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LES STRATÉGIES CULTURELLES POUR UN NOUVEAU MONDE Actes du Forum d'Avignon Culture, économie, médias 19-21 novembre 2009 Édition bilingue GALLIMARD

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LES STRATÉGIESCULTURELLES

POURUN NOUVEAU MONDE

Actes du Forum d'AvignonCulture, économie, médias

19-21 novembre 2009

Édition bilingue

G A L L I M A R D

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SOMMAIRE

Introduction de Renaud Donnedieu de Vabres 13

Vendredi 20 novembre 2009

SESSION INAUGURALE

Les stratégies culturellespour un nouveau monde 15

Discours de Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de laCommunication

Discours d'Irina Bokova*, directrice générale de l'UnescoDiscours d'Hervé Novelli, secrétaire d'État au Commerce, à l'Artisanat,aux Petites et Moyennes entreprises, au Tourisme, aux Services et àla Consommation

La culture pour penser demain 36

Nicolas Seydoux, président du Forum d'Avignon (modérateur) avecRichard David Precht**, philosophe ; Christian de Boissieu,président délégué du Conseil d'analyse économique auprès duPremier ministre ; Marjane Satrapi, auteur de bandes dessinées etréalisatrice ; William Kennedy*, écrivain ; Bertrand Lavier, artisteplasticien.

*/** Les noms suivis d'un astérisque sont ceux d'intervenants d'expression anglaise.Ceux suivis de deux astérisques désignent les intervenants d'expression allemande.

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Vendredi 20 novembre 2009

SESSION « CRÉATION ET INNOVATION

POUR UN NOUVEAU MONDE »

Présentation de l'étude Bain & Cie, par Patrick Béhar,associé, Bain & Cie 57

Table ronde 1 : La création à l'âge d'Internet 62

Frédéric Martel, journaliste, écrivain (modérateur) avec Amit Khanna*,président de Reliance Entertainment ; Lawrence Lessig*, professeurde droit à Harvard, fondateur des Creative Commons ; DanGlickman*, président de la Motion Picture Association of America(MPAA) ; Theodor Paleologu, ministre de la Culture, des Cultes et duPatrimoine national de Roumanie ; Bruno Patino, directeur de FranceCulture.

Table ronde 2 : Comment favoriser l'innovationdans la culture et les médias ? 77

Robin Sloan*, écrivain et analyste médias (modérateur) avec RégisWargnier, réalisateur ; Alain Kouck, vice-président et directeurgénéral d'Editis ; Christer Windelov-Lidzelius*, président-directeurgénéral de Kaospilot ; Georges Nahon, président de France TélécomR&D San Francisco ; Jean-Bernard Lévy, président du directoire deVivendi.

Table ronde 3 : Pour aller « au-delà du PNB» :intégrer la culture 91

John Thackara*, directeur de Doors of Perception (modérateur) avecPier-Carlo Padoan*, secrétaire général adjoint de l'OCDE ; PierreLouette, président-directeur général de l'AFP ; Umair Haque*,directeur du Havas Media Lab à Londres ; Paul Andreu, architecte.

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Vendredi 20 novembre 2009

SESSION « LA CULTURE, ENJEU

ÉCONOMIQUE OU SYMBOLIQUE

POUR LE DÉVELOPPEMENT

DES TERRITOIRES ? »

Intervention de Michel Draguet, directeur du musée Magritte 101

Présentation de l'étude Ineum Consulting, par Vincent Fosty*,associé Ineum Consulting 104

Table ronde 1 : Les conditionsde l'attractivité culturelle 108

Erik Izraelewicz, directeur de la rédaction, La Tribune (modérateur)avec Bernard Landry, ancien Premier ministre du Québec, avocat,professeur, économiste ; Mitchell J. Landrieu*, lieutenant-gouverneurde Louisiane ; René Carron, président de Crédit Agricole S.A ;Souleymane Cissé, réalisateur ; Renaud Donnedieu de Vabres, ancienministre.

Table ronde 2 : Architecture et cultureau cœur du projet urbain du XXIe siècle 128

Erik Izraelewicz, directeur de la rédaction, La Tribune (modérateur)avec Michael Koh*, président-directeur général de la National ArtGallery et du National Heritage Board of Singapore ; Denis Valode,architecte ; Kjetil Tredal Thorsen*, architecte ; Ezra Suleiman*,philosophe, professeur et directeur du Centre d'études européennesde Princeton ; Jean-Jacques Annaud, réalisateur ; Mohammed AzizBen Achour, ancien ministre de la Culture de la Tunisie.

Vendredi 20 novembre 2009

DÉBAT À L'UNIVERSITÉ D'AVIGNON :« RÉINVENTER LES MÉDIAS

À L'HEURE D'INTERNET »

Introduction d'Emmanuel Ethis, président de l'université d'Avignon etdes pays de Vaucluse 147

Axel Ganz, fondateur du groupe Prisma Presse, éditeur AG Commu-nication, membre du conseil de surveillance de Gruner + Jahr, vice-président du Forum d'Avignon (modérateur).

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Avec les interventions de Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture etde la Communication, et Bensalem Himmich, ministre de la Culturedu Maroc.

Avec Francis Morel, directeur général du groupe Le Figaro ; ChristianUnger, président-directeur général de Ringier S.A. ; Alain dePouzilhac, président de France 24, président-directeur général de RFI ;Rémy Sautter, président du Conseil de surveillance d'Ediradio/RTL ;Anthony Zameczkowski, directeur des partenariats YouTube EMEA ;Simon Istolainen, président-directeur général de PeopleForCinema,fondateur de MyMajorCompany ; Cécile Rap-Veber, directeurd'UniversalMusic Consulting&Contents.

