Les mathématiques: un langage...

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- 62 LES MATHEMATIQUES : UN LANGAGE MYTHIQUE I - Par "les mathématiques" nous entendons ici les mathématiques écrites (pendant les quarantes dernières années environ). Par exemple : - "Eléments d'analyse" par J. Dieudonné, tome 3, Gauthier-Villard, Paris - Les fascicules du journal of Algebra - les "polys" de la "corpo" de la Faculté des Sciences de Paris parus en 1963 - Eléments de mathématiques,"Algèbre I, Chapitres 1 à 3 par N. Bourbaki, nouvelle édition 1970, Hermann. L'extrait de "Couty-Ezra", Analyse M.P., collection de Armand Colin, a été plus bas au 1, etc .... Le présent article ne pourra pas figurer dans cette liste car il s'agit d'un article sur les mathématiques (écrites ou non), mais non d'un article de mathé- matiques. Ce texte a été diffusé par 1'IREM de BESANCON en Novembre 1979 dans son bulletin n°6. Malgré certaines reprises nécessaires, l'idée essentielle de ce texte reste actuelle.

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LES MATHEMATIQUES : UN LANGAGE MYTHIQUE

I - Par "les mathématiques" nous entendons ici les mathématiques écrites(pendant les quarantes dernières années environ). Par exemple : - "Elémentsd'analyse" par J. Dieudonné, tome 3, Gauthier-Villard, Paris - Les fasciculesdu journal of Algebra - les "polys" de la "corpo" de la Faculté des Sciences

de Paris parus en 1963 - Eléments de mathématiques,"Algèbre I, Chapitres 1 à3 par N. Bourbaki, nouvelle édition 1970, Hermann. L'extrait de "Couty-Ezra",Analyse M.P., collection de Armand Colin, a été plus bas au n° 1, etc ....

Le présent article ne pourra pas figurer dans cette liste car il s'agit d'unarticle sur les mathématiques (écrites ou non), mais non d'un article de mathé-matiques.

Ce texte a été diffusé par 1'IREM de BESANCON en Novembre 1979 dans son

bulletin n°6.

Malgré certaines reprises nécessaires, l'idée essentielle de ce texte

reste actuelle.

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II - Considérons le texte suivant , extrait de Couty-Ezra, Analyse M - . P . Ce texteest précédé de la déf ini t ion des dérivées partielles d 'ordre supérieur, avecdeux exemples, de calcul sur lesquels on constate que

•e"' 28 ' = 8 - et on .se propose de démontrer que ceci est général .

Soit_fune application de R" dans R admettant des dérivées partielles du secondordre au point x ••- (xi, ... xn), nous nous proposons de montrer que si lesfonctions Dyf et Djif sont continues au point x € R" elles prennent la mêmevaleur en ce point. Dans les calculs de ces.dérivées partielleb, les (ti — 2) variablesdifférentes de Xi et Xj restant fixées, il est évident qu'il suffit de démontrer lerésultat dans le cas d'une fonction de deux variables.

Soit donc / une application de R dans R : (x, y) —*/(.v, y), supposons que fadmette au point (x, y) € R des dérivées partielles secondes

32/ c2/' ?,yox

continues.Posons

A(h, k} -f(x + h,y + k)—f(x -r h, y] —J\x, y + k)et considérons pour y et k fixés, la fonction :x -> <p(A-) = /(A-, y -r K) —/(A-, y), on a A (h, k} = <p(x + h) — <p(x)

Nous pouvons appliquer à la fonction <p l'a formule des accroissements finis :<p(x + K) — <p(x) = hcp'(x + Bh\0 < 6 < ' 1-)

Or ^

donc . , • •9'(.v H- 0Aj = -/ (A- + Bh, y + k) - ^f (x + Oh, y),

C-A' OXalors

Considérons maintenant, pour A- + Oh fixé, la fonction y -*- -=- (A' + SA, v),8.v

nous pouvons lui appliquer la formule des accroissements finis :

^ (A- -r 0A, ;' -t- /c) — - ̂ (A- + flA, .y) = k •%-£- (x + Oh, r + B'k), (0 < ff < 1 )OX OA" C'A"r.)'

alors :

,k)~ hk £L (A- + Bh, v -i- tf'A-).

