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Page 1 Les origines du blues (1ère partie) Année scolaire 2013/2014 (EMM Saint-Chamond) Le blues, comme toute forme de musique populaire, est le résultat d'influences diverses et variées qui se sont accumulées au fil du temps. Vouloir dater son origine serait bien prétentieux et vain surtout que le mot blues n'apparaît dans aucun texte avant le début des années vingt; tout au plus peut-on établir certains repères chronologiques qui ont eu leur importance dans sa naissance et son évolution. L’histoire du Blues Né dans le terreau du Sud des Etats Unis, de la misère morale et matérielle des Noirs victimes d’une ségrégation impitoyable et volontairement humiliante, le Blues a connu un destin totalement imprévisible. A l’origine, musique ethnique de parias destinée exclusivement à des Noirs, il est devenu - en moins d’un siècle - une des clés de voûte de la musique populaire dans le monde entier, joué par des groupes de jeunes aussi bien blancs que jaunes, américains ou anglais, bien sûr, mais aussi français, russes ou japonais… L'esclavage L'esclavage aux États-Unis (1619-1865) commence peu après l'installation des premiers colons britanniques en Virginie et se termine avec l'adoption du XIIIème amendement de la Constitution américaine qui a officiellement aboli et interdit l'esclavage aux États-Unis. A l'arrivée des esclaves noirs au début du 17ème siècle, ceux-ci apportent avec eux une culture orale et quelques instruments de musique tels que : tambours, balafon (sorte de xylophone) et banjar (ancêtre du banjo). Les danses étant interdites (trop sexuelles) ainsi que les tambours (susceptibles de véhiculer des messages), les esclaves (ré)inventent les « worksongs » ou « field-hollers », sorte de chants qui rythment le travail dans les plantations (un chanteur lance une phrase reprise par les choeurs). -> Ecoute de : Guinée Française - Thora - chant de travail -> Ecoute de : Ethiopie - polyphonies des Dorzé - Chant de travail -> Ecoute de : Afrique du Sud - Chants de Femmes Ndébélé - chant de travail des perles Vers 1730, les Noirs se mettent à fréquenter les temples en nombre sans cesse croissant et des lieux de culte spécifiques commencent à se créer. C'est l'époque du Grand Réveil religieux. C'est la naissance du Negro spiritual. Tandis que s'installe ce vaste mouvement religieux, l'Eglise américaine découvre une nouvelle façon de prier, rapportée d'Angleterre : au lieu de psalmodier des passages de la Bible (chants grégoriens), les fidèles entreprennent alors de traiter les prières d'une manière plus libre. En Europe, les cantates font leurs apparitions dans la musique religieuse. Une cantate (du latin "cantare", "chanter") est une composition vocale et/ou instrumentale qui comporte plusieurs morceaux. Elle porte généralement sur un thème qui peut

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Les origines du blues (1ère partie)

Année scolaire 2013/2014 (EMM Saint-Chamond)

Le blues, comme toute forme de musique populaire, est le résultat d'influences diverses et variées qui se sont accumulées au fil du temps. Vouloir dater son origine serait bien prétentieux et vain surtout que le mot blues n'apparaît dans aucun texte avant le début des années vingt; tout au plus peut-on établir certains repères chronologiques qui ont eu leur importance dans sa naissance et son évolution. L’histoire du Blues Né dans le terreau du Sud des Etats Unis, de la misère morale et matérielle des Noirs victimes d’une ségrégation impitoyable et volontairement humiliante, le Blues a connu un destin totalement imprévisible. A l’origine, musique ethnique de parias destinée exclusivement à des Noirs, il est devenu - en moins d’un siècle - une des clés de voûte de la musique populaire dans le monde entier, joué par des groupes de jeunes aussi bien blancs que jaunes, américains ou anglais, bien sûr, mais aussi français, russes ou japonais… L'esclavage L'esclavage aux États-Unis (1619-1865) commence peu après l'installation des premiers colons britanniques en Virginie et se termine avec l'adoption du XIIIème amendement de la

Constitution américaine qui a officiellement aboli et interdit l'esclavage aux États-Unis. A l'arrivée des esclaves noirs au début du 17ème siècle, ceux-ci apportent avec eux une culture orale et quelques instruments de musique tels que : tambours, balafon (sorte de xylophone) et banjar (ancêtre du banjo). Les danses étant interdites (trop sexuelles) ainsi que les tambours (susceptibles de véhiculer des messages), les esclaves (ré)inventent les « worksongs » ou « field-hollers », sorte de chants qui rythment le travail dans les plantations (un chanteur lance une phrase reprise par les choeurs).

