LES MYSTERES DU LINCEUL

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Gaspard de Uffhofen LES MYSTERES DU LINCEUL Editions d’Assailly

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  • Gaspard de Uffhofen

    LES

    MYSTERES

    DU LINCEUL

    Editions dAssailly

  • LES MYSTERES DU

    LINCEUL

  • Gaspard de Uffhofen

    LES MYSTERES DU

    LINCEUL

    (Plans, schmas de pliage, traitement dimages et aquarelles de lauteur)

    Editions dAssailly

  • Gaspard de Uffhofen, Oberwill, 2012, 2017

    ISBN 978-2-9024-2513-6

    Editions dAssailly, Paris, 2013, 201

    Ce livre ne peut tre commercialis, sous quelque forme que ce soit.

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    INTRODUCTION Le Linceul de Turin est un linge mortuaire. On lappelle aussi le Saint Suaire. Mais, un suaire tait une sorte de serviette utilise dans lAntiquit pour sessuyer le visage. Un suaire pouvait aussi tre utilis pour couvrir le visage dun mort lors de son dcs. Un linceul est un linge mortuaire entourant le corps. La datation au carbone 14 ralise en 1988 semblait avoir mis un terme aux dbats sur lauthenticit du Linceul de Turin. Pourtant, un nombre impressionnant dautres critres, tout aussi techniques dailleurs, font de ce tissu et des informations quil contient, une relique de lpoque de Jsus de Nazareth. Le tissu du Linceul est prsent dans la premire partie. Les rsultats de la datation au carbone 14 sont confronts aux lments de datation que permet le tissu. La deuxime partie est relative aux informations pictographiques dlivres par le Linceul, et en particulier celles qui permettent une datation. Cest dans cette partie que se trouvent dtailles les tapes de la crucifixion telles quelles apparaissent sur le Linceul. Les textes qui nous sont parvenus sont prsents ensuite pour permettre la comparaison avec la Passion de Jsus de Nazareth. La troisime partie est consacre lhistoire du Linceul. Plusieurs hypothses ont t proposes sur son itinraire avant son arrive Constantinople. La suite est mieux tablie. Les lments en faveur dune datation ancienne sont particulirement dvelopps. La quatrime partie retrace liconographie inspire par le Linceul en rapport avec sa datation. La cinquime partie prsente quelques-unes des tentatives dexplication de la pictographie du Linceul par des artefacts. La sixime partie place les messages des Mystres du Linceul dans le contexte intellectuel qui domine aujourdhui. Indpendamment de sa nature, le Linceul comporte une vision de Jsus de Nazareth, bien au-del de la seule apparence et de ses interprtations.

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    PREMIERE PARTIE

    Le tissu du Linceul

    Le Linceul Le Linceul est un tissu de lin de forme rectangulaire, de 4,41 mtres de long sur 1,13 mtre de largeur. Il mesure donc 8 coudes sur 2 coudes. La coude tait la mesure de longueur grco-romaine utilise dans le bassin mditerranen.

    Le fil de lin Le lin tait connu avant la plus haute Antiquit. Les traces de fibres de lin, trouvs en 2008 en Gorgie, dateraient de 36 000 ans. Elles pourraient reporter lpoque de la premire utilisation de textiles par lhomme, mais il sagit de fibres et non de tissus. Des morceaux de tissus ont laiss leur empreinte sur des objets en argile datant de 28 000 ans. Ils ont t dcouverts Dolni Vestonice, en Rpublique Tchque. On a retrouv des restes de lin dans les vestiges des cits lacustres suisses datant de 10 000 ans. En gypte, des bandelettes de momies en lin tiss datent de prs de 8 000 ans. Daprs Virgile, le tissage du lin serait une invention gauloise. Pline lAncien lui consacre une large place dans son Histoire Naturelle, au livre XIX. Il signale sa solidit qui le faisait utiliser pour les voiles des navires, les filets de chasse et les toiles qui couvraient les thtres, parfois teintes en bleu ciel et parsemes dtoiles comme celles que Nron fit mettre sur son amphithtre. Pline rapporte que les habitants de Cahors en faisaient des matelas dont le confort simposa dans tout lOccident. Il faut ajouter ces prcisions de Pline que les toiles de tente des Romains taient galement en lin, comme elles ltaient encore au Moyen Age. Saint Paul utilisait de tels tissus pour fabriquer des tentes. Il avait probablement hrit cette industrie de son pre, citoyen Romain dailleurs. Mais, dans tous ces exemples, les fils taient naturellement beaucoup plus gros que ceux du tissu du Linceul.

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    La culture du lin nest pas particulirement dlicate, mais elle exige une terre fine, sablonneuse, et elle appauvrit la terre, car il faut arracher les racines. Pline lAncien sinsurgeait contre les dgts que cause cette culture. Actuellement, le lin est encore cultiv essentiellement en France dans le pays de

    Caux qui exporte toute sa production vers la Chine. Une fois les tiges de lin arraches, elles taient mises tremper dans leau jusqu ce que les fibrilles se dtachent les unes des autres. Cette opration sappelle le rouissage. Le trempage tant polluant, il est aujourdhui interdit. Le rouissage seffectue sur place, leau de pluie, aprs larrachage des plans. On passe ensuite au teillage, du nom de loutil utilis autrefois en bois de tilleul. Les fibrilles sont libres de leur corce, dmles, puis peignes pour leur donner une mme direction. Elles sont ensuite

    sches. Ces fibrilles peuvent alors tre files. Les fibres de lin sont plus longues que la plupart des autres fibres vgtales ou animales. Elles ncessitent des moyens de filage spcifiques. Elles sont enroules sur elles-mmes sur un fuseau. Les fibrilles de lin se tordent spontanment en S lors du schage. Il est donc naturel denrouler les fibrilles sur elles-mmes dans le mme sens. On obtient des fibres de lin. Laspect de la torsion des fibres de lin est donc en S. On remarque, cependant, que le fil utilis pour le Linceul a un aspect

    en forme de Z. Cette torsion rsulte dun filage en deux temps, comme il est encore pratiqu aujourdhui. Les fibrilles sont files en fibres de torsion en S, puis les fibres assembles et files nouveau avec une torsion inverse en Z pour obtenir le fil. Le double filage avec deux torsions en S, plus conomique, est encore ralis pour les fils de lin de moins bonne qualit. Cest le cas des fils de lin utiliss en reliure dart.

    Ancien bassin de rouissage du lin Nevz

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    Les fils du Linceul ont, en moyenne, 0,2 mm de diamtre et contiennent 10 15 fibres torsades. Chaque fibre est compose dune petite dizaine de fibrilles. Les fils ont donc, en moyenne, une centaine de fibrilles. Les fibrilles ont un diamtre compris entre 20 et 40 microns. Leur longueur moyenne est de 22 mm. Le diamtre na pas chang, mais la longueur des fibrilles du lin du Linceul est assez faible par rapport aux lins cultivs par la suite. La longueur moyenne est aujourdhui prs de 40 mm. Les fils utiliss pour le tissu du Linceul devaient avoir un niveau de qualit correspondant la haute qualit du tissu comme nous allons voir. Seules les fibrilles les plus longues ont d tre retenues. La longueur moyenne du lin rcolt lpoque de Jsus de Nazareth devait donc tre globalement encore plus faible. Il faut voir l, trs probablement, une meilleure slection ultrieure des plans. Il faut ajouter cela que des mesures de rsistance la traction de fibres de lin du Linceul ont t ralises en 2012 lUniversit de Padoue. La comparaison avec des fibres datant de 3000 ans avant J.-C. jusqu 2000 ans aprs J.-C. montre que les fibres du Linceul datent de lpoque du Christ.

    Les Egyptiens avaient, 1000 ans avant, des tissus extrmement fins, souvent qualifis de lin. Il sagit sans doute, en ralit, de tissus en fils de ramie, une espce dortie, la Boehmaria nivea (L.), Urticaceae, ou ortie de Chine. Les fibrilles de la ramie sont les plus longues des fibres vgtales, de 50 250 mm. Elles ont peu prs le mme diamtre que celles du lin, de 20 50 microns, mais elles sont beaucoup plus rsistantes. On peut en faire des fils trs fins. Cest une plante subtropicale qui exige deux mois 25C et une pluviomtrie moyenne. Les Egyptiens cultivaient cette ortie depuis la plus haute Antiquit, dans des champs irrigus. Ils en faisaient, en particulier, des linceuls trs apprcis par leur extrme finesse et leur solidit, mais leur cot tait trs lev par les difficults tant de la culture que de lextraction des fibrilles. Il faut prciser que le diamtre des fils de lin du tissu du Linceul est trs irrgulier, comme on peut le voir sur la vue au microscope.

    Tissu (serg 3 lie 1) en lin du Linceul Tissu actuel (serg 6 lie 1) en lin

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    Ces lments, la longueur des fibrilles et lirrgularit du diamtre des fils de lin, sont deux critres danciennet qui rendent improbable que le lin du Linceul ait t rcolt et fil au Moyen Age.

    Le tissage du lin Le tissu comporte environ 38 fils au centimtre pour la chane et 26 fils de battues de trame par centimtre de longueur. Ces chiffres sont des moyennes. lpoque, tout tait fait la main. La variation de diamtre des fils est bien visible. Le nombre de 38 fils au centimtre implique que le diamtre moyen des fils de chane est denviron 0,14 mm. Les fils de trame ont environ 0,26 mm de diamtre. Les fils de chane sont toujours plus fins que les fils de trame. Cette disposition antique, toujours en vigueur, est ncessite par la rsistance du tissu fini et non par le tissage lui-mme. Les fils de trame sont beaucoup moins rectilignes que ceux de chane. Ils sallongent donc plus facilement sous leffet dune traction. Ce problme est particulirement gnant pour les voiles de navire. On compense ce phnomne en prenant des fils de trame plus gros. Il a fallu attendre la fin du XVIIIe sicle pour russir dterminer le rapport optimal des diamtres des fils par le calcul, rapport auparavant entirement empirique. Le poids moyen du tissu est de 20 23 mg/cm2. titre de comparaison, une serviette de toilette actuelle en lin fait 19 mg/cm2 et un mouchoir 7 mg/cm2. Les tissus en laine taient, en gnral, plus lourds, de 30 50 mg/cm2, avant la mise au point rcente du drap en super 100 qui peut descendre en dessous de 25 mg/cm2. Les plus anciens dessins de mtiers verticaux figurent sur des papyrus et des bas-reliefs gyptiens. Un portique, compos de deux montants verticaux et dune traverse, constitue le cadre du mtier ; au-dessous de la traverse est fixe une barre horizontale, lensouple, laquelle sont suspendus les fils de la chane, tendus leur extrmit infrieure par des poids, do le nom latin de tela pendula. Lensouple pouvait aussi servir enrouler le tissu au fur et mesure de sa confection et donc augmenter la longueur du tissu. Des poids de tissage exhums Guzer montrent que ces mtiers verticaux devaient tre utiliss, lorigine, pour confectionner les vtements de fin lin des prtres comme prescrit par lExode (28-5) : Ils emploieront de lor, des toffes teintes en bleu, en pourpre, en cramoisi, et de lin fin . La Mishna liste trente-neuf travaux interdits le Chabbath dont : (Mishna Chabbath 7, 2 : 18) Oss chenei batei nirin , installer un mtier tisser. Un type de mtier tisser vertical, courant dans lAntiquit romaine, permettait de tisser des toiles de 4 coudes de large, destines la confection de tuniques trs

