Les limites du vide

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III Les limites du vide

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Contes de 1993

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Les limites du vide

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Selon certains voisins, il n'était revenu qu'au début de l'automne, amaigri et plutôt pâle. I.L. ne sortait plus et avait tenté, semble-t-il, d'entrer en communication avec les esprits des morts et, en fermant bien les yeux, essayé de faire apparaître des ectoplasmes et de faire bouger les tables du bout des doigts. I.L. n'avait réussi qu'à aggraver son urticaire. Sa chambre sentait la sueur et l'encens bon marché.

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Sa propreté proverbiale lui valait bien des ennuis; on se moquait de lui dans la rue, on le montrait du doigt. À la maison, I.L. souffrait de plus en plus souvent de crampes. Triste... I.L. était devenu, contre son gré, en quelques années une figure connue. Un promoteur avait voulu faire de lui une attraction touristique, mais sa santé chancelante avait nui au projet.

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Un ami d'I.L., peu superstitieux, se plaisait pour l'ennuyer, à ouvrir son parapluie dans la maison. Un jour de pluie, passant près d'une taverne fermée, I.L. avait tout à coup réalisé que l'ami était devenu parfaitement idiot. Parents et amis avaient tenté, sans grand succès, de ne pas ébruiter l'affaire. Tout venait à se savoir, la ville était si petite.

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Il avait perdu l'appétit en apprenant, le matin de son treizième anniversaire, que sa boussole n'indiquait pas le vrai nord. Tard cette nuit-là, I.L. en avait conclu que les pigeons devaient être plus intelligents que les humains car, bien avant l'invention de la bussola, ces volatiles savaient déjà où ils allaient. Se refusant depuis lors à manger de la volaille, par respect pour ces oiseaux, on le croyait végétarien.

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Son rêve débutait chaque fois de la même façon. Tous les meubles commençaient à s'animer dans un très grand silence. Ses vieux jouets le menaçaient et tentaient de grimper au baobab sur lequel il trouvait refuge chaque nuit. I.L. avait chaud et s'agitait. Bientôt le cauchemar apporterait les araignées et les fourmis dans son lit.

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Un souvenir ancien avait refait surface la nuit dernière, l'image d'une grande salle à manger, un gros chien bâtard à côté d'un enfant qu'il ne reconnaissait pas. Le lit était trop chaud. Un peu ivre, I.L. avait vu sans joie le jour se lever. Le chien jappait dans la cuisine. E.L. préparait le café.

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Un jour à la campagne, en jouant dans le jardin, I.L.enfant avait déniché, par hasard, une famille de mulots. Surpris et énervé, I.L. avait sauvagement écrasé le nid et caché la pelle souillée derrière la grange. Les jours suivants, ses parents, inconscients du drame et inquiets de le voir si triste et toujours au bord des larmes, l'avaient fait voir par le médecin du village.

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Malgré les apparences, I.L. n'avait toujours pas le goût des voyages. Il avait fait l'achat de plusieurs plantes en pot, dont deux, aux fleurs rose vif, «de Nouvelle-Zélande, c'est pas à côté...», précisait-il à des amies belges revenues avant-hier d'un périple de six semaines sur l'Amazone.

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Il rêvait d'un tatouage représentant une femme immense et un chat nu d'Égypte.

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I.L. avait écrit un jour: «La folie m'attire un peu plus... toute résistance devient inutile. Encore quelques nuits à dormir devant mon miroir et bientôt le vide...» Cette phrase lui faisait si peur, qu'un matin, il l'avait jetée. I.L. l'avait retrouvée hier, sur une petite table basse, chez l'amie d'une copine. Pris d'un malaise, il était parti sans finir son Martini.

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Il pleuvait doucement. I.L. marchait vite.

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Le désespoir l'avait amené jusqu'ici. La peur l'avait paralysé. L'amour perdu l'avait fait revenir sur le quai. Les odeurs l'écoeuraient. Prudemment, car c'était la nuit et qu'il ne voulait pas se blesser inutilement, il s'était approché du bord. I.L. sentait l'humidité, le vent et sa sueur. Il savait que pour en finir au plus vite il devait plonger la bouche ouverte en aspirant très fort en touchant l'eau. Il l'avalerait à plein poumons. Les yeux fermés, I.L. avait plongé, tête première, bouche ouverte et avait heurté, de la tête et d'une épaule, un gros rocher. Triste fin à marée basse.