Les Gardiens de l'Ombre tome 1 : Pleine lune -...

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RachelHawthorne

LESGARDIENSDEL'OMBRE

Pleinelune

Traduitdel’anglais(États-Unis)parAnne-ÉlisabethLozano

PROLOGUE

Unsilencepesant régnait sur la forêt.Agitéespar labrisedecettechaudenuitd’été, les feuillesnous chuchotaient des avertissements quenous ignorions.Baignésde la clarté de la lune,Lucas etmoiétionsseulsaumonde.Ilétaitbienplusgrandquemoietpourapercevoirsesyeuxargentés,jedevaisinclinerlatêteen

arrière.Sesyeuxm’hypnotisaient,cequi,aulieuderalentirlerythmeaffolédemoncœur,nefaisaitquel’accélérer.Oupeut-êtreétait-celaproximitédeseslèvres…Mesjambesnemeportaientplus.Jemesuisadosséeàun troncd’arbre.Lucass’estavancévers

moi.Est-cequej’étaisprête?Est-cequejevoulaisdecebaiserquichangeraitmavie?Jesavaisquesi je l’embrassais, j’enseraischangéepour toujours,nousneserionsplus jamais lesmêmes,notrerelationsetransformerait…Ce mot immense paralysait mon cerveau. Se transformer. Il signifiait bien plus pour moi

maintenant.Maintenantquejesavais.Soudain,Lucasaété toutprèsdemoi. Ilaposésonavant-brascontre l’écorce,au-dessusdema

tête,commesi luiaussiavaitbesoind’unappui.Jesentaissachaleur irradiermoncorps.Dansdescirconstancesplusnormales,jemeseraisattenduequ’ilmeserretendrementdanssesbras,maiscettenuit-là,rienn’étaitnormal.Auclairdelune,jevoyaisàquelpointilétaitbeau.Magnifique,àvraidire.Sescheveux,épaiset

lisses, lui tombaient sur lesépaulesenunbouillonnantmélangeblanc,noir,brunetargent. J’avaisdésespérémentenviedelestoucher,deletoucher.Maisjesavaisqu’ilinterpréteraitlemoindregestede ma part comme le signe que j’étais prête. Or je ne l’étais pas. Je ne voulais pas de ce qu’ilm’offrait.Pascesoir-là.Peut-êtremêmejamais.Dequoiest-cequej’avaispeur?Cen’étaitqu’unbaiser.J’avaisdéjàembrasséd’autresgarçons,et

jel’avaisembrassé,luiaussi.Alors,pourquoil’idéedel’embrasseràprésentmeterrifiait-elletant?Laréponseétaitsimple:jesavaisquecebaisernouslieraitl’unàl’autrepourtoujours.Il a gentiment repoussé mes cheveux de mon front. Il m’avait dit un jour que leur couleur lui

rappelaitcelled’unrenard.Presquetoutcequ’ildisaitavaitunrapportaveclaforêt,cequiseyaitsibienàsesmanièresdesolitaire.Pourquoi se montrait-il si patient ? Le sentait-il, lui aussi ? Comprenait-il que ce serait

irrémédiablesi…Soudain,ilabaissélatêteversmoi.Jen’aipasbougé.Jerespiraisàpeine.Malgrétousmesdoutes,

j’enavaisenvie.Maisjeluttaiscontrecetteenvie.Seslèvrestouchaientpresquelesmiennes.—Kayla,a-t-ilmurmuré,latiédeurdesonhaleinecaressantmajoue,c’estl’heure.Leslarmesmesontmontéesauxyeux.J’aifaitnondelatête–commentreconnaîtrequ’ildisaitla

vérité?—Jenesuispasprête.Toutàcoup,j’aientenduungrognementsourd.Ils’estraidi.Ill’avaitentendu,luiaussi.Ilafaitun

pasenarrièreetjetéuncoupd’œil.C’estalorsquejelesaivus:unedouzainedeloupsencerclaientlaclairière.—Danscecas,trouves-enunautre.Tunepeuxaffrontercetteépreuveseule.Ilm’atournéledosets’estrésolumentdirigéverslesloups.—Attends!luiai-jecrié.Maisilétaitdéjàtroptard.

Ilacommencéàsedéshabillertoutenaccélérantlepas,s’estmisàcourir,afaitunbond…Etc’estunloupquiatouchélesol.Enuneétourdissanteseconde,ils’étaittransforméenanimal.Et

ilétaitaussibeauainsiquesoussaformehumaine.Ilarejetélatêteenarrièreetahurléàlalune.Sonappelarésonnéenmoi.J’aitentéderésisterà

l’envie d’y répondre,mais l’animal au fond demoi était trop fort, trop déterminé pour se laisserdompter.J’aicouruverslui…Difficile de croire qu’à peine quinze jours auparavant, l’idée que les loups-garous puissent

réellementexistermeparaissait totalementridiculeetaberrante.Surtoutmaintenantquemoi,KaylaMadison,j’allaisendevenirun.

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Moinsdequinzejoursauparavant…

La peur. Une chose vivante et remuante cachée au plus profond de moi. Parfois je la sentaiss’agiter,sedémenerpourselibérer.Ellem’accompagnaitcettenuit-là,auxalentoursdeminuit,alorsque jemarchaisencompagniedeLindseyparmi lesbroussaillesduparc.Mais j’étaisdevenue trèsforte pour dissimuler ma panique. Je ne voulais pas que Lindsey croie qu’elle avait commis uneerreur en me persuadant de venir travailler avec elle pour l’été comme guide de randonnée.J’espérais apprendre à son contact quelques astuces qui m’aideraient à combattre mes démonsintérieurs.N’empêchequesebaladertoutesseulesdansunendroitoùdegrossesbestiolessauvagesétaient à la recherche d’un casse-croûte dans notre genre, c’était dingue. D’autant plus que nousn’avionsprévenupersonne.Nousn’avionsrienditparcequesortirdesbungalowsaprèsl’extinctiondes feux aurait pu nous valoir un renvoi définitif. J’avais survécu à une semaine d’entraînementintensif,pasquestiondemefairevirerlaveilledemapremièremissiond’accompagnement.En guise d’arme, je serrais dansmamain une lampe torche.Monpère adoptif est flic et ilm’a

apprismillefaçonsdetuerquelqu’unavecunelampetorche.D’accord,j’exagèreunpeu,maisquandmême,ilm’amontréquelquestrucsd’autodéfense.Surlecôté,àl’endroitoùlesarbreset lesbuissonsétaientleplusépais, j’ai toutàcoupentendu

unesortedebruissement.—Chut!Attends.C’étaitquoi?Monmurmuren’étaitqu’unfiletdesoufflerauque.Avecsalampe,Lindseyabalayélestroncs,puislefeuillagedesarbres.Lalumièreducroissantde

luneneparvenaitpasàtraverserlavégétation.Jemesuisretournéeetlefaisceaudemalampel’aéclairée.Elleareculéenlevantlebraspourse

protégerlesyeux.Sesfinscheveuxblondsprenaientuneapparenceirréelledanscettelumière.Ellem’évoquaitunefée,maisjesavaisquesoussestraitsdélicatssecachaitunegrandeforceintérieure.La presse locale avait parlé d’elle quand elle avait sauvé un enfant attaqué par une panthère. Elles’étaitinterposéeetavaitfaitfuirl’animal.—J’aicruentendrequelquechose,luiai-jedit.—Commequoi?—Saispas.Lecœurbattant, j’aiànouveauregardéautourdemoi.J’adore lanature.Maiscettenuit-là,àcet

endroit-là,jeflippais.Jen’arrivaispasàmedébarrasserdel’impressionquequelqu’un,ouquelquechose,m’observait.—Commeunbruitdepas?ademandéLindsey.—Pasvraiment.Oualorsquelqu’unquimarcheraitenchaussettes.Lindseyapassésonbrasautourdemesépaulesfluettes.Elleétaitunpeuplusgrandequemoiet

beaucoup plus musclée grâce à la randonnée et à l’escalade. Nous nous étions rencontrées l’étéprécédentquandj’étaisvenuecamperavecmesparents.Elleétait l’unedenosguides–ousherpas,comme les appelaient les employés du parc. Nous nous étions très bien entendues et étions vitedevenuesamies,aupointderesterencontacttoutaulongdel’annéescolaire.—Personnenenoussuit,m’aaffirméLindsey,toutlemondedormaitquandnoussommesparties.—Etsic’étaitunprédateur?Mapeur était absurde.Cependant, j’avais entenduquelque chose, et ce quelque chose n’était pas

amical.Jen’auraispaspuexpliquerpourquoi,maisj’enétaissûre.Unsixièmesens…

L’éclatderiredeLindseys’estrépercutéentrelesarbres.—Non,sérieux.Ilyabieneucettehistoiredepanthèrel’étédernier,luiai-jerappelé.—Etalors?—Etsielleétaitrevenuepoursevenger?—Alorsc’estmoiqu’ellevamanger.Pastoi.Saufsielleestaffamée.Danscecas,elledévorera

cellequicourtlemoinsvite.Engros,moi.Mêmesijemedéfendaisàlacourse,j’étaisloind’êtremédailled’or.J’ai respiré à fond pour concentrer mon attention sur les bruits autour de moi. Un silence

surnaturelrégnaitdanslaforêt.Unsilencedûàunpossibledanger?—Ondevraitpeut-êtrerentrer?Nousétionsàmoinsdedeuxkilomètresduvillagequisetrouvaitàl’entréeduparc.Lindseyetmoi

partagionsunpetitbungalowavecBrittany,uneautreguide.Aprèslecouvre-feu,àvingt-troisheures,personnen’étaitcensésortir.—Côt!Côtcôtcôt!Lindseyimitaittrèsbienlapoule,mouilléeenl’occurrence.—Trèsmarrant.Etsionsefaitvirer?luiai-jedemandé.—Encorefaudrait-ilqu’onnouschope.Allez,viens.—Maisqu’est-cequetuveuxmemontrer?Toutcequ’ellem’avaitdit,c’estqu’ellevoulaitpartager«untrucintense»avecmoi.Celaavait

suffipourpiquermacuriosité,maisàcemoment-lànousétionsencorebienensécuritéauvillage.—Écoute,Kayla,situveuxdevenirunesherpa,ilfautqueturéveilleslafilleaccrod’aventuresqui

sommeilleentoi.Cequejevaistemontrervautlargementlerisquedeperdreceboulot,unejambeoulavie.—Ouah!Était-elle en traind’éludermaquestion ?Ça en avait tout l’air. J’ai regardé autourdemoi avec

méfiance.—Ya-t-ilunrapportaveclesmâlesdenotreespèce?Àvraidire,c’étaitàmesyeuxlaseulechosequipuissejustifiertouscesrisques.Lindseyasoupirécommelefontlesparents.—Tuesuncasdésespéré.Allons-y.Peudésireusederesterseule,jel’aisuivie.Moi,j’avaisapprislaprudence.Monpèreetmamère

avaientététuésdansceparcquandj’avaiscinqans.C’étaitpourm’aideràsurmontercetraumatismequemes parents adoptifsm’y avaient emmenée l’année précédente, trop tard pour que çamarche,selonmoi.Nousavionscampéunesemainedanslecoin,jem’étaisbienamusée,maisjenejureraispasquel’expérienceaitcontribuéàréglermes«problèmes».Oui,parcequej’avaisparaît-ildesproblèmesémotionnels.Ducoup,jesuivaisunethérapie,cequi

voulaitdirequejegaspillaisuneheureparsemaineavecleDrBrandon,unpsyférudelaméthode«Affrontersespeurs».J’auraispréféréallerchezledentiste!Maisdequoiest-cequej’avaisréellementpeur?Cen’étaitmêmepasunanimalquiavaitattaqué

mesparents.Ilsavaientétéabattuspardeuxchasseursabrutisdebièreetsanspermisquilesavaientprispourdesloups.Àcausedeceschasseurs,mesrêvesétaientremplisdeloups;mesnuitsétaientagitéesetjehurlais

souventdansmonsommeil.D’oùlathérapiepourveniràboutdescauchemars.SelonlathéorieduDrBrandon,moninconscientcherchaitàexpliquercommentdeuximbécilespouvaientavoirabattumesparents.Il ne me restait rien de ce lointain après-midi, à part un grand flou et l’image de mes parents

étendusmortssurlesoldelaforêt.

MonDieu,commentavaient-ilspulesconfondreavecdesloups?Derrièremoi,ilyaeuuncraquementdansunbuisson.Pétrifiée,leduvetdemanuquehérissé,je

mesuisfrottélecouenpassantlamainsousmescheveuxroux.Puisunfrissonm’aparcourueetmesbrassesontcouvertsdechairdepoule.J’avaisl’impressionquesijemeretournais,jeverraiscequec’était.Maisest-cequej’avaisenviedel’affronter?Lindseyestrevenuesursespas.—Qu’est-cequisepasse,encore?—Quelquechosenoussurveille,ai-jemurmuré,jelesens.Cettefois,Lindseynem’apasenvoyéebouler.Elles’estmiseàregarderautourd’elle.—Çapourraitêtreunhibouàlarecherched’uncasse-croûteouaucontrairesoncasse-croûtequi

détale.—Untruccommeça,maisenplusflippant.—J’ai grandi dans le coin et passé le plus clair demon tempsdans cette forêt. Il n’y a riende

flippant,parici.—Etlapanthère?—C’étaitloindanslesbois.Ici,onestencoreenpleinecivilisation.Ilyamêmedesendroitsoùles

portablespassent.Encoreunecentainedemètresetonyest.Ellem’apriseparlamainetjel’aisuivie,surlequi-vive.Ilyavaitquelquechose.J’enétaissûreet

certaine.Etc’étaitpasunhibouniunrongeur.Pasuntrucdanslesarbres,niuntrucpetit.Untrucquipourchassaituneproie.J’aifrissonné.Uneproie?Pourquoiest-cequej’avaispenséàça?Etpourtant,c’étaitlavérité.Je

lesentais.Cetrucattendaitetobservait.Maisobservaitquoiouqui?Etattendaitquoi?Combien de mètres restait-il ? Quarante ? Quelle débilité de s’aventurer ici sans prévenir

personne!Sijamaismesparentsadoptifsl’apprenaient,ilsmetueraient.Jeleuravaispromisd’êtresérieuse.C’étaitlapremièrefoisquejepartaissanseux,etmamèreadoptivem’avaitfaitpromettred’êtreprudente,etpatatietpatata.Devantmoi,unelueuràtraverslefeuillageaattirémonattention.—Qu’est-cequec’est?—Cequejevoulaistemontrer.Nousavonsfranchiuneligned’arbrespourentrerdansuneclairièreilluminéeparunfeudecamp.

Avantquejepuisseposeruneautrequestion,unedouzainedejeunes–lesautressherpas–asurgidederrièrelesarbres.—Surprise!ont-ilscrié.Joyeuxanniversaire!Moncœurafaillis’arrêter.Lamainsurlapoitrine,jemesuismiseàrire.—C’estpasaujourd’hui,monanniversaire!—Maisc’estdemain,non?m’ademandéConnor.Enregardantsamontre,ilacommencéàcompter:—Dansdixsecondes,neuf,huit…Lesautresontentonné lecompteà reboursavec lui. Ils s’étaient tousmisen rangdevant le feu.

Près de Connor se tenait Rafe. Ses cheveux lisses et bruns lui tombaient aux épaules et ses yeuxmarronétaientsisombresqu’ilsdevenaientnoirssurlepourtourdelapupille.Commec’étaitplutôtuntaiseux,j’étaisvraimentsurprisequ’ilparticipeàtoutça.—Sept,six…Brittany,àcôtédelui,luiressemblaitcommeunejumelle.Mêmescheveuxbrunsetlisses,unpeu

pluslongs,etlesyeuxd’unbleutrèsfoncé.Elledormaitquandnousétionsparties.Ouplutôt,faisaitsemblant,ai-jecompristoutàcoup.Ellem’avaitbieneue.Maiscommentavait-ellefaitpourarriveravantnous?

Etpuisilyavaitd’autressherpasquel’onm’avaitprésentésmaisquejeneconnaissaisencorequedevue.Qu’ilssoientvenusmefaisaitsuperplaisir.—Cinq,quatre…Àl’école,jem’étaistoujourssentieàpart:l’orpheline,l’enfantadoptée,cellequin’étaitpasàsa

place. Jack et Terri Asher m’avaient recueillie. Ils n’étaient pas horribles, c’était juste qu’ils necaptaientpastout.Maisbon,çaexiste,desparentsquicomprennentparfaitementleursenfants?—Trois,deux,un.Joyeuxanniversaire!Connoracontournélefeuets’estaccroupi.Uneflammeaétinceléetunefuséeestpartieversle

cielpouryexploserdansunedébauchederouge,blanc,bleuetvert.J’auraispariéquelesfeuxd’artificeétaientinterditsdansunparc.Maisj’étaistropcontentepour

m’ensoucier.Etpuis,pourlapremièrefoiscetété-là,jen’étaisplussoumiseauxrèglesparentales.Jen’avaisplusenviedemecomporterenenfantsage.—J’ycroispas!Vousvousenêtessouvenus!J’étaistrèstouchée.Personnenem’avaitjamaisorganisédesurprise,cedontjemefichaisunpeu

parcequemesparentsétaientmortslejourdemonanniversaire.—C’estimportant,unanniversaire,aditLindsey.Surtoutcelui-là.Àtesdix-septans!Brittany a apporté un plateau sur lequel étaient disposés dix-sept petits gâteaux de supermarché,

chacunsurmontéd’unebougie.—J’adorelesgâteaux,ai-jedit,surtoutceuxfourrésàlacrème,fabriquésàlachaîneetemballés

dansduplastique.—Faisunvœuetsouffle.J’aiprisunegrandeinspiration,jemesuispenchéeenavantetc’estalorsquejel’aivu.LucasWilde.Ilétaitadosséàuntroncd’arbre,lesbrascroisés,presqueinvisibledansl’obscurité,commes’ilne

souhaitaitpasqu’onlevoie.Maissasimpleprésencedégageaitunetelleforcequej’aiétéétonnéedenepasl’avoirremarqué

avant.Sesyeuxbrillaientd’unelueurargentéedanslenoir.Commeàsonhabitude, ilmeregardaitintensément.Lucasme terrifiait.Ou plutôt, ce que j’éprouvais pour luime terrifiait.Une attirance que je ne

m’expliquaispas.J’avaisdéjàcraquésurdesmecs,maiscettefois,c’étaitplusqueça,sipuissantquec’enétaitpresqueirrésistible–etunpeuembarrassantvuque,manifestement,ilnepartageaitpasmessentiments. Pire, j’avais l’impression qu’il voulait éviter tout contact avec moi. J’essayais dedissimulercequejeressentais,maisdèsquejelevoyais,messentimentsrevenaientaugalop,cequimefaisaitcraindrequ’ilpuisseliredansmesyeuxcequejetentaisvaillammentdecacher.Êtreprèsdeluifaisaitbattrelachamadeàmoncœur,m’asséchaitlabouche.Jebrûlaisdepasser

mesdoigtsdanssesmèchesmulticolores.Ànotrepremièrerencontre,j’avaiscruqu’ils’étaitfaituneteinture. Jen’avais jamais rienvude tel…niquelqu’uncomme luinonplus. Il était si intense.Luiaussiavaitéténotreguidel’étéprécédent,maisj’avaistrèspeuparléaveclui.Enrevanche,jel’avaissouventsurprisàm’observer.Onauraitditqu’ilattendaitquelquechose…—Allez,souffletesbougies!m’aencouragéeConnor.Sesmotsm’ontsortiedematranse.J’aifaitunvœusansvraimentypenseravantd’éteindred’un

couplesbougiestremblotantes.—Tiens,m’aditBrittanyenmetendantungâteau,désoléedenepasavoirprévuunvraigâteau

d’anniversaire,onafaitaveclesmoyensdubord.— C’est super, ai-je déclaré avec un sourire reconnaissant, ravie de la diversion, je ne m’y

attendaispasdutout.

—On adore les surprises, a ajoutéLindsey,mais vous auriez pu être plus discrets, elle vous aentendusdanslaforêt.Vousavezfaillitoutgâcher.J’aifaitminedelataper.—C’estçaquej’aientendu?Ungrandsoulagementm’avaitenvahie;enmêmetemps,j’avaisl’impressionqu’ellesetrompait.—Bienoui.Pourquetunetedoutesderien, il fallaitqu’ilssoientcouchésaumomentdenotre

départ. Il fallait aussi qu’ils se dépêchent pour tout installer avant qu’on arrive. Et le plussilencieusementpossible.—Maisc’estderrièrenousquej’aientenduquelquechose.—Commequoi?estintervenuLucasenserapprochant.Lesondesavoixgraveafaitnaîtreuneondedeplaisirenmoi.Justesavoix.Ellemeremuaitavec

uneviolenceinouïe.Messentimentsabsurdesmemettaientmalàl’aise.Jen’étaispaslegenredefilleàplaireauxbeauxténébreux.Quesonattentionsoitfocaliséesurmoiétaitunpeuflippant.—C’étaitsûrementrien.—Alorspourquoituenparles?—C’estpasmoi.C’estLindsey.N’importequellefillenormaleauraitadoréqu’ils’intéresseàelle.Alorspourquoimerendait-ilsi

nerveuse?Pourquoiperdais-jetousmesmoyensensaprésence?—Du calme,Lucas, a ditConnor, c’était nous sans doute. Tu sais bien comment c’est : plus tu

essaiesd’êtrediscret,plustufaisdebruit.MaisLucas avait les yeux fixés sur l’endroit d’oùnous étions arrivées.Si je n’avais pas suque

c’étaitimpossible,j’auraispucroirequ’ilétaitentraindehumerl’air.Sesnarinessedilataientetsontorsesegonflaitdegrandesinspirations.—Jedevraispeut-êtreallerjeteruncoupd’œil.Justeaucasoù.Ilavaitdix-neufans,maisilsemblaitplusâgé,peut-êtreparcequ’ilétaitsherpaenchef.C’étaitlui

quiétaitresponsabledenotrepetitgroupe.S’ilyavaitunproblème,ondevaits’adresseràlui.Encorequej’auraiscertainementlaisséunoursmedévorertoutecrueavantdeluidemanderdel’aide.Àtortouàraison,ilmesemblaitqu’ilnerespectaitqueceuxquifaisaientpreuved’autonomie.Etj’avaiscebesoinridiculedefairemespreuvesàsesyeux.—TuesaussiparanoqueKayla,aditLindsey,prendsungâteauetassieds-toi.MaisLucasnebougeaitpas, lesyeuxtoujoursfixéssur l’endroitd’oùnousavionsémergéde la

forêt.C’était curieux,mais j’aurais parié que si quelque chose nous avait suivies, quoi que ce fût,Lucas nous en protégerait.C’était ce qui émanait de lui.C’était probablement aussi la raison pourlaquelle,bienquetrèsjeune,ilassumaitdetellesresponsabilitésetavaittantd’autorité.Ildégageaitquelquechosedesiintrépide,desicourageuxàcemoment-làquejeneparvenaispasàdétachermesyeuxdelui.Maisenmêmetempsjen’avaispasenviededonnerl’impressionquej’étaisraidedinguedelui.Dessouchesd’arbresavaientétédisposéesautourdufeu.Jemesuisassiseetj’aijetéunnouveau

coupd’œildansladirectiondeLucas.Ilétaitgrandetathlétique.Sont-shirtmoulantsoulignaitsesmuscles secs. J’ai soudain eu une furieuse envie de caresser ses bras durs comme l’acier, sesépaules…Pathétique.Iln’avaitjamaisrienditoufaitquipuissemeporteràcroirequ’ilpourraitunjourluiaussis’intéresseràmoi.— Alors, qu’est-ce que tes parents t’ont offert pour ton anniversaire ? m’a demandé Brittany,

ramenantmonattentionverslegroupe.Personne,apparemment,n’avaitremarquéquej’avaisl’espritailleurs.EtLucasencoremoinsque

lesautres. J’étais surpriseque lui, toujours sivigilantpourtant,ne se soitpas renducompteque jen’avaisd’yeuxquepourlui.

—Unétéentierloind’eux!ai-jemarmonné.—Ilsnem’ontpasparusilourdsqueçal’étédernierquandjelesairencontrés,aditLindsey.—Ilsnelesontpas,ai-jeadmisenenlevantlabougiepourlajeterdanslefeu.Ilssontmêmeplutôt

pastropmal.Sauf qu’ils n’étaient pasmes vrais parents. Je m’en suis immédiatement voulu d’avoir eu cette

pensée.Ilsétaientmesvraisparents,pasmesparentsbiologiques.Peut-êtrequecequej’avaissentidans la forêt, c’était mes parents biologiques. Idée débile. Je n’étais pas du genre à croire ausurnaturelouauparanormal.—Alors,qu’est-cequ’ilst’ontoffert?ainsistéBrittany.—Toutlematérielnécessairepourcamper.—Pasdevoiture?—Pasdevoiture.—Dommage.—C’estpasgrave,aditConnor,lesvoituressontinterditesdansleparc.Brittanyluiajetéunregardenbiais,puisahaussélesépaules.Unje-ne-sais-quoidansceregardm’afaitmedemandersiellen’avaitpasunpetitfaiblepourlui.—Est-cequ’ilyaquelqu’und’autrequemoipourtrouverlegroupequ’onaccompagnedemainun

peubizarre?ademandéRafe.Dans l’après-midi, nous avions brièvement rencontré le Pr Keane, son fils et ses étudiants de

troisièmecycle.Nousallionslesescorterjusqu’àunendroitqu’ilsavaientchoisidanslaforêt,puislesylaisserquinzejoursavantdevenirlesrécupérer.Ilsavaientévoquéleurespoird’apercevoirdesloups.—Bizarredansquelsens?ai-jedemandé.—LePrKeaneestanthropologue,aditRafe,pourquoivient-ilicipourétudierdesloups?—Lesloupssontbienplusintéressantsqueleshumains,adéclaréLindsey.Lucas,tutesouviensde

ceslouveteauxqu’onavaittrouvéspendantlesvacancesdeprintemps?—Ouais.Lucasn’étaitpasunbavard,cequinelerendaitqueplusintrigantetintimidant.Ilétaitdifficilede

savoircequ’ilpensait,etsurtoutcequ’ilpensaitdemoi.— Ils étaient si mignons, a continué Lindsey, pas lemoins dumonde perturbée par lemanque

d’enthousiasmedeLucas.Troispetitsorphelins.Onlesaenquelquesorteadoptésjusqu’àcequ’ilspuissents’ensortirseuls.Touslesautressherpastravaillaientdansleparcdepuisaumoinsunan.J’auraispumesentirun

peuàpart,maisquelquechosedanslegroupemefaisaitm’ysentiràl’aise.Ilsn’avaientrienàvoiravec lesgroupesà l’école. Jen’avais jamais faitpartied’aucun : jen’avaispas leprofilmajorettehyperpopulaire,sansêtreuneintellohypercoincéepourautant.Jenesavaispasvraimentcommentmedéfinir.C’estpeut-êtrepourçaquejemesentaissibienici.Ilsaimaienttouslanatureetlegrandair.—Nousdevrionsrentrer,aditLucas.—Tucassesl’ambiance,aronchonnéLindsey.—Tumeremercierasdemainmatinquandilfaudraquetusoisprêteàpartiràl’aube.Toutlemondeagrognésouslapiqûrederappelduréveilplusquematinal.Onaéteintlefeuet

alluméleslampestorches.Avantdepartir,j’aitenuàlesremercier.—C’étaitunsuperanniversairesurprise.—Hé,c’estpastouslesjoursqu’onadix-septans,s’estécriéeLindsey.Onvoulaitfaireuntruc

spécialavantquetaseulepréoccupationnedeviennetasurvie.

