GYMNASTIQUE LES MYSTERES DES ACROBATIES AÉRIENNES RÉVÉLÉS ...

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GYMNASTIQUE LES MYSTERES DES ACROBATIES AÉRIENNES RÉVÉLÉS PAR LA SIMULATION Dans cet article, les auteurs ne tentent pas d'initier le lecteur profane en mécanique à une démarche mathématique, mais montrent qu'il est important de bien choisir le paramètre servant à piloter la simulation. Ils prennent comme illustration la réalisation d'un salto arrière tendu vrillé. PAR O. BONNEAU, A. DECATOIRE, A. JUNQUA L'apprentissage d'un geste humain, fut-il sportif, se fait le plus souvent par la méthode dite « ascendante » ; celle-ci par opposition à la méthode « descendante », ne demande pas une compréhension de la mécanique des sys- tèmes polyarticulés, mais se constitue à partir de compilations, de savoirs et de connais- sances de terrain relatifs aux mécanismes engendrés par une pratique plus ou moins longue. Ainsi, un enfant réussit-il à monter à vélo sans apprendre auparavant la dynamique newtonienne ou la théorie du contrôle moteur humain. Comment fait-il ? Il utilise une règle empirique, bien qu'elle soit inconsciente dans ce cas précis, fonctionnant en conjonction avec le mode extérieur. La règle de base bien connue du mécanisme de l'équilibre dans son cerveau est la suivante : si la bicyclette penche d'un côté, tourner le guidon de ce côté ; il n'y a pas de mention chez l'enfant, et pour cause, à une quelconque loi newtonienne, ni aucune explication de la raison pour laquelle cela fonctionne, mais cela fonctionne ! L'appren- tissage de cet enfant se fait par l'expérience et de multiples essais-erreurs. Les nouvelles figures gymniques présentées lors de grandes compétitions internationales, de plus en plus compliquées, sont aussi le fruit de nombreux essais-erreurs et devancent, dans la quasi-totalité des cas, des essais de simula- tions sur ordinateur de la part des scientifiques mécaniciens. L'école gymnique soviétique a très longtemps été la source de telles innova- tions, préparées dans le plus grand secret car une nouvelle acrobatie, totalement inédite et réussie lors d'un concours devient la référence avec 10, note la plus haute que puisse donner le jury. Chaque innovation gymnique surprend telle- ment que l'on a pris l'habitude, faute de mieux, de dire qu'elle semble défier les lois de la mécanique, sans préciser pour autant les- quelles. Plusieurs mois plus tard, tous les gymnastes du monde, ayant l'ambition de figurer au palmarès des grandes confronta- tions internationales (JO, championnats du monde, etc.), se doivent de présenter l'exécu- tion de cette figure, quitte à la complexifier encore. Ces mises au point personnalisées res- tent le fruit d'une procédure par essais- erreurs. Le but de notre travail a consisté tout d'abord à revisiter les études sur les phases aériennes gymniques (1, 2) puis, sur les conseils parti- culiers de L. Barbiéri*, d'étudier les apports d'une procédure de simulation. Mouvement simulé Fig. 1 : Validation de l'algorithme de simulation à partir d'un salto arrière tendu vrillé. 38 POUR VOUS ABONNER AUX REVUES EP.S ET EPS 1 TEL 01 49 29 66 07 EMAIL [email protected] Revue EP.S n°314 Juillet-Août 2005 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

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GYMNASTIQUE

LES MYSTERES DES ACROBATIES AÉRIENNES RÉVÉLÉS PAR LA SIMULATION Dans cet a r t i c l e , les au teurs ne tentent pas d ' i n i t i e r le lecteur p r o f a n e en mécanique à une démarche mathématique, mais montrent qu ' i l est impor tant de bien choisir le paramètre servant à pi loter la s imulat ion. Ils prennent comme il lustration la réalisation d 'un salto arrière tendu vrillé.

