Les SS de La Toison d'Or, marc Augier

download Les SS de La Toison d'Or, marc Augier

of 405

description

marc augier,.dit st loup

Transcript of Les SS de La Toison d'Or, marc Augier

OUVRAGES DU MEME AUTEUR

Le cycle de la montagne : FACE NORD, roman. MONTAGNE SANS DIEU, roman LA MONTAGNE N'A PAS VOULU, rcits. MONTS PACIFIQUES, de L'Aconcagua au cap Horn LA PEAU DE L'AUROCHS, roman LE PAYS D'AOSTE, essai. Aventures : LA NUIT COMMENCE AU CAP HORN, roman. LE ROI BLANC DES PATAGONS. UNE MOTO POUR BARBARA, roman. Sur la Seconde Guerre mondiale : LES VOLONTAIRES, Histoire de la L.V.F. LES HERETIQUES, Histoire de la SS Charlemagne. LES NOSTALGIQUES, Aventures des survivants. LES VOILIERS FANTMES D'HITLER, l'espionnage sur les ocans. Lpope industrielle : RENAULT DE BILLANCOURT. MARIUS BERLIET LINFLEXIBLE. DIX MILLIONS DE COCCINELLES. Le cycle des patries charnelles: NOUVEAUX CATHARES POUR MONTSEGUR LE SANG D'ISRAEL. PLUS DE PARDONS POUR LES BRETONS.

SAINT-LOUP

LES S.S. DE LA TOISON D'ORFlamands et Wallons au combat 1941-1945

DITIONS DU TRIDENT Diffusion : La Librairie Franaise 27, rue de l'Abb Grgoire

75006 PARIS Tl. (1) 42.22.40.33

1987 Editions du Trident / Librairie Franaise

Aux anciens et nouveaux chevaliers de la Toison dOr qui restrent fidles leurs dieux, leur prince, leur pe; montrrent courage indomptable dans les camps, adresse suprieure dans les joutes, associrent leurs exploits le culte de leur dame, ne trahirent ni leurs armes ni la beaut, ne craignirent rien que de perdre lhonneur.

Ceux-l seuls mintressent profondment qui luttent contre leur poque et nagent contrecourant. ANDR GIDE Prix Nobel, 1947.

Ils avaient dpass la patrie et retrouv la race, mais les patries sont encore inscrites dans les frontires et il est tmraire de suivre son sang plutt que son drapeau. JOHANNES THOMASSET crivain

bourguignon.

CHAPITRE PREMIER

LES TROIS ORPHELINS BURGONDES

L

e 10 mai 1940, Lon Degrelle se trouve Bruxelles, dans Sa rsidence de la Drve de Lorraine, l'ore de la fort de Soignes. La veille au soir, il est all embrasser ses quatre enfants et les bnir avant qu'ils ne s'endorment dans leurs lits laqus bleu et blanc. Il a veill dans son vaste bureau. Il a rv. Sa maison semblait rver elle aussi, prs d'un vieil acacia que blanchissait la lune, regretter les temps o elle appartenait aux terres d'empire de Charles Quint. A 5 heures du matin, des bruits tranges l'veillent. Une rumeur syncope occupe le ciel. Des explosions montent de la terre jusqu' lui. Degrelle sort sur sa terrasse. La lumire d'un printemps tout neuf frmit au-dessus de la fort ointe de rose. Piqus sur le bleu ple du ciel, des centaines de papillons tincellent, trs haut,

parmi les fleurs noires que les obus de la D.C.A. sment sous leurs ailes en clatant. Les ds sont jets. Hitler rpond la croisade des dmocraties aprs six mois d'appels la paix qui n'ont reu aucune rponse. Une cloche sonne l'anglus. Les sirnes d'alarme chantent sur un rythme affol cependant que les avions allemands s'loignent laissant derrire eux l'arodrome d'Evere ruin. Comme dput, Degrelle n'est pas mobilisable, bien qu'ayant refus de signer la formule qui dgage les parlementaires de cette obligation et lui ayant oppos une demande d'engagement reste sans cho. Il dcroche son tlphone pour appeler ses collaborateurs de Rex. Pas de tonalit. Sa ligne est coupe. Bizarre. Que lui veulent donc ses ennemis, nombreux et puissants dans les avenues du pouvoir? Il hausse les paules, ouvre son missel et rcite lentement les prires de l'office des morts pour ceux qui vont tomber dans la bataille engage l'Ouest... Femme inquite. Enfants intrigus par tout ce fracas et qui caquettent dans leurs lits. Un quart d'heure plus tard le timbre de la porte retentit. La femme de service ouvre et annonce: - C'est un Monsieur de la police! Sous la Piet en bois polychrome qui veille dans le vestibule, Degrelle aperoit un policier en civil qui, trs ple, lui dit :[13]

- Monsieur le Dput, je vous prie de m'accompagner jusqu'au Palais de justice. L'administrateur gnrai de la Sret dsire vous parler. Le chef de Rex embrasse femme et enfants, le suit, tonn par cette demande insolite, vaguement mfiant au nom de presciences que rien ne justifie. Dput, il ne peut tre apprhend au cours d'une session qu'aprs un vote de la Chambre. Et que pourrait-on lui reprocher? Depuis six mois il lutte farouchement l'aide de son parti et de sa presse pour dfendre la neutralit de la Belgique. C'est non seulement son droit, mais encore son devoir. Le style autoritaire de son action? Il n'est pas anticonstitutionnel. Ses relations avec l'Allemagne? Elles sont nulles. Hitler? Il l'a rencontr une fois, en 1936, autour d'une tasse de th. Il ne l'a jamais revu. Bruxelles est dj plonge dans un silence d'outre-tombe. La peur a plac une sentinelle chaque carrefour. Place du Palais dserte. Prcd par l'inspecteur, Degrelle franchit les portes de bronze du btiment. Silence. Le policier va aux nouvelles et revient. Il n'a rencontr personne. Il ne sait rien. L'intrieur du Palais semble plus froid qu'une crypte. Aucun administrateur gnral de la Sret ne se montre. Mais, au bout d'une heure, apparat un gendarme qui le pousse le long des couloirs dserts et lui dit: - Entrez l! C'est un cachot. Degrelle proteste... De quel droit se permet-on de l'enfermer sans mandat d'arrt? Qui ose toucher la personne inviolable d'un dput en exercice? ... Pour toute explication, le gendarme demande: - Voulez-vous que j'emploie la force? Degrelle s'incline. Un fracas de verrou scelle pour lui une nouvelle nature de silence.

* ** Qui est Lon Degrelle? Il est n le 15 juin 1906 Bouillon, en Belgique, mais tout ct de la frontire franaise, d'une famille hautement prolifique dont trois enfants mles sur cinq se faisaient traditionnellement jsuites, les deux autres se consacrant la procration. Le christianisme l'a marqu de manire indlbile. Quand il se penche sur les souvenirs de son enfance, il se revoit de prfrence tout gamin, chauss de sabots, marchant vers une glise loigne, cern par la neige et le froid, pour assister la messe. Grand, large d'paules, droit comme un sapin de sa fort ardennaise, des reins virils, une nuque jamais courbe par les passions viles, une poitrine gnreuse qui parat souleve d'amour pour la foule que malaxent ses mains de thaumaturge, sa voix d'or, il justifierait l'admiration des femmes qui le surnomment le beau Lon, si le visage rond, empreint d'une navet dconcertante, ne rappelait celui d'un angelo de l'cole italienne, dtach de sa toile pour se poser contradictoirement sur ce corps de chasseur issu de la fort primitive et en faire un saint Lon de stricte obdience. Saint Lon, priez pour nous et dlivrez-nous du mal, c'est dire des politiciens belges pourris qui nous tiennent en servitude, semble rpondre la foule lorsqu'il clame:

[14]

En fait, la bonne dmocratie n'existe pas, mais il n'y a que de la mauvaise dmocratie: la dmocratie peine cre est aussitt pourrie par les partis, les combinards, les profiteurs, les marchands d'argent! Degrelle fut, et reste ce jour, avec Philippe Henriot et Hitler, non pas le plus grand orateur - le Parlement franais en vit passer d'exceptionnels - mais le plus grand envoteur du sicle. C'est l'un de ces monstres sacrs que chaque poque produit quelques exemplaires seulement. Aprs de bonnes et brves tudes l'Universit catholique de Louvain, celui-ci s'est jet dans l'action politique, soutenu par des dons exceptionnels d'crivain, polmiste, pote et enchanteur public. Il a fond Rex, le mouvement du Christ-roi car, pendant longtemps, le silence et l'ombre des sacristies pseront sur lui. Tout de suite, il catalyse les espoirs de foules considrables. Qui l'entend une seule fois s'inscrit Rex. On ne rsiste pas ce magntiseur d'assembles. Cependant, ce n'est pas tellement l'originalit du discours qui plie les foules la volont de l'orateur, car Degrelle, comme les autres, prononce quantit de phrases banales. C'est la voix, l'attitude virile, une jeunesse clatante de sant qui lui donnent les capacits d'un thaumaturge. Il ne leur dit en effet que des mots simples : - Nous sommes le peuple! Nous ne sommes pas avec le peuple, nous ne venons pas au peuple: nous sommes le peuple lui-mme, qui se rveille, regarde avec audace et confiance l'avenir, parce qu'il veut vivre. C'est de l'intrieur du peuple que nous entendons faire jaillir le salut, non en lui reconnaissant une comptence-

universelle, mais en l'amenant consentir et collaborer aux solutions de salut public! A vingt-neuf ans, sans argent et sans tre descendu des Croiss, le chef de Rex a obtenu des succs stupfiants. Le 24 mai 1936, son parti est entr au Parlement belge avec 21 dputs et 12 snateurs. Ses journaux, l'hebdomadaire Rex d'abord, le quotidien le Pays rel ensuite, tirent des centaines de milliers d'exemplaires. Tout le monde attendait de ce mtore une carrire plus radicale que celle de Mussolini, plus rapide que celle d'Hitler. Degrelle cependant n'obtiendra rien. Il va perdre la bataille plbiscitaire imprudemment engage contre van Zeeland. Car ce n'tait jusqu'ici qu'un scout d'action catholique un peu dmagogue. Il avanait au vieux cri de pour Dieu et pour le roi. Il contemplait l'Eglise avec des yeux d'enfant de chur et le palais de Laeken avec une politesse de grand commis. Il ne savait pas s'entourer, son immense orgueil prfrant les courtisans aux collaborateurs de qualit. Pour un Pierre Daye, le mouvement Rex comptait cent mannequins porteurs d'uniformes. A partir de 1936, il se trouva irrsistiblement pouss vers l'Europe autoritaire. Pour assurer sa volont csarienne, il ne se tourna pas vers Hitler qui, cependant, l'avait reu Berlin devant une tasse de th, disant Ribbentrop aprs une demi-heure d'entretien avec le chef de Rex: - Je n'ai jamais dcouvert des dons pareils chez un garon de cet ge! Il se tourna vers Mussolini dont la russite paraissait correspondre sa volont d'quilibre entre la royaut, l'Eglise et le socialisme. En outre, un Degrelle francophone croyait au vieux mythe de la latinit. Par sa propre connaissance de notre langue, sa naissance qui en fit un Belge pour avoir vu le jour trois kilomtres au-del de notre frontire; ce Belge romanis ne croyait pas au dterminisme de la race porteuse de la culture mais