-> Ecoute de : Guinée Française - Thora - chant de travail -> Ecoute de : Ethiopie - polyphonies des Dorzé - Chant de travail -> Ecoute de : Afrique du Sud - Chants de Femmes Ndébélé - chant de travail des perles Vers 1730, les Noirs se mettent à fréquenter les temples en nombre sans cesse croissant et des lieux de culte spécifiques commencent à se créer. C'est l'époque du Grand Réveil religieux. C'est la naissance du Negro spiritual. Tandis que s'installe ce vaste mouvement religieux, l'Eglise américaine découvre une nouvelle façon de prier, rapportée d'Angleterre : au lieu de psalmodier des passages de la Bible (chants grégoriens), les fidèles entreprennent alors de traiter les prières d'une manière plus libre. En Europe, les cantates font leurs apparitions dans la musique religieuse. Une cantate (du latin "cantare", "chanter") est une composition vocale et/ou instrumentale qui comporte plusieurs morceaux. Elle porte généralement sur un thème qui peut

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être profane (cantata da camera) ou sacré (cantata da chiesa), mais à la différence de l'opéra, elle ne comporte aucun aspect théâtral. -> Ecoute de : Chorale St. Antoni de Joseph Hayden (Instrumental) Lors du Second Grand Réveil religieux grâce au mouvement revivaliste chrétien (qui s'étale de 1780 à 1830), cette évolution musicale s'accentue et se diversifie au fur et à mesure que les paroisses noires se multiplient. D’abord astreints aux services religieux de leurs maîtres, les Noirs purent après 1876 se réunir pour le culte dans leurs propres églises. Ils inventent alors leurs hymnes religieux en adaptant le répertoire des cantiques et des psaumes et l’enrichissent d’éléments de la tradition musicale africaine (rythmes, improvisation, transe...). Ces chants religieux - d’abord appelés negro-spirituals - seront rebaptisés gospels. L’art vocal religieux négro-américain reste encore aujourd’hui la pratique musicale première de nombreux artistes noirs. -> Ecoute d’extraits du disque : Bluesmen sin Spirituals – Piste 1, 18 et 19 La vaste possibilité de métissage offerte par la rencontre de différentes traditions s'illustre à travers trois formes : les « worksongs » (chants de travail) hérités des chants africains, les negro-spirituals dérivés de la religion protestante, à laquelle les noirs sont contraints d'adhérer, et les musiques traditionnelles d’importation européenne. Ces éléments d’importation européens viennent des colons irlandais, anglais, écossais mais aussi espagnols, portugais et français qui se sont installés en Amérique à la fin du 15ème siècle… Pour illustrer la proximité entre le blues et la musique traditionnelle irlandaise, nous allons écouter "The Wild Rover" une balade irlandaise ultra populaire. -> Ecoute d’extraits du thème : The Dubliners - The Wild Rover (traditionnel irlandais) -> Ecoute d’extraits du thème : The Celtic Circle - Mystic's Dream (2004) Petit à petit une forme primitive d’expression se développe. Pendant la journée, cette forme d’expression aide à supporter le travail et, le soir à la veillée, elle évoque les espoirs et la tristesse mais sert aussi à véhiculer les informations. En effet des esclaves affranchis vont de ferme en ferme tels les griots (sorte de troubadour ou de barde africains) pour donner des nouvelles d'untel ou untel. Ce sera le début des migrations du blues suivant les aléas économiques : en remontant le Mississippi vers le nord mais aussi vers la Californie. Parallèlement les esclaves commencent à fabriquer des instruments pour accompagner leurs chants et le rythme traditionnel du blues à 12 mesures se met progressivement en place. L'utilisation d'instruments européens, comme le piano, donne naissance au ragtime, une musique qui influencera fortement le jazz à ses débuts. C'est dans ce cadre de privations que vont naître les formes primitives du jazz. -> Ecoute d’extraits du disque : Plantation Blues – Piste 1, 4 et 8 Naissance du Blues Le Blues est né dans le terreau sudiste post-esclavagiste. La ségrégation raciale a donné le Blues. Le système des plantations avait mis ensemble des hommes venus des trois continents : les indiens, les européens, et les africains. La plantation va être le creuset musical d’un faisceau de traditions orales, chantées et dansées (la musique folklorique ou folk). Les « songsters » sont les ancêtres directs des bluesmen, ce sont des chanteurs musiciens itinérants se rendant dans les