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    prises. La tunica inconsutilis tait ralise, comme son nom lindique, sans couture dans une seule pice de 8 coudes de longueur. Le tissu termin pouvait tre coup en deux dans le sens de la longueur pour faire deux linceuls de deux coudes de large. On peut remarquer que la tunique de Jsus de Nazareth tait une tunica inconsutilis de grande qualit, que les soldats romains ont tire au sort. Saint Jean (19-23 et 24) donne le plus de prcisions : Les soldats, aprs avoir crucifi Jsus, prirent ses vtements, et ils en firent quatre parts, une part pour chaque soldat. Ils prirent aussi sa tunique, qui tait sans couture, dun seul tissu depuis le haut jusquen bas. Et ils dirent entre eux : ne la dchirons pas, mais tirons au sort qui elle sera. Cela arriva afin que saccomplt cette parole de lcriture : Ils se sont partag mes vtements, et ils ont tir au sort ma tunique. Voil ce que firent les soldats . Pour une raison mystrieuse, on reprsente les mtiers verticaux de lpoque romaine limage des mtiers inclins du Nolithique, en bois tordu mal quarri. Les Romains avaient des outils en fer gaulois. Ils construisaient des balistes parfaitement assembles. Les mtiers tisser de lpoque ne devaient pas tre plus frustres, surtout pour fabriquer des tissus de haute qualit. Les montants devaient tre parfaitement lisses pour viter dendommager les fils. Les Egyptiens et les Grecs avaient dj des mtiers verticaux, comme celui de la lgende dArachne ou celui de Pnlope que lon retrouve sur des poteries. Toutefois, les montants taient souvent fichs en terre pour assurer une parfaite stabilit. Cette pratique existait encore lpoque carolingienne. Il existait galement, depuis la plus haute Antiquit, des mtiers tisser horizontaux, placs mme le sol. La position horizontale permet une plus grande rapidit dexcution. lpoque, ce type de petits mtiers, trs courants, ne permettait pas dobtenir des tissus daussi bonne qualit et aussi large que les mtiers verticaux. Avant de commencer le tissage, il fallait attacher les fils de lin sur lensouple, une poutre ronde fixe en haut des montants verticaux. Les fils verticaux parallles constituent la chane. Les fils taient tendus par des pesons. Les fils de chane taient groups par dizaines et attachs aux pesons quil fallait faire glisser le long des fils et refixer chaque tour de lensouple jusqu lobtention de la longueur de tissu dsire.

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    Le Linceul comporte environ 4000 fils de chane, nombre quil faut doubler puisque les mtiers taient conus pour les tuniques. Ensuite, le tissage proprement dit consistait passer horizontalement un fil, le fil de trame, entre les fils de chane. Sur 8000 fils, il y avait invitablement des erreurs de passage de fils, erreurs que lon retrouve tout au long du tissu. Ce type de mtier ne permettait pas dobtenir un tramage rgulier comme au Moyen-Age. Les toiles

    fabriques aprs lan mil, comme la tapisserie de Bayeux, en laine sur des pices de lin, sont dj de bien meilleure qualit que le Linceul. Cette tapisserie a t confectionne entre 1066 et 1082. Ces pices de lin contiennent beaucoup moins de fautes de tissage et dailleurs, le diamtre des fils est beaucoup moins irrgulier.

    Pesons de tissage romains

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    Le Linceul a t tiss en armure serg 3 lie 1, cest--dire que le fil de trame du tissu ne reprend quun fil de chane sur quatre. Mais en outre, il est chevrons, motif obtenu en inversant le sens des fils de chane lis aux harnais espacements rguliers. Les chevrons ne sont pas une ncessit du serg, mais une disposition particulire adopte pour les tissus de haute qualit. Ils augmenteraient la souplesse du tissu. Cest du moins, aujourdhui, largument de vente des tissus serg twill chevrons. On peut penser quen introduisant une rupture de symtrie, les chevrons permettent de limiter la dformation transversale du tissu et la formation de poches aux endroits les plus sollicits comme les coudes et les genoux pour les tuniques.

    Ce type de tissage tait pratiqu dans tout lempire romain. Ctait, en particulier, le cas de la rgion de Tyr et Sidon, au Liban actuel, lpoque de Jsus de Nazareth. Il sagit dune technique longue et trs coteuse. La confection du Linceul a d demander plusieurs semaines. Larmure serg a t aussi utilise pour des tissus dcouverts Damas, Palmyre et Pompi datant du dbut de lre chrtienne. Elle ncessitait un mtier tisser vertical quatre harnais comme nous avons vu. Les Egyptiens tissaient le lin en armure drap et non en serg. Le mtier de laquarelle, courant lpoque gallo-romaine, a t dessin avec ces quatre harnais. Les harnais permettent de changer la position des fils de chane les uns par rapport aux autres. Dans un mtier vertical, le rappel des fils en arrire

    Les chevrons du serg du Linceul

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    rsulte de laction des poids. Les harnais permettent de ramener une partie des fils vers lavant afin de laisser un espace entre les fils pour passer le fil de trame. Dans un mtier horizontal, les harnais sont des rectangles verticaux en bois, munis de fils boucle tirant alternativement les fils de chanes vers le haut puis vers le bas. Lavantage du tissage en serg est sa souplesse. Mais, il a un inconvnient par rapport au tissage dans les deux autres armures, le drap et le satin, comme nous le verrons.

    Le fait quil y ait 1 fil dessus et 3 fils dessous, donne un aspect diffrent chaque ct du tissu : lun aura une prdominance de fils de chane, lendroit, lautre de fils de trame, lenvers. La diffrence daspect est renforce, dans le cas du Linceul, par les chevrons. Cest donc lendroit qui a reu limage. Les dtails sont de meilleure qualit que si limage stait forme sur lenvers.

    La finition du Linceul En coupant ce tissu de grand prix en deux, dans le sens de la longueur, on en faisait deux linceuls. Le problme est que, dun ct, le fil de chane en lisire est bloqu par le retour du fil de trame, mais du ct coup, le tissu seffiloche facilement. Cest le problme des sergs. Pour y remdier, une bande tait cousue sur ce ct en reprenant les fils de trame. Le mme problme existe aux deux extrmits du tissu. Le Linceul doit ncessairement avoir une reprise remontant les fils de chanes, dfaut dun ourlet. La couture de la bande latrale est trs spcifique. Il est, en effet, peu rationnel de couper une toile de cette qualit. On peut penser que cette pratique ntait justifie que pour confectionner des linceuls pour les plus riches habitants de Jude et de Galile. Les Hbreux ont adopt certains rites funraires des Egyptiens. Les Egyptiens plaaient les corps momifis dans des linges quils enserraient ensuite dans des bandelettes. lpoque, les Romains pratiquaient lincinration.

    Endroit du tissu serg du Linceul Envers du tissu serg du Linceul

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    La finition du tissu ainsi que le type de couture et de piquage ressemble ce qui peut tre observ sur des restes de textiles antiques, dats de 40 avant J.-C. 73 aprs J.-C., dcouverts dans la forteresse de Massada en Jude, o les derniers combattants juifs rsistrent loccupant romain en 73 aprs J.-C.. Cette place forte, qui comportait aussi un palais dHrode le Grand, ne fut plus occupe par la suite. Flavius Josphe rapporte que la tunique du grand-prtre, elle aussi dun seul tenant, comportait galement une couture aux chancrures du dos et de la poitrine pour ne pas laisser une coupure peu convenable. Ce type de finition tait inconnu en Europe au Moyen-Age. On ne pratiquait que lourlet simple qui rduit la largeur du tissu. Nous verrons que les images visibles sur le Linceul sont dans laxe du linge complet, cest--dire avec sa bande latrale. Ce ne serait pas le cas si cette bande avait t ajoute postrieurement. Elle fait partie intgrante du Linceul tel quil a t livr. La qualit dexcution de la couture est en rapport avec la grande qualit du tissu du Linceul. La bande latrale a, de plus, un poids spcifique plus lev que le tissu lui-mme. Lexamen aux rayons X des fils de part et dautre de la couture aurait montr que la bande rapporte a t cousue avec les extrmits des fils de trame. On se demande bien pourquoi il a fallu des rayons X pour voir ce qui ne ncessite quun compte-fils ? Un grossissement de 10 est largement suffisant. De plus, dans le sens de la longueur, il y a, en gros, 11 500 fils coups. Il aurait fallu, non seulement les faufiler, mais aussi les retourner pour bloquer la bande. Techniquement, cest peu envisageable cause de la faible longueur de fil disponible, sans insister sur les mois de travail ncessaires. Bien que les informations ne soient pas trs cohrentes, on peut penser quil sagit de deux coutures parallles des replis du tissu et de la bande, imbriqus lun dans lautre. Cest le mode le plus courant de raboutage, toujours utilis. On ne voit pas bien ce quil y aurait dexceptionnel ? Mais, ce raboutage qui permettait daccrotre un peu la largeur du tissu tout en vitant leffilochage est peut-tre particulier. Le point de couture utilis est peut-tre lui-mme spcial ? La bande elle-mme a ncessairement le ct extrieur bloqu par son fil de trame. Reste savoir sil en est de mme du ct du Linceul ? C'est--dire, a-t-elle t tisse seule ou provient-elle de la bordure dun tissu ?

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    On peut remarquer que la tunique de Trves prsente galement une bande sa partie infrieure. Le tissu na pas t coup comme pour un linceul, mais les extrmits du tissu prsentent le mme problme. Il faut imprativement un ourlet ou une bande de fixation des fils. Pour une tunique, il sagit surtout de renforcer le bas contre lusure. Rappelons que les images visibles sur le Linceul sont dans laxe du linge complet, cest--dire avec sa bande latrale. Ce ne serait pas le cas si cette bande avait t ajoute postrieurement.

    Le blanchiment du tissu Le tissu a t blanchi aprs tissage, comme cest toujours le cas aujourdhui. Le blanchiment se faisait, jusqu une poque rcente, par une exposition lair du tissu tendu sur le sol et arrosage priodique leau. Cette technique peut prendre des semaines. Le blanchiment rsulte de laction de lozone de lair et de leau, mais aussi de la lumire solaire. Le blanchiment par voie uniquement liquide date du XVIIIe sicle. On a

    dabord utilis lacide lactique puis le chlore. Depuis quelques annes, on utilise lhypochlorite de calcium. Pline ne donne aucune prcision sur la mthode de blanchiment. Des auteurs rapportent que la partie des fils du Linceul recouverte par un autre fil aux croisements, o ils nont donc pas t exposs la lumire, est reste un peu brune. Cette information est assez douteuse. Dune part, le Linceul tout entier a jauni avec le temps. Dautre part, un tel phnomne nexiste pas pour les tissus blanchis lair et leau que lon peut encore trouver sur le march. Cette mthode a une autre consquence. Les pollens apports par le vent sincrustent entre les fils sous laction de leau. De tels tissus peuvent contenir beaucoup plus de pollens que les tissus de fils blanchis par voie liquide, surtout sils ont t blanchis pendant la priode de floraison. On peut prciser que ces arrosages successifs entranent des dpts dvaporation. Les pollens et les fils sont donc recouverts de calcite, le principal dpt dans les rgions calcaires. Dans ce cas, les derniers pollens arrivs ont moins reu que les premiers. Les pollens du Linceul sont effectivement couverts de quantits trs variables de calcite. Seule lanalyse

    Blanchiment de toiles de lin Sailly-sur-la-Lys, au dbut du XXe sicle

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    isotopique pourra dterminer lorigine gographique de leau utilise. La composition isotopique de certains composants rares, comme le strontium, est en effet trs caractristique dune rgion dtermine. On sait dj quil y a du calcium et du strontium dans le Linceul.

