Les sept péchés capitaux du rock · Les 10 commandements du sexe de Mötley ... du sang sur les...

Les sept péchés capitauxdu rock

Anne-Sophie Jahn

Les sept péchés capitauxdu rock

Sexe, violence, argent : les nouveaux excès de la musique

Flammarion

Au Grizzli

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Sommaire

Introduction .......................................................... 13

PREMIÈRE PARTIEIRA – Colère

Le dernier jour d’Oasis ....................................... 21Jay-Z : vengeance et coup de poignard .............. 33Petites histoires : destructions ............................. 39Les taudis des Guns N’Roses ............................. 45Petites histoires : bagarres .................................... 49Les coquards de Rihanna .................................... 59Bertrand Cantat : l’histoire la plus sordide du rock

français ............................................................ 65

DEUXIÈME PARTIE INVIDIA – Envie

La guerre sans-merci de Blur contre Oasis ........ 91Nas ou Jay-Z : qui montera sur le trône

de Biggie ? ....................................................... 101Quand Eminem persécute Moby ....................... 105Comment Kanye a tué le gangsta rap ............... 109Booba contre le reste du monde ........................ 113

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Les sept péchés capitaux du rock

TROISIÈME PARTIELUXURIA – Luxure

Les 10 commandements du sexe de Mötley Crüe ................................................................ 123

Sexe en cabine : l’enregistrement d’Appetite for Destruction ................................................. 135

Creation Records : les bureaux du vice .............. 143Sang, sexe, vomi : une tournée de Justice .......... 159Petites histoires : sexe en coulisses ...................... 169

QUATRIÈME PARTIEAVARITIA – Avarice

Avec Jay-Z, rien n’est gratuit ............................. 183Pour Suge Knight, le gangsta rap n’est pas

qu’une expression ............................................ 195Le secret de Pete Doherty .................................. 201Petites histoires : les pires arnaques .................... 209Petites histoires : filles à papa ............................. 217

CINQUIÈME PARTIE SUPERBIA – Orgueil

Scott Storch : le producteur de Beyoncé victime de son super ego ................................ 229

Petites histoires : concours de beauté ................. 237Petites histoires : quand la rock star

prend la pose .................................................. 245Petites histoires : les pires fans ............................ 257

SIXIÈME PARTIE GULA – Gourmandise

Petits caprices en loge ......................................... 267Ker brisé .............................................................. 285Affreux, sale, mais pas méchant ......................... 293

Sommaire

SEPTIÈME PARTIE ACEDIA – Paresse

Petites histoires : des assistants pour tout ........... 299Petites histoires : disparitions en série ................ 305

Index .................................................................... 311Remerciements ....................................................... 318

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Introduction

Le rock a une odeur : celle du cuir, d’un T-shirt encoton imprégné de sueur, du bois verni d’une guitare,du sang sur les cordes métalliques. Celle de la bière etde la pisse. De la fumée parfois. Pourtant la rock star,elle, ne sent rien. Elle est au-delà du monde, portéepar le désir mystique du public, tel un prêtre célébrantune grand-messe.

« On entrait dans le rock comme on entre dans unecathédrale, et c’était un vaisseau spatial cette histoire,écrit Virginie Despentes dans Vernon Subutex. Il yavait des saints partout on ne savait plus devant lequels’agenouiller pour prier1. » John Lennon suscite unscandale en déclarant au quotidien anglais The EveningStandard que les Beatles sont plus populaires queJésus, cependant une foule de pèlerins se recueilleavec adoration sur les tombeaux de Jim Morrison àParis, de Jimi Hendrix à Seattle ou d’Elvis Presley àGraceland (pendant longtemps, pour ne pas ruiner leroman de sa vie, on a même caché la mort honteusedu king sur le siège des cabinets de sa maison deMemphis et ses derniers mots : « Je vais lire aux

1. Virginie Despentes, Vernon Subutex 2, Grasset, 2015.

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toilettes1. »). Dans un acte de fétichisme suprême,l’artiste plasticienne Cynthia Plaster Caster moule lesverges des rock stars des années 60, afin de préserverdes reliques de ces martyrs glorifiés, dont on chroniqueencore les aventures. La rock star a tous les droits, maisun devoir : alimenter le récit mythologique qui l’accom-pagne. Depuis mon adolescence passée à graver desmixtapes assise sur la moquette de ma chambre, j’ai tou-jours été fascinée par cette théogonie. En couvrant lamusique pour Le Point, j’ai pu rencontrer certaines deces divinités du rock et connaître leur histoire.

