Les Supérettes de Quartier

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Les supérettes de quartier: la solution d'avenir 1 Par Abdennour Nouiri Les circuits de distribution, en dépit des améliorations de production constatées ça et là, ne sont toujours pas aussi fluides qu'on le souhaiterait. Efficacité, disponibilité, proximité, prix étudiés, qualité, c'est tout cela à la fois qu'on attend des grands magasins de vente. Et puis il y a l'épicier du quartier. Depuis quelques années le nombre de ces derniers se réduit comme peau de chagrin, pour une multitude de raisons, et c'est la reconversion en chaîne. Entre l'épicerie -- trop petit maillon -- et les supermarchés -- maillon trop grand -- il manque peut-être un niveau intermédiaire. Le magasin d'Etat, supermarchés l'EDGA ou souk el fellah n'a pu remplir sa mission de point de vente témoin, en raison de son éloignement des centres de vie, de sa non multiplication à travers tout le territoire national et de la faible disponibilité de produits en son sein. Cette critique du système de distribution en vigueur serait vaine si elle n'était suivie de propositions de changement. C'est sur la base de ce constat critique des insuffisances des circuits commerciaux que nous livrons aujourd'hui quelques réflexions et propositions. L'analyse se base sur l'étude d'une situation donnée, qui se poursuit actuellement, et dont la 1 Etude rédigée dans le cadre de l'ISGP de Bordj el Kiffan en 1988

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Paru dans les annales de la distribution tome 1 2008 INC

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Les supérettes de quartier: la solution d'avenir1

Par Abdennour Nouiri

Les circuits de distribution, en dépit des améliorations de production constatées ça et

là, ne sont toujours pas aussi fluides qu'on le souhaiterait. Efficacité, disponibilité, proximité,

prix étudiés, qualité, c'est tout cela à la fois qu'on attend des grands magasins de vente. Et puis

il y a l'épicier du quartier. Depuis quelques années le nombre de ces derniers se réduit comme

peau de chagrin, pour une multitude de raisons, et c'est la reconversion en chaîne. Entre l'épi-

cerie -- trop petit maillon -- et les supermarchés -- maillon trop grand -- il manque peut-être

un niveau intermédiaire.

Le magasin d'Etat, supermarchés l'EDGA ou souk el fellah n'a pu remplir sa mission

de point de vente témoin, en raison de son éloignement des centres de vie, de sa non multipli-

cation à travers tout le territoire national et de la faible disponibilité de produits en son sein.

Cette critique du système de distribution en vigueur serait vaine si elle n'était suivie de propo-

sitions de changement.

C'est sur la base de ce constat critique des insuffisances des circuits commerciaux que

nous livrons aujourd'hui quelques réflexions et propositions. L'analyse se base sur l'étude

d'une situation donnée, qui se poursuit actuellement, et dont la source remonte à l'époque co-

loniale. Cette situation a trait au développement du petit commerce de détail dans notre pays.

À l'instar d'autres secteurs, les Européens, avant l'indépendance, s'étaient taillé la part du lion

dans la distribution, ne tolérant la présence d'Algériens que dans le petit commerce d'alimen-

tation ou de bazar et dans une moindre mesure dans celui du textile. Un développement plé-

thorique du secteur tertiaire2 devait se traduire par l'allongement des circuits et des coûts plus

élevés. Ainsi ne dénombrait-on pas moins de 600 importateurs de sucre avant l'indépendance.

Des décembre 1962 pour atténuer cette situation anachronique et pourvoir à l'approvi-

sionnement de la population, le gouvernement va créer l'office national de commercialisation

(ONACO) qui aura la charge d'importer et de commercialiser les produits de base tels le café,

le sucre, le beurre, le thé, les arachides et les épices.

La restructuration de la distribution va se faire par étapes avec, dès 1962 la création

des groupements professionnels d'achat au nombre de six qui disparaîtront en 1970. Des so-

1 Etude rédigée dans le cadre de l'ISGP de Bordj el Kiffan en 19882 Ce secteur représentait, en 1958, à lui seul 47 % de la production intérieure brute (soit 445 milliards de francs) et contre 26 % pour l'agriculture (240 milliards de francs)

ciétés nationales chargées chacune d'un monopole à l'importation vont prendre le relais ; elles

seront chargées, parallèlement ou en liaison avec les producteurs nationaux, d'approvisionner

les quelques 300 000 commerçants recensés en 1984.