[15]

tenait la culture pour dterminante en soi. Il se tourna donc vers le chef de la sur latine, rclamant son aide quand la caisse de Rex se trouvait vide, et Mussolini la renflouait amicalement; de mme qu'il lui prtait la radio Italienne quand les politiciens belges russissaient lui fermer l'accs de la radio de son propre pays. Degrelle tourne toujours le dos au germanisme auquel il appartient cependant, car sa vision du monde est dforme par le prisme chrtien. Il n'est pas, et ne sera jamais raciste! Mais il possde le got de la grandeur et l'ambition d'y soumettre sa petite patrie. Il dit la foule: - Je ferai passer la Belgique du Manneken-pis l'empire de Charles Quint! Il croit que l'avenir exige la runion des dix-sept provinces des vieux Pays bas , mais il n'en imagine gure le dtail. C'est l'un de ses dfauts. Il survole toujours le dtail. Ses terres d'empire restent noyes sous un brouillard historique et ne connaissent pas de frontires. Il prendrait volontiers la succession de Charles le Tmraire, auquel il ressemble beaucoup, parachverait le duch de Bourgogne qu'il voque souvent dans ses discours, sans pour autant renoncer l'hritage de

Louis XI, ce pays de France dont il parle la langue mieux qu'un Franais. Une population respectueusement catholique habiterait cet empire qu'il dirigerait dans un style mussolinien... Degrelle porte en lui le dfaut de ses qualits. Ce grand pote se montre mdiocre organisateur au niveau du combat politique. Comme l'oiseau voqu par Baudelaire, ses ailes de gant l'empchent de marcher. Il a dj manqu sa marche sur Rome. En 1936, il lui suffisait de prendre la tte de ses partisans et se rendre au Palais de Laeken pour imposer au roi son quipe gouvernementale, mdiocre d'ailleurs. Ce n'tait pas le courage qui lui manquait, mais l'aptitude saisir le moment favorable. impressionn par le succs d'Hitler il prfrait, comme lui, conqurir le pouvoir par des voies lectorales. Il ne devinait pas qu'un tel accident ne se produirait plus jamais dans l'histoire des pseudo-dmocraties. Car la bte qui monte des abmes y veillerait dsormais. Il ne connaissait pas la Bte qui tenait l'Europe la gorge et allait la prcipiter dans la guerre avant que le rveil de sa conscience raciale ne lui fasse lcher prise et n'arrte, une fois de plus comme du temps des Pharaons, Titus, Mahomet, Philippe le Bel, et des rois catholiques d'Espagne, ou des tsars de Russie, sa marche vers la domination du monde. Quand il termine un discours, le magntiseur Degrelle dispose, une fois de plus, d'une troupe de choc dont il ne saura pas se servir. Les hommes rclament des armes, les femmes viennent lui baiser les mains, les mordre parfois, et il se retire alors avec du sang sur les doigts. Il ne se couche jamais avant 2 ou 3 heures du matin, arrive tenir plusieurs runions publiques chaque jour. Sa puissance physique se montre la hauteur de sa volont, de la confiance en soi qu'il affirme toujours et partout. Seulement il dilapide l'une et l'autre. Il travaille avec les mthodes de l'tudiant attard qu'il reste depuis son passage l'Universit catholique de Louvain. Quand il rentre chez lui, puis mais invaincu, il retrouve sa femme et les quatre enfants qu'il a pris le temps de crer entre deux runions, deux ditoriaux, deux voyages vers Mussolini, deux visites chez les banquiers et

[16]

magnats de l'industrie belge. Ils l'aideraient volontiers s'il savait les manipuler, quitte leur faire rendre gorge au lendemain de la prise du pouvoir, exercice dans lequel Hitler excellait. Mais il les rejette dans le camp adverse, la fois par maladresse et sincrit profonde, les dnonce dans sa presse et ses runions publiques avec une frocit exemplaire, trouvant pour les caricaturer des expressions qui ne le cdent en rien celles des meilleurs polmistes franais, de Frron Paul-Louis Courier. Il prend encore le temps d'crire des pomes exquis, publier des livres et d'aller la messe. Degrelle reprsente une force de la nature, mais qui se dvore elle-mme, tenue en respect par une masse d'adversaires qu'il s'applique grossir chaque jour, neutralis par une vision du monde trop mystique pour peser sur le rel, une puissance de rve peu soucieuse de vrifier si l'action suit.

* ** Voici donc le dput Degrelle aux mains de la police politique belge. Pour lui commence la plus ahurissante des aventures. Au dbut de l'aprs-midi, le gendarme pntre dans sa cellule et ordonne: - Donnez-moi votre main gauche! Clac! Le voici enchan une sorte de levantin au teint vert, cheveux en broussaille. Voiture cellulaire. Rues de Bruxelles. Prison de Forest. L'employ du greffe lve les bras au ciel - Encore des politiques! Mais je n'ai pas le droit de vous emprisonner sans mandat! Cet homme de bien embastille tout de mme Degrelle! Au cours de la promenade organise dans une sorte de jardin que vingt minuscules sentiers sillonnent, le dput reconnat des militants de son parti, le directeur d'un grand hebdomadaire politique et littraire, des dputs nationalistes Flamands. Lorsqu'il passe devant les gardiens, un vieux monsieur cheveux blancs, trs digne, rpte comme un disque aux sillons endommags: - Mon fils est soldat! J'ai les papiers! ... Mon fils est soldat! J'ai les papiers! ... Il s'adresse une justice qui, dj, n'est plus de ce monde. Comme le chef de Rex quand il invoque son droit de recevoir sa famille. Aussitt un gardien fixe un petit rectangle rouge prs du guichet de sa porte de cellule... Mise au secret pour trois jours, telle est la rponse du ministre de la Justice o, en apparence, mais en apparence seulement, rgne une effrayante confusion. Messe le 12 mai, dimanche de la Pentecte. Dans sa cabine d'isolement Degrelle n'aperoit que l'autel et le gardien qui sert le prtre en gants blancs. Les avions allemands, matres du ciel, passent en rugissant sur Bruxelles. Les alertes se succdent. Les gardiens disparaissent dfinitivement dans les souterrains de la prison. De vieux geliers en uniforme bleu prennent la relve. Bruits de cl. Des portes s'ouvrent. - Vous partez dans un quart d'heure! Partout des soldats, baonnette au canon, officiers, matons. Un civil -complet sombre, lunettes d'caille- s'approche de Degrelle, le prend en charge, le fait ligoter avec une grosse corde qui meurtrit ses mains

[17]

ramenes derrire le dos. Le dput de Bruxelles ne connatra jamais l'identit ni la fonction de cet homme reprsentant probablement les forces occultes attaches sa perte. Souterrains. Rapparition dans les couloirs de la prison Saint-Gilles. Embarquement sur une camionnette qui stationne dans une cour. - Le premier qui bouge est abattu! annonce le mystrieux chef de convoi.

Par une petite ouverture, Degrelle peut apercevoir les rues de Bruxelles. Volets des boutiques clos. Rues sales, jonches de papiers que semble pousser le vent d'une mystrieuse panique. Foule fantastique l'entre de la gare du Midi. Enormes titres des journaux. Le chef de Rex qui, bien inform, et objectif, savait que les armes occidentales voleraient en clats ds le premier choc avec l'adversaire, comprend que l'invasion est commence. Le spectacle de la route de Gand confirme. Milliers de fuyards penchs sur le guidon de leurs bicyclettes. Matelas sur le toit des voitures. Edredons rouges. Femmes poussant leurs enfants dans des brouettes... Prison de Bruges. Squestr depuis trois jours, Degrelle demande l'autorisation d'crire l'une de ses surs habitant prs de la ville. - Non! Il voudrait prvenir un ami qui loge cinquante mtres de la prison, l'htel De Dijver. - Non! Recours au directeur. Demande rglementaire. Il n'est pas l. Ecrire. - Faut la permission du directeur. Prvenir le Parquet. - On n'est pas le Tribunal. Pourtant, les trois jours de mise au secret sont couls? Degrelle commence alors se poser de redoutables questions. Prison comble. Tumulte dans les couloirs. Dans la nuit, quelque chose qu'on trane sur le ciment passe devant la porte de sa cellule avec un bruit mou. Il entend les gardiens chuchoter entre eux: On aurait quand mme d faire attention! Plus tard, le vieil homme cheveux blancs reprend sa litanie dans une cellule voisine: - Mon fils est soldat! ... Mon fils est soldat! Et ses poings battent la porte de fer, veillant dans les profondeurs du btiment un roulement de tambour funbre. Un gardien hurle, ouvre la porte du vieux. On peroit une rumeur touffe de coups. Celle d'une chute. Des gmissements. Puis, de nouveau, le silence. Au matin, Degrelle est rveill par l'irruption des gardiens. - Habillez-vous en vitesse! Des gendarmes furieux enchanent les prisonniers deux par deux. - Serrez fort! crie un sous-officier. Faut y aller dur! Chargez les fusils! Tas de bandits! On pousse les compagnons du dput vers trois luxueux autocars de tourisme rquisitionns. Gifles, coups de poing, de crosse de fusil et de matraque s'abattent. - Voyous! Bandits!

[18]

Et, comme la loi belge impose la stricte galit linguistique, le sous-officier enchane: - Smeerlap! Smeerlap! Un coup pour les Wallons! Un coup pour les Flamands! Tandis que le vieux monsieur, maintenant couvert d'ecchymoses titube en rptant: mon fils est soldat! J'ai les papiers! Brusquement, Degrelle aperoit au premier rang de la foule enchane qu'on pousse vers les autocars, Joris van Severen et l'inspecteur Dinaso de Bruges Jan Rijckoort. Ce sont les premiers pensionnaires de la prison locale. Ils y ont vcu depuis le dbut les scnes abominables qui se sont droules l et portent les stigmates des svices subis. Degrelle cherche se rapprocher d'eux pour s'embarquer dans le mme vhicule et y parvient enfin. Il note, de loin, les rflexes du seigneur pauvre des Flandres qui cherche mettre un peu d'ordre dans sa toilette, renoue sa cravate, donne des chiquenaudes son veston macul, poudreux, dsireux de paratre en public aussi digne que par le pass, aussi strictement habill qu'autrefois. Le reste de son attitude ne traduit ni la peur ni la haine, pas mme l'inquitude.

Qui est Joris van Severen? Il est n en 1893, au 28 de la rue Molen, Wakken, gros bourg proche de Courtrai. Fils de notaire et de famille traditionnellement francophone, lve au collge Sainte-Barb de Gand, il serait peut-tre devenu quelque grand bourgeois sans la Premire Guerre mondiale. De son sang germanique et de son ducation chez les Jsuites, il tire en mme temps qu'une grande souplesse dans la manuvre, une nergie extraordinaire, une rigueur pour lui-mme et ceux qui le suivent, comparables celle de la noblesse d'pe mdivale ou des premiers moines. Trs maigre, assez grand, lil bleu et le cheveu chtain clair, un visage maci, toujours vtu avec une simplicit n'excluant pas l'lgance de bon aloi; jamais couch avant 3 heures du matin, lev aprs 7, Joris van Severen s'est fait reconnatre pour ce qu'il est, car, en Flandre occidentale, paysans et ouvriers l'ont surnomm: le seigneur pauvre (1). Mobilis en 1914 comme officier patrouilleur, il dcouvrit sur le front de l'Yser l'tat de sous-dveloppement dans lequel l'homme des Flandres tait tomb, expliquant ainsi sans la justifier sa mise en servitude par l'tat belge. 65% des hommes tenant les tranches provenaient des Flandres et se battaient aux ordres d'officiers dont ils ne comprenaient pas la langue! Passe encore pour un rassemblement dans la cour de la caserne! Les Flamands qui, pour la plupart n'entendent rien au franais, ne saisissent pas les ordres, mais se contentent de ricaner entre eux et de conclure: - Pour les Flamands, la mme chose!