Alex James, bassiste de Blur et plus gros fêtard duquartet, se confie sur ce sacerdoce : « Si je rationalisaisma décadence, je dirais que c’est le devoir des rock starsde s’autoriser à dépasser les limites du raisonnable. Sije n’étais pas imprudent et extrême, je ne ferais pas bienmon travail. Je ne prenais pas de l’alcool et des droguespour m’échapper, elles m’attachaient au monde, me fai-saient me sentir plus vivant, me donnaient la mêmesensation de vertige et d’excitation que lorsque je mejetais du haut des falaises de Bournemouth. […] Je pen-sais qu’en tant que rock star, je devais aux autres dem’amuser jusqu’à la limite absolue. Car si je ne le faisaispas, qui l’aurait fait ? La turpitude, l’extrême immora-lité, est le privilège de la rock star. Personne d’autre nepeut se le permettre. Même les stars de cinéma et lesfootballeurs doivent faire preuve d’un minimum dedécence. Ils doivent tous rendre des comptes àquelqu’un. La musique est un business de jouisseurs etle succès ne fait que jeter de l’huile sur le feu. Toutes

1. Ginger Alden, Elvis & Ginger, Berkley, 2014.

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Introduction

les vraies rock stars de l’histoire sont passées par unephase de jouissance dans des proportions inconcevablespour le reste de la population. C’est ça, être une rockstar. Ce serait nul de se contenter de monter sur scènepour jouer quelques chansons et partir. Ce n’est pas ceque les gens veulent. Il n’y a rien de particulièrementgrave qui se passe en coulisses. C’est juste sale1. » Lemusicien a affirmé avoir dépensé un million de livressterling en champagne et cocaïne. « Ça a l’air ridiculemais aujourd’hui je ne le regrette pas. C’était sans aucundoute la bonne chose à faire. J’étais complètement déca-dent, mais après tout, j’étais une rock star, une vraie,avec un devoir public à accomplir2. »

Il n’est cependant plus si facile de pénétrer dans lepetit club des superstars. « Aujourd’hui, si quelqu’un sefaisait une ligne de coke dans les backstages, ce seraitimmédiatement photographié et posté sur l’Internet. Çadissuade…, m’a confié Martin Elbourne, programma-teur du festival Glastonbury. Ce serait naïf de dire qu’iln’y a pas de drogues consommées sur le site, mais engénéral, c’est fait dans les vans ou dans les loges, oùles photos sont absolument interdites. La vie privée estdevenue très importante3. » Même les groupies doivents’adapter aux nouvelles contraintes du secret. Onraconte que Justin Bieber fait signer des contrats deconfidentialité aux filles avec qui il partage un momentd’intimité. Elles doivent aussi remettre leur téléphoneportable à un agent de sécurité avant de pénétrer danssa chambre. Une conquête de Harry Styles, du boys

1. Alex James, Bit of a Blur, Abacus, 2008.2. Ibid.3. À l’auteure, le 19 novembre 2016.

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band One Direction, m’a révélé que le chanteur a tel-lement peur d’être piraté qu’il ne donne jamais sonnuméro de téléphone, mais une adresse e-mail anonymequ’il change tous les quinze jours, grâce à laquelle ellepouvait lui envoyer des messages. Les journalistes sontsoumis aux mêmes règles. Quand j’ai interviewé legroupe Depeche Mode, leur maison de disques m’ainterdit de divulguer le lieu du rendez-vous1… Cer-tains DJ, comme les Daft Punk, vont même jusqu’àdissimuler leur identité. Pire que les Daft : Malaa, quiporte tout le temps une cagoule, et pas que sur lascène. Au Summer Sound Festival 2016 à Rochefort,son arrivée est entourée d’un mystère inégalé : « Ona tous dû signer un contrat de confidentialité de deuxpages pour garantir que l’on ne dévoilerait jamais nison identité, ni celle de ses amis. À partir du momentoù il sort de son jet, personne n’a accès à lui, saufceux qui ont signé ce contrat », m’a confié un ancienmembre de l’organisation. À se demander s’il aquelque chose à cacher, comme le colonel Parker, lemanager d’Elvis. Celui-ci s’appelait en réalité Andreasvan Kuijk, un Hollandais soupçonné d’avoir assassinéla femme d’un marchand de légumes avant de fuiraux États-Unis. Voilà peut-être la véritable raison pourlaquelle le King ne s’est jamais produit en dehors duterritoire américain, son manager ayant trop peurd’être démasqué…

