Les personnes âgées immigrées en...

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DIRECTION REGIONALE DE LA JEUNESSE, DES SPORTS ET DE LA COHESION SOCIALE DU LIMOUSIN Les personnes âgées immigrées en Limousin Rapport final – octobre 2012 Porteur de projet : OSLIM – DRJSCS Maîtrise d'œuvre : PREFASS Limousin (via le Creahil) Chargés d'étude : Vincent Enrico et Dominique Nadaud Responsabilité scientifique : Marcel GROCHE

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  • DIRECTION REGIONALE DE LA JEUNESSE, DES SPORTS ET DE LA COHESION SOCIALE DU LIMOUSIN

    Les personnes âgées immigrées en LimousinRapport final – octobre 2012

    Porteur de projet : OSLIM – DRJSCSMaîtrise d'œuvre : PREFASS Limousin (via le Creahil)

    Chargés d'étude : Vincent Enrico et Dominique NadaudResponsabilité scientifique : Marcel GROCHE

  • Table des matières

    INTRODUCTION........................................................................................................................... 4

    1 ETAT DE LA QUESTION................................................................................................................ 5

    1.1. Le vieillissement des immigrés : une question récente.............................................................51.2. Données disponibles................................................................................................................. 9

    2 METHODOLOGIE......................................................................................................................... 12

    2.1. Une étude qualitative.............................................................................................................. 122.2. Présentation de l'enquête de terrain........................................................................................ 13

    3 D'UN TERRITOIRE À L'AUTRE : PAROLES D'IMMIGRÉS..................................................... 18

    3.1. Les immigrés originaires d'Asie du Sud-Est à Limoges......................................................... 20Que disent les familles asiatiques rencontrées ?............................................................................223.2. Les immigrés originaire du Maghreb à Brive-la-Gaillarde....................................................26Que disent les familles maghrébines de Brive ?............................................................................ 293.3. Les immigrés originaires de Turquie à Bourganeuf................................................................36Que disent les familles immigrées turques rencontrées à Bourganeuf ?.......................................37

    4 LE VIEILLISSEMENT DES IMMIGRÉS : UNE QUESTION SOCIALE...................................42

    4.1. Les conditions de vie plus déterminantes que les différences culturelles...............................424.2. Au-delà des besoins, comprendre les attentes ........................................................................454.3. Rapport au médical, accès aux soins et aide à domicile......................................................... 474.4. Rapport au pays d'origine et religion...................................................................................... 514.5. La question du genre...............................................................................................................53

    5 ELEMENTS DE SYNTHESE........................................................................................................ 55

    5.1. Typologie................................................................................................................................ 555.2. Tableau de synthèse................................................................................................................ 56

    CONCLUSION : définir un espace rassurant.................................................................................... 58

    Bibliographie...................................................................................................................................... 59

    ANNEXES......................................................................................................................................... 62

  • INTRODUCTIONLe vieillissement des immigrés en Limousin pose des problèmes sanitaires et sociaux comme dans les autres régions de France. En 2008, l'Observatoire Social du Limousin de la la Direction Régionale de la Jeunesse des Sports et de la Cohésion Sociale du Limousin a publié une étude réalisée par l'ORS concernant ces populations en Limousin. L'enquête a permis de mieux connaître les conditions de vie, l'état de santé et les difficultés d'accès au soin des immigrés vieillissants. Cette étude s'appuie sur ces données pour comprendre comment sont appréhendées par les populations immigrées les modalités d'accompagnement du vieillissement sur le territoire du Limousin.

    Le rapport final présente les données disponibles, la méthodologie ainsi que les données recueillies sur les terrains choisis avant de proposer des éléments d'analyse. Un croisement des regards posés sur le vécu de ces immigrés concernant le vieillissement avec le regard des travailleurs sociaux et professionnels pourra être réalisé après la production du document.

    Le vieillissement des immigrés en France représente une préoccupation récente mais grandissante. Afin de saisir les enjeux sociaux de ce processus, certains termes doivent être précisés : qu'est-ce qu'un étranger ? Un immigré ? Comment définir la communauté ? La précarité ? Quelle est le type de données disponibles en Limousin ? A partir de cet état de la question, nous avons choisi une méthodologie qualitative, inspirée des méthodes ethnographiques. Malgré de nombreuses difficultés d'accès au terrain (durée de l'étude, contexte social et politique), nous avons rencontré plusieurs familles sur chaque territoire : Limoges (immigrés d'Asie du Sud-Est), Brive (immigrés du Maghreb) et Bourganeuf (immigrés de Turquie). Première ou deuxième génération, hommes ou femmes, les interviewés ont raconté leur histoire et leur quotidien au travers desquels le vieillissement apparaît comme ancré dans des territoires et des trajectoire d'immigration. Les cadres de vie décrits ont été analysés pour comprendre quelles sont les visions des familles concernées au sujet des conditions de vie, des besoins, des attentes, du rapport au médical, du rapport au pays d'origine et du rapport entre les sexes. A partir de ces analyses, une typologie et un tableau de synthèse permettent d'imaginer les suites de cette étude et la définition d'un « espace rassurant » pour le vieillissement des personnes immigrées en Limousin.

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  • 1 ETAT DE LA QUESTION

    1.1. Le vieillissement des immigrés : une question récente

    DéfinitionsPour étudier la question des « immigrés vieillissants », nous avons choisi de prendre le point de vue de l'INSEE qui différencie immigré et étranger :

    « Un étranger est une personne qui réside en France et ne possède pas la nationalité française, soit qu'elle possède une autre nationalité (à titre exclusif), soit qu'elle n'en ait aucune (c'est le cas des personnes apatrides). Les personnes de nationalité française possédant une autre nationalité (ou plusieurs) sont considérées en France comme françaises. Un étranger n'est pas forcément immigré, il peut être né en France (les mineurs notamment). »

    Ce choix conduit à considérer, comme l'INSEE et le Haut Conseil à l'Intégration qu'un immigré est :

    « une personne née étrangère à l'étranger et résidant en France. Les personnes nées françaises à l'étranger et vivant en France ne sont donc pas comptabilisées. À l'inverse, certains immigrés ont pu devenir français, les autres restant étrangers. Les populations étrangère et immigrée ne se confondent pas totalement : un immigré n'est pas nécessairement étranger et réciproquement, certains étrangers sont nés en France (essentiellement des mineurs). La qualité d'immigré est permanente : un individu continue à appartenir à la population immigrée même s'il devient français par acquisition. C'est le pays de naissance, et non la nationalité à la naissance, qui définit l'origine géographique d'un immigré. »

    En ce qui concerne les données chiffrées, il est difficile d'adopter une tranche d'âge plutôt qu'une autre car les producteurs de données ne fixent pas les mêmes bornes. Ce problème se pose pour toutes les études de ce type, comme le soulignait l'IGAS en 2002 :

    « Pour conduire ses analyses, la mission s’est heurtée à des difficultés récurrentes pour cerner ce public avec précision : d’une part, la notion d’ « étranger » est différente de celle d’ « immigré » alors que les données disponibles par domaine recourent soit à la 1ère notion, soit à la seconde, d’autre part, les statistiques existantes, font référence parfois à la nationalité, parfois à l’origine géographique ou au pays d’origine ; elles marquent la césure de l’âge à 55 ans, ou à 60 ans, ou à 65 ans. Enfin, les statisticiens eux-mêmes doutent de l’entière fiabilité des chiffres issus des recensements généraux de la population (RGP). C’est dire en tout cas que les chiffres avancés doivent être abordés avec précaution. »

    Nous ne pouvons que souligner l'importance de ces précautions dans le traitement des données concernant les populations immigrées.

    CommunautéOutre le terme d'immigré, un second terme est apparu comme problématique : la communauté. Il est utilisé par les professionnels du secteur sanitaire et social ou par les auteurs sur les questions d'immigration sans toujours être défini. Pourtant, les communautés décrites par chacun ne renvoient

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  • pas forcément aux mêmes dimensions de la vie sociale et collective des individus concernés. Dans cette étude, lorsque l'origine du terme n'est pas précisée, la communauté sera définie comme un

    « espace restreint dans lequel se développent des liens d'interconnaissance, l'acceptation de règles de conduite et un sentiment d'appartenance »1.

    L'interconnaissance est une condition nécessaire à la mise en oeuvre d'une démarche ethnographique. Elle détermine le dynamiques de lien social, même si l'identité des immigrés s'est construite par le travail. Selon V. Brousse et A. Marsac2, la communauté devient un refuge de socialisation quand le travail fait défaut et que le chômage des personnes immigrées s'étend.

    PrécaritéLe travail de terrain et les lectures préalables ont imposé un autre terme : la précarité. Il semble en effet que les personnes âgées vieillissantes soient dans un état de fragilité renforcée par les conditions de vie avant la retraite. La précarité sera définie comme « l'absence d'une ou plusieurs des sécurités permettant aux personnes et aux familles d'assumer leurs responsabilités élémentaires et de jouir de leurs droits fondamentaux »3.

    La situation sociale des immigrés est déterminante dans leur vieillissement. Ils relèvent d'une catégorie spécifique, décrite ainsi par la Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse (CNAV) :

    « La CNAV recentre particulièrement ses actions en faveur des retraités du régime général relevant des groupes iso-ressources (GIR) 5 et 6 et socialement les plus fragiles. Il s’agit de retraités qui ne sont pas en situation de perte d’autonomie, mais qui connaissent des difficultés dans leur vie quotidienne notamment en raison de leur niveau de ressources, de leur isolement social, de leur avancée en âge, de leur état de santé ou de leurs conditions de vie »4.

    Cette situation sociale précaire est aussi en partie liée, pour certains, au « mythe du retour » qui les a empêchés de préparer leur vieillesse en France.

    VieillissementL'INSEE produit des données concernant les personnes âgées dépendantes, montrant une « usure précoce » des immigrés. En effet, l'âge moyen des personnes âgées dépendantes est de 82 ans pour les personnes nées en France contre 79,5 ans pour les personnes nées à l'étranger et 75,3 ans pour les personnes nées au Maghreb. Le vieillissement, au sens d'une altération physique et

    1 Gresle, F. Panoff, M. Perrin, M. Tripier, P. (1990). Dictionnaire des sciences humaines. Sociologie, psychologie sociale, anthropologie. Paris : Nathan. Ils définissent la communauté par opposition à la société, où ces liens seraient distendus. Par extension dans les travaux sociologiques anglais, le terme décrit des espaces (quartiers, villages) où les modes de vie et les activités sont similaires ou complémentaires.

