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UNIVERSITE Lille II-Droit et santé
Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales
MEMOIRE de D.E.A,
D.E.A Droit et Justice, mention Justice.
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat
Au XVIIIe siècle
A partir d’une sentence de l’officialité de Cambrai de 1750
Par Emmanuel Leprohon
Directeur de mémoire : M. Tanguy Lemarc’Hadour année2000-2001
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
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SOMMAIRE :
Chapitre I le déroulement d’un procès devant l’officialité
Section I L’instruction
Section II le jugement
CHapitre II L’intervention du pouvoir royal
Section I/ la procédure de l’appel comme d’abus
Section II/ L’opposition du Parlement de Flandre au Parlement
de Paris
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
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Tout au long de son histoire jusqu'à la révolution, la France a vu s'opposer deux
puissances judiciaires, l'Etat royal et l'Eglise. A travers un arrêt de l'officialité de
Cambrai nous allons essayer de montrer les relations, parfois difficiles, entre l'Eglise et
le pouvoir royal en matière de juridiction pénale.
Il s'agit, en fait, d'étudier comment la justice du Roi, justice temporelle, va
prendre le pas sur la justice d'Eglise, justice spirituelle.
La justice d'Eglise a ses origines dans les premiers temps du christianisme. En
effet, entourés de païens, les chrétiens avaient pris l'habitude de régler entre eux leurs
différends. La justice d’Eglise répondait au conseil des Ecritures : « Réglez vos
différends entre vous » et donc à la nécessité, apparue de bonne heure dans des
communautés soucieuses de faire respecter les règles établies, de disposer d'une
instance pour les rappeler et en imposer l'observation.
On entend par justice d'Eglise, la justice qui appartient en propre à l'Eglise, non
pas des juridictions seigneuriales appartenant à des seigneurs ecclésiastiques. Depuis le
début du 4ème siècle, avec la reconnaissance du christianisme par l'empire romain1 et la
prise en compte de ses institutions, la juridiction épiscopale fut reconnue par l'Etat, prêt
à lui porter assistance en assurant pour sa part l'exécution des sentences. Sa compétence
alla en s'élargissant, qu'il s'agisse de la juridiction du mariage et la vie familiale ou la
répression d'infractions qui étaient à la fois des manquements à la morale chrétienne et
des troubles à l'ordre public.
Par la suite, l'Empire chrétien reconnut aux évêques une juridiction arbitrale. Les
tribunaux ecclésiastiques de droit commun fonctionnent, eux, d'une autre manière. Pour
être efficace, cette justice devait être exercée par l'Autorité.
L'évêque est le juge ordinaire de son diocèse (il est le berger de son troupeau), il
délègue son pouvoir de juger à un clerc instruit en droit canon et en droit romain,
l'official qui préside un tribunal appelé l'officialité. Les décisions de ce tribunal sont
jugées en appel par l'officialité métropolitaine, dont les jugements sont susceptibles de
recours devant la juridiction pontificale, la Rote2.
1 Constitution de Constantin, 3182 La salle où siégeaient les juges était en forme de roue
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La procédure appliquée est de type romain. L'official exerce une juridiction en
matière religieuse, disciplinaire, civile et répressive.
Les liens étroits qui s'instaurèrent entre l'Eglise et la société politique à l'époque
carolingienne ne purent que servir le développement de la juridiction ecclésiastique.
Avec la ruine de l'ordre carolingien et de sa justice, dans l'attente de nouvelles structures
politico-sociales, l'Eglise et ses institutions subsistent seules ou presque.
La justice d'Eglise va donc connaître un temps d'essor aux 11e et 13e siècles.
Pendant le « 1er moyen-âge », la juridiction ecclésiastique croît en importance.
Des données multiples favorisent son développement :
1. Absence de rivaux dangereux : Princes et seigneurs, à quelques exceptions
près, sont peu soucieux du droit. Ils légifèrent peu, laissent à la coutume le soin de
façonner des règles, juger ne les intéresse guère.
2. Des données positives servent les justices d'Eglise : Elles sont en général
assez proches; L’évêque est au chef lieu du diocèse. Souvent elles viennent aux fidèles,
lors des visites pastorales de l'évêque ou de ses archidiacres. Ses juges appliquent un
droit, celui que leurs fournissent canons conciliaires, statuts épiscopaux et les décrétales
pontificales. En cas de lacune du droit canonique, le droit romain, que plusieurs de ses
clercs ont étudié, fournit un complément.
Plus instruits, mieux préparés à leur tâche, les juges d'Eglise ont, peut être plus
que les autres, le sens de leur devoir. Dire le droit et rendre la justice font partie de leur
« ministère »3.On peut espérer d'eux, connaissance, disponibilité, sens de la justice.
Enfin, la justice d'Eglise est mieux organisée. Des textes, hérités de la Rome
antique, lui ont fourni les éléments d'une procédure romano-canonique (droit des
preuves, voies de recours, assistance judiciaire).
La juridiction ecclésiastique est d'abord compétente à l'égard des membres du
clergé. Ceux-ci échappent, en principe, aux juridictions séculières. Il en est de même
pour les croisés, les veuves et les étudiants.
3 Au sens fort du terme, c’est à dire que rendre la justice est pour eux une vocation.
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A côté de cette compétence rationae personnae, les tribunaux ecclésiastiques
jouissent d'une compétence rationae materiae, à raison de l'objet du litige. Les cours
épiscopales ont une connaissance exclusive de tout ce qui touche aux biens d'Eglise, aux
sacrements : Mariage, fiançailles, légitimité des enfants, séparation de corps, les
problèmes de dot et de douaire, ainsi que de l'exécution des conventions confirmées par
serment ou celles des testaments.
L'Eglise veut connaître des manquements à sa loi qui relèvent des devoirs de la
vie religieuse. Il peut s'agir de questions où elle est seule intéressée et dans ce cas, la
compétence du juge ecclésiastique n'est pas contestée. Mais il s'agit aussi, assez
souvent, de questions mixtes, qui intéressent à la fois l'Eglise et la société séculière, le
meilleur exemple étant celui de l'appréciation de la validité du mariage. Ici les conflits
de compétence iront en se multipliant, lorsque les juges royaux se montreront soucieux
de contrôler tous les aspects de la vie sociale.
La juridiction épiscopale est normalement assurée par un agent spécial, l'official.
C'est un délégué de l'évêque qui juge en son nom4.
Paul Fournier5 montra, dès 1880, que l'official se rencontre dès la seconde moitié
du 12e siècle et que la complexité du droit et de la procédure, conséquences de la
renaissance du droit romain, expliquait l'apparition des officiaux.
Au milieu du 12e siècle, les évêques se font remplacer dans leur curia par un
délégué temporaire qui statue avec quelques assesseurs. Les textes le signalent sous le
nom d'officialis. L'official, juge ordinaire, est attesté pour Reims en 1182 et 1198. A
Paris, on trouve deux officiaux en 1205 ; à Arras, un seul official en 1210. L'énorme
diocèse de Cambrai a trois officiaux au début du 13e siècle.
4 Dans la Bulle Romana ecclesia, Innocent IV les définit : qui generaliter de causis ad ipsorum(episcoporum) forum pertinentibus eorumdem vices supplendo cognoscant… unum et idem consistoriumsive auditorium (cum episcopis constituentes).
5 Les officialités au Moyen-Age, Paris, 1880
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Le développement des officiaux et même, dans certains diocèses, leur création,
furent stimulés par la constitution Romana ecclesia de 12466. L'organisation de
l'officialité demeure assez mal connue pour le 13e siècle, les plus anciens registres
d'officialité ne datant que du 14e siècle.
Concernant la justice royale, l'empereur carolingien s'était dit justicier. Le roi
capétien voulut faire de même. La mission du roi est de faire régner la justice dans tout
son royaume, d'assurer par ses juges son observation. Tâche impossible pour les
premiers capétiens dont l'autorité effective ne dépasse pas un modeste territoire. Mais le
projet subsiste et l'extension progressive du pouvoir royal sur le territoire en permet la
mise en œuvre. Assistée d'un personnel, qui lui aussi augmente, soutenue par ses
légistes, qui allèguent les textes romains et affinent les moyens d'intervenir, la royauté,
du 12e au 14e siècle, s'étend progressivement sur tout le royaume. De plus en plus la
justice du roi s'oppose aux tribunaux d'Eglise. C'est le début de cette lente entreprise que
sera la reconquête de la justice sur l'Eglise.
Avec Philippe le Bel, le conflit prendra tout son ampleur.
Il s'agit de voir sommairement la lente séparation de la royauté et de la papauté
romaine, c'est-à-dire l'émergence de ce que l'on a appelé l'Eglise gallicane, émergence
qui va permettre au pouvoir royal de mieux contrôler les juridictions ecclésiastiques.
A la fin du 13e siècle, le heurt de Boniface VIII et de Philippe le Bel marque un
moment décisif à partir duquel l'Eglise de France s'achemine vers un statut nouveau,
définitivement acquis au début du 14e siècle, elle prend rang d'Eglise gallicane
directement placée sous l'autorité royale.
Philippe le Bel et ses légistes veulent assurer l'indépendance d'un Etat qui
désormais s'affirme.
6 Cette constitution est un règlement important sur la juridiction ecclésiastique et la compétence desofficialités.
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De leur côté, Boniface VIII et ses conseillers restent fidèles à la doctrine de la
papauté depuis Grégoire VII. Sans distinguer entre temporel et spirituel, ils défendent la
supériorité du pape vis à vis des princes. Au plus fort du conflit, en 1302, l'envoyé du
pape affirme qui plus est que cette supériorité doit s'exercer dans le domaine temporel
aussi bien que spirituel, car le pape est « maître de toutes choses, temporelles et
spirituelles ». La volonté d'indépendance du roi, quant à elle, s'exprime clairement dès
la fin du 13e siècle7. Tout au long du 13e siècle, la compétence des juridictions
ecclésiastiques a été l'objet d'attaques plus ou moins vives de la part des juges royaux.
En réduire le domaine leur paraissait servir au mieux leur maître, étendre son autorité et
sa supériorité.
Le conflit bonifacien marquait la fin d'une époque et d'une certaine idée de la
papauté et des attributions de l'Eglise. La volonté d'indépendance de l'Etat français
s'affirmait, elle ne fera que croître. La querelle du roi et de la papauté concourt à
l'apparition d'une doctrine et d'une Eglise gallicanes.
La querelle ayant opposé Boniface VIII et Philippe le Bel a pour conséquence et
l'indépendance du roi dans l'exercice de son autorité temporelle et une certaine méfiance
du clergé du royaume devant la papauté.
Sur ces prémices se greffent deux événements, internes à l'Eglise universelle, qui
concourent à l'apparition de ce que l'on appelle l'Eglise gallicane.
Ø La restauration du « droit ancien » de l'Eglise
La crise du grand schisme d'occident (1378-1417) est née de l'élection
successive de deux papes (installés l'un à Rome, l'autre à Avignon). D'abord soutien
actif du pontife d'Avignon, le roi de France devant l'inanité des efforts déployés pour
résorber le schisme, s'engage plus avant.
7 Discours de Philippe le Bel aux envoyés du pape le 20 avril 1297 : « le gouvernement temporel de sonroyaume appartient au roi seul et nullement à un autre que lui ».
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Avec l'appui d'un concile d'universitaires et de dignitaires ecclésiastiques, il
décide en 1398 de ne plus reconnaître aucun pape. Durant cette soustraction
d’obédience, le clergé du royaume prend l'habitude de se tourner vers le roi pour
recevoir les bénéfices ecclésiastiques, lui verser des impôts.
Le schisme, cependant, n'est qu'un aspect de la crise générale de l'Eglise, selon
les clercs celle-ci doit se réformer. Aussi canonistes et théologiens invitent-ils les
princes temporels à procéder eux-mêmes à cette réforme. En France, le roi interviendra
au nom de l'ordre de l'Eglise rompu par les excès de la papauté. Les clercs comptent sur
le roi pour les affranchir des empiétements romains et rétablir le droit ecclésiastique,
celui des « anciennes libertés et franchises » de l'Eglise du royaume. Cette politique est
consacrée par deux ordonnances de 1407, considérées parfois comme l'acte de naissance
du gallicanisme. Le roi affirme « que lesdites églises et lesdits droits ecclésiastiques
doivent être ramenés à leur liberté ancienne, les y ramenons... ». On a alors féliciter le
roi d'avoir solennellement, par arrêt enregistré au Parlement, promulgué les anciennes et
légitimes libertés de l'Eglise gallicane.
Cette politique pourtant ne laisse pas d'être ambigu : à restaurer le « droit
ancien », à distendre les liens entre clergé et papauté, le pouvoir séculier n'en tire-t-il
pas profit pour mieux étendre son autorité sur l'Eglise ? . La Pragmatique Sanction de
Bourges répond ces questions.
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Ø La pragmatique Sanction de Bourges
En 1438, Charles VII met à profit les difficultés rencontrées à l'intérieur de
l'Eglise. Avec l'appui d'une assemblée d'ecclésiastiques réunis à Bourges, il introduit
dans le royaume, par ordonnance qualifiée de Pragmatique Sanction, les décrets du
concile de Bâle non sans les modérer.
Ce texte adopte les thèses du gallicanisme ecclésiastique en ce qu'en France, «
la puissance infinie et absolue du pape n'a point lieu » et qu'elle est maintenue dans les
limites de la législation conciliaire. C'est la mise en œuvre d'une politique gallicane par
laquelle le roi et le clergé s'accordent à réduire l'ingérence du siège romain dans le
gouvernement de l'Eglise de France, celle-ci est affranchie temporellement et
disciplinairement de la tutelle de Rome. La pragmatique ne laisse cependant pas au
clergé une pleine autonomie. A partir de 1438, le roi invoque le texte chaque fois qu'il y
trouve son compte, l'écarte dans le cas contraire. Des dispositions concernaient le droit
des sacrements (le mariage notamment), le mariage des clercs, le service du culte. Le roi
et les princes étaient autorisés à recommander certains candidats aux fonctions d'évêque
ou d'abbé. Ainsi libéré pour partie des interventions et des textes pontificaux, le clergé
de France passait largement sous contrôle du roi. Une « Eglise gallicane » s'instaurait.
Mais restait au roi à affirmer son autorité, notamment par rapport à la justice
ecclésiastique et pour ce faire revenir sur les prérogatives des tribunaux spirituels en
matière de justice, justice propre à l'Eglise qui regroupe le for interne ( juridiction
spirituelle ) et le for externe ( juridiction temporelle ).
Son pouvoir appuyé sur des structures gouvernementales et administratives, le
roi est peu à peu en mesure de regrouper les habitants du royaume et les forces
politiques sous ses prérogatives souveraines.
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« Grand débiteur de justice », le roi a pour office principal de la faire régner. En
ce domaine, il se heurte à d'autres traditionnels détenteurs de justice et notamment
l'Eglise, qui entravent l'affirmation de sa prérogative judiciaire comme le maintien de
l'ordre public royal. Cependant, sa prérogative devient peu à peu une réalité dans le
royaume.
Au 14e siècle, la justice du roi intensifie la lutte contre les officialités
diocésaines, qu'elle poursuit avec succès au 15e siècle. Le roi est redevable de cette
suprématie acquise à la persévérance de ses officiers et juristes comme à l'organisation
de ses cours de justice.
Il n'en alla pas de même dans toutes les régions, si dans le royaume de France,
les parlements gallicans avaient en grande partie dépouillé les juridictions
ecclésiastiques de leurs prérogatives judiciaires, les officiaux avaient gardé aux Pays-
Bas, selon la tradition des pays ultramontains8 une compétence étendue.