32/"Puisque la fonction . . est continue au point (x. r) on a

-

Jim - (A- -r Wi, v + B'k) = - (x, v).A-.O 3x3;' • 3.v?r 'JL--+O

II en résulte que la fonction (h, k} — K ,-' a une limite au point (/;, k} —(0, 0).O /ÏA.

. , .et cette limite est égale a •9,r?v

Considérons maintenant pour h. et x fixés., la fonction >p= f(x + h, y}~f(x,y^ on a :

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Procédons comme ci-dessus : Appliquons une première fois la formule desaccroissements finis : . m^uc ueb

puis appliquons de nouveau la formule des accroissements finis à la fonction37"

on a :

h> k} = khB f

Par suite de la continuité de la fonction — •— au point (.Y, y), on a :cycix

hkk-+o

On avait trouvé précédemment :

'

Théorème. Soit f une application de Rn dans R, si elle admet au point x 6 Rn

;.-.,..^., partielles continues Dyf&t Dnj\n a Z)y/(.v) = Dnf(x).

V o i l à comment se démontre le théorème de Schwarz. Ce texte n 'es tpas le propre de Conty-Ezra : il fai t partie du patr imoine de l ' ense ignement(écrit) des mathémat iques . On reconnaît dans ce texte le style et la manièrequi envahissent tous les textes mathémat iques . L ' e n s e m b l e des textes écritsd ' u n e autre manière est de mesure n u l l e et se pose la quest ion du pourquoi dela forme des mathémat iques écrites.

Pour ce qui est du texte cité ci -dessus, la réponse ne peut êtred 'ordre mathémat ique . Car un e de réf lexion (e petit) permet de l ' éc r i re immé-diatement sous une autre forme. Dé-montrer, c 'est faire voir ! Le phénomèneremarquable

2 2

3 D 8 °' axay 3ysx

doit avoir une raison simple, transparente.

3 2 fRegardons donc ces dérivées, — — (x, y), par exemple, c 'est-à-diregf

commençons par regarder— (x, y). Ce nombre est par définition à peu près égalr ià |f(x + h y) - f(x, y)J / h pour h petit :

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h (*' y) ~ f(x + h> y) " f(x' y) (h petit)

Pour .plus de commodité appelons u(y) la quantité f(x + h, y) - f(x, y)' ' 8f '(h et x fixés). La quantité h — (x, y) est donc à peu de chose- près êgaTe à u(y)

.: oX

£

et pour calculer la dérivée -— = (|£)', remplaçons h |̂- (x, y) par u(y) et

3 f H • 1h - T - (x, y) est (de nouveau par définit ion) à peu près égal à Lu(y +. k) - u(y)J /k

(pour k petit) . •

a 2 f(1> k h ̂ (x, y) ^f(x -f h, y + k) - f(x, y + k) - f (x + h, y) - f(x, y) = A(h, k)

pour h, k petits.

82 fRecommençons avec . ', (x, y). Appelons <f)(x) = f(x, y . + k) - f(x)OA OJ'

de sorte que 1 'on aboutit cette fois à

9 2 f(2) h k i (xs y) - *(x + h) - <Kx) = A ( h , k) (h , k petits) . • . , •

Après suppression de hk on trouve la relation vou lue . La formule

à voir est donc ramené à ceci :

Si on remplace

3fh ir- par la différence première A, (f) = f(x + h, y) - f (x , y)ox n3f kk -̂ - par la différence première A (f) = f ( x , y + k) - f (x , y)

3 *"f k •kh ^77 -̂ par la différence secon.de A (A, ) ( f )dydA ' ng 2f 1,

hk - ^ pa r la différence seconde A . (A ) ( f )

La formule à dé-montrer' (a) est ramenée à la formule (b)

(b) Ah o A .= A o Ah '

et cela, ga se voit, en l'écrivant explicitement. Maintenant qu 'on a vu le théorème, prouvons-le. :

C'est le thëprëme des accroissements finis :

g ( b ) - g (a ) = g ' ( c ) (b - a).V'.c"4a» b[

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qui va é tabl i r un l i e n exact entre différence première et dérivée (première) .