Meurtres, mensonges et histoires de fesses… Le rockse nourrit de la transgression. Les premières rock starssont des Blancs qui s’approprient l’héritage musical des

1. Le 20 mars 2017 à Paris.

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Introduction

Noirs, et le monétisent à leur compte. Elvis devient mil-lionnaire en piquant dans le répertoire rhythm & bluesde cette minorité écrasée par la ségrégation. Il édulcoreleurs chansons pour passer à la télévision et vend plusd’un milliard de disques, sans citer sa source d’inspi-ration. Frisson du tabou. Il s’adresse aux adolescentschatouillés par leur sexualité naissante. Guitare pendueau cou, son roulement de hanches provoque l’hystérie.Le rock, c’est de la musique de jeunes contre le mondeétabli des adultes. C’est Marlon Brando dans L’Équi-pée sauvage, c’est le règne du mauvais garçon.D’ailleurs « rock and roll » veut dire balancer et rouler,allusion à un va-et-vient sexuel. Argent facile, joliesfilles, drogue, alcool… Le style de vie des rock starsest impossible pour le commun des mortels. Quandle jeune groupe de techno français Salut c’est coolreçoit de Belgique un colis bourré de drogues diffé-rentes, ils les goûtent toutes, sans même savoir ce quec’est. Les White Stripes jouent sur le tabou del’inceste : sont-ils frère et sœur, mari et femme ? JustinBieber brûle des feux rouges, conduit en étatd’ivresse… Et quand Carl Barât fait passer des castingspour son groupe The Jackal’s (les chacals en anglais),il demande à tous les participants s’ils ont déjà étéarrêtés. « Des petits larcins ajoutent de la couleur à leurprofil1 », m’a-t-il avoué.

Parfois, le rock fait vraiment peur. Les auteurs de latuerie de Columbine portaient des T-shirts à l’effigiede Marylin Manson au moment de passer à l’acte etdes groupes de chrétiens extrémistes américains se sontempressés d’accuser le chanteur « sataniste » après le

1. À l’auteure, en mars 2015.


drame. Car tout comme Jep Gambardella, le héros dufilm La Grande Bellezza, la rock star ne doit pas secontenter d’aller à des fêtes, elle doit avoir le pouvoirde les gâcher.

PREMIÈRE PARTIE

IRA – Colère

« La peur mène à la colère,la colère mène à la haine,

la haine mène à la souffrance. »Maître Yoda,

Star Wars

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Le dernier jour d’Oasis

« À l’instant, sur le site de Rock en Seine, Liam etNoel se sont battus. » Il fait nuit et une voix nasillarderésonne sur la scène enfumée. Les 30 000 spectateursqui attendent le concert de leur vie depuis des heures,les pieds dans l’herbe boueuse, frémissent. « Ohputain, c’est pas vrai ! » « C’est une blague ? », s’interroge-t-on. La voix poursuit : « Le groupe n’existe plus. »Chaque mot tombe distinctement et lourdement deshaut-parleurs. Un tsunami de huées balaie le parc deSaint-Cloud. « Il ne jouera pas ce soir et annule lereste de la tournée européenne. » Une fille fond enlarmes. Puis une autre. Plus loin, d’autres n’y croientpas vraiment : le groupe a déjà annulé des dizaines deconcerts, ce n’est rien qu’une énième dispute, et puisils sont frères, ils ne peuvent pas se quitter… Mais lavoix, celle de François Missonnier, le directeur du fes-tival, continue, implacable : « Vous pouvez aller surle site d’Oasis où Noel vous expliquera la bagarre etla fin de son histoire avec Liam. » En prononçant cesmots, il sait qu’il va se faire insulter. « Aux chiottes ! »,s’étrangle la foule tandis que Missonnier, visiblementfurieux, tente de répéter son message en anglais.Deux écrans géants s’illuminent de chaque côté de