    2 Marsac, A. Brousse, V. (2005). Les lieux de l’immigration ouvrière en Limousin. In Brousse V., Grandcoing P., dir., Un siècle militant. Engagement(s), résistance(s) et mémoire(s) au XXe siècle en Limousin. Université de Limoges : PULIM.

    3 « L'insécurité qui en résulte peut être plus ou moins étendue et avoir des conséquences plus ou moins graves et définitives. Elle conduit le plus souvent à la grande pauvreté quand elle affecte plusieurs domaines de l'existence qu'elle tend à se prolonger dans le temps et devient persistante, qu'elle compromet gravement les chances de reconquérir ses droits et de réassumer ses responsabilités par soi-même dans un avenir prévisible. » Wresinski, J. (1987). Grande pauvreté et précarité économique et sociale. Paris : Journal Officiel. p 14.

    4 Staes Görmez, V. (2010). L’aide à domicile : Quels enjeux pour les retraités immigrés, habitant en logements-foyers ? DIES : IRTS Metropole Lilloise, p. 26

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  • psychologique de la personne intervient donc plus tôt pour les immigrées, notamment du fait de facteurs sociaux (conditions de vie). Pour de nombreux immigrés, le corps a été le principal outil de travail. Il en résulte une usure physique qui peut entraîner un état de dépendance5.

    Les politiques publiques identifient ainsi cette population comme potentiellement précaire, comme dans l'Enquête Santé – Précarité Etat de santé et difficultés d’accès aux droits, aux soins et à la prévention des populations en situation de précarité en Limousin, (2001)6 :

    « La circulaire du 7 décembre 2007 relative au programme régional d’accès à la prévention et aux soins des personnes les plus démunies (PRAPS) désigne comme publics précaires particulièrement touchés par les problèmes de santé[6] : · Les populations étrangères, immigrées ou issues de l’immigration et en particulier les migrants vieillissants isolés [...] »

    Ces précisions font écho à une réflexion des auteurs de l'étude OSLIM-ORS 20087 :

    « L’analyse des conditions de vie des migrants vieillissants est, on le voit, à la croisée des champs de la précarité, de la vieillesse, de la gérontologie sociale et de l’intégration. La présente étude nécessiterait d’être complétée par ces divers champs d’investigation mais pose déjà les bases d’une indispensable réflexion autour des soutiens dont ces populations ont besoin pour finir leur vie dans la dignité. »

    Nous nous inscrivons dans la continuité de cette étude tout en nous concentrant sur la situation des immigrés vivant dans des logements indépendants8. Nous prenons ainsi le parti de privilégier un type de vieillissement dont la dimension sociale est au coeur de notre étude.

    « Le vieillissement n'est pas qu'un processus aux dimensions physiques et psychologiques. La perspective sociale est tout aussi fondamentale et la responsabilité de chacun est engagée »9.

    Le vieillissement induit une évolution des rôles sociaux en relation avec l'entourage, la famille, le monde du travail et la sphère sociale en général. C'est pourquoi :

    « Avoir investi tout au long de sa vie d’autres activités que des activités professionnelles, avoir un cercle d’amis, de relations familiales larges, savoir créer de nouvelles relations, de nouveaux centres d’intérêt permettra que la transformation des rôles antérieurs se fasse facilement et harmonieusement ».

    5 Louyot, M. (2007). Le rapport aux droits et services de santé (recours et non recours) des hommes immigrés d'origine maghrébine âgés de plus de 55 ans et résidant en foyer – à partir de l'étude du foyer Adoma Francis Jammes à Grenoble, mémoire de Master 2 Politiques Publiques et Changement Social, sous la dir. de P. Warin, IEP de Grenoble, Université Pierre Mendes France, p. 43

    6 Enquête Santé – Précarité Etat de santé et difficultés d’accès aux droits, aux soins et à la prévention des populations en situation de précarité en Limousin, Rapport n°214 mai 2011

    7 Conditions de vie, état de santé et difficultés d'accès aux soins des immigrés vieillissants en Limousin, Drass du Limousin, OSLIM, ORS, Rapport n°184, Décembre 2008

    8 Selon l'Atlas des populations immigrées en Limousin (INSEE Limousin / FASILD - Atlas des populations immigrées - décembre 2004, p. 24) : « Plus de mille immigrés ne vivent pas dans un logement indépendant, soit 4,1 % de la population immigrée contre 2,6 % pour l'ensemble de la population. C'est une population principalement masculine (68 %). La majorité d'entre eux habite en collectivité (cité universitaire ou foyer d'étudiants (16 %), centre d'hébergement (14 %), maison de retraite, foyers de travailleurs,…). Les autres sont logés dans des établissements d'enseignement ou des habitations mobiles. Un quart des immigrés vivant hors ménage viennent du Maroc et d'Algérie ».

    9 Hervy, M.-P. (2001) Le vieillissement : de qui est-ce l'affaire ? Champ psychosomatique, 2001/4 no 24, p. 23-36

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  • M.-P. Hervy évoque l'idée d'un « vieillissement réussi » auquel plusieurs parties contribuent : le corps médical, la société en général (choix politiques organisant la vie de la cité) et l'individu lui-même (avec sa famille ascendante ou descendante). Nous verrons par la suite la place que prennent ces parties sur les territoires enquêtés.

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  • 1.2. Données disponiblesLe vieillissement des immigrés en France est un objet d'études nombreuses mais très récentes et davantage orientées par les pouvoirs publiques que par la recherche historique ou sociologique. On trouve donc davantage de chiffres que d'enquêtes qualitatives, qui sont sans doute un défi. Le choix de la méthodologie est donc un des enjeux majeurs de cette étude.

    L'immigration en LimousinEn 2008 en Limousin, une étude de l'Acsé10 concluait que l'évolution récente de l'immigration est marquée par trois phénomènes : la féminisation, le vieillissement et la naturalisation. La majorité des immigrés vieillissants sont arrivés en France (et en Limousin) bien avant l'âge de la retraite. V. Brousse et A. Marsac expliquent que, comme ailleurs,

    « l'immigration en Limousin est une immigration ouvrière »11.

    Le vieillissement concerne donc des individus qui ont eu des travaux difficiles dans notre Région. Par exemple, en Haute-Vienne, les Marocains ont notamment travaillé à Bessine sur le site de la COGEMA. A. Marsac et V. Brousse dénombrent 128 étrangers arrivés en Limousin entre 1954 et 1962 qui étaient des rapatriés du Maroc. A partir des années 70/80, l'immigration concerne les Algériens et les Marocains, puis dans un autre temps les Turcs (ouvriers de la forêt à Egleton et Bourganeuf dans les années 80/90, avec une particularité : ils ne sont pas toujours salariés car ils ont été encouragés à devenir leur propre patron). Dans les années 80, les hommes sont plus nombreux. A cette période, les personnes immigrées âgées sont espagnoles ou italiennes.

    Les chiffres du recensement INSEE présentent les particularités des 40278 immigrés limousin recensés en 2009:

    Les immigrés en Limousin en valeur selon le pays de naissance (données RP INSEE 2009)

    En valeur, les immigrés les plus nombreux sont les personnes nées au Portugal, au Maroc, en Algérie et en Turquie. Si on prend en compte les origines géographiques plus larges, les immigrés du Maghreb sont plus plus nombreux : 7800 personnes.

    10 Heurtin, J.-P. (2008) Histoire et mémoire de l'immigration en région Limousin, Étude publiée par l’ACSÉ. En 1999, 2/3 des étrangers gardaient leur nationalité en Limousin.

    11 Un siècle militant, p. 152

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    Ensemble 55 ans ou + % de + 55 ansPortugal 44,6%Maroc 27,7%Algérie 939 25,9%Turquie 497 17,9%Espagne 72,8%Italie 871 697 80,0%Viêt-Nam 547 147 26,9%Cambodge 464 159 34,3%Tunisie 449 169 37,6%

    6 560 2 9283 727 1 0333 6242 7731 384 1 007

  • Les immigrés en Limousin en proportion selon le pays de naissance (données RP INSEE 2009)

    Si on s'intéresse à la proportion de personnes âgées de plus de 55 ans, on constate qu'elle est moins importante concernant les personnes nées au Maghreb et en Turquie que les autres. Les immigrés qui intéressent cette étude représentent une population relativement jeune, ce qui n'est pas sans effet sur les dynamiques familiales et la place occupée par les personnes âgées immigrées.

    Les 40278 immigrés recensés en 2009 représentent 5,4% de la population du Limousin. Leur répartition n'est pas homogène sur le territoire et en fonction des origines géographiques et des âges.

    La plus importante proportions d'immigrés est celle des personnes nées en Europe du Sud (Portugal, Espagne, Italie) qui représentent 21,9% des immigrés en Limousin. Ils sont assez âgés puisque 52,5% d'entre eux sont des personnes de plus de 55 ans.

    Les immigrés de Maroc, d'Algérie et de Tunisie représentent 7800 personnes selon les données INSEE de 2009, soit 19,4% des immigrés en Limousin. Leur arrivée se fait à partir des années 1960. Ils sont plus jeunes puisque 27,4% d'entre eux sont âgés de plus de 55 ans.

    Les immigrés de Turquie représentent 6,9% (2773) des immigrés en Limousin. Leur arrivée se fait à partir des années 70 et leur présence est toujours en augmentation. Ils sont encore moins âgés puisque seuls 17,9% d’entre eux ont plus de 55 ans.

    Même si, encore aujourd'hui, la population immigrée est dans son ensemble une population jeune, en Limousin, la population d'immigrés vieillit12. La part des plus de 60 ans était de 16% en 1962 et de 24% en 1999 et la part des plus de 55 ans est de 34% en 2009. Ce vieillissement est variable en fonction des origines géographiques. Par ailleurs, la population d'immigrés se féminise : en 1999, au-delà de 70 ans : 53% des immigrés étaient des femmes.