P A R O . B O N N E A U , A . D E C A T O I R E , A . J U N Q U A

L'apprent issage d 'un geste humain, fut-il sportif, se fait le plus souvent par la méthode dite « ascendante » ; celle-ci par opposition à la méthode « descendante », ne demande pas une compréhension de la mécanique des sys­tèmes polyarticulés, mais se constitue à partir de compilations, de savoirs et de connais­sances de terrain relatifs aux mécanismes engendrés par une pratique plus ou moins longue. Ainsi, un enfant réussit-il à monter à vélo sans apprendre auparavant la dynamique newtonienne ou la théorie du contrôle moteur humain. Comment fait-il ? Il utilise une règle empirique, bien qu'elle soit inconsciente dans ce cas précis, fonctionnant en conjonction avec le mode extérieur. La règle de base bien connue du mécanisme de l'équilibre dans son cerveau est la suivante : si la bicyclette penche d'un côté, tourner le guidon de ce côté ; il n'y a pas de mention chez l'enfant, et pour cause, à une quelconque loi newtonienne, ni aucune explication de la raison pour laquelle cela fonctionne, mais cela fonctionne ! L'appren­tissage de cet enfant se fait par l'expérience et de multiples essais-erreurs. Les nouvelles figures gymniques présentées lors de grandes compétitions internationales, de plus en plus compliquées, sont aussi le fruit de nombreux essais-erreurs et devancent, dans la quasi-totalité des cas, des essais de simula­tions sur ordinateur de la part des scientifiques mécaniciens. L'école gymnique soviétique a très longtemps été la source de telles innova­tions, préparées dans le plus grand secret car une nouvelle acrobatie, totalement inédite et réussie lors d'un concours devient la référence

avec 10, note la plus haute que puisse donner le jury. Chaque innovation gymnique surprend telle­ment que l ' on a pris l ' hab i tude , faute de mieux, de dire qu'elle semble défier les lois de la mécanique, sans préciser pour autant les­quelles. Plusieurs mois plus tard, tous les gymnastes du monde, ayant l 'ambition de figurer au palmarès des grandes confronta­tions internationales (JO, championnats du

monde, etc.), se doivent de présenter l'exécu­tion de cette figure, quitte à la complexifier encore. Ces mises au point personnalisées res­tent le fruit d ' u n e p rocédure par essa i s -erreurs. Le but de notre travail a consisté tout d'abord à revisiter les études sur les phases aériennes gymniques (1 , 2) puis, sur les conseils parti­culiers de L. Barbiéri*, d'étudier les apports d'une procédure de simulation.

Mouvement simulé

Fig. 1 : Validation de l'algorithme de simulation à partir d'un salto arrière tendu vrillé.

38 POUR VOUS ABONNER AUX REVUES EP.S ET EPS 1 TEL 01 49 29 66 07 EMAIL abonnements -eps@publ ic is - fu l l . com Revue EP.S n°314 Juillet-Août 2005 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

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LES MÉTHODES DE SIMULATION : DESCRIPTION, CHOIX ET VALIDATION

Les roboticiens, en charge de la construction d'humanoïdes, choisissent pour paramètres les couples articulaires résultant de l'action des différents moteurs employés ; or les couples nécessaires à la production du mouve­ment ne sont pas apparents pour l'observateur. Nous avons délibérément choisi une forme de pilotage de notre algorithme de calcul qui consiste à commander les angles interarticu­laires, pour se rapprocher de ce que l'ensei­gnant /entra îneur discerne au cours d 'une séance de pratique gymnique. Notre analyse s'effectue dans un espace tridi­mensionnel et ne concerne que le mouvement aérien du corps polyarticulé humain, assujetti à une loi de conservat ion bien connue en mécanique, celle relative au moment cinétique (3 , 4) ou quanti té de rotation calculée au centre de masse. Sans entrer dans les détails de la démarche mathématique utilisée, il est important de persuader le profane en méca­nique (ce qui est très souvent le cas des experts en savoir-faire corporels) que l'outil de simula­tion proposé est capable de reproduire la réalité de n'importe quel mouvement aérien, exécuté dans notre cas avec les jambes tendues. La validation de notre outil est donc indispen­sable ; elle porte sur un geste aérien déjà com­plexe, celui d 'un salto arrière tendu vrillé. Cette validation s'est opérée en trois étapes :