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Colère

la scène. En grandes lettres blanches sur fond bleu, unmessage apparaît : « Le concert d’Oasis est annulé. »Le mot annulé est souligné. Le nom du fichier(« rock_en_seine_vignette_8×10_01 ») est visible justeen dessous, comme si, dans la précipitation, l’équipen’avait même pas eu le temps de mettre au propre lecalque Photoshop.

C’est ainsi que le 28 août 2009, en pleine tournéepour Dig Out Your Soul, leur septième album, l’un desgroupes les plus populaires du monde a définitivementcoulé en banlieue parisienne. Quelques heures plus tôt,les frères Gallagher sont arrivés séparément, sans s’adres-ser le moindre mot. Leurs fans, eux, sont là depuis delongues heures. Beaucoup d’Anglais sont venus spécia-lement en France pour la soirée. Ils s’enivrent de bièredepuis le début de l’après-midi. Mais ils n’ont aucuneidée de ce qui les attend.

Cinq jours avant Rock en Seine, le 23 août, Liamn’est pas venu au V Festival à Chelmsford « parce qu’ilavait la gueule de bois1 », selon Noel. Alors quand lesdeux frères se rencontrent dans leur loge du festivalparisien, une énième dispute éclate, sous l’œil de leurentourage blasé. Liam se lance dans une diatribe contreles journalistes. Noel se tourne vers Andy Bell, le bas-siste du groupe depuis le départ de Guigsy en 1999,mais celui-ci se tait. Personne ne veut prendre part àcette guerre fratricide. Liam leur fait un doigt d’hon-neur et se retire dans sa loge, en lançant une prune del’autre côté de la pièce. Noel regarde s’écraser le fruitcontre le mur. « Une partie de moi aurait voulu quel’histoire se finisse ainsi. Ç’aurait fait un bon titre pour

1. Conférence de presse de Noel Gallagher, le 6 juillet 2011.

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la presse : une prune jette une prune et achève Oasis1 »,raconte Noel avant d’éclater de rire. Seulement Liamrevient en brandissant une guitare telle une hache, etessaye de l’abattre sur le visage de son frère. Noel évitele coup, mais tombe. La loge est petite, les autresmembres du groupe observent la scène mais refusenttoujours d’intervenir. À ce moment précis, leur tourmanager entre dans la pièce. « Cinq minutes ! », crie-t-il. Mais Noel s’en va dans la direction opposée de lascène. En sortant, il tombe sur Chas Smash (le trom-pettiste de Madness), qui, ne se doutant de rien, essayede le saluer. Noel lui dit « d’aller se faire foutre » ens’avançant vers l’arrière de sa voiture. Il s’y assied, etréfléchit cinq minutes. Le lendemain, ils sont censésjouer au Rock Am See Festival, en Allemagne. « Maisj’ai compris que je ne pouvais plus continuer commeça », dit-il. Et il demande au chauffeur de démarrer.

« C’était le premier jour du festival, un vendredi »,se souvient François Missonnier. Il est à Mini-Rock enSeine, l’espace dédié aux enfants, quand un de ses asso-ciés l’appelle sur son portable. « Rejoins-nous tout desuite. Oasis ne jouera pas », crie ce dernier. « J’aid’abord cru à une mauvaise blague, dit Missonnier.Exactement un an avant, la chanteuse Amy Winehouseavait annulé sa performance, deux heures avant de mon-ter sur scène. Du coup, mon associé avait beau me répé-ter qu’Oasis ne jouerait pas, je ne le croyais pas : je lesavais vus arriver dans l’après-midi, et ils étaient déjàinstallés dans les loges, c’était impossible ! », m’a-t-ilraconté autour d’un expresso, dans son bureau parisien.

