Les représentations sociales de la maladie mentale...

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i Centre collaborateur de l’OMS CYCLE DE MASTERE EN ADMINISTRATION SANITAIRE ET SANTE PUBLIQUE FILIERE : Gestion des programmes sanitaires. PROMOTION (2010-2012) Mémoire de fin d’études ELABORE PAR : Dr BOURAM Omar. Juillet 2012 Royaume du Maroc Ministère de la Santé Institut National d’Administration Sanitaire مملكة ال المغربية الصحة وزارة المعهد الوطني الصحيةدارة لLes représentations sociales de la maladie mentale chez les gestionnaires de la santé mentale INAS, Rue Lamfadel Cherkaoui, Madinat Al Irfane, Rabat Tél. : (212) 05.37.68.31.62 - Fax (212) 05.37.68.31.61 - BP : 6329 - Rabat - Email : [email protected] - Site Web : www.sante.gov.ma/departement/inas/index.asp ENCADRE PAR : Pr FILALI Hind.

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Centre collaborateur de l’OMS

CYCLE DE MASTERE EN ADMINISTRATION SANITAIRE ET SANTE PUBLIQUE

FILIERE : Gestion des programmes sanitaires.

PROMOTION (2010-2012)

Mémoire de fin d’études

ELABORE PAR :

Dr BOURAM Omar.

Juillet 2012

Royaume du Maroc Ministère de la Santé

Institut National d’Administration Sanitaire

المغربيةالمملكة وزارة الصحة

المعهد الوطني لإلدارة الصحية

Les représentations sociales de la

maladie mentale chez les

gestionnaires de la santé

mentale

INAS, Rue Lamfadel Cherkaoui, Madinat Al Irfane, Rabat Tél. : (212) 05.37.68.31.62 - Fax (212) 05.37.68.31.61 - BP : 6329 - Rabat -

Email : [email protected] - Site Web : www.sante.gov.ma/departement/inas/index.asp

ENCADRE PAR :

Pr FILALI Hind.

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Remerciements

Je tiens à remercier sincèrement :

- Mme le professeur Hind FILALI de l’institut national de l’administration sanitaire à

Rabat, pour son encadrement, son accompagnement et son soutien;

- Tous les gestionnaires de la santé mentale à Rabat, ayant voulu répondre

favorablement à cette étude ;

- Ma mère, Mon épouse Kenza et mes enfants ADNANAE et CHJAHID pour leur

soutien moral.

- Tous ceux qui ont participé à ce travail.

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Résumé.

Notre étude avait pour objectif d’explorer et de comprendre les représentations

sociales de la maladie mentale chez les gestionnaires de la santé mentale. Cette étude

qualitative visait à identifier, à travers une étude de cas, le paradigme dominant la pensée et

les actions des gestionnaires de la santé mentale. Cette étude portait sur un groupe constitué

de 12 gestionnaires impliqués soit directement, soit indirectement dans le processus

décisionnel relatif à la gestion de la santé mentale. Elle avait lieu au site de RABAT, lieu ou

on pouvait trouver les deux niveaux de prise de décision.

Nous avons fait appel à la théorie des représentations sociales. Ainsi, les attitudes,

opinions et croyances, étaient les dimensions du concept de « représentation sociale » que

nous avons étudié pour dégager le paradigme de pensée et l’idéologie dominante du groupe

étudié.

Nous avons sélectionné les gestionnaires selon le critère du niveau d’intervention,

Ainsi, le groupe était subdivisé en deux sous-groupes : i) le premier comprenait 6

gestionnaires intervenants au niveau stratégique, soit directement : Service central de la

santé mentale à la direction de l’épidémiologie et de la lutte contre les maladies ; soit

indirectement : la direction des hôpitaux et des soins ambulatoires ( DHSA), la direction de la

planification et des ressources financières (DPRF), la direction de la population (DP) . Le

second comprenait aussi 6 gestionnaires intervenants au niveau opérationnel dont 3 sont des

psychiatres qui assurent la fonction de gestion du programme de santé mental à coté de leur

fonction thérapeutique.

Nous avons constaté que les représentations sociales des gestionnaires étaient

structurées autours i) d’une bipolarité du modèle de la maladie mentale : un pole

« biomédical » et un pole « biopsychosocial ». Le premier modèle domine la pensée et les

actions des gestionnaires du niveau opérationnel, le second modèle domine la pensée des

gestionnaires du niveau stratégique en particulier pour la santé des jeunes ; ii) d’un consensus

sur le thème de la stigmatisation et de la discrimination « structurelle ». Celle-ci serait

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présente au niveau de tous les systèmes qui interviennent au sujet du « malade mental » :

système de santé, système pénal, système familial et système sociétal.

Par ailleurs, les représentations sociales de la maladie mentale révèlent que l’idéologie

dominante du groupe étudié considère que la maladie mentale est : « une maladie comme les

autres », celle-ci peut être soignée dans le cadre d’un système psychiatrique selon une

approche curative chez une personne qui peut cependant constituer un danger pour les autres.

Cette Idéologie a été déjà au cœur du texte de loi relatif à la santé mentale et qui remonte à

1959.

Mots clés : représentations sociales - maladie mentale - santé mentale - Folie.

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Abstract

The aim of our study is to explore and understand the social representation of the mental

illnesses among managers of the Mental Health. This qualitative study aims to identify, via a

study of a case, the paradigm dominating the thinking and the actions of the managers of

mental health

This study involved a group of 12 managers implied either directly or indirectly in the

decision process of Mental Health. It took place at the site of Rabat where we can find the

levels decision making.

We have used the theory of social representations. Also the attitudes, opinions, and beliefs

were the dimensions of the concept of "social representation" that we have studied to identify

the dominant ideology of the group studied.

We selected the managers according to the criterion level of intervention. so the group was

subdivided to two subgroups: i) the first consisted of 6 managers at the strategic level, either

directly ( Mental Health Intervening Service of the administration of Epidemiology and The

Fight against diseases) or indirectly : the Management of Hospitals and Ambulatory Care

(MHAC), the Management Planning and Financial Resources (MPFR) the Direction of the

Population (DP) .the second consisted of 6 managers intervening in the operational level in

which three psychiatrists who carry out the function of the Mental Health Program alongside

their therapeutic function

We held that the social representation of managers was structured around: i) of a bipolar

model of mental illness.A pole "biomedical» and a pole "bio-psychosocial”. The first model

dominates the thinking and actions of managers of the operational level, the second model

dominate the thinking strategic-level managers especially for young people’s health. ii) Of a

consensus on the issue of stigma and discrimination "structural". This would be present at all

the systems involved about the “mentally ill” health care, criminal justice system, family

system and social system.

Moreover, the social representations of mental illness reveal that the dominant ideology of the

study group believes that mental illness is as other illnesses that can be treated as part of a

psychiatric system as a curative approach in which a person may however be a danger to

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others. This ideology was already at the heart of the legislation relating to mental health and

dating back to 1959

Keywords: social representations - mental illness - mental health - Madness.

