Les impacts de la structure de la propriété des médias sur...

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Par Lovamalala Randriatavy et Iloniaina Alain Les impacts de la structure de la propriété des médias sur la couverture médiatique, la représentation politique et le travail du journaliste

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Par Lovamalala Randriatavy et Iloniaina Alain

Les impacts de la structure

de la propriété des médias

sur la couverture médiatique,

la représentation politique

et le travail du journaliste

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Les idées et positions exprimées dans cette publication ne reflètent pas nécessairement les opinions de la Friedrich-Ebert-Stiftung.

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Auteurs : Lovamalala Randriatavy et Iloniaina Alain Réalisation : Friedrich-Ebert-StiftungCoordination : Hantanirina Andrianasy, Marjam Mayer Antananarivo, Octobre 2016

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SOMMAIRE ...................................................................................................................................2

RESUME EXECUTIF ........................................................................................................................3

INTRODUCTION ............................................................................................................................4

Partie I – Méthodologie de l’étude ................................................................................................6

I – L’approche méthodologique .................................................................................................................. 6

a – La recherche des données relatives aux entreprises de presse .......................................................... 6

b – L’analyse des répercussions de la propriété des entreprises de presse sur le contenu ....................... 7

II – Les critères d’évaluation du niveau de concentration des médias à Madagascar .................................... 8

Partie II – De médias d’opinion militants à des médias modernes de propagande .........................11

I – Entre militantisme et propagande ........................................................................................................ 11

1- La presse avant la colonisation ....................................................................................................... 11

2- La presse sous la colonisation ........................................................................................................ 12

3- Presse d’opposition et presse pro-gouvernementale ....................................................................... 12

4- Des journaux d’information appartenant à des hommes d’affaires ................................................. 14

II – Des radios de propagande .................................................................................................................. 15

1- Une vocation politique ................................................................................................................... 15

2- Des tentatives de musèlement ....................................................................................................... 17

3- Une lueur de diversité qui s’estompe ............................................................................................. 18

Partie III –Un paysage médiatique tendant vers la concentration et le déséquilibre .......................20

I – Des groupes médiatiques contrôlés par des groupes industriels et des personnalités politiques ............ 20

II – Une dynamique de concentration ....................................................................................................... 22

Partie IV – Les impacts de la structure de la propriété des médias sur la couverture médiatique ....25

I – Un déséquilibre renforcé entre les médias ............................................................................................ 25

1- Tendance au monopole du marché publicitaire et des informations publiques ................................ 25

2- Des journaux complaisants ............................................................................................................ 26

3- Menace sur le pluralisme et le professionnalisme .......................................................................... 28

II – Des journalistes partisans, dépendants et manipulateurs ..................................................................... 29

1- Militants par choix ou pris en otage ? ............................................................................................ 29

2- Une couverture médiatique superficielle, partiale et dramatisante .................................................. 31

Partie V – Recommandations .......................................................................................................34

CONCLUSION .............................................................................................................................39

ANNEXE 1 - Liste des grands groupes contrôlant le secteur des médias à Madagascar

ANNEXE 2 - Les groupes et les entreprises de presse les plus influents à Madagascar

SOMMAIRE

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La presse malgache a été, pendant plusieurs années, une presse d’opinion, la plupart des journaux ayant appartenu à des hommes ou à des partis politiques. Les premiers journaux modernes d’in-formation sont nés au milieu des années 80, et tout comme les sta-tions audio-visuelles privées, ils se sont multipliés après l’abolition de la censure. Mais même quand ils appartiennent à des hommes d’affaires ou à des sociétés anonymes, les journaux, radios et télé-visions ont toujours tendance à défendre des intérêts politiques et des intérêts privés.

De plus en plus, les propriétaires des médias ne se contentent plus de disposer d’un seul journal. Les organes les plus influents ne cessent d’étendre et d’accroître leur puissance, en se dotant de tous les supports et de tous les canaux. Tentant de couvrir tous les champs de la communication, ces grands groupes se trouvent également impliqués dans d’autres activités connexes de la vie industrielle ou commerciale. En même temps, les alliances entre les grands groupes se multiplient.

Cette structure de propriété renforce le déséquilibre entre les mé-dias, et constitue une menace sur le pluralisme et la diversité des points de vue, ainsi que sur le professionnalisme des journalistes. En effet, ces groupes étant la propriété de personnalités politiques et économiques influentes ayant des visées politiques, les journaux en deviennent complaisants, tandis que les journalistes deviennent manipulateurs, partisans ou dépendants. Les informations sont gé-néralement couvertes de manière superficielle, partiale et parfois dramatique.

Mots clés

Médias - Concentration - Politique - Pluralité - Diversité

RESUME

EXECUTIF

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La presse malgache est née en 1866 avec le magazine confessionnel Ny Teny Soa Hanala-na Andro. Cette presse vieille de 150 ans avait accompagné les péripéties de l’histoire de la Grande île, et a accompagné le processus de démocratisation du pays. Sous la colonisation, la plupart des médias avaient un statut de jour-naux d’opinion. Appartenant à des hommes politiques, plus rarement à des groupes d’in-térêt économique, comme des colons, par exemple, ces journaux s’affichaient clairement en tant que support des luttes nationalistes et/ou des revendications « sociales » de leurs propriétaires. Sous la première République, les journaux d’opinion ont continué d’exister, mais ils se distinguaient alors en deux grandes ca-tégories : la presse d’opposition et la presse pro-gouvernementale. Ce clivage aura ten-dance à disparaître sous la Deuxième Répu-blique, le monopole d’Etat s’instaure même si les journaux qui arrivent sur le marché se disent « médias d’information et d’analyse ». Vers la fin des années 1980, la libéralisation politique concerne aussi la presse malgache, marquée par la fin du monopole d’Etat et la levée de la censure et permettant ainsi l’éclosion de multi-ples organes de presse écrite, audiovisuelle et électronique privés. Cette presse qui se veut moderne est pourtant très vite rattrapée par la tradition de militantisme qui a toujours animé le journalisme à Madagascar depuis ses 150 ans d’existence.

Si sous la colonisation et durant la Première Ré-publique, les médias avaient assumé leur statut de journaux d’opinion, ceux d’aujourd’hui, sous couvert du slogan de « quotidiens ou pério-diques d’information et d’analyse », de « radios

commerciales » ou de « chaînes généralistes », apparaissent, dans la plupart des cas, comme des médias de propagande, appartenant à des hommes politiques ou des hommes d’affaires ayant des accointances avec le monde poli-tique. Lorsqu’ils ne sont pas affiliés à des mou-vements politiques, les propriétaires des médias sont plus ou moins dépendants du milieu des affaires dont ils n’hésitent pas à défendre les intérêts. Les médias sont, pour leur propriétaire, un moyen de renforcer leur influence sociale, politique ou économique.

D’aucuns n’ignorent que dans leur com-pétition à visée politique et électorale, les acteurs politiques dépendent essentiellement des médias et des journalistes pour commu-niquer et rester en contact avec leur public. Face à ce besoin d’exister médiatiquement, les politiciens cherchent à s’approprier les médias. Les bénéfices commerciaux semblent ne plus être l’objectif premier. La concurrence se situe désormais à un tout autre niveau : s’accaparer un public électeur.

En effet, les médias constituent un facteur d’in-fluence politique direct, le public optant géné-ralement pour le média qui justifie son choix politique1. Ils constituent un espace indispen-sable qui, non seulement, permet aux acteurs politiques de se faire connaître, d’afficher leur présence sur la scène politique, et de commu-niquer avec leur public, mais aussi de diffuser auprès des personnes auxquelles ils n’ont pas habituellement accès.

INTRODUCTION

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1 Frank SWAELEN, Les médias comme facteur de pouvoir dans la politique, Conférence des Présidents des Assemblées parle-mentaires européennes, La Haye, 24, 25 juin 1994.

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Ils entretiennent une relation de proximité entre l’acteur politique et son public. Les communica-tions se font plus directement à travers notam-ment les émissions interactives invitant le public sur le plateau, favorisant les appels des audi-teurs ou permettant les courriers des lecteurs. Les débats politiques sont véhiculés rapidement à travers les médias.

En étant propriétaire de médias, l’acteur poli-tique n’a plus besoin d’acheter des temps d’an-tenne ni de réserver des plages entières pour insérer ses publi-reportages, encore moins d’in-vestir dans des conférences de presse. Il n’a plus à chercher loin et à mobiliser une lourde dé-pense pour trouver une couverture médiatique permanente, efficace et surtout favorable.

Le développement de la technologie numérique permet également le système du cross-médias. Ce dernier permet aux propriétaires des médias d’optimiser l’impact d’une campagne d’infor-mation en usant de tous les médias en sa pos-session2. Les différents supports vont interagir entre eux. L’enjeu est de taille en période élec-torale : les médias permettent d’avoir mainmise sur les campagnes électorales.

Les entreprises de presse se multiplient alors, et favorisent, par la même occasion, l’ouverture du marché de l’emploi : caricaturistes, photo-graphes et d’autres catégories de journalistes s’inventent en journalistes politiques, analystes politiques ou animateurs d’émission ou de dé-bats politiques. Ce changement noté dans la structure de propriété des médias a fait accroi-tre chez le journaliste un intérêt croissant pour les sujets politiques.

En fin de compte,les médias, censés être libres, impartiaux et animés par l’exigence de vérité,

soutiennent de plus en plus les pouvoirs poli-tiques et économiques. La tendance actuelle de la structure de la propriété des médias et du mode de gestion des entreprises de presse em-pêchent la diversité des médias, nécessaire au pluralisme démocratique.

Cette étude fait alors le point sur deux idées principales :

- La mise en évidence de la complexité du rapport intersectoriel : pouvoir économique/propriété des médias/pouvoir politique ;

- Le rôle ambigu que les journalistes entre-tiennent avec les pouvoirs économique et politique.

L’objet de l’étude est de décrire et de mesurer l’impact de la structure de propriété des médias sur la couverture médiatique, la représentation politique et le travail du journaliste à Madagas-car afin de proposer des solutions aux obstacles à la participation politique et aux contraintes qui pèsent d’une manière ou d’une autre sur le travail quotidien des journalistes soumis à de multiples dépendances.

Le rapport de l’étude s’articule autour de cinq grandes parties. La première partie traitera de la méthodologie de l’étude. La deuxième partie examinera l’évolution du paysage médiatique malgache avec un retour rapide sur l’histoire des médias et de son contenu. La troisième partie sera consacrée à l’étude de la structure actuelle de la propriété des médias. En qua-trième partie seront abordés les impacts de cette structure de la propriété sur le contenu des médias, mais aussi sur le travail du journa-liste. Les recommandations feront l’objet de la cinquième partie du document.

En annexes du présent rapport est présenté l’inventaire de la propriété des médias, avec la liste des grands groupes disposant d’entreprises de presse, ainsi que la liste des quotidiens et de leurs propriétaires connus.

2 Rik DAMS, Internet, Facebook, iPhone/iPad, Twittervs.TV, Ra-dio, Presse, Affichage. Comment envisager une communication cross-media? [mis en ligne] http://neomedias_nouveauxmetiers.com/wp/content/uploads/2012/03/Presentation_forumneomedias_nouveauxmetiers.pdf, consulté le 23 juillet 2016.

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Partie I - METHODOLOGIE DE L’ETUDE

L’objectif de l’étude est d’examiner la structure de la propriété des médias à Madagascar et son influence sur la couverture médiatique, la représentation politique et le travail des jour-nalistes.

I – L’approche méthodologique

La méthodologie de recherche adoptée est édifiée à partir d’une double démarche : une démarche théorique de revue et d’analyse de la littérature existante sur le thème de l’étude et une démarche empirique d’enquête et d’in-terview sur le terrain auprès du monde média-tique.

La revue de la littérature a rendu possible le ca-drage du thème de l’étude, la définition de la problématique, ainsi que l’interprétation des résultats et la vérification de l’hypothèse posée de savoir « dans quelles mesures les maisons de presse appartenant à des privés sont sus-ceptibles de restreindre la diversité des points de vue en abusant des médias pour les intérêts des propriétaires et à des fins politiques ».

La démarche empirique s’est appuyée sur des entretiens à des répondants clés du secteur des médias. Ces entretiens ont aidé à mieux saisir le réel impact de la « propriété politique » des médias sur le contenu des médias et le travail du journaliste. Ils ont également permis de vé-rifier la pertinence des données recueillies par rapport à l’objectif de l’étude, compte tenu de la réticence de certains interlocuteurs.

Ainsi, cette étude est réalisée à partir de don-nées qualitatives et quantitatives. Les données qualitatives englobent des rapports, des ana-lyses ou des avis rendus par les professionnels du monde de la communication médiatisée, tandis que l’analyse quantitative a été menée

à partir dedonnées statistiques disponibles et d’indicateurs spécifiques. Néanmoins, d’em-blée, il est à relever la difficulté d’obtenir des informations statistiques fiables et mises à jour. En conséquence, les données qualitatives ont été largement privilégiées.

a- La recherche des données relatives aux entreprises de presse

Pour assurer le bien-fondé de notre recherche et pour asseoir la scientificité de l’étude, les données relatives aux entreprises de presse ont été relevées sur le Registre national malgache du Commerce et des Sociétés (RCS). Ces don-nées englobent les informations concernant les propriétaires des entreprises de presse, les organes sociaux (le conseil d’administration ou la gérance), le capital social des entreprises, ou encore les autres propriétés des groupes d’en-treprises. D’entrée, ces données nous ont paru officielles, et partant, fiables. En effet, confor-mément à l’article 51 de la loi n°99-025 du 19 août 1999 relative à la transparence des en-treprises, en vue d’assurer davantage la trans-parence des entreprises et de mieux sécuriser les investissements à Madagascar, toute entre-prise - y compris, à notre sens, les entreprises de médias - doit être enregistrée au Registre National du Commerce et des Sociétés (RCS).

Outil accessible à tous, le RCS est un registre tenu au sein de chaque Tribunal de Première Ins-tance (TPI), destiné à recueillir et à publier des informations juridiquement importantes relatives aux commerçants et aux personnes morales assujetties à l’immatriculation. Ce-pendant, une réserve doit être posée quant à l’actualité des données recensées dans le RCS. Certaines données ne sont pas mises à jour. Pour chaque entreprise, par exemple,

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le capital social déclaré et inscrit correspond généralement à celui déclaré initialement à la constitution de l’entreprise et reste inchangé. De même, les noms de certaines personnalités qui se sont déjà retirées depuis longtemps du Conseil d’administration de certaines entre-prises de presse figurent toujours dans le RCS. Nous avons alors dû compléter ces données par celles relevées sur les ours des publica-tions, mais aussi sur leur site Web officiel. Dans d’autres cas, nous avons procédé à des entre-tiens auprès des entreprises de presse, mais lorsque ces données ne sont pas officiellement accessibles, elles sont souvent confidentielles, et même ceux qui travaillent pour certaines entreprises ne connaissent pas les détails de la propriété de leur publication. Parfois, cer-tains propriétaires des médias souhaitent rester dans l’anonymat préférant également recourir à des prête-noms pour la gestion ou la direction de leurs entreprises. Par ailleurs, pour de nombreuses entreprises, il est appa-ru difficile de révéler des données comme les chiffres d’affaires, la part de marché publici-taire, la part d’audience, le nombre de tirages réels ou encore les temps d’écoute. Ce souci de confidentialité des données entretenue au niveau des entreprises de presse a ainsi consti-tué l’une des principales contraintes de cette étude.

b- L’analyse des répercussions de la pro-priété des entreprises de presse sur le contenu médiatique

En règle générale, la mesure de la concentra-tion des médias est intégrée dans un processus de monitoring3. C’est dans ce sens que dans le cadre de cette étude, l’analyse des répercus-sions de la propriété politique sur le contenu des médias a été, entre autres, édifiée à par-tir des rapports de monitoring de l’Unité de Monitoring des Médias (UMM) dans le cadre

du Projet Initiative Citoyenne pour la Conso-lidation de la Paix, Leadership et Stabilité (IN-CIPALS). En effet, ces rapports de monitoring « visent à déterminer dans quelle mesure et comment les médias agissent comme agent de pacification ou plutôt comme amplifica-teur des tensions, à travers l’identification des propos incendiaires proférés dans les médias. Il sert également à observer les foyers de ten-sion qui se manifestent dans le pays et qui re-çoivent une couverture médiatique »4. Il s’agit, à travers l’analyse de vue de l’UMM, d’exami-ner le lien entre la « propriété politique » des médias et les contenus, et de voir l’influence de cette propriété sur la couverture média-tique des principaux événements politiques. Pour ce faire, il a été estimé que les périodes les plus propices à l’analyse des contenus se-raient les périodes pré/post-électorales : notre choix a été alors arrêté sur l’étude des infor-mations liées aux dernières élections commu-nales de juillet 2015.

