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Les politiques macroéconomi ques : Leçons corrigées Bertrand BLANCHETON Professeur de sciences économiques (Université Montesquieu Bordeaux IV) Référence : e-theque : 2003A0047T ISBN : 27496- 00715 © e-theque 2003 e-theque - 167 rue Jean Jaurès - 59264 Onnaing 1

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Les politiques macroéconomiques : Leçons corrigées

Bertrand BLANCHETON Professeur de sciences économiques (Université Montesquieu Bordeaux IV)

Référence : e-theque : 2003A0047T ISBN : 27496- 00715 © e-theque 2003 e-theque - 167 rue Jean Jaurès - 59264 Onnaing

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INTRODUCTION

La fin des oppositions de systèmes (avec l’effondrement des économies de type soviétique), l’intensification de la mondialisation de l’économie, le démantèlement d’une partie des prérogatives des Etats-Nations (via un double mouvement de décentralisation et d’intégration régionale) semblent diminuer l’intérêt pour la macroéconomie et ses implications normatives.L’internationalisation croissante des économies réduit en effet les marges de manoeuvre des politiques conjoncturelles et contraint de plus en plus les politiques structurelles. L’intensificationde l’ouverture commerciale des économies rend théoriquement plus incertaine l’efficacité du soutien budgétaire. L’amélioration de la qualité des anticipations et la suppression de certaines rigidités atténuent la puissance de la politique monétaire alors la quête de la crédibilité passe pourles Banques centrales par le maintien sans faille de la stabilité des prix, au détriment de l’activité au moins sur la courte période. La très forte mobilité des capitaux rend plus vulnérables les régimes de changes fixes et participe d’une forte volatilité des cours en régime de flottement. De son côté, le « désengagement » de l’Etat rend presque caduque la politique salariale et des revenus. Sur un plan structurel un raisonnement en termes d’attractivité de site et la recherche de la compétitivité dans un environnement mondial plus concurrentiel va de paire avec un moins-disant fiscal et le renforcement des mécanismes d’incitations. L’individualisme progresse avec le développement de la flexibilité en particulier sur le marché du travail. Par ricochés, certaines institutions emblématiques de l’Etat providence sont remises en cause (voir en France les débats sur les retraites, la protection sociale…).Bref la mondialisation de l’économie neutraliserait les politiques macroéconomiques et la macroéconomie serait appelée à retrouver la place étique qui était sienne lors de la première mondialisation d’avant 1913. Pourtant dans les faits, la mobilisation des politiques budgétaire et monétaire reste très forte partout dans le monde. Le Japon cherche depuis dix ans à sortir de la déflation en maintenant des taux d’intérêt bas et surtout des déficits budgétaires massifs pour tenter de générer des anticipations inflationnistes (ou atténuer les anticipations déflationnistes). Les Etats-Unis ont répondu au retournement des années 2000/ 2001 par un ‘policy mix’ convergeant que l’on croyait ‘d’un autre âge’ : souplesse monétaire de la Fed et déficits budgétaires de l’équipe Bush. Au sein de l’Union Européenne des pressions sont exercées dans lesens d’un plus grand activisme monétaire et d’un relâchement du Pacte de Stabilité et de Croissance afin de stabiliser le rythme de l’activité économique.Ces actions sont la manifestation d’une efficacité certaine des politiques conjoncturelles fondées notamment sur la persistance d’un certain degré d’illusion monétaire et de certaines rigidités nominales et réelles sur les marchés des biens et du travail.Sur le plan structurel le coût du travail est loin d’être le seul facteur de l’attractivité d’un site ; la qualité des infrastructures, le niveau relatif de la recherche et de la formation jouent aussi un rôle décisif. Les externalités autorisent voire commandent aux responsables politiques de ne pas seulement naviguer les yeux rivés sur le « phare » du modèle de concurrence pure et parfaite.A plus long terme la régionalisation des économies apparaît sur le plan théorique comme un moyen de retrouver une plus grande efficacité des politiques macroéconomiques. Pour l’Union Européenne par exemple le taux d’ouverture de l’entité est devenu assez faible, ce qui ouvre la

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voie à des actions de relance budgétaire potentiellement efficaces, l’absence d’objectif de change restitue une certaine autonomie à la politique monétaire. La zone a les moyens de définir son propre modèle de capitalisme (avec un arbitrage solidarité / mécanismes d’incitations différent decelui du modèle anglo-saxon). Reste au préalable à boucler l’immense chantier des réformes institutionnelles, ce qui à l’évidence éloigne l’horizon d’une véritable macroéconomie européenne. C’est l’ensemble de ces enjeux que ce e-book se propose de restituer sous la forme de leçons, de petites dissertations très structurées, sur des sujets de macroéconomie et de politiques économiques. Sur chaque question, notre souci a été de proposer une synthèse de références académiques, sans prétention à l’exhaustivité et sans chercher à éviter des répétitions qui nous ont semblé, en définitive, pédagogiquement fondées. Chaque leçon peut ainsi être étudiée indépendamment des autres, même si - bien entendu - elles se complètent les unes les autres. L’ouvrage est plus particulièrement destiné aux étudiants de classes préparatoires (Khagne, prépa capes et agrégation) soumis à l’exercice de la leçon d’économie, mais il a aussi vocation à constituer une voie d’entrée pour l’apprentissage de la macroéconomie et des politiques macro-économiques pour les étudiants de sciences-po, les étudiants du « cycle de Licence » en Economie et Gestion ainsi qu’en AES.La démarche se déroule en quatre temps. La partie liminaire est consacrée à des rappels de définitions et à une analyse des objectifs des politiques économiques. La deuxième partie plus théorique est centrée sur les mécanismes et fait ressortir les termes de l’opposition analytique entre néoclassiques et keynésiens ainsi que ses prolongements en matière de politique économique. La troisième partie aborde les instruments de politiques conjoncturelles et certaines questions connexes comme la pertinence des normes d’équilibre budgétaire, l’autonomie de la Banque centrale ou la nature de la déflation. La quatrième partie évoque certaines contraintes qui enserrent l’action des autorités car sur le champ étudié il convient de garder en mémoire le fait qu’une même politique appliquée à des économies dont les structures sont différentes n’aura pas les mêmes effets.

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SOMMAIRE

I. Définitions et objectifs.1.1 Les politiques économiques, un essai de vue d’ensemble.1.2 Les objectifs des politiques économiques. 1.3 Dans quelle mesure l’inflation est-elle un mal ? Une analyse coûts avantages.

II. Fondements et mécanismes des politiques macro-économiques.2.1 Les fondements de l’analyse néoclassique. 2 .2 La loi de Say. 2.3 Les hypothèses de la neutralité de la monnaie. 2.4 Les fondements de l’analyse keynésienne. 2.5 Le multiplicateur keynésien. 2.6 Quel(s) financement(s) pour les dépenses publiques ? 2.7 L’Etat peut-il toujours recourir à l’endettement pour se financer ?

III. Les instruments de politiques économiques

conjoncturelles 3.1 La politique budgétaire. 3.2 Quels effets attendre de la réduction du déficit budgétaire ? 3.3 La pertinence des normes d’équilibre budgétaire. 3.4 Politique monétaire et croissance économique. 3.5 Comment affronter la déflation ? 3.6 L’autonomie de la Banque centrale se justifie-t-elle? 3.7 Le ‘policy mix’.

IV. Les contraintes structurelles.4.1 La contrainte externe. 4 .2 Les rigidités. 4.3. Enjeux du choix d’un régime de change.

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I. Définitions et objectifs

1.1. Les politiques économiques, un essai de vue d’ensemble

Les politiques économiques désignent l’ensemble des interventions des pouvoirs publics en vue de corriger des déséquilibres économiques jugés dommageables par une majorité de personnes ausein de la société. La dimension politique concerne l’arbitrage à opérer le cas échéant entre les grands objectifs de la politique économique (voir tableau ci dessous), le respect des préférences de politiques économiques exprimées par l’opinion publique.On distingue traditionnellement deux types de politiques économiques : les politiques conjoncturelles et les politiques structurelles. Les politiques conjoncturelles visent à contrôler la demande globale en agissant à court terme sur une ou plusieurs de ses composantes (on en distingue quatre : la consommation, l’investissement, les dépenses publiques et une composante externe). Les politiques structurelles se préoccupent à plus long terme des conditions de fonctionnement des marchés (évolution de la structure de marché et modification du comportement des agents notamment).La leçon pourrait s’articuler autour de cette opposition conjoncturel/ structurel, mais nous préférons revenir dans une première partie sur la description des objectifs, des instruments et pluslargement des grands principes de la politique économique avant d’introduire dans une seconde partie la problématique de la réduction des marges de manoeuvre de la politique économique du fait de la montée de la contrainte externe et de l’avancée des idées libérales : cette perte de contrôle se traduit par un certain recul des politiques conjoncturelles et par le caractère de plus enplus contraint et orienté des politiques structurelles.

1.) Caractérisation des politiques économiquesNous allons d’abord proposer une vue d’ensemble des politiques économiques avant de revenir sur les principes de Tinbergen et Mundell.

A) Le triptyque : objectifs, instruments, contraintes

La politique macro-économique peut se définir en référence aux concepts d’objectifs, d’instruments et de structures.

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Objectifs Instruments StructuresCroissance Politique budgétaire Progrès technique Dynamique intersectorielle…

Emploi Politique salariale Population

Stabilité des prix Politique monétaire Degré de flexibilité des prix Et d’illusion monétaire Equilibre externe Politique de change Contrainte externe

Les objectifs doivent être bien spécifiés. Les autorités recherchent une croissance effective égale à la croissance potentielle (qui correspond à une pleine utilisation des facteurs). Le plein emploi n’existe pas, les monétaristes vont viser le NAIRU (taux de chômage dont l’effet est neutre sur l’inflation) qui correspond, selon eux, à un taux de chômage naturel d’équilibre (en équilibre général), les néo-keynésiens peuvent être plus ambitieux. Il n’y a pas de consensus – non plus - sur le concept de stabilité des prix : Friedman, Feldstein sachant que l’inflation est un mal et que la courbe de Phillips est verticale à long terme recommandent une inflation nulle, Akerlof, Krugman, Blanchard situent le taux optimal plutôt entre 3 et 4% (en raison – pour caricaturer - dela rigidité à la baisse des salaires nominaux). L’équilibre externe peut renvoyer à l’équilibre sur lemoyen terme du solde courant et plus sûrement à la soutenabilité des déficits courants.Les quatre objectifs ne peuvent pas être placés rigoureusement sur le même plan. La croissance etl’emploi (objectifs d’activité) doivent être recherchés en priorité. Les deux autres objectifs (objectifs de stabilité) ont une signification plus relative, ils sont censés créer le meilleur environnement pour le développement de l’activité sur le long terme.

B) les grands principes

Le principe de cohérence de Tinbergen : pour qu’un ensemble d’objectifs fixes puisse être réalisés il convient que le nombre d’instruments indépendants soit égal au nombre d’objectifs fixes indépendants. Les fortes exigences de ce principe en font un simple point de repère pour les autorités. Le principe d’efficience de Mundell : chaque instrument doit être affecté à l’objectif pour lequel il a la plus grande efficacité relative.Dans le tableau ci-dessus la situation théorique fait apparaître autant d’instruments que d’objectifs et chaque instrument est rapproché (sur la même ligne) de l’objectif qu’il sert habituellement. La désuétude des politiques salariale et de change conduit à une situation où les autorités ne disposent plus que des armes budgétaire et monétaire qu’elles affectent respectivement à l’activité et à la stabilité.

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2.) Réduction des marges de manoeuvre de la politique économique

Tant au niveau conjoncturel que structurel, les marges de manœuvre des états paraissent de plus en plus ténues.

A) les politiques économiques conjoncturelles sur « pilote automatique »

La politique budgétaire recouvre l’utilisation des recettes et des dépenses de l’Etat ou des administrations publiques afin de réguler l’activité économique, c’est-à-dire d’opérer une stabilisation conjoncturelle, de lisser les cycles. L’ouverture commerciale et financière des économies contraint l’utilisation de cette arme, les relances isolées profitent aux importations (casde la France en 19811982), des normes d’équilibre doivent être respectées par les Etats (le3% du Pacte de Stabilité et de Croissance d’Amsterdam 1997).La politique monétaire consiste à contrôler la quantité du bien économique monnaie à la disposition du public. Depuis le début des années 1980, la recherche de la stabilité des prix s’est imposée comme un élément à part entière de la contrainte externe. La BCE a pour unique objectifun taux d’inflation voisin de 2% sur le moyen terme, si d’aventure elle ne respectait pas cette norme arbitraire, sa crédibilité serait entamée et les capitaux fuiraient la zone. Des règles de politiques monétaires existent (citons la règle de Taylor : la variation du taux directeur de la Banque centrale serait « commandée » par le différentiel entre croissance effective et croissance potentielle et par l’écart entre l’inflation constatée et l’objectif d’inflation).La politique salariale concerne la capacité d’action des pouvoirs publics sur les rémunérations réelles des travailleurs essentiellement à travers des stratégies d’indexation plus ou moins forte des salaires nominaux sur la progression du niveau général des prix. En France aujourd’hui les autorités n’agissent vraiment que par le canal du SMIC (salaire minimum interprofessionnel de croissance), le désengagement de l’Etat va de pair avec un relatif abandon de cet instrument.La politique de change vise notamment à influencer la valeur externe de la monnaie afin en principe d’équilibrer la balance courante. Il faut opérer une distinction entre la dépréciation (baisse du cours de change en régime de flottement) et la dévaluation (définition d’une nouvelle parité en change fixe). Les conséquences potentiellement inflationnistes des dévaluations expliquent largement le recul de ces pratiques.

B) les politiques économiques structurelles : plus de concurrence et de flexibilité

La priorité accordée à la lutte contre l’inflation et l’intensification de la concurrence internationale ont d’importantes conséquences en matière de politique structurelle. Comme la structure de marché assurant le prix le plus bas (et aussi en théorie une allocation optimale des ressources) est la concurrence pure et parfaite, depuis deux décennies les réformes structurelles visent à introduire concurrence et flexibilité sur les marchés. Dans le cas de la France, la tendanceest assez nette sur les marchés monétaires et financiers (loi bancaire de 1984, décloisonnement et déréglementation du système financier) et sur le marché du travail (suppression de l’autorisation

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administrative de licenciement par la gouvernement Chirac, développement de l’intérim, du temps partiel, des CDD, annualisation du temps de travail....). Le désengagement de l’Etat (déclindu dirigisme industriel, privatisations, recul de l’Etat providence) constitue une illustration supplémentaire de cette contrainte structurelle forte.Conclusion : pour retrouver des marges de manoeuvre de politique économique, il convient de repenser l’échelle de la régulation (sans doute dans le cadre des nouveaux espaces régionaux).

1.2. Les objectifs des politiques économiques

Les objectifs des politiques économiques sont bien connus grâce en particulier à la métaphore du « carré magique » de Kaldor : croissance, emploi, stabilité des prix et équilibre externe. Pourquoi alors leur consacrer une leçon ? En réalité, la définition précise de chacun des objectifs est plus délicate qu’il n’y parait et il peut être aussi très instructif de réfléchir à la hiérarchisation de ces objectifs, d’autant plus qu’ils entretiennent des relations nombreuses et complexes (loi d’Okun entre chômage et croissance, courbe de Phillips entre chômage et inflation, influence du différentiel d’inflation sur la compétitivité et partant l’équilibre externe…).Dans quelle mesure ensuite ces grands objectifs quantitatifs ne devraient-ils pas être complétés par des considérations plus qualitatives comme l’IDH (Indicateur de Développement Humain) qui combine longévité, savoir et niveau de vie. De même, les responsables politiques ne devraient-ils pas en permanence tenir compte de deux éléments susceptibles à long terme de constituer des facteurs d’implosion du capitalisme : la distribution des revenus, butoir social théorisé par les courants marxiste et dans une certaine mesure keynésien et les dommages causés à l’environnement, butoir écologique qui amène vers le concept de développement durable. Il n’existe pas de norme d’équité en matière de distribution des revenus. L’inégalité est en principe au service de l’efficacité économique puisqu’elle récompense la prise de risque et l’intensité de l’engagement dans le processus de production. Le souci d’égalité, la mise en place d’une solidarité naît du constat soit d’une inégalité originelle d’aptitude, soit de l’existence de déterminismes qui se sont exercés sur les individus pendant leur éducation et les empêchent d’avoir une forte productivité. L’économiste constate l’évolution de la distribution, il doit laisser à la société le soin de décider d’une correction, dans le sens qu’il lui semble adéquate du point de vue du fonctionnement de l’économie et de la cohésion, voire la pérennité de la société.Il parait aussi nécessaire de prendre en compte des phénomènes comme l’épuisement des ressources naturelles, les dommages irréversibles causés à l’environnement et partant de glisser vers la notion de développement durable : « un développement qui répond aux besoins du présentsans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs » Rapport Brundtland (1987). Cette leçon – centré sur les objectifs quantitatifs - permet de procéder à des rappels de définition, elle prend corps autour d’une hiérarchisation des objectifs entre d’un côté des objectifsd’activité (croissance et emploi), véritables objectifs finaux de la politique économique et de l’autre des objectifs de stabilité dont la signification est plus relative.

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1. La primauté des objectifs d’activité

A) une croissance économique intense et régulière

Le produit intérieur brut représente la somme des valeurs ajoutées des branches productives de l’économie, il s’agit d'un flux. On peut considérer que cette donnée est la plus importante pour apprécier les performances d’une économie. Pourquoi ? La croissance du revenu par tête signifie une progression de la quantité de biens et services à la disposition des individus. Or comme le souligne A. Smith (1776) la consommation est l’« unique aboutissement et la seule finalité de toute production ». Pour l’économiste orthodoxe le bien-être est simplement une fonction croissante de la quantité de biens et de services à la disposition des agents.

PIB par habitant et PIB global en 2000 pour les pays du « G7 »

PIB par habitant, en dollar PIB en valeur en milliards de dollars En PPA et aux prix courants Aux prix et aux taux De changes courants

Etats-Unis 35 619 9 810Japon 26 056 4 765Allemagne 25 876 1 866France 24 400 1 305Italie 25 145 1 073Royaume-Uni 24 455 1 430 Canada 28 174 707 La croissance du produit global fonde à long terme la puissance économique d’une nation. Cette puissance économique a des avantages.La domination technologique qui lui est associée va de paire, en principe, avec une puissance militaire, partant avec une capacité à influencer les règles du jeu international en matière monétaire, financier et commercial (à l’instar des Etats-Unis après la Seconde Guerre mondiale). La profondeur du marché financier national et la garantie d’une forte rentabilité du capital renforcent le statut de devise clef de la monnaie locale.Le tableau ci-dessus fait ressortir l’ampleur de la domination américaine en termes de produit global (9810 milliards de dollars en 2000), seule l’Union Européenne avec 7866 milliards de dollars pourrait le cas échéant contrebalancer ce leadership.Les politiques conjoncturelles ont encore un bel avenir car la croissance économique est condamnée, pour de nombreuses raisons, à être irrégulière. L’innovation a d’abord un caractère cyclique comme le montre les travaux de Schumpeter. La croissance est ensuite perturbée par deschocs, des chocs dits d’offre (c’est-à-dire qui pèsent sur les coûts de production des entreprises, choc pétrolier de 1973 entre septembre 1973 et janvier 1974, les prix du pétrole sont multipliés par quatre +300%, choc de mai 1968, le SMIG augmente de 35%)), des chocs dits de demande (modification rapide de comportements de consommation, arrivée massive de population

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( exemple en 1962 avec le rapatriement de 800 000 français d’Algérie)), des chocs asymétriques (qui touchent spécifiquement une économie nationale) ou symétriques.Enfin toutes les composantes de la demande ont une dimension anticipative qui rend compte d’une partie de son instabilité (la consommation en lien avec la notion d’épargne de précaution et d’investissement qui dans une perspective keynésienne dépend en premier lieu de l’état de la demande anticipée).

