Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

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Université de Montréal Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le droit international public par Stéphane Cardinal St-Onge Faculté de droit Mémoire présenté en vue de l’obtention du grade de Maîtrise en droit international (LL.M.) Avril 2017 © Stéphane Cardinal St-Onge, 2017

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Université de Montréal

Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le

droit international public

par

Stéphane Cardinal St-Onge

Faculté de droit

Mémoire présenté en vue de l’obtention du grade de Maîtrise en droit international (LL.M.)

Avril 2017

© Stéphane Cardinal St-Onge, 2017

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Résumé

La responsabilité de protéger a été élaborée en 2001 par la Commission internationale

de l’intervention et de la souveraineté des États. Le concept se voulait une réponse aux

controverses suscitées par les interventions armées à des fins humanitaires menées dans les

années 1990. Il cherchait à concilier l’intervention à des fins humanitaires et le principe de

souveraineté afin d’assurer la protection universelle des populations civiles, notamment par les

actions du Conseil de sécurité, tout en respectant les principes qui constituent les fondements

de la société internationale basée sur la Charte des Nations Unies. Avec son entérinement par

les 191 États membres des Nations Unies lors du Sommet mondial de 2005, la responsabilité

de protéger est devenue un sujet incontournable du discours international. En 2011, la mise en

œuvre de la responsabilité de protéger par le Conseil de sécurité durant la guerre civile en

Libye et la crise postélectorale en Côte d’Ivoire a mis le concept au premier plan de l’actualité

internationale. Notre mémoire cherche à déterminer les répercussions juridiques qu’a eues la

responsabilité de protéger sur le principe de la souveraineté étatique et sur le fonctionnement

institutionnel du Conseil de sécurité.

Mots-clés : responsabilité de protéger, souveraineté étatique, Conseil de sécurité des Nations

Unies, protection des populations civiles, Charte des Nations Unies, autorisation de recourir à

la force, droit de veto, droit international public

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Abstract

The Responsibility to Protect was elaborated in 2001 by the International Commission

on Intervention and State Sovereignty following the controversies surrounding humanitarian

interventions lead during the 1990s. The Responsibility to Protect aimed at reconciling

intervention for human protection purposes and sovereignty in order to ensure the universal

protection of civilian populations, notably through the Security Council, while respecting the

principles constituting the foundation of the international society based on the Charter of the

United Nations. Since its acceptance by the 191 Member States of the United Nations during

the 2005 World Summit, the concept has become a subject of first importance at the

international stage. The implementation of the Responsibility to Protect by the Security

Council in 2011 during the Civil War in Libya and the post-electoral crisis in Ivory Coast has

put the concept on the headlines of the international news. Our thesis aims at determining the

juridical repercussions that the Responsibility to Protect had on the State Sovereignty principle

and on the institutional functioning of the Security Council.

Keywords : Responsibility to Protect, State Sovereignty, United Nations Security Council,

Protection of civilian populations, Charter of the United Nations, Authorization to use the

force, Right to Veto, Public international law

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Table des matières Résumé ........................................................................................................................................ i

Abstract ...................................................................................................................................... ii

Table des matières.................................................................................................................... iii

Liste des abréviations ............................................................................................................... v

Introduction ............................................................................................................................... 1

1. L’évolution du concept de la responsabilité de protéger ................................................... 9

1.1. L’émergence du concept de la responsabilité de protéger dans le rapport de 2001 de la

Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des États ....................... 10

1.1.1. Les trois composantes de la responsabilité de protéger du rapport de la CIISE ..... 13

1.2. Les modifications apportées au concept de la responsabilité de protéger dans le rapport

de 2004 du Groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le

changement ........................................................................................................................... 28

1.3. La reformulation et la consécration du concept de la responsabilité de protéger dans le

Document final du Sommet mondial de 2005 ....................................................................... 33

1.4. La réaffirmation du consensus de 2005 et la mise en œuvre de la responsabilité de

protéger dans le Rapport du Secrétaire général des Nations Unies (A/63/677) de 2009 ...... 41

2. Les répercussions de la responsabilité de protéger sur la souveraineté étatique

moderne ................................................................................................................................... 49

2.1. La définition de la souveraineté étatique moderne ........................................................ 50

2.2. Les répercussions de la responsabilité principale des États de protéger leurs populations

sur la souveraineté étatique moderne .................................................................................... 52

2.2.1. L’émergence du concept de la souveraineté comme responsabilité ....................... 53

2.2.2. Le concept de souveraineté responsable intégré à la responsabilité de protéger .... 56

2.2.3. Des interprétations divergentes sur les responsabilités de la souveraineté étatique

moderne............................................................................................................................. 59

2.2.4. Les crimes de masse associés à la souveraineté responsable et l’absence de

nouvelles obligations juridiques de protection pour les États ........................................... 66

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iv

2.3. Les répercussions de la responsabilité subsidiaire de protection de la communauté

internationale sur la souveraineté étatique moderne ............................................................. 73

2.3.1. La responsabilité de protéger et le principe de la non-intervention dans la conduite

des relations internationales .............................................................................................. 74

2.3.2. L’absence d’obligations de nature juridique pour la communauté internationale .. 79

3. Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le fonctionnement institutionnel

du Conseil de sécurité des Nations Unies .............................................................................. 86

3.1. Le rôle du Conseil de sécurité des Nations Unies et le cadre normatif de son action dans

la Charte des Nations Unies ................................................................................................. 87

3.2. L’appropriation du concept de la responsabilité de protéger par le Conseil de sécurité ...

............................................................................................................................................... 91

3.2.1. Les réticences du Conseil de sécurité à intégrer la responsabilité de protéger à son

discours et à sa pratique .................................................................................................... 92

3.2.2. Les clarifications du Rapport du Secrétaire général des Nations Unies (A/63/677)

de 2009 et du premier débat thématique sur la responsabilité de protéger à l’Assemblée

générale des Nations Unies ............................................................................................... 97

3.3. Le fonctionnement institutionnel du Conseil de sécurité depuis l’intégration de la

responsabilité de protéger ..................................................................................................... 99

3.3.1. L’absence de répercussions de la responsabilité de protéger sur le fonctionnement

institutionnel du Conseil de sécurité ................................................................................. 99

3.3.2. Les répercussions de la mise en œuvre de la responsabilité de protéger sur le

Conseil de sécurité au regard des cas de la Côte d’Ivoire et de la Libye ........................ 115

Conclusion ............................................................................................................................. 129

Bibliographie ......................................................................................................................... 136

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v

Liste des abréviations

A.F.R.I. : Annuaire Français de Relations Internationales

AGNU : Assemblée générale des Nations Unies

A.J.I.L. : American Journal of International Law

Am. Polit. Sci. Rev. : The American Political Science Review

Ann. Am. Acad. Pol. Soc. Sci. : The Annals of the American Academy of Political and Social

Science

Art. : Article

CAI : conflit armé international

CANI : conflit armé non international

CCG : Conseil de Coopération du Golfe

CEDEAO : Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest

CEI : Commission Électorale Indépendante de Côte d’Ivoire

C.I.J. : Cour internationale de justice

CIISE : Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des États

C.N.U.O.I. : Conférence des Nations Unies sur l'Organisation Internationale

Coll. : Collection

CSNU : Conseil de sécurité des Nations Unies

Dir. : Directeur

Doc. : Document

E.J.I.L.: European Journal of International Law

Etc. : Et cætera

Ethics Int. Aff.: Ethics & International Affairs

Global Resp. Protect : Global Responsibility to Protect

Global Soc. : Global Society

GroJIL : Groningen Journal of International Law

Groupe ACT : Groupe Responsabilité, cohérence et transparence

Id. : Idem

IICK : Independent International Commission on Kosovo

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vi

Int. Aff. : International Affairs

Int'l Comm. L. Rev. : International Community Law Review

J. Political Philos. : The Journal of Political Philosophy

Max Planck UNYB : Max Planck Yearbook of United Nations Law

Mich. St. Int'l L. Rev. : Michigan State International Law Review

MINUS: Mission préparatoire des Nations Unies au Soudan

OCI : Organisation de la coopération islamique

Off. : Officiel

ONG: Organisation non gouvernementale

ONU : Organisation des Nations Unies

ONUCI : Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire

OTAN : Organisation du Traité de l’Atlantique Nord

P. : Page

Par. : Paragraphe

Préc. : Précité

R2P : Responsabilité de protéger

Rés. : Résolution

R.I.C.R. : Revue internationale de la Croix-Rouge

R.J.T. : Revue juridique Thémis

R.T.Can. : Recueil des traités du Canada

R.T.N.U. : Recueil des traités des Nations Unies

R.T.S.N. : Recueil des traités de la Société des Nations

Sess. : Session

TPIR: Tribunal pénal international pour le Rwanda

TPIY: Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie

UA : Union africaine

UE : Union européenne

URSS : Union des républiques socialistes soviétiques

Vol. : Volume

Yale J. Int'l L. : Yale Journal of International Law

Yale L.J. : Yale Law Journal

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vii

Remerciements

Je remercie ma directrice de recherche, Madame Suzanne Lalonde, d’avoir supervisé la

rédaction de mon mémoire. Ses commentaires et ses suggestions ont grandement contribué à

l’enrichir. Je lui suis aussi très reconnaissant pour sa disponibilité tout au long du projet.

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1

Introduction

Le concept de la responsabilité de protéger est issu des controverses suscitées par les

interventions armées à des fins humanitaires1 menées dans les années 1990. À cette époque, la

fin de la guerre froide signifie la fin de la paralysie des Nations Unies et du Conseil de

sécurité. On entrevoit alors la possibilité d’une action internationale collective pour contrer les

problèmes menaçant la paix, la sécurité, les droits de la personne et le développement durable

à l’échelle planétaire2. Parallèlement, la paix et la sécurité internationales sont menacées par

des conflits de type nouveau : les conflits armés non internationaux. Ces conflits supposent

qu’au moins l'une des parties impliquées n'est pas gouvernementale. Ils se déroulent « […] soit

entre un (ou des) groupe(s) armés (sic) et des forces étatiques, soit uniquement entre des

groupes armés »3. Qu’ils soient motivés par la montée des nationalismes, les divisions

ethniques ou la volonté d’accéder ou de se maintenir au pouvoir, ces conflits armés non

internationaux ont bien souvent un point en commun : les populations civiles payent en grande

partie le prix des exactions commises et s’ensuivent, dans bien des cas, de graves crises

1 Le terme employé dans le débat des années 1990 est « intervention humanitaire ». Nous utilisons ici le terme « interventions armées à des fins humanitaires » afin de bien faire comprendre au lecteur que la controverse entourant les interventions humanitaires réside dans l’emploi de la force armée contre un État sans son consentement pour des fins dites « humanitaires » (transport et distribution de l’aide humanitaire, création et contrôle de zones de sécurité, protection des populations…) 2 COMMISSION INTERNATIONALE DE L’INTERVENTION ET DE LA SOUVERAINETÉ DES ÉTATS, La responsabilité de protéger, Ottawa, Centre de recherches pour le développement international, 2001, par. 1.12, en ligne: <http://idl-bnc.idrc.ca/dspace/bitstream/10625/17566/6/IDL-17566.pdf> (consulté le 2 septembre 2015) 3 Sylvain VITÉ, « Typologie des conflits armés en droit international humanitaire : concepts juridiques et réalités », (2009) 91-873 R.I.C.R. 69, 74

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2

humanitaires. Ce contexte a mené à une multiplication des interventions armées, basées sur

des considérations humanitaires et faites sans le consentement des États concernés4.

Les tensions observables quant aux interventions à caractère humanitaire des années

1990 reposent sur la légalité et la légitimité de celles-ci. Nombre d’arguments ont été soulevés

de part et d’autre pour justifier le bien-fondé ou non des interventions humanitaires. Nous

retiendrons ici les arguments relevant du droit international.

Les arguments s’opposant aux interventions humanitaires, dits « restrictionnistes »5,

reposent sur le fait que celles-ci sont difficilement justifiables dans l’ordre juridique

international actuel. L’absence du consentement des États quant aux interventions armées à

caractère humanitaire remet en cause l’un des fondements du droit international public : le

respect de la souveraineté étatique, au sens westphalien du terme. Puisant ses sources des

traités de Westphalie de 16486, le système international basé sur le respect de la souveraineté

étatique des États est réaffirmé dans la Charte des Nations Unies7 de 1945. Le paragraphe 1 de

l’article 2 de la Charte consacre le principe de l’égalité souveraine des États. Les paragraphes

4 et 7 de l’article 2 consacrent quant à eux l’obligation correspondante de respecter la

4 Gareth EVANS, The Responsibility to Protect: Ending Mass Atrocity Crimes Once and For All, Washington D.C., Brookings Institution Press, 2008, p. 26-27 ; l’ouvrage recense neuf opérations militaires dans les années 1990 fondées sur des considérations humanitaires. Il s’agit des opérations au Libéria (1990-1997), en Irak (1991), en Somalie (1992-1993), en ex-Yougoslavie (1992-1995) au Rwanda (1994), en Haïti (1994-1997), au Sierra Leone (1997), au Kosovo (1999) et au Timor-Leste (1999). Ces opérations ont été conduites malgré l’absence d’autorisation des gouvernements concernés. Voir aussi : Thomas G. WEISS, « The Turbulent 1990s : R2P Precedents and Prospects », dans Alex J. BELLAMY et Tim DUNNE (dir.), The Oxford Handbook of the Responsibility to Protect, Oxford, Oxford University Press, 2016, p. 56, à la page 59 5 John BAYLIS, Steve SMITH et Patricia OWENS, La globalisation de la politique mondiale. Une introduction aux relations internationales, Montréal, Modulo Éditeur inc., 2012, p. 521 6 Les Traités de Westphalie (Traité de Münster et Traité d’Osnabrück) sont des traités conclus entre Ferdinand III de Habsbourg, le royaume de France, le royaume de Suède et leurs alliés respectifs pour mettre fin aux guerres de Trente Ans et de Quatre-Vingts Ans. Ces traités ont formalisé l’émergence de l’État moderne. 7 Charte des Nations Unies (et Statut de la Cour internationale de justice), 26 juin 1945, C.N.U.O.I., vol. 15, p. 365 (texte originaire), [1945] R.T.Can. n° 7, en ligne : <http://www.un.org/fr/charter-united-nations/> (consulté le 6 janvier 2016)

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3

souveraineté des autres États, à savoir le principe de la non-intervention. Ils interdisent

respectivement aux États membres de l’Organisation des Nations Unies (ONU) de recourir ou

de menacer de recourir à la force vis-à-vis d’un autre État et aux Nations Unies d’intervenir

dans les affaires intérieures des États, sous réserve des mesures de coercition prévues au

Chapitre VII et de la légitime défense individuelle et collective prévue à l’article 51 de la

Charte. Le principe de la non-intervention a aussi été entériné par la Cour internationale de

Justice dans Affaire du détroit de Corfou8 et Affaire des activités militaires et paramilitaires

du Nicaragua et contre celui-ci9.

Les arguments en faveur de l’intervention humanitaire, dits « antirestrictionnistes »10,

reposent sur le fait que la communauté internationale est confrontée à une autre réalité, tout

aussi importante, sinon plus, que les principes juridiques susmentionnés. Les Nations Unies

ont pour objectif d’assurer le respect des droits de la personne et des libertés fondamentales.

Le préambule de la Charte des Nations Unies proclame de manière explicite la foi dans les

droits fondamentaux de l'homme11. Le paragraphe 3 de l’article 1 de la Charte énonce l’un des

principaux objectifs du système de l’ONU, à savoir celui de résoudre les problèmes

internationaux en développant et en encourageant le respect des droits de l’homme et des

libertés fondamentales pour tous. Les articles 55 et 56 de la Charte soulignent aussi la grande

importance du respect universel des droits de l’homme et des libertés fondamentales en vue de

8Affaire du détroit de Corfu (Albanie c. Grande-Bretagne), arrêt du 9 avril 1949, C.I.J. Recueil 1949, p. 4, à la page 35, en ligne : <http://www.icj-cij.org/docket/files/1/1645.pdf> (consulté le 31 janvier 2016) 9Affaire des activités militaires et paramilitaires du Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique), arrêt du 27 juin 1986, C.I.J. Recueil 1986, p. 14, aux pages 96-97, en ligne : <http://www.icj-cij.org/docket/files/70/6502.pdf> (consulté le 31 janvier 2016) 10 John BAYLIS, Steve SMITH et Patricia OWENS, La globalisation de la politique mondiale. Une introduction aux relations internationales, préc., note 5, p. 518 11 Charte des Nations Unies, préc., note 7, préambule

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4

créer les conditions de stabilité et de bien-être nécessaires pour assurer des relations pacifiques

et amicales entre les nations. L’objectif premier étant d’assurer le respect des droits de la

personne et la protection des populations civiles pour préserver la paix et la sécurité

internationale, la souveraineté ne doit pas constituer un obstacle à l’action. Certains juristes

internationaux12 s’avancent même pour dire que les interventions humanitaires ne sont pas

prohibées par l’article 2(4) de la Charte. Selon eux, seul l’usage de la force portant atteinte à

l’indépendance politique ou à l’intégrité territoriale est prohibé par ce paragraphe. Or

l’intervention humanitaire ne porte atteinte ni à l’indépendance politique ni à l’intégrité

territoriale.

Deux cas d’espèce illustrent très bien le dilemme de l’intervention. D’une part, le

génocide des Tutsis au Rwanda a démontré que l’absence d’intervention de la communauté

internationale pouvait mener à des conséquences désastreuses. De fait, 800 000 hommes,

femmes et enfants, Tutsis pour la plupart13, ont été massacrés entre les mois d’avril et de

juillet 1994 sans réactions ou engagements significatifs de la communauté internationale pour

remédier à la situation. D’autre part, l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN)

est intervenue au Kosovo en 1999 dans le but de protéger les Albanais du Kosovo du

nettoyage ethnique entrepris par les forces serbes. Cette intervention a été fortement critiquée

pour avoir violé les dispositions de la Charte des Nations Unies concernant le règlement

pacifique des différends14 et l’interdiction du recours à la force armée contre d’autres États

12 À titre d’exemple, voir: Lori Fisler DAMROACH, « Commentary on collective military intervention to enforce human rights », dans Lori F. DAMROACH et David J. SCHEFFER, Law and Force in the New International Order, Boulder, Westview Press, 1991 et Fernando R. TESÓN, Humanitarian Intervention : An Inquiry into Law and Morality, 2e éd., New York, Transnational Publishers, 1997 13 Les Hutus s’étant montrés solidaires des Tutsis seront considérés comme traîtres et seront eux aussi massacrés. 14 Charte des Nations Unies, préc., note 7, art. 2(3)

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5

sans l’autorisation du Conseil de sécurité15. La légalité rétroactive de l’intervention, instituée

par la résolution 1244 du Conseil de sécurité16, a créé un précédent donnant la possibilité à des

États d’occulter de nouveau le système des Nations Unies dans l’espoir d’obtenir ex post facto

l’approbation du Conseil17. L’intervention a donc remis en question l’ensemble du système de

sécurité collective instituée par la Charte18.

Les interventions humanitaires des années 1990 ont ainsi mis en exergue le

dilemme sous-tendant le débat sur le bien-fondé ou non des interventions humanitaires:

intervenir dans un État sans son consentement afin de sauvegarder les droits fondamentaux de

sa population civile ou respecter à tout prix le principe de non-intervention, corollaire de la

souveraineté des États. C’est dans ce contexte de vives tensions entourant le débat sur les

interventions humanitaires que le Secrétaire général des Nations Unies de l’époque, M. Kofi

Annan, a présenté ce dilemme à l’Assemblée générale dans son Rapport du Millénaire19.

Évoquant les échecs de la communauté internationale à réagir au génocide rwandais et au

massacre de milliers de civils réfugiés dans les « zones de sécurité » de l’ONU en

ex-Yougoslavie, il met au défi la communauté internationale de trouver une solution

permettant d’assurer la protection universelle des populations civiles tout en respectant les

15 Id., art. 2(4) 16 CONSEIL DE SÉCURITÉ DES NATIONS UNIES, Doc. N.U. S/RES/1244 (10 juin 1999), en ligne : <https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N99/172/90/PDF/N9917290.pdf?OpenElement> (consulté le 5 janvier 2016) 17 Katia BOUSTANY et Daniel DORMOY, « L’intervention de l’OTAN au Kosovo‒ L’humanitaire aux confins du politique, de la force armée et du droit », p. 29-30, en ligne : <http://www.sfdi.org/wp-content/uploads/2014/09/PerspAssemblC%CC%A7.pdf> (consulté le 1er mars 2016) 18 Thomas G. WEISS, « The Turbulent 1990s : R2P Precedents and Prospects », dans Alex J. BELLAMY et Tim DUNNE (dir.), The Oxford Handbook of the Responsibility to Protect, préc., note 4, p. 56, à la page 63 ; Aidan HEHIR, The Responsibility to Protect‒ Rhetoric, Reality and the Future of Humanitarian Intervention, Basingstoke ; New York, Palgrave Macmillan, 2012, p. 37-38 19 ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES, Rapport du millénaire‒ Nous, les peuples : Le rôle des Nations Unies au XXIe siècle‒ Rapport du Secrétaire général, Doc. N.U. A/54/2000 (27 mars 2000), par. 217, en ligne : <http://unpan1.un.org/intradoc/groups/public/documents/un/unpan004565.pdf> (consulté le 29 janvier 2016)

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6

principes qui constituent les fondements de la société internationale basée sur la Charte des

Nations Unies:

« […] si l’intervention humanitaire constitue effectivement une atteinte inadmissible à la souveraineté, comment devons-nous réagir face à des situations comme celles dont nous avons été témoins au Rwanda ou à Srebrenica et devant des violations flagrantes, massives et systématiques des droits de l’homme, qui vont à l’encontre de tous les principes sur lesquels est fondée notre condition d’êtres humains? »20.

En réponse à l’appel du Secrétaire général, le Gouvernement canadien crée, en

septembre 2000, la Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des États

(CIISE), chargée de trouver une manière de concilier l’intervention à des fins de protection

humaine et la souveraineté et de faire émerger un consensus politique mondial sur la question

afin d’éviter l’inaction ou le blocage des actions dans le cadre du système international, en

particulier par l’entremise des Nations Unies21. De ce mandat naîtra un nouveau concept, la

« responsabilité de protéger ». Adoptée par les 191 États membres des Nations Unies dans le

Document final du Sommet mondial de 2005, la responsabilité de protéger est devenue un sujet

incontournable du discours international. Depuis, elle se trouve à l’ordre du jour de la plupart

des débats se rapportant à la protection des populations civiles, est régulièrement évoquée par

l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité et fait l’objet de rapports annuels du Secrétaire

général des Nations unies. Aussi, les interventions militaires autorisées par le Conseil de

sécurité en Libye et en Côte d’Ivoire en 2011 ont mis la responsabilité de protéger au premier

plan de l’actualité internationale.

20 Id., par. 217 21 COMMISSION INTERNATIONALE DE L’INTERVENTION ET DE LA SOUVERAINETÉ DES ÉTATS, La responsabilité de protéger, préc., note 2, par. 1.7

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7

Tous ces éléments nous ont amenés à vouloir entamer une recherche plus approfondie

du concept sur le plan juridique. Comment le concept est-il parvenu à surmonter le dilemme

de l’intervention? Créé-t-il de nouvelles obligations de nature juridique pour les États ou pour

la communauté internationale? Les interventions armées autorisées par le Conseil de sécurité

au nom de la responsabilité de protéger constituent-elles du droit nouveau? Comment le

concept est-il parvenu à remédier au problème de l’inaction de la communauté internationale,

causée par l’utilisation du droit de veto d’un des cinq membres permanents du Conseil de

sécurité? Comment se fait-il que la responsabilité de protéger, pourtant acceptée par

l’ensemble de la communauté internationale et employée en Libye et en Côte d’Ivoire, n’est

pas utilisée à l’heure actuelle pour venir en aide aux populations civiles en Syrie? Nous

cherchons, dans ce mémoire, à contribuer à l’avancement des connaissances sur le sujet en

effectuant une analyse des répercussions qu'a eues la responsabilité de protéger sur le droit

international public. Plus précisément, l’objet de notre recherche vise à déterminer en quoi la

responsabilité de protéger a modifié ou a fait évoluer le droit international positif encadrant le

principe de la souveraineté étatique et le fonctionnement institutionnel du Conseil de sécurité

afin d’atteindre les objectifs sous-tendant l’élaboration du concept. Ainsi, notre démarche

s’inscrit dans le courant théorique du positivisme juridique. Elle repose essentiellement sur

l’analyse des différentes sources du droit international tel que défini par l’article 38 du Statut

de la Cour internationale de Justice22 au regard des documents ayant contribué à l’élaboration

conceptuelle de la responsabilité de protéger. Cependant, certaines de nos analyses se fondent

sur les approches sociologique et historique du droit. Aussi, nous analyserons les

22 Statut de la Cour internationale de Justice, annexé à la Charte des Nations Unies (et Statut de la Cour internationale de justice), préc., note 7, art. 38

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répercussions que la responsabilité de protéger a eues sur le plan de la politique internationale,

sans toutefois entrer dans les détails. En effet, la politique internationale a grandement

contribué au développement conceptuel de la responsabilité de protéger, qui a à son tour

influencé la politique internationale se rapportant à la protection des populations civiles. Il

aurait été difficile de passer sous silence cet aspect dans notre analyse, même si cette dernière

porte sur les répercussions juridiques de la responsabilité de protéger.

Pour répondre à notre question de recherche, nous définirons d’abord la responsabilité

de protéger en faisant état de l’évolution historique du concept depuis sa présentation dans le

rapport de la Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des États en

2001 (1.). Cette définition du concept nous permettra de déterminer les répercussions qu’a

eues la responsabilité de protéger sur le principe de la souveraineté étatique (2.) et sur le

fonctionnement institutionnel du Conseil de sécurité (3.).

Page 17: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

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1. L’évolution du concept de la responsabilité de protéger

Depuis sa première version en 2001 dans le rapport de la Commission internationale de

l’intervention et de la souveraineté des États (CIISE) (1.1.), la définition de la responsabilité

de protéger a beaucoup évolué. Le rapport de 2004 du Groupe de personnalités de haut niveau

sur les menaces, les défis et le changement, intitulé Un monde plus sûr : notre affaire à tous, a

quelque peu modifié le concept de la responsabilité de protéger élaboré par la CIISE (1.2.).

Néanmoins, la plus grande évolution du concept se situe dans l’adoption de la

résolution A/RES/60/1 de l’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU) à la suite du

Sommet mondial de septembre 2005 (1.3.). Alors que cette résolution adoptée à l’unanimité

par les États membres des Nations Unies devait définir une fois pour toutes le sens et la portée

de la responsabilité de protéger, plusieurs auteurs ont entrepris une relecture de la résolution,

remettant en cause le consensus de 2005 et allant même jusqu’à mettre en péril l’avenir du

concept. Cette confusion conceptuelle s’est éclairée lorsque le Secrétaire général des Nations

Unies a entériné la responsabilité de protéger de la résolution A/RES/60/1 de l’AGNU dans

son rapport de 2009 intitulé La mise en œuvre de la responsabilité de protéger (1.4.).

Page 18: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

10

1.1. L’émergence du concept de la responsabilité de protéger dans

le rapport de 2001 de la Commission internationale de

l’intervention et de la souveraineté des États

Le rapport de la Commission internationale de l’intervention de la souveraineté des

États (CIISE), intitulé La responsabilité de protéger, énonce pour la première fois le concept

de la responsabilité de protéger23. Tel que mentionné dans l’introduction de ce mémoire, le

rapport vise à répondre à l’appel du Secrétaire général dans son Rapport du millénaire24 et à

trouver un moyen de concilier, dans la mesure du possible, l’intervention à des fins

humanitaires et le principe de souveraineté25. Ainsi, la CIISE pose la question à savoir si des

États ont le droit de prendre : « […] des mesures coercitives – et particulièrement militaires –

contre un autre État pour protéger des populations menacées dans ce dernier, et si oui, dans

quelles circonstances? »26. Le rapport reconnaît que le « droit d’intervention humanitaire » est

controversé, notamment en raison du flou entourant ses modalités d’exercices27.

Devant les controverses suscitées par les interventions armées à des fins humanitaires,

les commissaires ont entrepris de changer la terminologie du débat. En passant du concept

23 COMMISSION INTERNATIONALE DE L’INTERVENTION ET DE LA SOUVERAINETÉ DES ÉTATS, La responsabilité de protéger, préc., note 2 24 À titre de rappel : « […] si l’intervention humanitaire constitue effectivement une atteinte inadmissible à la souveraineté, comment devons-nous réagir face à des situations comme celles dont nous avons été témoins au Rwanda ou à Srebrenica et devant des violations flagrantes, massives et systématiques des droits de l’homme, qui vont à l’encontre de tous les principes sur lesquels est fondée notre condition d’êtres humains? » ; ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES, Rapport du millénaire‒ Nous, les peuples : Le rôle des Nations Unies au XXIe siècle‒ Rapport du Secrétaire général, préc., note 19, par. 217 25 COMMISSION INTERNATIONALE DE L’INTERVENTION ET DE LA SOUVERAINETÉ DES ÉTATS, La responsabilité de protéger, préc., note 2, par. 1.7 ; ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES, Rapport du millénaire‒ Nous, les peuples : Le rôle des Nations Unies au XXIe siècle‒ Rapport du Secrétaire général, préc., note 19, par. 216 et 217 26 COMMISSION INTERNATIONALE DE L’INTERVENTION ET DE LA SOUVERAINETÉ DES ÉTATS, La responsabilité de protéger, préc., note 2, p. VII 27 Id.

Page 19: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

11

d’« intervention humanitaire », à celui de « responsabilité de protéger », les commissaires

visaient à ne plus limiter le débat autour de l’intervention en soi. En effet, de leur avis, le fait

de demeurer dans la traditionnelle formulation de « droit d’intervention humanitaire » amenait

à se concentrer sur les prétentions, droits et prérogatives des États intervenants plutôt que sur

les besoins urgents des bénéficiaires de l’intervention28. Tel que l’énonce Gareth Evans, l’un

des coprésidents du rapport : « […] by turning the "right to intervene" into the "responsibility

to protect": re-characterizing the issue as not being about the "right" of states to do anything,

but rather the "responsibility" of all states to act to protect their own and other peoples at

risk »29. Qui plus est, la responsabilité de protéger cherche à voir « l’intervention » dans un

domaine plus large30, c’est-à-dire à prendre en compte la prévention des situations, à assurer

un suivi au cours des interventions et à assurer la reconstruction post-intervention31.

L’intervention, dans la responsabilité de protéger, devient une mesure de dernier recours, une

fois tous les autres moyens épuisés. Le concept de la « responsabilité de protéger » est donc

plus large que ceux du droit d’ingérence32 ou du droit d’intervention humanitaire33.

Dans le but de réconcilier souveraineté des États et intervention à des fins

humanitaires, les commissaires énoncent que la responsabilité de protéger incombe en premier

28 Id., par. 2.28 29 Gareth EVANS, « The Raison d’Etre, Scope, and Limits of The Responsibility to Protect », dans Anne-Laure CHAUMETTE et Jean-Marc THOUVENIN (dir.), La responsabilité de protéger, dix ans après, Paris, Éditions Pedone, 2013, p. 19, à la page 20 30 Ramesh THAKUR, The Responsibility to Protect: Norms, Laws, and the Use of Force in International Politics, Abingdon, Routledge, 2011, p. 77 et 78 31 COMMISSION INTERNATIONALE DE L’INTERVENTION ET DE LA SOUVERAINETÉ DES ÉTATS, La responsabilité de protéger, préc., note 2, chapitres 3, 4 et 5 32 Jean-Baptiste JEANGÈNE VILMER, « De la mythologie française du droit d’ingérence à la responsabilité de protéger‒ Une clarification terminologique », (2012) 13 A.F.R.I. 81, 89 33 Nabil HAJJAMI, La responsabilité de protéger, coll. « Collection de droit international », Bruxelles, Bruylant, 2013, p. 5

Page 20: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

12

lieu à l’État34. Ce faisant, les commissaires affirment respecter l’état du droit international et le

système étatique moderne, en plus de respecter une réalité concrète, à savoir, que l’État dont la

population est directement touchée par la crise est le mieux placé pour la protéger35. Dans ce

contexte, la communauté internationale a une responsabilité résiduelle de protéger la

population des États dans trois situations : lorsque des États sont manifestement incapables ou

peu désireux de s’acquitter de leur responsabilité de protéger, lorsque les États sont les auteurs

effectifs des crimes ou atrocités en question ou lorsque les actes qui se déroulent dans les États

menacent des personnes vivant à l’extérieur de ces derniers36. De plus, afin d’élargir la notion

de la responsabilité de protéger et de ne pas limiter celle-ci aux simples interventions à

caractère humanitaire, les commissaires énoncent que trois composantes font partie intégrante

de la responsabilité de protéger, tant pour les États dont les populations sont touchées que pour

la communauté internationale, à savoir la responsabilité de prévenir, la responsabilité de réagir

et la responsabilité de reconstruire.

34 COMMISSION INTERNATIONALE DE L’INTERVENTION ET DE LA SOUVERAINETÉ DES ÉTATS, La responsabilité de protéger, préc., note 2, par. 2.30 35 Id. 36 Id., par. 2.31

Page 21: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

13

1.1.1. Les trois composantes de la responsabilité de protéger du rapport de

la CIISE

1.1.1.1. La responsabilité de prévenir

La responsabilité de prévenir vise à mettre en place les conditions nécessaires pour

prévenir les conflits ou toute autre forme de catastrophe produite par l’homme. Pour ce faire,

les commissaires sont d’avis que les moyens passent essentiellement par la responsabilisation

et la bonne gouvernance, la protection des droits de l’homme, la promotion du développement

socioéconomique et la répartition équitable des ressources37. Cette mise en place des

conditions essentielles à la prévention des conflits ou de toute autre catastrophe produite par

l’homme se fait avec l’appui de la communauté internationale. Cet appui peut prendre

différentes formes : aide au développement et autres actions contribuant à éliminer les causes

profondes d’un conflit potentiel, soutien aux initiatives mises en place par l’État concerné pour

promouvoir la bonne gouvernance, missions de bons offices et efforts de médiation afin de

favoriser le dialogue ou la réconciliation, etc38. Pour que la prévention des conflits et des

sources connexes de détresse humaine soit efficace, la CIISE énonce que trois conditions

essentielles doivent être réunies, à savoir la connaissance de la fragilité de la situation et des

risques qui vont de pair avec cette fragilité (« l’alerte rapide »), la compréhension des

différentes politiques susceptibles de modifier effectivement le cours des choses (« l’outillage

préventif ») et la volonté d’appliquer les mesures décidées (« la volonté politique »)39.

37 Id., par. 3.2 38 Id., par. 3.3 39 Id., par. 3.9 ; La CIISE traite en détail de la mobilisation de la volonté politique tant sur les plans national qu’international au chapitre 8 de son rapport.

Page 22: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

14

1.1.1.2. La responsabilité de réagir

La responsabilité de réagir prône désormais, contrairement aux interventions

humanitaires, des mesures graduelles d’intervention. La responsabilité de réagir doit entrer en

ligne de compte uniquement lorsque la prévention (la responsabilité de prévenir) a échoué40.