Jen’aipaspum’empêcherderire.—Çavapasêtresiméchantqueça,si?—Le groupe du PrKeane veut s’enfoncer loin dans le parc, à un endroit où ne nous sommes

jamais allés. Le terrain va être plus difficile que d’habitude, l’effort physique plus important. Çadevraitêtrestimulant…C’estriendeledire…—Maisnet’inquiètepas,atentédemerassurerLindsey,tut’entirerascommeunchef.—Jeferaidemonmieux.Nousavonsreprislecheminduvillage,d’oùpartaienttouteslesexcursions.Rafeétaitentêtedu

groupe et les sherpas étaient disséminés entre lui et moi, sauf un. Lucas fermait la marche, justederrièremoi.Ànouveau,j’aieulasensationd’êtreobservée.—Qu’est-cequisepasse?m’ademandéLucas.Commentavait-ildevinéquej’avaissentiquelquechose?Jemesuistournéeverslui,metrouvantunpeuidiotedeledireàhautevoix.—Justelasensationbizarrequenousnesommespasseuls.—Oui,jelesens,moiaussi,a-t-ilditàvoixbasse.—Çapourraitpasêtrecesloupsquevousavezrecueillis?—Jecroispas.Noussommestropprèsdel’entréeduparc.Cela correspondait à ce que Lindsey avait dit à propos de la panthère, mais bon, les animaux

n’avaientpastoujoursuncomportementprévisible.Legroupe,auxaguets,avançaitverslevillagedanslesilenceleplustotal.J’avaisuneconscience

aiguë de la présence de Lucas derrière moi. Et pas parce que je l’entendais – il marchait plussilencieusement qu’un loup. Mais j’avais l’impression qu’il était proche de moi au point de metoucher. Jemesentaisnerveuse, surexcitée. Jemedemandaiss’ilvoyaitenmoiautrechosequ’unepetitenouvelle.Iln’yavaitaucunindicepouvantm’inciteràcroirequ’ils’intéressaitàmoi.Oumêmequ’il eût envie demieuxme connaître.Nous avions là l’occasion de nous parler et pourtant nousrestionstouslesdeuxsilencieux.Loindevant,deslumièresapparaissaientàtraversl’épaissevégétation:levillage,premièreétape

obligatoirepourtouslesrandonneursduparc.Enfin,nousavonslaissélaforêtderrièrenous.J’étaisencorefrissonnante.—Dites-moiquelessherpasnefontpastropderandonnéesnocturnes.—Quasimentjamais,aditRafe.Maismoiaussij’aisentiuntrucdanslaforêt.—Si ce truc avait étédangereux, il nous aurait attaqués, aditConnor.C’était sûrement justeun

lapin.—Peuimporte,ilestpartimaintenantetnous,nousdevrionsdéjàêtrecouchés,aconcluLucas.ConnoretRafesesontdirigésvers leurbungalow.Lucass’estattardé.Aprèsunehésitation, ila

dit:—Joyeuxanniversaire,Kayla!—Oh,merci.Sesmotsavaientprovoquéunesurprisepresqueaussifortequelapetitefête.Ilaparusurlepointd’ajouterquelquechose,afourrélesmainsdanslespochesdesonjean,puisil

estparti.Jenesavaispastropquoienpenser.Lindsey,Brittanyetmoinoussommesdirigéesversnotrebungalow.Aumomentdenousmettreau

lit,jeleuraidit:—Cetanniversairesurprise,jen’enrevienstoujourspas.—Tuauraisdûvoirtatête!s’estesclafféeLindsey.T’étaiscomplètementsouslechoc.

—Commentas-tupugarderlesecret?Ellem’aadresséungrandsourire.—Celan’apasétéfacile!Unefoisleslumièreséteintes,Lindseyamurmuré:—Hé,Kayla!C’étaitquoi,tonvœu?J’airougidansl’obscurité.—Sijeteledis,ilneseréaliserapas.Saufquejen’étaispassûred’avoirenviequ’ilseréalise.J’ignoraiscequim’avaitprisdefairece

vœudontlesmotsrésonnaientencoreenmoi.:JesouhaitequeLucasm’embrasse.

2

Je suis recroquevillée dans un endroit exigu et sombre. Je suis petite, une enfant. Mes mainscouvrentmabouchepourm’empêcherdefairedubruit.Jesaisquesijefaislemoindrebruit,ilsmetrouveront.Jeneveuxpasqu’ilsmetrouvent.Deslarmesroulentsurmesjoues.Jetremble.Ilssontjustelà,dehors.Lesméchants.Alorsjerestecachée.Personnenemetrouveradanslenoir.Puis une lumière qui se rapproche de moi, encore et encore. Et un monstre, un monstre qui

m’attrape…

Je me suis réveillée en hurlant, les bras battant l’air. Ils ont tapé dans quelque chose. J’airecommencéàcrier.—Hé,cen’estquemoi!aditLindsey.Lalampedechevetàcôtédemonlits’estallumée.Ilfaisaitencorenuit.Lindseysetenaitentreson

litetlemien,l’airhorrifié.—Qu’est-cequit’arrive?J’aiessuyémeslarmes.—Désolée,j’aifaituncauchemar.—Sansblague!Brittany,assisesursonlit,meregardaitcommesij’étaislemonstredemescauchemars.—Onauraitditquet’étaisentraindetefaireassassiner.J’aisecouélatête.—Pasmoi.Mesparents.Maisc’estunelonguehistoire…ai-jedit,hésitante.—Pasdeproblème.C’estpersonnel,jecomprends,aditBrittany.Lindseys’estassisesurmonlit,m’aprisedanssesbrasetm’aétreinteavecforce.Elleconnaissait

l’histoire. Je lui avais tout raconté au cours de l’année, au fur et à mesure que notre amitié serenforçait.— Est-ce que ça va aller ? Tu vas pouvoir accompagner le groupe demain matin ? m’a-t-elle

demandé.Onpeutlaissertomberetattendreleprochain,situveux.—Non. Il fautque j’affrontemespeurs,etallerdans la forêt faitpartieduprocessus.Ça ira.Et

pourcesoir,jenesaispas,c’estpeut-êtreàcausedenotrepromenadenocturne.Çafaisaitunbailquejen’avaispaseucecauchemar.—Entoutcas,sachequetupeuxcomptersurnous.ElleajetéunregardversBrittanyquiaacquiescé.—Ouais.Lessherpasdoiventseserrerlescoudes.—Merci,ai-jeditenpoussantunprofondsoupir.Lindseyestretournéesecoucher.—Tuveuxquejelaisselalumièreallumée?—Non,çavaaller.Aussi bien que possible, étant donné les problèmes que j’affrontais. Le truc vraiment bizarre,

c’était cette curieuse peur quim’avait envahie depuis peu.Comme une prémonition ou un truc dugenre.Lasensationquequelquechosed’inexplicableallaitseproduire.Lindsey a éteint et je me suis lovée sous mes couvertures. J’aurais aimé comprendre ce qui

clochait.Mes parents adoptifs ne parvenaient pas à l’expliquer.Mon psy non plus.Une chose étaitcertaine,c’estquecelaempiraitdepuismonretourauparc.Jenepouvaisquemedemandersicelaavaitunlienaveccequiétaitarrivéàmesparents.

Monsubconscientallait-ilenfinselibérer?Et,sioui,quellesconséquencescelaaurait-ilsurmavie?

Le lendemain matin à mon réveil, j’étais encore sous l’effet de mon rêve dont les effluvesdésagréablesnesemblaientpass’évaporer.J’aiessayédepenseràautrechose.Monanniversaire.Jenemesentaispasplusvieille.Sanssavoirpourquoi,j’avaiscruqu’àdix-septansjemesentirais

plusmûre, plus douée pour la drague aussi.Au lieu de ça, jeme trouvais comme avant, la bonnevieillemoi-même.Unefaiblelumièrefiltraitàtraverslesrideaux.L’aubeétaitlevéedepuisunboutdetempsetc’était

mon premier jour de travail officiel en tant que sherpa. J’allais enfin embarquer pour l’aventureinauguraledemonété.Jemouraisd’impatience.Lasemaineprécédente,j’avaissubitoutessortesdeformationsetd’entraînements.Cettepremière

excursionpermettraitdememettreàl’épreuve.J’aitendulebraspourallumerlalumière.Lindseyagrognéetfourrélatêtesoussonoreillerenmarmonnantquelquechosequiressemblaità«Laisse-moitranquille».—Faispasattentionàelle,aditBrittanyquis’estlevéepourfairedespompes.Siçanetenaitqu’à

elle,ellepasseraitlajournéeaulit.—Jecroyaisqu’elleaimaitallerenforêt.—Tutetrompais.Brittanys’estrelevéeetacommencéàs’étirer.—Elleaimebienlaforêt,maisellepréféreraitquandmêmenepasêtreici.J’aijetéuncoupd’œilversLindsey.Ellenem’avaitjamaisditça.—Maisalors,pourquoiest-ellelà?—Pasmoyend’ycouper.Quandtugrandisdanslecoin,onattenddetoiquetusoissherpapendant

l’été.—Doncvousêtestousducoin?—DeTarrant,unpeuplushautsurlaroute.Ilfallaitlatraverserpourentrerdansleparc:unepetitevilleaméricainecommelesautres.—Cequifaitquedanslegroupe,vousêtestousdéjàamis?—Benouais,plutôt.Connor,RafeetLucassontpartis, ilsentrentàlafaccetteannée.Lindseyet

moi,nousavonsencoreunandelycéeavantd’yaller.—J’ail’impressionquetoutlemondeesttrèsimpatientdesecasserdechezsesparents.—C’estpaspourçaquetueslà,toi?J’aiacquiescé.Maisilyavaitautrechose.J’avaistoujoursadorécamper.Depuisquelquetemps,je

nepensaismêmeplusqu’àça:j’avaisbesoindegrandair.—J’imaginequejedevraismesentiràl’écart,pourtantcen’estpaslecas.Elleahaussélesépaules.—C’estquetuesdesnôtres,non?J’aisourienrevoyantl’entraînementparlequelj’étaispasséelasemaineprécédente.—Jesuisunesherpa,pasdedoutelà-dessus.Elleaalorspenchélatête,commeunpetitchiensurlaplagearrièred’unevoiture,etm’aregardée

avecundrôled’airquejen’arrivaispasàinterpréter.Oùétaitmonpsyquandj’avaisbesoindelui?—C’estça,a-t-elledit,maisj’aieul’impressionquecen’étaitpasvraimentcequ’ellevoulaitdire.

Prems’pourladouche!Jel’airegardéesedirigerverslasalledebains.Elleétaithypermusclée.Avecmonmètresoixante

etmasilhouettefluette, jel’aitrouvéeunpeuintimidante.J’espéraisqu’entrimbalantungrossacà

dosparmontsetparvauxtoutl’étéjememuscleraisunpeu,moiaussi.—Prêtepourtonpremierjourofficieldesherpa?m’ademandéLindseyens’asseyantsursonlit.Elleacommencéàpeignersescheveuxplatineaveclesdoigts.Jemesuisapprochéedupieddesonlit.—Àvraidire,jesuisterrifiée.—Pourquoi?Tuasassurégravependantl’entraînement.—Ouais,maisc’étaientdessimulations.—Tuvastrèsbient’ensortir.—Jepeuxtedireuntruc?—Biensûr.Toujours.—Jesuisinquièteparcequej’aiétéaffectéeaugroupedeLucasetqu’ilm’impressionneunpeu.Il

estsiintense.— Te laisse pas impressionner. Tous les mecs du groupe croient qu’ils ont quelque chose à

prouver.Leurspèresaussiétaientsherpasdans leur jeunesse.C’estune traditionquise transmetdepèreenfils.Ilsn’acceptentlesfillesquedepuisquelquesannées.—C’estpourçaqueBrittanyfaitdespompesausautdulit?Lindseyalevélesyeuxauciel.—Oui.Elleaussiapeut-être l’impressionqu’elleaquel-quechoseàprouver.Moi, jeneprends

pasçatellementausérieux.Brittanyestsortiedelasalledebainsenshortkaki,chaussuresderandonnéeetdébardeurrouge.

Ses longs cheveux noirs attachés en queue de cheval lui donnaient un air strict. Elle a regardé samontre.—Ondoitêtreàl’appeldansdixminutes.Jemesuisruéedanslasalledebains.J’avaisenviedeprendreunelonguedouchebrûlanteparcequeceseraitladernièreavantunbon

moment. Mais j’étais pressée par le temps. Pas de maquillage – ce n’était pas nécessaire enrandonnée–,justedelacrèmesolaire,pournepasavoirtropdetachesderousseur,etdumascara.Mescilssontroux,etsansmascara,ilssontinvisibles.J’aimisunpantalonkaki,meschaussuresderandoetundébardeur.Par-dessus,j’aienfiléunsweatàcapucheetj’aiattachémescheveuxavecunbandana.Pourparachevermonrituelmatinal,j’aicaressélependentifenétainquejeportetoujoursautour

ducou,uncercledebrinstorsadésterminéspardesnœuds.Unjour,quelqu’unm’aditquec’étaitunsymboleceltesignifiant«gardien».Çasemblaitadapté.Ilavaitappartenuàmamère,etparfoisilmedonnaitl’impressionqu’elleveillaitsurmoi.Quandjesuissortiedelasalledebains,BrittanyavaitdéjàfiléetLindseyavaitpasséunshortkaki

etundébardeur.Elleaussiavaitattachésescheveuxenqueuedecheval.Ellem’aaidéeàajusterlesbretellesdemonsacàdos.—Sic’esttroplourd,dis-leàLucas.Ilpourrarefilerdestrucsauxautresmecs.—Jenesuispasunefemmelette.Jepeuxportermonsacàdos.J’étaisunpeuvexéequ’ellepensequej’auraisbesoind’aide.—Jedisçacommeça.Lessherpasportaientbeaucoupdetrucsl’étédernier,alorsilsepeutquetu

nesoispashabituéeàtrimbalerunbazaraussilourd.—Oui,maiscetteannée,c’estmoilesherpa.—Etpastêtueavecça…a-t-ellemarmonné.Jene faisaispasma têtedemule,c’était justeque j’avaisdécidéd’assurermapartduboulot.Et

j’avaisaussidécidéquemesparentsadoptifsnememanqueraientpas.C’étaitdur.Attention, j’étaisévidemment encore très attachée à mes parents biologiques, mais ils n’étaient plus là depuis

longtemps,etmesparentsadoptifsm’avaienttoujourstraitéecommes’ilsm’avaientdonnénaissance.Parfois, la force de mon amour pour eux me surprenait. Cela dit, j’ai tendance à éprouver desémotionsintenses,dumoinsd’aprèsmonpsy,cequiexpliquaitpourquoiquejen’avaistoujourspasréglémesproblèmesparrapportàlamortabsurdedemesparents.L’air fraisdumatinm’afait frissonnerquand jesuissortiedubungalow.Lesrandonneurset les

guidess’étaientrassemblésaucentreduvillage.Ilétaitconstituédelastationdesrangerschargésdesurveillerleparc,d’unpetitcentredepremierssecours,d’uneboutiquedesouvenirs,d’uneépicerieetd’uncafé.Dernièrechancederavitaillementavantdepartirenrandonnée.Jesentaisl’excitationetunepointedenervositémonterenmoi.Aprèstout,j’allaisêtreresponsable

decescampeurs.Lindseyafermélaportedubungalowetcognésonépaulecontrelamienne.—Cettefois,c’estlabonne,mavieille.Tuesprête?J’aiprisuneprofondeinspiration.—Jecrois,oui.—Tuvasvoir,tuvasbienplust’éclaterquel’étédernier.J’ai réajusté mon sac à dos, pris une nouvelle grande inspiration et je me suis dirigée vers le

groupe.LePrKeane,sonfilsetlesétudiantsquilesaccompagnaientserendaientloindanslaforêt.Sixsherpasallaientlesaccompagner.Celafaisaitbeaucouppourunsipetitgroupe,maiscommelePrKeaneavaitbesoind’unéquipementparticulierpourl’enseignementqu’ilcomptaitleurdispenser,il nous avait engagés enmasse.Ce quime convenait parfaitement, vu que j’étais encore en phased’apprentissage. L’idée d’avoir quelqu’un sur qui compter en cas de coup durme rassurait. Je nevoulaispasêtrecelledontunemauvaisedécisionnousdonneraitlavedetteaujournaldevingtheures.Undesrandonneurss’estécartédugroupe.—Salut,Kayla,a-t-ilditens’approchantdemoi,ungrandsourireauxlèvres.Lindseya levéunsourcil interrogateurdansmadirectionetacontinuésaroute.Moi, jemesuis

arrêtéepourparleravecMason.C’étaitundesétudiantsduPrKeane,etsonfilsquiplusest.Jel’avaisrencontrélaveilleetilétaithypermignon.Lescheveuxbrunfoncédesafrangeluitombaientsurlessourcilsetluicachaientàmoitiél’œilgauche.—Salut,Mason.—J’aieupeurquetun’arrivespasàtemps.Ildébordaitd’uneénergiequiaencoreplusboostémonenthousiasmepour l’aventurequenous

allionsentreprendre.—Non,justeunpeuderetardaudémarrage.—Cetterandovaêtresupertrippante.—Tuasdéjàpratiquélecampingsauvage?—Ohoui.Pasici,biensûr.Maismonpèreetmoiavonsdéjàparcourud’autresparcs.EtenEurope

aussi.—Tonpèreettoiêtestrèsproches?Ilahaussélesépaules.—Çadépend. Il resteunparent,quoi.Enplusd’êtremonprofprincipal.Sanscompterqu’ilme

traitecommesij’étaisencoreunmôme.Jeluiaisouriaveccompassion.—Nem’enparlepas.—Oh,si,onpourraitenparler,situveux.Plustard,cesoir.Puisilabaissélesyeux,commesitoutàcoupilétaitmalàl’aise.Soncomportementmerappelait

celui de Rick, avec qui j’étais allée au bal de fin d’année, juste avant qu’il me demande del’accompagner.Commes’ilétaitentrainderassemblersoncourageavecl’angoissed’êtrerejeté.

—On va s’éclater, l’ai-je rassuré, sans vraiment savoir pourquoi, vu que j’allais passer justequelquesjoursaveclui.Sansdouteparcequ’ilétaitmignonetavaitl’airsympa.D’autrepart,aucunerèglen’interdisaitde

tisserdesliensaveclesrandonneurs.Passerplusieursjoursouplusieurssemainesensembledanslesboisfavorisaitlesrapprochements.Ila levé lesyeuxversmoietm’adécochéungrandsourire.Sesyeuxétaientd’unbeauvertvif.

Encadrésparsescheveuxnoirsetsonteinthâlé,onnepouvaitquelesremarquer.—Onpourraitfairelarouteensemble…a-t-ildit,sanssavoirs’ildevaitleformulercommeune

vraiequestion,unesuggestionouunesimpleremarque.—Jevoudrais…—Lacitadine,tuviensavecmoi.Intuitivement–personnenem’avait jamais traitéede« citadine»–, j’ai tout de suite suque cet

ordrem’étaitadressé.Jel’avaispeut-êtrecomprisparcequej’avaisreconnulavoix.Oualorsparcequ’ellese trouvait trèsprèsdemoi.Cedrôlede traitementde faveurm’énervaitetmeplaisaità lafois.Tâchantdegardermoncalme,jemesuislentementtournéeversLucas.—Pardon?«Lacitadine»,tudis?—Tuvisbienenville,non?—Oui, je crois bien qu’on peut dire deDallas que c’est une ville.Mais pourquoi est-ce que je

devraisalleravectoi?Ilétaitentrainderééquilibrersursesépaulesunsacàdosdeuxfoisplusgrosquelemien.Moi,

j’auraisétépliéeendeuxsoussonpoidsmaisluileportaitcommesiderienn’était.—Parcequetuesnouvelleetquej’aibesoindevoircommenttut’ensors.Onpassedevant.Il était en bermuda kaki et t-shirt noir. Ses cheveux étaient raides et plats, mais le mélange de

couleurlesrendaittoutsaufbanals.Ilyavaitdudéfidanssesyeuxgris.D’accord,j’étaisnouvelle,pasidiotetoutefoisaupointdediscuterunordreavantmêmed’avoircommencélarando.Ilpouvaittrèsbiendéciderquej’étaisuncasdifficileetmelaisserlà.Jen’aimaispaslepouvoirqu’ilavaitsurmoietencoremoinsqu’iln’hésitepasàl’exercer.J’avaisunproblèmeavecl’autorité,c’étaitclair.J’aiesquisséuneparodiedesalutmilitaire.Àmavivesurprise,seslèvressesontcrispéescomme

s’ilréprimaitunsourire.Uneréactiontoutsimplementfascinante.—Intéressantcollier.C’estlesymboleceltepour«gardien»,a-t-ilditdoucement.Jen’auraispasétéplussurprises’ils’étaitmisàmeparlerdehautecouture.Jenem’attendaispas

qu’ils’yconnaisseentrucsceltiques.J’aiportélamainàmonpendentif.—Oui,c’estcequ’onm’adit.Ilappartenaitàmamère.—Cequilerendspécial.Ses yeux s’étaient plantés dans les miens et tout à coup plus rien d’autre n’existait. Pendant un

instant,iln’étaitplusmonchef,ilétaitcemecquej’avaisrencontrél’étéprécédent,celuidontj’avaisrêvéplusdefoisquejepouvaismelerappeler.Jenesavaispaspourquoiilhantaitmesrêvesetmespensées.Nipourquoi j’avaisenviede luiavouer levœuque j’avais fait laveilleausoir.Pourquoij’avaistellementenviedel’embrasser.Sonregardestdescenduversmeslèvrescommes’ilétaitentraindepenseràlamêmechosequemoi…Etsoudain,ilaparucontrarié,commes’ilétaitmécontentdelui-même,peut-êtreparcequeMason

l’observaitavecunecuriositéqu’iln’essayaitmêmepasdecacher.—Onseretrouvedevantdanscinqminutes,a-t-ilaboyétoutàcoup.(PuisilaregardéMasonavec

unehostilitéàpeinedissimulée.)Faisbienattentionàresterprèsd’unguide,Mason.Faudraitpasteperdre.MasonaregardéLucass’éloigner,sesyeuxvertsréduitsàdeuxpetitesfentesparl’énervement.Je

pouvais physiquement sentir son antipathie enversLucas.D’habitude, je n’étais pas très forte pour

deviner les émotions des gens, mais je me disais qu’être dans la forêt devait faire resurgir mesinstinctsprimaires.Untrucdugenre«retouràlanature».Ilyavaitàl’évidencedelatensionentreeux.—Quil’anomméàceposte?amaugrééMason.—LesRangersduparc, je crois. Il est très fort, à ceque l’onm’adit.L’étédernier, il amême

retrouvéunefamillequiétaitperduealorsquetouslesautressecouristesétaientrentrésbredouilles.—Sérieux?Commentilafait?—Ilasuivileurpiste,ouuntrucdugenre.Fautluiposerlaquestion.—Commes’ilallaitmerépondre…—Vousvousêtesrentrésdedansouquoi?—Pasencore,maisçanesauraittarder.Ilyauntrucquinemeplaîtpaschezcetype.Selonmoi,Masonnefaisaitpaslepoids.Lucasluimettraitunepâtée,maisjenepensaispasque

Masonapprécieraitbeaucoupquejeluidonnemonavissurlaquestion.Apparemment,jen’étaispaslaseuleàavoirretrouvémoninstinctanimal.—Iln’envautpaslapeine,ai-jedit.Masons’estretournéversmoiavecunmouvementbrusqueetm’afaitunsourirebizarre.—Tucroisquejemeferaisaplatir.—Iltientquandmêmeunesacréeforme.—Netelaissepasabuserparmonamourdesétudes.Jesaismedéfendre.—Jen’endoutepas.Jen’avais rien trouvéd’autreà répondre.Cependant,unebagarrenemesemblaitpasunebonne

idée.—Bon,jedoisyaller.Ilaeffleurémamain.—J’aiquelquechosepour toi. (Il a fouillédans sapocheet ena sortiunpetitpaquetqu’ilm’a

tendu.)Joyeuxanniversaire!Jel’airegardéavecsurprise.—Commentas-tusu?Ilarougi.—Lanuitdernière,jen’arrivaispasàdormir,alorsjesuissortimarcherunpeuetj’aivuvotre

petitefête.Ilnousavaitsuivis?Est-cequec’étaitluiquej’avaisentendu?—Pourquoit’asriendit?Tuauraisputejoindreànous.—C’estpasmongenredem’incrusterdanslesfêtes.Ouvre-le.C’étaitunbraceletdecuirtressé.—Oh,merci!Ilmeplaîtbeaucoup.Jeluiaifaitungrandsourireetilaeul’airencoreplusembarrassé.—Iln’yapasbeaucoupdechoix,danslecoin,exceptédumatérieldecampingetdessouvenirs

débiles.—Non,vraiment,ilestgénial,ai-jeditenpassantlebraceletàmonpoignet.—Alors,onseverrapeut-êtretoutàl’heure?Cen’étaitpascommesionallaitsefaireunrendez-vousdanslesrègles.Ceseraitforcémentune

activitédegroupe,maisçapouvaitquandmêmeêtrefun.—Ouais,çamarche.Je suis partie rejoindreLucas.Ce n’était que le premier jour, et la situation était déjà complexe

entremonattiranceenversLucasetmonintérêtpourMason.Cedernierétaitnettementplusrassurant.Maisest-cequej’avaisenviedequelquechosederassurant?