Notre étude nous a conduit à nous intéresser de plus près à l'officialité de
Cambrai, exemple unique de par sa nature puisqu' « [elle] réunit dans sa personne deux
titres incompatibles partout ailleurs : Celui de juge ecclésiastique du diocèse et de juge
civil ordinaire du Cambrésis »9. C'est un souvenir de l'époque féodale puisqu'en 1007,
l'évêque de Cambrai obtient de l'empereur Henri II une charte réunissant le pouvoir
temporel à son autorité spirituelle.
Cette situation est également liée à la promulgation aux Pays-Bas du concile de
Trente mais surtout des pouvoirs que l'archevêque a su conserver comme duc de
Cambrai.
Le plus ancien document où il est fait mention de l’official de Cambrai comme
juge civil est la loi portée en 1249 par l’évêque Nicolas, pour confirmer la loi Godefroi.
8 par opposition à ca que l’on a appelé les pays gallicans9 Guyot, répertoire de jurisprudence civile, criminelle, canonique, bénéficiale, tome 12,p364-365, Paris,1789.
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Un acte du 22 janvier 1381, porte qu’une femme se pourvût devant l’official,
comme juge ordinaire, pour raison d’un douaire qu’elle prétendait sur une maison qui se
vendait à la justice du marché ; et que l’official, en cette qualité de juge ordinaire, fit
défense, sur certaines peines, à la justice du marché et aux échevins de passer outre à la
vente, au préjudice du douaire10.
L'évêché de Cambrai apparaît au 4e siècle, il dépend alors de l'Eglise
métropolitaine de Reims. En 1559 il est élevé au rang de métropole11, son territoire est
réduit mais l'Eglise de Cambrai est élevée au rang d'archevêché, son diocèse regroupe
quatre archidiaconés12, subdivisés en quinze décanats.
Pendant la révolte des Pays-Bas, l'archevêque perd son autorité temporelle, le roi
d'Espagne qui reprend la ville en 1595 ne lui restitue pas sa souveraineté sur le
Cambrésis.
Suites aux différentes guerres13 qui eurent lieu, le diocèse sera divisé en deux et
donc soumis à deux souverainetés différentes. Par le traité de Nimègue de 1678,
Cambrai et plus de la moitié du diocèse passe sous domination française, tandis que le
Nord du Hainaut reste espagnol. Jusqu'en 1713 et le traité d'Utrecht, le diocèse reste
coupé en deux avec le Hainaut et le Cambrésis français et le Hainaut autrichien.
Par l’avènement de Louis XIV, la France prend possession de ses régions. En
1677, la ville de Cambrai signe une capitulation, dans laquelle le roi de France s'engage
à respecter les privilèges locaux, il confirme les pouvoirs de l'official en matière
judiciaire.
10Ibid., p 36511 Par la réorganisation des diocèses des Pays-Bas par la bulle Super Universas.12 Le Cambrésis, le Brabant, le Hainaut et Valenciennes.13 Pendant presque 80 ans, de 1635 à 1713, le diocèse est fréquemment ravagé par les guerres qui sesuccèdent entre français, espagnols et impériaux.
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Louis XIV confirma la juridiction de l’official, en accordant par l’article 13 de la
capitulation de Cambrai, « que la juftice feroit adminiftrée, comme elle l’avoit été ci-
devant par l’official, et officiers, tant de l’archevêque, que des chapitres, féodaux,
magiftrats et autres, ayant juridiction, ésquelles ils feroient maintenus, chacun à fon
égard »14.
En 1681, plusieurs difficultés s’élèvent au sujet de la manière dont l’official
exerce sa juridiction.
La contestation fut évoquée au conseil d’Etat, le procureur général du conseil
souverain de Tournai prétend que « l’official ne doit pas seulement être considéré
comme juge ecclésiastique puisqu’il exerce dans Cambrai et le Cambrésis, une
juridiction ordinaire au nom de l’archevêque […] »15
Dans un arrêt du 21 janvier 1682, le conseil d'Etat affirme : « Le sieur
archevêque de Cambrai et son official pourront connaître des affaires et jugements ainsi
qu'ils le faisaient avant la réduction de Cambrai à l'obéissance de Sa Majesté avec
défense (... ) aux juges de Sa Majesté de troubler ledit sieur archevêque ni son official
dans la juridiction qui lui appartient, dans l'étendue de la ville et diocèse de Cambrai. »,
le même arrêt porte que l’official sera tenu de justifier en tous actes et jugements qui
émaneront de lui, la qualité en laquelle il procédera, soit de juge ecclésiastique ou de
juge ordinaire, Louis XIV voulant qu’en cas d’appel de ses jugements en ladite qualité
de juge ordinaire, les « appellations » soient relevées et jugées au grand conseil
souverain de Tournai, et non ailleurs, « défendant à tous autres juges d’en connaître »16.
Dès lors on entrevoit assez facilement les conflits qui vont naître dans la région
du Cambrésis et opposant les juridictions royales et l'officialité de Cambrai.
C'est ce que nous nous proposons d’étudier à travers une affaire17, qui eut lieu en
1750 devant l’officialité de Cambrai, l’affaire Delwarde-Vaixin.
14Guyot, Répertoire de jurisprudence civile, criminelle, canonique, bénéficiale, tome 12, p365, Paris,1789.15 Ibid. p 36616 Ibid. p 36617 Archives Départementales du Nord, cote 5G 411.
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Comment l'officialité exerce-t-elle sa compétence juridictionnelle ?
Quels vont être ses rapports avec le pouvoir royal ?
A travers l’affaire Delwarde-Vaixin, il est aisé d’étudier deux axes de l’histoire
des relations entre l’officialité et la justice royale.
Le premier axe est celui de la procédure, en effet l’officialité applique stricto
sensu l’ordonnance criminelle d’août 1670 faite à Saint Germain en Laye.
L’officialité agit comme une juridiction laïque, l’official va punir un crime
suivant l’ordonnance royale.
Le deuxième axe de réflexion est le sens de résolution du conflit, il s’agit
d’étudier la lutte contre les juridictions ecclésiastiques par le pouvoir royal. Lutte
moderne, puisque la royauté souffre de voir les compétences de ses juridictions, dans
une région privilégiée, le Cambrésis, en concurrence avec les juridictions
ecclésiastiques.
Mais au-delà de cette lutte on observe un second affrontement, au sein même de
la justice royale, entre le Parlement de Paris et le Parlement de Flandre, en effet
l’official va être confronté à deux arrêts du Parlement de Paris le déclarant incompétent
à poursuivre les prévenus. C’est le Parlement de Flandre qui va venir au secours de
l’official de Cambrai en déclarant nuls et incompétements rendu les arrêts rendus par le
Parlement de Paris, bien plus, le Parlement de Flandre va entériner la solution de
l’official par un raisonnement jurisprudentiel qui mérite d’être développé, ce que nous
feront par la suite.
Nous étudierons donc, dans un premier temps le déroulement du procès dans
l'affaire Delwarde-Vaixin devant l'officialité de Cambrai (Chapitre I), avant de voir
quelles sont les relations de l'officialité avec le pouvoir royal tant dans l'exécution des
sentences que dans la procédure de l'appel comme d'abus (Chapitre II).
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CHAPITRE l : le déroulement d'un procès devant l’officialité
Les prévenus Delwarde et Vaixin sont poursuivis pour concubinage par le
promoteur qui veut les emprisonner. Or ils déclarent s'être unis devant un ministre
protestant.
Par l'intermédiaire de cet arrêt, il est intéressant d'observer comment
1'instruction d'une affaire par l'officialité se déroule (section I), et de voir la sentence
prise contre les prévenus pour avoir bafoué le sacrement du mariage (section II).
Section l : L'INSTRUCTION DE L'AFFAIRE
Comme dans tout procès criminel, l'affaire est d'abord instruite par celui qui joue
le rôle du ministère public au sein de l’officialité, le promoteur. C'est lui qui en l'espèce
est à l'origine de l'instruction. Il convient donc d'étudier la place que tient ce personnage
dans l'instruction ( I ) avant d'étudier l'instruction elle-même ( II ).
l/ Le promoteur, personnage central de l'instruction
Le premier archevêque, Maximilien de Berghe avait doté en 1564 son officialité
d'un statut.
Le premier concile provincial de Cambrai réuni en 1565 souhaita que tous les
tribunaux ecclésiastiques de la province adoptent le même style de cour.
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Malheureusement les troubles que connurent les Pays-Bas ainsi que les diverses
susceptibilités ne permirent pas cette réalisation.
Lors du 3e concile provincial de 1631, l'archevêque Van Den Burch relance la
proposition qui est acceptée. En 1634, le statut des cours ecclésiastiques de la province
de Cambrai est notifié et publié. L'official, prêtre licencié en droit ou théologie,
chanoine du chapitre cathédrale, est choisi par l'archevêque pour présider l'officialité.
Il siège en habits, prononce et signe lui-même les sentences et doit tenir
personnellement un registre des causes. Tous les officiers de la cour, dont les principaux
doivent être licenciés en droit, sont placés sous son autorité.
A. l'apparition du promoteur
Du fait de l'évolution de la procédure l’évêque a, de toute évidence, très tôt
délégué à une tierce personne le soin de promouvoir les enquêtes et de les poursuivre.
Dans l'affaire Delwarde-Vaixin, c'est le promoteur de l'officialité qui est le
requérant. En effet, informé qu'un couple, parents au deuxième et troisième degré de
consanguinité, se déclarent légitimement mariés devant un ministre de la religion
prétendument réformée, vivent et demeurent ensemble, le promoteur va demander à
l’official l'autorisation d'instruire l'affaire et de sanctionner les accusés.
L'official au fil du temps a donc délégué au promoteur le soin de promouvoir les
enquêtes puis les poursuites.
A Reims, Edouard Fournier18, a pu déceler les étapes de l'officialisation du
promoteur de justice. En 1269, un mémoire détaille le fonctionnement de l’officialité et
de son personnel.
18 L’Eglise et les origines du ministère public, mémoire de l’Académie d’Arras, 3e série, t.XII, 1933, p3-30, puis de façon plus développée dans L’origine du vicaire général.
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Il comprend un registrator, dont une des missions consiste à punir les
délinquants. Il a la charge de mettre en œuvre l'action de l'official pour tous les cas qui
parviennent la cour.
En 1329, à Reims toujours, un nouveau personnage est apparu, le procurator
curie ad excessos corrigendos deputatus, le procureur de la cour chargé de corriger les
abus. C'est entre 1269 et 1286 qu'est apparu ce procureur. Il semble bien qu'il ait lui-
même désigné, en cas d'empêchement, un ou des promoteurs pour le remplacer, mais les
fonctions et les titres apparaissent identiques dès la seconde moitié du 14e siècle.
Au début du 14e siècle, on sait que le registrator a disparu des officialités, alors
que le promotor y joue un rôle important, poursuivant crimes et délits et se joignant le
cas échéant aux plaignants. Les promoteurs, en nombre variable, sont le plus souvent
choisis par l’official parmi les procureurs de la cour.
B/ le rôle du promoteur dans la procédure
Le promoteur joue un rôle actif. On le voit par exemple se constituer
« demandeur » contre un individu qui a frappé un prêtre, c'est à dire qu'il entend prouver
que les faits sont vrais. Il en est de même dans l'affaire étudiée Delwarde-Vaixin.
Le promoteur peut aussi vouloir poursuivre une instance que les parties veulent
abandonner, mais c'est l'official qui décide de la poursuite.
Devant l'officialité archidiaconale de Paris, les promoteurs au nombre de trois en
1434 et de cinq au 16e siècle, ont pour mission d' « aider l'official dans la connaissance
des délits et des crimes, [de] lui en permettre, par leurs recherches et la préparation des
affaires, une plus facile punition »19.
Ils jouent bien un rôle d'accusateur public, saisissant la justice ex officio. Ils
recherchent les infractions et leurs auteurs, dénonçant ceux-ci.
19 L.Pommeray, l’officialité archidiaconale de Paris aux 15e et 16e siècles. Paris, 1933, p.125 et s.
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Le promoteur intervient comme partie jointe ou de son propre chef.
Dans le premier cas, il assiste « pour l'intérêt de la justice »20 la partie et la
soutient sur le plan juridique et pour l'ensemble de ses demandes. Dans la seconde
hypothèse, qui nous intéresse ici, le promoteur agit seul, sa tâche est lourde, puisqu'il est
chargé d'enquêter afin d'établir les faits dont il demande la punition, puis de déposer les
résultats de l'enquête auprès de l'official, qui juge alors sa suffisance.
La fonction du promoteur est particulièrement nette dans deux procès célèbres,
ceux de la condamnation et de la réhabilitation de Jeanne d'Arc.
Dans la procédure conduisant à la condamnation, l'évêque Pierre Cauchon, qui
présidait le tribunal, avait décidé, avec les autres membres, de désigner des officiers
chargés de s'informer des faits et des paroles de Jeanne. Jean d'Estivet, chanoine de
Bayeux et de Beauvais, fut nommé à l'office de promoteur ou de procureur général de la
cause.
Il reçut solennellement pouvoir de « se présenter et de comparaître au cours du
procès et en dehors, de se constituer partie contre ladite Jeanne, de donner, transmettre,
administrer, produire et montrer des articles, interrogatoires, témoins, lettres,
instruments et autre genre de preuve, d'accuser et dénoncer, examiner et faire interroger,
de faire requérir et conclure dans l'affaire contre cette même Jeanne et d'exercer tout ce
qui, de droit ou de coutume, est connu comme relevant de l'office de promoteur ou de
procureur »21.
On retrouve le promoteur lors de l'ouverture du procès ordinaire.
Il propose alors un certain nombre d'articles contre Jeanne, il présente tout
simplement un réquisitoire.
Dans le procès en nullité de la condamnation, plusieurs promoteurs se succèdent
et jouent un rôle exactement inverse, intervenant comme partie jointe à la famille de
Jeanne.
20 ibid. p.484.21 J.Quicherat, Procès de condamnation et de réhabilitation de Jeanne d’Arc, t.1, Paris 1841, p.7
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
19
On le voit, le promoteur occupe une place centrale dans le déroulement d'une
instruction devant l'officialité. En l'espèce, c'est lui qui est à l'origine des poursuites.
Pour qu’un péché devienne au regard de l’Eglise un crime ou un délit, il est
nécessaire qu’il se soit manifesté au for extérieur, condition de sa répression.
Les statuts de 1634 interdisent au promoteur de mener toute information contre
des personnes non diffamées22.
Les prévenus Delwarde et Vaixin, parents du deuxième au troisième degré de
consanguinité vivent ensemble, demeurent ensemble et déclarent publiquement qu'ils se
sont légitimement mariés à Tournai par-devant un ministre de la religion prétendument
réformée.
La poursuite du promoteur ne s’exerce en réalité qu’en raison du mauvais
exemple qu’exerçent sur le peuple chrétien les prévenus en « fournissant au prochain
l’occasion d’une ruine spirituelle » selon l’expression de saint Thomas.
Informé par le curé de la paroisse des accusés, le promoteur après une succincte
vérification des faits requiert qu’il soit accordé permission d’informer contre les
accusés. Celui-ci a recours à l'official.
Il déclare reprendre pour son office acte de la plainte et demande à l'official la
permission de faire informer du contenu de cette plainte. C'est l'official, dépositaire de
l'autorité juridictionnelle ecclésiastique, qui a donné permission au promoteur d'instruire
l'affaire.
