Les Hamshens Histoire, Culture et...

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Les Hamshens Histoire, Culture et identité Un travail de Sebastian Jupille et Meryem Emek Paris, INALCO – L2 « Communication interculturelle » 2010 – 2011

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Les Hamshens

Histoire, Culture et identité

Un travail de Sebastian Jupille et Meryem Emek

Paris, INALCO – L2 « Communication interculturelle » 2010 – 2011

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Sommaire

Notes des auteurs...................................................................................3

Présentation générale............................................................................4

contexte géographique......................................................................4 origines...............................................................................................5 Langues...................................................................................................8

Valeurs et traditions...............................................................................9 caractère............................................................................................9 mode de vie........................................................................................9

Traditions................................................................................................11 activités................................................................................................11 savoir-faire...........................................................................................11 architecture.........................................................................................12

Religion....................................................................................................13

Arts..........................................................................................................15 danse.....................................................................................................15 musique................................................................................................15 costumes................................................................................................17 littérature..............................................................................................17 gastronomie...........................................................................................18

Identité et débats.......................................................................................19 identité....................................................................................................19 débats......................................................................................................21

Conclusion..................................................................................................22

Bibliographie..............................................................................................23

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Notes des auteurs

Pour cette expertise culturelle, nous avons choisi de nous intéresser à une des minorités de Turquie présente dans la région de Karadeniz, région de la mer Noire: les Hamshens.Alors pourquoi ce choix? Pour deux raisons, la première est que cette communauté venue du sud-est turc, en dessous du lac de Van, est établie dans les montagnes de la chaine Pontique depuis le VIIIè siècle et que depuis cette période, grâce à un contexte géographique singulier ( installée dans une région montagneuse, très difficile d'accès et aux conditions climatiques rudes ) et à un caractère fort, les Hamshens ont su préserver leur identité au fil des siècles. Un événement majeur, la conversion en grande partie forcée de sa population chrétienne à l'islam à partir de la fin du XVIIè siècle viendra modifier cette identité, sans toutefois l'annihiler ou la fondre dans l'identité turque dominante. Les persécutions financières et religieuses viendront disperser cette communauté et verra apparaitre pour une même ethnie, trois groupes qui revendiqueront leur identité de manière très différentes. De plus au contact d'une autre communauté, celle des Lazes, les Hamshens subiront inconsciemment également un phénomène d'acculturation qui conduira aujourd'hui à une identité propre à la communauté Hamshen, singulière et originale,au particularisme culturel fort, et très démarquée de son ethnie de départ: les arméniens. C'est exactement ce qui nous sembler très intéressant, d'analyser cette communauté dont les expressions culturelles et identitaires sont complexes et d'une richesse étonnante, de par les contacts qu'elle a pu avoir et qu'elle a encore avec ses voisins directs, par les réminiscences d'un passé chrétien dont certains éléments subsistent encore aujourd'hui, et le rapport conflictuel que les hamshens ont avec leurs origines. C'est tout cela qui nous séduit et qui vous séduiront également.... Entrons ensemble au coeur des montagnes des « Alpes pontiques » face à la mer Noire pour un voyage à la découverte de cette communauté méconnue, même des turcs eux-mêmes mais tellement singulière et originale...

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Présentation générale

Contexte géographique

Longeant les côtes turques de la mer Noire, entre les villes de Pazar et Ardeşen, à l'intérieur des terres se trouve un complexe de vallées sur le versant Nord du mont Kaçkar, dans ce qu'on apelle les Alpes pontique, à la végétation luxuriante et très riche, aux collines couvertes de plantations de thé et de forêts profondes, traversé par le fleuve Fırtına et ses affluents, dont la multtudes de cascades à travers tout le haut-plateau rythme la région aux sons des jaillissements des eaux. Ces paysages sont jalonnés de fermes, de yayla (petites maisons traditionnelles en pierre) et de chalets de bois. La richesse et la variété de la flore est en grande partie due au climat très humide ( il pleut plus de 250 jours par an, ce qui en fait la région la plus humide de Turquie) et tropical. Le pont dit « ottoman » construit au XIXè siècle qui enjambe le Fırtına constitue le point de départ, l'entrée de cette région montagneuse, très difficile d'accès à cause de sa topographie, ses côtes abruptes et de l'épais brouillard permanent, appelée région de Hemşin. Elle est appelée ainsi du nom même des habitants qui la peuplent, les Hamshens ou Hemşinli en turc. La région fait partie de la province de Rize, d'une étendue totale de 3.920 km2 et se compose d'une série de vallées autour du massif de Kaçkar. Elle constitue la partie la plus élevée de la chaine des Alpes Pontiques dont les hauts plateaux sont situés à 3.000 mètres d'altitude et le sommet le plus haut, le mont Kaçkar ( qui tient son nom de l'arménien « Khatchkar » signifiant « croix de pierre ») culmine à 3.937 mètres. Les villages principaux sont Ayder et ses thermes minéraux, la vallée de Fırtına le coeur historique de la région, classée au Patrimoine Mondial, Kalı i Bala, Zilkale et Camlıhemşin. Aujourd'hui la région de Hemşin attire un éco-tourisme fait de trekking et randonnées. Voici un petit diaporama en musique de camlıhemşin et ses alentours. Mais ces hamshens qui ont donné leur nom à la région, qui sont-ils et d'où viennent-ils?

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Origines

Les hamshens sont une des trois minorités présentes dans cette région de la mer Noire, avec les lazes et les grecs pontiques, trois minorités à l'identité culturelle forte et établies là depuis plus d'un millénaire. Les hamshens sont ethniquement d'origine arménienne et chrétienne.

