Les systèmes de valeurs dans L’interdite de Malika...
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REPUBLIQUE ALGERIENNE DEMOCRATIQUE ET
POPULAIRE
MINISTERE DE L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE
UNIVERSITE D’OUM EL BOUAGHI
FACULTE DES LETTRES ET DES LANGUES
DEPARTEMENT DE FRANÇAIS
OPTION : LITTERATURE FRANCOPHONE ET COMPAREE
MEMOIRE ELABORE EN VUE DE L’OBTENTION DU DIPLOME DE MASTER
Thème :
Réalisé et présenté par : Sous la direction de :
Mlle. ABBAD Ilhem M. BOULAHBAL Karim
Devant le jury :
Président(e) : Mme BAKA Fouzia
Rapporteur : M. BOULAHBAL Karim
Examinateur : Dr. NABTI Amor
Année universitaire : 2017/2018
Les systèmes de valeurs dans L’interdite
de Malika MOKEDDEM
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DéDicace Je dédie ce modeste travail :
A ma mère, mon héroïne, pour son amour, ses sacrifices et son
encouragement. Reçoit, chère maman, à travers ce travail, aussi
modeste soit-il, l’expression de mon éternelle gratitude.
A mon père, mon ange gardien, pour son soutien et les
innombrables sacrifices qu’il a consenti pour mon bien être.
Je t’en suis vraiment reconnaissante.
A celle qui a toujours su me remonter le moral, à ma sœur Meriem.
A mes héros, qui m’ont toujours soutenue. À mes frères Raouf,
Sifou, Baby.
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RemeRciements Je remercie d’abord dieu le tout puissant de m’avoir donnée force et
courage pour mener à terme ce travail de recherche.
Je tiens à remercier mon directeur de recherche, Monsieur
BOULAHBAL Karim, d’avoir consenti, nonobstant les occupations qui
sont les siennes, à me prendre sous sa direction, mais aussi et surtout pour
ses orientations et ses conseils.
Je tiens aussi à remercier les membres de jury d’avoir accepté de
lire et de jeter un regard critique sur la qualité de ce travail.
Je voudrais adresser particulièrement un mot chaleureux à Monsieur
BAHAR pour sa disponibilité, sa patience, son soutien, ses orientations
constructives et ses conseils plus qu’avisés qui ont orienté mes recherches et
mes analyses.
Un grand merci à toutes les personnes qui, de prés ou de loin, ont
contribué d’une manière ou d’une autre à ma formation et à l’élaboration
de ce mémoire.
Merci à tous…
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« Renoncer à sa liberté, c’est renoncer à sa
qualité d’homme, aux droits de l’humanité, même
à ses devoirs. » J.J.Rousseau
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Introduction
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La littérature a constamment été soumise à une double évaluation, celle de déceler
la valeur esthétique (intrinsèque) des œuvres littéraires, ou celle de mettre l’accent sur leur
capacité de véhiculer et de transmettre un certain type de valeurs. Si, au XXème siècle, des
linguistes et des critiques à l’instar des formalistes et des structuralistes se sont intéressés
exclusivement à la forme des textes littéraires, laissant entendre que ces derniers ne sont
qu’un agencement de formes ne répondant qu’à leurs propres lois, en ce début du XXIème
siècle, ce n’est pas le cas, la théorie de clôture du texte littéraire (considérant l’œuvre
comme une fin en soi) est de plus en plus contestée et « dénoncée pour avoir nier ce qui
fait la chaire même de la littérature; son rapport à la vie et sa capacité à produire des
émotions. »1
En effet, la littérature, par la liberté qui la fonde, exprime des contenus divers ayant
des rapports privilégiés avec la vie et les valeurs humaines. Elle demeure, pour les
écrivains, le cheval de bataille leur permettant de transmettre un certain nombre de valeurs,
de les défendre ou de les illustrer. Chaque œuvre littéraire, en parlant du monde et en
offrant une conception de la vie, renvoie à un univers de valeurs particulier. Dans cette
optique, Vincent Jouve atteste :
« A la lecture d’un récit, nous avons souvent le
sentiment que le narrateur, en nous racontant une histoire
nous transmet aussi une conception du bien et du mal, du
licite et de l interdit, de l’odieux et du désirable. Bref, un
univers de valeurs »2
La littérature maghrébine d’expression française, n’échappe pas à ce besoin
d’exprimer des valeurs. Née dans un contexte colonial dominé par un conflit de valeurs,
elle se trouve contrainte d’exprimer cet entrechoquement de deux univers de valeurs
différents (socialement, politiquement, religieusement…etc.). Ses créateurs, voulant
traduire les tensions sociales et dire leur existence et leur différence face à l’autre agresseur
et dominateur, se sont donner pour mission de défendre et de soutenir des causes qui
assurent la promotion des valeurs de la liberté et de la justice. En fait, la littérature
maghrébine de graphie française est relativement jeune, elle s’est épanouie d’abord en
1 https://f-origin.hypotheses.org consulté le (11/02/2018). 2 JOUVE, Vincent, poétique des valeurs, paris, puf, coll. « Ecriture », 2001, quatrième de couverture.
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Algérie vers les années vingt avant qu’elle n’arrive dans les deux pays voisins ; la Tunisie
et le Maroc.
La littérature algérienne de graphie française, a la quelle la critique a toujours
assigné des limites chronologiques et dont on a prédit la mort au lendemain de
l’indépendance, a su tracer son chemin vers l’aurore, et demeurer prolifique. Née dans un
contexte historique violent et meurtrier, cette littérature a toujours eu pour maitre mot
l’ « engagement » que se soit pour dénoncer la colonisation, la corruption et les déceptions
de l’indépendance ou le terrorisme des années 1990. En effet, elle a toujours été matière
intarissable où l’engagement n’ôte rien a l’originalité d’une écriture qui s’affirme, se
renouvelle et s’enrichit avec le temps, affirmant ce que Victor Hugo, contrairement aux
thèses des partisans de l’art pour l'art, a dit: « l’utile, loin de circonscrire le sublime, le
grandit. L’application du sublime aux choses humaines produit des chefs-d’œuvre
inattendus. ».1
Pendant les années 90 qui, chacun le sait, ont été marquées par le terrorisme et toute
sorte d’attentat, la littérature algérienne a vu surgir des textes empreints de violence et de
brutalité. Plusieurs écrivains ont affuté leurs plumes afin de s’attaquer à la critique
politique et religieuse, et de dénoncer le climat de terreur imposé par le fanatisme et
l’extrémisme. Cette décennie noire, a également interpelé la plume féminine qui, grâce à sa
persévérance, son talon et son courage, a réussi à mettre en exergue le quotidien algérien
face à ce phénomène qui est le terrorisme et de dénoncer les injustices sociales faites aux
femmes algériennes. La littérature féminine (algérienne) s’inscrit dans le mouvement d’une
écriture de résistance et de revendication. Des auteures a l’instar de : Assia DJEBBAR,
Nina BOURAWI, Meissa BEY et Malika MOKEDDEM ont voulu dénoncer leur
mécontentement vis-à-vis non seulement de l’actualité du pays mais aussi et surtout vis-à-
vis de la « misogynie » en forgeant des réflexions à travers des œuvres majeures.
Parmi toutes ces figures emblématiques, notre choix s’est porté sur l’une des plus
éloquentes plumes qu’a connu la littérature maghrébine d’expression française de la
dernière décennie du XXème siècle. Une essayiste et romancière qui, de par son art, est
venue affirmer encore une fois ce que KATEB Yacine a dit : « quand une femme écrit,
1 Victor HUGO, William Shakespeare, 1864, in littérature : textes théoriques et critiques de Nadine TOURSEL, Jacques VASSEVI7RE, éd, Nathan/ Sejer, 2004, p.270.
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elle vaut son pesant de poudre. ». Il s’agit bel et bien de l’écrivaine hors pair : Malika
MOKEDDEM.
Malika MOKEDDEM est née le 5 octobre 1949 à Kenadsa, dans l’ouest du désert
Algérien. Elle a fait sa scolarisation primaire à Kenadsa puis ses études secondaires au
lycée de Béchar, a vingt kilomètres du village natal. Tout au long de sa scolarité nait et
s’enracine, en elle, un amour de la lecture et des livres. Elle fait ensuite ses études de
médecine à Oran qu’elle achève à Paris. Néphrologue, elle partage son temps entre
l’écriture et l’exercice de la médecine, mais elle décide après d’arrêter d’exercer et de se
consacrer à l’écriture. Elle s’est imposée dans la république des lettres par un capital
littéraire important disposant en son compte de plusieurs romans dont la majorité a été
saluée par de nombreuses récompenses.
Malika MOKEDDEM est une auteure qui s’est fixé un objectif bien précis :
écrire son histoire. Démêler la réalité de la fiction dans ses écrits serait presque impossible.
Avec elle, les frontières entre autobiographie et roman sont souvent enchevêtrées. En
abordant le genre romanesque, MOKEDDEM place son lecteur selon l’angle de vue ou
elle se place pour exprimer sa pensée de la littérature, de l’écriture, des siens et d’elle
même. Au fil de ses textes, le sens de la créativité qui ponctue ses œuvres, semble devenir
le pilier majeur de son écriture.