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INTRODUCTION

La notion de la santé, occupe une place centrale autant qu’ambigüe dans le champ de

la médecine, comme dans l’ensemble de la formation sociale. Selon C.HERZLICH, le rapport

entre santé et maladie, entre normal et pathologique, est « socialement modulé et constitue un

moyen d’accès au système global des interprétations, des croyances et des valeurs d’une

société » [1]

En fait, la santé et la maladie sont des concepts dynamiques qui se transforment au fur

et à mesure des changements qui affectent les structures sociales et les mentalités. Ainsi, tout

groupe socioculturel a sa manière spécifique d’appréhender et d’expliquer les notions de santé

et de maladie qui dépend étroitement de sa représentation du monde, de son système de

croyances et de valeurs, de son rapport à l’environnement, de son univers relationnel [1].

Selon l’organisation mondiale de la santé (OMS), la santé est « un état de complet

bien- être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de la

maladie ou de l’infirmité ». Ainsi, la santé mentale se trouve indissociable de la santé globale.

Elle est définie comme « un état de bien-être dans lequel la personne peut se réaliser,

surmonter les tentions normales de la vie, accomplir un travail productif et fructueux et

contribuer à la vie de sa communauté » [2]

Dans le monde, le problème des troubles mentaux demeure un problème sérieux de

santé publique, ces troubles affectent une personne sur quatre, à un moment donné de leur

vie ; soit : 450 Millions de personnes, de tous âges et de tous horizons sont touchées (2001).

La maladie mentale, reste un problème de santé grave et couteux au niveau mondial. [2].

Chaque année, en effet, les troubles neuropsychiatriques sont responsables de 1,2

Million de décès ; dont 40 000 décès sont attribués aux troubles mentaux. Ces troubles

mentaux sont, par ailleurs, associés à des couts directs élevés, mais aussi et surtout à des couts

indirects et sociaux très lourds, en rapport avec les complications comme : le suicide, la

clochardisation, la violence, la désinsertion sociale [3].

En effet, les personnes atteintes de troubles mentaux constituent, un groupe vulnérable

de la société ; elles sont confrontées à la stigmatisation, à la discrimination et à la

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marginalisation dans toutes les sociétés. Cette situation accroît les couts sociaux et les risques

de violation de leurs droits humains [2].

Les réactions associées à la maladie mentale, quelles soient d’ostracisme, de

stigmatisation, de répression et de discrimination, ou encore, de compassion, de solidarité,

d’assistance et de soutien ; sont des réponses sociales liées essentiellement au phénomène de

représentations sociales. [4]

La représentation est le produit et « le processus d’une activité mentale par laquelle un

individu ou un groupe reconstitue le réel auquel il est confronté et lui attribue une

signification spécifique » [5]. C’est un « ensemble organisé d’opinion, d’attitudes, de

croyances et d’informations se référant à un objet ou une situation ». Les représentations

sociales constituent un phénomène universel puisque, toutes les interactions humaines entre

les individus ou les groupes présupposent des représentations sociales, [6]. Elles remplissent à

la fois une fonction de savoir, une fonction identitaire, et une fonction d’orientation, c’est dire

leur importance dans la compréhension de l’ensemble des phénomènes sociaux y compris la

maladie mentale [6].

Ces représentations sont déterminées à la fois par le sujet lui-même (son histoire, son

vécu) et par le système social et idéologique dans lequel il est inséré [5]. Ainsi, les

interprétations qui sont fournies pour comprendre la maladie mentale, les méthodes de sa

prise en charge et de sa gestion, les stratégies d’intervention proposées, se réfèrent à ce

système symbolique et doivent être analysées dans le cadre de ce système [5].

Par ailleurs, les préjugés, les stéréotypes et les croyances associés à la maladie

mentale handicapent, encore de nos jours, la prise en charge et la réinsertion sociale de ces

malades, malgré l’évolution des mentalités [7].

Tous ces éléments devraient encourager la recherche pour étudier ce phénomène de

représentations sociales de la maladie mentale. Cependant, peu d’études sont menées dans ce

sens. Au Maroc, aucune étude n’a été menée, jusqu’à présent, pour étudier ce phénomène

chez les gestionnaires de la santé mentale, d’où l’intérêt d’aborder cette thématique dans le

contexte Marocain.

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En effet, dans le contexte Marocain, l’évaluation des systèmes et politique en santé

mentale, selon l’OMS, démontre que l’offre de soins et des services ne répond pas aux

besoins de la population [8]. L’enquête nationale en santé mentale, réalisée en 2004 sur la

population générale, retrouve que la prévalence des troubles psychotiques en vie entière est de

5,6 %, ces troubles sont générateurs d’handicap mental. Parmi ces troubles, le plus commun,

est la schizophrénie, pathologie lourde et invalidante qui touche, selon l’OMS, 0,5 % à 1 % de

la population âgée de plus de 18 ans [8]. Aussi, la stigmatisation et la discrimination font

que beaucoup de personnes qui souffrent de troubles mentaux (PSTM) sont exclues par leurs

familles, par le système de santé, par le milieu du travail et par la société.

Par ailleurs, si les représentations sociales de la maladie mentale peuvent orienter les

initiatives, les actions et les réactions dans le domaine de la santé mentale, celles-ci sont de

nature à engendrer des conséquences en termes de conception des structures de soins, des

types d’interventions et des approches thérapeutiques, des ressources allouées, des logiques

d’utilisation de ces ressources, etc. Bref, c’est toute la gestion de la santé mentale qui peut se

trouver influencée par les représentations sociales de maladie mentale.

Le choix de la théorie des représentations sociales est justifié par le fait que la maladie

est un phénomène social et culturel, une forme de la réalité sociale [9]. Ainsi, dans le

diagnostic de la maladie, le phénomène physique est modelé socialement, il affecte l’identité

et détermine la position de l’individu dans la société. En conséquence, pour étudier la

maladie, il faut utiliser une perspective théorique appropriée. Partant ; la théorie de

représentation sociale permet d’étudier comment les individus donnent un sens à la maladie et

par conséquent comment ils en font face [10].

Aborder cette thématique de représentations sociales de la maladie mentale, chez les

gestionnaires de la santé mentale est, sans doute, un élément qui va avoir un apport

important. Cet apport concerne la compréhension et l’identification du paradigme, qui

constitue un référentiel pour les gestionnaires de santé mentale dans leur processus

décisionnel, en termes de planification, d’organisation, de coordination et de direction des

activités de santé mentale. Cette connaissance est, à notre avis, fondamentale pour

comprendre les difficultés de la gestion de la santé mentale.

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Notre objectif principal, c’est d’explorer les représentations sociales de la maladie

mentale chez les gestionnaires de la santé mentale. Notre étude qualitative se propose à

travers une étude de cas, d’aborder ce phénomène, il s’agit de décrire ces représentations

sociales chez les gestionnaires qui interviennent, directement ou indirectement, dans la santé

mentale au niveau stratégique et opérationnel. A travers ces représentations sociales, nous

pensons trouver les traces du paradigme de pensée et d’action des gestionnaires intéressés.