Selon l'historiographe arménien Ghevond, en 790 le prince d'une des plus grandes familles de la noblesse arménienne, les Amaduni dont l'ancêtre Vahan Amaduni fut le premier Ministre du roi Terdat qui convertit l'Arménie au christianisme au IVè siècle, quitta les montagnes du Vaspurakan accompagné de son fils Hamam et de 12.000 hommes fuyant les persécutions financières et les tentatives de conversion forcée par les Arabes qui dominaient alors la région et vint s'installer au Nord sur les pentes septentrionales de Alpes pontiques, alors dans l'empire byzantin et entourés de lazes, une tribu de montagnards venue d'Adjarie et de pontiques grecs, tous chrétiens. Alors que les lazes sont installés le long de la mer Noire et dans les collines avoisinantes, les arméniens viennent s'établir dans les hauts plateaux. Hamam Amadouni fonde sur les ruines du fort de Tambur la ville de Hamamašen ( littéralement « la ville de Hamam » en arménien), devenu au fil des siècles Hamshen ou Hemşin en turc. Du VIIIè au XVè siècle on ne sait que peu de choses à part que cette communauté a adopté le même mode de vie que ses voisins lazes, leurs princes portaient le nom « derebey » (« seigneurs des vallées ») et placés sous l'autorité d'un « voivod » qui changeait selon la domination de l'époque: byzantine, seldjoukide, georgienne puis ottomane. Les documents historiographiques du XVè siècle rapporte que la principauté était sous l'autorité d'un seigneur musulman d'Ispir avant l'arrivée des ottomans en 1489, qui devient alors un district de l'empire, noté Hemşin et soumis dès le XVIè siècle au devchirmé.

Jusqu'en 1620, la région du Hamshen reste majoritairement chrétienne et c'est une vingtaine d'années après que commence la conversion à l'islam des populations du Pontique, coincidant avec l'affaiblissement de l'Empire Ottoman à cette période. Les premiers à être convertis sont les grecs pontiques et les lazes, présents sur les côtes. Si les turcs ont plus de facilité à convertir les Lazes, l'accès difficile et la résistance de la population locale ralentit considérablement les conversions des Hamshens, surtout dans les hauteurs car dans le bas des vallées, dans les villages hamshens voisins des lazes, la convertion à l'islam est plus facile, plus protégés par le diocèse arménien alors en fort déclin. La conversion est d'abord surtout motivée par une question financière. Les hamshens devant payer à présent seuls les tributs au Sultan et qui devenaient de plus en plus lourds, choisissent de se convertir. Dans les hauteurs les conversions sont plus difficile car les turcs affrontent la résistance des chrétiens. Dans un contexte d'intolérance religieuse, les conversions deviennent forcées, où les turcs laissent le choix entre se convertir à l'islam ou quitter les lieux. Beaucoup refusent de se convertir et de quitter les lieux et sont alors tués avec beaucoup de violences. S'en suit les premières vagues d'émigration, certains hamshens partent vers Trabzon et l'ouest pontique tandis que d'autres

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prennent la direction de l'est, vers Ispir ou la région de Artvin et Hopa, aux alentours de 1780. Les documents ottomans attestent qu'au début du XIXè siècle une très grande majorité des Hamshens sont musulmans sunnites.

Pont dit « ottoman » qui enjambe la Fırtına.

La conversion à l'islam crée de nouvelles donnes et si dans la communauté hamshen on trouve encore au XIXè siècle des chrétiens, on trouve aussi des musulmans et ce qu'on a appelé des « keskes » (« moitié-moitié » en arménien), des arméniens qui se convertissent à l'islam mais qui continuent à pratiquer en secret leur foi chrétienne, baptiser leurs enfants et célébrer les fêtes chrétiennes. En 1870, on recense 23 familles chrétiennes pour 1561 familles musulmanes. Mais les pressions des autorités locales et les nouvelles opportunités de progrès socio-économiques dans la société ottomane conduisent à une perte progressive de la langue arménienne au profit de la langue turque., néanmoins l'arménien influence le type de turc parlé dans sa structure grammaticale, son vocabulaire et l'accent, qui font que les Hamshens parviennent à conserver leur identité propre. Durant cette période, les hamshens vont fournir de très nombreux hauts fonctionnaires de l'empire, des membres du clergé musulman, des hommes politiques et de grandes personnalités militaires. Les hamshens sont très bien intégrés dans le système impérial ottoman et la langue turque devient inévitablement la langue véhiculaire, la langue communication dans la société et au sein même de la communauté. L'autre nouvelle donne issue de l'islamisation des hamshens, c'est la séparation en deux groupes distincts de la communauté, par la langue mais aussi par la culture et par la distance géographique avec d'un côté ceux restés dans la vallée de la Fırtına et qui désormais parle turc et de l'autre côté ceux de Hopa et les environs qui ont gardé la langue arménienne. Avec la guerre russo-turque et l'annexion de la région à l'empire tsariste, certains hamshens de l'est quittent la région pour l'Adjarie voisine, Sokhumi en Abkhazie et le sud de la Russie, Sochi. Ceux des hamshens qui choisissent de partir sur les côtes ouest de la mer Noire, vers Trabzon entre autres, s'installent dans des quartiers à part au sein des villages ou constituent même des villages monolithiques, puis vont s'établir comme commerçants ou boulangers à l'intérieur de la Turquie vers les grandes villes de l'Ouest: Istanbul, Ankara et Izmir.En 1917, les hamshens chrétiens et quelques centaines d'hamshens musulmans viennent s'installer en Adjarie et à Batumi en particulier.. En 1944, les hamshens présents sur le territoire de l'Adjarie et de l'Abkhazie sont déportés vers le Kazakhstan et Ouzbékistan, sous ordre de Staline. Ces arméniens reviennent s'installer ensuite à partir de 1984 dans la région de Krasnodar et à Sochi. Aujourd'hui en Turquie la communauté Hamshen est exclusivement musulmane et est constituée en deux groupes qui n'ont pas ou très peu de contact entre eux:

– les hemşinli ou hamshens occidentaux, qui vivent dans la province de Rize et

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dispersés à travers tout le pays, qui parlent un dialecte turc fortement empreinté d'arménien et qui sont des musulmans sunnites.