Samedi 21 novembre 2009

SESSION « POUR UNE STRATÉGIE

FISCALE EN FAVEUR DE LA CULTURE »

Discours vidéo de Christine Lagarde, ministre de l'Économie, del'Industrie et de l'Emploi 187

Présentation de l'étude Ernst & Young, par Régis Houriez,associé fiscaliste Ernst & Young 189

Table ronde 1 : Politiques fiscales comparées :priorité à l'économie ou à la culture ? 198

Alessandra Galloni*, Bureau Chief, Southern Europe, The Wall StreetJournal (modératrice), assistée de Régis Houriez (Ernst & Young)avec Jake Eberts*, producteur ; Philippe Monfils, sénateur et ministred'État ; Alexandre Allard, président du Groupe Allard ; Alain Sussfeld,directeur général d'UGC ; Jonathan Davis, conseiller stratégique, UKFilm Council.

Table ronde 2 : La culture à l'ère numérique,quels encouragements fiscaux ? 214

Alessandra Galloni*, Bureau Chief, Southern Europe, The Wall StreetJournal (modératrice), assistée de Bruno Perrin (Ernst & Young) avecChristopher Miles*, réalisateur et producteur, Milesian Lion ; AlainSussfeld, directeur général d'UGC ; Antoine Gallimard, président-directeur général des Éditions Gallimard ; Alain Kouck, président-directeur général d'Editis ; Jack Ralite, sénateur ; Sylvie Forbin,Vivendi.

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Table ronde 3 : Quelle compétitivité fiscalepour le marché de l'art ? 226

Alessandra Galloni*, Bureau Chief, Southern Europe, The Wall StreetJournal (modératrice), assistée d'Éric Fourel (Ernst & Young) avecLaurent Dassault, vice-président Groupe industriel Marcel Dassault ;Xin Dong Cheng, galeriste, commissaire d'exposition et éditeur ;Julian Zugazagoitia*, directeur du musée del Barrio à New York ;Philippe Vayssettes, président du directoire, Banque Neuflize-OBC.

Samedi 21 novembre 2009

SESSION DE CLÔTURE :« POUR LE RAYONNEMENT

DES CULTURES »

Regards d'artistes 239

Avec Louis Schweitzer, président du Festival d'Avignon, président de laHALDE (modérateur) avec Gloria Friedmann, artiste plasticienne ;Barthélémy Toguo, artiste plasticien ; Souleymane Cissé, réalisateur.

Les propositions et les enseignements du Forum d'Avignon 244

Par Louis Schweitzer, président du Festival d'Avignon, président de laHALDE

Conclusion 250

Discours de S.E.M. Abdou Diouf, secrétaire général de l'Organisationinternationale de la Francophonie

Discours de Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de laCommunication

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Vendredi 20 novembre

SESSION INAUGURALE

Les stratégies culturellespour un nouveau monde

NICOLAS SEYDOUX

Président de Gaumont,président du Forum d'Avignon

Monsieur le Ministre, vous avez effectué un stage à Rome pourvous familiariser avec les joutes cardinalesques. Nous sommesextraordinairement fiers et heureux de vous accueillir dans celieu, même si, depuis votre siège, vous n'êtes pas exactement dansla meilleure position pour voir celles et ceux qui vous écoutent. Jerappelle cependant que les cardinaux au Vatican comme les parle-mentaires américains de la plus grande démocratie occidentale dumonde se réunissent dans des salles de type conclave. J'ose espérerque ces débats ne se traduiront pas simplement par une petitefumée blanche s'élevant dans le ciel mais par une petite luciole deplus. Monsieur le Ministre, c'est à vous qu'il appartient d'accueillircelles et ceux qui ont pris place dans cette salle et d'ouvrir cesdébats, qui, j'en suis sûr, seront d'un très haut niveau. Je vousremercie.

FRÉDÉRIC MITTERRAND

Ministre de la Culture et de la Communication

Merci, cher Nicolas, pour ces quelques mots si élogieux.Nous avons pris l'habitude, pour saisir le réel, de le diviser en

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entités que nous voulons croire distinctes. Nous disons « laculture », « la communication », « l'économie ».Un bon sens rapide, qui ferait toute confiance à ces distinctions

commodes pourrait, de prime abord, opposer ces entités, mettreface à face « la culture », le lieu des pratiques désintéressées del'art, et « l'économie », l'espace réservé des activités de l'argent.Cette représentation ne serait, bien sûr, pas totalement absurde,

si l'on se place du point de vue du créateur : la pratique de son artl'amène souvent à négliger, parfois même à sacrifier les autresaspects, plus matériels, de l'existence : on se souvient de BernardPalissy, pendant la Renaissance, brûlant ses meubles pour retrou-ver le secret des émaux, ou encore des poètes maudits et desartistes de « la Bohème ». Le créateur se tient souvent dansl'« otium», ce loisir « cultivé » et studieux qui s'oppose à sa néga-tion, le « neg-otium», l'activité qui a donné notre mot même de«négoce ». Cette attitude accuse sans doute, dans les consciences,l'idée d'un fossé entre ces deuxmondes.Mais ce qui intéresse le citoyen, et ce qui concerne un ministre

de la Culture et de la Communication, ce n'est pas seulementd'améliorer incessamment les conditions et la liberté désintéres-sée dans lesquelles les artistes exercent leurs arts et les moyensdont ils disposent pour les faire connaître et pour les faire aimer.Un ministre de la Culture, et c'est valable dans tous les pays repré-sentés ici, n'est pas seulement, bien sûr, le ministre des artistes. Iln'est pas uniquement non plus le ministre de leurs publics. C'estun serviteur du bien commun par les moyens et domaines propresde son ministère, c'est-à-dire par la culture et par la communi-cation.« La culture » — si l'on entend par là non seulement les créa-

tions, le patrimoine, sous leur forme matérielle et immatérielle,mais aussi les traits à la fois plus profonds et plus imperceptiblesde la qualité d'un vivre-ensemble — est, de part en part, reliée àla société et solidaire de son économie. Cette articulation et cetéquilibre entre la gratuité du geste artistique et les richessesincommensurables dont paradoxalement cet investissementdésintéressé est la source, nous sommes en train d'en retrouver lesens.