Néanmoins, force est de constater que le monitoring de l’UMM se rapporte essentiel-lement aux « tensions ». Ainsi, pour mieux centrer l’étude sur la problématique de « la représentation politique » dans les médias, il nous a paru tout aussi important de scruter la couverture médiatique de différents évène-ments politiques ayant suscité des débats dans l’espace public. Ont ainsi permis d’appréhen-der davantage ce lien délicat entre la struc-ture de propriété politique des médias et le travail du journaliste le Rapport sur la couver-ture médiatique du premier tour de l’élection présidentielle de 2013 élaboré par l’UMM au sein du KMF/CNOE, s’étendant sur la période du 24 septembre au 25 octobre5, ainsi que

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Méthodologie de l’étude

3 Cf. Méthodologie pour le suivi de la concentration des médias et de la diversité des contenus des médias, Rapport préparé par le Groupe de Spécialistes sur la diversité des médias (MC-S-MD), Direction générale des droits de l’homme et des affaires juridiques, Conseil de l’Europe, Strasbourg, 2009, p.10.

4 Rapport de monitoring. Propos illégitimes, stéréotypes sexistes et Couverture des foyers de tension, 10 au 30 juillet 2015, de l’Unité de Monitoring des Médias (UMM), projet Initiative Ci-toyenne pour la Consolidation de la Paix, Leadership et Stabilité (INCIPALS), Antananarivo, 2015. 5 (Projet d’appui à la crédibilité et à la transparence des élections à Madagascar), Rapport sur la couverture médiatique du processus électoral. Premier tour de la présidentielle. Unité de monitoring des médias au sein du KMF/CNOE, Période 24 septembre – 25 octobre 2013.

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les articles publiés dans le cadre du processus d’adoption de la loi 2016-029 portant Code de la communication médiatisée. L’objectif est de voir dans quelles mesures la structure de propriété des médias influe sur le conte-nu. Cela dit, cette analyse a été préalablement précédée d’un inventaire de la propriété des médias, présenté en Annexes de cette étude.

II – Les critères d’évaluation du ni-veau de concentration des médias à Madagascar

La mesure de la concentration des médias exige l’identification d’indicateurs objectifs. La revue de la littérature étrangère a permis de déduire que les méthodes et outils de me-sure, ainsi que les pratiques utilisées dans les différents pays diffèrent selon le dispositif na-tional anti-concentration mis respectivement en place6. Pour donner un point d’ancrage à cette étude et aux fins de dégager des indi-cateurs permettant d’estimer, sinon, le poids d’un groupe de presse, ou du moins, la ten-dance (ou non) au renforcement de la concen-tration des entreprises privées dans le paysage médiatique malagasy, l’idée de départ à rete-nir aurait été celle relative au degré de régu-lation, selon laquelle : « Les indicateurs de la concentration des médias couvrent l’adoption par l’Etat de mesures positives visant à pro-mouvoir des médias pluralistes, ainsi que leur mise en œuvre»7.

A ce propos, alors que la tendance mondiale

est à la lutte contre la concentration des mé-dias et à l’adoption de cadre juridique an-ti-concentration8, le constat de départ est que Madagascar ne dispose pas actuellement des moyens adéquats pour établir un état des lieux efficace de la concentration dans le domaine des médias vu les faiblesses du dispositif actuel de régulation de la concentration.

Le nouveau Code de la communication prévoit, certes, que l’Autorité nationale de régulation de la communication mé-diatisée (ANRCM) est chargée de « facili-ter les implantations et les relations entre les organes de presse sur tout le territoire afin de maintenir le caractère pluraliste de l’information et de la communication et veiller à ce qu’ils ne fassent pas l’objet de concentration », et que le ministère char-gé de la Communication « conçoit des infrastructures en vue de la décentralisa-tion et de la déconcentration des médias et des services de communication ». Mais aucune disposition des textes ne men-tionne les critères de détermination de la concentration. Par ailleurs, ni l’ancienne loi n°90-031 du 21 décembre 1990 sur la Communication à Madagascar, ni l’or-donnance n°92-039 du 14 septembre 1992 relative à la Communication audio-visuelle n’ont inscrit au cœur des préoccu-pations le problème de la concentration des médias.

Le décret n°99-096 du 8 février 1999 portant cahier des charges des entre-prises audiovi-suelles privées se focalise sur l’obligation du titulaire de la licence d’exploitation au respect du principe d’égalité de traitement, d’honnêteté, d’indépendance et de l’expression plura-liste de l’information et des programmes, et passe également sous silence la notion

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8 Selon l’UNESCO, « Une forte concentration de la propriété peut représenter un risque pour le pluralisme des médias en freinant l’indépendance éditoriale à travers une influence indue de la part des propriétaires commerciaux ou politiques.», UNES-CO, op.cit., p.12.

6 A titre d’exemple, dans son rapport réalisé en 2012, l’UNESCO propose sa propre méthodologie (Voir Le paysage médiatique dans 28 pays. Résultats d’une enquête pilote de l’ISU, L’institut de statistique de l’UNESCO, UNESCO, Canada, 2012). Le Conseil de l’Europe a également publié, en 2008, un rapport sur la « Méthodologie pour le suivi de la concentration des médias et de la diversité des contenus des médias »; (Rapport préparé par le Groupe de Spécialistes sur la diversité des médias (MC-S-MD), Direction générale des droits de l’homme et des affaires juridiques, Conseil de l’Europe, Strasbourg, 2009. Il est également constaté que des indicateurs viennent s’ajouter selon les législations en vigueur réglementant la propriété des médias (Voir à ce sujet : Rapport au Premier ministre sur les problèmes de concentration dans le domaine des médias, France, déc. 2005)7 Conseil de l’Europe, op. cit., p.10.

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de concentration des médias.

Le droit commun de la concurrence pour-rait être mobilisé pour pallier ces lacunes de la législation sectorielle. En effet, pour l’heure, seule la loi n°2005-020 du 17 octobre 2005 sur la concurrence interdit la concentration économique considérée comme étant une pratique anticoncur-rentielle collective. Cette loi présente l’avantage de définir clairement la notion de concentration économique et de pré-senter d’une manière exhaustive un cer-tain nombre de critères permettant de conclure à l’existence d’une telle pratique.

L’article 25 de cette loi définit la concen-tration économique comme tout acte vi-sant à transférer la propriété ou la jouis-sance de tout ou partie des biens d’une entreprise à une autre entreprise ou à un groupe d’entreprises qui exercera alors sur l’autre une influence déterminante. Selon cette disposition, « la concentra-tion de la puissance économique s’opère notamment par voie de fusions, rachats, coentreprises et toutes autres formes de contrôle à caractère horizontal, vertical ou hétérogène ».

Cette même loi, dans son article 26, sou-met toute concentration économique à un contrôle a priori du Conseil de la Concurrence afin de déterminer si l’opé-ration « risque de créer ou de renforcer une position dominante sur le marché na-tional au point d’éliminer la concurrence ou de la réduire de façon sensible ». Le contrôle vise également à apprécier « si l’opération apporte au progrès économique une contribution suffisante pour compenser les atteintes éventuelles à la concurrence ». Cette appréciation se fait notamment à travers la position des entreprises concer-nées sur le marché, leur accès aux sources d’approvisionnement et aux débouchés, la structure du marché, la compétitivité de l’industrie nationale, les obstacles à l’implantation des industries concurrentes

sur le marché, et l’évolution de l’offre et de la demande des produits ou services considérés. L’application du droit com-mun de la concurrence paraît toutefois insuffisante : d’une part, le Conseil de la concurrence, une dizaine d’années après sa mise en place, commence à peine à être opérationnalisé ; et d’autre part, la question se pose de savoir si les règles de droit commun de la concurrence - qui pa-raissent évasives en ne définissant pas des indicateurs concrets et clairs de suivi de la concentration - peuvent se substituer à une législation spécifique à la communi-cation médiatisée9.

C’est ainsi que nous avons recouru à une méthode qui consiste à appréhender l’état de la concentration au regard du nombre de titres/stations/chaînes ou autres ser-vices proposés par les entreprises. L’expan-sion des groupes est également mesurée par le nombre de licences d’exploitation qu’ils détiennent. Il existe ainsi une tendance à la hausse du degré de concentration des médias dès lors qu’un même acteur prend une part trop importante du paysage médiatique par le contrôle d’un nombre excessif de publications écrites ou de chaînes de radio ou de télévision.

Une autre manière d’examiner le degré de concentration des médias consiste à tenir compte du nombre ou de l’étendue des zones couvertes par les réseaux de diffu-sion. En effet, l’extension des zones de cou-verture favorise le libre accès de tous à l’infor-mation mais, en même temps, peut se révéler dangereuse lorsqu’elle favorise la position do-minante d’une seule entreprise, ou quand elle menace la présence de petites structures lo-cales.

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Méthodologie de l’étude

9 Certains auteurs ont, en effet, pu conclure que les règles du droit de la concurrence ne peuvent se substituer à une législa-tion dans le secteur des médias. Cf. Baudson Nathalie, « clause de conscience des journalistes. Arrêt de la cour de Cassation du 17 avril 199, LEGICOM 2/1997 (N° 14), p. 21-27, URL:www.cairn.info/revue-legicom-1997-2-page-21.htm. DOI : 10.3917/legi.014.0021.

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Enfin, un début d’évaluation de la tendance à la concentration de la presse peut être effec-tué à partir de l’ampleur du tirage effectué au niveau de la presse écrite. Néanmoins, une réserve reste à faire à ce niveau, en ce sens que, selon les entretiens et recoupements effectués au niveau d’entreprises de presse, il s’est révélé que le tirage apposé dans les ours ne correspond pas toujours au nombre d’exemplaires réellement tirés10.

Au regard de ces indicateurs, dispose d’une in-fluence déterminante, au point de constituer une concentration, au sens du droit commun de la concurrence, le groupe qui contrôle le nombre le plus élevé de titres/chaînes/stations et autres services proposés. Est également in-fluent, le groupe dont la zone de couverture médiatique s’étend sur un grand nombre de régions à travers l’île. Enfin, est influent, le groupe ou l’entreprise qui affiche le tirage le plus élevé.

Dans tous les cas, même s’il est difficile pour le cas de Madagascar de définir exactement le degré de concentration des médias à l’aide de données chiffrées fiables, nous estimons que l’analyse combinée de ces indicateurs aura permis de conclure à l’existence d’une ten-dance au renforcement de la concentration des médias à Madagascar.

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10 Il ressort de nos entretiens avec certains responsables de la diffusion auprès de quelques entreprises de presse écrite que le nombre de tirage apposé influerait sur l’attractivité des annonceurs et que pour certaines entreprises, pouvoir gonfler le nombre de tirage dans la pratique revient à démontrer leur potentiel sur le marché. Ce qui prouve, dans tous les cas, une absence de transparence mais surtout, de contrôle des activités des entreprises de médias par les autorités en place alors même que ce fait de révéler le nombre de tirage réel est une obligation légale.

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Partie II - DE MEDIAS D’OPINION

MILITANTS A DES MEDIAS

MODERNES DE PROPAGANDE

A Madagascar, politique et journalisme ont toujours été intimement liés. De Rainilaiari-vony, dernier Premier ministre de l’époque royale, à Hery Rajaonarimampianina, actuel Président de la République, les dirigeants sont conscients de l’importance des médias pour relayer leurs idées, mais aussi pour assurer leur légitimité. Quels médias les hommes po-litiques ont-ils utilisé durant ces 150 ans pour faire passer leur message au public ? C’est cette dynamique que nous allons examiner dans cette première partie, l’évolution de la manière dont les hommes politiques utilisent et s’approprient les médias, qu’ils soient au pouvoir ou qu’ils soient dans l’opposition.

Si les technologies évoluent et se moder-nisent, la tradition de militantisme, elle, est restée. Avant et pendant la période coloniale, la presse malgache était surtout une presse d’opinion. Les premiers journaux modernes de l’ère post-coloniale sont restés des organes de défense des intérêts privés. Et quand est venue l’ère de la libéralisation de la presse avec la fin officielle de la censure, le paysage médiatique est dominé par une profusion de radios de propagande.

I – Entre militantisme et propa-gande

La presse a toujours été mise à contribution pour répandre les convictions de ses proprié-taires, ceux-ci étant souvent des hommes po-litiques, mais aussi des acteurs économiques ou confessionnels. Les premiers journaux malgaches, ceux qui sont parus bien avant la colonisation, servaient déjà leurs « action-

naires » et militaient pour défendre les causes de ces derniers, qu’ils soient confessionnels ou rattachés au pouvoir, qu’ils appartiennent à des colons ou à des hommes d’affaires.

1- La presse avant la colonisation

Avant la colonisation, les premiers journaux se faisaient les porte-paroles de leurs proprié-taires. A l’époque, le périodique de l’Eglise protestante Ny Teny Soa Hanalana Andro se livrait déjà à des polémiques avec la Revue de l’Eglise catholique Ny Resaka11. Les étran-gers qui avaient commencé à s’établir sur la Grande île avaient aussi leurs propres jour-naux et les utilisaient selon leurs intérêts. Les journaux français, dont l’objectif des proprié-taires était l’annexion de Madagascar, s’atta-quaient alors au gouvernement malgache12. Les journaux britanniques, pour leur part, dé-fendaient les autorités nationales, garantes, à leur sens, de la liberté du commerce13. Le gouvernement malgache de l’époque lui-même s’est doté d’un journal, Ny Gazety Ma-lagasy « quand éclate la guerre franco-me-rina de 1883-1885, pour éclairer les sujets sur la situation et les inviter à se solidariser avec la cause de la résistance aux Français »14. « Le Premier ministre Rainilaiarivony s’est rendu compte, en effet, des avantages que pourrait procurer à la monarchie l’existence

11 RABEARIMANANA (Lucile), Presse d’opinions et luttes poli-tiques à Madagascar de 1945 à 1956, in Revue française d’his-toire d’outre-mer, tome 67, n°246-247, 1er et 2ème trimestres 1980, pp.99-122, p.10112 Id., p.10213 Id., pp.102-10314 Id., p.102

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d’une presse qu’il contrôlerait »15.

2- La presse sous la colonisation

Lorsque la Grande île devient colonie fran-çaise en 1896, les intellectuels voient dans la presse un outil pour répandre leurs idées na-tionalistes. Malgré les contraintes, la presse d’opinion nationaliste s’efforce de résister.Soumis à un régime politique contraignant durant les premières années de la colonisa-tion, les journaux publiés dans la langue ma-lagasy sont animés par des intellectuels mili-tants qui partagent leur patriotisme à travers des jeux de mots, des artifices et des œuvres littéraires16. Les journaux qui s’affirment clai-rement d’opinion, luttant contre le régime colonial, eux, paraissent en langue française pour pouvoir être publiés sans passer par la procédure de demande d’autorisation. Ap-partenant à des « actionnaires comprenant des militants»17, et animés par l’équipe du militant nationaliste Jean Ralaimongo, ils dé-noncent « l’oppression coloniale » et « les abus du régime colonial », et se battent pour la liberté de la presse.

Les journaux d’opinion en langue malagasy paraissent avec l’avènement du régime du Front populaire en 1936 en France lorsqu’un régime plus souple de la presse locale est adopté. Fondés par des militants nationa-listes, ces journaux sont le relais des luttes nationalistes. Ils connaîtront à nouveau des jours sombres durant la seconde guerre mon-diale qui voit revenir la censure. La guerre ter-minée, la liberté de la presse est rétablie. Les journaux d’opinion qui ont disparu durant la Guerre reparaissent tandis que d’autres voient le jour. La presse nationaliste foisonne, et les journalistes participent activement à la vie politique, à travers leurs articles évidem-ment, mais aussi en participant aux élections pour certains. Pour réduire l’influence des

journaux nationalistes, le Parti des déshérités de Madagascar (Padesm) se dote alors d’or-ganes de presse, soutenus par l’administra-tion coloniale. Cette presse loyaliste défend la présence française et s’attaque aux jour-naux et hommes politiques nationalistes18 .

Cette liberté sera cependant de courte durée, car l’administration coloniale soumet à nou-veau la presse à un régime contraignant après l’insurrection de 1947, pour ne lui rendre la liberté qu’en 1956 avec la Loi-Cadre. La presse nationaliste continue de paraître, mais ses revendications sont formulées dans un discours plus modéré, ce qui n’empêche pas les saisies et autres suspensions de journaux par l’administration. La presse loyaliste, elle, est plus que jamais convaincue de la nécessi-té de maintenir la présence française à Ma-dagascar19.

Lorsque Madagascar accède à l’indépen-dance en 1960, la presse loyaliste, qui sou-tenait l’administration coloniale, s’est rangée derrière le nouveau gouvernement malagasy, tandis que la plupart des journaux nationa-listes ont pris fait et cause pour l’opposition. Ce sont ces deux grandes catégories de jour-naux qui existeront sous la Première Répu-blique.

3- Presse d’opposition et presse pro- gouvernementale

Avec l’accession de la Grande île à l’indé-pendance, les journaux d’opinion continuent de paraître et peuvent être classés en deux grandes catégories : la presse d’opposition d’une part, et la presse pro-gouvernementale d’autre part. Dans la première catégorie, Ri-chard Claude Ratovonarivo, dans un entretien accordé à la chercheure Sylviane Loubradou, classe les journaux qui, « organes de presse officiels des partis d’opposition ou titres ne s’inféodant à aucune formation politique (…), affichent la même virulence envers le parti majoritaire PSD (parti social-démocrate)»20.