– Les homşenli ou hamshens orientaux, qui vivent dans la province de Artvin principalement, parlent un dialecte arménien appelé Homeşetsma et sont aussi des musulmans sunnites.

Un troisième groupe, appelé Hemşinli du Nord, descendants des hamshens non-islamisés des anciennes provinces ottomanes de Samsun, Ordu, Trabzon et Giresun et vivant aujourd'hui en Abkhazie et dans le Sud de la Russie. Ils sont chrétiens et parlent la même langue que les hamshens orientaux. D'autres encore et même au cours du XXè siècle, partiront dans les Balkans rejoindre ceux déjà installés ou aux Etats-Unis et en Allemagne pour constituer la diaspora hamshen. On compte entre 500.000 et 700.000 répartis entre la Turquie, la Georgie, l'Arménie et l'Asie Centrale.

Mosquée de Ayder, province de Rize Rivière de la Fırtına, province de Rize

Scène de danse « Horon » dans un village de la région de Hemşin.

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Langues

Selon le professeur Bert Vaux, de l'Université du Wisconsin, les Hamshens se divisent aujourd'hui en deux groupes linguistiques distincts, conséquence de l'islamisation de la communauté:

– les Hemşinli, vivants essentiellement dans les villages montagnards de la province de Rize, et parlant un dialecte turc, fortement empreint de mots arméniens

– les Homşenli, concentrés dans la province de Artvin à Hopa, Makriali et Muratli et qui partagent avec les Hamşenli, chrétiens résidants au sud de la Russie à Krasnodar et à Sochi, sont bilingues et parlent le turc moderne et un dialecte archaïque de l'arménien occidental, qu'ils appelent eux-mêmes « Homşetsma ».

Le Homeşetsma est un dialecte arménien dérivé de l'arménien occidental qui a pu préserver, par le caractère isolé des villages montagneux dans lesquels ils vivaient, en très grande partie des archaïsmes qu'on pouvait trouver dans les autres dialectes arméniens et a intégré des innovations lexicales et grammaticales inédites à l'arménien moderne, venu du turc dans son vocabulaire et dans la syntaxe, notamment dans l'utilisation de suffixe tel que -uş, qui n'existe pas en arménien. Par contre la base même du vocabulaire de ce dialecte vient de l'arménien, surtout pour les chiffres , jours de la semaine...Par exemple « deux » se dit « ergus » en dialecte homeşetsma et « erku » en arménien, ou encore « beaucoup » se dit « şad » en homeşetsma et « shat » en arménien. De l'autre côté, chez les Hemşinli si leur dialecte est une variante du turc aujourd'hui, elle a tout de même conservé bon nombre de mots arméniens chrétiens, tels que pour dire « dieu » les hemşinli employent le mot « astuac », dérivé de l'arménien « astvatz » et non le mot turc « tanrı », ainsi que pour dire « fermer », on utilise souvent le mot « xaçuş » forme dérivée du mot arménien « khatch » (signifiant « croix »). La syntaxe de ce dialecte turc n'est pas modifié par l'arménien, elle garde les mêmes formes que la langue turque parlée dans tout le pays mais l'influence de l'arménien, comme celle du laze aussi dans une moindre mesure, se fait surtout sentir au niveau du vocabulaire et des expressions courantes.

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Valeurs

Caractère

La communauté Hamshen, en quittant les montagnes du sud-ouest du Vaspurakan et en s'établissant dans les hauts plateaux du mont Kaçkar, a gardé son caractère de montagnards rustres et braves,très laborieux et actifs, solitaires, indépendants mais chaleureux et habitués à vivre dans des conditions naturelles difficiles. Cette caractéristique n'est d'ailleurs pas sans rappeler celles des montagnards du Sassoun et de Mouch, régions du Sud Est turc, restées semi-indépendantes jusqu'au XIXè siècle, tout comme la région Hemşin. Ceux du Hemşin sont habitués à vivre sous des pluies interminables et un brouillard quasi constant, ce climat a forgé leur caractère et a contribué à développer leur faculté très renommée à raconter des anecdotes, des légendes et blagues aussi. Ces légendes, ces histoires qu'ils aiment à raconter sont parfois très anciennes, héritées de leur passé chrétien où les éléments chrétiens ont seulement été modifiés. On retrouve des similitudes dans les légendes entre celles contées par les Hamshens et certaines légendes racontées dans la région de Moush. Par l'exemple celle intitulée « la tête de Temel » dans laquelle on a remplace la tête d'un prêtre par celle d'un personnage quelconque: un certain Temel, héros classique de nombreux contes de la mer Noire. Les Hamshens restent aussi fidèles à leurs terres et même si un temps ils quittent les lieux, ils finissent toujours par revenir, ne serait-ce que pour l'été et pour une courte durée. On parle même d'appel mystique des lieux dans la région, d'attirance physique et spirituelle, pour se déconnecter de la réalité et du monde moderne pour quelques jours et retourner dans la nature sauvage. Il y a un lien viscéral à leurs terres d'origine. L'été beaucoup se retirent dans les yayla, groupe de petites maisons en pierres anciennes, situées très haut dans les montagnes où on peut y voir encore de la neige, pour se ressourcer, rencontrer les amis et boire. C'est également un de leur trait de caractère, ils aiment les choses simples et en particulier boire et faire la fête. Ils sont peu bavards mais paradoxalement sont très hospitaliers, malgré le fait que le premier contact peut s'avérer délicat au premier abord et n'aiment pas parler des sujets délicats. Dans toute la Turquie ils sont connus pour leur gentillesse et leur tranquillité. Mode de vie

Ils ont un mode de vie très « nordique » et pastoral, évoluant dans un environnement où la peur suscitée par la profondeur des forêts n'est jamais loin,à cause des bruits provenant des cascades et d'une atmosphère étrange, mystérieuse, jouée par l'épaisseur du brouillard, la solitude qui peut frapper à tout moment, la morosité du temps et souvent la faible luminosité du ciel font que beaucoup trouvent refuge dans la boisson. Une rumeur veut que les Hemşins soient les plus grands consommateurs de rakı ( boisson

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alcoolisée à base d'anis) de toute la Turquie. Ils sont également de grands joueurs compulsifs, particulièrement des jeux de carte et du tavla ( le « backgammon » oriental) tandis que les femmes se chargent des travaux dans les plantations de thé.