1. Absolute Radio, le 6 juillet 2011.

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Colère

Prêt à en découdre, Missonnier enfourche son vélo ettraverse le site à toute vitesse. « Je rentre dans les loges,et là, je vois le manager d’Oasis, hébété. Liam est restéenfermé dans sa loge. Noel Gallagher avait écrit un motsur son blog annonçant la fin du groupe. J’étais sousle choc. » À ce moment-là, le directeur du festivalaperçoit les membres de Madness traîner dans les back-stages. Ils viennent de donner un super concert. Mis-sonnier leur propose de rejouer. Suggs, le chanteur,répond : « Ça tombe bien, on a aussi des costumes denuit dans le tour bus ! » Ils partent donc se changer, etreviennent avec une feuille blanche et un marker. « Bon,vous avez envie qu’on joue quoi ? », demandent-ils.« Nous, on était tellement sous tension, on était inca-pable de répondre… », m’avoue Missonnier. Suggscomprend tout de suite la situation et déclare : « On aqu’à commencer par One Step Beyond. » Leur plus grandtube. Ils sont sauvés. « Ce soir-là, ils ont joué tous leurshits. Et on a respiré », conclut le directeur du festival1.Près de dix ans plus tard, cette histoire lui colle toujoursà la peau. Quand les Libertines sont venus jouer à Rocken Seine en 2015, juste après leur reformation, CarlBarât (qui a fondé le groupe avec Pete Doherty) l’a sup-plié : « S’il te plaît, ne casse pas mon groupe commetu as fait avec Oasis ! » Il était tard. Carl était soûl,mais très sérieux. « Je lui ai promis d’essayer2 », s’amuseMissonnier.

Une guitare a été brisée en cette belle journée aoû-tienne mais aussi un mythe. Oasis a vendu plus de70 millions d’albums dans le monde (et gagné au pas-sage 77 millions de livres sterling). Leurs concerts sont

1. À l’auteure, le 13 juillet 2016.2. Ibid.

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fabuleux, légendaires. Liam Gallagher interprète tou-jours leurs tubes de sa voix nasillarde, le cou tendu versle micro, les bras dans le dos. Il lui arrive de s’arrêter,s’appliquant à être parfaitement immobile, et d’observerla foule un instant, alors qu’elle saute dans tous les sensavec adulation. Leurs chansons sont si fortes que lepublic les fait siennes. C’est le genre de mélodie quivous prend à la gorge, vous serre la trachée et vousempêche de respirer. Essayez, et vous verrez : quand onécoute une chanson d’Oasis, le cœur bat toujours plusvite, parce qu’on a l’impression que c’est un momentunique, sauf qu’à chaque fois qu’on presse « Play »,l’émotion est la même. Ils sont les Beatles, les Sex Pis-tols et les Rolling Stones réunis. La personnalité desdeux frères est tellement affirmée qu’elle s’imprime dansleur musique. Pas étonnant que leur tube Don’t LookBack in Anger soit devenu l’hymne de Manchester, aprèsl’attentat qui frappa son Arena le 22 mai 2017.

Quand le groupe naît, en 1991, dans le pavillonouvrier d’une Manchester bouleversée par l’émergencede l’acid house, l’Angleterre a soif de bêtes de scène.L’électro qui sort de la Factory de Tony Wilson possèdeune énergie formidable, mais totalement désincarnée.Seuls sur leur booth, les DJ n’ont pas le charisme desrock stars. Mais Liam et Noel, sous leurs survêts Adidasbleu clair trop larges, ont faim de gloire. Ils crient etjurent comme des prolos de pubs, jusqu’à ce qu’on lesécoute. Le public les adore. « Il n’y avait plus tellement degroupes dangereux, et les gens voulaient en entendre un1 »,se souvient Alan McGee, qui les a découverts dans unminuscule club à Glasgow. Au départ, il a cru que Liam

1. Alan McGee, Creation Stories, Pan Books, 2014.

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Colère

était un dealer, mais quand il les a vus jouer, il leur afait signer sur-le-champ un contrat chez son label,Creation Records (de l’année 1993, c’est d’ailleurs toutce dont Alan se souvient, tellement il était camé àl’époque…).