Le scandale est la caractéristique ou du moins l’accompagnement habituel de la
faute publique : tout acte scandaleux sera de la répression des tribunaux au for externe.
Le promoteur affirme d’ailleurs que la situation a « provoqué un grand scandale
dans la paroisse » et même « dans les lieux circonvoisins ».
Pour instruire l’affaire, le promoteur, bien qu'élément central de la procédure,
n'est pas seul. Il a à sa disposition de nombreux auxiliaires.
22 Specialiter contra non diffamatos informationem fieri vertamus
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
20
L’officialité dispose en effet d'un appariteur, c'est lui qui tient le rôle de
l'huissier de justice de l'officialité.
Il rédige toute la procédure d'instruction, les assignations à comparaître et va
chercher les accusés afin de les amener devant le promoteur pour qu'ils soient entendus
comme témoins.
Ce personnage est présent tout au long de la procédure d'instruction, c'est lui qui
a la charge, par la rédaction de tous les actes, de garder une trace de la procédure.
L’officialité dispose également parmi ses auxiliaires de justice de commissaires.
La question se pose de savoir de qui dépend ce personnage du commissaire, dépend-t-il
de l’official ou reçoit –il ses instructions du promoteur ?
Il semblerait qu’il dépende uniquement du promoteur puisqu’en l’espèce, à
chacune de ses interventions, le commissaire rend compte de ses actes au promoteur qui
à son tour va en rendre compte à l’official, le commissaire ne contacte jamais
directement l’official. Il s’agit vraisemblablement plus d’un auxiliaire du promoteur
chargé de l’aider à mener à bien son instruction que d’un auxiliaire de l’official.
C'est devant ce personnage que vont être amenés et entendus les témoins de
l'affaire en l'espèce.
Le commissaire a un rôle d'audition des témoins, il est aidé en cela du greffier de
l'officialité, chargé de rédiger les actes d'audition dans une langue que comprennent les
témoins.
Enfin même si dans les faits le promoteur est l'élément central de la procédure en
l'espèce, il ne faut pas oublier le rôle primordial joué par l'official lui-même. C'est lui le
délégué de l'évêque, c'est sur lui que l'évêque s'est déchargé de sa fonction
juridictionnelle.
L'official, même s’il reste en retrait, prend part à l'instruction à tous les niveaux.
Il est le juge ordinaire de l'officialité, c'est lui qui est à l'origine de tous les actes de
procédure puisque le promoteur est obligé de lui faire part des actes qu'il entend faire.
De plus, seul l'official a le pouvoir de permettre au promoteur d’exécuter ces
actes.
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
21
Reste que dans les faits que nous avons été amenés à étudier c'est le promoteur
qui est le « moteur » de la procédure.
Il en est à l'origine. Il va en outre être présent tout au long de l'instruction
puisque c'est lui qui va donner des directives aux différentes composantes de l'officialité
afin de mener à bien cette instruction.
II/ LE DEROULEMENT DE L'INSTRUCTION
On l'a vu, le promoteur va reprendre pour lui les plaintes qu'il a reçu, il intervient
donc auprès de l'official de son propre chef, c'est à dire ex officio. Il est donc chargé
d'enquêter afin d'établir les faits dont il demande la punition.
Le promoteur demande à l'official la permission de faire informer du contenu de
la plainte.
Ayant reçu l'accord de l'official, le promoteur peut alors ouvrir l'instruction de
l'affaire. Il est libre, semble-t-il, d'instruire l'affaire comme il l'entend, il n'a pas à
répondre de ses actes devant l'official. Simplement pour tout acte demandé, le
promoteur doit recevoir l'aval de l'official, autorisation qu'il recevra chaque fois en
l'espèce.
Dans l'affaire Delwarde-Vaixin, le promoteur va demander à l'appariteur de
rédiger les assignations à comparaître des différents témoins à même de corroborer la
rumeur publique et les dires des prévenus qui se prétendent légitimement unis malgré
leur empêchement mariage. En l'espèce, le promoteur, Louis-Nicolas Roseleun,
demande l'assignation à comparaître de six témoins.
L'appariteur de l'officialité, A.J Boidin, porte aux domiciles des différents
témoins les assignations à comparaître. Les témoins sont alors priés de se présenter à
l'officialité sous huitaine pour y être entendu par le commissaire de l'officialité.
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
22
Pour récolter les différents témoignages le commissaire est aidé dans sa tâche
par le greffier de l'officialité, en charge de rédiger les dires des témoins dans une langue
qu'ils connaissent.
La procédure d'audition est stricte, chaque témoin doit présenter son assignation
au commissaire avant de pouvoir répondre aux questions posées. Une fois l'assignation
présentée, les témoins doivent prêter serment devant Dieu de dire la vérité. Chaque
déposition une fois terminée, est signée de la main du greffier, de la main du
commissaire et de la main du témoin qui vérifie ainsi la véracité de la transcription par
écrit de ses dires.
En l'espèce, chaque témoin y va de ses observations sur le couple Delwarde-
Vaixin.
J.Bauduin, cabaretier à Quiévry, affirme que les personnes Delwarde et Vaixin,
habitent ensemble, prétendent être mariés malgré leur troisième degré de consanguinité
et de plus n'approche plus de l'église paroissiale depuis leur mariage, ce qui choque
ostensiblement les catholiques.
Locquet, fermier, affirme connaître les prévenus, savoir qu'ils sont parents et dit
que d’après la rumeur publique ils se sont mariés devant un ministre du culte protestant.
Dhollande, marchand de bestiaux, abonde dans le même sens ainsi que
Deladoeuille, tailleur d'habits.
L’officialité de Cambrai, en tant que juge criminel, respecte l’ordonnance
criminelle de 1670 quant à l’audition des témoins et respecte la procédure à appliquer.
Cette procédure est conforme aux articles 4, 5, 9 et 11 du titre 6 intitulé « des
informations »23
Chaque témoin répond à une série de questions préalablement précisées.
Il semble que le promoteur, ce qui serait assez logique, ait précisé au
commissaire de l'officialité les questions auxquelles il voulait que les témoins répondent
pour affirmer ou infirmer la plainte sur la base de laquelle il a ouvert l'instruction.
23 Isambert, Ducrusy et Taillandier, recueil des anciennes lois françaises, tome 18, p. 381 et 382, Paris,1829.
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
23
On le voit, il y a une procédure très stricte qui accompagne l'audition des
témoins, il y a, sous-jacent, une volonté de garantir à l'accusé la possibilité de se
défendre comme nous le verrons plus tard.
Après l'audition des témoins, le rapport écrit de l'audition, rédigé par le greffier
est transmis au promoteur qui va alors se mettre à rédiger ce que l'on peut appeler
« l'acte d'incrimination ».
D'après les conclusions du promoteur, les personnes Delwarde et Vaixin sont
accusées de concubinage incestueux avec scandale.
A. les faits reprochés
Ø l'empêchement de parenté
Elevé à la dignité de sacrement, le mariage devient au moyen-âge de la
compétence législative et judiciaire de l'Eglise. Les questions matrimoniales furent
parmi celles où la compétence ecclésiastique s'est étendue le plus largement. L'époque
décisive à cet égard fut la fin du 11e siècle ; à cette époque de prépondérance de la
juridiction ecclésiastique, l'exercice du monopole judiciaire pose l'établissement du
monopole législatif.24
La compétence ecclésiastique, en matière de divorce et de séparation de corps
avait été affirmée par Réginon de Prüm au 10e siècle, puis par les conciles de Reims de
1049 et de Lillebonne de 1080. Le concile de Tours de 1060 prévoit le contrôle
épiscopal des séparations pour consanguinité. Alexandre II affirme la compétence de
l'évêque pour apprécier la parenté et, éventuellement, faire cesser l'union.
24 P.Daudet, L’établissement de la compétence de l’Eglise en matière de divorce et de consanguinité,Paris, 1941
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
24
La procédure de contestation de l'empêchement de parenté met en évidence le
rôle juridictionnel de l'évêque. Celui-ci seul est compétent.
Les institutions ecclésiastiques inférieures ne peuvent apprécier la parenté dont
la preuve est faite par un juramentum parentelae emprunté à la vieille procédure
synodale.
Le concile de Clermont de 1130 écarte comme suspectes les déclarations de
parenté émanant des époux ou des proches. Il n'admet que celles des tiers. On
s'achemine ainsi vers l'accusatio publica que connaîtra le droit canonique classique.
L'évêque intervient soit avant le mariage pour en empêcher la célébration, soit après,
pour faire cesser la vie commune.
En l'espèce, c'est bien l’accusatio publica qui alerte le promoteur et le décide à
agir contre les prétendus époux Delwarde-Vaixin.
Bien que ce ne soit plus l'évêque qui soit compétent exclusivement, en raison,
comme il a été dit, de l'évolution des procédures qui l'a conduit à se décharger de ses
compétences juridictionnelles sur l'official, la solution n'est pas très différente puisque
l'official est seul compétent pour apprécier la validité d'un mariage et les éventuels
empêchements qui l'accompagnent.
Du fait de l'existence de cet empêchement de parenté les prévenus sont donc
accusés de concubinage incestueux, et comme l'officialité a été prévenue par le biais de
son promoteur par l’accusatio publica, le concubinage incestueux est déclaré avec
scandale.
Il s’agit nettement d’une poursuite criminelle, contre un crime qui est l’inceste.
Il s’agit d’un crime que Guy de Rousseaud de la Combe qualifie de crime de luxure25.
« L’inceste est un crime qui le commet par la conjonction entre personnes
parents ou alliées, jusqu’à certains degrés, parmi ceux qui sont déterminés par les lois
civiles et canoniques sur les empêchements du mariage »26.
25 Guy du Rousseaud de la Combe, Traité des matières criminelles suivant l’ordonnance du mois d’août1670, p 32, Paris, MDCCLIII26 Ibid.
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
25
Nous nous trouvons ici dans le cadre d’un crime mixte qui est de la compétence
des deux juridictions, ecclésiastique et royale.
La juridiction ecclésiastique est donc compétente.
L’official agit ici en tant que juge criminel, l’accusation portée contre les
prévenus est une accusation criminelle au sens de l’ordonnance de 1670.
Il s'agit ici d'une intervention de l’officialité à posteriori puisque le mariage a
déjà été célébré, les personnes Delwarde et Vaixin s'étant déplacés à Tournai pour voir
leur union célébrée.
C'est là que se situe le deuxième grief fait à l'union des prévenus.
Ceux-ci sont allés s'unir à Tournai devant un ministre de la religion
prétendument réformée.
Ø La lutte contre le protestantisme
Outre le fait que les prévenus soient parents au troisième degré de parenté, ils
sont, en outre, allés devant un ministre du culte protestant bénir leur union, ce qui n'est
pas du goût de l'officialité de Cambrai et de l'Eglise catholique en générale.
Le protestantisme est né d'un mouvement révolutionnaire du 16e siècle dans
l'Eglise chrétienne d'occident, qui met fin à la suprématie du pape et aboutit à la création
des églises protestantes.
En France, depuis 1516, un concordat entre le roi et le pape avait placé l'Eglise
française en grande partie sous l'autorité royale.
Depuis le 13e siècle, la papauté s'était affaiblie en raison de l'avidité, de
l’immoralité et de l'ignorance de beaucoup d'ecclésiastiques à tous les niveaux de la
hiérarchie.
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
26
L'installation des papes en Avignon au 14e siècle, puis le grand schisme
d'occident porta un coup sévère à l'autorité de l'Eglise. Le clergé reconnaissait la
nécessité d'une réforme.
La réforme pénétra en France au début du 16e siècle sur l’initiative de Lefèvre
d'Etaples.
Les membres de cette première Eglise protestante nationale en France étaient
appelés huguenots. Malgré tous les efforts déployés pour les supprimer, leur nombre
s'accrut considérablement et la division de la France en deux camps entraîna les guerres
de religion (1552-1598). Grâce à Henri IV et l'édit de Nantes de 1598, les protestants
eurent droit à certaines libertés. Cet édit fut révoqué par Louis XIV en 1685, et le
protestantisme banni du royaume.
Le principal grief semble-t-il que l'Eglise catholique avait à faire aux protestants
était qu'ils prônaient une religion fondée sur la foi individuelle, guidée par les
enseignements de la Bible,la Bible étant l'unique source d'autorité morale.
Les protestants s'efforçaient aussi d'éliminer de la religion tout ce qui n'était pas
spécifiquement prescrit dans les Ecritures. L'Eglise catholique a alors dû se sentir
menacer dans ses prérogatives, elle qui avait su si bien préserver son essor jusqu'à
devenir une puissance quasi égale à celles des rois.
En l'espèce, les prévenus sont donc partis devant un ministre du culte protestant
pour se marier, ils se sont donc soustraits à l'autorité de l'Eglise catholique alors que
celle-ci, par le biais du prêtre de la paroisse de Quiévry avait refusé de les unir. Il s'agit
ici, semble-t-il, d'une volonté, de la part des autorités tant ecclésiastiques que royales,
de lutter contre la prolifération du protestantisme qui aboutirait à priver l'Eglise
catholique et à fortiori l’officialité de ses prérogatives.
Il faut ici distinguer la situation des Pays-Bas et de la France.
Si par l’intervention du roi Henri IV, les protestants étaient tolérés en France il
n’en été pas de même dans les anciens Pays-Bas espagnols, En effet le protestantisme y
était strictement interdit.
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
27
Les autorités espagnoles et les populations étaient catholiques et farouchement
anti-protestants.
Dès lors ces populations, dans les capitulations des villes de cette région,
demandaient toujours un article exprimant leur volonté de ne pas tolérer de protestants
dans l’enceinte de leur ville.
Louis XIV dans les premières années de son règne avait maintenu les privilèges
accordés aux protestants par Henri IV.
Par suite, et par un changement de position controversée27, Louis XIV reviendra
sur l’apport de son aïeul en prenant toute une série de dispositions contre les protestants
puis pour finir par révoquer purement et simplement l’édit de Nantes.
Tout comme pour l’inceste nous sommes ici dans un cadre criminel. En effet par
une suite d’édits antérieurs à l’édit portant révocation de l’édit de Nantes (1598), daté
d’octobre 1685, le roi va réduire les libertés des protestants.
En juin 1680, Louis XIV fait promulguer un édit « portant défenses aux
catholiques, sous peine d’amende honorable et de bannissement perpétuel, de quitter
leur religion pour professer la R.P.R., et aux ministres de cette religion de les recevoir
en religion »28. Louis XIV affirme que « […] nous voyons souvent avec déplaisir que
des catholiques se prévalent eux-mêmes de la concession de cette liberté pour passer en
la R.P.R., contre nos intentions et celles desdits rois nos prédécesseurs, à quoi le plus
souvent ils sont portés par séduction ou par l’intérêt imaginaire de leur fortune
particulière : Et jugeant important d’empêcher la continuation d’un si grand scandale,
sans néanmoins rien changer aux libertés et concessions accordées à ceux de ladite
R.P.R., […], voulons et nous plaît que nos sujets de quelque qualité qu’ils soient, faisant
profession de la religion catholique, ne puissent jamais la quitter pour passer en la
R.P.R. pour quelque cause que se puisse être. »29.
27 Pierre Goubert, Louis XIV et vingt millions de français, collection pluriel chez Hachette, Paris, 1997, p183 et s.28 Isambert, Ducrusy et Taillandier, Recueil des anciennes lois françaises, tome 19, Paris 1829, p 250.29 Ibid.
