Les guillotinés...

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50 Les guillotinés... Par Arthur Perret Six heures du matin, je me postai devant le hangar de la machine à glace, sortis mon paquet de Winston de mon jean troué au genou gauche, à cause des nombreuses chutes en skateboard. J'extirpai avec désespoir ma dernière cigarette. Le compresseur de la machine à glace était cassé, ce qui expliquait ma présence à la criée du Grau d'Agde. Ma cigarette finie, je jetai mon gobelet de café et rentrai me casser la tête sur la tuyauterie complexe de la machine froide. Dans le hangar, le poisson était entreposé dans les mannes, prêt à partir chez Super U ou Intermarché. Il ne manquait que la glace. Dans un coin du hangar étaient entreposées des mannes, desquelles s'évacuait une grande quantité de sang. Une odeur d'abattoir flottait dans l'atmosphère. Je commençai machinalement à déplacer les mannes du dessus. Brusquement, je reculai. Un bras, suivi d'un autre, ainsi qu'un morceau de jambe tombèrent sur le sol. Après m'être ressaisi, je découvris deux bustes sans tête. Horrifié, pétrifié de terreur, blanc de base, je devins vert. Je m'empressai alors de sortir, m'agenouillai au bord du quai quand je sentis un liquide chaud me déchirer la gorge. C'était mon café qui faisait chemin inverse. J'alertai la patronne de la criée, une ancienne flic à la retraite : - Madame Roseborne ! Venez s'il vous plaît, c'est horrible ! - Mais pourquoi ? - C'est horrible ! Il y a eu un meurtre sur votre criée ! - Mais non ! Impossible ! répliqua madame Roseborne. - J'insiste, venez vite, ça craint ! Une fois que nous fûmes arrivés sur le lieu du crime, madame Roseborne constata avec horreur le drame. Je commençai à expliquer comment je les avais trouvés : « Je venais de finir ma cigarette, je suis rentré pour travailler sur le compresseur de la machine à glace quand j'ai aperçu cette flaque de sang. J'ai cherché d'où elle venait et je suis tombé sur ces cadavres... » expliquai-je pour ne pas être soupçonné. A ma grande surprise, madame Roseborne me dit de ne surtout pas prévenir la police Elle risquait, à mon avis, une éventuelle fermeture de la criée si toutefois ces crimes passaient dans les mains de la presse. Elle m'expliqua que nous devions faire notre enquête seuls, et qu'il fallait commencer par identifier ces deux bustes féminins sans tête. Je lui demandai alors d'attendre le lendemain pour commencer, le temps de reprendre mes esprits... Le lendemain matin, personne à la criée. Vide. Simplement madame Roseborne m'attendait. Une, deux, trois bises et au travail. La patronne, qui avait gardé de très bons contacts avec ses anciens collègues de travail, puisque l'un d'eux était son mari, envoya les empreintes des victimes à l'institut de recherche criminelle le plus proche avec un petit échantillon de sang. Quand soudain, deux employés apparurent

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Les guillotinés...

Par Arthur Perret

Six heures du matin, je me postai devant le hangar de la machine à glace, sortis mon paquet de Winston de mon jean troué au genou gauche, à cause des nombreuses chutes en skateboard. J'extirpai avec désespoir ma dernière cigarette. Le compresseur de la machine à glace était cassé, ce qui expliquait ma présence à la criée du Grau d'Agde. Ma cigarette finie, je jetai mon gobelet de café et rentrai me casser la tête sur la tuyauterie complexe de la machine froide. Dans le hangar, le poisson était entreposé dans les mannes, prêt à partir chez Super U ou Intermarché. Il ne manquait que la glace.

Dans un coin du hangar étaient entreposées des mannes, desquelles s'évacuait une grande quantité de sang. Une odeur d'abattoir flottait dans l'atmosphère. Je commençai machinalement à déplacer les mannes du dessus. Brusquement, je reculai. Un bras, suivi d'un autre, ainsi qu'un morceau de jambe tombèrent sur le sol. Après m'être ressaisi, je découvris deux bustes sans tête. Horrifié, pétrifié de terreur, blanc de base, je devins vert. Je m'empressai alors de sortir, m'agenouillai au bord du quai quand je sentis un liquide chaud me déchirer la gorge. C'était mon café qui faisait chemin inverse. J'alertai la patronne de la criée, une ancienne flic à la retraite :

- Madame Roseborne ! Venez s'il vous plaît, c'est horrible ! - Mais pourquoi ?

- C'est horrible ! Il y a eu un meurtre sur votre criée ! - Mais non ! Impossible ! répliqua madame Roseborne. - J'insiste, venez vite, ça craint !