Repas en famille.

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Traditions

Activités traditionnelles et savoir faire moderne

Traditionnellement les Hamshens sont connus pour leurs activités pastorales et agricoles, qu'ils pratiquent depuis leur arrivée dans la région. Les lazes leur reprochent leur manque d'hygiène et leur saleté, justement dues aux conditions de travail. Ils sont aussi cultivateurs, comme l'attestent les immenses plantations de thé et de maïs, et apiculteurs. Ils font aussi l'élevage 'danimaux, en particulier les vaches et les moutons et la vie quotidienne de ces bergers est rythmée par de grande période de transhumance vers les hauteurs de la vallée, là où se trouvent les yaylas. Le miel et le thé sont les deux produits phares si réputés dans toute la Turquie venant de cette région. Les Hamshens de l'Est et ceux de Georgie cultivent de plus le citron, le tabac, les fruits, les vers à soie et sont d'excellents pêcheurs. Bien que les Hamshens soient une société patriarcale, une majorité de femmes assument les fonctions de chef de famille, du fait du grand nombre d'hommes partis travailler dans les villes. Même si la structure de la famille rurale tend à disparaître, localement de nombreuses familles continuent de s'appuyer sur l'agriculture et l'élevage, les femmes effectuant l'essentiel du travail. Les femmes d'ailleurs travaillent lourdement durant toute leur vie, elles coupent, ramassent et portent les bois sur leurs dos en montant les pentes abruptes. Aux traditions séculaires vient s'ajouter un savoir-faire moderne qui leur permet aujourd'hui de travailler dans les grandes villes de l'Ouest de la Turquie en tant que boulangers,patissiers, restaurateurs, et tiennent des hotels, des auberges, des salons de thé à Ankara, Istanbul et Izmir, et sont transporteurs dans le commerce mais ce qui fait surtout la grande spécialité des Hamshens dans tout le pays aujourd'hui c'est leur expertise dans la production d'armes à feu.

Fabrication artisanale de beurre. Cueillette des feuilles de thé.

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Architecture

Un autre savoir-faire ancestral qui fait la renommée de ses habitants est l'architecture typique de la région. Gülsen Balikçi a étudié l'architecture des Hamshens de l'Ouest à travers trois villages de la province de Rize et a déterminé que comme pour beaucoup de maisons arméniennes traditionnelles l'étable est située au rez de chaussée à l'arrière de la maison, la famille vit à l'étage. Les bains sont pris soit dans l'étable soit à l'intérieur près du four, une fontaine est édifiée près de la porte de sortie et l'eau est amenée dans la maison au moyen d'un tuyau, la nourriture est destinée à être consommer rapidement et est suspendue dans des sacs en tissus au plafnd, pour les protéger des souris et insectes. De nombreux aménagements ou structures auxiliaires se situent à côté de la maison. La plus importante est une plate-forme de stockage éléve sur des poteaux, appelée serender, cabanes fabriquées en bois dans lesquelles la nourriture (farine, miel, sel, marrons, noix, sucre, « kaymak » et « lazut ») est conservée durant de longues périodes et servent de congélateurs en été.

Serender. Maisons traditionnelles en vieilles pierres.

Zikale. Une Yayla typique.

Et le fait que les groupes de maisons sont dispersés sur de vastes espaces, l'absence de véritable centre de village complique les choses, ajouté aux difficultés naturelles de certains villages très reculés, la région de Hemşin se modernise très lentement, des routes sont construites depuis les années 70 et le téléphone ainsi que l'électricité ont été installés à partir de 1984.

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Religion

Aujourd'hui toute la communauté Hamshen de Turquie est musulmane de rite sunnite, conformément aux rites religieux turcs. Mais il n'en a pas toujours été ainsi.Entre le VIIIè et le XVè siècle, la population de Hamshen est orthodoxe apostolique de rite dit arménien alors que leurs voisins lazes et pontiques grecs sont orthodoxes chalcédoniens.Jusqu'à l'arrivée des ottomans, ils vivent en chrétiens, construisent des églises et monastères sur les hauteurs du plateau et le monastère de Khatchevan devient même un centre religieux important.Pour preuve, du XIIIè au XVè siècle, une très grande variété de textes furent copiés, dont on trouve encore aujourd'hui trace des enluminures des manuscrits médiévaux,disponible dans les archives de la bibliothèque nationale arménienne, le Matenadaran. Sous le nom de Khatchekar, Hamchen formait le diocèse de l'Eglise arménienne très actif jusqu'au XVIè siècle. Hovhannes Hamchentsi, mort en 1497, fut en son temps une grande figure de ce clergé. Les premières mosquées apparaissent dans la région seulement à partir de 1640, construites sur les ruines d'églises détruites lorsque commence les premières vagues de conversion forcée à l'islam. Mais malgré qu'ils aient embrassé l'islam, ils ont su garder, consciemment ou inconsciemment, certaines traditions et coutumes religieuses chrétiennes et ont une pratique pragmatique de l'islam. Les Hamshens de Hopa n'ont pas l'usage du foulard traditionnel porté aussi strict qu'à Rize, et continuent également à boire de l'alcool, chanter des chants folkloriques et pratiquer des danses mixtes homme-femme. Jusqu'au début du XXè siècle ces hamshens pratiquaient encore le baptème. Quant aux Hamshens de la province de Rize, ils célèbrent le nouvel an « nor dai » le 6 janvier, coïncidant avec le jour du Noël orthodoxe arménien. Ils célèbrent une fête arménienne d'origine païenne, qu'ils appelent vartavor, et qu'on retrouve en Arménie sous le nom de vartavar et qui correspond à la Transfiguration du Christ. Ils fêtent aussi une autre fête arménienne, le Hodoç, qui se déroule durant les moissons.