[19]

Mais tout change quand tonne l'artillerie allemande. L'officier crie en fianais: -Attention! Planquez-vous! Les Flamands ne comprennent pas et restent dcouvert, se faisant tuer, tandis que les francophones cherchent un abri! Une pareille injustice, un mpris Si phnomnal de l'homme dpassaient ce que pouvait tolrer Joris van Severen. Il adhra au Parti du Front, mouvement contestataire qui appelait le sparatisme. En reprsailles, il fut dgrad, relgu dans une compagnie disciplinaire combattant sur le sol franais. Une fois la guerre termine, il se demanda, comme Borms condamn mort pour avoir ngoci avec les Allemands, s'il s'tait battu du bon ct au service des dmocraties. Durant des sicles, la France et l'Angleterre avaient surtout apport aux Pays-Bas ce que l'on appelle par euphmisme les horreurs de la guerre. Par contre, les Flamands ne pouvaient rien reprocher aux Germains qui, depuis toujours, respectaient leurs croyances, commeraient paisiblement avec les populations. Cette remise en cause des alliances ne cessera de se dvelopper pour culminer, en 1939, dans l'esprit des nationalistes flamands qui se demanderont sur qui il apparaissait plus juste de tirer quand on connaissait l'histoire: les Allemands ou les Franais! Joris van Severen se lana donc dans la politique au lendemain de la Premire Guerre et fut lu dput en 1921. Il le restera jusqu'en 1929, s'loignera progressivement du jeu dmocratique, jug incapable de rendre leur indpendance aux bas pays. Il essaye donc plusieurs formules, allant du Solidarisme chrtien la Ligue nationale flamande pour finir par crer, en 1931, son propre mouvement: le Verdinaso. C'tait un fascisme qui prenait ses distances avec le catholicisme, tout-puissant en Flandres, et tendait substituer la croix du Golgotha l'pe des anciens chevaliers. Son premier lieutenant, le commandant Franois, cra les Dinaso, milices formes d'tudiants, ouvriers et paysans, qui donnaient corps cet idal. Trs vite s'tablirent entre ces deux hommes les mmes liens qui, au xve sicle, unissaient le seigneur Jean Rubempr Charles le Tmraire, parce que tous deux chevaliers de la Toison d'Or. Manquant d'ambition, le roi des Belges avait tout de suite interdit les milices Dinaso qui, par leur attitude et leurs idaux, postulaient la renaissance de l'ancienne Bourgogne. Elles n'en continuaient pas moins se battre contre les marxistes, toujours victorieuses pour peu qu'elles n'aient pas lutter un contre dix. Maintenant, le pouvoir belge venait de capturer le seigneur pauvre et tous les Dinaso qu'il avait russi dcouvrir aprs le 10 mai.

* **

Le convoi de dports politiques s'branle au bout d'une heure, prcd par la conduite intrieure noire du mystrieux civil qui le mne vers son destin. Hollandais et Belges en exode dorment encore, entasss sept ou huit dans chacune des voitures cernant les statues de Brevdel et de Coninck. Des femmes plantureuses, la Rubens, apparaissent aux fentres des maisons en encorbellement et, de leurs

yeux encore lourds de sommeil o s'allume une tincelle dore, suivent ce mystrieux convoi

[20]

fuyant vers Ostende le long des canaux qui coupent les champs, de toits rouges en vieilles maisons espagnoles, sous un brouillard lger qui rvle la mer proche. Le soleil se lve enfin dans un ciel fard de poudre bleue. Campagnes rigoureusement plates mouchetes de petites fermes murs blancs. L'exode reprend progressivement sa transhumance. Puis la mer du Nord ourle les dunes blondes. Etendues d'eaux vides. Plages vides. Contraste avec ces routes charges de grands troupeaux d'hommes et d'engins en marche... Recrues beiges, jeunes gens ples joues roses portant couverture lie dans le dos, poussant des bicyclettes... Soldats franais dbands, perdus, avanant comme dans un rve. A partir de Middelkerke, le passage des autocars devient presque impossible, le flot de l'exode se figeant, comme touch par le gel. Des gens charitables descendent les grappes d'enfants des camionnettes qui viennent de partout, comme s'ils entraient en terre promise alors que l'arme allemande se trouve seulement quelques jours de marche derrire eux. Degrelle comprend que les puissances occultes vont le dporter en France, sans mandat d'arrt ni chef d'inculpation. Il fait part de ses craintes Joris van Severen qui rpond: - Avec les Franais, nous devons nous attendre au pire! Souvenez-vous de la Boeren Krijg! Cette Boeren Krijg, ou guerre contre les paysans, explique en partie le peu de sympathie que les Flamands portent aux Franais. Le souvenir en reste vivace, de Courrai Bruges. Par la loi du 9 vendmiaire, an IV, le Directoire avait runi les pays flamands la France, y introduisant la conscription son profit, remplaant l'glise par la Desse Raison, l'ombre des arbres de la libert. Toucher l'glise dans ce pays profondment infod au catholicisme produisit le mme effet qu'un tremblement de terre. Paysans, artisans, intellectuels et bourgeois prirent les armes au mois d'octobre 1798. La France dcrta qu'il s'agissait l d'une guerre de brigands et lana les mmes colonnes infernales qu'en Vende. Guerre atroce et brve sur laquelle tmoigne encore de nos jours un monument lev O. Vermeire, prs de Gand. Les indignes marchrent au combat sous la conduite de petites gens, brasseurs et fermiers, brandissant des drapeaux frapps l'aigle imprial d'Autriche, du lion et des btons de Bourgogne. Les sans culottes employrent la manire forte et, en dehors des batailles ranges qu'ils perdirent parfois, commirent un gnocide. Notre cavalerie dcapitait les paysans dsarms marchant le long des routes. Nos officiers prenaient des otages et les torturaient pour connatre l'emplacement des maquis . Les Bourgmestres flamands brlaient les actes de baptme pour soustraire les jeunes gens la conscription, et nous leur rendions la politesse en incendiant leurs glises comme celle de Langemarck qui, deux sicles

plus tard, donnera son nom la Waffen-SS flamande. C'tait le 26 octobre 1798. Pour faire bonne mesure, on ventra mme une femme qui sonnait le tocsin. Deux cent cinquante morts Courtrai. Atrocits Ingelmuster, Iseghem, Audenarde, Malines. Quarante et un otages fusills, dont une gamine de seize ans, devant SaintRombaud. Trois cents maisons incendies Diest. Au total, dix mille morts en moins de deux mois, chiffre norme cette

[21]

poque de faible peuplement, et suprieur aux pertes de l'arme belge en mai 1940 (2).

* **

Tandis que les policiers belges dportaient les chefs des mouvements susceptibles de redonner leur pays la grandeur perdue au XVme sicle, les policiers franais opraient l'extrme sud de l'ancien duch de Bourgogne, mais avec plus de modration que les sans culottes de 1798! L'un d'entre eux vient d'arriver au petit village de Saint-Gilles, qui se dresse au bord de la route Chagny-Montceau-les-Mines, s'inscrit dans une demi-volte du canal du Centre, tout en le dominant par l'escalade mesure d'une colline qui en souligne le parcours. Rarement ce canal porte une pniche, voire une barque de pcheur. La vie parat se retirer du plan d'eau et fait peine crdit la route, en lui confiant les automobiles qui roulent encore en mai 1940. Au loin, des monts aimables exhaussent des chaumes roux et des bois, des monts qui ne servent rien. Ce pays semble avoir renonc la cration continue qu'exige la vie, et se fige dans une sorte de contemplation de ce qu'il fut. Un homme en occupe le point culminant, comme s'il tenait veiller sur sa dcadence, en noter le cours, avec une lucidit dsespre. Il habite ce qu'on appelle le chteau de Saint-Gilles. Mais ce n'est qu'une gentilhommire de style peu glorieux, simple corps de btiment jouxtant une ferme. Deux chapeaux pointus en ardoises lui confrent la particule, selon l'ide que s'en fait M. Prudhomme. On l'aperoit mal depuis le village, car les arbres ont pouss autour de lui et le cernent. Le propritaire de ce chteau s'appelle Johanns Thomasset. Il ne l'a pas gagn la pointe de l'pe, ou par spculation, mais le tient dune tante. Qui est Johanns Thomasset? N en 1895, il a tudi Paris et, devenu professeur, enseign pendant quelques annes Roanne, Nevers et Autun, mais sans conviction, prenant sa retraite prmaturment pour venir se rfugier dans ce chteau o il vit mdiocrement des revenus de la ferme qui dpend de lui. Peu de feu en hiver. Peu d'eau en t. On s'claire parcimonieusement au ptrole. Johanns

Thomasset refuse la lumire lectrique, le tlphone, l'automobile, la III Rpublique, mais aime les femmes et le vin dont il fait une grande consommation, malgr son impcuniosit. Les villageois disent de lui: c'est un vieil original; le notaire et le pharmacien : c'est un pote! Johanns Thomasset compte en effet parmi les dizaines de milliers de potes qui honorent la France, raison d'un par commune! Contrairement la majorit de ses pairs, il a publi quelques plaquettes! Ses alexandrins, issus du XIX sicle romantique, se rvlent aussi mdiocres que les millions d'autres par lesquels les Franais expriment leurs nostalgies. Seulement, les nostalgies de Johanns Thomasset apparaissent radicalement diffrentes. Elles sont racialement fondes. Ce mdiocre professeur, grand buveur bourguignon et coureur de jupons, a dcouvert

[22]

la patrie Burgonde selon la chair et le sang, dans un temps o Joris van Severen et Lon Degrelle essaient encore de l'apprhender selon l'histoire, se limitant ainsi aux effets, alors que lui dtient la cause. Johanns Thomasset reoit rarement des visites. L'homme qui vient de demander le chemin du chteau dans la premire maison de Saint-Gilles, en cet aprs-midi flamboyant, est un policier qui se dplace en tenue civile. Il transpire en gravissant la colline, escalade brve. Porte close. Il la heurte avec une dcision toute professionnelle. Une vieille domestique rpond et se prsente en clignant des yeux, en raison de l'intense lumire. L'homme demande: - M. Thomasset est l? La paysanne, qui s'occupe de la ferme et, dans le mme temps sert la famille, ignore les petites prudences d'une domesticit bien style et rpond : oui. L'homme la repousse et s'introduit avec assurance. Johanns Thomasset apparat presque aussitt. Solide comme les paysans qui n'ont pas trahi la terre depuis plus d'une gnration, encore empreint de la dignit du magistre, le visage barr par une moustache sombre, il introduit le policier qui n'a pas encore rvl sa qualit, dans ce cabinet de travail qu'il possde au premier tage du chteau, bien qu'crivant plus volontiers dans la salle manger du rez-de-chausse en la maintenant dans un dsordre indescriptible, au point d'en chasser sa famille vers la cuisine, et demande: - Monsieur, que dsirez-vous? Le visiteur exhibe sa carte de police et rplique: - Vous poser quelques questions. Thomasset lui offre un fauteuil dont le crin merge du velours et attend, pendant que le policier extrait une liasse de papier de son porte-documents et la dploie en disant: - Monsieur, les Renseignements Gnraux ont relev, dans une petite revue, un article d'anticipation sign de vous et qui leur apparat, non seulement original, mais encore tout fait suspect. Impassible, l'ancien professeur rpond

- Si je me souviens bien, il s'appelle les merveilleuses victoires de l'empereur Ulrich Ier . Il est paru en 1933, dans la seconde livraison des Cahiers de Bourgogne! L'inspecteur vrifie: - Exact! - Et vous me rendez visite en tant que flic ou critique littraire? Lhomme fronce le sourcil. Le rude langage de Thomasset ne lui plat pas. Il hausse le ton de sa rponse. - Nous n'avons pas connatre de l'aspect littraire de cette publication, mais son inspiration politique, pour ne pas dire plus, nous intresse. Qui dsignez-vous sous le pseudonyme d'Ulrich Ier? - Hitler, bien entendu! Un peu dsempar par le caractre direct de la rponse, l'inspecteur ne la commente pas mais, ajustant ses lunettes entreprend de lire le rcit incrimin sur le ton d'un avocat gnral en train de requrir... L'empereur Ulrich Ier trouva que s'en tait trop. Il rsolut de dompter la France, alors en pleine crise politique. Le gouvernement de la Rpublique tait compos d'hommes qui n'ont laiss aucun nom dans