Méthodes

Rappelons que l’objectif de la recherche était de pouvoir mieux comprendre et

d’identifier les logiques constructives des représentations sociales des gestionnaires de santé

mentale vis-à-vis de la maladie mentale et des personnes présentant des troubles mentaux. Et

d’énoncer des propositions de modèles pour améliorer la prise en charge médicosociale des

patients souffrants de maladie mentale.

Vue la complexité à la fois du phénomène à étudier (les représentations sociales) et du

concept de santé mentale pris comme objet de l’étude de représentations sociales, nous avons

opté pour une étude qualitative. Le design proposé est l’étude de cas, puisqu’il s’agit d’un

phénomène peu investigué, en particulier dans notre contexte Marocain.

En effet, au niveau de la littérature relative à l’étude des représentations sociales, nous

n’avons trouvé aucune étude qui aborde ce phénomène chez les gestionnaires de la santé

mentale ; d’où le design proposé.

Nous avons choisi le site de Rabat pour effectuer notre étude, parce qu’à ce niveau, on

trouve les gestionnaires du niveau stratégique, à coté des gestionnaires du niveau

opérationnel répondant aux critères d’inclusion choisis.

Notre échantillon a été composé de gestionnaires qui interviennent directement ou

indirectement dans le processus décisionnel relatif à la planification et à l’organisation des

soins et des services en santé mentale. Pour les premiers, il s’agit des gestionnaires relevant

du service central de la santé mentale au niveau de la direction de l’épidémiologie et de la

lutte contre les maladies (DELM). Pour les seconds, ce sont : i) les gestionnaires des autres

structures centrales qui sont en interdépendance avec le service de la maladie mentale et qui

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sont : la direction de la population (DP) ; la direction des hôpitaux et des soins ambulatoire

(DHSA) ; et la direction de la planification et des ressources financières (DPRF).

ii) les responsables du programme de la santé mentale au niveau opérationnel, c'est-à-

dire au niveau de la direction régionale de la santé, de la délégation médicale, et des centres

de santé et de l’hôpital psychiatrique relevant du CHU de Rabat. Les psychiatres

responsables du programme de santé mentale au niveau des centres de santé ont été inclus.

L’inclusion de ces derniers a été justifiée par le fait que les psychiatres assurent en plus de

leur fonction thérapeutique, une fonction de gestion du programme à leur niveau

(opérationnel). L’échantillon a été formé sur la base d’un choix raisonné et s’est limité selon

le principe de saturation au nombre de 12 individus qui ont été repartis selon leur niveau

d’intervention en deux sous-groupes (tableau 1).

Tableau 1 : représentation de l’échantillon de l’étude

Nous avons prévu comme instrument pour la collecte des données, les entretiens semi-

dirigés qui ont été conduits auprès de ces gestionnaires au niveau de leur lieu de travail.

Ce choix est justifié par le fait que la communication est au cœur du processus de formation

des représentations sociales, l’entretien constitue donc, un outil pertinent pour récupérer sa

dynamique. Cependant, pour rendre le matériel recueilli par cette méthode lisible,

Sous groupe I

Niveau stratégique

Nombre des

interviewés

Sous groupe II

Niveau opérationnel

(Rabat)

Nombre des

interviewés

DELM

DP

DHSA

DPRF

2

1

2

1

Direction régionale

délégation

centre de santé

Hôpital ERRAZI

1

2

2

1

Total 6 Total 6

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compréhensible et capable de nous apporter des informations sur la dynamique d’une

représentation sociale, nous avons fait appel à l’analyse de contenu [11].

En effet, l’apparition de la théorie des représentations sociales est liée historiquement à

l’analyse de contenu. Rappelant que cette méthode a été un outil important pour Serge

Moscovici qui s’en est servie pour étudier la représentation sociale de la psychanalyse [9].

Cette relation n’est pas arbitraire : D’une part, l’objet de l’analyse de contenu est la

communication, qui est le processus fondamental de la formation de la représentation sociale,

selon Moscovici [12].

D’autre part, les représentations sociales « fournissent le matériel pour alimenter la

communication sociale. L’analyse de contenu par son objet est alors un outil qui doit prendre

en considération les dynamiques des représentations » [13].

Par ailleurs, si les résultats de cette étude exploratoire ne peuvent être généralisés, ils peuvent

indiquer la tendance générale des représentations sociales des gestionnaires de santé mentale

du niveau stratégique qui seront toujours les mêmes quelque soit le site choisi pour l’étude.

Alors que pour les gestionnaires du niveau opérationnel, on peut parler d’un contexte

particulier propre au site.

Aussi, le biais de la désidérabilité sociale n’est pas à exclure vue le caractère moral et

déontologique lié au thème de la discrimination et de la stigmatisation qui a été soulevé par

l’étude.

Cette méthode présente aussi d’autres limites dans la mesure où l’idée d’une approche

pluri-méthodologique pour l’étude d’une représentation sociale est souvent évoquée. En effet,

« l’intérêt et la nécessité de cette approche pluri-méthodologique sont constamment discuté et

développé dans le domaine des représentations sociales » [14].

L’analyse de contenu des entretiens réalisés nous ont conduits à repérer les idées

significatives et leur catégorisation. Ce qui a permis de dégager une reformulation des

résultats selon une forme plus condensée et formelle. Ainsi, les résultats ont été résumés en

quatre axes.

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Résultats

Les représentations sociales des gestionnaires interviewés ont été structurées autour de

quatre thèmes : le fondement juridique de la santé mentale, le système de soins, le réseau

relationnel des malades et les comportements violents associés à la maladie mentale.

I- Arrière plan juridique de la santé mentale

Dans les représentations sociales des gestionnaires, le thème lié au dahir de 1959

relatif à la santé mentale était central, il s’agit du Dahir N° 1-58-295 du 30 avril 1959 ;

(BO : N° 2429 du 15-5-59) relatif à la prévention et au traitement des maladies mentales

et à la protection des malades mentaux, il constitue la base juridique de la santé mentale

au Maroc. Cette loi trouve ses origines dans le droit public, administratif, civil, et pénal,

mais aussi dans le droit musulman. Elle s’est inspirée dans une large mesure de la

législation française [15].

Le texte de loi sus-référencé s’articule en 8 titres et comprend 38 Articles. Il définit un

service central de santé mentale du ministère de la santé, les établissements publics et

privés de cure, de réadaptation et d’assistance, et la commission de la santé mentale au

ministère de la santé. Cette loi fixe aussi les modalités d’hospitalisation et de mise en

observation des « malades mentaux ». Elle prévoit des mesures pour la protection

juridique de ces malades et précise aussi, les modalités de la surveillance psychiatrique

externe ainsi que, les procédures à suivre lorsqu’un danger est détecté pour le « malade

mental », pour ses proches ou pour l’0rdre public.

L’analyse de cette loi montre que : i) c’est une loi qui reflète l’influence de l’école

législative Française ; ii) le médecin spécialiste, le psychiatre, est le personnage clé des

professions de la santé mentale et ce ; à tous les niveaux, comme soignant, comme

enseignant, comme expert près des tribunaux [15].