Épiceries : reconversions en chaîne

L'activité commerciale, pour reprendre une expression de M.E. Bénissad1, "est atomis-

tique et proliférante". Cette pléthore se retrouvera au niveau du commerce de gros où l'on dé-

nombre 43 détaillants par grossiste, (contre 140 pour un en France). D'après les statistiques

fournies par le centre national du registre du commerce, il y avait en 1984 un peu moins de

20 000 magasins d'alimentation générale en Algérie2 . En 1977, ce chiffre se serait élevé,

d'après une étude de l'ENERIC3, à 70 890. Ainsi en l'espace de sept ans, la baisse pourrait être

de plus de 50 % eu égard au nombre de 30 886 magasins d'alimentation tous produits confon-

dus. Dans la wilaya d'Alger, en 1977, on comptait 374 habitants par épicier. Ce chiffre s'élè-

vera à 1350 en 1984 et ce toujours en raison de la diminution du nombre d'épiceries, la plupart

s'étant reconverties en négoce plus lucratifs (pièces détachées pour voitures, fast-foods). Ce-

pendant l'appât du gain facile n'est pas l'unique raison de ces reconversions en chaîne : le pro-

blème épineux de l'approvisionnement a décidé plus d'un épicier à changer de voie.

La multiplicité des intervenants au stade du gros, a contraint le détaillant à effectuer

d'incessants déplacements, souvent infructueux. Avant la restructuration des entreprises, un

épicier était contraint de s'adresser à pas moins de 13 sociétés nationales pour son approvi-

sionnement sans compter les producteurs privés. Comment ne pas répercuter ces coûts de

transport sur les prix de vente ? Comment bien gérer son magasin alors que l'épicier doit se

déplacer continuellement ? Comment, quand on est confronté à tant de problèmes, ne pas être

tenté d'avoir recours au grossiste privé ? Ce dernier ne regroupe-t-il pas des produits de plu-

sieurs sociétés et ne fait-il pas du colportage ? Le détaillant trouve souvent auprès du grossiste

des facilités qui ne lui sont pas accordées par les organismes publics : facilités de paiement,

possibilité d'achat par petites quantités, absence de rigidité bureaucratique dans les horaires

d'enlèvement.

1 M.E. Bénissad, économie du développement en Algérie, sous-développement et socialisme, Ed. Economica, Pa-ris 19792 1948 exactement auxquels il faut ajouter les magasins de droguerie, de boulangerie, pâtisserie, de fruits et lé-gumes, de volailles, de boucherie, de poissons, de boissons et de produits laitiers pour obtenir le chiffre total de 30 886 magasins d'alimentation3 Étude de l'ENERIC sur un nouveau modèle de stockage et de distribution en Algérie, Alger 1978

Souvent, l'épicier se heurte à des murs d'incompréhension dès qu'il s'adresse à une en-

treprise étatique : absence de crédit, obligation de payer par chèque barré, vente concomitante,

vente obligatoire par quantité minimum, absence de colportage etc. Pourquoi passer sous si-

lence le favoritisme dont jouissaient quelques détaillants privés auprès de certains agents d'en-

treprises publiques, peu scrupuleux, et ce toujours au détriment de la grande masse des épi-

ciers et partant des consommateurs ?

Le détaillant, s'il reste isolé, est une proie facile pour ceux qui, mauvais gestionnaires

dans des entreprises publiques ou grossistes privés spéculateurs, sont un passage obligé dans

son mode d'approvisionnement. La solution ? L'union.

Urbanisme commercial, une nécessité

Nous nous retrouvons aujourd'hui dans la situation suivante : d'un côté peu de super-

marchés, mal localisés et peu achalandés et de l'autre de moins en moins d'épiciers, tradition-

nellement implantés dans le tissu urbain, mal approvisionnés et peu structurés. L'absence de

textes réglementant des créations de magasins de vente a ouvert la porte à bien des excès

(transformation d'épiceries en fast-foods ou en magasins de pièces détachées).