Session inaugurale16

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TABLE RONDE 1 :

La création à l'âge d'Internet

FRÉDÉRIC MARTEL

ModérateurJournaliste, France Culture (France)

Nous avons pour cette première table ronde des personnalitésde nombreux pays, parmi lesquelles Amit Khanna. La dernièrefois que je l'ai rencontré, c'était sur une plage de Bombay en Inde,dans un restaurant fréquenté par toute l'industrie de Bollywood.Amit Khanna, peu connu en France, était alors chroniqueurmédia, scénariste, producteur de nombreux films de Bollywoodet, surtout, auteur des chansons de Bollywood, près de 400 entout. Mais, au-delà du créateur, c'est l'évolution de son parcoursqui nous intéresse ici : il est en effet devenu président de RelianceEntertainment, un des groupes les plus puissants au monde,notamment dans le secteur des industries créatives et des médias.Reliance appartient au milliardaire Anil Ambani, qui, à quarante-huit ans, s'avère être la 6e fortune du monde grâce au gaz, à l'élec-tricité et aux télécoms. C'est le numéro un des téléphones mobilesen Inde et il fournit Internet non pas à 40, non pas à 400, pas à4 000 ni à 40 000 mais à 450 000 villages en Inde. Reliance, c'estaussi des studios à Bollywood, 20 chaînes de télévision, 45 radioset 240 salles de cinéma aux États-Unis. En 2008, le groupe adécidé d'investir près de 600 millions dans Dreamworks SKG(Spielberg, Katzenberg, Geffen). Il a également investi 600 autres

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millions dans huit maisons de production, dont celles de BradPitt, Jim Carrey, Tom Hanks ou George Clooney. Lors de notredernière rencontre, Amit Khanna m'avait dit : « Il y a 1,2 milliardd'Indiens, nous avons l'argent, nous avons l'expertise avec l'Asie duSud-Est, nous représentons un quart de la population du globe, untiers avec la Chine. Nous voulons jouer un rôle central, politique-ment, économiquement mais aussi culturellement. Nous avons desvaleurs, les valeurs indiennes à promouvoir. Nous allons affronterHollywood sur son propre terrain non pas simplement pour gagnerde l'argent mais pour affirmer nos valeurs. Il va falloir compter surnous. »D'où ma première question, la guerre mondiale de la culture

est-elle déclarée ?

AMIT KHANNA

Président, Reliance Entertainment (Inde)

Je ne pense pas, d'autant que la culture et la guerre sont un peuantinomiques. La culture concerne la tradition, pas la guerre. J'aiessayé ce matin de noter en quelques phrases les concepts recou-verts par le terme « culture ». C'est un mot complexe qui englobeles connaissances, les croyances, les arts, les coutumes et toutesles habitudes ou capacités acquises par l'homme. La culturereflète les idées de l'esprit et ces idées ne justifient en aucune façonla guerre. Cependant, je souscris aux propos de Frédéric Martel etil me semble être grand temps que le nouvel ordre mondial tiennecompte de la réalité présente. Il y a effectivement 1,2 milliardd'habitants en Inde, près de 2 milliards dans le sous-continentindien, 1,4 milliard en Chine, soit, au total, 40% de la populationde la planète. De plus, nous figurons parmi les économies qui sedéveloppent le plus rapidement. À l'heure actuelle, la Chine enre-gistre un taux de croissance annuel de 9 à 10% tandis que la plu-part des autres économies du monde stagnent entre 0 et 2%. Demême, la croissance en Inde atteint 6 à 7% et aurait pu être supé-rieure sans la mousson qui a sévi dernièrement. Par-dessus tout, laculture indienne remonte à plus de sept mille ans, tout comme la

La création à l'âge d'Internet 63

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culture chinoise également millénaire. En tenant compte de tousces paramètres, il est impératif qu'un nouvel équilibre des forcesémerge et tienne compte non seulement du pouvoir économiquemais aussi culturel.Nous devrons affronter ce bouleversement qui nous attend.

Dans la mesure où nous parlons ici d'innovation à l'ère numé-rique, je tiens à souligner que les nouveaux moyens de communi-cation nous relient les uns aux autres. Aujourd'hui, l'on recenseplus de 3 milliards de postes de télévision à travers le monde ; plusde 2 milliards d'ordinateurs et plus de 3 milliards de téléphones. Ily a quelques années, le slogan d'une publicité pour les téléphonespar satellites nous disait : la géographie c'est du passé. Cette publi-cité n'a pas très bien fonctionné mais, d'un point de vue philoso-phique, elle était juste. Nous pourrions nous dire que RichardDavid Precht porte encore avec lui la philosophie, la dialectiquedu dernier siècle. Il nous faut pourtant réinventer nos processusde pensée, les adapter à la réalité de nos préoccupations socialescontemporaines et aller au-delà de la présentation totémique desgrands soucis de l'humanité. Aujourd'hui, ces grands soucisconcernent aussi bien le changement climatique que les menacesde l'intégrisme.

FRÉDÉRIC MARTEL

Vous êtes en train de bâtir les industries du XXIe siècle. Quelleest la logique en termes de création et d'innovation ?