3

J’airejointLucasdeuxpetitesminutesplustard.J’avaisdécidédenepasluimontrerlecadeaudeMason,etj’espéraisqu’ilneleremarqueraitpas.J’avaisl’intuitionqu’iln’approuveraitpas.—Masonétaitdanslaforêtlanuitdernière,luiai-jedit.C’estsûrementluiquej’aientendu.—Jesaisqu’ilétaitdanslaforêt.Jel’aisenti.—Quoi?—À cause du savon qu’il utilise. Carrément fort, ce truc.Mais de toute façon, celui qui nous

surveillaitetdontj’aisentilaprésence,jenepensepasquec’étaitlui.—Maisilm’aditqu’ilnousavaitobservés.—Alors,c’étaitpeut-êtrelui.Detouteévidenceilm’envoyaitpromener.—Tun’aspasl’airsuperconvaincu.—Jepensejustequ’ilfautqu’onrestevigilants.Allons-y!a-t-ilcriéaurestedugroupe.QuandLucasavaitditquenousprendrionslatêtedugroupe,ilvoulaitdirequ’ilmarcheraitdevant

etquejelesuivrais.Pourmeconsolerjesongeaisqu’iln’yavaitpasd’autreoptionquedemarcherenfileindienne,vul’étroitessedusentier.Nousempruntionsunchemintrèsfréquenté,sibienqu’onledistinguaitnettementetquelavégétationnenousgênaitpas.Plustard,nousbifurquerionsversunezone que personne n’avait explorée. C’était ce que je préférais dans la randonnée : aller là oùpersonnen’étaitjamaisallé.C’étaittoujoursuneaventure,quiréservaitdessurprisesàchaqueinstant.Etàcemoment-là,maplusgrandesurprise,c’étaitLucas.J’appréciaisdeleregarderbouger.Ilavaituneincroyableassuranceetlepiedtrèssûr.Jesavaisqu’ilallaitàl’universitéloind’icietqu’ilnerevenaitquel’étépourtravaillerauparc.Et

c’étaittout.Cedontj’étaissûre,c’étaitqu’ilétaitenparfaiteconditionphysique.C’étaitàpeines’ilrespirait,

alorsquemarespiration,àmaplusgrandehonte,commençaitàdevenircarrémenthachée.Lesentiergrimpaitdanslaforêtetleterraindevenaitdeplusenplusaccidenté.J’avaisl’impressiondefaireuneséancedemuscu.Etmoiquimecroyaisenforme!—Encoreuneffort,aditLucas.Monhumiliationétaittotale.Nonseulementilm’avaitentenduehaleter,maisenplusiln’avaitpas

pus’empêcherdemefairesavoirqu’ilavaitremarquémesdifficultés.Personnen’avaitfaitensortequejemesenteàpartmaisjesavaismaintenantquec’étaitlecas.—Jevaistrèsbien.Ilm’ajetéuncoupd’œilsansralentirsonallure.—Maisleprofetsesétudiants,eux,ontdumal.JerepensaiàsonaccrochageavecMason.—Est-cequetuessaiesdeleurdonneruneleçon?—Sic’étaitlecas,jenem’arrêteraispasdutout.Oui,ilétaittrèscertainementcapabledemarchertoutelajournéesansfairelamoindrepause.Je

ressentaisunétrangemélanged’admirationetdejalousieenverslui.Jenesavaispaspourquoic’étaitimportantpourmoi,mais j’avais envied’être sonégale etde l’impressionnerparmonendurance.Qu’ilressentedel’admirationpourmoi.Lesentiers’estunpeuélargietLucasaralentipourmepermettrederemonteràsahauteur.—Depuiscombiendetempses-tusherpa?l’ai-jequestionné.Ilatournésesyeuxgrisversmoi.—Quatreans.

—C’estpourçaqu’onm’amisedanstongroupe?Àcausedetonexpérience?Ilmescrutait,decettefaçoncalmeetintensequiluiétaitsiparticulière.Puisiladit:—C’estmoiquit’aidemandée.J’ensuisrestéebouchebée,maisiln’apaseuletempsdes’enrendrecomptecarj’aitrébuché.Ila

réagi avecune rapidité stupéfiante. Ilm’a attrapée et redressée avant que je nem’effondre sous lepoidsdemonsacàdos.Sesmains,largesetchaudes,enserraientmesbras.Mamaladresseauraitdûmeremplirdehonte,maisj’étaistropintriguéeparcequ’ilvenaitdedire.—Pourquoi?Pourquoim’avoirdemandée?—Parcequepersonnen’auraitpumieuxteprotégerquemoi.—Parcequetuesquoi,toi?Supersherpa?Etpuistucroisquejenesuispascapabledeprendre

soindemoitouteseule?—C’estpasmoiquiviensdem’emmêlerlespieds.J’aichoisid’opterpourlesilencecarilauraitétéridiculed’essayerdeluiexpliquerquesij’avais

trébuché,c’étaitàcausedecequ’ilavaitdit,etquedoncmamaladresseétaitenquelquesortedesafaute.—Ons’arrêteici?ademandéLindseyens’approchant.Ellemeregardaitbizarrement.—Oui,aditLucas.Il a lâché mes bras, reculé d’un pas et laissé son sac à dos glisser par terre avec l’aisance de

quelqu’un qui enlève son blouson. Puis il s’est appuyé contre un tronc d’arbre. Je me suislaborieusementdébarrasséedemonsacàdos.—Unquartd’heuredepause.Pensezàboire,aditLucas,une foisque tout lemondenousaeu

rejoints.Jevaisfaireuntourderepérage.Pasletempsdedireoufetilavaitdéjàdisparuentredeuxarbres.OK,monsieur « Vous-allez-mordre-la-poussière ». Joue-la comme ça. Prouve-nous que tu n’es

même pas humain, que toi, tu n’as pas besoin de repos et qu’en comparaison nous ne valons pastripette.—Lafatiguen’apasprisesurluiouquoi?agrommeléMasonens’affalantparterreprèsdemoi.—Onditquec’estlemeilleur,afaitremarquerlePrKeane.Il avait les cheveux foncés, avec quelquesmèches grises.Mêmedans sa tenue de randonneur, il

conservaitunealluretrèsdistinguée,commes’ilallaitàtoutinstantselancerdansuncoursmagistral.Pasd’IndianaJoneschezceprofesseur-là. Il s’estdirigéversdeuxdesesétudiants,TyleretEthan,haletants,quitranspiraientàcausedelagrandecaisseenboisqu’ilstransportaient.Illesaaidésàladéposeràterresansdommage.—Ilyaquoilà-dedans,professeur?ademandéConnor.—Dumatérielquenousutiliseronspourpréleverdeséchantillonsquandnousseronssurplace.—Vousdevezavoirl’intentiond’enprendredesmasses,alors.Le sourire du Pr Keane m’a évoqué celui qu’arborait mon psy quand il cherchait à me faire

comprendrequeluisavaitdeschosesquemonmodesteespritn’étaitmêmepascapabled’imaginer.—Jetiensàenavoirpourmonargent.Etj’aichoisilesétudiantsquim’accompagnentpourleur

curiosité. Je ne doute pas qu’ils examineront avec la plus grande attention tout ce que noustrouverons.Masonn’étaitdoncpasleseulànourriruneformederessentimentenverslessherpas.J’ignorais

combienleparcdemandaitpournotreaccompagnement.Moi,entoutcas,j’étaispayéeauminimumlégal. Je considérais que la vraie récompense était de pouvoir passer l’été en pleine nature. Nousn’aurionspasétélàsinousn’aimionspasfaireça.

Lesautresétudiants–David,JonetTess–s’étaientassisensembledansleurcoinpendantquelessherpasseregroupaiententreeux.DavidetJonsemblaientunpeuvieuxpourêtreencoreétudiants.Jemedemandaiss’ilsn’avaientpaschoisidereprendredesétudesaprèsquelquetemps.Jeleurdonnaislatrentaine.Tess,quantàelle,ressemblaitàuntopmodèle.Extrêmementjolie,elleétaitgrande,avecunepeaucaféaulaitetunteintsansdéfaut.En repensant à ce que venait de dire le Pr Keane, je me suis dit qu’il valait mieux éviter de

constituerdescastes :étudiantscontresherpas.J’aisortiunebouteilled’eaudemonsacetmesuisassiseàcôtédeMason.Ilétaitentraindeserongerl’ongledupouce.—Qu’est-cequit’arrive?— Oh, rien, je me le suis un peu abîmé en préparant mon sac ce matin. Il n’arrête pas de

s’accrocher.—J’aiunelimeàonglessituveux.J’aiouvertlafermetureÉclairdemonsacàdospourl’attraper.—Tuasemportéunelimeàongles?Ilavaitl’airauthentiquementsoufflé.— Bien sûr. Toute fille qui se respecte pense à emporter sa lime à ongles dans ses escapades

sauvages.Ilaacceptélalimeenriantets’estlimél’ongleavantdemelarendre.—Penseàboire,luiai-jerappelé.—Ahoui,c’estvrai.Ilaattrapéunebouteilledanssonsacetaavaléquelquesgrossesgorgées.Puisils’estpenchévers

moi.—Qu’est-cequetusaissurcetype?—Queltype?—Celuiquiseprendpourlechef.—Sic’estdeLucasquetuparles,defait,c’estluilechef.Ilalesdiplômesettoutpourleprouver.JenesavaispaspourquoijevenaisàlarescoussedeLucasetdesonarrogance.—Oui...Ilestducoin?—Oui.—Ses cheveux sont bizarres. Je veux dire, tu avais déjà vu des cheveux de toutes les couleurs

commeça?Moi,j’aimaisbien,jen’étaispasprêtecependantàlereconnaître,depeurquequelqu’unnecroie

quej’avaisunfaiblepourLucas.Jenesavaispastropcommentdéfinircequejeressentaispourlui.Jeletrouvaisultrasexy,maisenmêmetemps,ilétaitplusvieuxquemoietsemblaitbeaucoupplusmûr.Enfait,ilm’intimidaitunpeu.—Et toi?m’ademandéMason, interrompantmes réflexions. J’aicruentendreque tuvenaisde

Dallas.C’estpresqueleCanada,ça.Pourquoichoisirdevenirtravailleraussiloindecheztoi?Instinctivement,j’aieuenviedeluirépondredefaçonévasive,maispourréussirmathérapie,ilme

fallaitaucontraireaffrontermonpasséetnonpaslerefouler.Enplus,j’étaisencoresouslecoupdemoncauchemar.J’avaispeut-êtrebesoindemedélesterdetoutcepoidsetMasonavaitl’aird’êtreunmecsympa,ouentoutcasdes’intéresseràmoi.J’aitouchélebraceletencuirqu’ilm’avaitoffertetluiaiditlepluscalmementpossible:—C’estmonpsyquimel’aconseillé.—Tuvoisunpsy?Était-ilimpressionnéouhorrifié?Àl’école,lesgensavaienttendanceàs’imaginerquesionallait

voirunpsy,c’étaitparcequ’onétaitsurlepointdetuertoutlemonde,doncjen’enparlaisjamaisàpersonne.J’étaisbeaucoupplusrenferméeàDallasqu’ici,danslanature,oùjemesentaisdavantage

chezmoi.Sij’avaiseulechoixentrevivreenvilleouàlacampagne,j’auraisàcoupsûrchoisilacampagne.J’aisoudaineuenviedem’épancher.J’aihochélatêteetdit:—Oui.—Alors,euh,t’esbipolaire,cegenredetruc?Etvoilà,toutdesuiteunevisionnégative.—Disons juste que j’ai des problèmes. (Et puis, comme il avait touché un point sensible, j’ai

poursuivi avec amertume :)Mes parents ont été tués dans ce parc. Alorsmon psy dit que je doisessayerd’entrerenharmonieaveccetteforêtpoursurmonterleurmort.—Oh,c’estdulourd,tonhistoire.Manifestement, il avait du mal avec les sujets trop personnels et je m’étais plantée en croyant

établirunlienprivilégiéaveclui.Jeregrettaisdéjàdem’êtreconfiéeàlui.—Ouais,c’estpastropuntrucquejeraconte,normalement.Oublieça.Jenesaispaspourquoije

t’enaiparlé.—Non,non,hé,c’estmoi,j’aimalréagi.C’estjustequejen’avaisjamaisrencontrépersonnedont

lesparentsontététués.Jenem’yattendaispas.Commentest-cearrivé?Desanimauxsauvages?J’aifaitnondelatête.—Jesuisdésoléemaisjen’aipastropenvied’enparler.J’auraismieuxfaitdemetaire.—Attends,iln’yapasdeproblème.Jecomprendssituneveuxpasqu’onenparle.Maisdepuis

qu’ons’estrencontrés,j’airessentiunesortedeconnexionavectoi,alorssituveuxenparler,jesuislà.Jeluiaisouriavechésitation.—Merci.—Jet’enprie.Enplus,iln’yapasdedangeravecmoi.Onvapasserquinzejoursensemble,puis

jedisparaîtraidetavie.Àmoinsque…—Àmoinsque?—Àmoinsquel’onnedeviennevraimentproches.Qu’est-cequ’onensait?Aveclese-mailset

lestextos,lesrelationslonguedistancepeuventtrèsbienmarcher.Demande-moitoutdesuiteenmariagetantquetuyes!—Wouah!T’esunrapide,toi!Ils’estencorerapprochédemoi.—Jefaisjustedessuppositions.Surunsujetquim’intéresse.Moi aussi, çam’intéressait.Ou j’imaginaisque c’était le cas.Mais alors, pourquoi est-ceque je

n’arrivaispasàrépondreàsesavances?Pourquoiest-cequejecherchaisàvoirsiquelqu’unnousregardait,commesij’étaisentraindefairequelquechosedemal?Etpourquoiest-cequejem’étaispresqueévanouieenvoyant,adosséàunarbre,Lucasquim’observait?Qu’est-ce qu’il avait à toujours rôder autour de nous ? Et par quelle absurdité est-ce que je

m’interrogeaissurcequiseraitpossibleentrenous?— Il faut repartir si nous voulons atteindre le camp avant la nuit, a-t-il soudain annoncé. La

citadine,tucontinuesavecmoi.Normalement,jerespectelesordres.Saufquandjenelefaispas.Là,nousétionsencoretropprès

duvillage.Sijememutinais,ilpouvaitencorem’yrenvoyerillicopresto.Etcommej’avaistrébuchédevantlui–lahonte!–,jenepouvaispasdécemmentaffirmernepasavoirbesoindesurveillance.J’aidoncattrapémonsacàdos,l’aiinstallésurmesépaulesetj’aitraînédespiedsjusqu’àLucas.—Est-cequec’estvraimentnécessaire?—Pourlemoment.D’unmouvementbrusquedelatête,ilaindiquéquelquechosederrièremoi.—Tuvoulaismarcheraveclui?

Jesavaisqu’ilfaisaitréférenceàMason.—Peut-être.Qu’est-cequeçapeutbientefaire?—S’il y a un problème, tout ce que tu verras, ce sont ses fesses pendant qu’il détalera pour se

mettreàl’abri.—Tun’ensaisrien.— Je suis assez doué pour juger de ce que les gens ont dans le ventre.Mason, c’est que de la

gueule.Ilaboiemaisnemordpas.—Ettoi,c’esttoutl’inverse,c’estça?Lacommissuredeseslèvresatressaillidanscequidevaitêtreunsourire.—Siquelqu’unmériteunrappelàl’ordre,oui,jepeuxmordre.Avantquej’aietrouvéunerepartieintelligente,sonsoupçondesourireadisparuetiladit:—Ilsepourraitqu’onrencontredudanger.Resteencoreunpeuavecmoi.C’estàmoiqu’ilparlaitdedanger?Ilconnaissaitmonhistoire,peut-être?Etpuisqu’est-cequeça

pouvait bien lui faire ?C’était parce que j’étais la petite nouvelle ?Ou y avait-il autre chose ?Etpourquoi est-ce que je voulais qu’il y ait autre chose ? Pendant une seconde, j’ai envisagé decontinueràdiscuter,maistoutlemondes’étaitdéjàrassembléetonn’attendaitplusquemoi.J’aihaussélesépaules–tantbienquemal,àcausedemonsacdedeuxtonnes.—Ehbien,allons-y,chef!

4

—Desloups-garous?Vouscroyezvraimentquelesloups-garousexistent?J’aifaillim’étoufferdansmatentativedésespéréedenepasrirependantquejeposaislaquestion.

Leclientatoujoursraison,maisjen’étaispassûrequecelas’appliquâtauxrandonneursdontj’étaisl’unedesguides.Enl’occurrence, ilssetrompaientsurtoutelaligneet jenepouvaispasnepasleleurdire.Nousétionstousassisautourd’unfeudecampencompagnieduPrKeane.Lerestedelajournée

s’étaitdéroulécommelamatinée :grimpettedans laforêt,pause,regrimpette…Jusqu’àceque,aucrépuscule,nousayonsatteintunegrandeclairièreetqueLucasdéclarequenousallionsydresserlecamp.Àprésent,ilfaisaitcomplètementnuitetnousnousfaisionsgrillerdesmarshmallows.Cliché,d’accord,maisc’étaittropbon.Le Pr Keane nous avait raconté de vieilles légendes à propos des loups-garous. Ces histoires

étaient fascinantes.Absurdes,mais fascinantes.Puis il avaitpoursuivi enmentionnant les loupsquiavaient été repérés dans les zones les plus lointaines du parc. Des loups qui, selon lui, étaient enréalitédesloups-garous.Ilsemblaitconvaincuqueceparcenparticulierétaitleurterraindechasseprivilégié,quec’étaitlàqu’ilssecachaient.—Pourquoiest-cesidifficileàcroire?ademandélePrKeaneenréponseàmaquestion.Assis sur un petit tabouret pliant, il avait un air très professoral. Il ne luimanquait qu’un nœud

papillonrouge.— Toutes les cultures sans exception mentionnent des légendes à propos d’humains prenant la

formed’animaux.Etceslégendessontfondéessurdesfaits.—Jesuisd’accordavecKayla,aditLindseyquiétaitassiseàcôtédeConnor.Lesloups-garous,

c’estdelapurefiction.RegardezleYétioulemonstreduLochNess.Justedegroscanularsquiontétééventés.— Je ne sais pas, est intervenuConnor. Il se peut que le PrKeane tienne quelque chose, là.Au

campusavecmoi,ilyavaituntypequiauraittrèsbienpuêtreunloup-garou.Ilneserasaitjamais,nese coupait jamais les cheveux et ne se lavait pas non plus. Difficile de savoir s’il était vraimenthumain.J’aidûétoufferunrireànouveau.Nuldoute,aucundenousneprenaitcesthéoriesausérieux.—Maissic’étaitvrai?Etsidesloups-garousvivaientbeletbiendanscetteforêt?aditMasonqui

étaitassisàcôtédemoi.Il avait une façon bien à lui de préparer ses marshmallows qu’il faisait longuement et

précautionneusementrôtirjusqu’àcequ’ilssoientd’unbrunclairuniforme.Mêmeaumeilleurdemaforme,jeneparvenaispasàmontrerautantdepatience.Alors,fatiguéecommejel’étais,autantdireque je n’en avais aucune. Mes marshmallows survolaient à peine le feu avant d’être aussitôtengouffrés.—Dans ce cas, nous allons tous connaîtreunemort atroce, ai-jegrincé en imitant lavoixd’un

savantfoudesérieZ.Unéclairaccompagnéd’ungrondementdetonnerre,etlareconstitutionauraitétéparfaite.MoninterprétationafaitglousserConnoretLindsey.MêmelesétudiantsduPrKeaneontsouri.—Oualorsnousallonstousnouschangerenloups-garous,aditLucasquiétaitadosséàunarbre,

unpeuàl’écart.—C’estcommeçaqueçamarche,non,professeur?Siunloup-garouvousmord,vousaussivous

endevenezun?

—C’estunepossibilité.Leslycanthropespourraientaussiêtredeshumains,victimesd’unesortedemutationgénétique.—UntruccommelesX-Men?l’ainterrompuLucasavecunsouriresardonique.—Mêmedanslafiction,ilyatoujoursunebribedevérité.—Etpourquoiceseraitlesloups-garouslesmutants?Etsilesmutants,c’étaienttouslesautres?

Peut-êtrequel’humanitéacommencéaveclesloups-garous.—Intéressantethéorie.Mais,danscesconditions,neseraient-ilspasl’espècedominante?Ceserait

euxquinousauraientprisenchasseetnonl’inverse.—Parcequ’onlesaprisenchasse,là?arelevéRafe.— Jeme suismal exprimé, a dit le PrKeane, je voulais dire que nous les recherchons et non

l’inverse.— Et s’ils ne souhaitent pas être « recherchés », il se pourrait qu’ils s’en prennent à nous, dit

Brittany.Ilsepasseraitquoi,alors?—Iln’yarienàcraindrepourcesoir,aditLucasenregardantleciel.Lalunen’estpaspleine.—Celan’estvraiquesi leur transformationestcontrôléepar l’activité lunaire,asouligné lePr

Keane.Ets’ilspouvaientsetransformeràvolonté?—Alorsnousavonsungrosproblème.Lucasétaitrestédesplusimpassiblesendisantça,sibienquejenesavaispassic’étaitdulardou

ducochon.—Tun’ycroispasvraiment,si?luiai-jedemandé.Lucas était la dernière personne que je m’attendais à voir avaler cette ridicule histoire de

lycanthropes.Ilm’afaitunclind’œil(etmoncœuramanquédechavirer).—Entoutcas,unefoisquej’aurairefermématentetoutàl’heure,jen’ensortiraipasavantquele

joursoitlevé.—Tatenten’arrêterapasunloup-garou,aditMason.Puisilasoufflésursonmarshmallowparfaitementgrillé.—Aucuneattaquedeloupcontreunhumainn’ajamaisétérecensée,luiaassénéLucas.— Il ne s’agit pas de loups ici, mec, a rétorquéMason avec rudesse. Il s’agit de loups-garous.

Quelqu’unquisechangeenanimal.Ilssontici,etonvaleprouver.Etc’estmoiquisuisenthérapie?—C’estça,lebutdecetteexpédition?ademandéLucasavecuncalmesiglacialquedesfrissons

mesontremontéslelongdelacolonnevertébrale.—Masonselaisseunpeuemporter,aexpliquélePrKeane.Nousespéronsjustevoirdesloupset

si possible les étudier. La lycanthropie me fascine, je l’avoue. Cela étant, est-ce que j’y croisvraiment ? Non, bien sûr que non. Cependant, je tiens à rester ouvert et à ne pas rejeter cettepossibilitéd’emblée.—Lesloupsavaientdisparudelarégionjusqu’àcequ’onenréintroduisequelquescouplesilya

unevingtained’années, réponditLucas.Ceux-là sontcertainementmorts,mais leurdescendanceseportebien.Etsurtout,ilsappartiennentàuneespèceprotégée.—Nousneleurvoulonsaucunmal.—Bon,danscecas,peut-êtrequevousaurezdelachanceetquevousenverrezquelques-uns.Lucass’estredressé.—Nousdevonsnous lever tôt demainmatin. Je vaisme coucher.Rafe, tu t’assuresque tout est

sécurisé,lefeuetlereste,avantd’allerdormir.—Çamarche,aditRafeenlançantunmarshmallowcramédanssabouche.

UnefoisLucasparti,latensionpalpableautourdufeudecamps’estrelâchée.J’avaisl’impressiondenepasêtrelaseuleàpenserqueçarisquaitdesecorserentreLucasetMason.—T’ycroisvraiment,àcetruc?ai-jedemandéàMason.—Non,maisceseraittellementcool,hein?—Bien,ilssontquandmêmetoujoursunpeuagressifs,danslesfilms.—Moi,j’aidéjàétémorduparunloup.—Sérieux?—Ouais.Ils’estpenchépourreleverlebasdesonpantalon.Ilavaitunehorriblecicatriceaumollet.—Ils’estoffertunebellebouchée.—Depuis,Masons’estprisdepassionpourl’étudedesloups,aditlePrKeane,avecunepointede

fiertédanslavoix.—MaisLucasaditqu’iln’yavaiteuaucuneattaquerecensée…—Ilnesaitpastout,arétorquéMasoncalmement.Unnouveaufrissonm’aparcourue.—Etalorsàlapleinelune,tutechangesenloup?ademandéLindsey.—Pfff,siseulement...—Moi,jeroulepourlesloups-garous,acontinuéLindsey.C’estlesfilmsdeHollywoodquiont

flinguéleurréputation.Desdémonstoutdroitsortisdel’enfer.Alorsqu’enfaitjepensequ’ilssontunemétaphoredel’ignoblefaçondontnoustraitonsceuxquisontdifférentsdenous.—Maisc’estquedesfilms,Lindsey,aprotestéConnor.Iln’yapasdemessagesubliminaloude

grandevéritéultimeenfindévoilée.Enplus,situregardesunfilmoùleloup-garouesttoutgentiletcompréhensif,aucunechancequelafilleàcôtédetoisemetteàcrieretvienneseréfugierdanstesbras.—Jecroisqu’ilssontvictimesdenospréjugés.C’esttoujourseuxlesméchants.J’aimerais,juste

unefois,quecesoitleloup-garoulehérosdufilm.— Tu prends ça très à cœur, a conclu Mason en commençant à faire griller un nouveau

marshmallow.—Qu’est-cequetuveuxquejetedise?J’aiunfaiblepourlagentcanine.—Lesvampiresnesontpasmieuxtraités,aditBrittany.Tuvasprendreleurdéfenseàeuxaussi?— Il y a plein de films où les vampires essaient de résister à leur soif de sang humain et de

conserverleurhonneuretleurdignité.Jedisjustequedetempsentemps,ceseraitsympadevoirunloup-garoucommeçadansunfilm.— La transformation leur fait perdre toute leur humanité, a décrété Mason. (Il a retiré son

marshmallowdufeuetregardéautourdelui.)Enfin,c’estcommeçadanslesfilms.— Dans toutes les légendes, les loups-garous commettent des actes abominables, a dit le Pr

Keane.IlestparfaitementnormalqueHollywoodintègredespeursancestralesdansceshistoires.—Oui,maisquandmême,amarmonnéLindsey.Ellesemblaitpourtantavoirrenoncéàdéfendrelacausedesloups-garous.Çan’avaitaucunsens,

detoutefaçon.C’étaientjustedestrucspourjoueràsefairepeur.Masonm’aproposésonmarshmallowidéalementgrillé.—Jenepeuxpas accepter, lui ai-jedit.Aboutir àune telleperfection t’ademandé tropd’effort

pourquejet’enprive.—C’estparcequejevoulaisqu’ilsoitparfaitpourtoi.Commentrefuser?Jel’aiglissédansmabouche.C’étaitdélicieux.Jeluiaisourietilm’asourien

retour.Quandnousneparlionspasdeloups-garous,etqueLucasn’étaitpasdanslecoin,j’appréciais

la compagnie deMason. Et puis il était rassurant. Il ne suscitait pas enmoi des envies de chosesinterdites,deschosesbienplussérieusesqu’unsimplebaiser.