La gradation des mesures d’intervention commande de commencer par appliquer les mesures

les moins intrusives et coercitives avant celles qui le sont plus41. Ces mesures sont d’abord

d’ordre politico-diplomatique, économique ou judiciaire42. La mesure la plus intrusive et la

plus coercitive, celle de l’intervention militaire, ne doit intervenir qu’en dernier recours. Le

principe de non-intervention doit constituer le point de départ par rapport auquel toute

exception doit être justifiée43. Dans le but de s’assurer que l’intervention militaire à des fins

humanitaires constitue un dernier recours et qu’elle est pleinement justifiée, la CIISE propose

six critères à satisfaire pour qu’une intervention militaire ait lieu : la juste cause, la bonne

intention, le dernier recours, la proportionnalité des moyens, les perspectives raisonnables et

l’autorité appropriée44.

Le critère de la juste cause définit deux grandes catégories de circonstances pouvant

justifier une intervention militaire, à savoir « des pertes considérables en vies humaines,

effectives ou appréhendées, qu’il y ait ou non intention génocidaire, qui résultent soit de

l’action délibérée de l’État, soit de sa négligence ou de son incapacité à agir, soit encore d’une

40 Id., par. 3.34 41 Id., par. 4.1 42 Id., par. 4.2, 4.7, 4.8, 4.9 43 Id., par. 4.11 44 Id., par. 4.13 et 4.16

Page 23: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

15

défaillance dont il est responsable »45 ou « un « nettoyage ethnique » à grande échelle, effectif

ou appréhendé, qu’il soit perpétré par des tueries, l’expulsion forcée, la terreur ou le viol »46.

La CIISE a pris le soin de détailler dans son rapport ce qu’elle inclut et ce qu’elle exclut des

deux conditions.

Ainsi, sont inclus dans les deux conditions pouvant satisfaire au critère de la juste

cause : les pertes considérables en vies humaines qui sont en train ou risquent de se produire;

la menace ou la réalité de pertes considérables en vies humaines, qu’elles soient ou non le

résultat d’une intention génocidaire et qu’elles impliquent ou non des actes d’un État;

différentes manifestations de « nettoyage ethnique »; les crimes contre l’humanité et les

violations du droit de la guerre, tels que définis dans les Conventions de Genève et qui

donnent lieu à des tueries ou à un nettoyage ethnique à grande échelle; l’effondrement d’un

État qui laisse la population massivement exposée à la famine et/ou à la guerre civile; les

catastrophes naturelles ou écologiques extraordinaires, lorsque l’État concerné ne peut pas ou

ne veut pas y faire face ou demander de l’aide, et que d’importantes pertes en vies humaines se

produisent ou risquent de se produire.

La Commission exclut explicitement trois situations de l’application de la

responsabilité de protéger. La première situation concerne les violations des droits de l’homme

qui ne vont pas jusqu’au meurtre caractérisé ou au nettoyage ethnique et donc, qui ne

répondent pas au critère de la « juste cause »47. Les deux autres situations devraient plutôt être

couvertes, de l’avis de la Commission, par les dispositions de l’article 51 et par les

dispositions générales du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Il s’agit d’une part des 45 Id., par. 4.19 46 Id. 47 Id., par. 4.25

Page 24: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

16

situations où « […] une population qui s’est clairement prononcée en faveur d’un régime

démocratique se voit privée de ses droits démocratiques par un coup d’État militaire »48 et

d’autre part des situations où l’État utilise la force militaire pour venir au secours de ses

propres ressortissants sur un territoire étranger ou en réaction à une attaque terroriste

entreprise contre le territoire ou les citoyens d’un État49.

Le critère de la bonne intention vise à faire en sorte que les interventions militaires

soient justifiées lorsqu’elles sont animées par l’objectif légitime de faire cesser ou d’éviter des

souffrances humaines50. L’emploi de la force pour des raisons telles que la modification des

frontières, la promotion d’une revendication d’autodétermination ou le renversement d’un

régime politique en place ne respecteraient donc pas le critère de la bonne intention51. La

Commission suggère aussi des exemples d’actions pouvant être posées pour respecter

davantage le critère de la bonne intention. Ainsi, elle énonce, par exemple, de chercher à ce

que les interventions militaires aient un caractère collectif ou multilatéral, de déterminer dans

quelle mesure l’intervention est soutenue par la population censée en bénéficier ou de

déterminer si les autres pays de la région sont favorables à l’intervention52.

Le critère du dernier recours, tel qu’énoncé précédemment, vise à considérer

l’intervention militaire une fois que toutes les voies diplomatiques et non militaires de

prévention ou de règlement pacifique des crises humanitaires, compte tenu de la situation et de

l’évolution de cette dernière sur le terrain, ont été explorées53. Il n’est cependant pas

48 Id., par. 4.26 49 Id., par. 4.27 50 Id., par. 4.33 51 Id. 52 Id., par. 4.33 et 4.34 53 Id., par. 4.37

Page 25: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

17

nécessaire d’avoir essayé concrètement l’ensemble des démarches avant d’avoir recours à

l’intervention militaire. Le critère du dernier recours, tel qu’élaboré par la Commission, est à

l’effet que : « […] l’on doit avoir des motifs raisonnables de penser qu’en tout état de cause, si

telle ou telle mesure avait été tentée, elle n’aurait pas donné le résultat escompté »54.

Le critère de la proportionnalité des moyens vise à s’assurer que l’intervention militaire

envisagée corresponde, dans sa durée et dans son intensité, au strict nécessaire afin d’atteindre

l’objectif humanitaire poursuivi55. À cet effet, la CIISE rappelle que les règles du droit

international humanitaire doivent être rigoureusement respectées56.

Le critère des perspectives raisonnables veut que l’intervention militaire ne soit

justifiée que si « […] elle a des chances raisonnables de réussir, c’est-à-dire de faire cesser ou

d’éviter les atrocités ou souffrances ayant motivé l’intervention »57. Ainsi, dans le cas où

l’intervention n’assure pas la protection voulue ou que ses conséquences sont pires que

l’inaction, cette dernière doit être mise de côté58.

Quant au critère de l’autorité appropriée, il fait l’objet d’un chapitre entier du rapport

de la Commission. La CIISE se demande « […] qui a le droit de déterminer, dans n’importe

quel cas particulier, si une intervention militaire à des fins de protection humaine doit avoir

lieu? »59. La CIISE donne une réponse contradictoire à cette question.

La CIISE écarte d’abord le recours aux interventions unilatérales en reconnaissant

l’autorité centrale du Conseil de sécurité en matière de paix et de sécurité. Elle cite à cet effet

54 Id. 55 Id., par. 4.39 56 Id., par. 4.40 57 Id., par. 4.41 58 Id. 59 Id., par. 6.1

Page 26: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

18

l’article 24 et les chapitres VI et VII de la Charte des Nations Unies60. Selon elle, il n’y a pas

de « meilleur organe, ni de mieux placé, que le Conseil de sécurité pour s’occuper des

questions d’intervention militaire à des fins humanitaires »61. Pour la Commission, toutes les

propositions d’intervention militaire doivent être officiellement présentées au Conseil de

sécurité62. Néanmoins, deux éléments nous montrent que la CIISE n’est pas prête à donner

carte blanche au Conseil de sécurité dans son mode de fonctionnement actuel pour autoriser ou

non les interventions à caractère humanitaire.

D’une part, la CIISE met en avant-plan la nécessité d’une réforme du Conseil de

sécurité. Elle veut élargir la composition du Conseil de sécurité pour le rendre plus

représentatif et ainsi renforcer sa crédibilité et son autorité63. De plus, la Commission veut

limiter l’utilisation du droit de veto dont jouissent les membres permanents actuels en lui

demandant d’adopter un « code de conduite » pour « […] le recours au droit de veto contre des

mesures qui sont nécessaires pour arrêter ou éviter une crise humanitaire grave »64. Ainsi,

lorsque les intérêts vitaux des membres permanents du Conseil de sécurité ne sont pas en jeu,

ces derniers ne devraient pas utiliser leur droit de veto pour empêcher l’adoption d’une

résolution qui autrement obtiendrait la majorité des voix65.

D’autre part, la CIISE énonce des propositions pour contourner l’autorité du Conseil de

sécurité advenant la situation où celui-ci décide de ne pas réagir ou est paralysé par le droit de

60 Id., par. 6.3 61 Id., par. 6.14 62 Id., par. 6.17 63 Id., par. 6.19 64 Id., par. 6.21 65 Id.

Page 27: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

19

veto de ses membres permanents. La CIISE mentionne explicitement que sa responsabilité est

« principale, mais non unique ou exclusive66 ».

La Commission suggère d’abord de se tourner vers l’Assemblée générale pour se

prononcer et donner son appui à des interventions militaires sur la base de la responsabilité de

protéger. Le rapport explique que l’article 10 de la Charte confère à l’Assemblée générale une

responsabilité générale pour tout ce qui relève du domaine de compétence de l’ONU et que

l’article 11 lui confère une responsabilité subsidiaire en ce qui concerne le maintien de la paix

et de la sécurité internationales. À cela s’ajoute aussi la résolution intitulée « L'union pour le

maintien de la paix » de 195067. Cette procédure a été élaborée dans le but précis de pouvoir

faire face à une situation où le Conseil de sécurité ne peut exercer sa responsabilité principale

dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales en raison du désaccord de ses

membres permanents (et donc, de l’utilisation du droit de veto). Afin que l’Assemblée

générale exerce sa responsabilité de protéger dans le cadre de la résolution « L'union pour le

maintien de la paix », une session extraordinaire d’urgence devrait être convoquée dans les 24

heures afin de solliciter l’approbation de l’action militaire par l’Assemblée générale. De plus,

en vertu de l’article 63 du Règlement intérieur de l’Assemblée générale :

« Nonobstant les dispositions de tout autre article du présent règlement, et à moins que l'Assemblée générale n'en décide autrement, l'Assemblée, lors d'une session extraordinaire d'urgence, se réunit en séance plénière seulement et procède directement à l'examen de la

66 Id., par. 6.7 67 ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES, Résolution sur l’union pour le maintien de la paix, Déc. no 377, Doc. off. A.G., 5e sess., suppl. no 20, p. 11-14, Doc. N.U. A/1775 (1950)

Page 28: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

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question proposée dans la demande de convocation de la session, sans renvoi préalable au Bureau ni à aucune autre commission »68.

La Commission reconnaît que les pouvoirs de l’Assemblée générale se limitent à faire

des recommandations, sans aller jusqu’à prendre des décisions à caractère contraignant. Qui

plus est, l’étude de ces questions ne peut se faire que si le Conseil de sécurité n’est pas déjà en

train d’examiner la question69. Néanmoins, la Commission est d’avis que, malgré ces

obstacles : « […] même en l’absence d’un aval du Conseil de sécurité, et même si l’Assemblée

générale n’a qu’un pouvoir de recommandation, une intervention qui serait lancée avec le

soutien des deux tiers des membres de l’Assemblée générale bénéficierait manifestement d’un

puissant soutien moral et politique »70. Cette forte légitimité permettrait à l’intervention d’être

entreprise et encouragerait le Conseil de sécurité à revoir sa position71.

Le rapport de la CIISE se tourne aussi vers les organisations régionales et

sous-régionales afin de mener une action collective, dans des limites bien définies, en vertu du

Chapitre VIII de la Charte des Nations Unies. Si la lettre de la Charte exige l’autorisation

préalable du Conseil de sécurité pour que les organisations régionales puissent agir72, la

Commission n’exclut pas, là encore, de contourner le Conseil de sécurité. En effet, s’appuyant

sur les interventions menées par la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest

68 ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES, Règlement intérieur de l’Assemblée générale, Doc. N.U. A/520/Rev.17 (2008), art. 63, en ligne : <http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=A/520/rev.17&Lang=F> (consulté le 25 juillet 2016) 69 Charte des Nations Unies (et Statut de la Cour internationale de justice), préc., note 7, art. 12 70 COMMISSION INTERNATIONALE DE L’INTERVENTION ET DE LA SOUVERAINETÉ DES ÉTATS, La responsabilité de protéger, préc., note 2, par. 6.7 71 Id., par. 6.30 72 Charte des Nations Unies (et Statut de la Cour internationale de justice), préc., note 7, art. 53(1)

Page 29: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

21

(CEDEAO) au Libéria et au Sierra Leone73, la Commission voit la possibilité pour une

intervention d’être menée sans l’aval du Conseil de sécurité ‒ et donc hors du cadre de la

Charte ‒ compte tenu de l’urgence de la situation. L’approbation serait sollicitée ex post facto,

permettant ainsi d’exercer la responsabilité de protéger sans subir la paralysie du Conseil de

sécurité par le droit de veto de ses membres permanents74.

Les critères élaborés par la CIISE sont à la source d’une ambiguïté institutionnelle

importante. La Commission n’arrive pas à proposer dans son rapport des solutions

institutionnelles concrètes pour déterminer si le critère de la « juste cause » a été atteint ou

non75. Elle ne dit pas non plus qui devrait utiliser l’ensemble des critères pour déterminer si

une intervention armée à des fins humanitaires doit être autorisée ou non76. Cette ambiguïté

institutionnelle découle probablement du fait que la CIISE n’a pas reconnu le Conseil de

sécurité comme l’autorité unique en mesure d’autoriser ou non des interventions armées à des

fins humanitaires. Nabil Hajjami, dans son ouvrage intitulé La responsabilité de protéger,

émet même l’hypothèse que cette ambiguïté quant à l’autorité chargée d’utiliser les critères

suggérait que ceux-ci ne servaient que si les États devaient s’interroger à savoir si une

intervention devrait être autorisée ou non77. Effectivement, l’utilisation de ces critères pour le

Conseil de sécurité :

73 COMMISSION INTERNATIONALE DE L’INTERVENTION ET DE LA SOUVERAINETÉ DES ÉTATS, La responsabilité de protéger, préc., note 2, par. 6.5 ; COMMISSION INTERNATIONALE DE L’INTERVENTION ET DE LA SOUVERAINETÉ DES ÉTATS, The Responsibility to Protect‒ Research, Bibliography, Background, Ottawa, Centre de recherches pour le développement international, 2001 en, ligne: <https://www.idrc.ca/en/book/responsibility-protect-research-bibliography-background-supplementary-volume-report>, p. 81 à 84 et 104 à 109 74 COMMISSION INTERNATIONALE DE L’INTERVENTION ET DE LA SOUVERAINETÉ DES ÉTATS, La responsabilité de protéger, préc., note 2, par. 6.35 75 Id., par. 4.28 à 4.31 76 Nabil HAJJAMI, La responsabilité de protéger, préc., note 33, p. 51 77 Id.

Page 30: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

22

« […] s’avère juridiquement dépourvue d’utilité, car leur finalité n’est en aucun cas de légaliser l’intervention, mais plutôt de la légitimer lorsque celle-ci est illégale. Autrement dit, dès lors que l’on postule la centralité du Conseil de sécurité, ces critères deviennent superfétatoires, car leur objectif est de déplacer le débat sur le terrain de la légitimité, lorsque la légalité fait défaut »78.

L’observation de Hajjami nous permet aussi de noter que la Commission se positionne

à la fois dans le registre de la légalité et de la légitimité lorsque vient le temps de déterminer le

bien-fondé d’une intervention à caractère humanitaire.

Le débat entre légalité ou légitimité de l’intervention s’animait depuis l’intervention de

l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) au Kosovo en 1999. Du point de vue

du droit international, la campagne de l’OTAN au Kosovo n’avait pas été autorisée par le

Conseil de sécurité et était donc illégale79. La Commission Independent International

Commission on Kosovo (IICK), chargée d’examiner différentes questions liées à la guerre du

Kosovo, avait déterminé à l’époque que l’intervention de l’OTAN au Kosovo était « […]

illegal, but legitimate »80. En effet, bien que menée hors du cadre de la Charte des Nations

Unies, l’intervention de l’OTAN était justifiée selon la IICK, car: « […] all diplomatic

avenues had been exhausted and because the intervention had the effect of liberating the

majority population of Kosovo from a long period of oppression under Serbian rule »81. Ce

précédent a engendré un courant de pensée voulant que la légitimité d’une intervention puisse

78 Id. 79 Katia BOUSTANY et Daniel DORMOY, « L’intervention de l’OTAN au Kosovo‒ L’humanitaire aux confins du politique, de la force armée et du droit », préc., note 17, p. 15 ; Le Conseil de sécurité a donné son approbation ex post facto à l’intervention de l’OTAN dans sa résolution CONSEIL DE SÉCURITÉ DES NATIONS UNIES, Doc. N.U. S/RES/1244 (10 juin 1999), préc., note 16 80 INDEPENDENT INTERNATIONAL COMMISSION ON KOSOVO, The Kosovo Report‒ Conflict, International Response, Lessons Learned, New York, Oxford University Press, 2000, p. 4, en ligne: <http://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/6D26FF88119644CFC1256989005CD392-thekosovoreport.pdf> (consulté le 10 janvier 2016) 81 Id.

Page 31: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

23

être suffisante pour pallier l’illégalité de cette dernière82. Tel que l’énonce la juriste

internationaliste Anne-Marie Slaugther: « […] even when a use of force is formally illegal, in

that it neither amounts to self-defense under Article 51 nor was authorized by the Security

Council, it can nevertheless be justified if it is legitimate in the eyes of world public

opinion »83. En cherchant des moyens d’intervenir sur la base de la responsabilité de protéger

sans l’autorisation du Conseil de sécurité, la CIISE a ouvert la porte aux interventions armées

unilatérales qui, bien que pouvant être légitimes, sont menées hors du cadre de la Charte des

Nations Unies et, par conséquent, hors du cadre du droit international.

1.1.1.3. La responsabilité de reconstruire

La responsabilité de reconstruire vise à s’assurer d’un engagement post-intervention de

la communauté internationale. En effet, lorsque la communauté internationale décide

d’entreprendre une intervention militaire à des fins humanitaires (responsabilité de réagir), elle

doit, une fois l’intervention terminée, s’engager à ramener une paix durable, une bonne

gouvernance et un développement durable84 afin d’empêcher les facteurs qui ont suscité

l’intervention militaire de renaitre ou de refaire surface85. Afin d’aider la communauté

internationale à s’acquitter de sa responsabilité de reconstruire, la Commission apporte des

82 Anne-Marie SLAUGHTER, « Security, Solidarity and Sovereignty: The Grand Themes of UN Reform », (2005) 99 (no 3) A.J.I.L. 619, 626 83 Id. 84 COMMISSION INTERNATIONALE DE L’INTERVENTION ET DE LA SOUVERAINETÉ DES ÉTATS, La responsabilité de protéger, préc., note 2, par. 5.1 85 Id., par. 5.3

Page 32: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

24

précisions sur ce qui est attendu dans trois des domaines les plus importants du processus de

consolidation de la paix, à savoir la sécurité, la justice et le développement économique.

Dans le domaine de la sécurité, la CIISE rappelle que l’une des fonctions essentielles

de la force d’intervention est : « […] d’apporter une sécurité et une protection de base à tous

les membres d’une population, indépendamment de leur origine ethnique ou de leurs liens

avec la source précédente du pouvoir sur le territoire »86 afin d’éviter les « nettoyages

ethniques en sens inverse », les règlements de compte ou encore, les « minorités

coupables »87. La force d’intervention doit aussi s’occuper du désarmement, de la

démobilisation et de la réinsertion des forces de sécurité locales. Ce processus inclut la

reconstitution d’une armée et d’une police nationale nouvelles. La force d’intervention devrait

idéalement reconstituer ces deux corps de protection civile en intégrant des éléments des

anciennes factions armées ou des anciennes forces militaires rivales afin d’encourager la

réconciliation nationale et la protection de l’État reconstitué une fois la force d’intervention

partie88. Finalement, la Commission exhorte les responsables politiques et militaires d’établir

une stratégie de désengagement avant toute intervention militaire. Tout désengagement non

planifié ou mené dans la précipitation pourrait avoir des conséquences désastreuses dans le

pays concerné et amenuiser les aspects positifs de l’intervention89.

La Commission rappelle aussi l’importance de la justice dans le cadre d’une

intervention à des fins humanitaires. Pour la Commission, la force d’intervention doit mettre

en place des arrangements transitoires en matière de justice pendant l’intervention et rétablir

86 Id., par. 5.8 87 Id. 88 Id., par. 5.9 à 5.11 89 Id., par. 5.12

Page 33: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

25

un système de justice fonctionnel le plus rapidement possible une fois l’intervention terminée.

Un système de justice fonctionnel favorise la consolidation de la paix, notamment en

permettant de traduire en justice les coupables des violations des droits de l’homme90. Il

permet aussi de régler des questions juridiques post-intervention, notamment celles qui ont

trait au retour des réfugiés et aux droits légaux des rapatriés91.

Finalement, la CIISE énonce que toute intervention militaire « […] devrait se donner

pour finalité, en matière de consolidation de la paix, d’encourager autant que faire se peut la

croissance économique, la renaissance des marchés et le développement durable »92. Cet

objectif est primordial de l’avis de la Commission, car la croissance économique contribue au

maintien de l’ordre public et permet le redressement général du pays93. Il favorise aussi la

démobilisation et la réinsertion sociale et économique des combattants, en leur offrant des

activités rémunératrices et montre à la société civile que la vie peut retrouver son cours

normal, non seulement du point de vue économique, mais sécuritaire94. Afin de satisfaire cet

objectif, les autorités intervenantes devraient notamment lever le plus rapidement possible les

sanctions économiques coercitives qui ont été prises lors de la phase de la responsabilité de

réagir et organiser le transfert des attributions en matière de développement et d’exécution des

projets économiques aux dirigeants et acteurs locaux95.

La guerre en Irak par une coalition d’États menée par les États-Unis et le Royaume-Uni

en 2003 a provoqué une réflexion sur le bien-fondé des interventions à caractère humanitaire.

90 Id., par. 5.13 91 Id., par. 5.15 à 5.18 92 Id., par. 5.19 93 Id. 94 Id., par. 5.21 95 Id., par. 5.19 et 5.20

Page 34: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

26

Cette intervention, menée sans l’aval du Conseil de sécurité et donc en violation de

l’article 2(4) de la Charte, a presque sonné le glas de la responsabilité de protéger de l’avis de

Gareth Evans: « […] we have seen almost choked at birth what many were hoping was an

emerging new norm justifying intervention on the basis of the principle of ‘responsibility to

protect’ »96. Effectivement, plusieurs arguments basés sur des considérations humanitaires,

dont certains faisant référence à la responsabilité de protéger, ont été avancés par les partisans

de la guerre en Irak pour justifier cette intervention illégale. On peut mentionner, à titre

d'exemple, l’analogie douteuse établie par Lee Feinstein, ancien directeur politique du

Département d’État américain et Anne-Marie Slaughter, alors directrice de l’American Society

of International Law, entre le « devoir de prévenir » et la responsabilité de protéger97, le bilan

humanitaire catastrophique du président irakien Saddam Hussein98 et la justification ex post

facto sur la base de la responsabilité de protéger en Irak99.

Ces développements ont entraîné une réticence de la communauté internationale vis-à-

vis de la responsabilité de protéger. De l’avis de Peter Hilphold, professeur de droit européen,

de droit public comparé et de droit international à l’Université d’Innsbruck, l’invasion en Irak

96 Gareth EVANS, « When is it Right to Fight? », (2004) 46 (no 3) Survival‒ Global Politics and Strategy 59, 63 97 Tel que l’explique Hajjami, pour ces deux auteurs, le « devoir de prévenir » est un principe corollaire de la responsabilité de prévenir, l’un des trois temps de la responsabilité de protéger. Or, le devoir de prévenir procède d’une logique foncièrement distincte de la responsabilité de prévenir. En effet, alors que la responsabilité de prévenir a pour but d’éviter le recours à la force armée, le devoir de prévenir énonçait, quant à lui, le recours inévitable à la force armée. Qui plus est, le devoir de prévenir vise à protéger les populations dans l’État ayant recours à la force, alors que la responsabilité de protéger vise à protéger les populations dans l’État ciblé par l’intervention. Finalement, Feinstein et Slaughter énonçaient que le devoir de prévenir s’appliquait dans les cas de prolifération des armes de destruction massive et de terrorisme international, ce que la CIISE n’a jamais avancé dans son rapport. Toutes ces raisons poussent à penser que l’analogie entre le « devoir de prévenir » et la « responsabilité de prévenir » est abusive. ; voir Lee FEINSTEIN et Anne-Marie SLAUGHTER, « A Duty to Prevent », (2004) 83 Foreing Affairs 136, en ligne : <https://www.foreignaffairs.com/articles/2004-01-01/duty-prevent> (consulté le 5 mars 2016) 98 Gareth EVANS, « When is it Right to Fight? », préc., note 96, 70-71 ; Nabil HAJJAMI, La responsabilité de protéger, préc., note 33, p. 58 99 Fernando R. TESÓN, « Ending Tyranny in Iraq », (2005) 19 (no 2) Ethics Int. Aff. 1

Page 35: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

27

a entraîné l’idée que la responsabilité de protéger pourrait devenir une justification facile pour

les grandes puissances et en particulier pour les États-Unis de mener des interventions

unilatérales100. En effet, plusieurs États craignaient que la responsabilité de protéger puisse

être un moyen d’assouplir les conditions du recours à la force prévues dans la Charte des

Nations Unies101. Encore plus inquiétant, des États comme l’Allemagne et le Soudan,

initialement favorables au rapport de la CIISE, ont exprimé un certain scepticisme à l’égard du

concept au vu de l’invasion irakienne102.

Pour répondre à ces inquiétudes, le Secrétaire général Kofi Annan a souhaité adopter

une conception plus précise et plus approfondie de la responsabilité de protéger103. Cette

nouvelle conception de la responsabilité de protéger se trouve dans le rapport de 2004 intitulé

Un monde plus sûr : notre affaire à tous. Dans ce rapport, le Groupe de personnalités de haut

niveau sur les menaces, les défis et le changement endosse une responsabilité de protéger

différente de celle élaborée par la CIISE en 2001. Comme nous le verrons à la section 1.3, si la

résolution A/RES/60/1 de l’Assemblée générale des Nations Unies est reconnue comme la

consécration d’une version modifiée de la responsabilité de protéger par la communauté

internationale, cette version modifiée est directement inspirée des conclusions du rapport de

2004104. Il convient donc, à notre avis, d’examiner plus en détail les modifications apportées à

la responsabilité de protéger par les auteurs du rapport de 2004.

100 Peter HILPOLD, «From Humanitarian Intervention to the Responsibility to Protect», dans Peter HILPOLD (dir.), Responsibility to Protect (R2P) ‒ A New Paradigm of International Law?, Leiden (Boston), Brill Nijhoff, 2014, p. 12 101 Nabil HAJJAMI, La responsabilité de protéger, préc., note 33, p. 59-60 102 Alex J. BELLAMY, « Responsibility to Protect or Trojan Horse?‒ The Crisis in Darfur and Humanitarian Intervention after Iraq », (2005) 19 (no 2) Ethics Int. Aff. 31, 39 103 Nabil HAJJAMI, La responsabilité de protéger, préc., note 33, p. 60 104 Id.

Page 36: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

28

1.2. Les modifications apportées au concept de la responsabilité de

protéger dans le rapport de 2004 du Groupe de personnalités

de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement

Le rapport du Groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le

changement de 2004 a été établi en raison des divergences de points de vue des États membres

quant au rôle que devaient jouer les Nations Unies dans le domaine de la sécurité collective105.

Afin de trouver un nouveau consensus sur les lois et les normes régissant l’usage de la force

dans les relations internationales en lien avec les menaces contemporaines, Kofi Annan, alors

Secrétaire général des Nations Unies, a rassemblé un groupe de seize experts pour examiner la

nature et la gravité de ces menaces et recommander des solutions collectives106. Le rapport

vise aussi à proposer des réformes des différentes institutions de l’ONU107. Il couvre plusieurs

sujets associés à la sécurité collective, dont celui de la responsabilité de protéger.

Le rapport de 2004 traite de la responsabilité de protéger dans la partie consacrée à la

sécurité collective et l’usage de la force108. La responsabilité de protéger, telle qu’endossée par

le Groupe d’experts, présente deux différences fondamentales avec les préceptes du rapport de

la CIISE. D’abord, le profond désaveu de l’unilatéralisme dont le Groupe d’experts a fait

105 Jutta BRUNNÉE et Stephen J. TOOPE, « The Responsibility to Protect and the Use of Force : Building Legality? », (2010) 2 Global Resp. Protect 191, 196 106 GROUPE DE PERSONNALITÉS DE HAUT NIVEAU SUR LES MENACES, LES DÉFIS ET LE CHANGEMENT, Un monde plus sûr : notre affaire à tous, Doc. N.U. A/59/565 (2 décembre 2004), « Note du Secrétaire général », par. 1, en ligne : <https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N04/602/32/PDF/N0460232.pdf?OpenElement> (consulté le 5 janvier 2016) 107 Id., par. 5 108 Id., 3e partie, « Sécurité collective et usage de la force », point IX, « L’usage de la force : règles et directives »

Page 37: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

29

preuve, puis la délimitation des situations faisant partie du concept de la responsabilité de

protéger.

Alors que les commissaires de la CIISE cherchaient des moyens de mettre en œuvre la

responsabilité de protéger en contournant la possible paralysie du Conseil de sécurité, les

propos du rapport de 2004 traduisent un profond désaveu de l’unilatéralisme109. Dans la

troisième partie du rapport, traitant de la sécurité collective et de l’usage de la force, le Groupe

d’experts estime que le champ d’application de l’Article 51 et du Chapitre VII de la Charte

des Nations Unies n’a pas besoin d’être élargi lorsque la Charte est bien appliquée. Celle-ci

confère au Conseil de sécurité les pouvoirs nécessaires pour traiter de tous les types de menace

auxquels les États sont exposés. Il ne s’agit pas de chercher à remplacer le Conseil de sécurité

en tant que source d’autorité, mais d’en améliorer le fonctionnement110.

Ce geste s’inscrit dans la logique du mandat confié au Groupe de personnalités par

Kofi Annan. Pour le Secrétaire général, l’ONU était à la croisée des chemins. Celle-ci pouvait

« […] relever le défi et faire face aux nouvelles menaces ou alors courir le risque d’être de

plus en plus marginalisée face à la montée de la discorde entre les États et à l’avènement de

l’unilatéralisme »111. Le but du rapport du Groupe de personnalités de haut niveau était de

trouver de nouvelles idées sur le type de politiques et d’institutions dont l’ONU aurait besoin

pour être efficace au 21e siècle. Il s’avérait nécessaire pour le Groupe d’experts, de « […]

109 Id., par. 196 à 198 110 Id., par. 198 111 GROUPE DE PERSONNALITÉS DE HAUT NIVEAU SUR LES MENACES, LES DÉFIS ET LE CHANGEMENT, Un monde plus sûr‒ Notre affaire à tous, résumé analytique, 2004, p. 1, en ligne : <http://www.un.org/french/secureworld/brochureF.pdf> (consulté le 5 janvier 2016)

Page 38: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

30

réaffirmer la centralité du Conseil de sécurité et la pertinence du système établi par la

Charte »112.

Le désaveu de l’unilatéralisme et la réaffirmation du Conseil de sécurité comme seul et

unique organe responsable d’assurer la sécurité collective entraînent une conséquence logique

quant aux critères pouvant justifier une intervention armée à des fins humanitaires : le Rapport

de 2004 ne propose plus que cinq des six critères de légitimité mis de l’avant par le rapport de

2001 de la CIISE113. Le critère de « l’autorité appropriée » n’est plus pertinent du moment que

le Conseil de sécurité redevient la seule institution en mesure d’autoriser des interventions sur

la base de la responsabilité de protéger114.

En écartant le critère de « l’autorité appropriée », le panel abandonne le critère à la

source d’un lien entre la responsabilité de protéger et l’unilatéralisme et, par le fait même,

d’une possibilité de mener des interventions armées en dehors du cadre de la Charte115. Le

Rapport de 2004, contrairement au rapport de la CIISE de 2001, énonce clairement que seul le

Conseil de sécurité possède l’autorité pour évaluer les critères justifiant ou non la possibilité

d’une intervention militaire116.

L’affirmation du Conseil de sécurité comme seul organe responsable de l’application

des critères pouvant autoriser une intervention armée sur la base de la responsabilité de

112 Nabil HAJJAMI, La responsabilité de protéger, préc., note 33, p. 61 113 Le paragraphe 207 du rapport Un monde plus sûr : notre affaire à tous énumère les différents critères de légitimité que le Conseil de sécurité devrait envisager pour déterminer s’il autorise ou non l’usage de la force militaire. Les cinq critères retenus par le Groupe d’experts sont les suivants : gravité de la menace, légitimité du motif, dernier ressort, proportionnalité des moyens et mise en balance des conséquences. Bien que la terminologie employée par le Groupe d’experts diffère de celle employée par la CIISE en 2001, les critères demeurent les mêmes, avec les mêmes considérants que ceux de 2001. 114 GROUPE DE PERSONNALITÉS DE HAUT NIVEAU SUR LES MENACES, LES DÉFIS ET LE CHANGEMENT, Un monde plus sûr : notre affaire à tous, préc., note 106, par. 201 à 203 115 Nabil HAJJAMI, La responsabilité de protéger, préc., note 33, p. 63 116 GROUPE DE PERSONNALITÉS DE HAUT NIVEAU SUR LES MENACES, LES DÉFIS ET LE CHANGEMENT, Un monde plus sûr : notre affaire à tous, préc., note 106, par. 207

Page 39: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

31

protéger a aussi pour conséquence de mettre un terme à la dualité entre la « légitimité » et la

« légalité » de l’intervention. Le rapport du Groupe d’experts de 2004, en s’en tenant au cadre

légal établi par la Charte et en reconnaissant l’autorité unique du Conseil de sécurité pour

déterminer si une intervention armée peut être menée ou non sur la base de la responsabilité de

protéger, élimine du même coup la possibilité qu’une intervention illégale mais légitime,

puisse être menée. En énonçant explicitement que les critères de légitimité de l’intervention

sont soupesés par le Conseil de sécurité, le Groupe d’experts assume, par le fait même, que

l’intervention est nécessairement légale. Comme l’écrit Anne-Marie Slaughter, la question

n’est donc plus de savoir si l’intervention est illégale mais légitime, mais si l’intervention est

légale et légitime117.

Bien que le Groupe d’experts ait réaffirmé que le Conseil de sécurité était l’unique

autorité pouvant autoriser ou non des interventions coercitives sur la base de la responsabilité

de protéger, il propose, à l’instar du rapport de la CIISE, que celui-ci adopte un code de

conduite quant à l’utilisation du droit de veto118. D’abord, le Groupe d’experts recommande

que le droit de veto soit uniquement utilisé lorsque les intérêts vitaux des membres permanents

sont en jeu119. Ensuite, le Groupe d’experts demande aux membres permanents de renoncer à

leur droit de veto en cas de génocide ou de violation massive des droits de l’homme120.

Finalement, et afin de responsabiliser les membres permanents dans l’utilisation de leur veto,

117 Anne-Marie SLAUGHTER, « Security, Solidarity and Sovereignty: The Grand Themes of UN Reform », préc., note 82, 626 ; Dans le texte original, il faut lire: « The question thus becomes not whether it is illegal but legitimate, but rather whether it is legal and legitimate » 118 Alex J. BELLAMY, Global Politics and the Responsibility to Protect‒ From words to deeds, Abingdon, Routledge, 2011, p. 21 119 GROUPE DE PERSONNALITÉS DE HAUT NIVEAU SUR LES MENACES, LES DÉFIS ET LE CHANGEMENT, Un monde plus sûr : notre affaire à tous, préc., note 106, par. 256 120 Id.