A travers ses textes, MOKADDEM se livre a une analyse de la condition faite a
la femme, elle cible la société algérienne et en exprime sa vision. C’est ainsi que la
perspective centrale dans ses écrits est le destin des personnages féminins. Elle transpose
dans la fiction des situations vécues par de nombreuses femmes mais en bousculant des
traditions séculaires et misogynes. C’est alors qu’elle devient la voix de celles qui crient
en silence.
la bibliographie de Malika MOKADDEM est celle d’une romancière : Les
Hommes Qui Marchent (Ramsay, 1990) qui a connu, dès sa publication, un grand
succès auprès des lecteurs ainsi qu’auprès des critiques littéraires. Cet ouvrage a été salué
par de nombreuses récompenses. Le Siècle Des Sauterelles (Ramsay, 1992). L’interdite
(1993) qui marque le véritable essor de sa pluralité. Des rêves et des assassins(1995). La
nuit de la lézarde (1998). N’zid (seuil 2001). La transe des insoumis (2003). Mes hommes
(2005). Je dois tout à ton oubli (2008). En fin la désirante paru en 2013.
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Malika MOKEDDEM a obtenu plusieurs prix et distinctions. Son premier
roman, Les Hommes qui marchent, lui vaut en 1990 une reconnaissance initiale,
récompensé par le Prix Littré du Festival du Premier roman de Chamberry, de même
que le prix de la Fondation Noureddine Abba. Le second, Le Siècle des sauterelles,
reçoit en 1992 le Prix Afrique-Méditerranée de l’Association des écrivains de langue
française. Mais c’est avec le troisième, L’Interdite primé par le Prix Méditerranée 1994,
que sa popularité littéraire et médiatique prend son essor. L’ouvrage a connu des
ventes appréciables. C’est de cette œuvre que nous avons dégagé le corpus de notre
mémoire.
L’interdite est un roman écrit en dix mois en état d’urgence. L’actualité du pays
pendant les années 90 et, particulièrement, l’assassinat de l’écrivain Taher DJAOUT, en
1993, ont poussé Malika MOKEDDEM à écrire dans l’urgence, pour dénoncer la monté
de l’intégrisme religieux fanatique en Algérie. Le roman est formé de neuf chapitres. C’est
un récit à deux voix narratives, deux destins différents qui se croisent. Destin de Vincent,
un français à qui on a greffé le rein d’une jeune algérienne et qui est partie en Algérie pour
découvrir la patrie et la culture de sa donneuse, et le destin de Sultana Medjahed, médecin
à Montpelier, qui décide de revenir dans son village natal au sud algérien après avoir appris
la mort de son ami Yacine, médecin, qu’elle a jadis aimé. Arrivée en Algérie, elle se trouve
confrontée à l’hostilité et au mépris des habitants de son village ; ne pas porter de voile
intégral et son attitude d’algérienne occidentalisée lui ont valu, aussitôt, un chapelet
d’insultes laissant prévoir une série d’agressions. C’est ainsi que son rêve de voir s’opérer
des améliorations se dissipe car elle a retrouvé les mêmes scènes de frustration et de
brutalité que depuis son départ.
Sultana vient donc défier les hommes de son pays et bousculer les femmes dans
leurs croyances et coutumes en assistant, contre la volonté de tout le monde, à
l’enterrement de son ami. Premier acte qui va attiser la haine des intégristes à son encontre.
Consciente des circonstances dans lesquelles elle est revenue, elle décide quand même de
rester et de remplacer Yacine au dispensaire du village. Cette décision sera perçue comme
une provocation et une déclaration de guerre au maire Bakkar et à ses acolytes islamistes.
Chose, qui ne fera qu’ouvrir le champ à des menaces sérieuses mettant sa vie en danger.
Mais, Sultana n’a pas peur des menaces, elle se jette bravement au travers leur chemin et
décide de violer tous les interdits imposés à la femme algérienne. Sultana rencontre ensuite
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Vincent (français), grâce à Dalila, une petite fille d’environ dix ans, qui rêve de quitter le
pays et d’aller étudier en France, et s’affiche ouvertement avec lui. Chose qui ne fera
qu’envenimer la situation et mettra sa vie en danger. Certes, cet acte sera perçu comme un
grand mépris pour la religion à laquelle les habitants islamistes du village tiennent tant.
Ces derniers incendient la maison de Sultana. Les femmes du village, alertées, mettent le
feu à la mairie...
Dans l’interdite, Malika MOKADDEM nous livre des propos sur une Algérie
douloureusement partagée entre fanatisme et progrès, elle dénonce l’enfermement
dans le quel croupissent les femmes algériennes à cause des traditions religieuse et lutte
pour la liberté de ses compatriotes, bien qu’elle vive en France. C’est ainsi que
l’auteure met en cause des fais véridiques et nous emporte vers un univers de
valeurs (désirées et prometteuses) à travers une écriture fluide et clairvoyante.
En initiant la question des valeurs, notre travail de recherche s’intitule « Les
systèmes de valeurs dans l’interdite de Malika MOKADDEM ». Notre choix d’étude
portera sur le fait que l’étude de l’œuvre littéraire doit s’intéresser et viser la
compréhension du texte au delà de son aspect. Le but sera de déceler et de prendre
en compte la question des valeurs qui jalonnent l’œuvre en question.
Notre choix, de travailler sur une production romanesque (roman) de Malika
MOKEDDEM s’explique d’abord par notre penchant et notre admiration pour cette
écrivaine hors pair, qui demeure le porte parole de toute femme soumise à des traditions
surannées et sclérosées. Ainsi nous voulons rendre hommage à cette plume qui est venue
enrichir la liste de ces auteurs qui ont signé des œuvres, tout en conjuguant cette littérature
au féminin. Quant à notre choix du corpus (l’interdite), il découle de cette multiplicité de
thèmes très intéressants ; le statu de la femme, l’exil, l’interdit…etc. alors nous avons
voulu nous y pencher pour découvrir la vision du monde et les valeurs que l’écrivaine veut
nous transmettre à travers ces thèmes qui posent une polémique universelle.
Tout au long de notre lecture du roman un tas d’interrogations surgit inciter notre
réflexion à enrichir le contenu de notre travaille de recherche :
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Pourquoi cette différence sur les plans idéologiques ?
Par quels biais un personnage affirme-t-il ses options idéologiques ?
Comment le narrateur s’y prend-il pour nous indiquer les valeurs qu’il
privilégie ?
Ces interrogations nous amènent à soulever une question centrale :
Comment un texte peut-il présenter, mettre en scène et hiérarchiser des
valeurs ? Et quelles sont les valeurs cautionnées par le texte ?
Pour tenter de répondre à ces questions, une série d’hypothèses sera déployée:
- Nous pourrions dire que l’œuvre ait mis une différence sur le plan
idéologique pour confronter des univers de valeurs opposés et pouvoir les
comparer afin de convaincre le lecteur de la position du texte.
- Il serait possible de dire que les paroles des personnages, y compris le
monologue intérieur indiquent dans une certaine mesure l’éthique et la
vision du monde de ceux-ci. Autrement dit, les lecteurs connaissent les
centres d’intérêts et les préoccupations des personnages à travers leurs
paroles et leurs pensées.
- Nous pouvons dire que le narrateur, en jugeant explicitement le
comportement des protagonistes, soit valide leur discours ce qui laissera
transparaitre sa position (il cautionne leurs valeurs), soit marque clairement
sa distance et les marque négativement. Il serait aussi possible de dire que
l’émancipation, la liberté, le goût de vivre et le respect vis-à-vis de la
femme soient les valeurs défendues par le narrateur.
Notre travail sera articulé en deux parties fondamentales. Nous commencerons par
une partie intitulée cadre méthodologique et théorique dans la quelle il sera question de
présenter les différents outils critiques et théoriques dont nous allons en avoir
besoin au cours de notre analyse. Il s’agit de l’étude sémiologique des
personnages, de la sémiotique narrative et de poétique des valeurs qui constituent le
noyau de notre travail de recherche.
Quand à la deuxième partie intitulée analyse du roman, elle sera vouée, comme
son nom l’indique, à l’analyse de notre corpus. D’abord, Nous allons essayer, tout au long
de cette partie analytique, de repérer le système de valeur de chacun des personnages
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en étudiant leur être, leur dire et leur faire. Ensuite, en nous appuyant sur les outils
analytiques présentés dans la première partie, nous essayerons de repérer les valeurs
cautionnées et préconisées par le narrateur et de dévoiler son point de vue.
Enfin, nous clôturons notre travail avec une conclusion qui va à son tour exposer
les résultats auxquels nous avons aboutis ; une sorte de récapitulation de tout ce que
nous avons présenté tout au long de notre travail.
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Première partie :
Cadre méthodologique et théorique
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« Le texte est une machine paresseuse qui exige du lecteur un travaille coopératif
acharné pour remplir les espaces de non-dit ou de déjà-dit resté en blanc » 1
Dans cette citation, Umberto Eco définit le texte littéraire comme un tissu d’espaces
blancs, ouvert et interprétable, c’est à dire qu’une partie de son contenu n’est pas
manifestée au plan de l’expression. Ainsi il présuppose un « lecteur model » 2 capable de
décoder et de comprendre le sens du texte en mettant en œuvre le processus de l’analyse.
L’analyse littéraire a pour objectif de mieux comprendre un texte littéraire, de
découvrir comment l’auteur exprime sa pensée, son point de vue et sa vision du monde a
travers le langage. Analyser un texte littéraire consiste à mettre en exergue ce que l’auteur
cherche à nous transmettre en mettant en évidence les procédés qu’il utilise pour dire son
message. Cependant, toute réflexion sur la littérature doit d’abord s’interroger sur la
littérarité du texte, car la littérature est par-dessus tout une affaire de langage et comme
telle, elle constitue la substantifique moelle de toute entreprise d’analyse. Il serrait de ce
fait inimaginable de prétendre initier un travail sur le fond en faisant abstraction de la
forme ou inversement. En rendre compte, par écrit et de manière cohérente et pertinente,
de la compréhension du texte, constitue en somme la synthèse du travail de repérage et
d’interprétation d’éléments techniques qui régissent le texte.