Brittany,Lindseyetmoisommesretournéesànotre tente.Brittanys’estglisséeaussitôtdanssonsac de couchage, nous a tourné le dos et s’est endormie sans un mot. J’ai lancé un regardinterrogateuràLindseyquiahaussélesépaules.—Jenesaispascequec’est,maisilyauntrucquinevapas.Nousnoussommesallongéesdansnossacsdecouchageànotretour.Lindseyaéteintlalumièreet

alluméunepetitelampestyloquiéclairaitvaguementsonvisage.—Qu’est-cequisepasseentreMasonettoi?m’a-t-elledemandéd’untoncalme.—Jenesaispastrop.Mais,bon,ilmeplaîtbien.—Faisgaffe.Ilyadesmecsquicroientquelessherpassontfacilesàdraguer,qu’onestlàpourça.—JenecroispasqueMasonsoitcommeça.Etpuisjenesuispasunefillefacile.— Juste, fais gaffe. Je ne veux pas qu’il t’arrive un truc désagréable pendant ta première

expédition.— Il se peut qu’on passe un peu de temps ensemble, mais je ne me lancerais jamais dans une

histoiresérieuseavecuntypequejenereverraipeut-êtrejamais.—Ouais,onditçaetpuis…amurmuréBrittany.—Jecroyaisquetudormais,toi,aditLindsey.—Jenepeuxpasdormirsivousbavasseztoutletemps.Lindsey lui a tiré la langue et j’ai étouffé un gloussement. Lindsey s’est installée plus

confortablementdanssonsacdecouchage.—Faisjusteattention,a-t-elleconclu.

Jefixaisletoitdelatenteenréfléchissant.Lindseyavaitlaissélamini-lampealluméeenguisedeveilleuse.J’avaisapprisl’étédernieraucoursdenotreexpéditiondanslaforêtqu’ellen’aimaitpaslenoircomplet.Aumilieudelanuit,quandmesparentsétaientendormis,jem’échappaispourallermeglisserdanssatente.Nousparlionsalorspendantdesheuresdulycée,deshoppingoudemecs.Elleétaitlapremièrepersonneendehorsdemafamilleàquij’avaisracontéquemesparentsavaientététués. Pour une obscure raison, et à l’exception de la nuit précédente, je ne faisais jamais decauchemarsquandLindseyétaitdanslecoin.Peut-êtreparcequejesentaisqu’ellenemerésumaitpasàmonpassé.D’unecertainefaçon,elleétaitplustolérantequemonpsy.J’avais aussi rencontréBrittany l’étéprécédent,mais jen’étaispas aussiproched’elle.Peut-être

parcequejesentaisqu’elleavaitsespropresproblèmes.Àprésent,elleronflait.C’étaitunesortedepetitreniflement,commeceluidemonchienFargo.Cependant, ce n’était ni la lumière ni ce bruit qui me tenaient éveillée. C’était les loups. Ils ne

hurlaient pas,mais j’avais la sensation qu’ils rôdaient autour du camp. Si Lucas avait dit vrai, ilsétaientlàdepuisvingtans,ilspouvaientdoncavoirétéprésentsquandmesparentsbiologiquesetmoiétionsvenuscampercetété-là.Est-cequec’étaiteuxqueleschasseursavaientvus?Était-onprèsdel’endroitoùmesparentsétaientmorts?Jen’avaispasvoulum’yrendrel’étéprécédent.Jen’étaispasprête.Enplus,personnen’avaitl’air

desesouvenirdulieuexactoùças’étaitpassé.Oudumoins,c’étaitcequ’onm’avaitdit.Peut-êtremecroyait-on incapabledesupporter lechoc.Àprésent, jemesouvenaisdesgrognementssourdsquej’avaisentendusce jour-là,etcen’étaitpasunrêve.Étions-nousen traindefuirdes loups?Lucasavaitpourtantditqu’ilsn’avaientjamaisattaquépersonne.Ques’était-ilréellementpassécejour-là?

J’airepoussélehautdemonsacdecouchagepourm’asseoir.J’avaistoutàcoupbesoindesortir.Jen’avaispaspris lapeinedemedéshabiller, ilmesuffisaitd’enfilermeschaussures. J’ai attachémeslacets,attrapélalampetorcheetouvertlafermetureÉclairdelatenteaussisilencieusementquepossible.Deuxlanternesétaientencoreallumées,maisiln’yavaitpersonneenvue.Jen’avaispasbesoinde

compagnie,jevoulaisjuste…Jenesavaispascequejevoulaisaujuste.Affrontetespeurs,m’avaitordonnéleDrBrandon.Cequiauraitétébienplusfacilesi j’avaissu

lesquelles.Franchement,jen’enavaispaslamoindreidée.J’avaisl’impressionquequelquechosedecapital était sur lepointd’arriver etquemavie allait basculer. Jene savaispas àquoim’attendre,maiscequelquechoseétaitreliéàmonpasséetallaitinfluencermonavenir.Desquestions,maispasderéponses.Delacrainte,maissansraison.J’ailongélestentesetmesuisdirigéeverslaforêt.Àpeineavais-jeparcouruquelquesmètresque

j’aientenduuneconversationàvoixbassenonloindemoi.Consciented’êtreindiscrète,jemesuistoutdemêmeapprochée.—Jesais,papa.Combiendefoisfaut-ilquejeterépètequejesuisdésolé?J’avaisreconnulavoix.Mason.—Nousnedevonspaséveillerleurssoupçons.—C’esttoiquiascommencéàparlerdesloups-garous.—Entantquelégendes.—Tuavaisl’aird’unprédicateurprêchantl’Évangiledesloups-garous.C’estpourçaqueKayla

t’ademandésituycroyaisvraiment.Tuesautantresponsablequemoi.—Surveillonsnosparolesàl’avenir.N’importelequeldenosguidespourraitenêtreun.J’aidûmecouvrirlabouchedesdeuxmainspourétouffermonrire.—Moi,jepariesurLucas,aditMason.J’étaisencoreplusabasourdie.— Ce type est beaucoup trop silencieux. C’en est presque surnaturel. Et pourquoi est-ce qu’il

disparaîtchaquefoisqu’onfaitunepause?Qu’est-cequ’ilvafaire?—Net’inquiètepas,onvaledécouvrir.Jesuisrestéelà,immobilesouslechoc,pendantqu’ilss’éloignaientversleurtente.Qu’est-ceque

c’étaitquecettehistoire?Lucas,unloup-garou?L’idéequ’unhumainpuissesetransformerenanimalétaitgrotesque,maisquequelqu’unpuissey

croirepourdebonétaiteffrayant.Jerepensaià l’équipementqu’ils transportaient.C’étaitunecageque contenait la grande caisse en bois ?Allaient-ils capturer un loup ?Et une fois qu’ils auraientcomprisqueleloupn’étaitqu’unloup,quesepasserait-il?Jemesuisdirigéeverslaforêtavecprécaution.Jenevoulaissurtoutpasqu’ilss’aperçoiventque

j’avaissurprisleurconversation.Loindemoilapenséequ’ilspourraienttenterdemetuerpourmecontraindreausilenceouuntrucfoudanscegenre-là,maisjetrouvaisunpeuflippantel’idéed’êtreembarquéedansuneexpéditiondechasseauloup-garou.Mais,aufond,quelmalyavait-ilàcela?Desgensveillaientbiendesnuitsentièresdansl’espoird’apercevoirdessoucoupesvolantes.Certainssoutenaientmordicus qu’ils avaient été enlevés par des extraterrestres et étaientmontés à bord devaisseauxspatiaux.D’autresencoreseruinaientenéquipementsdehautetechnologieafindeprouverl’existence des fantômes. Ce n’était donc pas si dingue que ça de croire en l’existence des loups-garous.Pourmoi,c’étaientdesfadaises,maisdumomentqu’ilsnefaisaientdemalàpersonne,jenevoyaispaspourquoiilsn’auraientpasledroitd’explorerlaforêt.Quand j’ai estiméme trouver suffisamment loinpournepasêtre repérée, j’ai alluméma lampe

torche.Sa lumièreétait rassurante,maiscurieusement,c’était laprésencedesarbresautourdemoi

qui me réconfortait le plus. Agitées par le vent, les feuilles murmuraient une curieuse berceuse.Pendantunemerveilleuseseconde,j’aipresquecruentendremamèremelachanter.Jenecroyaispasaux fantômes, en revanche j’étais convaincue que notre âme, notre esprit, ou quoi que ce fût quiconstituaitnotreêtrenoussurvivaitaprèsnotremort.Aprèstout,cen’étaitpeut-êtrepassifouqueçadecroireàl’existencedesloups-garous.—Tuvasquelquepart,lacitadine?J’aitournélalampetorchedansladirectiondelavoix.Lucassetenaitprèsdemoi.Jenel’avais

pasentenduapprocher.J’aiposélamainsurmoncœurdontlesbattementsfurieuxmenaçaientdefaireexplosermacage

thoracique.—Tuasfaillimefilerunecrisecardiaque.Montonétaitaccusateur,etàjustetitre.—Qu’est-cequetufaislà?—Jen’arrivaispasàdormir.—Donctut’esditqueceseraitunebonneidéedet’éloignerducamptouteseule?—Jenem’éloignaispas.J’étaisjusteentrainde…Pourquoiest-cequejemejustifiais?—Ettoi,qu’est-cequetufaisici?—Jen’arrivaispasàdormirnonplus.Qu’est-cequit’empêchededormir?J’avaisregrettédem’êtreconfiéeàMason;jeluiaidoncfaituneréponsevolontairementvague.—Justedestrucsàgérer.—Tesparentsontététuésparici,non?Ilyavaitdelasympathieetdelacompassiondanssavoix.—Commenttusaisça?luiai-jedemandé.—L’étédernier.Onnousaditpourquoituétaislà.Pouréviterqu’onsorteuntrucdéplacépendant

l’expédition.Çaadûêtredifficilepourtoiderevenirici.J’ai fait oui de la tête, la gorge serrée à cause de toutes les larmes que je n’avais pas encore

versées.—Situveux,jet’accompagne.—Merci,mais…jen’aipastropenviedecompagnie.—Sansparler. Justemarcher.Commeça jepourrai garder l’œil ouvert et être sûrque tu es en

sécurité.—Etsionseperd?—Jeconnaiscetteforêtcommemapoche.QuandtugrandisàTarrant,cetteforêt,c’estunpeuton

jardind’enfants.—D’accord.Siçateva.Justeunpetittour.Ilm’aemboîtélepas.J’avouequesaprésenceétaitbienplusréconfortantequecelledesarbresou

du faisceau lumineux dema lampe torche.C’étaitmême assez agréable d’être avec lui sans avoirbesoindeparler.Jesentaisl’odeurdesapeau.Uneodeurboisée,commecelledelaforêtautourdenous.Plaisante,

puissante,sexy.Sespasétaient incroyablementsilencieux.J’ai tournémalampetorchevers luiuneseconde.Ilétaitpiedsnus.—C’estpasunpeudangereux?ai-jeditendirigeantànouveaumalampedevantmoi.—Jemarchepiedsnusdepuisquejesuispetit.—Tutedéplacessisilencieusement.—J’aiapprisàlefaire.Connor,Rafeetmoi,onjouaitauxgendarmesetauxvoleursparici.La

seulefaçondegagner,c’étaitdepouvoirleurtomberdessussanssefairerepérer.

—Ettuaimesgagner.—Àquoibonjouersic’estpourperdre?Jemesuisarrêtéepourm’adossercontreunarbre.J’aiorientémalampeverslesolpouravoirun

peudelumière,maissansquenosvisagesfussentéclairés.Mêmecommeça,jepouvaissentirqu’ilm’observait.—Ettoi,tuasdessouvenirs,disons,douloureux?—Toutlemondeena.—C’estpasuneréponse.—Oui.Moiaussi,j’enai.Savoixétaitblanche,dénuéed’émotion,etjedevinaisqu’iln’allaitpass’épancher.Pourtant,savoir

queluiaussiavaitdessouvenirspéniblesmesuffisait.J’aipousséunlongsoupir.—J’étaisavecmesparentsquandilsontététués.Maisjenemerappellepasvraimentcequis’est

passé. Jeme souviensdesdétonations.C’étaientdes fusilsdechasse.Un sonassourdissant.Etpuismes parents,morts. Je n’arrête pas d’y penser depuis que je suis arrivée. L’année dernière, c’étaitcommesij’étaisdansunebulle,àl’abridemonpassé.Jenevoulaispasl’affronter.Cetteannée,c’estdifférent. C’est comme s’il y avait quelque chose à l’intérieur de moi qui voulait resurgir. J’ail’impressiond’êtresurlepointdemerappelerquelquechosedetrèsimportant.Ils’estrapprochédemoietm’acaressélajoue.Àcemoment-là,j’airéaliséquejepleurais.J’aieu

unpetitrireembarrassé.—Désolée.C’esttrèslourd,toutça,etjenevoulaispastel’imposer.—Pasdeproblème.Çaadûêtretrèsdurpourtoiderevenirici.Moi,j’adorecetteforêt.Toi,tu

doisladétester.—Enfait,non.D’unecertainefaçon,jemesensplusprochedemesparents.Iln’arienajouté.Etcurieusement,celal’afaitremonterdansmonestimeparcequemieuxvalaitle

silence que des banalités. Je me demandais si je n’aurais pas dû me taire, mais j’avais envie decontinuer.—Monpsyprétendquejedoisaffrontercessouvenirs,alorsquelaseulechosedontj’aieenvie,

c’estdelesoublier.Parceque,euh,jefaisdescauchemars…Etilsn’ontaucunsens.Ilme caressait encore la joue, et ce gesteme procurait un incroyable soulagement.Même dans

l’obscurité,sesyeuxnequittaientpaslesmiens.—Ças’estpassélejouroulanuit?— La nuit. Ou, plutôt, à la nuit tombante. C’est-à-dire qu’il faisait assez clair pour distinguer

vaguementcequisepassait.—Vousétiezensemble?—Oui,ilsvoulaientmemontrerquelquechose.Onavaitquittélegroupe.J’aiclignédesyeuxenessayantdeprécisermonsouvenir.—J’avaisoubliéqu’ilyavaitd’autresgens.Quiétaient-ils?Delafamille?Non,sinonilsm’auraientemmenéeaveceux.Desamis?—Jenesaispasquic’était.Tucroisquec’estimportant?—Jenesuispaspsy,jel’ignore.Qu’est-cequetesparentsvoulaienttemontrer?—Jen’arrivepasàm’ensouvenir.Quelquechosem’afaitpeur.Maisquoi?—Net’inquiètepas.Sic’estimportant,çatereviendra.—Jecroyaisquetun’étaispaspsy…—Eneffet. Je sais seulementqueparfois,çamarchemieuxquand tun’essaiespasquequand tu

essaiestropfort.—N’importequoi,tathéorie!

Ilasouri,unéclairblancdansl’obscurité.J’aifaillirelevermalampetorchepourmieuxvoirça.Ici, loindugroupe, dépouillé de son rôlede chef, il redevenait ungarçon comme les autres et nem’intimidaitplusautant.—Ettoi,pourquoiest-cequetun’arrivaispasàdormir?luiai-jedemandé.J’avaischoisidepartirduprincipequ’iln’avaitpaslancéçaàlalégère.—Cetteconversationsurlesloups-garous…Çam’aretourné.Saréponsem’afaitsourire.—Ouais,c’estça.Tuaspeurdugrandméchantloup-garou,maintenant.Ilm’arenvoyéunsouriremoqueur.Unsourireincroyablementsexy.—Ilscroientquetuesunloup-garou,tusais.MasonetlePrKeane.—Vraiment?Ilyavaitdel’amusementdanssavoix.—Ettoi,tutrouvesçadrôle?—Dumomentqu’ilsn’ontpasdeballesenargent.—Super.Tuveuxdirequetoiaussitucroisàtoutesceshistoires?—Non,maisparcontrejeneveuxpasqu’ilstirentsinoustombonssurdesloups.—Tuestrèsprotecteurenverseux.—J’aipassébeaucoupde tempsdanscette forêtetapprisàenconnaître tous lesanimaux.Jene

voudraispasqu’ils soientblessés.Pareilpour toi. Jenevoudrais surtoutpasqu’il t’arrivequelquechose.Ilauntoutpetitpeubaissélatêteet,toutàcoup,j’aicomprisqu’ilallaitm’embrasser.Etquej’en

avaisdésespérémentenvie.Soudain,unhurlementde loupnousafaitsursauter.Uncri lointainquiévoquait lasolitudeet le

deuil.—Nousdevrionsrentrer,aditLucasens’écartantdemoi.J’airelevélalampetorchepouréclairerlesentier.—Parici,aditLucaslorsqu’ilm’aprislamainpourmedirigerdanslabonnedirection.—T’essûr?—Sûretcertain.Jel’aisuivietnousavonsbientôtaperçulesfaibleslumièresducamp.—Mercidem’avoiraccompagnée,ai-jeditenarrivantàmatente.—Situasbesoind’allerfaireuntourlanuit,dis-le-moi.Cen’estpasprudentd’yallerseule.Une foisbienconfortablement installéedansmonsacdecouchage, j’ai songéque luiaussiétait

alléseuldanslaforêt.C’étaitdangereuxpourmoimaispaspourlui?Puisànouveauj’aientenduunhurlementdeloup,bienplusprèscettefois,siprèsquej’auraisjuré

qu’il se trouvait juste devant ma tente. Je me suis dit que j’aurais dû avoir peur. Et au contraire,commependantmapromenadeavecLucas,jemesuissentierassurée.Aprèsm’être endormie,pour lapremière foisdepuis très longtemps j’ai rêvéde loups sansme

réveillerenhurlant.

5

Lejoursuivantaplusoumoinsressembléauprécédent,àceciprèsqueleterrainestdevenuplusdifficile. Plus difficile pour tout le monde sauf pour les sherpas. À un moment donné, Lucas aproposéqueConnoretRafesechargentdelacaisse,maisTyleretEthanontrefusé.—Jemedemandecequ’ilpeutbienyavoirdedanspourqu’ilsytiennenttellement…aremarqué

Brittany.Après la pause déjeuner, comme Lucas ne m’avait pas demandé de continuer avec lui, j’avais

rejointBrittanyetLindsey.—Jepariequ’ilsmeledisent,sijemedébrouillebien,afanfaronnéLindsey.—Àmonavis,ilyadeschancespourquecesoitunecage,ai-jemurmuré.—Unecage?Pourquoifaire?s’estétonnéeBrittany.Jemesentaisbêtededireçaenpleinjour:—J’aisurprisuneconversationhiersoir.Ilscroientvraimentqu’ilyadesloups-garousdansle

coin.—Pfff,afaitLindsey.Ilsnesontpaslespremiers.Touslesans,desrandonneursviennentparce

qu’ilsontentendudesrumeursetqu’ilsveulenttrouverdespreuves.Aufond,c’estunpeudenotrefaute.Àl’occasiondeHalloween,nousorganisons«uneforêthantée»afinderecueillirdesfondspourdesrefuges.Noscostumessontsupercooletsuperréalistes.—Etflippants,aajoutéBrittany.—Maispersonnen’estdupe.AlorsqueMasonetsonpèreontl’airréellementembarquésdansune

chasseauloup-garou,ai-jeinsisté.— Et après ? Ils ne trouveront rien et nous, en attendant, on est quandmême payés, a déclaré

Lindsey.—Oui,jesais,maisducoup,jememéfied’eux.—Lesgenscroientà toutessortesdechoses.Dumomentqu’ilsn’ontpasrecoursà laviolence,

qu’est-cequeçapeutbiennous faire?Enplus,cegenrede rumeursaugmente la fréquentationduparc.Doncc’esttoutbon.J’ai passé mon sac à dos. Elle avait sans doute raison. J’étais fière d’avoir prouvé que j’étais

capabledetenirlerythme.Rafefermaitlamarcheens’assurantquepersonnenerestaitàlatraîne.—Et,euh,Lucas.Ilparticipeàvotretrucde«forêthantée»?ai-jedemandé.J’avaisdumalàl’imaginerenmonstrecostumé.— Jusqu’à son départ à la fac.Maintenant il ne rentre que pour les vacances. Pourquoi ? a dit

Lindsey.J’aieuunriregêné.— Pure curiosité. Vu que nous allons passer l’été ensemble, c’est normal qu’on apprenne à se

connaître.—Onpourrapeut-êtrejoueràactionouvéritécesoirautourdufeu,aditBrittany.—Hé,voustraînez,là!acriéConnorduhautdusentier.Nousavonsaccélérél’allure.J’espéraisqueBrittanyblaguaitàproposd’actionouvérité.Certes,j’avaisenvied’apprendreplein

detrucs…pasd’endire.Aufinalcesoir-là,onn’ajouéàrienetniMasonnilePrKeanen’ontparlédeloups-garous.Plustard,alorsqueBrittanyetmoinouspréparionsànouscoucher,Lindseynousarejointesdans

latente,toutexcitée.—J’aifaitmonpetitmanègeàEthanetjesaiscequ’ilyadanslacaisse.Delabière.

—Tutefousdenous,arépliquéBrittany.Riend’autre?—Bon, il y a de l’équipement aussi,mais ils planquent des bières dans les interstices et ils ont

décrétéquec’étaittroplourdàtrimbaler;alorsdèsquelePrKeanepartsecoucher,c’estfiesta!Brittanyetmoiavonsinstantanémentchangénosplans.L’idéed’unefêteaubeaumilieudesbois

meplaisaitbien.Jemesuisbrossélescheveuxetjelesailaissésdétachéspourqu’ilsbouclentautourdemes épaules. Puis jeme suismise à farfouiller dansmon sac à dos pour trouvermon top vertémeraudedécolleté.Lindseyajetéunœildehorsparl’ouverturedelatente.—Qu’est-cequ’ilacesoir?Allez,professeurKeane,audodo!—TuvasretournerdraguerEthan?ademandéBrittany.—Non.Ettoutàl’heurejenel’aipasdragué.J’aijusteflirtéunpeu.—TuessupposéeêtreavecConnor,non?Jen’aipasl’impressionquetuleprennesvraimentau

sérieux.—Quoi?ai-jedit,aprèsavoirsurmontélechoc.Connorettoi?Maistunem’enasjamaisparlé!—C’estcompliqué,aditLindsey,etj’aiperçududépitdanssavoix.Elleafinidecoiffersescheveuxblondsetanouélebasdesont-shirtau-dessusduventrepour

montrersonnombril.Apparemment,nousavionstouteslestroisenvied’attirerl’attention.—Nosparentssontdevieuxamis,çalesarrangequ’onsoitensemble.—Situn’espasd’accord,alorsnelefaispas,aditBrittany.—Tun’attendsqueça,hein?—Jecroisjustequ’ilméritequelqu’unquiavraimentenvied’êtreaveclui.—Quelqu’uncommetoi?—Oh,lesfilles,vousn’allezquandmêmepassortirvosgriffes?suis-jeintervenue.Elles se sont regardées fixement et Lindsey s’est détournée la première. Peut-être parce qu’elle

avaitvuBrittanyfairesaséancedemuscuquotidiennelematinmême.—Connoretmoi,onn’estpassûrsdecequ’onvafaire.Alorsest-cequ’onpeutlaissertomberle

sujetjusqu’àlafindel’expédition?Brittanyahaussélesépaules.—Commetuvoudras.J’avaisdéjàsentiunecertainetensionentreelles.J’avaisl’explicationàprésent:Brittanyavaitle

béguinpourConnor.J’ai enfilémon top vert et un short blanc.Au fond, je comprenais les doutes de Lindsey. Il est

parfoisdifficilededémêlercequel’onressentexactementpourquelqu’un.Cesoir-là,parexemple,jen’auraissudiresic’étaitpourLucasoupourMasonquejemefaisaisbelle.Ils’étaitpasséquelquechose avec Lucas la nuit précédente,mais ilm’impressionnait toujours autant.Quant àMason, ehbien,aveclui,leschosesparaissaientmoinscompliquées.J’aurais aimé avoir apporté mes petites sandales sexy, mais je n’avais que mes chaussures de

randonnée,alorsj’allaisdevoirm’encontenter.Enmecontemplantdansmonmiroirdepoche,j’étaisquandmêmeassezsatisfaitedel’ensemble.Lindseyadenouveauregardéàl’extérieur.—Enfin!LePrKeaneestparti.Allons-y!Nous avons tous évacué le camp telle une armée de ninjas dont certains, c’est-à-dire tous les

étudiantsduPrKeane,ycomprisTess,portaientdespacksdebière.Àcauseduminusculecroissantdelune,lalampetorchedeConnorn’étaitpasdetroppourouvrirlavoie.Unefoishorsdeportéed’oreilleduPrKeane,Ethanacommencéàdistribuerlescannettes.