Leur premier single Supersonic est un énorme succès,et ils ont envie de profiter de chaque instant de leur célé-brité. Ils partent aussitôt sur la route, et détruisent toutesles chambres d’hôtel qu’ils occupent. Bonehead, le gui-tariste, se souvient d’une chambre où ils ont absolumenttout jeté par la fenêtre… À la fin de cette tournée, ilsseront bannis de quatre chaînes hôtelières. Les frères sontd’une franchise déconcertante. « On emmène nos amissur la route avec nous pour pouvoir les exploiter », déclaresans ciller Noel Gallagher dans sa toute première inter-view pour la télévision1. La journaliste glousse de surpriseet de délectation. C’est tellement différent, épique, exci-tant. Ils sont drôles, un peu exhibitionnistes. Du painbénit pour les médias. « On n’est pas des pop stars. Onest des mecs. On est virils. On est dans un groupe. Onaime le foot, prendre des drogues, rencontrer des femmes.On ne contredira pas ce qui est écrit sur nous2 », annonceNoel. Nous sommes en 1994, leur premier album Defi-netly Maybe s’apprête à sortir et ils s’enorgueillissent déjàd’être le plus grand groupe de tous les temps. Ils se van-tent, mais dans le fond, ils n’imaginent pas une secondeavoir un tel succès.

« Tout est arrivé trop vite3 », commente Peggy Gal-lagher, leur mère. La vocation pour la musique, Liaml’a eue en prenant un coup de marteau sur la tête dans

1. « Naked City », avec Caitlin Moran, 1994.2. Dans le documentaire « Oasis : Supersonic », 2016.3. Ibid.

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une bagarre. Pour Noel, c’était un moyen de survivreaux coups, puis à l’abandon de leur père. « Noel a tou-jours été jaloux de Liam1 », poursuit-elle. Parce que c’estlui que leur père tabassait, et pas son cadet ? Noel, letaiseux, passait son temps enfermé dans sa chambre àécrire et à gratter sa guitare. Liam, le trublion, ne cher-chait qu’à attirer l’attention. Il a toujours eu l’air pluscool que son frère. « Liam est un chien, moi un chat,explique Noel. Les chats sont des êtres indépendants,ils s’en foutent de vous. Les chiens sont tout le temps :joue avec moi, joue avec moi, s’il te plaît ! C’est aussisimple que ça. On ne peut pas changer ce qu’on est.Je suis un peu un connard. C’est comme ça2. » Ils n’ontjamais eu la même conception du groupe non plus.Pour Noel, le rock’n’roll est avant tout une affaire demusique alors que pour Liam, c’est un mode de vie3.Ils le réalisent dès leur premier concert à l’étranger,lorsque Liam se fait arrêter après s’être battu avec deshooligans dans le ferry pour Amsterdam. Noel estfurieux. Les deux frères se disputent souvent. Lorsqu’ilsenregistrent leur deuxième album (What’s the Story)Morning Glory ?, en mai 1995, dans les studios Rock-filed en pleine campagne galloise, la situation dégénèresérieusement. Pourtant, au début, tout se passait bien.La complémentarité des frères est merveilleuse à obser-ver : Noel joue la chanson une fois sur sa guitare etLiam l’interprète ensuite directement, parfaitement. Ilsenregistrent ainsi dans la béatitude Wonderwall, Hello,Champagne Supernova… Mais au bout de cinq jours,Liam en a marre de passer ses journées à attendre