• Tout d ' abord , il s 'agi t d 'enregis t re r les images de la scène à l 'aide d 'un dispositif composé de plusieurs caméras synchronisées pour r e s t i tue r l ' a s p e c t t r i d i m e n s i o n n e l (figure 1 : mouvement réel). • Il est ensui te possible d 'ex t ra i re de ces images le déplacement au cours du temps des centres articulaires du corps du gymnaste (figure 1 : mouvement restitué) pour procéder au calcul des différents paramètres méca­niques initiaux du mouvement aérien, en utili­sant un modèle anthropométrique personna­lisé de notre athlète. • Enfin, la simulation proprement dite, qui consiste, après une phase de configuration de l'algorithme avec les paramètres précédem­ment définis, de recalculer à chaque instant l'orientation du corps du gymnaste (figure 1 : mouvement simulé).

Au bilan, la comparaison du mouvement réel avec le mouvement simulé s'avère correcte de visu et ceci est confirmé par le calcul de divers paramètres mécaniques. Il nous est désormais possible, après bien évi­demment la traduction par des paramètres mécaniques des consignes verbales de Pensei­gnant/entraîneur, d 'observer en simulation l'effet des modifications des gestuelles propo­sées sur un mouvement donné.

VRILLE ET FAUSSE VRILLE : UN VRAI CASSE-TÊTE POUR L'ENSEIGNANT

Un élève en gymnast ique à qui l 'on vient d'expliquer le salto vrillé pour la première fois fait preuve parfois d'un comportement dérou­tant pour l'enseignant, ce dernier se retrouve alors désarmé ; l 'élève gymnaste avait bien exécuté les instructions, mais le résultat pro­duit ne répond pas aux attentes. L'enseignant souhaitait une rotation transversale d'un tour (salto) combinée à une rotation longitudinale d'un tour complet (vrille). En fait, le débutant, et très souvent contrairement à ses propres perceptions, réalise une figure interdite (dite fausse vrille) ; il s 'agit, en plus d 'un salto complet, d 'une rotation longitudinale d 'un quart de tour dans un sens suivie d'un quart de tour dans l 'autre sens. Cette faute n'est pas facilement décelable pour un enseignant occa­sionnel en gymnastique, elle n'est même pas imaginable si cet enseignant se réfère à ses seules connaissances à propos de la conserva­tion du moment cinétique d'un solide rigide. Pour lever toute ambiguïté, il nous faut rendre compte par simulation des évolutions du corps humain en tant que système polyar t iculé

conformément à la procédure déjà envisagée plus haut, et non plus le considérer comme un corps rigide.

Le vecteur moment cinétique - Cas du salto « pur »

Lors d'un salto pur, le mouvement de rota­tion s'effectue uniquement autour de l 'axe transversal. Il faut que le gymnaste crée lors de la phase d'appel une quantité de rotation, appelée moment cinétique, qui est représenté par la flèche rouge sur les schémas, puisqu'il s'agit d'un vecteur. Ce vecteur a un sens, qui correspond au sens de rotation transversale du gymnaste, selon que ce dernier tourne en avant (le sens du vec­teur est le même que celui de l'axe transversal du g y m n a s t e , p o s i t i f d a n s n o t r e c a s : figure 2b) ou qu'il tourne en arrière (le sens du vecteur est contraire à celui de l'axe transver­sal du gymnaste , négatif dans notre cas : figure 2a). Ce sens de rotation, tel que le per­çoit un observateur extérieur au mouvement sera représenté par ce symbole ({*) et sera bien toujours constant pendant la phase aérienne en raison de la loi de conservation du moment cinétique déjà évoquée. Pour aider à la lecture des futurs schémas, le sens de rotation trans­versale, tel que le perçoit le gymnaste, sera représenté, au-dessus des figures, par une flèche pointillé pour les phases où le gymnaste tourne en avant et par une flèche pleine pour les phases où le gymnaste tourne en arrière ; contrairement au sens de rotation transversale perçu par un observateur extérieur du mouve­ment, celui-ci changera au cours d'un salto vrillé.