Page 40: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

32

le Groupe d’experts suggère que soit institué un système de « vote indicatif » permettant à un

membre du Conseil de sécurité de demander à chaque membre du Conseil de prendre

publiquement position sur un projet de décision. Au moment du « vote indicatif », chaque

membre devrait déclarer sa position et la justifier. Les membres permanents ne pourront pas

s’appuyer sur leur veto au moment de ce vote, qui n’a pas force exécutoire. Une fois le « vote

indicatif » terminé, les membres du Conseil entreprendraient un deuxième vote avec la mise

aux voix officielle du projet de résolution en respectant les procédures actuelles du Conseil121.

Selon Alex J. Bellamy, professeur en Études de la Paix et des Conflits à l’Université du

Queensland, le Groupe d’experts espérait que les membres permanents seraient réticents à

déclarer publiquement leur opposition à une action collective dans des cas choquant la

conscience humaine122.

Dans un autre ordre d’idées, le rapport de 2004 délimite le concept de la responsabilité

de protéger au paragraphe 203 en réduisant le nombre de situations assimilables à celui-ci.

Alors que le rapport de 2001 prônait des interventions humanitaires tous azimuts123, le Groupe

d’experts a préféré limiter les interventions sur la base de la responsabilité de protéger à

certains crimes de masse bien spécifiques. Ces crimes de masse sont le génocide et autres

tueries massives, le nettoyage ethnique et les violations graves du droit international

humanitaire124.

121 Id., par. 257 122 Alex J. BELLAMY, Global Politics and the Responsibility to Protect‒ From words to deeds, préc., note 118, p. 21 ; dans le texte original, il faut lire: « […] would be reluctant to publicly declare opposition to collective action in conscience-shocking cases » 123 Nabil HAJJAMI, La responsabilité de protéger, préc., note 33, p. 55 124 GROUPE DE PERSONNALITÉS DE HAUT NIVEAU SUR LES MENACES, LES DÉFIS ET LE CHANGEMENT, Un monde plus sûr : notre affaire à tous, préc., note 106, par. 203

Page 41: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

33

En dernier lieu, une observation s’impose à propos de l’analyse qu’a faite le Groupe

d’experts quant au concept de la responsabilité de protéger. À la lecture du rapport, il est

difficile de savoir si le Groupe d’experts reconnaît les responsabilités de prévenir et de

reconstruire comme faisant partie du concept de la responsabilité de protéger. Bien que le

rapport aborde les questions de la prévention125 et de la situation post-conflit126, il ne les

associe pas explicitement à la responsabilité de protéger. L’analyse de la responsabilité de

protéger effectuée par le Groupe d’experts s’est surtout penchée sur l’aspect de la

responsabilité de réagir127. Cette tendance se poursuit dans le Document final du Sommet

mondial de 2005 et dans le Rapport du Secrétaire général de 2009 intitulé La mise en œuvre de

la responsabilité de protéger, au détriment des deux autres composantes originellement

avancées par la CIISE.

1.3. La reformulation et la consécration du concept de la

responsabilité de protéger dans le Document final du Sommet

mondial de 2005

Le Sommet mondial de 2005 s’est tenu au siège de l’ONU, à New York. Le Sommet,

qui a rassemblé plus de 170 chefs d’État, représentait une occasion unique de prendre des

décisions collectives dans les domaines du développement, de la sécurité, des droits de

125 Id., points III. B., par. 59 à 73, IV. C., par. 89 à 106, V. B., par. 117 à 144, VI. B., par. 147 à 164, VII, par. 171 à 177 et VIII, par. 178 à 182 126 Id., par. 221 à 230 127 Diana AMNÉUS, « The coining and evolution of responsibility to protect: the protection responsibilities of the State », dans Gentian ZYBERI (dir.), An Institutional Approach to the Responsibility to Protect, Cambridge, Cambridge University Press, 2013, p. 9

Page 42: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

34

l’homme et de l’État de droit et de la réforme de l’Organisation des Nations Unies128. L’ordre

du jour du Sommet s’appuyait sur le rapport du Secrétaire général des Nations Unies de

l’époque, Kofi Annan, intitulé Dans une liberté plus grande : développement, sécurité et

respect des droits de l’homme pour tous129. Ce document de travail a été examiné par les chefs

d’État et de gouvernement des États membres des Nations Unies dans une série de

consultations officieuses visant à préparer le projet de document final pour le Sommet130.

La résolution A/RES/60/1, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies et

rebaptisée pour l’occasion Document final du Sommet mondial de 2005 présente les

conclusions auxquelles les différents États membres présents au Sommet sont parvenus. Parmi

ces conclusions, les États membres des Nations Unies présents au sommet mondial ont

entériné la responsabilité de protéger aux paragraphes 138 et 139 du document131. Il s’agit de

la première consécration de la responsabilité de protéger par les États, le concept étant

auparavant strictement limité à la doctrine.

Le paragraphe 138 rappelle qu’il incombe d’abord aux États de protéger leurs

populations contre quatre crimes de masse, à savoir le génocide, les crimes de guerre, le

nettoyage ethnique et les crimes contre l’humanité. La communauté internationale a la

responsabilité résiduelle d’aider les États à s’acquitter de cette responsabilité.

128 ORGANISATION DES NATIONS UNIES, « Grandes lignes du Sommet mondial de 2005 », en ligne: <http://www.un.org/french/ga/document/overview2005summit.pdf> (consulté le 2 août 2016) 129ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES, Dans une liberté plus grande : développement, sécurité et respect des droits de l’homme pour tous, Doc. N.U. A/59/2005 (24 mars 2005), en ligne : <https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N05/270/79/PDF/N0527079.pdf?OpenElement> (consulté le 30 juillet 2016) 130 ORGANISATION DES NATIONS UNIES, « Grandes lignes du Sommet mondial de 2005 », préc., note 128 131 ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES, Document final du Sommet mondial de 2005, Rés. A/RES/60/1, Doc. off. A.G.N.U. 60e sess., 8e séance (16 septembre 2005), par. 138-139, en ligne : <http://www.un.org/en/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/RES/60/1&Lang=F> (consulté le 5 janvier 2016)

Page 43: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

35

Le paragraphe 138 énonce aussi la responsabilité de prévenir de la communauté

internationale dans le cadre de la responsabilité de protéger. La communauté internationale

doit notamment aider l’ONU à mettre en place un dispositif d’alerte rapide132 et « […] aider

les États à se doter des moyens de protéger leurs populations du génocide, des crimes de

guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l’humanité et à apporter une assistance aux

pays dans lesquels existent des tensions avant qu'une crise ou qu'un conflit n’éclate »133.

Le paragraphe 139 entérine quant à lui la responsabilité de réagir de la communauté

internationale. Celle-ci doit d’abord « […] mettre en œuvre les moyens diplomatiques,

humanitaires et autres moyens pacifiques appropriés, conformément aux Chapitres VI et VII

de la Charte […] »134 afin de protéger les populations des crimes de masse mentionnés

précédemment. Lorsque ces moyens non coercitifs ont échoué et que les autorités nationales

n’assurent manifestement pas la protection de leurs populations contre les crimes de masse, la

communauté internationale est prête à mener une action coercitive par l’entremise du Conseil

de sécurité conformément au chapitre VII de la Charte et en coopération avec les organisations

régionales compétentes. Finalement, le paragraphe 139 souligne que l’Assemblée générale

doit poursuivre : « […] l’examen du devoir de protéger les populations du génocide, des

crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l’humanité et des conséquences

qu’il implique, en ayant à l’esprit les principes de la Charte des Nations Unies et du droit

international »135.

132 Id., par. 138 133 Id., par. 139 134 Id. 135 Id.

Page 44: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

36

À la lumière de ces engagements, plusieurs observations s’imposent. D’abord, il

convient de noter que la responsabilité de reconstruire a été complètement évacuée du concept

de la responsabilité de protéger entériné par la communauté internationale lors du Sommet

mondial de 2005. En effet, la responsabilité de protéger de 2005 ne fait pas état, comme en

2001, de l’engagement post-intervention de la communauté internationale à ramener une paix

durable, une bonne gouvernance et un développement durable afin d’empêcher les facteurs qui

ont suscité l’intervention militaire de renaître ou de refaire surface136.

L’Assemblée générale a restreint à son tour le champ d’application de la responsabilité

de protéger. On peut observer que les termes « autres tueries massives » et « violations graves

du droit international humanitaire » du rapport du Groupe d’experts de 2004 ont disparu de la

résolution A/RES/60/1137. La disparition de ces termes faisait d’ailleurs partie des

changements mineurs que le Secrétaire général a apportés à la responsabilité de protéger du

Groupe d’experts dans son rapport de 2005 Dans une liberté plus grande : développement,

sécurité et respect des droits de l’homme pour tous138. Toutefois, alors que le Secrétaire

général avait limité le champ d’application de la responsabilité de protéger au génocide, au

nettoyage ethnique et aux crimes contre l’humanité139, l’Assemblée générale a, quant à elle,

réintroduit les crimes de guerre parmi les crimes de masse couverts par la responsabilité de

136 Voir section 1.1 du mémoire 137 GROUPE DE PERSONNALITÉS DE HAUT NIVEAU SUR LES MENACES, LES DÉFIS ET LE CHANGEMENT, Un monde plus sûr : notre affaire à tous, préc., note 106, par. 203 ; ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES, Document final du Sommet mondial de 2005, préc., note 131, par. 138-139 138 ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES, Dans une liberté plus grande : développement, sécurité et respect des droits de l’homme pour tous, préc., note 129, par. 125 139 Id.

Page 45: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

37

protéger140. Ainsi, la délimitation du concept effectuée par l’Assemblée générale est à la fois

inspirée du rapport du Groupe d’experts de 2004 et du rapport du Secrétaire général de 2005.

Du point de vue institutionnel, les chefs d’État et de gouvernement ont réaffirmé la

centralité du Conseil de sécurité dans l’usage de la force au paragraphe 139 en énonçant que

l’action collective de la communauté internationale serait menée « […] par l’entremise du

Conseil de sécurité, conformément à la Charte, notamment son Chapitre VII […] »141.

Contrairement au rapport du Groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces,

les défis et le changement, le Document final du Sommet mondial de 2005 reconnaît que

l’Assemblée générale a un rôle à jouer dans l’application de la responsabilité de protéger142.

Néanmoins et contrairement au rapport de la CIISE en 2001, l’Assemblée générale n’est pas

considérée comme un forum qui pourrait contourner le Conseil de sécurité afin d’autoriser le

recours à la force. Selon Cedric Ryngaert et Hanne Cuyckens, respectivement professeur et

professeure adjointe en droit international à l’Université d’Utrecht, la référence faite aux

principes de la Charte des Nations Unies et du droit international dans le document illustre

aussi les prérogatives du Conseil de sécurité quant à l’autorisation de recourir à la force143.

Qui plus est, Hajjami affirme qu’en effectuant une lecture croisée des paragraphes relatifs à la

responsabilité de protéger et de ceux relatifs à l’emploi de la force en vertu de la Charte des

Nations Unies144, on constate que les États membres ont solennellement proclamé leur

140ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DE DES NATIONS UNIES, Document final du Sommet mondial de 2005, préc., note 131, par. 138 141 Id., par. 139 142 Cedric RYNGAERT et Hanne CUYCKENS, « The General Assembly », dans Gentian ZYBERI (dir.), An Institutional Approach to the Responsibility to Protect, préc., note 127, p. 110 143 Id. 144ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES, Document final du Sommet mondial de 2005, préc., note 131, par.77 à 80

Page 46: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

38

attachement au multilatéralisme ainsi qu’aux règles et principes de la Charte145. On peut en

conclure que les paragraphes 138 et 139 de la résolution A/RES/60/1 ne reconnaissent aucun

droit d’intervention à des fins humanitaires sans l’autorisation expresse et préalable du Conseil

de sécurité146. Ce faisant, la responsabilité de protéger de 2005 se positionne dans le registre

de la légalité de l’intervention plutôt que dans le registre de sa légitimité.

Contrairement à la responsabilité de réagir élaborée dans le rapport de la CIISE en

2001 et dans le rapport du Groupe d’experts de 2004, la responsabilité de réagir telle

qu’entérinée dans la résolution A/RES/60/1 de l’AGNU s’applique désormais de manière

subjective et volontariste. En effet, alors que les ébauches initiales du document final du

Sommet mondial de 2005 contenaient encore un engagement à respecter des critères à

satisfaire pour une intervention militaire énoncés dans le rapport de la CIISE, la version finale

du texte ne fait plus mention desdits critères, ni de l’engagement à les respecter147. Cet

abandon des critères provient de l’opposition de certains États, dont les États-Unis, la Chine,

la Russie et l’Inde, à les adopter148. Afin de préserver le consensus des États quant à l’adoption

du concept de la responsabilité de protéger lors du Sommet mondial, les diplomates chargés de

faire adopter la responsabilité de protéger ont d’abord réduit la proposition à un engagement à

145 Nabil HAJJAMI, La responsabilité de protéger, préc., note 33, p. 75 146 Id. 147 David BERMAN et Christopher MICHAELSEN, « Intervention in Libya : Another Nail in the Coffin for the Responsibility-to-Protect? », (2012) 14 Int'l Comm. L. Rev. 337, 344 148 Alex J. BELLAMY, Global Politics and the Responsibility to Protect‒ From words to deeds, préc., note 118, p. 165 ; Les États-Unis voyaient dans l’adoption de critères une limitation de leur capacité à agir alors que la Russie, la Chine et l’Inde voyaient dans l’adoption de critères une manière de contourner le Conseil de sécurité. Voir à ce sujet : Theresa REINOLD, Sovereignty and the Responsibility to Protect‒ The Power of Norms and the Norms of the Powerful, New York, Routledge, 2013, p. 58

Page 47: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

39

continuer la discussion sur l’adoption éventuelle de critères, avant de tout simplement en

abandonner leur adoption149.

Il en va de même pour l’adoption d’un code de conduite pour le Conseil de sécurité

quant à l’utilisation de son droit de veto150. Alors que le rapport de la CIISE de 2001 et le

rapport du Groupe d’experts de 2004 proposaient un code de conduite pour le Conseil de

sécurité151, les membres permanents du Conseil se sont opposés à cette idée lors des

négociations du Sommet mondial. Certains États membres des Nations Unies en ont fait de

même, voyant dans l’utilisation du veto une manière de contrebalancer l’interventionnisme

occidental. Ainsi, tel que l’énonce Bellamy, la proposition du Groupe d’experts de 2004 visant

à établir un code de conduite pour le Conseil de sécurité a rapidement été écartée des

négociations152.

Qui plus est, Theresa Reinold, professeure adjointe à l’Université Leiden, fait

remarquer que le rejet d’une responsabilité systématique d’intervenir se traduit aussi dans la

résolution A/RES/60/1 lorsque l’Assemblée générale énonce au paragraphe 139 qu’elle

mènera « en temps voulu » et « au cas par cas » ses actions collectives résolues153.

149 Alex J. BELLAMY, Global Politics and the Responsibility to Protect‒ From words to deeds, préc., note 118, p. 165 150 Peter HILPOLD, « From Humanitarian Intervention to the Responsibility to Protect», dans Peter HILPOLD (dir.), Responsibility to Protect (R2P) ‒ A New Paradigm of International Law?, préc., note 100, p. 15 151 Voir le par. 6.21 du rapport COMMISSION INTERNATIONALE DE L’INTERVENTION ET DE LA SOUVERAINETÉ DES ÉTATS, La responsabilité de protéger, préc., note 2 et le par. 256 du rapport GROUPE DE PERSONNALITÉS DE HAUT NIVEAU SUR LES MENACES, LES DÉFIS ET LE CHANGEMENT, Un monde plus sûr : notre affaire à tous, préc., note 106 pour observer les codes de conduite suggérés par les deux documents pour l’utilisation du droit de veto par les membres permanents du Conseil de sécurité. 152 Alex J. BELLAMY, Global Politics and the Responsibility to Protect‒ From words to deeds, préc., note 118, p. 21-22 153 Theresa REINOLD, Sovereignty and the Responsibility to Protect‒ The power of norms and the norms of the powerful, préc., note 148, p. 58

Page 48: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

40

Finalement, l’application du critère pour déclencher la responsabilité subsidiaire de la

communauté internationale de protéger les populations des crimes de masse est devenue

beaucoup plus stricte154, passant de « […] impuissants ou peu disposés à prévenir »155 à « […]

n’assurent manifestement pas »156.

La responsabilité de protéger de 2005 repose donc désormais sur trois piliers égaux et

non-séquentiels, et non plus sur trois temps de responsabilité (responsabilité de prévenir, de

réagir et de reconstruire). Le premier pilier est celui de la responsabilité primaire des États de

protéger leurs populations civiles du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et

des crimes contre l’humanité; le deuxième pilier, celui de la responsabilité subsidiaire de la

communauté internationale de s’assurer que les États parviennent à honorer leur responsabilité

de protéger; et le troisième pilier, celui de la responsabilité de la communauté internationale

de mener en temps voulu une action collective résolue, par l’entremise du Conseil de sécurité

et conformément à la Charte des Nations Unies, lorsque les moyens pacifiques se révèlent

inadéquats et que les États n’assurent manifestement pas la protection de leurs populations

contre les crimes de masses mentionnés précédemment. Le Sommet mondial de 2005 consacre

donc une responsabilité de protéger dite « restrictive », constituant une réaffirmation des

dispositions de la Charte des Nations Unies et limitant son cadre au strict registre de la

légalité. 154 Alex J. BELLAMY, Global Politics and the Responsibility to Protect‒ From words to deeds, préc., note 118, p. 23 ; Diana AMNÉUS, « The coining and evolution of responsibility to protect: the protection responsibilities of the State », dans Gentian ZYBERI (dir.), An Institutional Approach to the Responsibility to Protect, préc., note 127, p. 10 155 GROUPE DE PERSONNALITÉS DE HAUT NIVEAU SUR LES MENACES, LES DÉFIS ET LE CHANGEMENT, Un monde plus sûr : notre affaire à tous, préc., note 106, par. 203 156 ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES, Document final du Sommet mondial de 2005, préc., note 131, par. 139 ; Diana AMNÉUS, « The coining and evolution of responsibility to protect: the protection responsibilities of the State », dans Gentian ZYBERI (dir.), An Institutional Approach to the Responsibility to Protect, préc., note 127, p. 10

Page 49: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

41

L’adoption par l’Assemblée générale de la résolution A/RES/60/1 devait clore le débat

sur la définition de la responsabilité de protéger. Or certains auteurs se sont employés à

interpréter les conclusions du Sommet mondial quant aux tenants et aboutissants de la

responsabilité de protéger. Ces interprétations se sont faites tant sur le lien existant entre la

responsabilité de protéger et l’unilatéralisme que sur la délimitation du champ d’application du

concept157. Ces débats d’interprétation ont mis en péril l’avenir du concept. Le Rapport du

Secrétaire général des Nations Unies, intitulé La mise en œuvre de la responsabilité de

protéger, dont le but premier était de donner une dimension opérationnelle à la responsabilité

de protéger, visait aussi à retrouver le consensus de 2005 en mettant au point la définition de la

responsabilité de protéger158.

1.4. La réaffirmation du consensus de 2005 et la mise en œuvre de

la responsabilité de protéger dans le Rapport du Secrétaire

général des Nations Unies (A/63/677) de 2009

Le rapport de 2009 du Secrétaire général Ban Ki-moon, intitulé La mise en œuvre de la

responsabilité de protéger, présente une mise au point sur le sens et la portée du concept de la

157 Nabil Hajjami a effectué une revue de la littérature juridique à ce sujet. Voir Nabil HAJJAMI, La responsabilité de protéger, préc., note 33, chapitre 2 « Des malentendus persistants », p. 83 à 108 158 Diana AMNÉUS, « The coining and evolution of responsibility to protect: the protection responsibilities of the State », dans Gentian ZYBERI (dir.), An Institutional Approach to the Responsibility to Protect préc., note 127, p. 11

Page 50: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

42

responsabilité de protéger159 ainsi qu’une tentative de donner une dimension opérationnelle au

concept160.

Ce rapport traduit une ferme volonté de réaffirmer le consensus qui s’était dégagé lors

du Sommet mondial quant aux tenants et aboutissants de la responsabilité de protéger et de

décourager toute tentative de réinterprétation du concept. Dans le paragraphe 2 du rapport, le

Secrétaire général précise que les paragraphes 138 et 139 du Document final du Sommet

mondial de 2005 « […] définissent le cadre officiel dans lequel les États Membres, les accords

régionaux, ainsi que le système des Nations Unies et ses partenaires peuvent s’efforcer de

donner une existence doctrinale, politique et institutionnelle à la responsabilité de

protéger »161. Le Secrétaire général en vient à la conclusion qu’il convient « […] non pas de

réinterpréter ou de renégocier les conclusions du Sommet mondial, mais de trouver les moyens

d’appliquer ses décisions d’une manière totalement fidèle et cohérente »162. De plus, Ban Ki-

moon énonce au paragraphe 67 qu’il « […] serait contreproductif, voire destructeur, d’essayer

de revenir sur les négociations qui ont abouti aux dispositions adoptées lors du Sommet

mondial »163.

Il en va de même quant à la délimitation des situations relevant de la responsabilité de

protéger, lorsque le Secrétaire général rappelle au paragraphe 10 de son rapport que la

responsabilité de protéger ne s’applique qu’aux quatre crimes et violations spécifiés dans le

159 Nabil HAJJAMI, La responsabilité de protéger, préc., note 33, p. 113 160 Diana AMNÉUS, « The coining and evolution of responsibility to protect: the protection responsibilities of the State », dans Gentian ZYBERI (dir.), An Institutional Approach to the Responsibility to Protect, préc., note 127, p. 11 161 ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES, La mise en œuvre de la responsabilité de protéger‒ Rapport du secrétaire général, Doc. N.U. A/63/677 (12 janvier 2009), en ligne : <http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=A/63/677> (consulté le 10 janvier 2016) 162 Id. 163 Id., par. 67

Page 51: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

43

rapport de 2005, à savoir le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes

contre l’humanité. Ainsi et à moins que les États Membres en décident autrement : « [t]enter

de l’étendre à d’autres calamités, comme le VIH/sida, aux changements climatiques ou à la

réaction face aux catastrophes naturelles compromettrait le consensus réalisé en 2005 et

solliciterait le concept au-delà de sa reconnaissance ou de son utilité opérationnelle »164.

Toujours dans l’optique de réaffirmer le consensus du Sommet mondial de 2005, le

Secrétaire général énonce que la responsabilité de protéger est constituée de trois piliers, non-

séquentiels et d’importance égale165. On trouve le premier pilier de la responsabilité de

protéger dans le paragraphe 138 de la résolution A/RES/60/1, le deuxième pilier à la fois dans

les paragraphes 138 et 139 et le troisième pilier dans le paragraphe 139. En préconisant cette

approche, le Secrétaire général abandonne la conceptualisation de la responsabilité de protéger

tel qu’élaborée en 2001 par la CIISE, qui proposait alors une approche chronologique, basée

sur trois responsabilités, à savoir les responsabilités de prévenir, de réagir et de reconstruire.

Le premier pilier, intitulé « Les responsabilités de l’État en matière de protection »,

énonce qu’il incombe d’abord aux États de protéger leurs populations, qu’il s’agisse ou non de

leurs ressortissants, contre les crimes de masse mentionnés dans la résolution de l’AGNU de

2005, à savoir le génocide, les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le nettoyage

ethnique et contre les incitations à les commettre166. Le Secrétaire général insiste d’ailleurs

sur l’aspect préventif de cette responsabilité, en rappelant que : « [l]a responsabilité de

164 Id., par. 10 165 Id., par. 12 166 Id., par. 67 ; Dans son rapport, le Secrétaire général donne des exemples de politiques et de pratiques qui peuvent contribuer à l’exécution des obligations au titre des différents piliers. Pour les exemples de politiques et de pratiques qui peuvent contribuer à l’exécution des obligations au titre du premier pilier, voir la section II du rapport.

Page 52: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

44

protéger relève avant tout de la responsabilité de l’État, car la prévention commence sur le

territoire national et la protection des populations est un attribut constitutif de la souveraineté

et du statut de l’État au XXIe siècle »167.

Le deuxième pilier, intitulé « Assistance internationale et renforcement des capacités »,

énonce la responsabilité subsidiaire de la communauté internationale d’encourager et

d’aider les États à s’acquitter de leur responsabilité de protéger. De l’avis du Secrétaire

général et à la lecture des paragraphes 138 et 139 de la résolution A/RES/60/1 de l’AGNU,

il existe quatre formes d’assistance auxquelles peut recourir la communauté internationale

pour s’acquitter de sa responsabilité d’assistance internationale et de renforcement des

capacités. Ces quatre formes d’assistance se définissent comme suit : encourager les États à

s’acquitter de leurs responsabilités au titre du premier pilier (par. 138); aider les États à

exercer cette responsabilité (par. 138); aider les États à se doter des moyens de protéger

leurs populations (par. 139); apporter une assistance aux pays dans lesquels existent des

tensions avant qu’une crise ou un conflit n’éclate (par. 139)168. Pour le Secrétaire général, la

première forme d’assistance consiste à persuader les États de faire ce qui leur incombe,

alors que les trois autres formes supposent plutôt des partenariats actifs et des engagements

réciproques entre la communauté internationale et les États où la responsabilité subsidiaire

s’est vue engagée169. Là encore, le Secrétaire général considère la prévention comme un

167 Id., par. 14 168 Id., par. 28 169 Id.

Page 53: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

45

élément essentiel afin de s’acquitter de la responsabilité de protéger au titre du deuxième

pilier170.

Le troisième pilier, intitulé « Réaction résolue en temps voulu », énonce la responsabilité

de la communauté internationale de mener une action collective et résolue lorsqu’un État

n’assure manifestement pas la protection de ses populations. Cette réaction passe par les

moyens de règlements pacifiques prévus au Chapitre VI de la Charte, par les mesures

coercitives prévues au Chapitre VII et/ou par la collaboration avec les accords régionaux et

sous régionaux faisant l’objet du Chapitre VIII. Dans tous les cas et peu importe les mesures

prises, le Secrétaire général dicte que ces dernières doivent être en conformité avec les

dispositions, les principes et les buts de la Charte171.

Peter Hilphold a relevé, dans son ouvrage Responsibility to Protect ‒ A New Paradigm of

International Law?, deux distinctions entre l’interprétation du troisième pilier de la

responsabilité de protéger du Secrétaire général et celle du consensus de 2005. Dans un

premier temps, Ban Ki-moon attribue à l’Assemblée générale, dans le cadre de la mise en

œuvre de la responsabilité de protéger, un rôle allant au-delà d’une simple étude du devoir de

protéger les populations des crimes de masse mentionnés au paragraphe 138 de la résolution

A/RES/60/1. En effet, le Secrétaire général rappelle non seulement les fonctions que peut

exercer l’Assemblée en vertu des articles 10 à 14 de la Charte172, mais aussi le fait que celle-ci

a une responsabilité subsidiaire dans le maintien de la paix et de la sécurité internationale en

170 Id., par. 11b) ; Dans son rapport, le Secrétaire général donne des exemples de politiques et de pratiques qui peuvent contribuer à l’exécution des obligations au titre des différents piliers. Pour les exemples de politiques et de pratiques qui peuvent contribuer à l’exécution des obligations au titre du deuxième pilier, voir la section III du rapport. 171 Id., par. 11c) 172 Id.

Page 54: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

46

vertu de la résolution « Union pour le maintien de la paix » du 3 novembre 1950173.

L’Assemblée pourrait, à ce titre, et lorsque le Conseil de sécurité n’assure pas sa responsabilité

principale en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales, recommander les

mesures collectives appropriées à prendre, y compris l’emploi de la force armée en cas de

rupture de la paix ou d’un acte d’agression174. Néanmoins, le Secrétaire général rappelle que,

contrairement au Conseil de sécurité, ces mesures ne pourraient pas être considérées comme

des mesures d’application obligatoire175.

Dans un second temps, le Secrétaire général exhorte les cinq membres permanents

du Conseil de sécurité à s’abstenir d’user ou de menacer d’user de leur droit de veto dans

des situations « […] où manifestement il y a eu manquement aux obligations liées à la

responsabilité de protéger, comme le prévoit le paragraphe 139 du Document final, et à faire

un effort de compréhension mutuelle à cet effet »176, sans pour autant chercher à trouver un

code de conduite pour le droit de veto du Conseil de sécurité comme le faisait le rapport de

la CIISE en 2001 ou le rapport du Groupe d’experts de 2004.

On observe dans son approche en trois piliers que le Secrétaire général écarte de

manière définitive la responsabilité de reconstruire du concept de la responsabilité de

protéger. On observe aussi que sur le plan de la réaction de la communauté internationale, le

Secrétaire général se range du côté de la légalité des interventions au détriment de la

173 ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES, Résolution sur l’union pour le maintien de la paix, préc., note 67 ; Peter HILPOLD, « From Humanitarian Intervention to the Responsibility to Protect », dans Peter HILPOLD (dir.), Responsibility to Protect (R2P) ‒ A New Paradigm of International Law?, préc., note 100, p. 22 174 ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES, Résolution sur l’union pour le maintien de la paix, préc., note 67, par. 1 175ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES, La mise en œuvre de la responsabilité de protéger‒ Rapport du secrétaire général, préc., note 161, par. 57 176 Id., par. 61

Page 55: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

47

légitimité de ces dernières, faisant écho au consensus qui s’était dégagé en 2005. Les

interventions unilatérales sur la base de la responsabilité de protéger, auxquelles le rapport

de la CIISE avait ouvert la porte, ont donc définitivement été écartées par le Secrétaire

général.

L’approche du Secrétaire général, essentiellement celle du rapport de 2005, a été

accueillie favorablement par une grande majorité des États lors du premier débat thématique

de l’Assemblée générale consacré à la responsabilité de protéger en 2009177. Tel que l’énonce

Hajjami, le débat thématique de l’AGNU a été une occasion pour les États de

s’accorder : « […] sur une définition consensuelle du concept, qui soit conforme aux termes

du Document final du Sommet mondial de septembre 2005 »178.

La définition de la responsabilité de protéger retenue par les États en 2009 est donc

singulièrement différente de la définition proposée par la CIISE en 2001. Cette responsabilité

repose désormais sur trois piliers non séquentiels, desquels la responsabilité de reconstruire a

été complètement évacuée, et non plus sur trois temps de la responsabilité. Avec l’abandon des

critères de légitimité, la responsabilité subsidiaire de la communauté internationale de réagir

lorsqu’un État n’assure manifestement pas la protection de ses populations s’applique

désormais de manière subjective, au cas par cas et en temps voulu. La responsabilité de

protéger de 2009 est aussi plus restrictive quant à son champ d’application, se limitant

désormais aux quatre crimes de masse que sont le génocide, le nettoyage ethnique, les crimes

de guerre et les crimes contre l’humanité. Elle est axée sur le respect des dispositions et des

177 Ramesh THAKUR, The Responsibility to Protect: Norms, Laws, and the Use of Force in International Politics, préc., note 30, p. 156 178 Nabil HAJJAMI, La responsabilité de protéger, préc., note 33, p. 143 ; Depuis 2009, la responsabilité de protéger fait l’objet d’un rapport annuel du Secrétaire général afin d’en améliorer sa mise en œuvre.

Page 56: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

48

principes de la Charte, notamment en ce qui a trait au respect de la souveraineté des États et au

rôle unique du Conseil de sécurité dans le maintien de la paix et de la sécurité internationale.

Elle ne laisse ainsi aucune place à des interventions armées unilatérales des États ou des

organisations régionales, en dehors du cadre de la Charte, pour secourir des populations

menacées par l’un des quatre crimes de masse mentionnés précédemment.

Si la définition actuelle de la responsabilité de protéger diffère de celle initialement

proposée par la CIISE, Bellamy rappelle que ce sont précisément les changements apportés au

concept original qui ont rendu le consensus sur la responsabilité de protéger possible179.

Néanmoins, ces changements ont-ils nui à son caractère novateur? Dans la deuxième partie de

ce mémoire, nous nous intéresserons aux répercussions qu’a eues la responsabilité de protéger

sur la souveraineté étatique à la lumière de sa définition actuelle.

179 Alex J. BELLAMY, Global Politics and the Responsibility to Protect‒ From words to deeds, préc., note 118, p. 9

Page 57: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

49

2. Les répercussions de la responsabilité de protéger sur la

souveraineté étatique moderne

Le survol historique du concept de la responsabilité de protéger a mis en évidence les

problèmes associés à ce que la CIISE avait qualifié dans son rapport de 2001 de « dilemme de

l’intervention », à savoir la volonté de concilier l’intervention à des fins de protection humaine

d’une part, et le respect de la souveraineté étatique basé sur l’ordre juridique international

actuel de la Charte des Nations Unies d’autre part180. L’entérinement unanime du concept de

la responsabilité de protéger par la communauté internationale lors du Sommet mondial de

septembre 2005 nous amène donc à nous questionner sur la relation entre la souveraineté

étatique et la responsabilité de protéger dans la deuxième partie de ce mémoire. Nous

tenterons de comprendre comment la responsabilité de protéger, telle qu’entérinée en 2005, est

parvenue à surmonter le « dilemme de l’intervention ». La responsabilité de protéger a-t-elle

créé de nouvelles obligations de protection à la charge des États ou de la communauté

internationale? Quelles ont été ses répercussions sur la souveraineté étatique moderne?

Pour éclairer ces questions, nous définirons d’abord la souveraineté étatique

moderne (2.1.). Nous définirons ensuite la responsabilité principale des États de protéger leurs

populations, traduite par le concept de la « souveraineté responsable », puis nous

déterminerons ses répercussions sur la souveraineté étatique moderne (2.2.). En dernier lieu,

nous verrons les répercussions de la responsabilité de protéger sur la souveraineté des États en

vertu du deuxième pilier de la responsabilité de protéger qu’est celui de la responsabilité 180 COMMISSION INTERNATIONALE DE L’INTERVENTION ET DE LA SOUVERAINETÉ DES ÉTATS, La responsabilité de protéger, préc., note 2, par. 1.7

Page 58: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

50

subsidiaire de la communauté internationale d’encourager et d’aider les États à s’acquitter de

leur responsabilité de protéger (2.3.).

2.1. La définition de la souveraineté étatique moderne

La souveraineté est l’un des principes fondateurs sur lequel reposent les relations

internationales et le droit international public. Pourtant, il est difficile d’établir une définition

objective et immuable de la souveraineté, cette dernière se définissant plutôt selon le contexte

historique et politique dans lequel on s’interroge181. Samantha Besson, professeure à

l’Université de Fribourg, a déclaré au sujet de la définition de la souveraineté : « […] its

meaning has been changing across historical and political contexts and has also been heavily

contested at any given time and space »182. Plutôt que de chercher à établir une définition

exhaustive de la souveraineté, nous nous intéressons aux bases sur lesquelles repose le

principe de la souveraineté étatique moderne.

La souveraineté étatique représente aujourd’hui l’identité juridique de l’État en droit

international183. L’État doit posséder certaines composantes essentielles pour être reconnu

comme tel et bénéficier des attributs de la souveraineté étatique. La Convention concernant les

droits et devoirs des États de 1933, aussi connue sous le nom de Convention de Montevideo, a

181 Luke GLANVILLE, Sovereignty and the Responsibility to Protect : A New History, Chicago, The University of Chicago Press, 2014, p. 10 182 Samantha BESSON, « Sovereignty », dans Max Planck Encyclopedia of Public International Law, Oxford, Oxford University Press, 2016, par. 3, en ligne: <http://opil.ouplaw.com/view/10.1093/law:epil/9780199231690/law-9780199231690-e1472?rskey=QNt1F3&result=1&prd=EPIL> (consulté le 22 février 2016) 183 COMMISSION INTERNATIONALE DE L’INTERVENTION ET DE LA SOUVERAINETÉ DES ÉTATS, La responsabilité de protéger, préc., note 2, par. 2.7

Page 59: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

51

codifié le droit international coutumier quant à la définition d’un État. Les composantes

essentielles pour qu’un État soit reconnu comme une personne de droit international sont les

suivantes : une population permanente, un territoire déterminé, un gouvernement et la capacité

d'entrer en relation avec les autres États184.