B) l’emploi, existe-t-il un taux de chômage d’équilibre ?

On parle souvent en économie d’un objectif de plein emploi, le plein emploi est toujours relatif, repose sur une définition volontariste (on peut toujours trouver des gens sans emploi). La définition même du chômage est conventionnelle, plus exactement elle est l’émanation de la représentation sociale dominante du phénomène (Salais et al, L’invention du chômage (1986)). La mesure du taux de chômage est par conséquent arbitraire. Aujourd’hui, le Bureau Internationaldu Travail met en avant trois critères : l’absence d’emploi pendant une période de référence, un comportement de recherche d’emploi et une disponibilité pour l’acceptation d’un emploi. Sur chacun des critères les seuils sont arbitraires, à chaque fois on laisse de coté certaines catégories de personnes sans travail. La mesure conventionnelle du chômage rend le phénomène irréductible. Du fait des conséquences inflationnistes d’un taux de chômage bas, les monétaristes recommandent de viser le taux de chômage naturel, celui qui est neutre du point de vue de l’inflation. Les néo-keynésiens sont plus volontaristes et peuvent chercher un taux voisin du taux frictionnel. Pour compliquer le débat soulignons que le marché du travail n’est pas un marché comme les autres dans la mesure où le travail donne un statut social à l’individu et fonde son identité.

2. Des objectifs de stabilité censés créer le meilleur environnement pour le développement de l’activité économique

Les objectifs de stabilité ont une signification plus relative, ils sont davantage des objectifs intermédiaires censés créer les conditions les plus favorables pour la croissance.

A) la stabilité des prix, oui mais à quel niveau ?

Rappelons d’abord certaines définitions. L’inflation représente une hausse générale durable et autoentretenue du niveau général des prix (l’indice doit rassembler des biens et services censés correctement représenter l’évolution du coût de la vie...). La désinflation désigne un ralentissement du rythme de l’inflation, la déflation dans sa dimension monétaire est une baisse absolue du NGP, dans sa dimension réelle elle doit se doubler d’une chute de la production.La stabilité des prix n’a pas - pour elle-même - d’intérêt, on se moque de vivre dans une économie où le taux d’inflation est de 7%, si chacun a un travail et la richesse matérielle progresse fortement. Les mouvements de prix deviennent un problème si ils se retournent contre la croissance. Il faut ainsi éviter la déflation pour deux principales raisons. Le peu de dynamisme de la consommation et la faiblesse de l’investissement (du fait des taux d’intérêt réels élevés). Il faut également éviter une trop forte inflation, pour plusieurs raisons : coûts de menus et de

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chaussures voire à l’extrême fuite devant la monnaie, incertitude, mauvaise qualité des informations envoyées par le système de prix, problème de compétitivité au niveau commercial enfin de crédibilité au plan financier. Mais ensuite il y a débat dans la communauté des économistes pour savoir quel est le taux d’inflation optimal : O%, moins de 2%, 34% voire un peu plus (leçon suivante pour plus de détails).

B) l’équilibre externe

La balance des paiements d’un pays est un document comptable, un tableau représentant les opérations intervenues entre le pays et l’étranger au cours d’une année. Une balance des paiements est par construction toujours en équilibre, le solde de la balance courante étant compensé par un solde identique en valeur absolue de la balance des capitaux. Pour un pays, l’objectif d’équilibre externe parait être finalement sa capacité à payer ses dettes au niveau international, à assurer la continuité des paiements. A l’instar de la dette publique on dérive vers un problème de soutenabilité des déficits courants.

Conclusion : la croissance n’est sans doute qu’une condition nécessaire du développement et pour juger des performances d’une économie il convient aussi d’introduire des considérations qualitatives.

1.3. Dans quelle mesure l’inflation est-elle un mal ? Une analyse coûts avantages

L’inflation peut se définir comme une hausse générale, durable et autoentretenue du niveau général des prix (il s’agit d’un indice pondéré représentatif de l’évolution du prix de biens et services consommés par les ménages). Pour que l’on puisse parler d’inflation, la progression des prix doit revêtir une dimension spatiale (concerner l’ensemble des prix), une dimension temporelle (être à l’oeuvre sur plusieurs périodes) et une dimension mécanique (la hausse des prix entraîne la hausse des prix via par exemple une demande d’indexation salariale). Sur cette base, il faut distinguer une hausse du niveau général des prix (NGP) de l’inflation, si les mécanismes d’auto entretien ne sont pas à l’oeuvre, il ne s’agit pas d’inflation.La question du gonflement des prix est ancienne, au XVIè siècle elle prend une ampleur inconnuejusqu’alors, l’arrivée de métaux précieux des Amériques entraîne une hausse spectaculaire des prix, l’on pose à l’époque les fondements de la théorie quantitative de la monnaie.Le phénomène resurgit assez souvent dans l’histoire monétaire française (ruine du système du Law au début du XVIIIè siècle, épisode des assignats révolutionnaires). L’analyse moderne de l’inflation apparaît durant l’entre-deux-guerres : les notions d’incertitude, de rigidités nominales et d’illusion monétaire conduisent à une critique radicale de l’inflation galopante, du principe de la déflation et à la proposition keynésienne d’euthanasie des rentiers. Hayek (1945) stigmatise l’incertitude induite par l’inflation : les prix deviennent un vecteur d’informations biaisé.Du fait de structures particulières (mauvaises informations des agents, faible intégration économique internationale, ajustement par les quantités...) les années 19501960 semblent caractérisées par l’existence d’un possible arbitrage inflation chômage qui motive une intervention conjoncturelle. La stagflation de la fin des années 1970, la critique de Lucas1, l’amélioration de la qualité des anticipations en matière inflationniste conduisent au rejet d’une

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inflation même modérée. Au plan théorique le rapport de forces se renversent en faveur du courant monétariste, dans les faits à partir de 1979 (sommet du G5 de Tokyo, politique monétaire de P. Volker aux Etats-Unis) la lutte contre l’inflation devient le principal objectif de politique économique : la parfaite stabilité des prix est censée constituer le meilleur environnement pour le développement de l’activité économique, via notamment l’abaissement et la stabilité des taux intérêt. L’un des intérêts de la leçon est de comprendre les raisons profondes de ce tournant radical de politique économique. Dans quelle mesure l’inflation est-elle un mal ? Ce débat est-il vraiment clos ? Une inflation modérée est-elle aussi catastrophique que certains le prétendent ?L’inflation ne constitue-t-elle pas malgré tout une variable d’ajustement importante au sein d’une économie. Dans le régime contemporain de stabilité des prix, quelle est le taux d’inflation optimal, 0%, moins de 2%, 34% ?

1.) Coûts et avantages de l’inflation non anticipée : un nid de controverses

L’inflation mal anticipée a des effets réels importants à court terme, mais keynésiens et libérauxsont en désaccord complet quant à leurs conséquences ultimes.

A)débats autour des effets redistributifs de l’inflation

L’inflation mal anticipée provoque un transfert de richesse des créanciers vers les débiteurs, desépargnants vers les investisseurs par le canal du taux d’intérêt réel.Rappel de la relation de Fisher 1+ r = (1+ i). (1p) avec r le taux d’intérêt réel, i le tauxnominal, p le taux d’inflation constaté ou anticipé. Si on considère le produit i. p commenégligeable, si le taux nominal est de 5% avec une inflation de 7%, le taux réel est négatif (-2%),le pouvoir d’achat de ceux qui ont prêté diminue. L’Etat bénéficie de ce transfert : l’inflationréduit la valeur réelle de la dette publique.Ajoutons que ce transfert par le taux d’intérêt est le plus souvent un transfert entre générations,des « vieux » vers les « jeunes ».Pour les keynésiens ce transfert est positif dans la mesure où il dynamise l’investissement et évitede s’installer dans une « société de rentiers ». Pour les libéraux, il est préjudiciable à long termecar il ne s’aurait y avoir d’investissement sans épargne préalable.L’inflation opère également un transfert de richesses des ménages et des entreprises vers l’Etatpar le canal de la fiscalité : si les seuils fiscaux (de l’impôt sur le revenu par exemple) sont fixesdu fait de l’inflation l’ensemble des revenus progressent, franchissent des seuils, au total lesrecettes fiscales augmentent. Pour les keynésiens, cette redistribution peut être positive si lesprélèvements concernent des agents dont la propension marginale à consommer est faible et si lesbénéficiaires des prestations ont des propensions voisines de 1.

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B) illusion monétaire, rigidités nominales et arbitrage inflation chômage

La courbe de Philips est au coeur du débat sur les avantages et les coûts de l’inflation. Un chocinflationniste est associé à une réduction du salaire réel et partant une hausse de l’emploi. Lahausse des prix a des effets réels à court terme sous réserve que l’on soit en présence d’illusionmonétaire (lecture de Friedman), de rigidités nominales (lecture néo-keynésienne). La qualité desanticipations est décisive quant à l’existence d’un arbitrage inflation chômage. Pour Friedmancomme les anticipations vont s’adapter à long terme la courbe de Philips est verticale (elle coupel’axe des abscisses au niveau du taux de chômage naturel), pour la Nouvelle Economie Classique(voir notamment Lucas) du fait de la rationalité des anticipations, la courbe est même verticale àcourt terme. D’après Sargent et Wallace (1976) seule une surprise monétaire peut avoir des effetsréels temporaires, mais elle va « se payer » à travers une perte de crédibilité.Depuis plusieurs décennies (sous l’influence des avancées de l’intégration internationale) laflexibilité des marchés se développe et la qualité des anticipations s’améliore : les agentsconnaissent de mieux en mieux le fonctionnement de l’économie, l’inflation est de mieux enmieux anticipée.

2.) Coûts et avantages de l’inflation anticipée

Même anticipée l’inflation a des coûts. Certains sont négligeables empiriquement, il en va ainsides coûts de menus (le commerçant qui doit modifier ses étiquettes de prix) et des coûts dechaussures (liés à une gestion optimale des encaisses liquides par l’agent entre chez lui et labanque), mais d’autres beaucoup moins.

A)importance du différentiel d’inflation en économie ouverte,

Au niveau commercial, au sein d’un régime de changes fixes, le pays qui fait plus d’inflation queses partenaires commerciaux perd de la compétitivité.Prenons un exemple fictif : le cours de change FRF/ DM est fixé à 3 francs pour 1 mark. A lapériode 1, le prix d’une même machine M est de 100 marks en Allemagne et de 300 francs enFrance. Après conversion, la machine allemande est vendue 3.100= 300 francs sur le marchéfrançais, les deux machines sont au même prix. Si à la période 2, l’inflation a été de 0% enAllemagne et 10% en France, les prix nationaux s’établissent à respectivement 100 DM et 330francs. Si le cours de change est fixe la machine allemande arrive toujours sur le marché françaisà 300 francs contre 330 pour la machine nationale qui va ainsi moins se vendre.Au niveau financier, un supplément d’inflation pose un problème de crédibilité : le rendementréel des capitaux n’est pas correctement garantit, les capitaux aujourd’hui très mobiles auronttendance à se détourner de l’économie nationale.

B)quel est le « niveau » d’inflation optimale ?

Arguant de l’importance des coûts de l’inflation (incertitude, problème de compétitivité et decrédibilité,...) et de la verticalité de la courbe de Philips, des économistes comme M. Feldstein

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préconisent aujourd’hui aux Etats-Unis un objectif d’inflation zéro. La BCE vise un tauxd’inflation proche de 2% au sein de l’UE. Mais certains économistes comme P. Krugman et O.Blanchard recommandent un objectif de 3 à 4% de hausse des prix. Quels arguments mettent-ilsen avant pour justifier cette inflation ?Les travaux d’Akerlof, Dickens et Perry (1996) ont mis en avant l’existence d’un arbitrageinflation chômage à long terme pour des taux d’inflation bas, inférieurs à 5%. Les rigidités à labaisse des salaires nominaux empêche l’utilisation de la désindexation comme stratégie decompression des coûts salariaux avec une inflation nulle, alors qu’on peut le faire avec 5%d’inflation. Partant - sous certaines hypothèses et toutes choses égales par ailleurs - le taux dechômage associé à une inflation de 45% est inférieur de plusieurs points au taux de chômageassocié à une inflation de 01%, dans cet environnement on va plus ajuster par les quantités(licenciements) pour compresser les coûts.Si l’inflation est voisine de zéro, on « amène » les taux d’intérêt nominaux trop près de la trappeà la liquidité, dès lors on ne peut plus mobiliser la politique monétaire en cas de besoin urgent. Demanière liée on prend le risque de tomber dans la déflation, le cas du Japon nous montre encoreaujourd’hui toute la difficulté pour en sortir.

Conclusion : sur la base de cette analyse coûts avantages de l’inflation, il apparaît quel’objectif d’inflation de la BCE, défini dans le contexte de faible croissance du début des années1990, mériterait d’être redéfini.***Lectures conseillées pour aller plus loin.Akerlof G., Dickens W., Perry G. (1996), « Etats-Unis: pourquoi une inflation faible vaut mieuxqu’une inflation nulle? », dans Problèmes économiques, n° 2516, 1997, pp.2227.Philips A. W. (1958), « La relation entre chômage et taux de variation des salaires nominaux auRoyaume-Uni entre 1861 et 1957 », en français dans Abraham-Frois G., Larbre F., Lamacroéconomie après Lucas.Textes choisis, Paris, Economica, 1998, pp.317.

II. Fondements et mécanismes

1.) Les hypothèses de base de l’analyse néoclassique

Une allocation optimale des ressources va être opérer dans une économie à condition que l’onsoit en situation de concurrence pure et parfaite. Dans ce processus, la monnaie n’est pas active,elle n’intervient pas dans la détermination de l’équilibre.

A) vertus et exigences de la concurrence

L’agent rationnel est à la base de l’analyse néoclassique. Cet homoœconomicus agit en utilisantles ressources à sa disposition compte tenu des contraintes qu’il subit. L’optimum social seraatteint - par le jeu de la main invisible - à condition d’évoluer dans une structure de marché laplus « pure » possible.

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Un marché en concurrence parfaite doit présenter quatre caractéristiques. L’atomicité desparticipants, le marché comprend un grand nombre de vendeurs et d’acheteurs, le poids dechacun est négligeable sur le marché. Les produits sont homogènes, non différenciés. L’entrée surle marché est libre, il n’y a notamment pas de barrière par les coûts. Enfin la transparence : lesagents sont parfaitement informés du prix et de la qualité des produits, l’information est gratuiteet identique pour tous les intervenants.

B) une analyse dichotomique

L’analyse néoclassique pose le principe de la neutralité de la monnaie.Seul le niveau général des prix se détermine sur le marché de la monnaie. La quantité de monnaieen circulation n’a aucun effet sur les variables réelles de l’économie. Une progression (ou unecontraction) de la masse monétaire est sans conséquence sur la structure des prix relatifs, enparticulier elle ne modifie ni le salaire réel (w/ p), ni le taux d’intérêt réel (r), deux variables clefsqui assurent l’ajustement sur les marchés d’inputs. La conception de r est dite réelle au sens où rse définit comme le prix de la renonciation à la consommation présente ; r est déterminé sur lemarché des capitaux (pas sur le marché de la monnaie).

2.) Implications normatives

Pour les néoclassiques l’Etat doit garantir un fonctionnement fluide du marché et favoriser (par sanon intervention le plus souvent) les comportements d’offre.

2.1. Les fondements de l’analyse néoclassique

A la base de ce courant analytique il y a d’abord une approche heuristique : l’individualismeméthodologique qui consiste à étudier le comportement d’un agent économique et à passer auniveau macroéconomique par agrégation ou à postuler que cet agent est représentatif. Cetindividu est motivé par la recherche de son propre intérêt, il cherche à maximiser un bien-êtrematériel que l’on peut appréhender à travers la quantité de biens et de services à sa disposition. Iln’y a pas de coordination ex-ante des actions individuelles cependant par le truchement de lamain invisible l’allocation des ressources est efficiente. La recherche par chaque individu de sonpropre intérêt conduit à une situation collectivement optimale. La liberté de choix et la rationalitédes agents, quant à l’utilisation des ressources, permet d’atteindre une situation optimale au sensde Pareto (à l’équilibre on ne peut pas accroître la satisfaction d’un individu sans réduire celle deun ou plusieurs autres individus).Plusieurs précurseurs et fondateurs de l’analyse néoclassique doivent être cités. En tant quephilosophes des libertés Locke, Spinoza, Montesquieu se font les chantres d’un « laisser faire,laisser passer » érigé ensuite en recommandation normative par les physiocrates.Helvetius pose, de son côté, les bases de l’individualisme méthodologique. Dans la Richesse desnations (1776) – première synthèse classique - Adam Smith propose le concept de main invisibleet décrit la logique sous-jacente ; auparavant dans la Théorie des sentiments moraux (1759) il

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s’était beaucoup interrogé sur les motivations individuelles, si l’altruisme caractérise la sphèresociale, l’égoïsme prévaut dans la sphère économique. Cournot (1838) définit quant à lui laconcurrence parfaite, il s’agit d’une situation ou fondamentalement l’agent est preneur de prix (ilne peut pas influencer le prix de marché par ses décisions d’achat et de vente).Cette leçon est à géométrie variable. Les véritables fondements de l’analyse classique sontl’individualisme méthodologique, la rationalité des agents et la confiance accordée auxmécanismes de marché pour une allocation optimale des ressources. Afin de nourrir plusfacilement l’exposé, il est sans doute préférable d’élargir un peu le sujet en évoquant plutôt lescaractéristiques de ce courant d’analyse, les hypothèses qui lui sont associées, les propositionsnormatives qu’il met traditionnellement en avant.

A)préserver la flexibilité des marchés

Un rôle de l’Etat est de faire respecter les règles de la concurrence, de garantir la libre entrée surle marché, d’ôter toute entrave aux mécanismes de prix, de faire en sorte que les prix constituentun vecteur d’information non-biaisé. Rappelons en effet que c’est sur la base de l’informationvéhiculée par les prix que les agents opèrent leur choix en matière d’allocation des ressources.L’Etat se cantonne dans l’exercice de fonction régalienne (défense du territoire national, police,justice) et la fourniture de biens collectifs que le marché ne saurait proposer compte tenu del’importance du coût de l’investissement initial (infrastructures, recherche, éducation).