Ainsi, on peut présumer de l’importance du psychiatre sur l’inflexion possible de la

politique de la santé mentale, du rôle social qui lui est dévolu implicitement par la loi et de

l’importance de l’approche médicale et psychiatrique pour intervenir sur les maladies

mentales.

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Vis-à-vis de cette loi et de la juridiction relative aux « malades mentaux », les

interviewés s’entendent pour exprimer des réserves, celles-ci sont relatives à :

- la lenteur des procédures pour se prononcer sur la responsabilité d’un « malade mental »

déclarés coupable d’actes violents par le tribunal ;

- le pouvoir discrétionnaire laissé aux avocats pour demander l’expertise médicale, et aux

juges pour accepter ou refuser cette demande.

- la centralisation de la commission médicale à Rabat ; ce qui est préjudiciable aux malades

et à leur familles ;

- le principe de présomption de responsabilité d’un « malade mental » ;

- L’ignorance par la loi de certaines catégories vulnérables de « malades mentaux »

comme les enfants et les personnes âgées.

- L’application de la loi axée sur la fonction sociale de l’hôpital psychiatrique, c'est-à-dire

sur la protection de l’ordre public en isolant le malade.

Sur la base de ces éléments, les gestionnaires interviewés évoquent les préjudices

provoqués par le système pénal (appareil de police et les juridictions) lorsque le malade

est accusé de troubler l’ordre public, ou de commettre un crime ou un délit. Ces

préjudices sont le résultat soit de la lenteur des procédures ne tenant pas compte de la

particularité de l’auteur de l’acte incriminé, soit des abus de pouvoirs visant à interner

les malades.

Ces comportements exposent les « malades mentaux » à des traitements qui vont à

l’encontre des droits de l’homme au niveau de l’appareil policier et des tribunaux, et leur

font perdre l’occasion d’accéder aux soins, ce qui expose à la chronicisation des troubles,

à l’aggravation de la dévalorisation et à l’exclusion sociale.

Dans ce sens, un gestionnaire déclare :

« Les avocats n’ont pas le reflexe de demander une expertise médicale, et même s’elle est

demandée, le juge a le droit de l’accepter ou de la refuser…..et parfois, le malade peut

être jugé pour des futilités,…j’ai assisté à un malade qui a été condamné à quatre mois

de prison pour avoir volé des vêtements de rien du tout….. » ;

En insistant sur les abus de pouvoir , un autre gestionnaire précise :

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« Le fait de perturber l’ordre public, la police profite de ça pour laisser le

malade à l’hôpital surtout pendant les fêtes nationales, le médecin ne doit accepter

que les malades qui nécessitent vraiment l’hospitalisation,…. l’autre cas, lorsque le

malade est jugé coupable de crime, la commission va se réunir pour déclarer si le

malade est responsable ou non,….. Mais, la procédure est longue,….. 3 à 4 mois entre

le jugement et l’expertise….nous on est contre ça, le dossier de la commission est

lourd, la procédure ça dure et parfois on aurait préféré que le malade ait pu purger

sa peine de prison (sourire), ça serait mieux pour lui………..c’est vrai que le dahir a

institué la commission (de la santé mentale), c’est une bonne chose, mais… il serait

mieux de décentraliser cette commission pour le bien des malades et des familles… »

Par ailleurs, la loi sus-référencée laisse supposer que le système de prise en charge de

la maladie mentale fonctionne selon les spécificités suivantes :

- Le but officiel du système : c’est le traitement curatif de la maladie mentale, la

protection du malade de ses proches et surtout de la société (prévention de l’ordre

public);

- Le modèle d’intervention est plutôt curatif ou stabilisant avec un traitement

psychiatrique (psychiatrie biologique) ;

- La représentation de la situation est caractérisée par la confiance dans les experts qui

sont les psychiatres ;

- L’Idéologie dominante : La maladie mentale est une maladie comme les autres » elle

peut être soignée chez un malade qui reste cependant dangereux.

- Le système mis en place est un système « psychiatrique ».

En fait, la plus part de ces éléments caractéristiques sont partagés par les

gestionnaires en particulier pour : l’idéologie, le modèle d’intervention et la

représentation. Toutefois, d’autres représentations du modèle de prise en charge de la

maladie mentale ont été identifiées. Mais, il faut signaler que la santé mentale comme

un « droit humain » n’a été évoquée que par un interviewé.

Actuellement, les orientations de l’OMS incitent les Etats à légiférer en faveur

des personnes affectées par les troubles mentaux pour préserver leurs droits politiques,

économiques et sociaux dont le droit à la santé , le droit à la liberté et à l’égalité .

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Dans ce sens, les pouvoirs publics au Maroc préparent un projet de réforme de

la loi relative à la santé mentale, les gestionnaires du niveau stratégique ont été

sollicités pour formuler des avis et des suggestions sur cette question. Mais,

malheureusement, nous n’avons pas pu avoir le draft de ce projet de réforme. Aussi,

depuis 2011, le droit d’accès aux soins a acquis au Maroc une valeur constitutionnelle.

Sous l’empire de la loi actuelle, la santé mentale accorde à l’approche médicale

et psychiatrique une place importante dans le système de soins. Dans ce sens, les

représentations sociales des gestionnaires sont centralisées sur le thème de la

psychiatrique « biologique » au niveau hospitalier et ambulatoire.

II- Le système de soins

Le système de l’offre de soins est organisé en deux réseaux : le réseau de soins

de santé de base et le réseau hospitalier, ces deux réseaux sont supposés être

complémentaires. Cependant, le discours des interviewés était focalisé sur les

interventions hospitalières, avec deux système : un système « asilaire » hérité du

passé colonial représenté par les anciens hôpitaux psychiatriques ; un système plus

humaniste représenté par des petites unités de psychiatries intégrées au niveau des

hôpitaux généraux. Toutefois, des éléments relatifs à un « virage ambulatoire » sont

aussi évoqués, mais souvent avec une charge effective négative. Ainsi, un

gestionnaire précise :

« …. Nous sommes contre le « truc » asilaire ; on est plutôt pour des petites unités de

30 à 40 lits dans l’hôpital général. Ça permet au patient de profiter du plateau

technique….on a aussi insiste pour avoir des unités spécialisées pour centaines

populations comme les personnes âgées, les enfants, les usagers de drogues ….. Pour

le RSSB, on a formé des professionnels, on les a sensibilisé, mais… pour les résultats

que nous avons jusqu’à maintenant, il parait qu’ils ne sont pas vraiment encourageant

…… à ce niveau, les médecins généralistes ne prescrivent pas les médicaments

(psychotropes) ce sont les spécialistes qui prescrivent……… mais on oublie souvent

les malades prisonniers, ils doivent bénéficier de leur soins, c’est le minimum….. »

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Ainsi, en terme de prise en charge de la maladie mentale, les discours des

gestionnaires sont plutôt structurés autour de :

- L’approche « humaniste » anti-asilaire de prise en charge.