La souveraineté étatique comporte deux dimensions : la souveraineté dans l’État, ou

souveraineté interne, et la souveraineté de l’État, ou souveraineté externe. La souveraineté

interne désigne la capacité pour un État de prendre des décisions contraignantes à l’égard de la

population et des ressources qui se trouvent sur le territoire de l’État185. Il s’agit du droit

légitime à l’exercice de l’autorité exclusive, inconditionnelle et suprême sur un territoire

délimité186. Dans son rapport de 2001 sur la responsabilité de protéger, la CIISE rappelle que

de manière générale : « […] l’autorité de l’État est considérée comme étant non pas absolue,

mais limitée et réglementée au plan interne par les dispositions constitutionnelles relatives à la

séparation des pouvoirs »187. La souveraineté externe traite de la relation entre les États en tant

que personne juridique sur le plan international ou entre les États et d’autres acteurs possédant

la personnalité juridique internationale, telles les organisations internationales188. Elle désigne,

184 Convention concernant les droits et les devoirs des États, 26 décembre 1933, 165 R.T.S.N. 19 (no 3802), art. 1, en ligne : <https://treaties.un.org/doc/Publication/UNTS/LON/Volume%20165/v165.pdf> (consulté le 1er août 2016) 185 COMMISSION INTERNATIONALE DE L’INTERVENTION ET DE LA SOUVERAINETÉ DES ÉTATS, La responsabilité de protéger, préc., note 2, par. 2.7 ; Ramesh THAKUR, « Rwanda, Kosovo, and the International Commission on Intervention and State Sovereignty », dans Alex J. BELLAMY et Tim DUNNE (dir.), The Oxford Handbook of the Responsibility to Protect, préc., note 4, p. 94, à la page 96 ; Anne PETERS, « Humanity as the A and Ω of Sovereignty », (2009) 20 (no 3) E.J.I.L. 513, 515 186 John BAYLIS, Steve SMITH et Patricia OWENS, La globalisation de la politique mondiale. Une introduction aux relations internationales, préc., note 5, p. 568 187 COMMISSION INTERNATIONALE DE L’INTERVENTION ET DE LA SOUVERAINETÉ DES ÉTATS, La responsabilité de protéger, préc., note 2, par. 2.7 188 Anne PETERS, « Humanity as the A and Ω of Sovereignty », préc., note 185, 513, 516

Page 60: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

52

en théorie, l’indépendance absolue des États sur la scène internationale, limitée uniquement

par leurs propres engagements, et l’égalité dans les relations entre les États189.

La souveraineté étatique externe comporte certains corollaires. La professeure Anne

Peters énonce que les corollaires de la souveraineté étatique sont notamment l’indépendance

sur le plan juridique, l’autorité sur le territoire et les personnes, l’autodétermination, l’intégrité

territoriale, la non-intervention dans les affaires relevant de la juridiction interne des États,

l’immunité diplomatique et la personnalité juridique et les pouvoirs qui en découlent (la

capacité de conclure des traités, d’être tenu responsable de ses actes, de devenir membre d’une

organisation internationale, etc.)190.

Maintenant que nous avons défini les bases sur lesquelles repose le principe de la

souveraineté étatique moderne, nous nous intéresserons aux répercussions de la responsabilité

principale des États de protéger leurs populations sur la souveraineté étatique moderne.

2.2. Les répercussions de la responsabilité principale des États de

protéger leurs populations sur la souveraineté étatique

moderne

La responsabilité principale des États de protéger leurs populations s’est traduite par le

concept de « souveraineté responsable » dans l’élaboration de la responsabilité de protéger.

189 Peter HILPOLD, « From Humanitarian Intervention to the Responsibility to Protect », dans Peter HILPOLD (dir.), Responsibility to Protect (R2P) ‒ A New Paradigm of International Law?, préc., note 100, p. 1, à la page 2 ; Samantha BESSON, « Sovereignty », dans Max Planck Encyclopedia of Public International Law, préc., note 182, par. 28 190 Anne PETERS, « Humanity as the A and Ω of Sovereignty », préc., note 185, 513, 516

Page 61: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

53

Afin de déterminer les répercussions de la responsabilité principale des États de protéger leurs

populations sur la souveraineté étatique, nous verrons ce qu’on entend par « souveraineté

responsable ». Cette définition s’effectuera en deux temps : nous remonterons d’abord aux

origines de la souveraineté responsable (2.2.1.), puis nous verrons comment la CIISE a repris

le concept à son compte dans l’élaboration de la responsabilité de protéger (2.2.2.). Nous

déterminerons ensuite si la souveraineté responsable est une idée novatrice et si elle entraîne, à

cet effet, des répercussions sur la souveraineté étatique moderne (2.2.3.). Dans un dernier

temps, nous analyserons si les crimes de masses associés à la responsabilité de protéger telle

qu’entérinée en 2005 créent de nouvelles obligations juridiques de protection pour les

États (2.2.4.).

2.2.1. L’émergence du concept de la souveraineté comme responsabilité

Theresa Reinold explique que le concept de la souveraineté responsable, dont l’origine

est souvent attribuée au rapport de la CIISE, est en fait un concept élaboré principalement par

Francis Deng, alors Représentant spécial du Secrétaire général pour les personnes déplacées

internes, dans un ouvrage de 1996 intitulé Sovereignty as Responsibility : Conflict

Management in Africa191.

Le nombre des déplacés internes a augmenté radicalement avec la multiplication des

conflits armés non internationaux dans les années 1990, passant d’un peu plus d’un million

191 Francis M. DENG, Sadikiel KIMARO, Terrence LYONS, Donald ROTHCHILD, et I. William ZARTMAN, Sovereignty as Responsibility : Conflict Management in Africa, Washington, Brookings Institution Press, 1996 ; Theresa REINOLD, Sovereignty and the Responsibility to Protect‒ The power of norms and the norms of the powerful, préc., note 148, p. 55

Page 62: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

54

dans la décennie précédente à près de 25 millions en 1994, année de la nomination de Francis

Deng au poste de Représentant spécial du Secrétaire général pour les personnes déplacées

internes192. Étant donné que les déplacés internes demeurent à l’intérieur des frontières de leur

État, ceux-ci ne bénéficient pas des protections accordées aux réfugiés193. Ils sont entièrement

à la merci de la protection accordée par leur État qui, paradoxalement, est souvent la cause de

leur déplacement194. Francis Deng voulait persuader les gouvernements d’améliorer la

protection des personnes déplacées internes et empêcher que les États puissent refuser de

prêter assistance à ces derniers195. Il a donc mis au point le concept de la souveraineté comme

responsabilité.

Tel que l’explique Roberta Cohen, cofondatrice et codirectrice du Brookings-LSE

Project on Internal Displacement avec Francis Deng pendant plus de 10 ans, la souveraineté

comme responsabilité part du postulat que les États ont la responsabilité première d’assurer le

bien-être et la sécurité des personnes déplacées internes196. Advenant qu’un État ne soit pas en

mesure de s’acquitter de sa responsabilité de protéger les déplacées internes197, celui-ci est

tenu de demander et d’accepter l’aide de la communauté internationale198. Toutefois, si un État

refuse ou empêche délibérément les déplacés internes de recevoir l’aide de la communauté

192 Alex J. BELLAMY, Global Politics and the Responsibility to Protect‒ From words to deeds, préc., note 118, p. 10 193 HAUT-COMMISSARIAT DES NATIONS UNIES AUX DROITS DE L'HOMME, « Questions and Answers about IDPs », en ligne : <http://www.ohchr.org/EN/Issues/IDPersons/Pages/Issues.aspx> (consulté le 8 novembre 2016) 194 Francis M. DENG, « The Paradox of National Protection », (2006) 603 Ann. Am. Acad. Pol. Soc. Sci. 217, 218, en ligne: <https://www.jstor.org/stable/pdf/25097767.pdf> (consulté le 8 novembre 2016) 195 Alex J. BELLAMY, Global Politics and the Responsibility to Protect‒ From words to deeds, préc., note 118, p. 10 196 Roberta COHEN, « From sovereign responsibility to R2P », dans W. Andy KNIGHT et Frazer EGERTON (dir.), The Routledge Handbook of the Responsibility to Protect, New York, Routledge, 2012, p.7, à la page 14 197 Roberta Cohen fournit à titre d’exemples de gestes associés à la souveraineté comme responsabilité à accorder aux déplacées internes : l’approvisionnement en nourriture et en médicaments ou l’approvisionnement en refuges. 198 Roberta COHEN, « From sovereign responsibility to R2P », dans W. Andy KNIGHT et Frazer EGERTON (dir.), The Routledge Handbook of the Responsibility to Protect, préc., note 196, p. 7, à la page 14

Page 63: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

55

internationale, cette dernière a alors le droit, voire la responsabilité, de prendre une série de

mesures pouvant aller jusqu’à l’intervention militaire, dans le but d’aider les personnes

déplacées internes à risque199. Francis Deng et Roberta Cohen ont exposé cette conception de

la souveraineté comme responsabilité dans leur brochure Guiding Principles on Internal

Displacement publiée en 1998200.

En 1999, le Secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, a repris l’idée de

Francis Deng dans un article paru dans The Economist. Dans son article, M. Annan énonce

que la conception dite « traditionnelle » de la souveraineté, insistant sur le fait que les États

bénéficient des attributs de la souveraineté peu importe la manière dont ils traitent leurs

citoyens201, ne peut plus être acceptée aujourd’hui. Selon lui, la souveraineté étatique est en

processus de redéfinition et les États sont désormais vus comme des instruments au service de

leurs populations, et non le contraire202. À cet effet, Kofi Annan énonce que le but de la

Charte des Nations Unies est de protéger les individus et non de protéger ceux qui leur

infligent de mauvais traitements203.

Tout comme Francis Deng avant lui, Kofi Annan entrevoit que la souveraineté

comporte à la fois des droits et des responsabilités204. Selon Alex J. Bellamy, la souveraineté

responsable telle que la conçoit Kofi Annan repose sur deux piliers. D’abord, la souveraineté

199 Id. 200 Voir : COMMISSION DES DROITS DE L'HOMME DES NATIONS UNIES, Guiding Principles on Internal Displacement, Doc. N.U. E/CN.4/1998/53/Add.2 (11 février 1998), principes 3 et 25(1) et (2), en ligne : <http://www.unhcr.org/protection/idps/43ce1cff2/guiding-principles-internal-displacement.html> (consulté le 10 novembre 2016) 201 Kofi ANNAN, « Two concepts of sovereignty », New York, The Economist, 16 septembre 1999, en ligne: <http://www.economist.com/node/324795> (consulté le 9 novembre 2016) 202 Id. 203 Id. 204 Alex J. BELLAMY, Global Politics and the Responsibility to Protect‒ From words to deeds, préc., note 118, p. 10

Page 64: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

56

responsable repose sur les droits inaliénables de tous les êtres humains205. Ensuite, la

souveraineté responsable repose sur l’idée que les gouvernements des États ont la

responsabilité première de protéger les droits des populations sous leur juridiction. Lorsque les

gouvernements ne respectent pas ces droits ou qu’ils se révèlent incapables de les protéger, la

communauté internationale a alors la responsabilité subsidiaire d’intervenir tout en respectant

le cadre légal fourni par la Charte des Nations Unies206.

La CIISE reprendra à son compte la conception de la souveraineté comme

responsabilité. Les rédacteurs du rapport de la CIISE voyaient dans le concept une manière de

réconcilier le principe de la souveraineté et la protection des droits de la personne207. À ce

titre, la souveraineté responsable deviendra un élément central de leur conception de la

responsabilité de protéger.

2.2.2. Le concept de souveraineté responsable intégré à la responsabilité de

protéger

Dans leur rapport intitulé La responsabilité de protéger, les commissaires de la CIISE

tentent de réconcilier le principe de la souveraineté et la protection des droits de la personne,

souvent mis en opposition dans les années 1990208, en réalisant une redéfinition nécessaire de

la souveraineté209. Cette redéfinition fait passer la souveraineté d’une « […] souveraineté de

205 Id. 206 Id. 207 Nabil HAJJAMI, La responsabilité de protéger, préc., note 33 p. 150 208 Id. 209 COMMISSION INTERNATIONALE DE L’INTERVENTION ET DE LA SOUVERAINETÉ DES ÉTATS, La responsabilité de protéger, préc., note 2, par. 2.14

Page 65: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

57

contrôle à une souveraineté de responsabilité, pour ce qui est tant des fonctions internes que

des responsabilités externes »210. La CIISE souligne que cette redéfinition de la souveraineté

est importante à trois égards. D’abord, elle implique que « […] les autorités étatiques sont

responsables des fonctions qui permettent de protéger la sécurité et la vie des citoyens et de

favoriser leur bien-être »211. Ensuite, elle suppose que les autorités étatiques sont responsables

à l’égard des citoyens sur le plan interne et de la communauté internationale, par

l’intermédiaire de l’ONU, sur le plan externe. Finalement, elle signifie que les agents de l’État

« […] sont responsables de leurs actes, c’est-à-dire qu’ils doivent rendre des comptes pour ce

qu’ils font ou ne font pas »212. Ainsi, la conception de la souveraineté dite responsable

implique que la souveraineté étatique comporte non seulement des droits, mais aussi des

responsabilités desquelles les États doivent s’acquitter213.

La CIISE reprend la même dynamique de la souveraineté comme responsabilité, telle

que présentée par Francis Deng, lorsqu’elle déclare que la responsabilité de protéger incombe

d’abord et avant tout à l’État dont la population est directement touchée214. La communauté

internationale a une responsabilité résiduelle de protéger la population affectée lorsque l’État

en question est incapable ou peu désireux de s’acquitter de sa responsabilité de protéger,

lorsqu’il est l’auteur effectif des crimes ou atrocités ou lorsque les actes qui se déroulent dans

cet État menacent des personnes vivant à l’extérieur de ce dernier215. L’État n’a alors pas

réussi à s’acquitter des responsabilités inhérentes à la souveraineté et doit rendre des comptes

210 Id. 211 Id., par. 2.15 212 Id. 213 Nabil HAJJAMI, La responsabilité de protéger, préc., note 33, p. 161 214 COMMISSION INTERNATIONALE DE L’INTERVENTION ET DE LA SOUVERAINETÉ DES ÉTATS, La responsabilité de protéger, préc., note 2, par. 2.30 215 Id., par. 2.31

Page 66: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

58

à la communauté internationale. Il ne peut plus utiliser le principe de la souveraineté et son

corollaire, le principe de la non-intervention, pour agir en toute impunité.

Bien que la définition de la responsabilité de protéger ait sensiblement évolué depuis le

rapport de la CIISE de 2001, le concept de « souveraineté responsable » en est demeuré un

élément central. En effet, tant la définition de la responsabilité de protéger retenue dans la

résolution A/RES/60/1 de 2005 que la définition retenue lors du premier débat thématique de

l’Assemblée générale consacré à la responsabilité de protéger en 2009 reprend cette

conception de la souveraineté216. Néanmoins, il convient d’apporter deux précisions. D’abord,

le concept de souveraineté responsable se limite désormais, pour les États, à la responsabilité

de protéger ses populations contre quatre crimes de masse, à savoir le génocide, les crimes de

guerre, les crimes contre l’humanité et les pratiques du nettoyage ethnique. Ensuite, le seuil

pour déclencher la responsabilité subsidiaire de la communauté internationale est plus difficile

à atteindre. Alors qu’avant 2005, la responsabilité subsidiaire de la communauté internationale

était engagée lorsque les États s’avéraient « […] impuissants ou peu disposés à prévenir »217

l’un des quatre crimes de masse commis sur son territoire, elle n’est engagée aujourd’hui que

si les États « […] n’assurent manifestement pas » la protection de leurs populations contre

ceux-ci218.

216 ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES, Document final du Sommet mondial de 2005, préc., note 131, par. 138 ; ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES, La mise en œuvre de la responsabilité de protéger‒ Rapport du secrétaire général, Doc. N.U. A/63/677, préc., note 161 par. 13-14 et 16 217 GROUPE DE PERSONNALITÉS DE HAUT NIVEAU SUR LES MENACES, LES DÉFIS ET LE CHANGEMENT, Un monde plus sûr : notre affaire à tous, préc., note 106, par. 203 218 ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES, Document final du Sommet mondial de 2005, préc., note 131, par. 139 ; Diana AMNÉUS, « The coining and evolution of responsibility to protect: the protection responsibilities of the State », dans Gentian ZYBERI (dir.), An Institutional Approach to the Responsibility to Protect, préc., note 127, p. 10

Page 67: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

59

La souveraineté responsable implique donc que la souveraineté étatique ne comporte

plus que des droits, mais aussi la responsabilité de protéger ses populations contre les crimes

de masse mentionnés précédemment. De plus, la souveraineté responsable implique

qu’advenant qu’un État ne soit manifestement pas en mesure de s’acquitter de cette

responsabilité, la communauté internationale a la responsabilité subsidiaire de protéger les

populations de l’État en question. Ainsi, la protection des populations contre les crimes de

masse couverts par la responsabilité de protéger ne peut plus être vue comme relevant

strictement des affaires internes des États. Ces derniers doivent désormais rendre des comptes

à la communauté internationale lorsqu’ils ne s’acquittent pas de cette responsabilité inhérente

à la souveraineté. Or la souveraineté responsable vient-elle véritablement modifier la

conception de la souveraineté étatique moderne?

2.2.3. Des interprétations divergentes sur les responsabilités de la

souveraineté étatique moderne

Pour affirmer que la souveraineté responsable est une novation, il faudrait établir un

postulat voulant que celle-ci marque une rupture soudaine avec la conception dite

traditionnelle de la souveraineté étatique219. La position de Gareth Evans, l’un des

coprésidents du rapport de la CIISE, va dans cette voie. Selon lui, la souveraineté étatique

représente, depuis les Traités de Westphalie de 1648, un pouvoir arbitraire de l’État sur ses

219 Hans-Georg DEDERER, « ‘Responsibility to Protect’ and ‘Functional Sovereignty’ », dans Peter HILPOLD (dir.), Responsibility to Protect (R2P) ‒ A New Paradigm of International Law?, préc., note 100, p. 156, à la page 157

Page 68: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

60

sujets, sans contrainte externe220. Lors de la Conference on The Responsibility to Protect :

Engaging America tenue à Chicago en 2006, il a déclaré que la souveraineté, avant

l’avènement de la responsabilité de protéger, était une « […] license to kill »221. À son avis, la

Charte des Nations Unies reprend cette conception traditionnelle de la souveraineté lorsqu’elle

interdit aux Nations Unies d’intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement de la

compétence nationale d’un État222. Ainsi, avant le rapport de la CIISE et l’avènement du

concept de la souveraineté responsable, la souveraineté étatique aurait été « absolue », c’est-à-

dire qu’elle ne comportait que des droits, sans obligations, responsabilités ou contraintes

externes. L’évolution du principe de la souveraineté se résumerait donc à deux dates, comme

l’énonce Peter Hilpold, à savoir, 1648 et 2001 ou 2005223. Or cette thèse est plutôt difficile à

soutenir, car l’évolution doctrinale et conceptuelle de la souveraineté étatique moderne montre

que cette dernière a toujours comporté des responsabilités. Des auteurs comme Carsten

Stahn224, Nabil Hajjami225, Luke Glanville226 ou encore Alex J. Bellamy227 ont rédigé des

textes en ce sens.

220 Gareth EVANS, The Responsibility to Protect: Ending Mass Atrocity Crimes Once and For All, préc., note 4, p. 21 ; Gareth EVANS, « The Responsibility to Protect‒ From an Idea to an International Norm », dans Richard H. COOPER et Juliette VOÏNOV KOHLER (dir.), Responsibility to protect‒ The Global Moral Compact for the 21st Century, New York, Palgrave Macmillan, 2009, p. 15, à la page 16, en ligne: <http://lib.myilibrary.com/Open.aspx?id=233075> (consulté le 26 octobre 2016) 221 Gareth EVANS, « Keynote Opening Address by Gareth Evans, President of International Crisis Group and Co-Chair of International Commission on Intervention and State Sovereignty, to the Chicago Council on Global Affairs et al.‒ Conference on The Responsibility to Protect: Engaging America », Chicago, 15 novembre 2006, en ligne : <http://www.gevans.org/speeches/speech202.html> (consulté le 26 octobre 2016) 222 Charte des Nations Unies (et Statut de la Cour internationale de justice), préc., note 7, art. 2(7) 223 Peter HILPOLD, « From Humanitarian Intervention to the Responsibility to Protect » dans Peter HILPOLD (dir.), Responsibility to Protect (R2P) ‒ A New Paradigm of International Law?, préc., note 100, p. 1, à la page 5 ; 1648 correspondant à l’année où ont été signés les Traités de Westphalie (Traité de Münster et Traité d’Osnabrück), 2001, à l’année où la responsabilité de protéger a été conceptualisée dans le rapport de la CIISE et 2005, à l’année où la responsabilité de protéger a été entérinée par les 191 États membres des Nations Unies dans le Document final du Sommet mondial de 2005. 224 Carsten STAHN, « Responsibility to Protect: Political Rhetoric or Emerging Legal Norm? », (2007) 101 (no 1) A.J.I.L. 99

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61

Selon Nabil Hajjami, Luke Glanville et Carsten Stahn, les thèses contractualistes

développées aux 17e et 18e siècles confirment l’idée que le « […] souverain – et derrière lui

l’État ‒ a pour rôle premier de garantir la sûreté de ses sujets »228. Luke Glanville fait

référence, entre autres, à Thomas Hobbes, philosophe anglais du 17e siècle. Ce dernier énonce

dans son ouvrage intitulé Léviathan que le rôle du souverain et la raison pour laquelle le

pouvoir souverain lui a été confié réside dans la sécurité des personnes. Cette responsabilité du

souverain ne peut être révoquée par le droit civil puisqu’il s’agit d’une obligation du droit

naturel : « The office of the sovereign, be it a monarch or an assembly, consisteth in the end

for which he was trusted with the sovereign power, namely the procuration of the safety of the

people, to which he is obliged by the law of nature »229. Pour sa part, Nabil Hajjami souligne

que Baruch Spinoza, philosophe néerlandais du 17e siècle, énonce dans son Traité

théologicopolitique que : « [l]e but final de l’instauration d’un état politique n’est pas la

domination, ni la répression des hommes, ni leur soumission au joug d’un autre. Ce à quoi l’on

a visé par un tel système, c’est à libérer l’individu de la crainte, de sorte que chacun vive,

autant que possible, en sécurité »230. Carsten Stahn fait référence au même raisonnement chez

John Locke, philosophe anglais du 17e siècle, qui énonce dans The Second Treatise of

Government que l’autorité suprême, à savoir le pouvoir législatif, agit pour la préservation de

225 Nabil HAJJAMI, La responsabilité de protéger, préc., note 33 226 Luke GLANVILLE, Sovereignty and the Responsibility to Protect : A New History, préc., note 181 ; Luke GLANVILLE, « Sovereignty », dans Alex J. BELLAMY et Tim DUNNE (dir.), The Oxford Handbook of the Responsibility to Protect, préc., note 4 227 Alex J. BELLAMY, Responsibility to Protect‒ The Global Effort to End Mass Atrocities, Cambridge, Polity, 2009 228 Nabil HAJJAMI, La responsabilité de protéger, préc., note 33, p. 155 229 Thomas HOBBES, Leviathan (1651), citation tirée de Luke GLANVILLE, Sovereignty and the Responsibility to Protect : A New History, préc., note 181, p. 42 et de Nabil HAJJAMI, La responsabilité de protéger, préc., note 33, p. 156 230 Baruch SPINOZA, Traité théologico-politique (1677), citation tirée de Nabil HAJJAMI, La responsabilité de protéger, préc., note 33, p. 156

Page 70: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

62

la communauté et que ce pouvoir conféré par les citoyens reposait sur la relation de confiance

entre l’État et les citoyens. Advenant que ce lien de confiance soit brisé, les citoyens pouvaient

retirer le pouvoir confié au législatif pour le redonner à un autre pouvoir législatif, susceptible

d’assurer leur sécurité231.

Nabil Hajjami souligne que des auteurs comme Jean-Jacques Rousseau, Jean Domat,

Jacques-Joseph Duguet, Samuel Purfendorf, Christian Wolff, Emmerich Vattel, Stanislas

Leszczynski et James Madison ont aussi véhiculé cette idée d’un lien existant entre la

souveraineté et la protection des droits fondamentaux des individus au 18e siècle232. Entre

autres, dans son ouvrage Du contrat social, Jean-Jacques Rousseau affirme que les

individus adhérant au contrat social « n’ont fait qu’un échange avantageux d’une manière

d’être incertaine et précaire contre une autre meilleure et plus sûre, de l’indépendance

naturelle contre la liberté, du pouvoir de nuire à autrui contre leur propre sûreté, et de leur

force que d’autres pouvaient surmonter contre un droit que l’union sociale rend

invincible »233. Dans le même sens, Samuel Pufendorf, dans son livre Le droit de la nature et

des gens, déclare : « Le Bien du peuple est la Souveraine Loi : c’est aussi la maxime générale

que les Princes doivent avoir toujours devant les yeux, puisqu’on ne leur a conféré l’Autorité

Souveraine, qu’afin qu’ils s’en servent pour procurer et maintenir le Bien Public, qui est le but

231 John LOCKE, The Second Treatise of Government (1689), citation tirée de Carsten STAHN, « Responsibility to Protect: Political Rhetoric or Emerging Legal Norm? », préc., note 224 : « Though in a Constituted Commonwealth, standing upon its own Basis, and acting according to its own Nature, that is, acting for the preservation of the Community, there can be but one Supreme Power, which is the Legislative, to which all the rest are and must be subordinate, yet the Legislative being only a Fiduciary Power to act for certain ends, there remains still in the People a Supream [sic] Power to remove or alter the Leglislative, when they find the Legislative act contrary to the trust reposed in them. For all Power given with trust for the attaining an end, being limited by that end, whenever that end is manifestly neglected, or opposed, the trust must necessarily be forfeited, and the Power devolve into the hands of those that gave it, who may place it anew where they shall think best for their safety and security » 232 Nabil HAJJAMI, La responsabilité de protéger, préc., note 33, p. 157-158 233 Citation tirée de Nabil HAJJAMI, La responsabilité de protéger, préc., note 33, p. 156-157

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63

naturel des Sociétés Civiles »234. Alex J. Bellamy et Luke Glanville rappellent que la doctrine

de la souveraineté comme responsabilité de protéger les individus a aussi été consacrée par la

montée de la souveraineté populaire et, notamment, par les révolutionnaires aux États-Unis

dans la Déclaration d’indépendance des États-Unis du 4 juillet 1776235 et, en France, dans la

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789236.

L’idée conceptuelle et doctrinale que la souveraineté comporte des responsabilités s’est

poursuivie avec l’internationalisation progressive de la souveraineté au cours des 19e et 20e

siècles. À ce sujet, Nabil Hajjami identifie, dans son ouvrage La responsabilité de protéger,

plusieurs juristes ayant mis l’accent sur la finalité protectrice de la souveraineté dans leur

définition de l’État237. À l’instar de Luke Glanville et de Nabil Hajjami, il convient de

234 Id., p. 157 235 Citation tirée de: THE U.S. NATIONAL ARCHIVES AND RECORDS ADMINISTRATION, « Declaration of Independence: A Transcription», en ligne, : <https://www.archives.gov/founding-docs/declaration-transcript> (consulté le 21 novembre 2016): « We hold these truths to be self-evident, that all men are created equal, that they are endowed by their Creator with certain unalienable Rights, that among these are Life, Liberty and the pursuit of Happiness. ‒ That to secure these rights, Governments are instituted among Men, deriving their just powers from the consent of the governed, ‒ That whenever any Form of Government becomes destructive of these ends, it is the Right of the People to alter or to abolish it, and to institute new Government […] [b]ut when a long train of abuses and usurpations, pursuing invariably the same Object evinces a design to reduce them under absolute Despotism, it is their right, it is their duty, to throw off such Government, and to provide new Guards for their future security. » ; Alex J. BELLAMY, Responsibility to Protect‒ The Global Effort to End Mass Atrocities, préc., note 227, p. 20 ; 236 Citation tirée de : CONSEIL CONSTITUTIONNEL, Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, préambule, en ligne: <http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/la-constitution/la-constitution-du-4-octobre-1958/declaration-des-droits-de-l-homme-et-du-citoyen-de-1789.5076.html> (consulté le 21 novembre 2016) : « Les Représentants du Peuple Français, constitués en Assemblée Nationale, considérant que l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de l'Homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des Gouvernements, ont résolu d'exposer, dans une Déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l'Homme, afin que cette Déclaration, constamment présente à tous les Membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que les actes du pouvoir législatif, et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous. » ; Alex J. BELLAMY, Responsibility to Protect‒ The Global Effort to End Mass Atrocities, préc., note 227, p. 20 ; Luke GLANVILLE, « Sovereignty », dans Alex J. BELLAMY et Tim DUNNE (dir.), The Oxford Handbook of the Responsibility to Protect, préc., note 4, p. 151, à la page 156 237 Nabil HAJJAMI, La responsabilité de protéger, préc., note 33, p. 159 à 161 ; Les juristes énumérés par Hajjami sont les suivants : Johan Kaspar Bluntschli, Henry Bonfils, Charles Calvo, Adhémar Esmein, August G. Heffter, Henry W. Halleck, Johann Ludwig Klüber, Ernest Nys, Lassa Oppenheim, Robert Philimore, Antoine Pillet, John

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64

mentionner que certaines théories de l’époque, associées à la montée du principe de

l’autodétermination nationale et à l’émergence des États-nations, ont sacralisé l’État au point

de remettre en question l’idée que la souveraineté comportait des responsabilités. Cette idée

s’observe par exemple chez des théoriciens comme Paul Laband238 ou Heinrich von

Treitschke239. Néanmoins, cette conception de la souveraineté n’a pas été retenue par la

communauté internationale et l’idée de protéger les populations était encore bien présente

parmi les États-nations240. Alors que l’État-nation était accompagné de l’idée du droit de

s’autogouverner, libre de toute ingérence externe, il est possible de voir que le régime des

droits des minorités rendait les États-nations redevables à la communauté internationale sur ce

plan241.

La protection des populations comme l’un des fondements de la souveraineté242 a

persisté lors de la guerre froide, période durant laquelle le principe de la non-intervention dans

les affaires intérieures des États s’est fait le plus sentir243 et où l’idée que les États étaient

redevables à la communauté internationale pour le traitement de leurs populations a été

largement abandonnée244. Sur le plan terminologique, durant la seconde moitié du 20e siècle,

N. Pomeroy, Paul Pradier-Fodéré, Antoine Rougier, Travers Twiss, George Friedrich Von Martens, John Westlake, Henry Wheaton et Theodore D. Woolsey. 238 Voir les propos de Nabil Hajjami à ce sujet : Nabil HAJJAMI, La responsabilité de protéger, préc., note 33, p. 158-159 239 Voir les propos de Luke Glanville à ce sujet : Luke GLANVILLE, Sovereignty and the Responsibility to Protect : A New History, préc., note 181, p. 87 240 Id. ; Avec la montée du principe de l’autodétermination nationale, l’idée de protection des populations civiles repose davantage aux 19e et 20e siècles sur les droits de la nation, ou droits nationaux, plutôt que sur les droits et libertés individuelles, comme on pouvait l’observer aux 17e et 18e siècles. Voir à cet effet : Luke GLANVILLE, Sovereignty and the Responsibility to Protect : A New History, préc., note 181, p. 91 241 Luke GLANVILLE, Sovereignty and the Responsibility to Protect : A New History, préc., note 181, p. 98 242 Luke GLANVILLE, « Sovereignty », dans Alex J. BELLAMY et Tim DUNNE (dir.), The Oxford Handbook of the Responsibility to Protect, préc., note 4, p. 151, à la page 158 243 Roberta COHEN, « From Sovereign Responsibility to R2P », dans W. Andy KNIGHT et Frazer EGERTON, The Routledge Handbook of the Responsibility to Protect, préc., note 196, p. 7, à la page 7 244 Luke GLANVILLE, Sovereignty and the Responsibility to Protect : A New History, préc., note 181, p. 157

Page 73: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

65

l’idée de protection des populations s’est de plus en plus articulée par l’idée de la protection

des droits de la personne245.

Ce retour dans le temps permet de constater que la souveraineté responsable, inhérente

à la responsabilité de protéger, n’a pas fait évoluer la souveraineté étatique moderne sur le

plan juridique. La souveraineté étatique moderne a toujours comporté, sur les plans conceptuel

et doctrinal, l’idée que l’État est responsable d’assurer la sécurité des populations se trouvant

sur son territoire, et ce, tout au long des quatre siècles qui ont suivi les Traités de Westphalie

de 1648. Il est vrai que de nombreux exemples historiques montrent que les États ne se sont

pas toujours comportés conformément à cette idée. Néanmoins, et tel que l’explique Barbara

Delcourt, professeure et présidente du Département de science politique de l’Université libre

de Bruxelles : « Que, dans les faits, les pratiques de certains [É]tats ne soient pas conformes à

ce mythe fondateur [que la souveraineté comporte la responsabilité de protéger ses

populations] est assurément un problème sérieux, mais qui ne devra pas être imputé aux

fondements doctrinaux de la souveraineté »246.

En ce sens, l’utilisation du concept de la souveraineté responsable comme fondement à

la responsabilité de protéger n’est pas dénuée d’intérêt. En effet, la souveraineté responsable,

inhérente à la responsabilité de protéger, permet de rappeler aux gouvernements leur

obligation de protéger les populations civiles et d’envoyer un message clair aux

gouvernements qui n’assureraient pas cette protection. Toutefois, les effets de ce message ne

peuvent se mesurer que sur le plan politique.

245 Id., p. 158 246 BARBARA DELCOURT, « La responsabilité de protéger et l’interdiction du recours à la force : entre normativité et opportunité », dans SOCIÉTÉ FRANÇAISE POUR LE DROIT INTERNATIONAL, La responsabilité de protéger – Colloque de Nanterre, Paris, Éditions A. Pedone, 2008, p. 305, à la page 312

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66

Parallèlement, ce constat nous amène à comprendre pourquoi le concept de

souveraineté responsable a été accepté aussi facilement par les États et s’est toujours maintenu

à travers l’évolution conceptuelle de la responsabilité de protéger. Dans les faits, la

souveraineté responsable consiste, pour les États, à réaffirmer l’un des attributs essentiels de

leur souveraineté, à savoir, la protection de leurs populations247.

Si le concept de la souveraineté responsable n’amène en soi aucune évolution du

principe de la souveraineté, il n’en demeure pas moins que les crimes de masses couverts par

ce concept pourraient entraîner de nouvelles obligations de protection à la charge des États,

susceptibles de limiter la souveraineté de ceux-ci.