Par ailleurs, tout travail de recherche, qui se veut scientifique, doit impérativement
être mené sous la bannière d’une méthode. Ainsi, afin d’assurer la recevabilité scientifique
de notre travail, nous allons nous appuyer principalement sur l’ouvrage de Vincent Jouve,
poétique des valeurs, qui se fonde à la fois sur les théories de la réception et la sémiotique
narrative pour pouvoir rependre à notre problématique et traiter la question des valeurs
présentes dans « l’interdite » de Malika MOKEDDEM.
1 ECO Umberto, Lector in fibula:le role du lecteur, Paris, seuil, 1998, p. 29. 2 http://www.signosemio.com/eco/cooperation-textuelle.asp (consulté le27 décembre 2017)
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I. La question des valeurs dans l’analyse littéraire
I.1. Qu’est ce qu’une valeur ?
Qu’est ce qu’une valeur ? En posant une telle interrogation, qu’il soit entendu que
nous n’avons pas la prétention d’y apporter une réponse exhaustive surtout que de
nombreux grands chercheurs s’y sont essayés et se sont trouvés avec des définitions et des
avis aussi divers que variés qui nourrissent leurs réflexions. Nous voulons donc seulement
apporter une clarification liminaire qui répondra à la question : que faut-il entendre par
« valeurs » ?
Les valeurs embrassent divers champs de réflexion à savoir : l’éthique, la morale, la
philosophie, la politique, l’axiologie…etc. Dans son ouvrage poétique des valeurs, Vincent
JOUVE atteste qu’ :
« Il est peu de notions plus fuyante et problématique que celle de « valeur ».
Renvoyant au désirable comme à l’estimable, au conventionnel comme au
normatif, le terme, utilisé par les sociologues et les philosophes, par les
politiques et les économistes, est à la croisé de bien des problèmes dont le
moindre n’est pas celui de sa définition. »1
A la lumière de ces propos, nous pouvons dire que la notion de valeur est une
notion qui semble indéfinissable. Si on part des définitions que proposent les dictionnaires,
en laissant de coté les significations techniques qui renvoient seulement à un domaine
donné (maths, économie,…) on reteindra que les valeurs renvoient au domaine de la
morale et de l’éthique. Elles relèvent d’abord du jugement individuel; ce qui vaut pour
chacun d’entre nous, ou ce qu’on juge digne d’estime (pour un aristocrate, la noblesse est
une très haute valeur), mais qui peut aussi être partagées avec un groupe social (la liberté,
l’égalité, l’amour, la justice, l’argent, le gain…par exemple, sont des valeurs dont certaines
sont cautionnés par un très grand groupe de personnes mais sans l’être par un autre). Les
valeurs peuvent aussi représenter les principes et les dogmes (conforment à un idéal) qui
orientent les actions (ce à quoi on se réfère).
1 JOUVE Vincent, Op. Cit., p. 5.
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I.2. valeurs et littérature
Que la littérature soit porteuse d’une vision du monde et de valeurs, ce n’est pas
une révélation. En littérature, la place concédée aux valeurs, notamment sociales, morales,
éthiques…etc., est indéniablement notoire. Certes, l’auteur en parlant du monde en offrant
un ou plusieurs points de vue sur ce dernier, essaye non seulement de partager avec autrui
sa vision du monde mais aussi de transmettre un certain nombre de valeurs ; d’où émane la
question d’influence des œuvres littéraires.
Conscientes que le texte littéraire est porteur de valeurs, les études littéraires ont
consacré, une place sans cesse croissante à la question des valeurs. Ainsi, pour pouvoir s’y
aventurer, Vincent Jouve, tient à préciser qu’il serait crucial, d’emblée, de mettre au jour
des liens entre littérature et valeurs, ces dernies peuvent être abordée selon plusieurs
façons, nous pouvons nous interroger sur les deux points suivant : Les relations entre
valeurs et institutions littéraires ; les relations entre valeurs et textualité.
I.2.1. valeurs/ institutions littéraires
Cette relation peut être étudiée selon deux angles :
1. Comment la littérature pèse-t-elle sur les valeurs sociales ? (les textes
littéraires influencent le social) que ce soit par son contenu ou sa forme,
l’œuvre littéraire est envisagée comme action sur le monde.
2. Comment les valeurs sociales pèsent-elles sur la littérature ? (les valeurs
d’un groupe se retrouvent dans une œuvre littéraire, étant donné que chaque
œuvre obéit à la logique de l’espace social où elle s’inscrit)
I.2.2. valeurs/ textualité
Précisons d’emblée que l’étude des divers échanges entre valeurs et textualité se
situe dans le cadre de l’œuvre. Elle se divise cependant entre deux approches : l’une
génétique (la recherche de l’origine des valeurs inscrites dans le texte) à la faveur d’une
approche d’obédience sociologique (il s’agit de la sociologie du texte, où s’est illustré
Claude DUCHET). L’autre sémiologique s’interrogeant sur « la façon dont le texte peut
présenter, mettre en scène et hiérarchiser des valeurs »1
1 JOUVE Vincent, Op. Cit., p. 7.
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Il va donc sans dire que pour étudier la dimension sociale dans les textes littéraires,
deux démarches se révèlent possibles, soit partir du texte, soit du contexte. Ces différentes
approches ne doivent pas être perçues comme antagonistes, mais plutôt comme
complémentaires. En effet, s’interroger sur la question des valeurs implique un syncrétisme
méthodologique, car s’il est indéniable que les valeurs inscrites dans le texte ne surgissent
pas du néant et qu’elles sont partiellement dépendantes d’un contexte sur lequel elles
exercent quelques actions, il est moins certain qu’elles ne sont pas importées directement
dans le texte, mais se révèlent rigoureusement indissociables des particularités qui
régissent leur « mise en texte ». En d’autres termes, l’étude des valeurs ne se fait qu’en
rapportant le texte à l’hors-texte ce qui implique une analyse qui associe approches :
interne et externe.
Ceci dit, que tout chercheur, en choisissant son objet d’étude, s’incline plutôt à une
analyse de textualisation ou à celle de la contextualisation. Cependant, Vincent JOUVE
tient à préciser que:
« L’analyse sémiologique apparait comme un préalable indispensable a
toute réflexion sur les liens entre littérature et société : avant de se pencher
sur le rapport du texte aux normes sociale, il convient d’examiner quelles
sont les valeurs véhiculées par le texte. »1
Certes, admettre que les valeurs véhiculées par le texte ne se laissent appréhender
qu’à travers les relations qu’elles entretiennent avec les valeurs extérieures au texte,
suppose, d’abord, de repérer les premières d’une manière claire et rigoureuse. C’est donc
dans la perspective sémiologique que JOUVE situe sa réflexion en s’appuyant
essentiellement sur les travaux de sémiotique narrative de Greimas et sur les études
sémiologiques de Philippe HAMON.
D’emblée, Nous tenons à préciser que nous n’étudierons pas les relations qui
existent entre texte et idéologie, mais plutôt nous tenterons de montrer comment le roman
de Malika MOKEDDEM, l’interdite, se fait porteur de valeurs et de déterminer les
éléments dont dispose le récit pour laisser transparaitre ces valeurs.
1 JOUVE Vincent, Op. Cit., p. 8.
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I.3. La construction textuelle des valeurs
Dans son ouvrage, V. JOUVE décrit avec précision comment un texte
construit ses valeurs. Les valeurs d’un texte peuvent provenir des valeurs
préexistantes se référant à des normes sociales, et donc le texte ne fait que les
reprendre, ou des valeurs originales et problématiques créées pour le récit. Dans
les deux cas, les valeurs qui affleurent dans le texte ne peuvent être comprises
qu’en les analysant par rapport aux valeurs extérieures au texte.1
S’interrogeant sur la façon dont le texte se réfère à des normes sociales existantes
Philippe HAMON, montre les relations entre le texte et les valeurs préexistantes en
traitant du processus de l’évaluation du-par-à travers les personnages. Il définit
L’évaluation comme« un acte de mise en relation entre une action et une norme
extratextuelle »2. Evaluer, c’est, selon lui, « établir une comparaison entre un procès et un
programme-étalon doté d’une valeur stable »3. L’évaluation se concentre principalement
sur les aspects fondamentaux du personnage : ses actes et comportements. Etant donné que
ce dernier est définit comme un trompe-l’œil ‘(dans la mesure où il nous donne
l’impression qu’il est tiré directement de la vie réelle), il renvoie, de par ses actions, à des
valeurs externes.
« Le personnage de roman est souvent perçu comme une entité
« naturelle », et de fait il joue un rôle essentiel dans la création de l’illusion
réaliste : en lui donnant un nom, une activité sociale, une psychologie, en le
situant dans l’espace, le temps, l’histoire, le roman tend de faire de lui un
être vivant »4
Philippe HAMON, parlera de quatre domaines d’évaluation, qui témoignent du
rapport qu’entretient le personnage avec les autres et avec le monde : le regard, le langage,
le travail et l’éthique. Ces derniers mettent en œuvre quatre types de savoir, le savoir-voir,
le savoir-dire, le savoir-faire et le savoir-vivre.5
1 JOUVE Vincent, Op. Cit., p. 15. 2 HAMON Philippe, Cf., texte et idéologie, op. cit., pp. 19-22, in poétique des valeurs de JOUVE Vincent. 3 JOUVE Vincent, Op. Cit., p. 19. 4TOURSEL Nadine, VASSEVI7RE Jacques, Littérature : textes théoriques et critiques, éd, Nathan/Sejer, 2004, p.174. 5 JOUVE Vincent, Op. Cit., p. 25.