[23]

lhistoire. Le vice-prsident s'appelait Braun; quant au prsident je n'ai pu retenir son nom, assez difficile : c'tait un Russe. Pour endormir les dfenseurs et pacifier le pays l'empereur ne ngligea rien. Il concentra d'abord une formidable flotte arienne sur le Rhin, puis une arme, pas trs nombreuse, mais solide et pourvue de moyens de communication rapides. L'armement ordinaire tait remplac par des canons, des fusils, des pistolets lanceurs de gros et petits projectiles qui, clatant doucement, ne rpandaient que le sommeil. Les avions taient largement pourvus de ces projectiles gaz soporifique. L'empereur ne dclara point la guerre, car cela ne se pouvait plus faire. Le premier choc devant dcider de la victoire, on ne pouvait pas en prvenir l'adversaire. Par une calme nuit de printemps le raid fut ordonn. Paris fut submerg par le gaz ainsi que toute sa banlieue. Les habitants furent aussitt plongs dans le sommeil. L'arme allemande faisait deux cents kilomtres par jour. Elle fut Paris au moment o les Parisiens se rveillaient. Le vice-prsident Braun et ses ministres furent, avec beaucoup d'gards constitus prisonniers sur parole et ceux qui taient acadmiciens furent autoriss garder leur pe. L'empereur avait vaincu sans effusion de sang. Il n'y avait eu, dans son arme, que quelques collisions d'automobiles peu graves et, chez l'adversaire, aucun accident. La seule victime de cette guerre tait une vieille dvote qui, voyant une jeune fille embrasser un Allemand, mourut d'indignation... Un silence pesant et prolong souligna la dernire phrase. Puis, sur un ton agressif Thomasset demanda: - Vous dsirez un verre d'eau? Il se lve, ouvre un placard, en retire une bouteille de vin blanc, la pose sur la table.

- A Saint-Gilles, l'eau se change toujours en vin. Il est bon. Gotez! Thomasset fait claquer sa langue en buvant mais ne trinque pas avec le visiteur selon la tradition, et dit: - Alors?... Mon article ne vous plat pas et vous vous drangez pour me le faire savoir? L'inspecteur hoche la tte. - Monsieur Thomasset, jamais un patriote franais n'aurait os crire un tel article! - Moi, j'ose, car je suis seulement un patriote bourguignon. Vous avez lu ce que je pense de Paris, donc de la France telle qu'elle est devenue et je le maintiens! Le visiteur hausse les paules. - Vous pouvez penser ce qui vous plat, mais pas l'crire en pleine guerre! - Pardon! Ce rcit est paru en 1933, alors qu'Hitler venait peine d'tre dsign comme chancelier. Alors?... - C'est vrai. J'oubliais! Mais, justement ce dcalage apparat d'autant plus tonnant! Tout est en train de se dessiner, ou presque, comme prvu par vous, sept ans avant que n'clate cette guerre! ! !... Alors, de deux

[24]

choses l'une ou vous tes un prophte ou un agent de l'ennemi spcialis dans les entreprises de dmoralisation de l'arme! Johanns Thomasset allume un sourire sous sa moustache. - Et qui vous dit que je ne suis pas un prophte ou un agent de Charles, duc de Charolais, surnomm le Tmraire par les ignorants? - Monsieur, parlons srieusement! L'intelligence avec l'ennemi tombe sous le coup de l'article 75 du Code pnal et entrane la peine de mort. Vous avez tort de prendre nos curiosits la lgre! - Vous ne pouvez rien contre l'esprit clair par le sens de l'Histoire! - Peut-tre, mais beaucoup contre les espions initis aux secrets de l'abominable Hitler!!! - Je ne connais pas Hitler et, cependant, je sais dj qu'il ne gagnera pas cette guerre dont la campagne de France n'est qu'un pisode tout fait mineur. Ma patrie, hlas, ne recouvrera pas sa libert! - Vous ne parlez pas de la France? - Je parle de la Bourgogne. La France? a n'existe pas, sinon pour dtruire les peuples que ses princes ont soumis! Le policier plongea dans une sorte de mditation, visiblement drout par l'aspect insolite des positions que Thomasset rvlait, le caractre inquitant de l'article prophtique incrimin qui, selon son optique professionnelle ne pouvait que relever de l'espionnage l'chelle la plus leve. Mais encore lui fallait-il en administrer la preuve! Il sortit un carnet de sa poche de veste, le feuilleta et demanda en cherchant souligner le poids de sa question par un regard pntrant:

- Connaissez-vous le SS Grupenfhrer Best? - Je ne connais aucun Grupenfhrer et, d'ailleurs, ne sais quoi correspond ce titre. Mais je connais un professeur Best, homme aussi aimable que cultiv. - Connaissez-vous un certain von Tvenar? - Parfaitement. L'un et l'autre sont des universitaires distingus. Ce sont eux qui, bien avant la guerre, ont rassembl mes articles pars pour les faire publier aux ditions de La Phalange, Bruxelles, sous le titre Pages bourguignonnes. - Vous tes donc li avec ces hitlriens et cela pourrait expliquer vos prophties, vrai dire aussi remarquables qu'inquitantes! - Non. Pas du tout. Cette liaison spirituelle traduit seulement notre volont commune de travailler rtablir l'indpendance des pays flamands et bourguignons, deux termes coiffant la ralit d'un mme peuple germanique! - Mais elle ne peut exister sans une victoire d'Hitler? - Parfaitement! Je souhaite donc la victoire d'Hitler! - Vous osez? - J'ose et dplore qu'elle ne soit pas dj acquise. - Vous n'avez pas honte d'accepter par avance l'esclavage promis par Berlin? - Jamais Berlin ne fera peser sur les peuples un esclavage comparable celui qu'exerce Paris! L'inspecteur ramassa ses papiers, sincrement indign et dit: - Monsieur, si j'avais le pouvoir de vous arrter pour dfaitisme je vous passerais les menottes sans hsiter! Malheureusement je ne dtiens

[25]

quune simple mission d'information. Je ferai mon rapport. Mes chefs dcideront de votre sort! - Vous ne pouvez rien contre moi. Je vous chappe au mme titre que Charles de Charolais tomb sous Nancy en 1477! Vos chefs ont peut-tre le pouvoir de faire l'Histoire, pas celui de la refaire! Puis, soudain menaant, saisi par une colre aussi insolite qu'clatante, Thomasset cria! - Vous ne comprenez donc pas que je suis dj mort!!! L'inspecteur se retira sans demander son reste et, en franchissant la porte du chteau ouverte par la vieille paysanne il lui adressa un signe loquent de la main vers le front en grommelant: - Votre patron ne serait pas un peu cingl par hasard? * **

Joris van Severen le seigneur pauvre, Lon Degrelle, Johanns Thomasset, trois hommes au-dessus du temps, comme Hitler. Ils vont tenter de redonner au germanisme occidental la place qu'il occupait au XVe sicle, c'est--dire la premire. Je rapporte dans cet ouvrage leurs aventures, aussi tonnantes que leur dessein et celles des dizaines de milliers d'hommes qui les suivirent dans un combat gagn par la Russie et l'Amrique, perdu par l'Europe.

[26]

CHAPITRE II

LES ASSASSINS SONT DANS LA RUE

C

onfondu en France dans une mme rprobation, les deux chefs politiques belges sont galement unis par une mme conception de l'Histoire, mais diffrent par le style de leur action. Degrelle est un rassembleur de foules, Joris van Severen le promoteur d'une cohorte de chevaliers models dans l'homme moderne l'image de ceux qui, au XV sicle, rvaient de porter le collier de la Toison d'Or. Il admire beaucoup plus Maurras qu'Hitler ou Mussolini. Il est raciste dans la mesure o le racisme se propose, non point d'anantir des peuples plus faibles, mais de rassembler des frres sur un mme territoire, alors que cette notion n'a pas encore touch Degrelle. Le chef wallon se mfie des hitlriens dont l'apptit de domination s'oppose au sien et le chef flamand les tient pour des dmagogues; l'un comme l'autre rprouvant l'indiffrence officielle, voire l'hostilit, que le III Reich porte au christianisme. Les deux hommes prouvent une grande estime l'un pour l'autre mais ne s'aiment pas. Bien que passant outre la querelle linguistique, tenue pour secondaire, chacun se veut le rassembleur des XVII provinces de la Grande Nederland clate. Van Severen recherche les Flamands gars en pays wallon, Degrelle prtend s'implanter en pays flamand et, pouvant difficilement y diriger Rex, il en a confi la mission Paul de Mont. Malgr la consigne de silence en vigueur depuis Bruges, Joris van Severen dit Degrelle: - J'ai l'impression que les Franais vont nous faire un mauvais parti! - Les journaux franais n'ont jamais parl de vous. On ne vous connat pas! La haine de ces pauvres gens affols retombe sur moi, malgr tout ce que j'ai fait pour empcher cette guerre! - Ah! Si nous avions seulement ici une centaine de Dinasos et le commandant Franois, je vous protgerais! Ces Franais ne pourraient rien contre vous! Jef Franois avait faonn les Dinasos son image. En 1931, ds la cration du Mouvement, il avait recrut cent cinquante garons dans les milieux paysan, ouvrier, tudiant de Gand. Il les quipa d'une canne de bambou munie sa base d'une petite rondelle de cuir et, surtout, leur[27]

apprit s'en servir! Ds qu'un volontaire sollicitait son admission dans le mouvement, il cessait de s'appartenir. Culture physique journalire l'aube par la mthode Desbonnet, et histoire des Flandres le soir, aprs le travail. Quand il s'aperut que certains jeunes paysans ne savaient mme pas comment on se rasait, tombs au dernier stade du sous-dveloppement, il ajouta des cours d'ducation lmentaire. Service obligatoire les samedi, dimanche et jours de fte. Toute absence non justifie entranait l'exclusion du militant. Cette discipline n'existait pas seulement sur le papier, comme dans la plupart des mouvements politiques franais d'avant la guerre mais, prise en charge par des Flamands habitus traiter srieusement les choses srieuses, inaptes se retrancher derrire les faux-fuyants, nier l'action par des discours, elle jouait implacablement. Le commandant Franois adorait les marches de nuit et les imposait. Les Dinasos quittaient leur chantier, leur ferme, l'Universit, se rassemblaient au crpuscule et,

chargs d'un lourd sac de soldat, parcouraient le pays, sans but apparent, mais en ralit sous une double impulsion psychologique. La premire semaine, le militant puis par trente kilomtres de marche nocturne, savait qu'il en surmonterait trente deux la semaine suivante. La population des campagnes, qui voyait ou entendait passer ces colonnes venant de nulle part, allant on ne savait o, tels des fantmes shakespeariens, prtait aux Dinasos des intentions redoutables ou bnfiques, finissant par les tenir proches des anges exterminateurs ou interventeurs. Le commandant Franois utilisait ainsi la puissance processionnaire qui fait la force des religions. Les autres partis nationalistes flamands possdaient chacun un programme politique, aucun ne dtenait comme celui de Joris van Severen, un houding, un style qui tait celui des poques fortes. * ** A Dunkerque, les trois autocars de luxe se sont engouffrs dans la caserne JeanBan. Foule inquite et grondante qui semble doue de prescience quant au sort promis sa ville. Officiers, soldats, mdecins, cuisiniers tournent autour des dports, ricanant et menaant. La nouvelle de l'arrive de Degrelle s'est rpandue dans le quartier avec la mme vitesse que celle des Messerschmitts 109 en train de le survoler. Dsignant les avions, quelqu'un affirme; - Ils ne le lchent pas! Soyez tranquilles! Hitler veille sur lui! Beau salaud ce Degrelle! De nouveau, Joris van Severen soupire: - Ah! Si les Dinasos nous avaient suivis !... Maintenant, les gendarmes belges, qui ne possdent pas le moral des Dinasos, contiennent difficilement la foule et, petit petit, perdent le contrle de la situation sous la pression des autorits civiles et militaires franaises... Des journalistes se prsentent. Puis le sous-prfet, triqu dans son uniforme noir, avec son kpi que le vent brusquement emporte, ses palmes et galons d'argent. Des estafettes l'approchent, puis repartent vers des bureaux et Degrelle se demande ce qu'on prpare contre lui. Alentour, la colre monte. Des hommes lui tendent le poing.