Un des effets bien connu de la loi de conser­vation du moment cinétique en phase aérienne

Fi g. 2 : Définition de l'axe transversal du gymnaste.

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Fig. 3 : Définition de l'axe antéro-postérieur du gymnaste.

est l'augmentation de la vitesse de rotation du gymnaste en salto pur lorsqu' i l se groupe, c'est-à-dire, lorsqu'il diminue son moment d'inertie global en rapprochant ses masses segmentaires de l'axe transversal ; le moment d'inertie caractérisant la résistance du système à sa mise en mouvement de rotation par rap­port à un axe donné. Jusqu'ici, l'explication des savoir-faire est simple, il en est tout autre­ment dès que le gymnaste va essayer d'ajouter une ou plusieurs vrilles dans un salto. Une fois encore, la mise au point des savoir-faire n 'a pas attendu l 'explication scientifique. En effet, les techniciens parlent déjà de vrille aérienne et de vrille de contact ; la simulation va nous conduire à mieux les cerner.

Comment réaliser une vrille en partant d'un salto pur ?

En l'air, pendant un salto « pur » tendu, sans inclinaison initiale du corps, pour faire une vrille, le gymnaste n 'a à sa disposition que ses deux bras ; en effet, c'est parce qu'il déplace ses masses segmentaires de façon dissymé­trique qu'il vrille : c'est ce qu'on appelle une vrille aérienne (ou encore appelée vrille par effet gyroscopique sur un site Internet abor­dant les techniques de vrilles (5). Le mouve­ment d'adduction d'un des deux bras, mouve­ment qui s ' e f fec tue au tour d ' u n axe antéro-postérieur (figure 3), entraîne l 'en­semble du corps, resté rigide, dans un mouve­ment de rotation autour d'un axe parallèle, mais dans le sens opposé à celui du bras, ceci pour respecter la loi de conserva t ion du moment cinétique.

Il résulte de cela une inclinaison de l'axe lon­gitudinal du corps (figure 4), autour duquel s'effectue le mouvement de vrille, par rapport au vecteur moment cinétique transversal créé à l ' impulsion pour un salto pur ; rappelons que ce vecteur se conservera pendant toute la phase aérienne. De ceci, on peut retenir un principe général : dès que l'axe longitudinal du corps n'est plus perpendiculaire au vecteur moment cinétique créé à l'impulsion, il y a apparition du mou­vement de vrille. Notre algorithme permet aisément la simula­tion de ce cas de création de vrille pendant la phase aérienne, nous avons cependant réservé dans cet article l'utilisation de la simulation pour expliquer ce qui s'appelle une vrille de contact (ou encore appelée vrille par orienta­tion du point distal).

Fig. 4 : Définition de l'axe longitudinal du gymnaste.

L'explication mécanique d'une vrille dite de contact

Dans ce cas, lors de la phase d'impulsion au sol, le gymnaste a déjà amorcé la vrille par un mouvement de torsion de la partie supérieure du corps ; pour un mécanicien, en consé­quence, le vecteur moment cinétique n 'est déjà plus perpendiculaire à l'axe longitudinal du gymnaste. Pour lui. il est évident que le

gymnaste va effectuer des saltos vrillés dans l'espace ; mais il ne dira pas qu'un salto peut être transformé en vrille parce que c'est à la fois trop simple et abusif. En effet, s'il est possible de réaliser des saltos purs, comme des vrilles pures (pirouettes), la mécanique nous révèle que la combinaison de rotations salto et vrille entraîne un troisième type de rota­tion autour de l 'axe antéro-postérieur, que l'on pourrait dénommer « rotation l a t é ra l e ». Ce t t e ro ta t ion est b ien

entendu pure lors de saltos japonais, mais elle n'est pas facile à déceler lors d'un salto vrillé, alors qu'elle existe bien et qu'elle est ressen­tie, comme le montre la situation où le gym­naste répète mentalement une acrobatie vrillée et mime les osc i l la t ions de son corps de gauche à droite, telles qu'il les ressent.