Àmavivesurprise,Lucasenaprisune.Puis,commed’habitude,ils’estadosséàunarbre.Tessl’arejoint et il lui a accordé un de ses très rares sourires.Verte de jalousie, j’ai détourné le regard,feignant l’indifférence. La veille, j’avais cru partager avec lui quelque chose de spécial ;manifestement, celan’avait riende spécial à sesyeux, iln’était riendeplusqu’une sortedegrandfrèreveillantsurunepersonnedontilavaitlacharge.Lindseyaentrechoquésacannettecontrelamienne.—Àlatienne!—Pourquoitum’asrienditpourConnorettoi?J’étaisunpeuvexée.Jeluiavaisconfiétellementdetrucsdepuisnotrerencontrel’étédernier.Et

puisils’agissaitd’uneinfocapitale,là.—Jet’aidéjàdit.Jenesaispasoùçava.Enplus,quandc’estarrangéparlesparents,mercibien.—J’ail’impressionqueBrittanyavraimentunfaiblepourConnor.—C’estpossible.Entoutcas,ilsepassedestrucsqu’ellenenousracontepas.Etpuistuasvutoute

lamuscuqu’ellefait?ElleveutdevenirSupersherpaouquoi?Sûrqu’elleaunfaiblepourConnor,maisluipense,commenosparents,queluietmoi,onestfaitsl’unpourl’autre.Onestamisdepuisqu’onestpetits.Jeneveuxpasluifairedemal,mais jenesaispassic’est luiqu’ilmefaut.Alorsjustemaintenant,là,jen’aipasenvied’ypenser.Elleabuunegorgéedebière.—EtConnor,ilréagitcomment?—Ilestdéçudemonmanqued’enthousiasme.C’estcompliqué.—Situasbesoind’enparler,n’hésitepas.Ellealevélesyeuxversmoietm’afaitungrandsourire.—Merci.Ànouveau,nousavonstrinqué.—Jecroisquejevaisallerfaireplusampleconnaissanceaveccesétudiantssimignons.Alorsqu’elles’éloignait,etmêmesi jen’enétaispas fière, jemesuissentieunpeurassuréede

savoirquejen’étaispaslaseuleàtraverserunephasedifficile.—Çava?Masonvenaitsoudaind’apparaître.Jeluiaisouri.—Pasmal.(Puis,enlevantmacannettedanssadirection,j’aiajouté:)Bravod’avoirtransbahuté

delabièrejusqu’ici!—Clair.Mêmesi sur la finEthanetTylerne trouvaientplus l’idéeaussibonne.Tu sais ceque

j’adoredanslecamping?L’immensitéduciel.Tuveuxallerregarderlesétoiles?J’aidénichéuneclairièreavecdel’herbepours’allonger…Ilaconclusaphraseparunpetitmouvementinterrogatifdelatête.J’airegardéducôtédeLucasquiétaitencoreentraindeparleravecTess.J’avaismanifestement

malinterprétécequis’étaitpassélanuitprécédente.Entantqueresponsabledugroupe,peut-êtrenevoulait-il pas s’attacher. Ou alors il ne voyait en moi qu’une petite chose qui avait besoin d’êtreprotégée,lapetitenouvellequin’avaitpaslesépaulespourdevenirsherpa.—Pourquoipas?Çamarche.Masonetmoiavonschacunattrapéuneautrebièreet le tempsd’arriverà laclairière, la têteme

tournait agréablement.Nous nous sommes allongés.L’herbe était fraîche et légèrement humide derosée.—Regarde,laGrandeOurse,aditMason.—Etlà,c’estCassiopée,ai-jeajouté.Masonasoupiré.—Tuasl’airdebienconnaîtrelacarteduciel.

—C’estmonpèrequim’aapprisçalapremièrefoisqu’ilm’aemmenéecamper.—Etmoiquicomptaist’impressionneravecmascience!Maisenfait,jevaist’avoueruntruc,il

n’yaquelaGrandeOursequej’arriveàreconnaître.Jenevoisjamaisd’autresformesdansleciel.J’ai alors pensé à Lucas qui ne devait certainement pas avoir ce genre de problèmes et devait

pouvoiridentifierbienplusdeconstellationsquemoi.Maispourquoiest-cequejepensaisàluiàcetinstant?JemesuistournéeversMason.—Bon,Cassiopée,c’estpeut-êtreunpeudifficile,maissituescapabledereconnaîtrelaGrande

Ourse,tudoispouvoirtrouverleDragon.Saqueues’enrouleentrelaGrandeetlaPetiteOurse.—Non.—Suismondoigt.Regarde,ici.—Non,rien.Désolé.Jenesuisvraimentpasdouépourça.—Pasgrave.Lemieux,detoutefaçon,c’estlesétoilesfilantes.—Mêmeça,jemedébrouillepourlesrater.Ilm’afaitrire.—Mason,c’estfacile!Ilsuffitd’attendrejusqu’àcequ’onenvoieune.—Çapourraitprendretoutelanuit,a-t-ilditdoucement.J’aitournélatêteverslui.Ilm’observait.—C’estsûr.Surtoutsituneregardespasleciel.—Maistuesplusintéressante.Pourquoias-tuvouludevenirsherpa?—J’aimepasserdu tempsenforêt.Et là, jesuismêmepayéepour lefaire.Jesuisgagnantesur

toutelaligne.—VenantdeDallas,tunedoispastrèsbienconnaîtrelesautressherpas.Où voulait-il en venir ? Cherchait-il à créer une ambiance « guerre de clans » ? Cela ne me

semblaitpastrèsjudicieuxpourassurerlebondéroulementdel’expédition.D’unautrecôté,ilavaitpeut-êtredessujetsd’inquiétudeconcernantmescamarades.Oualorsc’étaitjustepourparler.—Jelesairencontrésl’étédernier.Depuis,Lindseyetmoi,onsemaileetonsetéléphone.Onest

devenuesamies.Facile,vuqu’onatellementdechosesencommun.—Commequoi?—L’amourdelanature,desgrandsespaces…Enplus,onentretouteslesdeuxenterminalecette

annéeetdanstousleslycées,c’estlamêmechose:lesgroupes,lesprofs,lesexams,lesmecs.SaufqueLindseyn’avaitjamaisfaitallusionàcequisepassaitentreConnoretelle.—Donc,tulesastousrencontrésl’étédernier.—Eneffet.— J’imagine qu’on a de la chance de les avoir. Je n’avais pas envisagé que ça puisse être

dangereuxdevenirdanslesbois.Ettoi,aveccequiestarrivéàtesparents,t’aspaslatrouille?—Non.Curieusement, jeme suis toujours sentie en sécurité ici. Il suffit de restervigilants.Les

sherpassontlàetilssontpayéspourassurerlasécuritédetoutlemonde.Enplus,j’aiuneconfianceaveugleenLucas.Çam’asurprisedem’entendredireçaàhautevoix.—Sérieux?—Carrément.Ilesttoujourshyperattentif.—Oui,ilenavaitl’air,avecTesstoutàl’heure.Pasavantqu’ellesejettesurlui,mesuis-jeditavechumeur.—Tul’aimesbien,Lucas?m’a-t-ildit,peut-êtreàcausedemonsilence.—Jen’airiencontrelui.—Etmoi,tum’aimesbien?

J’aieul’impressionquemaréponseluitenaitàcœur.Maisavantquej’aiepurépondre,unfrissonm’aparcourul’échineetj’aieulachairdepoule.Je

mesuisassised’uncoup.—Qu’est-cequ’ilsepasse?m’ademandéMason.—Onnousregarde.Ilaricané.—Àtouslescoups,c’estencoreLucas.Cemec…—Non,pasLucas.Mon intuition me soufflait que ce n’était pas lui. Sa façon de m’observer était différente. Son

regardétaitprotecteuralorsquecelui-ciétait…menaçant.—Ondevraityaller.Jemesuislevée.—Jecroyaisqu’onnepartiraitpasavantd’avoirvuuneétoilefilante.—Detoutefaçon,onneregardaitpasleciel.Etpuis,sérieux,jelesenspas,là.—C’estàcausedenotreconversationsurlesdangersdelaforêt.—Non,c’estpasça.Allez,Mason,onyva.Lucasvaencorenousmeneruntraind’enferdemain.

J’aibesoindedormirunpeu.Ils’estalorslevéavecréticence.J’aiattrapélescannettesdebièreetjelesluiaifourréesdansles

mains.—Ellesvontpesermoins lourd,mais toi et tespotesallezquandmêmedevoir lesporterparce

qu’onnepeutpasleslaisserlà.—C’étaitunetrèsmauvaiseidéed’apporterdelabière.(Ilasourietaajouté:)Saufqueçam’a

permisdepasserdutempsseulavectoi.Sur lecheminde retour, jenesuispasparvenueàmedéfairede la sensationquequelquechose

nousépiait.Quelquechosededangereux.Etsoudain,jel’aivu,dissimulédansl’obscuritéd’unpetitbosquetd’arbres,àquelquesmètres.Seulssesyeuxgrisetbrillantsétaientvisibles.Unloup.Satêten’aémergédel’obscuritéqu’uneinfimefractiondeseconde,maiscelam’asuffipourvoirqu’ilétaitnoir.Noirébène.Ilnousobservait.Lucasnousavaitassuréque les loupsn’attaquaientpas leshumains,mais jen’enétaisplusaussi

sûre.—Hé!J’aivuunloupcommeça,quandjevousaisuivis,lesoirdetonanniversaire,achuchoté

Mason.—Sérieux?— Oui. J’ai failli mourir de peur. Il a surgi de l’ombre au moment où je retournais vers les

bungalows.Oui,lasensationaussiétaitlamêmequecesoir-là.Maispourquoiest-cequ’unloupmesuivrait?

Jel’ignorais.Cequejesavais,parcontre,c’étaitquejen’avaispasconfianceenceloup.Jepercevaisdel’hostilitéenlui.Oualors,j’avaisbutropdebière.

6

Il était tard dans l’après-midi quand nous sommes arrivés au bord d’un torrent. Il coulait sirapidementqu’ilétaitcouvertd’écume.Etmêmes’iln’étaitpastrèsprofond,ildonnaitl’impressiond’être terriblement dangereux. J’avais la gorge serrée au spectacle des efforts que Lucas devaitdéployerpour le traverser. Ilavaitunecordeattachéeautourde la tailledont l’autreextrémitéétaitnouéeàunarbre.S’ilvenaitàglisser,ellel’empêcheraitd’êtreemportéparlecourant.Etunefoisenface,ill’attacheraitàunautrearbrepournouspermettredetraverserennousyaccrochant.Ilavaitpresqueatteintlemilieudutorrentetlesvaguelettessefracassaientcontreseshanches,cequivoulaitdirequ’ellesm’arriveraientàlataille,voireplushaut.Lecôtérisquédelatraversém’emplissaitd’excitationetboostaitmontauxd’adrénaline.Çaallait

êtrefun,enplusd’êtrephysiquementdifficile.J’aimel’eaupresqueautantquelarando,alorsj’étaisimpatientedevoircequejevalaisfaceàuntorrentdéchaîné.—Hé,Kayla!Tunousfilesuncoupdemain?acriéBrittany.J’airegardédanssadirection.LindseyetBrittanyavaientgonfléuncanotjauneetleremplissaient

devivresetd’équipement.Masonetlerestedugroupeétaiententraindechargerdansuneautreembarcationlagrandecaisse

qu’ilstransportaientdepuisledébut,unecaissemaintenantunpeupluslégère.Jemesuisagenouilléeprèsdenotrecanotetj’aicommencéàbalancerdestrucsàl’intérieur.—Çaavaitl’airdebiensepasserentreMasonettoihiersoir,aditLindsey.—Onaregardélesétoilesetc’esttout.Jenemesentaispastrèsàl’aiseàl’idéedeparlerdeMasonetmoi.—Iln’ajamaisvud’étoilefilante.—Ouais,c’estça,aditBrittany.Lesrandonneursutilisenttoujourslamêmeexcusepours’isoler

avecunsherpa.—Non,c’estvrai,ai-jeinsisté.Brittanyalaissééchapperunpetitrire.—Maisiln’yapasdeproblème.Ilestplutôtmignon.Surcepoint,elleavaitraison.—Lucasvacertainementdemanderàl’und’entrenousderesteraveclegroupe,aucasoù,adit

Lindsey.—Çasepassetoujourscommeça?ai-jedemandé.L’étéprécédent,Lindseyétait restéeavecnous,maisnousn’avionspasséqu’unesemainedansle

parc.—Oui, surtoutavecuncampdebaseétablidansuncoinaussi sauvage.Ladirectionduparcne

tientpasàcequelescampeursseretrouventdanslepétrinpourensuiteallerleraconterpartout.—Quivaresteraveceux?—Aucuneidée.Onletirerasûrementàlacourtepaille.EtvuquetuenpincespourMason,cesera

peut-êtretoi,aditBrittany.Uncridevictoireasoudainexploséprèsdenous. IlvenaitdeRafeetConnorquise tenaientau

bord de l’eau et surveillaient la progressiondeLucas. SiLucas avait perdu l’équilibre et avait étéemporté,l’und’euxauraitplongépourlerattraper.Jen’étaispastrèssûrequecelaauraitvraimentserviàquelquechose.Maispeuimportait,maintenantqu’ilavaitréussiàatteindrel’autrerive.Jemesentaisabsurdement

fièredelui,commesisonexploitétaitaussilemien.Aprèsavoirdénouélacorde,ilaenlevésont-shirtet l’amisàséchersurunbuisson.Mêmedeloin, jepouvaisadmirersontorse.Sonbronzage

étaitparfait,surtoutpourledébutdumoisdejuin.Impossibledecroirequ’ilfréquentaitlescentresdebronzage.Ilaimaitlepleinairautantquemoi,doncc’étaitcentpourcentnaturel.Quand il s’est retourné, j’ai aperçu unemarque sur son omoplate gauche.Tache de naissance ?

Tatouage ?Ça avait l’air tropparfait, c’était à coup sûr de l’encre. J’étais intriguée.Qu’est-cequicomptaitassezàsesyeuxpourqu’ilveuillel’inscriredefaçonindélébilesursoncorps?Jedevaisaussireconnaîtrequejetrouvaislestatouagessexy,àconditionqu’ilssoientbienfaits.Mêmedeloin,lesienavaitl’airterriblementsexy.—Onafini,aditMasontoutàcoup.J’aisursauté.Commes’ilm’avaitsurpriseentraindecommettreunacterépréhensible.Dieumerci,

iln’étaitpastélépathe.Iln’auraitpasappréciéletourquemespenséesavaientprisàproposdeLucas.Maisaprèstout,jenedevaisrienàMason.Nousavionsjusteregardélesétoilesensemble.—Kayla,tuasuneseconde?m’ademandéMason.J’airegardéLindseyetBrittany,quionthaussélesépaules.—Onapresquefini,aavancéLindsey,aucasoù j’auraiseubesoind’uneexcusepournepasy

aller.Jemesuislevéeetj’aisuiviMasonunpeuàl’écart.—Alors,çava?ai-jelancé.—On n’a pas trop eu le temps de se parler aujourd’hui. Si seulement Lucas pouvait un peu te

lâcher.—Iln’estpasgarde-chiourmequandmême,ai-jeréponduenriant.—Alorspeut-êtrequetupourraisluidemanderdetelaissermarcheravecmoi.Oujepeuxaussi

luidemandermoi-même.—D’accord.Jem’encharge,mêmesijedoutequ’ilsoitouvertàcegenredesuggestion.—Super.Parcequel’inconvénientdepasserunmoisenpleineforêt,c’estqueçarendleschoses

unpeu compliquéespour la vie sociale. Imaginonsque j’aie enviede te proposer un rendez-vous.C’estpascommesionpouvaitalleraucinéma.J’aisourienpensantquejevoyaistrèsbienoùilvoulaitenvenir.Etj’étaisincroyablementflattée.—C’estjuste.—Enrevanche,undînerauxchandelles,c’estenvisageable…—Tuveuxdireuneboîtedeconserveauxchandelles?—Hé,ilnes’agitpasd’expérienceculinaire,maisdepasserdutempsensemble.Alorscesoir,situ

veux…Iln’apasterminésaphrase,unpeulâchement.Étais-jepartante?J’aitournélatêteversletorrent.Lucasétaitentraindeleretraverser.J’avaisdu

malàl’imaginermeproposerundînerauxchandelles.Pourtant,ilavaitététrèsprévenantl’autresoirquandj’avaiseubesoind’allerfaireuntour.Prévenant ? Jen’aurais jamais cruutiliser cet adjectifpourdécrireLucas.Comment se faisait-il

que,quoiquejefasse,jemesurprenneàpenseràlui?C’étaitn’importequoi,surtoutlà,avecMasonentraindemedemanderdedîneraveclui,ici,danslaforêt.—Çamarche.Avecplaisir,ai-jedit.—Cool.Ons’échapperadiscrètement.Toutçatitillaitmongoûtdel’interdit.—Trèsbien.Onsevoitplustard.Je suis ensuite repartie vers Lindsey et Brittany qui finissaient de remplir le canot. En plus des

vivres,nousyavionsfourrétoutcequ’ilétaitpossibled’ymettre:sacsàdos,chaussures…Toutcequinousalourdiraitetrendraitlatraverséedangereuse.

Unefoislescanotspleinsàrasbord,lesmecslesontmisàl’eauetontentamélatraversée.Lucas,ConnoretRafesesontdébattusaveclenôtrependantqueMason,EthanetlePrKeaneavaientmailleàpartiravecceluiquitransportaitlacaisse.David,JonetTylerpoussaientletroisième,quicontenaitlessacsàdosdesétudiants.Quantànous,lesfilles,nousavonsattendusurlarive.—Quelsexisme!Commesionn’étaitpascapablesnousaussidepousserlescanots,acommenté

Tess.—Moi,çameva,aditLindsey.Laissons-lessetaperlesaleboulot.—Oui,forcément,toitut’enfiches.Tun’aspasàimpressionnerlePrKeane.Jesuissiimpatiente

qu’onarrivepourpouvoirmemettreauxchosessérieuses.—C’est-à-dire?luiai-jedemandé.Jen’avaistoujourspasvraimentcompriscequ’ilsvenaientfairedanslecoin.—Découvrir lasourcedes légendesde loups-garousdans larégion.Celafaitpartiedesaxesde

rechercheduPrKeane.—Vouspenseztombersurunbouquinquitraîneraitparlà?Ellem’agratifiéed’unsourireindulgent.—Untrucdugenre.Ilssaventqu’onarrive,hein.Lesloups.Vouslesentendezlanuit?Çam’afaitrepenserauloupdelaveille.Devais-jeenparleràLucas?Ilyavaitquelquechosede

lugubre dans l’attitude de ce loup. Mais s’il avait eu la rage, il nous aurait attaqués. Ce n’étaitcertainementrien,justeunpeudenervositéquimontaitaufuretàmesurequ’ons’enfonçaitdanslaforêt.—Lesloupshurlent,aditBrittanyd’untontranquille.C’estcommeça.—Situledis.Tessafaitunsignedetêteversletorrent.—Lucasesttropsexy.Jen’arrivepasàcroirequ’iln’aitpasdecopine.—Àmonavis,c’estlegenredemecquiattendlabonnepersonne,aditLindsey.—Ah!Ah!Legenresilencieuxet fort?Undon juan,oui.Croyez-moi. J’enaivuassezsur le

campus.—Vousallezàlamêmefac?ai-jedemandé,surpriseparsoncommentaire.—Non,jesuisdeVirginieetLucasm’aditqu’ilétudiaitdansleMichigan.—Oui,ilaobtenuuneboursegrâceàsesperformancesenathlétisme,aditLindsey.— Je pourrais toujours changer de fac, a répondu Tess sans le quitter des yeux pendant qu’ils

sortaientlescanotsdel’eau.—Bon,ondiraitquec’estànousdetraverser,aannoncéBrittany.Lindseyetmoiavonsavancédans le torrent.L’eau froideexerçaitunepressionpuissantecontre

mesmollets.NousavonsensuiteaidéBrittanyetTessàentrerdansl’eauetàsestabilisercontrelecourantpourcommenceràtraverser.PuisLindseym’afaitunpetitsigneetlesasuivies.Lucasavaitdécidéque jepasseraisendernier.Nonpasque jesoisspécialeàsesyeux, jeneme

leurraispas.Maisilavaitprobablementlumondossierdecandidatureaupostedesherpaetvuquej’étaisuneexcellentenageuse.J’appartenaisàl’équipedenatationdemonlycéeetj’avaismêmetentélesqualificationspourl’équipeolympique.J’avaiséchouéàquelquescentièmesdeseconde.Desortequemêmesipersonneneveillaitsurmoi,çanem’inquiétaitpas.Étant donné que nous allions laisser le groupe du Pr Keane et retourner au camp de base des

Rangers par lemême chemin, la corde resterait en place. Et vu que le PrKeane garderait la plusgrandepartiedesvivres,notreretourseraitbienplusrapide.J’aiattenduqueLindseyaittraversélestroisquartsdutorrentetjemesuislancéeàmontour.Je

me suis solidement agrippée à la corde et j’ai péniblement fait quelques pas.L’eaum’arrivait à la

taille.Sanslacorde,lecourantm’auraitdéséquilibrée.BrittanyetTessavaientdéjàatteintlarivequandj’aisentiunesecoussesurlacorde.Cetteétrange

vibrationm’évoquaitlafaçondontlefildepêchesetendaitquandmonpèreadoptifm’emmenaitàlapêcheetqu’onavaitunetouche.Lindsey, qui était presque arrivée, n’avait rien senti.Tout à coup, j’ai à nouveau eu la sensation

qu’on m’observait. Cette même sensation qui se répétait depuis que je l’avais ressentie pour lapremière fois le soir demon anniversaire.Malgré les signaux d’alarme dansma tête, jeme suisarrêtéeet j’ai regardéderrièremoi.Lesombresallongéesde la find’après-midimebouchaient lavue.Jen’airienremarquédeparticulier.Jemesuisditqueceladevaitêtreunoiseau–ungrosoiseauquis’étaitposépuisavaitredécollé.—Kayla!Malgré levacarmedu torrent, j’ai reconnu lavoixdeLucasetperçuson impatience.Jemesuis

retournéevers la riveoù il se tenait.Lindsey sortait de l’eau. Je savaisqueLucasm’envoulait delambiner parce qu’il avait l’intention de parcourir encore quelques kilomètres avant la nuit. Il nesavait pas se détendre ni profiter de l’instant présent. Il fallait toujours repousser les limites, lessienneset…Soudain,lacordeaviolemmenttressautédansmamain.J’aiperdupiedsousl’assautducourantet

jemesuiseffondréedansl’eauenlâchantlacordedevenuesouple.J’aicherchéenvainàlarattraper.Je ne parvenais plus à respirer. Le courant me maintenait sous l’eau et m’entraînait. J’avais lespoumonsenfeu.Bam!Jeme suis écraséecontreun rocherouune souche, en tout casquelquechosed’incroyablement

grosetdur.Lechocaexpulsélepeud’airqu’ilrestaitdansmespoumons.Jemesuisdébattuedeplusbelle pour regagner la surface. J’avais la poitrine tellement douloureuse que je craignais qu’ellen’explose.J’aicrevélasurfaceletempsd’unebrutaleinspirationetlecourantm’afaitreplonger.Ilfallaitque

jereprenneledessus.Ilfallaitquejeluttecontrelapaniquequimontaitetlapeurdemourir.Jenevaispasmenoyer.Jerefusedemenoyer.J’airéussiàsortirmonvisagedel’eauetàmemettresurledos.D’oùsortaientcesrapides?Le

courant était encore plus violent par ici. Plus dangereux. Quelle distance est-ce que j’avaisparcourue?Plusieurskilomètres,àenjugerparmesmusclesendolorisetmonépuisement.Ducoindel’œil,j’aiaperçuunebranchequiflottaitàproximité.Jem’ysuisagrippéeletempsde

rassembler mes esprits et de retrouver mon souffle. Il fallait que je rejoigne la rive. J’ai essayéd’utiliserlabranchecommeflotteurenbattantdesjambespouravancer,maislecourantjouaitavecellecommes’ils’agissaitd’unebrindille.J’aifiniparlalâcheretnagerverslarive.Cen’étaitpassiloin.Jepouvaislefaire.Jepouvaisyarriver.Je me suis cogné le genou.Malgré la douleur, ça m’a permis de me rendre compte que l’eau

devenaitmoinsprofonde,mêmesi lecourant restait trèsfort.Moitiénageantetmoitiémetraînant,j’aiatteintlariveetmesuishisséesurl’herbe.J’avaismal au ventre et à la poitrine en crachant toute l’eau que j’avais avalée. Puis jeme suis

effondréeavecdeshalètements.J’avaismalpartout.Mesbrasetmesjambesécorchéssaignaient,etjetremblais à cause du froid et du choc. Je refusais de penser que j’avais faillime noyer.Même sij’avais suivideuxou trois coursde secourismedesannéesauparavantquand j’avaisbossécommemaîtrenageurà lapiscineunété,ce torrentétaitbienplusdangereuxquen’importequellepiscine.J’avaiseudelachance…Etjesavaisaussiquejenepouvaispasmepayerleluxederesterlààmereposer.Jedevaisimpérativementmeréchauffer.

Jemesuisforcéeàm’asseoiretj’aiessorémeshabitsaumaximum.Cequinem’aapportéaucunsoulagement.J’avaisenviedem’étendrelàetdedormir.Pourtant,ilfallaitquejerejoignelesautres.Courirme

réchaufferait. Jemesuis relevéeàgrand-peineet j’aicommencéà titubervers lesarbresquandungrognementmenaçantm’astoppéenetdansmonélan.Jem’étaiscruetiréed’affaire.Jemetrompais.Unoursencolèresedressaitdevantmoi.