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
28
Par un autre édit daté de 1683, louis XIV interdit aux ministres de la R.P.R. de
recevoir les catholiques à faire profession en religion sous peine d’amende honorable et
de bannissement30, «[…] nous avons résolu d’y pourvoir en imposant auxdits ministres
une peine plus dure et plus sévère.
Savoir faisons, que pour ces causes, etc. ; voulons et nous plaît que les ministres
de la R.P.R. qui recevront à l’avenir aucun catholique à faire profession de ladite
R.P.R.ou les souffrirons dans les temples et prêches, et y recevront aussi aucuns de ceux
de ladite R.P.R. qui l’auront abjurée et embrassé la catholique, soient condamnés à faire
amende honorable et au bannissement perpétuel hors de notre royaume, avec
confiscation de tous leurs biens […] ».31
Enfin en octobre 1685 à Fontainebleau Louis XIV prend le dernier acte de sa
politique de « despotisme religieux »32 en révoquant l’édit de Nantes. Il y affirme que
« l’exécution de l’édit de Nantes, et de tout ce qui a été ordonné en faveur de ladite
R.P.R. demeure inutile […] »33. Dans son article premier, l’édit de Fontainebleau
énonce « Que la Religion Catholique, Apoftolique & Romaine foit feule exercéé dans
notre Royaume, Pays & Terres de notre obéiffance ; défendons à tous nos Sujets de
quelque état, qualité & condition qu’ils foient, de faire aucun exercice de Religion,
autre, que ladite Religion Catholique […] »34.
Le fait pour les prévenus de s’être unis pardevant un ministre de la R.P.R. et de
se proclamer eux-mêmes protestants est donc bien un crime punissable selon
l’ordonnance criminelle de 1670 tout comme le crime d’inceste.
C’est donc pour cela que les prévenus sont poursuivis par l’officialité de
Cambrai sur la base de ces deux griefs.
A partir de là les griefs ayant été expliqués à l'official par le promoteur, celui-ci
demande l'assignation à comparaître des prévenus pour témoigner.
30 Ibid, p. 419.31 Ibid.32 Pierre Goubert, Louis XIV et vingt millions de français, op. cit.33 Isambert, Ducrusy et Taillandier, recueil des anciennes lois françaises, op. cit.34 Guy du Rousseaud de la Combe, Traité des matières criminelles suivant l’ordonnance du mois d’août1670, p 592, op.cit.
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
29
L'official charge, par l’intermédiaire du promoteur, le commissaire d'ouïr les
accusés au consistoire35 de l’officialité.
L'official prend alors un décret d'ajournement personnel contre les prévenus
Delwarde et Vaixin.
B/ la procédure elle-même
Dès lors que le décret d'ajournement personnel contre les personnes Delwarde et
Vaixin a été pris par l'official, l'appariteur a en charge d'assigner les accusés..
Ø Une instruction très formaliste
La procédure suivie devant l'officialité est une procédure héritée de la procédure
romano-canonique, ce qui veut dire qu'elle est très formaliste.
En effet, comme on va le voir par la suite, de nombreux actes jalonnent cette
procédure d'instruction.
Suite à l'assignation formulée par l'appariteur de l'officialité, les accusés sont
sensés comparaître sous huitaine devant le commissaire pour être entendus sur les faits
qui leurs sont reprochés. Mais les accusés font défaut à l'assignation qui leur est faite.
35 Longtemps, la justice de l’évêque fut rendue sur le parvis de l’Eglise ; Mais le trouble de cet usage le fitprohiber au 13e siècle et le tribunal siégea dans une salle du palais épiscopal qui reprit le vieux nom dutribunal impérial, le consistorium.
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
30
Le promoteur va alors en informer l'official et lui demander qu'ils soient pris au
corps et conduits à la prison de l'officialité pour être ouïs et interrogés sur les faits qui
leurs sont reprochés. L'official ordonne alors que soient exécutées les conclusions du
promoteur, il transforme le décret d'ajournement en décret de prise de corps.
Il fait obligation aux accusés de s'y soumettre sous peine de voir leurs biens
saisis. L'appariteur de l'officialité va alors rédiger l'assignation de prise de corps.
L’officialité, juridiction ecclésiastique, est compétente pour ce qui relève du
mariage, sacrement. Mais cette juridiction a-t-elle la possibilité de contraindre les
prévenus à se présenter devant elle pour être auditionnés ? .
Il semblerait en l'espèce que oui, en effet suite au décret de prise de corps
ordonné par l'official, l'appariteur va se déplacer au domicile des accusés accompagné
de ses assistants pour les arrêter et les faire emprisonner. Une perquisition au domicile
des prévenus est même faite pour vérifier qu'ils sont bien absents, l'ordre est intimé au
nom de l'Eglise à la sœur du sieur Delwarde présente au domicile de laisser entrer
l'appariteur et ses assistants.
L'appariteur fait part de l'absence des prévenus à leur domicile au promoteur qui
en averti aussitôt l'official. L'official ordonne alors à l'appariteur de procéder à un
nouvel acte d'instruction. Il se rend alors, toujours accompagné de ses assistants, sur la
place du marché et par un cri public assigne à nouveau les accusés à comparaître.
Il renouvelle l'acte devant la porte principale de l'officialité et une nouvelle fois
devant le domicile des prévenus.
Du fait de l'absence de comparution des prévenus, le promoteur de l'officialité
requiert que « soit ordonné que les témoins ouïs en l'information devront être recoller
en leurs dépositions et que le recollement vaudra confrontation aux accusés ».
L'official l'ordonne et donne assignation aux témoins à comparaître au
consistoire de l'officialité pour être recollés en leur déposition contenue dans
l'information. L'assignation est faite par l'appariteur de l'officialité.
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
31
Le recollement a lieu devant l'official Mutte lui-même. Il s'agit en fait de
demander aux témoins s’ils persistent dans leurs dépositions. Le formalisme est le
même que lors de leur audition (durée de 6 heures-signatures).
Suite au recollement, le promoteur requiert que la contumace soit déclarée bien
instruite contre les accusés et que lesdits Delwarde et Vaixin soient déclarés dûment
atteints et convaincus de s'être mariés par-devant un ministre de la religion
prétendument réformée en la ville de Tournai malgré l’incompétence de ce ministre et
l'empêchement public de consanguinité.
Ø Une instruction rapide
La procédure suivie devant l'officialité, en plus d'être très formaliste donc
protectrice des intérêts des différentes parties en présence, a aussi le mérite d'être
rapide. En effet la plainte du promoteur date du 4 septembre 1750, l'information est
tenue le 11 septembre 1750, le promoteur rend ses conclusions le 15.
Le décret d'ajournement personnel contre les accusés est pris le 16 septembre.
Ledit décret est signifié le 18. Le défaut est signifié au promoteur le 10 octobre
1750, celui-ci rend ses conclusions le 13. Le décret d'ajournement est transformé en
décret de prise de corps le 14, signifié le 22 octobre, le procès verbal de perquisition est
du 22 octobre.
Suite à la non-comparution des accusés, il ait procédé à une nouvelle assignation
par cri public du 1er janvier 1751, pour laisser aux accusés le temps de se présenter
devant l'official. Le clergé a la prétention de pouvoir faire citer un accusé, absent, par un
cri public et à « son de trompe » par l’autorité du juge d’Eglise.
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
32
Il semble qu’il puisse le faire puisque cette forme de procédé était très ordinaire
chez les juges royaux et est conforme à l’article 8 du titre 17 de l’ordonnance criminelle
de 167036
Suite à l'absence de comparution des accusés, le promoteur rend ses conclusions
le 15 janvier. Le jugement du 26 porte que les témoins seront recollés et que le
recollement vaudra confrontation aux accusés, l'ordonnance est du même jour et
l'exploit d'assignation des témoins pour être recollés du 12 février. Le recollement a lieu
le 15 février 1751. Le promoteur rend ses conclusions définitives le 5 mars.
Il n’est généralement pas nécessaire d’user complètement de la procédure
extraordinaire pour obtenir les preuves nécessaires à la condamnation. L’official obtient
généralement assez facilement la soumission des accusés. Dans le cas contraire il
revendique le droit d’exercer la procédure extraordinaire avec recollement et
confrontation.
En l’espèce par l’absence des prévenus, l’official met en oeuvre cette procédure
extraordinaire comme il le fera au moment de leur arrestation où la procédure se
justifiera par l’opiniâtreté des accusés qui refusent d’avouer leur crime.
En tout l'instruction n'aura duré que six mois preuve que la procédure suivie
devant l'officialité de Cambrai est assez rapide en plus d'être très formaliste, il faut y
voir la volonté de ne pas vouloir voir bafouer le sacrement du mariage et laisser la
rumeur publique s'amplifier.
Suite donc à l'instruction, terminée le 5 mars 1751, l'officialité va rendre son
jugement contre les accusés Delwarde et Vaixin.
36 Guy du Rousseaud de la Combe, Traité des matières criminelles suivant l’ordonnance du mois d’août1670, p.185, Paris, MDCCLIII.
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
33
Section II : LE JUGEMENT
Le promoteur de l'officialité dans ses conclusions du 5 mars 1751 va demander
que les prévenus soient déclarés dûment atteints et convaincus de s'être mariés par-
devant un ministre du culte protestant en la ville de Tournai et de s'être considérés mari
et femme malgré l’incompétence de ce ministre et l'empêchement public de
consanguinité.
Malheureusement l'absence des prévenus à la procédure oblige l'officialité à
rendre une sentence par contumace ( I ). Suite au rendu de cette décision, se pose la
question du pouvoir de coercition de l'officialité en matière d'exécution de ses sentences
( II ).
I/ UN JUGEMENT PAR CONTUMACE
Le promoteur va jouer son rôle de ministère public et requérir contre les
prévenus des peines visant à les punir du trouble qu'ils ont commis.
A charge pour l'official de prendre les peines qui lui sembleront appropriées
pour réparer ce trouble.
Mais il ne pourra le faire, faute de comparution des prévenus, que par
contumace.
Comme en matière pénale, aujourd’hui, l'accusé devant l'officialité peut ne pas
être présent, il est alors jugé par contumace. En effet, il se peut que l'accusé se soit
soustrait à la main de la justice ou qu'il ne soit pas constitué prisonnier après le décret
de prise de corps.
La conséquence de l'absence de l'accusé a pour effet que la procédure n'a aucun
caractère contradictoire.
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
34
On peut en voir les effets en l'espèce où le promoteur fait procéder au
recollement des témoins alors que les prévenus ne sont pas présents.
L’officialité va quand même, malgré l'absence des prévenus, rendre un
jugement37.
A/ Le prononcé du jugement
Le promoteur, après avoir demandé à l'official que la contumace soit déclarée
bien instruite contre les accusés, demande que ledit prétendu mariage soit déclaré nul et
fait « défense [ aux accusés Delwarde et Vaixin ] de se considérer comme mariés
ensemble et au curé de ce lieu d'enregistrer le baptême de leurs enfants si aucuns
naissent, autrement que comme des enfants incestueux et concubinaires ».
Le promoteur joue son rôle de ministre public de l'officialité et va requérir
contre les prévenus des peines visant à réparer le trouble commis. Il requiert que
l'accusé soit conduit en la maison des bons fils à Armentières, l’accusée en la maison
des repenties de Valenciennes pour y faire pénitence pendant six mois. Pendant ce
temps, tous les mercredis et vendredis ils jeûneront et se confesseront tous les quinze
jours et feront une confession générale pour se disposer à rentrer. Ils réciteront tous les
jours les sept psaumes de la pénitence et seront condamnés aux dépens.
L'official, en tant que juge ecclésiastique rend alors son jugement par contumace
sur les conclusions de son promoteur.
« La peine ecclésiastique bien que rétributive reste dans sa finalité primaire ou
secondaire, curative, réformatrice et perfectionnelle.La fin essentielle du droit pénal
canonique est l’amendement du coupable.
37 Voir annexe n°1.
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
35
Le délinquant est un pécheur qu’il faut sauver »38.
Mais le délit est différent du péché dans la mesure où par le scandale qu’il
provoque, il trouble l’ordre social chrétien. Or il est du devoir de l’Eglise de protéger
l’ordre social et de le restaurer par la sanction prononcée. La peine ecclésiastique a,
comme les peines laïques, pour finalité de détourner les sujets de commettre des délits
par la menace des sanctions et l’exemple de leur application.
Pour assurer ces fins le juge disposait de peines vindicatives qui, sans exclure
l’amendement, visaient surtout la réparation du délit et l’intimidation du coupable. Le
juge disposait aussi de diverses pénitences tendant plus particulièrement à
l’amendement du coupable.
Mais le juge ecclésiastique ne doit punir que dans un esprit de mansuétude
comme le prescrivait le concile de Trente39 et les statuts de 1634 de l’officialité de
Cambrai, enjoignent de recourir à des peines modérées et que le juge choisira avec
discernement selon la qualité du crime et des personnes.
L’official prononce la nullité du mariage et la cohabitation qui s'en est suivie
incestueuse et concubinaire. Il décide la séparation immédiate des deux époux Delwarde
et Vaixin et décide que pendant deux mois ils seront conduits dans des maisons de piété
pour se remettre « dans les voies du Salut par la pratique de bonnes œuvres (...) et pour
y faire pénitence ».
Ils y effectueront une confession générale et tous les mercredis et vendredis ils
jeûneront.
Ils exécuteront tous les jours à genoux cinq fois l'oraison dominicale et la
salutation angélique. A leur sortie, ils se présenteront à leur curé dans l'église paroissiale
de Quiévry avant la messe paroissiale, à genoux à l'entrée du chorus, devant les fidèles,
ils demanderont à haute voix pardon à Dieu.
38 T.Lemarc’Hadour, la répression de la criminalité conjugale au XVIIIe siècle, l’exemple des Pays-Basfrançais, Lille, 1996, p.477.39 « Les évêques se souviendront qu’ils sont pasteurs et qu’ils doivent gouverner leurs sujets, non pourles dominer, mais pour les chérir comme des enfants et des frères [...].Lorsque, en raison de la gravité dudélit, la verge est indispensable, on saura joindre la rigueur à la mansuétude, la justice à lamiséricorde. »Ibid.p.478.
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
36
De plus l'official interdit aux deux prévenus d'avoir à l'avenir aucune habitude
suspecte, mais de se conduire de manière plus exemplaire.
Il est intéressant à ce stade de l’affaire de faire le rappel d’une affaire menée
devant l’officialité de Cambrai, il s’agit de l’affaire Cordier40.
C’est le début du mouvement de spoliation de la compétence du juge
ecclésiastique cambrésien.
Le 16 juillet 1735, le procureur général Vernimen interjette appel comme d’abus
d’une sentence de l’officialité de Cambrai du 4 juillet.
Une peine publique et infamante avait été prononcée contre les prévenus en
l’espèce.
Le procureur général s’insurge contre la peine prononcée par l’official. Il
conteste le droit de l’official à prononcer d’autres peines que des peines canoniques.
Face à cette volonté de la priver de ses prérogatives, la juridiction ecclésiastique
va réagir. L’official et le promoteur s’accrochent à leurs prérogatives. L’autorité
judiciaire ecclésiastique estime que la poursuite et la répression de ces crimes sont de
son devoir qu’elle accomplit de manière désintéressée.