[28]

- Au poteau! T'en as plus pour longtemps, Hitler! Vivement douze balles, salaud! Les chauffeurs des autocars ont fait le plein d'essence. ils s'impatientent, penchs sur leur volant et donnent des coups d'avertisseur. Mais le sous-prfet les retient car il attend des ordres concernant le dput de Bruxelles. Enfin un capitaine au visage blafard et bouffi apparat, trs agit et commande: - Amenez Degrelle! Deux gendarmes s'emparent de lui et le poussent dans un bureau o l'officier l'interpelle d'une voix stridente:

- Degrelle, l'heure est grave! Des milliers de femmes et d'enfants ont t tus par votre faute! Vous tiez de connivence avec Hitler! Degrelle lui rpond qu'il a fait l'impossible pour viter cette guerre et n'a pas le moindre rapport avec le chef de lAllemagne. Pris d'une crise frntique, le capitaine se rue sur lui, le frappe tour de bras puis, arrachant son revolver un gendarme belge, il le vise en pleine poitrine et hurle: - Je vous tue! J'ai tous les pouvoirs! Je vous tue! Je vous tue! ... Pendant quelques secondes les yeux du dput affrontent ceux de l'officier qui finit par se rejeter en arrire en grondant: - Je ne veux pas salir mon bureau avec une crapule comme vous! Je vous fais abattre la porte! On le pousse. Il franchit la porte, suivi par les gendarmes belges qui transpirent, accabls par la honte de laisser assassiner leur compatriote par des trangers sans mandat. Degrelle leur reproche cette lchet avec des paroles vhmentes qui claquent comme des gifles. En vain. Quatre soldats mettent baonnette au canon et l'entranent. Il demande l'autorisation d'crire un mot sa femme avant de mourir. Refus. Il rclame l'assistance du vieux moine qui se trouve dans l'un des autocars. Refus. Degrelle se tourne vers le capitaine hystrique et lui dit : - Vous allez commettre une injustice et faire quatre petits orphelins! - Je m'en fous! Je m'en fous! Si vos enfants taient l, je les abattrais moi-mme, l'un aprs l'autre! Le cortge se met en marche, officier en tte, deux soldats, baonnette au canon, encadrant Degrelle poignets enchans, deux soldats fermant la marche. La foule hurle. Des hommes, des femmes, des officiers lui dcochent des coups de pied avec une violence bestiale. Puis on le jette brutalement dans un cachot immonde. Audehors montent cent cris de mort. Une heure s'coule. Il entend des soldats confier aux gardes: - C'est fini! Il est condamn mort. On va le fusiller tout l'heure. Des bandes hurlantes s'introduisent dans le couloir. Elles insultent le prisonnier travers la porte. Les barres des verrous bougent. Des voix de femme clament. - On va lui couper les couilles! La porte branle. Si elle cde, Degrelle va mourir mutil tout vif. Il s'arc-boute contre elle de toutes ses forces. La porte ne cdant pas, les furieux s'attaquent une cloison de bois qui forme sparation avec la cellule voisine. Degrelle pousse contre elle le cabinet infect et dbordant pour la renforcer et le maintient pleins bras, les deux mains enchanes plonges

[29]

dans la merde. Il calcule avec une terrible lucidit les minutes qui lui restent vivre avant le supplice. Car la cloison va cder... Elle ne peut pas ne pas cder... Elle cde l'instant o les pas d'une troupe rsonnent dans le couloir. Des ordres claquent. Les assassins reculent, faisant place d'autres qui se couvrent d'un minimum de lgalit. La porte s'ouvre. - a y est! crie le capitaine... L'heure est venue! - Une balle dans la panse! clame le cuisinier de la prison qui apparat rouge de

toute la chaleur de ses fourneaux et de sa frousse! - Non, douze! prcise le capitaine. On entrane le dput. On le jette dans une voiture qui, aussitt, quitte la caserne. Elle traverse le port, roule le long du canal refltant de merveilleux nuages qui, la surface des eaux bleues, paressent en gros nnuphars tombes du ciel. Elle stoppe. Le capitaine descend et annonce d un ton sec : - Fini! * **

Degrelle ne regagnant pas son autocar, le chef du convoi a fini par donner le signal du dpart. On roule en direction de Bthune, travers un vritable chaos. Une terreur sans nom pousse des millions de pauvres gens sur les routes. Une panique telle que la France, la Belgique, la Hollande n'en avaient jamais connu de semblable au cours de leur histoire. Pour trouver une quivalence il faudrait, sans doute, remonter l'ge des cavernes, alors que l'homme domin par le milieu fuyait devant les invasions d'aurochs et de loups. C'est que les forces occultes ont russi matrialiser la Bte de l'Apocalypse par deux ans de propagande contre l'Allemagne hitlrienne. Elles ont achet la plupart des journaux occidentaux d'une manire trs simple: une page de publicit payante contre une page de mensonges rdactionnels. Hitler, dont les foules franaises se dsintressaient jusqu'en 1937 puisqu'il ne leur demandait rien, apparaissait maintenant sous les traits du Prince des Tnbres, porteur du capital d'pouvante distribu travers le monde depuis deux mille ans par le judo-christianisme, c'tait l'Antchrist! Le coq gaulois rvle le fond de son caractre. Aprs avoir tympanis l'univers de ses cris de dfi contre Hitler avec sa lgret habituelle, appel au combat singulier contre un homme dont il ignore tout, provoqu une guerre qu'il espre bien gagner sans la faire depuis septembre 1939, voici que sonne la minute de vrit, se rvle un combat techniquement rvolutionnaire qui frappe de stupeur sa petite cervelle. Il prend aussitt la fuite en s'gosillant, abandonnant la basse-cour, toutes plumes bouriffes, crte verte de frousse. A part quelques units, l'arme et la foule en exode ne connaissent plus qu'une stratgie, celle de la peur. La peur commet plus de ravages que les bombardiers en piqu, les chars ou l'artillerie. Et, comme l'accoutume, elle frappe en priorit les faibles et les innocents. Le convoi d'autocars belges fint par dposer une partie de son chargement la prison de Bthune. Geliers professionnels, vieux soldats de la rserve qui, le vin rouge aidant, se dcouvrent une me de

[30]

tortionnaires, les entassent, tout nus, dans une salle et s'amusent. Les coups de crosse brisent quelques membres. Un vieux moine bndictin, nonagnaire et allemand, qui faisait une retraite l'abbaye de Saint-Andr Bruges et y fut arrt

comme van Severen et Rijckoort le premier jour de la guerre, reoit un terrible coup de poing qui fait jaillir son oeil gauche de l'orbite. Il devra le remettre en place luimme! Des femmes sont violes sans considration d'ge ou d'tat. Le crne ras de Jan Rijckoort provoque l'humeur des bourreaux qui le dcorent l'aide de mgots incandescents en le traitant de sale boche, simplement parce qu'ils trouvent qu'il ressemble Eric von Stroheim! Cette vague de sadisme est un produit de la peur. Les bombardiers en piqu survolent la ville, faisant rugir leurs sirnes. Les torpilles pleuvent dans les environs, sur les colonnes d'engins, les voies ferres, dpts de locomotives. Les rumeurs incontrlables causent plus de ravages qu'elles. La stratgie parachutiste, encore balbutiante ce stade de la guerre, rgne en matresse sur le plan des lgendes. Les Allemands dposeraient sur les arrires des soldats dguiss en surs de charit! ... Chacun les a vues, de ses yeux vus! ... Des motocyclistes revtus de soutanes roulent la nuit en direction de Paris!... La 5eme colonne paralyse l'arrive des renforts! ... Les espions savent tout... Taisez-vous, mfiez-vous, des oreilles ennemies vous coutent! Donc il est bon de violer les bonnes femmes pour s'assurer qu'il ne s'agit pas de parachutistes dguiss. Joris van Severen est un agent allemand richement pay pour voyager si bien habill! La peur transcende tout, elle confre une extra-lucidit patriotique au dernier des voyous. En ces jours affolants les grandes simplifications populaires accomplissent des miracles: aucun parachutiste ne saurait lui chapper, elles devinent que tout homme afflig d'une sale gueule est un agent allemand, tout civil bien vtu pay par Hitler, tout ce qui n'est pas bien de chez nous est bien de chez lui! Ainsi devaient raisonner aux premiers ges du monde les tribus barbares chasses de leur territoire par d'autres tribus plus vloces qu'elles. Les autocars quittent la prison de Bthune dans la nuit du 19 au 20 mai. Les gendarmes belges dsertent, peu soucieux de se voir pendus comme espions et laissent les vhicules poursuivre leur route sans eux vers Abbeville qu'ils atteignent aprs vingt-quatre heures de reptation routire. La prison surpeuple refuse leur chargement. Epuiss, les chauffeurs ne se trouvent pas en tat de poursuivre. Et, cependant, le temps presse! D'aprs la rumeur publique, les blinds allemands se trouvent vingt kilomtres de la ville. Que faire? Les nouveaux gardiens, deux officiers franais et quelques vieux rservistes, trouvent une solution de fortune. Ils enferment les dports dans le sous-sol du kiosque musique qui se dresse sur la grande place de la ville. Une lampe tempte claire sommairement ce dortoir immonde. Soixante-douze hommes, femmes et enfants gisent sur le bton, trop affaiblis par quarante-huit heures de jene et leurs blessures pour s'organiser de manire dcente. On n'entend plus que les plaintes, les pleurs. des enfants et, de temps autre, la psalmodie inutile du vieux monsieur: mon fils est soldat... j'ai les papiers... mon fils est soldat... Moins encore que les dports belges, les vieux rservistes qui montent la garde autour du kiosque musique ne font cas de ces rfrences