A i n s i , en app l iquan t de façon brute .ce résultat aux différences consi-dérées, on a :

u(y) = f(x + h, y) - f(x, y) = h |£ (x + e h, y) (0 < e <1), 2

(1) A K A h = o(y+k) - «(y) = k u ' ( y + e ' k ) = kh |̂ - (x+eh, y+e 'k) (0 < e ' < 1)

*(x) = f(x, y + k) - f(x) - k -g: (x + y + e ' x k) (0 < e ' x < 1)2

(2) A, A = (|)(x+h) - < f> (x ) = htj> ' (x+e., h) = hk (x+e ..h, y+e ' ^k ) (0 < <

L'égal i té (1) = (2) entraîne, en faisant tendre h, k vers 0, la2 2a f 3 frelat ion (x, y) = (x, y) en supposant ces dérivées secondes cont inues

en (x, y).

Mais en fai t , il y a encore une imprécis ion : le e de la premièrel i g n e dépend de y et la deuxième l i g n e devient fausse (ca lcu l de 4 ' ) . Mais onpeut app l ique r le théorème des accroissements f i n i s d 'abord à la deuxième diffé-rence (deuxième l igne) ,

u(y + k) - u(y) = k u ' (y + e ' k ) = k |y (x + h, y + e ' k ) - k |y (x, y + e ' k ) ,2

k(-!p (x + h, y + e ' k ) - ~ (x, y + e ' k ) ) = hk ̂ ~ (x + eh, y + e ' k )

De même pour <j> et on conclut.

D ' a u c u n s pourraient remarquer la t r ivial i té des idées précédentes.M a i s , c 'est justement cette t r ivial i té qui porte une accusation contre le textecité et rare est l ' é t u d i a n t de premier cycle qui "lit" le texte cité sous saforme re-rëdigëe. Une remarque s ' i m p o s e : un soupçon d 'ëpistëmolog. ie et d 'h i s to i reamène automatiquement à écrire la démonstration sous la dernière forme et nonsous la première sans être une répl ique de la démarche his torique qui a aboutià la démonstration f ina le du théorème de Schwarz, la deuxième démonstration enest un reflet.

La question q u ' o n veut donc poser : quelles sont les raisons d'êtredu langage des textes mathématiques (surtout actuels) ces raisons ne pouvant êtred'ordre mathémat iques , car ce q u ' i l est possible de faire pour le texte précédent,

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on peut le faire pour tout texte mathématique. Affirmation gratuite penseronscertains : les mathématiques (modernes) sont trop évoluées pour être écrites

d ' u n e autre façon. Q u ' i l soit donné en contre-exemple deux noms : Eins te in ,Lebesgue. Personne ne pourra accuser Einstein ou Lebesgue d 'avoir écrit destr ivial i tés . Combien de "maîtrisés" n ' on t aucune idée sérieuse de leurs idées ?Lacune d ' a i l l e u r s f ac i l e à combler en l isant directement ces auteurs, dont lamanière n ' é t a i t pas cel le du texte cité. Appelons LI le langage des textes mathé-mat iques récents et LU le langage d ' u n Eins te in , Lebesgue, sans donner de défini-tions précises. L 'oppos i t ion entre LI et LU n 'es t pas une opposi t ion de leurscontenus : haute mathémat ique pour LI et mathématiques élémentaires pour L U .E l l e est une opposi t ion entre -pouvoir- et - (faire) savoir-.

III - Beaucoup de personnes ne sont pas sensibles aux bandes dessinées ou àcertains j o u r n a u x , genre "Char l ie -Hebdo" par exemple. Pour apprécier "Char l i e -Hebdo" ,i l faut être in i t ié , car il s ' ag i t d ' u n langage 'au deuxième degré. Le "Qu'est-ceq u ' o n attend pour a l l e r casser la gueu le aux arabes" de Char l ie -Hebdo n 'es t pasle "Qu 'es t -ce q u ' o n attend pour casser la gueu le aux arabes" q u ' o n pourrait l i redans "Minute" sous la rubr ique "Crise du pétrole? Le langage de t t Minute" est aupremier degré, celui de "Charlie-Hebdo" au deuxième degré. Les mots sont lesmêmes .mais ne disent pas du tout la même chose. Le lecteur non averti de "Charl ie-Hebdo", le lecteur qui n 'est pas en possession du présupposé (prérequisité) n 'estpas en mesure de comprendre et l i t le texte au premier degré ce qui peut l ' a m e n e rà y voir du pur "non-sens" ( ' nonsens ' en angla i s ) . Ce sentiment de "non-sens" onl ' a aussi à la lecture de certaines bandes dessinées qui apparaissent totalementopaques, pour la même raison.