15 Id., p.102 16 Id., p.10317 Solofo RANDRIANJA, Sociétés et luttes anticoloniales à Madagascar : de 1896 à 1946, Karthala, 2001, 486p, p.174 18 Id., pp.106-107

19 Id.,p.108

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Du côté de la presse d’opinion pro-gouver-nementale se trouvent les organes du PSD21, et des journaux appartenant à des hommes politiques soutenant le pouvoir22. Pour sou-tenir le pouvoir et chanter ses louanges, le gouvernement dispose aussi des organes de presse publique appartenant à l’Etat, comme la radio nationale, l’agence de presse natio-nale Madpresse, et l’hebdomadaire grand public Vaovao. « Ces différents organes offi-ciels du gouvernement diffusent uniquement des informations se rapportant aux activités et aux réalisations de ce dernier. Ils ne parlent point des activités des opposants », raconte Richard Claude Ratovonarivo23.

Aux côtés de ces organes gouvernementaux et pro-gouvernementaux paraît le Courrier de Madagascar, le premier « journal moderne » du pays qui se veut un quotidien d’information. Mais mis en place avec l’assistance financière de la France et ayant comme actionnaires principaux le Président de la République, Philibert Tsiranana, en personne, et une so-ciété d’Etat française, la Société nationale des entreprises de presse (SNEP)24, le journal a une « collusion absolue avec le régime de l’époque »25. Quand il disparaît sous les feux de la colère populaire lors des évènements de 1972, Le Courrier de Madagascar est rempla-cé, quelques jours plus tard, par Madagascar Matin.

Sous la direction d’un rédacteur en chef Ma-lagasy mais avec la même équipe rédaction-nelle que son prédécesseur, Madagascar Ma-tin, paraissant le 28 mai 1972, demeure la propriété de l’Etat français qui récupère les parts du chef de l’Etat malgache. Il garde, sous la Deuxième République, son statut d’organe d’information pro-gouvernemental même si Didier Ratsiraka refuse jusqu’au bout d’y détenir des actions26. Existant aux côtés d’un certain nombre de journaux d’opinion au début de l’avènement de la Deuxième Ré-publique, Madagascar Matin est quasiment en situation de monopole dans le secteur de la presse d’information jusqu’en 1983, année de naissance de Midi Madagasikara, premier journal d’information d’initiative privée. Ma-dagascar Matin finit par disparaître complè-tement sur le marché quand vient Madagas-car Tribune, un autre quotidien d’information fondé en 1988 par une entreprise familiale.

Face à ces deux journaux qui ne lui sont pas aussi dévoués que Madagascar Matin, le Pré-sident de la République finit par se rendre compte de l’importance de se doter d’un organe de presse d’information acquis à sa cause. C’est ainsi que paraît en mai-juin 1989, à la veille de la visite à Madagascar du Président français, François Mitterrand, Le Journal de Madagascar, un quotidien qui se veut d’information dans la même veine que Courrier de Madagascar et Madagascar Ma-tin. Mais celui-ci « n’a duré que le temps qu’a duré le pouvoir Arema-Ratsiraka première partie»27, lance Jeannot Ramambazafy. Chris-tian Chadefaux, lui, parle d’une « expérience calamiteuse de courte durée»28.

Ces journaux modernes inaugurent l’arrivée des hommes d’affaires malgaches dans le secteur des médias. N’ayant aucun lien ap-

De médias d’opinion militants à des médias modernes de propagande

20 Richard Claude RATOVONARIVO, propos recueillis par Syl-viane Loubradou, Presse Malgache : de la restriction à la liberté surveillée. Partie 3. Première République (1960-1975). La presse subit le règne de l’arbitraire, in www.mada.pro/presse_mal-gache3.html, publié le 26/05/2011, consulté le 16/07/2016. Pami les journaux d’opposition, il cite notamment Hehy, Sahy, Maresaka, Imongo Vaovao, Antson’ny Nosy, Ny Feon’i Madaga-sikara, Andry, Fiaraha-miasa, Ny fahaleovan-tenan’i Madagasi-kara et Hita sy re.21 La République, Madagasikara mahaleotena et Ny marina22 Basy Vava de Gabriel Ramananjato, Fandrosoana, Ny nosy vaovao ou Ny vahoaka23 Id.24 Christian CHADEFAUX, Presse et développement à Mada-gascar : quand la société établie prend la relève d’une censure officiellement abolie, in Afrique contemporaine, n°202-203, avril-septembre 2002, pp.46-54, p. 4925 Id., p.49

26 Christian CHADEFAUX, op.cit., p.4927 Jeannot RAMAMBAZAFY, Madagascar Journalisme. Le Citoyen HVM est de passage, in http://www.madagate.org/reportages/photos/5624-madagascar-journalisme-le-ci-toyen-hvm-est-de-passage.html du 13 mars 2016, consulté le 18 juillet 2016.28 Christian CHADEFAUX, op.cit, p.49

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parent avec les hommes politiques, ces nou-velles publications se veulent neutres et apoli-tiques. Tout comme celles qui vont suivre leurs exemples. Elles vont finir, au fil des années, par soutenir certains intérêts privés, que ces intérêts soient politiques ou économiques.

4- Des journaux d’information apparte-nant à des hommes d’affaires

Midi Madagasikara et Madagascar Tribune sont les premiers journaux d’information malgaches à ne pas appartenir à des hommes ou des partis politiques, ni à une confession quelconque, mais plutôt à des hommes d’af-faires. Fondé à l’initiative d’une famille, le couple Willy et Marthe Andriambelo, Midi Madagasikara se veut « un journal apolitique, indépendant et pluraliste, ouvert à toutes les opinions»29. « Sans prendre de position po-litique qui engage le journal », le quotidien n’en comporte pas moins des « commen-taires politiques»30. Des commentaires qui, sous la Deuxième République, semblent ne pas caresser les autorités dans le sens du poil, tout comme ceux de Madagascar Tribune, un autre journal d’information édité par une entreprise familiale, la Société malgache d’édition (SME) du groupe Ramanandraibe. Ce groupe, dont la première société a été constituée en 1927, comprend des unités in-dustrielles textiles et de chocolaterie, des uni-tés commerciales spécialisées dans la collecte et les exportations de produits agricoles, des sociétés immobilières mais aussi des entre-prises de services31. « Nous ne sommes pour aucune force politique, religieuse ou écono-mique. Nous sommes indépendants », mar-

tèle Rahaga Ramaholimihaso32, fondateur du journal et époux d’une des filles Ramanan-draibe, Madeleine.

Cette indépendance et cet apolitisme restent des vœux pieux aussi bien pour Midi Mada-gasikara que pour Madagascar Tribune, mais aussi pour l’ensemble de la presse d’infor-mation. « Il y a toujours l’ombre de la main d’un pouvoir qui traîne dans les rédactions, n’en déplaise à leurs rédactions en chef»33, indique à ce propos Christian Chadefaux. Ainsi Midi Madagasikara, qui s’efforce d’être professionnel dans le traitement de l’infor-mationet qui privilégie l’aspect commercial à l’aspect politique, ne peut échapper à la prise de position politique quand son direc-teur général, Mamy Rakotoarivelo, époux de la fille des fondateurs, se lance aussi dans la politique. Durant la crise post-électorale de 2002, le journal ne cache d’ailleurs pas son soutien à Marc Ravalomanana.

Dans la foulée de la libéralisation de la presse, d’autres personnalités issues du secteur pri-vé suivent la voie tracée par les propriétaires de Midi Madagasikara et de Madagascar Tri-bune. La plupart des journaux d’information qui paraissent depuis la fin de la censure en 1990 appartiennent à des puissants groupes économiques, qui lorsqu’ils ne défendent pas leurs propres intérêts, défendent ceux de leurs proches, ou ceux des hommes po-litiques avec lesquels ils entretiennent cer-taines amitiés. A moins qu’ils ne deviennent eux-mêmes des hommes politiques. On peut, dans ce registre, citer Herizo Razafimahaleo, fondateur de L’Express de Madagascar, en partenariat avec la famille Andriantsitohaina. Fondateur du groupe Stedic et des unités de fabrication d’allumettes Afoma et Varatrafo, Herizo Razafimahaleo a été une fois élu dé-puté, deux fois nommé ministre, et trois fois

29 Interview de Zo RAKOTOSEHENO, in Le Mauricien du 22 mai 2014, « Il faut viser le ciel pour atteindre la montagne », http://www.lemauricien.com/article/zo-rakotoseheno-redac-teur-en-chef-midi-madagascar-il-faut-viser-ciel-atteindre-la-mon-tagne, publié le 22 mai 2014, consulté le 18 juillet 2016.30 Id. 31 Lalaina Sylviane RASOLOJAONA, Etude de la filière raphia en vue du développement de son exportation : Cas Ramanan-draibe Exportation SA, Mémoire de maîtrise en gestion, Option Marketing, décembre 2006, 107p.

32 Rahaga RAMAHOLIMIHASO, Journaliste à Madagascar : ni censure ni liberté, in http://www.journal-la la-mee.fr/251-jour-naliste-a-madagascar.html, publié le 26 juin 2006, consulté le 18 juillet 2016.33 Christian CHADEFAUX, op.cit. p.50

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15De médias d’opinion militants

à des médias modernes de propagande

candidat à la présidentielle. Son partenaire dans L’Express de Madagascar, propriétaire du groupe Andriantsitohaina, regroupant une demi-douzaine de sociétés avec des ac-tivités diverses, lance Ultima Media, éditeur des journaux Taratra et Les Nouvelles, et pro-priétaire d’une radio, en 200434.

Quant aux hommes politiques, à de rares exceptions près, ils lancent surtout, depuis les années 1990, des radios privées, plus fa-ciles et moins coûteuses à mettre en place en termes d’investissement, même si l’obtention d’une licence demeure souvent un parcours du combattant. Ce sont ces radios de pro-pagande qui feront l’objet de la deuxième sous-partie de ce chapitre.

II – Des radios de propagande

Quand, au début des années 1990, le vent de la démocratisation souffle sur le continent africain, en général, et à Madagascar en par-ticulier, les hommes politiques cherchent de nouveaux espaces médiatiques pour s’expri-mer. A l’époque, Madagascar qui était habi-tué à une floraison de journaux d’opinion, ne comptait plus que « deux quotidiens (Midi Madagasikara et Madagascar Tribune), trois hebdomadaires (Lakroan’iMadagasikara, Dans les médias demain, Imongo Vaovao), et quelques périodiques (Revue de l’océan Indien, Jureco, Maresaka, et Mada Econo-mie)»35. A ces organes essentiellement pri-vés s’ajoutent les stations audio-visuelles pu-bliques, la radio nationale et la télévision nationale, médias retenus par les autorités « pour véhiculer les informations les concer-nant et pour faire leur propagande»36.

1- Une vocation politique

Devant les difficultés auxquelles fait face la presse écrite, pour ne citer que « la pénurie

chronique de papier et de fournitures d’im-primerie que l’insuffisance de devises étran-gères empêche d’importer»37, les hommes politiques malagasy profitent alors des pos-sibilités fournies par la modulation de fré-quence pour s’offrir cet espace d’expression. Les premières radios privées sont lancées au début des années 90, et se développent très rapidement d’autant que, comme le dit André Jean Tudesq, « le lancement d’une radio ne nécessite pas un investissement coûteux »38. Et même si « l’équipement d’un studio d’enregistrement avec tables de mixage, cabines d’enregistrement, amplifica-teurs de sonorisation, n’est pas à la portée de toutes les radios privées »39, beaucoup d’entre elles, pour démarrer n’avaient pas besoin d’autant de confort.

Ainsi, la première radio privée de Madagas-car, la Radio Feon’ny Vahoaka (RFV – Radio Voix du peuple), créée en 1991 par Jean Vic-tor Raliarison, journaliste de la Radio Natio-nale Malgache (RNM), engagé aux côtés des Forces vives, est juste « une petite FM arti-sanale qui rayonnait à peine sur 30 km»40, fonctionnant au départ avec « un émetteur FM ambulant»41. Elle ne vient, certes, pas concurrencer la radio nationale qui, émettant en ondes courtes, peut être captée sur l’en-semble du territoire malagasy. Mais créée en pleine période de contestation populaire du pouvoir en place, la jeune station, émettant sur 105FM, est essentiellement destinée à re-layer les discours des leaders de l’opposition ainsi qu’à accompagner et à couvrir le vaste

34 http://www.gem-madagascar.com/membre/groupe-andriant-sitohaina, consulté le 20 août 2016.35 Propos de Richard Claude Ratovonarivo recueillis par Sylviane Loubradou.36 Id

37 Id. 38 André Jean TUDESQ, L’Afrique parle, l’Afrique écoute : les radios en Afrique subsaharienne.39 Id.40 RAZAFIMBELO-BRUYERON, La radiodiffusion à Madagas-car et son cadre règlementaire : Les cas de la « RNM » et des stations locales privées, Revista de economia politica de las technologias de la Informacion’y Communicacion’, www.eptic.com.br/volXI,n.3, sept.-dic/2009.41 Pascal ANDRIANTSOA, Nancy ANDRIASENDRARIVONY, Vincent CARBONNEAU, (teven HAGGBLADE, Bart MINTEN, Mamy RAKOTOJAONA, Frederick RAKOTOVOAVY, (Harivelle Sarindra RAZAFINIMANANA, Les médias malgaches : floraison spontanée d’une ressource nationale, août 2003, p.31

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mouvement de protestation populaire qui se tenait sur la Place du 13 mai42. Véritable ins-trument de propagande politique, elle diffuse « quotidiennement les discours politiques des leaders de l’opposition qui se relayaient sur la place du 13 mai, ainsi que les témoi-gnages de quelques militants arrivant des provinces »43.

D’entrée, la première station privée de radio-diffusion malagasy s’est assignée d’une mis-sion politique. Elle jouait le rôle d’interface entre le public et les politiciens de l’opposition qui, très vite, ont eu conscience que la radio constitue un instrument efficace permettant d’influer sur le public. Alors que dans une démocratie, les médias de masse sont géné-ralement censés œuvrer pour l’organisation de la sphère publique et du débat public qui devait s’y développer44, la RFV s’affichait déjà clairement comme une radio d’opinion. Les personnalités politiques l’ont investi pour en faire leur tribune.

Conscients de ce que la radio peut faire quand il s’agit « d’asseoir la légitimité d’une figure politique auprès de l’auditoire », les hommes politiques de Madagascar décident de prendre le contrôle de ce média. A en-tendre Jean Jules Harijaona, d’ailleurs, « ce canal médiatique semble aussi satisfaire l’at-tente communicative du Malgache censé ap-partenir à une culture de l’oralité»45. C’est ainsi que lorsqu’il est évincé du pouvoir et qu’il n’avait donc plus la mainmise sur les ra-dio et télévision publiques, Didier Ratsiraka lance sa propre radio privée, la Radio Tsioka Vao (RTV – Radio nouveau souffle), en avril 1992. « Outil d’existence fictive du person-nage alors que celui-ci était en exil en France,

(la RTV) entretenait le mythe du personnage Ratsiraka en le citant systématiquement et en en faisant une référence positive»46.

De nombreux hommes politiques suivent cette voie, et que ce soit à Antananarivo ou en province, ils se ruent dans la création de nouvelles stations ou procèdent au rachat de stations en veille. Avant de se lancer à la conquête de la commune urbaine d’Anta-nanarivo, Marc Ravalomanana et Andry Ra-joelina se sont, par exemple, respectivement dotés d’une station de radio, Radio Mada pour le premier, Radio et Télévision Ravina-la pour le deuxième. La Radio Mada sera le premier media de l’empire médiatique du groupe Tiko, tandis que la Radio Télévision-Ravinala deviendra Viva Radio et Viva TV qui s’étendront vers les provinces une fois Andry Rajoelina arrivé à la présidence de la tran-sition. Si en province, les radios ont moins tendance à se transformer en grand groupe médiatique, les hommes politiques locaux ne se lancent pas moins dans l’aventure, pour conquérir leur électorat.

Le succès des radios auprès des auditeurs, ainsi que leur influence sont tels que les ra-dios d’opposition deviennent des cibles pour les dirigeants, tandis que les radios affiliées au pouvoir sont tout simplement la proie des colères populaires durant les périodes de crise politique. « Des organes de presse ju-gés pendant la crise insuffisamment coopé-ratifs avec les révolutionnaires orangés, tels que Midi Madagasikara ou TV Plus, reçoivent des menaces d’incendie»47, rappelle Solo-fo Randrianja dans son ouvrage sur le coup d’Etat de 2009. Mais souvent, il ne s’agit pas que de menaces. Durant les crises politiques, les médias proches du pouvoir sont victimes de pillages et d’incendies. « C’est ce que les pro-Ravalomanana firent en 2002 à la chaîne pro-Ratsiraka Radio Tsioka Vao (RTV) et que les pro-Rajoelina feront en 2009 contre la ra-

42 Id. 43 Id. 44 O. JUTERSONKE, M. KARTAS, Peace and Conflict Impact Assessment (PCIA), Madagascar, Centre d’études sur les Conflits, le Développement et la Paix (CCDP) à l’Institut de Hautes Etudes Internationales et du Déve-loppement, Genève, 2010, p.5445 Jean Jules HARIJAONA, La crise de 2002 à Madagascar, Tremplin programmatique pour les Sciences Info-Com, Le Ma-nuscrit.com, 2004.