2.2.4. Les crimes de masse associés à la souveraineté responsable et

l’absence de nouvelles obligations juridiques de protection pour les

États

Contrairement à la responsabilité de protéger de la CIISE, qui privilégiaient plusieurs

types d’interventions sur la base de la responsabilité de protéger248, la responsabilité de

protéger entérinée par la communauté internationale en 2005 limite la responsabilité de l’État

à protéger ses populations contre le génocide, les crimes de guerre, les crimes contre

l’humanité et le nettoyage ethnique, ainsi que contre les incitations à les commettre249. Ces

crimes de masse associés au premier pilier de la responsabilité de protéger créés-t-ils de 247 Voir en ce sens, Nabil HAJJAMI, La responsabilité de protéger, préc., note 33, p. 162 à 165 248 Pour l’ensemble des interventions sur la base de la responsabilité de protéger envisagée par la CIISE, voir section 1.1.1.2 de ce mémoire, p. 14 et 15 249 BUREAU DU CONSEILLER SPÉCIAL POUR LA PRÉVENTION DU GÉNOCIDE, « La responsabilité de protéger », en ligne: <http://www.un.org/fr/preventgenocide/adviser/responsibility.shtml> (consulté le 8 novembre 2016)

Page 75: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

67

nouvelles obligations de protection des populations civiles pour les États venant limiter par le

fait même leur souveraineté? À notre avis, le droit international en vigueur avant l’avènement

de la responsabilité de protéger protégeait déjà les populations des crimes de masse

précédemment mentionnés.

Le crime de génocide a été défini pour la première fois dans la Convention pour la

prévention et la répression du crime de génocide de 1948. L’article 2 définit le génocide

comme l'intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou

religieux en commettant l’un des actes ci-après, à savoir le meurtre de membres du groupe,

l’atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe, la soumission

intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique

totale ou partielle, des mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ou le

transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe250. L’article 1 de la Convention définit le

crime de génocide comme un crime du droit des gens et donc, comme un crime engendrant

une compétence universelle de juridiction251. Qui plus est, la Cour internationale de justice a

émis l’avis que les origines et les principes à la base de la Convention sont l’expression du

droit international coutumier et que, par conséquent, les États sont tenus par les obligations

découlant du statut juridique du crime de génocide même en dehors de tout lien

conventionnel252. La définition du crime de génocide a été reprise dans le Statut de Rome de la

250 Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, 9 décembre 1948, 78 R.T.N.U. 277, (entrée en vigueur le 12 janvier 1951), art. 2, en ligne : <http://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/CrimeOfGenocide.aspx> (consulté le 14 août 2016) 251 Ramesh THAKUR et Thomas G. WEISS, « R2P: From Idea to Norm‒ and Action? », (2009) 1 Global Resp. Protect 22, 43 252 Réserves à la Convention sur le Génocide, avis consultatif du 28 mai 1951, C.I.J. Recueil 1951, p. 15, à la page 23, en ligne : <http://www.icj-cij.org/docket/files/12/4282.pdf> (consulté le 5 novembre 2016)

Page 76: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

68

Cour pénale internationale de 1998, à l’article 6 et fait donc partie des crimes pour lesquels la

Cour pénale internationale a compétence253.

La codification la plus récente de la notion de crime de guerre est celle de l’article 8 du

Statut de Rome de la Cour pénale internationale (Statut de Rome)254. D’emblée, il convient de

remarquer que les rédacteurs du Statut de Rome ont distingué le « crime de guerre » selon qu’il est

commis dans un conflit armé international (CAI) ou dans un conflit armé non international

(CANI). Ainsi, les crimes de guerre dans une situation de CAI ne sont pas nécessairement les

mêmes crimes de guerre que ceux commis en situation de CANI.

Les crimes de guerre dans les situations de CAI sont définis à l’art. 8(2)a) et b). Il s’agit

d’infractions graves aux Conventions de Genève du 12 août 1949255, commises à l’encontre des

personnes ou des biens protégés par les dispositions desdites conventions (art. 8(2)a)) et des

violations graves des lois et coutumes applicables aux CAI (dont le Protocole additionnel I256)

253 Statut de Rome de la Cour pénale internationale, 17 juillet 1998, 2187 R.T.N.U. 3 (n° 38544), (entrée en vigueur le 1er juillet 2002), en ligne : <https://www.icc-cpi.int/NR/rdonlyres/6A7E88C1-8A44-42F2-896F-D68BB3B2D54F/0/Rome_Statute_French.pdf> (consulté le 14 août 2016) 254 La notion de crimes de guerre avait déjà été définie en droit pénal international par certains traités, tels le Statut du Tribunal militaire international (1945), le Statut du Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie (1993) ou encore le Statut du Tribunal international pour le Rwanda (1994). Nous avons retenu la définition du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, car il s’agit de la codification la plus récente de la notion et elle a l’avantage de bénéficier de la possibilité d’avoir une portée universelle avec la ratification éventuelle du Statut par l’ensemble des États membres de la communauté internationale. 255 Convention de Genève pour l’amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne du 12 août 1949, 12 août 1949, (1949) 75 R.T.N.U. 31, art. 50, en ligne : <https://treaties.un.org/doc/Publication/UNTS/Volume%2075/v75.pdf> (consulté le 6 janvier 2016) ; Convention de Genève pour l’amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer du 12 août 1949, 12 août 1949, (1949) 75 R.T.N.U. 85, art. 51, en ligne : <https://treaties.un.org/doc/Publication/UNTS/Volume%2075/v75.pdf> (consulté le 6 janvier 2016) ; Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre du 12 août 1949, 12 août 1949, (1949) 75 R.T.N.U. 135, art. 130, en ligne : <https://treaties.un.org/doc/Publication/UNTS/Volume%2075/v75.pdf> (consulté le 6 janvier 2016) ; Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre du 12 août 1949, 12 août 1949, (1949) 75 R.T.N.U. 287, art. 147, en ligne : <https://treaties.un.org/doc/Publication/UNTS/Volume%2075/v75.pdf> (consulté le 6 janvier 2016) 256 Eve LA HAYE, War crimes in internal armed conflicts, coll. « MyiLibrary », New York, Cambridge University Press, 2008, p.109

Page 77: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

69

dans le cadre établi du droit international (art. 8(2)b)). Chacun de ces sous-paragraphes est suivi

d’une liste des actes prohibés.

Les crimes de guerre dans les situations de CANI sont définis à l’art. 8(2)c) et e). Il s’agit

des violations graves de l’article 3 commun aux quatre Conventions de Genève du 12 août 1949,

commises à l’encontre de personnes qui ne participent pas directement aux hostilités, y compris les

membres des forces armées qui ont déposé les armes et les personnes qui ont été mises hors de

combat (art. 8(2)c)) et des autres violations graves des lois (dont le Protocole additionnel II257) et

coutumes applicables aux CANI dans le cadre établi du droit international (art. 8(2)e)). Encore une

fois, chacun de ces sous-paragraphes est suivi d’une liste des actes prohibés.

Il est aussi établi en vertu du droit international coutumier que les violations graves du

droit international humanitaire constituent des crimes de guerre258. Ainsi, même hors de tout

cadre conventionnel, les États ont l’obligation de protéger leurs populations contre la

commission de crimes de guerre.

La codification la plus récente des crimes contre l’humanité se trouve aussi dans le

Statut de Rome, à l’article 7. Le paragraphe 1 énumère les différents crimes considérés comme

des crimes contre l’humanité259. Ces crimes sont définis au paragraphe 2 de l’article 7. Pour

257 COMITÉ INTERNATIONAL DE LA CROIX-ROUGE, « Les crimes de guerre d'après le Statut de Rome de la Cour pénale internationale et leur source dans le droit international humanitaire‒ Tableau comparatif », p. 19, en ligne : <https://www.icrc.org/fre/assets/files/other/fr_-tableau_comparatif_crimes_de_guerre.pdf> (consulté le 14 décembre 2015) 258 Jean-Marie HENCKAERTS et Louise DOSWALD-BECK, Droit international humanitaire coutumier, vol. no 1, Bruxelles, Bruylant, 2006, p. 751, en ligne : <https://www.icrc.org/fre/assets/files/other/icrc_001_pcustom.pdf> (consulté le 28 novembre 2016) 259 Statut de Rome de la Cour pénale internationale, préc., note 253, art. 7, par. 1 ; Les crimes énumérés au paragraphe 1 de l’article 7 sont les suivants : a) Meurtre; b) Extermination ; c) Réduction en esclavage ; d) Déportation ou transfert forcé de population ; e) Emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international ; f) Torture ; g) Viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable ; h) Persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d’ordre

Page 78: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

70

que les différents crimes soient considérés comme des crimes contre l’humanité, il faut qu’ils

aient été commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute

population civile et en connaissance de cette attaque260. Tant le Tribunal pénal international

pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) que le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) ont

réaffirmé que les crimes contre l’humanité font partie du droit international coutumier et la

prohibition de ces crimes est considérée comme une norme de jus cogens261.

En ce qui a trait au nettoyage ethnique, il n’existe pas de définition juridique qui fasse

consensus. La définition la plus connue est celle donnée dans le Rapport intérimaire de la

Commission d’experts constituée conformément à la Résolution 780 (1992) du Conseil de

sécurité (Doc. S/25274) et reprise par la Cour internationale de justice (C.I.J.) dans son arrêt

Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide262. Il

s’agit de rendre une zone ethniquement homogène en utilisant la force ou l’intimidation pour

faire disparaître de la zone en question des personnes appartenant à des groupes déterminés263.

L’inclusion du nettoyage ethnique dans le champ d’application de la responsabilité de protéger

est particulière. En effet, et tel que l’a énoncé Ban Ki-Moon dans son rapport A/63/677 de

2009 sur la mise en œuvre de la responsabilité de protéger, le nettoyage ethnique n’est pas en

politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste au sens du paragraphe 3, ou en fonction d’autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international, en corrélation avec tout acte visé dans le présent paragraphe ou tout crime relevant de la compétence de la Cour ; i) Disparitions forcées de personnes ; j) Crime d’apartheid ; k) Autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale. 260 Id. 261 Diana AMÉNUS, «The coining and evolution of responsibility to protect: the protection responsibilities of the State», dans Gentian ZYBERI (dir.), An Institutional Approach to the Responsibility to Protect, préc., note 127, p. 22 262 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt du 26 février 2007, C.I.J. Recueil 2007, p. 43, en ligne : <http://www.icj-cij.org/docket/files/91/13685.pdf> (consulté le 10 septembre 2016) 263 Id., p. 43, à la page 83

Page 79: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

71

soi un crime de droit international264. Il n’est donc pas inclus dans le Statut de Rome de la

Cour pénale internationale265. Le nettoyage ethnique est plutôt une pratique266 dont les actions

entrent dans les trois crimes de masse définis précédemment267. À titre d’exemple, la C.I.J. a

noté que le nettoyage ethnique, dans le contexte de la Convention pour la prévention et la

répression du crime de génocide, ne revêt aucune portée juridique268. Néanmoins, la C.I.J.

estime que :

« [c]ela ne signifie pas que les actes qui sont décrits comme étant du «nettoyage ethnique» ne sauraient jamais constituer un génocide, s’ils sont tels qu’ils peuvent être qualifiés, par exemple, de «[s]oumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle», en violation du litt. c) de l’article II de la Convention, sous réserve que pareille action soit menée avec l’intention spécifique (dolus specialis) nécessaire, c’est-à-dire avec l’intention de détruire le groupe, et non pas seulement de l’expulser de la région »269.

De son côté, Phil Orchard, directeur de recherche et directeur de programme au Asia

Pacific Centre for the Responsibility to Protect à l’Université du Queensland, énonce que le

Comité international de la Croix-Rouge considère le nettoyage ethnique comme une

combinaison de crimes de guerre tels que proscrit par les Conventions de Genève, leurs

264 ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES, La mise en œuvre de la responsabilité de protéger‒ Rapport du secrétaire général, préc., note 161, par. 3 265 Nigel RODLEY, « R2P and International Law : A Paradigm Shift? », dans Alex J. BELLAMY et Tim DUNNE (dir.), The Oxford Handbook of the Responsibility to Protect, préc., note 4, p. 186, à la page 195 266 Karine MAC ALLISTER, « Transfert forcé de population », Réseau de recherche sur les opérations de paix, en ligne : <http://www.operationspaix.net/113-resources/details-lexique/transfert-force-de-population.html> (consulté le 14 novembre 2016) 267 Nigel RODLEY, « R2P and International Law : A Paradigm Shift? », dans Alex J. BELLAMY et Tim DUNNE (dir.), The Oxford Handbook of the Responsibility to Protect, préc., note 4, p. 186, à la page 196 268 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), préc., note 262, p. 43, à la page 123 269 Id.

Page 80: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

72

Protocoles additionnels et le droit international coutumier en matière de droit international

humanitaire270.

À la lumière de ces définitions, nous voyons que les États avaient déjà des obligations

de nature juridique et coutumière de protéger leurs populations du génocide, des crimes de

guerre, des crimes contre l’humanité et des pratiques du nettoyage ethnique avant l’élaboration

conceptuelle de la responsabilité de protéger. Qui plus est, la prohibition de ces crimes est

considérée comme ayant la qualité de jus cogens et les obligations de prévenir et de réprimer

ces crimes s’appliquent erga omnes.

Les crimes de masses associés à la souveraineté responsable n’amènent donc pas de

nouvelles obligations juridiques de protection des populations civiles pour les États. Les

crimes de masse que sont le génocide, les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les

pratiques du nettoyage ethnique disposaient de solides assises dans le droit international

conventionnel et dans le droit international coutumier avant l’avènement de la responsabilité

de protéger en 2001. Il n’a pas fallu attendre la consécration du concept en 2005 pour

reconnaître aux États une obligation de protéger leurs populations civiles de ces crimes et

pratiques. Nous pouvons voir, là encore, un rappel politique à la communauté internationale

des obligations de protection qui leur incombent en vertu du droit international.

La souveraineté responsable, inhérente au premier pilier de la responsabilité de

protéger, n’a donc pas modifié sur le plan juridique le concept de la souveraineté étatique

moderne. Effectivement, la souveraineté étatique moderne comportait déjà des responsabilités

sur le plan conceptuel et doctrinal avant l’avènement de la responsabilité de protéger, tout

270 Phil ORCHARD, « Responding to Forced Displacement as a Mass Atrocity Crime », dans Alex J. BELLAMY et Tim DUNNE (dir.), The Oxford Handbook of the Responsibility to Protect, préc., note 4, p. 604, à la page 608

Page 81: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

73

comme les États avaient des obligations de nature conventionnelle et coutumière de protéger

les populations des crimes de masse associés à la souveraineté responsable. Si le premier pilier

de la responsabilité de protéger n’amène en soi aucune novation sur le plan juridique, nous

nous demanderons toutefois si la responsabilité subsidiaire de protection de la communauté

internationale apporte quant à elle des modifications à la souveraineté étatique moderne.

2.3. Les répercussions de la responsabilité subsidiaire de

protection de la communauté internationale sur la

souveraineté étatique moderne

La responsabilité de protéger telle qu’élaborée par la CIISE en 2001 était susceptible

d’avoir des répercussions sur l’un des corollaires de la souveraineté étatique moderne, le

principe de la non-intervention, en ouvrant la porte aux interventions armées coercitives

menées hors du cadre de la Charte des Nations Unies. Néanmoins, nous avons constaté dans

les sections 1.3. et 1.4. de ce mémoire que la responsabilité de protéger entérinée par la

communauté internationale en 2005 et réaffirmée en 2009 est singulièrement différente de

celle élaborée par la CIISE. Cette nouvelle mouture de la responsabilité de protéger a-t-elle

tout de même entraîné des répercussions sur la souveraineté étatique moderne (2.3.1.)? Qui

plus est, a-t-elle entraîné de nouvelles obligations de nature juridique pour la communauté

internationale (2.3.2.)?

Page 82: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

74

2.3.1. La responsabilité de protéger et le principe de la non-intervention

dans la conduite des relations internationales

À la suite du rapport de la CIISE de 2001, deux formes d’intervention armée sur la

base de la responsabilité de protéger existaient. La première, bien connue, consiste à mener

des interventions coercitives autorisées par le Conseil de sécurité sur la base du chapitre VII

de la Charte des Nations Unies. Ce type d’intervention n’amène en soi aucune évolution du

droit positif. L’autre type d’intervention, plus controversé, consiste à permettre à des États

d’intervenir sur la base de la responsabilité de protéger hors du cadre prévu par la Charte

advenant un blocage du Conseil de sécurité. Ce type d’intervention vient remettre en question

l’un des corollaires établis de la souveraineté étatique moderne, à savoir le principe de la non-

intervention. Plus précisément, cette intervention entre en contradiction avec l’interdiction du

recours à la force dans la conduite des relations internationales, consacrée au paragraphe 4 de

l’article 2, et avec l’interdiction d’intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement de

la compétence nationale d'un État, prévue au paragraphe 7 de l’article 2 de la Charte.

L’intervention menée hors du cadre de la Charte découle de l’idée qu’il existait une

évolution de nature coutumière du droit international assouplissant les conditions d’emploi de

la force tel que définies à l’article 2(4) de la Charte lorsque les États intervenaient à des fins

humanitaires271. Ce possible assouplissement de l’interdiction du recours à la force tel que

prescrit par l’article 2(4) de la Charte faisait suite à certaines interventions humanitaires

271 Ramesh THAKUR, « Rwanda, Kosovo, and the International Commission on Intervention and State Sovereignty », dans Alex J. BELLAMY et Tim DUNNE (dir.), The Oxford Handbook of the Responsibility to Protect, préc., note 4, p. 94, à la page 102 ; Nabil HAJJAMI, La responsabilité de protéger, préc., note 33, p. 204-205

Page 83: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

75

menées dans les années 1990 sans le consentement du Conseil de sécurité, et plus

particulièrement à celle menée par l’OTAN au Kosovo en 1999272.

Dans son rapport, la CIISE s’est positionnée en faveur d’un assouplissement de nature

coutumière du paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte. La CIISE mentionne de manière

explicite au paragraphe 2.27 de son rapport que : « [p]artant […] de l’évolution du droit

international coutumier, la Commission estime que la polarisation fortement antiintervention

militaire de la Charte ne doit pas être considérée comme absolue lorsqu’une action décisive

s’impose pour des raisons de protection humaine »273. De plus, il a été vu dans la première

partie de ce mémoire que la CIISE avait ouvert la porte aux interventions armées menées hors

du cadre de la Charte advenant un blocage du Conseil de sécurité274.

Dans le discours de la CIISE, le débat sur l’assouplissement en droit international

coutumier du paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte est venu se superposer au débat sur la

reconnaissance d’une valeur normative au concept de la responsabilité de protéger275. En effet,

la CIISE indique dans son rapport qu’un nouveau principe de droit international coutumier

fondé sur la pratique croissante des États, des organisations internationales et du Conseil de

272 Ramesh THAKUR, « Rwanda, Kosovo, and the International Commission on Intervention and State Sovereignty », dans Alex J. BELLAMY et Tim DUNNE (dir.), The Oxford Handbook of the Responsibility to Protect, préc., note 4, p. 94, à la page 102 ; Nous avons vu dans la première partie de ce mémoire que l’intervention au Kosovo avait entraîné un autre débat, à savoir celui de la légalité ou de la légitimité de l’intervention. Ce débat portait sur l’utilisation des différents critères de légitimité pour justifier une intervention armée qui ne serait pas légale sur le plan du droit international. L’argument avancé dans cette section est tout autre. Il s’agit ici de voir que les interventions armées menées dans les années 1990 et la responsabilité de protéger par la suite ont entraîné un assouplissement de la règle de l’interdiction du recours à la force à l’article 2(4) de la Charte. 273 COMMISSION INTERNATIONALE DE L’INTERVENTION ET DE LA SOUVERAINETÉ DES ÉTATS, La responsabilité de protéger, préc., note 2, par. 2.24 274 Voir le critère de « l’autorité appropriée » dans la sous-section 1.1.1.2 de ce mémoire, p. 9 à 12 275 Nabil HAJJAMI, La responsabilité de protéger, préc., note 33, p. 206 ; Dans le même sens, voir les propos de BARBARA DELCOURT, « La responsabilité de protéger et l’interdiction du recours à la force : entre normativité et opportunité », dans SOCIÉTÉ FRANÇAISE POUR LE DROIT INTERNATIONAL, La responsabilité de protéger – Colloque de Nanterre, préc., note 246, p. 305, à la page 306

Page 84: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

76

sécurité est apparu276. Ce nouveau principe, que la CIISE nomme la « responsabilité de

protéger », veut que l’intervention à des fins de protection humaine, y compris l’intervention

militaire dans les cas extrêmes « […] [soit] admissible lorsque des civils sont en grand péril ou

risquent de l’être à tout moment et que l’État en question ne peut pas ou ne veut pas mettre fin

à ce péril ou en est lui-même l'auteur »277.

Ainsi, dans le discours de la CIISE : « […] admettre le caractère normatif de la

responsabilité de protéger revient, ipso jure, à reconnaître ‘l’affaiblissement’, en droit, de

l’interdiction formulée à l’article 2 §4 de la Charte »278. Certains auteurs, organisations non

gouvernementales et gouvernements, nommés de manière informelle les « entrepreneurs de la

norme »279, ont par la suite entrepris de militer pour la reconnaissance de la normativité de la

responsabilité de protéger, cette dernière étant vue comme la concrétisation du droit

international coutumier quant à l’assouplissement de la norme de l’interdiction du recours à la

force de l’article 2(4) de la Charte280.

Or si le concept de la responsabilité de protéger a été entériné par la communauté

internationale dans le Document final du Sommet mondial de 2005281, il existe un décalage

manifeste entre la position soutenue par la CIISE, puis par les entrepreneurs de la norme, et la

276 COMMISSION INTERNATIONALE DE L’INTERVENTION ET DE LA SOUVERAINETÉ DES ÉTATS, La responsabilité de protéger, préc., note 2, par. 2.27 277 Id., par. 2.25 278 Nabil HAJJAMI, La responsabilité de protéger, préc., note 33, p. 206-207 279 Barbara DELCOURT, « La responsabilité de protéger et l’interdiction du recours à la force : entre normativité et opportunité », dans SOCIÉTÉ FRANÇAISE POUR LE DROIT INTERNATIONAL, La responsabilité de protéger – Colloque de Nanterre, préc., note 246, p. 305 280 Nabil HAJJAMI, La responsabilité de protéger, préc., note 33, p. 207 à 211 281 À noter que l’entérinement de la responsabilité de protéger par la communauté internationale dans le Document final du Sommet mondial de 2005 ne signifie pas nécessairement que la communauté internationale a conféré une valeur normative au concept.

Page 85: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

77

position entérinée par les États membres de l’ONU quant à l’usage de la force dans la conduite

des relations internationales282.

L’article 38 du Statut de la Cour internationale de Justice reconnaît la coutume comme

une source de droit international283. Il est désormais bien établi qu’il faut deux éléments pour

reconnaître l’existence d’une norme coutumière en droit international : l’usus et l’opinio juris.

L’usus réfère à l’élément matériel de la coutume, c’est-à-dire, à la pratique des États. L’opinio

juris, lui, réfère à l’élément psychologique de la coutume, c’est-à-dire, à la conviction que

l’observation de la pratique en question relève d’une norme juridique284. Pour reconnaître la

responsabilité de protéger comme la concrétisation du droit international coutumier quant à

l’assouplissement de la norme de l’interdiction du recours à la force de l’article 2(4) de la

Charte il faudrait donc vérifier : « […] l’existence de pratique et d’opinio juris qui

permettraient de considérer que les États se sont engagés en droit à recourir à la force pour

sauver des populations en détresse dans des situations n’étant pas déjà régulées par le droit

existant, comme, par exemple, lorsque l’intervention n’est pas autorisée par le Conseil de

sécurité »285.

282 Barbara DELCOURT, « La responsabilité de protéger et l’interdiction du recours à la force : entre normativité et opportunité », dans SOCIÉTÉ FRANÇAISE POUR LE DROIT INTERNATIONAL, La responsabilité de protéger – Colloque de Nanterre, préc., note 246, p. 305, à la page 311 283 Statut de la Cour internationale de Justice, annexé à la Charte des Nations Unies (et Statut de la Cour internationale de justice), préc., note 7, art. 38 284 Tullio TREVES, « Customary International Law », dans Max Planck Encyclopedia of Public International Law, préc., note 182, par. 17 285 Barbara DELCOURT, « La responsabilité de protéger et l’interdiction du recours à la force : entre normativité et opportunité », dans SOCIÉTÉ FRANÇAISE POUR LE DROIT INTERNATIONAL, La responsabilité de protéger – Colloque de Nanterre, préc., note 246, p. 305, à la page 306

Page 86: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

78

Sans entrer dans les détails, des auteurs comme Barbara Delcourt286, Diana Amnéus287,

Nabil Hajjami288, Olivier Corten289 et Nigel Rodley290 ont montré que les États ont en grande

majorité écarté l’idée d’un assouplissement en droit international coutumier de l’interdiction

du recours à la force prévu à l’article 2(4) de la Charte dans les discussions ayant mené au

Document final du Sommet mondial de 2005. Pour la communauté internationale, seul le

Conseil de sécurité possédait l’autorité appropriée pour autoriser des interventions armées sur

la base de la responsabilité de protéger291. D’ailleurs, les termes employés au paragraphe 139

du Document final du Sommet mondial de 2005 quant à la responsabilité de réagir affirment

que les actions collectives résolues seront menées « […] par l’entremise du Conseil de

sécurité, conformément à la Charte, notamment son Chapitre VII […] »292.

La responsabilité de protéger ne peut donc pas être reconnue, sur le plan normatif,

comme une norme de droit assouplissant les conditions d’emploi de la force entre les États

membres des Nations Unies dans la conduite des relations internationales. Depuis

l’entérinement par la communauté internationale de la responsabilité de protéger en 2005 et

avec la réaffirmation de ce consensus en 2009, l’idée d’une intervention menée hors du cadre

de la Charte des Nations Unies sur la base de la responsabilité de protéger semble

286 Barbara DELCOURT, « The Doctrine of ‘Responsibility to Protect’ and the EU Stance: A Critical Appraisal », dans Giovanna BONO (dir.), The Impact of 9/11 on European Foreign and Security Policy, Brussels, VUBPRESS, 2006, p. 99 à 126 287 Diana AMNÉUS, « Responsibility to Protect: Emerging Rules on Humanitarian Intervention? », (2012) 26 (no 2) Global Soc. 241, 265 à 269 288 Nabil HAJJAMI, La responsabilité de protéger, préc., note 33, p. 211 à 216 289 Olivier CORTEN, Le droit contre la guerre ‒ L'interdiction du recours à la force en droit international contemporain, Paris, Éditions A. Pedone, 2014, p. 766 290 SIR NIGEL RODLEY, « R2P and International Law: A Paradigm Shift? », dans Alex J. BELLAMY et Tim DUNNE (dir.), The Oxford Handbook of the Responsibility to Protect, préc., note 4, p. 186, aux pages 188 et 189 291 Jutta BRUNNÉE et Stephen J. TOOPE, « The Responsibility to Protect and the Use of Force : Building Legality? », préc., note 105, 191, 208 292 ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES, Document final du Sommet mondial de 2005, préc., note 131, par. 139

Page 87: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

79

définitivement avoir été écartée. À notre avis, il est clair que la solution retenue par la

communauté internationale, celle de s’en tenir aux interventions armées autorisées par le

Conseil de sécurité en vertu du Chapitre VII, ne représente pas d’évolution du droit

international positif susceptible de remettre en cause l’un des corollaires reconnu à la

souveraineté étatique moderne, à savoir le principe de la non-intervention. Effectivement, la

prohibition de l’usage de la force prévue à l’article 2(4) ne concerne que l’usage de la force

faite par un ou des États membres des Nations Unies vis-à-vis d’un ou d’autres États membres

des Nations Unies. En adhérant à l’ONU, les États acceptent les obligations découlant de la

Charte des Nations Unies, y compris celle permettant au Conseil de sécurité de mener des

interventions coercitives en vertu du chapitre VII.

La responsabilité subsidiaire de protéger de la communauté internationale n’a donc pas

eu de répercussion sur l’un des corollaires de la souveraineté étatique moderne, à savoir le

principe de la non-intervention. Néanmoins, a-t-elle entraîné de nouvelles obligations de

nature juridique pour les membres de la communauté internationale, susceptibles de remettre

en question la souveraineté de ces derniers?

2.3.2. L’absence d’obligations de nature juridique pour la communauté

internationale

Le deuxième pilier de la responsabilité de protéger, intitulé « Assistance internationale

et renforcement », repose sur deux dispositions des paragraphes 138 et 139. Le paragraphe 138

énonce que : « [l]a communauté internationale devrait, si nécessaire, encourager et aider les

Page 88: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

80

États à s’acquitter de cette responsabilité […] »293. Le paragraphe 139 énonce de son côté

que les États s’engagent :

« […] selon qu’il conviendra, à aider les États à se doter des moyens de protéger leurs populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l’humanité et à apporter une assistance aux pays dans lesquels existent des tensions avant qu'une crise ou qu'un conflit n’éclate »294.

Tel que vu dans la première partie de ce mémoire, le Secrétaire général a fait ressortir

dans son rapport A/63/677 de 2009 quatre formes que pourrait prendre l’assistance de la

communauté internationale vis-à-vis des États devant s’acquitter de leur responsabilité de

protéger. Ces formes sont les suivantes : encourager les États à s’acquitter de leurs

responsabilités au titre du premier pilier (par. 138); aider les États à exercer cette

responsabilité (par. 138); aider les États à se doter des moyens de protéger leurs populations

(par. 139); et apporter une assistance aux pays dans lesquels existent des tensions avant qu’une

crise ou un conflit n’éclate (par. 139)295.

Nous constatons à la lecture de ces dispositions que le deuxième pilier de la

responsabilité de protéger est essentiellement un engagement politique296. Effectivement, les

mesures pouvant être prises en vertu du deuxième pilier de la responsabilité de protéger sont

des mesures de coopération ne pouvant être que proposées et non imposées à l’État297. De

plus, la communauté internationale ne se voit pas dans l’obligation de proposer ces mesures

293 Id., par. 138 294 Id., par. 139 295 ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES, La mise en œuvre de la responsabilité de protéger‒ Rapport du secrétaire général, préc., note 161, par. 28 296 Alex J. BELLAMY et Ruben REIKE, « The Responsibility to Protect and International Law », (2010) 2 Global Resp. Protect 267, 280 297 SIR NIGEL RODLEY, « R2P and International Law: A Paradigm Shift? », dans Alex J. BELLAMY et Tim DUNNE (dir.), The Oxford Handbook of the Responsibility to Protect, préc., note 4, p. 186, à la page 191

Page 89: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

81

aux États aux prises avec l’un des crimes de masse. En ce sens, le deuxième pilier de la

responsabilité de protéger ne modifie pas la souveraineté des États garants de la responsabilité

subsidiaire de protéger ces populations en créant de nouvelles obligations juridiques à leur

charge298.

Des auteurs comme Diana Amnéus299, Alex J. Bellamy300, Ruben Reike301 et Jennifer

M. Welsh302 indiquent qu’il existe certaines obligations pour la communauté internationale

vis-à-vis de la prévention du crime de génocide et du respect des règles du droit international

humanitaire. Dans son arrêt Application de la convention pour la prévention et la répression

du crime de génocide, la Cour internationale de justice a jugé que les États avaient l’obligation

de mettre en œuvre : […] tous les moyens qui sont raisonnablement à leur disposition en vue

d’empêcher, dans la mesure du possible, le génocide »303. Cette obligation en est une de

comportement et non de résultat304, qui prend naissance « […] au moment où celui-ci a

connaissance, ou devrait normalement avoir connaissance, de l’existence d’un risque sérieux

de commission d’un génocide »305 et dont la mise en œuvre varie selon que les États ont ou

non des moyens pouvant avoir « […] un effet dissuasif à l’égard des personnes soupçonnées

de préparer un génocide, ou dont on peut raisonnablement craindre qu’ils nourrissent

298 Id. 299 Diana AMNÉUS, « The coining and evolution of responsibility to protect: the protection responsibilities of the State », dans Gentian ZYBERI (dir.), An Institutional Approach to the Responsibility to Protect, préc., note 127, p. 3 300 Alex J. BELLAMY et Ruben REIKE, « The Responsibility to Protect and International Law », préc., note 296 301 Id. 302 Jennifer M. WELSH, « Who should act? », dans W. Andy KNIGHT et Frazer EGERTON, The Routledge Handbook of the Responsibility to Protect, préc., note 196, p. 103 303 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), préc., note 262, p. 43, par. 430 304 Id. 305 Id., p. 43, par. 431

Page 90: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

82

l’intention spécifique (dolus specialis) […] »306. Sur le plan du droit international humanitaire,

les articles 1 et 3 communs aux quatre Conventions de Genève307 ainsi que le droit

coutumier308 imposent à la communauté internationale l’obligation de respecter et de faire

respecter le droit international humanitaire. Cette obligation passe essentiellement par l’emploi

de moyens pacifiques visant à encourager les États à respecter le droit international

humanitaire309. Or ces obligations, à l’instar de celles qui incombent aux États en vertu du

premier pilier, ne sont pas directement imputables à la responsabilité de protéger. Elles sont le

fruit du droit international conventionnel et coutumier déjà en place pour prévenir les crimes

de masse que sont le génocide et les crimes de guerre. Nous ne pouvons donc pas affirmer, là

non plus, que la responsabilité de protéger vient restreindre la souveraineté des États chargés

de la responsabilité subsidiaire de protéger les populations civiles.

Enfin, le Secrétaire général Ban Ki-moon énonce au paragraphe 29 de son rapport

A/63/677 de 2009 sur la mise en œuvre de la responsabilité de protéger que le deuxième pilier

pourrait aussi comprendre : « […] une assistance militaire pour aider des États en grande

difficulté à affronter des acteurs non étatiques armés qui menacent tant l’État que sa

306 Id. 307 Convention de Genève pour l’amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne du 12 août 1949, préc., note 255, art. 1 ; Convention de Genève pour l’amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer du 12 août 1949, préc., note 255, art. 1 ; Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre du 12 août 1949, préc., note 255, art. 1 ; Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre du 12 août 1949, préc., note 255, art. 1 308 COMITÉ INTERNATIONAL DE LA CROIX-ROUGE, « Liste des règles coutumières du droit international humanitaire », règle 144, en ligne : <https://www.icrc.org/fre/resources/documents/misc/customary-law-rules-291008.htm> (consulté le 8 novembre 2016) 309 Alex J. BELLAMY et Ruben REIKE, « The Responsibility to Protect and International Law », préc., note 296, 281-282

Page 91: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

83

population »310. Néanmoins, il a été vu dans la sous-section 2.3.1. de ce mémoire que la

communauté internationale a écarté la possibilité de mener une intervention militaire hors du

cadre établi par la Charte des Nations Unies, c’est-à-dire sans l’aval du Conseil de sécurité.

Ainsi, la seule intervention militaire qui pourrait être justifiée dans le cadre du deuxième pilier

de la responsabilité de protéger serait une intervention armée consentie par l’État sur lequel se

déroule l’un des quatre crimes de masse311. Or ce type d’intervention ne remet pas en cause le

principe de la non-intervention puisque c’est précisément en vertu de sa souveraineté que

l’État en besoin d’assistance autorise une intervention armée sur son territoire. Qui plus est, il

ne remet pas en cause la souveraineté des États intervenants, puisque ces derniers sont libres

de déterminer s’ils veulent mener ou non cette intervention militaire.