Il est bien vrai que l ' incompréhension d ' u n langage (phi losophique,c inéma, littératures mathémat iques ) peut être due à un "manque de connaissances".Mais ce manque se place alors au même niveau que celui du langage en question.Par exemple , un texte rempli de références peut ne pas être compris par m a n q u ede connaissances. Il suff i t alors de compléter ses connaissances. Rien de tel

dans l ' i n c o m p r é h e n s i o n poss ib le de l ' h u m o u r de la bande dessinée "Gaston Lagaffe" .Il s ' a g i t là d ' u n l angage à p lu s i eu r s n i v e a u x . . E t pour celui qui n ' a r r ive pas àsourire, qui l i t le texte au premier n iveau , i n u t i l e d'essayer de combler son"manque de connaissance", car ce n ' es t pas ainsi q u ' i l pourrait f ranchi r le fosséentre les deux n iveaux.

Le rapport de ceci avec les mathématiques; nous avons envie demontrer q u ' u n changement de n iveau dans le langage mathématique opère le passage

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du "savoir" au "pouvoir" .

IV - Ce changement de n iveau est en fai t double . D ' u n e part, le changement deniveau opéré est une mystification qui consiste dans une amputation de l 'activitémathématique et sa transformation en un langage -intelligible tout prêt à fonc-t ionner comme matér iau de base d ' u n deuxième changement de n iveau qui consisteen une mythi f ica t ion .

Pour rendre ceci d ' a i r , il faut rappeler 1) La conception deF. Saussure sur le langage (cours de l i n g u i s t i q u e générale) , conception qui aété général isée depuis et 2) par ce q u ' o n a p p e l l e mythe dans une te l le perspective( R o l a n d Barthesi M y t h o l o g i e s ) .

La langue est un code, un système de communicat ion. Il n ' y a pasque la l angue qui soit un système de communica t ion : le cinéma, les bandesdessinées, la littérature, les mathémat iques , la mode, l a té lévis ion, la m u s i q u e ,la publ ic i té en sont tant d 'autres. Parmi ces systèmes, il y en a qui se serventde la parole, et d'autres pas. Mais quelque soit le système de communication, onpeut le considérer comme "une l a n g u e " dans la mesure où le système en quest ion estune structure du même type q u ' u n e l angue parlée : depuis Saussure, la l angue (unel a n g u e ) est un ensemble structuré de signes, tout signe étant un rapport entredeux termes, un s ignif iant et un signifié.

Par e x e m p l e , ' l e son | vache | , intégré au système du f rançais , est un•signe l i n g u i s t i q u e qui a deux faces : la face s igni f iée "vache" (" les vaches re-gardent passer les trains") et une face signif iante qui serait la face purementacoustique du signe, face qui se dégage en imaginant ce son produit sur la planèteMars par exemple.

Le s igne est le rapport entre le s igni f iant et le s ign i f i é .

Voici un exemple d ' u n e " l angue" non .acoustique : les panneaux routiers;les s ign i f i an t s sont ici les panneaux matériels avec leurs dessins et couleurs ,les s igni f iés les attitudes demandées aux conducteurs "écoutant" les panneaux , lesigne est ici "le panneau-qui-s igni f ie" , la conjonction du signifiant et du si-gn i f i é .

Autre exemple : le sémaphore. Les s ignif iants sont ici les drapeaux(un morceau de bois + un morceau de tissu), les signifiés, les messages transmis,les signes, la conjonction des deux. Un cadeau peut être le signe d ' u n e amitié.

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L'obje t en tant q u ' o b j e t est ici le s ign i f ian t , le s i g n i f i é est l ' ami t i é ; le s igne,le cadeau, l ' ob j e t en tant que cadeau. L ' h a b i t u d e fait q u ' o n dis t ingue d i f f ic i lement

le signe du s ign i f i an t , mais il ne peut y avoir signe que quand il y a conjonction

d ' u n s ign i f i an t e t d ' u n s ignif ié .