7

L’oursétaitgigantesque!Deboutsursespattesarrière,ildevaitbienmesurerdeuxmètres,mêmesi la terreur altérait certainementmon jugement. Jene savaispas si l’odeurdu sangoude lapeurexcitaitlesours,maisjesaignaisencoreetj’étaismortedetrouille.J’avaisluqu’encasdeconfrontationavecunoursilfallaits’étendreausoldetoutsonlong.Mais

j’avaisaussiluautrepartqu’ilfallaitserecroquevillerenpositionfœtale.Prendreunedécision,là,maintenant.Jemeremettaistoutjustedel’épreuvedutorrentetmoncerveaurecommençaitàpeineàfonctionner,alorspourdéciderd’unestratégie…J’avaisquandmêmegardéassezdesang-froidpournepaspaniqueretmemettreàcourir.Maisjeneparvenaispasàcontraindremoncorpsàadopterunepositiondesoumission.Siçatournaitmal,jevoulaisaumoinsêtrecapabledetenterquelquechosepourdéfendremavie.Relevant la tête, l’oursaouvert lagueuleetpousséunformidablegrognement.Sescrocsétaient

énormesetsespattescarrémentmonstrueuses.Puisilachargé.Instinctivement, j’aivouludétalerà toutes jambes.Ducoinde l’œil, j’aiaperçuunmouvementà

côtédel’animal.Ungrondementlourddemenaces–différentdeceluidel’ours–arésonnédanslaclairièreetjemesuisretournéejusteàtempspourvoirunloupsejetersurlui.En reculantmaladroitement, j’ai trébuché et je suis tombée sur les fesses. L’attaque du loupme

fournissait la diversion dont j’avais besoin pourm’enfuir,mais je ne parvenais pas à détacher lesyeuxdesdeuxanimauxquisefaisaientfaceengrognantetenclaquantdescrocs.L’oursalancésapatte en avant et j’ai entendu le loup glapir.Du sang s’estmis à couler le long des plaies que lesgriffesavaientouvertesdanssonflanc.Pourtant,leloupn’apasreculé.Aucontraire,ils’estdéplacépours’interposerentrel’oursetmoi.

Jenevoulaispasqueceloupmeure.Cen’étaitpasceluiquej’avaisvulaveille,j’enétaissûre.Sonpelageétaitdifférent,constituéd’unmélangedecouleurs.Debout sur ses pattes arrière de nouveau, l’ours grognait. Face à lui, le loup avait retroussé les

babinesetlaissaitéchapperunprofondgrondementd’avertissement.J’auraisdéjàdûêtreentraindecourir,jelesavais,maisjen’enavaispasl’énergie.J’étaisassise

parterreetjenesavaispassij’auraisjamaislaforcedemerelever.J’avaisenviedecrier.Jevoulaisquelessherpasmeretrouvent,qu’ilsviennentàmonsecours.L’oursa infligéunnouveaucoupau loupet l’aenvoyévolerdans lesairscommes’ilnepesait

rien.Aprèss’êtrelourdementreçu,leloupareprisunepositiond’attaqueets’estmisàtournerautourdel’ours.Puisilabondienavantetluiamordulapatte.L’oursagémi,afaitvolte-faceets’estenfui.Toujours en position d’attaque, le loup s’est tourné dans ma direction. Allait-il s’en prendre à

moi?JemesouvenaisdecequeLucasavaitdit:unloupsaind’espritn’attaquerajamaisunhumain.Je faisais de mon mieux pour ne pas trembler, je ne voulais pas qu’il sente ma méfiance. Maisl’épuisement,lapeurettoutcequej’avaisendurédepuisquelacordeavaitcédépesaienttroplourd:j’aiétéprisedeviolentstremblements.Pouressayerdenepasm’effondrer,j’aitâchéd’oubliermonétatenmeconcentrantsurleloup.Il

mefaisaitpenseràungroschien,maisc’étaitleplusbelanimalquej’aievudemavie.Sonpelageseparaitd’uncurieuxmélangedecouleursprofondesetlumineusesàlafois.Etsesyeuxbrillaientd’unbel éclat argenté, pas le gris triste du loup de l’autre soir. J’avais la sensation bizarre qu’ilm’inspectait,essayantdedéterminersi…Siquoi?Pourquoiest-cequ’ilmeregardaitcommeça?Pourquoirestait-illà?Àmesureque lesminutespassaient, jemesentaisdeplusenplusà l’aiseenfacede lui.Unlien

palpable nous unissait d’une façon inexplicable. Dans mes cauchemars, les loups étaient toujours

féroces,maiscelui-làm’avaitsauvélavieaupérildelasienne.Cequiétaitarrivéàmesparentsavaitaffectémesrêves.Maissi j’avaispeurdequelquechose,cen’étaitpasdecetteforêtoudeceloup.J’avaispeurdequelquechoseenmoi.Quelquechosequejenecomprenaispas.Toutàcoup,deséchosdevoixmesontparvenus.Lesautresarrivaient.J’airepenséauPrKeaneet

àsonobsessiondesloups.—Va-t’en,luiai-jemurmuré.Prendssoindetoi.Satêtes’estinclinéedansunecurieusepositionpuisiladisparud’unbonddansl’épaisfeuillage.—Kayla!hurlaitLindsey.—Parici.Jen’avaispasbougé.J’essayaisderassemblermesforces.— Oh, mon Dieu ! a crié Lindsey au moment où Brittany, Rafe, Connor, Mason et elle ont

débouchédanslaclairière.J’aiétésurprisequeLucasnesoitpasaveceux.Lindseys’estprécipitéeversmoi,s’estagenouilléeetacommencéàmefrotterlebrasenprenant

soind’évitermesblessures.Çam’aréconfortéeetréchauffée.—Onavaitpeurquetutesoisnoyée,aditBrittanyennousrejoignant.Elleaensuiteentreprisdemefrotterl’autrebras.C’étaitdivin.J’ailaissééchapperunpetitrirefaiblard.—Ehbien,non.Rafeaenlevésont-shirt.—Tudevraistechanger.Lindseys’estsaisiedut-shirtetachassétouslesmecs.Pendantqu’ilss’éloignaient,j’aientenduMasonfaireuncommentaireàRafe:—Lucasalemêmetatouagequetoi.Letatouagesurl’omoplategauchedeRafereprésentaitunesortedesymbolecelte.Trèssemblable

àmonpendentif.Jel’aicherchéàmoncouetenlesentantsousmesdoigts,j’aiétésoulagéedenepasl’avoirperdudansletorrent.—Ouais.Çafaisaitpartiedel’initiationpourlaconfrérieàlafac.Untrucdeouf.Curieux. Je n’arrivais pas à imaginerLucas dans une confrérie.Ensuite j’ai réfléchi au fait que

Lucasétaitrestéenarrièreaveclegroupeaulieudeveniràmonaide.Madéceptionétaitcuisante.—Allez,ilfautquetuenlèvescesfringuestrempées,m’aordonnéLindsey,interrompantlefilde

mespensées.J’aienlevétopetsoutien-gorgepourpasserlet-shirtdeRafequiétaitencorechaud.C’étaitaussi

réconfortant que de se glisser sous une couverture.Mon short était fait d’un tissu qui séchait vite.Alors,sansêtremortedechaudpourautant,jen’avaisplusaussifroidqu’avant.Quandj’aiétérhabillée,onarappelélesmecs.—Onfaitunfeuiciouonretourneaucamp?ademandéConnor.—Ramène-la.Tupeuxlaporter?ademandéRafe.—Pasdeproblème,aréponduConnor.—Jepeuxmarcher,suis-jeintervenue.Enplus,celam’aideraàmeréchauffer.—Oui,c’estsûr.Tutesensd’attaquepourtelever?m’aquestionnéeConnor.J’aiacquiescéetmesuislevée.—EtLucas?ademandéMason.Vucommentilcourait,ilauraitdûêtrelàavantnous.Iln’estpasrestéaucamp?Ilmecherchait?Uneétincelledejoieaexploséenmoietmesyeuxm’ontpiqué.Qu’est-cequisepassait?C’était

certainementlecontrecoup.C’étaitça,biensûr.JenereprésentaisriendespécialpourLucas,etluipareilpourmoi.C’étaitjustedelasolidaritéentresherpas.

—IladûperdreKayladevueetladépassersansvoirqu’elles’étaithisséesurlarive,aexpliquéRafe. Il faitde l’athlétismeàhautniveau. Ilcourtà lavitessede la lumière. Jevaisàsa recherche.Vous,vousretournezaucamp.Kaylaabesoindeboireuntrucchaudetleplusviteseralemieux.Puis,sansnouslaisserletempsdedirequoiquecesoit,ilestpartidansladirectionqu’avaitprise

leloup.—Faisattention!luiai-jecrié.Ilyavaitunoursetunloup.Rafes’estarrêtéetaeul’aird’avoirenviededirequelquechose,maisMasonaétéplusrapide.—Oùça?—Ici.Ilssesontbattusetpuisilssesontenfuis.Leloupestblessé.Situtombessurlui…—Net’inquiètepas.Jenel’approcheraipas.Lesanimauxsauvagesetmoi,çafaitdeux.Enarrivantaucamp,j’aieulabonnesurprisedeconstaterquelestentesétaientdéjàmontées.Jeme

suis immédiatement glissée dans lamienne, impatiente d’enlevermon short humide. J’ai enfilé unjogging chaud et confortable. Mes éraflures ne saignaient plus mais je les ai quand mêmedésinfectées.(Onn’estjamaistropprudentenforêt.)Puisj’aiattrapéunecouverturequej’aienrouléeautour de mes épaules avant de sortir rejoindre les autres près du feu. Un peu de nourriture meréconforteraitàcoupsûr.Lindseym’atenduunboldesoupe.—Boisça.Çavat’aideràteréchauffer.Elles’estassiseàcôtédemoi.—Onétaitmortsd’inquiétude.—Pasautantquemoi.—Bon,neleprendspasmal,maisjesuiscontentequeçatesoitarrivéàtoietpasàmoi.Jenesuis

pastrèsbonnenageuse.— S’ils ajoutent une épreuve de descente de rapides, j’aurai peut-être une chance d’intégrer

l’équipeolympiquecettefois.Elleariàmablaguedébileparcequejeluiavaisracontéquej’avaisloupédepeulasélectiondans

l’équipenationale.Puiselleapassésonbrasautourdemoietm’aserréetrèsfortcontreelle.—MonDieu,jen’aijamaiseuaussipeurdemavie!J’aiappuyématêtesursonépauleetj’auraispum’endormiraussitôt.Àcetinstant,seulel’épaule

deLucasauraitpumeréconforterplusquecelledeLindsey.J’étaisémuequemamésaventurel’aitpaniquéaupointqu’ilm’aitdépasséesansmevoir.Ilneseraitprobablementpastrèsfierdeluiquandilrentreraitaucamp.Mêmeluin’étaitpasparfait.Jen’avaispasl’intentiondemettrelesujetsurletapis,cependant.LucasetRafesontarrivéspeuaprès.Touslesdeuxgrandsetbruns,onauraitditdesfrères.—J’avaisraison,aditRafe.Il fonçait tellementqu’iladépassél’endroitoùtuessortiedel’eau

avantquetuyarrives.—Voilàcequec’estqued’êtrerecordmandumillemètres,adéclaréConnor.Sanssesoucierdescommentaires,Lucass’estaccroupiprèsdemoi.—Çava?—Oui.Jemesentaisunpeugênéedetenirlavedette.—Désolée.Jenesaispascequis’estpasséaveclacorde.—Ilst’ontpasdit?Jel’airegardésanscomprendre.—Ditquoi?—Quelqu’unl’acoupée.

8

—Qu’est-cequevousracontez?ademandélePrKeane.PerduedanslesyeuxdeLucas,j’avaispresqueoubliéquenousn’étionspasseuls.—AprèsledépartdeLucas,Connoretmoiavonssortilacordedel’eau,aexpliquéRafe.Onse

disaitqu’elleavaitpeut-êtrefrottécontrel’écorceetqu’àforceelles’étaiteffilochéeaupointdefinirparcasser.Maislacoupureestnette.Faiteaucouteau.—Quiferaituntrucpareil?ademandéTess.Lucass’estrelevéaveccettegrâcefélinequiluiétaitpropre.—Avez-vousdesennemis,professeur?—J’aibienuncollèguequidemande lesmêmes subventionsquemoi,mais jene l’imaginepas

tenterdesaboterl’expédition,a-t-ilréponducalmement.(Maisàlafaçondontildardaitsonregardvers les sherpas, on aurait dit qu’il les soupçonnait.) Il est de toute façon absurde de penser quequelqu’uncherchait ànousnuireàcausedecetteexpédition.Àmonavis,nousdevrions tousallernouscoucher.Nousavonsperdudu tempsàcausedupetit…incidentdecetaprès-midi. J’aimeraisqu’onpuisserattrapernotreretarddemain.J’avaisfaillimouriretluiconsidéraitquecen’étaitqu’undésagréablepetitincident?Etenplus,il

refusaitdevoirlesimplicationsd’unéventuelsabotage.Mêmesijenesavaispastropquoienpenserdemoncôté,j’étaissûrequeçavalaitaumoinslapeinequ’onenparle!Mason me regardait d’une façon qui signifiait qu’il avait quelque chose à me dire. Peut-être

désirait-ils’excuserpourl’attitudedesonpère.En râlant, tous les étudiants du Pr Keane sont partis vers leurs tentes. Mason, lui, est resté.

Manifestement,ilvoulaitmeparlerentêteàtête.J’aifaituneffortpourmelever,jel’airejointetj’aimêmeréussiàluiadresserunpâlesourire.—J’imaginequec’estrâpépourledînerauxchandelles.Enrougissant,sesjouesontprisuneteintequasimentpourpre.—Pascesoir,non.Maisonpourraitquandmêmefaireunpetittour?J’aihochélatêteetnousavonscommencéàmarcher.—Nevouséloignezpas,agrognéLucas.J’aijetéunregardenarrièreetvuqu’ilavaitl’airtoutsaufheureux.—Onvapasloin.—Il estdécidément trèsprotecteur envers toi, aditMasonquandnous sommes sortisducercle

forméparlestentes.—Ilestcommeçaavectoutlemonde.C’estsonboulot.—Situavaisvulavitesseàlaquelleiladémarréquandtuasétéemportée.Jen’avaisjamaisvu

quelqu’uncouriraussivite.—C’estunchampiondelacourseàpied.—Oui,c’estcequ’ondit.Nousnoussommesarrêtésunefoisassezloinpourquepersonnenepuissenousentendre.Ilm’a

alorsprislamain.—J’allaisluicouriraprès,maisRafem’enaempêché.Etpuis,detoutefaçon,jen’auraispaspule

rattraper.—C’estpasgrave.Tuétaislàquandj’aieubesoindetoi.—J’essaie,maislessherpasteprotègenttellementquejemesenspresque…rejeté.—Non,maisjetedis,çava.

Ça me faisait de la peine qu’il se sente mal à cause de moi, et parce que les autres l’avaientempêchédeveniràmonsecours.Jeledevinaismalàl’aiseaveceux.Peut-êtreparcequ’ilétaittropintello.Mêmes’ilétaitencorejeune,ilétaitdéjàentroisièmecycle.SonQIdevaitcreverleplafond.—Hé,euh,qu’est-cequiestarrivéenpremier,l’oursouleloup?—C’esttaversiondel’énigmesurl’œufoulapoule?Jen’avaispasessayédedissimulermonirritation.Laquestionmesemblaittropbizarre.—Non,sérieux.Çam’intrigue.Parceque,normalement,lesoursn’attaquentpas,ilmesemble.—Vadireçaauboy-scoutquienestmortl’andernierenAlaska.Et puis soudain, j’ai compris quemon énervement envers lui était aussi débile que sa question.

Quelleimportanceçapouvaitbienavoir?J’étaisvivante,etcelaseulcomptait.—L’oursétaitlepremier.—Donc,tuteretrouvesfaceàunoursetunloupvientàtarescousse?—Àmarescousse,jesaispas.Maisoui,ilachassél’ours.C’étaitpeut-êtreparcequ’iln’aimaitpas

lesours,ai-jeajoutéenriantpourdétendrel’atmosphère.Çan’apeut-êtrerienàvoiravecmoi.Jenesuismêmepassûrequ’ilaitremarquéquej’étaislà.—Ilressemblaitàquoi?Toutçadevenaitcomplètementridicule.J’aidégagémamaindelasienne.—Ilétaitnoir.—Toutnoir?Commeceluid’hiersoir?Non, ai-je pensé.Mais sans vraiment savoir pourquoi, je n’avais pas envie de lui dire la vérité.

Commeunbesoindeprotégerceloupcontrelui.—Pourquoi?Tut’attendaisàautrechose?Ilatournélesyeuxverslefeudecampd’oùlessherpasn’avaientpasbougé.LePrKeanen’avait

pasànousdireànousquandallernouscoucher.Aucontraire,j’avaislasensationque,rienquepourmarquerlecoup,lessherpasn’iraientsecoucherquetrèstard,etpasdansladiscrétion.—Jenesaispas,a-t-ilditdoucement.J’imaginaisqu’ilavaitunpelagemélangé.(Ils’est incliné

versmoiet a ajoutéd’unevoixencoreplusbasse :)Entrenous, j’avoueque je trouvebizarrequeLucasnet’aitpasdécouverteavantnous.Maisqu’est-cequ’ilracontait?Jemesuisalorssouvenuedelaconversationqu’ilavaiteueavecsonpèreaucoursdelapremière

nuit.Est-cequ’ilpensaitqueLucas…étaitleloup?C’étaitcomplètementfou!—Lucascouraittrèsviteetmoi,jesuisrestéeuncertainmomentsousl’eau,doncilmesemble

toutàfaitpossiblequ’ilm’aitperduedevue.—Peut-être,a-t-ilmurmuré.C’estquandmêmebizarre.—Commetulesens.Bon,moi,jesuisfatiguée.—Désolé.Cen’estpaspourtefairesubiruninterrogatoirequejevoulaisteparler.C’estjustede

lacuriosité.Ilarrivetellementdechosesétrangesdanscetteforêt.(Ilm’asouri.)Entoutcas,jesuissoulagéquetuaillesbien.J’étaisjalouxqueLucasvoleàtonsecours.Jesuiscarrémentcontentqu’ilsesoitplantécommeça.Iln’estpassiparfait,finalement.J’aitouchésonbras.—Yapasdequoiêtrejaloux.—Onpourrapeut-êtresefairecedînerdemain?—Peut-être.Ils’estpenché,commes’ilallaitm’embrasser,ets’estfigé.Certainementparcequ’ilavaitsentila

mêmechosequemoi.Sansavoirbesoindemeretourner,jesavaisqueLucasnousobservait.J’aivudanslesyeuxdeMasonqu’ilvenaitdeprendreladécisiondem’embrasserquandmême,

histoire de faire enrager Lucas. Et je n’avais pas l’intention d’entrer dans ce petit jeu-là. Je lui ai

souhaitéunebonnenuitetjesuispartie.J’étaispresquearrivéeàmatentequandLucasm’ainterceptée.—Hé,Kayla,onpeutseparleruneminute?Si c’était une question, le ton qu’il avait employé le contredisait. C’était un ordre. J’étais

physiquementetpsychologiquementàbout.Malgréça, j’aipuisédansmesdernièresréservespouraller rejoindre Lucas et les autres sherpas. Ils avaient l’air de conspirateurs. Leur conversationsemblaitteniràl’écartlegroupeduPrKeane.—Commentçava?m’ademandéLucas.Il y avait une réelle inquiétude dans sa voix. J’ai ravalé les larmes qui auraient trahi mon état

déplorable. Je voulais faire bonne figure, auprès de Lucas, mais aussi de tous les autres sherpas.Lindseym’asouripouressayerdemeréconforter.—Çava.Jedoislavieàceloup.Ilst’ontdit,non?Avecl’oursettout?—Oui,Rafem’aexpliqué.Désolédenepasavoirput’aider.—Jen’auraispascruquetupaniqueraisaupointdecourirencoresansregarderenarrière.Endisantça,etmêmesij’étaisconscientequejen’auraispeut-êtrepasdûlefairedevanttémoins,

jemesuisrenducomptequec’étaitlapurevérité.Lucasnepaniquaitpas.Jamais.Cen’étaitpassongenredefaireuneerreuraussistupide.—Lecourant était si rapideque j’ai cruque tuétaisplus loin. Jen’aipaspenséà ralentirpour

m’enassurer.J’aihochélatête,mêmesisaréponsesonnaitfaux.—Jelaisseraisbienunbonsteakpourceloup,sijepouvais,ai-jedit.—Jesuissûrqueçaluiferaitplaisir.Jet’aidemandédevenirpourceci:as-turemarquéuntruc

bizarresurlariveavantdecommenceràtraverser?J’airegardélesvisagespréoccupésdessherpasquim’entouraientetj’aifaitnondelatête.—Riendutout.Maispourquoiest-cequequelqu’unessaieraitdesabotercetteexpédition?C’est

n’importequoi.— Il ne s’agit pas forcément de l’expédition, a dit Rafe. On se demande si ça ne serait pas

quelqu’unquienvoudraitauxsherpas,quinousenvoudraitànous.—Ouplusprécisément,aditLucas,quelqu’unquim’envoudraitàmoi.—Qui pourrait bien t’en vouloir ? ai-je protesté.Tu as remporté l’oscar de l’amabilité l’année

dernière.Ilm’alancéunsourireétincelant.—C’estmignon,ça.Clair,ai-jepensé,mignon,c’esttoiquil’esquandtusouriscommeça.—Non,sérieusement,quipourraitt’envouloir?ai-jerépété.—Devlin.Ilabossécommesherpaicil’étédernier,etilafaitdestrucsqu’iln’auraitpasdûfaire,

ilaprisdesrisquesetaufinalilamisdescampeursendanger,m’aexpliquéBrittany.—Lucasluiabottélecul,aajoutéConnor.Il y avait une telle admiration dans sa voix que j’ai été surprise qu’ils ne se tapent pas dans les

mains.—Aprèsça,Devlinestpartifaireuntourailleurs.Manifestement,Rafenevoulaitpasêtreenrestedanscettehistoire.—C’estpaspourautantqu’iln’estpasderetourdanslecoin,acontréLindsey.J’étaissurprisequ’ilssoientsiinquietsàcaused’unpauvretypedel’annéeprécédente.Qu’est-ce

qu’ilseraitrevenufaireici?Etpuis,c’étaitmoilapetitenouvelle.C’étaitmoiquiétaiscenséeêtreunpeupaniquée,là.Paseux.Toutçanemedisaitrienquivaille.—Onlesauraits’ilétaitrevenu,aditConnor.

—Pass’ilsetientàdistance,aréponduLindsey.—Ellen’apastort,aconfirméLucas.—Sansvouloirenrajouterdanslaparanoïaambiante,jecontinueàavoirlasensationqu’onnous

observe,ai-jedit.—Ah!C’estvrai,amurmuréLindsey.Déjà,lapremièrenuit,elleflippaitgrave…—Non.J’aijusteeul’impressionqu’onmesurveillait.Mêmechoselanuitdernière.—Lanuitdernière?aditLucas.—Pendantqu’onbuvaitdelabière, j’aisenti lemêmetruc,commesiquelqu’unm’observait.Et

puisj’aivuunloup,aussi,unpeuplustard…—Dequellecouleur?—Masonvientdemeposerlamêmequestionàproposduloupquiaattaquél’ours.Est-cequ’ily

auntrucquejedevraissavoiràproposdesloupsdeceparc?Tum’asditqu’ilsnes’enprenaientpasauxhumains.—Exact.Cependant,onaeudesinfosquijustifientd’engarderunàl’œil.Alors,dequellecouleur

étaitleloupquetuasvuhiersoir?— C’est difficile à dire. Je pencherais pour noir, mais c’était peut-être à cause de l’obscurité.

Mason, qui était avec moi, affirme que c’est celui qui traînait dans les bois le soir de monanniversaire.—Masonétaitdanslesboispendantlafête?ademandéLindsey.Etleloupaussi?— Mason m’a dit qu’il n’arrivait pas à dormir. Mais à mon avis, ce n’était pas lui qui nous

observait.Jepensequec’étaitleloup,parcequeçam’afaitlamêmeimpressionunpeuangoissantequ’hiersoir.(J’ailâchéunpetitrire.)Biensûr,unloupnepourraitpascouperunecorde,doncjenesaispasquoipenserdetoutça.LucasetRafeontéchangéundrôlederegard.—Quoi?ai-jedemandé.—Devlin avait un loup de compagnie, a dit Lucas. Donc si le loup est dans le coin, il y a de

grandeschancespourqueDevlinlesoitaussi.Ilvafalloirêtretrèsvigilants.Onvaétablirdestoursdegarde.Rafe,Brittany,vousprenezlepremiertour.Quelquesminutes plus tard, jeme suis enfin glissée dansmon sac de couchage avec un plaisir

intense.J’étaiscourbatueetcouvertedebleus,maisparmiracle,jen’avaisaucuneblessuregrave.Enfindecompte,j’avaiseuunechanceincroyable.Cequim’afaitrepenserauloup.Jel’imaginaiscachéquelquepartpourpansersesblessures.Est-

cequesafemellel’attendait?Lesloupsnes’accouplaient-ilspaspourlavie?Étaient-ilsplusfidèlesqueleshumains?—Kayla?amurmuréLindsey.Je me suis tournée vers elle, ignorant les protestations de mes muscles endoloris. L’année

précédente,jel’avaissouventretrouvéedanssatentepourparlerdesheuresdurant.Mêmesij’aimaisbeaucoup Brittany, je ne me sentais pas aussi proche d’elle que de Lindsey et j’avais aussil’impressionquelaprésencedeBrittanyempêchaitLindseydeparlerlibrement.—Ouais?—Qu’est-cequetupensesdeRafe?Là,vraiment,jenem’yattendaispas.Aprèstoutcequis’étaitpasséaujourd’hui,c’étaitladernière

questionquimeseraitvenueàl’esprit.—Jeletrouvecool.Pourquoi?—Jenesaispas.Jeleconnaisdepuistoujours,onagrandiensemble.Etmaintenant,jeletrouve…

différent.Plusmature.Enfin,jepensebeaucoupàlui,etc’estbizarre.—Ilteplaît,c’estça?