En somme, le deuxième pilier de la responsabilité de protéger n’a pas créé de nouvelles

obligations de nature juridique susceptible de modifier la souveraineté des États. La

responsabilité subsidiaire de protéger de la communauté internationale telle qu’elle se présente

depuis 2005 est essentiellement un engagement politique de la communauté internationale

d’aider les États à s’acquitter de leur responsabilité de protéger. Bien que le deuxième pilier

contient des obligations de nature juridique pour la communauté internationale de prévenir le

génocide et les crimes de guerre, celles-ci existent en vertu du droit international

conventionnel et coutumier, et non grâce à la responsabilité de protéger. Finalement, en raison

de la décision de la communauté internationale de s’en tenir aux interventions armées

coercitives menées dans le cadre de la Charte des Nations Unies, seule une intervention armée

310 ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES, La mise en œuvre de la responsabilité de protéger‒ Rapport du secrétaire général, préc., note 161, par. 29 311 La pratique des États et la jurisprudence de la C.I.J. semblent admettre ce type d’intervention comme relevant de la sécurité collective. Voir à cet effet : Georg NOLTE, «Intervention by Invitation », dans Max Planck Encyclopedia of Public International Law, préc., note 182

Page 92: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

84

consentie par l’État dans lequel se déroule l’un des crimes de masse pourrait être envisagée en

vertu du deuxième pilier de la responsabilité de protéger. Or l’intervention armée consentie

par l’État ne remet pas en question la souveraineté de ce dernier, puisque c’est précisément en

vertu de sa souveraineté qu’il autorise une intervention armée sur son territoire. De plus, elle

ne remet pas en question la souveraineté des États intervenants, étant donné que ces derniers

sont libres de mener ou non cette intervention.

En définitive, la responsabilité de protéger telle qu’entérinée dans le Document final du

Sommet mondial de 2005 n’a pas eu de répercussion de nature juridique sur la souveraineté

étatique moderne en droit international. La souveraineté inhérente au concept de la

responsabilité de protéger, à savoir la « souveraineté responsable », n’est pas venue modifier

la souveraineté étatique moderne, car cette dernière a toujours comporté des responsabilités

sur les plans conceptuel et doctrinal. Aussi, il existait déjà en droit international conventionnel

et coutumier des obligations de prévenir et de réprimer les crimes de masse associés à la

souveraineté responsable. Ainsi, la responsabilité de protéger n’a pas créé de nouvelles

obligations juridiques de protection à la charge des États. Parallèlement, alors que la

responsabilité de protéger de la CIISE aurait pu modifier le principe de la non-intervention,

corollaire à la souveraineté étatique moderne, en permettant à la communauté internationale de

mener des interventions armées coercitives sans l’aval du Conseil de sécurité, la communauté

internationale a plutôt opté de s’en tenir au cadre légal établi par la Charte des Nations Unies.

Ce faisant, la responsabilité de protéger telle qu’entérinée en 2005 ne modifie pas la

souveraineté étatique moderne puisque les États, en étant membre des Nations Unies,

acceptent les obligations contenues dans la Charte, y compris la possibilité qu’une intervention

autorisée par le Conseil de sécurité soit menée sur son territoire. Finalement, la responsabilité

Page 93: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

85

subsidiaire de la communauté internationale de protéger les populations civiles ne crée pas

d’obligations juridiques susceptibles de modifier la souveraineté étatique des États. Il s’agit

essentiellement d’un engagement politique de la communauté internationale d’assister les

États à s’acquitter de leur responsabilité de protéger. De plus, les obligations juridiques

associées à la responsabilité subsidiaire de protéger sont imputables au droit international

conventionnel et coutumier et non à la responsabilité de protéger en tant que telle et la seule

intervention militaire susceptible d’être autorisée en vertu de ce pilier, à savoir l’intervention

armée consentie par l’État, ne remet pas en question la souveraineté étatique des États. Si

l’analyse des deux premiers piliers de la responsabilité de protéger montre que cette dernière

n’a pas eu de répercussion sur la souveraineté étatique moderne en droit international, nous

nous pencherons dans la prochaine partie de ce mémoire sur le troisième pilier de la

responsabilité de protéger, à savoir la responsabilité de la communauté internationale de

mener une action collective et résolue lorsqu’un État n’assure manifestement pas la protection

de ses populations. Nous nous demanderons si ce pilier a eu des répercussions sur le Conseil

de sécurité des Nations Unies.

Page 94: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

86

3. Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le

fonctionnement institutionnel du Conseil de sécurité des

Nations Unies

Le Conseil de sécurité des Nations Unies (CSNU) a toujours occupé une place centrale

dans l'élaboration conceptuelle de la responsabilité de protéger. Bien que la CIISE ait cherché

des moyens de contourner l’autorité exclusive du Conseil de sécurité pour autoriser une

intervention militaire à des fins de protection humaine dans son rapport intitulé La

responsabilité de protéger312, le rapport de 2004 du Groupe de personnalités de haut niveau

sur les menaces, les défis et le changement manifeste un profond désaveu de l’unilatéralisme

et un retour à l’autorité exclusive du Conseil sur la question. Néanmoins, deux inquiétudes de

nature institutionnelle ont persisté après 2004 : la sélectivité des réactions devant une situation

relevant du champ d’application de la responsabilité de protéger et l’utilisation du droit de

veto par les membres permanents du Conseil de sécurité. Dans un autre ordre d’idées, l’année

2011 a été marquante pour la responsabilité de protéger, le Conseil de sécurité ayant mis en

œuvre le concept dans les situations en Libye et en Côte d’Ivoire. Ces deux interventions ont

permis de voir comment le Conseil utilise le concept afin de s'acquitter de sa responsabilité

principale de maintien de la paix et de la sécurité internationales.

Dans la troisième partie de ce mémoire, nous analyserons les répercussions de la

responsabilité de protéger sur le fonctionnement institutionnel du Conseil de sécurité. Dans un

premier temps, nous établirons le rôle du Conseil de sécurité en tant qu’organe exécutif de

312 Voir section 1.1.1.2. de ce mémoire, p. 9 à 14

Page 95: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

87

l’Organisation des Nations Unies (ONU) et le cadre normatif de son action en vertu de la

Charte des Nations Unies (3.1.). Dans un second temps, nous verrons comment le Conseil de

sécurité a progressivement intégré le concept de la responsabilité de protéger à son discours et

à sa pratique (3.2.). À la lumière de ces données, nous déterminerons l’influence de la

responsabilité de protéger sur le fonctionnement institutionnel du Conseil de sécurité (3.3.).

3.1. Le rôle du Conseil de sécurité des Nations Unies et le cadre

normatif de son action dans la Charte des Nations Unies

Le Conseil de sécurité est l’organe exécutif de l’ONU. L’article 24 de la Charte des

Nations Unies lui confère la responsabilité principale, et non exclusive, du maintien de la paix

et de la sécurité internationales313. Ainsi, le Conseil de sécurité n’est pas tenu d’assumer cette

responsabilité pour l’ensemble des situations portant atteinte à la paix et la sécurité

internationales314. De plus, le Conseil de sécurité n’est pas dans l’obligation de suivre les

principes du droit international ne se retrouvant pas dans la Charte315 et il est le seul juge de la

légalité de ses actions316. La Charte impose uniquement au Conseil de sécurité qu’il s’acquitte

de sa responsabilité conformément aux chapitres VI, VII, VIII et XII de celle-ci317. Nous

313 Charte des Nations Unies (et Statut de la Cour internationale de justice), préc., note 7, art. 24(1) 314 Alex J. BELLAMY, « UN Security Council », dans Alex J. BELLAMY et Tim DUNNE (dir.), The Oxford Handbook of the Responsibility to Protect, préc., note 4, p. 249, à la page 253 315 Id., à la page 254 316 Aidan HEHIR, The Responsibility to Protect‒ Rhetoric, Reality and the Future of Humanitarian Intervention, préc., note 18, p. 123 317 Alex J. BELLAMY, « UN Security Council », dans Alex J. BELLAMY et Tim DUNNE (dir.), The Oxford Handbook of the Responsibility to Protect, préc., note 4, p. 249, à la page 254 ; Charte des Nations Unies (et Statut de la Cour internationale de justice), préc., note 7, art. 24(2)

Page 96: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

88

résumerons brièvement le contenu de ces chapitres afin de mieux comprendre le cadre légal de

l’action du Conseil de sécurité.

Le Chapitre VI de la Charte est consacré au règlement pacifique des différends. En

vertu de ce chapitre, le Conseil de sécurité peut inviter les parties à régler, par des moyens

pacifiques de leur choix, un différend susceptible de porter atteinte à la paix et la sécurité

internationales318. Il peut enquêter sur tout différend ou toute situation afin de déterminer si

leur prolongation pourrait menacer la paix et la sécurité internationales319. Le Conseil peut

aussi recommander des procédures ou des méthodes d’ajustement appropriées « […] à tout

moment de l'évolution d'un différend de la nature mentionnée à l'Article 33 ou d'une situation

analogue »320 en tenant compte des procédures déjà adoptées par les parties pour le règlement

du différend321 et du fait que les différends d’ordre juridique devraient être « […] soumis par

les parties à la Cour internationale de Justice conformément aux dispositions du Statut de la

Cour »322. Le Conseil de sécurité est aussi saisi de tout différend pour lequel les parties ne

réussissent pas à régler par les moyens prévus à l’article 33323. Si le Conseil estime que la

prolongation de ce différend est susceptible de menacer la paix et la sécurité internationales, il

peut alors agir en application de l’article 36 de la Charte ou recommander les termes de

règlement du différend qu’il juge appropriés324. Finalement et nonobstant les dispositions des

318 Charte des Nations Unies (et Statut de la Cour internationale de justice), préc., note 7, art. 33(2) 319 Id., art. 34 320 Id., art. 36(1) 321 Id., art. 36(2) 322 Id., art. 36(3) 323 Id., art. 37(1) 324 Id., art. 37(2)

Page 97: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

89

articles 33 à 37, le Conseil de sécurité peut faire des recommandations en vue de régler un

différend de manière pacifique si les parties au différend le lui demandent325.

Le Chapitre VII de la Charte, intitulé « Action en cas de menace contre la paix, de

rupture de la paix et d’actes d’agression », énonce les différentes mesures que le Conseil de

sécurité peut prendre lorsqu’il constate l’existence d’une menace contre la paix, d’une rupture

de la paix ou d’un acte d’agression326. D’emblée, il convient de préciser que le Conseil de

sécurité a, en vertu de l’article 39 de la Charte, un pouvoir de prévention et un pouvoir de

réaction aux situations pouvant porter atteinte à la paix et à la sécurité internationales. Ainsi, il

n’est pas obligé d’attendre qu’une menace à la paix et à la sécurité internationales se

matérialise avant de pouvoir agir327. L’article 40 de la Charte renforce d’ailleurs le pouvoir

préventif du Conseil de sécurité. En vertu de cet article, le Conseil peut « […] inviter les

parties intéressées à se conformer aux mesures provisoires qu'il juge nécessaires ou

souhaitables »328 afin d’empêcher une situation susceptible de porter atteinte à la paix et à la

sécurité internationales de s’aggraver329.

Les mesures que peut prendre le Conseil de sécurité sont citées aux articles 41 et 42 de

la Charte. L’article 41 décrit les mesures n’impliquant pas la force armée auxquelles le

Conseil de sécurité peut recourir. Ces mesures peuvent prendre la forme de sanctions,

d’embargos ou encore de ruptures des relations diplomatiques330. Selon Jeremy Farrall,

actuellement professeur agrégé adjoint à la Faculté de droit de l’université de Tasmanie, la

325 Id., art. 38 326 Id., art. 39 327 Alex J. BELLAMY, « UN Security Council », dans Alex J. BELLAMY et Tim DUNNE (dir.), The Oxford Handbook of the Responsibility to Protect, préc., note 4, p. 254 328 Id., art. 40 329 Id. 330 Id., art. 41

Page 98: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

90

liste de mesures fournie par l’article 41 n’est pas exhaustive331. Ainsi, le Conseil de sécurité

est libre d’appliquer d’autres mesures n’impliquant pas la force armée en vertu de cet

article332. Si ces mesures s’avéraient inadéquates ou qu’elles l’ont été, le Conseil peut

entreprendre, en vertu de l’article 42 de la Charte, toute action qu’il juge nécessaire au

maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales au moyen de forces

aériennes, navales ou terrestres333.

Il est à noter que les mesures coercitives que peut prendre le Conseil de sécurité afin de

maintenir ou de rétablir la paix et la sécurité internationales en vertu du chapitre VII ne portent

pas atteinte à l’interdiction du recours à la force, prévue au paragraphe 4 de l’article 2 de la

Charte. Effectivement, il existe deux exceptions prévues par la Charte au principe du non-

recours à la force : d’une part, la légitime défense énoncée à l’article 51334 et, d’autre part, des

mesures militaires autorisées par le Conseil de sécurité en vertu du Chapitre VII et, par

extension, en vertu du Chapitre VIII dans le cas des organismes régionaux.

Le chapitre VIII traite des accords régionaux. L’article 52 rappelle qu’aucune

disposition de la Charte « […] ne s'oppose à l'existence d'accords ou d'organismes régionaux

destinés à régler les affaires qui, touchant au maintien de la paix et de la sécurité

internationales, se prêtent à une action de caractère régional, pourvu que ces accords ou ces

331 Jeremy FARRALL, « The Use of UN Sanctions to Address Mass Atrocities », dans Alex J. BELLAMY et Tim DUNNE (dir.), The Oxford Handbook of the Responsibility to Protect, préc., note 4, p. 655, à la page 657 332 Id. 333 Charte des Nations Unies (et Statut de la Cour internationale de justice), préc., note 7, art. 42 334 Article 51 de la Charte des Nations Unies : « Aucune disposition de la présente Charte ne porte atteinte au droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un Membre des Nations Unies est l'objet d'une agression armée, jusqu'à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales. Les mesures prises par des Membres dans l'exercice de ce droit de légitime défense sont immédiatement portées à la connaissance du Conseil de sécurité et n'affectent en rien le pouvoir et le devoir qu'a le Conseil, en vertu de la présente Charte, d'agir à tout moment de la manière qu'il juge nécessaire pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales »

Page 99: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

91

organismes et leur activité soient compatibles avec les buts et les principes des Nations

Unies »335. Toutefois, seuls deux cas prévus à l’article 53 font en sorte que les accords

régionaux peuvent intervenir de manière coercitive pour régler les affaires touchant au

maintien de la paix et de la sécurité internationales : lorsque le Conseil de sécurité utilise les

accords ou organismes régionaux pour l’application des mesures coercitives prises sous son

autorité ou lorsqu’il autorise les accords ou organismes régionaux à entreprendre des mesures

coercitives de leur propre chef336.

Finalement, le chapitre XII traite du régime international de tutelle. Le Conseil de

tutelle, chargé de l’application de ce chapitre, a suspendu ses travaux en 1994. Par conséquent,

le chapitre XII n’est plus utilisé dans l’action du Conseil de sécurité337.

Maintenant que le rôle du Conseil de sécurité et le cadre normatif de son action ont été

établis, nous verrons comment le Conseil s’est approprié le concept de la responsabilité de

protéger.

3.2. L’appropriation du concept de la responsabilité de

protéger par le Conseil de sécurité

L’appropriation du concept de la responsabilité de protéger par le Conseil de sécurité

s’est faite de manière progressive. Celui-ci était d’abord réticent à intégrer la responsabilité de

protéger à son discours (3.2.1.). Puis, les clarifications du Rapport du Secrétaire général des 335 Charte des Nations Unies (et Statut de la Cour internationale de justice), préc., note 7, art. 52 336 Id., art. 53(1) 337 ORGANISATION DES NATIONS UNIES, « Conseil de tutelle », en ligne : <http://www.un.org/fr/sections/about-un/trusteeship-council/> (consulté le 1er septembre 2016)

Page 100: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

92

Nations Unies (A/63/677) de 2009 et du premier débat thématique sur la responsabilité de

protéger à l’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU) ont permis son intégration

définitive dans le discours et la pratique du Conseil (3.2.2.).

3.2.1. Les réticences du Conseil de sécurité à intégrer la responsabilité de

protéger à son discours et à sa pratique

À la suite de l’entérinement de la responsabilité de protéger par la communauté

internationale lors du Sommet mondial de septembre 2005, plusieurs États ont travaillé pour

que le Conseil de sécurité adopte une résolution faisant référence à la responsabilité de

protéger338. La première occasion d’amener le CSNU à faire référence à la responsabilité de

protéger se présenta en novembre 2005, alors que celui-ci était saisi, dans son ordre du jour,

d’un Rapport du Secrétaire général portant sur la protection des civils dans les conflits

armés339. Le Danemark, la France et le Royaume-Uni présentèrent aux membres du Conseil340

un projet de résolution sur la protection des populations civiles en période de conflit armé. Le

projet de résolution faisait référence à deux reprises à la responsabilité de protéger : une

première fois pour souligner l’importance du concept et une seconde fois pour expliquer en

détail la façon dont s’articulaient la responsabilité principale et la responsabilité subsidiaire de

338 Nabil HAJJAMI, La responsabilité de protéger, préc., note 33, p. 338 339 Id. ; CONSEIL DE SÉCURITÉ DES NATIONS UNIES, Rapport du Secrétaire général sur la protection des civils dans les conflits armés, Doc. N.U. S/2005/740 (2005), en ligne : <http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/2005/740> (consulté le 13 janvier 2017) 340 Les quinze membres composant le Conseil de sécurité à l’époque étaient l’Algérie, l’Argentine, le Bénin, le Brésil, la Chine, le Danemark, les États-Unis, la France, la Grèce, le Japon, les Philippines, la Roumanie, le Royaume-Uni, la Russie et la Tanzanie.

Page 101: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

93

protéger341. Ce projet de résolution suscita l’opposition affirmée de trois membres non

permanents du Conseil, à savoir l’Algérie, le Brésil et les Philippines et de deux des membres

permanents, à savoir la Chine et la Russie342. Ces cinq États estimaient que le paragraphe 139

du Document final du Sommet mondial de 2005 donnait d’abord à l’Assemblée générale le

mandat de poursuivre l’examen de la responsabilité de protéger343. En effet, le paragraphe 139

énonce que l’Assemblée générale doit « […] poursuivre l’examen du devoir de protéger les

populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre

l’humanité et des conséquences qu’il implique, en ayant à l’esprit les principes de la Charte

des Nations Unies et du droit international »344. Dans cette logique, il fallait donc attendre que

le processus d’examen de la responsabilité de protéger par l’AGNU soit terminé avant que le

Conseil de sécurité puisse examiner le processus de mise en œuvre du concept. De plus, trois

autres États, à savoir le Bénin, la Tanzanie et les États-Unis, avaient certaines réserves à

propos du projet de résolution, sans le rejeter pour autant345. À titre d’exemple, les États-Unis,

autre membre permanent du Conseil de sécurité, voulaient s’assurer que l’inclusion de la

responsabilité de protéger dans une résolution du Conseil n’entraîne pas d’obligation de réagir

341 Voir le paragraphe 4 du préambule et le paragraphe 6 des clauses opératoires du projet de résolution Draft Security Council Resolution- Protection of Civilians in Armed Conflict, qui peut être consulté à l’adresse suivante sous la rubrique « Security Council Resolution 1674 »: <http://www.responsibilitytoprotect.org/index.php/about-rtop/related-themes/2414-rtop-and-protection-of-civilians-debates-#Security_Council_Resolution_1674> (consulté le 13 janvier 2017) ; Nabil HAJJAMI, La responsabilité de protéger, préc., note 33, p. 343-344 342 Alex J. BELLAMY, Global Politics and the Responsibility to Protect‒ From words to deeds, préc., note 118, p. 28 343 Id. 344 ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES, Document final du Sommet mondial de 2005, préc., note 131, par. 139 345 Nabil HAJJAMI, La responsabilité de protéger, préc., note 33, p. 340

Page 102: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

94

pour ce dernier face aux crimes de masse visés par le concept346. Il faudra attendre l’année

2006 avant de voir un dénouement à cette impasse au Conseil de sécurité.

La première résolution du Conseil de sécurité à réaffirmer la responsabilité de protéger

est la résolution 1674, votée à l’unanimité le 28 avril 2006347. Selon Nabil Hajjami et Alex J.

Bellamy, ce revirement de situation au CSNU s’explique par deux facteurs. Le premier a trait

au renouvellement périodique des membres non permanents du Conseil. L’Algérie, le Brésil et

les Philippines, opposants à l’adoption du projet de résolution en 2005, cédèrent leurs places

au Pérou, au Qatar et à la Slovénie, favorables à l’inclusion du concept dans une résolution du

CSNU348. La nouvelle composition du Conseil a incité la Chine à faire évoluer sa position vers

une inclusion du concept dans une résolution, à condition que celle-ci utilise exactement le

même langage que celui de la résolution A/RES/60/1349. La Russie, alors isolée dans sa

position contre l’adoption du projet de résolution, décida de se rallier à la position chinoise sur

la question350. Le deuxième facteur a trait au texte de compromis que proposa le Royaume-Uni

en avril 2006. Contrairement au premier projet de résolution, le texte de compromis ne faisait

que réaffirmer au paragraphe 4 des clauses opératoires les dispositions des paragraphes 138 et

139 de la résolution A/RES/60/1 de l’AGNU351. Le projet de résolution ne soulignait plus

l’importance du concept et n'expliquait plus l’articulation de la responsabilité principale et de

346 Id. ; Nous savons par ailleurs que cette préoccupation des États-Unis avait déjà mené à un changement de formulation du paragraphe 139. 347 CONSEIL DE SÉCURITÉ DES NATIONS UNIES, Doc. N.U. S/RES/1674 (2006), en ligne : <http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/1674%20(2006)> (consulté le 1er février 2016) 348 Alex J. BELLAMY, Global Politics and the Responsibility to Protect‒ From words to deeds, préc., note 118, p. 28 349 Nabil HAJJAMI, La responsabilité de protéger, préc., note 33, p. 343 ; À titre de rappel, la résolution A/RES/60/1 de l’AGNU a été rebaptisée Document final du Sommet mondial de 2005, car elle présente les conclusions auxquelles les différents États membres présents au Sommet sont parvenus. 350 Id. 351 CONSEIL DE SÉCURITÉ DES NATIONS UNIES, Projet de résolution, Doc. N.U. S/2006/267 (27 avril 2006), par. 4

Page 103: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

95

la responsabilité subsidiaire de protéger352. La formulation du paragraphe 4 de la

résolution 1674 reprend donc la même formulation que celle proposée dans le texte de

compromis353 .

Bien que la résolution 1674 du CSNU se limite à réaffirmer les paragraphes 138 et 139

de la résolution A/RES/60/1, elle demeure tout de même importante, car il s’agit de la

première mention in abstracto de la responsabilité de protéger et de la première étape de son

intégration progressive dans la pratique du Conseil. Cependant, l’adoption de cette résolution

n’a pas mis un terme aux inquiétudes relatives à la mise en œuvre opérationnelle du concept,

ni à celles ayant trait à l’équilibre institutionnel prétendument établi par le paragraphe 139 de

la résolution A/RES/60/1 entre l’AGNU et le CSNU354. De plus, les négociations difficiles

entourant l’adoption de cette résolution ont amené les défenseurs de la responsabilité de

protéger au Conseil de sécurité à ne pas favoriser l’utilisation du concept, de peur d’éroder le

consensus fragile obtenu lors du Sommet mondial de 2005355.

Dans les faits, entre l’adoption de la résolution 1674 en 2006 et le rapport du Secrétaire

général des Nations Unies sur la mise en œuvre de la responsabilité de protéger en 2009, le

concept ne sera mentionné de nouveau qu’une seule fois, dans la résolution 1706 du 31 août

2006356. Il s’agit de la première résolution du Conseil de sécurité à appliquer la responsabilité

de protéger à une situation particulière, à savoir celle du conflit armé qui faisait rage depuis 352 Nabil HAJJAMI, La responsabilité de protéger, préc., note 33, p. 343-344 353 CONSEIL DE SÉCURITÉ DES NATIONS UNIES, Doc. N.U. S/RES/1674 (2006), préc., note 347, par. 4 : « Réaffirme les dispositions des paragraphes 138 et 139 du Document final du Sommet mondial de 2005 relatives à la responsabilité de protéger les populations du génocide, des crimes de guerre, de la purification ethnique et des crimes contre l’humanité » 354 Nabil HAJJAMI, La responsabilité de protéger, préc., note 33, p. 344 355 Alex J. BELLAMY, Global Politics and the Responsibility to Protect‒ From words to deeds, préc., note 118, p. 29 356 CONSEIL DE SÉCURITÉ DES NATIONS UNIES, Doc. N.U. S/RES/1706 (2006), en ligne : <http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/1706%20(2006)> (consulté le 1er février 2016)

Page 104: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

96

2003 au Darfour, région de la République du Soudan357. Néanmoins et tel que l’énonce Jess

Gifkins, maître de conférences à la Leeds Beckett University, cette résolution fut un échec, car

le déploiement au Darfour de la Mission préparatoire des Nations Unies au Soudan (MINUS)

était conditionnel au consentement du gouvernement du Soudan358. Or ce dernier, qui n’avait

d’ailleurs pas été impliqué dans les négociations de la résolution 1706, s’est toujours opposé

au déploiement de la MINUS359. Il faudra près d’un an de négociation après l’échec de la

résolution 1706 pour que le Conseil de sécurité adopte une nouvelle résolution sur le maintien

de la paix au Darfour, la résolution 1769360. Cette fois, les membres du Conseil de sécurité ont

élaboré la résolution avec le gouvernement du Soudan. Afin d’obtenir le consentement du

Soudan et de la Chine, la responsabilité de protéger sera abandonnée lors de la rédaction de la

résolution 1769.

Comme il a été vu dans la section 1.3. de ce mémoire, le débat d’interprétation quant

au lien existant entre la responsabilité de protéger et l’unilatéralisme ainsi que celui sur la

délimitation du champ d’application du concept ont révélé des failles dans le consensus obtenu

lors du Sommet mondial de 2005. Ces débats d’interprétation sont allés jusqu’à mettre en péril

l’avenir du concept. Le Rapport du Secrétaire général des Nations Unies (A/63/677) de 2009

sur la mise en œuvre de la responsabilité de protéger permettra de dégager un nouveau

consensus sur le concept et, par le fait même, de relancer le processus de mise en œuvre

opérationnelle au Conseil de sécurité.

357 Jess GIFKINS, « Darfur », dans Alex J. BELLAMY et Tim DUNNE (dir.), The Oxford Handbook of the Responsibility to Protect, préc., note 4, p. 717, à la page 718 358 Id., à la page 722 359 Id., à la page 723 360 Id.

Page 105: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

97

3.2.2. Les clarifications du Rapport du Secrétaire général des Nations Unies

(A/63/677) de 2009 et du premier débat thématique sur la

responsabilité de protéger à l’Assemblée générale des Nations Unies

Il faudra attendre trois ans après l’échec de la résolution 1706 pour voir la

responsabilité de protéger de nouveau mentionnée au CSNU. Cette mention figure dans la

résolution 1894, résolution thématique sur la protection des civils en période de conflit

armé361. La résolution 1894, comme la résolution 1674, fait référence in abstracto aux

paragraphes 138 et 139 du Document final du Sommet mondial de 2005. Contrairement aux

résolutions 1674 et 1706, l’adoption de la résolution 1894 s’est faite de manière rapide et

facile362 grâce aux clarifications figurant dans le Rapport du Secrétaire général des Nations

Unies A/63/677 de 2009 sur la mise en œuvre de la responsabilité de protéger. En effet, et

comme mentionné dans la section 1.4 de ce mémoire, l’approche du Secrétaire général,

essentiellement celle du rapport de 2005, a été accueillie favorablement par une grande

majorité des États lors du premier débat thématique de l’Assemblée générale consacré à la

responsabilité de protéger en 2009. La responsabilité de protéger est depuis plus consensuelle,

en témoignent la participation croissante des États au dialogue interactif informel annuel à

l’AGNU sur la responsabilité de protéger et la diminution graduelle du scepticisme à l’égard

361 CONSEIL DE SÉCURITÉ DES NATIONS UNIES, Doc. N.U. S/RES/1894 (2009), en ligne : <http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/1894%20(2009)> (consulté le 1er février 2016) 362 Jean-Baptiste JEANGÈNE VILMER, La responsabilité de protéger, coll. « Que sais-je ? », Paris, Presses universitaires de France, 2015, p. 68

Page 106: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

98

du concept363. Ce consensus s’est transposé au Conseil de sécurité où il a été, dès lors,

beaucoup plus facile de passer une résolution faisant mention de la responsabilité de protéger.

Depuis la résolution 1894 et en date du 21 décembre 2016, pas moins de 48

résolutions faisant référence à la responsabilité de protéger ont été adoptées par le Conseil de

sécurité364. Un nouveau pas a été franchi avec l’adoption des résolutions 1970 et 1973

concernant la situation en Libye et la résolution 1975 concernant la situation en Côte d’Ivoire,

alors que le Conseil de sécurité a autorisé des mesures coercitives en vertu du chapitre VII de

la Charte sur la base de la responsabilité de protéger365.

En somme, si le Conseil de sécurité s’est d’abord montré réticent à intégrer la

responsabilité de protéger dans son discours et dans sa pratique, les clarifications

conceptuelles apportées par le Rapport du Secrétaire général des Nations Unies (A/63/677) sur

la mise en œuvre de la responsabilité de protéger ont permis son intégration définitive dans le

discours et la pratique du Conseil. Cette appropriation du concept par le Conseil de sécurité a-

t-elle eu des répercussions sur le fonctionnement institutionnel de celui-ci?

363 Id., p. 69 : 49 États ont participé au dialogue en 2010, 46 en 2011, 59 en 2012, 70 en 2013, 81 en 2014 et 89 en 2015 364 GLOBAL CENTRE FOR THE RESPONSIBILITY TO PROTECT, « UN Security Council Resolutions Referencing R2P », en ligne: <http://www.globalr2p.org/resources/335> (consulté le 27 janvier 2017) 365 Jean-Baptiste JEANGÈNE VILMER, La responsabilité de protéger, préc., note 362, p. 69

Page 107: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

99

3.3. Le fonctionnement institutionnel du Conseil de sécurité depuis

l’intégration de la responsabilité de protéger

Depuis 2009, la responsabilité de protéger fait partie intégrante du discours et de la

pratique du Conseil de sécurité. Cette intégration du concept a-t-elle eu des répercussions sur

le fonctionnement institutionnel du Conseil de sécurité (3.3.1.)? De plus, la responsabilité de

protéger a été mise en œuvre en Libye et en Côte d’Ivoire au cours de l’année 2011. Comment

le Conseil de sécurité a-t-il mis en œuvre le concept? Ces mises en œuvre ont-elles eu des

répercussions sur le cadre légal d’action du Conseil de sécurité (3.3.2.)?

3.3.1. L’absence de répercussions de la responsabilité de protéger sur le

fonctionnement institutionnel du Conseil de sécurité

Deux questions liées au fonctionnement institutionnel du Conseil de sécurité se sont

posées après l’entérinement du concept de la responsabilité de protéger par la communauté

internationale dans la résolution A/RES/60/1 de l’AGNU et l’appropriation subséquente du

concept par le Conseil de sécurité. La première question a trait à l’automaticité de la

responsabilité de protéger. Cette dernière a-t-elle entraîné une obligation de réaction à la

charge du Conseil de sécurité (3.3.1.1.)? La deuxième question a trait à l’utilisation du droit de

veto par les membres permanents du Conseil de sécurité. Les situations relevant de la

responsabilité de protéger sont-elles venues encadrer l’utilisation du droit de veto pour les

membres permanents du Conseil de sécurité (3.3.1.2.)?

Page 108: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

100

3.3.1.1. L’absence d’une obligation de réagir pour le Conseil de sécurité des Nations

Unies

Dans la section 3.1. de ce mémoire, nous avons vu que la Charte des Nations Unies

n’impose pas d’obligation de réaction au Conseil de sécurité pour toutes les situations portant

atteinte à la paix et à la sécurité internationales366. Néanmoins, l’entérinement de la

responsabilité de protéger par la communauté internationale lors du Sommet mondial de 2005

et la résolution 1674 du Conseil de sécurité ont-ils créé une obligation juridique de réaction

pour le Conseil dans les situations relevant de la responsabilité de protéger?

Deux types d’obligations de réaction dans les cas relevant de la responsabilité de

protéger ont été avancés pour limiter la liberté d’appréciation du Conseil de sécurité quant aux

différentes situations portées à son attention367. Le premier a trait aux critères de légitimité,

élaborés par la CIISE en 2001 et réaffirmés avec certaines nuances par le Groupe de

personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement dans son rapport de

2004. Lorsqu’une situation satisfait aux critères de légitimité pouvant justifier une intervention

armée à des fins humanitaires, à savoir la gravité de la menace, la légitimité du motif, le

dernier ressort, la proportionnalité des moyens et la mise en balance des conséquences368, le

Conseil de sécurité se trouve alors dans l’obligation de réagir pour y remédier. Le deuxième a

trait à l’automaticité de la responsabilité de protéger en tant que tel. Ainsi, lorsqu’un crime de

366 Voir section 3.1. de ce mémoire 367 Nabil HAJJAMI, La responsabilité de protéger, préc., note 33, p. 181 368 Pour voir en détails les éléments à prendre en considération pour satisfaire aux différents critères de légitimité, voir : GROUPE DE PERSONNALITÉS DE HAUT NIVEAU SUR LES MENACES, LES DÉFIS ET LE CHANGEMENT, Un monde plus sûr : notre affaire à tous, préc., note 106, par. 207

Page 109: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

101

masse de la responsabilité de protéger est commis, le Conseil a l’obligation d’intervenir pour y

mettre fin369.

L’un des buts des critères de légitimité consistait à clarifier les circonstances dans

lesquelles la communauté internationale, par le biais du Conseil de sécurité, devait intervenir

dans les situations de catastrophes humanitaires et à déterminer dans quelles mesures elle

devait considérer l’intervention armée370.

Les critères de légitimé pour autoriser une intervention militaire sur la base de la

responsabilité de protéger étaient à la source d’une ambiguïté institutionnelle importante dans

le rapport de la CIISE371. Le rapport de 2004 du Groupe de personnalités de haut niveau sur

les menaces, les défis et le changement est venu confirmer que ces critères devraient être

employés par le Conseil de sécurité372. Or, dès la publication du rapport de la CIISE, l’idée

d’encadrer l’action du Conseil de sécurité par des critères de légitimité n’a pas reçu de support

de la part des membres permanents du Conseil de sécurité. Ces derniers jugeaient que

l’application de ces critères de légitimité porterait atteinte à leur liberté d’appréciation

politique des différentes situations auxquelles ils pouvaient faire face373. En effet, en mai

2002, lors de la retraite annuelle privée du Conseil de sécurité où il était question du rapport de

la CIISE, les États-Unis ont rejeté l’idée de devoir réagir, au nom du Conseil de sécurité et par

l’intervention militaire s’il le fallait, chaque fois qu’une situation relevant de la responsabilité

369 Nabil HAJJAMI, La responsabilité de protéger, préc., note 33, p. 181 370 Alex J. BELLAMY, Global Politics and the Responsibility to Protect‒ From words to deeds, préc., note 118, p. 164 371 Pour un rappel de l’ambiguïté institutionnelle entourant l’utilisation des critères de légitimité dans le rapport de la CIISE, voir sous-section 1.1.1.2., p. 13 372 Voir section 1.2. de ce mémoire, p. 22 373 Voir en ce sens: Edward C. LUCK, « Sovereignty, Choice and the Responsibility to Protect », (2009) 1 Global Resp. to Protect 10, 11

Page 110: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

102

de protéger satisfaisait aux critères de légitimité de l’intervention374. La Chine et la Russie se

sont aussi opposées aux critères de légitimité, jugeant que ceux-ci risquaient de porter atteinte

à la marge de manœuvre du Conseil de sécurité quant à l’appréciation des situations pouvant

nécessiter l’usage de la force375. La France et le Royaume-Uni ont, quant à eux, émis des

réserves sur l’adoption éventuelle de critères de légitimité pour autoriser une intervention

armée, craignant que ceux-ci ne permettent pas d’en arriver à une volonté politique de

mobiliser des troupes pour réagir de manière efficace aux situations de crises humanitaires376.