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campements d’ouvriers. Le « songster » devient bluesman pour répondre à la situation créée par la ségrégation. L’usage de la guitare vient tardivement dans la vallée du Mississippi. Etre bluesman à cette époque c’était une prise de parole et un acte de résistance. Evolution de l'instrumentation Qu'il soit profane ou bien d'influence religieuse sous sa forme gospel, le blues verra ses musiciens adopter les instruments à leur disposition. C'est ainsi qu'aux instruments traditionnels africains il se verra adjoindre les violons (en provenance majoritairement d'Europe de l'Est) puis un peu plus tard les guitares hawaïennes lors de l'annexion des îles Hawaii (1898). L'émancipation En 1863, le président Abraham Lincoln donne la liberté aux noirs des Etats du Sud. Si certains émigrèrent vers Chicago ou New York, la majorité resta dans le Sud. A l'époque avaient été créés les « coon songs », sorte de mélange d'airs populaires, de danses et de spirituals, que les blancs composaient pour se moquer des noirs. Les noirs reprirent ces recettes pour se produire dans des shows itinérants en y incluant petit à petit le ragtime qui était en train de naître (le ragtime fut d'abord joué au banjo avant de devenir un typique du piano). -> Ecoute d’extraits: 1910 - Stop Time Rag (Scott Joplin) -> Ecoutes de pieces de piano composée dans toutes les Amériques (Nord, Centre et Sud). Le blues du Delta En ce début du vingtième siècle, naît le blues du Delta : C'est un blues joué à la guitare (avec parfois l'adjonction de la washboard ou planche à laver) et qui reste très primaire. Les figures de proue seront Charley Patton (1887-1934), Blind Lemon Jefferson (1897-1930), Leadbelly (1885-1949) et Bessie Smith (1895-1937). Contrairement aux idées reçues, le blues du Delta n'est pas antérieur au blues urbain, ils se sont juste développés quasi-simultanément. -> Ecoute d’extraits du disque : Charley Patton – Piste 1, 5, 9 -> Ecoute du thème: Piney Woods Money Mama (Blind Lemon Jefferson, 1929) Le Blues des dames L’histoire du premier disque du Blues fait partie de la légende, un hasard de circonstance de Mamie Smith. Oui, le succès de ces chanteuses a permis au Blues de faire une entrée fracassante sur le marché du disque et d’orienter les producteurs vers le sud profond, là où guitares, harmonicas et pianos mêlant leurs sons, battait le cœur du Blues. Mamie Robinson, plus connue sous le pseudonyme de Mamie Smith, était une artiste américaine, née le 26 mai 1883 à Cincinnati (Ohio), morte le 16 septembre 1946 à Harlem. Elle s'illustra successivement ou simultanément comme danseuse de revue, chanteuse de jazz et de blues, pianiste et actrice. -> Ecoute du thème : Crazy Blues (Mamie Smith & her Jazz Hounds, 1920) -> Ecoute d’extraits du disque : Bessie Smith – Piste 1, 6, 17

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Le blues urbain (Ecoute de blues composés sur 12 mesures) En raison des vicissitudes économiques, bon nombre de noirs vont émigrer vers les villes à partir des années 1870. Si le blues du delta est joué dans des granges pour un petit nombre de personnes, le blues urbain, joué dans des clubs ou dans la rue, nécessite une instrumentation plus importante pour pouvoir être entendu. C'est ainsi que commenceront à se former de véritables orchestres de blues avec basse (à vent), batterie, piano, guitare et parfois cuivres sous l'influence des musiciens de jazz. Jusqu'à la seconde guerre mondiale, le blues urbain éclipsera le blues rural grâce à des gens comme Big Bill Broonzy (1898-1958), T Bone Walker (1910-1975) ou Lonnie Johnson (1899-1970) tandis que la Nouvelle Orléans verra se produire de grands pianistes comme Champion Jack Dupree (1910-1992), Professor Longhair (1918-1980) ou Big Joe Turner (1911-1985). -> Ecoute d’extraits du disque : Lonnie Johnson – Piste 1, 14, 18 Les règles Le Blues est un poème chanté de 12 mesures dérivées de l’alexandrin. Apres chaque phrase chantée, le chanteur qui est souvent musicien répond et souligne avec son instrument ce qu’il vient de dire. Le Blues est composé de strophes de trois versets selon un schéma A-A-B, utilisant aussi une séquence harmonique fréquente sur la base de trois accords (I – IV – V). Mais de nombreux blues n’obéissent pas forcément à ces règles… -> Ecoute & analyse du thème : Night Time Blues (Ma Rainey) - Piste 20 Les expéditions sudistes De véritables expéditions itinérantes passeront le Sud des Etats-Unis au peigne fin pour engranger des moissons d’artistes, les compagnies de disques utiliseront des studios mobiles, de gros camions munis de générateurs. Les bluesmen feront la queue, guitare à la main, harmonica dans la poche, pour graver les titres avec des promesses de la possibilité d’entamer une carrière. Certains d’entre eux seront redécouverts 35 ans plus tard, tout éberlués que quiconque se souvienne de ces 2 titres immortalisés jadis à la sauvette en échange de quelques dollars et une bouteille de whisky. Le système satisfait une attente et devient rentable financièrement. Les Races Records Race record est le label musique (donné aux artistes Noirs) qui différencie de celle des Blancs de sud ségrégationniste. La crise économique du sud va engendrer un flux migratoire de la vallée du Mississippi (Missouri / Memphis / Saint-Louis / Cairo : lieux de fixation ou de passage). Les migrants noirs vont y développer à chaque fois un Blues spécifique avec une combinaison instrumentale particulière. Chicago, fin de la ligne du chemin de fer, une ville en plein « boom » économique va donner un élan pour développer la forme orchestrale du Blues. Sonny Boy est le héros de ce nouveau Chicago Blues. Ecoute d’extraits des disques : Sonny Boy, etc...