Croyances

Cependant des réminiscences d'anciennes croyances païennes subsistent encore dans le folklore hamshen, notamment des élémens mystiques de croyance en des forces magiques et en des êtres surnaturels tels que des génies ( cin), des fées ( peri), sorcières ( cadı / cazı) et le mauvais oeil ( nazar). Dans ces croyances, les génies et les fées peuvent prendre des formes animales également mais ces êtres magiques se retrouvent aussi dans tout le plateau anatolien, commun aux autres communauté de la région. Les sorcières sont considérées comme étant une menace pour les femmesqui viennent d'accoucher et pour les nouveaux-nés, croyance qui peut s'expliquer aussi du fait de la mortalité infantile très élevée chez les hamshens. Ces forces maléfiques proviennent dans l'imaginaire collective selon la spécialiste Sibel Özbudun des conditions difficiles de la nature de la région et traduisent les peurs qu'ont les hommes de sortir dehors seuls la nuit. Une autre croyance autour des nouveaux-nés veut que si les vieilles femmes ( kocakarı) regardent l'enfant de façon trop admirative, cela apporte la malchance sur le bébé. Pour conjurer ce sort, on lave souvent le visage de l'enfant. Pour se protéger du mauvais sort, on trouve accroché sur la porte des maisons des cercles en bois décorés de morceaux de tissu et de coquilles d'oeuf Les anciens croyent que les hurlements de chiens la nuit sont un signe de malchance et l'annonce que quelqu'un va très prochainement mourir. A ce moment il n'est pas rare d'entendre crier dans les villages « Va manger ta propre chair » pour conjurer ce sort. Un autre animal symbolisant la malchance est le chat noir. Les hamshens sont aussi convaincus que comme la transmission du name sont transmis aussi aux enfants les péchés des parents qu'on ne peut se débarrasser que par le sacrifice d'animaux tels que des agneaux ou des jeunes coqs. Autour de toutes ces croyances liées à la mort et au destin, on trouve toute une série de supersititions annonciatrices de bonnes ou mauvaises nouvelles par exemple lorsque dans la

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préparation d'un « pide » on fait la pâte et qu'un morceau ( hamur hoplaması) s'en détache, cela signifie qu'un invité va bientôt arriver ou encore si des étincelles s'échappent du feu, cela veut que le temps va s'améliorer. Enfin, quelques croyances s'articulent autour du thème des forêts maudites. Dans les yaylas de Amlakit, il est interdit de couper les arbres qui sont proches des maisons et dans l'imaginaire collectif hamshen, les dangers de l'environnement comme les herbes mauvaises et les plantes toxiques, la chute de pierres ou encore l'attaque de loups et d'ours peuvent affecter aussi bien les hommes que le bétail et contre quoi on se protège en plaçant des amulettes sur les têtes ou cornes des bêtes. Les routes conduisant aux yaylas dans les hauteurs des montagnes sont extremement dangereuses et il n'est pas rare que des accidents mortels se produisent, que les habitants traduisent comme étant le résultat de malchance ou malédictions.

Mosquée de Ayder

Minarets en plein coeur de la nature.

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Arts: danse, musique, costumes, littérature, cuisine

La culture hamshen est très riche et prend des expressions très différentes, beaucoup influencée par celle des Lazes mais aussi qui a gardé beaucoup d'éléments arméniens. Les danses sont très variées et constituent un véritable mode de vie, s'il n'existe pas de littérature écrite la tradition orale comble ce manque et est très renommée dans toute la Turquie, surtout dans ses anecdotes, la musique se mêle à celle des voisins lazes mais garde une originalité propre, dont les chanteurs de la région sont les gardiens. Les costumes aussi et la gastronomie témoignent également d'une préservation d'une identité singulière et ancestrale. Documentaire sur la culture Hamshen, en arménien: Partie 1 - Partie 2

Les danses traditionnelles

Provenant de leur héritage arménien, les Hamshens sont renommés pour la richesse de leurs danses. La danse traditionnelle du horon est une de ces spécialités, qu'ils partagent avec les lazes, où les hommes sont alignés en ligne droite et dansent. Durant l'été de très nombreux festivals sont organisés, tout comme dans certains villages reculés où des danses informelles sont organisées les jours de fête. En fait tout est prétexte pour danser, la danse est une partie indissociable de leur identité.La danse traditionnelle lors de vartavor dans laquelle dansent ensemble hommes et femmes en cercle est très proche de certaines danses arméniennes, dont le kochari qu'on retrouve aussi chez les lazes , les pontiques grecs et les azeris. La danse constitue chez les Hamshens un véritable mode de vie et est toujours accompagnée de musique.

Extraits de danses traditionelles hamshen : hemsin horonu hemsin horonu danse de Vartevor

La musique

Les Hamshens ont développé leur propre style de musique mais partagent là aussi avec leurs voisins lazes une affection particulière pour le Tulum, une sorte de cornemuse très répandue dans la région; le Kemence, sorte de lyra de la famille des instruments à cordes frottées, vièles rustiques

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sans pique avec un corps fondu dans la caisse de résonance joué avec un archer qu'on rencontre également dans les Balkans et le long de la mer Noire; le şimşir kaval, une flute fabriquée à partir de buis comme matière, instrument surtout utilisé par les Hamshens de la région de Artvin; enfin le Hamshna-Zurna, variante locale du zurna qu'on trouve dans le Caucase, instrument à vent à anche double de la grande famille des hautbois dont les origines remontent au VIIIe siècle, surtout utilisé par les Hamshens du Nord et Russie, et le Davul, tambour à deux faces très proche du Dhol arménien, qu'on trouve aussi chez les lazes et en Géorgie.