Alors que l’affaire Cordier est pendante devant le Parlement, Daniel Oudart41
fait appel comme d’abus de la « plainte et permission d’informer tenus en conséquence
du décret d’ajournement personnel contre luy donné par l’official de Cambray comme
juge ecclésiastique le 13 avril dernier et tout ce qui s’en est suivi ». Le procureur
général fait lui aussi appel comme d’abus.
Par arrêt de règlement du 17 mai 1736, tout en confirmant la compétence de
l’official selon les termes stricts des concordats de 1447 et 1541 et l’arrêt de règlement
du conseil du 21 janvier 1682, le Parlement fait défense à l’official de faire pareilles
procédures à l’avenir dans des cas semblables à peine de dépens, dommages et intérêts
des parties.
40 A.D.N, 5G4.41 A.D.N, 5G134.
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
37
Cette jurisprudence constante du Parlement explique certainement la relative
discrétion des peines prononcées par l’official en l’espèce Delwarde-Vaixin42.
Tout au long du 18e siècle, le Parlement viendra contester la capacité de
l’officialité, cherchant à la cantonner dans un rôle plus spirituel que répressif.
L’official a, on le voit, la volonté de ne pas encourir les « foudres » du
Parlement de Flandre.
L'official permet au surplus au promoteur d'implorer au besoin l'assistance du
bras séculier pour l'exécution de la sentence qu'il vient de rendre.
B/ L'arrestation des prévenus
Suite à son jugement, l'official va donc permettre au promoteur d'« implorer »
au besoin l'assistance du bras séculier pour l'exécution de la sentence qu'il vient de
rendre.
Cela signifie-t-il que le promoteur, si le besoin ne s'en fait pas sentir, pourrait se
passer du bras séculier dans l'exécution de la sentence ?
Il semblerait bien que oui, il ressort de l'arrêt que l'exécution de la sentence que
nous verrons plus tard ne nécessite pas l'intervention du bras séculier.
Mais pour l'heure, l'official vient de rendre son jugement par contumace, il va
alors décerner un décret de prise de corps à l’encontre des accusés Delwarde et Vaixin.
C'est alors que va intervenir la maréchaussée sans que l'on sache très bien dans
l'arrêt qui lui demande son intervention. Toujours est-il que le sieur Dennuc, dit le
Georges, fait prisonnier les accusés et les conduits à la prison de la tour du chapitre de
l'église métropolitaine. Il les remet au geôlier de la prison qui les enferme.
42 nous y reviendrons plus lion dans notre développement, voir Chap. II, Section II, I B.
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
38
On peut supposer que la maréchaussée est intervenue sous l’ordre de l’official.
Il ne faut pas semble-t-il confondre ici la permission que donne l’official au
promoteur d’ « implorer » l’assistance du bras séculier et l’arrestation des prévenus.
Implorer le bras séculier nécessite un jugement de l’autorité royale qui ordonne
l’exécution de la sentence de l’officialité. En l’espèce il s’agit plus d’ordonner à la
maréchaussée d’intervenir. En effet l’ordonnance criminelle de 1670 dans son titre X
intitulé des décrets, de leur exécution et des élargissements, article 15 énonce
« Enjoignons à tous gouverneurs, nos lieutenants généraux des provinces et villes,
baillis, sénéchaux, maires et échevins, de prêter main forte à l’exécution des décrets et
de toutes les ordonnances de justice, même aux prévôts des maréchaux, vice-baillis,
vices-sénéchaux, leurs lieutenants et archers, à peine de radiation de leur gages en cas
de refus […] »43.
Toutes formes de décrets peuvent être mis à exécution, ce qui a même lieu pour
les décrets donnés et décernés par les juges d’Eglise, lesquels peuvent être mis à
exécution partout et en tout lieu du royaume, sans avoir besoin de demander aucun
pareatis aux juges royaux. Ceux-ci sont même obligés de prêter main forte et toute aide
et secours dont ils seront requis par les juges d’Eglise. C’est ce qui ressort de l’édit de
169544.
L'arrestation des deux prévenus a pour effet de « purger la contumace », le
procès est à recommencer. L'affaire sera alors jugée devant l'official dans la forme
contradictoire.
En effet, par leur arrestation les prévenus sont amenés dans la prison du chapitre
de l'église métropolitaine, là, ils sont entendus par l'official lui-même, accompagné bien
sur du greffier de l'officialité.
43 Isambert, Ducrusy et Taillandier, recueil des anciennes lois françaises, tome 18, p.390, Paris, 1829.44 Guy du Rousseaud de la Combe, op. cit., p303.
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
39
La procédure d'audition contre les prévenus commence, elle regroupe toutes les
caractéristiques de la procédure d'audition devant les témoins.
Il y a sous-jacent le soucis de garantir à l'accusé la possibilité de se défendre.
L'audition doit prendre au moins six heures et le greffier doit recueillir les dépositions
fidèlement par écrit dans une langue qu'il connaît.
Les accusés sont entendus par l'official les trois, quatre et sept juin 1751.
Si dans un premier temps Marie-Claire Vaixin se montre coopérative avec
l'official, il n'en est pas de même pour Pierre-Phillippe Delwarde.
En effet celui-ci se contente de répéter qu'il ne veut pas répondre devant la cour
et qu’il estime s'être marié légitimement45. Marie-Claire Vaixin quant à elle accepte
dans un premier temps de répondre aux questions de l'official et d'y répondre en étant
sous serment.
Elle affirme alors savoir le lien de parenté qui l'unit à Pierre-Philippe Delwarde,
elle affirme également s'être convertie au protestantisme et être enceinte. Mais par la
suite, lors des autres interrogatoires elle refusera de répondre aux questions tout comme
Pierre-Philippe Delwarde.
Les accusés sont ensuite confrontés aux différents témoins de l'instruction en vu
de répondre à l'obligation procédurale de confrontation des témoins aux prévenus, ainsi
que du fait de la purge de la contumace qui annule la procédure de recollement
précédemment effectuée.
La confrontation se fait d'abord devant Marie-Claire Vaixin puis ensuite devant
Pierre-Philippe Delwarde. Chaque témoin réitère ses observations sur le couple en
affirmant n'avoir aucun grief contre l'un d'entre eux. A chaque prévenu il est demandé
s’il connaît la personne qui témoigne devant lui.
La confrontation est retranscrite par écrit par le greffier de l'officialité, signée
par lui, par l'official et le témoin, les accusés refusant de signer.
45 Il semble que l’on puisse retrouver ici les préceptes du protestantisme qui rejette tout ce qui estextérieur à la Bible
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
40
Dès lors que la procédure est terminée se pose la question de savoir si la
juridiction ecclésiastique a véritablement le pouvoir d'exécuter ses sentences.
II/ UN POUVOIR DE COERCITION DE L'OFFICIALITE ?
Dès lors que les prévenus sont retenus prisonniers à la prison du chapitre de
l'église métropolitaine, la question se pose de savoir si l'officialité peut mettre à
exécution ses sentences elle-même ou demander l'aide du bras séculier.
On l'a vu au niveau de l'arrestation des prévenus les autorités locales semblent
coopérantes mais qu'en est-il au niveau de l'emprisonnement et de l'élargissement des
prévenus, voire de la question de la mise en œuvre des sanctions ?
A/ L'emprisonnement et l'élargissement des prévenus
L'arrestation des prévenus n'a semble-t-il pas posé de problème puisque les
autorités locales, la maréchaussée en l'espèce, ont collaboré.
C'est le cavalier de la maréchaussée Dennuc, dit le Georges, qui s'est chargé,
suite au décret de prise de corps décerné par l'official d'arrêter les prévenus et de les
amener à la prison du chapitre de l'église métropolitaine.
Une fois arrivés à l'église métropolitaine, les accusés Delwarde et Vaixin ont été
emmenés dans leur cellule par le geôlier de l'officialité.
On peut donc affirmer que l'officialité dispose d'un véritable pouvoir de
coercition quant à l'emprisonnement des prévenus qu'elle est chargée de juger.
En effet elle dispose d'une geôle située au sein même de l'église métropolitaine,
elle n'a pas à passer par le bras séculier pour faire garder les prévenus accusés par elle
d'avoir commis un délit ou un crime relevant de sa compétence.
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
41
La collaboration à ce niveau des autorités royales ne semble pas poser de
difficultés majeures. Le promoteur chargé d'arrêter les prévenus grâce au décret de prise
de corps décerné par l'official peut compter sur la bonne collaboration de la
maréchaussée de Quiévry.
L'Eglise possède bien les moyens matériels et le pouvoir de mettre en prison des
prévenus. Si la question ne semble pas se poser concernant des clercs qui par leur nature
religieuse sont soumis à l'autorité de l'Eglise, au vu de leur privilège de clergie.
En effet, celui qui est en possession d'état de clerc jouit du privilège de
juridiction d'ordre public, qui lui vaut d'être traduit devant les seules cours d'Eglise.
Pour battre en brèche ce privilège, la justice royale met au point un arsenal. Le
procès possessoire, premier temps de la constatation ou contestation de l'état de clergie,
relevait de la juridiction laïque46. Ainsi prétend-elle vérifier l'état de clergie : pour être
rendu au juge ecclésiastique, la personne doit « estre en habit et tonsure de clerc » ; si
son état est manifeste encore faut-il que le clerc ait un genre de vie compatible avec sa
charge, s'il se livre à des occupations séculières, le juge royal réclamera sa réduction à
l'état de laïc.
Or en l'espèce il ne s'agit pas de clercs mais simplement de paroissiens de
l'église de Quiévry accusés de s'être mariés devant un ministre de la religion
prétendument réformée malgré l'empêchement à mariage qui les concernait.
L'officialité, au vu de la présente espèce dispose donc bien d'un véritable pouvoir
d'emprisonnement concernant les personnes qui vont à l’encontre de ses lois.
Une autre question permet de s'interroger sur le pouvoir coercitif de l'officialité,
il s'agit de la question de l'élargissement qui se pose au juge ecclésiastque dans la
présente affaire. L’official va même jusqu’à faire une consultation juridique pour être
sûr de ne pas être en tort. L’official semble embarrassé, il demande conseil à des juristes
pour se protéger et protéger ses compétences.
46 En 1400, le procureur du roi énonçait : « Le roi et la juridiction lay ont la cognoissance des robes declercs et sont robes de clercs ou non ».
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
42
En effet suite à leur arrestation, avant même la confrontation devant les témoins,
se pose la question de la mise en liberté des détenus.
La question se pose de savoir si en l'état des choses, n'ayant eu d'abord qu'un
décret d'ajournement personnel décerné contre les accusés transformé ensuite en un
décret de prise de corps, faute pour les prévenus d'avoir satisfait au décret
d'ajournement, ils ne devaient pas être élargis, c'est à dire remis en liberté.
La question se posait en vertu de l'article 21 du titre 10 et l'article 12 du titre 15
de l'ordonnance criminelle.
Le conseil estime que les accusés ont commis un crime grave et sont punissables
des plus grandes peines ecclésiastiques. De plus devant être confrontés aux différents
témoins de l'affaire, les accusés ne doivent pas être élargis.
L'article 21 du titre 10 de l'ordonnance criminelle porte bien que les accusés
contre lesquels il n'y aura pas eu originairement de décret de prise de corps, seront
élargis après l'interrogatoire, s’il ne survient de nouvelles charges, ou par leur
reconnaissance ou par la déposition de nouveaux témoins. Mais les articles 22 et 23 du
même titre font savoir qu'aucun prisonnier pour crime ne peut et ne doit être élargi que
par sentence du juge.
Il apparaît en l'espèce qu'il est survenu de nouvelles charges contre les accusés
au sens de l'ordonnance, par leur reconnaissance des faits contenue dans les
interrogatoires et ce malgré le fait que dans le second interrogatoire, ils n'aient pas
voulu prêter serment.
Ces reconnaissances sont donc suffisantes pour empêcher qu’en attendant la
confrontation des témoins aux accusés, ces derniers ne soient pas élargis. De plus les
remettre en liberté ne ferait qu'augmenter le scandale de la paroisse et les laisser vivre
dans leur concubinage incestueux au lieu de les en punir. Enfin, les remettre en liberté
serait leur laisser la possibilité de corrompre les témoins.
Dès lors la décision est prise de laisser en prison les détenus pendant tout le
temps de la confrontation pour y subir ensuite les peines qui seront prononcées par le
juge ecclésiastique.
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
43
On le voit donc assez clairement dans l'espèce, concernant l'emprisonnement des
détenus, l'Eglise dispose de moyens matériels et d'un pouvoir coercitif de rétention des
prévenus dans ses prisons.
Reste la question de l'exécution des peines.
B/ L'exécution des peines prononcées
L'official, en tant que juge ecclésiastique réitère son jugement par contumace sur
les conclusions de son promoteur.
Il prononce la nullité du mariage et la cohabitation qui s'en est suivie incestueuse
et concubinaire.
Il décide la séparation immédiate des deux époux Delwarde et Vaixin et décide
que pendant deux mois ils seront conduits dans des maisons de piété pour se remettre
« dans les voies du Salut par la pratique de bonnes œuvres (... ) et pour y faire
pénitence ».
Ils y effectueront une confession générale et tous les mercredis et vendredis ils
jeûneront. Ils exécuteront tous les jours à genoux cinq fois l'oraison dominicale et la
salutation angélique.
A leur sortie, ils se présenteront à leur curé dans l'église paroissiale de Quiévry
avant la messe paroissiale, à genoux à l'entrée du chorus, devant les fidèles, ils
demanderont à haute voix pardon à Dieu.
De plus l'official interdit aux deux prévenus d'avoir à l'avenir aucune habitude
suspecte, mais de se conduire de manière plus exemplaire.
Reste la question de l'exécution des peines, concernant la nullité du mariage
celle-ci ne pose pas de problèmes puisque, le mariage, sacrement relevant de la
compétence de l'Eglise, est de la compétence de l'officialité.
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
44
Le problème se pose en ce qui concerne l'exécution des peines plus «
temporelles », il faut entendre par-là, l'emprisonnement chez des religieux, l'exécution
des pénitences et la demande de pardon au sein de l'église.
Les différents juristes au fil des années ont reproché à cette justice d'Eglise d'être
imparfaite car le juge ecclésiastique n'a que le pouvoir de juger et non celui de mettre
ses jugements à exécution, il doit passer par le bras séculier.
Il faut voir dans la question de la possibilité pour l'Eglise de faire exécuter ses
sentences, la question du « territoire ecclésiastique »47.
La notion de territoire en matière de juridiction peut avoir deux sens, au sens
concret, il s'agit d'un périmètre dans lequel un tribunal accomplit souverainement tous
les actes que comporte sa fonction, au sens abstrait il s'agit du pouvoir d'exécuter une
décision de justice.
Le territoire est considéré comme le prolongement du pouvoir de justice pour la
mise en application de la sentence. A l'intérieur de ses limites, les magistrats disposent
du jus terrendi, id summovendi, l'expression contient à la fois la notion de périmètre et
la notion de contrainte. L'Eglise a-t-elle un territoire à raison de sa juridiction spirituelle
?
Pierre de Cugnières, le premier président du Parlement en 1335, ne conteste pas
à l'Eglise la compétence sur le fonds du litige, mais seulement le droit de prise et
d'exécution des sentences. C'est la première fois en France que l'on contestait
publiquement à la juridiction ecclésiastique le droit de faire des actes judiciaires.
Suite à un procès entre l'évêque de Paris et le procureur général du 13 mars
1393,1'avocat du roi développe la distinction du diocèse et du territoire. L'évêque peut
prononcer des sentences mais est toutefois incapable de les faire exécuter, il doit passer
par le bras séculier car il ne possède pas de territoire.