1. Ibid.2. Ibid.3. Wibbling Rivalry, Oas*s, 1995.

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derrière un micro. On est vendredi, TGIF1, il fait untour au pub, puis débauche tous les autres membresdu groupe, si bien qu’à la fin, il ne reste plus que Noeldans le studio, prêt à enregistrer la chanson Don’t LookBack in Anger. Quand Liam revient, accompagné detypes croisés au bar, et que l’un d’entre eux tapote avecun petit bruit agaçant la guitare de Noel… les frèresen viennent aux mains2. Noel demande à tout le mondede partir, et Liam refuse : « Mais c’est mes copains ! »,dit-il, avant d’exploser tous les instruments du studioavec une batte de cricket. Noel demande à Alan Whitede le ramener immédiatement à Londres. Le batteur dugroupe n’a jamais oublié ce trajet : « Dans la voiture,Noel disait qu’il n’arrivait pas à croire que Liam puissefaire une chose pareille. Il flippait, et disait : Je ne veuxplus faire ça, je ne veux plus être emmerdé3. » De soncôté, Liam est rentré chez leur mère. En le voyant arri-ver avec son bras et sa jambe cassés, elle s’est écriée :« Quel genre de putain de musique vous faites là-bas4 ! », se souvient Liam. Elle passe un savon à ses fils.Deux semaines plus tard, ils sont de retour au studiopour achever l’enregistrement. « Ils n’ont pas dit unmot, ils se sont fait un gros câlin, et on a enregistréune chanson par jour, comme avant la dispute, raconteOwen Morris, le producteur du disque5. C’était lameilleure session d’enregistrement que j’aie connue detoute mon existence. La plus facile, la moins stressante,

1. Selon l’expression anglaise « Thanks God it’s Friday » : Dieumerci, c’est vendredi.

2. Q Magazine n° 339, octobre 2014.3. Ibid.4. Ibid.5. Ibid.

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la plus joyeuse et créative », conclut-il. « Nos disputespartaient de rien, affirme Noel. Dans le fond, ellesétaient toutes provoquées par l’alcool et la drogue.Musicalement, on s’entendait bien1. » Quand Liamboit, il est exaspérant. Noel a cinq ans de plus queson frère, et il n’en peut plus de voir son cadet, ivremort, oublier les paroles sur scène. Et encore, quandil accepte d’y monter… Une vraie diva. En 1996, ilrefusait déjà de chanter pour l’enregistrement duMTV Unplugged, en prétextant un mal de gorge,avant de s’asseoir dans le public pour fumer et picoleren regardant son frère chanter. Quand je le rencontredans le petit salon rouge d’un hôtel parisien, NoelGallagher me confirme cette différence fondamentaleentre son frère et lui : « Liam pense que le rock’n’rolln’est qu’une question d’attitude, de veste en cuir,d’allure… Moi, je laisse la musique parler pour moi.Aucun membre d’Oasis n’a écrit la moindre note demusique à part moi. Pour eux, la gloire et le succèsétaient un poids car ils ne les méritaient pas : ils n’écri-vaient pas, ils jouaient à peine… Donc ils devaientse prouver qu’ils étaient quelqu’un en se comportantcomme des connards. Un chanteur qui attend toutela journée à la maison que quelqu’un écrive un albumpour lui n’a rien d’autre à faire que de devenir unerock star. Il est prêt à faire n’importe quoi pour queça dure. » Il marque une pause, l’air sérieux. Les ridesqui encadrent sa bouche sont plus creusées, mais ilest resté beau. Noel est ponctuel, poli, bourgeois. Deson enfance prolétaire à Manchester il ne garde qu’unléger accent, et l’amour d’une équipe de foot. Un gros

1. Ibid.

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rubis brille sur son annulaire droit. Il baisse sa mainet une gourmette en or s’échappe de la manche de soncol roulé noir. Il reprend : « Au début, cette différenceentre nous était super parce qu’elle faisait l’identitéd’Oasis. Mais l’attitude meurt en vieillissant. Être unconnard de 50 ans, c’est tout simplement ridicule. Moi,les gens chantent encore mes chansons, elles durentpour toujours. Et même si je cessais d’être célèbre, ilme resterait toujours la musique1. »

Dans un groupe, aucune démocratie n’est possible.Là, chacun voulait être président. Liam l’a affirmé aumagazine NME 2 : c’est lui le leader du groupe. « Je suismeilleur chanteur que lui3 ! », parade-t-il. Au début,Bonehead les empêche de s’entretuer, mais il finit parclaquer la porte en pleine session d’enregistrement deleur quatrième album Standing on The Shoulder ofGiants, ne supportant plus les tensions entre eux.Depuis lors, les Gallagher ne communiquent plus quepar Twitter, où ils s’envoient des piques assassines en140 signes. Ils ne voyagent même plus ensemble etévitent de dormir dans le même hôtel. Quand ils secroisent, il leur arrive d’en venir aux poings. « Nousn’avons pas de relation en dehors du groupe. Nous nejouons pas très bien à la famille heureuse », admet Noel.« L’argent et le pouvoir ont fait grimper la tension4… »,me confie McGee. Quand Liam commence à faire lapub pour sa ligne de vêtements Pretty Green pendantles concerts d’Oasis, Noel devient fou. « Si tu veux