AMIT KHANNA

Il faut repenser nos modèles, anticiper les évolutions sur vingtou trente ans, car il ne s'agit pas de perdre nos identités culturelles.Nous avons vu cela en Inde, plus précisément au cours des troisderniers siècles avec l'influence britannique, puis l'indépendanceen 1947. Bien avant cela, les Maures, descendants des Mongolsd'Asie centrale, nous avaient colonisés mais nous n'avons jamais

Création et innovation pour un nouveau monde64

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perdu notre culture pour autant. Toute cette angoisse vis-à-vis del'impérialisme culturel représente les clichés et les reliques desderniers siècles. En réalité, je ne pense pas que les cultures soientcomplètement dominées. C'est une idée du siècle passé. En regar-dant les chiffres, aujourd'hui, il y a plus de Grecs qui vivent endehors de la Grèce. Où se trouve donc la nation grecque ? Ne setrouve-t-elle que dans cet espace géographique ou existe-t-elledans cet espace virtuel où il y a davantage de Grecs reliés les unsaux autres ? Ce sont les nouvelles réalités et concepts que nousdevons comprendre. Comment aborder l'industrie culturelle ?Nous ne sommes pas là pour essayer de reprendre le marchéd'Hollywood ou d'usurper sa place. Nous sommes, à notre tour,des acteurs à considérer dans l'espace médiatique culturel. Nousestimons qu'il est légitime de travailler avec les meilleurs talentsdes États-Unis sans qu'il soit forcément question de racheter lesactifs avec nos roupies. Nous travaillons avec Steven Spielberg ouJeffrey Katzenberg qui sont à la tête de Dreamworks, mais noussommes aussi des investisseurs stratégiques, c'est-à-dire que nousapportons à notre investissement notre propre contribution intel-lectuelle. Nous avons en effet notre propre modèle d'entrepriseque nous proposons à Hollywood où nous faisons venir les plusgrands talents. Ce partenariat vise à financer de nouveaux projetsqui viennent compléter ce qui se fait dans les studios.

FRÉDÉRIC MARTEL

En ce qui concerne l'innovation et l'art, vous semblez donc avoirici besoin des Américains. Ce qui fait votre force en Inde ne fait-elle pas votre faiblesse à l'extérieur, y compris lorsque vous avez3millions d'Indiens qui vivent aux États-Unis ?

AMIT KHANNA

Il existe d'abord un talent sur place qui est incontournable. Letalent existe également en Europe, en Afrique et l'idée est de le

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mettre en valeur. Pour être mondial au sens holistique du terme,nous ne pouvons pas nous intéresser à une seule culture. L'Indeest d'ailleurs un pays de diversité : multiculturel, multireligieux,multilingue. En outre, il faut bien intégrer le fait que sur 1,2 mil-liard d'habitants, 300 millions parlent anglais. Nous sommesdonc la plus grande nation anglophone sur la planète. Le mondedoit également prendre conscience du fait que l'Inde est dans unesituation démographique unique puisque 70% de la populationindienne a moins de trente ans. La Chine, au contraire, est unepopulation vieillissante à cause de la politique de l'enfant uniquepratiquée depuis les années 60. Pour que la culture et le divertis-sement puissent prospérer, une société doit s'appuyer sur desspectateurs jeunes. D'ailleurs, toutes les activités culturelles etd'innovation se font à la périphérie : ce sont les limites que nousessayons de repousser. Nous voyons la nouvelle scène culturellemondiale de ce point de vue. Certaines personnes sont prêtes àprendre des risques, à tenter l'expérience, à envisager de nouvellesfaçons de voir et de travailler.

FRÉDÉRIC MARTEL

Je donne maintenant la parole à Lawrence Lessig. Après avoirfait sa thèse à Yale, celui-ci a été professeur à Stanford et à Chi-cago. Il occupe désormais un poste de professeur à Harvard. Créa-teur des Creative Commons, un des outils les plus importants surle plan juridique sur Internet, il a aussi défendu le copyleft,concept s'opposant au copyright. Il est par ailleurs éditorialistepour de nombreux journaux et apparaît pour certains comme lethéoricien du nouveau droit d'auteur. Ses idées ont égalementinfluencé le mouvement anti-HADOPI en France, puisque nombrede ses activistes, ainsi que les membres du Conseil constitution-nel, ont lu ses livres.

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bénéficierait d'un retour sur investissement en l'espace dequelques années ?

BERNARD LANDRY

En toute modestie, j'y avais pensé avant elle. J'avais conçu undocument qui s'intitulait « Le virage technologique ». Je dois toutde même vous confier que je n'ai jamais rien refusé à la ministrede la Culture sur le plan budgétaire.

ERIK IZRAELEWICZ

Mitch Landrieu, après le passage de l'ouragan Katrina, vousêtes-vous appuyé sur la culture comme élément de reconstruc-tion ?

MITCHELL J. LANDRIEU

Lieutenant-gouverneur de Louisiane (États-Unis)

Il y a bien des années, lorsque les Français et les Britanniquesse battaient pour la souveraineté sur le Nouveau Monde, les Fran-çais se sont inclinés et ont été expulsés manu militari du Canada.Beaucoup auront traversé le continent pour atteindre les rives dugolfe du Mexique et s'implanter à Lafayette, en pays cajun, villed'ailleurs jumelée avec Québec. Ceux qui auront eu l'occasion devisiter les deux villes ont pu voir que ce sont les mêmes famillesque l'on retrouve aujourd'hui séparées de quelques milliers dekilomètres. Certains descendants sont restés dans le Nord, tandisque d'autres se sont installés dans le sud du continent et conti-nuent aujourd'hui de se rendre visite chaque année.Il est très intéressant d'entendre parler du développement du

Québec par le biais de la culture, étant donné les similitudes avecla démarche que nous avons entreprise en Louisiane. Je voudraisà ce propos aborder trois points.

