presque tous les psychotropes sont venus deces recherches pour améliorer les traitements médicaux. Iln’existe pas d’alchimistes qui font des produits synthé-tiques, c’est un mythe. Les substances utilisées par les êtreshumains, quand elles ne viennent pas des plantes, viennentde la pharmacie. La seule solution pour stopper l’appari-tion de nouveaux produits synthétiques serait de dire auxp h a rmaciens: “ne cherchez plus à stopper les maladies”.Ainsi, on serait sûr de ne plus produire de nouveaux médi-caments potentiellement dangereux.

En réalité, seulement deux produits chimiques synthé-tiques sont utilisés en Euro pe : les amphétamines. ( 3 7 ) E nEurope, on fabrique du sulfate d’amphétamine ; aux USA,les amphétamines illicites sont sous forme d’hydrochloru-re : elles se fument, se sniffent ou s’avalent. Depuis que lafabrication d’amphétamines par les industriels est plus questrictement contrôlée, la contrebande est apparue.

L’autre est le MDMA (ou MDA), un produit utilisé à desfins thérapeutiques dont le brevet a été déposé en 1914. Aud é p a rt, il s’agissait d’un inhibiteur d’appétit ; les eff e t sn’étant pas excellents, le produit a été mis dans un tiro i r.Dans les années 70, de grandes quantités ont été fabri-quées, ce produit n’étant pas très difficile à synthétiser.Actuellement, le MDMA est un produit très populaire

3 7 ) -L’ a m p h é -tamine et lesd é r i v é sa m p h é t a m i n i q u e s ,p ro d u i t ss y n t h é t i q u e s ,stimulent ouexcitent le systèmen e rveux central.Ces pro d u i t s ,utilisés enmédecine, sontclassés commes t u p é fia n t s .

“Ce n’est pas la drogue qui crée le toxicomane. La drogue devient un bouc émissaire pour faire oublier le contexte social et psychologique”

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Pour aller plus loin

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Labrousse A.

➤ “Géopolitique de la drogue.

Les contradictions des

politiques de guerre

à la drogue”,

Futuribles, n°185, mars

1994.

La Dépêche internationale

des drogues, lettre

“confidentielle”, dirigée

par Labrousse A.

et publiée chaque mois par

l’Observatoire Géopolitique

des Drogues.

Monde (Le) - Dossiers

et Documents,

➤ L’économie de la Drogue,

janv. 1996.

Notes bleues de Bercy,

➤ Lutte contre le trafic

des stupéfiants et le

blanchiment de capitaux,

Paris, nov. 1996.

Nadelman E.,

➤ “Common sense drug

policies”,

Foreign Affairs, Vol. 77,

n°1, 1998.

Nadelman E.,

➤ “Pour un droit d’usage

contrôlé”,

Futuribles, n° 185, mars

1994.

Reuter P.,

➤ “Assessing the Legalization

Debate”,

in Estivenard G (éd),

➤ Policies and Stategies

to Combat Drug in Europe,

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Rapport Henrion

➤ Rapport de la Commission

de réflexion sur la drogue

et la toxicomanie,

févr. 1995.

66 - LES NOTES DE LA FONDATION JEAN-JAURÈS - N° 7 - FÉVRIER 1998

LIVRES

Cattacin S., Lucas B.,

Vetter S.,

➤ Modèles de politique en

matière de drogue,

l’Harmattan, Paris, 1996.

Cesoni M. L.,

➤ Usage de stupéfiants,

Georg, Genève, 1996.

Decouriere A.,

➤ Les drogues dans l’Union

européenne.

Le droit en question?,

Bruylat, Bruxelles, 1996.

Diaz P. Afeworrk M-E.,

➤ La drogue,

Hachette, Paris, 1995.

Kopp P.,

➤ L’économie de la drogue,

Découverte, Paris, 1997.

Observatoire géopolitique

des drogues,

➤ Atlas mondial des drogues,

PUF, 1997.

Sacy A. de,

➤ L’Economie de la Birmanie :

une dépendance à la drogue,

Vuibert, Paris, 1997.

REVUES, PRESSES...

Guigou E.,

➤ “Débat sur la dépénalisation

des drogues relancé

en France”,

Figaro (Le), 24 septembre

1997.

Grimal J-C.,

➤ L’économie mondiale

de la drogue,

Le Monde Editions, Paris,

1993.

Kopp, P.

➤ “Politiques publiques.

La répression du trafic

de drogue est-elle illégale ?”,

Futuribles, n° 185,

mars 1994.

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LES NOTES DE LA FONDATION JEAN-JAURÈS - N° 7 - FÉVRIER 1998 - 69

De la nécessité de relativiser l’importanceréelle du problème de la drogue 27

Peter Cohen, professeur à l’Université d’ Amsterdam,

Pays-Bas

De la “guerre blanche” et des moyens d’en sortir 30

Jaime Paz Zamora, ancien Président de la Bolovie

L’Union européenne à la recherche d’une stratégie globale 34

Nils Öberg, expert auprès de la Commission européenne

II. UNE APPROCHE PRAGMATIQUE...

France : 38Michel Marcus, docteur, délégué général

du Forum européen pour la sécurité urbaine, France

Suède : 41Ulric Hermansson, docteur, professeur à l’Université

de Stockholm, Suède

Suisse : 43Margret Rihs, docteur, chargé de mission auprès

du Ministère de la santé, Suisse

Etats-Unis : 45Craig Reinarman, professeur à l’Université

de Californie

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Présentation

Exposé introductif 4Pierre Mauroy, président de l’Internationale Socialiste,

président de la Fondation Jean-Jaurès

I. UNE APPROCHE POLITIQUE...

Repenser la stratégie internationale 7Raymond Kendall, sécrétaire général, INTERPOL

Une politique du tout répressif ou de contrôle? 11

Ethan Nadelmann, directeur du Lindesmith Center,

New-York, USA

L’Etat-nation et l’économie de la drogue 17

José Thiago Cintra, professeur au Colegio de Mexico,

Mexique

De l’importance très relative du trafic de drogue pour les Etats 23

Koutouzis, chercheur, expert auprès de l’Observatoire

géopolitique des drogues, France

Sommaire

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LES NOTES DE LA FONDATION JEAN-JAURÈS - N° 7 - FÉVRIER 1998 - 71

Table ro n d ei n t e rn a t i o n a l e :

L’avenir de l’Etat-providence

Mars 1994

Les médias et la politique

Avril 1995

Les fondamentalismes

à l’aube du XXIème siècle

Avril 1996

La drogue Avril 1997

Avril 1998L’insécurité urbaine

70 - LES NOTES DE LA FONDATION JEAN-JAURÈS - N° 7 - FÉVRIER 1998

Allemagne : 48Lorenz Bollinger, professeur à l’Université

de Bremen, Allemagne

III. UNE APPROCHE SCIENTIFIQUE...

La coca et la cocaïne: les possibilités de contrôle 52

Anthony Henmann, professeur, directeur “Drug Reform”,

Monmouth, Grande-Bretagne

Le cannabis : un examen de décriminalisation et de légalisation contrôlée 56

Lynn Zimmer, professeur au Queens College

de New-York, USA

Les drogues synthétiques : perspectives de contrôle 61

John P. Morgan, docteur au CUNY

Medical School de New-York, USA

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