B)vers des politiques d’offre

L’Etat doit aussi libérer l’initiative individuelle, il doit favoriser l’offre de travail et l’épargne.Dans la logique de la loi de Say, toute offre crée sa propre demande et la réalisation de l’équilibremacro-économique ne rencontre pas d’obstacle du côté de la demande : toutes les mesuressusceptibles de dynamiser l’offre sont en principe positives en matière de croissance, ellesaccroissent durablement le potentiel productif de l’économie : la baisse de la fiscalité s’inscritdans cette logique, cependant que les dépenses d’éducation, de recherche et d’infrastructure setrouvent également justifiées.

Conclusion : pour beaucoup, être néoclassique c’est simplement adopter l’individualismeméthodologique (partant, les keynésiens le seraient aussi), nous avons donc plutôt fait glisser lesujet vers une caractérisation du libéralisme.

2.2. La loi de Say

La loi de Say occupe une place centrale dans l’analyse libérale. Elle pose clairement que laréalisation de l’équilibre macro-économique ne saurait rencontrer d’obstacle du coté de lademande. Laissons fonctionner librement le marché et un équilibre de plein emploi se fera jour.En ce sens, l’on peut dire que Jean-Baptiste Say (auteur du Traité d’économie politique en 1803)se situe dans la lignée de Smith et qu’il préfigure les idéaux types libéraux (Walras (1870), Pareto(1906), Arrow et Debreu (1954)). Le rapprochement avec les théoriciens de l’offre et leurspropositions normatives (réduction de la fiscalité et flexibilité accrue sur les marchés d’input) est

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plus évident encore : l’activité maximale sera obtenue par la libéralisation la plus pousséepossible des initiatives et des structures.La loi de Say est par ailleurs intéressante d’un point de vue théorique car elle permet de biencerner deux des hypothèses fondamentales du libéralisme le plus pur : une structure de marchépurement et parfaitement concurrentielle et l’absence de rigidité des prix.Si à court terme la validité de la loi de Say paraît, sans conteste, devoir être rejetée en raison de laforce même des hypothèses ci-dessus, nous pourrons nous demander en conclusion, si à longterme, elle ne contient pas un « fond de vérité ».

1.) Principes, hypothèses et implications de la loi de Say

Après avoir énoncé la loi de Say, nous verrons qu’elle repose sur la neutralité de la monnaie enmême temps qu’elle en est l’expression.

A)énoncé

« Les produits s’échangent contre des produits », derrière cette proposition, il faut entendre quelors du processus de production, les revenus distribués (salaires, profits, rentes) sontimmédiatement « réinjectés dans le circuit » et viennent constituer une demande. Le revenu estréparti entre consommation et épargne sur la base du niveau du taux d’intérêt, une épargneimmédiatement transformée en investissement. Sous certaines hypothèses, « toute offre crée sapropre demande ».Par ailleurs, dans la tradition d’un classicisme français plutôt axé sur l’analyse du développementde l’industrie (Say, Bastiat) la loi de Say fonde un certain optimisme quant à la possibilité pourune économie de maintenir une croissance durable et soutenue. Au contraire les anglais pluscentrés sur l’agriculture (Malthus, Ricardo) et ses rendements décroissants craignent l’étatstationnaire.

B) la neutralité de la monnaie

Chez Say, la monnaie est un voile. La monnaie n’est pas désirée pour elle-même, elle n’a quedeux fonctions (intermédiaire des échanges et unité de compte), le taux d’intérêt se définitcomme le prix de la renonciation à la consommation présente. Par ailleurs, de manière liée, lesprix sont parfaitement flexibles. Si l’on augmentait la quantité de monnaie en circulation dansl’économie, cette mesure n’aurait pour seul effet que de provoquer une hausse proportionnelle duniveau général des prix, elle ne modifierait pas la structure des prix relatifs, le salaire réel et letaux d’intérêt ne seraient pas touchés.

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2.)Les limites de la validité de la loi de Say

Ces limites sont inséparables de la nature des hypothèses sur lesquelles reposes la loi.

A)une conception restrictive de la monnaie

Malthus et Sismondi au début du 19ième siècle ainsi que Marx un peu plus tard ont mis enévidence la possibilité d’une crise de sous-consommation liée à une épargne excessive et à lapossibilité d’une thésaurisation.Keynes, qui reconnaît par ailleurs sa dette envers Malthus et Sismondi, attaque « l’édificeclassique » en contestant la loi de Say. L’incertitude consubstantielle à la nature de l’économieconduit à désirer la monnaie pour elle même (pour l’essentiel au motif de spéculation du fait despossibles variations du taux d’intérêt : la détention d’encaisses liquides est préférable à ladétention de titres en cas de hausse des taux). On comprend dès lors que toute offre ne peut pluscréer sa propre demande : une partie des revenus distribués lors du processus de production estconservée sous forme de liquidité.

B)une grande confiance dans la capacité d’ajustement des prix

La possibilité d’une crise de surproduction a aussi été mise en évidence et constatée par lesauteurs du 19ième siècle. Dans la logique de l’offre cette configuration n’est que temporaire, lesprix (en baissant) vont provoquer un ajustement immédiat de la production qui va se transformeret modifier les caractéristiques des produits offerts (les prix constituent un vecteur d’informationnon biaisé). A court terme la rigidité des prix est avérée (voir la leçon sur les rigidités), lesvariations du prix des importations se répercutent avec retard sur les prix à la consommation, parnature les salaires réels sont particulièrement visqueux (voir l’hypothèse keynésienne de rigidité àla baisse des salaires nominaux).

Conclusion : ce sujet nous fait toucher du doigt, l’opposition court terme / long terme, le débatmonnaie neutre versus monnaie non neutre.La réflexion tend à aboutir à la conclusion qu’à court terme la loi de Say n’est pas valide, maisqu’à long terme elle l’est peut-être. L’historien François Crouzet, spécialiste de la Révolutionindustrielle après avoir constaté la création d’une gamme large de biens de consommation fin18ième - début 19ième, n’affirme-t-il pas qu’à long terme cette offre créa sa propre demande(Histoire de l’économie européenne 10002000, p.178).

2.3. Les hypothèses de la neutralité de la monnaie

La question de la neutralité de la monnaie constitue l’un des clivages fondamentaux de l’histoirede l’analyse économique. Depuis le 17ième siècle le débat est récurrent entre ceux qui pensentqu’une modification de la quantité de monnaie en circulation peut avoir des effets sur lesvariables réelles et ceux qui pensent qu’elle n’en a pas. La neutralité de la monnaie signifie eneffet qu’une hausse de la masse monétaire n’aurait d’autre effet que de provoquer unaccroissement proportionnel du niveau général des prix, en aucune manière elle ne pourrait

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modifier la structure des prix relatifs et en particulier le niveau du taux d’intérêt réel et du salaireréel, les deux variables qui assurent l’ajustement sur les marchés d’input. Chez Locke, Law ouencoreMontesquieu est esquissé une conception monétaire du taux d’intérêt, plus la monnaie estabondante, moins « le prix de l’argent » va être élevé, partant la monnaie ne serait pas neutre. Aucontraire, chez Smith et Say la monnaie ne fait que voiler les échanges de produits.Au 20ième siècle, à la suite notamment des travaux de Keynes, la question de la neutralité de lamonnaie a été plus ouvertement reliée à certaines hypothèses faites sur ses fonctions et sur lacapacité des prix à s’ajuster plus ou moins vite. Cette clarification a engendré un relatif consensuschez les économistes pour dire qu’à court terme la monnaie n’est pas neutre mais qu’à longterme, elle le devient. L’intérêt théorique du sujet est évident, son intérêt de politique économiqueaussi, il concerne le rôle de la politique monétaire, doit-elle aider à stabiliser la conjoncture oudoit-elle seulement assurer une stabilité structurelle des prix indispensable à l’ancrage desanticipations salariales et financières ?On peut donc procéder en deux temps, en voyant tour à tour les caractéristiques des hypothèsessur les fonctions de la monnaie et la nature de l’ajustement des prix.

1.) Une conception restrictive des fonctions de la monnaie

La première hypothèse renvoie aux fonctions que l’on attribue à la monnaie.

A)les fondements de l’analyse dichotomique néoclassique

Si les produits s’échangent contre des produits chez Say, c’est malgré tout par l’intermédiaire dela monnaie, celle-ci fluidifie les échanges : une économie monétaire est plus efficace qu’uneéconomie de troc (Clower (1968)). En plus de sa fonction d’intermédiaire des échanges lamonnaie est aussi unité de compte. Mais son rôle se circonscrit à ces deux fonctions. Dès lors quela monnaie ne peut pas être détenue pour elle-même, il n’y a pas de thésaurisation et l’intégralitédes revenus alimente la demande ; d’où l’impossibilité d’une crise de surproduction ou de sous-consommation d’origine monétaire.

B) incertitude et détention de la monnaie pour elle-même, l’attaque keynésienne

Chez Keynes, l’économie se caractérise d’abord par l’incertitude qui entoure le futur notammentl’évolution de la demande et des taux d’intérêt. La monnaie a une troisième fonction dite deréserve de valeur et il peut être rationnel d’en détenir au motif de spéculation. Si les taux d’intérêtsont bas (proches de la trappe à liquidité), la probabilité pour qu’ils augmentent est forte, le coursdes titres ne peut que baisser : mieux vaut détenir de la monnaie plutôt que des titres dont lavaleur va probablement s’effondrer.Soit i le taux d’intérêt, C le cours des titres, R la rente d’une obligation perpétuelle C = R / i

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2.) La parfaite flexibilité des prix

La seconde hypothèse concerne la capacité d’ajustement du système de prix, là encore il faut dutemps avant que les prix ne s’ajustent.

A)implications et exigences de la flexibilité des prix

La capacité des prix à s’ajuster immédiatement (en cas de choc sur l’offre de monnaie parexemple) est aussi une condition et partant une hypothèse de la neutralité de la monnaie.L’hypothèse de flexibilité des prix paraît exiger tout à la fois information parfaite, rationalité desagents et une structure de marché concurrentielle. Sous ces conditions la structure des prixrelatifs peut ne pas être modifiée, en toutes circonstances les prix restent un vecteurd’informations non biaisé. Le courant des anticipations rationnelles (citons l’article de Lucas(1972) sur la neutralité de la politique monétaire) pose en définitive le principe d’un ajustementimmédiat des prix après un choc en raison précisément de la qualité des anticipations : même àcourt terme la monnaie est neutre. Friedman (1968) ne fermait pas la porte à une non neutralité enraison du caractère adaptatif des anticipations.

B) l’existence avérée de rigidités nominales

A court terme la viscosité des prix ne souffre pas de contestation. Les salaires ne sont pasparfaitement flexibles, Keynes a mis en exergue la rigidité à la baisse des salaires nominaux. Sicomme en Angleterre dans les années 1920, on met en oeuvre une politique de déflation, cetterigidité à la baisse du salaire nominal provoque une hausse du salaire réel d’où un taux dechômage élevé. Aujourd’hui les travaux d’Akerlof, Dickens et Perry (1996) sur la non verticalitéde la courbe de Philips pour des taux d’inflation bas inférieurs à 45%(C’est-à-dire la possibilité d’un arbitrage inflation chômage à long terme) repose sur cettehypothèse.La variation des prix des importations se répercute avec retard sur la variation des prix à laconsommation. De même pour Blinder et Mankiw l’inertie des prix (l’entreprise américaine «moyenne » ne modifie ses prix qu’une fois l’an) est, de fait, source de non neutralité de lamonnaie.

Conclusion : Le débat sur la neutralité de la monnaie est d’abord et avant tout une affaired’hypothèse. A court terme, si la monnaie est détenue pour elle même et si les prix sont visqueuxalors la monnaie est non neutre. A long terme, si les prix finissent par s’ajuster et si la monnaien’a que deux fonctions (unité de compte et intermédiaire des échanges) alors la monnaie estneutre. Cette intuition était déjà présente dans les deux essais de David Hume Of Money et OfInterest (1752), l’un des pères de la TQM met en avant le fait qu’après un choc monétaire, « ilfaut toujours un intervalle avant que tous les éléments s’adaptent à la nouvelle situation ».

2.4. Les fondements de l’analyse keynésienne

« Les deux vices marquants du monde économique où nous vivons sont le premier que le pleinemploi n’y est pas assuré, le second que la répartition de la fortune et du revenu y est arbitraire etmanque d’équité » (Théorie Générale, chap. 24)

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L’ouvrage Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie publié en 1936 pose lesbases des analyses dites keynésiennes. La complexité et la densité du livre donne en effet librecours à l’exégèse et plusieurs interprétations de l’oeuvre de Keynes ont été proposées. La leçons’appuie plutôt sur l’interprétation dite néokeysienne qui tend à faire de l’analyse de Keynes uncas limite de l’analyse néoclassique (ou inversement). Rappelons seulement que Keynes est unéconomiste libéral (il appartient un temps - dans les années 1920 - au parti de Lloyd George), ilcroit dans une large mesure aux vertus du marché dans l’allocation des ressources rares et soninterventionnisme global se veut respectueux de la sphère de décision de l’entreprise privée.L’analyse keynésienne se fonde d’abord sur le relâchement de certaines des hypothèsesnéoclassiques. Chez Keynes la monnaie se voit reconnaître une troisième fonction qui impliquesa non neutralité et les prix ne sont pas parfaitement flexibles (les salaires nominaux sont parhypothèse rigides à la baisse). Le libre jeu de la concurrence conduit en principe à une situationd’équilibre de sous-emploi du fait de l’insuffisance de la demande. Le retour au plein emploipasse par l’intervention de l’Etat, organe de régulation qui doit assurer la coordination ex-antedes actions individuelles. La structure de l’économie doit être remodelée autour de cetteinstitution. La leçon se déroule en deux temps. Nous voyons d’abord commentKeynes se situe par rapport à l’analyse néoclassique puis nous nous concentrerons sur ses apportspositifs et leurs conséquences normatives.

1.) Le rejet de certaines hypothèses néoclassiques

Keynes attaque « l’édifice classique » à deux niveaux. Il conteste la neutralité de la monnaie etmet en évidence la viscosité des prix sur la courte période, la seule qui compte, puisque comme ille dit lui-même avec ironie « à long terme nous sommes tous mort ».

A)remise en cause de l’analyse dichotomique

Pour les néoclassiques - dans la lignée de J-B. Say - la monnaie n’est qu’un voile des échanges etles produits s’échangent - en définitive - contre des produits. Cette neutralité de la monnaie sefonde sur une, conception restrictive de ses fonctions, elle n’est qu’un intermédiaire des échangeset une unité de compte.Selon Keynes dans un monde économique fondamentalement dominé par l’incertitude, il estrationnel de détenir la monnaie pour elle même, essentiellement au motif de spéculation.L’arbitrage monnaie titre va dès lors être à la base de toute la macroéconomie du XXè siècle.L’existence d’une thésaurisation va de paire avec l’idée d’un possible équilibre de sous-emploi dufait d’une insuffisance de la demande. La monnaie influence donc bel et bien la réalisation del’équilibre macroéconomique.

B)rigidités des prix et ajustement par les quantités

L’autre angle d’attaque de Keynes contre la loi de Say concerne la capacité des prix à s’ajusterdans le court terme, l’économiste anglais conteste ce point. La réalisation de l’équilibre rencontreaussi des obstacles à ce niveau : dans l’environnement déflationniste des années1920 en Angleterre la rigidité à la baisse des salaires nominaux provoque un accroissement dusalaire réel à l’origine d’un chômage de masse. Dans le modèle keynésien élémentairel’ajustement s’effectue par les quantités, le principe de la demande effective illustre cette logique.

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Après avoir vu les concepts à la base de l’analyse keynésienne, nous voyons par quels moyensl’Etat peut intervenir pour soutenir l’activité économique.

2.) Principaux apports de Keynes

Après avoir vu les concepts à la base de l’analyse keynésienne, nous voyons par quels moyensl’Etat peut intervenir pour soutenir l’activité économique.

A)éléments fondateurs de l’analyse keynésienne

Plusieurs concepts sont à la base de la reconstruction. En raison de la « nature anticipée » duprincipe de la demande effective, de la loi psychologique fondamentale (liée au fait que lapropension à consommer est inférieure à l’unité et décroissante avec le revenu) et de la nonneutralité de la monnaie l’apparition d’un équilibre de sous-emploi est le cas de figure le plusprobable si on laisse jouer les forces de marché.L’Etat doit intervenir pour résorber l’écart déflationniste ainsi apparu via une action sur lademande. Un soutien ponctuel aura des effets en cascade par le jeu du multiplicateur. Ce dernierpeut se définir comme le coefficient multiplicateur qui relie la variation initiale d’une composanteexogène de la demande globale à la somme de ses effets cumulés sur le revenu au terme d’unprocessus d’interaction de n périodes.

B) le rôle de l’Etat dans la régulation macro-économique

L’Etat peut utiliser les recettes et les dépenses publiques pour réguler l’activité économique.Plusieurs variables sont concernées par cette action budgétaire, à chacune d’elle est associé unmultiplicateur : soit k1 le multiplicateur de dépenses publiques ou d’investissement∆Y/∆G =1/(1-c)(1-t) soit k2 le multiplicateur de transferts ∆Y/∆Tr= c/ (1-c)(1-t) soit k3 lemultiplicateur d’impôts ∆Y/∆Tr=c/ (1-c)(1-t)Notons que d’après le théorème de Haavelmo, une hausse simultanée d’un même montant desdépenses publiques 'G et des impôts 'T qui laisse par conséquent le solde budgétaire inchangé a,au terme des n périodes, un effet positif sur le revenu égal au choc initial sur les dépenses (∆G=∆ Y). Ce résultat s’explique notamment par la supériorité en valeur absolue de k1 sur k3.Plus largement pour revenir à la problématique liminaire, la redistribution opérée par l’Etat setrouve analytiquement justifiée chez Keynes. De la sorte Keynes paraît pouvoir réconcilierefficacité économique et solidarité. L’Etat peut aussi intervenir par la politique monétaire, enaugmentant la quantité de monnaie en circulation, c’est-à-dire en cherchant à abaisser le prix dela liquidité de la monnaie. La baisse du taux d’intérêt doit favoriser l’investissement, cela étantl’arme monétaire trouve assez vite un butoir au niveau de la trappe à la liquidité (niveau du tauxd’intérêt nominal en dessous duquel on ne peut pas descendre).

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Conclusion : pour résumer l’analyse keynésienne on peut reprendre dans l’ordre inverse les mots du titre de son oeuvre majeure. Une analyse différente de la monnaie conduit à redéfinir le taux d’intérêt et à repenser les conditions du retour au plein emploi à court terme.