    Les immigrés originaires du Cambodge (59%) et dans une moindre mesure du Vietnam (52%) sont plus souvent des femmes, alors que dans les autres immigrations, les hommes sont majoritaires, notamment Maroc, Algérie ou Turquie.En 2008, la proportion de femmes de plus de 55 ans immigrés originaires d'Algérie, du Maroc et de la Tunisie réunis est plus importante que la proportion d'hommes (+ 4,1 points). En revanche, la proportion de femmes de plus de 55 ans immigrées originaires de Turquie est moins importante que la proportion d'hommes (- 2,3 points).

    Les immigrés limousins sont touchés par les phénomènes mis en avant plus haut, comme le vieillissement précoce. Par exemple, le taux de chômage, plus élevé quel que soit l'âge chez les immigrés, illustre ce rapport dégradé au travail pour les plus de 55 ans :

    – 55-59 ans : environ 10% dans la région contre environ 21% pour les immigrés

    12 Atlas des populations immigrées en Limousin, Insee Limousin – 2004

    10

    Ensemble 55 ans ou + % de + 55 ansItalie 871 697 80,0%Espagne 72,8%Portugal 44,6%Tunisie 449 169 37,6%Cambodge 464 159 34,3%Maroc 27,7%Viêt-Nam 547 147 26,9%Algérie 939 25,9%Turquie 497 17,9%

    1 384 1 0076 560 2 928

    3 727 1 033

    3 6242 773

  • – 60-64 ans : environ 7% dans la région contre environ 22% pour les immigrésLes plus de 60 ans ne représentent pas la même proportion pour chaque population immigrée. De plus, il s'agit d'une population plus urbaine que le reste de la population du Limousin, qui se partage entre logements non indépendants (plus de mille immigrés selon C. Desbordes) comme les foyers et logements indépendants. Les immigrés hors Europe résident davantage en immeuble collectif, notamment ceux originaires de Turquie, d'Algérie, du Maroc, de Tunisie et dans une moindre mesure du Cambodge, Laos, Vietnam.

    La composition des ménages est aussi différente : les familles turques sont celles qui comportent le plus de personne en moyenne : 4,0. On trouve ensuite Les Marocains (3,5), les Cambodgiens (3,4), les Tunisiens (3,3), les Algériens (3,2) et les Vietnamiens (3,1), alors qu'en Limousin, la moyenne est de 2,2.

    Pour résumer, on peut dire que la population immigrée vieillissante a des caractéristiques sociologiques sensiblement différentes de la population locale du même âge. La différence de culture n'explique pas à elle seule les particularités sociologiques : il faut prendre en compte le parcours de vie, fait de travaux physiques, de conditions de vie difficiles et de familles éclatées. Chaque territoire et chaque origine géographique produit des modes de vieillissement différents, dans lesquels les questions de communauté, de précarité et les différences entre les sexes se manifestent de manière singulière. Dans cette perspective, l'étude met en avant quatre points particuliers : quelles sont les attentes de personnes immigrées vieillissantes ? Comment définir un espace rassurant pour le vieillissement de ces personnes ? Quelle est leur position concernant l'accès au soin en général et l'aide à domicile en particulier ?

    11

  • 2 METHODOLOGIE

    2.1. Une étude qualitativeLe parti pris de cette étude est de proposer une démarche qualitative. Il s'agit d'aller « sur le terrain » (ici les territoires définis au départ) afin de rencontrer des familles fondées par des immigrés et concernées par le vieillissement. Le but de cette démarche est de décrire et analyser les groupes humains et de reconstituer aussi fidèlement que possible divers aspects de la vie de chacun d'eux. Le temps limité consacré à cette étude ne permet pas de parler de recherche ethnographique : nous avons eu recours aux moyens les plus rapides pour entrer en contact avec les familles.

    S. Beaud et F. Weber, sociologues, présentent la méthode ethnographique à partir de l'exemple célèbre de Merleau-Ponty :

    « Le panthéon, dit-il, n'est rien d'autre que la somme des points de vue que l'on peut prendre sur lui. Il n'y a pas de perception possible sans point de vue. On peut dire la même chose, bien sûr, de l'observation. On ne peut espérer prendre un point de vue totalisateur, on peut seulement tenter de totaliser différents points de vue »13.

    Il s'agit donc de saisir la perception que les individus ont de leur environnement. Cette étude n'a pas vocation à être représentative : les familles rencontrées sont des cas singuliers dont la présence dans l'étude témoigne de la visibilité. Néanmoins ces familles ont accepté de parler parfois plusieurs heures et à plusieurs reprises de l'ordinaire de leur vie quotidienne à l'extraordinaire de leur trajectoire migratoire. Elles laissent ainsi voir des perceptions subjectives mais qui participent à la définition de la situation. En restituant les propos et les expériences de ces familles, nous identifions une partie du puzzle que constitue la population immigrée en Limousin et que nous allons chercher à expliquer à et à comprendre.

    Le chemin qui nous a conduit à eux constitue en lui-même un élément à analyser. Il est intéressant de constater que les moyens d'entrer en contact avec les familles ont varié en fonction des territoires, comme nous le verrons par la suite.

    13 Beaud, S. Weber, F. (2003). Guide de l’enquête de terrain. Produire et analyser des données ethnographiques. Paris : La Découverte, coll. Guides Repères, p. 301

    12

  • 2.2. Présentation de l'enquête de terrain

    En 1989, le sociologue F. Dubet écrivait qu'il fallait prendre en compte une

    « Double lecture de la situation et du processus migratoire, à savoir le point de vue des immigrés et le point de vue de la société française »14.

    La situation est compréhensible à partir de cette « double lecture ». Ainsi, en prenant appui sur le rapport 2008 OSLIM-ORS et le point de vue de la société française, nous allons chercher à connaître le point de vue des immigrés. Cela justifie notre méthodologie dont l'objectif est de rencontrer des familles ou des individus de + de 55 ans ou + de 60 ans pour des entretiens ouverts sur le vieillissement.

    On peut dire que l'ORS a travaillé sur la situation « réelle » et que l'on veut en savoir plus sur la situation « vécue », partant du principe qu'il y a peut-être un hiatus. Comment ces personnes analysent le monde social ? Quels critères les différencient dans cette approche (résidence, rural/urbain, sexe, nationalité d'origine, religion, taille de la famille) ? Comment faire exister ces personnes dans l'environnement social ?

    Pour répondre à ces questions, nous avons suivi plusieurs étapes : – réalisation d'un état de la question,– rencontre de personnes ressources par communauté, – Identification de personnes ressources spécifiques sur chaque territoire (associations, élus,

    travailleurs sociaux, animateurs ou médiateurs de quartier),– entretiens avec les personnes ressources et identification de familles à rencontrer,– entretiens semi-directifs avec la deuxième génération, avec les personnes âgées ou avec la

    famille.

    Cette méthodologie s'inspire de la démarche ethnographique classique. Le parti pris de l'étude était de se situer au plus près des personnes afin d'avoir des éléments pour décrire et analyser le vieillissement au travers de divers aspects de leur vie. Cependant, cela ne va pas de soi dans le cas des immigrées vieillissants en Limousin. Nous avons choisi de rencontrer les familles élargies et non simplement les individus eux-mêmes car réaliser des entretiens avec des personnes immigrés qui ne maîtrisent pas le français devrait passer par des interprètes (sans compter que la langue d'origine ne permet pas toujours d'exprimer ce qui concerne les institutions, les émotions ou certains contextes). L'intérêt de la démarche ethnographique est de permettre par une longue négociation d'accès au terrain l'identification des personnes ressources puis rencontrer des familles et/ou des personnes âgées. La difficulté à trouver le bon interlocuteur sur le terrain est-elle liée à une difficulté globale à appréhender les populations concernées ?

    Le guide réalisé pour les entretiens avait pour ambition de ne pas parler à la place des individus, en évitant par exemple d'employer les termes de dépendance, d'aide ou de maintien à domicile. Ainsi les enquêtés pouvaient raconter le vieillissement avec leurs termes, nous permettant d'analyser les mots employés et le recours, ou non, aux catégories existantes pour penser ces processus. L'objectif est de saisir leur définition de la situation avec dans un premier temps une discussion à bâton rompu puis une réunion des interlocuteurs pour débattre/discuter plus formellement, et enregistrer.

    14 Dubet, F. (1989). Immigration : qu'en savons nous ? Paris : La Documentation Française.

    13

  • Pour présenter l'étude aux enquêtés, nous avons fait référence à l'étude OSLIM-ORS 2008 afin de préciser notre demande en terme de données qualitatives. Nous avons présenté les territoires concernés afin de mettre en confiance les personnes en montrant notre volonté d'explorer largement les populations immigrés sur l'ensemble du Limousin et non une origine géographique et un territoire en particulier. Enfin nous avons insisté sur la parole et le vécu que nous souhaitions recueillir à partir d'entretiens en face à face, de manière individuelle ou collective.

    Les questions de l'étude ont servi de guide pour les entretiens, décomposé en plusieurs étapes : – la biographie (projet migratoire, lieu de naissance, position sociale, parents, scolarité,

    qualification, profession, la décision d'émigrer : comment ? Le choix du pays, le regroupement familial).

    – La famille : les enfants, leurs parcours, leurs projets, les relations familiales, le rôle de la famille : comment vivent les familles ?

    – la participation à la vie sociale (les compatriotes, les voisins, les lieux, les autres personnes).

    – L'habitat.– Le rapport avec le pays d'origine ?– le quotidien : manger, se déplacer, voir du monde, s'habiller. Les loisirs, le club du 3ème

    âge. Quels rapports ? Quel sentiment ?– Quel accompagnement aujourd'hui ? Demain ? L'aide à domicile (Sentiment à l'égard du

    maintien et de l'aide à domicile).– Le territoire : plus facile qu'ailleurs ? Plus difficile ?– Les associations : elles organisent quoi ? Un rapport avec le vieillissement ? (fonds

    funéraire, enterrement ?)

    14

  • 2.3. Les difficultés d'accès au terrainChaque territoire a été investi de manière différente car les contextes ne sont pas comparables. Entre un milieu rural et un milieu urbain, une communauté visible et une autre invisible, nous avons dû adapter la méthode. Parfois, la question du sexe du chargé d'étude a posé problème au regard du sexe des personnes rencontrées.