La culture, enjeu économique ou symbolique...112

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Les conclusions de l'étude qui nous a été présentée s'appa-rentent à des évidences pour nous, habitants de la Louisiane.Toutes les données empiriques démontrent que les populationssont attirées par les lieux d'authenticité, qui n'essaient pas dedevenir autre chose que ce qu'ils sont. Cette idée a structuré notremarketing touristique en Louisiane : nous avons cherché à com-muniquer sur ce qui nous caractérisait.Par ailleurs, pour attirer les 500 plus grandes entreprises qui

travaillent par exemple dans l'exploitation du pétrole, le dévelop-pement biomédical, etc., il paraît nécessaire de développer l'éco-nomie de la connaissance. C'est sur ce critère que ces entreprisesétablissent leurs choix en matière d'implantation. Et un pays quidispose de bonnes écoles et d'une culture reconnue part avec unavantage certain. L'art, la musique et l'architecture contribuentaussi à cette attractivité, de même que le caractère des habitants,leur joie de vivre et la gastronomie locale. Ceci pèse lourd dans labalance, au final.Enfin, la Louisiane a consacré beaucoup de temps et d'énergie

pour évaluer le retour sur investissement que peut apporter laculture. Nous voulions ainsi prouver qu'investir l'argent public enLouisiane était un bon choix. Lorsque nous sollicitons un créditd'impôt, nous voulons pouvoir avancer que la culture est un sec-teur qui crée plus d'emplois que beaucoup d'autres.En tant que lieutenant-gouverneur de Louisiane, je ne suis

qu'un exécutant, gérant un budget fixe et chaque secteur se batpour obtenir la part la plus grande. En Louisiane, le législateurdéfinit les priorités budgétaires et les crédits peuvent partir vers lapolice et les pompiers ou vers l'éducation et la culture.Cette étude a été menée de manière très fine, mais elle oublie

qu'il existe bel et bien une façon de comptabiliser les emploisgénérés par l'art, la musique, l'éducation, l'architecture, le patri-moine culturel, les médias ou le cinéma. Nous avons cherché àdonner un poids politique à la culture, avant de dégager l'impactéconomique de ces activités, au travers des études que nous avonsmenées. Nous avons ainsi identifié près de 200 000 emplois liésd'une manière ou d'une autre à la culture, générateurs de retoursfiscaux et de retours sur investissement. C'est à partir de cela que

Les conditions de l'attractivité culturelle 113

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nous avons pu présenter aux décideurs, qui nous financent, desdonnées claires, non pour mendier de l'argent, mais pour prouverque nous sommes tout à fait compétitifs. Nous voulons démontrerque nos investissements sont plus rentables et plus propres entermes de retombées que les autres.Les emplois ainsi générés dans le domaine de la culture ont

rendu attrayante la Louisiane pour les autres secteurs. L'un desgrands défis que nous avons essayé de relever consistait àconvaincre les acteurs du domaine de la culture de leur proprepouvoir. Lorsqu'il s'agit de discuter des transports, de l'enseigne-ment ou de la sécurité publique, ils ont pleinement leur mot à dire,car les employés de ce secteur veulent savoir comment ils vont serendre demain à leur travail, s'ils vont voyager en sécurité, s'ilspeuvent bénéficier d'écoles de qualité pour leurs enfants. Nousvoulions démontrer que ces emplois ont au moins autant d'intérêtque les autres.Selon nous, la culture et l'économie vont de pair ; les dissocier

nous mettrait en position de faiblesse. Nous essayons donc dechanger le paradigme dominant pour faire valoir que nous méri-tons bien les investissements que nous recevons, parce que lesretours sont tout aussi bons dans ce domaine qu'ailleurs. Telle estl'approche défendue en Louisiane et bien des arguments avancésaujourd'hui apportent un éclairage nouveau sur notre propreexpérience et, dans certains cas, nos échecs. Cette base doit désor-mais servir au développement de nouvelles améliorations.

ERIK IZRAELEWICZ

Quel a été l'impact de la culture sur la renaissance de LaNouvelle-Orléans après le passage de l'ouragan Katrina ?

MITCHELL J. LANDRIEU

C'est leur attachement à leur territoire et à leur culture qui apermis aux habitants de la ville de rester en vie et de se relever.

La culture, enjeu économique ou symbolique...114

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C'est l'âme de cette ville, sa culture, qui a poussé les habitants àrevenir sur place. L'ouragan a tout dévasté sur une zone qui cor-respond à sept fois la taille de Manhattan. 500 000 maisons ontété endommagées et 200 000 foyers ont été détruits. Les habitantsont alors compris que ce n'étaient pas tant les biens matériels quiimportaient que leur rapport à la famille, au territoire et à l'his-toire.La communauté internationale a réagi de manière formidable.

Nous sommes extrêmement reconnaissants à la France en parti-culier, mais aussi au Qatar et aux Émirats arabes unis qui nousont aidés à hauteur de plusieurs centaines de millions de dollarspour que nous nous relevions.La Nouvelle-Orléans représente un centre culturel de tout pre-

mier plan pour le reste du monde, d'où cette force ayant permis àla population de notre État de rebâtir la ville, sur la base de saculture, de sa gastronomie, de notre musique et de notre cinéma,qui s'est d'ailleurs rarement aussi bien porté. À l'image du Québec,nous avons consenti un crédit d'impôt important à la culture, cequi a fait de la Louisiane le troisième État américain dans ce sec-teur.Avant la mise en place de ce crédit d'impôt, le chiffre d'affaires

du secteur s'élevait à 10 millions de dollars pour quelques cen-taines d'emplois. L'an dernier, nous avons produit 80 longsmétrages pour 800 millions de dollars et créé 7 000 emplois dansl'industrie cinématographique. La question du financement et desfonds engagés est, en réalité, essentielle. Les avantages fiscaux ontpermis de nous rendre concurrentiels sur ce marché.