2.5. Le multiplicateur Keynésien

Le multiplicateur est l’un des concepts fondamentaux de ce que l’on peut appeler la synthèse keynésienne. Keynes rassemble en effet dans une théorie générale des idées directrices et des outils analytiques empruntés parfois à des auteurs plus anciens ou à ses disciples. La conception monétaire du taux d’intérêt était présente chez Law et Montesquieu. Malthus et Sismondi avaient cherché à remettre en cause la loi de Say, ils avaient aussi insisté sur l’importance de la demandedans la détermination de l’équilibre macro-économique. Robertson a proposé la notion de trappe à la liquidité. Le multiplicateur est, quant à lui, un concept avancé par Kahn au seuil des années 1930. Il peut se définir comme un coefficient multiplicateur (un nombre dont on peut déterminer la valeur) qui relie la variation initiale d’une composante exogène de la demande globale à la somme de ses effets cumulés sur le revenu au terme d’un processus d’interaction de npériodes entre notamment la consommation et le revenu. La leçon peut s’articuler autour d’une opposition simple entre d’un côté les caractéristiques du multiplicateur et de l’autre ses limites,assez nombreuses.

1.) Les caractéristiques du multiplicateur

Le multiplicateur keynésien conditionne très largement l’efficacité de la politique budgétaire.

A) signification et implications

La hausse ponctuelle (action non maintenue à la période suivante) d’une composante exogène de la demande va avoir un effet positif sur le revenu (Y), dont la force diminue mais qui se maintientsur un horizon infini. ∆Y1=∆G, ∆Y2= c∆G, ∆Y3= c2∆G... au total au terme des n périodes∆Y= 1/ (1-c)∆G (avec c la propension marginale à consommer).Quels sont les différents multiplicateurs de recettes et de dépenses publiques ?

multiplicateur de dépenses publiques (G) ∆Y/ ∆G = 1 /1-c+ ctmultiplicateur de transferts (Tr) ∆Y/∆Tr = c / 1-c+ct multiplicateur d’impôt (T) ∆Y/∆T = -c / 1-c+ct

L’approche keynésienne en terme de multiplicateur participe de la justification de l’intervention publique d’autant plus que cette intervention peut être réalisée en maintenant l’équilibre budgétaire : tel est le sens du théorème de Haavelmo. Une hausse simultanée et du même montantdes dépenses et des recettes accroît au total le revenu à cause de la supériorité de l’impact des dépenses (valeur des multiplicateurs). Selon Haavelmo, la hausse du revenu est égale à celle des dépenses publiques « si la fonction de consommation est linéaire, et si l’investissement global est constant, un impôt additionnel dont le montant est intégralement dépensé, augmente le revenu

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national et laisse inchangé le revenu disponible et la consommation, et ceci indépendamment de la valeur de la propension marginale à consommer » (Haavelmo (1945)).

B)fuites et réduction de l’efficacité de la politique budgétaire

Il y a trois facteurs susceptibles d’affaiblir la valeur du multiplicateur :

l’épargne, la fiscalité et les importations.

Soit le multiplicateur de dépenses publiques k = 1 / 1 - c dans son expression la plus simple. Si l’on pose c= 0,8 et s= 0,2, k= 5, plus s est élevée moins la valeur du multiplicateur est élevée.Si l’on introduit un impôt proportionnel k = 1 / 1 - c + ct en posant que le taux t= 0,1, la valeur dek chute (k = 1/ 0,28 = 3,57). Si en plus on ouvre l’économie aux importations, en posant que lapropension marginale à importer m est de 20% (m= 0,2) k = 1 / 1 - c + ct + m = 1 / 0,48 = 2,08.Naturellement ces trois sources de fuites réduisent l’efficacité de la politique budgétaire.

2.) Les limites d’une analyse en terme de multiplicateur

La portée du multiplicateur est limitée principalement par l’imparfaite élasticité de l’offre et les critiques adressées à la fonction keynésienne de consommation. L’élasticité de l’offre : l’offre doit être assez élastique pour répondre à l’accroissement de la demande à la période courante.Le raisonnement en terme de multiplicateur ne s’applique qu’en régime de sous-emploi puisque au delà justement l’offre ne peut plus s’ajuster : la relance budgétaire a seulement des effets inflationnistes.Le caractère virtuel du terme : l’horizon temporel qui définit le multiplicateur (mesure des effets sur le revenu au terme de n périodes) est naturellement irréaliste.

A)les exigences temporelles du multiplicateur

L’élasticité de l’offre : l’offre doit être assez élastique pour répondre à l’accroissement de la demande à la période courante. Le raisonnement en terme de multiplicateur ne s’applique qu’en régime de sous-emploi puisque au delà justement l’offre ne peut plus s’ajuster :la relance budgétaire a seulement des effets inflationnistes. Le caractère virtuel du terme : l’horizon temporel qui définit le multiplicateur (mesure des effets sur le revenu au terme de n périodes) est naturellement irréaliste.

B) les critiques de la fonction keynésienne de consommation

La fonction de consommation keynésienne s’écrit de la manière suivante : Ct = Co + c Ydtavec Co une consommation incompressible, Ydt le revenu disponible à lapériode courante, c la propension marginale à consommer, c estdécroissante avec le revenu.

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Les critiques de cette fonction ont en commun de vouloir donner une dimension plus dynamique aux comportements de consommation. Duesenberry souligne la dimension sociale des modèles de consommation. Le niveau de consommation de courte période ne dépend pas seulement du revenu courant, il dépend des habitudes de consommation liées au revenu le plus élevé perçu dans la passé. Si le revenu courant baisse, la consommation n’est pas réduite : l’expressioneffet de cliquet traduit cette idée. Pour caricaturer, la consommation chez Friedman est fonction du revenu permanent (revenu moyen anticipé sur l’ensemble de la viecompte tenu de la qualification, de la fortune...) et pas du revenudisponible. L’approche en termes de cycle de vie à la Modigliani, Ando et Brumberginsiste sur le fait que les comportements de consommation et d’épargne varient suivant les époques de la vie. En période de jeunesse l’agent emprunte, à l’âge mûr il épargne, lorsqu’il est à la retraite il « désépargne ».

Conclusion : le concept de multiplicateur présente un intérêt analytique de première importance mais paraît en définitive peu réaliste.

2.6.) Quel( s) financement( s) pour les dépenses publiques ?

En situation d’équilibre de sous-emploi, personne ne conteste la capacité d’une hausse des dépenses publiques à soutenir la croissance et à réduire le chômage. Ce qui fait problème avec cette action budgétaire, ce sont fondamentalement les effets en retour associés au financementde ces dépenses. Ce sujet présente un double intérêt. Il permet d’analyser les trois modalités de financement des dépenses (financement monétaire direct, endettement et impôt) : toutes font naturellement partie intégrante de la contrainte budgétaire intertemporelle de l’Etat (voir annexe).La mise en évidence des effets en retour de chacune d’elle permet de mieux comprendre pourquoil’utilisation de la politique budgétaire fait l’objet d’une contestation de principe.Le plan peut s’articuler autour d’une opposition entre les modalités de financement de court et moyen termes qui butent très vite sur des contraintes endogènes de solvabilité et l’impôt seul moyen de prendre en charge à long terme la hausse des dépenses publiques, ce faisant on joue surl’ambiguïté pluriel/ singulier de l’intitulé du sujet.

1) La création monétaire et l’endettement comme éventualité de court et moye Termes

L’inflation et l’endettement constituent deux moyens de financer les dépenses publiques mais qui très vite engendrent certains effets préjudiciables pour la croissance.

A) l’inflation, un palliatif en cas de choc majeur

Pour partie, la Première Guerre mondiale a été financée en France, en Angleterre et en Allemagnepar le recours à la « planche à billets ». Nous sommes dans une configuration où la Banque centrale n’est pas autonome, les pouvoirs publics se tournent vers elle et exigent des avances directes. Pour une création de x unités de billets, le bilan de la Banque centrale est équilibré par ledépôt à l’actif d’un bon du Trésor d’une valeur équivalente. Le recours à ce type de solution

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présente des dangers. En vertu d’une approche quantitative la hausse de la masse monétaire va entraîner un accroissement proportionnel du niveau général des prix. Le risque est de ne plus pouvoir contrôler cette hausse des prix et d’entrer dans l’hyperinflation comme l’économie allemande en 192223. A l’extrême la monnaie ne joue plus son rôle et l’on s’installe dans une économie de troc.Aujourd’hui la forte autonomie accordée aux Banques centrales et la contrainte dite de crédibilité(qui pousse à faire de la stabilité des prix l’objectif principal de la politique économique) semblent interdire toute possibilité de recourir à cet expédiant.

B) effets en retour et limites de l’endettement

Le recours à l’endettement est une solution usuelle pour financer les dépenses publiques. Mais la progression de l’endettement pose certains problèmes. Si l’on se situe sur le marché des titres dans un modèle néoclassique élémentaire, nous pouvons observer des effets d’éviction, la hausse du taux d’intérêt réel, la baisse de l’investissement privé et de la consommation. Très vite aussi les autorités se heurtent à un problème de soutenabilité de la dette. Le service de la dette peut - à l’extrême - paralyser toute action budgétaire. A solde primaire nul si le taux d’intérêt réel servi sur la dette est supérieur au taux de croissance de l’économie, la dette publique est sur une trajectoire explosive. Sans faire intervenir des considérations en termes de crédibilité, l’endettement trouve très vite un butoir comptable.

2) L’impôt comme seul moyen de financer à long terme les dépenses publiques

Le constat empirique de la progression simultanée des dépenses en proportion du PIB et du taux de prélèvement obligatoire montre que l’imposition est bien historiquement le seul moyen de prendre en charge la progression des dépenses publiques. Les libéraux sont partagés entreceux qui pensent ces progressions simultanées neutres pour l’activité et ceux qui soulignent leurs effets néfastes.

A) la thèse de la neutralité de l’action budgétaire

Le théorème d’équivalence (Ricardo-Barro) résume assez bien les positions des tenants de la neutralité. L’idée est la suivante : il est équivalent de financer les dépenses publiques par l’emprunt et par l’impôt, dans les deux cas cela n’a pas d’effet, c’est neutre. Si l’on finance les dépenses publiques par une hausse de l’endettement, les agents augmentent leur épargne en prévision d’une hausse des impôts, pour rembourser la dette à l’avenir, la consommation est réduite. Si l’on finance la progression des dépenses par une hausse de la fiscalité à la période courante, la consommation est réduite d’autant immédiatement et l’effet positif de la dépense publique est entièrement contrebalancé par l’effet négatif de la baisse de la consommation.

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B) la hausse du taux de prélèvement obligatoire, quelles limites ?

M. Friedman et plus encore l’Ecole des choix publics posent le principe du caractère non plus neutre mais contre productif cette fois de l’intervention publique. Ils mettent notamment en avant l’existence de biais bureaucratiques (dépassement des budgets, accroissementartificiel de la taille des services...) source de progression continue des dépenses.Les économistes de l’offre identifient des limites à la hausse des impôts. On peut faire référence àla courbe de Laffer qui met en relation le taux de prélèvement obligatoire et le total des recettesrécoltées. Dans un premier temps la hausse du taux s’accompagne d’une progression des recettes mais à partir d’un certain seuil, en raison d’effets « désincitatifs » (on décide de travailler moins) et du développement d’activité parallèle (marché noir) le total des recettes va baisser. Cette analyse « à la Laffer » est récurrente, une mise en perspective historique relativise cette vision. Au 18ième siècle Montesquieu écrivait déjà « lorsque l’on ôte les récompenses de la nature, on reprend le dégoût pour le travail et l’inaction devient le seul bien » (De l’Esprit des lois, 1748). Leroy-Beaulieu, fin 19ième recommandait de ne pas dépasser 10 à 12% de taux de PO, sans quoi les recettes ne rentreraient plus. Aujourd’hui en France ce taux atteint 45%.

Conclusion : le seul moyen de financer à long terme la hausse des dépenses publiques, c’est d’augmenter les impôts. Jusqu’où peut aller cette double progression ?

La contrainte budgétaire intertemporelle de l’Etat

L’Etat doit à chaque période satisfaire l’identité budgétaire suivante qui intègre les trois modalitésde financement des dépenses évoquées dans la leçon : Gt + it-1Bt-1 = Tt + (Bt - Bt-1)+ (Ht - Ht-1) avec Gt désignant le montant des dépenses publiques hors charges d’intérêts, Tt celui des recettes fiscales, Bt l’encours de la dette publique à la fin de la période (t-1) et Ht le montant de labase monétaire (que l’on suppose ici émise uniquement en contrepartie d’unfinancement monétaire de l’Etat). On peut réécrire cette égalité en retenant des variables en proportion du PIB nominal. st désigne le montant du seigneuriage (en termes du PIB). On suppose également que le taux d’intérêt réel ( r ) est constant et on note O le taux de croissance du revenu réel par tête et n le taux de croissance de la population. On obtient alors :

gt + (r - n -λ).bt-1 = tt + (bt – bt-1)+ st avec st= { Ht – Ht-1)/ PtNtyt et bt ={ Bt/PNy ; g= { Gt/PNy) g={ Tt/PtNt y)

En itérant cette identité sur une infinité de périodes, l’exclusion de l’hypothèse selon laquelle le montant de la dette publique (en termes du PIB) serait non borné à un horizon très lointain amèneà supposer que l’Etat se doit de respecter à chaque date t l’égalité suivante :

<<<<<<<

A long terme répétons le seul une progression des recettes fiscales T permet de faire face à la hausse des dépenses publiques G.

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2.7. L’Etat peut-il toujours recourir à l’endettement pour se financer ?

Dans les années 1990 la réduction de l’endettement a été une priorité au sein des économiesoccidentales. Par le Traité de Maastricht les pays européens engagés dans la monnaie unique ontdéfini une norme d’endettement : l’un des critères de convergences vers l’euro était de ne pasprésenter au 1er janvier 1999 un ratio d’endettement supérieur à 60% (rapport dette/ PIB). LaFrance et l’Allemagne ont déployé de gros efforts pour atteindre ce seuil, l’Italie et la Belgiqueont conservé un ratio supérieur à 100%, ces deux pays ont accédé à l’euro et ont montré de faittoute la relativité de ce ratio de convergence.Cela étant, même si la norme ne repose pas sur des fondements analytiques précis, elle permet deprendre conscience du fait que l’endettement a des limites. Lorsque la valeur réelle de la dettedevient de plus en plus importante, la part de son service augmente au sein du budget de l’Etat aupoint de paralyser toute action par le canal de la politique budgétaire.Les analyses d’inspiration libérales mettent en avant un certain nombre d’effets pervers del’endettement public : il s’accompagne d’une hausse des taux d’intérêt, d’une réduction del’investissement privé et de la consommation privée.

1) Les limites comptables de l’endettement : trajectoire etcaractère soutenable de la dette publique

L’idée sous-jacente est que le service de la dette s’il devient trop important peut paralyser toutesactions budgétaires, voire entraîner une faillite pure et simple de l’Etat.

A) établissement de la contrainte dite de « soutenabilité de la dettepublique»

Soit Bt la dette publique à la période courante t, Gt les dépenses publiques (hors chargesd’intérêts), Tt les recettes fiscales. Les trois variables ci-dessus sont exprimées en termesnominaux, i le taux d’intérêt nominal moyen servi sur la dette au cours de la période courantep le taux de croissance du niveau général des prix sur la période courante (entre t-1 et t), pt leniveau général des prix à la date tExprimons la contrainte budgétaire de l’Etat en termes de flux (équilibre des recettes et desdépenses du Trésor)

Gt + i. Bt-1 = Tt + (Bt - Bt-1)

Notons Dt = Gt - Tt le déficit budgétaire primaire c’est-à-dire hors charges d’intérêts.Il vient que : Bt = Dt + (1 + i) Bt-1Notons Yt le produit intérieur brut en termes réels à la période t et posons

bt =Bt/ pt Yt dt = Dt/ptYt bt-1= Bt-1/pt-1Yt-1

avec Yt = (1 + g) Yt-1, g représentant le taux de croissance du produit intérieur brut en volume.Nous pouvons écrire pt. Yt = (1+ p) (1+ g) pt-1. Yt-1.

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En divisant la contrainte budgétaire en termes de flux par le produit intérieur brut nominal et enréaménageant les termes, nous pouvons exprimer la relation précédente de la manière suivante : ********

Cette équation exprime l’évolution du rapport dette/ Pib et intègre les principaux déterminants dela trajectoire de la dette publique (le solde primaire, le taux d’intérêt réel (r = i-p) et le taux decroissance. On considère la dette sur une trajectoire potentiellement instable dès lors que dbt estsimplement positif.

B) conséquences analytiques

A solde primaire nul, il apparaît que si le taux d’intérêt réel servi sur la dette est supérieur au tauxde croissance (g), dbt (avec dbt = bt - bt-1) est positif, la dette tend à devenir insoutenable. Acontrario, cette dette publique sera d’autant plus facilement amortie que la croissance du PIB seraforte et le taux d’intérêt réel faible. Historiquement l’inflation est une arme « utilisée » pouralléger la valeur réelle de la dette : le taux d’intérêt réel pourra être affaibli par l’inflation dès lorsque l’on évolue dans un univers d’illusion monétaire (il y a des erreurs en matière d’anticipationsinflationnistes de la part des épargnants). Il y a quelques exemples très parlants - la France desannées 1920 ou de la fin des années 1940, l’Italie après la Seconde Guerre mondiale - uneinflation galopante a conduit à l’apparition de taux d’intérêt réel négatif, l’Etat rembourse sa dette« en monnaie de singe ».

2) Endettement public et détournement d’activité

Le terme détournement d’activité est plus général que celui d’effet d’éviction, il semble adéquatpour désigner l’ensemble des conséquences d’une hausse de la dette publique.

A) effets d’éviction sur le marché des fonds prêtables

Dans le modèle néoclassique de base - sur le marché des titres – la progression de l’offre de titresdu fait d’une hausse de l’endettement de l’Etat entraîne une hausse du taux d’intérêt réel r. Levolume d’investissement privé est réduit même si au total l’investissement augmente. Lesinvestisseurs privés sont évincés du marché au profit de l’Etat, l’Etat place systématiquement sestitres auprès des épargnants car à rendement équivalent les titres publics présentent un risquemoindre. Dans ce modèle la progression de l’épargne va de paire avec la réduction de laconsommation.

B)anticipation fiscale et réduction de la consommation

Au sein d’un régime ricardien, les agents (dotés d’une rationalité substantielle) anticipent que ladette de la période présente devra être remboursée, ils anticipent un ajustement à la hausse de lafiscalité, augmentent en conséquence leur épargne et réduisent de fait leur consommation. L’effetpositif de la dépense publique (réalisée en contrepartie de cet endettement) est intégralementcompensé par cette réduction de la consommation.