    Les travaux de l'INSEE montrent que les immigrés sont inégalement répartis sur le territoire. Ils se concentrent sur les aires urbaines en Haute-Vienne alors qu'on trouve de nombreux immigrés en zone rurale en Creuse ou en Corrèze. La proportion d'immigrés de plus de 55 ans en Creuse et en Corrèze est nettement plus importante qu'en Haute-Vienne. Les immigrés de ces départements sont plus âgés que ceux de la Haute-Vienne. Concernant les origines géographiques, les immigrés du Sud-Est asiatique représentent une très petite part des immigrés du Limousin (1011 personnes dont 306 âgées de plus de 55 ans). En Corrèze, les immigrés nés au Maroc sont plus nombreux et concentrés sur le territoire de Brive. Cette répartition a influencé le déroulement des négociations d'accès au terrain :

    – Les immigrés turcs de Bourganeuf : rencontre préparatoire avec un élu municipal et départemental de parents turcs et une professionnelle de l'action sociale ayant produit un mémoire sur les Turcs en Limousin, puis rendez-vous avec des représentants de la communauté turque de Bourganeuf (association et conseiller municipal).

    – Les immigrés asiatiques de Limoges : rencontre avec un travailleur social en contact depuis de nombreuses années avec la population concernée et prise de contact avec les médiatrices de la ville de Limoges et l'élu en charge de la politique de la ville.

    – Les immigrés marocains de Brive : rencontre avec des travailleurs sociaux du département et dans le quartier de Tujac puis avec une personne ressource du quartier, présidente d'une association de soutien aux immigrés.

    Ces démarches nous ont conduits à réaliser des entretiens individuels et collectifs, fruits d'un travail nécessitant d'identifier les interlocuteurs les plus pertinents. De nombreuses fausses routes ont émaillé ce chemin qui nous a mené aux familles ou aux travailleurs sociaux. Certains professionnels ont montré un intérêt utile pour l'étude alors que d'autres n'ont pas été aidant.

    Le contexte social et politique de l'époque a aussi compliqué la tâche : la période de l'étude a notamment été marquée par un tract xénophobe diffusé à Bourganeuf au printemps (concomitant avec la visite du Ministre de l'Intérieur M. Guéant en Creuse) et les élections présidentielles puis législative en mai-juin15. Les personnes ressources étant souvent des personnes engagées, elles n'ont pas été faciles à mobiliser à cette période. De plus, sur chaque territoire, les associations d'immigrés n'ont pas les mêmes places et les mêmes statuts. Ces associations ont été utiles à Bourganeuf où la communauté semble regroupée autour d'une organisation collective. Ce sont les enfants qui bien souvent ont créé les associations communautaires, qui font partie de ceux qui servent de relais entre les immigrés et les institutions. Elles représentent aussi un espace « surveillé », une forme de contrôle du respect des traditions et des normes du groupe (local).

    En revanche, à Limoges et à Brive les associations sont nettement moins représentatives. Dans ces deux villes, la porte d'entrée vers les familles a donc été le travail social16. Evidemment, passer par

    15 Par exemple, le résultat des élections présidentielles à Bourganeuf est marqué par un débat sur l'immigration : à Bourganeuf, entre 2007 et 2012, le FN passe de 9,36% à 16,47%, soit de 138 à 222 voix, progressant ainsi de 84 voix, soit + 60% ! Ces résultats correspondant à ceux du département (de 8,68 à 16,27%) et de la Région (8,24 à 15,23%).

    16 D'un point de vue du contexte, le mois de juillet a été un couperet net dans les démarches de terrain, les familles

    15

  • les travailleurs sociaux conduit à des familles qui rencontrent des difficultés sur le plan social, professionnel et économique. Cependant, dans la perspective de réaliser des portraits d'immigrés vieillissants ou confrontés au vieillissement, le fait de disposer d'éclairages différents sur les situations peut être analysé. La méthode du portrait consiste à prendre aussi en compte le contexte social et pas uniquement l'entretien et son contenu. Il ne s'agit pas de restituer uniquement la parole mais aussi d'interpréter des observations, des lectures et des propos en réalisant une description « située » dans des territoires singuliers. En outre, les différents lieux enquêtés sont si variés qu'ils permettront simplement par leur mise en perspective de poser des questions sur les facteurs qui modifient les situations et donc les questions à se poser dans différentes situations, pour les professionnels et les institutions.

    n'étant souvent plus réunis.

    16

  • 17

    CORREZE12308 immigrés (5% de la population totale)Immigrés de 55 ans ou plus : 4996(40% des immigrés du département)

    Immigrés nés au Maroc : 1543+ de 55 ans : 473 (dont 278 hommes et 195 femmes)

    BRIVE LA GAILLARDE4064 immigrés (8,2% de la population)Immigrés de 55 ans ou plus : 1624

    Terrain : quartier de Tujac

    Contacts : Centre Social Jacques CartierCentre Médico-Social Départemental deTujacCentre Local d'Information et de CoordinationAssociation AMIS

    Entretiens :- Ali, retraité marocain de 62 ans (Aïcha, sa femme)- Fatima, femme de 56 ans (active)- Ahmed, homme de 50 ans, actf (son père : Mohamed)- Mustafa, retraité algérien de 68 ans (Alia, sa femme)

    CREUSE5238 immigrés (4,2% de la population totale)Immigrés de 55 ans ou plus : 2270 (43% des immigrés du département)

    Immigrés nés en Turquie : 443+ de 55 ans : 58 (dont 34 hommes et 24 femmes)(13,1% des immigrés turcs du département)

    BOURGANEUFContacts : Association polyculturelle des Turcs de BourganeufConseiller municipalAncienne CPE du Lycée ProfessionnelPrésidente de l'association des parents d'élèves turcs

    Entretiens :- Haci, homme de 45 ans (Okan, son père)- Ece, femme de Haci- Hatice, femme de 40 ans (Levent son père)- Salim, homme de 45 ans

    Une répartition géographique inégale sur le territoire : 49% des immigrés vivent en Haute-Vienne, 40% en Corrèze et 11% en Creuse

    HAUTE-VIENNE22 732 immigrés (6% de la population totale)Immigrés de 55 ans ou plus : 6 417(28% des immigrés du département)

    LIMOGES13275 immigrés (9,5% de la population de la ville)Immigrés de 55 ans ou plus : 2729

    Immigrés nés au Vietnam ou au Cambodge :Limousin : 1011+ de 55 ans : 306 (dont 126 hommes et 180 femmes)

    Terrain : quartiers de La Bastide et de Beaubreuil

    Contacts : Médiateurs de quartier, commerçante

    Entretiens :- Seila, femme née au Cambodge, 53 ans (vit avec sa mère de 82 ans)- Vutah, femme cambodgienne de 42 ans (mère décédée récemment)- Koliane, femme retraitée laosienne de 61 ans

    Schéma récapitulatif de l'enquête de terrain

    Les trois départements du Limousin sont représentés au travers de territoires urbains et ruraux. La place des immigrés sur ces territoires n'est pas égale du point de vue des origines géographiques des individus et par rapport à la proportion d'immigrés sur ces territoires.

  • 3 D'UN TERRITOIRE À L'AUTRE : PAROLES D'IMMIGRÉS

    Comme ailleurs, l'histoire de l'immigration en Limousin est d'abord une histoire ouvrière. Les hommes sont venus seuls pour travailler et ils sont restés plus nombreux que les femmes, même après le regroupement familial. Leur présence sur le territoire se dessine en fonction du marché du travail ouvrier. Les travaux sur les immigrés vieillissants en Limousin s'accordent sur l'inégale répartition de cette population dans la région. Par exemple, les turcs sont très visibles en Creuse où les immigrés sont relativement faiblement représentés. L'Atlas 2004 signale que « Les immigrés sont plus nombreux à Limoges mais leur proportion est plus importante à Brive ». Par ailleurs, C'est dans les pays européens d'immigration la plus ancienne que l'on trouve la proportion la plus importantes de personnes âgées de plus de 55 ans (Italie, Portugal, Espagne : 4632 personnes) : plus de 50%. Les immigrés nés au Vietnam et au Cambodge âgés de plus de 55 ans (306 personnes) représentent 30,3% des immigrés de ces pays. Enfin concernant le Maghreb (Maroc, Tunisie, Algérie : 2141 personnes), les immigrés de plus de 55 ans représentent 27,5% des immigrés nés dans ce pays.

    Globalement, selon les données RP INSEE 2009, la population totale serait de 3591 immigrés de plus de 55 ans nés dans un pays hors Europe. Cette population est en proportion plus jeune que l'ensemble des immigrés de la région, mais c'est surtout une population hétéroclite. En effet, les caractéristiques du territoire (physiques, géographiques, linguistiques et culturelles17) déterminent la capacité d'adaptation des immigrés avec leur « nouveau milieu de vie ». Quel est leur « sentiment » à l'égard de la société française, ou limousine ? Quelle est leur « visibilité sociale » ? On sait que ce sentiment est grandement lié à l'histoire personnelle davantage qu'à des questions culturelles et que

    17 Par exemple ; à Bourganeuf, les turcs représentent une communauté qui a peu d'échanges, même économiques, avec les autochtones. Ce qui est intéressant, c'est qu'on y voit peu de personnes âgées turques. Ces personnes âgées ne sont pas vraiment visibles au sens de la visibilité sociale.

    18

    À Brive, les immigrés nés à Casablanca (Maroc)

    À Limoges, les immigrés nés en Asie du Sud-Est

    À Bourganeuf, les immigrés nés en Turquie

  • trois territoires sont en réalité à prendre en compte : ici, là-bas, ailleurs.

    C'est pourquoi le choix des communautés enquêtés a été sans cesse questionné suite aux premières démarches sur le terrain :

    – les turcs à Bourganeuf ne sont-ils pas un cas trop singulier ? Leur place dans l'histoire migratoire locale, leurs origines, leur religion et leurs traditions, leur proportion dans un secteur rural... tout cela conditionne leur manière de traiter le vieillissement.

    – Les asiatiques à Limoges. De qui s'agit-il ? Pourquoi cette origine, marginale dans l'immigration limousine ?

    – Les marocains à Brive. Ce pays d'origine fait partie de l'image d'Epinal de l'immigré en France. Qui sont ceux qui se sont installés à Brive ?