ERIK IZRAELEWICZ

René Carron, j'aimerais recueillir votre avis sur cette étude etla relation entre l'intensité culturelle et l'efficacité économique.

Les conditions de l'attractivité culturelle 115

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DE LA SALLE

En Grande-Bretagne, la majeure partie des recettes du cinémaet de la télévision provient directement du public. Au final, commele ministre le souligne, rien n'est jamais gratuit. Dans certainspays, comme la Birmanie, on refuse toute intervention publique.Ici, tout se paie. Si l'industrie du disque s'effondre, c'est parce queles maisons de disques ont fait payer deux fois le prix aux consom-mateurs.

DE LA SALLE, UNE ÉTUDIANTE

La gratuité demeure une utopie dans un système capitaliste.Aux termes de la Constitution, la culture, l'éducation et la santédemeurent des droits. Le fait d'envisager la gratuité comme uneutopie ouvre la voie à l'achat de ces services, or cela peut êtreproblématique. Quelle est votre vision sur cette problématiqueconcernant les produits culturels, sachant que certains pays n'ontd'autre accès aux produits culturels que via le téléchargement ?

FRÉDÉRIC MITTERRAND

La santé et la culture se placent-elles exactement sur le mêmeplan face à la problématique de la gratuité ? En suivant votre rai-sonnement, tous les musées doivent être gratuits, de même que lecinéma et le théâtre, ou alors remboursés par une nouvelle Sécu-rité sociale. Un tel système est tout simplement impossible àmettre en œuvre. Il serait ruineux et profondément injuste, dansla mesure où le contribuable serait contraint d'assumer ce far-deau. Ainsi, ceux qui refusent d'aller au cinéma ou qui ne vontjamais au théâtre paieraient la place des autres. Il s'agit d'un sys-tème absurde, injuste et liberticide, à l'opposé des principes quevous défendez, puisqu'une partie de la population est sanctionnéepour l'usage d'une autre.

Débat à l'université d'Avignon170

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En revanche, l'élargissement de l'assiette des programmesconsultables gratuitement sur Internet ne me pose pas de pro-blème particulier. L'État peut décider pour des raisons sociales etdans le cadre d'une politique culturelle, et non pour les mêmesraisons que la Birmanie, de financer l'accès gratuit à certains pro-grammes. Cependant, il n'est pas envisageable de faire de cettegratuité la règle.

DE LA SALLE, UNE ÉTUDIANTE

Internet est défini comme le world of serependity. Internetserait en fait un lieu qui nous donne la possibilité de trouver ceque nous ne cherchons pas. Il représente une source d'informa-tions connectée en permanence, renvoyant à d'autres liens et descommentaires, plus enrichissante que la version papier. Dès lors,la révolution Internet ne signe-t-elle pas la mort du papier ?

FRÉDÉRIC MITTERRAND

L'histoire montre que jamais l'émergence d'une pratique cultu-relle n'a entraîné la mort d'une autre. Le cinéma n'a pas tué lalittérature. La télévision n'a pas tué le cinéma, contrairement à ceque nous pouvions craindre. Bien plutôt, un partenariat est néentre ces deux médias. En revanche, l'usage de la télévision réduitle temps de lecture. Aux États-Unis, où il a décru plus rapidementqu'en France, il semblerait qu'un plancher ait été atteint et que lachute ait été enrayée.L'arrivée d'un nouvel acteur va certainement bouleverser le pay-

sage, et cela pourrait être une raison supplémentaire de ne pasmettre en place un système totalement gratuit. Si l'État met enplace une péréquation, comme cela fut le cas en faveur du cinéma,il peut contribuer largement à renforcer une pratique culturellemenacée. Le livre a été sauvé en France par une intervention del'État, à savoir le prix unique du livre. Le cinéma a été sauvé parl'ensemble des mesures fiscales mises en place, comme l'avance

Réinventer les médias à l'heure d'Internet 171

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sur recettes et, de fait, il a survécu. De la même manière, le minis-tère de la Culture et de la Communication a mis en place unepolitique de soutien à la presse, esquissant des pistes différentes. Ilse peut que seules celles qui fonctionnent le mieux soient conser-vées, toutefois elles devraient assurer un socle de stabilité pour lapresse.Évidemment, l'irruption de toute nouvelle pratique culturelle

dans le paysage déstabilise l'ensemble existant. Cependant, lesanciennes ne meurent jamais et, si l'État travaille sérieusement àla préservation du bien public et du lien social, il sera possible derenforcer les pratiques culturelles et les industries menacées.

BENSALEM HIMMICH

Disposons-nous vraiment de toutes les garanties nécessairespour prouver que la gratuité constitue un levier culturel promet-teur ? Rien n'est moins sûr. Certains titres de presse sont distri-bués gratuitement, mais est-il assuré que l'apport de ces titres auxlecteurs est positif et formateur ? On ne lit que ce qu'on paie.Ainsi, lorsque l'on est assoiffé de culture, il faut admettre la néces-sité d'une contribution financière à la production matérielle de laculture.