Cette réticence des membres permanents à l’idée d’adopter des critères de légitimité

pour autoriser une intervention armée s’est transposée dès le début des négociations du

Sommet mondial de 2005377. Tel qu’il a été vu dans la section 1.3. de ce mémoire,

l’opposition de certains États et plus particulièrement celle des États-Unis, de la Chine et de la

Russie à adopter les critères378 a éventuellement entraîné l’abandon du respect de ces derniers

dans la version finale du texte de la résolution A/RES/60/1 de l’AGNU dans le but de

préserver le consensus sur l’adoption de la responsabilité de protéger379. De ce fait, les critères

de légitimité ne peuvent plus être associés à une quelconque obligation de réaction sur la base

de la responsabilité de protéger pour le Conseil de sécurité.

374 Aidan HEHIR, The Responsibility to Protect‒ Rhetoric, Reality and the Future of Humanitarian Intervention, préc., note 18, p. 46 375 Id. 376 Alex J. BELLAMY, Global Politics and the Responsibility to Protect‒ From words to deeds, préc., note 118, p. 165 377 Id. 378 Id. ; Les États-Unis voyaient dans l’adoption de critères une limitation de sa capacité à agir alors que la Russie, la Chine et l’Inde voyaient dans l’adoption de critères une manière de contourner le Conseil de sécurité. Voir à ce sujet : Theresa REINOLD, Sovereignty and the Responsibility to Protect‒ The Power of Norms and the Norms of the Powerful, préc., note 148, p. 58 379 David BERMAN et Christopher MICHAELSEN, « Intervention in Libya : Another Nail in the Coffin for the Responsibility-to-Protect? », préc., note 147, 344

Page 111: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

103

En ce qui a trait au discours sur l’automaticité de la réaction dans des situations

relevant de la responsabilité de protéger, sa possible mise en œuvre a été remise en question

avant même les négociations du Sommet mondial de 2005. En effet, nous pouvons déjà

observer, dans le Rapport du millénaire du Secrétaire général Kofi Annan, la difficulté, voire

l’impossibilité, de protéger par le biais de l’intervention humanitaire l’ensemble des

populations victimes de crimes contre l’humanité380. Le rapport de la CIISE intitulé La

responsabilité de protéger a été confronté à la même réalité quant aux situations relevant de la

responsabilité de protéger, sans être en mesure de proposer une solution satisfaisante au

problème381.

Malgré les difficultés associées à une possible mise en œuvre automatique de la

responsabilité de protéger pour le Conseil de sécurité, la première version du Document final

du Sommet mondial de 2005 énonce la responsabilité de protéger de la communauté

internationale, par l’entremise du Conseil de sécurité, sans trancher explicitement la question:

« Si ces moyens pacifiques [ceux prévus aux chapitres VI et VIII de la Charte des

Nations Unies] semblent insuffisants, nous reconnaissons qu’il est de notre responsabilité à tous de mener une action collective, par l’entremise du Conseil de sécurité et, le cas échéant,

380 ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES, Rapport du millénaire‒ Nous, les peuples : Le rôle des Nations Unies au XXIe siècle‒ Rapport du Secrétaire général, préc., note 19 : « L'intervention humanitaire est une question délicate et très complexe sur le plan politique et ne se prête pas à des réponses faciles. Toutefois, ce qui est certain, c'est qu'aucun principe juridique - même pas celui de la souveraineté - ne saurait excuser des crimes contre l'humanité. Lorsque de tels crimes sont commis et que les moyens pacifiques pour y mettre fin ont été épuisés, le Conseil de sécurité a le devoir moral d'agir au nom de la communauté internationale. Ce n'est pas parce que nous ne pouvons pas protéger les populations partout dans le monde que nous ne devons pas agir chaque fois que nous le pouvons. L'intervention armée doit toujours demeurer le dernier recours mais, face à des massacres, c'est une possibilité qu'il ne faut pas écarter » 381 COMMISSION INTERNATIONALE DE L’INTERVENTION ET DE LA SOUVERAINETÉ DES ÉTATS, La responsabilité de protéger, préc., note 2, par. 1.24 : « Cela étant, une cohérence parfaite n’est pas toujours possible : le simple fait que les crises qui comportent des aspects humanitaires graves soient aussi nombreuses empêche de réagir efficacement dans chaque cas. Par ailleurs, l’opposition d’un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité ou d’une autre grande puissance empêche parfois l’action internationale. Mais, comment l’impossibilité d’organiser une action internationale efficace dans certains cas de grande catastrophe humanitaire peut-elle en quoi que ce soit excuser l’inaction lorsque des réponses efficaces sont possibles? »

Page 112: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

104

en coopération avec les organisations régionales compétentes, en vertu du Chapitre VII de la Charte »382.

La Chine et les États-Unis rejetèrent explicitement cette formulation, car cette dernière

portait atteinte à leur marge de manœuvre en matière de liberté d’appréciation politique des

différentes situations pouvant relever de la responsabilité de protéger383. Le représentant

permanent de la Chine auprès des Nations Unies, Wang Guangya, se prononça contre

l’automaticité de la réaction énonçant, entre autres, que le Conseil de sécurité devait agir au

cas par cas en tenant compte des nécessités du terrain lors d’une crise humanitaire384. Du côté

des États-Unis, John Bolton, représentant permanent des États-Unis aux Nations Unies, a

rejeté l’idée qu’il puisse y avoir une obligation de nature légale d’intervenir pour le Conseil de

sécurité dans les situations relevant de la responsabilité de protéger385. Selon lui, le Conseil de

sécurité devait conserver la possibilité de décider de la meilleure manière d’agir, au cas par

cas, dans les situations de crises humanitaires386.

382 ORGANISATION DES NATIONS UNIES, Projet de texte à soumettre à la réunion plénière de haut niveau de l’Assemblée générale en septembre 2005, présenté par le Président de l’Assemblée générale, Doc. N.U. A/59/HLPM/CRP.1 (8 juin 2005), par. 72, en ligne : <https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N05/373/78/pdf/N0537378.pdf?OpenElement> (consulté le 15 février 2017) 383 Nabil HAJJAMI, La responsabilité de protéger, préc., note 33, p. 183 384 MISSION PERMANENTE DE LA RÉPUBLIQUE POPULAIRE DE CHINE À L’ORGANISATION DES NATIONS UNIES, « Statement by Ambassador WANG Guangya at the Informal Meeting of the General Assembly on the Draft Outcome Document of the September Summit », New York, 21 juin 2005, en ligne : <http://www.china-un.org/eng/zghlhg/zzhgg/t200664.htm> (consulté le 10 février 2017) 385 THE REPRESENTATIVE OF THE UNITED STATES OF AMERICA TO THE UNITED NATIONS, « Letter from John Bolton to the United Nations », 30 août 2005, en ligne: <http://www.responsibilitytoprotect.org/files/US_Boltonletter_R2P_30Aug05[1].pdf>: « With respect to the fifth sentence of paragraph 118 [qui deviendra le paragraphe 139 par la suite], we would make changes to make clear that the obligation/responsibility discussed in the text is not of a legal character. We do not accept that either the United Nations as a whole, or the Security Council, or individual states, have an obligation to intervene under international law » 386 Alex J. BELLAMY et Ruben REIKE, « The Responsibility to Protect and International Law », préc., note 296, 274-275

Page 113: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

105

Il est à noter que tout au long de la préparation du Sommet mondial de 2005 et de la

résolution A/RES/60/1, plusieurs petites et moyennes puissances se sont aussi opposées à

l’encadrement de l’intervention armée par des critères de légitimité et à l’automaticité de la

responsabilité de protéger. Or, si les membres permanents du Conseil de sécurité cherchaient à

conserver leur marge d’appréciation politique, les pays en question cherchaient plutôt à

préserver leur souveraineté en rejetant toute tentative d’ingérence extérieure par le biais de la

responsabilité de protéger387. Ces États ont ainsi contribué à mettre de côté ces deux idées par

crainte que la responsabilité de protéger ne soit instrumentalisée par les grandes puissances

pour justifier des interventions utiles à leurs intérêts stratégiques plutôt qu’à l’amélioration de

la situation humanitaire.

Ainsi, la formulation finale retenue pour le paragraphe 139 de la résolution reflète une

absence d’encadrement de l’intervention par des critères de légitimité et une absence

d’automaticité de la réaction dans des situations relevant de la responsabilité de protéger.

L’action collective résolue sera menée par l’entremise du Conseil de sécurité « en temps

voulu » et « au cas par cas »388.

L’appropriation du concept de la responsabilité de protéger par le Conseil de sécurité

dans sa résolution 1674 a soulevé la question de sa valeur juridique relativement au cadre

juridique de son action. En effet, la référence in abstracto du concept dans les clauses

opératoires du texte de la résolution pouvait impliquer une évolution du cadre juridique de

l’action du Conseil de sécurité389.

387 Nabil HAJJAMI, La responsabilité de protéger, préc., note 33, p. 187-188 388 ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES, Document final du Sommet mondial de 2005, préc., note 131, par. 139 389 Nabil HAJJAMI, La responsabilité de protéger, préc., note 33, p. 345-346

Page 114: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

106

Cependant, il est de notre avis que la résolution 1674 du Conseil de sécurité ne confère

pas une quelconque obligation de réaction au Conseil de sécurité dans les situations relevant

de la responsabilité de protéger. Dans la section 3.2.1. de ce mémoire, nous avons vu que

l’inclusion du concept de la responsabilité de protéger dans la résolution 1674 du CSNU a été

acceptée par la Russie et la Chine, à condition que la résolution utilise exactement le même

langage que celui du Document final du Sommet mondial de 2005390. Or l’idée d’une

obligation de réaction pour le Conseil de sécurité issue des critères de légitimité ainsi que celle

d’une obligation de réaction pour les situations relevant de la responsabilité de protéger, ont

clairement été écartées lors des négociations ayant mené à l’adoption du texte final du

Document final du Sommet mondial de 2005. En réutilisant le langage de la résolution

A/RES/60/1 de l’AGNU, le Conseil de sécurité réaffirme la sélectivité des réactions associées

aux situations relevant de la responsabilité de protéger.

La pratique subséquente du Conseil de sécurité montre aussi la sélectivité de ses

réactions vis-à-vis des situations pouvant relever de la responsabilité de protéger. La mise à

l’écart de la responsabilité de protéger dans la résolution 1769 concernant la situation au

Darfour en 2007391, l’incapacité en 2009 d’inscrire la situation du Sri Lanka à l’ordre du jour

du CSNU ‒ alors qu’il existait des motifs raisonnables de croire que des violations du droit

humanitaire et des droits de la personne ont été commises, faisant au moins 40 000 victimes

civiles392 ‒ et le blocage actuel du Conseil de sécurité vis-à-vis de la situation en Syrie sont

tous des exemples montrant que les réactions du Conseil de sécurité dans des situations

390 Voir section 3.2.1. de ce mémoire, p. 9 391 Jess GIFKINS, « Darfur », dans Alex J. BELLAMY et Tim DUNNE (dir.), The Oxford Handbook of the Responsibility to Protect, préc., note 4, p. 717, à la page 724 392 Kimberly NACKERS, « Sri Lanka », dans Alex J. BELLAMY et Tim DUNNE (dir.), The Oxford Handbook of the Responsibility to Protect, préc., note 4, p. 876, aux pages 877 à 879

Page 115: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

107

relevant de la responsabilité de protéger sont encore entièrement tributaires de la politique

internationale et des intérêts des membres permanents.

À la lumière de ces données, nous constatons que la résolution A/RES/60/1, ainsi que

le texte adopté dans la résolution 1674 et la pratique subséquente du Conseil de sécurité n’ont

pas créé d’obligation de réagir pour le Conseil de sécurité des Nations Unies dans les

situations relevant de la responsabilité de protéger. Néanmoins, la responsabilité de protéger a-

t-elle permis d’encadrer l’utilisation du droit de veto par les membres permanents du Conseil

de sécurité?

3.3.1.2. La responsabilité des membres permanents du Conseil de sécurité de ne pas

utiliser leur droit de veto

Le droit de veto des membres permanents du Conseil de sécurité est cité au

paragraphe 3 de l’article 27 de la Charte des Nations Unies393. Celui-ci s’applique dans les

situations où le Conseil de sécurité doit prendre une décision qui n’est pas de nature

procédurale394. Il faut cependant préciser que les membres permanents du Conseil de sécurité

disposent aussi d’un droit de veto pour tout amendement proposé à la Charte, conformément

aux articles 108 et 109395, ainsi que pour la nomination du Secrétaire général, conformément à

l’article 97 de la Charte396.

393 Charte des Nations Unies (et Statut de la Cour internationale de justice), préc., note 7, art. 27(3) 394 Id. 395 Id., art. 108 et 109 396 Id., art. 97

Page 116: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

108

L’idée d’encadrer ou d’abolir l’utilisation du droit de veto pour les membres

permanents du Conseil de sécurité n’est pas propre à l’avènement de la responsabilité de

protéger. Sujet âprement débattu lors de la Conférence de San Francisco de 1945397,

l’utilisation du veto par les membres permanents a fait l’objet de controverses dès les

premières séances du Conseil de sécurité398. Dans la résolution A/40/1 de l’AGNU du 13

décembre 1946, l’Assemblée demandait déjà aux membres permanents du Conseil de sécurité

de faire en sorte que « […] l’exercice du privilège du veto qui appartient en propre aux

membres permanents n’empêche pas le Conseil de sécurité de prendre des décisions

rapides »399 et recommandait que soit adoptées « […] des méthodes et des procédures

conformes à la Charte, qui permettent de faciliter l’application de l’Article 27 et qui

garantissent le fonctionnement rapide et efficace du Conseil »400. Il s’agit de la première d’une

longue série de tentatives visant à limiter ou à encadrer l’utilisation du veto des membres

permanents du Conseil401.

L’originalité de la proposition de limiter le veto pour les situations associées à la

responsabilité de protéger tient du fait qu’il s’agit, pour la première fois, de le limiter pour des

397 ORGANISATION DES NATIONS UNIES, « 1945 : Conférence de San Francisco », en ligne : <http://www.un.org/fr/sections/history-united-nations-charter/1945-san-francisco-conference/> (consulté le 1er février 2017) 398 Voir en ce sens: Justin MORRIS et Nicholas J. WHEELER, « The Responsibility Not to Veto : A Responsibility Too Far? », dans Alex J. BELLAMY et Tim DUNNE (dir.), The Oxford Handbook of the Responsibility to Protect, préc., note 4, p. 227, à la page 230 399 ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES, Procédure de vote au Conseil de sécurité, Rés. A/40(1), Doc. off. A.G.N.U. 1re sess., 61e séance, 13 décembre 1946, par. 2, en ligne : <http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=A/RES/40(I)> (consulté le 20 janvier 2017) 400 Id., par. 3 401 Ariela BLÄTTER et Paul D. WILLIAMS, « The Responsibility Not To Veto », (2011) 3 Global Resp. Protect 301, 306-307 ; Jean-Baptiste JEANGÈNE VILMER, « Le veto est-il un attribut de la puissance ? Le cas de la France », (2014) 13 Aquilon 31, 38, en ligne : <http://www.jbjv.com/IMG/pdf/JBJV_-_Le_veto_est-il_un_attribut_de_la_puissance.pdf> (consulté le 1er février 2017)

Page 117: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

109

raisons humanitaires402. Cette idée, d’origine française403, découle de la crise humanitaire

appréhendée404 durant le conflit armé au Kosovo de 1998-1999. Sous la menace des vetos

russe et chinois, l’OTAN avait décidé d’intervenir militairement au Kosovo sans demander

l’autorisation du Conseil de sécurité405. Devant la probabilité d’une paralysie du Conseil de

sécurité lors d’une prochaine crise humanitaire, Hubert Védrine, alors ministre des Affaires

étrangères de la France, avait exposé, lors d’une table ronde organisée à Paris par la CIISE,

l’idée d’un code de conduite pour les membres permanents du Conseil, où ces derniers

s’abstiendraient d’utiliser leur veto dans les cas de crises humanitaires graves. La CIISE

adoptera cette idée dans son rapport de 2001 intitulé La responsabilité de protéger.

Les membres de la CIISE étaient eux aussi préoccupés par l’inaction possible du

Conseil de sécurité devant une crise humanitaire grave en raison de l’utilisation du droit de

veto par l’un des membres permanents du Conseil. Parmi les différentes mesures proposées

par la commission pour remédier à cette possible paralysie406, la CIISE a repris l’idée

française de restreindre l’utilisation du droit de veto, en permettant néanmoins aux membres

permanents de l’utiliser dans les cas où leurs intérêts vitaux sont en jeu, même si la résolution

avait autrement obtenu la majorité des voix au Conseil407.

Le rapport du Groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le

changement de 2004 proposait aussi un code de conduite pour les membres permanents du 402 Jean-Baptiste JEANGÈNE VILMER, « Le veto est-il un attribut de la puissance ? Le cas de la France », préc., note 401, 39 403 Id. 404 Le nettoyage ethnique des Albanais du Kosovo entrepris par les forces serbes. 405 Justin MORRIS et Nicholas J. WHEELER, « The Responsibility Not to Veto : A Responsibility Too Far? », dans Alex J. BELLAMY et Tim DUNNE (dir.), The Oxford Handbook of the Responsibility to Protect, préc., note 4, p. 227, aux pages 231-232 406 Voir section 1.1.1. de ce mémoire, p. 10 à 12 407 COMMISSION INTERNATIONALE DE L’INTERVENTION ET DE LA SOUVERAINETÉ DES ÉTATS, La responsabilité de protéger, préc., note 2, par. 6.21

Page 118: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

110

Conseil quant à l’utilisation du veto, beaucoup plus complet que celui proposé par la CIISE408.

En plus de reprendre l’idée d’utiliser le droit de veto uniquement lorsque les intérêts vitaux

des membres permanents sont en jeu409, le Groupe d’experts a demandé aux membres

permanents de renoncer à leur droit de veto en cas de génocide ou de violation massive des

droits de l’homme410. De plus, il a suggéré que soit institué un système de « vote indicatif »

permettant à un membre du Conseil de sécurité de demander à chaque membre du Conseil de

prendre publiquement position sur un projet de décision411.

La résolution A/RES/60/1 de l’AGNU, bien qu’ayant entériné la responsabilité de

protéger, ne faisait plus mention d’un code de conduite pour le Conseil de sécurité pour les

situations couvertes par ce concept. Tel que vu dans la première partie de ce mémoire, l’idée

d’un code de conduite quant à l’utilisation du droit de veto s’est rapidement retrouvée écartée

des négociations en raison de l’opposition des membres permanents du Conseil et de certains

autres États membres des Nations Unies. Or, contrairement à bon nombre d’éléments faisant

partie à l’origine de la responsabilité de protéger, l’idée d’implanter une responsabilité de ne

pas utiliser le veto comme obligation corollaire à la responsabilité de protéger se poursuivra

après l’adoption de la résolution A/RES/60/1. Effectivement, la responsabilité de ne pas

utiliser le veto dans les situations de génocide, de crimes contre l’humanité et des violations

graves du droit international humanitaire a été défendue à l’AGNU six mois après l’adoption

de la résolution A/RES/60/1 par le groupe des Small Five412 dans un projet de résolution visant

408 Voir section 1.2. de ce mémoire, p. 22-23 409 GROUPE DE PERSONNALITÉS DE HAUT NIVEAU SUR LES MENACES, LES DÉFIS ET LE CHANGEMENT, Un monde plus sûr : notre affaire à tous, préc., note 106, par. 256 410 Id. 411 Voir section 1.2. de ce mémoire, p. 22 412 Le Costa Rica, la Jordanie, le Liechtenstein, Singapour et la Suisse

Page 119: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

111

à améliorer les modalités d’exécution du Conseil de sécurité des Nations Unies413. En 2008, le

Genocide Prevention Task Force, un groupe bipartisan chargé de produire un plan afin d’aider

les États-Unis à accroître leurs capacités à prévenir et à réagir aux situations de génocide ou

d’atrocités de masse, a recommandé que le secrétaire d’État des États-Unis entreprenne des

efforts diplomatiques afin de négocier une entente entre les membres permanents du Conseil

de sécurité visant à ne pas utiliser leur droit de veto dans les situations de génocide ou

d’atrocités de masse414. De son côté, le Secrétaire général, Ban Ki-moon, a exhorté les

membres permanents du CSNU au paragraphe 61 de son rapport de 2009 sur la mise en œuvre

de la responsabilité de protéger à « […] s’abstenir d’user ou de menacer d’user de ce droit

dans des situations où manifestement il y a eu manquement aux obligations liées à la

responsabilité de protéger, comme le prévoit le paragraphe 139 du Document final […] »415.

Trente-cinq États ont par ailleurs apporté leur soutien à cette proposition du Secrétaire général

lors du premier débat thématique informel de l’Assemblée générale consacré à la

responsabilité de protéger416.

En 2013, la France devient le premier membre permanent du Conseil de sécurité à

défendre une position sur la limitation du droit de veto, en tentant de persuader les autres

413 Justin MORRIS et Nicholas J. WHEELER, « The Responsibility Not to Veto : A Responsibility Too Far? », dans Alex J. BELLAMY et Tim DUNNE (dir.), The Oxford Handbook of the Responsibility to Protect, préc., note 4, p. 227, à la page 233 ; ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES, Improving the working methods of the Security Council, Doc. N.U. A/60/L.49 (17 mars 2006), par. 13-14, en ligne : <http://www.securitycouncilreport.org/atf/cf/%7B65BFCF9B-6D27-4E9C-8CD3-CF6E4FF96FF9%7D/WMP%20A%2060%20L%2049.pdf> (consulté le 7 février 2017) 414 GENOCIDE PREVENTION TASK FORCE, Preventing Genocide : A Blueprint for U.S. Policymakers, États-Unis, United States Holocaust Memorial Museum, The American Academy of Diplomacy et United States Institute of Peace, 2008, Recommandation 6-2, en ligne : <https://www.ushmm.org/m/pdfs/20081124-genocide-prevention-report.pdf> (consulté le 7 février 2017) 415 ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES, La mise en œuvre de la responsabilité de protéger‒ Rapport du secrétaire général, préc., note 161, par. 61 416 Ariela BLÄTTER et Paul D. WILLIAMS, « The Responsibility Not To Veto » préc., note 401, 318

Page 120: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

112

membres permanents de « […] s’engager volontairement et collectivement à ne pas recourir

au veto lorsqu’une situation d’atrocité de masse est constatée »417. Cette initiative sur la

limitation du droit de veto propose que le Secrétaire général puisse saisir le Conseil de sécurité

sur une situation où des crimes de masse ont été constatés, après avoir été sollicité par le Haut-

commissaire des Nations Unies aux droits de l’Homme, par 50 États membres ou par les

deux418. De plus, la solution française, basée sur l’engagement volontaire des membres

permanents du Conseil, n’impliquerait aucune modification de la Charte des Nations Unies419.

Pour définir ce qu’elle entend par « atrocité de masse », le France fait notamment

référence au Document final du Sommet mondial de 2005, à la Convention pour la prévention

et la répression du crime de génocide et au Statut de Rome de la Cour pénale

internationale420. Ainsi, les atrocités de masse visées par l’initiative française sont celles

qu’on retrouve associées à la responsabilité de protéger, à savoir le génocide, les crimes contre

l’humanité et les crimes de guerre à grande échelle421. Bien que soutenue par un nombre

417 MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU DÉVELOPPEMENT INTERNATIONAL, « Pourquoi la France veut encadrer le recours au veto au Conseil de sécurité des Nations unies », en ligne; <http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/la-france-a-l-onu/la-france-et-les-nations-unies/article/pourquoi-la-france-veut-encadrer-le-recours-au-veto-au-conseil-de-securite-des> (consulté le 8 février 2017) 418 REPRÉSENTATION PERMANENTE DE LA FRANCE AUPRÈS DES NATIONS UNIES À NEW YORK, « La France et la réforme de l’ONU », en ligne : <http://www.franceonu.org/La-France-et-la-reforme-de-l-ONU> (consulté le 9 février 2017) 419 Id. 420 MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU DÉVELOPPEMENT INTERNATIONAL, « Pourquoi la France veut encadrer le recours au veto au Conseil de sécurité des Nations unies », préc., note 417 421 Id. ; Tel que nous l’avons vu dans la sous-section 2.2.4. de ce mémoire, le nettoyage ethnique est plutôt une pratique dont les actions entrent dans les trois crimes de masse définis que sont le génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. En ce sens, nous considérons que les pratiques du nettoyage ethnique font aussi partie des atrocités de masse visées par l’initiative française.

Page 121: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

113

croissant d’États422, à ce jour, la proposition française n’a pas été adoptée par les quatre autres

membres permanents du CSNU423.

Depuis 2015, l’idée d’encadrer le veto du Conseil de sécurité dans les situations

relevant de la responsabilité de protéger est également défendue par les vingt-quatre États

membres du groupe Responsabilité, cohérence et transparence (Groupe ACT). Le Groupe

ACT propose un code de conduite424, censé s’appliquer « […] à toute situation où surviennent

ces crimes, en d’autres termes lorsque les faits sur le terrain appellent l’intervention du

Conseil de sécurité, après qu’un État ayant souscrit au code de conduite aura évalué les

informations »425. Le code de conduite énonce aussi que le Secrétaire général peut porter de

telles situations à l’attention du Conseil426. En date du 23 octobre 2015, cent quatre États

membres des Nations Unies avaient appuyé l’initiative, dont la France et le Royaume-Uni,

deux membres permanents du Conseil427.

En somme, si l’appropriation du concept de la responsabilité de protéger par le Conseil

de sécurité n’a pas formellement modifié l’utilisation du droit de veto par ses membres

permanents, l’idée de le restreindre lorsque le Conseil est confronté à des situations relevant

de la responsabilité de protéger continue d’être débattue année après année. L’objectif

422 En date du 1er octobre 2015, la proposition française était soutenue par 78 États dans une déclaration de soutien. 423 Jean-Baptiste JEANGÈNE VILMER, La responsabilité de protéger, préc., note 362, p. 80 ; Par ailleurs, la Russie a rejeté la proposition française. 424 ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES, Lettre datée du 14 décembre 2015, adressée au Secrétaire général par le Représentant permanent du Liechtenstein auprès de l’Organisation des Nations Unies, Doc. N.U. A/70/621–S/2015/978 (14 décembre 2015), Annexe I, en ligne : <http://www.globalr2p.org/media/files/n1543358french.pdf> (consulté le 9 février 2017) 425 Id., par. 3 426 Id. 427 SECURITY COUNCIL REPORT, « UN Security Council Working Methods- The Veto », 13 avril 2017, en ligne : <http://www.securitycouncilreport.org/un-security-council-working-methods/the-veto.php> (consulté le 14 avril 2017)

Page 122: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

114

commun est d’accentuer la pression de façon que, même si la négociation avec les autres

permanents n’aboutit pas dans l’immédiat, le coût politique de l’usage du veto en situation

d’atrocité de masse soit augmenté428. Il sera intéressant de voir si la responsabilité de ne pas

utiliser le veto, concept conçu comme un élément de la responsabilité de protéger, finira par

créer un coût politique trop grand pour que les membres permanents continuent de l’utiliser

dans les situations relevant de la responsabilité de protéger.

En conclusion, l’entérinement du concept de la responsabilité de protéger par la

communauté internationale dans la résolution A/RES/60/1 de l’AGNU et l’appropriation

subséquente du concept par le Conseil de sécurité n’a pas entraîné d’obligation juridique de

réaction pour ce dernier et n’a pas limité l’utilisation du droit de veto de ses membres

permanents dans les situations relevant de la responsabilité de protéger. Ce faisant, le volet

réaction de la responsabilité de protéger reste entièrement tributaire de la politique

internationale et, plus particulièrement, des intérêts stratégiques des membres permanents du

Conseil de sécurité.

Malgré tout, dans les situations en Libye et en Côte d’Ivoire, survenues en 2011, le

Conseil de sécurité a pu réagir en mettant en œuvre la responsabilité de protéger.

428 Jean-Baptiste JEANGÈNE VILMER, La responsabilité de protéger, préc., note 362, p. 78 à 80

Page 123: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

115

3.3.2. Les répercussions de la mise en œuvre de la responsabilité de protéger

sur le Conseil de sécurité au regard des cas de la Côte d’Ivoire et de la

Libye

L’année 2011 a été marquante pour la mise en œuvre du concept de la responsabilité de

protéger. En l’espace de quelques semaines, le concept a été invoqué par le Conseil de sécurité

pour venir en aide à des populations civiles dans deux cadres fort différents, à savoir celui de

la guerre civile libyenne (3.3.2.1.) et celui de la crise postélectorale en Côte d’Ivoire (3.3.2.2.).

Comment le Conseil de sécurité a-t-il mis en œuvre la responsabilité de protéger? À la lumière

des interventions en Libye et en Côte d’Ivoire, nous observons que la responsabilité de

protéger est utilisée sur le plan politique comme un argument qui justifie une résolution

autorisant un recours à la force en vertu du chapitre VII pour protéger les populations civiles.

3.3.2.1. La mise en oeuvre de la responsabilité de protéger en Libye

La guerre civile libyenne de 2011 s’inscrit dans le contexte du Printemps arabe, un

mouvement de contestation dans plusieurs pays du Maghreb et du Moyen-Orient contre les

conditions politiques, sociales et économiques mises en place par les gouvernements

autoritaires au pouvoir depuis plusieurs décennies429. Les protestations initiales dans les villes

de l’est du pays430 depuis la mi-janvier431 se muent en révoltes à travers le pays à partir du 15

429 Vincent DROZ, « PRINTEMPS ARABE ou RÉVOLUTIONS ARABES », Encyclopædia Universalis, en ligne : <http://www.universalis.fr/encyclopedie/printemps-arabe-revolutions-arabes/> (consulté le 5 mars 2017) 430 À titre d’exemple : El Beïda, Darnah et Benghazi

Page 124: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

116

février 2011432. Entre le 15 et le 20 février 2011, le régime réprime la contestation par la force,

faisant au moins 173 morts433. Les violences perpétrées par les autorités libyennes à l’encontre

des populations civiles du pays ont mené à plusieurs condamnations à l’international,

notamment par la Ligue des États arabes (Ligue arabe), l’Organisation de la coopération

islamique (OCI), l’Union africaine (UA)434 et l’Union européenne (UE)435.

Le 22 février, le Conseil de sécurité fait une première référence à la responsabilité de

protéger dans le cadre d’une déclaration lue à la presse436. Dans cette déclaration, le Conseil

dénonce « la violence et l’usage de la force contre les civils »437 et exhorte le gouvernement

libyen : « […] à s’acquitter de la responsabilité qui lui incombe de protéger le peuple

libyen »438 et à « […] respecter les droits de l’homme et le droit international humanitaire »439.

Le même jour, Francis Deng, conseiller spécial pour la prévention du génocide, et Edward

Luck, conseiller spécial pour la responsabilité de protéger, ont aussi fait référence à la

responsabilité de protéger dans un communiqué de presse pour dénoncer les attaques

commises par les forces armées libyennes sur les populations civiles. Dans ce communiqué,

431 Alex J. BELLAMY et Paul D. WILLIAMS, « The new politics of protection?‒ Côte d’Ivoire, Libya and the responsibility to protect », (2011) 87 (no 4) Int. Aff. 825, 838 432 Simon ADAMS, « Libya », dans Alex J. BELLAMY et Tim DUNNE (dir.), The Oxford Handbook of the Responsibility to Protect, préc., note 4, p. 768, à la page 769 433 Id. 434 Id. 435 Nabil HAJJAMI, La responsabilité de protéger, préc., note 33, p. 364 436 CONSEIL DE SÉCURITÉ DES NATIONS UNIES, « Déclaration à la presse du Conseil de sécurité sur la Libye », 22 février 2011, en ligne : <http://www.un.org/press/fr/2011/SC10180.doc.htm> (consulté le 6 mars 2017) 437 Id. 438 Id. 439 Id.

Page 125: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

117

les deux conseillers ont rappelé aux autorités du pays leur engagement pris envers la

responsabilité de protéger lors du Sommet mondial de 2005440.

Le 25 février 2011, le Secrétaire général exprime au Conseil de sécurité ses inquiétudes

vis-à-vis des atrocités commises en Libye441. Le lendemain, le Conseil de sécurité se réunit

pour discuter de la situation442. Cette réunion mène à l’adoption unanime de la

résolution 1970443. Le préambule de la résolution énonce, entre autres, que les attaques

systématiques et généralisées contre la population libyenne pourraient constituer des crimes

contre l’humanité444, l’une des quatre atrocités de masse relevant de la responsabilité de

protéger. Le Conseil rappelle par la suite aux autorités libyennes sa responsabilité de protéger

ses populations civiles445. Or la responsabilité de protéger ne constitue pas le fondement

juridique de l’action du Conseil de sécurité dans la résolution 1970. Tel que l’énonce

Alexandra Novosseloff, chercheuse associée au Centre Thucydide de l’Université Paris

Panthéon-Assas, le préambule d’une résolution vise à « […] expliquer les objectifs de la

résolution, à constater la situation, à faire référence à des décisions antérieures ou à les relier à

440 ORGANISATION DES NATIONS UNIES, « Press release‒ UN Secretary-General Special Adviser on the Prevention of Genocide, Francis Deng, and Special Adviser on the Responsibility to Protect, Edward Luck, on the Situation in Libya », New York, 22 février 2011, en ligne: <http://www.un.org/en/preventgenocide/adviser/pdf/OSAPG,%20Special%20Advisers%20Statement%20on%20Libya,%2022%20February%202011.pdf> (consulté le 6 mars 2017) 441 CONSEIL DE SÉCURITÉ DES NATIONS UNIES, Procès-verbal‒ 6490e séance, Doc. N.U. S/PV.6490 (25 février 2011), p. 2 à 4 en ligne : <http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/PV.6490> (consulté le 6 mars 2017) 442 Spencer ZIFCAK, « Falls the Shadow : The Responsibility to Protect from Theory to Practice », dans Ramesh THAKUR et Charles STAMPFORD (dir.), Responsibility to Protect and Sovereignty, New York, Routledge, 2013, p. 11, à la page 13 443 Nabil HAJJAMI, La responsabilité de protéger, préc., note 33, p. 364 444 CONSEIL DE SÉCURITÉ DES NATIONS UNIES, Doc. N.U. S/RES/1970 (2011), préambule, en ligne : <http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/1970(2011)> (consulté le 4 mars 2017) 445 Id.

Page 126: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

118

d’autres actions menées par l’Organisation »446. Nous pouvons ainsi avancer que la mention

de la responsabilité de protéger dans la résolution 1970 explique l’un des objectifs de la

résolution. À ce titre, elle positionne l’action du Conseil de sécurité dans le cadre politique de

la responsabilité de protéger, sans toutefois pouvoir lui attribuer une quelconque dimension

légale. En effet, sur le plan juridique, le Conseil agit conformément à ce qui avait été convenu

quant à la responsabilité de protéger de la communauté internationale dans le Document final

du Sommet mondial de 2005, c’est-à-dire de : « […] mener en temps voulu une action

collective résolue, par l’entremise du Conseil de sécurité, conformément à la Charte,

notamment son Chapitre VII […] »447.