    Labsence de laine dans le tissu On ne trouve pas de trace de laine, ce qui est pourtant courant dans les tissus de cette poque. Ce lin a donc t fil et tiss dans un atelier nutilisant pas la laine. Une telle situation na exist que pour les tissus raliss pour des Juifs. La loi hbraque interdisait de mler dans un mme tissu la laine et le lin. Le Deutronome (22-11) stipule : Tu ne porteras point un vtement tiss de diverses espces de fils, de laine et de lin runis ensemble , texte plus souple que le Lvitique, (19-19) : Tu ne porteras pas un vtement tiss de deux espces de fils . Cest seulement le tissage qui tait soumis la rgle de non-mlange des fils de laine et de lin. Les Juifs pouvaient porter des vtements en laine sur des sous-vtements en lin ou en coton. Toutefois, un linceul tait un vtement pour les morts ; il n'tait pas soumis la loi relative au mlange des fils. Mais, le tissu dont a t tir le Linceul aurait d, normalement, servir faire une tunique. Les tuniques taient fabriques en grande quantit. Il ny avait certainement pas dateliers spcifiques pour les linceuls. Les tissus fabriqus dans dautres rgions comportent toujours des traces de laine. Les matriels ncessaires, les mtiers en particulier, taient coteux et taient utiliss ailleurs indiffremment pour toutes les sortes de fils.

    La prsence de coton dans le tissu La prsence de coton a t mise en vidence ltat de traces, essentiellement en surface. Ces traces de coton peuvent avoir t apportes lors des rparations. Toutefois, la prsence de coton dans les tissus tait courante lpoque, car les oprations de tissage taient ralises dans les mmes ateliers et avec les mmes matriels pour tous les types de fils. Mais videmment, il ny a aucune raison pour que du coton se trouve ml aux fibres mme de lin. Les fils de lin et de coton avaient trs peu de chance dtre fabriqus au mme endroit. Ce nest que dans les parties rpares que lon a pu constater un mlange de fils de lin et de coton, et non pas seulement de traces. Il faut noter que la bande latrale ne comporterait aucune trace de coton. Elle ne proviendrait donc pas du mme mtier, ni mme, sans doute, du mme atelier.

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    Le coton est plus rcent que le lin. Il est cultiv en Inde depuis plus de 3 000 ans et le Rig-Veda, crit en 1 500 avant J.-C., le mentionne. Mille ans plus tard, le Grec Hrodote mentionne le coton indien : L-bas il y a des arbres qui poussent ltat sauvage, dont le fruit est une laine bien plus belle et douce que celle des moutons. Les Indiens en font des vtements . Strabon dcouvre du coton, quelques annes avant notre re, lentre du Golfe Persique. Pline lAncien reprend ces informations dans sa fameuse Histoire Naturelle (VI-XXI) et prcise que le coton du Golfe Persique est de bien meilleure qualit que celui de lInde. On peut rappeler, au passage, que Pline est mort en 79 aprs J.-C., asphyxi avec tout lquipage de son navire. Son insatiable curiosit lavait pouss armer un navire de la Flotte pour aller voir de plus prs lruption du Vsuve. Ils avaient dbarqu prs de Pompi et furent pris dans un nuage de gaz toxiques. Le fait est que les juifs tissaient le coton lpoque du Christ. Lexamen des traces de coton du Linceul a permis de dterminer lespce de coton : Gossypium Herbaceum, espce caractristique des rgions chaudes et ensoleilles. Cette espce est caractrise par sa torsion. Toutefois, il est possible que ce coton soit postrieur la fabrication du Linceul. Il faudrait en trouver dans les pictographies pour sassurer de son origine, sil a t, lui aussi, teint en ocre.

    Labsence de soie dans le tissu On na pas trouv de traces de soie pour une raison trs simple et gnrale. Des tissus de soie ont t dcouverts dans la Valle des Rois avec une momie gyptienne date de 1070 avant J.-C.. Pline lAncien, toujours dans son Histoire Naturelle, attribue la soie aux bombyx du mrier : Ces insectes forment, comme les araignes, des toiles, dont on fait, pour l'habillement et la toilette des femmes, une toffe nomme bombycine. L'art de les dvider et d'en faire un tissu a t invent dans l'le de Cos . Ce serait la minuscule le de Ka dans larchipel des Cyclades. Cette localisation est tellement improbable que Pline mentionne avec une profonde ironie la gloire de cette le. Il ajoute que lon trouverait des bombyx dans lle grecque de Cos. Il y a de nombreux insectes appels bombyx, mais seule la chenille du bombyx mori produit la soie. Il sagit certainement dune confusion. Il est question de la soie dans la Bible (Ezchiel 16, 10) et on peut penser que la cour dHrode en faisait usage. Sils avaient su que la soie est produite par un invertbr, les Juifs lauraient peut-tre interdite. Peu aprs la conqute de lgypte, en 30 avant J.-C., se mit en place un commerce rgulier entre les Romains et lExtrme-Orient. Les tissus de soie leur taient vendus par les Parthes. Le snat romain tenta, en vain, de prohiber le port de la soie, autant pour des raisons conomiques que morales.

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    La soie tait importe de Chine exclusivement sous forme de tissus. Il ny avait donc pas de mtier tisser la soie au Moyen-Orient ni en Europe lpoque de Jsus de Nazareth. Les premiers vers soie furent imports en Occident sous Justinien 1er en 552-553 aprs J.-C.. Malgr tout, le tissage de la soie est rest assez spcifique. Il est peu probable que lon trouve des traces de soie sur des lins du Moyen Age.

    La prsence dautres lments dans le tissu On a trouv dans le Linceul des traces de pigments utiliss en peinture. Nous verrons que ces pigments ne peuvent, en aucune manire, tre lorigine des pictographies que nous examinerons dans la seconde partie, lexception des critures dcouvertes rcemment autour du visage. Ils pourraient provenir de latelier de fabrication qui devait aussi procder la teinture, ou se trouver proximit dun atelier de teinture possdant de tels pigments emports par le vent ou par simple contact. Le Linceul a aussi t examin par des peintres qui ont pu dposer des pigments involontairement en le manipulant. On a galement trouv des traces de quelques aromates, sans rapport avec la quantit qui aurait d tre verse pour un embaumement.

    La prsence de pollens dans le tissu Nous avons vu que le blanchiment du tissu aprs tissage apportait des pollens incorpors entre les fils. Par la suite, dautres pollens ont pu se dposer, mais contrairement une tunique, un Linceul na aucune raison dtre expos lair avant dtre dpli pour recevoir un mort. Par la suite, il est rest pli pendant pratiquement tout son sjour au Moyen-Orient. La quasi-totalit des pollens proviennent de lopration de blanchiment. Sur les 58 espces de pollens retrouvs sur le Linceul, 44 proviendraient du bassin mditerranen voire de Palestine notamment, et 28 dentre elles ont t identifies comme provenant despces florissant entre Jrusalem et Jricho, toutefois il ny a pas, semble-t-il, de pollens de chne ni dolivier. Les spcialistes des pollens pensent quil est trs difficile de dterminer une espce vgtale partir de son pollen. Souvent, ltude ne permet que la dtermination du genre, voire de la famille. Quoi quil en soit deux espces ont pu tre identifies : Cistus Creticus, bien connue des Egyptiens qui utilisaient ses vertus stimulantes, et Gundelia Tournefortii, arbuste pineux que lon trouve au Moyen-Orient.

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    Lexamen des pollens prlevs montre que les grains sont couverts de calcite. Certaines graines, pourtant semblables aux autres, nont pas de calcite. La calcite peut difficilement provenir de laspersion, trs brve et limite, lors de lincendie de la Sainte-Chapelle de Chambry. Ce dpt minral provient, trs probablement, du blanchiment. Sur la tunique dArgenteuil, une autre relique qui serait un vtement port par Jsus de Nazareth avant dtre mis en croix, on a retrouv en surface, parmi dix-huit pollens, deux espces particulires de tamarin et de pistachier qui ne se rencontreraient quen Palestine, espces que lon a aussi retrouves sur le Linceul et sur le suaire dOviedo.

    La prsence de poussires minrales sur le tissu On a retrouv lemplacement du nez, des genoux et des pieds, des poussires daragonite, une forme du carbonate de calcium. Laragonite provient du travertin. Laragonite se recristallise en calcite avec le temps, mais la plupart des carrires de travertin, en particulier les clbres et antiques carrires de Tivoli, en contiennent encore. Il y a du travertin Jrusalem, en particulier prs de la porte de Damas. L

    Porte de Damas Jrusalem, reconstruite par Soliman le Magnifique au XVIe sicle.

  • 23

    encore, lanalyse isotopique pourrait apporter dintressantes informations sur le lieu dorigine de ces poussires. Des exgtes situent le Golgotha sur la route de Damas, alors trs frquente, mais plutt la porte dHrode qui est ct.

    Le Carbone dans le Lin Le lin se compose de 64 74% de cellulose, de 11 17% dhmicellulose, de 1.8% de pectine, de 2 3% de lignine de 1.5% de cire et de 8 10% deau. Les cellules fibreuses du lin sont entoures des diffrentes couches formant les parois. Les parois qui assurent lessentiel des proprits mcaniques des fibres sont composes de microfibrilles de cellulose unidirectionnelles, entoures de polysaccharides matriciels [Cx(H2O)y)]n, tels que les pectines ou les hmicelluloses. La formule de la cellulose pourrait scrire : (C6 H10 O5)n

    Les pectines, les hmicelluloses, la lignine et la cire, essentiellement de la paraffine, sont exclusivement composes de carbone, doxygne et dhydrogne. Lessentiel ici est de voir que la totalit du carbone du lin est intgre des structures macromolculaires. Il nexiste aucun procd chimique qui permettrait de remplacer les atomes de carbone par dautres atomes, ni mme un isotope du carbone par un autre, sans dtruire la structure. Ils sont lis la structure. Mme la fabrication de la nitrocellulose ne comporte aucun remplacement du carbone, mais une addition dazote dans les chanes cellulosiques. Il y a, par contre, des procds physiques qui permettent, non de remplacer, mais de transformer les atomes de carbone. Les fibres de lin ne contiennent pratiquement pas dazote lors de leur rcolte. Ce nest pas le cas des graines de lin. Ce sont les graines qui requirent un lger apport azot lors de la culture, mais non les fibres pour lesquelles lazote peut, au contraire, provoquer une croissance dsordonne.