La disparition progressive des épiciers du tissu urbain où ils se sont implantés

poussent de plus en plus les consommateurs à se déplacer notamment vers les supermarchés

situés hors de leur quartier d'habitation d'où une congestion de ces circuits de distribution. La

pénurie, en dehors d'une rupture de production, trouve souvent son origine dans une mauvaise

organisation de ces circuits.

Après la deuxième guerre mondiale, la pénurie qui s'était installée presque partout en

Europe fut peu à peu vaincue. La production en tous biens va monter en cadence et bientôt la

concurrence va faire jouer les règles du marché. Pour que l'épicier des quartiers ne disparaisse

pas sous les coups de boutoir des grandes surfaces, on fut amené partout en Europe à parler de

réglementation : l'urbanisme commercial était né.

Même si certains aspects à l'origine de l'urbanisme commercial sont différents chez

nous - la population active féminine n'est pas très importante1 et le parc automobile n'est pas

aussi développé que dans les pays européens - la nécessité de mettre en place un plan direc-

teur d'implantation des commerces s'impose à tous. Ainsi a-t-on remarqué, par exemple, que

les infrastructures de stockage avaient été localisées un peu n'importe comment sans faire ré-

1 D'après des données du plan, la population active féminine devrait s'accroître au rythme de 9 % par an et elle représentera en 1989 un peu plus de 11 % de la population active soit 610 000 personnes, ce qui équivaudrait à un accroissement de l'ordre de 220 000 personnes par rapport à 1984

férence aux besoins des populations ni même à la densité des circuits de distribution existants.

Aussi n'a-t-on pas fini de remarquer combien étaient insuffisants voire même inexistants, dans

certains cas, les équipements commerciaux qui devaient accompagner la réalisation de toute

nouvelle cité d'habitation. Combien de dépôts de stockage n'encombrent-ils pas nos villes, les

menant irrémédiablement à l'asphyxie1 ?

La place de tous les entrepôts se trouve en dehors des villes, dans des zones de dépôts

qui devraient être créées à l'instar des zones industrielles. L'espace rendu libre par leur éva-

cuation du tissu urbain pourrait être mis à profit pour la réalisation de logements et de centres

commerciaux. Réglementer l'implantation de commerce certes, mais lesquels choisir, quelle

forme de distribution peut réellement satisfaire les consommateurs tout en étant un point de

vente témoin ?

Des paramètres évocateurs

Plusieurs paramètres sociaux économiques peuvent être retenus dans la détermination

du type de magasins à implanter. Le critère démographique arrive bien entendu en tête. La po-

pulation algérienne s'accroît à un rythme très élevé qui se situerait actuellement aux alentours

de 3,1 % par an; d'ici 1989 cette population devrait être urbanisée à plus de 50 % et près de 54

% des habitants auront moins de 20 ans2. C'est dire que d'une décennie à l'autre, les habitudes

de consommation vont bien changer : tant en nombre qu'en structure, la population algérienne

évolue. Les enfants d'aujourd'hui ne mèneront pas, une fois adultes, la même vie que leurs pa-

rents car à l'intérieur même de la société les rapports entre individus ont changé. Ce change-

ment a été favorisé par la croissance démographique, l'émancipation de la femme, la scolarisa-

tion généralisée, le salariat, le développement industriel et le système des valeurs3. Tenir

compte des modifications prévisibles qui touchent la population pour définir de nouvelles

structures de distribution paraît être une nécessité incontournable.

Un autre paramètre dont on doit tenir compte est la manière de se loger des Algériens.

Celle-ci influe grandement sur leurs comportements : des habitudes nouvelles se créent alors

que d'autres héritées des parents ont tendance à se dissiper. On passe de plus en plus d'une

structure familiale composée à une structure plus simple où l'on ne retrouve que le couple et

1 Le garage de la RSTA (organisme qui gère les transports en commun dans la capitale) en plein Champ de Ma-nœuvre (place du 1er mai) en est la parfaite illustration2 D'après M. Boubaha, le logement et la construction dans la problématique du développement, thèse de doctorat de troisième cycle de sciences économique, université de Montpellier 1, 19843 Voir à ce sujet le livre de M. Boutefenouchet, "la famille algérienne, évolution des caractéristiques récentes", Ed; SNED., Alger 1982

ses enfants par opposition à la première où l'on pouvait observer en plus du couple central,

des ascendants, des collatéraux, des descendants mariés ou même des parents éloignés. Dans

son enquête, M. Boutefenouchet a relevé que 53,7 % des familles étudiées présentaient une

structure simple, c'est dire que dans cette cellule restreinte vont se développer des comporte-

ments individuels.1 Dès lors, chaque petite famille va s'approvisionner pour ses besoins

propres alors qu'auparavant une vingtaine de personnes pouvaient se retrouver autour de la

même table.