46 Solange RAZAFIMBELO BRUYERON, op.cit. 47 Solofo RANDRIANJA, op.cit.

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17De médias d’opinion militants

à des médias modernes de propagande

dio et la télévision nationales, puis contre les chaînes du groupe MBS », poursuit-il.

Les dirigeants, de leur côté, même en dehors des périodes de crise, tentent, tant bien que mal, de maîtriser les médias en général, et la radio en particulier. Ils n’hésitent pas à in-voquer divers prétextes pour « museler » les médias d’opposition.

2- Des tentatives de musèlement

Lorsque les radios sont déjà opérationnelles, les autorités n’hésitent pas à prononcer à leur encontre des sanctions administratives ou judiciaires, soit pour fermer les stations, soit pour emprisonner les journalistes. Mais c’est surtout à travers le blocage de l’octroi des licences d’exploitation qu’elles rendent difficile la vie des radios.

« Troubles de l’ordre publique et atteinte à la sécurité de l’Etat » ou « incitation à la désobéissance civile et ébranlement de la confiance du public envers les institutions de la République»48, à moins que ce ne soit de « propagation de fausses nouvelles » ou « incitations à la rébellion»49 sont les motifs souvent avancés par le pouvoir pour justifier les lettres de mise en demeure adressées aux stations de radio, les décisions administra-tives de fermeture, voire même l’emprison-nement des journalistes. Ainsi, sous le régime Marc Ravalomanana, avant la fermeture de Viva, qui sera le déclencheur immédiat de la crise de 2009, d’autres radios, telles que la Radio Ny Antsika, Sky FM et Radio Feon’ny Toamasina, ont déjà été réduites au silence par le ministre de la Communication, Bruno Andriantavison50. Durant la transition, outre les radios du groupe MBS, « plusieurs mé-dias, dont des radios, se verront rappelés à l’ordre par le ministère de la Communication pour avoir diffusé des informations»51.

Par ailleurs, pour ne pas se laisser submerger, les dirigeants essaient de limiter l’accès des hommes politiques aux licences d’exploita-tion. C’est ainsi que l’organe de régulation, le Haut conseil de l’audiovisuel (HCA), prévu par l’ordonnance sur la communication au-diovisuelle n’a jamais été mis en place bien qu’il ait été prévu depuis 1992. Censé être une « autorité indépendante », le HCA est l’organe prévu par l’ordonnance 92.039 sur la communication audiovisuelle pour attribuer les licences d’exploitation des entreprises au-diovisuelle et pour délivrer les autorisations d’usage de fréquences pour les nouvelles en-treprises de radiodiffusion ou de télévision. En son absence, ses activités sont dévolues à la Commission spéciale de la communica-tion au-diovisuelle (CSCA), co-présidée par les ministres chargés de la Communication et de la Télécommunication jusqu’en 2011, puis uniquement par le ministre de la Communi-cation à partir de 201152

Le manque d’indépendance et la partialité de cette autorité intérimaire et provisoire a été plusieurs fois dénoncée dans la mesure où l’obtention d’une licence d’exploitation est particulièrement difficile pour les radios d’op-position, alors que pour les organes proches du pouvoir, les procédures sont souvent faci-litées. Sous la transition par exemple, 80 sta-tions audio-visuelles, dont 77 radios, créées depuis 2009, ont été fermées en 2010, « sous couvert d’une opération dite d’assai-nissement du paysage audiovisuel »53. Repor-ters sans frontières (RSF), qui s’est insurgé contre cette décision prise par le ministère de la Communication alors dirigé par Harry Laurent Rahajason, parle d’une volonté du gouvernement de procéder « à un grand mé-nage et à une censure de multitude de pe-tites stations privées»54. L’ONG soulève que

48 Ambroise PIERRE, Madagascar. Suspensions, saccages et désinformation : les médias au cœur de la crise, rapport d’enquête, Reporters sans frontières, Juillet 2010. 49 Solofo RANDRIANJA, op.cit.50 Id.51 Id.

52 Arrêté n° 5748/1996 du 13 septembre 1996, abrogé par l’arrêté n°368/2011 du 24 janvier 2011. 53 Reporter sans frontières, Près de 80 stations audiovisuelles fermées depuis la fin de l’été, https://rsf.org/fr/actualites/pres-de-80-stations-audiovisuelles-fermees-depuis-la-fin-de-lete, consulté me 07 août 2016.54 Id.

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les explications données par le ministère sont fallacieuses dans la mesure où les stations « sanctionnées » avaient déjà obtenu un avis favorable de la part du ministère de la Com-munication du temps de la ministre Nathalie Rabe55.

Par ailleurs, depuis 2010, la Haute autorité de la transition a pris la décision de ne plus déli-vrer de licence d’exploitation pour les radios. Pour contourner cette mesure de suspension à but politique, s’apparentant à une censure à grande échelle, ainsi que le qualifie Repor-ters sans frontières, les hommes politiques rachètent des licences qui ne sont plus opé-rationnelles. C’est ainsi, par exemple, que la radio Free FM de Lalatiana Rakotondrazafy, choniqueure politique, a racheté la licence d’un centre de formation en électronique et informatique, la Société malgache de presse et de communication (SMPC), l’éditrice de Kolo TV et de Kolo FM, appartenant à Hajo Andrianainarivelo, celle de la TNTV, I-BC de Andriamalala Tsiverizo Raobelina, celle de la radio Korail, et la RFV de Jean Ravelonarivo, celle de l’ancienne RFV. Mais si Free FM et la SMPC ont dû passer par la case Conseil d’Etat pour pouvoir émettre en toute tranquillité56, I-BC et RFV, appartenant respectivement à un conseiller du chef de l’Etat et au Premier mi-nistre en exercice à l’époque du rachat, ont pu émettre avec l’appui du ministère de la Communication57.

La limitation de la zone de couverture des radios privées constitue une autre forme de « censure » fortement contestée. A Mada-gascar, les stations ne sont pas, en effet, au-

torisées à émettre en ondes courtes – réservé aux chaînes publiques –, ni à diffuser au-delà de 500 watts, ce qui réduit fortement leur rayon de diffusion, même si elles ont une ca-pacité de diffusion au-dessus du double de cette portée58. Pour contourner cette limita-tion, les différentes stations audio-visuelles qui en ont les moyens ont recours au sys-tème de relais, et exploitent le réseau satelli-taire afin d’atteindre le maximum d’auditeurs dans différentes régions de la Grande île59. Mais pour réduire au minimum les marges de manœuvre des radios privées, et partant de leurs propriétaires, le gouvernement Ra-jaonarimampianina, a décidé de mentionner clairement dans le nouveau Code de la com-munication que « la couverture audiovisuelle nationale est réservée aux stations de radio-diffusion et de télévision publiques»60. Une disposition fortement contestée par les pro-fessionnels des médias.

3- Une lueur de diversité qui s’estompe

Malgré les difficultés des procédures, la radio connaît un succès sans précédent. Facilement accessible du fait de son coût, peu élevé par rapport à la presse écrite61, et de son carac-tère mobile, pouvant aujourd’hui être écou-tée et entendue un peu partout. Elle détient plus d’audience que tout autre média, du fait de son caractère oral qui sied aussi bien à la population dont la grande majorité est issue des zones rurales. En juillet 2016, le paysage audiovisuel malgache compte environ 340 stations publiques et privées confondues, opérantes à travers l’île62. L’effort de décen-tralisation perceptible au sein de certaines entreprises privées a progressivement per-mis une répartition plus équilibrée en termes de couverture au niveau des provinces bien

58 La communication pour l’empowerment à Madagascar. Une évaluation des besoins en communication, rap-port, 200859 Solange BRUYERON, op.cit.60 Article 126 du projet de code de la communication61 Id. 62 Ministère de la Communication et des Relations avec les institutions.

55 Id. 56 « Tsimbazaza : Rolly Mercia, deux fois devant les membres du CT », in http://www.madagate.org/editorial/madagate-video-et-affiche/2416-tsimbazaza-rolly-mercia-2-fois-devant-les-membres-du-ct.html consulté le 07 août 2016 et http://www.midi-madagasikara.mg/economie/2014/04/17/fermeture-ko-lo-csca-perdu-bon/ consulté le 07 août 2016. 57 Nary ANDRIAMAMONJY, De nouvelles chaînes audiovisuelles créées pour la Présidence et la Primature, samedi 12 septembre 2015, in http://ledaily.mg/de-nouvelles-chaines-audiovisuelles-creees-pour-le-presidence-et-la-primature/ consulté le 07 août 2016.

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qu’environ 30% des stations de radiodiffu-sion opèrent à Antananarivo.

L’existence de radios privées laisse entrevoir une lueur de diversité. Outre les radios poli-tiques de propagande, des stations commer-ciales, confessionnelles et communautaires apparaissent dans le paysage médiatique. Les radios commerciales proposent une grille généraliste, diffusent des émissions de diver-tissement tandis que leurs journaux parlés se veulent impartiaux et objectifs. Les radios confessionnelles, appartenant à une commu-nauté religieuse, sont, soit des radios évangé-liques, soit des stations d’éducation, offrant des émissions généralistes et plus diversifiées que les prêches des « bonnes paroles ». Les radios rurales et/ou communautaires, elles, sont souvent créées par des associations et des organisations non-gouvernementales (ONG) et « leur vocation première est d’être le moyen de communication et d’informa-tions entre les membres d’une communauté dans un souci de désenclavement de leurs communes, mais aussi de développement de leur métier grâce aux échanges de procédés entre techniciens et paysans, et entre les pay-sans eux-mêmes»63.

Mais cette diversité n’est qu’apparente. Au-jourd’hui, de plus en plus, on assiste à l’émer-gence et à l’intensification des monopoles économique et politique dans le secteur des médias. Les « petites » stations de radio ont rarement les moyens d’aller au-delà de leur zone de couverture, alors que certains médias, pris en main par de grands groupes indus-triels et/ou par des personnalités politiques, ont tendance à se constituer en de véritables empires médiatiques. Avec la naissance des empires médiatiques, le paysage médiatique malgache devient concentré et déséquilibré, avec ce que cela entraîne comme impact sur le contenu des journaux et sur le travail des journalistes.

La troisième partie de l’étude portera ainsi sur l’analyse de la propriété des médias dont la tendance est à la concentration et au désé-quilibre.

De médias d’opinion militants à des médias modernes de propagande

63 Id.

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Partie III – UN PAYSAGE MEDIATIQUE

TENDANT VERS LA CONCENTRATION

ET LE DESEQUILIBRE

Depuis la fin des années 1980, et notamment avec le vent de la libéralisation et de la démo-cratisation des régimes politiques africains, on assiste de plus en plus, sur la Grande île, à l’émergence puis à l’intensification des mo-nopoles économiques et politiques dans le secteur des médias. L’évolution des médias est alors fortement marquée par leur prise en main par des grands groupes industriels d’une part, et d’autre part, par des person-nalités politiques. L’intensification du mono-pole économique se traduit notamment par une dynamique qui tend de plus en plus vers la concentration. Ce chapitre fera d’abord le point sur la structure de la propriété avant d’analyser les formes de concentration des médias existant à Madagascar.

I – Des groupes médiatiques contrô-lés par des groupes industriels et des personnalités politiques

Certains acteurs économiques influents qui possèdent des entreprises de presse, quelle que soit leur tendance politique, affichent ouvertement leur identité dans les ours, sans recourir à des prête-noms, et gèrent ainsi ou représentent légalement leurs entreprises. D’autres et notamment ceux qui ont une cer-taine aspiration politique préfèrent rester pru-dents. Et même s’ils ne se cachent pas d’être des propriétaires de médias, ils préfèrent souvent se tenir en retrait pour que leur en-gagement n’impacte pas sur une éventuelle lancée dans une carrière politique64. Mais

souvent, lorsque les propriétaires des médias sont des acteurs politiques, préférant géné-ralement garder l’anonymat et ne préférant pas figurer dans les actes sociaux, ceux-ci re-courent à des prête-noms pour diriger, gérer leurs entreprises et agir pour leur compte65. L’enjeu est de taille. Lorsque ces personnali-tés politiques ont un poste de responsabilité publique, ils risquent de tomber sous le coup de conflits d’intérêts.

En 1995, lorsque l’homme d’affaires Herizo Razafimahaleo, qui était alors ministre, lance L’Express de Madagascar, son nom ne figure pas dans l’ours, mais il ne se cache pas d’être le propriétaire du journal auquel il apporte d’ailleurs sa contribution66. Par ailleurs, pour servir sa carrière politique, il met le journal

64 Ainsi par exemple, dans le cadre des débats autour du processus d’adoption du projet de Code de communication

devant le Sénat qui soutenait que le directeur de publication doit absolument être le propriétaire, ou au moins, l’actionnaire majoritaire de la société, le quotidien l’Express de Madagascar souligne : « Les risques que les dirigeants utilisent le code de la communication contre leurs adversaires politiques propriétaires des médias sont élevés avec cette disposition. Représentant légal de l’entreprise, le directeur de publication peut facilement voir son casier judiciaire « sali » à la moindre condamnation pour délit de presse. Ce qui pourrait constituer un obstacle à sa carrière politique », in Bodo Voahangy, Code de la communi-cation – Le Sénat persiste avec son amendement, L’Express de Madagascar du 14.07.2016, [mise en ligne], http://www.lexpressmada.com/blog/actualites/code-de-la-communication-le-senat-persiste-avec-son-amendement/, consulté le 18 juillet 2016.65 A titre d’exemple, le nom de Andry Rajoelina ne figure pas dans le RCS pour ce qui est de la propriété de Viva TV et Viva Radio. 66 Lovasoa RABARY, L’Express de Madagascar et l’élection pré-sidentielle de 2006. De l’annonce de la candi-dature de Didier Ratsiraka à son départ du pays, Mémoire de maîtrise spécialisée en journalisme, Département interdisciplinaire et de formation professionnelle (DIFP), Faculté des Lettres et sciences humaines, Université d’Antananarivo, janvier 2004.

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à contribution à chacune de ses campagnes électorales, à la présidentielle de 1996 puis à celle de 2001. Et même si le journal s’en défend, il apporte son soutien au régime Rat-siraka au détriment de Marc Ravalomanana durant la crise post-électorale de 200267.

En 2013, bien que L’Express de Madagascar ait été racheté par un autre homme d’affaires, Edgard Razafindravahy, le journal participe encore à la campagne électorale de la prési-dentielle. Son patron depuis 2002 est entré en politique en 2009 après s’être constitué un véritable empire médiatique. Après L’Ex-press de Madagascar qui lance, en plus du quotidien bilingue, un quotidien malgacho-phone et un hebdomadaire, il rachète la ra-dio Antsiva puis le groupe RTA, comprenant une chaîne de télévision diffusant dans au moins trois villes en plus de la capitale et deux radios, RTA et Radio Tana68. En 2013, Edgard Razafindravahy est candidat à la présiden-tielle, et chacun de ses organes de presse participent à sa manière à la promotion de leur patron en rapportant le déroulement de sa campagne électorale69.

Avant Edgard Razafindravahy, Marc Ravalo-manana, ancien président de la République, a également commencé à se constituer un empire médiatique avant de se lancer dans la campagne présidentielle de 2001 qu’il al-lait gagner. Il rachète d’abord une radio FM, la Radio Mada, finance la Radio Fahazavana, radio de la FJKM, avant de créer sa propre ra-dio, la Malagasy broadcasting system (MBS). Quelques semaines avant la campagne prési-dentielle de décembre 2001, il lance la filiale télévisuelle de la MBS. Ces organes de presse deviennent, « avec son avion pour ses dépla-cements hors de la capitale, ses principaux

organes de propagande électorale »70. Une fois arrivé au pouvoir, son groupe fonde le quotidien malgachophone, Ny Vaovaontsika, puis le quotidien francophone Le Quotidien, deux véritables instruments de propagande pour partager les réalisations du régime.

A peu près à la même époque, la famille Andriantsitohaina, partenaire d’Herizo Ra-zafimahaleo dans L’Express de Madagascar à hauteur de 10% à sa fondation, lance en 2004 le groupe de presse Ultima Media. Sous la houlette de Naina Andriantsitohaina, fils du patriarche, Charles Andriantsitohai-na, le groupe publie d’abord les quotidiens Les Nouvelles, entièrement en français, et Taratra, entièrement en malagasy, en 2004. Quelques années plus tard, il investit dans la radio en rachetant Alliance 92, et en lan-çant Taratra FM qui ne fera pas long feu. Se voulant « quotidien d’information », le journal Les Nouvelles ne tarde pas à mon-trer son visage de défenseur des intérêts du secteur privé dont son directeur général est un membre influent. En fonction des intérêts d’affaires et politiques de leur patron, il arrive aussi que les publications du groupe Ultima Media défendent des intérêts particuliers. En 2013, par exemple, le journal Les Nouvelles n’a pas hésité à soutenir Camille Vital, père du compagnon de Lalaina Andriantsitohaina, petite-fille de Charles Andriantsitohaina, au premier tour de l’élection présidentielle71. Il peut également arriver que le même journal apporte un soutien bien marqué à certaines relations d’affaires de son patron, au point de s’en prendre parfois à ceux contre lesquels celui-ci n’est pas en bons termes72.