  • 24

    La prsence de carbone et dazote dans un tissu en lin, en dehors des chanes molculaires, ne peut donc rsulter que de lincorporation entre les fibres de lin de produits trangers ces fibres. Ces produits peuvent avoir de multiples origines : des fibres incorpores lors du tissage sur un mtier polyvalent, des dpts provenant de leau de nettoyage et de blanchiment du tissu, des pollens apports par le vent et un peu de gaz interstitiels : du dioxyde de carbone et de lazote de lair. Mais, lapport principal vient des rparations. Seules les rparations avec apport de fils peuvent reprsenter une part notable du poids de carbone dun tissu. Les autres apports en carbone ne peuvent constituer quune fraction infime du poids du tissu. Le carbone (masse atomique 12) reprsente 40% de la masse du tissu de lin, loxygne (m. a. 16) 53% et lhydrogne (m. a. 1) 7%. Les apports extrieurs ne peuvent, en aucune manire, dpasser une fraction de % du poids total du tissu. Quant lair, il ne saurait se fixer dans la structure du tissu. Lazote et le dioxyde de carbone de lair, emprisonns entre les fibres, sont en quantit infime. Bien que le Linceul ne contienne pas de laine, on peut prciser que la laine se compose essentiellement de kratine et donc dacides amins. Trs grossirement, on peut dire que la structure de base des acides amins comporte des atomes dazote la place des atomes de carbone de la cellulose du lin. La laine comporte dautres composants carbons, contenant donc du carbone 14, qui permettent de dterminer son ge. Cest ce qui a permis de dater la Tunique en laine dArgenteuil.

    Le carbone 14 dans latmosphre Le carbone se prsente sous forme de quatre isotopes : les carbones 11, 12, 13 et 14. Le carbone 11 est instable. Il a une priode de 20 minutes. Il se dcompose donc rapidement et il nexiste pas ltat naturel sur Terre. Le carbone 12 est stable et constitue la quasi-totalit du carbone terrestre que ce soit dans le sol, dans leau ou dans lair. Sa stabilit est telle que le graphite, du carbone quasi pur, est utilis comme modrateur dans certains modles de centrales nuclaires. On peut, en gnral, transformer la nature dun atome par

  • 25

    bombardement neutronique. Mais, il est impossible de transformer ainsi un atome de carbone 12 qui constitue la majeure partie du carbone terrestre et donc du Linceul. On ne peut transformer que le carbone 13 et lazote 14 en carbone 14.

    Le carbone 13 constitue 1.1% du carbone terrestre. Il est stable, mais peut se transmuter en carbone 14, comme lazote ; sous leffet dun bombardement de neutrons.

    CnC14

    6

    1

    0

    13

    6 + Le carbone 14 est instable. Le carbone 14, ou radiocarbone, est un isotope radioactif du carbone. Lunique mode de dsintgration du carbone 14 produit, en simplifiant un peu, un lectron et se transmute en azote 14.

    NeC14

    7

    0

    1

    14

    6 +

    Il en rsulte que les atomes de carbone 14 des chanes molculaires sont remplacs, peu peu, par de lazote. Les tissus de lin anciens contiennent donc, dans les chanes molculaires, une proportion dazote gale la proportion de carbone 14 qui sest transmute avec le temps. Cette proportion est extrmement faible. La priode radioactive du carbone 14 est de 5734 40 ans selon des calculs relevant de la physique des particules datant de 1961. Cependant, pour les datations on continue par convention demployer la valeur value en 1951, de 5568 30 ans. Cette priode correspond au temps mis par la moiti dune quantit donne de carbone 14 pour se transformer en azote 14. On parle de demi-vie. Avec une priode radioactive de 5734 ans, le carbone 14 aurait depuis longtemps disparu de latmosphre sil ntait produit en permanence. Dans la haute atmosphre, des ractions nuclaires inities par le rayonnement cosmique, essentiellement des protons, pratiquement de lhydrogne, produisent un flux de neutrons libres. Aprs avoir t ralentis par collision avec les molcules de lair, les neutrons, dans une certaine gamme dnergie cintique, ragissent avec lazote pour former du carbone 14 :

    pCNn1

    1

    14

    6

    14

    7

    1

    0 ++

  • 26

    Lazote constitue 78,11 % de latmosphre de la Terre. La probabilit de cette transformation est donc assez leve. Elle se produit entre 15 000 mtres et 18 000 mtres, des latitudes gomagntiques leves. Le flux de rayons cosmiques est relativement constant sur une longue priode de temps. Le taux de production du carbone 14 dans la haute atmosphre est donc globalement constant. Or, il se trouve que cette production compense assez bien la dsintgration du carbone 14 par radioactivit naturelle. Finalement, la proportion de carbone 14 par rapport au carbone 12 est stable. Sa valeur est de 1,2x10-10 %. Cette proportion est assez uniforme dans latmosphre et la biosphre en raison des changes permanents entre les organismes vivants et leur milieu. Les atomes de carbone 14 ragissent rapidement avec loxygne pour former du dioxyde de carbone. Ce gaz circule dans toute latmosphre et les ocans. Le dioxyde de carbone ragit galement avec la biosphre. Les plantes assimilent du carbone 14 de latmosphre par photosynthse. Il se rpand ainsi dans tout le cycle vivant. Cependant, les variations du champ magntique terrestre font varier le taux de production du carbone 14 au cours du temps. Les changements climatiques ainsi que le rejet massif de carbone fossile dans latmosphre par lindustrie et les transports depuis le XIXe sicle, ont galement modifi la teneur de carbone 14. De plus, durant les annes 1950 et 1960, les essais nuclaires ont presque doubl la quantit de carbone 14 dans latmosphre. Des chercheurs Japonais ont dcouvert en 2012, dans les cernes de deux arbres, correspondant aux annes 774 et 775, une forte et rapide hausse du taux de carbone 14, denviron 1,2 %. Une telle augmentation est 20 fois suprieure aux variations attribues aux changements de lactivit du Soleil. On lattribue lexplosion dune supernova ou une tempte de protons solaires. Les variations de concentration de carbone observes viennent modifier lge mesur des cernes des arbres concerns, mais seulement celles-l. Cette hausse contribue attribuer un ge plus rcent aux cernes concerns de 150 ans environ par rapport aux cernes voisins. Ce type dexcursion de radiation a pu se produire plusieurs fois dans le pass. Mais, il ne sagit pas dune correction gnrale applicable toutes les mesures. Elle concerne seulement les fibres vgtales ou animales vivant au moment de lexcursion. Ces variations ne peuvent en aucun cas conduire attribuer un ge erron des fibres de lin si ces fibres annuelles nont pas t exposes, lors de leur croissance, de telles variations. Une fois rcoltes, les variations de la proportion de carbone 14 dans latmosphre na plus aucune influence.

  • 27

    La datation au carbone 14 Un organisme vivant assimile le carbone avec une proportion de carbone 14 globalement invariable. la mort dun organisme, tout change avec le milieu extrieur cesse, mais le carbone 14 reste pig et sa quantit se met dcrotre exponentiellement par dsintgration radioactive. On peut ainsi dterminer depuis combien de temps lorganisme est mort. Le carbone 14 est couramment utilis pour la datation dobjets archologiques

    jusqu 50 000 ans. Les corrections ne sont sensibles que pour les priodes largement antrieures au premier sicle de notre re : 1000 ans avant J.-C. devient 1200, 2000 devient 2500, 3000 devient 3650 et 4000 devient 4800. Ces corrections sont prises en compte systmatiquement depuis les annes 1970 dans toutes les estimations. Une courbe de calibration a t tablie pour permettre la correction ncessaire.

    Une autre correction rsulte du fractionnement isotopique lors de la photosynthse de la plante. Les plantes dsavantagent les isotopes les plus lourds du carbone en absorbant proportionnellement moins de carbone 13 et de carbone 14. En outre, le contenu en carbone 13 et 14 des vgtaux dpend du cycle de la photosynthse de la plante. La quasi-totalit des plantes continentales des pays temprs emploient le cycle C3, et privilgient le carbone 13. Il nen va pas de mme dans les pays tropicaux et dsertiques o les plantes privilgient le carbone 14. Ces phnomnes, qui correspondent finalement une trs faible rduction du taux initial de carbone 14, vont dans le sens dune attribution de dates trs lgrement plus anciennes que la ralit. La mesure elle-mme est trs fiable et ne peut tre mise en cause. Mais, la correspondance avec une poque prcise peut tre fausse par la prsence, dans les chantillons, de corps dpoques diffrentes. Cest pourquoi la datation est plus exacte pour les vgtaux compacts comme le bois. Les tissus et les papiers peuvent avoir t pollus par des fibres et des particules solides trangres qui peuvent

  • 28

    perturber, non pas la proportion mesure de carbone 14, mais la correspondance avec la date relle de llaboration des fibres vgtales. La correspondance avec la date relle peut tre fausse par bombardement par des neutrons. Les neutrons peuvent transformer lazote 14 dj produit par la dsintgration radioactive du carbone 14, mais surtout le carbone 13, en carbone 14. La proportion de carbone 13 devrait donc tre trs faiblement anormale aprs le bombardement. Elle est aussi mesurable au spectromtre de masse. En effet, la mesure au spectromtre de masse ne rsulte pas de la radioactivit, mais de la masse des atomes, comme son nom lindique. Les variations dues la photosynthse pourraient suffire masquer cet cart. Des tissus de lin et de coton anciens, irradis dans des racteurs nuclaires, ont donn des taux de carbone 14 plus levs que leur ge ne pouvait lindiquer. La prsence de carbone 13 permet dobtenir des dates dans le futur pour un tissu, mme rcent, ne contenant pas encore dazote 14. Cest encore plus facile avec la laine qui contient beaucoup dazote 14 ds lorigine. Linconvnient de la mthode de datation au carbone 14 est dentraner la destruction des chantillons. De trs grands progrs ont t raliss. La nouvelle mthode dite SMA, pour spectromtrie de masse avec acclrateur, utilise pour le Linceul en 1988, est elle-mme en pleine volution. Elle permet aujourdhui danalyser des chantillons contenant moins dun milligramme de carbone au lieu de plusieurs grammes et en moins dune heure au lieu de plusieurs jours plusieurs semaines. Il suffit donc de quelques milligrammes de tissu au lieu des 50 mg il y a 20 ans et, naturellement, beaucoup moins quauparavant. La simple spectromtrie de masse ncessitait plusieurs grammes. Les premires mesures ralises dans les annes 1940 au compteur Geiger ncessitaient des dizaines de grammes. On peut noter quune nouvelle mthode de datation au carbone 14 par mission de dioxyde de carbone par le tissu, et donc sans destruction de lchantillon, a t mise au point en 2010. Sans destruction ne signifie, cependant, pas sans altrations. Lmission de dioxyde de carbone doit altrer partiellement la structure des fibres elles-mmes.