La combinaison des deux techniques de vrilles : des effets surprenants ?

Notre algorithme nous permet d'appréhender tous les cas possibles de vrilles de contact et

Fig. 5 : Mouvement dû à une vrille de contact associée à une adduction du bras droit 0.1 seconde après le début de la phase aérienne.

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Fig. 6 : Explication du changement de signe de la composante longitudinale du vecteur moment cinétique.

aérienne, avec ou sans inclinaison à droite c o m m e à gauche au début de la phase aérienne. À titre d'exemple, nous allons pré­senter deux cas de vrilles de contact sans incli­naison initiale de l'axe longitudinal combinés à une vrille aérienne. Cette dernière se mani­festera par un mouvement d'adduction du bras droit lors de la phase aérienne. Afin de rendre compte des différents changements de pos­tures, nous avons choisi d'utiliser des cadrans dont l'aiguille suit l 'évolution angulaire du mouvement de vrille.

1er cas : l'adduction du bras droit s'effectue 0.1 seconde après le début de la phase aérienne simulée

Sur la figure 5, on peut repérer des instants clés lors d'un salto initialement arrière (6) : • A l'instant (1), le gymnaste est en position verticale, mais avec un moment cinétique de contact, cela signifie qu'il n'est pas parallèle à l'axe transversal du gymnaste ; de ce fait, son salto arrière est déjà combiné à un mouvement de vrille vers la droite du gymnaste, sans que ce dernier soit obligé de procéder à des dépla­cements de masses segmentaires. • À l'instant (2), le gymnaste a déjà fait un hui­tième de tour en salto et plus d'un quart de tour en vrille ; il se retrouve alors en salto avant (flèche pointillé) à l'instant où débute précisément l'adduction du bras droit. • A l ' instant (4) s 'opère un changement de sens de la rotation longitudinale, au moment où l'athlète est tête en bas, que l'on peut aisé­ment repérer sur le cadran. • A l'instant (9), l'angle cumulé de rotation en vrille est revenu à zéro ; le gymnaste vient donc de faire une demi-vrille vers sa droite, suivie d'un demi-tour vers sa gauche. Il n 'a ainsi jamais réalisé une vrille tout en en don­nant l'illusion. L'explication mécanique de ce phénomène s'apparentant à une fausse vrille, est la sui­vante : le gymnaste tourne vers la droite sui­vant son axe longitudinal. Ceci est dû au fait que le vecteur moment cinétique se projette négativement sur cet axe comme nous l'avons déjà signalé (figure 6a). En effet, bien que l'axe longitudinal du gymnaste soit vertical au début de la phase aérienne, puisqu'il n'y a pas de tilt initial, le vecteur moment cinétique glo­bal n 'étant pas essentiellement transversal comme pour les vrilles aériennes, ce dernier possède par conséquent une composante sur l'axe longitudinal.

Puis, si on observe l'orientation du gymnaste au moment où se produit l'adduction (le gym­naste tourne transversalement en avant), on s 'aperçoit que ce mouvement segmentaire tend à incliner le gymnaste (et donc son axe longitudinal) vers le moment cinétique, en rai­son de la loi de conservation du moment ciné­tique en phase aérienne (figure 6b). Cette inclinaison impose un changement de signe de la composante du vecteur moment cinétique

sur l'axe longitudinal du gymnaste, entraînant le gymnaste dans un mouvement de vrille dans l'autre sens, c'est-à-dire vers la gauche.