Cet éclatement de la famille composée, qui n'est que progressif en raison du manque

de logements, engendre nécessairement une multiplicité des sources d'approvisionnement.

Chaque nouvelle famille issue de la grande famille composée estimera qu'il est de son droit de

s'approvisionner sur son lieu de vie. Mais que trouver dans ces magasins ? Il est important de

connaître la structure de la consommation des ménages pour savoir quelle configuration de

magasins de détail proposer. D'une enquête de consommation menée par les services du mi-

nistère de la planification durant les trois derniers trimestres de 1979 et le premier trimestre de

1980 auprès de 8208 ménages, il ressort que la part de dépenses alimentaires aux dépenses to-

tales de consommation s'élèvent à 53,9 %.2 Ce qui semblait être une évidence a donc été

conforté par les chiffres. Ainsi si on devait résumer les constatations auxquelles nous a ame-

nés l'étude des paramètres tels la démographie, le logement ou la consommation, on pourrait

dire que les Algériens seront de plus en plus nombreux à vivre dans des villes, de plus en plus

sous forme de famille restreinte et une grande part de leurs dépenses iront aux produits ali-

mentaires. D'où cette conclusion logique : il faut leur offrir sur leur lieu de vie des magasins

de détail pouvant être gérés de façon moderne et offrant toute la gamme de produits alimen-

taires recherchés. Ces magasins ont un nom : les supérettes.

La proximité : un avantage de taille

Localisées sur les lieux mêmes de vie, les supérettes sont des unités de vente d'une su-

perficie variant entre 120 et 400 m² et qui se consacrent en grande partie à la distribution des

produits alimentaires. Tous les assortiments ne sont pas nécessairement représentés en son

sein : ainsi la viande, le pain ou les poissons y sont rarement présents. Toutefois de par leur

1 M. Boutefenouchet, op. cit.2 Les Algériens dépensent beaucoup plus dans le chapitre alimentaire que les Français (37,3 % en 1971), les Nord-Américains (20,9 % en 1973) ou les Espagnols (44,8 % en 1974)

superficie plus importante, ces magasins offrent plus de marchandises en variété et en quantité

que le simple épicier traditionnel, trop souvent limité par la taille de son échoppe.

L'environnement économique actuel en Algérie se prêterait bien au lancement d'une

opération "supérettes". La productivité tant dans l'agriculture que dans l'industrie tend à s'ac-

croître. La récente foire de la production a mis en évidence les efforts qui sont faits en ce sens.

On devrait être les témoins d'une plus grande disponibilité de produits alimentaires dans les

prochaines années. En outre, le consommateur algérien, même s'il se comporte parfois de ma-

nière anachronique en suscitant lui-même une pénurie qu'il veut fuir, est en train de se trans-

former.

Il devient plus regardant sur la qualité des produits1 et n'admet plus aussi facilement

l'obligation qui lui est faite de parcourir plusieurs kilomètres avant de trouver ce qu'il re-

cherche. Le système de distribution actuel ne se trouverait guère bouleversé par l'intrusion de

la supérette qui en tant que palier intermédiaire entre l'épicier et le supermarché viendrait dy-

namiser le premier et atténuer la pression qui pèse sur le second. En fait, la supérette des quar-

tiers présente des avantages tant pour le consommateur, le producteur, le détaillant que pour

l'Etat.