Un paysage médiatique tendant vers la concentration et le déséquilibre

67 Id. 68 Solofo RANDRIANJA, op.cit., p.151 69 PACTE (Projet d’appui à la crédibilité et à la transparence des élections à Madagascar), Rapport sur la couver-ture médiatique du processus électoral. Premier tour de la présidentielle. Unité de monitoring des médias au sein du KMF/CNOE, Période 24 septembre – 25 octobre 2013, p.5

70 Pascal ANDRIANTSOA, Nancy ANDRIASENDRARIVONY, Vincent CARBONNEAU, Steven HAGGBLADE, Bart MINTEN, Mamy RAKOTOJAONA, Frederick RAKOTOVOAVY, Harivelle Sarindra RAZAFINIMANANA, Les médias malgaches : floraison spontanée d’une ressource nationale, août 2003, p.31 71 Entretien avec un ancien journaliste de Les Nouvelles le 15 juillet 2016.72 Pendant plusieurs mois, au début de 2016, Les Nouvelles se lance dans une véritable campagne médiatique contre Orange Madagascar alors que pendant plusieurs années, les deux entreprises se sont bien entendues, et Orange Madagascar était l’un des annonceurs privilégiés du journal Les Nouvelles. Dès

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Parmi les hommes d’affaires influents déte-nant un empire médiatique, peut être cité Mamy Ravatomanga. Opérant dans plusieurs secteurs, cet actuel propriétaire du groupe Sodiat avait d’abord lancé une chaîne au-dio-visuelle M3TV-M3FM à Mahajanga où il s’était lancé dans l’hôtellerie, et une station de radio, Radio Fy à Itasy dont il est origi-naire. Il fonde ensuite la société SMM-SMC qui éditera les quotidiens La Vérité, Inona no Vaovao, Madagascar Matin, et qui rachètera la marque Ino Vaovao, publiant des journaux de proximité destinés aux provinces. Très proche d’Andry Rajoelina, Mamy Ravatomanga met ses organes de presse, notamment les deux quotidiens La Vérité et Inona no Vaovao, au service du régime de transition durant les an-nées 2009-2013. Ceux-ci soutiennent Hery Rajaonarimampianina, ainsi que les députés du mouvement Miaraka amin’ny Prezida Ra-joelina (Mapar), lors des élections de 201373, puis virent dans l’opposition quand l’alliance Mapar-Rajaonarimampianina se brise.

Ces derniers mois, ce sont des hommes d’af-faires proches du président de la République qui se lancent dans l’aventure de la presse écrite. Leur objectif est aussi bien de prépa-rer dès 2016 l’échéance électorale de 2018, mais aussi de défendre le régime Rajaonari-mampianina des assauts qui lui sont faits par

la plupart des autres journaux qui ne lui sont pas particulièrement dévoués. C’est ainsi que Andriamalala Tsiverizo Raobelina, conseiller à la présidence de la République, propriétaire de la chaîne de télévision privée Dreamin de-puis 2012, fonde le quotidien La Dépêche de Madagascar en 2016, après avoir lancé en 2015 IBC, une société exploitant une chaîne de radio et de télévision privée. Le journal, à l’instar de ses pairs, La Ligne de Mire et Le Citoyen, également fondés par des hommes d’affaires proches du chef de l’Etat, n’hésite pas à afficher son soutien au régime Rajao-narimampianina. La seule différence entre les trois organes demeure le ton utilisé : La Dé-pêche de Madagascar adopte un ton moins acerbe que La Ligne de Mire contre les ad-versaires du pouvoir, et paraît moins hagio-graphique que Le Citoyen. La Dépêche de Madagascar défend également les intérêts économiques et d’affaires de Hery Mananka-sina Raobelina, jumeau de son propriétaire et propriétaire de la société de transport aérien Madagasikara Airways. Par ailleurs, si le pro-priétaire de La Dépêche de Madagascar n’hé-site pas à s’afficher comme Directeur général de son journal, ceux de RLM Communication et de SkyOne, éditeurs respectifs de La Ligne de Mire et de Le Citoyen sont officiellement inconnus74.

II – Une dynamique de concentra-tion

Ce contrôle politique et économique des mé-dias se double d’une dynamique de concen-tration. Cette concentration se manifeste sous différents aspects : la concentration ho-rizontale, la concentration verticale, la pro-priété croisée, et le conglomérat. Pour pou-voir appréhender l’état de la concentration, nous avons apprécié le nombre de titres/stations/chaînes ou autres services pro-posés par les entreprises. L’expansion des 74 Le journal La Dépêche a changé de propriétaire en septembre 2007, et depuisle nom de AndriamalalaRaobelina ne figure plus sur l’Ours. Par contre, depuis octobre, il y apparaît clairement la mention RLM Communication.

janvier 2016, par exemple, on pouvait lire dans Les Nouvelles, « Orange Madagascar : hausse unilatérale des tarifs de com-muni-cation » (in http://www.newsmada.com/2016/01/09/orange-madagascar-hausse-unilaterale-des-tarifs-de-commu-nication/, publié le 9 janvier 2016, consulté le 20 août 2016). En avril, le même journal parle de « Orange Madagascar : les textes aux oubliettes ? » (in http://www.newsmada.com/2016/04/20/orange-madagascar-les-textes-aux-oubliettes/, publié le 20 avril 2016, consulté le 20 août 2016), « Orange Madagascar : flagrant délit de mensonge » (in http://www.newsmada.com/2016/04/28/orange-madagascar-flagrant-de-lit-de-mensonge/, publié le 28 avril 2016, consulté le 20 août 2016), « L’Artec lève le voile : Orange Madagascar opère illégale-ment » (in http://www.newsmada.com/2016/04/29/lar-tec-leve-le-voile-orange-madagascar-opere-illegalement/, publié le 29 avril 2016, consulté le 20 août 2016).73 PACTE (Projet d’appui à la crédibilité et à la transparence des élections à Madagascar), Rapport sur la couverture médiatique de la campagne et du processus électoral. Deuxième tour de la présidentielle et élections législatives, Unité de monitoring des médias au sein du KMF/CNOE, Période : 29 novembre - 20 décembre 2013, p.8

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groupes a également été mesurée par le nombre de licences d’exploitation qu’ils dé-tiennent. Il existe ainsi une tendance à la hausse du degré de concentration des mé-dias dès lors qu’un même acteur prend une part trop importante du paysage médiatique par le contrôle d’un nombre excessif de pu-blications écrites ou de chaînes de radio ou de télévision. Il a également été tenu compte du nombre ou de l’étendue de zones couvertes par les réseaux de diffusion. En effet, l’extension des zones de couverture favorise le libre accès de tous à l’information mais, en même temps, peut se révéler dan-gereuse lorsqu’elle favorise la position domi-nante d’une seule entreprise ou menace la présence de petites structures locales. Enfin, un début d’évaluation de la tendance à la concentration de la presse a été effectué à partir du niveau de tirage effectué au ni-veau de la presse écrite. Néanmoins, une réserve reste à faire à ce niveau en ce sens où selon les entretiens et recoupements ef-fectués au niveau d’entreprises de presse, il s’est révélé que le nombre de tirage apposé dans les ours ne correspond pas toujours au nombre d’exemplaires réellement tirés75.

Sur la base de ces critères, le tableau en Annexe I détaille les différentes formes de concentration existant à Madagascar. Le ta-bleau en Annexe II permet de donner un aper-çu de la concentration à travers les tirages des différents journaux, même si les chiffres, lorsqu’ils sont disponibles ne sont pas tou-jours conformes à la réalité. Ainsi, un respon-sable de la diffusion au sein d’une entreprise de presse estime que la marge d’erreur peut parfois aller jusqu’à 70%. Des journaux qui

affirment tirer jusqu’à 10 000 exemplaires ne tirent en réalité que 3 000, voire moins. Gon-fler le tirage vise surtout à démontrer le po-tentiel de l’entreprise sur le marché, et ainsi séduire les annonceurs qui hésitent à insérer dans les médias à faible impact76.

La concentration horizontale reste très courante. L’entreprise contrôle, sur un terri-toire donné, plusieurs unités de production de même nature qui fabriquent des produits identiques ou similaires. Les propriétaires des médias achètent ou fondent des mé-dias de même nature que ceux qu’ils pos-sèdent déjà77. On peut prendre, dans ce sens, l’exemple du groupe WM (de Willy et Mar-the Andriambelo) qui en plus des diverses publications de Midi Madagasikara SA, tels que les quotidiens Midi Madagasikara et Ga-zetiko, et le périodique Midi Flash, ont aussi sous leur contrôle les publications du groupe MaTV, comprenant MaLaza, Zay Zany ou Soa. Peut également être pris comme exemple le cas des entreprises de Andriamalala Tsiverizo Raobelina avec les chaînes de télévision Drea-min’ et I-BC.

La concentration verticale se développe également dans la mesure où nombre d’en-treprises contrôlent l’économie entière du mé-dia : les différentes phases d’un processus de production78, de la recherche d’informations impliquant l’envoi de journalistes sur le terrain aux différents travaux d’impression et d’édi-tion des journaux ainsi qu’au réseau de distri-bution.C’est notamment le cas de la plupart des entreprises de presse les plus anciennes sur le marché, comme Midi Madagasikara, L’Express de Madagascar, ou Ultima Media. Les propositions de lancer une entreprise unique d’impression de journaux, ainsi qu’un réseau 75 Il ressort de nos entretiens avec certains responsables de

la diffusion auprès de quelques entreprises de presse écrite que le nombre de tirage apposé influerait sur l’attractivité des annonceurs et que pour certaines entreprises, pouvoir gonfler le nombre de tirage dans la pratique revient à démontrer leur potentiel sur le marché. Ce qui prouve, dans tous les cas, une absence de transparence mais surtout, de contrôle des activités des entreprises de médias par les autorités en place alors même que ce fait de révéler le nombre de tirage réel est une obligation légale.

76 Entretien avec un responsable de diffusion d’une entreprise de presse, réalisée le 15 août 2016.77 DANIEL Giroux, SAUVAGEAU Florian, Concentration de la propriété, diversité de l’information et indépendance des rédac-tions, Rapport remis au Ministère de la Culture et des Commu-nications du Québec, Juillet 2005, p.7. 78 Centre d’études dur les médias, La propriété des médias au Canada, Rapport remis au Comité du patrimoine canadien, 5 février 2003, p.4

Un paysage médiatique tendant vers la concentration et le déséquilibre

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commun de distribution n’ont jamais obte-nu l’aval des différents acteurs79. Les organes de presse ou groupes qui ne sont pas dotés d’imprimerie, notamment pour des raisons fi-nancières (dues au coût élevé de l’installation et du fonctionnement des matériels), négocie l’édition auprès de groupes partenaires ou de société d’édition indépendante.

Les mouvements de concentration horizon-tale et celle verticale favorisent la proprié-té croisée qui se traduit par la possession par un groupe de plusieurs types de médias (presse écrite, audio-visuel, portail Internet) dans un marché donné, étant entendu que les avantages recherchés sont, entre autres, le partage de contenus et la possibilité de faire une offre plus complète aux annonceurs - la promotion croisée80. Une entreprise de presse contrôle donc plusieurs secteurs : plu-sieurs titres de journaux, plusieurs stations de télévision, ou encore plusieurs agences de publicité81. Le propriétaire possède plusieurs types de médias à la fois (presse écrite et au-diovisuelle confondue), d’autant que les mé-dias se diversifient et foisonnent, entraînés par l’évolution de la technologie de l’infor-mation et de la communication. Tel est par exemple le cas du groupe Prey qui regroupe L’Express de Madagascar SA, le groupe RTA et la radio Antsiva. Les groupes s’étendent et deviennent des multimédias. En tentant de couvrir tous les champs de la communi-cation, ces groupes ont des positions fortes dans la presse écrite et dans l’audiovisuel.

Un autre phénomène émergent va au-delà de la simple concentration. C’est celui de l’in-tégration multisectorielle ou du conglo-mérat, caractérisé par les coopérations et alliances entre groupes de médias dans des domaines précis, notamment, lorsqu’il y a convergence d’intérêts, alors même que

chaque groupe cherche à accroître sa propre audience et à attirer plus de publicité. Mieux encore, en tentant de couvrir tous les champs de la communication, ces groupes ont des po-sitions fortes dans la presse écrite, dans l’au-diovisuel mais sont également intégrés dans d’importants groupes industriels. Plus concrè-tement, l’entreprise contrôle un ou plusieurs types de médias différents et, dans le même temps, se trouve impliquée dans d’autres ac-tivités connexes de la vie industrielle ou com-merciale82. L’aperçu des grands groupes exis-tants à Madagascar donne autant de facettes d’intégration multisectorielle.

Avec ces formules, les passerelles entre pro-priétaires de médias et décideurs politiques prennent de l’ampleur. Ce paysage aux appa-rences pluralistes dissimule, en définitive, une convergence d’intérêts assez inquiétante entre les entreprises des médias et les acteurs poli-tiques. Il semble que les acquisitions, fusions ou rachats de médias, et partant, le renforcement des grands groupes de médias ne sont plus seu-lement motivés par la perspective d’une ren-tabilité financière et commerciale ; ils servent désormais pour asseoir une certaine influence politique83. Les entreprises de presse semblent surtout avoir une visée politique et électorale. Ces accointances entre le monde politique et les médias se révèlent dangereuses dans la me-sure où les politiciens propriétaires des médias risquent d’influer sur les lignes éditoriales de leurs médias. Les journalistes recrutés au niveau de ces médias risquent d’avoir comme mission essentielle de relayer systématiquement les in-térêts des propriétaires et les médias sont deve-nus une tribune incontournable où s’affrontent les politiciens, propriétaires ou non. Ces impacts feront l’objet du chapitre suivant.

Un paysage médiatique tendant vers la concentration et le déséquilibre

79 Interview d’un directeur de la rédaction.80 DANIEL Giroux, SAUVAGEAU Florian, op.cit 81 Centre d’études sur les médias, La propriété des médias au Canada, Rapport remis au Comité du patrimoine canadien, 5 février 2003, p.4

82 Centre d’études dur les médias, La propriété des médias au Canada, Rapport remis au Comité du patrimoine canadien, 5 février 2003, p.5. 83 L’exemple le plus récent est l’achat en 2015 de la radio RFV par l’ancien premier ministre Ravelonarivo.

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Partie IV – LES IMPACTS

DE LA STRUCTURE DE LA

PROPRIETE DES MEDIAS SUR

LA COUVERTURE MEDIATIQUE

On reconnaît à la concentration des médias des avantages certains, autant pour les entre-prises que pour les propriétaires. Le regrou-pement des entreprises de presse contribue à leur expansion, démultipliant leur puissance commerciale. L’offre publicitaire s’étend, l’an-nonceur obtenant un tarif attractif. La distri-bution se fait désormais à l’échelle nationale permettant une plus grande part de marché.

En rendant plus rentable le journal, la concentration devrait a priori avoir un impact positif sur le contenu des journaux et sur les conditions de travail des journalistes. Ce n’est pourtant pas toujours le cas. La concentration a souvent tendance à creuser et à renforcer le déséquilibre entre les médias dans la mesure où les plus puissants ont tendance à mono-poliser le marché, au détriment des médias à la taille ou aux ambitions plus modestes. Par ailleurs, on pourrait penser que la concentra-tion favorise également des contenus et des présentations plus innovants et diversifiés, mais dans la pratique, ce n’est pas toujours le cas. Et enfin, la concentration n’améliore pas toujours les conditions de travail des tra-vailleurs de la presse, tout comme la « politi-sation » de la propriété est loin de favoriser l’indépendance des journalistes.

Cette partie traitera d’abord du renforcement du déséquilibre entre les différents médias, et examinera ensuite les impacts de la structure de la propriété sur le travail des journalistes.

I – Un déséquilibre renforcé entre les médias

D’une manière générale, seules les grandes entreprises de presse parviennent à mettre leur titre en vente dans divers points de vente du territoire, et peuvent se permettre de cou-vrir plusieurs zones. Elles ont également ten-dance à monopoliser le marché publicitaire, du fait de leur large audience. Cette situation défavorise les petites entreprises qui voient alors les marchés publicitaires se rétrécir, alors que c’est généralement la publicité qui génère les re-venus des médias. Le regroupement peut ainsi présenter un risque de « censure économique » par la sélection arbitraire des publicités à paraître ou encore, par le refus de l’annonceur de faire paraître une publicité dans un média à faible impact. Beaucoup survivent alors grâce à des subventions qui ne sont pas sans impact sur le contenu proposé au public.

1- Tendance au monopole du marché publicitaire et des informations publiques

Du fait de leur large audience, les organes de presse affiliés aux grands groupes de médias obtiennent davantage d’insertions publici-taires que les autres. Ainsi, sur le marché de la publicité, Midi Madagasikara et L’Express de Madagascar concentrent à eux seuls en-viron 75% du marché de la publicité84. Alors

84 Lova RABARY-RAKOTONDRAVONY, La mobilisation des journalistes comme facteur de réussite de la création d’un supplément d’analyse, d’idées et de débats, mémoire présenté en vue de l’obtention du Master International en management des medias, 2014.