    Globalement, on peut dire que Bourganeuf et Limoges vont être représentés par des populations marginales (au sens où elles n'ont pas l'importance quantitative des immigrés du Maroc à Brive). Méthodologiquement, on peut dire que l'objet de l'étude justifie ce choix, qui évite une simplification en induisant de fait de la complexité, notamment par la diversité.

    19

  • 3.1. Les immigrés originaires d'Asie du Sud-Est à Limoges

    La population ciblée à Limoges est celle des immigrés issus de l'Asie du sud-est. Comme dans le cas de l'enquête OSLIM-ORS de 2008. Sans l'entremise d'un ancien travailleur social du quartier de Beaubreuil auprès de cette population, il s'est avéré difficile d'aller sur le terrain18. A Limoges les immigrés issus de l'Asie du Sud-Est représentent une communauté relativement invisible. Le travailleur social contacté au départ nous a alerté sur la difficulté d'approcher les familles sans réaliser au préalable un long travail d'acculturation.

    Les données recueillies auprès de trois femmes asiatiques sont nettement moins riches que celle recueillies dans les autres territoires. Nous les présentons néanmoins car elles témoignent de la singularité d'une population confrontée au problème du vieillissement sur une terre étrangère. Pour avoir accès aux individus concrets, nous avons eu besoin de personnes ressources institutionnelles. Le réseau en question est celui de la ville de Limoges via ses médiatrices de quartier et l'élu en charge de la politique de la ville. A La Bastide et à Beaubreuil, les médiatrices de quartier de la ville de Limoges ont eu des difficultés à « motiver » des familles pour un entretien, car les personnes contactées sont réticentes à parler à des personnes non connues et mal identifiées que représentent les chargés d'étude, et dans une démarche de recherche.

    18 Le relais constitué par ce travailleur social, qui connaît parfaitement ces familles, a permis une première rencontre fructueuse en terme d'échanges car un contact a été établi avec une jeune femme originaire du Vietnam. Cependant, elle n'a pas souhaité prendre nos coordonnées mais a proposé de contacter cette personne pour donner suite à notre demande, ce qu'elle n'a pas fait.

    20

    HAUTE-VIENNE22 732 immigrés (6% de la population totale)Immigrés de 55 ans ou plus : 6 417(28% des immigrés du département)

    LIMOGES13275 immigrés (9,5% de la population de la ville)Immigrés de 55 ans ou plus : 2729

    Immigrés nés au Vietnam ou au Cambodge :Limousin : 1011+ de 55 ans : 306 (dont 126 hommes et 180 femmes)

    Terrain : quartiers de La Bastide et de Beaubreuil

    Contacts : Médiateurs de quartier, commerçante

    Entretiens :- Seila, femme née au Cambodge, 53 ans (vit avec sa mère de 82 ans)- Vutah, femme cambodgienne de 42 ans (mère décédée récemment)- Koliane, femme retraitée laosienne de 61 ans

  • Entretiens collectifs avec les médiatricesDes entretiens ont été organisés à Beaubreuil, dans le bureau de la médiatrice, sous forme collective afin de rassurer les personnes présentes avec la présence des personnes ressources en plus du chargé d'étude19.

    Le premier rendez-vous a eu lieu avec Vutah, Cambodgienne de 42 ans, arrivée en France à l'âge de 13 ans. La situation de l'entretien la rend très tendue. La langue est un problème alors qu'elle parle très bien français : elle pense différemment et elle n'est pas facile à suivre (difficile de savoir si elle a terminé sa phrase, si elle plaisante ou si elle est sérieuse). Elle s'adresse beaucoup plus aux médiatrices qu'au chargé d'étude. Heureusement, les médiatrices sont très efficaces et posent les bonnes questions, avec ce qu'il faut d'affect et de fermeté. Vutah cherche en permanence à se défausser, expliquant qu'elle ne sait pas, qu'elle n'est pas concernée. Pourtant sa mère est décédée quelques mois auparavant. On peut donc penser qu'elle sait, mais qu'il n'est pas facile d'aborder le sujet. L'entretien dure une heure et elle se détend un peu. Les anecdotes qu'elle dévoile sont très parlantes20, comme nous le verrons par la suite.

    Le second rendez-vous a lieu avec une dame plus âgées (61 ans) : Koliane (son mari est vietnamien et ils occupent une place importante dans la communauté21). Elle arrive dans ce que je qualifie d' « habits du dimanche », mettant en évidence la façade que laissent volontairement les personnes interviewés dans la démarche ethnographique.Elle semble contente et prête pour un interrogatoire. Ses réponses sont précises mais pas développées. Elle se prête au jeu avec plaisir, n'élude pas de question, renvoyant ainsi une image idéale d'une famille qui a réussi en respectant le territoire et ses règles.

    Entretien dans une famille cambodgienneUn entretien a été réalisé avec Seila22 à son domicile. Il s'est déroulé sur deux jours, marquant en fait trois temps différents : un premier moment « donnant-donnant », un second moment consacré à la biographie puis un dernier moment centré sur les préoccupations.

    Dans un premier temps, lors de la négociation de l'entretien, nous nous sommes retrouvés sur son lieu de travail. Elle tient un commerce dans la ville de Limoges. Rapidement, elle oriente la discussion sur la pagode et la nécessité d'une intervention des pouvoirs publics dans ce domaine. On sent lors de ce premier entretien une ambiance de donnant-donnant : Seila accepte l'entretien mais elle semble attendre de l'aide pour cette pagode en retour. Contactée au départ en tant que personne ressource, elle est devenue un sujet pour l'étude au travers ses préoccupations actuelles.

    Lors du deuxième rendez-vous, au domicile, elle ne cesse pas non plus son activité le temps de l'entretien. Il est 11h du matin et elle prépare le repas. La maison individuelle est située à l'Est de Limoges, plus près du centre-ville que de Beaubreuil ou La Bastide, dans un quartier résidentiel

    19 Les entretiens ont été éprouvants car il faut aller chercher les informations. Impossible d'enregistrer (la première personne se bloque et la seconde n'est pas en confiance).

    20 A noter aussi que, de nouveau, le travail social contacté au début de l'étude est présenté comme l'interlocuteur qui peut permettre de rencontrer d'autres personnes.

    21 Elle parle aussi régulièrement du travailleur social du quartier. Il est un repère pour les gens venus d'Asie.22 Nous avons appris lors de la première rencontre que Seila elle était la commerçante sollicitée pour l'étude OSLIM-

    ORS il y a quelques années. Elle avait joué les entremetteuses et l'interprète.

    21

  • dans lequel vivent peu d'immigrés asiatiques. L'entretien a lieu à la table de la cuisine pendant qu'elle prépare un plat. En face dans une pièce ce trouve sa maman, visiblement âgée et peu alerte. Elle a été victime d'un AVC il y a cinq mois, obligeant Seila et sa famille a réorganiser leurs activités. Comme Seila travaille le matin, c'est son fils ou sa fille qui s'occupent de sa maman avant qu'elle n'arrive pour l'après-midi.

    Que disent les familles asiatiques rencontrées ?Les personnes rencontrées ont été sensibles au sens de cette étude et à l'intérêt de l'entretien pour les chargés d'études. Néanmoins il n'a pas été possible d'aller dans les familles discuter avec des personnes et voir leur domicile, si elles cuisinent, comment elles vivent. Le temps consacré à ce terrain nécessiterait une longue acculturation qui n'a pas été envisageable et qui explique la référence systématique faite par les enquêtés concernant un travailleur social en particulier (seul digne de confiance).

    Dans la restitution des éléments importants de ces entretiens ont été mis en commun les données partagées par les interlocutrices et ont été spécifiées les données plus individuelles. Par définition, l'installation et les conditions de vie des asiatiques (cambodgiens et vietnamiens) ne sont pas marquées par le mythe du retour23.

    Les femmes rencontrées se racontent comme des femmes indépendantes et hyperadaptées. Le contexte de l'immigration est particulier : les parents sont arrivés avec les enfants de différentes manières en fonction des pays et des périodes. Cela créée de fortes disparités dans les modes de vie et les sociabilités dans la communauté. Le logement de départ a souvent été collectif avant d'être un HLM voire une maison individuelle dont certains sont propriétaires, dans le quartier périphérique ou plus près du centre-ville.

    Les personnes âgées ont pour certaines aujourd'hui plus de 80 ans et les femmes de la deuxième génération approchent de la retraite24. La mauvaise santé de certains peut être liée aux conditions de vie dans le pays d'origine. Ceci dit, les dames rencontrées semblent en bonne santé.

    Les origines sociales des immigrés d'Asie du Sud-Est sont plus diverses que dans d'autres immigrations. Les emplois occupés ne se limitent pas au secteur de la production et on trouve une grande diversité de travaux et de carrières : du couple ouvrier/employé modèle décrit par Koliane à la précarité décrite par Vutah en passant par l'ascension sociale décrite par Seila. La restauration et le commerce sont des secteurs d'activité importants pour les vietnamiens ou les cambodgiens, même si certains ont aussi été employés dans l'industrie (équipement automobile, imprimeries...). Quoi qu'il en soit, les conditions de vie sont vécues comme meilleures en France, même si on est pauvre, car il existe le RSA et la couverture maladie.

    La question de l'argent a été maintes fois introduite au cours des entretiens par les interviewées pour décrire les rapports sociaux dans la communauté. En revanche, elle n'a pas été abordée individuellement. On peut dire que les conditions de vie des deux femmes de plus de 50 ans sont relativement bonnes.L'argent est une question importante, qui revient régulièrement. La réussite et la jalousie aussi. Pourtant les personnes rencontrées ne se livrent pas facilement et contrôlent leurs propos, ne laissant que rarement la porte ouverte à des aspects intimes ou personnels. Seila était « aux

    23 Administrativement, ils sont des réfugiés politiques (convention de Genève) ce qui induit de fait une installation définitive dans le pays d'accueil.

    24 Selon Seila il y aurait environ 300 Cambodgiens à Limoges et moins de 80 personnes âgées.

    22

  • fourneaux » lors du premier entretien et assise face à moi lors du second entretien. Lors de ce second entretien (Seila), la « façade » est un peu tombée au bénéfice d'un récit de vie plus personnel et moins descriptif25.