Il semblerait pourtant en l'espèce que le diocèse dispose d'un véritable pouvoir
de contrainte dans l'exécution de sa sentence.
47 Cette question a déjà été évoquée dans Le songe du Verger, pour cela voir la thèse de M. Royer,L’Eglise et le royaume de France au 14e siècle d’après le « songe du vergier » et la jurisprudence duParlement, Paris, 1961
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
45
Les peines prononcées ont pour but la réparation du trouble qui est la première
étape vers la réintégration du fautif dans la communauté des fidèles.
Dans la décision d 'élargissement il est reconnu à l'officialité de faire subir aux
accusés les peines qui seront prononcées par le juge.
On connaît mal les moyens dont disposait l’officialité pour faire exécuter ses
sentences. Si le recours au bras séculier est attesté pour la partie autrichienne du
diocèse, on ignore s’il a été utilisé efficacement dans la partie française.
A cet instant de l'affaire, la situation semble claire puisque les accusés sont
détenus dans la geôle de l'officialité. Mais va intervenir le parlement de Paris auprès
duquel les prévenus Delwarde et Vaixin ont formé un appel comme d'abus contre la
décision de l'officialité. Dès lors se pose la question des relations de la juridiction
ecclésiastique avec les hautes instances juridictionnelles royales.
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
46
CHAPITRE II : L'intervention du pouvoir royal
Suite à leur arrestation par les cavaliers de la maréchaussée et leur remise au
geôlier de l'officialité, les prévenus Delwarde et Vaixin produisent à l'official un arrêt
du Parlement de Paris sommant l'officialité de stopper la procédure.
Les prévenus sont en effet aller devant le Parlement de Paris former un appel
comme d'abus contre la décision de l'official les concernant.
Le Parlement de Paris ordonne de faire cesser l'affaire et interdit la prise de
corps décernée contre les prévenus. Va suivre une intervention du Parlement de Flandre
qui va venir « au secours » de l'officialité.
Il convient donc d'étudier dans un premier temps la procédure de l'appel comme
d'abus introduit devant le Parlement de Paris ( section l ), pour ensuite voir la réaction
du Parlement de Flandre qui se pose, et c'est étonnant, comme défenseur de l'officialité (
section II ).
Section l / La procédure de l'appel comme d'abus
La procédure de l'appel comme d'abus a été introduite en France afin de
permettre la lutte contre les autres juridictions en concurrence avec la juridiction royale.
Cette procédure a été utilisée contre les juridictions ecclésiastiques, à une époque où
elles représentaient un risque face à l'affirmation du pouvoir royal ( I ). Cette procédure
a permis de lutter contre les officialités, à travers l’œuvre des gens du roi, avec la
volonté sous-jacente de lutter contre les abus de cette juridiction et de la priver de ses
compétences ( II ).
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
47
I/ L'INTRODUCTION DE L'APPEL COMME D'ABUS EN FRANCE
A/ Son origine
En France, la réaction contre la justice d'Eglise s'est amorcée dès le 13e siècle et
dès le départ le Parlement a joué un rôle important :
« Ce rôle s'est accru au 14e siècle, à la faveur de la faiblesse des premiers Valois,
ces princes, contestés sur le plan national et contraints de faire face à l'Angleterre sur le
plan international, n'avaient ni les moyens ni le courage d'entamer une lutte ouverte
contre un clergé actif et influent. Ils n'ont donc pas hésité à se décharger du problème
sur les parlementaires »48.
En 1329, lors de l’assemblée de Vincennes, l'avocat du roi Pierre de Cugnières
dénonce les nombreux abus des tribunaux ecclésiastiques, abus que Philippe IV
condamne en laissant au Parlement la responsabilité de les combattre.
C'est pourtant au roi que devrait revenir cette tâche : à une époque où il réussit à
imposer sa souveraineté et où l'Eglise commence à prendre un caractère national plus
marqué, il lui appartient en effet d'accorder son clergé et ceux qui, pour son compte,
représentent la puissance temporelle.
« Cette image du roi « arbitre » des conflits entre les puissances spirituelle et
séculière triomphe dans Le songe du vergier, paru en 1376 : « Sous nos yeux, pour
ainsi dire, les deux grandes rivales viennent implorer la lumière de justice du roi » ; c'est
donc au roi lui-même, et non au Parlement, qu'aurait dû revenir l'arbitrage des conflits
entre les deux puissances, et notamment des conflits de juridictions »49. Mais les
circonstances en ont décidé autrement.
48 V.Demars-Sion, les monarchies européennes aux prises avec la juridiction ecclésiastique : l’exempledes anciens Pays-Bas espagnols, Revue du Nord, juillet-septembre 1995, p.538.49 ibid., p.539.
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
48
En pratique, tout au long du 14e siècle, les interventions du Parlement se
multiplient. Mais ce n'est qu'au 15e siècle que la procédure de l'appel comme d'abus fait
vraiment son apparition à la suite de nouveaux démêlés entre la royauté française et la
papauté : la Pragmatique Sanction de Bourges de 1438 va faire naître de nombreux
conflits dont les Parlements sont appelés à connaître
L'appel comme d'abus est donc une création jurisprudentielle.
A la fin du 13e siècle et d'avantage encore au 14e siècle, dans le cas où une
officialité empiéterait sur la juridiction laïque, le Parlement, mais lui seul, cherche à
faire annuler l'acte résultant de cet excès de pouvoir, en contraignant la cour d'Eglise à
le faire elle-même en exerçant une pression par la saisie de son temporel, c'est à dire des
immeubles compris dans les bénéfices ecclésiastiques. Au 15e siècle, le Parlement
s'arroge peu à peu le droit d'annuler lui-même un acte de l'autorité ecclésiastique sur
appel dirigé contre ce dernier, ainsi tout acte qui contredirait les dispositions de la
Pragmatique sanction de Bourges, réglant les rapports du roi et de l'Eglise gallicane,
peut-il être annulé.
Dès 1448, la cour souveraine connaît de tel cas d'appel ; bientôt qualifié «
d'arrêt rendu sur appel comme d'abus », aussi bien interjeté par les particuliers que par
les procureurs du roi et aboutissant à une déclaration d'abus et de cassation.
Cet appel connaît à partir du règne de François 1er son épanouissement et sa
forme définitive puisqu'il commence à s'appliquer à des matières purement spirituelles.
Il est à noter que ce mécanisme de l'appel comme d'abus ne sera pas introduit
partout en France à la même époque, l’appel comme d’abus était inconnu aux Pays-Bas
méridionaux et Louis XIV, en renouvelant les usages et privilèges des provinces
conquises, avait maintenu la procédure du recours au conseil, usitée dans les pays sous
domination espagnole, pour régler les conflits entre les juridictions ecclésiastiques et
séculières.
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
49
Cette procédure était destinée à régler, comme la procédure de l’appel comme
d’abus, les conflits entre juridictions ecclésiastiques et séculières, c’est une création
royale, imposée par Philippe II dans les anciens Pays-Bas bourguignons soumis à sa
domination entre 1559 et 1585.
Cette procédure était différente selon les cas, lorsque le juge ecclésiastique était
victime d’un empiètement de la juridiction laïque, le recours devait être adressé au roi
lui-même ou à son conseil privé. Lorsqu’il était coupable d’un empiètement, le recours
pouvait être porté devant les cours de justice.
Louis XIV avait confirmé cette procédure par un arrêt du conseil du 28 février
1676.
En Flandre où, du fait du contexte historique particulier, le mécanisme de l’appel
comme d’abus ne sera introduit, par une déclaration du roi, que le 18 janvier 1719.
Le roi fait ainsi de l’officialité de Cambrai une cour originale mais qui, sous la
surveillance du Parlement, tend à se franciser.
Tout empiétement du juge ecclésiastique sur le domaine temporel est donc
sanctionné par le biais de la procédure d'appel comme d'abus.
Pour assurer une efficacité maximale à cette procédure et permettre ainsi un
contrôle réel de la justice d'Eglise, le pouvoir royal a adopté diverses mesures du type
de l'ordonnance de 1510 qui impose de préciser dans toute assignation devant un
tribunal ecclésiastique « les faits et conclusions du demandeur » de façon à « empêcher
que les laïcs ne soient citer impunément et sans motifs devant les juges d'Eglise [... ]. ».
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
50
B/ Sa mise en œuvre en l'espèce
Les prévenus Delwarde et Vaixin, lors de leur arrestation et de leur présentation
devant l'official, lui présentent un document du Parlement de Paris.
Les accusés, pour se soustraire aux peines que « mérite leur délit public », selon
l'official, se sont avisés d'interjeter appel comme d'abus devant le Parlement de Paris qui
par son arrêt du 16 octobre 1750 a reçu lesdits Delwarde et Vaixin appelant comme
d'abus.
Le Parlement de Paris juge l'appel pour bien relevé, leur accorde audience au
premier jour, ordonne que les informations et autres procédures extraordinaires seront
apportées au greffier criminel de la même cour.
Le parlement de Paris ordonne que le décret d'ajournement personnel et la
conversion de celui-ci en prise de corps soit stoppé. Il est donc fait interdiction au
promoteur de l'officialité de Cambrai de continuer l'information et de mettre à exécution
le décret de prise de corps à peine de nullité et mille livres d'amende.
L'arrêt fut signifié le 26 octobre au promoteur par l'huissier avec sommation de
déferrer aux défenses qui y sont faites, sans cependant que l'huissier qui a laissé copie
de cet arrêt, en ait voulu montrer l'original quoi qu'interpellé à ce sujet par le greffier de
l'officialité. Suite à cet arrêt le promoteur a saisi le Parlement de Flandre. Celui-ci a
rendu un arrêt contradictoire à celui du Parlement de Paris permettant à l'officialité par
son promoteur de poursuivre la procédure. Mais l'intervention du Parlement de Paris ne
s'est pas arrêtée là.
Par un second arrêt du 8 juin, il a été présenté un second arrêt à l'official.
Ce second arrêt fait mainlevée aux prévenus Delwarde et Vaixin de
l'emprisonnement de leurs personnes et ordonne de les laisser sortir de prison. Pour ce
faire le geôlier de l'officialité se retrouve contraint par corps.
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
51
Le parlement de Paris fait alors incarcérer le geôlier de la prison du chapitre de
l'église métropolitaine qui refusait d'obéir.
Il est aisé de penser que c'est là une volonté de priver l'officialité de ses
compétences.
Le pouvoir royal avait maintenu les spécificités de la région de la Flandre après
son annexion au royaume de France, il semble que cette politique de conciliation n'ait
été qu'une façade.
Il y a une volonté d'assimilation par la douceur de la région par la procédure de
l'appel comme d'abus.
II LA VOLONTE DE PRIVER L'OFFIClALITE DE SES
COMPETENCES
A. Le rôle du ministère public
On peut penser qu'en l'espèce le ministère public du Parlement de Paris a eu à
cœur de montrer sa bonne volonté à son souverain. Le ministre public a pour fonction
première de veiller sur les intérêts patrimoniaux du roi et de veiller à l'intégrité du
domaine royal50 Mais au-delà d'une position purement conservatrice des droits et
prérogatives du roi, le ministre public en a aussi poursuivi l'extension constante dès la
fin du 13e siècle. En effet dès le 14e siècle, le roi n'agit plus directement en justice mais
sous le nom de son procureur51.
50 Biens du roi, revenus qu’il perçoit, prérogatives dont il jouit.51 D’où l’adage : « nul en France ne plaide par procureur hormis le roi »
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
52
Ainsi s'explique l'intervention du ministère public dans l'extension des droits et
prérogatives du roi, notamment en faveur d'une compétence, sinon exclusive du moins
la plus large possible, des juridictions royales au détriment des autres détenteurs de
pouvoirs judiciaires comme l'Eglise.
La lutte menée par les gens de justice contre les prétentions de l'Eglise fut aussi
difficile que la controverse doctrinale fut animée.
L'action menée par les gens du roi fut couronnée de succès car confirmée par la
jurisprudence du Parlement et entérinée par les ordonnances royales, elle a par exemple
conduit les officialités à renoncer dès le 14e siècle à la connaissance des causes
concernant les clercs mariés ou les clercs marchands.
C'est grâce au droit canonique lui-même que le ministère public assurait le
règlement des conflits52.
Le parquet s'engage dans la lutte contre les prétentions ecclésiastiques.
Après avoir abandonné le droit de juger les affaires dans lesquelles elles
n'avaient qu'une compétence concurrente, les cours d'Eglise vont progressivement être
dépouillées d'une partie de leur compétence exclusive concernant les contrats jurés, les
matières bénéficiales. Ce dépouillement sera encore plus ressenti dans les causes
matrimoniales, « le ministre public a eu un rôle déterminant dans l'émergence d'une «
pratique française » du mariage exigeant comme conditions du mariage le consentement
des parents et une célébration solennelle devant le curé »53 Ces conditions nouvelles
tranchant avec la conception purement consensuelle de l'Eglise54.
Le formalisme que l'Eglise elle-même avait développé après le concile de Trente
est renforcé pour éviter les mariages clandestins, source de mésalliance.
52 Par l’interprétation des décrétales de Boniface VIII on est arrivé à écarter le privilège du for pour lesclercs qui se montraient indignes de leur état. De même par l’interprétation de la décrétale clerici, leparquet força les évêques à abandonner à la juridiction laïque la connaissance des clercs mariés dans lesprocès civils.53 S.Dauchy, Histoire du parquet sous la direction de JM.Carbasse, Droit et Justice, PUF, 2000.54 « On a vu dans l'intervention du parquet l'origine des démarches tentées au 14e siècle pour fairereconnaître cette nouvelle exigence au concile de Trente et même l'origine de l'Edit d'Henri II de 1556,édit qui énonce tous les éléments de la thèse défendue par le procureur du roi en 1403 : obligation duconsentement des parents, majorité matrimoniale de la femme fixée à 25 ans et sanction civile del'exhérédation pour inobservation des nouvelles règles ».Ibid.
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
53
Une réglementation royale, réaffirmant ces conditions, sera ensuite promulguée
par l'Ordonnance de Blois de 1579.
Tout au long des 17e et 18e siècles, le parquet veillera à l'application stricte de
cette réglementation.
Celui qui est en possession d'état de clerc jouit du privilège de juridiction d'ordre
public, qui lui vaut d'être traduit devant les seules cours d'Eglise, mais qui n'a cessé de
s'étendre à des personnes de plus en plus nombreuses échappant de ce fait à la
juridiction royale et ne correspondant plus, aux yeux de ceux qui la constituent, à
l'image du clerc. Pour battre en brèche ce privilège, la justice royale met au point un
arsenal. Le procès possessoire, premier temps de la constatation ou contestation de l'état
de clergie, relevait de la juridiction laïque.
Ainsi prétend-elle vérifier l'état de clergie : pour être rendu au juge
ecclésiastique, la personne doit « estre en habit et tonsure de clerc » ; si son état est
manifeste encore faut-il que le clerc ait un genre de vie compatible avec sa charge, s'il
se livre à des occupations séculières, le juge royal réclamera sa réduction à l'état de laïc.
Si nécessaire le parquet va même jusqu'en cour d'Eglise pour tenter d'apporter la
preuve de la laïcité. Surtout, les juristes établissent la théorie des cas privilégiés,
pendant des cas royaux, qui crée au profit des juridictions royales un privilège de
juridiction, tant au criminel qu'au civil.