    Les anomalies de datation au carbone 14 La mthode au carbone 14 a connu quelques dfaillances : des escargots vivants dats de 24 000 ans avant J.-C., un cor viking, fabriqu en 500 environ, dat par le carbone 14 de 2006 aprs J.-C., un cart de 1 000 ans entre une momie gyptienne et ses bandelettes.

  • 29

    Certaines anomalies ont pu tre expliques. Ainsi, un sarcophage gyptien qui avait sjourn dans la cour dun laboratoire de Chicago, a t dat du XXe sicle. Cette erreur de datation de plusieurs millnaires avait t provoque par un nuage de rsidus radioactifs qui avait survol Chicago la suite dune exprience atomique dans le dsert du Nevada. La datation au carbone 14 de lhomme de Lindow a permis de situer la date de sa mort entre -2 et 119 de notre re. Il ny a aucun problme ce sujet. Les mesures de Jarno sur les sites de la civilisation mgalithique de Bretagne ont donn 3000 avant J.-C., avec des vestiges dats au carbone 14. Ces dates ne sont pas contestes. Les problmes de cette mthode concernent les compositions isotopiques anormales rsultant deffets nuclaires inconnus :

    - os dun squelette de momie gyptienne : 2 000 et 4 000 ans, - carotte du dtroit de Bring : 6 mesures de 4 000 16 000 ans, - carcasse de buf musqu : 17 000 et 24 000 ans, - peintures paritales prhistoriques : 14 000 et 28 000 ans, 15 000 et 30 000 ans, - des peintures spatialement proches dans la grotte et identiques en termes de

    motif, de style et dexcution par lartiste, prsentent parfois des carts dpassant 10 000 ans.

    - les peintures et les autres objets datables (mobilier, restes danimaux, charbons de bois, ) de la grotte prsentent parfois des carts dpassant 10 000 ans.

    - des peintures identiques en termes de motif, de style et dexcution par lartiste, prsentent parfois des carts dpassant 10 000 ans dune grotte lautre.

    Or, la prcision de la mesure se situe plusieurs ordres de grandeur en dessous de telles erreurs. Lanomalie est donc certaine. Les 3 hypothses retenues pour expliquer les carts des peintures paritales sont :

    - la pollution par du carbone plus rcent, - lutilisation par lartiste de charbons de bois plus ou moins vieux, - la retouche ultrieure de luvre par un autre artiste.

    Toutefois, ces exemples sont nettement plus anciens que le Linceul.

    La datation du Linceul au carbone 14 En 1988, le Vatican autorisa le prlvement dun chantillon du Linceul en vue de sa datation au carbone 14.

  • 30

    Cet chantillon fut coup en quatre morceaux donns 3 laboratoires, au lieu des 7 prvus initialement, le Radiocarbon Accelerator Unit de lUniversit dOxford, lUniversit dArizona et lInstitut Fdral de Technologie de Zurich. Les autres laboratoires prvus utilisaient une mthode de comptage ancienne ncessitant une importante quantit de tissu comme nous avons vu. Les prlvements furent raliss prs de la bande latrale dont nous avons parl, lextrmit du Linceul portant limage vue de face. En haut gauche sur la photographie. Cette partie de la bande latrale tait, dailleurs, manquante comme celle, galement trs visible, situe lautre extrmit. Elle a t complte probablement en mme temps que les rparations des brlures de lincendie de 1532. Les laboratoires reurent 3 chantillons de contrle dorigines diffrentes :

    - un tissu de lin provenant de Nubie et dat par des mthodes historiques du XIe -XIIe sicle aprs J.-C. ;

    - un tissu de lin associ une momie gyptienne estime du premier sicle aprs J.-C.;

    - des fils provenant de la cape de Saint Louis dAnjou, date historiquement de 1290-1310 aprs J.-C.

    Les trois laboratoires subdivisrent les chantillons et les soumirent plusieurs procdures diffrentes de nettoyage mcanique et chimique. Tous les laboratoires ont examin les chantillons de textile au microscope pour identifier et enlever les matriaux trangers. Le groupe dOxford nettoya les chantillons laide dune pipette vide, puis dans un ther de ptrole pour enlever les graisses et la cire de bougie par exemple. Ces mthodes de nettoyage utilisrent aussi successivement des solutions acides et alcalines. Zurich utilisa un bain dultrasons pour ce prtraitement. Aprs ces procdures initiales de nettoyage, chaque laboratoire coupa les chantillons en morceaux. Chaque morceau dchantillon a t converti en graphite sur lequel furent effectues les mesures. Chacun des laboratoires a mis en uvre de 3 5 mesures indpendantes pour chaque morceau dchantillon sur une priode denviron un mois. Les rsultats ont fait lobjet dune analyse statistique par luniversit dOxford qui a publi le tableau qui suit. Les chiffres sont des nombres dannes avant 1950, anne conventionnelle pour ce type de datation. Les rsultats donnent une date mdivale situe entre 1260 et 1390. Il est impossible que les marges derreur rapportes expliquent la dispersion globale.

  • 31

    Le niveau de significativit est anormalement faible. La dispersion des rsultats ne vient pas des installations de mesures. Les autres rsultats sont cohrents. La courbe de corrlation avec lge des chantillons est elle-mme vrifie sur un tel nombre dexemples quelle ne peut tre mise en cause. Il y donc un problme avec les chantillons. Il est inconcevable, dun point de vue scientifique, davoir prsent ces rsultats comme une preuve de cration du tissu au Moyen Age. Non seulement la dispersion anormale des dates aurait d inciter la prudence la plus lmentaire, mme si, finalement, comme nous le verrons, la datation au carbone 14 obtenue ne doit pas tre loigne de la date rellement mesurable, mais on ne peut jamais isoler un critre parmi dautres. On doit, tout le moins, reconnatre le problme que pose le Linceul. Aucune conviction, de quelque domaine quelle soit, ne devrait permettre de se dpartir dun minimum dobjectivit. Pourtant, les passions humaines lemportent le plus souvent. La facult de raisonner est comme embrume par les ides toutes faites, par lopinion dominante, mais surtout, de nos jours, par une volont morbide de choquer pour se mettre en avant.

    ECHANTILLONS 1 2 3 4 LINCEUL ECHANTILLONS DE CONTRLE

    Arizona 64631 92732 1 99546 72243

    Oxford 75030 94030 1 98035 75530

    Zurich 67624 94123 1 94030 68534

    Moyenne non pondre

    69131 9365 1 97216 72120

    Moyenne pondre 68916 93716 196420 72420

    Valeur du Khi2 (2 degrs de libert)

    6.4 0.1 1.3 2.4

    Niveau de

    significativit 5% 90% 50% 30%

  • 32

    Prlvement de 1973 dans la rparation de la bande latrale

    Prlvement de 1988

    Bande latrale et ses 2 parties remplaces aprs prlvement probable au XIe sicle par un empereur qui en fit un scapulaire

  • 33

    Cependant, il ny a pas besoin dtre expert en quoi que ce soit pour remarquer des diffrences notables de tissage entre les parties les plus proches de la bande latrale et les plus loignes. Pour ces dernires, larmure 3 lie 1 du serg est trs nettement visible. Dans ces parties, on remarque parfaitement le dcalage des chanes lies qui contribue donner au tissu du Linceul son aspect trs particulier, dit en chevrons. Il nen va nullement de mme pour les parties suprieures. Les photographies des morceaux dcoups dans lchantillon de Zurich montrent trs clairement quune partie du prlvement est en armure de drap. Bien plus, on voit assez nettement des diffrences dans le diamtre des fils. Les apports seraient de 60% de lensemble en tenant compte de ltendue des diffrentes armures de tissu et de la dimension des fils.

    Un des morceaux des chantillons du laboratoire dArizona, qui a t conserv, a t trs rcemment photographi au microscope. Il montre trs clairement larmure 3 lie 1 du serg du Linceul. Mais, les autres morceaux, qui devaient tre conservs galement, semblent avoir disparu sans grand espoir de les retrouver. Une partie du Linceul a t adroitement rpare en continuit avec le tissu original, mais trs certainement en utilisant, au moins en partie, les fils qui subsistaient. Aussi lapport de 60% pourrait tre un peu surestim. On suppose que ces rparations datent du XVIe sicle. Il existait lpoque deux procds de rparation des tapisseries. Le French Weave tait utilis pour des rparations de petite taille. Des fils de mmes couleurs taient utiliss pour repriser les manques. LInweaving tait utilis pour des rparations de plus grande taille. Elle consistait prendre un morceau de tapisserie ralis cet effet et le fixer dans la tapisserie rparer en

    Armure serg 3 lie 1

    Couture

    Armure mlange

    Armure drap 1 lie 1

  • 34

    mlant troitement les fibres effiloches sur le pourtour de ce morceau. Les rparations de qualit sont presque invisibles lil nu. En outre, la comparaison de la position des prlvements et des dates obtenues montre quelles sont de plus en plus tardives en sloignant de la bordure du Linceul. Ce qui semble, dailleurs, correspondre la proportion de tissu en serg 3 lie 1 par rapport la totalit des coupons. Il y a une indniable corrlation entre la proportion rpare et la date obtenue. Enfin, le poids spcifique moyen des chantillons est plus lev que le poids spcifique moyen du Linceul.

    Les causes dune datation errone Les causes de datation errone ne peuvent provenir que de la nature des chantillons eux-mmes. Les mesures ralises au carbone 14 ne sont pas contestables. De mme, la correspondance de la proportion de carbone 14 dans les chantillons avec les dates est elle-mme indiscutable. La dcroissance de la quantit de carbone 14 est exponentielle. Donc, si au bout de 5734 ans, il ne reste que 50% du carbone 14 dorigine, aprs 2000 ans, il en reste 87.5% et 96% 450 ans aprs, pour un matriau datant donc de 1550. La quantit de carbone 14 est elle-mme proportionnelle au poids des chantillons. Pour obtenir une date du dbut du 1er sicle des parties en lin dorigine, partir de la date moyenne de 1300 obtenue au carbone 14, il faudrait que les apports dans les annes 1550 reprsentent 87% du poids total des chantillons. Cette valeur correspond plus de 8 fois le poids du lin dorigine avant rparation. Lapparence des tissus des chantillons laisserait penser au maximum une proportion de 50% de fils des annes 1550. La date des parties dorigine ne serait repousse que vers lan mil compte tenu de la loi exponentielle de dcroissance. Si les apports dataient uniquement de la seconde rparation de 1694, on ne pourrait remonter que vers le IXe sicle. Malgr les problmes qui lentourent, on peut donc penser que la datation au carbone 14 du seul tissu serg dorigine, incontestablement contenu, au moins en partie, dans les chantillons, ne pourra pas remonter beaucoup en de du dbut du second millnaire, avant lan mil. Les lments qui permettent dattribuer une date beaucoup plus ancienne au Linceul ont donc amen formuler des hypothses pour expliquer une telle datation. La plus connue est lirradiation du tissu par un flux de protons et de neutrons.