2e cas : l'adduction du bras droit s'effectue 0.4 seconde après le début de la phase aérienne simulée

Les conditions initiales sont les mêmes que précédemment, par contre, la séquence des attitudes est totalement différente et ceci est dû au délai de 0.4 seconde imposé avant le début de l'adduction du bras droit (figure 7). • De l'instant © à l 'instant (3), l 'adduction n'est pas encore survenue, néanmoins, en rai­son du moment cinétique de contact, le gym­naste a déjà réalisé un demi-tour en salto et trois quart de vrille. • De l'instant (3) à l'instant (5), période où se situe l'adduction du bras droit, le gymnaste se retrouve en salto arrière (flèche pleine) et par voie de conséquence, le mouvement de rota­tion vrille se poursuit dans le même sens, vers la droite sur 4 tours. • À l'instant (10), la chronophotographie vir­tuelle proposée ne peut pas rendre compte que

Fig. 7 : Mouvement dû à une vrille de contact associée à une adduction du bras droit 0.4 seconde après le début de la phase aérienne

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Fig. 8 : Explication de l'amplification du mouvement de vrille.

la vitesse de rotation vrille s'est amplifiée de l'instant (3) à l'instant (10). Pour une visualisation de ce phénomène, le lecteur peut se reporter aux vidéos proposées sur notre site Internet (7). Une explication de ce phénomène peut toutefois être donnée. Comme pour le cas précédent, le gymnaste tourne initialement vers la droite suivant son axe longitudinal (figure 8a). Par contre, si on observe l'orientation du gymnaste au moment où se produit l'adduction (le gymnaste tourne transversalement en arrière), on s'aperçoit que ce mouvement segmentaire tend à accentuer l'inclinaison du vecteur moment cinétique par rapport à l'axe longitudinal du gymnaste, en raison de la loi de conservation du moment

cinétique en phase aérienne (figure 8b). De ce fait, le vecteur moment cinétique se projette toujours négativement et de façon plus impor­tante sur l'axe longitudinal du gymnaste, l'en­traînant ainsi dans un mouvement de vrille plus rapide vers la droite.

*

• Un premier constat : le recours à la simula­tion permet tout en s'affranchissant des équa­tions (souvent ardues) d'élaborer des prin­c ipes géné raux , des règles d ' a c t i on . Par exemple, dans ce document, nous avons pu montrer qu 'un même mouvement segmen­taire, c'est-à-dire, un même déplacement de masses segmentaires entraînait des effets dif­férents suivant l'instant (et la configuration du système à cet instant) où ce dernier survient. Un décalage de 0.3 seconde de l'adduction du bras droit lors d'une vrille de contact amène le gymnaste d'une situation très favorable (aug­mentation de la vitesse de rotation en vrille) à une situation très défavorable (changement de sens de la rotation en vrille). De nombreuses simulations et configurations ont été analy­sées et par conséquent d'autres éléments de compréhension de ces mouvements vrillés ont pu être apportés (8).

• Un deuxième point important : tout mouve­ment aérien (pour lesquels les effets produits par les frottements de l'air sont négligeables) peut être reproduit en simulation et surtout expliqué. Aucune loi de la mécanique n'est bafouée pour autant, même pour des cas parti­culiers comme lorsque le sens du mouvement de rotat ion change au cours d ' u n e phase aérienne, alors que le moment cinétique doit être bien entendu conservé. Mais l'aspect le plus impor t an t de notre d é m a r c h e res te d'ordre didactique ; jusqu'ici, par la force de c h o s e s , l ' e n s e i g n a n t / e n t r a î n e u r devai t construire ses connaissances, à propos de ce type de mouvements, à partir des observations qu'il peut faire sur le terrain ; par conséquent

tributaire, non seulement de ce qu'il pensait percevoir, mais également de ce que sont capables de réaliser ses élèves/acrobates, il était déjà difficile d'identifier, de décrire le mouvement produit dans sa globalité et enfin de contrôler le respect des consignes concer­nant l 'aspect spatio-temporel des mouve­ments segmentaires souhaités. De ce fait la mise en relation du mouvement produit avec les consignes données pour construire ses connaissances empiriques s'avérait toujours délicates. C'est sans doute ici que la simula­tion apparaît à notre avis comme un outil performant pour tout d ' abo rd const ru i re virtuellement puis comprendre et expliquer les mécanismes complexes des acrobaties aériennes.