Au civil, le privilège du for s'amenuise. Au 13e siècle déjà, les officialités étaient
incompétentes pour tout ce qui concernait les tenures féodales des clercs et leurs causes
réelles immobilières. Bientôt, le roi s'immisce dans les causes portant sur les bénéfices
ecclésiastiques conférés par l'évêque, au nom de l'ordre public, lorsque qu'une
contestation s'élève entre deux attributaires d'un même bénéfice, le juge royal s'impose
en matière possessoire, dès les premières années du 14e siècle, les juges laïcs
connaissaient au moyen de l'action en complainte le possessoire des bénéfices
ecclésiastiques.
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
54
Par-là une brèche est ouverte : en droit canonique, le bénéfice n'est pas un objet
susceptible de possession par n'importe qui ; il ne peut être possédé qu'à un certain titre
que le juge royal ne peut manquer d'examiner, intervenant alors dans le débat de fond55.
Il en alla de même pour les causes personnelles des clercs, notamment des
causes plaidées à propos des contrats passés devant notaire qui relèvent du juge royal
pour leur exécution.
En matière civile, L'Eglise va perdre une à une ses compétences exercées sur les
laïcs. Il en va ainsi dans le domaine des contrats, où le déclin du serment entraîne la
disparition de l'intervention du juge d'Eglise, et dans le domaine des testaments, dès les
15e et 16e siècles (la compétence de l'Eglise s'expliquait, au Moyen-Age, par le fait que
les testaments servaient à faire des legs pieux parfois réparateurs des torts accomplis par
le de cujus de son vivant pour assurer 1e salut de son âme).
En matière matrimoniale, là aussi l'Eglise est dépouillée de ses compétences.
Le mariage étant un bien, une voie pour le salut, l'Eglise affirme son caractère
consensuel56. Compétente quant à la formation du lien, l'Eglise l'est aussi au Moyen-
Age pour tout ce qui en découle, relations conjugales, personnelles et même parfois
pécuniaires, légitimité des enfants, relâchement du lien.
Dans un mouvement qui s'amorce au 14e siècle, les juristes gallicans parviennent
petit à petit à dépouiller l'Eglise de ses compétences en matière matrimoniales. Les
aspects connexes du sacrement échappent à l'officialité, mais le lien matrimonial
continue, lui, à lui appartenir (encore que la justice royale se réserve de punir, à partir de
la fin du 16e siècle, et sans revenir sur la validité de leur mariage, les époux
clandestinement mariés, sans le consentement de leurs parents).
55 En matière bénéficiale, le possessoire dont étaient juges les tribunaux laïcs suffisait pour enlever toutintérêt au pétitoire dont les tribunaux d'Eglise avaient la connaissance théorique.56 Mais l'Eglise en a toutefois réglementé les conditions de fond de formation : Les époux doivent savoir àquoi ils s'engagent et être capables d'assurer les fins du mariage, de consentir à la propriété réciproque deleur corps, à une communauté perpétuelle et exclusive de vie.
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
55
Elles perdent leur compétence en matière d'effets pécuniaires du mariage et elles
voient les juges laïcs empiéter sur les questions purement spirituelles touchant à la
formation, la validité du lien conjugal.
B. La volonté de court-circuiter l'officialité
« Quand Louis XIV prend possession d'une partie des Pays-Bas espagnols, entre
1667 et 1678 dans le cadre de la guerre de Dévolution, il intègre au royaume des
provinces « originales » du point de vue de la situation des autorités ecclésiastiques : les
officiaux y bénéficient d'une position tout à fait privilégiée par rapport à leurs collègues
français »57.
Cet état de fait ne plaît évidemment pas au roi de France car il contrarie ses
desseins unificateurs. Mais le souverain entend éviter de froisser ses nouveaux sujets ;
l'assimilation dont il rêve, et qui conduira à la ruine de la juridiction ecclésiastique, ne
se fera donc que de manière progressive..
« La France et les Pays-Bas ont été balayés par la même vague de contestation
de la justice d'Eglise mais en France cette vague a dégénéré en raz de marée (qui a
emporté la juridiction ecclésiastique) tandis qu’aux Pays-Bas elle est restée contenue
grâce aux digues dressées par les souverains »58.
En France comme aux Pays-Bas, on a voulu amoindrir la compétence des
officiaux aux matières spirituelles mais il fallait avant tout définir ces matières.
57 V.Demars-Sion, Les monarchies européennes aux prises avec la justice ecclésiastique : l’exemple desanciens Pays-Bas espagnols, Revue du Nors, juillet-septembre 1995, p.551.58Ibid.
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
56
La France a très vite opté pour une définition stricte qui s'est imposée à travers la
jurisprudence des Parlements soutenus par le pouvoir royal.
« Les souverains des Pays-bas, quant à eux plus conciliants, ont accepté une
définition plus souple : les divers concordats conclus sous leur autorité tolèrent
l'existence de « causes mixtes » dans lesquelles les officiaux peuvent intervenir en
compétition avec les juges laïques (sur le fondement du système de la prévention) ; ils
admettent aussi que les juges d'Eglise continuent à statuer sur certaines questions civiles
liées à des causes spirituelles, en vertu de la théorie de l'accessoire. En pratique, la
juridiction des officiaux reste très étendue dans toutes les causes personnelles touchant
aux mœurs : défloration, inceste, adultère... ; dans toutes ces matières, les officiaux
peuvent être saisis par prévention et statuer sur les éventuelles conséquences civiles
(allocation de dommages et intérêts, de dot, d'aliments... ). En revanche, leur
compétence a été pratiquement réduite à néant dans les questions réelles ; en effet, selon
le droit et les placards et les édits de par-deçà, et concordats faits avec le Saint Siège, les
juges ecclésiastiques ne peuvent prendre connaissance des actions réelles »59.
Cette compétence étendue a évidemment suscité de nombreux conflits avec les
Magistrats locaux.
Ces conflits, ouverts dès le 15e siècle, se prolongeront jusqu'au 17e siècle
notamment à Lille et à Cambrai.
« Soucieux de ménager la susceptibilité de ses nouveaux sujets, Louis XIV est
prêt à bien des concessions ; la conquête française est donc suivie d'une période de
transition pendant laquelle les anciennes solutions sont censées continuer à s'appliquer.
Mais ces concessions ne sont que transitoires : dès l'instant où il estimera que le
temps a fait son œuvre, le pouvoir procédera à l'assimilation dont il a toujours rêvé »60.
59 Ibid.60 Ibid, p 555.
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
57
Fidèle aux traditions et aux maximes politiques des conquérants, Louis XIV est
partisan de « la manière douce » ; c'est pourquoi, dans les Capitulations des différentes
villes qui se sont soumises à son autorité, il a permis aux peuples de la Flandre de
conserver les lois qu'ils avaient reçues des ducs de Bourgogne et des princes de la
Maison d'Autriche, et de les maintenir dans leurs franchises, privilèges et usages.
Appliqué au cas particulier de la juridiction ecclésiastique, cet engagement royal
suppose le maintien de la compétence des officiaux dans les cadres tracés avant
l'annexion c'est dire sur la base des concordats.
Telle est apparemment l'intention du roi : à Cambrai par exemple, il a
formellement accepté de conserver l'organisation judiciaire préexistante et a
expressément confirmé la juridiction de l'official.
« Pour garantir l'exécution de ces Capitulations, Louis XIV a institué le Conseil
de Tournai (futur Parlement de Flandre) qu'il a composé de juges indigènes afin de
rendre aux peuples des pays conquis une Justice selon leurs mœurs »61.
Très vite les Magistrats locaux passent à l'attaque et tentent d'introduire le
système français de l'appel comme d'abus.
S'ouvre alors une nouvelle période en 1715 à la suite du traité dUtrecht (1713)
qui a mis fin à la guerre de succession d'Espagne.
« Ce traité a confirmé la souveraineté française sur une partie des Pays-Bas
espagnols tout en enlevant à Louis XIV certaines de ses conquêtes du 17e siècle : c'est
ainsi que la France a gardé Cambrai mais a perdu Tournai »62.
C'est donc à Cambrai que va se dérouler le combat contre la justice d'Eglise.
61 Ibid.62 Ibid, p.561.
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
58
« Le roi de France considère que le moment de mettre en chantier la politique
d'assimilation est enfin venu ; il est conforté dans ce sentiment par l'attitude du
Parlement de Flandre, définitivement installé à Douai depuis 1714, qui commence,
semble-t-il, à appliquer officieusement le système de l'appel comme d'abus. Par la
déclaration du 18 janvier 1719, il franchit le pas et décide de rétablir l'usage des appels
comme d'abus en Flandre »63.
C’est un modèle de mauvaise foi : dans ses motifs, le roi s'efforce de démontrer
qu'il ne porte pas atteinte aux particularismes locaux alors que son seul but est de
normaliser la situation de la province.
« Il affirme que les appels comme d'abus ont été autrefois en usage en Flandre
avant la cession de la souveraineté faite au roi d'Espagne, il considère donc qu'il est
normal que cette procédure ait recommencé à s'appliquer après le retour de la province
sous domination française et il va même jusqu'à prétendre que cette procédure n'a
jamais vraiment disparu en Flandre puisque les appels comme d'abus ont été conservés
par l'ordonnance de Philippe II du 8 janvier 1559 servant de règlement pour le Grand
Conseil de Malines »64.
Il ne fait pourtant aucun doute que ce texte introduit bel et bien une innovation.
« Le Procureur général au Parlement de Flandre lui-même s'en montre
convaincu lorsqu'il déclare, dans un réquisitoire prononcé en 1724 que « la voye d'appel
comme d'abus étoit cy-devant inconnue au Parlement de Flandre, Sa Majesté l'a
introduite en cette cour par une déclaration de 1719 » »65.
A partir de là va pouvoir commencer la campagne de spoliation du juge
ecclésiastique tant désirée par Louis XIV.
Reste que dans la région du Cambrésis cette campagne quoi qu’on ait pu en dire
ne commencera pas de suite, le Parlement de Flandre continuant à permettre à
l’officialité de statuer dans certaines affaires criminelles.
63 Ibid.64 Ibid.65 Ibid, p.562.
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
59
Section II / L'opposition du Parlement de Flandres
l/ UNE POSITION ETONNANTE...
A/ Le parlement de Flandre, garant des compétences de
l’officialité ?
Par deux fois, on l'a vu, le Parlement de Paris est intervenu pour empêcher
l'officialité de terminer l'instruction du procès et son exécution. Somme toute cette
intervention peut se comprendre.
La position du Parlement de Flandre l'est un peu moins.
Par deux fois également le Parlement de Flandre va venir infirmer la décision du
Parlement de Paris et permettre au promoteur de continuer la procédure d'instruction et
l'official de mettre à exécution sa sentence66.
« Avec la conquête de la région par Louis XIV, le conseil souverain,
démembrement du conseil de Malines, s'installe à Tournai en 1668.
Du fait de la petitesse de son ressort ( dans un premier temps : Tournai, Lille,
Douai, Orchies) il est privé du titre de Parlement. Il ne l'obtiendra qu'en 1686.
En 1709, le Parlement s'exile à Cambrai en raison de la prise de Tournai par
l'ennemi. Après le traité d'Utrecht il revient à Douai par une décision royale de 1713.
La réforme Maupeou le transforme en conseil supérieur en 1771.
Rétabli par un édit de novembre 1774, il subsistera jusqu'à la fin de l'ancien
régime »67.
66 Voir annexe n°3.67 P.Bufquin, le parlement de Flandre à douai, Histoire de la Justice n°8-9, 1995-1996, p.181-189.
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
60
Le parlement de Flandre est compétent pour juger en première instance les
privilégiés, c'est à dire les parlementaires eux même, les chevaliers des grands ordres
royaux, les fonctionnaires et les chapitres.
Il était juge d'appel des juridictions du Nord de la France. Ses arrêts n'étaient pas
soumis à cassation mais, le cas échéant, à une révision qu'il exerçait lui-même au sein
d'une chambre à laquelle se joignaient des parlementaires du conseil souverain d'Artois
et des professeurs d'université.
En l'espèce pour justifier sa décision dans son premier arrêt, le parlement de
Flandre énonce que le village de Quiévry, lieu de commission du délit et du domicile
des accusés étant situé dans la province du Cambrésis, cette province n'étant pas dans le
ressort du Parlement de Paris mais dans celui du Parlement de Flandre, la cour estime
que l'arrêt du Parlement de Paris est nul et incompétemment rendu.
Il en sera de même dans le second arrêt.
La position du Parlement de Flandre peut paraître étonnante tant il est vrai que le
procureur général près de la cour, Gilles de Vernimen, n'est absolument pas un
ultramontain mais plutôt un gallican, respectueux des directives royales en la matière de
juridiction ecclésiastique.
Il ne faut pas rechercher l'explication de la position du Parlement de Flandre
dans la volonté de rompre avec la politique royale gallicane mais plutôt comme une
volonté de s'affirmer comme un véritable Parlement face au Parlement de Paris et donc
à une volonté de maintenir sa compétence régionale.
Mais le Parlement, au cours du 18e siècle, tendra à franciser la jurisprudence de
l’official de Cambrai, par une série d’arrêts qui fixent sa jurisprudence.
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
61
Au début du 18e siècle, l’official de Cambrai avait la possibilité de prononcer
une peine d’exposition. « Mais cette peine impliquait nécessairement une certaine
publicité et emportait l’infamie des coupables. Elle heurtait alors les convictions
gallicanes du Parlement de Flandre et de son procureur général qui finirent par s’y
opposer »68.
Dans l’affaire Cordier69, le procureur général exposait « zélé pour le bon ordre et
fort éloigné de désapprouver le zèle pour l’inceste commis avec scandale et
persévérance, il ne trouve pas même la punition proportionnée à l’énormité du crime,
mais ce prétexte de zèle ne doit pas franchir les bornes qu’il y a entre le sacerdoce et
l’empire ». Il expliquait plus loin qu’ « il y a abus de prononcer l’amende honorable
contre les laïcs qui ne sont pas les justiciables d’un official, Elle emporte infamie,
surtout quand elle se fait en dehors de l’auditoire dans lequel toute la juridiction
ecclésiastique est enfermée, ecclesia territorium non habet. Les peines qui sont au
pouvoir de l’Eglise sont bornées par les canons à des pénitences et des jeûnes, à des
censures ecclésiastiques, à la déposition... qui sont toutes spirituelles »70.
« Contestant la capacité de l’Eglise à prononcer des peines infamantes, le
procureur général reprenait l’argument classique des juristes gallicans qui avait
contribué aux 15e et 16e siècles de ruiner dans le royaume la compétence criminelle des
officialités : L’absence de territoire de l’Eglise qui l’empêche de prononcer certaines
peines comme le bannissement ou l’exposition publique »71.
« A partir de ce moment, l’official n’osa plus prononcer d’exposition au pilori,
ni de promenade dans les rues de Cambrai autour de l’enceinte du palais
archiépiscopal »72.
68 T.Lemarc’Hadour, La répression de la criminalité conjugale au XVIIIe siècle, l’exemple des Pays-Basfrançais, Lille, 1996, p.479.69 A.D.N, 5G4.70 Tanguy Lemarc’Hadour, la répression de la criminalité conjugale au XVIIIe siècle, l’exemple desPays-Bas français,, Lille, 1996, p.481 et s.71 ibid., p.481.72 ibid. p.483.
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
62
B/ La volonté de maintenir sa compétence régionale et de punir le
crime d’inceste
Si le parlement de Flandre déclare nul et incompétemment rendu l'arrêt du
Parlement de Paris c'est avant tout parce qu'il estime qu'il a été lésé dans sa compétence.