- L’approche médicale et psychiatrique qui favorise une intervention pharmaco-

psychiatrique selon un modèle curatif basé essentiellement sur l’utilisation des

psychotropes ;

- L’intégration des soins au niveau des structures de soins primaires pour une plus grande

proximité;

- La spécificité de la prise en charge des certaines personnes vulnérables (personnes âgées,

les enfants, SDF, prisonniers …) ;

Nous avons pu noter aussi une tendance (chez les gestionnaires du niveau stratégique)

en faveur d’une approche plus globale de la maladie mentale qui tient compte des

dimensions biologique, psychologique et sociale de la personne malade, cette approche

favorise une intervention multidisciplinaire. Ceci a été plus évident au niveau de la

« santé des jeunes ».

Pour les autres domaines, l’approche globale a été mise en valeur plus pour expliquer

la maladie mentale que comme modèle d’intervention thérapeutique. Ainsi, les

interviewés ont fait référence à toutes les théories explicatives et aux différents

déterminants de la maladie mentale liés à l’individu (génétique, biologique) et à son

environnement (économique, socioculturel..).

La valorisation de l’intervention psychiatrique (psychiatrie biologique) pour les

troubles dépressifs et les troubles psychotiques graves (schizophrénie, psychose

maniaco-dépressive) a fait presque l’unanimité des gestionnaires.

Par ailleurs, les discours relèvent que le « virage ambulatoire » est confronté à des

résistances au niveau opérationnel, particulièrement de la part des médecins généralistes

qui ne s’impliquent pas beaucoup dans cette stratégie. Alors que le ministère de la santé

Marocain a adopté le choix de « la décentralisation géographique et institutionnelle de

l’assistance psychiatrique, Ce choix rejoint, la tendance actuelle à travers le monde qui

favorise pour le traitement et la réadaptation des malades mentaux des formules

ambulatoires.» [18].

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Concernant les acteurs du système de soins, c’était surtout le psychiatre comme

médecin « spécialiste de la maladie mentale » qui a été évoqué, il a été perçu comme

l’acteur principal de l’intervention thérapeutique à coté de la famille. Toutefois, d’autres

acteurs ont été évoqués comme les psychologues, les assistants sociaux. Par contre, les

infirmiers spécialisés et les psychanalystes sont rarement évoqués.

La famille a été perçue par tous les interviewés comme un acteur incontournable

dans la prise en charge du malade et dans le projet thérapeutique. Néanmoins, le rôle de

la famille a été limité à l’assistance du malade conformément aux instructions médicales.

En effet, la famille a été évoquée plus dans le cadre d’une relation de « contrôle

thérapeutique » du malade pour assurer l’observance du traitement et pour éviter les

récidives chez les personnes présentant des troubles psychotiques.

Un interviewé a exprimé cette tendance en ces termes :

« Je crois que le rôle de la famille est très important,…....la famille doit participer au

projet thérapeutique, c’est pour constater les signes évocateurs de récidive ou de

décompensation de son état, par exemple l’agitation, l’isolement, l’insomnie…c’est aussi

pour l’observance du traitement… il est impossible d’envisager un projet thérapeutique

réussi sans l’implication de la famille… »

Paradoxalement, la famille a été aussi souvent évoquée en tant que source et facteur

de troubles mentaux. En effet, parmi les facteurs externes évoqués pour expliquer la

maladie, les problèmes familiaux ont été cités comme facteurs déclenchant ou aggravant

des troubles mentaux.

Ainsi, le psychiatre et la famille ont occupé une place centrale dans la représentation

de la maladie chez les gestionnaires comme acteurs dans la prise en charge de la maladie

mentale dans le cadre d’un système psychiatrique. Pour ce dernier, les gestionnaires du

niveau stratégique sont plutôt en faveur de petites unités intégrées au niveau des hôpitaux

généraux et de l’intégration des soins au niveau du RSSB dans un souci de proximité.

Pour les gestionnaires du niveau opérationnel, il est difficile de parler d’une tendance

générale.

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En revanche, quand il s’agit des conséquences sociales des troubles mentaux, il

y’a un consensus entre les gestionnaires sur ce thème puisque les représentations sont

centralisées sur le thème de la pauvreté des relations sociales des malades.

III Le réseau des relations sociales

Pour tous les gestionnaires, la maladie mentale est responsable d’une certaine

forme de mise en marge sociale du malade. Ainsi, différentes expressions traduisant

cette situation ont été évoquées : la rupture des liens avec les autres, la

marginalisation, la désaffiliation, la désinsertion socioprofessionnelle, la

disqualification, la rupture des liens relationnels, l’abandon familial, la désinsertion

sociale, l’exclusion sociale, …

Pour les gestionnaires, cette marginalisation est attachée à la perte du statut de

la personne malade exprimée en des termes comme : la chute sociale, la dégringolade

sociale, la dévalorisation de statut, la dégradation statutaire,…

Toutefois, deux formes de marginalisation ont été souvent évoquées par les deux sous

groupes :

i) la désinsertion professionnelle avec ces conséquences : perte de statut

professionnel, pauvreté économique, dévalorisation sociale,… cette forme de

désinsertion a occupé un espace important dans le discours des interviewés qui se sont

référés à des exemples concrets ayant été vécus par des collègues ou des amis. Cette

situation a été évoquée et décrite parfois, avec une forte charge émotionnelle négative.

ii) l’ « itinérance-errance » comme forme extrême de l’exclusion sociale était une

thématique qui a été évoquée en accordant aux malades différentes appellations :

clochard, errant, SDF, vagabond, HBIL, …….. A ce niveau, des connexions ont été

souvent faites avec d’autres thèmes comme : 1) la souffrance psychique et la

dévalorisation sociale ; 2) l’extrême pauvreté, l’incurie et la mendicité ; 3) les

problèmes de la santé somatique ; 4) les habitudes toxique et addictifs liés à la

consommation de la cigarette, de l’alcool et des différentes drogues ; 5) les délires et

l’isolement ; 6) les violences morale et physiques ( dont peut être victime le malade).

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Certains interviewés ont schématisé cette situation de l’exclusion sociale en

parlant de cercle vicieux. En gros, pour ces gestionnaires, la situation se présente

comme suit :

La marginalisation conduit à la dévalorisation sociale, à l’isolement et à la

souffrance psychique. Ce qui encourage la consommation de l’alcool et ou des

drogues pour apaiser l’angoisse et la souffrance, ces comportements peuvent conduire

à des violences. Par ailleurs, cette consommation peut évoluer vers la dépendance qui

va aggraver les symptômes de la maladie voire déclenché d’autres troubles et

augmenter le risque des comportements violents Cette Co-morbidité peut amplifie la

dévalorisation, la perte de l’estime de soi, la souffrance psychique ; la tendance

agressive, d’où un cercle vicieux.

Pour d’autres interviewés, l’itinérance-errance comme forme extrême de

l’exclusion sociale est synonyme de la fin de la vie sociale et du « décès prématuré ».