  • 35

    Le fait que les parties loignes du corps, ce qui est le cas des chantillons, aient pu tre irradies sans avoir t, elles aussi, brunies, pose un problme. Le brunissement ne concerne que les parties superficielles des fibres de lin, proches du corps. Pour modifier le taux de carbone 14 de manire sensible, cest toute la masse des fils de lin qui aurait d tre irradie. Le carbone 13 ncessaire cette modification est, en effet, rparti lintrieur mme de toutes les fibres des fils. Il faudrait imaginer que les protons auraient produit le brunissement. Les neutrons auraient transform le carbone 13 des fibres de lin en carbone 14. Puisque le tissu tait neuf ou trs rcent, pratiquement aucun atome dazote na eu le temps de se produire par dcomposition du carbone 14. Le changement de date ne peut provenir que du carbone 13. Mais, ce qui est difficile comprendre dans cette thse, cest la diffrence fondamentale entre les deux rayonnements. Les protons auraient t essentiellement mis dans des directions bien dfinies, alors que les neutrons auraient diffus partout pour atteindre mme les parties du tissu les plus loignes du corps. La formation de limage brune par irradiation protonique se heurte une autre difficult. Lexamen microphotographique des fibrilles de lins du Linceul ne met en vidence aucune diffrence entre les fibrilles brunies et les autres. La traverse des fibrilles par des particules gnre des dfauts. Il y a en permanence de telles particules mises, en particulier par le radon abondant dans les rgions de roches ruptives. Les fibrilles de lin du Linceul prsentent de nombreux dfauts de cette nature. Ils sont beaucoup plus nombreux que dans les fils de la doublure ce qui, au demeurant, est un critre danciennet, malheureusement difficile dater. Mais le nombre de dfauts nest pas plus lev dans les fibrilles brunies que dans les autres. Lhypothse du brunissement par rayonnement protonique est donc exclue. Il y a cependant une raison encore plus grave qui est aussi applicable une autre thorie de formation de limage brune. Il faudrait donc ignorer les protons et les remplacer par un clair de lumire intense. En effet, un brunissement a pu tre obtenu avec des lasers. Les picettes de monnaie dposes sur les yeux de Jsus de Nazareth ont port une trace sur le Linceul. Comment est-ce possible ? Si le rayonnement qui a form limage brune provenait du corps, comme on le suppose, comment a-t-il pu traverser ces picettes, alors quil na pas travers les taches de sang ? Les picettes ont-elles aussi mis un rayonnement ? Comment ce rayonnement a-t-il pu former les contours des picettes, la houlette et des lettres sur le Linceul ? Il ny a aucune rponse ces questions. Il convient donc, trs probablement, de sparer le changement de date par irradiation et la formation de limage sur le Linceul. Une irradiation neutronique a pu produire le rajeunissement. Mais, la formation de limage reste inexplique.

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    Le nettoyage trs pouss effectu avant datation limite beaucoup la porte des autres hypothses bases sur dautres types dapports. Le carbonate de calcium qui aurait pu se dposer sur les fils lors de lincendie de Chambry a t limin par les traitements acides et lavages leau avant datation. Dailleurs, le Linceul na t que trs lgrement humidifi prs des zones brles, un peu deau stant infiltre dans le trou de la chsse provoqu par la fusion trs partielle de largent, un seul endroit. Il ny a que des taches et non des traces dune immersion complte. Quoi quil en soit, le carbonate de calcium de leau est principalement dorigine minrale et ne contient donc pas de carbone 14, mais uniquement du carbone 12. Le calcaire sest form il y a des centaines de millions dannes et ne comporte plus une trace de carbone 14. La prsence de carbonate de calcium devrait ainsi vieillir le tissu, en quelque sorte. Il y aurait moins de carbone 14 par unit de poids de carbone total. Quant aux manipulations lors des expositions, on peut imaginer que les cardinaux avaient les mains trs propres pour manipuler ce linge ! Une autre hypothse plus scientifique a t propose. Un excs de monoxyde de carbone lors de lincendie de Chambry en 1532 aurait provoqu une carboxylation de la cellulose, cest--dire la fixation de cet oxyde dans les chanes molculaires du tissu. Il en rsulterait un rajeunissement puisque le carbone ainsi ajout contient plus de carbone 14 que le Linceul nen contenait ce moment-l. Le problme que pose cette hypothse est lorigine de ce monoxyde de carbone puisque le Linceul tait enferm dans une chasse en argent, ouverte seulement en un point par la fusion de largent. Le monoxyde de carbone ne pourrait donc provenir que de la combustion du tissu du Linceul lors de la chute des gouttes dargent fondu. Or, les surfaces concernes sont de quelques pour cent. Il sagit l dune masse trs faible par rapport la masse totale du Linceul. On se heurte encore au fameux 87% de cette masse en apport ncessaire pour rajeunir le tissu quand bien mme la totalit de ce monoxyde de carbone aurait t fix par le tissu, ce qui est dj inconcevable.

    Le test de la vanilline La vanilline est une des molcules prsente dans la lignine que lon peut observer sous forme de dpts sombres au niveau des nuds de croissance des fibres. Elle disparat avec le temps et sous leffet de la temprature. Pour dtecter la prsence de cette molcule, on ralise un test binaire laide dun indicateur color. Ce test est ngatif pour les fibres prleves sur lensemble de la surface du Linceul en 1978. Mais, il est positif pour les fibres issues de lchantillon dcoup par Raes en 1973 et ct duquel ont t dcoups les chantillons de 1988. Ce test est aussi positif

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    pour la toile de doublure du Linceul qui a remplac en 1868 celle des Clarisses de Chambry. Ce test ne permet pas la datation du Linceul qui a t soumis des tempratures trs leves lors de lincendie de 1532. Il pourrait seulement confirmer que les chantillons utiliss pour la datation au carbone 14 contiennent des fibres rcentes.

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    DEUXIEME PARTIE

    La pictographie du Linceul

    Le Linceul comporte de nombreuses zones colores, tches, inscriptions et brlures regroupes sous le nom de pictographie qui peut se dfinir comme une forme dimagerie permettant de garder en mmoire certains faits. La pictographie se distingue de liconographie qui concerne les reprsentations postrieures aux faits. Contrairement lexpos du tissu, qui a commenc par le fil de lin, ce sont dabord les caractres gnraux qui vont tre prsents avant une revue de tous les dtails qui apparaissent sur le Linceul.

    Les traces de brlure de 1532 Les traces les plus visibles sont des marques de brlures. Elles rsultent de lincendie de la Sainte-Chapelle du chteau des ducs de Savoie Chambry dans la nuit du 3 au 4 dcembre 1532. Le Linceul tait pli en 16, mais pour tenir dans la chsse, un ct a t repli dune trentaine de centimtres en sorte que, sur une partie de la longueur, il y avait 32 paisseurs.

    Lors de cet incendie, il fut travers en un endroit par des gouttes de mtal fondu de la chsse en argent dans laquelle il se trouvait. Les gouttes traversrent les parties replies du Linceul et les 16 paisseurs. Ce repli est la cause des brlures dans la partie mdiane et aux extrmits du Linceul. Ces dernires nont videmment pas la mme symtrie que les autres,

    Les plis dans la chsse de Turin

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    le repli ntant pas symtrique. Lpaisseur du tissu fait, dailleurs, que la partie mdiane tait en retrait par rapport aux extrmits et les brlures sont trs lgres. Il y a donc 4 petits trous dans la partie mdiane, 8 trous aux extrmits et 16 trous plus grands dans le reste du tissu. En 1534, les Clarisses cousirent des pices triangulaires pour combler tous ces trous. Ces pices apparaissaient en blanc sur les tirages photographiques comme sur le Linceul, mais en noir sur les ngatifs, videmment. Elles ont t retires en 2002. Les trous en L seront examins plus loin. Ils prsentent une symtrie rsultant dun pliage en quatre.

    Les taches dhumidit Les principales taches deau rsultent de lincendie de 1532. Ces taches correspondent au pliage du Linceul cette poque et donc aux symtries des brlures avec, en plus, les taches qui rsultent du repli dont nous avons parl. Il nest pas possible de distinguer dventuelles taches deau antrieures. L encore, on peut penser que lanalyse isotopique pourrait apporter des indications utiles.

    Les lments essentiels Un avocat italien turinois, Secondo Pia, russit le 28 mai 1898 la premire photographie du Linceul.

    Humidit Brlure (1532) Traces de roussissement

    Trous de brlures en L

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    Aprs plusieurs tentatives, un temps de pose de quatorze minutes lui permit dobtenir sur la plaque de verre le ngatif de la prise de vue, mais ce ngatif photographique reprsentait une vue en positif dun homme allong vu de face et de dos. Cest donc que le Linceul lui-mme tait un ngatif. Un tirage contrast sur papier invers permit de reproduire ce ngatif. Il faut remarquer que les taches de sang apparaissent blanches sur le ngatif photographique. Elles nont donc pas t formes selon le mme processus. Il sagit de sang comme nous allons le voir. Le Linceul comporte les images vues de face et de dos dun homme nu, avec ses mains croises. Le corps avait t dpos dans laxe longitudinal du linge, avec le sommet de la tte juste sous laxe horizontal, en sorte quen enveloppant la tte, le linge recouvrit le visage nettement en dessous de laxe horizontal. Le fait que le visage soit nettement sous laxe horizontal a pour consquence quen pliant le Linceul en 8 dans le sens de la largeur, le visage se trouve entirement contenu entre deux plis et il est videmment possible de plier le tissu en sorte que le visage apparaisse au-dessus. Les parties latrales du corps napparaissent pas. Il ne leur correspond pas non plus, dailleurs, de traces de sang. Le Linceul navait donc pas t fix autour du corps par des bandelettes comme il aurait d ltre, ni mme par des fibules. Ces deux images ont deux caractristiques essentielles. Dune part, elles ne sont portes que par les fibrilles superficielles des fils de lin sur une profondeur de 20 40 microns. Cette coloration rsulte dune dshydratation oxydante de la structure des fibrilles du lin. Dautre part, la coloration dpend de la distance de la toile au corps lors de la spulture. Cest la prsence plus ou moins importante de fibrilles altres qui donne laspect plus ou moins fonc de limage du corps. Cette coloration variable permet den faire une reprsentation en 3 dimensions. Aucune des images obtenues par les diffrents artefacts envisags dont nous reparlerons, ne permet dobtenir une telle image en relief. Mme une photographie ne permet, en aucune manire, de restituer les reliefs. Il sagit l de laspect le plus troublant de la pictographie du Linceul.

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    Par leur nature mme, ces colorations ne peuvent pas apparatre sur lenvers du tissu. Il a pu tre photographi rcemment lors du remplacement de la toile de protection fixe au dos du Linceul en 1868 par la princesse Clotilde de Savoie. On voit les taches sombres correspondant aux coules sanguines sur lendroit du tissu. Le renforcement des tons montre quil ny a pas de correspondance avec les zones

    Photographie du revers du Linceul, au niveau de la tte, avant et aprs renforcement des couleurs, et vue de lendroit.

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    claires et fonces de lendroit. En regardant attentivement, on peut apercevoir deux traits correspondant aux traits sombres de lendroit. Ce corps nest pas celui dun homme riche comme la qualit et donc le prix trs lev du Linceul permettraient de le penser. Les traces de sang ne rsultent pas dun accident. Bien plus, nous verrons que des phases de linhumation selon les rites hbraques de lpoque de Jsus de Nazareth nont pas t respectes.