Zurna Tulum Kemence Parmi les représentants les plus connus de cette musique, on peut citer l'Ensemble Vova ( signifiant « qui est-ce? » en langue Homshetsma) réunissant autour de son fondateur Hikmet Akcicek, des musiciens hamshen mais aussi laze et kurde. Ils interprètent des chansons traditionnels Hamshen en dialecte arménien Hamshen; le chanteur laze Kazım Koyuncu né à Hopa, ardent défenseur de la culture laze, mort d'un cancer à l'âge de 34 ans en 2005, a également interprété des chansons traditionelles en arménien et en homeşetsma. Le chanteur Gökhan Birben, né à Pazar dans la province de Rize, interprète des chansons en laze et en homeşetsma, il a en commun avec Kazim Koyuncu d'avoir chanter la chanson « Hey gidi karadeniz ». Le chanteur laze Kazım Koyuncu L'ensemble hamshen Vova

hey gidi karadeniz erkinq noric mraylvec ella, ella mayr mtir aregak ka tun mi ta khendasoc nenni nenni

Volkan Konak, chanteur de la mer Noire, interprète la chanson traditionnelle "Horon" Gökhan Bilben, d'origine hamshen, chante "oy pusilim" Le groupe Günyüzü interprète "gelini" en turc et en homeşetsma. Hülya Polat chante "koçari" Meryem Colak interprète, accompagnée d'un tulum, "hemsinlin pusilisi"

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Les costumes

Les costumes traditionnels hamshen sont proches de ceux des lazes. Les femmes portent sur leur costume traditionnel d'écharpes en soie orange vif, des jupes noires de laine et des chaussettes de montagne multicolorées, différence avec les femmes lazes qui portent des chaussettes blanches.

Femmes hamshens en tenues traditionnelles Jeunes filles en costumes traditionels

Comme elles portent leur bébés dans leur dos, certains costumes sont adaptés de sorte à ce qu'elles puissent le faire, tout en étant libres de leurs mains pour pouvoir continuer leur activité de garde-troupeau généralement. Les éléments du costume traditionel hamshen sont le pushi, le shalvar, le yelek, le kushak (ceinture en tissu), la çorap (chaussette tissée en laine et décorée avec des perles pour les femmes). Les hommes portent quant à eux des bottes noires, un zipka ( pantalon en laine noire), veste et manteau dans lesquels on trouve des amulettes émaillées pour les protéger du mauvais oeil. Les femmes enfin pour leurs écharpes orange d'une certaine manière qui indique si elles sont disponibles ou pas pour la mariage.

La littérature

Il n'y a pas de littérature écrite hamshen à proprement parler mais plutôt une littérature de tradition orale dans laquelle se mêlent légendes et contes nourris des atmosphères sombres et mystérieuses créées par les conditions climatiques et l'environnement fait de forêts profondes, pentes abruptes et de nombreuses cascades. A tout cela s'ajoutent les blagues, les devinettes.Une autre richesse sont les proverbes hamshens, très nombreux, qui ponctuent la vie quotidienne. Հայվընին էրեսին թկնեցին նա, աստավ` վրայեգ կուկա: Hayvnin eresin tknecin, astav- vrayeg kuka.

Քուն ըղած օծին` քալիլ մ բեճին: Qun eghats otsin qalil mi betchin.

Հայվընին հեդ մ էշտալ ջոմպա, կլուխդ կուկա քառսուն բելա: Hayvnin hed mi eshtal jompa, klukhd kuka qarsun bela.

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La gastronomie

L'art culinaire hamshen rappelle par bien des aspects la cuisine adjare et géorgienne, cuisine des montagnes, plus conçue dans un esprit fonctionnel de nourrir et coller au corps que par raffinement des mets et est assez rustique, les recettes sont simples et épurées mais on peut y déceler quelques éléments particuliers qui font l'originalité de cette cuisine: maïs, haricots, choux, pommes de terre, et des poissons locaux comme la truite et l'anchois. On peut y déguster aussi des produits locaux, véritables spécialités de la région tels que du beurre, du « kaymak » fait dans des « yayik », du « pekmez », du miel et du lait (en particulier de chèvre). Parmi les plats traditionnels de la région, on peut citer muhlama ( une sorte de fondue), çarhala, minci, geg, kara lahana, tursu kavurma, pazi kavurma, hamsili pilav, et sutlaç (crémerie). Exemple de recette « muhlama » : préparé avec du fromage , du beurre et de la farine de maïs.

Harhasi Kara lahana

Muhlama Sutlaç

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Identité et débats

Depuis leur arrivée dans la région au VIIIè siècle, les arméniens de Hamshen sont parvenus à préserver une identité culturelle forte mais différente du reste de l'ethnie dont ils sont originaires en ayant été convertis, de gré ou de force, à l'Islam. Ils ont de ce fait eu une trajectoire de destin singulière, aux valeurs et traditions qu'ils partageaient avec les arméniens sont venus se greffer un mode de vie laze et des traditions musulmanes. Même s'ils sont très bien intégrés dans la société turque, du fait de l'isolement de leurs terres au coeur des montagnes, ils ont pu échapper à l'assimilation complète et revendiquer leur différence. Pourtant cette identité n'est pas une mais multiple, comme les groupes qui la composent, et complexe. Alors aujourd'hui quelle est cette identité et comment s'exprime-t-elle?

