Chris Thile & Brad MehldauLundi 13 novembre 2017 – 20h30

SALLE DES CONCERTS – CITÉ DE LA MUSIQUE

PROGRAMME

Chris Thile & Brad Mehldau

Chris Thile, mandolineBrad Mehldau, piano

FIN DU CONCERT (SANS ENTRACTE) VERS 22H.

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Chris Thile & Brad Mehldau

On mesure mal en France la popularité d’un artiste tel que Chris Thile. Sans doute y a-t-il une double raison à cela. D’une part, l’instrument dont il est spécialiste, la mandoline américaine, est pour le moins méconnu de ce côté-ci de l’Atlantique. D’autre part, on ne peut pas dire que son registre d’origine, le bluegrass, musique des régions rurales du centre et du sud-est des États-Unis (le « bluegrass » est le nom d’une herbe typique du Kentucky), version modernisée des folklores anglo-saxons mâtinée de country et de blues, bénéficie d’un grand rayonnement dans l’Hexagone. Or, Thile aux États-Unis est une véritable star, d’autant plus que, depuis octobre 2016, il est l’animateur de l’une des émissions parmi les plus suivies du paysage radiophonique américain, A Prairie Home Companion, véritable rendez-vous des amateurs de musique folk, enregistré en public au Palace Theater de Saint-Paul, dans le Minnesota, dans lequel Thile accueille ses pairs et présente, chaque semaine, une nouvelle chanson, en général inspirée de l’actualité. Manière de boucler la boucle : lui-même avait fait ses premières apparitions dans ce show encore adolescent et il en a été un auditeur assidu dès ses plus jeunes années.

Fasciné depuis toujours par la mandoline, le musicien, talent précoce, s’est fait connaître dès la fin des années 1980 au sein de Nickel Creek, un trio formé avec deux autres enfants, Sara et Sean Watkins, sœur et frère (le plus âgé des trois avait douze ans lorsque le groupe a débuté), qui s’est rapidement imposé dans le circuit du bluegrass comme un phé-nomène et qui a signé plusieurs albums très largement diffusés jusqu’à sa dissolution en 2007. Par la suite, Thile a constitué les Punch Brothers, auteurs de cinq albums sur le prestigieux label Nonesuch entre 2008 et 2015, un groupe à l’instrumentation typique du bluegrass, avec banjo et violon, marqué par des conceptions chambristes, des ambitions for-melles et un attachement profond à l’Americana, ce patrimoine musical populaire du cœur du pays. Reconnu comme un véritable virtuose de la mandoline, Thile a par ailleurs publié un album de sonates et partitas pour violon de Bach transcrites pour son instrument. Autant dire que, comme Brad Mehldau, c’est un musicien complet et éclectique dans ses orientations esthétiques, et que l’appariement de ces deux artistes, aussi

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improbable puisse-t-il paraître sur le papier tant ils semblent évoluer dans des environnements spécifiques, est en fait la rencontre de musiciens qui ont fort à se dire et à partager.

C’est le pianiste qui a été à l’initiative de ce duo après avoir entendu Chris Thile avec les Punch Brothers en concert. En 2011, à l’occasion d’une carte blanche au Wigmore Hall à Londres, Mehldau a proposé au mandoliniste et chanteur de partager la scène avec lui. Depuis, les deux hommes se sont revus au cours d’une brève tournée, puis à New York, dans la salle du Bowery Ballroom, avant d’entrer en studio et de cosigner un double album sorti en janvier 2017 qui, en guise de titre – et donc de programme – comporte leurs seuls noms juxtaposés. L’association pouvait paraître déséquilibrée, tant la maestria de Brad Mehldau au clavier, sa maîtrise des dynamiques, sa capacité à développer des voix en parallèle, son impressionnante indépendance rythmique auraient pu sembler menacer l’équilibre du dialogue, et tant la mandoline, jouée par Thile au plectre, sans effets, à la sonorité courte et sèche, peut paraître chiche face à ce mastodonte d’ébène et d’ivoire. Il n’en est rien, à la fois parce que Thile développe sur son instrument un jeu incisif quoique subtil, aux vertus rythmiques affirmées qui tranche sur le son du piano, mais aussi parce qu’il s’exprime dans leur duo tout autant comme chanteur qu’instrumentiste et que Mehldau tient bien souvent à ses côtés le rôle d’un accompagnateur de luxe.

Pour Brad Mehldau, qui s’est affirmé comme un adepte du duo dans des contextes très différents, aussi bien auprès de Pat Metheny, de Joshua Redman, de Kevin Hays que de Renée Fleming ou Anne Sofie von Otter, l’exercice est effectivement une nouvelle occasion de mettre en œuvre sa science d’accompagnateur, apportant soutien à la voix de son partenaire tout autant qu’il en dessine la grâce mélodique. « J’ai eu l’impression que Chris et moi orchestrions beaucoup l’un pour l’autre, confiait Mehldau au site The Bluegrass Situation à la sortie de leur album. Nous trouvions l’“instrument” adapté pour jouer l’un pour l’autre. Parfois, ce que joue Chris fournit une partie de batterie à mes solos de piano ; parfois, j’apporte aux siens des parties sourdes de violoncelle. Une grande partie du plaisir de ce projet tient à notre façon de l’orchestrer. »

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Connu pour avoir, depuis vingt ans, profondément renouvelé les concep-tions à l’œuvre au sein d’un trio de jazz, le pianiste s’est depuis le début positionné tout autant comme improvisateur qu’accompagnateur. Il est aussi l’un de ceux qui ont contribué à élargir le champ des standards de jazz, inscrivant à son répertoire des chansons de Radiohead, des Beatles ou de Nick Drake sans en renier ni la mélancolie, ni la dimension lyrique. Commun à Chris Thile, cet éclectisme vaut au duo d’emprunter son matériau à diverses sources, puisqu’on retrouve dans leur double album les noms de Bob Dylan et Joni Mitchell, d’Elliott Smith et Fiona Apple, favorisant les ballades et les chansons à texte. Outre leurs propres com-positions, Thile et Mehldau s’approprient encore un traditionnel irlandais, « Tabhair dom do Lámh », et un standard de jazz autrefois immortalisé par Billie Holiday, « I Cover the Waterfront », que Thile chante avec une sensibilité dépouillée de toute ostentation. Ailleurs, sur « Scarlet Town » de David Rawlings et Gillian Welch, l’une des paires les plus fameuses de la country music, c’est Brad Mehldau lui-même qui, de manière tout à fait inattendue, double Chris Thile à la voix, révélant des velléités de chanteur qu’on ne lui soupçonnait pas. Un exemple, parmi d’autres, de la profonde complicité qui unit ces deux musiciens qui, chacun à sa manière, incarnent un certain imaginaire musical de l’Amérique.

Vincent Bessières

Jazz à la Philharmonie.

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