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Le regard peut nous donner des indications importantes sur les valeurs transmises
au lecteur, il constitue un paramètre inhérent pour le narrateur désireux de faire passer un
certain nombre de valeurs. Le langage est, lui aussi, l’objet d’une codification très précise
sur le plan social1, il est fréquemment utilisé par les auteurs comme moyen d’évaluer les
personnages, il distingue entre ceux qui s’expriment correctement et ceux qui ne
« métrisent pas le code »2. Le travail est, quand à lui, un objet légitime de l’étude dans la
mesure où il rattache l’individu à un groupe au sein de la société. On parlera donc de
plusieurs types de travail qui permettent l’évaluation des personnages : un travail gratifiant
qui valorise le sujet aux yeux de la société, qu’on oppose a un travail dévalorisant ou
dépourvu de toute utilité sociale. Ainsi, le travail révèle tout un system de valeurs (le
désire, l’angoisse, l’amour, le désenchantement….etc.). Enfin, l’éthique, qui est définie
comme la conduite de l’individu sous l’autorité de telle ou telle valeur, constitue, dans le
roman, la relation à autrui qui s’évalue par l’acceptation ou le refus d’un code commun.
Vincent JOUVE atteste que :
« Le roman propose souvent une ligne de partage entre ceux qui respectent
la norme sociale et ceux qui ne la respectent pas, entre ceux qui obéissent à
leur propres valeurs et ceux qui se soumettent à la doxa, entre ceux qui se
réfèrent et ceux qui connaissent pour seule loi leurs propres désirs »3
Le personnage constitue donc le lieu d’ancrage fondamental pour l’établissement
des valeurs. En lisant « l’interdite », nous pouvons constater que Malika MOKKEDDEM a
opté pour des stratégies d’écriture diverses pour présenter et décrire ses personnages. En
fait, tout est signifiant chez ses protagonistes, leur regard, leur attitude, leur parole et même
leur silence « …..Même ton silence est calculé, calibré »4.
«_ comment faut-il interpréter tes silences ?
_Comme des réponses. Comme des défenses. Ouvertes ou fermées, selon. » 5
La romancière a attribué à chacun de ses protagonistes un portrait physique précis,
un nom, un âge et un métier… pour qu’on puisse les distinguer et les évaluer. Si le travail
de médecin permet de marquer Sultana, Yacine et Salah positivement dans le roman, celui
1 JOUVE Vincent, Op. Cit., p. 22. 2 Ibid. 3 Ibid., p. 24. 4 MOKEDDEM Malika, l’interdite, Paris, Grasset & Fasquelle, 2015, p. 49. 5 Ibid., p. 47.
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de trabendiste dévalorise Ali Marbah et le présente comme une personne qui ne respecte
pas les lois en faisant du trafic commercial.
Après avoir vu le processus de l’évaluation qui révèle les domaines dans les quels
les valeurs d’un texte sont le plus repérable, nous allons nous pencher sur ce que Vincent
JOUVE appelle les valeurs locales.
II. Etude des valeurs textuelles
Ce que Vincent JOUVE appelle « points-valeurs », est défini comme « la
manifestation des valeurs au nivaux local »1 c’est-à-dire dans l’univers textuel. Ces valeurs
proposées par le texte sont mises en scène au niveau des personnages qui véhiculent leurs
visions du monde et leurs systèmes de valeurs propres, indépendamment du narrateur qui
peut avoir une vision totalement différente. Etant, non seulement très nombreuses dans un
texte mais aussi différentes, les valeurs locales seront évaluées d’une manière globale afin
de « fonder un system idéologique du texte et permettre de saisir son « message » »2.
II.1. La notion de personnage :
Que toute création romanesque comprend des personnages est une évidence : « La
situation narrative de base comprend le personnage 3». D’une certaine façon Roland
Barthes dira qu’il n’existe pas de roman sans personnage : «Comme il ne peut y avoir
un récit sans narrateur, sans auditeur ou lecteur, on peut bien dire qu’il n’existe pas un
seul récit au monde sans personnage. […] Il n’y a pas de récit sans personnage.»4.
Le personnage est, défini comme une construction de l’auteur, à laquelle sont
attribués des traits appartenant, d’ordinaire à une personne réelle. C’est donc un être de
fiction anthropomorphe jouant un rôle important dans la création de l’illusion d’un univers
réel : « Le personnage est […] doté des caractéristiques d’une personne réelle : état civil,
milieu social déterminé, fonction sociale, traits de caractère. »5
Jouant un rôle essentiel dans l’organisation et le déroulement de l’histoire, cet être
de papier (créé dans le cadre de la fiction), a toujours suscité l’intérêt des chercheurs.
1 JOUVE Vincent, Op. Cit., p.35. 2 Ibid. 3 Grivel, production de l’intérêt romanesque, p. 111. in, Littérature : textes théoriques et critiques, TOURSEL Nadine, VASSEVI7RE Jacques, Op. Cit., p.174. 4 BARTHES Roland, Introduction à l’analyse structurale des récits, Paris, Seuil, 1966, pp. 7-8. 5 ETRESTEIN Claude, la littérature française de A à Z, Halier, 2006, p. 37.
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Beaucoup d’études ont été faites, sur le concept de personnage, d’une volonté de
s’interroger sur le sens et la valeur de ces figures romanesques.
L’objet de notre étude porte sur l’analyse des personnages dans l’interdite de
M.MOKEDDEM, dans le but de comprendre comment véhiculent-ils un système de
valeurs précis. Ainsi, nous allons nous intéresser primordialement au portrait de ces
constructions fictionnelles, étudier l’objet de leur quête et analyser leurs paroles et
comportements afin de montrer comment le texte laisse transparaitre des valeurs à travers
ses personnages.
Pour ce faire, nous allons nous appuyer essentiellement sur les travaux de Greimas
proposant une étude sémiotique des personnages (cruciale pour l’analyse des actions), ainsi
que sur ceux de Philippe HAMON qui opte plutôt pour une étude sémiologique du
personnage.
II.2. Les personnages : modèle sémiologique
Tâchant de ne pas réduire le personnage à son « faire » (c’est ce que fait la
sémiotique narrative), l’étude sémiologique qui doit ses lettres de noblesse à Philippe
HAMON, prend aussi en compte le portrait du personnage. HAMON propose d’étudier le
personnage en le considérant comme un signe linguistique. Il le définit comme une
construction mentale que le lecteur établit à partir d’un ensemble de signifiants épars dans
le texte : l’âge, le sexe, les traits physiques, les conditions sociales, les aptitudes
intellectuelles…etc., et propose de l’étudier selon trois axes importants à savoir : l’être, le
faire et l’importance hiérarchique.
2.1. L’être du personnage : (le degré descriptif)
L’être du personnage est l’ensemble des caractéristiques qui permettent de définir son
portrait : le nom, le corps, l’habit, l’âge, la psychologie, la biographie. Selon Ph. Hamon :
le personnage est définit comme : « le résultat d’un faire passé » ou « un état permettant
un faire ultérieur ».1
Ainsi, nous pouvons constater qu’il n’est pas facile de séparer le portrait du
personnage des autres aspects qui le représentent : ses faits et gestes ainsi que son rapport
avec la morale.
1 HAMON Philippe, texte et idéologie, Paris, PUF, 1984, p. 105.
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Le nom : est très important dans la construction de l’être du personnage. Il permet
de l’identifier et de le distinguer des autres. Pour HAMON : « étudier un
personnage c’est pouvoir le nommer. […] lire c’est pouvoir fixer son attention sur
et sa mémoire des points stables du texte, les noms propres »1.
De par son éventuelle portée symbolique, le nom se présente comme un moyen
d’évaluation efficace qui peut induire des jugements dépréciatifs ou valorisants.
Le portrait : est la somme des signes qui caractérisent le personnage, il englobe
quatre domaines privilégiés :
a. Le corps : désigne l’ensemble des caractéristiques physiques propres au
personnage. Caractérisant le personnage, il participe automatiquement à
son évaluation (le présenter positivement ou négativement).
b. L’habit : renvoie, entre autre, à l’appartenance sociale. Il est choisi en
fonction du caractère de chaque personnage.
Citons à titre d’exemple l’habillement d’Ali Marbah (trabendiste-chauffeur
de taxi) décrit par Sultana :
« Sa veste est sale et déchirée »2. « …La même veste déchirée sur son dos.
La même haine qui tord son visage et torture ses tics »3
Dans cette description, l’état lamentable des habits du personnage renvoie à
son caractère antipathique et à sa classe sociale (trabendiste-chauffeur de
taxi)
c. La psychologie : c’est le lien du personnage au pouvoir, au savoir, au
vouloir et au devoir qui donne l’illusion d’une « vie intérieure »4
d. la biographie : ou le portrait biographique est tout ce qui concerne le
passé du personnage.
2.2. Le faire du personnage :
Le faire du personnage désigne l’ensemble des actions menées par le personnage,
ses fonctions et ses rôles effectifs dans le récit. L’étude des actions s’appuis sur les acquis
de la sémiotique narrative (le model greimacien).
1 HAMON Philippe, pour un statut sémiologique du personnage, in poétique, Paris, édition du seuil, 1979, p.128. 2 MOKEDDEM Malika, Op. Cit., p. 19. 3 Ibid., p. 120. 4 JOUVE Vincent, la poétique du roman, paris, Armand Colin, « campus »2001, p.58.
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2.3. l’importance hiérarchique :
Consiste à classifier les personnages en fonction de leur importance dans le récit.
Ainsi, elle permet de distinguer trois types de personnage :
Le personnage principal : ou le héros est le personnage qui occupe une place
essentiel dans l’intrigue, et auquel est consacré le plus long portrait.
Le personnage secondaire : personnage dont les apparitions sont épisodiques.