L'identité hamshen tourne autour de quelques grands axes: la foi islamique à laquelle les trois groupes restent très attaché, le mode de vie montagnard, un lien fort avec les traditions ancestrales et avec la terre des origines. Mais suite aux vagues successives d'émigration qui a suivi une conversion à l'Islam qui s'étalera sur presque deux cent ans, trois grands groupes se sont constitués au sein de la communauté, et même s'ils revendiquent tous leur identité, se définissant tous comme hemşinli, ils ont une vision différente de cette identité. Les hamshens de la province de Rize, dont certains membres sont parvenus à de hautes fonctions dans l'empire ottoman comme dans la République de Turquie, revendiquent leur spécificité au sein d'une identité turque musulmane, ils rejettent toute origine arménienne et certains prétendent même être les descendants de turcs venus d'Asie Centrale mais ils sont contredits par leurs voisins lazes qui les appelent ermeni (« arménien » en turc). Les hamshens prennent ce terme de ermeni comme une insulte tandis que pour les jeunes générations, le terme renvoie à un « ivrogne », donc toujours un côté très péjoratif. Les anciennes générations connaissaient leur origine mais sont toujours restés secret sur le sujet, considéré comme tabou. Les jeunes hamshens se considèrent comme une tribu turque, ont un attachement très fort pour leur identité de turc musulman et mais si leurs prénoms sont turcs , les surnoms eux les trahissent car ils sont bien caucasiens, tels que « çita » et « xavula » typiquement d'origine géorgienne. Leur attachement à la Turquie peut aussi s'expliquer du fait que depuis l'empire ottoman, les hamshens de l'Ouest ont fourni de grands fonctionnaires et même encore aujourd'hui, on peut citer par exemple: Mesut Yılmaz, ancien Premier Ministre de Turquie, Ahmet Tevfik Ileri, ancien Ministre de l'Education encore Damat Mehmet Ali Pacha, qui fut Grand Vizir ottoman à la veille de la guerre de Crimée en 1874. Mahir Ozkana est un intellectuel hamshen de Turquie, il a fait beaucoup de recherches sur la question de l'identité Hamshen et il en a dégagé trois manifestations:

– une identité assimilée: c'est essentiellement le groupe de la province de Rize qui, ayant perdu une très grande partie de ses liens aux valeurs culturelles ethniques, sa langue d'origine,il est bien intégré à la nation turque, se considère comme turc, vivant comme les turcs et ne connait rien de leur origine ethnique.

– Un déni d'identité: secrètement conscient de leur origine arménienne, ils mentent à leurs proches mais gardent des liens culturels forts qui les sauvent d'une complète assimilation, les représentants de ce groupe se considèrent plus turc que les turcs et parfois se transforment en nationalistes turcs et micronationalistes hamshen. Ce sont typiquement les hamshens de la région de Artvin en grande partie.

– Une identité indifférente: ils connaissent leurs origines arméniennes mais pour des raisons diverses n'y sont pas intéressés et pour qui l'origine n'est pas importante, se définissant comme membre à part entière de la nation turque, sans nier leur origine arménienne mais sans aucun effort pour la valoriser. Ce sont les hamshens vivant en

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Russie et en Géorgie. De plus, les hamshens vivant en Turquie préfèrent garder sous silence leurs origines arméniennes dans une société turque dont l'idéologie kémaliste de la « Turquie pour les turcs » menacent au quotidien les minorités et pour éviter tout conflit, les hemshinli se font discrets sur le sujet. On se souvient qu'en 2000, le réalisateur hamshen de la province de Artvin à la sortie de son film « Momi » en langue homeşetsma a été accusé par la Cour pour la Sécurité de l'Etat d'avoir pour objectif la destruction de l'unité de l'état, conformément à l'article 8 de la loi anti-terreur turque. Quelques films ont été réalisés depuis deux décennies autour des Hamshens et par des hamshens, dont le film « Yuregine sor ». Le film « Momi », en langue hamshen, sous-titré en anglais: Partie 1 - partie 2- partie 3

Les études scientifiques sur la communauté des hamshens sont quant à elles assez récentes, les premières remontent aux années 1920 et tournent surtout autour de la langue hamshen, très peu sur l'histoire mais depuis une cinquantaines d'années on commence à s'intéresser de plus près à cette communauté, à son histoire et sa culture de valeurs. Ces études, souvent réalisées par des arméniens, sont encore en cours de réalisation. Outre les quelques musiques qui ont été éditées, on compte quelques d'ouvrages sur le sujet, comme le livre de Hovann Simonian « The Hemshin: History, society and identity in the Highlands of Nordeast Turkey » ou encore Robert Edwards et son « Hamshen: an armenian enclave in the byzanto-georgian Pontos. A survey of Literary and non-literary sources. » Enfin grâce aux moyens modernes, les Hamshens du monde entier peuvent aussi se renseigner sur leurs origines et garder un contact direct avec le reste de la communauté. Quelques sites web disponibles en plusieurs langues existent: http://www.hemshin.org/ site généraliste sur la communauté hamshen http://www.hamshen.org/forum/index.php forum dédié aux hamshens, en 5 langues

Un bi-mensuel créé en 2004 par le philologue et responsable de l'ONG Hamshen-Compatriotic-Charity Sergey Vardanyan, « Dzayn Hamshenakan » fait le lien en langue arménienne et russe entre les hamshens de Russie et d'Arménie et leurs origines hamshens car beaucoup se savent d'origine arménienne de Turquie mais pas Hamshen. http://www.dzaynhamshenakan.org/index.html

Forum sur les hamshens: culture, identité, actualités de la région, en langue turque uniquement http://www.hemsinliyiz.biz/

Femmes collectant les feuilles de thé. Vieille femme gardant le troupeau.