[31]

patriotiques! Ils sont d'ailleurs fatigus, terrifis par les rumeurs de la bataille qui se rapproche d'Abbeville et surtout les interventions des Stukas, de plus en plus proches. Pleins de vinasse, ils se dandinent sur place comme des fantmes menacs de dsintgration par le lever du jour. Mais, quand le jour se lve, ils sont toujours l, munis de fusils Lebel dclasss que surmonte une gigantesque baonnette, misrablement fagots de capotes pisseuses datant de la Premire Guerre mondiale et qui leur tombent sur les talons comme des robes de chambre. Dans le sous-sol du kiosque musique, quelques cris dominent maintenant les plaintes continues accordes les unes sur les autres en sourdine. - A boire... A boire... A boire! ... La porte de fer reste verrouille de l'extrieur. Ces enfants, ces femmes, ces hommes sont enferms l depuis plus de douze heures. Certains, martyriss par des douleurs d'entrailles, se soulagent dans un coin du sous-sol. Il rgne dans cet air confin et vici une odeur abominable. Mais n'existe aucune chappatoire pour la soif. Les yeux fivreux, certains hagards, contemplent la porte avec une anxit double face, l'une appuye sur l'espoir de la voir bouger pour laisser passer un secours, mme un seau hyginique sale mais plein d'eau comme la prison de Bruges; l'autre lourde de mfiance envers cet huis qui bougera peut-tre pour introduire une quipe de bourreaux, comme Bthune, et le vieux moine ne se montre pas le moins attentif. Enfin, elle s'ouvre vers midi. Un soldat franais, un peu titubant, se penche aprs avoir recul sous la pression des odeurs abominables qui l'ont frapp au visage. - Quatre hommes de corve pour aller chercher la bouffe! Quatre volontaires se lvent en titubant et sortent, pousss par le soldat qui referme la porte derrire lui. Malgr l'paisseur des parois de bton et la rumeur presque continue des escadres allemandes survolant la ville, les dports distinguent bientt des cris d'pouvante, des supplications tout de suite couverts par une rafale de fusil. Le temps passe. Les hommes de corve ne reviennent pas. Chaque prisonnier commence se poser des questions redoutables mais n'ose pas les formuler tout haut pour que sa panique ne se transmette pas de proche en proche. Un quart d'heure plus tard, de nouveau la porte s'ouvre. - A boire! A boire... gmissent les prisonniers. Deux soldats s'encadrent cette fois dans l'ouverture lumineuse. - Quatre hommes pour la corve d'eau! hurle l'un des barbus engonc dans sa capote de clown en retraite. Personne ne bouge d'abord, puis le vieux moine se dcide, se lve, avance vers la sortie, entranant un gamin de douze ans grelottant de fivre, accroch aux jupes de sa mre et le vieux monsieur bloqu sur une phrase unique depuis le 10 mai, comme si elle relevait du traumatisme li son arrestation... Mon fils est soldat... Mon fils est soldat... - Soldat chez Hitler, ma vache! gronde un homme de l'escorte. Tout le monde comprend trs vite le sens du feu de salve qui claque tout prs du kiosque quelques minutes plus tard. En fait de corve de ravitaillement... Une stupeur profonde cloue chacun sur son lit de bton. Les Belges sont trop affaiblis pour prendre une attitude de rvolte

[32]

et l'normit de l'injustice qui leur est faite les prive de raction. Ils se contentent de se rapprocher les uns des autres, par affinit ou selon leur origine. Les Flamands reconstituent les Flandres, ceux du Borinage se sentent plus Borins que jamais et les enfants serrent troitement les jambes de leur mre. Aucun Andr Chnier ne se trouve l pour stigmatiser les bourreaux barbouilleurs de loi. Aucun tableau n'immortalisera cette scne qui rappelle les heures les plus tragiques de la Terreur. Un grand cri de dsespoir monte tandis, qu'une fois de plus, la porte s'ouvre. - Je vais faire arrter a! gronde Joris van Severen en se dressant. Jan Rijckoort le voit une fois de plus tirer sur les pans de son veston. pousseter ses manches macules et rajuster sa cravate avant de se diriger d'un pas ferme en direction de la porte. - Je vous suis, chef! crie l'inspecteur des Dinasos de Bruges. Il lui embote le pas, titube lgrement sur le seuil inond de soleil et se met en marche derrire le seigneur pauvre des Flandres que deux soldats ont saisi sous les bras. Il l'entend crier: - Je vous interdis! ... Et, la rponse de l'officier qui couvre le reste de la phrase: - Cause toujours salopard! Fusill bout portant, Joris van Severen s'croule sur le tas de corps gisant la limite d'un massif orn de fleurs. Un Stuka passe au ras des toits. Le vent d'Est transmet les aboiements des chars allemands. Quelques voitures anglaises disparaissent au fond de la place. - a c'est un vrai Boche! crie l'un des soldats en dsignant la tte rase de Jan Rijckoort... On va rigoler avec sa boule de billard! Et il lui perce le crne d'un coup de baonnette, bientt imit par les autres qui en font une boule ensanglante. - Pressons! Pressons! crie l'officier. Une femme ge, originaire de Bruges, arrte avec sa fille et sa petite-fille, est extraite du sous-sol, pousse vers le massif et massacre. On relvera trente-deux coups de baonnette dans sa seule poitrine, tmoignage aberrant sur l'infernale panique qui soulevait les bourreaux. Une heure plus tard, les chars allemands occupaient la ville et les vedettes motorises dcouvraient l vingt et un cadavres. Ni les motocyclistes feldgrau ni les soldats assassins ne pouvaient savoir que celui de Joris van Severen renatrait sur place quelques dcades plus tard, travers un monument qui le proclamait pre de la patrie... Un pre de la patrie flamande dont la disparition prmature allait freiner la renaissance (3).

* **

Lon Degrelle qui, logiquement, devrait se trouver sur ce tas de cadavres, au ct du seigneur pauvre des Flandres comme toute la presse allemande va l'annoncer

par erreur, est rest le long d'un canal

[33]

voisin de Dunkerque. Le capitaine franais qui se prpare le supplicier de sa propre initiative vient de tirer un bandeau blanc de sa poche et le serre autour des yeux du prisonnier, qui commence prier en attendant le choc des douze balles qui, parait-il, font moins de mal qu'une piqre d'pingle. Une minute passe. Pas de choc. Pas de balles. Rien que des bruits de voix touffs, puis un commandement... et les soldats rejettent le dput dans la voiture qui repart. Chaleur touffante. Minutes de plomb. Le funambulesque capitaine retire le bandeau et gronde: - Tu vas vider ton sac avant qu'on te rgle ton compte! On t'inculpe d'espionnage! Loi du 27 juillet 1939! Peine de mort! Comediante? ... Tragediante? ... Degrelle arrive Lille. Voici la rue Solferino, des militaires qui semblent l'attendre sur le pas d'une porte. Immeuble rsidentiel. Bourgeois. - Voil le fameux Degrelle! crie le capitaine. On le fourre au trou noir? - Salaud! lance un sergent qui le happe. Le voici enferm dans une chambre d'un rez-de-chausse. Sept huit personnes l'occupent dj, assises, ttes affales entre les bras replis sur une table. Soldats, baonnettes au canon, dans les coins. Degrelle reconnat un politicien belge captur Bruxelles en mme temps que lui. A ses cts, prostre, une jeune Chinoise. Pourquoi une Chinoise? On ne sait pas. On ne comprend pas. La peur-panique ne connat plus de patrie. En fin d'aprs-midi, du haut de l'escalier troit qui monte l'tage, on appelle un nom. Les ttes se redressent. Tous les prisonniers prtent l'oreille. Du premier tage tombent des clats de voix. Bruits de coups de poing. On peroit les gmissements d'un vieillard. Aou... Aou... Aou... Dans cette salle d'attente o se trouve Degrelle. rien ne se passe. Les ttes se rfugient de nouveau entre les bras pour ne plus entendre... Aou... Aou... Quelqu'un court l-haut... Des meubles tombent... Un corps se trane sur le plancher... Aou... Aou... Puis le vieillard dgringole du haut en bas de l'escalier, la tte en avant et ne bouge plus. Alors il passe une main pleine de sang sur sa tte et en retire des poignes de cheveux blancs. A minuit, nouvel appel. Un homme revient de la salle des supplices, crachant ses dents, vomissant des gorges de sang dans le verre qu'un jeune soldat, pris de compassion, lui a tendu. Enfin, voici le tour de Degrelle. Il monte l'escalier. Il se trouve devant les boxeurs en manche de chemise. Leur chef, un colosse vtu de brun, possde des mains de lutteur professionnel. Il parat de bonne humeur et apostrophe le prisonnier. - Ah! C'est ce mec-l Degrelle! Il le contemple de ses yeux durs et semble le dguster avec des presciences de gourmet. - a va! On se reverra ! Revenant en salIe d'attente, le dport Degrelle tte ses dents intactes avec une sorte de bienveillance. Le lendemain, le voici tran devant un conseil de guerre improvis. Le capitaine de Dunkerque se trouve l, une main bande force d'avoir

frapp les prisonniers. Questions et rponses s'enchanent. - Vous tes pay par Hitler! assure le colonel-prsident. - J'ai fait condamner svrement par les tribunaux belges tous ceux

[34]

qui s'taient permis d'mettre des insinuations de cet ordre! rplique Degrelle. - Vous receviez pour vos journaux des articles crits en Allemagne! - Jamais reu ni imprim quoi que ce soit venant d'Allemagne! - La preuve de votre haine de la France, c'est la photo des mulets parue dans votre journal! Interdit, Degrelle ne rpond pas, puis rflchit intensment et enfin se souvient... Il a effectivement publi un clich d'agence reprsentant des mulets franais partant pour la dsastreuse quipe de Norvge. Un rire intrieur le dcontracte et il explique puis conclut - Messieurs, je ne suis pas poursuivi pour outrage mulets mais espionnage. Il vous appartient de nourrir l'accusation. Je voudrais des faits. Lesquels? On lui demande s'il connat X. et Y., des noms qu'il n'a jamais entendu prononcer. - Alors, Messieurs, c'est tout? Vex, le colonel affirme: - On verra bien! Encore une nuit sinistre dans la maison des tortures. Un jeune homme d'Anvers s'ouvre les veines du poignet avec un morceau de verre. Devenu fou de douleur aprs avoir subi la question extraordinaire, un homme profite d'une porte ouverte et s'enfuit. Rue farouche de policiers et de soldats. On entend des cris, au loin, puis des pas assurs et les rles d'un malheureux qu'on trane sur le sol et qui ne reviendra jamais. Pendant ce temps les avions allemands passent au ras des toitures, jettent des bombes sur les points stratgiques voisins. La peur qu'ils inspirent couvre tout et nourrit l'acharnement des bourreaux. Le lendemain, Degrelle est enferm dans la prison de Loos, toujours troitement garrott. On lui rend son missel et sa mdaille en or de dput, le tout orn de petites ficelles portant son nom crit en belle ronde. Il sursaute et pense : O commence l'administration s'arrte le crime. Les instructions qui le suivent ne doivent pas exiger formellement sa mort mais plutt la suggrer, la lier soit un hasard plus ou moins sollicit, soit une condamnation en rgie prononce par qui voudra bien en prendre l'initiative. Donc: nouveau conseil de guerre. La citadelle. Escalier de grandes pierres bleues. Terrasse. Btiments dlabrs. Pltras et bouts de cigarettes dans la salle o le Tribunal l'accueille en la personne du commandant Lauweryns de Roosendael, juge d'instruction qui, lil rveur et bleu, moustache blanche, pantalon de cheval gonfl comme un arostat, bondit son entre et lui crie, au comble de l'excitation: -Heil Hitler! Heil Hitler! Heil Hitler! C'est la pice matresse de l'acte d'accusation. Le reste apparat d'une pauvret

affligeante... Degrelle a-t-il des relations avec M. Streicher? ... Connat-il le Bureau Mondial? Il rpond que ces interlocuteurs lui sont aussi inconnus que les causes du dcs de Zarathoustra. Le juge s'crie: - Vous tes protestant! Protestant, donc Allemand. Psychologie sommaire. Aprs la question rituelle concernant le nombre de millions qu'Hitler verse tous les lundis

[35]

dans la caisse du Pays rel, le commandant reste coi et chasse l'accus aussitt reconduit la prison de Loos. * ** Le dimanche 19 mai, rveil au bruit des bombes. Dpart mains enchanes, les anneaux des forats aux chevilles. Le premier camion charge trois condamns mort, sept jeunes filles et femmes dont l'une allaite un bb de sept mois. Degrelle se trouve dans le troisime engin aux cloisons de fer bien closes, sauf la porte coulisse bloque par les gardiens qui distribuent voles de gifles, coups de poing et de pied la ronde. Le convoi plonge dans l'arrire-garde, de l'exode qui, ayant puis les moyens de transport classiques, utilise maintenant les attelages ruraux, chariots de gare, locomobiles roues de fer, voitures de livraison pour la glace portant les fuyards allongs dans leurs coffres tapisss de feuilles de zinc, des corbillards et des brouettes. Le convoi des dports n'avance presque plus malgr les Come boys des vedettes anglaises postes aux carrefours. Il finit par s'immobiliser dans une cte, trente kilomtres d'Abbeville. Ds que la foule dtecte son caractre, les cris s'lvent : - A mort, les espions! - A mort les parachutistes! Un commandant de l'arme franaise qui cherche rgler la circulation se prcipite, revolver au poing : - Non! Les espions ne passeront pas! Il ne tire pas mais rallie une meute de soldats qui cernent le camion o se trouve Degrelle et russissent mme le pousser vers le bas-ct. L'un d'entre eux prtend que les soldats belges ont tir sur les Franais Cortemarck d'o il vient. La foule hurle. - C'est Degrelle! A mort Degrelle! Effray par ce dferlement qui menace sa propre personne, l'un des gardiens se penche la portire et crie - Non, non! Degrelle se trouve dans le camion de tte!