Olivier Bonneau Alain Junqua

Professeurs de l'université de Poitiers.

Arnaud Decatoire Centre d'Analyse d'Images

et Performance Sportives (C.A.I.P.S.), CREPS Poitou-Charentes.

* Laurent Barbièri est entraîneur national et coordonna-teur technique du pôle France masculin à l'INSEP. Grand champion de saut de cheval, il fut médaillé de bronze aux JO de 1984 et vice-champion du monde en 1985.

Les auteurs tiennent à remercier Antoine Fradet, gymnaste au CEP gymnastique de Poitiers pour sa collaboration de chaque instant.

Références

(1) Fröhlich C , Do springboard divers violate angular momentum conservation ? American Journal of Physics, 47, 583-592, 1979.

(2) Prévost P.. « Analyse biomécanique des rotations ». Gym Technic, n° 42, janvier-mars. 2003, 9-15.

(3) Junqua A., Lacouture P., Duboy J., Marécot J. et Bonneau O., La science des mouvements humains. CD-Rom, Éditions Revue ERS, Paris. 2001.

(4) Duboy J.. Junqua A. et Lacouture P., Mécanique humaine : élément d'une analyse des gestes sportifs en deux dimensions. Coll. Recherche et formation. Éditions Revue ERS, Paris. 1994.

(5) http://www.gymnet.org/vrilles.htm

(6) Le mannequin 3D utilisé dans les différentes figures de ce document a été conçu par Cindy Ballreich. Le pro­gramme Vlatlab de base est en téléchargement à l'adresse suivante : h t tp: / /www.robots .ox .ac .uk /~wmayol /3D/ nancy_matlab.html

(7) Centre d'Analyse d'Images et Performance Sportive http://creps.interpc.fr/recherche/accueil_recherche.php

(8) Decatoire A., Analyse tridimensionnelle de la gestion des mouvements vrillés en gymnastique. La simulation : vers un outil de formation des entraîneurs en activités acro­batiques. Thèse de doctorat de l'Université de Poitiers, France, 2004.

Après un baccalauréat S et des études en STAPS à l'université de Lille, Arnaud Deca­toire a présenté le 7 décembre 2004 une thèse s'intitulant « Analyse tridimensionnelle de la gestion des mouvements vrillés en gymnastique. La simulation : vers un outil de formation d ' en t ra îneurs en activités acrobatiques ». Ce travail a été dirigé par O. Bonneau (directeur du Laboratoire de mécanique des solides, UMR 6610 CNRS) et A. Junqua. Le jury désigné par l'école docto­rale d e s Sc iences pour l ' ingénieur lui a décerné la mention très honorable ; il était présidé par G. Bessonnet (Poitiers) et com­posé de J.-P. Mariot (Le Mans) et G. Pouma-rat (Clermont-Ferrand), P. Holvoët (Lille), O. Bonneau, A. Junqua et L. Barbiéri (invité). A. Decatoire recevra au CNOSF, le 13 octobre prochain, le prix de la recherche 2004 de l'Académie Nationale Olympique Française des mains d'Emilie Lepennec, championne olympique et de René Moreau, membre de l'Académie des Sciences ; dans ses attendus, l'ANOF souligne qu'A. Decatoire a su répondre, à la fois, aux interrogations des athlètes qui réalisent, des entraîneurs qui conseillent au mieux, des scientifiques (mécaniciens) qui essaient d'expliquer et enfin des juges qui ont parfois du mal à voir.

Alain Junqua

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