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Débats autour de l'identité arménienne et les Hamshens

A la fin du XIXè siècle alors que les hamshens d'Artvin étaient sous l'autorité de la Russie Tsariste après que ces derniers aient pris la région, ils ont été quelques temps en contact avec leurs frères arméniens chrétiens mais ceux-ci ( et l'Eglise Apostolitique arménienne en tête) n'entreprirent rien pour favoriser leur retour au christianisme, bien au contraire car les hamshens suscitaient la méfiance du fait de leur foi musulmane. Par conséquent les hamshens d'Artvin montrèrent leur attachement profond à l'Islam, comme une composante même de leur identité fort, et ont gardé une certaine hostilité vis à vis des arméniens chrétiens et ont développé un refus de leur origine ethnique. Et cette méfiance de l'époque est toujours vivace aujourd'hui et le débat autour de l'identité arménienne et celle des Hamshens reste encore très tendu. Alors que 10.000 hamshens vivent en Arménie depuis les années 80, en 2007 fut soulever la question lors d'un débat sur un éventuel retour en masse d'Hamshens en République d'Arménie. Le point de vue de l'historienne Tamara Vartanian est partagé par une grande majorité d'arméniens: « Nous devons servir à l'unité de la nation arménienne et les défis qui lui font face. L'intégration des arméniens islamisés demeure un danger pour la sécurité nationale de l'Arménie. ». Cette éventualité a relancé le débat sur l'identité arménienne même, qui pour beaucoup se définit par son particularisme religieux puisque les arméniens sont sur une branche isolée de l'orthodoxie chrétienne, l'Eglise apostolique arménienne. Donc être arménien serait être chrétien et le fait qu'une partie parle un dialecte issu de l'arménien occidental n'y change rien. Pour beaucoup d'arméniens, la foi musulmane reste un obstacle majeur à leur intégration à la nation arménienne à part entière et en Arménie comme ailleurs c'est surtout le manque d'informations et l'ignorance de l'existence même d'arméniens musulmans qui constituent le plus grand obstacle. Les Hamshens sont en Turquie souvent confondus avec leurs voisins lazes et les turcs ignorent presque tout d'eux et en Arménie ils ne sont pas considérés comme étant arméniens et sont très mal acceptés. Et les hamshens qui vivent en Géorgie et dans la région de Krasnodar, et qui sont chrétiens, savent leur origine arménienne mais pensent être des arméniens venus de Turquie mais en très grande majorité ignorent complètement qu'ils sont hamshens.

Trois générations de femmes à la maison.

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Conclusion

Cette expertise culturelle nous a permis de mieux connaître cette communauté Hamshen en explorant les différentes facettes de son identité: de son histoire, ses valeurs, ses traditions, ses croyances et les diverses expressions culturelles qui la caractérise. La communauté Hamshen a su préserver une identité propre et forte, grâce avant tout à son contexte géographique. Le fait qu'ils se soient établis dans les hautes montagnes, rendant l'accès à certains villages quasi-impossible, a retardé la conversion à l'Islam mais aussi a permis de moins subir les événements tragiques qui ont provoquer la chute de l'empire ottoman au début du XXè siècle. Mais cette communauté tient aussi sa richesse de sa complexité: il existe trois groupes pour une même ethnie, deux langues parlées et très différentes l'une de l'autre et une évolution différente pour chaque groupe et pourtant ils se revendiquent tous hamshen. Ils sont liés aussi par un même attachement au monde turc, pour des raisons différentes et les rapports avec l'Arménie et les arméniens, leur ethnie d'origine sont presque inexistants ou très conflictuels. D'un autre côté les arméniens eux-même ont un lien particulier avec les hamshens car ils savent qu'ils sont de la même ethnie et de ce point de vue, veulent les appeler « mes frères » mais pas tout-à-fait de par leur foi musulmane. Les arméniens d'Arménie et de Diaspora voient souvent en les Hamshens des traitres, des arméniens qui se sont convertis alors que tant d'autres sont morts pour leur foi chrétienne en 1915.

Finalement les hamshens vivent leur identité à leur manière et les festivals de l'été sont les moments de rassembler la communauté, de se retrouver et faire la fête. C'est ainsi que le festival de Vartavor, dans les yaylas pratiquement au sommet du mont Kaçkar, est l'événement majeur de l'année et une expression très forte de la culture hamshen et de son identité, une identité multiple et complexe, qui reste encore très vivace malgré l'intégration progressive des nouvelles technologies dans la région qui disperse un peu plus la communauté et suscite des dangers de disparition de certaines traditions et valeurs, à commencer par la langue, de moins en moins parlée par les jeunes générations.

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Bibliographie

Ouvrages et articles

• Bert Vaux, « Hemshinli: The Forgotten Black Sea Armenians », Harvard University, 2001.• Hovann H. Simonian, "The Hemshin: History, society and identity in the Highlands of

Northeast Turkey", Routledge, London and New York. 2009• Gerard Dedeyan, « Histoire du peuple arménien », Privat, Paris. 2008.

Webographie

• Présentation de la région de Hemşin et du peuple hamshen: http://www.karalahana.com/english/archive/hemsin.html

• Page wikipedia sur le peuple hamshen, en anglais: http://en.wikipedia.org/wiki/Hemshin_peoples

• Page wikipedia sur les hamshens, en turc: http://tr.wikipedia.org/wiki/Hem%C5%9Finliler

• Article sur les hamshens arméniens: http://sanahine.wordpress.com/hamshen-armenians/

• Portail sur la culture hamshen par le Centre de Recherche de la Diaspora Arménienne:http://www.globalarmenianheritage-adic.fr/fr/breligion/islam/1dialogue_hamshen.htm

• Article et interview de Sergey Vardanyan, sur la publication de son livre « Converted Hamshen Armenians’ Dialect, Folklore and Art of Singing »:http://www.armenianow.com/arts/9986/a_story_to_tell_new_book_on_hamshe

• Site d'informations sur la culture hamshen, en turc et en allemand:http://www.kuzeymavi.com/icindex.htm

• Page de photographies sur la région de Hemşin, à partir de Google Search:http://www.google.com/images?q=hemsin&hl=tr&prmd=ivns&source=lnms&tbs=isch:1&ei=gdMpTaX1BMil8QOl-_T2Ag&sa=X&oi=mode_link&ct=mode&ved=0CA8Q_AU&biw=1280&bih=664

• Article sur l'hisoire des hamshens:http://istanbulguide.net/istguide/people/ethnies/armeniens/hemichis.htm

• Blog réalisé par Alina Topchyan et consacré aux hamshens arméniens:http://hamshenarmenians.blogspot.com/