Les nouveaux incorruptibles.Article + corrige

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CORRIGÉ. Les nouveaux incorruptibles

Ils s'appellent ProPublica, SpotUs ou MinnPost. Journaux en ligne ou sites, ils sont dédiés au journalisme d'investigation et financés par des philanthropes

De notre correspondant aux Etats-Unis

(1) Des flics flingueurs à La Nouvelle-Orléans. Des infirmières ineptes en Californie. Des politiciens véreux à San Diego. Des écoles publiques ségréguées à Minneapolis. Des forages de gaz naturel anarchiques et nuisibles dans tout le pays... Scoops spectaculaires ? Enquêtes au long cours ? Plus que cela : tous ces « coups » sont l'oeuvre de journaux en ligne ou de sites internet à but non lucratif. Pendant que l'Amérique médiatique contemple, tétanisée, l'hémorragie de ses journalistes, une poignée d'intrépides a décidé de prendre le taureau par les cornes et de tester un nouveau modèle : le nonprofit...

« Un job très gratifiant »

On est prié de ne pas sourire, ni de sortir une piécette pour nourrir des scribouillards crève-la-faim. Les ProPublica, Voice of San Diego, MinnPost et autres Texas Tribune ont des budgets annuels de 1 à 10 millions de dollars (700000 à 7 millions d'euros). L'équipe de ProPublica, qui a pignon sur rue à deux pas de Wall Street, est une vraie rédaction, avec 34 journalistes payés au tarif du marché. «C'est un aspect central de notre modèle d'entreprise : si vous voulez les meilleurs journalistes, vous devez les payer normalement », explique Richard Tofel, le directeur général de ce site qui s'intéresse aux «abus de pouvoir et [à] la trahison de la confiance du public». Dans son bureau d' Austin, avec vue sur le Parlement du Texas, Evan Smith, le patron de Texas Tribune, ne dit pas autre chose.

(4) Leur secret ? Des bienfaiteurs aux poches pleines. Des familles riches, des fondations philanthropiques alarmées de voir disparaître la presse d'investigation. Mais aussi des journalistes chevronnés qui se retrouvent, tels des kids de la Silicon Valley, à la tête de start-up à l'avenir incertain. «J'ai l'impression d'être Indiana Jones poursuivi par le rocher, confie Evan Smith. Une seconde d'inattention, et il m 'écrase ! Mais c'est un job incroyablement gratifiant. » The Voice of San Diego, l'un des vétérans de la bande, a été lancé à partir de presque rien, en 2005, par quatre journalistes. C'est aujourd'hui un site de référence, avec huit journalistes permanents et un budget de près d'un million de dollars. (5) « Nous ne cherchons pas à couvrir tous les sujets, explique Scott Lewis, le directeur. Seulement ce que nous pouvons faire mieux que les autres, ou différemment. » Scott, 33 ans, fait partie de cette nouvelle génération de journalistes qui voient dans le non-lucratif une méthode plutôt qu'une fin en soi. Sa grande fierté : l'accord que vient de passer The Voice of San Diego avec la chaîne locale de télévision NBC pour fournir deux émissions clés en main. «Les vieux modèles sont cassés, les nouveaux n'ont pas encore été inventés, constate Bill Mitchell, professeur au Poynter Institute. Il faut bien trouver un moyen de réinventer le journalisme pour le faire vivre. »

Prenez le Bay Area News Project, nom temporaire d'un site de la baie de San Francisco. L'aventure démarre avec un don de 5 millions de dollars d'une fondation. Quinze journalistes vont être embauchés en 2010, l'objectif étant de mieux couvrir la politique locale et l'actualité régionale. Mais Lisa Frazier, la PDG, n'a pas passé neuf ans dans le cabinet de conseil McKinsey pour rien : « Nous visons un budget annuel de 8 à 12 millions de dollars en 2014 ou 2015», confie-t-elle. Un budget « viable » ne dépendant pas seulement des riches donateurs mais de sponsorisation d'entreprises, de donations individuelles, d'aides locales, de valorisation de la marque... (6) Qui dit nonprofit dit associatif, avec ce que cela évoque de «journalisme citoyen», de contributions du lecteur lambda. Ce n'est pourtant pas l'obsession de ces sites. MinnPost, un site de qualité qui se focalise sur le journalisme d'investigation et l'actualité concernant le Minnesota, a réduit l'an dernier le nombre de contributeurs pigistes. «Les lecteurs voulaient des rendez-vous réguliers avec les journalistes », explique Joel Kramer, le PDG. Même décision à San Diego : « Le site était devenu un foutoir, explique Scott Lewis. Maintenant, nous laissons simplement les lecteurs