Et qui a un rôle actif dans le récit.
Le personnage figurant : n’a aucune influence sur le cours de l’histoire.
Maintenant que nous avons vu comment on peut dresser le portait des personnages,
nous allons nous attarder sur leurs « dire » et « faire » afin d’en déceler les valeurs
préconisées par chacun.
II.3. pensées et paroles du personnage : les valeurs exprimées
Au niveau local du récit, les différentes valeurs se laissent transparaitre à travers les
personnages, et plus particulièrement, à travers ce qu’ils pensent, ce qu’ils disent et ce
qu’ils font (la pensée, la parole et les actions sont des vecteurs de valeurs). Cependant, nul
récit, vu sa nature verbale, ne peut représenter les pensées de ses personnages autrement
que par les mots. A ce sujet G. GENETTE note que :
« Le récit ramène toujours les pensées soit à des discours, soit à des
événements ; il ne fait pas place à un troisième terme, et […] ce
manque de nuances […] tient à sa propre nature verbale »1
L’analyse de la pensée et de la parole peut nous renseigner sur la vision individuelle
et les valeurs défendues par les protagonistes du récit. Certes, Toute prise de parole révèle
un certain nombre de choix, qui témoignent à leur tour des préférences des personnages, de
leur idéologie et de leurs valeurs. C’est donc dire que l’étude de ce que pensent ou disent
les personnages est aussi importante que celle de ce qu’ils font. Cette analyse de ce que
Vincent JOUVE appelle « l’effet-sujet »2 du discours présuppose une étude sur trois
plans différents: le plan sémantique, syntaxique et pragmatique.
II.3.1.Le plan sémantique
1 G. Genette, Nouveau Discours du récit, Paris, Le Seuil, coll. « Poétique », 1983, p. 2 JOUVE Vincent, la poétique du roman, Op. Cit., p.74.
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Sur le plan sémantique, le personnage exprime ses valeurs à travers le processus de
la sélection. Autrement dit, le choix des thèmes, du registre de langue, des expressions
évaluatives (entre autre) témoigne de préoccupation et donc des valeurs. Cette sélection est
purement subjective.
En tant que réalisation individuelle, l’énonciation se définit, par rapport à la langue,
comme un procès d’appropriation (la mise en fonctionnement de la langue par un acte
individuel). La subjectivité dont on parle ici apparaît dans la capacité du locuteur, usant du
réservoir de la langue, à choisir un lexique bien définit et à le hiérarchiser pour construire
son énoncé et faire passer son message. Selon Vincent JOUVE :
« La subjectivité d’un discours transparait d’abord dans ce qu’il choisit de
dire, autrement dit dans son contenu qui témoigne de centres d’intérêt et des
préoccupation qui ne sont jamais neutres. »1.
Ainsi, l’étude du contenu des propos des locuteurs paraît légitime, dans la mesure
où elle révèle les valeurs défendues par chaque personnage.
Le choix des thèmes qui témoigne et permet le repérage de la dimension subjective
du discours, peut, en outre, rendre comte des préférences et de l’idéologie du locuteur, et
donc de conduire à des univers de valeurs : « Choisir de parler de tel sujet plutôt que
de tel autre témoigne de préférences qui, nécessairement, renvoient à des valeurs »2.
Le registre de langue relève également de la sélection et donc de la subjectivité du
personnage : « la dimension subjective se repère, également dans le choix des thèmes, le
registre de langue, les images et les expressions évaluatives.»3. Le choix du registre
renseigne sur les personnages, leur relation à autrui et sur les valeurs véhiculées par
chacun. En fait, chaque registre confère à la personne qui l’empreinte une caractéristique
particulière, Vincent JOUVE affirme que :
1 JOUVE Vincent, poétique des valeurs, Op. Cit., p.37. 2 Ibid. 3 Ibid.
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« En choisissant de s’exprimer au niveau argotique, populaire, familier,
médian, soutenu ou oratoire, un personnage nous renseigne sur la nature de
son rapport au monde et aux autres. »1
Opter, par exemple, pour un niveau plutôt « soutenu » indique le statut intellectuel
du personnage. Le registre familier a, quand à lui, plusieurs significations, il renseigne sur
le statut du personnage et sur sa relation avec les autres. Le choix du registre engendre
forcément un choix du lexique, dévoilant, là encore, une vision du monde et les valeurs qui
la fondent.
II.3.2. Le plan syntaxique
L’analyse syntaxique consiste à étudier la façon dont le locuteur use pour structurer
son discours. Si on a parlé de « sélection » (révélant les préférences) au niveau sémantique,
on parlera, ici, de la « combinaison » des propos, qui peut nous renseigner sur la visée et
l’intention des protagonistes du récit. Chaque personnage construit son discours en
fonction d’un effet recherché. Le but de l’analyse syntaxique est d’exposer cet effet ainsi
que l’intention des personnages en s’interrogeant sur les diverses façons dont ils usent pour
organiser leurs discours. Selon V.JOUVE, deux modes d’organisation de discours se
mettent en exergue à savoir : la micro-organisation (concernant l’enchainement juxtaposé
ou logique des propos des personnages) et la macro-organisation qui structure l’ensemble
du discours.2
1. La micro-organisation s’inscrit entre deux modes de construction de discours
opposées, il s’agit de :
a. La parataxe : désigne une juxtaposition de propositions sans hiérarchisation ni
relation explicite (aucun mot de liaison n’est matérialisé entre les éléments). Témoignant
de la spontanéité du discours, cet aspect décousu de l’écriture, dénote non seulement une
autorité des émotions mais aussi une vision du monde éclatée, plutôt affective que
rationnelle. A vrai dire, Ce passage, sans transition, d’une idée à l’autre n’indique en rien
le sens qui relie les différentes propositions, c’est au lecteur de construire ce sens à partir
des éléments que propose l’auteur avec une pseudo-objectivité :
1 JOUVE Vincent, poétique des valeurs, Op. Cit., pp. 39-40. 2 Ibid., p.52.
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« Ce mode d’écriture produit un effet analogue à celui que donne la
technique pointilliste en peinture […], comme pour indiquer que le peintre
n’a pas épuisé son sujet et que le lecteur peut étendre la matière »1
Ce type d’écriture fragmenté, (ou la relation entre les éléments se laisse appréhender par le
lecteur) propose une valeur connotative et démontre ainsi le pouvoir implicite de telles
phrases.
b. L’Hypotaxe : par contre, est une figure de construction qui marque l’abondance
des liens de subordination dans une même phrase ou dans plusieurs phrases consécutives.2
Montrant une ordonnance logique des idées, elle désigne une articulation logique du
discours, et construit, sous la direction d’une logique et d’une argumentation, une vision du
monde cohérente et rationnelle. Selon ce style d’écriture, la parole du personnage est mise
à la disposition du lecteur comme un ensemble cohérent et orienté.
2. La macro-organisation s’intéresse, quand à elle, à la structure qui régit
l’ensemble du discours. Le discours s’organise à partir de deux types de modèle à savoir :
le modèle narratif qui constitue un agencement cohérant des faits et des actions. Ou
argumentatif (se fondant sur le raisonnement et la logique des arguments, ce model incarne
une intention, celle d’appeler la réflexion du lecteur).
II.3.3. Le plan pragmatique
A coté de l’analyse sémantique qui, rappelons le, concerne ce dont on parle et
l’étude syntaxique qui traite les relations entre les propositions, s’ajoute la dimension
pragmatique qui s’affirme cruciale dans l’appréhension du langage.
Envisageant le langage comme un phénomène discursif, l’analyse pragmatique se
concentre sur la stratégie que le locuteur empreinte, en fonction de son allocutaire, afin de
le persuader. Autrement dit, c’est à travers le choix de son destinataire, que le sujet révèle
ses valeurs et met en place ses stratégies. De sa part, Vincent JOUVE, précise que la figure
de l’allocutaire pourrait paraitre selon différents aspects : soit le personnage s’adresse à un
autre (cela peut être un autre personnage, ou dieu dans le cas de JJ.ROUSSEAU dans son
1 FROMILHAGUE Catherine, SANCIER-CHATEAU Anne, Introduction à l’analyse stylistique, Paris, Armand Colin, 2013, pp. 175-176. 2 www.etude-litteraires.com (consulté le 08/02/2018)
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autobiographie « les confessions »,…..etc.), soit il s’adresse à lui-même. Dans les deux cas
le choix du destinataire donne une idée assez précise de l’univers intérieur du personnage :
« Si, d’une façon générale, la figure du destinataire est facile à identifier
dans un dialogue ou un débat, l’étude de l’allocutaire se révèle
particulièrement intéressante à mener dans les monologues ou les discours
intérieurs. D’une part, il est révélateur lorsque le personnage s’adresse à
lui-même, de savoir comment il se perçoit ; d’autre part, il apparaît souvent
qu’au-delà de lui-même, il vise un autre destinataire (Dieu, la Moral,
l’Idéal, la Transcendance, etc. »1
Maintenant que nous avons vu l’importance de l’allocutaire, nous allons nous pencher
sur la stratégie adoptée par le locuteur à son égard. Dans ce cadre, la rhétorique
traditionnelle a mis à notre disposition trois concepts de persuasion : le logos, le pathos et
l’éthos.
Le logos : désigne la persuasion par le raisonnement logique. Il s’agit d’une
argumentation fondée sur la logique qui vise la raison du destinataire, assurant la
clarté de l’énoncé.
Le pathos : faisant appel aux émotions, ce mode vise à persuader le destinataire en
sollicitant la sympathie et en jouant sur l’émotif. Pour s’y faire, il exige un
allocutaire qui s’émeut aisément « le pathos valorise l’affectivité et suppose un
destinataire sensible et émotif.»2
L’éthos : consiste à faire bonne impression et à donner une image de soi capable de
convaincre. C’est grâce à l’éthos du locuteur que son discours se transmet plus
facilement. « on croit ainsi d’autant plus facilement à un discours qu’on a
confiance en celui qui le tient »3.