Le premier et grand avantage c'est sa proximité. Sachant que les Algériens sont appe-

lés de plus en plus à vivre dans des cités populaires, à la périphérie des villes, que les trans-

ports en commun ne sont guère développés (la voiture individuelle demeure un luxe) et que

les supermarchés, vu leur grande taille, ne pourront plus être localisés dans le tissu urbain, la

solution de la supérette présente l'avantage considérable de la proximité. Située dans un rayon

de dix minutes à pied, elle offre nombre de facilités aux ménagères qui ne peuvent se déplacer

trop loin de chez elle ou aux couples qui travaillent et qui n'ont pas le temps de faire leurs em-

plettes à proximité de leur lieu de travail. Cette proximité enlève aux citoyens tous les tracas

que peuvent occasionner des déplacements longs et coûteux vers les supermarchés. Ce gain de

temps réalisé dans les achats de produits de consommation courante est appréciable. Combien

de fonctionnaires, d'ouvriers, sans parler des cadres, ne quittent-ils leur travail plus tôt pour

pouvoir faire leurs emplettes plus tranquillement, combien d'heures de travail sont ainsi gas-

pillées ?

La proximité freine les achats inconsidérés. Au lieu d'acheter en trop grande quantité,

pour ne pas avoir à se rendre trop fréquemment au supermarché, le citoyen ne s'approvision-

nera plus qu'à petites doses. Cette limitation dans les achats se traduirait par une diminution

1 Une association de défense des consommateurs est même en passe de voir le jour sous l'impulsion de juristes, de médecins et de journalistes

du gaspillage (fini les achats d'œufs par plaquette de 30), une consommation moins effrénée et

par conséquent un effort plus important consacré à l'épargne.

Cette proximité présente aussi un avantage certain pour tous ceux qui, ne possédant

pas de réfrigérateur, sont contraints de ce fait d'acheter tous les jours (déplacements continuels

vers le supermarché) ou de jeter les marchandises avariées suite à une mauvaise conservation.

Cette pratique de l'achat quotidien par petites quantités, qui tendrait à se généraliser, permet-

trait, en outre, à une famille dont les ressources sont limitées de mieux gérer son budget.

Une gestion rationnelle

L'Etat pourrait trouver dans la supérette de quartier le magasin témoin qu'il appelle de

ses vœux. Implantée dans le voisinage immédiat des petits épiciers et autres marchands de

fruits et légumes elle les remettrait constamment à l'ordre dans le domaine des prix. Le

contrôle des prix pourrait se faire de facto par les consommateurs eux-mêmes. Il leur suffirait

de bouder les épiciers malveillants les obligeant à s'aligner sur les prix pratiqués par la supé-

rette. La participation active du consommateur permettrait de modifier positivement le pay-

sage commercial en Algérie.

D'autre part, l'Etat pourrait mieux maîtriser la consommation des ménages parce que le

stockage individuel des denrées tendrait, grâce aux supérettes, à se raréfier. Enfin le dernier

avantage pour l' Etat de disposer de ces magasins témoin réside dans le fait qu'en approchant

mieux les besoins des citoyens, en éloignant d'eux le spectre de la pénurie, il en ferait des

consommateurs satisfaits, ce qui est un facteur important dans l'élévation de la productivité de

tous les secteurs de l'économie.

Jusqu'à présent, les établissements d' Etat de distribution de détail ont été caractérisés

par la rigidité de leur gestion et par les rapports tendus qu'ils entretiennent souvent avec leurs

sources d'approvisionnement. La grande influence de la bureaucratie sur ces rapports ne per-

met pas à ces gestionnaires de se départir d'une certaine étroitesse de vue qui consiste à voir

venir les problèmes et à les soumettre, le cas échéant, à l'autorité de tutelle.

À l'inverse, les gestionnaires des supérettes n'ayant à s'occuper que d'une faible super-

ficie, n'ayant à distribuer qu'une gamme restreinte de produits, ne dépendant pas d'une autorité

centrale fortement hiérarchisée, auront les coudées franches pour obtenir des résultats perfor-

mants. Si pour les supermarchés, les transformations dans les méthodes de gestion ne sont pas

aisées, il en va tout autrement avec les supérettes où le gestionnaire, qui est à l'écoute de sa

clientèle, qui est en permanence à son contact, peut adapter très aisément et très rapidement sa

structure pour répondre à une demande de biens en constante évolution.

Devant une concurrence saine et loyale, le petit commerce qui ne cherche pas à tricher

pourrait être stimulé et s'organiserait mieux pour offrir un "plus" à sa clientèle, une sorte de

service personnalisé. Il améliorerait ainsi ses méthodes de vente, la présentation de ses pro-

duits, accroîtrait leur disponibilité, tout cela dans l'espoir de se créer une clientèle propre et de

la conserver.