    Les familles arrivées à Limoges ont été touchées par les conditions de vie dans le pays d'origine et un départ souvent traumatisant. Le pays d'accueil représente ainsi un refuge à partir duquel la vie a pu reprendre son cours. Il s'est alors agi de s'habituer à la vie ici pour s'adapter à la société.

    La mère de Seila a été victime d'un AVC quelques mois avant l'entretien. A la sortie de l’hôpital, elle a été « à 100% » (prise en charge à 100% par la CPAM pour cause de maladie invalidante de longue durée), une demande a été faite au Conseil Générale de la Haute-Vienne pour une aide au quotidien. Une infirmière vient deux fois par jour et un kiné une à trois fois par semaine (pas toujours très disponible) pour la faire marcher. Très volontaire, sa mère a beaucoup progressé en quelques semaines. Cependant il reste beaucoup de gestes qu'elle ne peut pas réaliser seule, comme téléphoner par exemple. Ce récit renvoie à une situation ordinaire de la vie d'une personne âgée, avec notamment le recours aux institutions sociales et de soins locales. Les interlocutrices ont montré au cours des entretiens qu'elles connaissent les différentes aides et les institutions comme le Conseil général, l'APA, l'assistante sociale de la MSD.

    Pour Seila, la vie se partage entre le travail, la famille et les amis. Avant l'AVC de sa maman, la vie était bien plus simple puisque sa maman se chargeait de nombreuses petites tâches, se maintenant en forme et aidant la famille : aller chercher le pain, préparer des repas, s'occuper de la maison... Elle s'occupait seule et se déplaçait seule aussi. Elle appelait ses « copines » qui pour la plupart sont à Beaubreuil (elle les a connues dans le cadre des activités associatives et religieuses comme le nouvel an Khmer).

    Une différence de genre Globalement les entretiens ont mis en évidence des différences fortes entre hommes et femmes. Selon ces interlocutrices, les hommes ne restent pas à la maison comme le font les femmes. Ils sortent, vont au café, jouent au tiercé ou aux cartes ou au loto, fument des cigarettes dehors, etc. Les femmes s'occupent de la maison ou de l'appartement, des tâches ménagères. La sociabilité est évidemment bien différente.

    Dehors, les hommes font des jeux avec des cartes chinoises, avec les vietnamiens ou d'autres immigrés, se réunissent dehors pour s'occuper, autour de pratiques sociales parfois déviantes (ventes en dehors des magasins ou des marchés).

    Pour Koliane, l'emploi du temps d'une femme est consacré au travail et aux enfants, ce qui laisse peu de temps pour les amis. De plus, cela « ne se fait pas » de nouer des liens d'amitiés pour une femme :

    « le rôle des femmes c'est de rester chez nous ».

    Elle reconnaît néanmoins que par le travail

    25 Lors du deuxième entretien, de nouveau dans la cuisine, la fin de la conversation prend une tournure étrange : alors qu'il s'agissait de la remercier de son accueil, de son aide et de lui demander conseil pour la suite, elle commence à raconter l'histoire de son arrivée en France, histoire longue et douloureuse.

    23

  • « je connais un peu les français ».

    Ainsi le week-end est consacré aux amis ou la famille, parfois aux fêtes de quartier. Les vacances étaient organisées autour des séjours proposés par l'entreprise du mari. Une partie importante du temps hors travail a été consacré aux enfants.

    Les enfants sont un marqueur de la réussite sociale (par exemple on trouve chez Seila un diplôme encadré dans le couloir de l'entrée) mais leur formation réussie les conduit à ne pas rester toujours dans la région. Ils veillent tout de même sur la santé de leurs parents. Koliane dit que :

    « ma fille me reproche de ne pas assez sortir ».

    Ils contribuent aussi au quotidien aux tâches liées au vieillissement. Ils aident pour « les papiers » ou la relation avec les services sociaux.

    De leur côté, les personnes âgées ont joué leur rôle de grand-parent actif autant que possible : préparer les repas, emmener et aller chercher à l'école, même si la langue a toujours posé problème.

    Aujourd'hui la deuxième génération et leurs enfants peuvent s'organiser ensemble (comme chez Seila) pour assurer le bien être d'une personne âgée de la famille. Pour tous, ce bien être passe notamment par la construction d'une pagode à Limoges26. Cette préoccupation est apparue dans chaque entretien, sans que la religion soit omniprésente. La Fête des morts (Toussaint) et le Nouvel An (avril) sont des moments importants. Il y a un attachement des plus âgés au bouddhisme. La religion est le Bouddhisme, mais sous différentes formes. Koliane parle de « tradition du bouddhisme ». Pour Seila, il faut que les personnes âgées (Seila les appelle les « mamies ») puissent aider aujourd'hui à la construction car elles savent ce qu'il faut faire et pourront ainsi le transmettre à ceux de la deuxième génération afin qu'ils puissent ensuite le transmettre à leurs enfants. A ce jour, il n'existe par d'endroit adapté pour la prière collective, si ce n'est un appartement loué par une association mais dans lequel une dizaine de personnes peuvent se réunir seulement.

    La communautéIl existe des associations depuis plus de 30 ans (renouvellement actuellement) mais les jeunes ne s'impliqueraient pas dans les associations. La communauté est néanmoins solidaire quand, par exemple, l'assistante sociale de la MSD a besoin d'un traducteur (elle doit néanmoins le rémunérer quand c'est nécessaire (problème grave)).

    A Limoges, le quartier de Beaubreuil est vécu comme « pas bien » mais le quitter pose des problèmes financiers.

    Selon Koliane, le quartier « se dégrade un peu », il est plus sale (« les gens laissent [les pouvoirs publics] faire »).

    Au début, il y a de nombreuses années, Koliane allait régulièrement en ville mais y va maintenant peu. Cependant elle a peur de sortir dans le quartier : peur des agressions (elle fait attention à sa tenue ou aux affaires qu'elle prend quand elle sort pour aller faire des courses par exemple). Cela conduit à faire positivement référence au pays d'origine :

    26 Depuis 1986 la Pagode Tong Lam Linh Son existe à Châteauponsac.

    24

  • « Là-bas la porte est toujours ouverte. Ici on se méfie ».

    Seila, elle, n'a jamais voulu aller vivre à Beaubreuil. Elle est en contact avec les Cambodgiens mais elle n'apprécie pas les rapports faits de commérages et de petites histoires dont elle veut rester éloignée. Elle a invité les gens pour la pendaison de crémaillère afin qu'ils voient sa réussite, celle d'une femme seule qui a élevé quatre enfants qui ont fait des études et travaillent aujourd'hui (dans la région).

    Un des éléments fédérateurs des immigrés originaires de chaque pays du Sud-Est asiatique est le décès d'un des leurs. Lorsqu'un décès se produit, les membres de la communauté se présentent au domicile et participent financièrement pour contribuer à payer les frais liés aux repas et à l'accueil des familles pendant une semaine consacrée à la prière. Les associations n'ont pas de rôle à jouer ici. Les interlocutrices ont fait état de beaucoup de décès récents de mères immigrées d'Asie du Sud-Est. C'est le cas de la mère de Vutah. Son corps n'a pas été transféré dans le pays d'origine :

    « ma mère je ne vais pas la ramener ».

    Il est important de ne pas finir ses jours loin de sa famille. Seila compte ainsi sur ces enfants et estime qu'ils sont restés à proximité par choix, pour venir en aide la cas échéant.

    Le pays d'origine est décrit de manière diverse en fonction du pays concerné, des conditions du départ et du rapport entretenu au fil des ans.

    Pour Seila il s'agit de : « Mon pays ». Seila est allée une fois dans « son » pays avec des amis, mais cela revient cher car il faut apporter de l'argent aux membres de la famille (famille de sa mère) restés au pays (elle compte 6000 euros pour le voyage).

    Koliane, elle, oppose deux territoires, entre « chez nous » (Limoges) et « là-bas » (Vietnam et Cambodge). Elle souhaite profiter de sa retraite en voyageant, mais pas uniquement « là-bas ».

    Le voyage pour rentrer « au pays » est compliqué. Il s'étale souvent sur une période de deux à trois mois, voire six mois parfois car le séjour n'est pas onéreux et sa longue durée est une manière de « rentabiliser » le voyage. Selon Vutah, il y a la possibilité de faire du commerce là-bas (vision très naïve car la réalité est plus complexe), mais le départ n'est jamais définitif.

    Les conditions des entretiens réalisés à Limoges sont symptomatiques d'une communauté difficile à pénétrer et donc les membres ont un rapport avec les institutions sociales et sanitaires à la fois distanciées, respectueuses et basées sur l'idée d'échange. Seila illustre cette difficulté en étant à la fois dans cette étude alors qu'elle est la commerçante sollicitée pour l'étude OSLIM-ORS 2008 il y a quelques années. Elle avait joué les entremetteuses et l'interprète.

    Alors que les médiatrices ont eu des difficultés à mobiliser deux familles (deux femmes), les assistantes sociales de Brive ont réussi à lister plus d'une dizaine de familles prêtes à me recevoir. Ce contraste est saisissant.

    25

  • 3.2. Les immigrés originaire du Maghreb à Brive-la-GaillardeL'entrée sur ce terrain à Brive n'a pas été évidente car la communauté marocaine manque de relais pertinent en terme de représentation. Selon les interlocuteurs rencontrés à Brive, dans le cas des Marocains, on ne peut pas parler de communauté car il n'y a pas d'action commune concertée27. Les familles vivent à côté les unes des autres, elles ont des activités communes mais elles ne se regroupent pas pour ces activités. On ne retrouve pas l'organisation des turcs de Bourganeuf, par exemple. D'ailleurs, l'association des musulmans de Brive ne semble pas être un interlocuteur pertinent car il ne représente que certaines personnes, avec des positions qui leurs appartiennent. Une personne immigrée retraitée peut être marocaine et musulmane, pratiquante sans éprouver le besoin de partager cela avec d'autres personnes, en dehors de la mosquée, dans une association cultuelle ou culturelle.