Ainsi, le Conseil de sécurité prend des mesures comme la saisine de la Cour pénale

internationale, l’embargo sur les armes, les interdictions de voyager et le gel des avoirs pour

les membres de la famille de Kadhafi et pour des membres-clés du gouvernement en vertu de

la Charte des Nations Unies ‒ et non en vertu de la responsabilité de protéger ‒ afin de

remédier à la situation en Libye448. Dans la section 3.1. de ce mémoire, nous avons pu

constater que les pouvoirs dévolus au Conseil de sécurité dans la Charte des Nations Unies

existaient bien avant l’avènement de la responsabilité de protéger. De ce fait, le Conseil aurait

pu prendre des mesures pour remédier à la situation en Libye dans la résolution 1970, sans

faire mention de la responsabilité de protéger. La responsabilité de protéger n’apporte donc

rien de nouveau sur le plan juridique dans cette résolution. La même dynamique peut

446 Alexandra NOVOSSELOFF, « Résolution », Réseau de recherche sur les opérations de paix, en ligne : <http://www.operationspaix.net/138-resources/details-lexique/resolution.html> (consulté le 7 mars 2017) 447 ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES, Document final du Sommet mondial de 2005, préc., note 131, par. 139 448 CONSEIL DE SÉCURITÉ DES NATIONS UNIES, Doc. N.U. S/RES/1970 (2011), en ligne : <http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/1970(2011)> (consulté le 4 mars 2017)

Page 127: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

119

s’observer dans l’autre résolution que le Conseil de sécurité adoptera vis-à-vis de la situation

en Libye, à savoir la résolution 1973.

Le régime de Kadhafi a poursuivi la répression de la révolte malgré les sanctions

imposées dans la résolution 1970 par le Conseil de sécurité. Tel que l’énonce Nabil Hajjami,

le Conseil de sécurité, sous l’impulsion des initiatives régionales, commence alors à envisager

le recours à la force pour protéger les populations civiles en Libye449. Effectivement, entre le 7

et le 12 mars 2011, devant la dégradation de la situation, les États membres du Conseil de

Coopération du Golfe (CCG), l’Union européenne et la Ligue arabe ont demandé au Conseil

de sécurité de prendre les mesures nécessaires pour assurer la protection des populations

civiles en Libye450. De plus, la communauté internationale s’inquiétait de la possibilité que les

forces de Kadhafi commettent un massacre à grande échelle dans la ville de Benghazi, tenue

par les rebelles451. Le 17 mars 2011, les craintes de la communauté internationale semblent se

matérialiser, quand Kadhafi annonce à la télévision et à la radio libyenne qu’une attaque

contre la ville de Benghazi est imminente, que ses forces armées chercheront les rebelles

jusque dans leurs placards et qu’elles ne montreront pas de compassion ou de clémence envers

les combattants qui ne rendront pas les armes avant l’attaque452. Le Conseil de sécurité se

réunit le jour même pour discuter de la situation et voir si des mesures additionnelles doivent

449 Nabil HAJJAMI, La responsabilité de protéger, préc., note 33, p. 369-370 450 Id., p. 370 à 372 451 Alex J. BELLAMY et Paul D. WILLIAMS, « The new politics of protection?‒ Côte d’Ivoire, Libya and the responsibility to protect », préc., note 431, 840 452 David D. KIRKPATRICK et Kareem FAHIM, « Qaddafi Warns of Assault on Benghazi as U.N. Vote Nears », The New York Times, 17 mars 2011, en ligne: <http://www.nytimes.com/2011/03/18/world/africa/18libya.html?pagewanted=all>

Page 128: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

120

être mises en application afin de remédier à la situation en Libye453. C’est dans ce contexte

qu’est adopté à 10 voix pour et 5 abstentions la résolution 1973454.

Le préambule de la résolution 1973 considère de nouveau que les attaques généralisées

et systématiques commises en Libye contre les populations civiles peuvent constituer des

crimes contre l’humanité et rappelle à cet effet la responsabilité qui incombe aux autorités

libyennes de protéger la population libyenne455. Le Conseil de sécurité fait référence à la

responsabilité de protéger dans le préambule de la résolution, tout comme dans la

résolution 1970. Cette référence est importante sur le plan politique, car elle permet d’indiquer

que la responsabilité de protéger les populations civiles en Libye figure parmi les objectifs de

la résolution456. Or, sur le plan juridique, la résolution est de nouveau construite sur un modèle

convenu, à savoir celui de constater, conformément à l’article 39 de la Charte des Nations

Unies, que la situation constitue une menace pour la paix et la sécurité internationales457,

permettant ainsi au Conseil de sécurité d’agir en vertu du chapitre VII de la Charte458. C’est à

ce titre que le Conseil de sécurité autorisera les États membres à prendre toutes les mesures

nécessaires pour protéger les populations et les zones civiles menacées d’attaque en Libye459

et assurer l’interdiction de vol dans l’espace aérien libyen460.

453 Spencer ZIFCAK, « Falls the Shadow : The Responsibility to Protect from Theory to Practice », dans Charles STAMPFORD et Ramesh THAKUR (dir.), Responsibility to Protect and Sovereignty, New York, Routledge, 2013, p. 11, à la page 14 454 Id. 455 CONSEIL DE SÉCURITÉ DES NATIONS UNIES, Doc. N.U. S/RES/1973 (2011), préambule, en ligne : <http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/1973(2011)> (consulté le 4 mars 2017) 456 Nabil HAJJAMI, La responsabilité de protéger, préc., note 33, p. 373 457 CONSEIL DE SÉCURITÉ DES NATIONS UNIES, Doc. N.U. S/RES/1973 (2011), préc., note 455, préambule 458 Id. 459 Id., par. 4 460 Id., par. 8

Page 129: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

121

Le 22 mars 2011, l’OTAN commence la mise en œuvre de la résolution 1973

(2011)461, avec la collaboration d’États tiers, sous l’opération Unified Protector462. Plus de

huit mille sorties aériennes se feront dans le cadre de l’opération pour faire respecter les

objectifs de la résolution 1973, réduisant drastiquement les forces de Kadhafi et menant

éventuellement à la chute du régime463. Vers la fin mai 2011, grâce à l’aide de l’OTAN, les

forces rebelles prennent le dessus sur les forces de Kadhafi en brisant le siège de Misrata en

place depuis février 2011464. Les forces rebelles avancent alors vers Tripoli, la capitale, et

réussissent à la conquérir le 22 août 2011, prenant par le fait même le pouvoir en Libye465. Le

20 octobre 2011, les rebelles s’emparent de la ville de Syrte, dernier bastion des forces de

Kadhafi. Ce dernier est d’ailleurs assassiné lors de la prise de la ville. Le 31 octobre 2011,

l’OTAN met fin à l’opération Unified Portector.

La référence à la responsabilité de protéger dans les résolutions 1970 et 1973 sur la

situation en Libye montre que le Conseil de sécurité a pris en considération le concept pour

justifier, sur le plan politique, les mesures qu’il a entreprises afin d’assurer la protection des

populations civiles dans le pays. Néanmoins, il convient de conclure, à l’instar d’auteurs

comme Aidan Hehir466, Nabil Hajjami467, David Berman ou Christopher Michaelsen468, que la

461 Entre le 17 et le 22 mars 2011, la mise en œuvre de la résolution 1973 était gérée par les États-Unis, la France et le Royaume-Uni. 462 ORGANISATION DU TRAITÉ DE L’ATLANTIQUE NORD, « L’OTAN et la Libye », en ligne : <http://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_71652.htm> (consulté le 10 mars 2017) 463 Simon ADAMS, « Libya », dans Alex J. BELLAMY et Tim DUNNE (dir.), The Oxford Handbook of the Responsibility to Protect, préc., note 4, p. 768, aux pages 771-772 464 Id., à la page 772 465 ORGANISATION DU TRAITÉ DE L’ATLANTIQUE NORD, « L’OTAN et la Libye », préc., note 462 466 Aidan HEHIR, The Responsibility to Protect‒ Rhetoric, Reality and the Future of Humanitarian Intervention, préc., note 18, p. 13-14 467 Nabil HAJJAMI, La responsabilité de protéger, préc., note 33, p. 373 468 David BERMAN et Christopher MICHAELSEN, « Intervention in Libya : Another Nail in the Coffin for the Responsibility-to-Protect? », préc., note 147, 351 à 354

Page 130: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

122

responsabilité de protéger n’apporte strictement rien de nouveau sur le plan juridique quant à

l’action du Conseil de sécurité. En effet, ce dernier continue d’opérer dans le cadre légal déjà

établi avant l’avènement de la responsabilité de protéger, à savoir celui de la Charte des

Nations Unies. Le Conseil de sécurité a-t-il mis en œuvre la responsabilité de protéger de la

même manière en Côte d’Ivoire?

3.3.2.2. La mise en oeuvre de la responsabilité de protéger en Côte d’Ivoire

La crise ivoirienne de 2010-2011 a débuté avec l’élection présidentielle de 2010. Plus

précisément, le 2 décembre 2010, la Commission Électorale Indépendante (CEI) dévoile les

résultats du second tour du scrutin présidentiel s’étant tenu le 28 novembre précédent et

déclare Alassane Ouattara vainqueur avec 54,1 % du suffrage populaire exprimé en sa

faveur469. Le 3 décembre, Paul Yao N’dre, président du Conseil constitutionnel de Côte

d’Ivoire et sympathisant du président sortant Laurent Gbagbo, annonce que la déclaration de la

CEI est inconstitutionnelle, n’ayant pas été rendue avant la date butoir du 1er décembre

2010470. Aussi, il annule près de 660 000 votes en faveur d’Ouattara dans les régions du nord

du pays sur des allégations de fraudes et proclame, après révision des nouveaux résultats,

Laurent Gbagbo vainqueur471. Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo revendiquent chacun la

469 Charles T. HUNT, « Côte d’Ivoire », dans Alex J. BELLAMY et Tim DUNNE (dir.), The Oxford Handbook of the Responsibility to Protect, préc., note 4, p. 693, à la page 695 470 INTERNATIONAL COALITION FOR THE RESPONSIBILITY TO PROTECT, « The Crisis in Côte d’Ivoire », en ligne: <http://www.responsibilitytoprotect.org/index.php/crises/crisis-in-ivory-coast> (consulté le 5 mars 2016) 471 Alex J. BELLAMY et Paul D. WILLIAMS, « The new politics of protection?‒ Côte d’Ivoire, Libya and the responsibility to protect », préc., note 431, 832

Page 131: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

123

victoire. Ils s’assermentent comme président et établissent leurs gouvernements respectifs472.

Rapidement, la crise politique provoque des affrontements entre les forces fidèles à Laurent

Gbagbo et celles fidèles à Alassane Ouattara, sur fond de tensions économiques, ethniques,

religieuses et identitaires473. Ces affrontements mèneront à la commission de crimes de guerre

et de crimes contre l’humanité faisant au moins trois mille morts, des milliers de blessés et

près d’un million de déplacés internes474.

Au cours du mois de décembre 2010, la Communauté Économique des États de

l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’Union africaine (UA) et l’Union européenne (UE) ont

déclaré reconnaître Alassane Ouattara comme président élu de la Côte d’Ivoire475. De son

côté, le Conseil de sécurité a exhorté, dans sa résolution 1962 du 20 décembre 2010, les

différentes parties au conflit en Côte d’Ivoire à respecter la volonté librement exprimée du

peuple ivoirien qui a élu Alassane Ouattara comme Président du pays476. Malgré ces appels,

Laurent Gabago décida de demeurer à la tête du pays.

Les combats entre les forces fidèles aux deux parties s’intensifièrent au cours du mois

de janvier 2011. Devant l’aggravation de la situation, le conseiller spécial du Secrétaire

général pour la prévention du génocide de l’époque, Francis Deng, ainsi que le conseiller

spécial du Secrétaire général pour la responsabilité de protéger, Edward Luck, ont émis une

472 Charles T. HUNT, « Côte d’Ivoire », dans Alex J. BELLAMY et Tim DUNNE (dir.), The Oxford Handbook of the Responsibility to Protect, préc., note 4, p. 693, aux pages 695-696 473 Pour en savoir davantage sur les causes profondes du conflit, voir: Alex J. BELLAMY et Paul D. WILLIAMS, « The new politics of protection?‒ Côte d’Ivoire, Libya and the responsibility to protect », préc., note 431, 829-830 et Charles T. HUNT, « Côte d’Ivoire », dans Alex J. BELLAMY et Tim DUNNE (dir.), The Oxford Handbook of the Responsibility to Protect, préc., note 4, p. 693, aux pages 694-695 474 Charles T. HUNT, « Côte d’Ivoire », dans Alex J. BELLAMY et Tim DUNNE (dir.), The Oxford Handbook of the Responsibility to Protect, préc., note 4, p. 693, aux pages 695-696 475 Nabil HAJJAMI, La responsabilité de protéger, préc., note 33, p. 387 476 CONSEIL DE SÉCURITÉ DES NATIONS UNIES, Doc. N.U. S/RES/1962 (2010), par. 1, en ligne : <http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/1962%20(2010)> (consulté le 4 mars 2017)

Page 132: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

124

déclaration commune dans laquelle ils se déclarent gravement préoccupés par la possibilité

que soit commis l’un des crimes de masse associé à la responsabilité de protéger dans le

pays477. Ils estiment aussi que « […] des mesures devraient être prises d’urgence, au titre de la

responsabilité de protéger, pour écarter tout risque de génocide et assurer la protection de tous

ceux qui risquent d’être victimes d’atrocités à grande échelle »478. Leur déclaration se conclut

en rappelant à toutes les parties à la crise leur responsabilité de protéger les habitants en Côte

d’Ivoire479.

La détérioration de la situation au cours des mois de février et de mars 2011 conduisit

la France et le Nigéria à proposer une résolution autorisant le recours à la force armée pour

protéger les populations civiles de la Côte d’Ivoire480. Le 30 mars 2011, le Conseil de sécurité

a adopté à l’unanimité la résolution 1975. Cette adoption s’explique, entre autres, par le fait

que les Nations Unies et la France avaient déjà des troupes stationnées dans le pays, prêtes à

mettre en œuvre une résolution du Conseil de sécurité. En effet, l’Opération des Nations Unies

en Côte d’Ivoire (ONUCI) était déployée dans le pays depuis 2004 en vertu de la

résolution 1528 du Conseil de sécurité481 avec comme objectif premier de surveiller

l’application de l’accord de cessez-le-feu de Linas-Marcoussis signé en janvier 2003482. La

France, quant à elle, avait déployé des troupes dans le pays depuis le 22 septembre 2002 dans

477 ORGANISATION DES NATIONS UNIES, « Déclaration sur la situation en Côte d’Ivoire, attribuée aux Conseillers spéciaux du Secrétaire général pour la prévention du génocide et pour la responsabilité de protéger », New York, 19 janvier 2011, en ligne : <http://www.un.org/fr/preventgenocide/adviser/pdf/20110119_CotedIvoire.pdf> (consulté le 15 mars 2017) 478 Id. 479 Id. 480 Nabil HAJJAMI, La responsabilité de protéger, préc., note 33, p. 387 481 CONSEIL DE SÉCURITÉ DES NATIONS UNIES, Doc. N.U. S/RES/1528 (2004), en ligne : <http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/1528%20(2004)> (consulté le 5 mars 2017) 482 Charles T. HUNT, « Côte d’Ivoire », dans Alex J. BELLAMY et Tim DUNNE (dir.), The Oxford Handbook of the Responsibility to Protect, préc., note 4, p. 693, à la page 695

Page 133: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

125

le cadre de l’opération Licorne483. Ces deux forces armées veilleront à la mise en œuvre de la

résolution 1975484, qui contribuera à mettre fin à la crise politico-militaire le 11 avril 2011

avec l’arrestation de Laurent Gbagbo par les forces d’Alassane Ouattara.

Dans le préambule de la résolution 1975, le Conseil condamne « les graves exactions

et autres violations du droit international, notamment le droit international humanitaire, le

droit international des droits de l’homme et le droit international des réfugiés, perpétrées en

Côte d’Ivoire »485 et considère que les attaques qui se perpètrent en Côte d’Ivoire contre la

population civile « […] pourraient constituer des crimes contre l’humanité »486. Le Conseil de

sécurité réaffirme aussi la responsabilité qui incombe au premier chef à chaque État de

protéger les civils487.

Tout comme dans les résolutions 1970 et 1973 à propos de la situation en Libye, la

référence à la responsabilité de protéger dans le préambule de la résolution 1975 (2011)

explique l’objectif de la résolution et montre, sur le plan politique, que le concept a orienté

l’action du Conseil de sécurité. Néanmoins, sur le plan juridique, la résolution du Conseil reste

dans le cadre traditionnel des opérations menées en vertu du chapitre VII. En effet, le Conseil

de sécurité constate que la situation en Côte d’Ivoire constitue une menace pour la paix et la

483 MINISTÈRE DE LA DÉFENSE, « Dossier de presse – Fin de l’opération Licorne », en ligne : <http://www.defense.gouv.fr/operations/operations/autres-operations/operations-achevees/operation-licorne-2002-2015/dossier-de-presentation-de-l-operation-licorne/dossier-de-presentation-de-l-operation-licorne-aux-forces-francaises-en-cote-d-ivoire> (consulté le 1er mars 2017) 484 En vertu du paragraphe 6 de la résolution 1975, l’ONUCI a reçu pour mandat de protéger les civils menacés d’actes de violence physique imminente et d’empêcher l’utilisation d’armes lourdes contre la population civile par tous les moyens nécessaires. Nous pouvons aussi observer au paragraphe 7 de la résolution que le Conseil de sécurité reconnaît le soutien des forces françaises dans les opérations menées par l’ONUCI. 485 CONSEIL DE SÉCURITÉ DES NATIONS UNIES, Doc. N.U. S/RES/1975 (2011), préambule, en ligne : <http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/1975(2011)> (consulté le 4 mars 2017) 486 Id. 487 Id.

Page 134: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

126

sécurité internationales488, conformément à l’article 39 de la Charte des Nations Unies,489 et

prend des mesures pour remédier à la situation en vertu du chapitre VII de la Charte des

Nations Unies490, dont celle de confier à l’ONUCI le mandat de protéger les civils menacés

d’actes de violence physique imminente et d’empêcher l’utilisation d’armes lourdes contre la

population civile par tous les moyens nécessaires491.

En somme, la mise en œuvre de la responsabilité de protéger par le Conseil de sécurité

en Libye et en Côte d’Ivoire montre que le concept est employé sur le plan politique pour

justifier des résolutions dont l’objectif est de protéger des populations civiles. Ainsi, nous

pouvons observer, à l’instar d’auteurs comme Nabil Hajjami492, Alex J. Bellamy493, Paul

Williams494 ou Jeremy Farrall495 que les mentions de la responsabilité de protéger dans les

résolutions 1970, 1973 et 1975 s’inscrivent dans une volonté grandissante du Conseil de

sécurité de déployer des opérations de maintien de la paix dont l’objectif est de protéger les

populations civiles. En effet, cette tendance s’observe depuis le début des années 2000, en

réaction aux échecs du Rwanda et du Kosovo dans les années 1990496. Néanmoins, sur le plan

juridique, les actions coercitives employées par le Conseil de sécurité en Libye et en Côte

d’Ivoire ont été faites dans le cadre déjà bien établi de la Charte des Nations Unies, et non en

488 Id. 489 Charte des Nations Unies (et Statut de la Cour internationale de justice), préc., note 7, art. 39 490 CONSEIL DE SÉCURITÉ DES NATIONS UNIES, Doc. N.U. S/RES/1975 (2011), préc., note 485 491 Id., par. 6 492 Nabil HAJJAMI, La responsabilité de protéger, préc., note 33, p. 355 493 Alex J. BELLAMY, Global Politics and the Responsibility to Protect‒ From words to deeds, préc., note 118, p. 169 à 173 494 Alex J. BELLAMY et Paul D. WILLIAMS, « The new politics of protection?‒ Côte d’Ivoire, Libya and the responsibility to protect », préc., note 431, 828-829 495 Jeremy FARRALL, « The Use of UN Sanction to Address Mass Atrocities », dans Alex J. BELLAMY et Tim DUNNE (dir.), The Oxford Handbook of the Responsibility to Protect, préc., note 4, p. 655, aux pages 664-665 496 Alex J. BELLAMY, Global Politics and the Responsibility to Protect‒ From words to deeds, préc., note 118, p. 170

Page 135: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

127

vertu de la responsabilité de protéger. Tel que l’énonce Aidan Hehir, les pouvoirs dévolus au

Conseil de sécurité par la Charte existaient déjà avant la responsabilité de protéger et les

actions coercitives du Conseil de sécurité en Libye auraient pu avoir lieu sans l’existence de

la responsabilité de protéger497. Cette réflexion vaut aussi pour les actions coercitives

entreprises par le Conseil de sécurité en Côte d’Ivoire. De ce fait, si la responsabilité de

protéger a contribué, sur le plan politique, à orienter l’action du Conseil de sécurité vers une

meilleure prise en considération des populations civiles dans ses opérations, elle n’a pas eu de

répercussions sur le cadre légal d’action du Conseil de sécurité.

En conclusion, l’appropriation par le Conseil de sécurité du concept de la

responsabilité de protéger et sa mise en œuvre subséquente en Libye et en Côte d’Ivoire n’ont

pas entraîné de répercussions sur son fonctionnement institutionnel. Alors qu’à l’origine le

concept avait le potentiel de modifier la pratique du Conseil de sécurité en encadrant

l’utilisation du droit de veto pour ses membres permanents et en limitant la subjectivité des

réactions du Conseil par le biais de critères de légitimité ou par l’automaticité de la

responsabilité de protéger, la consécration du statu quo dans le Document final du Sommet

mondial de 2005 a pour conséquence de laisser la responsabilité de réagir de la communauté

internationale entièrement tributaire de la politique internationale et, plus particulièrement, des

intérêts stratégiques des membres permanents du Conseil de sécurité. Parallèlement,

l’appropriation du concept de la responsabilité de protéger par le Conseil de sécurité et sa mise

en œuvre subséquente dans les situations en Libye et en Côte d’Ivoire montrent que le concept

est utilisé, sur le plan politique, comme un argument à l’appui de l’adoption de résolutions

497 Aidan HEHIR, The Responsibility to Protect‒ Rhetoric, Reality and the Future of Humanitarian Intervention, préc., note 18, p. 13

Page 136: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

128

ayant pour objectif de protéger les populations civiles. Néanmoins, la responsabilité de

protéger n’a pas entraîné de répercussions sur le cadre d’action légal du Conseil de sécurité.

Page 137: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

129

Conclusion

Notre mémoire a permis de constater que, dans les faits, la responsabilité de protéger

n’a pas entraîné de répercussions sur le droit international public en ce qui a trait à la

souveraineté étatique moderne et au fonctionnement institutionnel du Conseil de sécurité.

Pour faire ces constats, nous avons analysé, dans la première partie de ce mémoire,

l’évolution conceptuelle de la responsabilité de protéger. Nous avons vu que la responsabilité

de protéger élaborée en 2001 par la Commission internationale de l’intervention et de la

souveraineté des États est singulièrement différente de celle entérinée par la communauté

internationale lors du Sommet mondial de 2005, puis réaffirmée en 2009 dans le Rapport du

Secrétaire général des Nations Unies (A/63/677), et lors du premier débat thématique de

l’Assemblée générale consacré à la responsabilité de protéger. En effet, la responsabilité de

protéger a émergé en 2001, à un moment où les lois et les institutions régissant l’usage de la

force avaient perdu leur crédibilité et où la communauté internationale était ouverte à une

réforme de ces lois et institutions498. Cette ouverture à une réforme des lois et des institutions

régissant le système des Nations Unies s’observe d’ailleurs dans l’élaboration conceptuelle de

la responsabilité de protéger présentée par la CIISE dans son rapport de 2001, puis dans le

rapport de 2004 du Groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le

498 Id., p. 119 ; À titre de rappel, cette perte de crédibilité des lois et des institutions régissant l’usage de la force fait suite aux controverses suscitées par les interventions armées à des fins humanitaires menées dans les années 1990. Elle est due, entre autres, à l’incapacité du Conseil de sécurité d’agir au Rwanda en 1994, en Bosnie-Herzégovine en 1995 et au Kosovo en 1999. Par ailleurs, l’intervention unilatérale de l’OTAN au Kosovo en 1999, contraire au droit international, a été légalisée de manière rétroactive par le Conseil de sécurité dans sa résolution 1244. Cet état de fait a créé un précédent donnant la possibilité à des États d’occulter de nouveau le système des Nations Unies dans l’espoir d’obtenir ex post facto l’approbation du Conseil, remettant ainsi en question l’ensemble du système de sécurité collective instituée par la Charte des Nations Unies.

Page 138: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

130

changement. Or la responsabilité de protéger entérinée par la communauté internationale lors

du Sommet mondial de 2005 constitue plutôt une réaffirmation des dispositions de la Charte

des Nations Unies et une limitation du cadre de l’intervention au strict registre de la légalité.

La réaffirmation du consensus de 2005 dans le Rapport du Secrétaire général des Nations

Unies (A/63/677) de 2009 et lors du premier débat thématique de l’Assemblée générale

consacré à la responsabilité de protéger a définitivement entériné ce statut quo.

Dans la deuxième partie de ce mémoire, nous avons analysé les répercussions de la

responsabilité de protéger sur la souveraineté étatique moderne. La responsabilité principale

des États de protéger leurs populations s’est traduite par le concept de « souveraineté

responsable » dans l’élaboration de la responsabilité de protéger. Or la souveraineté

responsable n’a pas fait évoluer la souveraineté étatique moderne sur le plan juridique puisque

cette dernière a toujours comporté, sur les plans conceptuel et doctrinal, l’idée que l’État est

responsable d’assurer la sécurité des populations se trouvant sur son territoire. De plus, la

souveraineté responsable n’a pas entraîné de nouvelles obligations de protection à la charge

des États, susceptibles de limiter la souveraineté de ceux-ci. En effet, la responsabilité de

protéger entérinée par la communauté internationale en 2005 limite la responsabilité de l’État

à protéger ses populations contre le génocide, les crimes de guerre, les crimes contre

l’humanité et le nettoyage ethnique, ainsi que contre les incitations à les commettre. Or les

États avaient déjà des obligations de nature conventionnelle et coutumière de protéger les

populations des crimes de masse associés à la souveraineté responsable. En ce qui a trait à la

responsabilité subsidiaire de protection de la communauté internationale, cette dernière n’a pas

entraîné de répercussions sur la souveraineté étatique moderne. En effet, les États ont en

grande majorité écarté l’idée d’un assouplissement en droit international coutumier de

Page 139: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

131

l’interdiction du recours à la force prévu à l’article 2(4) de la Charte dans les discussions ayant

mené au Document final du Sommet mondial de 2005, qui aurait remis en cause l’un des

corollaires de la souveraineté, à savoir le principe de la non-intervention. Qui plus est, le

deuxième pilier de la responsabilité de protéger est essentiellement un engagement politique

de la communauté internationale d’assister les États à s’acquitter de leur responsabilité de

protéger. Les obligations juridiques découlant de ce pilier sont imputables au droit

international conventionnel et coutumier et non à la responsabilité de protéger. Finalement, la

seule intervention militaire susceptible d’être autorisée en vertu de ce pilier, à savoir

l’intervention armée consentie par l’État, ne remet pas en question la souveraineté étatique des

États puisque c’est précisément en vertu de sa souveraineté que l’État en besoin d’assistance

autorise une intervention armée sur son territoire.

Dans la troisième partie de ce mémoire, nous avons analysé les répercussions de la

responsabilité de protéger sur le fonctionnement institutionnel du Conseil de sécurité. Après

avoir exposé le rôle du Conseil de sécurité et le cadre normatif de son action, nous avons

montré comment l’institution s’est progressivement appropriée le concept dans son discours et

sa pratique. Or l’appropriation du concept par le Conseil de sécurité n’a pas entraîné de

répercussions sur le fonctionnement institutionnel de celui-ci. Les positions tenues par les

États lors des négociations de la résolution A/RES/60/1 sur ces questions, tout comme le texte

adopté dans la résolution 1674 et la pratique subséquente du Conseil de sécurité montrent que

la responsabilité de protéger n’a pas entraîné d’obligation juridique de réaction pour le Conseil

lorsque ce dernier est confronté à une situation relevant du concept. De plus, la responsabilité

de protéger n’est pas parvenue à encadrer l’utilisation du droit de veto des membres

permanents du Conseil dans les situations relevant du concept. La mise en œuvre de la

Page 140: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

132

responsabilité de protéger en Libye et en Côte d’Ivoire n’a pas non plus créé de nouvelles

obligations juridiques pour le Conseil. Nous avons vu que la responsabilité de protéger est

utilisée sur le plan politique comme un argument justifiant une résolution autorisant un recours

à la force en vertu du chapitre VII pour protéger les populations civiles. De ce fait, la mise en

œuvre de la responsabilité de protéger n’a pas entraîné de répercussions quant au cadre légal

de l’action du Conseil de sécurité.

La responsabilité de protéger n’est pas dépourvue d’utilité pour autant. Nous avons pu

constater, dans la section 3.3.2. du mémoire, l’influence qu’elle a eue sur le plan politique

pour orienter l’action du Conseil de sécurité vers une meilleure prise en considération des

populations civiles dans ses opérations. Bien que nous ayons limité notre analyse aux

situations où la responsabilité de protéger a été mise en œuvre, il est possible d’observer cette

tendance dans d’autres résolutions portant sur la protection des civils en période de conflit499.

Nous pouvons aussi souligner son intégration dans le discours et la pratique des États et des

institutions internationales qui servira indéniablement, sur les plans politique et diplomatique,

d’argument pour influencer les États à respecter davantage leur obligation de protéger leurs

populations civiles des crimes de masse relevant du concept. À titre d’exemple, nous pouvons

citer la pratique du Conseil des droits de l'homme, un organe intergouvernemental du système

des Nations Unies dont la responsabilité est de renforcer la promotion et la protection des

droits de l'homme autour du globe, en lien avec la responsabilité de protéger500. De plus, la

responsabilité de protéger a mené à la création de nouvelles institutions, comme celle du poste

de Conseiller spécial pour la responsabilité de protéger, chargé de préciser les dimensions 499 À titre d’exemple, voir : Nabil HAJJAMI, La responsabilité de protéger, préc., note 33, p. 350 à 355 500 Pour en apprendre davantage sur le sujet, voir : LYAL S. SUNGA, « The Human Rights Council », dans Gentian ZYBERI (dir.), An Institutional Approach to the Responsibility to Protect, préc., note 127, p. 156 à 178

Page 141: Les répercussions de la responsabilité de protéger sur le ...

133

théoriques, politiques et opérationnelles du concept501 ou celle des R2P Focal Points502, dont

le mandat est de promouvoir le concept sur le plan national en renforçant les capacités des

États et en les sensibilisant à leur mission de protection des populations civiles503. Elle a

également mené à la publication de documents destinés à améliorer la réponse des États dans

les situations où des crimes de masses sont commis ou risquent d’être commis, comme le

Framework of Analysis for Atrocity Crimes504.

Cependant, il convient de garder à l’esprit la raison pour laquelle la CIISE avait

élaboré le concept de la responsabilité de protéger en premier lieu. Le but de la responsabilité

de protéger était de concilier l’intervention à des fins de protection humaine et la souveraineté,

et de faire émerger un consensus politique mondial sur la question afin d’éviter l’inaction ou le

blocage des actions dans le cadre du système international, en particulier par l’entremise des

Nations Unies505. À la lumière de ces analyses, pouvons-nous conclure que la responsabilité

de protéger est parvenue à atteindre ses objectifs? À notre avis, l’évolution conceptuelle de la

responsabilité de protéger attribuable à la communauté internationale lors du Sommet mondial

de 2005 n’a pas mené vers les objectifs visés. Certes, Alex J. Bellamy a raison de dire que ce

sont les changements opérés au concept original qui ont rendu le consensus sur la

501 BUREAU DU CONSEILLER SPÉCIAL POUR LA PRÉVENTION DU GÉNOCIDE, « La responsabilité de protéger », préc., note 249 502 GLOBAL CENTRE FOR THE RESPONSIBILITY TO PROTECT, « Global Network of R2P Focal Points », en ligne: <http://www.globalr2p.org/our_work/global_network_of_r2p_focal_points> (consulté le 30 mars 2017) 503 Nabil HAJJAMI, La responsabilité de protéger, préc., note 33, p. 494 504 BUREAU DU CONSEILLER SPÉCIAL POUR LA PRÉVENTION DU GÉNOCIDE, Framework of Analysis for Atrocity Crimes‒ A tool for prevention, New York, Nations Unies, 2014, en ligne: <https://www.un.org/en/genocideprevention/documents/publications-and-resources/Framework%20of%20Analysis%20for%20Atrocity%20Crimes_EN.pdf> (consulté le 30 mars 2017) 505 COMMISSION INTERNATIONALE DE L’INTERVENTION ET DE LA SOUVERAINETÉ DES ÉTATS, La responsabilité de protéger, préc., note 2, par. 1.7

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responsabilité de protéger possible506. Néanmoins, le consensus de la communauté

internationale quant à la responsabilité de protéger n’est autre, dans le cas de la souveraineté

étatique et du fonctionnement institutionnel du Conseil de sécurité, qu’une réaffirmation du

cadre normatif qui existait avant l’élaboration du concept. En ce sens et tel que l’énonce Aidan

Hehir, chargé d’enseignement au département de sciences politiques et de relations

internationales de l’Université de Westminster, la responsabilité de protéger endosse, depuis

2005, le cadre juridique international qui était pourtant décrié et discrédité durant les années

1990507 et qui avait mené, ironiquement, à la création de la CIISE en 2001. À notre avis, il

n’est donc pas étonnant d’observer que la mise en œuvre de la responsabilité de protéger est

confrontée aux mêmes problèmes que ceux qu’elles visaient à remédier à l’origine, dont le

manque d’imputabilité des États ne protégeant pas leurs populations civiles, la sélectivité des

réactions de la communauté internationale par le biais des Nations Unies et l’absence

d’alternatives coercitives légales pour la communauté internationale advenant une paralysie du

Conseil de sécurité. Cette situation s’observe à l’heure actuelle en Syrie, où Thomas G. Weiss

souligne avec raison que la communauté internationale vit les mêmes problèmes que ceux

auxquels elle avait été confrontée au Kosovo en 1999 et se retrouve incapable d’agir par

l’entremise des Nations Unies508. Tant que la communauté internationale ne procédera pas à

une réforme de son cadre normatif et de ses institutions afin de faire de la protection des

populations civiles une priorité, celles-ci resteront à la merci des crimes de masse et leur

protection continuera de dépendre de considérations d’ordre politique. La responsabilité de

506 Voir la conclusion de la première partie de ce mémoire 507 Aidan HEHIR, The Responsibility to Protect‒ Rhetoric, Reality and the Future of Humanitarian Intervention, préc., note 18, p. 58 508 Thomas G. WEISS, « The Turbulent 1990s : R2P Precedents and Prospects », dans Alex J. BELLAMY et Tim DUNNE (dir.), The Oxford Handbook of the Responsibility to Protect, préc., note 4, p. 56, à la page 67

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protéger, telle qu’elle se présente aujourd’hui, répond-t-elle à l’appel lancé à la communauté

internationale par le Secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, dans son Rapport du

Millénaire509? À notre avis, le concept est malheureusement loin de mettre la communauté

internationale à l’abri des horreurs d’un autre Rwanda ou d’un autre Srebrenica.

509 À titre de rappel: « […] si l’intervention humanitaire constitue effectivement une atteinte inadmissible à la souveraineté, comment devons-nous réagir face à des situations comme celles dont nous avons été témoins au Rwanda ou à Srebrenica et devant des violations flagrantes, massives et systématiques des droits de l’homme, qui vont à l’encontre de tous les principes sur lesquels est fondée notre condition d’êtres humains? »

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