    La peine de mort en droit romain Cet homme a t condamn mort par crucifiement selon les rgles applicables en droit romain. Mais, il a dabord t flagell. Il sagissait l dune double peine. Elle ne pouvait rsulter que de deux crimes qui auraient d tre jugs sparment. Lors du procs de Verrs, Cicron numra les principales peines connues des Romains Enchaner un citoyen romain est un forfait ; le flageller est un crime ; le mettre mort est presque un parricide ; que dirais-je de la mise en croix ? Il est impossible de dsigner par un terme qui en soit digne, une telle abomination . Tacite mentionne (Histoire Romaine XXXIV, 27) la mise mort par flagellation : on les battit de verges et on les fit prir sous les coups , mais nullement une double peine. La rgle non bis in idem ou ne bis in idem est un principe classique de la procdure pnale du droit romain : nul ne peut tre poursuivi ou puni pnalement raison des mmes faits. Rome, durant la priode classique, le crime de perduellio, la haute trahison, dsigne les actes commis contre le peuple romain ou contre sa scurit. Par la suite, les juristes rprimrent galement les crimes contre les magistrats et contre lempereur et sa famille les crimen maiestatis, comme les dgradations volontaires aux statues du prince. Le crimen maiestatis tait normalement puni de mort par dcapitation pour les citoyens romains comme saint Paul, mais les autres, les esclaves en particulier, taient, en gnral, crucifis. Attenter la maiestas de lempereur ntait pas seulement commettre un crime dtat au sens laque du terme. Cest en mme temps sen prendre un protg des dieux, porteur de lattribut divin quest la maiestas. Aussi, la responsabilit du crimen maiestatis dpasse-t-elle la responsabilit de droit commun. Linstance pouvait dbuter post mortem. La damnatio memoriae permettait la confiscation, dite publicatio, des biens au bnfice du fisc. Linstance introduite aprs la mort entranait la nullit des alinations effectues du vivant du condamn.

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    Le crucifiement tait une pratique trs ancienne, bien antrieure aux Romains qui lont emprunte, semble-t-il, aux Phniciens. Il tait ralis en plusieurs tapes. Le condamn tait clou et, trs probablement, attach provisoirement avec une corde, sur le patibulum encore au sol. Il sagit de la barre transversale de suspension de la croix et non dune croix entire quun homme, mme en parfaite condition physique, aurait t incapable de traner. Le poteau, le stipes crucis, demeurait plant sur les lieux dexcution. La fixation dun poteau vertical dans un sol rocailleux est particulirement longue. Il est impensable quelle ait t effectue chaque crucifiement. De la mme manire, le sinistre gibet de Montfaucon, prs de Paris, restait toujours prt accueillir les condamns. Le condamn pouvait tre astreint porter le patibulum vers le lieu du supplice. Il est de plus trs douteux que les Romains aient eu un engin de levage pour placer le patibulum sur le poteau vertical. Lopration tait trs certainement effectue bout de bras, cest--dire que le poteau devait avoir moins de deux mtres de haut compte tenu de la largeur du patibulum. Les pieds du condamn taient alors clous au poteau. Les pieds ne devaient pas tre plus de vingt centimtres du sol. Enfin, la corde fixant le condamn au patibulum tait retire. Les bras taient ds lors en extension et les jambes lgrement flchies. Il y avait deux modes de fixation du patibulum. Pour la crux commissa en forme de T, le patibulum avait une mortaise ou creux dans sa partie mdiane pour pouvoir semmancher dans le poteau qui avait un tenon ou une section rduite la partie suprieure. Pour la crux immissa, le poteau avait une chancrure ou un encorbellement la partie suprieure et le patibulum une fois plac dans cette chancrure ou sur lencorbellement tait fix par une corde. Dans les deux cas, la tte du supplici descendait au-dessous du patibulum, laissant assez despace pour fixer le panneau donnant le motif de la condamnation, le titulus. Il existait des variantes tout aussi terribles les unes que les autres. Le condamn pouvait tre clou sur un simple poteau, le simplex sans patibulum, ou sur une croix en X. Il pouvait tre clou la tte en bas, ce qui rduisait considrablement la survie. Il est vraisemblable que des moyens plus expditifs ont t utiliss, comme de clouer les condamns aux arbres. Ce fut le cas lors du crucifiement des 6000 condamns de la rvolte de Spartacus, en 71 avant J.-C.. Flavius Josphe rapporte la difficult de trouver des poteaux lorsque que Florus, gouverneur de Jude l'an 66 de notre re, mata cruellement une rbellion en faisant crucifier des centaines dhommes, et massacrer devant eux femmes et enfants. De mme, en 70, Titus fit crucifier les assigs de Jrusalem qui tentaient de senfuir. Flavius Josphe en a dnombr jusqu 500 en une journe.

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    Le visage inclin du crucifi devait tre pratiquement hauteur dhomme. Cette hauteur nest pas incompatible avec la longueur du pilum qui fut utilise pour vrifier le dcs de Jsus de Nazareth. La lance romaine ne dpassait pas 1.50 m et perfora le thorax avec un angle trs faible pour atteindre le cur. Le fait de frapper sur le ct droit faisait partie des pratiques enseignes aux soldats romains pour viter le bouclier de lennemi, tenu du bras gauche. Le supplice pouvait durer des heures. Pour allonger la survie, une planche, la sedecula, pouvait tre fixe au poteau. Le supplici pouvait sy asseoir, trs inconfortablement, sans doute, mais il pouvait ainsi soulager la douleur des mains. Ce ne fut certainement pas le cas pour Jsus de Nazareth, car le Linceul ne montre pas de trace dune telle planche sur les blessures de la flagellation. Cependant, Irne et Justin le Martyr dcrivent tous deux la croix de Jsus de Nazareth avec cinq extrmits au lieu de quatre. La cinquime aurait pu tre la sedecula, mais, dans ce cas, il y aurait six extrmits, comme dans les croix russes qui ont, en plus, le titulum. Pour prolonger le supplice, un support pouvait tre fix au poteau sous les pieds, le suppedaneum.

    On a dcouvert Givat Ha-Mivtar, prs de Jrusalem, 15 sarcophages remplis de squelettes humains dont un avait subi le supplice du crucifiement au Ier sicle aprs J.-C.. Ce squelette est celui dun homme crucifi lge de 24 28 ans. Il sappelait Yehohann, Jean, fils de Shaggol. Il avait encore un clou fix dans les talons. Des morceaux de bois sont rests attachs au clou. Lun, en olivier, provient du poteau, lautre, en acacia, de la plaque de bois qui vitait que les pieds ne puissent sortir du clou. Cette plaque aplatissait la plante des pieds sur

    le poteau et il est probable que cette pratique fut utilise pour Jsus de Nazareth. Cest, dailleurs, peut-tre, cette plaque qui est reprsente par les croix russes plutt que la sedecula ou le suppedaneum. La nature du bois du poteau pourrait surprendre. Mais en ralit, les oliviers sont, normalement, de grands arbres qui peuvent atteindre quinze vingt mtres. Ils sont souvent taills pour faciliter la rcolte des olives.

    Le clou des pieds de Yehohann

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    Une blessure du radius montre que ce condamn a eu les bras clous cet endroit, un peu plus haut que le poignet. Il faut noter que le poignet a toujours t considr comme une partie de la main. On a toujours dit que lon pousse avec les mains, alors que lon pousse, le plus souvent, en ralit, avec les poignets, beaucoup plus rsistants. En latin, carpi manus est, le poignet est une partie de la main. Mais, on peut aussi employer le mot manu pour dsigner le poignet. Le grec peut distinguer le poignet de la main , mais le poignet peut aussi se dire ou en grec ancien qui est le mot employ par saint Jean (Jn 20, 27). Les Anglais ont des problmes de vocabulaire. La montre se porte chez eux au poignet, wrist. En France, on porte la montre au bras, gauche en gnral. Il semble, pourtant, que ce ne soit pas trs loin de lendroit o les Anglais la porte. Un texte de Tertullien, mal traduit, a conduit reprsenter, depuis la Renaissance jusquau XIXe sicle, les larrons encords leur croix, alors quils ont t trs certainement clous. Les Romains utilisaient des cordes lors du crucifiement. Les cordes pouvaient maintenir le supplici sur le patibulum avant de ly clouer et rendre impossible tout dcrochage accidentel du corps au cours des manutentions. Mais, les supplicis des Romains taient clous, contrairement aux pratiques des Egyptiens qui les attachaient seulement avec des cordes comme le rapporte Xnophon (IIe sicle aprs J.-C.). Pour hter la mort, les Romains brisaient les tibias et les prons des condamns mort avec une barre, le crurifragium. Ce nouveau choc entranait une mort rapide. Aprs sa mort, le condamn tait descendu avec le patibulum aprs avoir libr les pieds. Ce supplice a t interdit par Constantin (272-337). La peine de mort inflige aux condamns non Romains se limita, si lon ose dire, la flagellation. Il nexiste pratiquement pas de documentation de lpoque sur ce supplice considr comme infamant par les Romains. Les juifs ne procdrent jamais au crucifiement. Il pratiquait plutt la lapidation, comme les musulmans continuent de le faire, surtout pour les femmes, en cas dadultre, selon les prescriptions des Hadith (Ibn Ishaq 970), bien que le Coran de Mahomet nait pas prcis les modalits de la mise mort. Jsus de Nazareth rpondit aux scribes : Que celui de vous qui na jamais pch lui jette la premire pierre (Jean 8,7). Cela se passait dans le Temple de Jrusalem,

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    en Jude donc. Cette femme naurait certainement pas t lapide dans le Temple. Les scribes posaient une question. De plus, si la peine de mort relevait du procurateur romain cette poque en Jude, ladultre tait une des rares exceptions et les Juifs navaient pas en rfrer avant dagir. La pendaison aussi tait courante. Mais, dans la tradition juive : Si un homme, coupable d'un crime capital, a t mis mort et que tu l'aies pendu un arbre, son cadavre ne pourra tre laiss la nuit sur l'arbre ; tu l'enterreras le jour mme, car un pendu est une maldiction de Dieu, et tu ne rendras pas impur le sol que Yahv te donne en hritage (Deutronome 21,23). On peut assimiler le crucifiement une pendaison, aussi saint Paul reprendra ce thme en disant que le Christ est devenu maldiction pour nous, puisqu'il est crit : Christ nous a rachets de la maldiction de la loi, tant devenu maldiction pour nous, car il est crit : Maudit est quiconque est pendu au bois (Galates 3,13).