    La quartier de Tujac (à l'ouest de la ville) est en rénovation, comme celui des Chapélies (à l'est de la ville). L'arrivée dans le quartier ne fait pas le même effet que l'entrée dans Beaubreuil ou à la ZUP de l'Aurence à Limoges. Le quartier est excentré mais plus ouvert et plus étalé en longueur qu'en hauteur. Près du centre commercial se trouvent une pharmacie, une supérette, un bureau de poste et des cafés. C'est plutôt paisible. Plusieurs lieux ont été enquêtées :

    – le travail social en direction des personnes âgées : le CCAS compte parmi ses services quatre foyers-logements et les services de gérontologie qui orientent notamment sur les aides légales et les établissements gérontologiques. Le CCAS de Brive est une grosse structure (plus de 140 salariés), où une part importante du travail est fait en direction des personnes âgées. Il existe un pôle gérontologie qui s'occupe notamment de familles d'origine étrangère, sur les quartiers de Tujac et des Chapélies. Dans leurs suivis, les salariés ont des populations vieillissantes maghrébines. Cependant, à Brive, les personnes âgées immigrées ne sautent pas aux yeux et ne courent pas les rue. Ainsi, lors d'un entretien, spontanément, une assistante sociale déclare : « je pensais qu'ils étaient rentrés au pays ». Une assistante sociale au CLIC (Centre Local d'Information et de Coordination) de Brive m'explique qu'elle n'a pas de contact avec des immigrés âgés, car, selon elle, les personnes âgées immigrées ne font pas appel aux services sociaux, préférant « se débrouiller entre eux ». Elle a connu quelques cas. Le dernier cas a été celui d'un Tunisien qui avait « perdu son allpa ». Elle l'a donc aidé à faire valoir ses droits à l'Allocation personnalisée d'autonomie (Apa), puis il est reparti en Tunisie et elle ne l'a pas revu. En terme de suivi, elle n'a pas de relation avec des immigrés. Il s'agit d'un travail très ponctuel lorsque les familles font appel à elle dans des situations souvent graves, ce que confirme une infirmière du service. Ceci dit, l'absence de personne âgée immigrée, par exemple dans le cadre du maintien à domicile, ne signifie pas qu'il n'y en a pas sur le territoire.

    – le travail social de quartier : la responsable du Centre Médico-Social Départemental de Tujac a consulté les assistantes sociales qui sont en contact avec des familles concernées par les questions liées au vieillissement. Cinq assistantes sociales ont listé des familles qui entreraient dans le champ de l'étude. La plupart ont même été contactées. Certaines ont eu des accords de principe pour un entretien dans le cadre de l'étude, d'autres ont simplement ouvert la porte à une sollicitation dans cette perspective.

    – l'animation socio-culturelle de quartier : la directrice et un des responsables du centre social

    27 Il existe néanmoins une association « cutuelle et culturelle », qui organise notamment les activités de la Mosquée.

    26

  • Jacques Cartier ont accueilli très favorablement ma demande28. De nombreuses activités regroupent des habitants du quartier (couture, poterie, danse orientale, émail, gym, etc.). On trouve donc des familles d'origine maghrébine, même si, dans l'activité quotidienne du centre, très peu de personnes âgées immigrées participent. Quelques uns viennent récupérer les enfants à l'aide aux devoir. Aucun n'est présent dans l'association de personnes âgées. La meilleure manière d'arriver à nos fins aurait consisté à organiser un temps convivial au Centre avant d'espérer aller chez les gens29. Dans tous les cas, il fallait s'attendre à des difficultés présentées ainsi par la directrice : le contact n'est pas facile et on n'entre pas « comme ça », sans recommandation, chez les gens (rôle fondamental du café/gâteau à offrir pour être accepté en tant qu'interlocuteur, avant toute autre chose). Le terme « enquête » peut effrayer des personnes qui ne souhaitent pas subir un contrôle de leurs situations. En face, il ne pourrait se trouver que des hommes. Paradoxalement, la personne ressource proposée pour entrer dans les familles a été une femme d'une quarantaine d'années, salariée de la ville pour les cantines (très aidante).

    – Enfin dernière rencontre sur ce territoire : une avocate, qui tient quelques fois la permanence de « la maison de la Justice et du Droit » à Tujac, près du Centre Jacques Cartier. Les problématiques des personnes qu'elle y rencontre sont les mêmes que celles de ses autres clients (elle est avocate en droit pénal). Elle connaît quelques familles.

    Ces démarches ont confirmé la difficulté d'approcher des personnes âgées immigrées en dehors de toute prescription30. Le centre Jacques Cartier se positionne davantage sur du travail de groupe alors que le centre médico-social travaille plutôt de manière individuelle concernant des difficultés financières ou des droits à la retraite. Pour ce travail, ils sont donc en relation avec les familles, même s'ils sont davantage occupés par les question de RSA en général.

    Tous les interlocuteurs ont insisté sur la barrière de la langue : le vocabulaire est limité et il ne permet pas de tenir des discours complexes, ni d'être à son aise. C'est aussi pourquoi il faut un intermédiaire. Certains travailleurs sociaux sont peu ou difficilement en contact avec les populations qui nous intéressent. Cependant, par leur entremise, nous sommes informés sur leur vision de cette question31.

    Les entretiens à Brive se sont déroulés en deux temps : un temps sur le lieu de travail avec des enfants d'immigrés arrivés dans les années 60 en France et un temps au domicile avec des personnes âgées.

    28 Le relation nouée a nécessité l'envoi par mail à ces eux interlocuteurs le topo sur l'étude « immigrés vieillissants », auquel a été joint l'étude de l'Oslim de 2009, qui les intriguait beaucoup.

    29 L'organisation d'un « café-génération » avec un animateur dont les parents sont originaires du Maroc et quelques personnes âgées marocaines a été envisagée, ce qui montre l'intérêt des personnes rencontrées pour cette étude mais aussi leur capacité à toucher les personnes concernées, plus facilement peut-être que dans les quartiers de Limoges avec les immigrés d'Asie du Sud-Est.

    30 Plusieurs élus du Canton ou de la ville sont issus de familles marocaines. Malheureusement, le temps de l'étude correspondant à un temps fort de la vie politique (élections), ils n'ont pas été joignables.

    31 comme, par exemple, lorsqu'une assistante sociale ne semble pas voir l'utilité de s'interroger sur cette absence des populations immigrées dans le public âgé qu'elle prend en charge dans le quartier.

    27

  • La deuxième générationLes deux cinquantenaires rencontrés sont les enfants d'immigrés de la même génération. Le père de Fatima32 est arrivé en France plus tôt. Il avait un statut particulier, considéré comme un imam dans la communauté, du fait de son installation précoce. Il a, par exemple, pratiqué des circoncisions ou cherché à arranger des mariages. Cette anecdote montre la force des relations entre marocains dans ce quartier.

    Les entretiens ont été très descriptifs au début car les interlocuteurs cherchaient à bien contextualiser la présence de leur famille à Brive. Ensuite, les propos ont été marqués par davantage d'affect. Les situations racontées ont souvent été élargies aux cas d'autres vieux marocains. Au travers de ces visions de la situation, on peut dire que Brive possède un certain nombre de particularités :

    – immigration issue d'un même endroit (Casablanca),– climat clément,– ville de petite taille et industries / travaux agricoles nombreux (secteur agro-alimentaire). Le

    travail autour des cueillettes de fruits en Corrèze revient régulièrement comme un emploi provisoire mais fréquent des femmes marocaines. Selon l'enquête « Besoins de Main d'Oeuvre » (BMO) 2011 du Pôle Emploi en Limousin, les recrutements pour des travaux saisonniers représentent la plus grosse part des recrutements dans le bassin de Brive (et dans une moindre mesure de St Yrieix et de Tulle).

    32 Par ailleurs, la soeur de Fatima est une élue locale de Corrèze. Cela confirme le caractère particulier de cette interlocutrice.

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    CORREZE12308 immigrés (5% de la population totale)Immigrés de 55 ans ou plus : 4996(40% des immigrés du département)

    Immigrés nés au Maroc : 1543+ de 55 ans : 473 (dont 278 hommes et 195 femmes)

    BRIVE LA GAILLARDE4064 immigrés (8,2% de la population)Immigrés de 55 ans ou plus : 1624

    Terrain : quartier de Tujac

    Contacts : Centre Social Jacques CartierCentre Médico-Social Départemental deTujacCentre Local d'Information et de CoordinationAssociation AMIS

    Entretiens :- Ali, retraité marocain de 62 ans (Aïcha, sa femme)- Fatima, femme de 56 ans (active)- Ahmed, homme de 50 ans, actf (son père : Mohamed)- Mustafa, retraité algérien de 68 ans (Alia, sa femme)

  • Les vieux travailleurs à la retraiteCes entretiens sont marqués par beaucoup de redites et de sujets lancinants : le travail, les enfants, la France, mais très peu la vieillesse si ce n'est au travers de la maladie. On y retrouve les discours lus et entendus : lien avec le pays d'origine, vieillissement précoce, vie en stand by... La question de la mort n'est pas abordée directement.

    Mustafa est un cas très particulier car il est arrivé à Brive après une carrière professionnelle dans une autre région. Les migrations ont leurs invariants et leurs originalités. Les parcours d'un vieil Algérien et d'un vieux Marocain comportent des similitudes liées au rapport à un pays d'accueil, même si l'Histoire entre les deux nations sont différentes. Ainsi, c'est comme si chacun était un cas particulier, en fonction de sa trajectoire migratoire, professionnelle et familiale. Le rapport ambigu au pays d'origine serait le point commun à toutes ces expériences, mais il ne détermine pas à lui seul le rapport au social ou à la santé.

    Que disent les familles maghrébines de Brive ?Les personnes interviewées sont des hommes ouvriers et des femmes au foyer qui ont trouvé une terre d'accueil paisible. A Tujac les marocains ne sont pas difficile à rencontrer et le contact est facilité par leur insertion dans la vie sociale et dans les institutions locales (Centre social Jacques Cartier, relations avec les assistantes sociales de secteur). Toutes les questions peuvent être abordées.Les entretiens ont eu lieu au domicile en majorité (une fois sur le lieu de travail pour des raisons pratiques). La négociation a été facilitée par une volonté de témoigner des conditions de vie réelle de manière toujours conviviale. On retrouve la « façade » et « les habits du dimanche », mais aussi la volonté de bien accueillir l'interlocuteur dans un logement propre, calme et bien rangé. Les femmes ne sont pas restées pendant les entretiens et sont venues à la fin.Ces entretiens ont représenté pour eux de bons moments, leur permettant de mettre en avant des expériences riches et complexes.