—Jecrois,oui.—EtConnor?—Jeneveuxpasluifairedemal,vraiment,maisjenesaispassic’estluiqu’ilmefaut.—Ettudoistedécidercetété?—C’estunesortedetraditiondanslecoin.Àdix-septans,tuescenséesavoiravecquituchoisis

d’être.Etc’estbientôtmonanniversaire.—Celameparaîtunpeu…moyenâgeux.—Tum’étonnes!a-t-elleditenriant.J’auraispréféréqueLucasmemetteavecRafepourletour

degarde.AvecConnor,çavapasêtredrôle.Nosrelationssontplutôttenduesdepuisquelquetemps.—C’estpeut-êtremoiqu’ilvadésignerpourprendreletourdegardeavecConnor.—C’estça.TunevoispaslafaçondontLucasteregarde?Mamainàcouperquetuserasaveclui.Toutàcoup,ilfaisaitbeaucouptropchauddansmonsacdecouchage.J’aisortiunejambe.—Hum…J’aiplutôtl’impressionqu’ilmeconsidèrecommeunesourcedeproblèmes.Enplus,il

estcarrémentsexy.Ildoitdéjàavoirunecopine.—Iln’ajamaiseuderelationsérieuse.Enfin,pasquejesache.—Jenesuismêmepassûredeluiplaire.Sérieux.Ilpassesontempsàm’aboyerdessus.—Littéralement?s’est-elleesclaffée.— Quoi ? Non. Mais il est un peu caractériel. Enfin, c’est sans doute à cause de toutes ses

responsabilités.—Yapasqueça.Ilfautqu’ilsemontreàlahauteurdecequ’onattenddelui.Safamilleestplutôt

puissantedanslecoin.LesWildefontlaloi,parici.—Çafaitlongtempsqu’ilssontinstallésdanslarégion?—Ilsremontent,genre,àlaguerredeSécession…—Jemedemandes’ilsontconnumesparents.Monpsyditquejedoisaffrontermonpassé,mais

c’estdifficile.J’aipeudesouvenirsetpersonnepourmeraconter.—Voirmourirtesparentsadûêtreterrible!Jen’arrivemêmepasàimaginer…— Je ne les ai pas vraiment vus mourir. Ma mère m’avait installée dans cette… (une image,

soudain,avecdessonsetdesodeurs)…danscettepetitecaverne,ouuntrucdugenre.Ilyavaitdesgrognements.Desloups?Leschasseurslesauraientvisésetauraienttouchémesparentsparerreur?Est-ceque

mamèreavaitessayédemeprotéger?—Tusaisàquelendroitduparcças’estpasséexactement?—Non.Jen’aipasdemandél’annéedernière.Jenesouhaitaispasentrerdans lesdétails.C’était

déjàassezdurderevenirici.Maiscetteannée…Jenesaispaspourquoi,jemesensdifférente.C’estcommesij’étaisàmaplace.Commesij’allaisbientôtdécouvriruntrucimportant.—Commequoi?—Jenesaispastrop.Maisleloup,là,aujourd’hui…Jen’aipaseupeurdelui.C’étaitcommesije

leconnaissais.Tropbizarre,non?—Quandtesparentsontététués,ilyavaitdesloups?—Audébut, jepensaisquenon,queleschasseurss’étaient trompés.Maisdepuisquelquetemps,

j’aidesflashs,etjevoisdesloups,maisilsn’ontpasl’airagressifsdutout.—Ilfautpeut-êtrequetuyaillesdoucement,quetulaisseslessouvenirsremonteràleurrythme.—Peut-être. (J’aipousséunprofondsoupir.)De toute façon, je suis tropépuiséepourypenser.

Aprèscetteoverdosed’adrénaline,jesuisauborddel’effondrement.Elleatendulebrasetm’aserrélamain.—Jesuistellementcontentequetut’ensoistirée.—Moiaussi.

Jeluiaisourietjeluiaisouhaitéunebonnenuit.Jemesuisremisesurledosetj’aiessayédem’endormir,maisjen’arrivaispasàarrêterdepenser

auloup.Pourquoiest-cequej’avaiseul’impressiondelaconnaître?Est-cequenousétionstombéssurunetanièredeloupsavecmesparents?Avecdeslouveteaux,peut-être?Est-cequemesparentsavaient essayéde lesprotégerdes chasseurs ? J’auraisvouluquemes souvenirs soientplus clairs.Combiend’annéeslesloupsvivaient-ils?Pourquoiceloupenparticulierm’était-ilfamilier?Soudain,j’aientendulehurlementd’unloupetj’aisu.Suquec’étaitluietqu’ilm’appelait.L’envie

deluirépondremedéchiraitlesentrailles.Jebrûlaisdemelever,depenchermatêteenarrièreetdehurler en retour. L’étrangeté de ma réaction m’effrayait. C’était comme s’il tentait d’éveiller unechoseprimaleenfouietoutaufondmoietdontjenesavaispasqu’elleexistait.Affrontetespeurs,m’avaitditleDrBrandon.C’étaitdifficileàfaire,surtoutmaintenantqu’elleschangeaient.Audébut,ellesseconcentraientsur

mon passé et ce qui était arrivé à mes parents. Des peurs qui suscitaient mes cauchemars. Puis,récemment,mespeurss’étaientmisesàconcernermonfutur,àdésignercettedimensioninconnueenmoiquivoulaitémergeraugrandjour.Parfois,jemedisaisquejesubissaisdeschangementsquejenecomprenaispas.Etcomme jenesavaispascequi sepassait, jenesavaispasnonplusàquienparler.Parcontre,unechoseétaitsûre:jen’avaispaspeurdeceloup.Jemesuisextraitedemonsacde

couchage et j’ai enfilémes chaussures. Lindsey ne bougeait pas. J’ai attrapémon kit de premièreurgence et une lampe torche avant de me glisser dehors. Brittany et Rafe discutaient à l’autreextrémitéducamp.Ilsnem’avaientpasvue.Etmêmes’ilsmevoyaient,ilsétaientlàpourprotégerlescampeursde toutemenaceextérieureet jenemenaçaispersonne.D’autrepart, ilnem’étaitpasinterditdequitterlecamp.J’aihésitéàprévenirLucas,maisjen’avaispasl’intentiond’allerloin.Ceneseraitpasnécessaire.

J’ai contourné la tente et me suis dirigée vers les buissons les plus proches. À la lumière demalampe,j’aimarchéjusqu’àunendroitassezéloignépourqu’onnepuissepasm’entendreparler,maisassez près pour qu’on puisse m’entendre crier. J’ai éteint ma lampe et j’ai commencé à attendre.Mêmes’ilétaitfoudecroire,d’espérer,queleloupviendrait.Le croissant de lune me permettait de voir à quelques mètres autour de moi. Avant, je n’avais

jamais remarquéàquelpoint la clartéde la lunepouvait êtrebrillante.Oupeut-êtrequemesyeuxétaiententraindes’habitueràl’obscurité.Entoutcas,ilétaitcertainquejevoyaisbienmieuxlanuit.Puisj’aientenduunbruitdepas,enfin,depattes.Monouïeelleaussisemblaits’êtreaiguisée.J’ai

regardésurlecôtéetilestapparu.Jemesuisagenouilléeenregrettantdenepasluiavoirapportéquelquechoseàmanger.Leclairde

luneglissaitsursonpelagemulticolore,commes’ilenabsorbaitlalumière.—Salut,toi.Jemesentaisunpeuridicule.À lamaison, jeparlais tout le tempsàFargo,monchien.Mais là,

c’était différent. C’était un animal sauvage, même s’il n’avait pas l’air menaçant. Je faisais bienattentionàréprimertoutmouvementbrusquepournepasl’effrayer.—Jevoulaistediremerci.À ma profonde surprise, il s’est rapproché pour que je puisse le caresser. Après un instant

d’hésitation,j’ailentementenfouimamaindanssonépaispelage.Ensurface,safourrureétaitrêche,maisendessouselledevenaitdouceetagréable.Attentiveàgarder lavoixcalmeetégale, je luiaidit:—N’aiepaspeur.Jesaisquetuasétéblesséetjeveuxvoirsic’estgrave.Jen’étaispassûredesavoircommentl’aider.Nettoyerlaplaie,mettreunpeud’antiseptique?Jene

voulaispaslebander,depeurdelerendretropvisiblepoursesprédateurs.Jesavaisquelepelagedes

loups s’adaptait à leur environnement comme une tenue de camouflage. Je me suis lentementrapprochéedu flancque l’oursavait tailladé. Jamais jen’avaisétéaussiprèsd’unanimal sauvage.C’étaitdéroutantet excitantà la fois. J’avaisconscienceques’ildécidaitdem’attaquer, jen’auraisaucunechance,maisd’instinctjesentaisqu’ilnemeferaitpasdemal.Jenesavaispasqu’unanimalpouvaitseteniraussiimmobile.J’aipassélamainsursonflanc,m’attendantàsentirdestouffesdepoilsemmêlésetdusangséché.Rien.J’aiattrapémalampetorchepourl’éclairer.Pasdesang.Paslamoindretrace.Çaalors!J’auraispourtantjuréqu’ilavaitétéblessé.Jemesuis

ditqu’ils’étaitpeut-êtrebaignédansunemare,cequiauraitpulaverlesang,maismêmedanscecas,j’auraisdûsentirlesrenflementsdechairlàoùl’oursavaitenfoncésesgriffes.J’aidoucementécartélespoilspourexaminersapeau,sansplusdesuccès.Rienderien.—Cedevaitêtrelesangdel’ours.J’étaisencore trèssecouéeàcausedemabaignadeaumomentoù toutçaétaitarrivé. J’avaispu

malvoir.Leloupavaitlatêtetournéeversmoipourm’observer.—Tuestellementbeau.Jesuisheureusedevoirquetuvasbien,maistunepeuxpasresterlà.Il

pourrait t’arriver quelque chose. (Surtout si le Pr Keane ou Mason t’aperçoivent.) Tu dois allerrejoindretameute.Ilafaitunbrusquemouvementdelatêteenavantetaémisunsourdgrognement.—Qu’est-cequisepasse,montoutbeau?Immédiatement, j’ai pris conscience de l’absurdité de ma question… Comme s’il pouvait me

comprendre,commes’ilallaitmerépondre.J’étaisridicule.Ilm’adenouveauregardéeetpuisilestpartiàlavitessed’unbouletdecanon.Sij’avaisencore

besoind’êtrerassuréesursonétat,làj’étaisconvaincuequ’iln’avaitrien.Jesuisrestéeassiseunmomentàfixerl’endroitoùilavaitdisparudansl’obscurité.J’avaisdéjàvu

à la télévision des gens qui vivaient en bonne intelligence avec des animaux sauvages. Pourmoi,c’était lapremière fois. Jemedisaisque j’auraisdû trouverçabizarre,maisenmême temps,celas’étaitpassédefaçontotalementnaturelle,commes’ilyavaitunesortedelienentreleloupetmoi.Curieux.Depuis que j’étais revenue dans le parc, j’avais cette drôle de sensation que c’étaitma

place. Et je m’étais découvert un instinct protecteur surdéveloppé envers les loups. Ce n’était passeulementpourleurbeauté.C’étaitpourcertainstraitsquilesrendaientquasihumains:intelligence,monogamie,sensdelafamille.Etc’étaitpeut-êtrecedernierélémentquim’attiraitparticulièrement.Depuislapertedemesparents,lanotiondefamillerevêtaituneimportancecapitalepourmoi.—Kayla?Lucas.Surprise,j’aifaitvolte-face.—Qu’est-cequetufichesici?Ma rencontre avec le loup était trop intime et personnelle pour que j’en parle. En plus, Lucas

risquaitdemecroirefolle.—Justeunenuitdeplussanspouvoirtrouverlesommeil,ai-jeditenmerelevant.— Je connais ça. Tu es tellement épuisé que tu crois que tu vas t’effondrer et au lieu de ça, tu

n’arrivespasàfermerl’œil.—C’estpénible.Enmêmetemps, jemesuisditquesi jeretournaistoutdesuitedansmatente, jen’auraispasde

problèmepourm’endormir.SiLucas a remarqué la troussedepremiers secours, il n’a riendit. Ilpouvaitaussibienm’avoirvueavecleloupetfeindredecroiremesmensongespourêtresympa.—Ettoi,tunedorsjamais?luiai-jedemandé.—Pasbeaucoup.Unemauvaisehabitudequej’aiprisecetteannéeàlafac.Beaucouptropdetemps

passéàréviser,dumoinsquandjen’étaispasentraindefairelafête.

—J’aidumalàt’imaginerfairelafête.—Pendant lepremier semestre, lapremière fois loinde lamaison, jeme suis lâché.Connoret

Rafeaussi.Surlecampus,onnoussurnommait«lessauvages».Maisenfind’année,ons’estcalmés.(Il a regardé autour de lui.) Tu as dit que le loup d’hier soir était noir. Le loup de cet après-midiaussi?Alors que j’avais choisi de ne pas révéler la vraie couleur du loup àMason, je n’ai eu aucune

hésitationavecLucasdontjeconnaissaisl’amourpourlanatureetlesanimauxsauvages.—Non. Son pelage était unmélange de couleurs.Un peu comme tes cheveux.Noir,marron et

blanc.—C’estlecasdelaplupartdesloups,etc’estpourquoiunloupnoirseremarqueautant.Tusais,il

n’estpastrèsjudicieuxdesortirducampseuletantqu’onn’apasretrouvécelouppournousassurerqu’ilnenouscauseraaucunmal.—Tuasl’airdetoutsavoirsurlesloups.—Aufildesans,onenarencontrépasmal.Nevapascroirequ’onlesconnaît tous,maisc’est

vrai,certainssontplusamicauxqued’autres.J’aifaitouidelatête.Monloup,dumoinsceluiquejecommençaisàconsidérercommetel,neme

feraitjamaisdemal.—Jecroisquelafatiguecommenceàmerattraper,ai-jedit.Sansunmot,Lucasm’araccompagnéejusqu’àmatenteetaattenduquejemeglisseàl’intérieur.Jenem’étaispastrompée.Quelquessecondesontsuffipourquejem’endorme.Puisj’airêvédu

dînerauxchandellesqueMasonm’avaitpromis.Seulement,dansmonrêve,cen’étaitpasavecMasonquejedînais.C’étaitavecLucas.

9

Lindseyavaitraison.J’étaisavecLucaspourmontourdegarde.—Situn’aspastroplaforme,jepeuxmonterlagardeseul,m’a-t-ilditquandjel’airejoint.—Non,çava.Ilm’aregardéeplusattentivement.—Bon,d’accord,çavapassibienqueça,maisjepeuxresterlàsansquecesoitl’horreur.Ilafaitcedrôledepetittrucavecseslèvresquiressemblaitàunsourire.—Tuveuxunshootdecaféineavantdecommencer?—Ohoui,ceseraitcool.On s’est assis chacun sur une bûche près du feu et ilm’a tendu une tasse de café. La nuit était

fraîche,lachaleurétaitplusquebienvenue.Lucassetenaitpenchéenavant,lescoudesappuyéssurlescuisses,lesdeuxmainsetlesyeuxvisséssursatasseàcafé.Deprofil,ilétaitscandaleusementbeau.—Jet’effraie,hein?m’a-t-ildemandéd’unevoixdouce.Si parmalheur j’avais déjà bu une gorgée de café, soit je l’aurais recrachée, soit jeme serais

étrangléeavec.—Tuesdugenreintense,ai-jereconnu.—Ouais.C’estquejeprendstrèsausérieuxmonrôle,celuideprotégercettezonenaturelle.Alors

quanddesgenscommelePrKeaneetsongroupeviennentici,jenesuispassûrqu’ilsleméritent.Ilm’aregardéepar-dessussonépaule.—J’aigrandiici.J’aimecetendroit.C’estpaspareilpourtoiàDallas?—Non, jenem’ysuis jamaissentievraimentàmaplace,ai-jeavoué.Jemesenspluschezmoi

danscetteforêt.—Çanousfaitunpointcommun.Etmoi,ça,çamefaisaitbizarre.—Tuétudiesquoi,àlafac?—Lessciencespolitiques.J’aihausséunsourcilsurpris.—Quoi?Tuveuxfairedelapolitique?Ilm’asourimalicieusement.—J’essaied’améliorermonrelationnel.Jedevaisavouerquemêmesicen’étaitpasungrandbavard,unefoisqu’onavaitréussiàentamer

une conversation avec lui, il n’avait pas de problème de contact. En fait, les discussions avec luiétaient toujours captivantes. Il était évident que quand il s’intéressait à quelque chose, il le faisaitvraiment.—Lindseym’aditquetonpèreétaitquelqu’und’importantdanslecoin.—Oui,ilaétémairedeTarrantetalongtempsfaitpartieduconseild’administrationdel’école,

d’oùmonintérêtpourlapolitique,j’imagine.Etpuisilattendbeaucoupdemoi.—Ilasuquetuavaiscassélagueuleàcetype,Devlin?—Oui,etçaneluiapasfaitplaisir.(Ilasecouélatête.)Lesparents!Quoiquetufasses,cen’est

jamaisbien.—M’enparlepas.Pendantuneminute,noussommesrestésassislà,àsiroternotrecaféensilence.—Lacouleurdetescheveuxmerappelleunrenardquej’aivuunefois,m’a-t-ilditdoucement.—Merci.Enfin,sic’étaituncompliment.—Biensûr,a-t-ilréponduenriant.

—Jen’aijamaisvuderenardenliberté.—Peut-êtrequejepourrait’enmontrerunavantlafindel’été.—Ceseraitsuper.Jelepensaissincèrement.Bienmieuxqu’undînerauxchandellesautourd’uneboîtedefayots.À

cetteidée,jemesuissentiecoupabledetournerendérisionlatentativedeséductiondeMason.Maisaussicurieuxquecelapuisseparaître,entreuntrekenforêtàlapoursuited’unrenardetundînerauxchandellesdanslemeilleurdesrestos,jechoisiraislerenard.Àcemoment-là,j’auraisdûmedire:«Lucasmecomprend.C’estluiqu’ilmefaut.»Àlaplace,j’aiavalémasaliveetdécidédechangerde sujet, parce que je sentais queLucas ne rigolait pas à propos des relations amoureuses. Il étaitcertainement aussi intense en amour que dans les autres domaines et moi, j’avais encore trop dechosesàréglerpourentamerunerelationsérieuse.—Tucroisvraimentquec’estDevlinquiacoupélacorde?Silebrusquechangementdesujetdeconversationl’asurpris,ilnel’apasmontré.—Jenevoisqueçacommeexplication.—Maisc’estn’importequoi!Bon,ils’estfaitvirer.Etalors?Ilfautpasseràautrechose.—Ilnepasserapasàautrechose,pasavantd’avoireusarevanche.Iladûattendretoutel’année

scolairequejerevienne.C’estici,danscetteforêt,qu’ilveutsevenger.—Sevenger?Parcequetuluiasbottélesfesses?Çamesembleunpeuexagéré.Ilaeuunpetitrireamer.—Exagéré?C’estDevlintoutcraché.Cetypeestlimitepsychotique.—Maisàquoiçaluiaservidecoupercettecorde,àpartfaireflippertoutlemonde?—Àcréerlechaos,àsusciterl’angoisse.—TucroisquelePrKeaneetsongroupeserontensécuritéquandnousseronspartis?—Oui,Devlinn’enveutqu’àmoi.Ilnes’enprendrapasàeux.—Àt’entendre,ondiraitquetuleconnaistrèsbien.Ilatournésonregardd’argentversmoi.—Normal.C’estmonfrère.J’aieul’impressiond’avoirétéfrappéeenpleinepoitrine.Celaadûsevoirsurmonvisage,parce

queLucass’estlevé,ajetésonfonddecafédanslefeuets’estéloigné.J’aicruqu’ilallaits’enfoncerdans lesbois,mais au lieudeça, il s’est arrêté à l’endroitoù j’avaisvuBrittanyetRafe jouer lessentinelles.Donc,ils’étaitbattuavecsonfrèreetl’avaitfaitrenvoyerenledénonçant.Jemesuislevéepourle

rejoindre.Lamainposéesursonbras,jeluiaidit:—Celaadûêtretrèsdurpourtoi.Etsurtoutdenepasfairesemblantdenepasvoircequ’ilfaisait,

denepasdétournerlesyeux.Ilaacquiescéd’unmouvementbrusque.—C’étaitcommes’ilétaitdevenuAnakinSkywalkeretavaitchoisilecôtéobscurdelaForce,un

truc comme ça. Il faisait des tas de conneries. Il connaît cette forêt aussi bien quemoi. Il peut s’ydissimuleràl’insudetous.—Cen’estpastafautes’ilapétélesplombs.Jemefaisaisl’effetd’êtreunepsydecomptoir.—Jemesuisopposéàluietjel’aihumilié.Lucasatouchémajoue.Jesentaislachaleurdesesdoigtssurmapeau.Sesyeuxd’argentavaient

foncéjusqu’àprendrelacouleurdel’étain.—Jeveuxvraimenttemontrercerenard,maispourl’instant,jedoisveilleràcequelePrKeane

arriveàbonport,puistrouverDevlinetm’occuperdelui.Ilfautquecesoitmapriorité.

Ilalaisséretombersamain.Ilavaitl’airmalàl’aise,commes’ilavaitencorequelquechosesurlecœur,maisqu’ilétaitencoretroptôtpourdireceschoses-là.—Tudevraisallerteposterlà-bas,a-t-ilditenindiquantl’autreboutducamp.—OK,çamarche.Ilm’avait toutsimplementrenvoyée,et ladéceptionfaisaitmal.Trèsmal.Entraversant lecamp,

j’ai décidé que ce que je ressentais pour Lucas, quoi que ce fût, allait passer.Mason s’intéressaitvraimentàmoietmoi,jenem’étaistoujoursintéresséequ’àunseulmecàlafois.Masonétaitlebon.Ilétaitsûr.Lucasavaitdestrucsàrégler.Peut-êtrequ’unefoisl’affaireavecson

frèrederrièrelui,ilpourraittrouverdutempspourmoi.Oupeut-êtrequelacurieuseattirancequej’avaispourluicasseraitd’uncoup,commelacordeau-

dessusdutorrent.Peut-êtrequ’ellepouvaitêtresectionnéeaussinet.Ouais, c’est ça,KaylaMadison. LeDrBrandon avait tort.Ce ne sont pas tes peurs que tu dois

affronter,c’estlaréalité.Depuislamortdetesparents,tuasrejetétouteémotion.EtLucastefaitpeurparceque,aveclui,tu

redécouvreslessentiments.Etçaveutdirerisquerd’avoirmalànouveau.Jenevoulaisplusavoirmal.Jamais.Masonnemeferaitpasdemal.

10

Lelendemain,àcausedemescourbatures,nousavonsavancépluslentement.Jesentaislatensiondessherpas.NousavionsdécidédenepasparlerdenossoupçonsconcernantDevlinaugroupeduPrKeane.Illeursuffisaitdesavoirquequelqu’unavaitsectionnélacorde.Lucasétaitconvaincuqu’ilsnerisqueraientplusrienunefoisquenousserionspartis.Quandnousavonsfaitnotrepremièrepause,j’aienlevémonsacàdosavecprécautionetl’aiposé

par terre pour m’asseoir dessus. Mason m’a rejointe, un bouquet de fleurs sauvages à la main.Comme il n’y enapasbeaucoupdans cette zone, il avait dûquitter le sentier chaque foisqu’il envoyaitunepourpouvoirenréunirautant.—J’aipenséqueçateconsoleraitpeut-êtreunpeu,a-t-ilditenmetendantlesfleurs.J’aiprislebouquetetjel’aihumé.—Merci.—Ilyenadedifférentessortes.—Jevoisça.—Ellesnesontpasfacilesàrepérer,ilfautavoirl’œil…—C’estsupergentil.—Cueillirdesfleurssauvagesestinterditparlerèglementduparc,asoudainditLucas.Commed’habitude,jenel’avaispasentendu.—Alors,colle-moiuneamende,arétorquéMason.J’aipastrouvédefleuristedanslecoin.—Yenapasbeaucoup,suis-jeintervenue.Cen’estpastrèsgrave.Lucasnousadécochéunregardassassinets’estéloignésansunmot.—Quelgrandromantique,amarmonnéMason.Enfait,Lucasétaitromantique,maispasausensclassiqueduterme.Enplus,ilavaitraison.D’ici

quelquesheures,lesfleursseraientpassées.Cependant,leseffortsdeMasonmetouchaient.Cequimedéplaisait,c’étaitdevoir lemanègedeTessautourdeLucas.Cettefilleétaitdécidément tropbelle.Ellemedonnaitenviedemefrotterlevisagejusqu’àcequemestachesderousseurdisparaissent.—Alors,commenttutesens?m’ademandéMasonpourramenermonattentionverslui.—Quelquesbleusetdescourbatures,riendesérieux.—S’ilm’étaitarrivélamêmechose,jeseraistentédetoutlaissertomber.—Bah,hier,c’étaitcommeduraftingsanscanot,quoi.Etexcitant,aussi.C’étaitlemoinsqu’onpuissedire.—C’estpeut-êtremieuxavecuncanot,non?Çam’afaitrire.—Clair.—Alorspeut-êtrequ’onpourraselefairecesoir,cefameuxdînerauxchandelles?—JecroisqueLucasnenousautoriserapasàquitterlecamp.—Jenevoispaspourquoi.—Parcequec’estmonchef.—Etsiturestaisavecnous,quandonserasurplace?Çapourraitêtrefun.—Peut-être.JenesavaispascommentLucasréagirait,maisl’idéenemedéplaisaitpas.Commeça,j’auraisune

chanced’explorerleslieuxàfondetpeut-êtrededécouvrirl’endroitoùmesparentsavaientététués.Maisj’avaiscinqansàcetteépoqueetdonc,pourmoi,laforêt,c’étaitlaforêt,point.Etmêmesijepouvais me souvenir à quoi l’endroit ressemblait, il risquait d’avoir beaucoup changé en unedouzained’années.