Une fois que nous fûmes arrivés sur le lieu du crime, madame Roseborne constata avec horreur le drame. Je commençai à expliquer comment je les avais trouvés :

« Je venais de finir ma cigarette, je suis rentré pour travailler sur le compresseur de la machine à glace quand j'ai aperçu cette flaque de sang. J'ai cherché d'où elle venait et je suis tombé sur ces cadavres... » expliquai-je pour ne pas être soupçonné.

A ma grande surprise, madame Roseborne me dit de ne surtout pas prévenir la police Elle risquait, à mon avis, une éventuelle fermeture de la criée si toutefois ces crimes passaient dans les mains de la presse. Elle m'expliqua que nous devions faire notre enquête seuls, et qu'il fallait commencer par identifier ces deux bustes féminins sans tête. Je lui demandai alors d'attendre le lendemain pour commencer, le temps de reprendre mes esprits...

Le lendemain matin, personne à la criée. Vide. Simplement madame Roseborne m'attendait. Une, deux, trois bises et au travail. La patronne, qui avait gardé de très bons contacts avec ses anciens collègues de travail, puisque l'un d'eux était son mari, envoya les empreintes des victimes à l'institut de recherche criminelle le plus proche avec un petit échantillon de sang. Quand soudain, deux employés apparurent

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brusquement. C'était les deux livreurs. Ils avaient l'air inquiet, affolé. Ils nous expliquèrent que hier soir, leurs femmes avaient disparu...

Leurs deux femmes... Étrange. Comme nos deux victimes. Deux femmes. Était-ce un règlement de compte qui avait mal tourné, ou ces deux cadavres n'avaient aucun rapport entre la disparition des femmes des deux employés ? Beaucoup de questions se posaient...

Madame Roseborne me suggéra d'interroger les deux livreurs sans leurs dire que nous avions deux corps sur le dos:

- A votre avis, messieurs, où sont vos femmes ?

- Avant-hier, nos femmes qui sont de grandes amis, se sont fait une virée shopping et nous ont prévenus tard dans la soirée qu'elles ne rentreraient pas à la maison, elles étaient chez une copine et avaient un peu trop bu.

- Seulement trop bu, est-ce-que vos femmes consomment une quelconque drogue ?

- Pour la femme de mon collègue je n'en sais rien. Mais en ce qui concerne ma femme, je l'ai déjà surprise en train de fumer quelques pétards, mais rien de bien méchant, ne vous inquiétez pas, répliqua le même livreur.

- Merci messieurs, allez chez vous, je vous donne votre journée ! s'exclama Madame Roseborne.

Je me séparai de Madame Roseborne et rentrai chez moi me reposer. Tous ces événements m'avaient secoué.

Le lendemain, le test ADN arriva. On apprenait qu'effectivement c'était bien les deux femmes des livreurs. Madame Roseborne convoqua ses hommes.

Ils restèrent figés. Ils ne dirent rien. Ils partirent.

Notre affaire résolue, nous nous dîmes au revoir madame Roseborne et moi, et je rentrai à mon domicile. Le soir même, je reçus un coup de fil d'un nouveau client qui me demandait de venir lui réparer son congélateur. Bosseur de nature, je fonçai et pris rendez-vous pour le lendemain.

Après une nuit sans rêves, je me retrouvai devant une villa splendide de la dune du Grau d'Agde, hyper moderne, blanche cassée, carrée, pleine de passage, de balcon, d'immenses baies vitrées, de gigantesques palmiers et une piscine à débordement surdimensionnée donnant sur la mer. L'homme m'ouvrit, un type « bonnard » Il me conduisit à son congélateur. Très vite je détectai la panne alors que le proprio vaquait à ses affaires. Banco ! C'était le générateur qui avait grillé. J'eus juste le temps d'aller chercher ma pièce chez Mario, mon fournisseur. Je démarrai comme un malade et ramenai rapidement à la villa la pièce à changer. En traversant le living-room, le propriétaire me demanda si la réparation avançait, je lui répondis :

- Impeccable, j'ai juste le moteur à changer, vous voulez que je vous montre ?

- Pourquoi pas ? fit le propriétaire de la villa qui était un petit peu bricoleur.

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Je posai alors le carton sur la table du séjour et à l'aide d'un cutter, je coupai le scotch. Après avoir ouvert la boite, je regardai à l'intérieur stupéfait ! Devant mon expression horrifiée, mon client me demanda ce qu'il se passait. En ayant du mal à trouver mes mots, je saisis par les cheveux la tête qui se trouvait dans la boite et la soulevais brusquement. Le visage d'une femme apparut. Le client hurla à la mort: « Ma fille ! Putain les salauds ! J'ai niqué leurs femmes et ils me renvoient la monnaie de ma pièce ! »

Estomaqué, je commençais à comprendre le cheminement de la vengeance.