Joli cadeau fait ses camarades matons et aux femmes qu'ils convoient! Mais la foule ne fait pas de dtails. - C'est sa bande! C'est la mme chose! A mort la bande Degrelle! Lui se tient le plus loin possible de la porte, la tte cache entre ses bras. Un gigantesque Noir sngalais brandit un coutelas qu'il cherche introduire par l'ouverture et vomit des imprcations en petit ngre . Des femmes hurlent et le dput de Bruxelles comprend qu'il se trouve en grand danger de perdre une fois de plus ses prcieuses si la porte du camion cde. Elle ne cde pas, mais la fin parat cependant proche car un groupe de furieux est parti la recherche d'essence pour incendier le vhicule. Tout coup le camion dmarre, le chauffeur ayant russi remettre son moteur en marche aprs plusieurs tentatives vaines. Trs ples, les gardiens se taisent jusqu' ce que l'engin soit parvenu au sommet de la cte, puis le plus froce des deux donne une accolade sa bouteille de vin rouge et confie son collgue

[36] - Ah, merde alors! J'ai bien cru qu'ils y passaient tous! Qu'est~ce que tu aurais fait toi s'ils avaient foutu le feu? - Je me serais tir! Et toi? - Moi aussi. Ils pouvaient bien crever ces salauds! Rtis ou coups en tranches, qu'est-ce que a pouvait bien nous foutre! Les gardiens de prison sont courageux mais pas tmraires.

[37]

CHAPITRE III

LES FILLETTES DE LOUIS XI

S

i, au mois de mai 1940 le dput de Bruxelles avait pris en charge la vieille patrie avec la mme force de conviction que Joris van Severen, certains rappels historiques l'eussent frapp. Mais l'actualit lui fermait encore les grandes perspectives. Il sortait tout frmissant d'un combat politique livr dans le cadre belge, contre la dmocratie et le capitalisme apatride, n'voluait pas encore aux altitudes porteuses de grands desseins. Le grand dessein attendait en lui son rvlateur, alors que, dj, ses adversaires le peraient. Les forces obscures qui gouvernaient la France avec une lucidit prodigieuse tenaient cet homme pour dangereux, dans la mesure o elles devinaient en lui un sparatiste de grande envergure. Rien ne liait entre eux des

hommes comme Daladier, Paul Reynaud ou Ptain, rien, sauf une fidlit exemplaire Louis Xl le centralisateur. Ptain pouvait succder Paul Reynaud et, plus tard, de Gaulle Ptain, d'accord sur rien sauf sur la ncessit de maintenir l'unit franaise. Pour y parvenir, ils n'hsiteront jamais sur le choix des moyens, y compris les plus bas, comme Louis XI. Mme s'il l'ignorait encore, Degrelle suivait son sang, comme Joris van Severen et, tout instant, la revendication raciale pouvait balayer les drapeaux, briser luvre des quarante rois qui firent la France au profit de la Rpublique; la dissoudre dans un Occident germanique d'o elle tirait, sans jamais l'avouer, l'essentiel de son gnie! Louis XI ressuscitait donc travers Paul Reynaud, c'est--dire Georges Mandel! On venait d'assassiner un duc de Bourgogne en puissance, travers Joris van Severen, emprisonner l'abb Gantois, champion du retour des Flandres franaises la mre patrie; il s'agissait maintenant de liquider Degrelle avec une hypocrisie digne de celle que Louis XI et affiche. Si Degrelle avait compris ce dessein, il et opr le rappel historique qui s'imposait, se ft souvenu de ce que Louis XI appelait ses fillettes , c'est--dire ces chanes d'acier dont il accablait ses ennemis politiques. Il et pressenti l'impitoyable incarcration qu'il allait subir travers la France.[38]

* **

Le 20 mai, Degrelle est enferm dans la prison d'Evreux qui se trouve au sommet de la ville. Il y restera jusqu'au 10 juin, tout nu la nuit, vtu le jour d'un sarrau en toile voiles, recevant un morceau de pain sec le matin, une gamelle d'eau tide et noirtre midi, un bol de lentilles aux cailloux 6 heures du soir. La cure d'amaigrissement est commence et va se poursuivre au rythme de l'univers concentrationnaire. Secret absolu. Deux visites entre le 20 mai et le 7 juin. D'abord le mystrieux civil lunettes qui l'a pris en charge Bruxelles. Degrelle le dvisage avec des yeux chargs d'une telle fureur que l'homme ne dit mot et s'clipse... Ensuite, un inspecteur divisionnaire de l'administration pnitentiaire qui se contente de l'observer en se dandinant sur ses jambes puis de crier aux gardiens - S'il dit un mot, foutez-lui quatre-vingt dix jours de cachot noir! Dans quatre-vingt-dix jours, le destin de l'Europe sera boulevers mais cet homme, pas plus que Degrelle, ne peut le deviner. Aucune nouvelle ne filtre. On n'entend passer que les condamns mort tranant leurs chanes dans les couloirs. Un petit Tchque inculp d'espionnage comme lui Lille, tombe un matin sous les balles. La vie se retire lentement de la prison au fur et mesure que progresse l'arme allemande. Attaque arienne le 7 juin. Une bombe frle la prison. Un pan de verrire s'abat. Les vitres volent en clats. Encore un coup et les prisonniers priront dans les cellules o les gardiens les maintiennent. Degrelle vgte entre la vie et la mort. Famille? Nant. Amis? Nant. Juges? Nant. Ecrire? Pas d'argent. Le papier lettres gratuit? Aucune rponse des gardiens. Un prtre consolateur? Le surveillant chef le contemple, stupfait. - Un prtre? Un prtre? Mais... c'est pour quand on est presque mort?

Aprs le bombardement du 10 juin la prison est vacue. Voici de nouveau Degrelle sur les routes, bord d'un camion de la Garde mobile, en compagnie de quinze prisonniers, dont un dput de Rex, industriel bruxellois qu'il n'avait encore jamais rencontre. - Chargez vos mousquetons! crie le capitaine. Ces gendarmes mobiles apparaissent moins froces que les gardiens de l'Administration pnitentiaire. Ce sont des mridionaux et l'adjudant s'appelle Beausoleil! Il contemple la prison qui se perd, au loin, dans la lumire gnreuse et dit - Les Boches ne l'ont pas touche! - Pensez donc, fait remarquer son compagnon, les Boches savaient bien que Degrelle s'y trouvait! Ils ne voulaient pas lui faire de mal! La lgende meurtrire suit le dput! Aprs la prison d'Evreux, celle de Lisieux. Le trs catholique Degrelle connat bien la ville. Il est maintes fois venu prier dans sa basilique. Mais, aujourd'hui, Dieu est en rparation. Et lorsqu'il hsite jeter ses vtements sur le ciment ensanglant d'un couloir, le gardien crie: - a ne fait rien, c'est du sang de boche! Ici, on matraque les soldats allemands faits prisonniers. Cellule noire. Mare d'excrments sur le sol. Deux planches pour lit. Pas de couverture. Nu comme un ver de terre, Degrelle grelotte toute la nuit.

[39]

Le lendemain, 17 heures, branle-bas de fuite. Les soldats allemands sont gifls, boxs, projets de tous cts, contre les murs, dans les escaliers, pour acclrer l'vacuation. Au moment de monter dans le camion, le chef de Rex reoit un petit morceau de pain dur. Il n'a pas mang depuis trente heures. Quant l'eau, il peut toujours attendre qu'il pleuve! La Normandie s'est pare de bleuets, coquelicots, feuillages frais, colliers de roses; les chteaux et rsidences brillent sur l'tendue des pelouses rases. Les oiseaux chantent, comme si la nature cherchait cadrer dans un dcor apaisant les hommes enferms dans l'univers concentrationnaire. Gendarmerie de Caen. Sur le camion qui stationne, un gamin vient dessiner une croix gamme. On arrte aussitt ses parents, deux Alsaciens que les gendarmes prennent, bien entendu, pour des Boches! Au trou avec Degrelle et autres dangereux espions! - Fous-toi poil! lui crie un gardien que protgent plus de quinze gendarmes masss l'entre de la prison. Examen ignoble. Grasses plaisanteries. - Fous-toi poil! Fous-toi poil! Fous-toi poil!... L'ordre indfiniment rpt s'en va d'cho en cho, touchant un lot de soldats franais que les gendarmes ont ramasss sur les routes. On les accable de cris furieux et d'outrages. Toute la nuit, les coups rsonnent dans les cellules. Les gardiens frappent les soldats franais, torturent les prisonniers allemands. Le lendemain, un gardien apporte un morceau de pain noir Degrelle et lui dit:

- Un beau salaud, ton roi Lopold, pis que Louis XVI! Ce rapprochement insolite n'meut gure le prisonnier mais l'claire sur le dveloppement de la guerre. La Belgique a donc capitul, comme la Hollande, et peut-tre depuis longtemps. Lors de sa visite du soir, le maton referme la porte d'un air plein de sous-entendus qui n'annoncent rien de bon pour la nuit. Une heure plus tard, la rumeur de lourds sabots descendant l'escalier de fer veille Degrelle. L'lectricit s'allume. Les cls grincent dans la cellule. Encore mal tir de la torpeur d'un premier sommeil, il aperoit un colosse s'avancer vers lui, bras courts et muscls mergeant des manches de chemise releves, visage inject de sang et qui demande: - C'est-i-toi qui fais du tlphone? N'ayant jamais mis les pieds dans une prison, le dport ne sait pas que les vieux dtenus communiquent de cellule cellule, d'tage tage, en frappant sur les tuyauteries, pelant chaque lettre des mots par un nombre de coups quivalent la place qu'elles tiennent dans l'alphabet. - Tlphone? Quel tlphone? Mais je dormais! - Rpte un peu que tu dormais! Il rpte et aussitt le colosse saute sur lui. Un coup l'atteint la tempe et l'oreille gauche. Il cesse d'entendre. L'homme lui laboure le visage, lui martle les ctes, les reins, les jambes. Degrelle ne bouge pas car il aperoit un gardien arm qui se tient immobile dans l'encadrement de la porte, prt tirer Si on lui fournit l'alibi rbellion pour justifier son assassinat. Le gorille pousse des hurlements formidables.