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Conclusion : oui, structurellement, l’état peut toujours recourir à l’endettement pour se financernotamment si le taux de croissance de l’économie est supérieur au taux d’intérêt réel servi sur ladette. Attention cependant, l’endettement de l’Etat a des limites mais il est très difficile de lesfixer à travers la détermination d’un ratio « normatif » d’endettement à ne pas dépasser.***Lectures conseillées pour aller plus loin.Friedman M. (1968), « Le rôle de la politique monétaire », en français dans Abraham-Frois G.,Larbre F., La macroéconomie après Lucas. Textes choisis, Paris, Economica, 1998, pp. 1937.Mankiw G. (1990), « Une rapide remise à niveau en macroéconomie », en français dansAbraham-Frois G., Larbre F., La macroéconomie après Lucas. Textes choisis, Paris, Economica,1998, pp.171178. Sargent T. J., Wallace N. (1976), « Anticipations rationnelles et théorie de lapolitique économique », en français dans Abraham-Frois G., Larbre

III. Les instruments de politiques économiques conjoncturelles

3.1. La politique budgétaire

Dans sa dimension conjoncturelle, la politique budgétaire recouvre l’utilisation des dépenses etdes recettes de l’Etat ou des administrations publiques pour la régulation du rythme de l’activitééconomique. Opérons d’emblée une distinction entre d’une part l’Etat au sens strict qui désignel’administration centrale et d’autre part les administrations publiques qui regroupent en plus del’administration centrale, les collectivités territoriales et les organismes de sécurité sociale.Le principe d’une action de contrôle de l’activité par les finances publiques émerge durantl’entre-deux-guerres, il est indissociable de l’oeuvre de Keynes (1936). Chez Keynes, l’économiede marché étant et devant rester une économie décentralisée, elle a des difficultés à apporter desréponses à des problèmes qui exigent une coordination ex ante des agents. Le libre jeu de laconcurrence conduit à une situation d’équilibre de sous-emploi. L’Etat qui est justement un centrede décision collectif ex ante doit intervenir pour soutenir la demande et combler l’écartdéflationniste. Le budget est l’instrument privilégié de cette action du fait notamment des limitesde la politique monétaire qui vient très vite buter sur la trappe à liquidité. L’apport théorique deKeynes a des conséquences sociales et politiques fondamentales : une redistribution des richessesse trouve justifiée économiquement. La situation optimale ne réside plus forcément dans larecherche de l’intérêt individuel, la porte est ouverte à une certaine dose de socialisation au seinde l’économie de marché. Les fondements de l’Etat providence sont en place, Beveridge (1942)en explore certaines opportunités.Les années 1960 marquent l’apogée de la régulation de l’activité par le budget (on peutmentionner l’emblématique relance Kennedy Johnson de 19611965, seul exemple historique depolitique économique véritablement keynésienne ?). Depuis la fin des années 1970 etl’accélération de l’internationalisation des économies l’efficacité de la politique budgétaire estcontestée. L’amélioration de la qualité des anticipations accentue la sensibilité aux effets enretour du financement des dépenses. Les déficits sont officiellement combattus.Malgré cela, le budget de l’Etat reste un solide bastion de l’interventionnisme.Notre démarche se déroule en deux temps : on examine d’abord les mécanismes de la politiquebudgétaire, ensuite les contraintes qui enserrent les pratiques budgétaires.

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1) Les mécanismes et les fondements de la politique budgétaire

L’efficacité de la politique budgétaire, fondée sur des mécanismes keynésiens, est limitée par desobstacles internes et externes.

A) les justifications théoriques de l’action budgétaire.

Le budget peut soutenir l’activité de deux manières, soit par le canal d’une impulsion budgétaire,soit par le jeu des stabilisateurs automatiques. L’impulsion budgétaire a un caractèrediscrétionnaire et intervient pour résorber un écart déflationniste. La progression d’unecomposante exogène de la demande exerce une action positive sur le revenu via ses effetsmultiplicateurs (voir la leçon sur le multiplicateur). La stabilisation automatique est l’effet exercésur la demande finale par la réaction spontanée du budget aux variations de la conjoncture.Ce dernier est en effet sensible à une conjoncture qui affecte beaucoup plus les recettes que lesdépenses. Les recettes fiscales sont très liées à l’activité (TVA proportionnelle, impôt sur lerevenu progressif). Les dépenses publiques sont elles moins sensibles à la conjoncture, certainespouvant même diminuer en phase d’expansion. Le solde budgétaire est donc positivement lié àl’activité : il est amélioré par l’expansion et dégradé par la récession. Ceci a deux conséquences :le solde budgétaire apparent est un mauvais indicateur d’impulsion budgétaire et le budget limitenaturellement l’instabilité conjoncturelle. L’ampleur de la stabilisation dépend de la part dubudget de l’Etat dans le PIB, de la progressivité de l’impôt et de la sensibilité de l’assiette fiscaleà la conjoncture.

B) les facteurs de freinage de l’action budgétaire

La question centrale à propos de l’efficacité de l’action budgétaire concerne l’intensité des effetsen retour du mode de financement des dépenses (inflation, endettement) : sont-ils plus ou moinsimportants que les effets positifs de la hausse initiale des dépenses ?L’incidence budgétaire sur la production est limitée par des phénomènes d’éviction au sens large:le frein financier et les anticipations des agents. Les keynésiens relativisent la portée de cesobstacles en sous emploi, les néoclassiques ont tendance à affirmer qu’ils neutralisent voire qu’ils« surcompensent » les effets positifs initiaux. L’éviction financière : le financement par l’empruntde la dépense publique peut susciter une hausse des taux d’intérêt nuisible pour l’investissementprivé. L’éviction financière est l’ensemble des effets négatifs sur la dépense privée exercée par lahausse des taux liée à l’accumulation d’emprunts publics. Pour la Nouvelle Economie Classique,l’emprunt fait baisser les cours des titres donc accroître le taux d’intérêt. Pour la NouvelleEconomie Keynésienne la croissance induite par le déficit augmente la demande de monnaie(pour une offre fixe) le taux d’intérêt augmente.Les anticipations impliquent un double freinage. D’une part les anticipations de hausses d’impôtsdans l’avenir (dues aux remboursements des emprunts dans un régime budgétaire ricardien)peuvent inciter les agents à réduire les dépenses (référence possible au théorème d’équivalenceRicardo-Barro). D’autre part les anticipations inflationnistes peuvent avoir deux effets négatifs :elles peuvent d’abord susciter la réduction de la dépense pour maintenir la valeur des encaissesréelles, elles peuvent ensuite accélérer la hausse des salaires et des coûts ce qui freine la relance.La politique budgétaire influence ensuite les équilibres externes, ce qui en retour agit au planinterne. Une relance budgétaire tend à dégrader la balance commerciale du fait de son action sur

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la demande globale. Cela suscite une hausse des importations. Si ce soutien de la demande estinflationniste, la compétitivité commerciale se dégrade. La crédibilité peut aussi être détérioréed’où un possible renchérissement des taux d’intérêt.

2) Les pratiques budgétaires

Sur les plans doctrinal et analytique, le respect d’une norme d’équilibre s’oppose à la pratique desdéficits. Dans les faits l’action budgétaire doit éviter plusieurs écueils.

A) les choix de politiques budgétaires : norme d’équilibre versus déficit.

Dans la lignée de Smith et Ricardo l’approche libérale privilégie le respect d’une normed’équilibre budgétaire pour deux motifs. Sur le plan macro-économique, la norme permettraitd’éviter certains déséquilibres : éviction financière, inflation, déficit externe. Sur le plan micro-économique cela doit limiter les gaspillages. Selon l’Ecole des choix publics, les déficits sontnéfastes, car ils encouragent l’irresponsabilité au plan politique. La pratique de l’orthodoxiebudgétaire dominait avant 1913 (on peut parler de l’existence d’un régime budgétaire ricardien :au pire un déficit sera compenser par des excédents futurs). Durant l’entre-deux-guerres l’oncontinue de redouter les déficits. De 1929 à 1931, le budget des Etats-Unis est en équilibre, enAllemagne on refuse aussi le déficit. Au Japon la règle de l’équilibre fut respectée jusqu’en 1965.Depuis 1973, la norme de l’équilibre n’a pas de réalité même si aux Etats-Unis des auteurscomme Wagner et Buchanan (1977) ont voulu l’institutionnaliser sous forme d’amendementconstitutionnel prévoyant la présentation et le vote annuel d’un budget équilibré ainsi que laréduction immédiate des dépenses en cas de prévisions inexactes afin de rétablir l’équilibre entrois mois. Les avantages macro-économiques de la norme d’équilibre sont discutables. Le déficitn’engendre pas automatiquement inflation, éviction et déséquilibre externe même s’il lesfavorise. A l’inverse l’équilibre budgétaire ne garantie pas la stabilité externe et la stabilité desprix, ne garantit pas non plus que l’on atteigne les objectifs d’équilibre, ni la stabilité et lafaiblesse des taux d’intérêt. Par ailleurs un budget équilibré n’est pas neutre puisque la structuredes dépenses et des recettes se révèle fondamentale, un budget est toujours la traductionfinancière d’une politique. Sur le principe il est donc illusoire de parler et de rechercher laneutralité budgétaire. Ensuite une norme d’équilibre stricte présente l’inconvénient d’augmenterl’instabilité. En cas de récession, le solde budgétaire est dégradé par la baisse des recettes, si à cemoment là il faut baisser les dépenses pour retrouver l’équilibre, la récession n’en sera que plusforte. La thèse de l’équilibre budgétaire maintenu en toutes circonstances n’est pas soutenable dupoint de vue de la stabilisation économique.

B) l’utilisation de l’arme budgétaire, quelques précautions

Conclusion : même contestée, l’action budgétaire reste une solide forteresse (la dernière ?) del’interventionnisme étatique.

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3.2. Quels effets attendre de la réduction du déficit budgétaire ?

La fin des années 1990 a été marquée par une tendance de fond à la réduction du déficitbudgétaire avant que les déficits ne filent ensuite du fait du jeu des stabilisateurs automatiques.En Europe l’un des critères de convergence du Traité de Maastricht concernait l’ampleur dudéficit budgétaire. A l’occasion du traité d’Amsterdam en 1997 (Pacte de Stabilité et deCroissance) la nécessité de maintenir le déficit sous la barre des 3% avait été réaffirmée. Unobjectif d’équilibre avait été fixé pour 2004, l’horizon a depuis été repoussé. De plus en plus, àl’instar de la politique monétaire, des règles de politique budgétaire semblent s’imposer. Laproposition radicale d’un amendement constitutionnel prévoyant le vote d’un budget en équilibreest avancée par Buchanan.Dans une approche à la Sargent et Wallace, en termes de Fiscal Theory of Price Level 2, toujourspour illustrer le recul de l’utilisation du budget, l’on peut souligner que sur les deux dernièresdécennies la politique monétaire domine la politique budgétaire au sens où la rigueur monétaireimpose la rigueur budgétaire. En arrière plan l’équilibre du budget doit être relié à la crédibilité età la primauté accordée à la lutte contre l’inflation, l’équilibre des finances publiques est censéconstituer une garantie supplémentaire pour la stabilité des prix. Deux effets principaux sontattendus d’une réduction du déficit budgétaire : une baisse des taux d’intérêt (et partant unehausse de l’investissement) et une relance de la consommation.Au plan théorique, il faut mettre en avant la nature anticipative du solde budgétaire pour justifierle rééquilibrage car sur la base d’une analyse « mécanique traditionnelle », il est bien difficile detrancher le débat.

1) Les effets mécaniques contrastés de la réduction du déficit budgétaire

La réduction du déficit budgétaire paraît avoir des effets ambivalents dans les modèles macro-économiques de base.

A) effets récessifs d’une réduction du déficit budgétaire par le canal de lademande, approche keynésienne traditionnelle.

Si le déficit budgétaire est réduit le raisonnement en termes de multiplicateur joue à l’envers

-∆Y = k. (-∆G). Les cadres IS/ LM et IS/ LM/ BP peuvent illustrer les effets récessifs de laréduction du déficit budgétaire. Ces effets seront d’autant plus visibles que l’on se situera dansune configuration de changes fixes et de forte mobilité des capitaux ou dans un environnement dechanges flottants avec faible mobilité des capitaux. En cas de réduction du déficit,l’accompagnement monétaire est souhaitable, n’est-ce pas lui, d’ailleurs, qui explique pour partieles succès des expériences de réduction du déficit en Irlande, auDanemark et en Suède dans les années 1980 ?

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B) les effets de « déséviction »

Une logique néoclassique élémentaire Sur le marché des titres, une réduction de l’offre de titrespublics se traduit via le jeu de l’offre et de la demande par une baisse du taux d’intérêt ainsi quepar une hausse de l’investissement privé et de la consommation des ménages : une partie del’activité privée « renaît », elle n’est plus évincée par le secteur public.

C) réduction des déficits et rééquilibrage des finances publiques

A la suite de la réduction du déficit, la soutenabilité de la dette va être améliorée si un soldeprimaire positif apparaît et si le taux d’intérêt moyen servi sur la dette baisse (voir plus hautl’annexe sur la trajectoire de la dette publique). On devrait retrouver une marge de manoeuvredans le domaine budgétaire pour l’avenir, nous ne sommes pas loin de la théorie du budgetcyclique (Myrdal, Ohlin) 3. La réaction budgétaire américaine après le retournement de20002001 illustre cette idée : excédent de 1,7% du PIB en 2000, puis déficit de -0,5% et -3,1% en2001 et 2002.

2) Effets bénéfiques dans un cadre de macroéconomie d’anticipation : descroyances autovalidantes ?

Si l’on considère maintenant la capacité du solde budgétaire à influencer les anticipations desagents (l’effet de signal qu’il peut engendrer), l’on doit conclure que la réduction du déficit ne vaexercer que des effets positifs.

A) perspectives fiscales et dynamiques de la consommation

La linéarité néoclassique (Ricardo-Barro) : si un excédent budgétaire apparaît les agentsanticipent (sous couvert de certaines hypothèses : anticipations rationnelles, altruismeintergénérationnel) une baisse d’impôt à l’avenir et épargne moins dès aujourd’hui, ils vont parconséquent consommer plus. L’effet de seuil keynésien (Nouvelle Economie Keynésienne desannées 1990, citons les travaux Bertola et Drazen, ou encore de Sutherland). On suppose la nonlinéarité des fonctions de consommation et d’épargne : ici les agents ont une rationalité plusgrande encore, le « raisonnement ricardien » s’applique au delà d’un soutenabilité de la dette, audessous il ne s’applique pas.

B) effets désinflationnistes, supplément de crédibilité et réduction des taux d’intérêt Avec la réduction du déficit budgétaire la probabilité d’un financement monétaire direct ou indirect de la dette publique s’amenuise

Le rendement réel des capitaux est ainsi mieux garanti, la crédibilité de l’économie nationalemieux assise. On peut attendre de ce supplément de crédibilité une réduction des taux d’intérêt (laprime de risque inflationniste sur les taux est en principe réduite).

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Conclusion : la rigueur budgétaire est en certaine circonstance utile (lorsque la demande paraîtsuffisante ou lorsque la dette tend à devenir difficilement soutenable) mais elle ne doit pas êtreidentifiée à une norme.

3.3. La pertinence des normes d’équilibre budgétaire

Le respect d’une norme d’équilibre budgétaire s’oppose en théorie économique à la pratiquediscrétionnaire d’un déficit. La norme peut être à géométrie variable, plus ou moins stricte. Lanorme d’équilibre la plus intuitive et en même temps la plus drastique est celle d’un solde nul entoutes circonstances (proposition de Buchanan d’introduire un amendement constitutionnelprévoyant le vote d’un budget en équilibre), elle évite au passage d’avoir à distinguer le solde netdu solde brut.Mais des normes plus souples peuvent être imaginées : le Traité de Maastricht impose commecritère de convergence un déficit des administrations publiques inférieur à 3% du PIB pour lespays candidats à l’euro, cette norme a été reprise dans le Pacte de Stabilité et de Croissance(Traité d’Amsterdam 1997). Un dispositif de sanction est censé crédibiliser cette norme. Elle n’apas de justification théorique précise, en ce sens elle est arbitraire. Elle est aujourd’hui l’objetd’une controverse qui donne une actualité brûlante au sujet.Les normes d’équilibre n’ont historiquement rien de très neuf : souvenons nous des prises depositions de Smith ou de Ricardo en faveur du plus strict équilibre budgétaire ou des pratiquesbudgétaires du Premier ministre anglais Gladstone au XIXième voire des gouvernements japonaisjusqu’aux années 1960. Le respect d’une norme se justifie chez les libéraux d’une part en raisonde l’importance des effets en retour du déficit budgétaire et d’autre part à cause des difficultésliées à l’accumulation des déficits (crédibilité...). Dans l’entre-deux-guerres Keynes a justifiéthéoriquement la pratique de l’impulsion budgétaire par le déficit pour faire face au sous-emploi(sous un certain nombre d’hypothèses assez restrictives). Dans la même veine, le jeu desstabilisateurs automatiques peut conduire à un déficit dont l’intérêt est d’amortir les fluctuationsde l’activité. Les transformations structurelles des dernières décennies (intensification del’internationalisation des économies, meilleure qualité des anticipations) ont provoqué un reculde la politique budgétaire et le retour des normes d’équilibre. Pour traiter ce sujet la démarchepeut se déroulait en deux temps : un exposé des arguments qui militent pour le respect d’unenorme d’équilibre à long terme, puis un appel à la souplesse dans sa définition dans la mesure oùle déficit budgétaire permet toujours de stabiliser le rythme de l’activité.

1.)La norme d’équilibre, une force de rappel à long terme

Malgré le statut spécial de l’Etat, un déséquilibre persistant des finances publiques pose assez vitedes problèmes et peut freiner l’activité économique.

A)les effets en retour d’un déficit budgétaire

Pour les libéraux le financement du déficit budgétaire par le seigneuriage ou l’endettement estpréjudiciable. L’inflation est condamnée en raison de ces coûts mais aussi parce qu’elle sape lesfondements « moraux » de la société. L’endettement de l’Etat entraîne lui une hausse des tauxd’intérêt, une diminution de l’investissement privé. Dans un régime budgétaire dit ricardien (undéficit doit être compensé par un excédent à l’avenir), les ménages peuvent sous certaines

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hypothèses répondrent au déficit par le développement d’une épargne supplémentaire, destinée àcompenser une future hausse des impôts. La démonstration de Barro repose sur des hypothèsesparticulièrement restrictives : anticipations rationnelles, altruisme intergénérationnelle etéquilibre initial de plein emploi (ce qui pose un gros problème de cohérence par rapport à lajustification du déficit).

B) les difficultés liées à l’accumulation de déficits

L’accumulation de déficits financés par l’émission de titres publics pose le problème de lasoutenabilité de la dette. Concrètement la dette devient difficilement soutenable si dans le totaldes dépenses des administrations le service de la dette paralyse l’action budgétaire voire menacesa solvabilité. Mais il est impossible de déterminer empiriquement un ratio d’endettement à nepas dépasser. L’équation de soutenabilité de la dette n’est pas d’un grand secours de ce point devue puisque son message est le suivant : dès lors que le ratio dette/ PIB est positif en variation ladette est potentiellement sur une trajectoire explosive… si rien de change. Elle attire néanmoinsnotre attention sur les facteurs susceptibles d’être mobiliser pour répondre à la progression del’endettement. L’accumulation de dettes accroît d’abord le risque inflationniste car les autoritéspeuvent chercher à diminuer la valeur réelle de la dette en jouant sur le taux d’intérêt. De mêmele risque de hausse des prélèvements est plus grand, on peut chercher à dégager un solde primairepositif.