    Le projet migratoire : de Casablanca à la CorrèzeLes pères sont arrivés dans les années 60 pour les premiers et les femmes avec les enfants dans les années 70. La première génération est assez âgée aujourd'hui et vit dans un entre-deux. Les enfants ont grandi dans des familles nombreuses qui se connaissent et qui ont parfois été recomposées. La deuxième génération est arrivée dans les années 70 dans un contexte où le racisme était moins fortement ressenti qu'aujourd'hui. Il y avait une place à prendre, qui les conduit à occuper un espace social large bien que resserré autour de territoires précis.

    Les enquêtés sont impliqués dans des associations qui n'ont pas vocation à représenter la communauté mais a participer à la vie sociale en tant que briviste. Néanmoins Fatima a créé en 1997 une association pour venir en aide aux marocains dans leurs relations avec les institutions locales.

    A leur arrivée, les pères marocains ont vécu seuls puis sont allés dans des appartements HLM ou ont loué des maisons à l'arrivée de la famille, souvent nombreuse (plus de trois enfants). Peu de personnes âgées sont propriétaires à Brive alors que certains enfants ont pu accéder à la propriété. Les logements visités sont sobres et souvent partagés entre des meubles traditionnels marocains et des éléments plus modernes. .

    29

  • Les marocains ont travaillé en Corrèze dans le secteur industriel (agro-alimentaire) et le bâtiment. Les femmes ont peu de place dans ces secteurs, si ce n'est du côté des travaux agricoles. Le montant des retraites des femmes (restées au foyer ou ayant effectué des travaux agricoles saisonniers ou des travaux à temps partiel dans la restauration) est souvent faible. Les hommes, eux, ont usé leur corps à la tâche dans des travaux difficiles (de nuit, en 3x8, la semaine loin du domicile) leur permettant de cotiser suffisamment pour avoir des retraites correctes (1400 euros par mois avec la pension complémentaire pour un ancien ouvrier automobile ou 1200 euros pour un ancien ouvrier de l'industrie agro-alimentaire). Une nette division sexuelle du travail et des tâches domestiques apparaît pour la plupart de ces immigrés.

    Le travail a causé des problèmes de santé, de manière directe ou indirecte : exposition à des produits chimiques, horaires décalées, travaux physiques en extérieur. Ces problèmes spécifiques de santé ont été aggravés par la vie solitaire des pères avant l'arrivée de la famille, moment particulier dans lequel l'alimentation n'a pas été très surveillée (manque de vitamines par exemple).

    On retrouve des pathologies comme la tension, le diabète, des problèmes de poids ou des problèmes articulaires (hanche, dos). Ainsi, tous insistent sur l'importance du système de soin en France et montrent leur capacité à réagir vite :

    - Mustafa : « si je suis malade, j'y vais tout de suite ! »« C'est ma santé avant tout ». « Je discute pas avec les médecins, moi »(il déclare respecter scrupuleusement les traitements prescrits).

    - Ali : « avoir une bonne mutuelle, c'est important ! ».

    Toutes les personnes rencontrées à Brive pour cette étude fréquentent des médecins du quartier auxquels ils restent relativement fidèles. Ils ont subi des opérations courantes qui se déroulent plus souvent à la Clinique du Cèdre qu'à l'hôpital de Brive, mais jamais à Limoges (pour des raisons de proximité et de qualité de l'accueil).

    Malgré tout, les récits laissent apparaître des difficultés liées au quartier ou à l'histoire de vie. La vie solitaire des hommes a façonné le rapport au territoire d'accueil et elle est fondatrice d'une capacité à se « débrouiller » seul et à s'arranger avec le contexte en demandant de l'aide le cas échéant.

    Le mythe du retourPour les moins âgés des retraités, la vie est « ici », dans le quartier et le Maroc est un lieu de vacances. Avant la retraite, le retour était fréquent, pour voir la famille (frère ou soeurs voire enfants parfois), tous les ans pendant trois semaines, ou un an sur deux.

    Ali n'est pas parti cette année faute d'argent : selon lui, le voyage coûte 2000/3000 euros (avion ou voiture « qui tient la route »). La dernière fois était en 2010.

    Repartir définitivement est une pratique assez rare. Ali dit que :

    « les vieux que je connaissais ne sont pas partis ou sont revenus en courant »

    Il seraient revenus pour la couverture sociale33. Ainsi ceux qui partent même trois ou quatre mois 33 Quelques fois certains se font soigner au Maroc et se font rembourser ici.

    30

  • rentrent en France dès qu'ils sont malades. A Brive, un ou deux seraient partis. Il arrive plus fréquemment que certains revendent leur maison « là-bas » pour acheter « ici », ou faire construire. Il prend le cas de son père en exemple : il voulait repartir mais il est parti seul, sans sa femme et il est revenu après deux ou trois mois pour passer le temps de la retraite aux Chapélies. Les parents d'Ali sont morts an France (lui deux ans après elle) et sont enterrés au Maroc grâce à une assurance rapatriement (qui s'occupe de tout via les pompes funèbres).

    Le rapport au pays d’origine peut être analysé à partir de cette phrase de Fatima :

    « on vit pas au Maroc, on vote pas au Maroc »

    Les personnes âgées de 70/80 ans restent en France car les enfants sont ici. Les retours son peu fréquents pour certains et le rapport au pays est distant. Comme le souligne Fatima :

    « je suis corrézienne ».

    Ahmed n'y est pas allé depuis 3/4 ans. Selon lui, on n'arrive pas sans argent : il convient de faire profiter tout le monde là-bas. Le retour au Maroc a été fréquent mais pas annuel pour Mohamed, son père. Aujourd'hui, Mohamed continue à aller au Maroc. La voiture est plus chère que l'avion ou le car, mais ayant toujours des choses à transporter, c'est resté le moyen de transport tant que la santé le permettait. Il veut être enterré au Maroc car il craint un déménagement des enfants, un jour. Les enfants font le même choix, espérant que le père décède « au pays », car le rapatriement du corps peut être difficile à vivre pour certains. Mohamed a construit une maison au Maroc. Ce fut un long travail qui a duré 25 ans selon son fils. Il avait pu acheter le terrain grâce aux dommages et intérêts perçus après un grave accident de la route (au retour du Maroc) causé par un chauffard. Il a toujours dit qu'il rentrerait à la retraite. Cependant, en réalité, le processus a pris près de dix années : petit à petit, les vacances de deux ou trois mois ont été remplacées par des périodes plus longues, deux fois par an avant de passer la majeure partie de l'année au Maroc (trois ou quatre mois à Brive). Aujourd'hui : il se sent loin de ses enfants.

    Mustafa :

    « L'Algérie c'est ma patrie mais c'est la France qui m'a donné à manger ».

    En Algérie, il possède une petite « baraque » qui était à son père et dont il peut profiter lorsqu'il s'y rend « en vacances ». Ainsi il n'a que le voyage à payer. Cependant il ne part pas souvent car les tarifs sont élevés. De plus il a le sentiment de ne pas avoir sa place là-bas. Il est un étranger en Algérie (il en veut pour preuve le fait d'avoir croisé un commissaire de police français qui connaît mieux le pays que lui).

    « J'aime bien ou je suis ».

    Il est revenu au pays avec de l'argent régulièrement. Ses parents sont décédés mais il a encore de la famille là-bas (dont un fils). Dernier voyage : en 2011 avec sa fille. Il est resté algérien car il a laissé traîner le dossier remis à la préfecture il y a plus de cinq ans.

    Vieillir à Brive : la description d'un cadre calme et paisibleLes déplacements ne sont pas décrits comme étant compliqués (bus gratuit, véhicule personnel) et

    31

  • les sorties dans le quartier sont fréquentes (pour les hommes) et riches socialement : aller au café, jouer à la belote...Certaines sorties sont familiales : rendre visite aux enfants éloignés, piques-niques à la plaine des jeux...D'autres activités sont « communautaires » : tourisme (très rare), activités au centre Jacques Cartier...Et de rares activités sont plus solitaires : promenades à la plaine des jeux ou dans le quartier, faire les courses...Les femmes sortent moins pour raison de santé ou par manque d'envie (une fois par semaine pour Aïcha ou moins parfois comme dans le cas d'Alia), ce qui n'empêche pas une sociabilité liée à celle du mari ou par téléphone.La vie sociale regroupe les amis et les connaissances, la famille et les acteurs professionnels du social. Elle est fondée sur des principes que l'on retrouve dans les comportements de nombreux immigrés de la première génération et qui sont exprimés clairement par les personnes rencontrées :

    Ali : « on emmerde personne, comme ça, au lieu de rester dehors à traîner dans le quartier ».

    Mustafa : « parce que je cherche pas de problème je rencontre pas de problème ».

    Tous se tiennent au courant de l'actualité via la télévision.

    Les rapports de voisinage sont importants car ils contribuent à une solidarité entre les plus faibles et les autres. Chacun connaît bien son voisin et peut le solliciter ou l'aider en cas de problème. La deuxième génération rassemble les enfants de familles qui se connaissent bien. Chacun est donc bien identifié. Le système social français aussi est bien connu : la CAF, la Sécu, la Préfecture, le Crous, les Assistantes Sociales, le Pole Emploi ont été cités dans les entretiens. Ce sont des interlocuteurs que chacun n'hésite pas à solliciter, estimant mériter certaines choses après de longues carrières professionnelles (pour les hommes).

    Les expériences des hommes au travail ont un commun une facilité à trouver des emplois peu qualifiés et un volontarisme pour évoluer dans ces métiers. Les carrières ont été relativement stables mais les problèmes de santé ont précipité les fins d'activité. Le travail a été un moment de sociabilité très fort pour certains et le travail reste un bon souvenir malgré les difficultés.

    Mustafa : « Quand je suis seul, je vais pas penser à l'Algérie, je vais penser au travail. »

    Ali : « L'agroalimentaire, c'est autre chose. C'est propre, c'est un travail intéressant, avec des responsabilités (les béb