    Les pratiques dinhumation des Juifs Les pratiques juives dataient davant lExode et rappellent les inhumations gyptiennes. Elles existent encore en partie. Lors du dcs, aprs la bndiction, Barouh ata Hachem, Eloknou mleh haolam dayan hamt, Bni sois-Tu Eternel, notre Dieu, Roi de lunivers, juge de vrit, les premiers gestes consistent fermer les yeux et la bouche du dfunt, de cacher le visage et dtendre les bras le long du corps, les mains ouvertes. Ces premiers gestes sont encore pratiqus. Ils diffrent en cela des rites gyptiens qui, au contraire, pratiquaient une crmonie douverture de la bouche et des yeux, remplacs par des pierres plus ou moins prcieuses, voire par des oignons peints. Le corps est ensuite asperg d'eau tide et nettoy. Cest la toilette de purification, Tahara. Le mort est enfin revtu d'un vtement mortuaire, un linceul de toile blanche le takhrikhim. Du temps de Jsus de Nazareth, les morts taient embaums, puis envelopps dans des toiles plus ou moins fines selon la richesse du dcd. Cet embaumement nest, en aucune manire, une momification, contraire la loi hbraque. Les cheveux taient entours dun linge, le pathil, pour tre tenus assembls. Le pathil tait ferm sous le menton pour empcher que la bouche ne souvre. Le corps tait ensuite allong sur un grand linge, le sindon, ou linceul, repli ensuite, en entourant la tte, pour couvrir le corps entier. Cette pratique est confirme par la dcouverte, trs rcente, des restes du linceul dun homme atteint de la lpre. La tombe est situe dans la partie basse de la Valle de Hinnom, juste ct de la

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    tombe de Hanne, beau-pre de Caphe, Jrusalem. Le lpreux tait isol dans une chambre scelle qui navait jamais t rouverte. Le tissu de ce linceul est de bonne qualit, mais sans comparaison avec celle du Linceul, vraiment exceptionnelle. Le sindon tait sans doute fix autour du corps par des bandelettes, bien quaucun texte hbraque ne donne de prcisions ce sujet. On peut le penser partir des coutumes gyptiennes, mais aussi du fait que le corps tait prpar avant la mise au tombeau, souvent trs exigu. Il tait ncessaire de fixer le linceul pour le transport. Par la suite, les Juifs remplacrent le simple tissu par des vtements blancs, en lin galement. Toutefois, Rabban Gamliel II, le fils dun des chefs de la rvolte de 66 aprs J.-C., dernier chef du Sanhdrin, imposa un linge blanc non nou aux extrmits.

    Les Hbreux plaaient-ils un portrait du mort sur le visage comme les Egyptiens du Fayoum, mais galement Antino, comme ce portrait trs connu, dit de lEuropenne ? Le site dAntino, en Egypte, comporte une ncropole chrtienne du IIe sicle o des portraits de morts ont t dcouverts au dbut du XXe sicle. Cet autre portrait dune chrtienne comporte un chrisme dor, inspir du signe gyptien de lternit. Elle porte dans sa main la premire et la dernire lettres du nom de Jsus, C, difficilement visibles sur cette vieille photographie. Il date de la mme poque que lautre portrait. Les tombes des

    catacombes de Rome ont parfois un portrait du mort, or les rites mortuaires des premiers Chrtiens, pour beaucoup des Juifs convertis, sont ceux des Juifs. Les chrtiens de Syrie brandissent encore un portrait des jeunes dfunts derrire le cercueil. Les Grecs et les Romains ornaient souvent leurs tombes dun portrait du mort entour des signes du zodiaque. Cette pratique permettrait dexpliquer la prsence, parmi les reliques, dune tablette portant limage du visage de Jsus de Nazareth, signale plusieurs reprises. Celle de Constantinople tait en bois couvert dune couche dargile trs finement grave. Elle figurait dans les reliques de la Sainte-Chapelle de Paris. En tout tat de cause, elle ne pouvait pas tre dans la tombe de Jsus de Nazareth. Elle naurait pu tre faite quaprs sa mort.

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    Dans le cas du Linceul, le corps a t simplement pos sur le tissu, sans avoir t lav et avant dtre embaum. Mais, il y avait l une difficult. Les dernires gouttes de sang verses la suite dun acte de violence ou dune blessure grave, sont lies aux derniers instants et, en quelque sorte, cause de la mort. Elles font partie du corps, et doivent, selon les rites hbraques, tre ensevelies elles aussi. On ne retirait pas les vtements ensanglants dans ce cas. Jsus de Nazareth ne portait pas de vtements en dehors du sudarium qui couvrait son visage. Mais, pouvait-on retirer le sang dont son corps tait couvert ? Le Linceul aurait ensuite t rabattu pour le couvrir entirement, mais il aurait t simplement tal. Avant cela, il semble que le pathil, aprs avoir t pos, ait t retir et pli sur le ct. Il aurait t difficile de le retirer plus tard pour embaumer le visage cause de la solidification des caillots de sang. Cette disposition montre une inhumation htive et provisoire, accompagne seulement de quelques aromates, en attente dembaumement et de fixation du pathil et du sindon, le Linceul. Le linge, le sudarium, qui avait couvert le visage de Jsus de Nazareth la descente de la croix devait tre mis dans le tombeau, selon les rgles, mais il avait t, lui aussi, retir du visage, probablement pour la mme raison que le pathil. Limage du visage ne se serait pas forme sur le Linceul si un linge avait t interpos. Il est vrai que le Linceul lui-mme a t rabattu sur le corps. Il aurait pu, lui aussi, se fixer aux caillots de sang ! On voit que rien nest vraiment simple et quune bonne raison peut toujours se trouver en dfaut. Aprs dcomposition complte, les ossements taient rassembls dans une urne, pratique appele aujourdhui la rduction. Les linceuls et autres tissus utiliss lors de linhumation pourrissaient totalement. Il est donc vraiment exceptionnel davoir trouv le linceul dun lpreux dont la tombe tait reste scelle.

    Les caractristiques des images du corps Il sagit dun homme dont la taille est assez difficile mesurer cause des dformations du tissu. Les mesures effectues varient entre 162 187 centimtres. Labsence de blessure au dos, sur deux parties du corps, indique trs certainement deux plis du tissu. Les jambes seraient donc plus courtes quelles apparaissent et plus quilibres avec la taille du corps. Le corps aurait environ 175 cm. Ctait un homme plutt grand pour lpoque. Il a de longues mains. Les cheveux sont longs comme chez les Galilens par opposition aux Judens. Ce qui, au passage, claire la remarque : un autre insistait : cest sr : celui-l tait avec lui, et dailleurs, il est Galilen .

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    Il porte une moustache et une barbe taille en deux pointes, que les spcialistes appellent bifide. Limage du pied droit est tale. Il tait pos, pratiquement plat, sur le Linceul et donc en extension par rapport la jambe, une position assez particulire qui rsulte de la position de la plante du pied applique au bois de la croix. Cette position sest trouve fige par la raideur dite cadavrique. Les caractristiques anthropomtriques de lhomme du Linceul le rapprochent plus des populations smites que de tout autre groupe humain. En appliquant un traitement trois dimensions sur limage numrique de la face dorsale, on obtient une vue en relief. Limage dorsale est un peu dforme au niveau du dos cause des nombreuses traces de flagellation qui perturbent la conversion. Cependant, on voit bien lpaisseur de la chevelure qui descend jusquau milieu du dos.

    Les dtails des images du Linceul Les taches de sang seront examines sparment. Elles apportent des lments trs diffrents des taches de roussissement. Les dtails visibles directement ou reconstitus par les procds dimagerie permis aujourdhui par linformatique, vont tre dtaills en commenant par le haut et par la face avant. La premire constatation frappante est que la chevelure semble horizontale, alors quelle aurait d retomber vers larrire. Elle a donc t maintenue dune manire ou dune autre. Il est possible que les cheveux aient t entours du pathil comme cela se pratiquait lpoque. Cependant, ce linge aurait reu limage qui naurait donc pas t produite sur le Linceul lui-mme. En effet, les traces de sang ont empch limage de se former sur le tissu, a fortiori un autre tissu, intercal entre les cheveux et le Linceul, aurait eu un effet identique. Le pathil ntait donc pas en place. La sudation et les coules de sang, mles la poussire ont pu rigidifier la chevelure. On observe des tumfactions des arcades sourcilires et de la joue gauche, ainsi qu la base du nez ce qui suppose une fracture du cartilage. La paupire droite porte une dchirure.

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    La pommette droite est enfle et on peut voir une blessure en forme de triangle sous lil droit. Ces blessures donnent une apparence dissymtrique au visage. Une bande sombre, sous le visage, a donn lieu diverses interprtations comme la prsence dun sudarium. Des techniques de traitement de limage montrent quen fait, limage est bien prsente dans cette bande sombre. Il ny avait donc pas de linge entre le visage et le Linceul. Aucune explication na t trouve. Il semble manquer lextrmit droite de la moustache ainsi quune partie de la barbe, galement droite. Les bras sont ramens vers lavant, mais ils ne sont fixs par aucun lien. Ils nauraient pas d pouvoir se maintenir dans cette position. Sils ne sont pas retombs sur les cts, cest vraisemblablement en raison de la raideur cadavrique dont nous allons reparler. Ils ont d tre placs dans cette position ds la descente de la croix. Les deux mains sont croises, mais on ne voit que quatre de leurs doigts. Les pouces sont recroquevills et cachs par les mains. Plus bas, sur un genou, on distingue des corchures semblables celle dune chute. Les genoux sont lgrement flchis, les pieds en extension. Cette position rsulterait trs logiquement de la rigidit cadavrique due une mort violente, raideur qui est susceptible dapparatre rapidement, voire en quelques minutes. Si cest le cas, le cadavre a t plac sur le Linceul dans la position quil avait au moment de sa mort sauf au niveau des bras qui ont t ramens dans la position que nous voyons. Les jambes ne furent pas brises. Les deux pieds, orients vers lintrieur, se croisent, le gauche devant le droit. Les vues en 3D rendent sans objets les dbats sur la position du corps. La tte et le tronc taient lgrement surlevs et inclins en avant, raidis par la rigidit cadavrique, comme les genoux et les pieds. La rigidit cadavrique est tout fait visible sur limage de face o on ne voit pas despace entre le torse et la tte. Le cou est pratiquement invisible. Alors que sur la face dorsale la nuque est comme allonge, ce qui indique que la mort est survenue alors que lhomme avait la tte en avant et les paules plus hautes que la base du cou.

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    Les deux zones sans traces de flagellation, qui ont t mentionnes, semblent correspondre lemplacement des quatre L symtriques forms de 4 trous en querre. Il ny a pas de trace de putrfaction sur le Linceul. Si le corps a t dpos dans le Linceul peu prs 2 heures aprs la mort, le cadavre nest pas rest plus de 48 heures dans ce linge. Des traits sombres apparaissent un peu partout de manire plus ou moins marque et sans aucune symtrie. Le roussissement est prsent dans le trait qui barre le bas du visage. Ces traces sont donc postrieures sa formation. Elles ne semblent pas avoir reu dexplication.

    Les traces rouge fonc Des taches rouge fonc figurent sur le tissu. Elles correspondent diverses blessures. Ce sont des taches de sang qui rsultent du contact du tissu avec les plaies et les tranes sanguines. On ne retrouve pas, sous ces traces hmatiques, la coloration rousse que nous venons dexaminer et qui caractrise limage du corps. Le sang sest dpos sur le tissu au moment o lon a plac le corps dans le Linceul. Limage du corps ne sest forme que postrieurement puisquelle nexiste pas au-dessous des taches de sang. Lexamen des coules et taches sanguines montre que le sang tait coagu