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que ces deux journaux, pour équilibrer les pages rédactionnelles et les surfaces publici-taires dans leur support peuvent aller jusqu’à 56 pages certains samedis, les autres peinent à remplir 24 pages en samedi, et se limitent à 16, voire à 12 pages en semaine. Par ailleurs, malgré une volonté d’équilibre par une aug-mentation systématique de la pagination en édition du samedi, les surfaces commerciales de ces deux journaux passent d’environ 25% en semaine à près de 70% en week-end.

Les autres journaux, eux, doivent se conten-ter des annonces institutionnelles et publiques que certains organismes publics ou internatio-naux semblent s’efforcer de répartir à tous les organes de presse écrite. Mais même dans ces cas, la répartition est loin d’être équitable dans la mesure où selon les explications d’un respon-sable commercial d’une « petite » entreprise de presse, « certains journaux qui sont sur le marché depuis un certain nombre d’années ont du mal à obtenir des annonces institutionnelles faute d’audience suffisante »85. A cela s’ajoute la concurrence quasi-déloyale des journaux appartenant aux proches du pouvoir qui, bien que récemment fondés et ne disposant encore que d’une audience limitée, ont plus facilement accès à ce type de publicité. Ain-si, l’on a pu constater ces dernières semaines que les trois journaux proches du pouvoir, Le Citoyen, La Ligne de mire, et dans une moindre mesure, La Dépêche de Madagascar, malgré leur existence récente, ont droit à des appels d’offres ou à des avis au public diffu-sés par l’administration, alors qu’ils disposent à peine d’autres annonces commerciales.

Ce « monopole » découlant de la nuance po-litique des entreprises de presse ne se limite pas au marché de la publicité institutionnelle. Les médias soutenant l’administration, l’Etat ou la mairie ou autres personnalités impor-tantes profitent également de formes de trai-tement préférentiel en termes d’information. Les journalistes de ces organes accèdent plus

facilement et plus rapidement aux sources d’information. Les chaînes de télévision et de radio publiques, ainsi que les journaux proches du chef de l’Etat par exemple, font souvent partie des déplacements officiels des autorités et ont facilement accès aux infor-mations de source officielle. Il arrive fréquem-ment que les desks des organes appartenant aux proches des dirigeants aient la primeur des informations émanant des institutions of-ficielles86.

D’autres organismes publics ou sociétés d’Etat ont souvent tendance à ouvrir leurs portes aux organes de presse proches du pouvoir, espérant de leur part une couver-ture médiatique plus complaisante de leurs activités87. Il arrive, enfin, fréquemment, que pour faire passer certains messages tout en évitant les questions gênantes des journa-listes, certaines autorités préfèrent faire appel aux organes publics et à ceux qui leur sont plus proches. Elles n’hésitent pas non plus à user de leur influence auprès des patrons de presse pour tenter d’influer sur le conte-nu des articles à paraître. Ces situations ne sont pas sans conséquence sur le contenu des médias. Ceux-ci ont parfois tendance à devenir complaisants à l’endroit des mains qui les nourrissent, ou qui leur permettent de survivre.

2- Des journaux complaisants

Lorsqu’une entreprise est un gros client de l’entreprise en termes d’espace publicitaire, les journalistes sont souvent invités à prendre avec des pincettes la rédaction de certains ar-ticles qui concernent ce client ou le secteur dans lequel celui-ci travaille. « Quel organe de presse malgache va critiquer les services des opérateurs téléphoniques ou des brasse-

85 Interview d’un directeur de rédaction, réalisée le 22 juillet 2016.

86 Un journaliste confie que pour avoir accès à certains com-muniqués avant l’envoi officiel desdits communiqués par les services de communication des institutions, il lui suffit d’appeler les journalistes des organes proches des autorités. Interview réalisée le 25 juillet 2016.87 Interview du rédacteur en chef d’un quotidien, réalisée le 22 juillet 2016.

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27Les impacts de la structure de la propriété

des medias sur la couverture médiatique

ries Star, principales entreprises sans les in-sertions publicitaires desquelles il ne pourrait pas subsister ? » remarque d’ailleurs Solofo Randrianja. Ces gros opérateurs ne font gé-néralement l’objet de critiques que lorsqu’ils n’ont plus de contrats commerciaux avec les journaux. « Il arrive fréquemment qu’un jour, on nous demande de ne dire que du bien d’une entreprise ou d’une personnalité, puis le lendemain, il nous est recommandé de le critiquer, de raconter même le contraire de ce que nous avions écrit plus tôt », se plaignent ces journalistes, confiant avoir parfois du mal à se retrouver dans la ligne politique et dans la ligne éditoriale de leur journal.88

Certains annonceurs, conscients de leur po-sition dominante dans l’économie des mé-dias, n’hésitent pas à exiger des articles ha-giographiques à l’endroit de leurs produits et services, ou même de leur entreprise, en échange d’une insertion dans le journal. Ils y réussissent souvent avec la complicité des ser-vices commerciaux des organes de presse. « Il arrive que les agents commerciaux proposent à leurs clients un article en échange d’une insertion publicitaire dans un journal », ra-conte un rédacteur en chef89. « Parfois, c’est le service commercial qui nous commande la couverture de certains événements et l’angle des articles à écrire lorsqu’une entreprise est un annonceur »90, poursuit un journaliste tra-vaillant pour un autre organe. Un autre ré-dacteur en chef raconte avoir déjà reçu d’un annonceur une menace à peine voilée. « Il m’avait dit que c’était lui qui payait mon sa-laire », confie ce responsable de rédaction91.

Pour limiter ces interventions « intempestives » des annonceurs, certains organes de presse ont mis en place des systèmes destinés à pré-server leur indépendance éditoriale. Ainsi, certaines chaînes de télévision proposent en

fin de journal des plages réservées à des pu-bli-reportages92, ou proposent carrément des pauses commerciales en plein journal et non avant ni après93. Pour certains quotidiens, les articles publicitaires sont parfois insérés dans les espaces rédactionnels, et comportent les références de paiement et d’insertion en fin d’article. Ces stratégies ne font toutefois pas bien apparaître la différence entre publi-re-portage et articles rédactionnels dans la me-sure où les articles publicitaires sont toujours signés par les journalistes. Cette formule, lar-gement utilisée durant la campagne électo-rale de 201394 par certains organes de presse écrite et audiovisuelle95, a été reprise plus tard dans les pratiques commerciales. D’autres entreprises de presse lancent des publications spécifiques détachées des publications habi-tuelles pour donner de l’espace rédactionnel, payant ou non, aux articles publicitaires des annonceurs96.

Mais ces possibilités ne sont pas données à tous les organes de presse qui, faute de moyens, se retrouvent obligés de présenter les « publi-reportages » sous les mêmes formats que les articles éditoriaux. Mais même dans les organes qui ont des formats spécifiques des-tinés aux annonceurs, il n’est pas rare d’avoir des articles qui frôlent la complaisance dans les pages éditoriales. Il arrive alors qu’on ait souvent les mêmes informations dans des journaux différents. La diversité et le plura-lisme s’en trouvent grandement menacés.

88 Interview d’un journaliste réalisée le 18 juillet 2016.89 Interview du rédacteur en chef d’un quotidien, réalisée le 22 juillet 2016.90 Interview d’un journaliste, réalisée le 18 juillet 2016.91 Interview du rédacteur en chef d’un quotidien, réalisée le 18 juillet 2016.

92 Le JT de TV Plus propose souvent en fin de journal des pu-bli-reportages réalisés par les journalistes eux-mêmes. 93 La plupart des JT sont aujourd’hui coupés par de la publicité en milieu de journal (TV Plus, Viva TV, Kolo TV …)94 Mission d’observation électorale de l’Union européenne, Rapport final Election présidentielle et élections législatives, Madagascar 2013.95 Le rapport sur la couverture médiatique de la campagne et du processus électoral de l’Unité de monitoring des médias au sein du KMF/CNOE pointe notamment du doigt la chaîne de télévision TV Plus et les journaux Midi Madagasikara et Gazetiko sur ces pratiques.96 Le but du supplément hebdomadaire gratuit de quatre pages Echo des entreprises encarté tous les jeudis dans L’Express de Madagascar, et tous les vendredis dans L’Hebdo de Madagascar, est de donner de l’espace aux articles souhaités par les annon-ceurs sur leurs produits.

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3- Menace envers le pluralisme et le professionnalisme

Quand la logique commerciale prend, en effet, le pas sur le pluralisme de l’informa-tion, la concentration des médias devient un des obstacles au pluralisme. La diversité des médias suppose d’abord que le public se voit proposer des contenus traités sous des angles variés, des sujets variés. Elle implique ensuite la diversité des sources, et la diversi-té des producteurs de nouvelles et de pro-grammes ainsi que la diversité des équipes de rédaction97. Or, cela ne semble plus le cas. Le public n’a pas droit à une variété d’infor-mations. L’uniformisation qui renforce la ten-dance au conformisme et la standardisation prend le dessus, au détriment de l’innova-tion, et de l’esprit de création et d’investiga-tion. Elle affaiblit la capacité des journalistes d’apprécier d’autres perspectives et points de vue. Le caractère consensuel de l’information est plus flagrant quand les salles de rédaction de deux entreprises appartenant à un même groupe ne sont pas séparées.

Par la même occasion, la concentration des médias constitue une menace réelle pour la démocratie. La démocratie se définit en effet, comme la capacité des citoyens de participer aux affaires publiques. C’est par les médias que le citoyen peut à la fois s’informer et faire entendre sa voix pour participer à la vie publique. Or, cette capacité dépendrait en bonne partie de la manière dont les médias font circuler la plus vaste gamme possible de points de vue, d’analyses et d’informations98. Par ailleurs, dans toute société démocratique, les médias doivent non seulement être indé-pendants. Ce qui n’est pas le cas à Madagas-car vu l’emprise, le contrôle et la mainmise qu’exercent les pouvoirs politiques et écono-miques sur les médias. Leurs journaux, leurs

stations de radio, leurs chaînes de télévision, leurs sites d’information en ligne occupent la quasi-totalité de l’espace civique où se déroule le débat démocratique réduisant la vocation de «service public» des médias au rôle de simple fournisseur de contenus, en donnant parfois des informations trop partisanes ou des images tronquées de la réalité. Parfois, en soutenant aveuglément et passionnément les pouvoirs en place ou l’opposition, les médias finissent par bâcler des sujets d’importance, voire occulter des informations pourtant es-sentielles, ou encore propager des fausses nouvelles, les médias n’étant alors plus ani-més par l’exigence de vérité que leur impose la profession. Un système démocratique ne peut survivre à un tel débordement contraire aux principes libéraux.

Par ailleurs, la concentration n’incite nulle-ment le journaliste au professionnalisme. La concentration des médias cantonne les journalistes dans une sorte de paresse intel-lectuelle. De nombreux journalistes lisent et interprètent ou réécrivent les articles ou les titres sur lesquels des confrères ont déjà tra-vaillé99. Les journalistes qui travaillent pour un même groupe se contentent parfois d’échan-ger des informations entre eux sans aller les recouper à leurs sources. A leur décharge, les journalistes mettent en avant les difficultés de couvrir plusieurs événements en une journée, et de trouver plusieurs articles à écrire pour une édition. « Comme nous n’avons pas le temps de courir partout, nous sommes obli-gés de faire des choix, et de nous arranger avec les collègues pour aller chercher les élé-ments d’information »100, confient la plupart d’entre eux. Ainsi, il n’est pas rare de voir les mêmes informations, traitées sous un même angle, dans des journaux appartenant à un même groupe.

Dans d’autres entreprises, les journalistes contribuent aux différents titres et publica-

99 Interviews de journalistes réalisées les 18, 22 et 25 juillet 2016100 Interviews de journalistes réalisées les 18, 22 et 25 juillet 2016.

97 Voy. DANIEL Giroux, SAUVAGEAU Florian, Concentration de la propriété, diversité de l’information et indépendance des rédactions, Rapport remis au Ministère de la Culture et des Communications du Québec, Juillet 2005, p.10 98 JUNQUA Daniel, La presse, le citoyen et l’argent. Coll. « Folio actuel », Paris, Le Monde-Gallimard, 1999, p. 13

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tions. Ainsi, un journaliste, après avoir enre-gistré la voix off du journal télévisé, peut en-suite être appelé à présenter le journal parlé à la radio, avant d’écrire sur le sujet qu’il a traité à la télé pour le quotidien de son groupe101. Au niveau des directions des entreprises, on parle de « convergence » et d’optimisation des ressources, tandis que dans les salles de rédaction, on parle « d’exploitation » d’au-tant que « les rémunérations augmentent à peine », comme se plaignent les journa-listes. Avec ce système, les entreprises, au lieu de payer deux journalistes et d’assumer les charges qui en découlent, peuvent s’assu-rer que les produits finaux attendus de deux journalistes soient assurés par une seule per-sonne qui est, certes, augmentée, soit par un paiement à la pige, soit par une prime, mais qui ne gagne pas le salaire de deux employés. Les entreprises se justifient notamment par le fait que les journalistes ont bien le temps d’exercer d’autres activités génératrices de revenus ailleurs102.

Les diverses pressions, aussi bien politiques qu’économiques, qu’occasionne la concen-tration des médias dégrade la valeur et la qualité de l’information. La logique de renta-bilité oblige les groupes de presse à minimi-ser la valeur rédactionnelle qui reste pourtant très essentielle au profit des intérêts com-merciaux et des considérations politiques. Devenues simplistes, le peu d’informations qui restent se réduisent à des produits com-mercialisables. Le travail des journalistes de-vient ainsi routinier et peu créatif. Les faits divers prennent le pas sur les analyses et les

vraies investigations, même si de nombreux quotidiens se réclament être « d’analyse et d’information ». Si l’on pouvait penser que la concentration des médias permettrait aux médias d’être plus rentables, les journalistes deviennent, au contraire, partisans et dépen-dants, mais parfois aussi manipulateurs.

II – Des journalistes partisans, dé-pendants et manipulateurs

Les journalistes, travaillant auprès d’une structure concentrée perdent de leur autono-mie. Ils doivent se plier aux lignes politiques et éditoriales tracées par les propriétaires. Le contenu des informations et la program-mation des émissions sont dictés par les ac-tionnaires. Les propriétaires pèsent sur le contenu rédactionnel, et cela se ressent sur le travail du journaliste et sur les conditions dans lesquelles celui-ci exerce. La structure de la propriété entretient ainsi la dépendance et la partialité du journaliste, au point de le rendre manipulateur. La couverture de l’élec-tion présidentielle de 2013 en est un exemple concret.

1- Militants par choix ou pris en otage ?

« La presse nationale a-t-elle un quelconque pouvoir à Madagascar »103 ? se demande So-lofo Randrianja. « Certainement oui, dans sa capacité de nuisance », répond-il à lui-même, en rappelant que « Andry Rajoelina n’aurait jamais réussi son coup d’Etat sans l’inféo-dation de journalistes-militants payés pour animer le processus subversif »104. Très vite, cependant, il ajoute une réponse négative en martelant : « certainement non, si l’on consi-dère que la capacité des médias à influer po-sitivement sur la vie nationale est assez ré-duite »105. Cette situation est certainement due, comme le mentionne Ambroise Pierre, ancien secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF), dans un rapport d’enquête réalisé en 2010 sur le rôle des médias dans

Les impacts de la structure de la propriété des medias sur la couverture médiatique

101 A L’Express de Madagascar, certaines signatures se retrouvent aussi bien dans L’Express de Madagascar que dans Ao Raha et/ou dans L’Hebdo de Madagascar, et parfois même dans le magazine Business Mag. Les mêmes journalistes animent éga-lement les émissions audiovisuelles produites par le groupe. Tel a également été le cas des journalistes du groupe Procom (Mon journal, Sakamalaho, La Semaine). Les journalistes de MaTV écrivent également pour les publications écrites du groupe après avoir finalisé les travaux pour la télé. Pour les groupes disposant d’une radio et d’une télévision, on entend les mêmes voix sur les deux supports (Viva TV et Viva Radio, Kolo TV et Kolo FM, TV Plus et Radio Plus …). 102 Interviews de journalistes, de rédacteurs en chef et de direc-teurs de rédaction réalisées les 18, 22 et 25 juillet 2016.

103 Solofo RANDRIANJA, op.cit.104 Id.105 Id.

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la crise de 2009, « à la nature du paysage médiatique du pays – divers mais très politisé –, le manque de régulation, et le comporte-ment de certains journalistes confondant in-formation et propagande »106.

Dans son rapport, Ambroise Pierre remarque que « trop partisans, contraints de suivre la ligne politique de leur employeur, la plu-part des journalistes prennent parti pour un camp ». Il ne reproche pas pour autant aux journalistes leur militantisme. Pour lui, « les journalistes (sont) parfois militants, par choix, mais le plus souvent pris en otage ». Il met particulièrement en cause « le paysage mé-diatique malgache qui porte en lui les germes de ce journalisme militant, voire violent ». Il rappelle, alors, que « à Madagascar, en effet, les médias audiovisuels et les organes de presse appartiennent dans leur qua-si-totalité aux hommes politiques ou à de grandes puis-sances économiques, transfor-mant les journalistes en porte-voix d’intérêts particuliers »107.