En effet le parlement a toujours considéré que son rôle était principalement de
défendre les coutumes locales contre les envahissements de la centralisation, et de
défendre les intérêts de ses membres contre l'autorité royale.
Il ressort du premier arrêt rendu par le Parlement de Flandre qu'il s'estime seul
compétent pour connaître des contestations qui naissent entre les habitants de son
ressort, surtout lorsque ces contestations consistent en appel soit des juges ordinaires,
soit des juges ecclésiastiques en cas d'abus, dés que les juges sont les uns et les autres
dans le même ressort.
Dans le second arrêt la position du Parlement de Flandre est plus nette.
Les prévenus Delwarde et Vaixin interjettent une nouvelle fois appel comme
d'abus devant le Parlement de Paris.
La décision du Parlement de Paris est signifiée à l'official, lequel se rend devant
le Parlement de Flandre pour contester une nouvelle fois la décision du Parlement de
Paris.
Il semblerait que le Parlement de Flandre ait été vexé de cette nouvelle tentative
par les prévenus de porter leur affaire à Paris. Le Parlement de Flandre considère en
effet cet acte comme un attentat contre son autorité.
La cour réitère l’incompétence du Parlement de Paris et ordonne que l'arrêt
obtenu par les prévenus soit déclaré nul et incompétemment rendu, elle seule étant
compétente pour juger des appels contre des juridictions situées dans son ressort.
Le parlement ordonne la remise en liberté du geôlier de l'officialité, emprisonné
pour ne pas s'être soumis à l'arrêt du Parlement de Paris.
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
63
La cour permet également à l'official de continuer la procédure.
Le parlement de Flandre défend l’officialité parce que les sentences de
l’officialité de Cambrai relèvent de sa compétence territoriale exclusive.
Il y a eu atteinte, de la part des prévenus à sa compétence territoriale. Seul le
Parlement de Flandre est compétent pour juger des affaires concernant des habitants de
son ressort ou des juridictions de son ressort.
Le Parlement de Flandre a déclaré nuls les arrêts du Parlement de Paris. Il
rappelle qu'il est compétent pour juger en appel des abus commis par l'officialité.
Mais le parlement de Flandre défend également l’officialité parce qu’il est aussi
d’accord avec elle, sinon le Parlement de Flandre se contenterait d’annuler l’arrêt du
parlement de Paris et prendrait ensuite la même décision que celui-ci.
Or il ne le fait pas, ceci s’explique par la situation privilégiée des officialités
dans les anciens Pays-Bas français mais aussi par la jurisprudence du Parlement de
Flandre qui semble dire qu’il ne faut pas laisser ce crime impuni. Il faut quand même
que quelqu’un poursuive ce crime.
Il s’agit pour le Parlement de Flandre de fixer sa jurisprudence par rapport aux
compétences de l’officialité.
Par une suite de décisions, le Parlement de Flandre va venir affiner sa position et
déterminer les moyens d’action de l’officialité de Cambrai.
Dans l’affaire Cordier que nous avons déjà évoqué, Gilles et Marie Catherine
Cordier avaient été, pour punition de leur inceste, condamnés à « une amende honorable
suivie d’une promenade humiliante dans les rues de Cambrai, avant une exposition
d’une heure au pilori de l’officialité »73. Le procureur général, Gilles de Vernimen,
expliquait qu’en agissant ainsi, en imposant des peines infamantes l’officialité avait
répondue de manière disproportionnée au crime qu ‘elle avait à juger.
73 Ibid. p.481
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
64
Le procureur contestait donc la capacité pour l’officialité de prononcer des
peines infamantes puisque l’Eglise n’a pas de territoire propre, ce qui l’empêche de
prononcer des peines d’exposition publique. Le procureur obtint une victoire dans cette
affaire après que le Parlement ait prononcé l’abus en 1736. A partir de cet instant
l’official n’osa plus prononcer d’exposition au pilori, ni de promenades dans les rues de
Cambrai.
Par cet arrêt, le parlement a jeté la première base de sa jurisprudence en
affirmant que l’officialité ne pouvait plus punir de peines infamantes dans quelque
matière que ce soit.
Dans un deuxième arrêt, l’affaire Oudart, en 1736, ou il est question d’adultère,
le parlement de Flandre conteste à l’officialité le droit de faire des procédures
criminelles dans de telles espèces.
On pourrait penser qu’au vu de ces deux affaires, Cordier et Oudart, l’official
soit privé de ses compétences en matière criminelle et ne puisse plus en connaître. Si
l’official n’a plus le droit de prononcer des peines infamantes et donc punir l’inceste par
des peines que mériteraient les criminels, ni user de la procédure criminelle, il n’a plus
le droit d’en connaître.
Mais on le voit dans l’espèce étudiée tel n’est pas le cas. On peut alors affirmer
que le parlement de Flandre a, par l’affaire Delwarde, affiné sa jurisprudence. Si le juge
ecclésiastique ne peut plus prononcer de peines infamantes, il peut malgré tout
condamner les personnes reconnues coupables d’inceste par des peines ecclésiastiques
en suivant la procédure criminelle.
Il semble que la jurisprudence Oudart ne doit s’appliquer qu’en matière
d’adultère cela expliquerait l’intervention du Parlement de Flandre contre l’official
de Cambrai dans cette affaire et dans l’affaire que nous étudions présentement.
Le Parlement de Flandre est venu dans l’affaire Delwarde préciser sa
jurisprudence, il semble dire qu’il faut quand même laisser quelqu’un poursuivre le
crime d’inceste. L’officialité de Cambrai est donc compétente pour poursuivre ce crime
et punir les coupables selon le Parlement de Flandre.
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
65
Il faut punir les coupables non pas par des peines infamantes puisque l’officialité
ne le peut plus depuis l’affaire Cordier mais elle peut le faire par des peines
ecclésiastiques de pénitences.
La position du Parlement de Flandre n'est donc pas si étonnante que cela quand
on y regarde de plus près, il s'agit pour lui de lutter contre la centralisation par le
maintien de sa compétence territoriale et de ne pas laisser un crime impuni.
La position du Parlement de Flandre est donc en l’espèce favorable à l'officialité.
II/... FAVORABLE A L'OFFICIALITE
A/ La solution d'espèce
Le Parlement de Flandre ordonne la remise en liberté du geôlier de l'officialité et
condamne les prévenus Delwarde et Vaixin à lui payer des dommages et intérêts.
De plus, le parlement permet à l'officialité de continuer à instruire l'affaire et à
condamner les prévenus à des peines et à les faire exécuter. Il interdit aux prévenus
Delwarde et Vaixin de se servir de l'arrêt du Parlement de Paris.
Le Parlement de Flandre fixe donc sa jurisprudence à l’encontre du Parlement de
Paris en affirmant que l’officialité de Cambrai est compétente pour juger du crime
d’inceste commis par les prévenus selon la procédure criminelle en vigueur à condition
pour l’officialité de ne pas prononcer de peines infamantes.
Les prévenus sont donc condamnés.
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
66
L'official prononce la nullité du mariage et la cohabitation qui s'en est suivie
incestueuse et concubinaire.
Il décide la séparation immédiate des deux époux Delwarde et Vaixin et décide
que pendant deux mois ils seront conduits dans des maisons de piété pour se remettre «
dans les voies du Salut par la pratique de bonnes œuvres (...) et pour y faire pénitence ».
Ils y effectueront une confession générale et tous les mercredis et vendredis ils
jeûneront. Ils exécuteront tous les jours à genoux cinq fois l'oraison dominicale et la
salutation angélique. A leur sortie, ils se présenteront à leur curé dans l'église paroissiale
de Quiévry avant la messe paroissiale, à genoux à l'entrée du chorus, devant les fidèles,
ils demanderont à haute voix pardon à Dieu.
De plus l'official interdit aux deux prévenus d'avoir à l'avenir aucune habitude
suspecte, mais de se conduire de manière plus exemplaire.
Toutes ces peines, de nature canonique, sont tout à fait, selon les juristes
gallicans de la compétence des juridictions ecclésiastiques.
Toutes ces peines visent plus particulièrement l’âme du pécheur et si l’official
demande assez souvent un certificat de l’exécution des confessions et pénitences, ce
certificat ne peut apporter la preuve que d’une exécution formelle.
L’efficacité spirituelle d’une pénitence est en effet soumise à une certaine
collaboration du condamné. La sincérité est une condition de son efficacité.
Le prononcé de ces peines ne pouvait alors faire l’objet d’un quelconque conflit
avec le Parlement de Flandre. « Il ne s’est jamais formé de doutes sur le pouvoir
qu’avaient les officiaux d’imposer toutes les peines ecclésiastiques. Il n’en est pas de
même pour les peines temporelles ; de toutes celles que nous avons rappelé, il n’y a
proprement que les aumônes à quoi le juge d’Eglise puisse condamner aujourd’hui ses
justiciables, clerc ou laïque ; Encore est-il obligé... d’en ordonner l’application à des
oeuvres pies » énonce Durand de Maillane74.
74Les libertés de l’Eglise gallicane, Paris, 1880 in la répression de la criminalité conjugale au XVIIIesiècle, l’exemple des Pays-Bas français, Lille ? 1996, p. 481.
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
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On le voit la solution du Parlement de Flandres est une solution favorable à
l'officialité, mais ce ne sera qu'une position temporaire du Parlement, la lutte contre les
juridictions ecclésiastiques n'en reste pas là.
Après 1740, les pénitences se multiplient. Les peines prononcées par l’official,
avant de disparaître sont de moins en moins vindicatives et de plus en plus salutaires.
Dans le courant du 18e siècle, l’officialité de Cambrai apparaît de plus en plus
cantonnée à un rôle spirituel.
B/ Une solution temporaire
Les ordonnances royales interviennent pour définir les compétences des
juridictions ecclésiastiques et les réduire considérablement.
Loyseau estimait que, par l'ordonnance de 1539, François 1er « avait réduit en six
lignes la justice ecclésiastique au juste point de la raison ». En avril 1695, louis XIV
prend un édit concernant la juridiction ecclésiastique, point d'aboutissement de sa stricte
politique gallicane.
L'édit soumet le clergé, l'Eglise de France et ses tribunaux à une étroite tutelle de
la monarchie.
Au départ, l'official de Cambrai a tenté de résister en rappelant au roi les
engagements pris dans les capitulations et s'abritant derrière l'usage immémorial. Pour
établir cet usage, il a constitué un impressionnant dossier composé de divers certificats
de notoriété, de multiples copies de sentences, attestations délivrées par tous les
officiaux flamands (Tournai, Gand, Bruges, Malines, Anvers, Liège... ).
Mais ce combat n'est qu'un combat d'arrière garde, livré sans conviction : le juge
ecclésiastique se sait vaincu d'avance.
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
68
Il ne se fait guère d'illusion sur la décision du Conseil du roi dont il a sollicité
l'intervention ; son pessimisme transparaît dans une lettre du 9 mars 1738 (sans doute
adressée au promoteur) : « Peut-on se flatter de quelque succès à cet égard ? Je sens
bien qu'une affaire mal enfilée est sujette à plus de difficultés surtout quand il est
question de persuader sur des choses qui ne sont point d'usage ni de pratique dans le
royaume et quand le penchant des juges séculiers à restreindre la juridiction
ecclésiastique dans toutes les occasions qui se présentent s'y oppose ».
Effectivement, le Conseil du roi entérine la décision du Parlement et l'official
comprend que son sort est scellé : il ne tentera même pas de protester contre l'arrêt de
1752 qui lui porte pourtant le coup de grâce et consacre la généralisation d'un modèle
français ; en effet cet arrêt a fixé (en Flandre) la même jurisprudence qui a lieu par toute
la France et a réformé l'abus.
A la suite de cet arrêt, l'official de Cambrai est obligé de rentrer dans le rang : sa
compétence a vécu dans la partie française du diocèse tout au moins car dans la partie
située aux Pays-Bas autrichiens elle résiste beaucoup mieux.
Les officiaux ont renoncé à se battre et ont abandonné la partie.
Les événements de 1789 vont contribuer à clôturer le débat dans la mesure où
les officiaux se trouvent légalement exclus par la législation révolutionnaire.
Par la loi des 16 et 24 août 1790 les officialités sont exclues du nouveau schéma
judiciaire ; de même, leur juridiction traditionnelle est ébranlée par la loi du 20
septembre 1792 qui laïcise l'état civil et introduit le divorce en France. L'Eglise perd
donc le droit de statuer sur le mariage qui n'est plus considéré comme un sacrement
mais comme un simple contrat civil.
Les juridictions ecclésiastiques n'ont donc pas résisté aux attaques conjuguées
du roi, de ses gens de justice et de sa doctrine. En moins d'un siècle, elle est devenue par
principe purement spirituelle, c'est à dire, en pratique, purement symbolique.
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
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commun à l’assistance aux plaideurs :
diversité des missions du ministère public,
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P.U.F, 2000
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M.Carbasse, Droit et Justice, P.U.F, 2000
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franque à la révolution, P.U.F., Paris, 2001
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P.Bufquin
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ecclesiastiques, l’exemple des anciens
Pays-Bas espagnols, 1995,
V Demars-Sion.
q THESES :
Thèse de M. Royer L’Eglise et le royaume de France au XIVe
siècle d’après « le songe du Vergier » et la
jurisprudence du Parlement, Paris, 1969
Thèse de Me. Demars-Sion A la recherche d’un père, action en
recherche de paternité et action de la
femme séduite dans l’ancien droit français
à travers la pratique du Nord, Lille, 1986
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73
Thèse de M. Tanguy Lemarc’Hadour La répression de la criminalité conjugale
au XVIIIeme siècle, l’exemple des Pays-Bas
français, Lille, 1996
Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle
74
PLAN :
INTRODUCTION :
q Rappel historique de l’évolution de l’Eglise gallicaneq Rappel du développement de la juridiction de l’Eglise : l’officialité
Chapitre I le déroulement d’un procès devant l’officialité
Section I L’instruction
I/ le promoteur, personnage central de l’instruction
A/ son apparition
B/ son rôle dans la procédure
II/ le déroulement de l’instruction
A/ les faits reprochés
Ø L’atteinte au sacrement du mariage
Ø La lutte contre le protestantisme
B/ la procédure elle-même
Ø Une instruction réglementée
Ø Une instruction rapide
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Section II le jugement
I/ Un jugement par contumace
A/ la procédure suivie
B/ l’arrestation des prévenus
II/ un pouvoir de coercition de l’officialité ?
A/ la question de l’emprisonnement et de l’élargissement des
détenus
B/ le prononcé des peines et leur exécution
TRANSITION :
q Lutte contre les juridictions d’Eglise, le cas particulier de la
région de la Flandre.
q Volonté royale de rompre avec ce particularisme.
CHapitre II L’intervention du pouvoir royal
Section I/ la procédure de l’appel comme d’abus
I/ son introduction en France
A/ son origine historique
B/ sa mise en oeuvre en l’espèce
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II/ la volonté de priver l’officialité de ses compétences
A/ le rôle du ministère public
B/ la volonté de court-circuiter l’officialité
Section II/ L’opposition du Parlement de Flandre au Parlement
de Paris
I/ une position étonnante...
A/ le Parlement de Flandre, garant des compétences de
l’officialité ?
B/ la volonté de maintenir sa compétence régionale et de punir le
crime d’inceste
II/ ... favorable à l’officialité
A/ la solution en l’espèce
B/ une solution temporaire