Un interviewé a résumé cette situation en déclarant :

« ...arrivé à ce stade, le malade vit à la marge de la société, il bascule de l’autre

coté du monde….c’est un être vivant qui pour survivre doit voler ou faire de la

mendicité, ……mais en tout cas , il n’est plus considéré comme un être humain,

c’est plutôt un décor, ……et si jamais il tombe dans la drogues ou l’alcool , s’il

en a les moyens (rire ironique), c’est la fin pour lui… parce que tous les risques

du décès prématuré sont là !.... ».

Ainsi, les représentations des gestionnaires se sont polarisées sur les interdépendances

entre la maladie mentale et les comportements à risque dont l’usage des drogues, les

comportements addictifs ; mais aussi les comportements violents et asociaux.

IV - Les Comportements violents et asociaux

Dans les représentations sociales des gestionnaires, la maladie mentale a été

souvent associée aux comportements violents et asociaux. En effet, le thème des

comportements violents était central et occupait un espace important dans les discours

des interviewés.

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Toutefois, la violence a été souvent liée aux troubles psychotiques graves. Dans ce

sens, différentes formes de violence ont été évoquées par les interviewés. Mais

paradoxalement, certains interviewés avancent des chiffres statistiques qui vont à

l’encontre de leurs perceptions.

Cependant, cette liaison maladie mentale - comportements violents revenait

souvent quand il s’agissait de la schizophrénie en particulier en phase de

décompensation.

Cette situation a été attribuée à l’usage des drogues et/ou à l’arrêt du

traitement chimique. Ces comportements violents et asociaux ont été décrits surtout

en termes d’atteinte à l’intégrité physique des autres en particulier des membres de la

famille du malade, en termes d’agression sexuelle (le viol) ou encore l’inceste qui a

été évoqué par un seul interviewé.

Cependant, à ce niveau il faut noter que, ce sont les gestionnaires du niveau

opérationnel qui abordent le sujet de la violence avec plus de détail, ce sujet a occupé

une place importante dans leur discours. Cette violence a été évoquée sous toutes ses

formes : depuis le harcèlement verbal, jusqu’à l’homicide, le fratricide et l’infanticide.

Pour beaucoup de gestionnaires, un « malade mental » présentant des troubles

psychotiques est toujours imprévisibles et il peut à tout instant basculer du normal

vers les comportements violents sous forme de l’hétéro ou de l’auto-agression.

Dans ce sens, un gestionnaire précise :

« ..De part sa maladie, le malade mental est amené un jour ou l’autre à commettre

des délits ou des crimes, il peut passer à l’acte à n’importe quel moment… » ;

Avec une charge émotionnelle, un autre gestionnaire explique :

« moi je te dis que le malade mental est imprévisible, tu sais s’il a un délire qui lui

dit aller tuer le !... c’est lui qui te persécute…..il va le tuer……. »

Concernant les tendances suicidaires, elles étaient moins évoquées par les

gestionnaires que les violences contre autrui, ces tendances suicidaires sont

exclusivement rattachées aux troubles dépressifs et à la mélancolie. Il faut signaler, à

ce titre que, quand il s’agit de parler des personnes présentant des troubles dépressifs,

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c’est plutôt la compassion et la compréhension qui sont affichées et ces malades sont

souvent décrits comme des victimes. Cette victimisation contraste avec une tendance

à diaboliser les psychotiques graves surtout les psychotiques addictes.

Par ailleurs, les troubles anxieux n’ont été évoqués qu’exceptionnellement,

contrairement aux troubles dépressifs, troubles bipolaires et à la schizophrénie .Ces

troubles anxieux n’ont été évoqués ni comme entité pathologique, ni comme troubles

nécessitant des interventions thérapeutiques.

Pour d’autres interviewés (rares), l’accent a été mis sur la violence morale et le

harcèlement moral, décrit à la fois comme source et conséquence des troubles

mentaux. Dans ce cas c’est surtout la femme qui a été perçue comme victime et

comme auteur de ce type de violence.

Ainsi, on peut dire que les représentations sociales de la maladie mentale chez

les gestionnaires ont été structurées autours de thèmes interdépendants et qu’on peut

synthétiser comme suit : la base juridique de la santé mentale qui consacre la

dominance de l’approche médicale psychiatrique ou le psychiatre est l’acteur

principal, celle-ci est domine le système de soins basé sur le modèle biomédical avec

une stratégie curative. Cette situation laisse peu de place pour les interventions visant

la réinsertion sociales et la prévention des comportements à risque. Aussi, elle aggrave

la discrimination « structurelle » des malades souffrants de troubles mentaux.

Discussion

Les représentations sociales des gestionnaires ont été divergentes en ce qui concerne le

modèle de pensée et d’action des gestionnaires et convergentes en ce qui concerne la

discrimination « structurelle ».

A- Consensus sur la discrimination « structurelle »

Chez les gestionnaires des deux niveaux, on retrouve des représentations sociales

« consensuelles », selon lesquelles, la maladie mentale est dégradante, dévalorisante,

stigmatisante et stigmatisée.

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Cette stigmatisation conduit à la discrimination des personnes souffrant de troubles

mentaux au niveau du système de soins et à la rupture de leurs réseaux relationnels, avec

toutes les conséquences possibles en termes de désinsertions socioprofessionnelle, qui

peuvent aller jusqu’à l’exclusion sociale et l’ « itinérance-errance ».

Toutefois, la stigmatisation et la discrimination ne se limitent pas au seul malade ou à

sa famille, elles envahissent, par effet de contamination, les intervenants en santé mentale

(les psychiatres, les responsables du programme de santé mentale au différents niveaux) ;

les structures de soins, le programme de la santé mentale, etc.

Goffman définit le stigmate, comme « un attribut qui discrédite profondément » et qui

réduit son porteur à « un contaminé, un laissé pour compte » [18].

Stafford et Scott en1986, proposent que la stigmatisation soit « une caractéristique d’une

personne qui est contraire à la norme de l’unité sociale », ou la norme est définie comme

« la conviction commune qu’une personne doit se comporter d’une certaine manière à un

certain moment donné » [19].

Nos résultats rejoignent l’analyse de Goffman mais aussi la conceptualisation de

Pauline JACQUIN [19]. En effet, cet auteur considère que le stigmate existe lorsque

quatre composantes interdépendantes suivantes convergent : 1) l’étiquetage de la

différence qui se réalisé dès le diagnostic de la maladie ( schizophrénie par exemple) ; 2)

les croyances culturelles reliant l’étiqueté à ce qui est indésirable ( maladie mentale et

danger par exemple); 3) la catégorisation des étiquetés de façon à réaliser un certain degré

de séparation entre « nous » ( les normaux) et « eux » ( les stigmatisés anormaux); 4) les

étiquetés font l’expérience d’une perte de statut et de discrimination. Ainsi, les gens sont

stigmatisés quand ils sont étiquetés et font l’expérience de discrimination.

Conformément à cela, les malades mentaux stigmatisés sont « désavantagés »

puisqu’il s’agit d’un profil général des chances dans la vie comme la santé et le bien être

psychologique, les soins médicaux [19]. Sans oublier la famille, le système pénal (le cas

échéant) et le lieu du travail. Alors que pour les autres étiquetés qui ne font pas

l’expérience de discrimination, ils sont « défavorisés » [19]. Cette discrimination peut être

individuelle ou structurelle.