1. À l’auteure, le 13 septembre 2017.2. New Musical Express, grand hebdomadaire musical anglais.3. NME, décembre 2008.4. À l’auteure, le 4 novembre 2016.

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vendre tes fringues pendant nos concerts, combien tume payes1 ? », lui demande-t-il, exaspéré.

« La raison pour laquelle Noel a quitté le groupe n’arien à voir avec cette dispute de Rock en Seine2, com-mentera quelques mois plus tard Liam. Je crois qu’ilne voulait plus faire partie d’Oasis. Je crois qu’il enavait marre. Mais il n’a pas eu les couilles de le dire àses fans ou au groupe, alors il a dramatisé une disputedébile qu’on a eue, il a fait comme si c’était la pire dumonde alors que j’ai eu des disputes plus importantesavec mes ongles de pied ! », balance le chanteur avectact. « Ignition [le management du groupe, NDLA] etNoel Gallagher se sont demandé : “Comment on faitpour lancer la carrière solo de celui-là sans faire de gra-buge ? On va mettre ça sur le compte de cette tête denœud là-bas qui a un peu trop bu”3 », accuse Liam.« En fait, j’ai regretté, confie Noel. Il ne nous restaitque deux concerts à assurer, j’aurais pu retourner là-bas, et les faire. Ils auraient été mauvais, parce que Liamétait dans un état lamentable, mais on aurait été aubout de la tournée, et on aurait pu discuter tranquil-lement de notre avenir en rentrant. Peut-être qu’onaurait décidé de faire une pause et qu’on ne se seraitpas séparé4. » Au lieu de ça, les frères ne se sont plusjamais parlé que par médias interposés. Ils demandentparfois des nouvelles de l’autre à leur mère. Chacunmène sa carrière en solo, sans jamais atteindre le succèsd’Oasis. « Même si j’adore Beady Eye, je préférerais être

1. Absolute Radio, le 6 juillet 2011.2. Virgin Radio Italie, le 13 novembre 2009.3. Huck Magazine, le 1er septembre 2017.4. Absolute Radio, le 6 juillet 2011.

Colère

encore dans Oasis parce que c’était mon truc. Oasisétait ma vie1 », regrette Liam. « J’aime Noel en dehorsdu groupe. L’humain Noel, c’est mon frère, putain, jel’adore, je ferais tout pour lui. Mais le mec du businessest un des plus gros connards de l’univers2. » Liamaimerait bien se réconcilier avec son frère, mais il nepeut pas s’empêcher de le traiter de « shit bag3 » ou de« potato4 » sur Twitter. Et Noel m’a confirmé que luivivant, Oasis ne se reformerait jamais. « Avec le recul,je me dis que c’est déjà bien qu’ils aient tenu dix-huitans ensemble, observe Alan McGee, toujours optimiste.C’est plus que la plupart des groupes ! » Alex James, lebassiste de Blur, en profite pour lancer une pique à sesex-rivaux : « J’espère qu’ils se reformeront. Ils pourrontfaire notre première partie5. »

1. A Live Magazine, février 2012.2. NME, juin 2013.3. « Sac à merde. »4. « Patate. »5. The Independent, le 30 mai 2015.

Remerciements

Éric DahanTom EllenLionel de PlanetCorinne Giudicelli-JahnAlexandre JahnThomas JahnFrédéric LewinoSaïd MahraneBeaudoin MarnezJean-Pierre MaroisAlan McGeeChristophe Ono-dit-BiotMikey RishwainAlbert SebagBelda SissoJérémy SpellanzonLaurence Verfaillie

N° édition : L.01ELKN000655.N001Dépôt légal : janvier 2018

Composition et mise en pagesNord Compo à Villeneuve-d’Ascq

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