C) effets externes négatifs d’un déficit budgétaire national en Unionmonétaire.

La norme d’équilibre du Pacte de Stabilité et de Croissance (1997) peut recevoir une justificationsupplémentaire compte tenu de la spécificité institutionnelle de l’Union Européenne. Le conceptd’externalité peut être transposé à l’étude des pratiques budgétaires en Union monétaire.En effet un déficit budgétaire national peut provoquer une hausse des taux d’intérêt dontl’ensemble des pays membres vont être victimes du fait de l’intégration monétaire.

2.) Les risques d’une norme trop rigide : une plus grande instabilitéde l’activité à court terme.

Le déficit budgétaire constitue un facteur potentiel de lissage du rythme de l’activité économiqueet à ce titre ne peut faire l’objet d’un rejet de principe.

A) l’analyse keynésienne du déficit budgétaire

Chez Keynes, le principe d’un déficit budgétaire est théoriquement justifié en situation de sous-emploi et sous un certain nombre d’hypothèses (équilibre initial de sous-emploi, élasticité del’offre, validité de la fonction keynésienne de consommation). La hausse d’une composanteautonome de la demande a des effets positifs sur le revenu. Le déficit n’engendre pas d’inflationet peut même être résorbé par le supplément de recettes né d’une activité plus dynamique.

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B) l’intérêt actuel des déficits dans l’Union Européenne

Une zone monétaire est dite optimale notamment si des mécanismes se substituent au changepour absorber des chocs asymétriques (mobilité du facteur travail, budget fédéral). Aujourd’huien Europe, le budget national constitue le seul outil pour répondre aux chocs qui touchentspécifiquement une économie nationale. La politique monétaire est unique, le budget fédéralembryonnaire. Face au ralentissement de l’activité on peut comprendre que les autorités laissentjouer les stabilisateurs automatiques (Allemagne et France en 2002 et 2003).

C) les pistes de réforme de la norme d’équilibre au niveau européen

La norme d’équilibre du PSC est discutée et controversée, de nombreux projets d’amendementsvoient le jour. P. Artus propose que le 3% soit une moyenne pour l’ensemble de la zone ; n’est-cepas la porte ouverte à une prime aux déficits précoces ? Au lieu de représenter un déficit brut, le3% pourrait être un déficit structurel. De même on pourrait imaginer redéfinir l’horizon temporelde la norme (78ans), ce faisant on retrouve l’esprit de la théorie du budget cyclique de Myrdal etOhlin.

Conclusion : la norme d’équilibre budgétaire peut se justifier à long terme afin d’éviter unetrop lourde accumulation de déficits, mais elle doit être assez souple pour ne pas accentuerl’instabilité de l’activité sur la courte période.

3.4. Politique monétaire et croissance économique

La politique monétaire peut se définir comme la quantité du bien économique monnaie mise à ladisposition des agents économiques, plus généralement elle a trait aux conditions monétaires definancement de l’économie. La croissance économique désigne, quant à elle, la somme desvaleurs ajoutées des branches productives d’une nation, elle constitue le principal objectif de lapolitique économique. Est-ce qu’en accroissant la quantité de monnaie une modification decertaines variables réelles est possible ? En d’autres termes, peut-on perturber la structure desprix relatifs en augmentant le volume de monnaie ? Si une hausse de la quantité de monnaiemodifie le salaire réel ou le taux d’intérêt réel (deux prix d’input majeurs) la monnaie pourra êtredite non neutre.Il y a un consensus pour souligner la non neutralité à court terme de la monnaie. Il est perceptibleau niveau de la pratique Unis la Fed a abaissé onze fois son taux directeur, elle a poursuivi cetteaction volontariste en 2002 et 2003.Si à court terme la monnaie influence les variables réelles, à plus long terme elle est sans douteneutre au sens où les prix relatifs retrouveraient leur niveau d’équilibre. Prenons un exemple :une expansion monétaire provoque une baisse du salaire réel qui dynamise l’offre (le coût dutravail est moins élevé), pourquoi l’expansion est associé à une baisse du salaire réel ? ChezFriedman les salariés sont victimes de l’illusion monétaire à court terme, ils avaient anticipé uncertain niveau d’inflation (associé à une courbe de Philips) l’inflation réalisée est supérieure àl’inflation anticipée, mais les anticipations vont s’adapter et on va revenir au salaire d’équilibresur le marché du travail.Pour les néo-keynésiens les rigidités nominales (contrats de salaire explicites par exemple)fondent la non neutralité de la monnaie mais elles aussi s’estompent à long terme.

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Le raisonnement sur l’effet d’encaisse réelle (analyses de Pigou et Patinkin) est également parlantde ce point de vue. L’individu est ici une structure d’actifs, il détient un volant d’encaissesmonétaires pour diversifier ces actifs. Si on fait une politique d’expansion monétaire les encaissesdétenues sont supérieures aux encaisses désirées, donc les agents consomment, ceci provoque unehausse des prix qui neutralise les effets réels de la politique monétaire.Même si la politique monétaire est efficace à court terme et a vocation à soutenir la croissance, laprimauté accordée à la lutte contre l’inflation, l’amélioration des anticipations des agents, leurmeilleure connaissance du fonctionnement de l’économie conduisent à la prudence dans lemaniement de cette outil et semble « enfermer » de plus en plus la politique monétaire dans unrôle d’ancrage des anticipations salariales et financières.

1.) La politique monétaire comme soutien direct de la croissance

A)quels sont les effets d’une hausse de la quantité demonnaie ?

Par le canal du crédit, la consommation est dynamisée par l’expansion monétaire dans un délai dequelques jours. Pour les libéraux comme pour Keynes, la baisse du taux d’intérêt influence lecoût du capital et provoque une relance de l’investissement quelques mois plus tard.Les monétaristes insistent sur les variations à la hausse du prix de certains actifs. La baisse destaux valorise le prix des titres financiers, à terme l’effet de richesse entraîne une progression de laconsommation. Le même raisonnement peut être conduit autour du prix des actifs immobiliers.

Toutes choses égales par ailleurs la hausse de la quantité de monnaie entraîne une dépréciation duchange qui dynamise les exportations et freine les importations (sous certaines hypothèses).Au total, la politique monétaire entraîne une progression de la demande et constitue uninstrument de soutien de la croissance, le canal des anticipations peut être associé à uneaccélération de certains effets évoqués ci-dessus.

B) la politique monétaire est-elle toujours efficace ?

Non, elle trouve des limites. Les taux d’intérêt ne peuvent pas toujours baisser, très vite lapolitique monétaire expansionniste les amènent au voisinage de la trappe à la liquidité. Dans cettezone, beaucoup considèrent que la politique monétaire n’est pas efficace (lecture IS/ LM). Latrappe se définit comme le niveau minimal du taux d’intérêt en dessous duquel on ne peutdescendre, l’élasticité de la demande de monnaie au taux d’intérêt tend vers l’infini, il n’y a pasd’épargne « sur » actifs financiers à ce niveau. Selon Keynes la politique budgétaire doit prendrele relais.Si l’on est déjà au plein emploi, l’on peut penser ensuite que la politique monétaire n’aura quedes effets inflationnistes. Elle n’a donc pas vocation à être mobilisée en toutes circonstances.Plus radicalement, les monétaristes et les nouveaux classiques pensent même que son utilisationest dangereuse, au point qu’il conviendrait de ne pas y recourir.

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2.) D’un instrument de soutien de l’activité à un rôle d’ancrage structurel

A) le renversement de forces théoriques, la stabilité des prix au service de lacroissance : un lien indirect

A partir de la fin des années 1960 et les travaux de Milton Friedman « Le rôle de la politiquemonétaire » (American Economic Review, 1968) les tenants de la neutralité de la monnaie vontgagner du terrain. Pour Friedman à court terme une politique monétaire d’expansion contribue àabaisser le chômage, mais assez vite les anticipations s’adaptent et à long terme la courbe dePhilips lui paraît verticale. Cette analyse est radicalisée par Lucas, Sargent Wallace dans lesannées 1970 : du fait de la rationalité des anticipations la courbe de Philips est verticale même àcourt terme. Dès lors, il convient de viser une inflation faible, voire nulle (M. Feldstein).Suite à la stagflation des années 1970, les grands pays industrialisés vont faire de la lutte contrel’inflation une priorité (sommet du G5 de Tokyo 1979) : la stabilité des prix est censée créer lemeilleur environnement pour la croissance et l’emploi. Dès lors la politique monétaire a pourprincipal objectif la stabilité des prix et plus le soutien de la croissance. Pour cela le responsabledes règles de politique monétaire (Kydland et Prescott (1977), Barro-ordon (1983)) ou êtreconservateur (avoir une préférence marquée pour la lutte contre l’inflation) s’il suit une politiquediscrétionnaire (Rogoff (1985)). Dans tous les cas son autonomie constitue une garantieinstitutionnelle de plus pour assurer cette stabilité des prix.

B) les vertus de la stabilité, l’ancrage des anticipations ; mais attention à nepas se tromper d’objectif d’inflation

Si la Banque centrale annonce un objectif d’inflation de 2% (comme la BCE) et s’y tient (elle estcrédible), les salariés vont pouvoir négocier des hausses de salaires nominaux sur la base de cetteinflation anticipée (sans dérapage), les épargnants voient le rendement réel des capitaux garantit.Ceci créait un environnement de stabilité propice au développement de l’activité économiqued’après les libéraux (de Hayek à Lucas en passant par Friedman).Attention cependant à ne pas se tromper d’objectif.Un taux d’inflation entre 0 et 2% et sans doute trop faible pour plusieurs raisons.Les taux nominaux tendent naturellement vers la trappe à la liquidité, on ne peut plus utiliser lapolitique monétaire en cas de choc majeur.De manière liée, le risque est plus grand de basculer vers la déflation, il est ensuite difficile d’ensortir (voir le Japon des années 19972002). L’inflation est une variable d’ajustement au sein del’économie. Elle permet de réduire les coûts salariaux par la désindexation (voir Akerlof,Dickens, Perry (1996)) et à ce titre permet de retrouver un arbitrage inflation chômage à longterme pour des taux d’inflation bas (inférieur à 5%). Blanchard, Krugman, De Grauwe pensentainsi que la BCE devrait avoir un objectif d’inflation compris entre 3 et 4%.

Conclusion : l’intégration financière internationale s’est accompagnée d’une redéfinition durôle de la politique monétaire. Elle est de moins en moins un instrument de soutien direct del’activité, elle a pour mission prioritaire d’ancrer les anticipations des agents.

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3.5. Comment affronter la déflation ?

La déflation est un concept polysémique dont la force évocatrice prend ses racines dans l’histoirechaotique de l’entre-deux-guerres. Dans sa dimension monétaire la déflation désigne une baisseabsolue du niveau général des prix, un taux d’inflation négatif. Une définition plus large,combinant aspects nominaux et réels, exige la coexistence d’un recul de la production.La déflation n’est pas un phénomène économique nouveau, le dernier tiers du XIXè siècle aconnu une longue déflation. La tendance des prix à la consommation a ainsi été orientée à labaisse au Royaume-Uni entre 1873 et 1896, en France entre 1875 et 1906, aux Etats-Unis entre1865 et 1906. Mais la déflation atteint des formes paroxystiques durant l’entre-deux-guerreslorsque des mécanismes d’auto entretien s’activent notamment au Royaume-Uni dans les années1920 et aux Etats-Unis entre 1929 et 1932. Ch. Rist et J-M. Keynes condamnent très tôt leprincipe de la déflation alors que I. Fisher en analyse les mécanismes en présence d’unendettement préalable.Le thème est d’actualité depuis plusieurs années, d’abord avec l’expérience déflationniste duJapon au cours des années 1990 (entre1998 et 2002 le taux d’inflation a toujours été négatif, en2001 et 2002 le PIB a chuté après avoir stagné depuis 1997), puis avec la crainte récente d’unbasculement vers la déflation aux Etats-Unis et enAllemagne. La thématique de la déflation est associée à d’assez nombreuses questions. Quelssont les facteurs susceptibles de tirer les prix à la baisse et ainsi de la favoriser sans forcément ladéclencher ? Quelles composantes structurelles favorisent la survenance de la déflation ?Quels mécanismes met-elle en branle ? La déflation résulte-t-elle systématiquement d’erreurs depolitiques économiques ? Peut-on discerner des signaux avant-coureurs d’entrée dans ladéflation? Comment la prévenir ? Comment l’affronter ? Comment historiquement en sort-on ?

1.) Comprendre la déflation

Une économie est susceptible de plonger dans la déflation sous l’impulsion de forces endogènesou du fait de l’action des autorités.

A)les principaux facteurs endogènes de baisse des prix.

Plusieurs facteurs de baisse des prix sont traditionnellement identifiés : les gains de productivitéet une structure de marché de plus en plus concurrentielle. Les gains de productivité, s’ilscontribuent à l’abaissement de certains prix, ne déclenchent pas la déflation dans la mesure où lademande n’est pas en principe diminuée et l’offre reste dynamique. Le statut de la concurrencenotamment internationale et, plus ambigu si la pression à la baisse des prix s’accompagne d’unediminution de la profitabilité, puis de l’investissement ; à ce titre elle peut activer un cerclevicieux déflationniste. L’effondrement du cours des actifs financiers et immobiliers (du fait leplus souvent de l’éclatement d’une bulle spéculative) est plus directement à l’origine de ladéflation suivant la structure financière de l’économie et la capacité de réaction desintermédiaires financiers. L’effondrement pose d’abord un problème de baisse de laconsommation à travers ses effets de richesse, qui peut être amplifié suivant le niveaud’endettement des agents.

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B) la déflation comme choix politique.

La déflation peut constituer plus rarement un choix de politique économique, c’est le cas duRoyaume-Uni au sortir de la Première Guerre mondiale qui souhaite rétablir la parité or de lalivre sterling à son niveau de 1913, pour contracter la masse monétaire une politiquedéflationniste est mise en place sur les structures rigides des années 1920 (rigidités à la baissesalaires nominaux….). Elle passe notamment par une double rigueur budgétaire et monétaire. Sile Royaume-Uni parvient à retrouver en 1925, c’est au prix d’un chômage de masse et d’uneffondrement de la production intérieure brute. La politique déflationniste peut aussi se vouloirtemporaire dans le cadre d’un plan de stabilisation par exemple. Pour les libéraux cette stratégiepeut être sans coût en termes réels si les structures de l’économie sont assez flexibles.

2) Comment l’atténuer et en sortir.

Il n’y a pas de solution miracle pour combattre la déflation ce qui donne un caractère impérieuxaux mesures de prévention.

A)mécanismes élémentaires d’auto entretien etfacteurs aggravants

Pourquoi acheter aujourd’hui ce qui sera moins cher demain ? Cette assertion permet à elle seulede comprendre pourquoi la consommation peut être freinée, voire s’effondrer en régimedéflationniste. Une lecture « à la Fisher » en termes de déflation’ met au jour les mécanismes dubasculement vers un véritable cercle vicieux. Avec la baisse des revenus nominaux et des prix, ilest de plus en plus difficile pour le ménage de rembourser sa dette dont la valeur réelle progresse(part croissante du service de la dette dans le total des revenus), on comprend que laconsommation puisse être véritablement déprimée puisqu’elle constitue en l’occurrence lavariable d’ajustement. En matière d’investissement, une grille de lecture keynésienne conduit àassocier détérioration de la demande anticipée et diminution de l’investissement. De plus, labaisse des prix constatée et anticipée s’accompagne d’une envolée des taux d’intérêt réels quiconcoure à freiner l’investissement (exemple du Japon en 2002 -1,1% d’inflation,0,3% pour les taux courts). Là encore l’endettement préalable de l’entreprise peut aggraver lasituation.

B) les difficultés de la lutte contre la déflation.

La réaction des autorités détermine largement l’intensité de la crise. Il faut éviter un « creditcrunch », l’action curative du préteur en dernier ressort doit être massive. Même sil’interprétation de la Grande Dépression américaine par Friedman et Schwartz est critiquable ellea le mérite de stigmatiser l’excessive rigueur monétaire du FED entre 1929 et 1932 à l’origine deplusieurs vagues de faillites bancaires.Lorsque la préférence pour la liquidité tend à devenir très grande, la politique monétaire estimpuissante à abaisser le taux d’intérêt, d’autant plus si les agents formulent des anticipationsdéflationnistes.

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Dès lors les autorités ont plusieurs solutions théoriques dont l’efficacité n’est pas garantie. Lerecours massif à la politique budgétaire en prenant soin d’en penser correctement les modalités(grands travaux plutôt que baisse d’impôt). Ensuite éventuellement la dépréciation du change quiest capable, si l’économie est assez ouverte, d’entraîner une inflation, mais la dépréciation estdifficile à obtenir lorsque les marchés de capitaux sont très profonds.

Conclusion : sur ce sujet l’importance des mesures préventives est criante. Ne pas avoir unobjectif d’inflation trop bas, éviter le ‘crédit crunch’ en adoptant une réglementation prudentielleplutôt souple, mobiliser assez tôt les politiques monétaire et budgétaire afin de soutenir lademande et d’engendrer des anticipations inflationnistes, chercher si possible à obtenir unedépréciation du change.

3.6. L’autonomie de la Banque centrale se justifie-t-elle ?

Le concept d’indépendance est le plus couramment usité pour qualifier les relations entre ungouvernement et une Banque centrale ; telle Banque centrale est dite très indépendante de songouvernement alors que telle autre l’est beaucoup moins. En réalité le mot indépendance est trèsrestrictif, la notion est binaire. L’indépendance de deux éléments suppose l’absence de touterelation entre eux. Or par nature la monnaie, qui est un bien collectif et n’a d’existence que par laconfiance que lui accordent ses utilisateurs, est appelée à ne jamais complètement échapper àl’influence de l’Etat (voir à ce propos les travaux de Charles Goodhart). De ce fait le motautonomie, moins absolu - plus graduel, convient mieux. On peut distinguer deux typesd’autonomie : l’une institutionnelle, l’autre opérationnelle. L’autonomie institutionnelle concerneles aspects juridiques et organiques définissant les conditions de fonctionnement de la Banquecentrale (conditions de nomination et de révocation des dirigeants, durée du mandat...).L’autonomie opérationnelle a trait à la capacité de la Banque à mettre en oeuvre librement lapolitique monétaire (il faut pour cela qu’elle dispose d’un instrument, le taux d’intérêt le plussouvent, et que ses liens financiers avec l’Etat soient les plus réduits possible).Le débat sur l’autonomie de la Banque centrale n’est-il pas intuitivement parfaitementappréhendé par Napoléon Premier disant dès 1806, quelques années après la naissance de laBanque de France, « La Banque n’appartient pas aux seuls actionnaires ; elle appartient aussi àl’Etat, puisqu’il lui donne le droit de battre monnaie... Je veux que la Banque soit assez dans lesmains du gouvernement et n’y soit pas trop » ? On sent que la Banque centrale doit d’une partêtre assez éloigné de l’Etat pour que le public ait confiance dans la capacité de la monnaie àconserver sa valeur (sachant qu’il est dans la culture de la Banque centrale de privilégierspontanément une politique d’émission restrictive et de rechercher la stabilité des prix) maisd’autre part que la Banque centrale soit proche du gouvernement afin que celui-ci puisse utiliserla monnaie en cas de besoin (pour soutenir l’activité économique ou pour opérer un seigneuriagebudgétaire d’urgence afin d’assurer la continuité des paiements dans l’économie).Historiquement l’Etat a montré des limites dans la gestion des affaires monétaires : les pouvoirspublics ont souvent abusé du seigneuriage4 et ont été incapables de contrôler la dynamiqueinflationniste ainsi engendrée ou entretenue. Lorsque dans les années 1980, la lutte contrel’inflation s’est imposée pour les états comme un élément de contrainte externe, beaucoup ontavancé l’idée d’octroyer une très forte autonomie à la Banque centrale afin de mieux garantircette stabilité des prix. Pour étudier la question, notre démarche se déroule en deux temps.