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En ce qui nous concerne, la discrimination « structurelle » était centrale dans les

représentations la maladie mentale chez les gestionnaires puisque la stigmatisation et la

discrimination qui en découle ne se limitaient pas à la relation entre le « malade mental »

et le « normal » ; elles affectaient toute la structure autour de la maladie mentale.

Selon l’analyse de Pauline JACQUIN, l’abaissement d’une personne dans une

hiérarchie de statut est, une des composantes immédiates du succès de l’étiquetage

négatif et des stéréotypes [19]. Cette perte de statut avec des expériences de

discrimination ont été relevée chez les gestionnaires interviewés en particulier chez les

psychiatres et les responsables du programme de la santé mentale.

Ainsi, à coté de la discrimination individuelle qui appel a un processus simple :

« l’étiquetage et la stéréotipification de la personne B, réalisé par la personne A, amène la

personne A à s’engager dans des formes évidentes de discrimination » [19]. Et qui

correspond à la discrimination pure et simple des malades affectés par les maladies

mentales, au niveau du système de soins et des autres structures et institutions ; nous

avons relevé, à coté de cette discrimination individuelle, une

discrimination « structurelle ». Cette forme de discrimination qui est, à notre avis, aussi

lourd de conséquences sur les malades que la première puisqu’elle résulte du « cumul des

pratiques institutionnelles qui travaillent à pénaliser des groupes stigmatisés, même en

l’absence d’un préjudice individuel ou d’une discrimination » (Hamilton & Carmichael,

1967) [19].

Ce genre de discrimination structurelle concernant la maladie mentale se traduit par :

un moindre financement dédié à la recherche pour cette maladie que pour d’autres

maladies, faible budget pour des soins adéquats et pour la gestion de la maladie,

structures destinées aux soins reculées et dégradées, etc.

Dans ce sens, Roth man déjà en 1971, considère que « en raison de processus

historique influencé par la stigmatisation, les facilités de traitement ont tendance à être

isolées dans des lieux loin des autres personnes » [19]. Ainsi, une personne qui développe

une maladie mentale une psychose par exemple, sera « le destinataire de discrimination

structurelle même si personne ne la traite d’une manière discriminatoire, en raison de

certains stéréotypes sur la psychose. Le stigmate a affecté la structure autour de la

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personne, ce qui conduit la personne à être exposée à une foule de circonstances

fâcheuses. » [19].

Dans ce sens, l’OMS constate que « les troubles mentaux représentent une charge de

morbidité non négligeable » ; et que les personnes qui présentent ses troubles sont

victimes de stigmatisation et de discrimination. Cette organisation s’efforce de « donner à

la santé mentale, qui reste à la marge des politiques et pratiques sanitaires, une position

plus centrale dans la santé publique à l’échelle mondiale » [2].

B- Bipolarité de l’appréhension de la maladie mentale:

L’analyse des représentations sociales de la maladie mentale chez les

gestionnaires de la santé mentale a retrouvé une appréhension bipolaire de la maladie

mentale selon un pole « biomédical » et un pole « biopsychosocial ».

En effet, les deux niveaux d’intervention des gestionnaires (opérationnel et

stratégique) ne partageaient pas le même paradigme qui oriente les modèles de prise

de décision et les approches en termes d’interventions thérapeutiques et de prise en

charge de la maladie : Pour les gestionnaires du niveau opérationnel, le modèle

biomédical domine la logique du raisonnement en termes de soins et de prise charge

des malades. Pour les gestionnaires du niveau stratégique, c’est plutôt le modèle

biopsychosocial avec une approche santé publique qui s’est dégagée comme logique

de prise de décision en particulier pour la santé des jeunes..

Ainsi, si l’approche humaniste « anti-asilaire » est partagée par l’ensemble des

gestionnaires, le niveau opérationnel se caractérise, en termes d’interventions

thérapeutiques, par la dominance du paradigme biomédical. Selon certain auteur, ce

modèle est fondé sur la méthode analytique, selon laquelle, être malade « se réduit à

avoir une maladie ; une entité morbide à l’intérieur de l’organisme, … » dans ce cas,

le corps est réduit à « un agrégat d’organe et de fonctions …. » [16]. D’ou une gestion

médicale individuelle de la maladie mentale. Par contre, le niveau stratégique se

caractérise par un paradigme de pensée systémique représenté par le modèle bio-

psychosociologique, celui-ci « tient compte des interrelations entre les aspects

biologiques, psychologiques et sociaux de la maladie » [16].

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Cette bipolarité peut être en rapport avec la formation et la fonction des

gestionnaires. En effet, pour le niveau stratégique, l’approche santé publique s’impose

par la nature de la fonction des gestionnaires de ce niveau, aussi les formations

continues semblent changer le paradigme de pensée de ces derniers. Cette approche est

davantage orientée vers la protection de la santé, la prévention des problèmes et la

promotion de la santé.

En effet, pour certains auteurs, les origines du trouble mental sont complexes,

« les facteurs biologiques psychologiques et sociaux jouent un rôle dans la genèse des

maladies mentales….les interventions psychologiques / comportementales et les

interventions sociales ou de niveau communautaire visant à aborder les maladies

mentales , légitimées par le modèle biopsychosocial, peuvent être assurées » [16], de

façon à intervenir par des mesures curatives, préventives promotionnelles et de

réhabilitation. D’où la pertinence du modèle bio psychosocial pour ce niveau

stratégique.

Le modèle biomédical marque surtout les pensées et les actions du niveau

opérationnel. Ainsi, les interventions thérapeutiques relèvent exclusivement d’une

approche psychiatrique et pharmacologique avec prise en charge individuelle axée sur

l’utilisation des psychotropes, bien que certains gestionnaires psychiatres soient

formés en thérapies cognitives et comportementales, en thérapies de groupes et

thérapies familiales, utilisant une approche systémique.

Cette approche systémique intègre, en effet, « les aspects psychologiques et

sociaux de la maladie.. ». Cette approche intégrée « permet une meilleurs

compréhension du patient, et la mise en place de stratégies de soins et de mesures

sociales plus adaptées et moins couteuses » [16].

Toutefois, la formation de base en médecine de la plupart des gestionnaires

(10/ 12 sont des médecins) semble avoir laissé ses empreintes à traves la tradition

biomédicale. Selon Engel (1980), le médecin formé à ce modèle « semble privilégier

la place qui revient à la démarche proprement scientifique » qui a affaire avec « la

compréhension et le traitement de la maladie, et non avec le patient et le soin du

patient » [16]. Ce modèle rend compte du malaise éprouvé par un certain nombre de

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patients, mais aussi des « médecins eux-mêmes en présence de situations face

auxquelles, ce modèle de pensée les laisse en partie démunis ». C’est un modèle

classique qui « n’inclut pas le patient et ses attributs et tant que personne, en tant

qu’être humain » [16].Il est axé plus sur la maladie que sur le malade.