Dans les rédactions les plus libérales, les pro-priétaires tiennent des réunions périodiques, plus ou moins régulières sans être systé-matiques, avec les responsables de rédac-tion pour leur transmettre les directives po-litiques108. Mais il arrive que des rédactions subissent la présence quotidienne du pro-priétaire ou de son représentant légal, même durant les conférences de rédaction. « Les textes politiques et économiques, et parfois certains textes sensibles des autres rubriques doivent absolument être envoyés au directeur général avant d’être envoyés au service de la PAO (publication assistée par ordinateur) pour la mise en page », confient même cer-tains journalistes de quelques rédactions109.

Mais même sans l’intervention des patrons, les journalistes, vivant dans un système où information et propagande se confondent, n’hésitent pas à tirer eux-mêmes profit de la situation, et en viennent à manipuler les informations. C’est ainsi que certains profes-sionnels des médias n’hésitent pas à accepter des postes de chargés de communication ou d’attachés de presse au sein de ministères, d’institutions publiques ou d’autres organisa-tions, gouvernementales ou non. D’autres, à défaut d’être « salariés » dans ces organismes intègrent les « pools » constitués par les ser-vices ou les agences de communication. Ils peuvent alors être payés plus ou moins ré-gulièrement, soit pour couvrir les activités de ces organisations, soit pour défendre l’image de ces organisations au sein de leurs organes de presse. Ils alternent alors les « services au patron » et leurs propres intérêts. D’ailleurs, tant que ces « intérêts personnels » des jour-nalistes ne sont pas contraires à leurs intérêts et à leur conviction, la plupart des patrons laissent faire dans la mesure où ces deuxièmes emplois leur permettent de ne pas augmen-ter les journalistes, ou de les sous-payer, voire de ne pas les payer du tout110. « Un patron de presse a laissé entendre au cours de l’en-tretien d’embauche qu’il m’a fait passer qu’il connaissait des moyens qui pouvaient me permettre de gagner beaucoup d’argent en étant journaliste sans qu’il ait à me payer plus que ce qu’il propose », témoigne un journa-liste111. D’autres journalistes de radio privée, et même de quotidien, affirment ne pas être payés, mais préfèrent continuer à travailler au sein de leurs organes de presse pour certains « avantages » que leur statut offre112.

110 Interniew d’un rédacteur en chef réalisée le 22 juillet.111 Interview d’un journaliste, réalisée le 22 juillet. 112 Selon les confidences, les journalistes des radios privées sont payés à moins de 100 000 ariary. Dans certains cas, ils ne sont pas du tout payés. Ils sont donc contraints de s’entendre avec les hommes politiques et les opérateurs économiques de leur localité pour faire passer certaines informations en échange d’une certaine somme d’argent. Par ailleurs, des journalistes de quotidiens de la capitale ont témoigné n’avoir pas perçu leur salaire pendant plusieurs mois, mais n’ont pas quitté leur rédaction, parce qu’ils arrivent quand même à s’en sortir grâce aux enveloppes et aux « felaka ».

106 PIERRE (Ambroise), Madagascar. Suspensions, saccages et désinformations : les médias au cœur de la crise, rapport d’en-quête, Reporters sans frontières, 2010, p.2 107 Ambroise PIERRE, Id., p.3108 Interview d’un rédacteur en chef réalisée le 22 juillet 2016.109 Interviews de journalistes réalisées les 18, 22 et 25 juillet 2016.

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La couverture de l’élection présidentielle de 2013 démontre clairement les dérives créées par la structure actuelle de la propriété des médias privés, et ses impacts sur le contenu des informations mises à la disposition du public. La couverture médiatique est, pour la plupart du temps, déséquilibrée, superfi-cielle, partiale et dramatisante.

2- Une couverture médiatique superfi-cielle, partiale et dramatisante

Les trois tendances dangereuses que peuvent engendrer une relation mal maîtrisée entre les politiciens et les médias sont biens pa-tentes dans le paysage médiatique de Ma-dagascar : le déplacement (fait de sacrifier l’information la plus sérieuse au profit de nouvelles plus triviales), la dilution (recours à des astuces rédactionnelles pour alléger les informations sérieuses) et la marginalisation (fait de reléguer au second plan les informa-tions les plus sérieuses)113. Par ailleurs, le ton hostile adopté dans le traitement de la vie politique s’avère préjudiciable pour le public. Les bavures et les scandales mettant en cause les politiciens, les divisions au sein de partis politiques sont l’occasion attendue pour des médias qui s’affrontent pour dénoncer ou descendre en flèche la réputation de l’adver-saire politique.

A travers son activité de monitoring allant du 10 au 30 juillet 2015, l’Unité Monitoring des Médias UMM/INCIPALS114 a dénombré 63 propos illégitimes sur 5 chaînes observées, 147 propos illégitimes sur 4 radios observées, 186 propos illégitimes sur 8 quotidiens obser-vés. Ces propos comprennent des appels à la violence de politiciens à l’encontre d’autres,

des stéréotypes sexistes contre des femmes politiques, et des propos diffamatoires de journalistes à l’égard de personnalités poli-tiques accusant ces derniers d’actes illicites : utilisation des biens publics à des fins per-sonnelles, organisation de troubles en vue de coup d’Etat, corruption, vente de biens domaniaux aux étrangers, exploitation clan-destine de bois de rose, fraudes et achat de voix dans le cadre des élections communales, dérives mafieuses et actes frauduleux.

Les journaux télévisés sont les émissions les plus perméables aux propos illégitimes qui sont les faits des journalistes à l’endroit d’ac-teurs politiques, entre acteurs politiques : « les journaux télévisés sont utilisés par certains politiciens agressifs comme des tribunes pour lancer des attaques contre leurs adversaires, et souvent en complicité avec des journalistes ».

A la radio, les propos illégitimes sont généra-lement proférés à l’encontre de personnalités politiques de la part d’auditeurs intervenant à l’antenne à travers les émissions interactives : « l’on observe une alliance discutable entre un journaliste souvent orienté et peu sensibi-lisé aux devoirs déontologiques et un public indiscipliné et parfois agressif ».

Dans la presse écrite, les articles d’opinion, les éditoriaux, les reportages et compte-ren-du recèlent également bon nombre de pro-pos illégitimes. Et l’UMM de relever qu’une telle situation dénote : « un débat politique belliqueux, des défaillances évidentes dans le respect du fair-play politique, un journalisme orienté et souvent agressif, une mauvaise dis-cipline dans la gestion des interventions des auditeurs ».

Les journalistes peuvent être auteurs des pro-pos illégitimes, se rendre complices en s’y ral-liant, en évitant d’émettre des avis contraires. Ils s’y opposent que très rarement, en gé-néral. Là où certains parlent de symbiose et de proximité, d’autres dénoncent la relation de connivence entre les acteurs politiques et les journalistes. Se disant « généraliste »,

113 Dennis KAVANAGH, Les politiciens face aux médias, Pou-voirs, Revue française d’études constitutionnelles et politiques, n°93 – Le Royaume-Uni de Tony Blair, p. 173, consulté le 2016-07-18, URL : http.www.revue-pouvoirs-fr/Les-politi-ciens-face-aux-médias.html- 114 Rapport de monitoring. Propos illégitimes, stéréotypes sexistes et Couverture des foyers de tension 10 au 30 juillet 2015 de l’Unité de Monitoring des Médias (UMM), projet Initiative Citoyenne pour la Consolidation de la Paix, Leadership et Stabilité (INCIPALS), Antananarivo, 2015.

Les impacts de la structure de la propriété des medias sur la couverture médiatique

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« d’information » ou encore « d’analyse », les médias privés finissent par s’apparenter à des médias d’opinion rattachés à différents partis politiques, si ce n’est déjà pas le cas.

Dans ses travaux, l’UMM relève que le pou-voir public en place et la classe politique diri-geante sont, la plupart du temps, les princi-pales cibles des discours offensant de la part des médias privés de manière à renvoyer au public une image négative et controversée : « Les stations n’accordent pas de considéra-tions positives au gouvernement ». Parfois, la stratégie inverse est adoptée : dans leur offensive contre le pouvoir en place, les mé-dias de l’opposition délaissent les propos illé-gitimes en ne lui accordant qu’une visibilité très discrète. Bien qu’il faille reconnaitre aux médias privés de privilégier la pluralité d’opi-nions, les informations sont soumises à une sorte de filtrage arbitraire des informations à diffuser, à une marginalisation de certaines sources d’informations pouvant pourtant être exploitées pour une pluralité de vues. Dans les salles de rédaction, les informations sont ainsi sélectionnées.

Les débats politiques au sein des médias privés sont généralement polarisés et agres-sifs. Les journalistes en viennent à soutenir des propos illégitimes ou en profèrent eux-mêmes ouvertement. C’est dans le cadre des périodes pré-électorales et surtout post-électorales que les propos illégitimes font rage au niveau des médias alors que ceux-ci sont sensés jouer un rôle de surveil-lance et de garant de la transparence du processus afin que les électeurs aient accès à une information adéquate pour faire un choix éclairé. Les paroles diffamatoires les plus fréquentes ciblent les candidats poli-ticiens adversaires des candidats auxquels se rallient chacun des médias concernés ou pointant du doigt les partis au pouvoir pour dénoncer des fraudes électorales.

Les questions sensibles, notamment les ten-sions économiques et sociales sont les plus couvertes par les médias privés. Pour re-

prendre l’UMM, la propension des médias à rassurer le public et à renforcer la confiance dans l’issue positive des différents conflits sociaux, politiques ou économiques qu’ils couvrent reste faible. L’approche apaisante est peu courante. Les grands titres proposés sont le plus souvent déterminants pour se-mer le trouble, voire pour susciter une psy-chose. Autant les médias privés accordent plus de place « à ceux qu’ils combattent », autant les médias publics se réduisent au si-lence en ne faisant quasiment pas la cou-verture des foyers de tension et en évitant autant que possible de traiter les questions sensibles dans leurs programmes d’infor-mation, signe que les médias nationaux se veulent être rassurants, mais montre aussi qu’ils restent sous l’emprise du pouvoir en place.

Nombre de journalistes essaient tant bien que mal de maintenir le ton de l’impartialité, voulant ainsi aborder le sujet d’une manière neutre. Mais des dérapages, glissements et partis pris subsistent, et il arrive que certains journalistes versent dans des jugements tranchants, ou cèdent à des attitudes agres-sives et partiales, et finissent par s’impliquer directement dans des conflits, ou par ali-menter eux-mêmes des tensions. Il semble ainsi que les journalistes soient manipulés ou manipulateurs pour que les informations diffusées penchent en faveur de l’acteur po-litique soutenu.

L’UMM relève que l’approche courante de couverture reste généralement très descrip-tive, parfois sans approfondissement. Les su-jets sont abordés de manière superficielle et expéditive. Les informations s’avèrent ainsi incomplètes. De ce fait, les articles perdent de leur qualité.

L’attitude des journalistes, comme le réitère l’UMM dans son rapport de monitoring dé-montre que les médias témoignent « d’un lien entre un journalisme peu attentif aux res-ponsabilités des professionnels des médias, une classe politique qui tend vers un discours

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33Les impacts de la structure de la propriété

des medias sur la couverture médiatique

115 Rapport de monitoring. Propos illégitimes, stéréotypes sexistes et Couverture des foyers de tension 03 au 31 juillet 2015 de l’Unité de Monitoring des Médias (UMM), projet Initiative Citoyenne pour la Consolidation de la Paix, Leadership et Stabilité (INCIPALS), Antananarivo, 2015.

agressif et belliqueux et un public indiscipli-né ». La presse, souligne l’UMM, fait preuve d’un type de journalisme particulièrement agressif et provocateur115.

Au final, ces torsions, manipulations, censures de l’information favorisées par la relation débordante entre politiciens et journalistes-portent atteinte au pluralisme des médias qui doit pourtant constituer une condition essen-tielle de la démocratie. Il est regrettable que le public se laisse manipuler face à un tel ma-traquage médiatique. La partie suivante for-mule quelques pistes de recommandations pour réguler le processus de concentration des médias et pour réduire l’influence des propriétaires sur les contenus de ceux-ci.

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Partie V – Recommandations

Le diagnostic sur l’état actuel de la propriété des médias à Madagascar rend nécessaire que l’on réfléchisse davantage sur la réglementa-tion de la propriété des médiasafin d’assurer l’équilibre d’un paysage médiatique pluraliste, et surtout pour préserver le pluralisme et la diversité de l’information, ainsi que l’indépen-dance du journaliste.

Les recommandations suivantes, formulées à partir des suggestions émanant des différents acteurs interrogés dans le cadre de cette étude, et issues des expériences professionnelles des auteurs, concernent alors les journalistes, les propriétaires des médias, et la société, de ma-nière à permettre au public d’exercer pleine-ment son droit à l’information :

- Permettre aux journalistes d’assurer leur auto-nomie

Inciter les journalistes à manifester en toute liberté leur indépendance et à af-firmer consciencieusement leur éthique professionnelle en se prévalant de la clause de conscience lorsque la ten-dance du journal se trouve en désaccord avec sa ligne de pensée ou éthique per-sonnelle. A Madagascar, aussi bien l’an-cienne loi sur la communication que le nouveau code de la communication per-met le recours du journaliste à la clause de conscience pour se protéger d’un pa-tron qui serait plus ou moins envahissant. L’article 60 du nouveau Code de la com-munication rappelle que, « en vertu de la clause de conscience, le journaliste ne peut être contraint d’accomplir un acte

professionnel ou d’exprimer une opinion qui serait contraire à sa conviction, son honneur, sa réputation ou ses intérêts moraux ». La clause de conscience per-met alors au journaliste, ainsi que l’in-dique l’article 60 du code, « de rompre son contrat sans respecter le préavis en cas de (…) changement d’orientation ou de la ligne éditoriale du journal (…) si ce changement crée pour le journaliste une situation de nature à porter atteinte à son honneur, à sa réputation, à sa conscience ou d’une manière générale à ses intérêts moraux ». Par ailleurs, l’article 67 de ce code permet au journaliste de « s’abste-nir d’effectuer tout acte professionnel et en particulier d’exprimer son opinion qui soit contraire aux règles d’éthique et de déontologie » et de n’encourir « aucune sanction du fait de son refus ».

Encourager l’autorégulation des mé-dias :

Adopter au sein des médias des codes de conduite, issus d’un processus col-lectif de réflexion et de rédaction et qui tiennent compte des exigences du mé-tier. Les entreprises de presse pourront, par exemple, se doter d’un code de conduite pour la couverture électorale qui s’inspirerait des différents codes de conduite existants, pour ne citer que ce-lui de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) ou de la Fédération Internatio-nales des Journalistes (FIJ) énonçant des

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principes dont, entres autres, l’exacti-tude, l’impartialité, l’honnêteté et la ré-sistance à la corruption, l’exclusion de tout langage ou sentiment qui incite à la violence ou à la discrimination, la rectification en cas d’erreur factuelle de reportage. Les journalistes malgaches avaient adhéré à un code de conduite avant les élections de sortie de crise en 2013, mais l’élaboration de celui-ci n’ayant impliqué que les bénéficiaires des formations dispensées par l’OIF, beaucoup de ces dispositions sont res-tées lettre morte. L’idéal est d’impliquer personnellement les journalistes dans le processus de réflexion et engager les démarches au niveau de chaque entre-prise et non de manière globale ;

Mettre en place un comité chargé du suivi de la mise en œuvre des disposi-tions des codes de conduites adoptés à l’interne. Actuellement, seul L’Express de Madagascar SA s’est doté d’un code de déontologie qui lui est propre. Mais l’entreprise ne dispose pas d’un comité de suivi qui lui permet d’évaluer la mise en œuvre de son code de conduite.

Mettre en place et rendre effectif au sein de l’Ordre des journalistes :

– Un observatoire indépendant des médias qui sera chargé de faire une évaluation quotidienne du travail des journalistes et des pu-blications, de faire des réflexions sur la profession et d’élaborer des recommandations à adresser à l’Ordre des journalistes ;

– Un système de sanctions positives et négatives émanant de l’Ordre des journalistes116 ;

– Le Conseil de discipline qui, selon le Code de la communication est appelé à siéger « pour connaître des manquements aux règles d’éthique et de déontologie du journaliste dans l’exercice de ses fonctions », et ainsi de prononcer les sanctions qui peuvent aller de l’avertissement à la radiation, en passant par le blâme et l’interdic-tion temporaire d’exercer la pro-fession117.

Initier les journalistes à la couverture médiatique des événements liés à la vie publique, telle que la couverture électorale (périodes de pré-campagne, campagne, pré-électorale, électorale, post-électorale), les débats liés au pro-cessus d’élaboration des lois et des poli-tiques publiques, mais aussi les initiatives citoyennes proposant des solutions aux problématiques de la société. Cela per-mettrait d’asseoir la crédibilité des jour-nalistes dans leur rôle de surveillance et de garantie de la transparence du pro-cessus d’une part, et d’autre part, pour préserver le droit du public à une infor-mation adéquate.