En fait, Chaque personnage tâchant de gagner la confiance de son interlocuteur, fait
recours à un discours aussi stratégique qu’idéologique ainsi il révèle une partie bien précise
de son univers de croyances.
Après avoir vu comment la parole et la pensée laissent transparaitre les valeurs que
véhiculent les personnages, nous nous intéresserons désormais aux actions.
1 JOUVE Vincent, Poétique des valeurs, Op. Cit., p. 59. 2 Ibid., p. 62. 3 Ibid., p. 64.
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28
II.4. les personnages selon le modèle sémiotique : Les valeurs manifestées
Selon le modèle sémiotique « le personnage est étudié à travers son « faire »,
comme un acteur remplissant une fonction et suivant un programme narratif »1. En fait, la
notion de personnage, en sémiotique narrative, n’existe pas. On propose plutôt trois
concepts importants (remplaçant la notion de personnage) :
L’acteur : ou l’exécutant, est défini comme l’instance qui assume les rôles
et accomplie les actions indispensables au récit.
L’actant : (ou rôle actantiel) est quand à lui, défini comme le rôle pris en
charge par l’acteur.
Le rôle thématique : il renvoie au sens et aux valeurs que véhiculent les
personnages afin de les identifier.
En s’appuyant essentiellement sur les travaux d’A.J.Greimas qui se fondent sur
l’analyse sémiotique des personnages, Vincent JOUVE précise que « le faire » du
personnage constitue un élément révélateur qui laisse transparaître les valeurs. Selon
Greimas, la valeur se définit comme le critère qui détermine le choix de l’objet et anime la
conduite du personnage, il démontre :
« Qu’est ce qui fait courir ces sujets après les objets ? C’est que les
valeurs investies dans les objets sont « désirables » ; qu’est-ce qui fait
que certains sujet sont plus désireux, plus capable d’obtenir des objets de
valeur que d’autres ? C’est qu’il sont plus « compétents » que
d’autres.»2
Ainsi, à la lumière de ce qui vient d’être dit, c’est par ce qu’il choisit comme objet
que le personnage affiche ses valeurs. En effet, choisir tel ou tel objet pourrait nous
dévoiler les centres d’intérêts et les préférences de chaque personnage, ainsi nous pourrons
distinguer entre, par exemple, personnages intéressés et désintéressés, mystiques et
matérialistes, altruiste et égoïste etc.3
Etudier les valeurs qui se manifestent au niveau des actions, nécessite
primordialement une mise en exergue du parcours narratif de chacun des personnages et du
1 JOUVE Vincent, la poétique du roman, Op. Cit., p. 45. 2 JOUVE Vincent, Poétique des valeurs, Op. Cit., p. 66. 3 Ibid., p. 67.
-
29
« programme narratif » (PN) qui l’organise. Ce dernier permet d’appréhender la logique
qui se cache derrière les comportements des acteurs. Le PN est selon Greimas une
séquence qui se compose de quatre phases importantes : manipulation, compétence,
performance, et sanction.
II.4.1. La manipulation
La manipulation, selon V.JOUVE, est définit comme l’action d’un destinateur sur
le sujet de la quête visant à lui faire exécuter un programme donné. Elle est donc la phase
ou sont fixées les valeurs.1 S’interroger sur la manipulation, permet de nous renseigner sur
les éléments qui motivent le personnage, et sur ce qui le fait agir. Pour tenir compte de ces
éléments, il faut donc relever dans le texte tous les indices qui renvoient au vouloir et au
devoir (des protagonistes du récit) que V.JOUVE trouve plus légitime de les placer au
niveau de l’analyse de la manipulation :
« Je suis ici les propositions de L. Korthals-Altes qui, s’écartant de
l’orthodoxie greimasienne, place vouloir et devoir dans l’analyse de la
manipulation et non dans celle de la compétence, ces deux modalités se
rapportant, de façon évidente, à « l’instauration du sujet ». »2
Vincent JOUVE explique que le vouloir et le devoir sont d’une très grande
importance dans l’analyse de la manipulation :
« Le vouloir renseigne sur le désir du sujet, le devoir sur les principes ou
obligation qui pèsent sur lui_ autant d’éléments qui éclairent de façon
décisive le sens de la quête entreprise »3
Ainsi, nous pouvons dire que le vouloir fait référence au désir qui pousse le sujet
vers l’objet. Alors que le devoir renseigne sur ce qui est imposé de l’extérieur. « Aux sujets
n’obéissant qu’à leurs propres lois s’opposent ainsi les sujets obéissant à des normes
extérieures »4
Outre, l’analyse de la manipulation prête une attention primordiale au destinateur ;
on se pose des questions sur l’instance qui décide du vouloir et du devoir de chaque
1 JOUVE Vincent, poétique des valeurs, Op. Cit., p. 67. 2 Ibid., note 3. 3 Ibid., p.68. 4 Ibid.
-
30
protagoniste. Ainsi, en partant de la distinction vouloir/ devoir, on arrive à distinguer deux
types de destinateur à savoir : le destinateur interne (motivation intérieur au sujet relevant
du désir) et le destinateur externe (les autres personnages qui influencent le sujet)1.
Quand aux personnages, dans son ouvrage Récit et actions, Bertrand GERVAIS,
précise qu’ils se présentent comme les représentants de l’action. Il propose l’appellation
d’agent au lieu de celle de personnage et dresse pour chaque personnage ce qu’il appelle
un « portrait intentionnel » qui comprend six éléments : agent, action, motif (le but de
l’action), mobile (les raisons qui font agir), statut (la fonction de l’agent) et rôle (les
actions liées au statut), dont Les quatre derniers sont particulièrement des déterminants des
valeurs. Alors que la distinction motif /mobile permet de distinguer entre valeurs
intrinsèques et valeurs extrinsèques2, celle de statut et rôle permet de faire un lien entre les
valeurs défendues par les personnages et la place qu’ils occupent dans la société.3
II.4.2. La compétence et la performance
La compétence est définit selon JOUVE comme La phase d’acquisition par le sujet
du /pouvoir-faire/ et du /savoir-faire/ nécessaires à l’action4. En l’analysant par rapport à la
performance (réalisation concrète du pouvoir et du savoir), elle permet de juger de la
valeur des acteurs. V.JOUVE témoigne qu’il existe deux types de personnages : ceux qui
savent faire et qu’il qualifie de positifs, et ceux dits incompétents et qui sont perçues
comme des contre-modèles5.
La performance (accomplissement de l’action) quand à elle, renvoie aux actes et
comportements des personnages : le regard, le travail, le langage et les relations sociales.
(Expliqués plus haut)
II.4.3. La sanction
La sanction constitue, en somme, la phase finale ou s’évaluent les actions, ainsi elle
se révèle une étape inhérente pour la manifestation des valeurs. Selon V.JOUVE :
« La sanction permet de comparer les valeurs réalisées avec celles définies
lors de la manipulation, de voir comment et par qui est jugée l’action
1 JOUVE Vincent, poétique des valeurs, Op. Cit., p.69. 2 Ibid., p. 72. 3 Ibid., p.74. 4 Ibid., p.76. 5 Ibid.
-
31
du sujet-opérateur. Son rôle essentiel est cependant de mettre en évidence la
valeur du PN : était-il ou non judicieux ? Ses résultats sont-ils
convaincants?»1
La sanction, permet donc d’établir une comparaison entre les valeurs fixées par
les destinateurs (la manipulation) et celles qui ont été réellement réalisées au niveau de la
performance. Ainsi, le parcours des personnages à la fin du roman peut être couronné par
l’échec (quand la performance du personnage le trahi) ou par la réussite (quand à la fin, le
personnage atteint ses buts). Cependant, l’échec ne représente pas forcément un aspect
négatif ; un acteur compétent peut échouer à la fin de son parcours (sa quête) tout en
laissant une bonne impression de lui. V.JOUVE montre que :
« La réussite du héros n’est cependant pas indispensable ; il peut
échouer tout en ayant raison (par ce que le monde est mal fait, par
exemple). Les figures héroïques de l’échec sont légion dans la
littérature. […] L’échec ponctuel n’est pas nécessairement le signe d’une
défaite absolue ; mais il est parfois la condition d’une victoire future »2
Voici un schéma3 récapitulatif représentant le programme narratif selon
Greimas :
1 2
Manipulation Compétence
Programme narratif
3 4
Performance Sanction
1JOUVE Vincent, poétique des valeurs, Op. Cit., p. 83. 2 Ibid., p.86. 3 JOUVE Vincent, la poétique du roman, Op. Cit., p. 55.
Transmission du vouloir-faire et du devoir-faire à l’origine de l’action
Acquisition du pouvoir-faire et du savoir-faire nécessaires à l’action
Accomplissement
de l’action Clôture de l’action :
évaluation et interprétation
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32
En fait, le faire des personnages est étroitement lié à l’être. Si dans l’interdite, le
lecteur peut prévoir le faire de ces entités fictionnelles, c’est essentiellement à travers le
passé, le psychique, les monologues intérieurs ou les discours que ces derniers font entre
eux. Le choix de Sultana de sacrifier son bonheur individuel et de venir en aide à toutes ces
femmes algériennes méprisées (bien qu’elle vive en France) s’explique par son passé
douloureux (son portrait biographique : son enfance) et son désir de se venger de ces
mêmes hommes intégristes qui ont été à l’origine de son malheur.