Le s ignif iant est du côté de la forme, de 1'énoncé, le signifié est

du côté de concept, du contenu.

Certaines " langues" u t i l i sent comme s ign i f ian ts les s ign i f ian ts ,signes ou s igni f iés d ' u n e autre langue : par exemple, un texte mathématique uti-l ise comme s ignif iants les mots et les phrases de la l angue française (et d'autress ign i f i an t s ) et tout énoncé mathémat ique a un contenu.

C'est ainsi q u ' i l peut y avoir changement de niveau, de degré. Aupremier sens peut se superposer un deuxième, etc...

Si on représente un système semiologique (un système structuré de. s ignes ) par le schéma su ivant :

E C

(E pour énoncé ( s i g n i f i a n t ) , C pour contenu (s ignif ié) ;

1 ' imbrication d ' u n système dans un autre peut être par exemple de1 ' u n des deux types simples suivants qui sont extrêmement courants :

Type (1)

Type (2)

E

E C

E

C

C

E C

Système

Système

SystèmeSystème

2

1

2

1

Considérons le premier type : les signes du premier système deviennents ign i f i an t s pour un deuxième système. R. Barthes cite deux exemples d ' u n e te l leintégrat ion (Mythologies : p 200) .

"J 'emprunterai le premier à une remarque de Valéry : je suis élèvede cinquième dans un lycée français. J 'ouvre ma grammaire latine et j'y lis unephrase, empruntée à Esope ou à Phèdre : "Quia ego nominor lep !". Je m'arrête et

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et je réfléchis : il y a une ambigui të dans cette proposition. D ' u n e part, lesmots y ont bien un sens s i m p l e : "car moi je m ' a p p e l l e l i o n " . Et d 'au t re part,la phrase est là manifestement pour me s ign i f ie r autre chose : dans la mesureoù e l l e s'adresse à moi élève de c inqu ième, el le me dit clairement : "Je suisun exemple de grammaire destiné à i l lustrer la règle d 'accord de l ' a t t r ibut ! Jesuis même o b l i g é de reconnaitre que la phrase ne me s ign i f i e nu l lement son sens,e l l e cherche fort peu à me parler du l i o n et de la façon dont il se nomme. Sas ign i f i ca t ion véritable et dernère, c'est de s ' imposer à moi comme présence d ' u ncertain accord de l ' a t t r ibut . Je conclus que je suis devant un système sëmiologiquepar t icul ier , agrandi , p u i s q u ' i l est extensif à la langue : il y a bien un signi-f ian t , mais ce s i g n i f i a n t est lu i -même formé par un total de signes, il est à luiseul un premier système s ë m i o l o g i q u e ("Je m ' a p p e l l e l i o n " ) . Pour le reste, lesystème formel se déroule correctement : il y a un s ign i f i é ("Je suis un exemplede grammaire") et i l y a une s ign i f i ca t ion g loba l e qui n 'es t rien d 'aut re que lacorrélat ion du s ign i f i an t et du s ign i f i é , car ni la dénominat ion du l i o n , ni l ' exem-ple de grammaire ne me sont donnés séparément.

Et voici ma in t enan t un autre exemple : je suis chez le coiffeur , onme tend un numéro de Paris-Match. Sur la couverture, un jeune nègre vêtu d ' u nuni fo rme français fai t le sa lu t m i l i t a i r e , les yeux levés, fixés sans doute surun pli du drapeau tricolore. Cela , c'est le sens de l ' i m a g e . M a i s , naïf ou pas,je vois bien ce q u ' e l l e me s ign i f ie : que la France est un grand Empire, que tousses f i l s , sans distinction de couleur , servent f idèlement sous son drapeau, etq u ' i l n ' e s t de m e i l l e u r e réponse aux détracteurs d ' u n co lon ia l i sme prétendu, quele zélé de ce noir à servir ses prétendus oppresseurs. Je me trouve donc iciencore, devant un système sémiologique majoré, il y a un signifiant, formé lu i -même, déjà , d ' u n système préa lable ( " U n soldat noir fai t le salut mi l i t a i r ef r a n ç a i s " ) . Il y a un s i g n i f i é (c 'es t ici un mélange intent ionnel de franci téet de m i l i t a n t e ) . Il y a enf in une présence du s ign i f i é à travers le s i g n i f i a n t " .