- Mettre en place une réglementation claire de manière à réduire les risques relatifs à la concen-tration des médias :

Mettre en place un organe de régulation indépendant et doté de suffisamment d’autorité pour réguler de manière indé-pendante et non partisane le secteur de la communication médiatisée. La loi sur la communication de 1990 avait prévu le Haut conseil de l’audio-visuel (HCA) mais celui-ci n’a jamais vu le jour, lais-sant de manière « provisoirement défi-nitive » la commission spéciale pour la communication audiovisuelle (CSCA), présidée par le ministre chargé de la Communication, assumer de manière ar-

116 Le Code de la communication médiatisée prévoit une batte-rie de sanctions pour les journalistes qui manqueraient au code d’éthique et de la déontologie, mais l’Ordre des journalistes ga-gnerait aussi à mettre en place et à institutionnaliser un système de sanctions positives, telles que des récompenses pour motiver et promouvoir les bonnes pratiques professionnelles.

117 Art.59 de la loi 2016-029 portant Code de la communication médiatisée.

Recommandations

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bitraire les tâches censées être conduites par un organe indépendant. Le nouveau code de la communication médiatisée prévoit la mise en place d’une Autori-té de régulation de la communication médiatisée (ANRCM) pour assurer la ré-gulation. Les textes d’application dudit code sur l’ANRCM doivent être adoptés de manière à ce que l’Autorité soit mise en place dans les meilleurs délais, et de manière à ce que sa composition soit la plus indépendante possible des autori-tés publiques. Il faut également s’assurer que l’ANRCM dispose de suffisamment d’autorité pour assurer cette régulation et laisser au ministère un rôle essentiel-lement de facilitateur118. C’est ainsi qu’il conviendrait d’amender certains articles du nouveau Code de la communication qui attribuent au ministère un certain nombre de pouvoirs qui devrait pour-tant relever de l’autorité de régulation, comme par exemple, celui de prononcer les sanctions administratives, telle que la fermeture d’une entreprise de presse (ar-ticle 44 du code de la communication) ;

Mettre en place une règlementation cohérente sur la propriété des médias de manière à promouvoir la transparence dans les différentes transactions liées à la fusion ou à l’acquisition d’entreprises de presse ;

Rassembler dans un seul et même cor-pus la règlementation de la concentra-tion dans les médias ;

Mettre à jour les cahiers de charges des entreprises audiovisuelles privées, compte tenu de l’évolution du paysage médiatique à Madagascar et de manière à baliser les effets néfastes d’un niveau élevé de concentration ;

Redéfinir le statut des patrons de presse de manière à interdire définiti-vement les prête-noms. L’article 84 du nouveau Code de la communication mé-diatisée interdit le prête-nom au profit d’une entreprise privée de communica-tion, mais le texte gagnerait à clarifier le statut des patrons de presse pour que cela puisse être une réalité ;

Réduire les possibilités d’immixtion des patrons de presse, notamment ceux qui détiennent la majorité du capital, dans les rédactions, ainsi, éviter autant que possible qu’ils n’aient une quelconque responsabilité éditoriale dans les pu-blications comme le prévoit l’article 85 du nouveau code de la communication médiatisée. Ainsi, dès lors que le patron, c’est-à-dire le propriétaire ou l’action-naire majoritaire, n’est pas directement impliqué dans la gestion quotidienne de l’entreprise de presse, il convient de s’as-surer que le poste de directeur de publi-cation soit confié au représentant légal de l’entreprise, notamment son gérant ou son directeur général119.

- Faire en sorte que la transparence des entre-prises de presse prévue dans le nouveau code de

118 Dans sa décision en date du 12 août relative à la loi n°2016-029 portant code de la communication médiatisée, la Haute cour constitutionnelle invite le législateur à intégrer dans le code de la communication les dispositions mentionnant les garanties d’indépendance de l’ANRCM, et non dans des décrets d’ap-plication. La HCC estime que « l’indépendance d’une autorité administrative indépendante est la situation d’un organe public auquel son statut assure la possibilité de prendre des mesures en toute liberté et à l’abri de toutes instructions et pressions ; que cette indépendance implique l’absence d’un pouvoir hiérarchique et d’un pouvoir de tutelle sur l’institution qui ne reçoit ni ordre ni instruction de la part du gouvernement ; que l’ANRCM doit êtreà la fois indépendante du pouvoir politique et des acteurs du secteur de la communication médiatisée ; qu’en

tant que protecteur des libertés publiques dans son domaine, l’ANRCM doit disposer d’une indépendance marquée ».119 Dans un souci de mieux responsabiliser les patrons de presse, le législateur a proposé que le directeur de publica-tion d’un organe de presse soit le propriétaire ou l’actionnaire majori-taire de l’entreprise de presse. Cette disposi-tion a soulevé un tollé aussi bien au niveau du Groupement des entreprises de presse d’information et multimé-dias de Madagascar (Gepimm) regroupant les patrons des principaux organes de presse, qu’au niveau des jour-nalistes. Le premier avait dénoncé une entrave à la liberté d’entreprendre, tandis que les seconds y voient une légalisation de l’immixtion des hommes politiques dans les ré-dactions. Pour réduire cette influence, le législateur a finalement adopté que « le directeur de publication doit être le propriétaire, ou l’actionnaire majoritaire ou le représentant légal ».

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la communication soit une réalité :

S’assurer que soit effectivement appli-qué le nouveau Code de la communica-tion médiatisée qui, dans son article 102, promeut la transparence en exigeant que dans chaque exemplaire publié soient mentionnés : les nom et prénom du propriétaire et du copropriétaire de l’en-treprise de presse, la dénomination ou la raison sociale, le siège social, la forme juridique et le nom du représentant légal de l’entreprise d’édition, les noms du di-recteur de publication et du codirecteur de publication, le nom du responsable de la rédaction, le tirage par numéro, la date de l’édition et le millésime, le nu-méro du dépôt légal de l’imprimeur et le numéro du dépôt légal de l’éditeur. Tout défaut de mention de ces inscrip-tions est passible d’amende. Amender l’article 83 dudit Code qui prévoit que lorsqu’une entreprise de presse est do-tée de la personnalité morale, l’enregis-trement auprès des autorités est exempt de la mention des noms des actionnaires de ladite société. Il est important que ces noms soient mentionnés dans les divers registres pour assurer la transparence de la propriété ;

Mettre en place au niveau des ministères concernés et des organes de contrôle spécialement créés à cet effet, un sys-tème de base de données complètes, fiables et régulièrement mises à jour sur toutes les données liées à chacune des entreprises de presse : statut, compo-sition des organes de direction, capital social, mouvement des parts et actions, conflits d’intérêts, incompatibilité, acqui-sition, fusion, création des entreprises ;

Mettre à jour, faire le suivi et mettre en cohérence les données des entreprises enregistrées dans le Registre Nationale du Commerce et des Sociétés (RCS) ;

Mettre à jour les données enregistrées

au niveau du service du ministère de l’in-térieur en charge du dépôt légal ;

Permettre la mise à jour de la liste of-ficielle des médias opérant à Mada-gascar et faciliter l’accès de tous à ces informations ;

Permettre aux organes de régulation d’exercer efficacement leur mission de contrôle de l’impact de l’évolution de l’autorisation d’exploitation, en termes de pluralisme, de diversité et de concur-rence

- Faciliter l’accès de la presse à l’information :

à travers l’adoption d’une loi contrai-gnante sur la transparence et/ou sur l’accès à l’information public et les do-cuments administratifs dans les meilleurs délais. Le Code la communication mé-diatisée n’en fait pourtant pas mention, se contentant d’indiquer dans son article 7 que « les conditions, les modalités, et les procédures relatives à l’accès aux do-cuments administratifs des organismes publics seront définies par un texte spé-cifique » ;

- Mettre en place un système d’aides directes et indirectes aux medias :

les articles 116 et suivants du nouveau Code de la communication médiatisée rappelle que « les entreprises de presse bénéficient des droits et avantages pré-vus par les traités et conventions dûment ratifiés par Madagascar ». Dans la pra-tique, pourtant, ces droits et avantages déjà prévus par l’ancienne loi sur la Communication sont rarement mis en œuvre ;

- Mettre le public dans la capacité d’exercer son droit à l’information

à travers la mise en place d’un système d’éducation aux médias dès les classes primaires.

Recommandations

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Aujourd’hui, les propriétaires des médias sont de plus en plus influents. Hommes politiques ou hommes d’affaires, ils ont justement ac-quis des organes de presse pour mieux asseoir leur influence dans le milieu politique et dans le monde économique. Sous leur direction, un journalisme dit « militant », « de déférence » et « de révérence » émerge clairement et se décline sous la forme de la dramatisation des informations pour mieux vendre, la mise en va-leur, dans les informations diffusées, des pro-priétaires ou des leaders politiques auxquels les propriétaires se rallient, le tri des sources ou des personnes ressources à interviewer ou des évè-nements à couvrir et à diffuser, et enfin, l’au-tocensure du journaliste dans le but de tenter de plaire au patron ou à une frange du public.

La structure actuelle des propriétés des médias à Madagascar va au-delà de la simple concen-tration. L’intégration multisectorielle ou le conglomérat se développe à travers les coo-pérations et alliances entre groupes de médias dans des domaines précis. Les groupes les plus puissants tentent de couvrir tous les champs de la communication et se trouvent impliqués dans d’autres activités connexes de la vie indus-trielle ou commerciale. Le paysage médiatique du pays est dominé par la présence de grands groupes qui ne cessent d’accroitre leur puis-sance. Les alliances entre les grands groupes se

multiplient. Les petites structures isolées n’ont plus leur place, fonctionnent tant bien que mal avant d’être happées dans le cadre de transac-tion de rachat par les groupes les plus impor-tants.

Dans cette relation ambiguë entre les médias et le politique, dans cet « enchevêtrement politi-co-médiatique », les besoins sociaux sont mis de côté, l’intérêt du public est occulté. En réalité, le public se voit amputé de son droit à une in-formation diversifiée et fiable. Or, la diversité ne devrait pas uniquement signifier « plus de choix et plus de canaux pour les auditoires » car la multiplication des canaux n’implique pas forcé-ment une diversification des contenus, surtout en présence d’une concentration de proprié-té120. Elle devrait impliquer l’idée de « reflet », c’est-à-dire la nécessaire représentation par les médias de l’ensemble des voix et points de vue existant dans la société. La diversité devrait par ailleurs supposer une idée « d’accès », d’ouver-ture des médias aux différents groupes d’opi-nions et d’intérêts121. Le fait est qu’il semble qu’autant les médias sont cantonnés dans leur mission de fournisseur d’information réduite à

CONCLUSION

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120 Cf. Patrick J. BRUNET, Martin DAVID-BLAIS (Dir.), Valeurs et éthique dans les médias : approches internationales, Ethique et philosophie de la communication, Les Presses de l’Université Laval, 2004, p.120 et s121 Ibidem.

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sa valeur marchande, autant le public est réduit à l’état de simple consommateur qui ne dispose pas de choix face à l’uniformisation des infor-mations et perd ainsi de son statut de citoyen participant librement à la prise de décision ou à la gestion des affaires publiques. Ainsi, il ne peut pas participer correctement au débat pu-blic. Or, les médias sont censés représenter les opinions, assurer la circulation des opinions, celles de la population auprès du pouvoir en place122 ; la représentation étant un élément es-sentiel en Démocratie.

Dans leur quête à la fois de rentabilité immé-diate et d’influence, les médias semblent ne plus suffisamment représenter les opinions. Les politiciens, notamment lorsqu’ils sont proprié-taires d’entreprises de presse, se réservent le pri-vilège d’accaparer l’audience. Les journalistes, quant à eux, cessent d’être le « porte-voix » de la population s’ils ne sont pas déjà eux aussi pri-vés de parole parce qu’ils se trouvent obligés de s’auto-censurer. Dans la presse, certains points de vue sont alors plus favorisés que d’autres. Les personnes qui accèdent à l’antenne sont prises en otage dans les débats hostiles, dé-nués de scientificité, opposant généralement deux adversaires politiques. Les débats ne sont ni libres ni ouverts car préalablement orientés. Le public n’a droit qu’à une couverture très restreinte et sélective des affaires publiques et des débats politiques. Les sujets d’intérêt public sont insuffisamment traités dès lors qu’ils ne sont pas en même temps l’occasion de critiquer ou de descendre en flèche la réputation d’une personnalité. On assiste dans ce cas, comme le souligne D. Bougnoux, à une privatisation ac-crue de l’information .

Le « traitement superficiel des informations »124 et la difficulté des médias à rendre objective-

ment compte des diverses tendances dans la société ne permettent pas au public d’avoir des cadres d’interprétation suffisante des informa-tions qu’il reçoit. La décentralisation des médias au niveau des régions et la multiplication des entreprises de presse ne semble pas avoir les effets de pluralisme escomptés. Le pluralisme a sans doute progressé mais il est loin d’être effectif. Pour reprendre Martin-Lagardette, « l’abondance quantitative des programmes ne satisfait pas l’exigence de pluralisme sur le plan qualitatif »125. Il semble ainsi que l’information cesse d’être un bien public ; l’intérêt du public n’étant plus pris en compte.

Ainsi, les médias sont devenus un enjeu pour vendre en montrant le tragique d’un fait. Les médias ne sont plus de simples miroirs posés pour visualiser un fait. Ils deviennent des ac-teurs à part entière des informations qu’ils diffusent. La part d’objectivité des journalistes s’amenuisent en conséquence. Il n’est pas rare que ce soit l’adversité qui prévaut au sein du corps. En effet, les passions versent parfois les journalistes voire les groupes dans l’incompré-hension mutuelle de sorte que l’on assiste à des collisions entre journalistes, entre groupes de presse, entre des groupes et des politiques, donnant lieu à des caviardages et toutes sortes de censures bien ressentis au sein de la société. La presse de qualité se raréfie et se trouve ainsi en danger faisant place à un journalisme avili et traité de tous les noms. Faut-il dès lors s’éton-ner que des journalistes, notamment ceux qui travaillent pour les organes de presse proches du pouvoir, en viennent à encenser publique-ment un Code de la communication médiati-sée comportant des dispositions clairement li-berticides et entravant l’exercice normal de leur profession, dans le seul but de s’aligner sur la position de leur patron ?126

122 Daniel BOUGNOUX, Médias et Démocratie. La fonction des médias dans la démocratie, Information, médias et internet, Cahiers français n°338, p.7 123 Médias et Démocratie. La fonction des médias dans la démo-cratie, Information, médias et internet, Cahiers français n°338, p.3124 Cette remarque est faite de manière récurrente par l’UMM/INCIPALS dans son rapport de monitoring des médias mal-gaches.

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125 Jean-Luc MARTIN-LAGARDETTE, Audiovisuel : l’intérêt du public insuffisamment pris en compte par les médias, Le temps des citoyens, 09/02/12, http://www.ouvertures.net/audiovisuel-l%C2%B4interet-du-public-insuffisam-ment-pris-en-compte-par-les-medias/126 Des journalistes travaillant pour les organes de presse proches du pouvoir se sont constitués en une plateforme pour défendre le Code de la communication médiatisée dont l’adoption a

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Des résultats de recherches ont, par ailleurs, pu démontrer que l’attitude négative des médias et leur tendance à couvrir la politique comme un jeu dont l’objectif est de débus-quer les politiciens contribuent au déclin du respect pour le gouvernement et le sys-tème politique, et que cela peut alors rendre la tâche du gouvernement encore plus dif-ficile, le public étant encouragé à être plus cynique127. Le danger est alors réel pour la démocratie parce que le public se forge une opinion sur des faits biaisés dès le départ. Est-ce le cas à Madagascar ? Il faut dire que dans un pays où les journaux sont complaisants, la tendance à la malveillance n’est jamais loin. Des journalistes partisans et dépendants n’hésitent pas à user des propos illégitimes pour s’en prendre à ceux qui, adversaires po-litiques de leur patron, deviennent quasiment les leurs.

Peut-on alors dire que les autorités, pour pou-voir travailler en toute sérénité, ont raison de vouloir limiter à sa plus simple expression la liberté de presse ? Mais la répression est-elle la solution adéquate pour ramener les journa-listes sur le droit chemin ? En outre, obliger les propriétaires des médias à s’immiscer dans le quotidien des publications en en devenant le directeur de publication ne risque-t-il pas de légitimer davantage leurs interventions intem-pestives dans les rédactions ? Cela permet-trait, certes, la responsabilisation des patrons de presse, mais cela ne risque-t-il pas non plus d’augmenter encore plus leur influence sur le contenu des journaux ? La solution n’est-elle pas aujourd’hui d’encourager la presse à faire preuve de plus de transparence comme elle en exige souvent de la part des autorités ?

été contestée par une grande partie de la corporation. Ils ont défendu le choix des autorités de faire passer un texte dont le contenu a pourtant fait l’objet d’une vive contestation de la part de la plupart des organes de presse.127 Dennis KAVANAGH, Les politiciens face aux médias, Pou-voirs, Revue française d’études constitutionnelles et politiques, n°93 – Le Royaume-Uni de Tony Blair, p. 173, consulté le 2016-07-18, URL : http.www.revue-pouvoirs-fr/Les-politi-ciens-face-aux-médias.html-

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ANNEXE I

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ANNEXE II

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