III. l’idéologie du texte : la valeur des valeurs
D’après Philippe Hamon, l’idéologie est cette mise en texte inconsciente d’un
system de croyances, de pensés et de valeurs. « L’idéologie est […] ce qui imprègne le
texte à son insu »1. S’interroger sur l’intention de l’auteur qui se cache à l’insu de l’œuvre
exige, de la part du lecteur, un travail d’identification et de hiérarchisation des valeurs dont
le récit se réclame.
En effet, tout texte fait état de systèmes de valeurs indépendants, différents voire
contradictoires. Pour repérer l’idéologie d’un texte, il est donc primordial d’étudier les
systèmes axiologiques mis en place et d’examiner comment sont organisées les valeurs
locales :
« Ce n’est, en effet, que dans la mesure où elles font système, où elles
s’organisent selon une échelle ou une hiérarchie, que les valeurs renvoient
à une idéologie. le local ne prend sens que par rapport au global : force
est d’en tenir compte pour mettre au jour la position idéologique qui,
in fine, se dégage du texte »2
Ainsi nous pouvons dire que l’organisation des valeurs peut nous révéler l’intention
ainsi que l’idéologie qui se dissimulent derrière l’œuvre. Cependant, Il serait crucial de
s’interroger sur l’instance responsable de cette organisation et qui met en scène les
différents jugements permettant la lecture et le repérage de l’idéologie. Autrement dit,
l’autorité qui prend en charge le récit et décide de la valeur des valeurs.
1 JOUVE Vincent, Poétique des valeurs, Op. Cit., p.11. 2 Ibid., p.89.
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33
IV. l’autorité du texte
Aborder la question de l’autorité narrative, c’est tenter de répondre à la question
« qui raconte ? ». A priori, l’autorité du texte est l’instance qui organise l’information
narrative au sein du texte, autrement dit celui qui raconte l’histoire : le narrateur. Cette
autorité renvoie à ce qu’on appelle théoriquement « l’auteur impliqué », expression que
G.GENETTE trouve, pour reprendre les mêmes termes que JOUVE, inutilement
encombrante (futile); Il estime que cette instance peut designer l’auteur lui-même, ou bien
le narrateur. Cependant, Si le narrateur est généralement considéré comme l’instance qui
régit le récit, on pourrait remarquer qu’il existe bien des cas où le narrateur est lui-même
soumis à une autorité textuelle supérieure, V.JOUVE distingue deux cas à savoir : les récits
racontés à la première personne (où le narrateur devient un personnage et donc suppose
une instance supérieure qui l’évalue), et ceux racontés à la troisième personne où le
narrateur est peu fiable (narrateur naïf comme celui de Candide). L’auteur impliqué (ou
implicite) est ainsi défini par W. BOOTH :
« Même un roman dans le quel aucun narrateur n’est représenté
suggère l’image implicite d’un auteur caché dans les coulisses, en qualité
de metteur en scène, de montreur de marionnettes. […] cet auteur implicite
est toujours différent de « l’homme réel »_ quoi que l’on imagine de lui_ et
il crée, en même temps que son œuvre, une version supérieure de lui-
même »1
Pour JOUVE la notion d’autorité représente la « figure responsable de l’ensemble
du texte »2 et donc, la voix qui fait autorité, peut importe qu’elle soit le fait du narrateur ou
de l’auteur « impliqué » :
« L’important est qu’il y a dans tout texte, coiffant les autres, une voix qui
fait autorité. Cette voix est, selon les cas, celle du narrateur ou celle de
l’auteur impliqué, mais c’est par rapport à elle que fonctionne l’ensemble
du système. »3
1 W.C.BOOTH, Distance et point de vue, op. cit., pp.92-93.disponible sur le site https://books.google.dz/books?isbn=2870374674 (consulté le 20/02/2018). 2 JOUVE Vincent, Poétique des valeurs, Op. Cit., p. 90. 3 Ibid., p. 91.
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Dans son ouvrage, le roman à thèse, Susan SULEIMAN montre comment le
narrateur représente l’idéologie du texte (voix responsable de l’idiologie du texte). Elle
explique:
« Dans la mesure où le narrateur se pose comme source de l’histoire qu’il
raconte, il fait figure non seulement d’ « auteur » mais aussi d’autorité.
Puisque c’est sa voix qui nous informe des actions des personnages et des
circonstances où celle-ci ont lieu, […] il en résulte un effet de glissement
qui fait que nous acceptons comme « vrais » non seulement ce que le
narrateur nous dit […], mais aussi tout ce qu’il énonce comme jugement et
comme interprétation. Le narrateur devient ainsi non seulement source de
l’histoire mais aussi interprète ultime du sens de celle-ci. »1
Outre son rôle narratif, le narrateur peut assumer plusieurs fonctions pour
s’exprimer. Ces fonctions exposent le degré d’intervention (implication) du narrateur dans
son récit, autrement dit, le narrateur peut juger, organiser son texte ou cautionner les
univers axiologiques des personnages, par le biais de ce que GENETTE appelle: la
fonction idéologique, la fonction de régie et la fonction évaluative.
IV.1. la fonction idéologique :
La fonction idéologique se laisse voir quand le narrateur interrompt son histoire
pour émettre des jugements sur la société ou les hommes à partir d’un savoir général
dépassant le cadre du récit. A la lecture du récit, le lecteur remarque des jugements
explicites souvent sous forme de maximes intemporelles. Ces maximes se signalent par le
recours au présent gnomique, et sert à rendre compte de la vision du monde et des valeurs
défendues par le narrateur. Selon Vincent JOUVE, elles représentent des vérités générales
valables au-delà de l’univers textuel2, relevant de ce que BARTHES appelle « les codes de
référence » :
« Par ces jugements au présent, dont la porté dépasse le cadre du récit, le
narrateur indique sans ambiguïté sa vision des choses »3
1 SULEIMAN Susan, le roman à thèse, Op. Cit., p.90., in poétique des valeurs de Vincent JOUVE, p.92. 2 JOUVE Vincent, Poétique des valeurs, Op. Cit., p. 93. 3 Ibid.
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En lisant l’interdite, le lecteur remarque que le narrateur mokeddemien a un goût
particulier pour la fonction idéologique. Il s’amuse à interrompre son histoire en portant
des jugements sur tel ou tel problème social ou sur tel ou tel aspect psychologique, à fin de
faire part à son lecteur de son point de vue. Voici un passage où la narratrice témoigne de
l’actualité tragique de l’Algérie :
« […] L’Algérie archaïque avec son mensonge de modernité éventé ;
l’Algérie hypocrite qui ne dupe plus personne, qui voudrait se construire
une vertu de façade en faisant endosser toutes ses bévues, toutes ses erreurs
à une hypothétique « main de l’étranger » ; l’Algérie de l’absurde, ses auto-
mutilations et sa schizophrénie ; l’Algérie qui chaque jour se suicide […] »1
A coté des jugements, le recours à des expressions indirectes du genre
« connaissant… », « Il comprit que » (ex : il comprit que l’habit ne faisait pas le moine),
peut également être aussi efficace que les maximes pour faire des affirmations qui les
suivent et que le narrateur exprime, des évidences. O.DUCROT atteste que :
« Ce que le locuteur fait semblant de supposer, c’est que l’auditeur, même
s’il les ignore auparavant, acceptera d’emblée les présupposés, qu’il ne les
mettra pas en question, qu’il les admettra sans contestation »2
IV.2. la fonction de régie
Aussi importante que la première, elle désigne la façon dont le narrateur organise
son récrit. Cherchant la recevabilité de son message, le narrateur fait recours à ce qu’on
appelle la redondance, répétition et insistance qui sont en mesure d’assurer la
compréhension du récit « Plus une information est répétée, plus elle a de chances d’être
reçue »3. Ainsi, la redondance est perçue comme un élément efficace dans la perception et
la lisibilité de l’énoncé. Cependant, Susan SULEIMAN, partant du constat que chaque
texte comprend une histoire et un récit, a mis en évidence trois types de redondances : au
niveau de l’histoire, au niveau du récit et entre le niveau de l’histoire et le niveau du récit.
1 MOKEDDEM Malika, l’interdite, Op. Cit., p. 81. 2 Cité par S.SULEIMAN, in le roman à thèse, Op. Cit., p. 94. in poétique des valeurs de Vincent Jouve, p. 94. 3 JOUVE Vincent, Poétique des valeurs, Op. Cit., p. 95.
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Pour plus de clarté, nous tenons à présenter ce schéma1 qui présente les matériaux
fondamentaux du texte narratif, permettant de déceler les niveaux et les modes de
redondance :
Texte Narratif
Niveau de l’histoire Niveau du récit
Personnages/ contexte/ événement Narrateur
Voix/ focalisation/ temps
Au niveau de l’histoire, la redondance qui se manifeste au niveau du contexte peut
nous donner une idée assez précise sur les personnages, sur leur perception des choses et
sur leur centre d’intérêt (le lieu est une caractérisation indirecte du personnage). Il est à
noter aussi que le même contexte produit les mêmes évènements2, dans le roman Madame
Bovary (par exemple), on peut constater que les jours qui se répètent de manière identique
de la vie de province engendrent le même ennui et la même routine. De ce constat, nous
pouvons dire que la redondance manifestée au niveau de l’histoire contribue à la mise en
évidence d’un message précis. Quand à la redondance des jugements et des commentaires
émis par le narrateur (redondance entre le niveau de l’histoire et le niveau du récit) sur les
principaux constituants de l’histoire (personnage, contexte, évènement), elle permet de
dégager un certain nombre de valeurs véhiculées par les personnages ou cautionnées par le
narrateur. JOUVE, en s’appuyant sur les travaux de S.SULEIMAN atteste que :
« Le degré de redondance est fonction du nombre de fois qu’une
interprétation est énoncée, du nombre de voix différentes qui l’énoncent et
du nombre des niveaux entre lesquels jouent les redondances. Pour dégager
la hiérarchie des valeurs proposées par le récit, on doit donc examiner
1Version simplifiée, de celui de S.SULEIMAN dans le roman à thèse, op. cit., p.194, par Vincent JOUVE. in Poétique des valeurs, Op. Cit., p.95. 2 JOUVE Vincent, Poétique des valeurs, op. cit., p. 96.