La concurrence est une bonne chose dans le commerce, elle permet à un organisme

donné de ne pas se complaire dans sa situation, de ne pas dormir sur ses lauriers, de se trans-

former pour demeurer dans la course, d'être donc disponible et à l'écoute des consommateurs.

La concurrence qu'imposera la supérette ne sera pas déloyale pour les épiciers traditionnels et

ne sera pas en contradiction avec les règles qu'imposera l'urbanisme commercial en Algérie.

Les rigidités tuent à la longue le commerce car elles le privent de sa qualité première : le dy-

namisme.

Toutefois l'expérience des supérettes nécessite certaines conditions et un minimum de

garanties.

Un approvisionnement régulier

La supérette, pour donner des résultats positifs, doit être entourée d'un environnement

économique satisfaisant. N'ayant que de faibles moyens, il n'est pas question qu'elle s'approvi-

sionne elle-même auprès des différents grossistes ou monopole à l'importation. D'où la néces-

sité de la ravitailler continuellement et presque quotidiennement puisqu'on ne lui prévoit pas

d'importantes réserves.

Le système qui nous paraît souhaitable devrait être basé sur une circulation très rapide

de l'information entre les supérettes et le dépôt central et le traitement tout aussi rapide par ce

dernier des commandes qu'il reçoit. En pourrait imaginer, par exemple, que chaque après-midi

une personne des dépôts appelle à tour de rôle les différents gestionnaires de supérette pour

prendre par téléphone des commandes que les gestionnaires de supérettes auraient eues soin

de rédiger, au préalable, suivant un canevas type. En début de soirée, les commandes sont pré-

parées par le personnel qualifié du dépôt et le lendemain très tôt les marchandises sont livrées

par camion suivant une feuille de route qui tienne compte des distances séparant les diffé-

rentes supérettes et la rationalisation des trajets.

Les centrales d'achats ne doivent pas s'approvisionner, pour les produits disponibles en

Algérie, auprès des grossistes actuels. Elles devront impérativement, sous peine d'augmenter

les coûts de distribution, passer commande auprès de fabricants, qu'ils soient publics ou pri-

vés: s'approvisionner directement auprès des usines par quantités massives et au meilleur prix

telle doit être la raison d'être de ces dépôts répartiteurs. On pourra évidemment rétorquer

qu'ils viendraient concurrencer les entreprises d'État chargées du commerce de gros et que ce-

la est contraire aux objectifs poursuivis dans la distribution: il y a risque aussi de voir ces dé-

pôts se comporter comme des grossistes privés et de se mettre à spéculer. C'est probable et

c'est pour cela qu'il faudra analyser avec soin quelle forme juridique devra épouser le système

des supérettes et des centrales d'achats et comment les intégrer dans la cohérence d'ensemble.

Il n'en demeure pas moins que pour ce que ce système réussisse, il faut y instaurer des

règles où efficacité rime avec productivité. Si l'on veut offrir aux consommateurs des prix

abordables, il faudra traquer les frais généraux qui devront être réduits au strict minimum :

une supérette peut très bien fonctionner avec deux ou trois personnes seulement. La notion de

productivité implique, par contrecoup, qu'il faut bannir toute forme de spéculation. Les

marges étant réduites, l'intérêt pour la supérette sera de vendre des produits de grande

consommation à rotation rapide. Chaque gérant de supérette doit se sentir un manager et

comme tel il doit faire preuve de dynamisme dans la programmation de ses approvisionne-

ments. Le magasin, en effet, serait inefficace s'il se trouvait régulièrement en rupture de stock.

La productivité pourrait être remontée par l'ouverture judicieuse des supérettes à des

heures propices, là où les consommateurs sont le plus disponibles, par exemple entre dix

heures et treize heures le matin et entre 16 heures et 20 heures le soir et ce six jours sur sept.

La productivité devrait être améliorée si, au niveau de la centrale d'achats, on procède déjà à

l'emballage et au conditionnement de certains produits et si les pré-pesages et l'étiquetage sont

effectués quand cela est possible.

Il serait bon de connaître où vont être localisées ces supérettes, comment on pourrait

concevoir leur réalisation et surtout qui les gérera.