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La guerre et l’électricité : Du Delta à Chicago Si Chicago est le terminus du nouveau Blues du sud profond. Memphis en demeure le premier nœud, l’électricité alourdit encore l’atmosphère d’un blues poisseux et violent, un certains BB King fait tanguer les cordes de sa guitare. A Detroit, les migrants noirs se retrouvent par milliers sur les chaînes des usines automobiles et élaborent un blues cru et intense, moins influencé par le Delta Blues. Un bluesman primitif nommé John Lee Hooker exploite et adapte les possibilités de la guitare électrique. -> Ecoute d’extraits des disques : B.B. King, John Lee Hooker, etc… De la Louisiane à Los Angeles A la Nouvelle-Orléans, blues et jazz se mêlent en un Rythme & Blues (R&B) spécifique qui préfigure le rock’n’roll urbain, les tavernes louisianaises engendrent le blues des marais. A Houston, Lightnin’Hopkins électrifie et modernise le Texas Blues tout en lui conservant la finesse et la subtilité de ses origines fortement hispaniques. Les Blues de l’après guerre constituent un kaléidoscope vivant et coloré d’une étonnante richesse. La quasi-totalité des courants musicaux à venir vont bourgeonner dans ses branches au point de presque faire dépérir l’arbre nourricier du Blues. -> Ecoute d’extraits des disques : Lightnin’Hopkins, etc… La suite De façon arbitraire, on peut dater la fin de l'époque "origines du blues" à la grande crise de 1929 et aux années qui l'ont suivie. Par la suite l'émigration sera massive vers les grandes cités industrielles du nord vers Detroit et surtout vers Chicago. Celle-ci (Chicago) deviendra la capitale du blues jusqu'à la seconde guerre mondiale. Tombé dans l'oubli après la guerre, le bluesl sera réhabilité par de jeunes blancs fascinés et respectueux : Keith Richards, John

Mayall, Peter Green, Jimmy Page ou encore Eric Clapton. Quelques dates 1863 : Abolition de l'esclavage 1867 : Publication du premier recueil de Negro Spirituals (Salve Songs Of The United States) 1899 : Scott Joplin compose Maple Leaf Rag 1914 : W.C. Handy compose St Louis Blues, l'un des premiers blues qui sera joué par des orchestres de Dixieland. 1920 : Mamie Smith enregistre Crazy Blues 1923 : Sylvester Weaver enregistre le premier blues uniquement à la guitare, Guitar Blues. 1925 : Publication de The Negro And His Song, premier répertoire de chansons populaires des noirs américains. 1926 : Premiers enregistrements de Blind Lemon Jefferson et de Ma Rainey 1927 : Apparition de l'harmonica avec le Memphis Jug Band 1927-1930 : C'est le début de la folie blues et des enregistrements à gogo. On peut citer Son House, Blind Willie McTell, Leroy Carr ou bien encore Mississippi John Hurt. C'est en 1931 que Robert

Johnson débute sa carrière. 1933 : Un détenu d'un pénitencier du sud est enregistré par John Lomax. Il s'agit de la légende Leadbelly.

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Historique du Blues