R. Barthes voit dans le schéma (1) le type même de tout systèmemyth ique .

Quant au deuxième type, le système 1 est une langue objet pour ledeuxième système qui par rapport au premier est appelé méta- langue. La langueobjet est objet d 'é tude pour la méta- langue qui l ' é t u d i é avec ses propres s igni -f iants , ses propres méthodes. En log ique mathématique, nous avons l ' h a b i t u d e decette s i tuat ion : les théorèmes de log ique mathématique (premier n iveau , langage-objet) sont démontrés dans un métalangage (deuxième n i v e a u ) . A ins i , le théorème de

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Gode! énonce que dans tout système logique contenant l 'ar i thmétique, il setrouve forcément une proposition ( indéc idable (proposi t ion q u ' o n ne peut nidémontrer, ni in f i rmer) (énoncé du premier système). La démonstration de ceténoncé se fa i t dans le langage du deuxième niveau (méta- langage) , dans l eque l onconstruit une assertion fyqui est vraie dans le méta langage et qui est indéc idab ledans le langage-objet .

Ceci n 'est ni contradictoire, ni paradoxal, car le mëta-langage aà sa disposit ion des s igni f iants (des méthodes, des règles d ' in fërence) différentsde ceux du premier système.

V - La s i tuat ion du schéma (2) (méta-langage -langage objet) se retrouve en fai ttrès souvent dans l ' ac t iv i té mathémat ique . La progression du savoir mathémat iquepeut se concevoir grossièrement:, ce qui donne le schéma f i n a l .

A un n iveau donné (n iveau 0) de l ' ac t iv i té mathématique réelle., àun instant donné, se superpose une réf lexion ultérieure sur cette activité, dansun langage qui est mëta-langage (n iveau 1) par rapport au niveau 0.

Niveau 1Niveau 0

E C

E ' C

E C

E C

E C

L'activité mathématique au niveau 1, permet alors souvent de présenterles contenus du n iveau 0 d ' u n e autre manière , en général , d ' u n e manière ( p l u s axio-m a t i q u e ) et donne le schéma f i n a l .

Niveau"! - Mëta- langageNiveau 0 - Niveau réel à t donnéNiveau -1 - Axiomat ique

du fonct ionnement de l ' a c t iv i t é mathématique dans sa progression.

Prenons l ' é labora t ion des nombres réels. Le niveau 0 correspond àl 'act ivi té mathématique des Srecs ju squ ' aux mathématiciens du 19ëme siècle quiont réf léchi sur cette activité (n iveau 1 en cherchant des fondements aux nombresrée ls) . Cette réflexion (Dedek ind , Cantor, e tc . . . ) a permis d 'é laborer un fon-dement axiomati que (n iveau -1) aux nombres réels. Rien n 'empêche q u ' u n e autreréflexion sur cette même activité (du niveau 0) produise une autre fo rmal i sa t ion .C 'es t c e q u ' a f a i t Robinson en donnant un statut aux "nombres in f in i tés imaux"

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alors que l ' au t r e formal i sa t ion les avait "ël imités" .

Le schéma précédent à trois niveaux se retrouve non seulement dansles "grandes ques t ions" , mais il est présent à tous les degrés de l ' ac t iv i té mathé-mat ique .

Ains i par exemple, peut-on être amené à regarder les solutions del ' é q u a t i o n dif férent ie l le ay" + by' + c = 0 et aussi avoir eu à chercher lessuites (u ) vér i f iant la relat ion de récurrence a u 2 + b u n + i + c = 0 -( n i v e a u 0 ) . La s imi la r i té des solut ions des deux problèmes apparemment sans re-la t ion peut alors amener une réflexion sur les deux phénomènes (n iveau 1) etpermettre de trouver un modèle exp l iquan t de façon s imul tané les deux phénomènes( n i v e a u -1) .

La mystification des textes mathématiques consiste à présenter un i -quement le n iveau (-1) et à escamoter systématiquement le niveau 0 et le n iveau 1.(Parfois , dans l ' i n t r o d u c t i o n à un l ivre , on trouve sur 2 ou 3 pages que lquesindica t ions concernant les deux autres n iveaux ; souvent l ' i n t roduc t ion se placee l l e aussi au n iveau ( -1)) .