FRÉDÉRIC MITTERRAND

Les journaux gratuits ont néanmoins trouvé un public, qui nes'est pourtant pas détourné des journaux payants. Ainsi, très peude lecteurs ont renoncé à l'achat de leur quotidien pour y substi-tuer un quotidien gratuit.Les journaux gratuits constituent un espace de liberté supplé-

mentaire, alors même qu'ils ne sont pas vraiment gratuits, carfinancés par la publicité. Celle-ci se détourne en partie des autrestitres. De fait, ce sont les autres journaux qui paient pour les gra-tuits. Ce sont leurs lecteurs qui soutiennent ces titres et c'est l'État

Débat à l'université d'Avignon172

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qui compense les pertes. Au final, le journal gratuit distribué danslemétro est payant, mais il n'est pas payé par ceux qui le lisent.

AXEL GANZ

Il est important de souligner cela. Parfois, c'est l'actionnaire quivient combler les déficits, comme c'est le cas en ce moment pourles journaux gratuits. D'autres fois, c'est le contribuable qui metla main à la poche pour renflouer. Une chose est sûre : la gratuitéabsolue n'existe pas.

FRÉDÉRIC MITTERRAND

Ce qui devient gratuit tend par ailleurs à perdre de la valeur.L'exemple classique de la psychanalyse démontre bien cela : lespsychanalystes demandent que l'on paie les séances, voulant mon-trer par là que le travail a une valeur. Ceux qui se trouvent dansune situation très difficile doivent être aidés par la collectivité. Aumoment de mon arrivée au ministère, il était prévu d'étendre lagratuité dans les musées aux jeunes de dix-huit à vingt-six ans, àcondition qu'ils soient étudiants issus de l'Union européenne. Ilsemble toutefois aberrant d'exclure des étudiants d'autres conti-nents souvent moins riches que les étudiants français. Il s'agissaitlà d'une discrimination patente. Je ne suis donc pas hostile à lagratuité par principe. Les étudiants sont conscients de la valeur del'entrée au musée ; ils ne disposent pas pour autant des moyenspour les fréquenter. L'État intervient pour les aider à acquittercette valeur. Le « tout gratuit » reste une négation de la valeur deschoses et semble donc très dangereux.Cependant, il faut rester prudent sur ce point, touchant à un

problème philosophique à manier avec prudence.

Réinventer les médias à l'heure d'Internet 173

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GLORIA FRIEDMANN

Artiste plasticienne (Allemagne)

En tant qu'artiste plasticienne, je représente plutôt une petiteentreprise de la culture. Je travaille dans mon atelier, seule, aidéesimplement d'un assistant. Mes œuvres ne sont pas conçuescomme des produits d'une industrie culturelle, mais comme desœuvres uniques.J'ai parfois l'impression de me retrouver au beau milieu d'un

rond-point. Je vois le monde s'agiter autour de moi et j'essaie detranscrire mes impressions dans mes œuvres. J'ai le sentiment defonctionner un peu comme un thermomètre, indiquant la tempé-rature de notre société. Je m'efforce d'autre part de répondre à desquestions contemporaines en créant un contact avec les autres. Letravail d'artiste emmène loin des réflexions sur la culture et relèvede convictions propres plus que de questions de marché.L'artiste est toutefois inséré dans un circuit de « distribution »,

puisque les œuvres sont exposées dans des galeries, des muséesou à l'extérieur, en France ou ailleurs. Dès lors, ces œuvres seretrouvent seules, de la même manière que l'artiste est seul aumoment de les créer. Elles vont raconter seules leur histoire etnouer un contact avec d'autres personnes.Si j'ai aussi choisi de travailler à l'extérieur, c'est pour per-

mettre à un plus large public de rencontrer l'art contemporain.Depuis des années je crée des tableaux refuges, situés dans diffé-rents lieux, souvent difficiles d'accès. Ces sculptures gîtes sontpeu chères à louer, leur aménagement est simple et permet à desfamilles de vivre un moment dans un « ailleurs ».Ce travail apporte uniquement la satisfaction de redonner à la

société ce qu'elle m'a donné, aucun rapport commercial n'entreen jeu. L'artiste en lui-même n'y gagne rien, et le financementdépend de partenaires comme les Nouveaux Commanditaires ouencore l'État.La question du soutien aux artistes est fondamentale. En

France, le ministère de la Culture connaît bien ceux-ci et lesinterlocuteurs dont les artistes disposent sont clairement

Pour le rayonnement des cultures240

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identifiés — leur engagement permet de dégager les moyensnécessaires à la création. Les partenariats avec les industrielssont néanmoins plus compliqués.Une volonté de partenariat existe pourtant réellement. Les

artistes restent des êtres indisciplinés, qui attaquent souvent etpassent beaucoup de temps à penser. Leur temps est plus long quecelui de l'économie et de l'industrie. Certaines de mesœuvres sontainsi en chantier depuis maintenant quinze ans.En tant qu'artistes, nous rêvons de l'avenir, mais nous savons

que nous serons les antiquités de demain.

BARTHÉLÉMY TOGUO

Artiste plasticien (Cameroun)

Mon ressenti est bien différent. Je suis né au Cameroun en 1967.Lors de mon entrée à vingt ans, à l'École des beaux-arts d'Abidjan,en Côte d'Ivoire, j'ai pu faire un double constat d'échec, concer-nant d'une part la conservation de l'art classique sur le continentafricain, pillé à l'époque de la colonisation, et d'autre part laconservation de l'art contemporain sur ce même continent. J'aidonc décidé de lancer un projet personnel pour contribuer à cettepréservation de l'art africain. Je voulais que les artistes du mondeentier puissent se retrouver dans ce lieu, implanté au Cameroun,dans lequel j'ai investi une partie de mes ressources. Il s'agit enquelque sorte de l'équivalent de la Villa Médicis, qui a vocation àattirer des artistes d'autres continents pour développer des projetsen adéquation avec la communauté locale. Le chantier est aujour-d'hui complètement terminé et, en tant qu'Africain de la diaspora,j'ai l'impression par ce biais d'investir dans mon continent, car jepense qu'il appartient aux Africains de construire l'Afrique dedemain et à notre diaspora de faire bénéficier le continent dessavoirs et des ressources qu'elle a accumulés sur d'autres terres.Ce projet constitue un jumelage entre un projet agricole et un

projet artistique. Il reprend ce que Léopold Sédar Senghor appe-lait « la détérioration des termes de l'échange ». La plantation decafé qui est adossée à ce lieu de création doit servir de critique

Regards d'artistes 241

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sur l'exploitation des ressources naturelles africaines. Ce projet, àla fois culturel et agricole, vise à investir un domaine dans lequell'État a failli, faute de s'apercevoir que la culture et l'art sont biendes facteurs de développement.