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Nous analysons d’abord les justifications de l’autonomie avant d’en considérer les risques àtravers notamment le cas de la Banque Centrale Européenne.

1.) Les justifications de l’autonomie de la Banque centrale

L’autonomie de la Banque centrale constitue une garantie institutionnelle de plus pour assurerune stabilité des prix censée constituer le meilleur environnement pour le développement del’activité économique.

A)autonomie et crédibilité de l’engagement anti-inflationniste

Lorsque l’on coupe les liens financiers entre le gouvernement et la Banque centrale on supprimeen principe toute possibilité de seigneuriage. Un déficit budgétaire ne peut plus être financé parcréation monétaire directe (avance émise en contrepartie d’un simple bon du Trésor, crée ex nihilo). De même si la Banque centrale dispose d’une forte autonomie, elle va spontanémentprivilégier l’objectif de stabilité des prix au dépend du soutien à l’activité, en ce sens elle est diteconservatrice (pour reprendre une terminologie à la Rogoff (1985)). Le banquier central se sentinvesti d’une mission de préservation de la valeur de la monnaie (c’est sa fonction), or la valeurde la monnaie c’est l’inverse du niveau général des prix, d’où la lutte contre l’inflation.Ajoutons qu’avec une Banque centrale « indépendante », le risque d’incohérence temporelle setrouve minimisé. Contrairement à un gouvernement à la veille d’une élection, la Banque centraleautonome n’est pas tentée de dépasser son objectif de prix pour soutenir « artificiellement »l’activité. Dans une approche à la Kydland et Prescott (1977) cette configuration favorise lerespect de règles dans la conduite de la politique monétaire et met à l’abri de pratiquesdiscrétionnaires d’autant plus probable à la veille d’une élection (voir les travaux de Nordhaussur les cycles budgétaires). Sans surprise les études empiriques mettent au jour l’existence d’unerelation inverse entre le degré d’autonomie des Banques centrales et le taux d’inflation en vigueurdans l’économie (même si on peut facilement trouver des contre-exemples, la France entre 1983et 1992).

B) fondements théoriques de l’autonomie

De manière plus générale, au plan théorique, l’orthodoxie monétaire (associée à l’idée «d’indépendance » de la Banque centrale) reposent sur deux arguments centraux. D’une partl’inflation perturbe le bon fonctionnement de l’économie : elle renchérit les coûts d’étiquetage,les prix deviennent un vecteur d’information biaisé, l’incertitude grandit et, si un pays est plusinflationniste que les autres, sa compétitivité est réduite et les taux d’intérêt y sont plus élevésqu’ailleurs. D’autre part, il n’y a pas d’arbitrage possible entre inflation et chômage : la courbe dePhilips conformément aux analyses de Milton Friedman puis de la Nouvelle Economie Classiqueest verticale à long terme. Tout scrupule moral se trouve de la sorte dissipée. Poussant la logiquede la stabilité jusqu’au bout Martin Feldstein milite comme Friedman avant lui pour une inflationzéro.

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2.) Les écueils et les risques de l’autonomie

Le cas de la BCE et de la zone euro peut servir de support pour étudier certains risques del’autonomie de la Banque centrale

A) une politique monétaire trop restrictive

A ce propos, les positions de la BCE peuvent être attaquées sur deux horizons monétaires, lecourt et le long terme. A court terme on peut lui reprocher d’être arc-boutée sur un objectif prochede 2% d’inflation et de ne pas tolérer d’entorse à « sa règle » en cas de chocs conjoncturels,certains dénoncent ici - son « autisme ». A long terme, c’est le chiffre de 2% lui-même qui estcontestable. En effet, de récentes contributions sur la politique monétaire en régime de basseinflation retrouvent une courbe de Philips et remettent en cause le bien fondé d’un objectifd’inflation situé entre 0 et 2%. Des travaux américains (Akerlof, Dickens et Perry) et européensfont apparaître la possibilité d’un arbitrage à long terme entre inflation et chômage pour des tauxd’inflation bas (inférieurs à 4 ou 5%) du fait de la rigidité à la baisse des salaires nominaux.Soumise à la concurrence, certaines entreprises sont dans l’obligation de réduire leur massesalariale. Si l’inflation est nulle il devient quasi impossible de compresser les coûts salariaux parle canal du salaire réel (stratégie de désindexation). Dans ce contexte l’entreprise est plus enclineà licencier.Sans nullement envisager la possibilité d’un retour à une inflation ouverte, il est permis des’interroger sur le bien fondé d’un objectif d’inflation inférieur à 2%. Celui-ci est manifestementtrop bas ! Des économistes de premier plan comme P. Krugman, P de Grauwe et O. Blanchardrecommandent de cibler plutôt entre 3 et 4% d’inflation. Force est de constater que la questionn’est pas encore devenu un problème politique au sens plein du mot. Les pouvoirs publicspourraient ils-le cas échéant - pousser la BCE à redéfinir sa politique monétaire ?

B) les questions de la cohérence entre politiques macro-économiques et de la transparence

Les risques à ce niveau concernent essentiellement l’absence de cohérence entre politiquesbudgétaire et monétaire. Actuellement l’articulation entre ces deux types de politiquesconjoncturelles prend le plus souvent la forme d’un ‘policy mix’ dit divergent au sens où si l’unedes deux politiques est expansionniste l’autre est plutôt restrictive. Dans les années 1980, lesuccès des expériences danoise, irlandaise et suédoise en matière de réduction du déficitbudgétaire est dû pour une large part à l’accompagnement monétaire alors à l’oeuvre.L’absence de coordination peut potentiellement avoir des effets néfastes, elle peut avoir desconséquences récessives ou des conséquences inflationnistes, si les politiques deviennentconvergentes.Un autre risque de l’autonomie est le manque de transparence de la Banque centrale. Celarecouvre le fait qu’elle ne donne pas assez d’informations sur ses débats internes, les raisons deses choix monétaires et plus largement qu’elle ne rend pas assez compte de son activité devant « Le politique ».

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Conclusion : la question du partage du pouvoir monétaire et des relations entre la Banquecentrale et le gouvernement (Le Pape et l’Empereur, Blancheton (2001)) traverse l’histoire, ledestin d’une monnaie parait en permanence tiraillée entre les exigences du dogme de la stabilitémonétaire et la tentation temporelle d’une action par le canal des finances publiques.

3.7. Le ‘Policy Mix’

La problématique d’un tel sujet pourrait être simplement la définition même du concept. LePolicy mix désigne-t-il une simple stratégie croisée (au sens où si la politique budgétaire estsouple, la politique monétaire doit être restrictive et inversement) ou bien le Policy mix désigne-t-il l’ensemble des combinaisons possibles des deux (à savoir quatre cas si l’on ne considère queles configurations binaires : deux stratégies de convergence et deux stratégies de croisement) ? Ilnous semble que le concept de Policy mix doit être entendu au sens large à savoir l’ensemble descombinaisons possibles entre politique budgétaire et politique monétaire. Sur cette base uneproblématique peut être exploitée, la relative désuétude des stratégies convergentes au « profit »des stratégies croisées du fait de l’importance accordée à l’objectif de stabilité des prix depuisvingt ans. Outre la nécessaire maîtrise de l’inflation, cette leçon est – plus généralement-l’occasion d’identifier les contraintes qui poussent à la mise en oeuvre de telle ou telle stratégiecroisée. Notre démarche se déroule en deux temps. La première partie étudie les stratégiesconvergentes en abordant d’abord le cas relance budgétaire/ soutien monétaire qui semble le plusintuitif et le plus en accord avec l’esprit de IS/ LM (l’effet d’éviction associé à la relancebudgétaire est combattu par un accroissement de la quantité de monnaie). La seconde partieanalyse les stratégies croisées dont l’histoire récente offre d’assez bonnes illustrations.

1.) Les politiques convergentes

A)soutien budgétaire et soutien monétaire

La coexistence d’un soutien budgétaire et d’un soutien monétaire constitue sans doute le cas depolitique mixte le plus connu, car le plus dans la logique du cadre IS/ LM, puisqu’il s’agitd’éviter l’effet d’éviction lié aux variations du taux d’intérêt et ainsi de retrouver l’entièreté del’effet multiplicateur comme dans le modèle keynésien élémentaire. Avec ce double soutien, nousobtenons un effet sur le revenu plus élevé que dans le cas d’une utilisation isolée de chaqueinstrument et un effet beaucoup plus limité (voire nul) sur le taux d’intérêt. Il ressort du modèleque l’on peut toujours augmenter l’efficacité de la politique budgétaire par une politiquemonétaire complémentaire sans craindre l’inflation. Cette vue optimiste résulte de l’hypothèsed’élasticité parfaite de l’offre qui permet la stabilité des prix. Le nécessaire relâchement de cettehypothèse forte et le choix des objectifs intermédiaires de stabilité (1979 pour les E.U. et le G-B,puis 1983 dans le cas particulier de la France) permettent de comprendre la relative désuétude destratégies expansionnistes convergentes au profit de politiques croisées. Ainsi faut-il remonterassez loin dans l’histoire pour trouver une illustration, un exemple de cette configuration. Nouspouvons avancé le cas américain des années 19611965 qui combine soutien budgétaire et soutienmonétaire (relance Kennedy Johnson). La hausse des dépenses publiques en 19611962 puis desallégements fiscaux entre 1963 et 1965 soutenaient la demande pendant que des taux d’intérêt àlong terme assez bas (Q réglementation qui plafonne les taux d’intérêt débiteurs) dynamisaient

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l’investissement. Les résultats furent positifs pendant quatre ans permettant à la fois de soutenir lacroissance (5% de croissance entre 1962 et 1966 contre 2,4% entre 1953 et 1961) et de retrouverune situation de quasi plein emploi (taux de chômage inférieur à 4% en 1966). La flexibilité del’offre et une situation initiale de sous emploi permirent de ne pas observer de tensionsinflationnistes au sein de cette économie. La guerre du VietNam vint ensuite gripper la machinemais cet exemple reste l’un des seuls cas de relance keynésienne parfaitement réussie.

B)freinage budgétaire et freinage monétaire : plan drastique destabilisation

La stratégie d’un double freinage monétaire et budgétaire s’inscrit dans une quête de stabilisationrapide et drastique de l’économie sans se préoccuper véritablement des conséquences réelles desmesures à l’oeuvre. L’étude des mécanismes est ici simple, nous sommes dans le cas inverse duprécédent. La contraction de la demande vient abaisser le revenu de manière importante alors quele freinage monétaire permet de maintenir les taux d’intérêt à un niveau élevé (le niveauprécédent). La baisse de revenu est plus importante que si une seule des modalités avait été miseen oeuvre. Implicitement cette stratégie s’attaquerait à une inflation dont l’origine se situe du cotéde la demande et non du coté de l’offre de monnaie même si en maintenant les taux à leur ancienniveau on souhaite toujours une rigueur en la matière.Un exemple vient à l’esprit : la stabilisation Poincaré de 19261927. A partir de juillet 1926,Poincaré combine une politique de contraction des dépenses budgétaires et une politiquemonétaire restrictive par remboursement des avances consenties par la Banque de France auTrésor durant les années précédentes. Nous observons alors simultanément au sein de l’économiefrançaise, des taux d’intérêt élevés, une atonie de l’investissement, une chute de la croissanceentre fin 1926 et mi-juin 1927 et une hausse très importante du chômage. Cette politique estmalgré tout un succès dans la mesure où elle parvient à retourner les anticipations inflationnisteset à atteindre ses objectifs de stabilité (des prix, du budget et de la dette). Aujourd’hui la primautéaccordée à la stabilité des prix est associée au recul des stratégies convergentes au profit destratégies croisées.

2.) Les politiques mixtes ou politiques croisées

Chaque stratégie croisée constitue une réponse à une configuration macroéconomiqueparticulière.

A) soutien budgétaire et freinage monétaire

La coexistence d’une relance budgétaire et d’un freinage monétaire entraîne une forte hausse destaux d’intérêt et un effet limité sur le revenu. Les deux instruments cumulent leurs effets pourpousser le taux d’intérêt (i) à la hausse puisque l’offre de monnaie est réduite par la politique derigueur monétaire alors que dans le même temps la demande de monnaie augmente du fait de lapolitique budgétaire expansionniste. Il y a donc toujours une hausse de i mais l’impact sur lacroissance est indéterminé, il dépend des paramètres et de l’ampleur de chacune des mesuresmonétaire et budgétaire. L’économie américaine du début des années 1980 nous fournit un assez

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bon exemple de ce type de politique mixte. Le soutien budgétaire délibéré lié surtout auxallégements fiscaux a été très important (baisse continue du solde structurel des administrationspubliques de 0,5% du PIB en 1981 à -3,3% en 1986). Dans le même temps, à la suite duretournement de 1979 (G5) la politique monétaire a été restrictive (taux d’intérêt élevé entre 1982et 1984 : les taux courts oscillent entre 8,5 et 10,5%, les taux longs entre 11 et 13%). Au total,l’effet de relance budgétaire l’a emporté sur la rigueur monétaire, d’autant que l’afflux decapitaux a facilité le financement des déficits. La croissance du PIB de 5,2% par an entre 1983 et1985 a été entraînée par la demande sous l’effet de la politique budgétaire. Les mécanismeskeynésiens ont été visiblement à l’oeuvre au sein de cette économie peu ouverte. Au départ cettepolitique avait pourtant été pensée par des économistes de l’offre.La stratégie allemande de 19901991- pour répondre au choc de la réunification - constitue un autre exemple de ce type de politiquemixte.Cette stratégie peut résulter du caractère impérieux accordé à un objectif de change ou d’uneconfiguration institutionnelle particulière qui met en présence une Banque centrale très autonomeet conservatrice face à des responsables politiques soucieux de soutenir coûte que coûte l’activité.

B)soutien monétaire et freinage budgétaire

La coexistence d’un freinage budgétaire et d’un soutien monétaire entraîne une baisse du tauxd’intérêt et un effet limité sur le revenu. Les deux politiques cumulent leurs effets pour réduire lestaux car l’offre de monnaie est augmentée par le soutien monétaire alors que la demande demonnaie est réduite par la rigueur budgétaire. Si le taux d’intérêt baisse bel et bien, l’effet sur lerevenu est a priori indéterminé et dépend comme dans le cas précédant des paramètres et del’ampleur des mesures. La politique conduite aux Etats-Unis à la fin des années 1990 paraîtcorrespondre assez bien à cette configuration. Le pragmatisme monétaire de Greens Pan va depaire avec une réduction du déficit budgétaire (avec même l’apparition d’un solde positif entre1998 et 2000) par l’équipe Clinton).

Conclusion : la question du ‘Policy mix’ soulève le problème important de la coordinationentre les actions des autorités budgétaires et celles d’autorités monétaires de plus en plusautonomes.

Lectures conseillées pour aller plus loin.Bordes Ch. (1997), « La politique monétaire », dans Marois W et Duthil G., Politiqueséconomiques, Paris, Ellipses, pp.71162. Cabannes M. (1994), La politique macroéconomique,Paris, Armand Colin. Varoudakis A. (1994), La politique macroéconomique, Paris, Dunod.

IV. Les contraintes structurelles

4.1. La contrainte externe

On peut d’emblée définir la contrainte externe comme l’ensemble des contraintes liées àl’ouverture commerciale et financière de l’économie. En termes plus dynamiques, on peut aussidire qu’elle apparaît comme la nécessité d’équilibrer la balance courante sur la longue période.

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La nature de la contrainte externe va dépendre du degré d’ouverture commerciale de l’économie,du degré de mobilité internationale des capitaux, du régime de change en vigueur voire pluslargement d’engagements politiques internationaux en matière d’intégration économique au seind’un espace régional (voir l’exemple de la construction européenne depuis le Traité de Rome1957). La contrainte externe fait partie des structures caractérisant un environnement macro-économique, en ce sens elle constitue un invariant relatif, le terme invariant signifie que c’est unedonnée à court terme, l’adjectif relatif laisse entendre que l’on peut néanmoins chercher àinfluencer cette contrainte à moyen et long terme par la mise en œuvre de politiques structurelles.Les structures font parties du triptyque traditionnel caractérisant la politique macro-économique(objectifs, instruments, structures (ou contraintes)). On ne doit jamais oublier qu’une mêmepolitique économique appliquée à des économies dont les structures sont différentes n’aura pasles mêmes effets.La contrainte externe conditionne ouvertement la possibilité et les modalités de la régulationconjoncturelle, comme elle impose parfois la mise en oeuvre de réformes structurelles. Devant lalargeur du sujet, nous retenons comme problématique de la leçon l’analyse de l’influence de lacontrainte externe sur les marges de manoeuvre en matière de politiques budgétaire et monétaire.En arrière plan l’on retrouve la tendance de fond au recul contemporain de la régulationconjoncturelle.

1.) Ouverture commerciale et utilisation de la politique budgétaire

Après avoir étudié les déterminants de l’ouverture nous voyons dans quelle mesure cetteouverture contraint l’utilisation de la politique budgétaire.

A)mesures et déterminants de l’ouverture

On peut mesurer l’ouverture commerciale d’une économie grâce au concept de taux d’ouvertureTaux d’ouverture = {(X+ M)/ 2}/ PIB avecX : montant des exportationsM : montant des importationsOn considère un PIB nominal. Le taux d’ouverture est une fonction inverse de la taille del’économie (mesurée par la population, voire la dimension). Plus un pays est grand plus l’oncomprend que les échanges intra nationaux soient importants. Plus un pays est grand (pensonsaux Etats-Unis), plus également on a des chances qu’il soit capable de produire une gamme largede produits en raison d’une dotation factorielle variée (on laisse de côté la question despécialisation internationale ici), le commerce international (qui est fondamentalement unéchange de différences pour reprendre la formule de B. Lassudrie-Duchêne) est moins impératif.Pour fixer les idées, on peut dire qu’à la fin des années 1990, le taux d’ouverture de la Chine estde 5%, de 10% pour les Etats-Unis, 13% pour l’UE, d’environ 25% pour la France alors que pourune petite économie comme la Suisse il est de 45%.