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combien de fois une interprétation est énoncée, qui l’énonce et si
l’énonciation se situe au niveau des personnages ou à celui du narrateur. »1
De ces quelques ligne, il découle que la récurrence est un instrument
particulièrement efficace dans le repérage et l’appréhension des valeurs. Ainsi, l’univers
axiologique du narrateur transparaît dans les redondances qu’il met en œuvre.
IV.3. la fonction modalisante
La fonction modalisante dite aussi évaluative renseigne sur la façon dont le
narrateur appréhende son récit. Elle manifeste les jugements que le narrateur porte sur les
personnages qui se présentent comme des vecteurs de valeurs. Durant la lecture, nous
pouvons remarquer que le statut des personnages, qu’il soit positif ou négatif, peut être
modifié au cours de l’histoire. Autrement dit, si un personnage peut apparaître, au début de
l’histoire, comme une figure positive, il peut par la suite renvoyer à des comportements
plutôt passifs ou négatifs et vice versa.
Cette fonction consiste à prêter une attention particulière au personnage en le
considérant comme porte-parole de l’autorité textuelle. Cependant, ce ne sont pas tous les
personnages qui peuvent assurer la fonction de porte-parole, Susan SULEIMAN note
que :
« Certains personnages « ont toujours raison »_ leurs commentaires
(prévisions, analyses, jugement) sont toujours confirmés par les
évènements. Un tel personnage fonctionne comme interprète véridique,
voire comme porte-parole des valeurs de l’œuvre. Une fois qu’un tel
personnage est constitué tous ses commentaires tendront à fonctionner
comme des commentaires « autorisé » »2
Ainsi, seuls, certains personnages peuvent fonctionner comme des porte-parole de
par leur raisonnement toujours approuvé par le narrateur et confirmé par les événements.
Précisons d’emblée, que chaque narrateur, en présentant ses personnages, émet des
jugements évaluatifs, soit pour mettre en valeur tel ou tel personnage, soit pour le
dévaloriser et en faire un contre-modèle. Pour s’y prendre, le narrateur fait appel à certains
1 JOUVE Vincent, poétique des valeurs, Op. Cit., note 1, p.101. 2 S.SULEIMAN, le roman à thèse, Op. Cit. , pp. 201-202. in poétique des valeurs de Vincent JOUVE, Op. Cit., p.106.
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nombre de méthodes permettant l’évaluation du regard que porte le texte sur les
personnages. Vincent JOUVE met en relief quatre procédures :
D’abord, L’évaluation explicite ou les jugements que le narrateur émet directement
sur ses personnages « être exceptionnel » ou « parfaite crapule »1, sont d’une très grande
importance, ils permettent de gratifier ou de pénaliser le personnage qui les reçoit.
Ensuite, Le portrait du personnage, également très important, permet de présenter le
personnage d’une façon qui peut être positive comme négative (l’importance du corps et de
l’habit). En fait, le nom d’un acteur peut induire une multitude d’interprétation. Quand aux
modes de représentation du personnage, procédé aussi crucial que les deux précédents, il
met en relief la distance (la façon dont le narrateur rapporte parole et pensées)2 ainsi que la
focalisation. En fin, la mise en texte du personnage, elle permet de comparer la
perspective du narrateur et celle des personnages et voir s’il y a convergence entre leurs
points de vue.
1 JOUVE Vincent, poétique des valeurs, Op. Cit., p.107. 2 Ibid.
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La deuxième partie :
l’analyse du roman
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Après avoir exposé dans la partie précédente les outils théoriques sur lesquels nous
nous appuierons afin d’analyser les univers axiologiques qui affleurent dans le corpus que
nous avons choisi, nous voilà parvenu à l’étape suivante de notre travail de recherche. Il
s’agit de la deuxième partie, au cours de la quelle nous tacherons d’identifier les valeurs
manifestées par les personnages mais surtout par la suite comprendre leur organisation
dans le texte afin de déterminer la vision privilégiée par ce dernier.
A la lecture de « l’interdite », on est confronté à des systèmes de pensée
indépendants, différents, voire contradictoires. Il serait donc crucial de dresser le portrait
de chacun des personnages de l’œuvre et d’étudier l’objectif de leur quête afin de rendre
compte des valeurs essentielles à la construction de l’effet-idéologie.
I. Le portrait sémiologique des personnages
Les personnages constituent le lieu d’encrage des valeurs. En essayant de
transmettre ses valeurs ou même une vision du monde, l’auteur crée l’illusion d’un univers
qui fonctionne comme le notre, en faisant des personnages des êtres anthropomorphes
dotés de caractéristiques d’une personne réelle (un nom, un portrait physique, un
psychologique, ainsi qu’un biographique).
Constituant l’ensemble des diverses caractéristiques qu’un auteur peut prêter à cette
construction fictionnelle, l’être du personnage se veut un vecteur essentiel du rapport du
personnage au monde et aux autres. Ainsi il permet de médiatiser des valeurs.
Les personnages principaux de l’interdite de Malika MOKEDDEM sont dotés d’un
ensemble de caractéristiques qui permettent une construction plus ou moins précise de
leurs portraits.
I.1. Sultana : la quête de la liberté
Dans l’interdite, Sultana MEDJAHED qui remplis la fonction de l’héroïne-
narratrice, est présentée par plusieurs traits qui permettent sa distinction. Son nom
« Sultana », qui signifie reine et qui renvoie au nom propre de la romancière (Malika
signifie Reine), appelle plusieurs remarques : il a un effet réaliste ; un nom d’usage arabe,
et signale un individu fort, auguste, courageux et digne de vénération. Quand à
« MEDJAHED » qui évoque le mot « moudjahid » renvoie aux individus combattants et
résistants qui luttent pour une cause. (Pour ce qui est de l’affaire de Sultana, elle lutte pour
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l’indépendance des femmes algériennes). Le nom de Sultana MDJEHED permet de
marquer cette protagoniste positivement dans le texte.
Sur le plan physique, Sultana est, comme la décrit Vincent, une belle brune, mince
et aux cheveux bruns et frisés. Son portrait la rattache à la beauté orientale et à tout ce qui
est positif dans le roman (la beauté, l’estime de soi, l’insoumission) :
« Elle, elle est la seule femme. Mince, teint chocolat, cheveux café et frisés
comme ceux de Dalila, avec dans les yeux un mystère ardant.»1
Sur le plan vestimentaire, Sultana se trouve avec deux styles vestimentaires
différents ; l’un lié à sa profession : une blouse blanche qui cache sa silhouette et qui se
combine parfaitement avec son métier de médecin :
« … Elle, noyée dans une blouse trop grande. Elle, engoncée par un énorme
col rêche. Les épaules de la blouse lui tombent à mi- bras. Elle en a roulé
les manches au-dessus des coudes. Elle avec le même tourment dans les
yeux.»2
L’autre, lié à son quotidien. Il est choisi en fonction de son caractère et de son
humeur :
« Ce matin, je ne suis d’humeur à m’abandonner ni à la mélancolie, ni à
l’inquiétude. […] je prends une douche, porte un soin particulier à me faire
une beauté. […] mais par-dessus tout, c’est cette lueur retrouvée par mes
yeux, quelque chose entre insolence et défi qui m’éclaire et qui m’égaie, ce
matin. […] je choisis une robe orange dont j’aime la gaieté. »3
Les habits de Sultana font d’elle une femme esthète et élégante. Ne pas porter de
voile intégral fait d’elle une femme non seulement révoltée mais aussi dangereuse pour les
habitant de son village qui imposent aux femmes le voile :
«Elle porte une robe d’un bleu pervenche. Une longue écharpe blanche
flotte le long de son corps. Elle a un grand sac blanc et des chaussures de
1 MOKEDDEM Malika, l’interdite, Paris, Grasset & Fasquelle, 2015, p. 65. 2 Ibid., p. 76.
3 Ibid., p. 159.
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même couleur, qu’elle ôte et tient à la main lorsqu’elle s’attaque aux
sables. Ses boucles de jais tombent en crinière sur ses épaules »1
Sultana a vécu une enfance très difficile. C’est une fille qui a grandi dans un monde
névrosé et hypocrite qui n’éprouve aucune estime pour la femme. Son père Chaâmbi (tribu
des hauts plateaux) qui était fière d’avoir une fille, a fait d’elle une femme rebelle et
difficile, aveugle à toutes ces traditions séculaires qui régnaient dans son village (Aïn
Nekhla) ; elle a eu la chance d’aller à l’école à l’époque où les algériens ne permettaient
pas à leurs filles de s’instruire. Après la mort de sa mère et de sa petite sœur suite à une
dispute conjugale (qui a, en fait, été la conséquence du doute aveugle et des réalités
fondées sur les mensonges parce que la mère de Sultana a refusé d’épouser Bakkar et a
choisi un étranger), ainsi que le départ de son père, le drame de cette petite a commencé,
dans son village, elle était l’enfant maudite (on l’accusé d’être à l’origine du drame qu’a
vécu sa famille) ; les enfants se sauvaient de son approche et les gens la traitaient de
maudite fille de putain2. Prise en charge par une famille française, elle est partie faire ses
études à Oran puis exercer le métier de médecin à Montpell