Par ailleurs, la stigmatisation et la « discrimination structurelle » de la maladie

mentale perçues par les gestionnaires semblent limiter les perspectives du modèle

systémique pour les gestionnaires du niveau stratégiques et les obligeraient à opter

pour des stratégies qui relèvent plutôt du modèle biomédical.

En effet, l’approche communautaire, les institutions alternatives à l’hôpital

psychiatrique et la « désinstitutionalisation » de la prise en charge des « malades

mentaux » restent exceptionnellement évoquées par les gestionnaires. Autrement dit,

en termes de logique de pensée, le modèle biopsychosocial domine, mais en termes

d’actions, c’est plutôt le modèle biomédical qui s’impose sauf pour la santé des jeunes

qui reste une exception dans ce sens.

Dans le cadre de ce modèle biomédical, les représentations sociales des

gestionnaires sont polarisées sur l’approche humaniste (anti-asilaire) et sur le « virage

ambulatoire » en psychiatrie. Toutefois, en dépit de cette tendance humaniste et

ambulatoire, le modèle biomédical serait inadapté pour gérer les maladies mentales.

En effet, les maladies mentales se caractérisent souvent par la chronicité des

troubles et par le phénomène de la Co-morbidité (coexistence de troubles mentaux

avec d’autres maladies organiques chroniques, avec l’usage de drogues, etc.). Sur le

plan médical, ces maladies chroniques posent, selon certains auteurs, un problème de

gestion ; ainsi, « ……la gestion quotidienne de la chronicité ne constitue pas

seulement une modification du travail médical,…… elle marque même par la

transformation dans la durée de l’événement social-maladie et cela pour tous ses

acteurs immédiats ou non : professionnels de la maladie (médecins et non médecins),

les familles, les institutions,……. » [17].

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Ainsi, la bonne prise en charge des maladies mentales nécessiterait, entre

autres mesures, une remise en cause du paradigme « parsonien » conforme à la réalité

des maladies aigues et qui fait appel à un modèle biomédical [20]. Ce modèle répond

au « schéma : symptôme-diagnostic-traitement-guérison (mort) et ou le malade est un

passif et non responsable » [17] pour lui substituer un paradigme systémique

interactionniste à travers le modèle biopsychosocial prenant en compte toutes les

dimensions du malade et ou ce dernier « est un usager-acteur prenant part aux

décisions » [17] et favorisant l’empowerement des patients. D’un autre coté, ce

modèle fait appel à des stratégies : préventive, curative, promotionnelle et de

réhabilitation.

Comme on peut le constater, les représentations sociales des gestionnaires sont

restées polarisées sur la discrimination « structurelle » de la maladie mentale et sur les

interventions thérapeutiques répondant au modèle biomédical. Cependant, au niveau

stratégique les représentations sont structurées autour d’un paradigme de pensée de

nature systémique et biopsychosocial. Il parait que les contraintes du milieu comme :

la logique rationalisatrice de l’Etat, l’engagement timide du niveau politique,

l’enracinement de la tradition biomédicale par la formation médicale, etc. sont des

éléments qui d’une part, favorisent la discrimination structurelle de la maladie

mentale, d’autre part, ils obligent les gestionnaires à agir selon une approche médicale

et psychiatrique. L’interdépendance entre ces éléments créer un cercle vicieux.

Pour une véritable « réforme » de la santé mentale qui serait nécessaire, il

serait fondamental de commencer par remettre en question le paradigme de pensée

et d’action des différents intervenants en santé mentale et de lutter, par conséquent,

contre la discrimination structurelle. Ceci nécessiterait, en parallèle, une volonté

politique pour accompagner juridiquement et financièrement la réforme. Et c’est dans

ce sens que nous avons avancé certaines recommandations.

Recommandations

Actuellement, l’univers de la santé mentale se caractérise par l’évolution rapide des

connaissances sur les troubles mentaux, l’arrivée de nouvelles molécules performantes,

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des traitements psychosociaux et des programmes communautaires efficaces. Dans ce

contexte, il serait utile de :

- Lutter contre la discrimination « structurelle » à travers :

i) un plaidoyer au niveau politique pour traduire au niveau stratégique et

opérationnel, la priorisation de la santé mentale, déclarée officiellement au

niveau politique,

ii) des reformes législatives et réglementaires pour renforcer les droits des

« malades mentaux » dont le droit à la santé et à la liberté et à l’égalité.

iii) Une sensibilisation massive des intervenants qui relèvent des autres secteurs

(département de la justice, départements à caractère social, services médico-

sociaux,…)

- Revoir le paradigme qui structure la pensée et oriente les actions des intervenants à

travers :

i) Une révision de la formation de base des médecins et des professionnels intervenant

dans le domaine de la santé ;

ii) La promotion du modèle bio-psychosociologique aux différents niveaux

d’interventions.

- Renforcer les structures alternatives aux hôpitaux psychiatriques et créer des

institutions intermédiaires entre les hôpitaux et la famille pour la réinsertion des

malades en se basant sur une approche communautaire.

- Réorienter les interventions vers les stratégies préventives, promotionnelles et de

réhabilitation.

- Instaurer la psychiatrie de « liaison », celle-ci se base sur une approche globale avec

un modèle biopsychosocial et un équipe pluridisciplinaire au niveau des hôpitaux

généraux et permet de réaliser un pont entre la santé mentale et la santé somatique.

En guise de conclusion, on peut dire que les représentations sociales de la

maladie mentale chez les gestionnaires ont été marquées par la dominance de

l’idéologie qui considère que « la maladie mentale est une maladie comme les autres »,

qui peut être soignée par des soins centrés sur l’approche biomédicale ou la psychiatrie

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biologique domine. Toutefois, la maladie mentale était associée au danger et à la

violence.

Par ailleurs, nous avons assisté à l’émergence, parmi les gestionnaires

interviewés, d’un modèle de pensée de type systémique, qui considère la maladie

mentale dans ses dimensions biologique, psychologique et sociale en particulier pour

la santé des jeunes. L’émergence de ce modèle n’empêche pas la discrimination

structurelle qui caractérise la maladie mentale.

En effet, les troubles mentaux se caractérisent par leur chronicité incapacitante

et par leurs liens avec d’autres maladies chroniques, ce qui se traduit par des ruptures

dans la trajectoire sociale. Ceci pose le problème de la gestion de ces troubles, pour le

système de soins, la famille, l’Etat, et pour la société. Ainsi, pour des interventions

adaptées, il serait utile de revoir les modèles de pensée des différents intervenants.

Dans ce sens, une autre recherche qui va prendre en considération les limites de

notre travail ( les gestionnaires du niveau opérationnel de notre échantillon, sont tous

de Rabat), et utilisant une approche multi-pluridisciplinaire pour étudier les

représentations sociales de la maladie mentales chez les gestionnaires de la santé

mentale au Maroc, serait utile.

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Bibliographie

[1] JANINE PIERRET. Les usagers sociaux de la santé, trois exemples. In : Anne RETEL

LAURENTI. Etiologie et la perception de la maladie dans les sociétés modernes et

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