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suggérer des questions lors de nos interviews. Et nous hébergeons leurs blogs. » Même les sites fondés sur la collaboration restent sélectifs.

(7) Spot.Us, basé à San Francisco, organise des « reportages financés par la communauté » : un journaliste décrit sur le site son projet et détaille le budget nécessaire, après quoi chacun met au pot - ou non. « Nous avons déjà financé une cinquantaine d'articles, explique David Cohn, un journaliste indépendant de 27 ans, qui a fondé Spot.Us grâce à un don de 340 000 dollars de la fondation Knight. L'un des reportages, sur la «poubelle du Pacifique», a été publié par le «New York Times» avec la mention : «Les dépenses de voyage ont été payées en partie par Spot.Us, un projet web à but non lucratif.»

Le modèle de la radio publique

Ces sites sont parfaitement indépendants, ce qui n'est pas rien quand on couvre l'actualité d'une ville ou d'une région. « Les politiciens sont comme les cancrelats, ils n'aiment pas la lumière du jour et souhaitent qu'on les ignore entre deux élections. Mais ils n'ont aucune prise sur nous : nous sommes incorruptibles », souligne Evan Smith, dont le site Texas Tribune s'intéresse spécifiquement aux affaires publiques et à la politique texane. Le handicap, à l'inverse, est de ne pas avoir la visibilité d'un « New York Times » ou d'une chaîne de télévision.

Le modèle dont rêvent tous ces sites est le réseau de la radio publique américaine, le meilleur au monde avec la BBC. National Public Radio, avec 434 stations locales, se finance grâce aux contributions de ses auditeurs (32% du budget), des entreprises sponsors (21%) ou encore des fondations (10%), l'aide publique gouvernementale ou locale ne représentant même pas 6% de ses ressources. Utopique ? « Tous nos efforts ne pallieront pas la réduction massive du nombre de journalistes », dit Richard Tofel, de ProPublica. Joel Kramer, à MinnPost, croit à un nombre limité de success stories mais ne voit pas le modèle nonprofit prendre le relais à grande échelle. «Le journalisme de qualité ressemblera de plus en plus au monde de l'art : on ne compte plus les grands artistes qui crèvent la faim !»

La crise de la presse US en chiffres

Deux chiffres résument la grande misère de la presse américaine. Le premier est le nombre de postes de journalistes supprimés en 2009 : 15 000. Le second ? La baisse des ressources liées aux petites annonces : -70% sur la période 2000-2009, soit un manque à gagner annuel de 10 milliards d'euros. Ce n'est donc pas tant la baisse du lectorat, plus ou moins stable pour les grands quotidiens, que celle de leurs ressources qui a accéléré la crise des news. Du « Seattle-Post Intelligencer » au « Rocky Mountain News » en passant par le « Christian Science Monitor », 142 quotidiens et hebdos ont mis la clé sous la porte en 2009 ou abandonné le papier pour l'internet. Trois fois plus que l'année précédente...

Les grands noms de la presse nationale taillent tous dans leurs effectifs : ils ont fini l'année dans le rouge (« New York Times », « Los Angeles Times » ... ) ou compensent leurs pertes par les résultats d'autres sociétés du groupe (« Washington Post »). Tous cherchent désespérément la martingale qui leur permettra de renouer avec le profit.

Par Philippe Boulet-Gercourt, Le Nouvel Observateur. Mars 2010