La mythi fi cation consiste à intégrer le niveau (-1) à un niveaumythique selon le schéma du type (2) :

Niveau mythiqueNiveau -1

Pour ce qui est de la myst i f icat ion, e l l e est absolument générale ,présente à chaque page de n ' impor te quel l ivre . Inu t i l e d ' e n prendre un exemple :

ce serait injust ice pour les textesnon cités. Cette amputat ion des niveaux est part iculièrement grave et transformeun savoir en non-savoir . Il n'y a aucune manière pour Te lecteur 'de sortir de cenon-savoir , car de "prerequisite" en "prerequisite" il est renvoyé de non-savoiren non-savoir , car aucun texte ne lui fera connaitre le savoir dans son intégrali ténon tronquée.

Certains voient dans le fa i t de présenter un iquemen t le niveau (-1)( l e résultat d ' u n e réflexion sur un .savoir antérieur) un moyen p lus efficace, p l u srapide de faire connaitre le savoir . A notre avis , il ne peut s ' a g i r là que d ' u nmoyen p l u s efficace de dressage et les travaux de Papy montrent que ce dressage

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Page 12: Les mathématiques: un langage mythiqueepiphymaths.univ-fcomte.fr/seminaire/publications/...d'analyse" par J. Dieudonné, tome 3, Gauthier-Villard, Paris - Les fascicules du journal

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est poss ib le dès la mate rne l l e ( x ) .

S ' i l y a myst i f ica t ion, c'est toujours par rapport à un lecteursupposé. Par exemple les "Eléments de géométrie a lgébr ique" de Grothendieck-

Dieudonné sont dédiés à Zarisky et A. W e i l . Là, aucune mystification, car ces

deux lecteurs l isent le texte au degré 1, 0 et -1. Par contre en face d ' u n lecteur

étudiant en Sème cycle, il y a myst i f icat ion.

Le canular de N. Bourbaki (faire croire au p u b l i c q u ' u n certain

N. Bourbaki a écrit le traité alors que c'était en fait un groupe de normal iens)se place en fai t a i l l eu r s : il se place dans la mystification qui consiste àfaire croire au p u b l i c que tout le "savoir mathémat ique" est f ixé dans ce traité,

alors q u ' e n 'fait il ne l 'est que pour ceux (+ quelques uns) qui l ' on t écrit.

VI - Vu sous cet a n g l e , le c a n n u l a r devient moins drôle, mais en fa i t , i l s 'assom-

brit encore : en se retranchant dans l ' anonyma t , les auteurs ont fai t croire au

p u b l i c que c 'est en fai t Nemo qui a écrit le traité. Le "savoi r" ' contenu dans le

traité devient par le fai t Le Savoir, le seul poss ible . Il devient Le Savoirobjectif , ind i scu tab le , ina t taquable , permanent d ' u n e essence supérieurs . Et c 'est

à partir d ' i c i que le langag.e mathémat ique commence à se prêter au mythe. Etant

le savoir par excellence, mais totalement incompris de la masse, il impose le res-

pect, l a soumiss ion , défend l ' o rd re des choses, dépossède les autres, les non-

maî t res , non seulement d ' u n Savoir, mais aussi de tout-savoir poss ib le ( l e - l e u r ) .

Ains i le savoir devient Pouvoir . Le "Soit A ( h , k) = f(x + h, y + k ) - . .4nle "Soit s = -ômr- • - " devient l ' express ion , la forme de l ' i ns taura t ion de l ' a u t e u r

en maître-créateur, ( "Dieu dit : soit la lumière" (Genèse) ) , en maître de sa

création à l a q u e l l e le lecteur .est o b l i g é de se p l i e r pour renvoyer au Maître le

reflet de son Pouvoi r .

Mais à quoi cela sert-il de démythifier un mythe ! Car un mythe

répond à une fonct ion . Et s ' i l ne peut p lus remplir sa fonction, on en inven te_un autre

Jean MERKER

(x) II y .a dressage, même si on cherche des expériences, activités à faire passeru n . s a v o i r . Le savoir d ' u n e pra t ique ^ prat ique d ' u n savoir.

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