B)conditions d’utilisation de l’arme budgétaire

Sans considérer l’interdépendance des économies, l’on peut noter en première analyse quel’ouverture commerciale réduit la valeur du multiplicateur keynésien, m la propension marginaleà importer constitue une fuite au même titre que l’épargne ou la fiscalité :

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(1 /1-c) > (1 1c + m)

Le cadre IS/ LM/ BP montre qu’il faut tenir compte de la nature de la contrainte externe avant demettre en oeuvre une politique budgétaire expansionniste.

Efficacité de politique budgétaire dans IS/ LM/ BPRégime de change / Changes fixes Changes flottantsMobilité des capitauxFaible mobilité pas efficace assez efficaceForte mobilité pas efficace très efficace

De la même manière l’ouverture contraint plus encore l’utilisation de la politique monétaire.

2.) Ouverture financière et utilisation de la politique monétaire

Après avoir analyser les marges de manoeuvre de la politique monétaire à travers le concept detriangle d’incompatibilité, nous verrons qu’elle est aussi contrainte par la nécessité de privilégierl’objectif de stabilité des prix.

A) le triangle d’incompatibilité

Le concept de triangle d’incompatibilité, échafaudé par Mundell dans les années 1960 puisPadoa-Schioppa dans les années 1980, a le mérite de mettre en évidence les contraintes exercéespar les modalités de l’ouverture financière sur les marges de manoeuvre de la politiquemonétaire. On ne peut avoir simultanément mobilité parfaite des capitaux, fixité du change etautonomie de la politique monétaire. Cette grille de lecture est notamment pertinente pour lirel’histoire du système monétaire international : ainsi avant 1913 en régime d’étalon-or lacombinaison d’une forte mobilité des capitaux et d’une fixité du change rend impossible touteautonomie monétaire, l’on note au passage que la fixité du change impose des ajustementsinternes par le canal de la hausse des taux d’intérêt.

Efficacité de la politique monétaire dans IS/ LM/ BPRégime de Change/ Changes fixes Changes flottantsMobilité des capitauxFaible mobilité pas efficace assez efficaceForte mobilité pas efficace très efficace

Si l’on introduit l’inflation dans le débat, cela concoure à un repli plus marqué encore del’utilisation de la politique monétaire.

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B) contrainte de crédibilité et recul de l’activisme monétaire

Aujourd’hui en Europe, alors que l’on est certes dans un environnement de mobilité des capitauxmais en changes flottants (cf euro/ dollar) la recherche de ce que l’on appelle la crédibilité (quel’on peut définir de manière quelque peu restrictive comme la capacité d’un pays à garantir lerendement réel des titres libellés dans sa monnaie) contraint toujours la politique monétaire.Le rôle de la politique monétaire semble être de plus en plus d’assurer une stabilité structurelledes prix, plus que d’être un vrai outil de stabilisation conjoncturelle.

Conclusion : la montée en puissance de la contrainte externe depuis le seuil des années 1980entraîne un recul de la régulation conjoncturelle.

4.2. Les rigidités

Le concept de rigidités désigne en macroéconomie la difficulté ou l’impossibilité pour les prix des’ajuster pour équilibrer l’offre et la demande. Deux types de rigidités peuvent être identifiées, lesunes dites nominales les autres réelles. Les rigidités nominales s’identifient à la viscosité des prix(la lenteur de l’ajustement). Par rigidités réelles, nous entendons le fait que le prix se situe àl’équilibre au dessus du niveau d’équilibre concurrentiel. Les rigidités sont compatibles avec larationalité économique des agents, elles doivent être distinguées de l’illusion monétaire(incapacité des agents à discerner parfaitement grandeurs réelles et grandeurs nominales).Si très tôt David Hume (1752) à l’intuition de l’importance analytique des rigidités de prix, celle-ci éclate véritablement que durant l’entre-deux-guerres. Dans l’Angleterre des années 1920, lelien est fait entre rigidité à la baisse des salaires nominaux et chômage (voir Rueff). Avec Keynes(1936) la possibilité d’un blocage du mécanisme de prix est envisagé, l’ajustement peut intervenirvia les quantités. Cet ajustement par les quantités est systématisé dans les années 1970 par lesthéoriciens du déséquilibre (Leijonhufvud, Benassy, Malinvaud...). Sur le plan théorique - du faitdu recul contemporain de l’illusion monétaire (accès plus facile à l’information, amélioration desanticipations, meilleure connaissance du fonctionnement de l’économie) - les rigidités constituentun enjeu décisif. Elles constituent le terreau de l’opposition entre libéraux et néo-keynésiens. Leslibéraux affirment qu’il convient de chercher à les supprimer par des politiques structurelles deflexibilité. Les néo-keynésiens (Fischer, Blanchard, Mankiw...) se fondent sur leur caractèrestructurel pour justifier le principe et démontrer l’efficacité des politiques conjoncturelles. Surcette base une des problématiques de la leçon peut être de savoir si les rigidités sont laconséquence d’une intervention publique où si leur existence justifie le principe d’une actioncorrectrice. Dans cette leçon la démarche se déroule en deux temps. L’attention se porte d’abordsur les rigidités nominales, puis les rigidités réelles.

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1.) Ampleur des rigidités nominales et opportunitésd’interventions conjoncturelles

A)les fondements micro-économiques des rigidités nominales

Blinder (1993) propose une typologie des rigidités nominales sur le marché des biens et services.L’approche en termes de défaut de coordination indique que suite à un choc une entreprise hésiteà modifier son prix elle attend une action de la concurrence. L’approche en termes de contratsimplicites insiste sur les relations de confiance entre acheteur et vendeur qui passent par lastabilité des prix. Des contrats nominaux explicites existent également, ils bloquent les prix.Parmi les autres rigidités citons : les coûts de catalogue, les prix limites (ex.9, 99euros). Sur lemarché du travail les rigidités nominales sont constituées par des contrats de salaires explicites(la progression des rémunérations est fixée de façon contractuelle pour une période donnée), et larigidité à la baisse des salaires.

B) la porte ouverte à l’intervention de politique économique

L’existence de rigidités nominales justifie le principe et l’efficacité d’une interventionéconomique conjoncturelle. Les néo-keynésiens fondent l’arbitrage inflation chômage sur cesviscosités. Pour S. Fischer (1977) la politique monétaire peut être efficace même en présenced’anticipations rationnelles, du fait de contrats de salaires explicites et à condition quel’impulsion monétaire intervienne dans le temps juste (peu de temps après la signature descontrats). Akerlof, Dickens et Perry (1996) exploitent la rigidité à la baisse des salaires nominauxpour montrer qu’un objectif de faible inflation vaut mieux qu’une inflation zéro. La courbe dePhilips n’est pas verticale à long terme en régime de basse inflation.

2.) Rigidités réelles, difficultés et ambiguïtés des transformationsstructurelles

Deux types de rigidités réelles sont identifiables sur le marché du travail, les unes sontendogènes, les autres exogènes, elles ont en commun d’être difficilement réductibles par despolitiques économiques structurelles.

A) rigidités réelles endogènes

Pour des raisons propres au fonctionnement du marché du travail le salaire peut se fixer au dessusde son niveau d’équilibre concurrentiel. Il peut s’agir d’un salaire d’efficience ou bien del’exercice du pouvoir de négociation des insiders sur le marché. Quatre grandes interprétations del’origine du salaire d’efficience sont proposées. Pour Shapiro et Stiglitz (1984), le chefd’entreprise pour lutter contre l’aléa moral incite le travailleur à avoir une meilleure productivitéen proposant un salaire supérieur à l’équilibre concurrentiel. Cette idée motivait déjà H. Fordlorsqu’il proposait un salaire quotidien de 5$ contre 2/ 3$ pour la concurrence au début du XXèsiècle. Pour Weiss (1980), le salaire d’efficience pallie l’asymétrie d’informations entre chefd’entreprise et salarié, ce salaire est destinait à attirer les meilleurs. Pour Stiglitz, le salaire

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d’efficience limite la rotation de la main d’oeuvre. Dans le cadre d’approches sociologiques « à laMauss » le salaire d’efficience constitue une marque d’équité (voir les travaux d’Akerlof).Un salaire « supérieur à l’équilibre » constitue l’une des possibles solutions négociées par les‘insiders’ dans l’entreprise, souvent au détriment de l’embauche d’outsiders. Il paraît très difficilede lutter contre ces rigidités réelles endogènes par des politiques économiques structurelles.

B) rigidités réelles exogènes, le salaire minimum garanti

Il paraît beaucoup plus facile d’éliminer une rigidité réelle exogène comme le salaire minimum, ilsuffit à l’Etat de redéfinir sa politique salariale et de supprimer cette entrave. Après avoir fait ceconstat, on bute sur la question du bien-fondé de cette mesure, le salaire minimum est-il toujoursl’ennemi de l’emploi ? En CPP un salaire minimum entraîne sans conteste l’apparition d’unchômage involontaire. Si l’on segmente le marché du travail, le salaire minimum apparaît pourpartie responsable du chômage des jeunes et des moins qualifiés. En fait, plus on s’éloigne d’unestructure de marché de concurrence pure et parfaite, moins le salaire minimum pénalise l’emploi,il peut même - dans certaines configurations de marché (monopsone, très fortes rigidités de prix)accroître le volume d’heures de travail.

Conclusion : la posture face aux rigidités est décisive en matière de politique économique. Soiton les considère comme incompressibles et on cherche à les exploiter au niveau conjoncturel, soiton les combat par des politiques structurelles libérales.

4.3. Enjeux du choix d’un régime de change

Lorsque l’intégration financière internationale était moins forte, certaines marges de manoeuvreexistaient en manière de politique de change. En régime de changes fixes, une dévaluationpouvait – sous certaines conditions - rétablir l’équilibre de la balance courante (citons commeexemple de réussite la dévaluation du franc français en 1969), en régime de changes flottants lesbanques centrales pouvaient influencer les cours par des interventions directes sur le marché deschanges. Aujourd’hui la montée de la contrainte externe entraîne une désuétude de la politique dechange ; en la matière l’enjeu décisif paraît maintenant être d’ordre structurel à travers le choixdu régime de change dans lequel le pays va se situer. Cette leçon est l’occasion de proposer unpanorama non exhaustif des régimes existants, d’analyser leurs caractéristiques théoriques et devoir sur quelles bases les autorités choisissent un régime (taille de l’économie, crédibilité, niveaude développement...). Pour caricaturer en flottement le change constitue une variabled’ajustement pour absorber des chocs internes, il y a 10% d’inflation dans le pays A, 0% dans lepays B, le cours de change la monnaie de A se déprécie de 10% face à la monnaie de B sur lemarché, le choc est absorbé. En changes fixes, si le régime est crédible (le pays joue les règles dujeu et fait des efforts pour maintenir la parité) dans le même cas de figure, l’ajustement se fait surdes variables internes : il convient en principe de conduire une politique de déflation qui ramèneles prix à leur niveau d’avant le choc, l’activité nationale est réduite.On peut dire que le choix du régime est en gros fonction de la taille de l’économie, de sonexposition externe, de sa crédibilité. Moins l’économie est exposée, plus elle tend vers laflexibilité.

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1.)Les solutions de coin, fixité versus flexibilité.

Selon Eichengreen, Dornbusch et Summers seules deux solutions de coin sont viables si l’onchoisit de maintenir une totale mobilité des capitaux, la complète fixité ou le flottement pur.

A)quel est le prix de la stabilité associé à la fixité ?

L’ouverture commerciale des économies semble exiger une certaine stabilité des cours de change(pour assurer le développement des échanges, des IDE (investissements directs étrangers), desflux de capitaux...). Le jugement de l’histoire paraît a priori assez favorable à la fixité. Au sein del’Etalon-or classique (18801913) un environnement de stabilité a été crée, une croissanceéconomique lente et assez régulière était à l’oeuvre. Le Currency Board (caisse d’émission)constitue la forme moderne de l’absolue fixité. Quelles sont ses caractéristiques ? .1. Les autoritésnationales (Argentine, Estonie, Lituanie, Kosovo) décrètent la fixité du cours de leur monnaievis-à-vis d’une monnaie internationale (dollar ou euro) et s’engage à la maintenir. L’émission demonnaie est entièrement « gagée » par des devises obtenues soit par des crédits internationaux,soit par un excédent courant. Les agents privés peuvent convertir à tous moment la monnaienationale en devises. La caisse d’émission est en principe assez efficace pour rétablir la confiancedans une monnaie en proie auparavant à une inflation galopante. Elle peut garantir une stabilitéinterne favorable à l’ouverture de l’économie nationale (commerce, IDE, capitaux courts...).En revanche, le CB n’autorise pas la pratique de politique conjoncturelle. Il crée également unesituation de dépendance financière, il faut s’endetter pour constituer les contreparties de la basemonétaire. Or comment se procurer des devises pour assurer le service de la dette ? Il fautdégager un solde courant (X - M) positif : (Sp-I) + (T - G) = X – M

Soit par une épargne privée Sp élevée (difficile pour les PVD), soit par un solde budgétaire (T - G) positif ce qui implique des politiques de rigueur parfois insoutenable socialement (voir lecas de l’Argentine). Un régime de parfaite fixité assure en principe la stabilité interne (faibleinflation) et externe (équilibre du solde courant à moyen terme), mais prive en revanche lesautorités d’instruments de soutien de croissance à court terme (pas d’activisme monétaire, trèspeu au niveau budgétaire, pas d’ajustement possible par le change), l’ajustement doit passer parles variables internes quitte à devoir pratiquer la déflation.

B) la flexibilité :

Une capacité d’ajustement aux chocs au prix d’un risque de mes alignement Les monétaristesprônent le flottement complet des monnaies, il faut faire confiance à la capacité d’ajustement dumarché. Le flottement assurerait un rétablissement automatique de l’équilibre externe, un déficitcourant impliquant une dépréciation immédiate du change. Le marché déterminerait les « vrais »cours de change, la spéculation étant stabilisante. Toujours pour les monétaristes, le flottementautorise la possibilité d’une politique monétaire active pour faire face à des chocs asymétriques(qui ne touchent que l’économie nationale). Dans les faits le flottement qui s’est généralisé depuisles années 1970 n’a pas tenu ses promesses, les cours de change sont volatils et surtout des mesalignements importants sont apparus (le marché a éloigner les cours de leurs niveaux d’équilibre,

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on peut faire référence au cours de PPA). De facto le marché des changes est en proie à des bullesspéculatives et à des comportements mimétiques des opérateurs. Ces phénomènes ont desrépercussions internes difficiles à gérer. Face aux risques des solutions extrêmes, des solutionsintermédiaires existent, elles tentent de combiner dans des proportions différentes stabilité etcapacité d’ajustement.

2.) Le problème du maintien de la crédibilité des régimesintermédiaires

Le problème des stratégies intermédiaires est leur déficit de crédibilité, les régimes de changesfixes ajustables de type SME étant fragiles, les régimes de flottement impurs très difficiles àcontrôler.

A)la fragilité des régimes fixes mais ajustables ou révisables

Deux références historiques peuvent être mobilisés, le régime de Bretton-Woods (19441971) etl’expérience du Système Monétaire Européen (de 1979 à 1992 voire jusqu'à la veille du passage àl’euro). Des parités bilatérales sont définies en même temps que des marges de fluctuationsautorisées des cours (+/- 1% autour de la parité dans le système de BW, +/- 2,25% dans le cadredu SME avant 1992). Au sein de ce régime les dévaluations sont inévitables car les conditionsmonétaires nationales ne suivent pas d’évolutions parallèles, des chocs spécifiques touchentcertaines économies (exemple le choc social de 1968 en France « absorbé » par la dévaluation de1969). La gestion des ajustements implique une coopération forte entre les états participants toutcomme les interventions directes sur le marché lorsque les cours tendent vers les extrémités.Ce type de système pose aussi le problème dit du n-1, c’est-à-dire le problème de son asymétrie,le pays leader impose sa politique monétaire aux autres (douce insouciance pour les Etats-Unisdans les années 1960, rigueur allemande et partage du coût de la réunification pour le SME).A travers l’histoire du SME la spéculation a fait montre de sa capacité à déstabiliser ce type desystème. Au début des années 1990, les attaques spéculatives par leurs ampleurs impliquaient desresserrements monétaires dont les coûts internes étaient trop difficiles à supporter, d’où dessorties du système pour la livre sterling ou la peseta.

B) les difficultés pour intervenir en régimes de flottement impurs

Il est difficile aujourd’hui d’administrer le flottement monétaire. Le doute plane sur l’existencehistorique de zones cibles implicites de change (solution Williamson) à la fin des années 1980 surle cours dollar/ yen et dollar/ mark, c’est-à-dire des interventions des autorités pour maintenir lescours dans des limites connues d’elles seules. Les interventions directes sur le marché onténormément de difficultés pour être efficace, on considère qu’elles peuvent tout au plus envoyerun signal aux opérateurs de marché pour attirer leur attention sur le « mésalignement » flagrantd’une devise. Selon Frenkel et Dominguez (1993) une intervention aura d’autant plus de chancesd’être efficace qu’elle est crédible (les données fondamentales de l’économie sont bonnes),coordonnée (plusieurs banques centrales agissent en même temps) et qu’elle a lieu dans le bontiming, mais le succès est loin d’être garanti.

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Conclusion : le choix d’un régime de change renvoie à un arbitrage stabilité versus capacitéd’ajustement : la stabilité est coûteuse, la souplesse risquée. En définitive, la flexibilité est unluxe plutôt réservé aux économies de grandes tailles qui disposent d’une forte crédibilité. ***

Lectures conseillées pour aller plus loin.De Grauwe P. (1999), La monnaie internationale, Bruxelles, De Boeck. Lahet D., (2003), Lescrises financières : mécanismes de déclenchement et de contagion, eBook, e-theque. Com.Marois W., Duthil G. (1997), Politiques économiques, Paris, Ellipses. Lucas (1976) souligne queles modèles macro économétriques traitent les anticipations avec désinvolture ayant recours à desapproximations plausibles mais arbitraires. Selon lui la plupart des interventions de politiqueéconomique modifient la façon dont les agents forment leurs anticipations. Or les « proxys »utilisés dans les modèles ne prennent pas en compte ces évolutions. Au début des années 1980,Sargent et Wallace ont cherché à systématiser l’étude les rapports de domination entre politiquesmonétaire et budgétaire ouvrant la voie à la Théorie budgétaire du niveau général (FTPL) desprix qui s’intéresse aux conséquences inflationnistes de l’interaction entre politique budgétaire etpolitique monétaire. La théorie du budget cyclique proposée dans les années 1930 par Myrdal etOhlin appréhende l’équilibre budgétaire de manière dynamique (sur le moyen/ long terme). Enpériode d’expansion, l’on accumule des excédents et en période de contraction de l’activité onpeut tolérer des déficits, nous sommes dans un régime budgétaire dit ricardien. L’ensemble desrevenus que l’on peut retirer de l’émission de monnaie.

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