SOULEYMANE CISSÉ

Réalisateur (Mali)

Le film que nous avons produit cette année a été retenu dansla sélection officielle du Festival de Cannes, hors compétition. Laquestion de sa diffusion en Afrique pose un certain nombre deproblèmes, étant donné qu'il y a une quinzaine d'années, les paysafricains les plus avancés dans le domaine du respect de la démo-cratie se sont débarrassés de leurs salles de cinéma. La démocra-tie ne peut aller de pair avec la destruction des lieux de savoir etde connaissance, comme les salles de cinéma : des millionsd'hommes, de femmes et d'enfants africains en sont ainsi totale-ment privés.Plusieurs partenaires européens ont fait savoir qu'ils n'avaient

aucunement l'intention de construire des salles en Afrique. Ils ontraison, mais oublient qu'ils n'hésitent pas à s'inviter dans nos paysdès lors que l'affaire leur paraît suffisamment intéressante. Il estprimordial d'échanger sur ces enjeux, sans nécessairement croirequ'il s'agisse là de quémander une aide. Il importe simplement des'interroger sur le meilleur moyen d'initier une nouvelle forme decoopération avec les États africains dans le domaine de la culture.Le Mali dispose de trésors inestimables dans le domaine musical.Pour autant, cette richesse demeure mal gérée. Tout dialogue estimpossible sur le sujet du cinéma. J'ai l'impression de me retrou-ver face à des analphabètes, alors même que ce sont des universi-taires qui ont détruit les salles de cinéma. Il ne s'agit pas là d'unecritique ad hominem. C'est un constat qui implique en réalitétoute la société.Ces enjeux dépassent l'Afrique, car ce qui touche ce continent

finit un jour par avoir un impact sur le reste du monde.À une époque, un quota avait été instauré pour protéger la fran-

Pour le rayonnement des cultures242

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cophonie, censé permettre aux films francophones d'être diffusésen Europe. Ces quotas ont été supprimés. Nous avons insisté pourque les pays africains mettent en place eux-mêmes une politiquesimilaire, or ces demandes n'ont pas été suivies d'effets. Les dis-cussions ayant eu lieu lors de ce Forum laissent penser que deschangements sont possibles et il est fondamental que tout change.

Regards d'artistes 243

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CONSEIL D'ADMINISTRATION

AU 30 NOVEMBRE 2009

NICOLAS SEYDOUX, Président, président du conseil de surveillance deGaumont

HERVÉ DIGNE, Vice-Président, président-fondateur de PostmédiaFinance

AXEL GANZ, Vice-Président, gérant de AG-COMMEMMANUEL HOOG, Trésorier, président-directeur général de l'INAJEAN-JACQUES ANNAUD, réalisateurPATRICIA BARBIZET, vice-président du Conseil d'administration de

PPR, Chairman de Christie'sLAURENT BENZONI, président de Tera ConsultantsGUILLAUME BOUDY, secrétaire général du ministère de la Culture et de

la CommunicationMATS CARDUNER, directeur général de Google France et Europe du

SudEMMANUEL CHAIN, président du Groupe Elephant et CieRENAUD DONNEDIEU DE VABRES, ancien ministreLAURENCE FRANCESCHINI, directeur général des médias et des indus-

tries culturelles (ministère de la Culture et de la Communication)GEORGES-FRANÇOIS HIRSCH, directeur général de la création artistique

(ministère de la Culture et de la Communication)ALAIN KOUCK, président-directeur général EditisVÉNONIQUE MORALI, présidente de Terrafemina et de FimalacPASCAL ROGARD, directeur général de la SACD

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COMITÉ ÉDITORIAL

Forum d'Avignon

NICOLAS SEYDOUX, présidentLAURE KALTENBACH, directrice généraleALEXANDRE JOUX, directeurALYA NAZARALY

Éditions Gallimard

ANTOINE GALLIMARD, président-directeur généralYVON GIRARD, directeur du développement éditorialGÉRALDINE BLANC, assistante d'édition

Forum d'Avignon – Culture, économie, médias Éditions GallimardGrand Palais des Champs-Élysées 5, rue Sébastien-Bottin75008 Paris 75328 Paris Cedex 07+ 33(0)1 42 25 69 10 + 33(0)1 49 54 42 00www.forum-avignon.org [email protected]@forum-avignon.org

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PARTENAIRES ET MÉCÈNES 2009

Avec le soutien du ministère de la Culture et de la Communication

Partenaire officielVivendi

Transporteurs officielsSNCFAir France

PartenairesOrangeGroupe AllardLe FigaroSACEM

MécènesCaisse des dépôtset consignationsBertelsmannNeuflize OBCArtcurialGDF SuezCrédit Agricole SA

Partenaires pour les étudesErnst & YoungIneum ConsultingBain & Company

Partenaires médiasarte.tvFrance CultureFrance 24InaRFI

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