[40]

- Crapule! Salaud! Bandit! Gueule de vache! Degrelle ne rpond rien et ne bouge pas. L'homme de choc a retir son sabot et l'en frappe grands coups. - Lve-toi si tes un homme! Le Belge a fort bien compris que se lever n'est pas tre un homme mais un mort. - Tu ne sortiras pas vivant de cette prison, jte ldis! Le sabot massue frappe de plus en plus fort. Degrelle s'vanouit. Il passe la nuit dans une demi-inconscience, devine qu'un gardien l'observe travers le guichet de la porte pour voir s'il a rellement son compte ou s'il va falloir de nouveau frapper. Il ne bouge donc ni bras ni jambes jusqu' l'heure o le personnel administratif de la prison reprend son travail. Il a maintenant compris que le mystrieux civil qui le suit depuis Bruxelles ne possde pas d'instructions formelles pour l'excuter. En haut lieu on souhaite bien entendu sa mort, mais on laisse aux excutants le soin d'en provoquer la condition ncessaire et suffisante. La place qu'il occupe devant l'opinion internationale exige qu'elle apparaisse naturelle ou justifie. Aprs l'chec du conseil de guerre de Lille, voici la provocation de Caen. Dsormais, Degrelle se le tiendra pour dit! Il n'a cependant pas fini de s'tonner et de craindre le pire en raison des

manuvres subtiles qui vont succder l'action brutale. Il se voit bientt chass de Caen par les bombardements, pour Nantes, via Rennes, puis Angers. Le fourgon cellulaire emporte deux prisonniers dans chacun de ses placards prvus pour un seul. Dans le couloir central s'entassent les femmes de gardiens et leur progniture. Elles tiennent de joyeux propos sur le genre de supplice qu'elles voudraient infliger leurs compagnons de voyage. Prfrant l'action directe la dialectique, leurs charmants bambins jettent des allumettes enflammes par les trous qui permettent aux dtenus de respirer. L'un de ces fils de matons y introduit une longue aiguille tricoter, cherchant crever les yeux du dput belge qui, par impossibilit de se tenir assis ou debout, deux, dans ce placard de tle, garde sur ses genoux un jeune Italien condamn a mort pour espionnage qui, dsormais, le suivra partout. C'est la technique de l'amalgame chre aux forces occultes. Puisque Degrelle se trouve li un espion, que son nom figure sur la mme fiche, il va de soi qu'il s'agit l de deux espions destins mourir ensemble. Avec un peu de chance, quelque chef de peloton distrait, ou lger, risque de les passer par les armes dans le mme temps! En outre, ce dput de Rex, l'industriel bruxellois dcouvert quelques jours plus tt, doit jouer un rle trs prcis. Une nuit, malgr la surveillance, les deux hommes russissent prendre langue et demeurent bahis. L'industriel a t arrt comme tmoin charge contre Degrelle . Il ne comprend goutte ce qu'on dsire de lui. a ne fait rien. Un tmoignage obtenu par la torture peut toujours servir contre le chef de Rex et justifier une peine de mort rgulirement prononce par un tribunal qu'on finira bien par trouver! Les trois hommes glissent donc lentement d'est en ouest. du nord vers le sud. Prison de Nantes. DAngers. De Tours. Le lundi 17juin. Degrelle se trouve en compagnie de cinq cents condamns de droit commun vacues de la prison centrale de Poissy. Dans le fourgon de queue qu'il occupe

[41]

- quarante hommes, huit chevaux en long - un relgu lui dit en clignant le lil - Toi, j' te reconnais, j'ai vu ton blaze dans lIl1ustration! Aprs vingt-quatre heures de stationnement en gare, sous la menace des bombes et prs d'un train de luxe charg d'officiers en droute qui, fraternellement, au coude coude avec les bagnards, pillent les trains de ravitaillement - beurre, corned-beef, charcuterie, champagne, cognac une locomotive asthmatique happe le convoi et le trane vers La Rochelle. Degrelle fait bon mnage avec une dizaine de dputs communistes interns depuis septembre 1939. Le train bientt stoppe. Le convoi d'officiers fournit un parti de justiciers qui viennent relancer le dput belge revolver au poing, pour l'excuter... une fois de plus! Un des dputs communistes leur barre l'accs du fourgon et crie : - S'il y en a un qui touche Degrelle, on est tous l, mfiez-vous! L'Allemagne hitlrienne n'a pas encore attaqu l'U.R.S.S.! Une solidarit profonde efface toute nuance entre prisonniers politiques et droits communs. Degrelle en fait bientt l'exprience. Alors que le train roule petite vitesse, que le soleil se couche, rouge et or, sur le bocage venden, un bagnard de Poissy saute du fourgon o se

tient Degrelle, sous le nez mme du gardien, se relve avec souplesse sur le ballast et disparat dans on boqueteau mouill de brume. Aprs quelques secondes d'hsitation le dput tente de le suivre et, dj, se penche la porte quand une main le happe par le bras et une voix le met en garde. - Fais gaffe! C'est un mouton qui vient de filer. Y a un maton qui te zieute depuis la loco! Degrelle stoppe son lan et aperoit un gardien qui, carabine haute, attend l'instant de le tirer comme un lapin. Quelques heures plus tard, le mouton devait rallier paisiblement le convoi prs de La Rochelle. Les provocateurs continuaient leur besogne et, avec un peu de chance...

* **

Port de La Pallice. Foule de bateaux gris arborant pavillons anglais, franais, belge, polonais. Une le longue et basse rampe sur l'horizon marin. Degrelle est jet dans un bateau de pche avec les neuf dputs communistes qui, eux, purgent cinq ans de prison. Voici l'le de R, clbre dans l'histoire du bagne. Le chef de Rex pense: je vais continuer ma guerre en prison sous les tropiques... ou bien en Angleterre... Non... Le 19 juin, on le ramne sur le continent, toujours ml ses frres ennemis, les communistes. Puis c'est Bordeaux que soulve une fivre trange depuis que le marchal Ptain a demand l'armistice. Degrelle juge Sa libration prochaine et se trompe. Le voici enferm dans le camp de concentration de Bassens. Peupl de juifs, qui, eux, seront librs le lendemain et prendront leur course vers la frontire espagnole. L'un d'eux, pour tout bagage, emporte un violon! Degrelle n'emporte rien, car il ne possde rien, hormis le costume de bagnard et les sabots prts par l'Administration pnitentiaire, sa mdaille de dput, son missel, un chapelet confectionn avec des bouts de ficelle. Retour en ville. Les Allemands larguent quelques bombes sur Bordeaux, histoire d'acclrer les ngociations d'armistice qui, chez les

[42]

Franais, tranent en longueur! Mais le camion reste stationn devant le fort du H, le dput livr la curiosit d'une foule haineuse. Son regard aigu, sa barbe noire comme la nuit intriguent les femmes qui crient: - Raspoutine! Raspoutine! Raspoutine repart en fourgon cellulaire. Direction Tarbes. Quelques jours de halte en la prison locale, toujours en compagnie du jeune Italien condamn mort. Lorsque Degrelle demande s'il peut assister un office religieux, le surveillant-chef lui signifie gravement : - La Rpublique ne reconnat ni ne subventionne aucun culte. Aprs la prison de Tarbes, la prison de Toulouse, Degrelle poursuit son tour de France des cachots. Aprs Toulouse, voici Albi. Toujours accompagn par les neuf

dputs communistes, il arrive au Puy-en-Velay le 29 juin. Il se trouve dans un tat pitoyable. Il a perdu quinze kilos et atteint le poids rglementaire de l'univers concentrationnaire. Couvert d'ecchymoses, de nombreuses dents casses, sourd d'une oreille aprs les coups de sabots reus Caen, la plante des pieds vif force d'avoir arpent couloirs et cachots ciments, presque paralys d'une jambe, rong par la gale et les poux, il obtient enfin l'assistance d'un mdecin. Il explique devant cet homme civilis et cultiv ce qu'il vient de subir. Le praticien n'en croit pas ses oreilles et prend langue avec les Belges rfugis au Puy parmi lesquels Degrelle compte de nombreux partisans. Cinq jours plus tard, le btonnier de l'Ordre des avocats de la Haute-Loire prend le train pour Vichy, alerte les gouvernements franais et belge replis. La nouvelle d'une rsurrection de Degrelle clate comme une bombe. La prison du Puy-en-Velay entre en folie. Tailleur, chemisier, cordonnier, directeur de banque l'investissent. Voici le prisonnier habill et chauss en homme libre, trait comme un ambassadeur par le directeur de la prison qui lui dit: - Vous sortez ce soir 9 heures! A l'heure dite, des cls s'agitent, un surveillant crie : a y est! le dput de Bruxelles monte les escaliers quatre quatre, atteint le portail qui s'ouvre sur la libert. Mais peine a-t-il hum les parfums savoureux du crpuscule que deux gendarmes le happent et le jettent dans un corbillard automobile qui, aussitt, prend sa course vers les montagnes!!!

* ** Le gouvernement de Vichy vient d'ordonner: librez Degrelle, le pouvoir occulte, toujours puissant, rpond: supprimez Degrelle! Etendu sur l'emplacement du cercueil, veill par deux gendarmes arms, le dput mdite sur cette confiscation de sa libert et lui trouve un caractre tout fait inquitant. A-t-il survcu aux svices prodigus dans vingt prisons, au lynchage par des foules apeures et furieuses pour finir cette nuit dans un guet-apens tendu quelque part dans la montagne?... Un homme politiquement bien inform comme lui sait qu'il existe des prcdents. Il pense Codreanu, conduit vers sa perte de la mme manire que lui! Le corbillard automobile suit des ravins, escalade des pentes abruptes. Le froid se fait plus vif au fur et mesure qu'on prend de l'altitude. Routes ples que les phares balayent. Un fin brouillard voile des talus

[43]

dherbe rase, des rochers, formes inquitantes. Pays perdu. Pas un village. Pas une maison sur ces tendues dont le prisonnier ignore l'emplacement.. Plateaux d'Auvergne?... Causses? ... Des lapins dbouchent dans la lumire des phares, restent prisonniers du faisceau pendant quelques secondes, puis d'un cart brusque, plongent dans la nuit tandis que d'autres les remplacent. Les gendarmes s'intressent ces jeux et finissent par vanter les joies de la chasse devant le prisonnier. Degrelle se tait et fait semblant de dormir. Les gendarmes insistent, font stopper le fourgon mortuaire, ouvrent toutes grandes les deux portes par o les croque-morts introduisent les cercueils.

- On descend! assurent-ils... Vous venez? Pas de rponse. - On va tirer quelques lapins, a va vous distraire! Degrelle hsite en se demandant si ces militaires sont de bonne foi ou obissent quelque funbre consigne. Puis il n'hsite plus en pensant qu'on ne tire pas le lapin avec un mousqueton de l'arme franaise ! ... Mais on peut fort bien tirer un dput belge! Comme Codreanu! Il aperoit en imagination son corps mouill de rose, tendu sur l'herbe, drap dans le brouillard... Il entend les termes du rapport que les gendarmes feront demain leur chef de brigade... - Le prisonnier a saut de la voiture et cherch fuir en profitant de la brume. Il fallait bien tirer! C'est regrettable mais, que pouvait-on faire d'autre? Et l'autre compte rendu, celui qu'on fait aux vritables meneurs du jeu, trs bref. - Mission accomplie, chef! Degrelle pense qu'un Codreanu suffit et reste immobile comme un rocher dcid se faire tuer dans la voiture plutt que de descendre. Les gendarmes insistent pendant cinq minutes puis, constatant l'inutilit de leurs invites, abandonnent en maugrant. Le corbillard automobile repart. Il stoppe dans un village perdu, deux heures plus tard, sous la pluie qui tombe toujours. Les gendarmes finissent par s'endormir, ou peut-tre utilisent-ils l'argument sommeil pour tenter le prisonnier, russir ce que la partie de chasse promettait et n'a pas tenu. Mais Degrelle reste ferme dans son dessein. Il ne bou