Les deux jours suivants, nous avons beaucoup avancé, progressant dans des zones qu’aucuncampeurn’avaitjamaisexplorées.Lucasmarchaittoujoursentête,unemachetteàlamainpournoustaillerunpassage.Ilnousa touspoussés jusqu’auxlimitesdenotrerésistance,etau-delà.Ducoup,nousnousécroulionschaquesoiràpeinelecampdressé.Pasdedrague,pasderigolade.Ce rythmed’enfer semblait plaire auPrKeane.Une fois à destination, nous le laisserions à ses

affaires avant de venir le récupérer quinze jours plus tard pour l’aider à rapporter tout sonéquipement.Aucunautreévénementétrangen’avaiteulieu,maismalgréça,nouscontinuionsàmonterlagarde

pendant la nuit. Je faisais toujours équipe avec Lucas. Nous ne parlions pas et nous nous tenionschacun à une extrémité du camp. Souvent, je l’observais longtemps, jusqu’à ce qu’il s’en rendecompteetqu’ilmeregardeàsontour.Là,jedétournaisleregardenessayantdefairecommesiderienn’était,dansl’espoirqu’ilneprennepasconscience

dunombred’heuresquejepassaisàfantasmersurlui.Je pensais à Lucas presque autant qu’au loup. Je l’entendais hurler chaque soir avant de

m’endormir.J’attendaisqu’ilsemontreunsoirpendantmontourdegarde.Lucasneflipperaitsansdoutepassileloupvenaitfaireunpetittourdanslecamp.Commeleshurlementssemblaienttoujourstrès proches, j’étais sûre qu’il nous suivait. Et cette certitude nourrissait en moi un sentiment desécuritéquejeneparvenaispasàm’expliquer.Tard dans l’après-midi du quatrième jour après l’incident de la rivière, nous avons atteint une

magnifiqueclairière.Elledébouchaitsurunpetitruisseaudontl’eaugargouillaitdoucement.Rienàvoir avecmon torrent.De l’autre côté, lapentedevenait plus arduepour commencer à former lescontrefortsdelamontagne.Lavallées’étendaitànospieds,dessinantuntableaupaisible.—Qu’enpensez-vous,professeur?ademandéLucas.JemesuisretournéepourvoirlePrKeaneacquiescer.—Ceseraparfait,absolumentparfait.En dressant le camp, j’ai senti monter en moi une grande satisfaction. Nous n’allions pas tout

remballerdès le lendemainmatin.LegroupeduPrKeaneallaitdemeurer làpendantquinze jours.Nousavionsatteintnotrebut.Typiquement,seulslessherpasmâlesétaientpartischasser,enmode«MoiTarzan,ToiJane».Ils

espéraient piéger deuxou trois lapins. J’étais en trainde ramasser dupetit bois pour le feuquandMasons’estapprochédemoi.—Tuasréfléchiàmonidée?m’a-t-ildemandé.Jeveuxvraimentquecesoittoiquirestesavec

nous.Puisilaessayédemeprendrelamain,nesachantpastropquoifairequandilavuqu’ellesétaient

touteslesdeuxpleinesdepetitbois.Ilm’asaisilecoude.— Tume plais, Kayla. Et même plus que ça… J’aimerais que tume laisses le temps, eh bien,

d’explorercequejeressens.Devoircetteétoilefilante.Toutemavie,oudumoinsdepuislamortdemesparents,j’avaisrecherchélasécurité.OrLucas

éveillait enmoi des émotions inconnues, effrayantes. J’avais parfois l’impressionqu’un autremoirisquaitdesurgir,des’extrairedemaproprepeausijepassaistropdetempsaveclui.LucasétaitlegrandméchantloupalorsqueMasonétaitlebâtisseurdelamaisonquiprotégeaitdu

loup.Masonétaitunechaudecouvertureunsoird’hiveralorsqueLucasétait…J’ignoraiscequ’ilétait.Maisilmeterrorisait.—Jenesaispascommentçasepassepourladésignationdeceluiquivarester,luiai-jedit.—Propose-toicommevolontaire.TupourraspartagerlatentedeTess.J’auraispréféréquelqu’und’autre,maisvuqu’elleétait laseulefille,elleconstituaitmonunique

option.Jemesuisimaginéel’écouterchaquesoirdanslatentemeparlerdeLucas.Enmêmetemps,

j’aurais aussi quelqu’un avec qui parler deMason. En plus, je parviendrais peut-être à surmontercertains problèmes demon passé. Et je nemarcherais pas tous les jours jusqu’à l’épuisement.Unépuisementtelqueplusrienn’ad’importancelesoirvenu.—J’enparleraiàLucas.—Génial.Jesuisraviqueturestes.—Jevaisessayerderester.Nuance.OnverracequeditLucas.

—Jenesuispassûrquecesoitunebonneidée.Ilavaitlesbrascroiséssurletorseetunrictusàla«c’est-moi-le-boss-donc-me-cherche-pas»qui

enlaidissaitlestraitsparfaitsdesonvisage.—Pourquoi?luiai-jedemandé.—T’esnovice.—Jecampedepuismanaissance.J’admetsquejeneconnaispascetteforêtaussibienquetoi,mais

c’est quandmême une forêt comme les autres. Le camp est déjà installé. Ils vont faire un peu demarchedurantlajournéeetças’arrêtelà.Pasdequoienfaireunplat.Enplus,ilfautquetumelâchesunpeulabridedetempsentemps.—Pourquoiveux-turester?a-t-ilexigédesavoir.—Pourl’expérience.Pouravoirl’occasiond’affrontermonpassé…—Pourquoi?—ParcequelesthéoriesunpeufarfeluesduPrKeanesontintéressantes…—Pourquoi?J’aiserrélesdents.Pourquoirendait-illeschosessipénible?—Parcequej’aimebienMason,d’accord?J’aienviedepasserdutempsaveclui,d’apprendreàle

connaître.Jemesensbienaveclui.—OK.Tupeuxrester.Laconiqueetfroid.Ilyavaitdelacolèredanssavoix.Jenesavaispaspourquoi,maisquandila

tournélestalonsets’estéloigné,jemesuissentiecommeabandonnée.J’avaispourtanteucequejevoulais.DutempsavecMason,ensécurité.Pourquoi,alors,est-cequej’avaisl’impressionquejevenaisdeperdrequelquechosedebienplus

important?

Cesoir-là,pourlapremièrefoisenallantmecoucher,j’étaisimpatientedeprendremontourdegarde.Masonavaitexplosédejoie,unpeutrop,quandilavaitapprisquejerestais.Ilm’avaitmêmeoffertunde leurs t-shirtsverts«KampKeane».Super.Etaprèsça ilm’acolléecommede laglupendanttoutelasoirée.Ilétaitjustetropheureuxquejereste.Etj’auraisdûressentirlamêmechose.Mais Lucas était aussi renfrogné queMason était heureux. Rafe et lui ont longuement discuté à

l’écart.Àunmoment,onauraitmêmeditqu’ilssedisputaient.UneexpressioninquiétanteestpasséesurlevisagedeLucaspuis,finalement,ilestparti.—Ouah,j’aicruqu’ilallaitlefrapper,achuchotéMasonàcôtédemoi,cequim’afaitréaliserque

jen’étaispaslaseuleàsuivreledéroulementdecepetitdrame.Je les soupçonnaisdeparlerdemoietdemon insistanceà rester.Maisqu’est-cequeçapouvait

bienfaireàRafe?EtàLucasaussi,d’ailleurs?Ilnes’étaitrienpasséentrenous.QuandLindseyaeufinisontourdegardeetm’apassélerelais,j’étaisdéjàprête.Jevoulaisparler

avecLucasetessayerdeluiexpliquer…Luiexpliquerquoi?Jenesavaispastrop.Entoutcas,jenevoulaispasque,lelendemainmatin,ilparteencorefâché

contremoi.Mais c’était lui qui avait dit avoir des choses plus importantes à gérer quema petite

personne.Mason,lui,medonnaitl’impressionquej’étaislaseulechoseimportante.Unefilleabesoindeça.Maisquandjesuissortiedelatente,cen’étaitpasLucasquim’attendait,c’étaitConnor.—EtLucas?ai-jedemandé.—Ildort,jecrois.Bon,moi,jeprendscecôté-là.Ils’estéloigné.—Connor?Ils’estarrêtéets’esttournéversmoi.Iln’arboraitpassonhabituelsourireprovocateur.J’aurais

aiméquecelafûtàcausedel’heuretardive,maisjedevinaisqueluiaussim’envoulait.—Jenecomprendspaspourquoimadécisionderesterposeunproblème.Ilasoupiré.—Voilàprécisémentleproblème.—Alorspourquoipersonnem’explique?ai-jedit,unpeuagacée.—C’estpasàmoidelefaire.Pauvreexcuse.—Trèsbien.C’estquedixjours.Oulala.Etvous,vousfaitescommesijevousavaistrahisouun

trucdanslegenre.—Onpensaitpasqueceseraittoiquiresterais,c’esttout.Parcequej’étaislanouvelle?SiçainquiétaitLucastantqueça,ilauraitpuinsister.À la façon typique des mecs, Connor est parti comme si la conversation était finie. Seulement

j’avaisencored’autresquestions.J’aienvisagéderéveillerLucas,maisjenevoulaispasledéranger,luiquidormaitsipeu.Celadit,s’ilarrivaitàdormir,c’étaitqueçanelepréoccupaitpastantqueçaquejereste.J’aifaitletourdemonpérimètrejusqu’auruisseau.J’aicontemplélalunesereflétersurl’eau.Etc’estseulementàcemoment-làquej’airéaliséquejen’avaispasentendumonlouphurler.Peut-

être que nous étions sortis de son territoire.Cette idéem’a attristée. J’aimême caressé l’idée unesecondedeprendrelecheminduretouraveclesautreslelendemain,rienquepourmerapprocherdelui.Mais c’était n’importe quoi.En plus, c’était certainement une coïncidence si je l’avais entenduhurlerchaquesoirenallantmecoucher.J’allaisresteretm’éclateravecMason.

Lessherpassontpartisà l’aube.En lesregardants’éloignerdepuis lesdernières tentesducamp,j’aivuqueseuleLindseyavaittournélatêtepourmefaireunsigne.Monsentimentd’abandonétaitridicule.Cen’étaitpascommesinousn’allionsjamaisnousrevoir.Etl’ambiancedetrahison,c’étaitencoreplusdébile.Jenesavaisplustrèsbienpourquoij’avaisimaginéqu’ilseraitsiintéressantderester.Keaneétait

professeur,mais, sansvouloir faire cancre, si ses cours étaient commeses randos, il était horsdequestionquejem’yinscrive.Tropbarbant.Lesdeuxjourssuivants,noussommesrestéssiprèsducampquecelaneméritaitpasd’êtreappelé

de la rando. Alors que nous étions à proximité des montagnes et qu’il y avait tant de sentiersnouveauxàexplorer!LePrKeanepassaitsesjournéesàvérifiersonmatériel(unpeutard,àmonavis,vuquelaplusprochequincaillerieétaitàdeskilomètres),àgriffonnerdesnotesdanssonpetitcarnetetàregarderauloin.Aprèsdéjeuner,letroisièmejour,jesuisalléevoirMason.—Ilfautqu’onfassequelquechose,çanepeutpascontinuercommeça,luiai-jedit.Ilaesquisséunsourired’excuse.

—Ouais,monpèreaimebientoutcontrôleretilpeutparfoismanquerd’imagination.Tupensesàquoi?—Allonsexplorerlesmontagnes.—Çamarche.Mêmes’ilétaitencoretôtetquenousn’allionspasloin,j’aiprismonsacàdos.Marcher avecMason, c’était différent d’une rando avecLucas. J’essayais deme dire que c’était

parcequenousn’avionsaucunbut,alorsqueLucasenavaittoujoursun.Maisilyavaitautrechose.Masonnemenaitpas,ilsecontentaitdemarcheràcôtédemoi.—Tusaisdéjààquellefactuvasaller?—Sansdoute à la facpubliqueprèsdechezmoi.Pasbesoinde réussirunexamend’entrée,un

concours, ouun trucdugenrepour l’intégrer. (Je lui ai adresséunpetit sourire, commepourmejustifier.)Jesuisnullequandils’agitd’exams.Sonsouriren’étaitpasmieux.—Ouais,moi pareil.Mêmequand je révise commeunmalade.Dès que j’entends « Sortez vos

stylos»ou«Prenezunefeuille»,c’estfini.Ilvasansdirequemonpaterneln’estpasravi.C’était lapremièrefoisque je l’entendaisproféreruneremarqueun tantsoitpeucritiqueenvers

sonpère.—Tonpèreettoiavezl’airdebienvousentendre.«Enfin,saufquandvousparlezdeloups-garous»,ajoutai-jeàpartmoi.—Oui,engénéral,maisaufond,ilresteunparent.Iloublieparfoiscequec’estqued’êtrejeune.Lesombres commençaient à s’allonger.Nous avionsparcourupasmalde chemin, àmagrande

surprise.Nousétionsloindetoutetdetoutlemonde,enpleinenaturesauvage.—Ondevraitrentrer,ai-jesuggéré.—Pastoutdesuite.Ilafouilléunedesgrandespochesdesonpantalonetenasortiunegrossebougieblanche.—Jet’avaispromisundînerauxchandelles.—Oui,mais lanuitvabientôt tomberetonnepourrapas retrouvernotrechemin. Il seraitplus

sagede…—Sage…Mincealors.Bon,remplaçonsledînerparungoûter,danscecas.Jem’étais peut-être attendue à quelque chosed’unpeuplus romantique,mais bah…C’était plus

romantiquequetoutcequeLucasm’avaitjamaisproposé.Çam’énervait,troisjoursaprès,depenserencoreàlui.Ildevaitêtrederetourauvillage,prêtàaccompagnerunautregroupeenattendantdevenirnousrécupérer.Mason et moi avons ôté nos sacs à dos. Je me suis étirée pendant qu’il posait la chandelle en

équilibresuruneboîtedeconservevide.—Vas-y,assieds-toipendantquejefinisdepréparer.JemesuisassiseentailleuretMasonarecommencéàfouillerdanssonsac.—Jemedemandesic’estunebonneidéed’allumerunebougieici.Ellen’estpasvraimentstableet

j’aurais horreur de faire les gros titres, genre « Dîner aux chandelles tragique : deux cent millehectaresdeforêtbrûlés».—Oui,biensûr,a-t-ilrépondu,latêtemanifestementailleurs.J’aiessayéderegarderderrièrelui.—Qu’est-cequetufais?Ils’estassisàcôtédemoi.—Riendutout.—Jesuiscontentequetum’aiesdemandéderester.—Etmoi,jesuisraviquetuaiesaccepté.

Ilm’acaressélajoue.—Jeneteferaijamaisdemal.—C’estbizarrededireça.—Jen’aipaseubeaucoupderendez-vousgalants.Aveclesétudes,ettoutça.J’imaginequejesuis

unpeuunloserenlamatière.—Arrêtedediren’importequoi.Etpuissituesunloser,moi,jesuisquoi?—Ouais,pardon.Kayla,tusais,jet’aimebeaucoup.Puisils’estpenchéversmoietm’aembrassée.Maiscen’étaitnidouxnitendre.Celaneluiressemblaitpas.Jel’airepoussé.Ilm’apousséeàsontour.Fort.Jesuistombéeparterreetils’estassisàcalifourchonsurmoi.—Jesuisdésolé,a-t-ilmurmuré.Puisilarecommencéàm’embrasser,plusbrutalementencore.Lapaniquem’aenvahie.Qu’est-cequisepassait?Ilavaitétésisympajusque-là.Jel’aifrappé.Ila

attrapémespoignetsetlesamaintenusau-dessusdematête.—Laisse-toifaire,m’a-t-ilsusurréàl’oreille.—Non!Lâche-moi!Jemedébattais avec l’énergiedudésespoir et j’agitais la têtedans tous les sens. Il a attrapéma

mâchoirepouressayerdem’embrasserànouveau.Moncœurbattaitàunevitessedémente.Jamaisjen’avaiseuaussipeur.Jamaisjenem’étaissentie

aussivulnérable.Puis je l’ai entendu. Un grognement sourd, menaçant.Mason s’est immobilisé, ses lèvres à un

millimètredesmiennes.C’étaitbizarre:unairdesatisfactionestapparusursonvisage.J’airegardésurlecôtéetjel’aivu.Monloup.Ilavaitlesbabinesretroussées.Masonaroulésurleflancet,accroupi,amaladroitementreculépendantquejebondissaispourme

relever.Soudain,ilyaeuunedétonationétoufféeetleloupapousséunpetitcrientrébuchantenarrière.J’aitournélatête.Masontenaitunpistoletetvisaitleloup.—Non!ai-jecrié.J’aiplongéverslui,troptard.Leloupabondi,Masonatiréetleloups’esteffondré.

11

—T’esmalade!ai-jecriéenmeruantsurleloup.Jen’arrivaispasàycroire,leloup,etavant,cequis’étaitpassé…Jen’enrevenaispas.Leloupn’étaitpasmort,maissesbeauxyeuxargentésétaientvoiléset ilhaletait.Ilatentédese

lever, puis il est retombé lourdement. J’ai passé lesmains dans sa fourrure à la recherche de sesblessures. En découvrant deux petites taches de sang, j’ai compris que Mason avait utilisé desfléchettesanesthésiantes.—Jel’aieu!l’ai-jeentendubrailler.Je me suis rageusement tournée vers lui. Il brandissait un talkie-walkie. Il s’est approché pour

s’agenouilleràcôtédemoi.—Iln’estpasblessé,seulementdrogué.Jel’aifrappéàl’épaule,àlapoitrine.—Salemalade!—Hé!a-t-ilcriéenm’attrapantlesmains.Ducalme!Jen’allaispastefairedemaltoutàl’heure.

Maisj’avaisbesoinqueluilecroie.Jemesuisdégagéeetj’airecommencéàlefrapper.J’avaisenviedeluiarracherlesyeux.Ilareculé.—Arrête!J’allaisrientefaire.Jefaisaisjustesemblant.Ilfallaitqu’ilcroiequetuétaisendanger.—Qu’est-cequeturacontes?—Jesavaisqu’ilsemontreraits’iltecroyaitendanger.Est-ce qu’il était fou ? Imaginait-il réellement que ce loup n’était là que pour me protéger ?

D’accord,peut-êtrel’attaquedel’oursavait-ellecrééunesortedelienentreceloupetmoi,cependantc’étaitunanimalsauvage,pasunchiendomestiqué.Personnenepouvaitprévoirqu’ilnoussuivraitetqu’ilviendraitàmonsecoursdenouveau.C’étaitjusteuneénormecoïncidence.Maissil’apparitionduloupmestupéfiait,lecomportementdeMason,satrahison,mefaisaitenrager.—Alorstoutecettehistoirededînerauxchandelles,c’étaitqu’uncomplotpourattirerleloup?Je n’ai pas pris la peine de dissimuler ma colère. Son comportement était intolérable : me

terroriser,feindredemefairedumal…M’utilisercommeappât.M’utilisercommesijen’étaisqu’unsimpleobjet.—Nedispasça,cen’estpascommesijeneressentaisrienpourtoi,arépliquéMasonsurunton

cajoleur.Tumeplaisbeaucoup,Kayla.Maisnousavionsunemissionà accomplir et toiun rôle àjouerpourqueçamarche.J’étaistellementfurieusequejevoyaistrouble.Jemesentaishumiliée.Masons’étaitservidemoi

pourcapturerunloup,monloup.Mavoixtremblaitquandjeluiaidemandé:—Mason,qu’est-cequ’ilsepasse?Maisilnem’écoutaitpas.Ilétaitfascinéparleloup.—Regarde, il est immense.Et ses yeux sont si humains.Tout change, sauf les yeux qui restent

humains.Exactementcommeilm’avaitdit.—Qu’est-cequeturacontes?Avantqu’ilpuisseme répondre, j’aientenduunbruitdans lesbuissons.PuisEthanetTyler sont

apparus entre les arbres, ils portaient une cage enmétal.Elle était un peuplus petite que la caissequ’ilsavaienttransportéependantlevoyage.C’étaitdoncça.LePrKeanelessuivait.QuandilarejointMason,ill’afélicitéavecunetapedansledos.—Beauboulot,monfils.—Merci,Papa.

Quandilsluiontpasséunemuselière,leloupcourageuxatentédeseleverànouveau.—Jeluiaiinjectédeuxdosesdetranquillisant.Celaauraitdûsuffireàl’assommer,aditMason,

visiblementimpressionné.Jeluienfileuneautre?—Non,çaneserapasnécessaire.Ilesttrèsrésistant.C’estunebonnechose.PuislePrKeaneamurmuré:—Ilaurabesoindetoutessesforces.Jemesuisplantéedevantluietjemesuishausséesurlapointedespiedspourqu’ilvoiecombien

j’étaisencolère.—Qu’allez-vousluifaire?LePrKeanem’aregardéecommesijen’étaisqu’unpauvremoucheron.—Quellequestion!L’étudier,biensûr.

J’étaishorsdemoisurlecheminderetour.J’avaisl’impressiond’avoirtrahileloup.JepensaisàLucasquisesentaitsiresponsableetprotecteurenverslesanimauxdelaforêtettoutparticulièrementlesloups.J’espéraisqu’ilnedécou-vrirait jamaiscequivenaitdesepasser.Quantàmoi, jedevaistrouverunmoyendelibérerleloup.Ethan et Tyler ont installé la cage à l’extrémité du camp, près des bois. Le camp vibrait d’une

excitation malsaine. Tout le monde s’était massé près de la cage pour regarder le loup. Je nesupportais pas de le voir exposé comme au zoo. Jeme demandais si les animaux éprouvaient del’humiliation.Maismême si cen’était pas le cas, j’avaisde lapeinepour lui. Il semblait si fier. Ilméritaitmieuxqueça.Au bout d’unmoment, chacun est retourné à ses activités. SaufMason etmoi. Il éprouvait une

incroyablefascinationenversleloup.Commentpouvait-il infligercetraitementignobleàunsibelanimal?Jem’étaistrompéesursoncompte.J’auraisdûpartiravecLucasetlesautres.Qu’est-cequeje pouvais faire ?La cage était fermée avec un petit cadenas, ce n’était pas un problème.Mais ilsn’allaientcertainementpaslalaissersanssurveillance.—Ilestmagnifique,n’est-cepas?aditMasonsansquit-terleloupdesyeux.Monpsym’avaithypnotiséeune fois. Jedevaisavoireu lemêmeairqueMasondevant le loup,

commeaprèsavoirfuméuntrucillégal.J’étaisfurieusecontreMasonetcontremoi-même.J’avaismanquédediscernement.Raressontles

loupsavecunpelageaussisingulier,cemélangeuniquedecouleurs.C’étaitàcoupsûr le loupquim’avaitprotégéedel’ours.J’avaisunedetteenverslui!Etàcausedemoi,ilseretrouvaitprisonnierdecettecage.Leloupacommencéàbougerunpeuetaessayédeselever.Lacageétaitsipetitequ’ilnepouvait

pass’ytenirdebout,encoremoinssedéplacer.Mêmeseretournerluiauraitétédifficile.Dieumerci,ilsluiavaientenlevélamuselière.Encroisantsonregard,j’aisenticettemêmeconnexionqu’aprèsl’attaquedel’ours.Qu’est-cequelePrKeanepouvaitbienluivouloir?C’étaittrèscertainementundes descendants des loups qu’on avait réintroduits dans le parc vingt ans auparavant. J’avaisl’impressionquelepactedenon-agressionentrelesloupsetleshumainsn’étaitplusd’actualité.LePrKeaneetsongroupeétaiententraindedéclarerlaguerreàcetteespèce.Pourquoi?Mason s’est agenouillépourpasserunbâtonentre lesbarreauxde la cage et apiqué le loupau

flanc.Découvrantsescrocs,celui-ciaémisungrognementsourd.J’aiarrachélebâtondesmainsdeMasonetl’aijetéauloin.Jebouillaisdecolère.—Nefaispasça!Masons’estrelevé.—Tuasraison.S’ilestencolère,ilnevapassetransformer.—Setransformer?Dequoituparles?C’estunloup,etilestinterditdelescapturer.

Ilm’alancéunsourirecondescendant.—Cen’estpasunloup.Enfin,si,làtoutdesuite,c’estunloup,maisavantdesetransformer,c’était

unhumain.Etàcausedelacouleurdesafourrure,jesuissûrquec’estLucas.C’estl’évidencemême.Vucommentilteregardait,j’étaisconvaincuqu’ilnetelaisseraitpasseuleici.—T’escomplètementdingueouquoi?Ilaplissélesyeux.—Leslycanthropesexistent,Kayla.Icimême,danscetteforêt.Ilyatoutunvillage…—N’importequoi,l’ai-jeinterrompu.Pasdeloups-garousetencoremoinstoutunvillage.C’est

deslégendes,deshistoiresquelesgensracontentautourd’unfeudecamppoursefairepeur.Ilm’aconsidéréeavecunsourireprovocateur.—Jepeuxprouvercequej’avance.Ils’estpenchéverssonsacàdosd’oùilasortiunrevolver.Cen’étaitpasceluiquejel’avaisvu

utiliser.Celui-làressemblaitàl’armedeservicedemonpèreadoptif.—Qu’est-cequetu…Avantquej’aiepufinirmaphrase,ilavaitmisleloupenjoue.—Non!ai-jecriéenmeruantverslui.Mais,encoreunefois,troptard.Ilavaitappuyésurladétente.Leloupajappédedouleurets’estécroulé.Dusangs’estmisàcouler

desahanche.Lesautressontarrivésencourant.—Toutvabien.C’estunaccident.Lecoupestparticommeça.Riendegrave,aannoncéMason,en

faisantsignequ’iln’yavaitpasdequois’inquiéter.Riendegrave?Ilavaittirédesang-froidsurleloup!Jel’aisiviolemmentpousséqu’ilatitubéenarrière.—C’estquoi,tonproblème?ai-jehurlé.—Jeteprouvequej’airaison.—T’esmalade!Sij’avaiseuunrevolver,jel’auraistué.J’aisecouélecadenaspourexigerqu’ilm’ouvrelacage.

Lelouphaletaitetjelisaissasouffrancedanssesyeux.—Ouvre-moiça,quejepuissefairequelquechoseavantqu’ilneperdetropdesang.—Ilnevapasseviderdesonsang.Calme-toi.—Jen’aipasd’ordresàrecevoirdetoietjenetelaisseraiplusluifairedemal.Jeveuxvoirsa

blessure.Ilm’asouriaveccetairsupérieurquejecommençaisàdétester.—OK,a-t-ilditens’accroupissant.Regarde.Jemesuisagenouilléeetj’aisaisideuxdesbarreaux.—Regardesapattearrière,làoùjel’aitouché.Lesgrosbouillonsdesangs’étaientvitetransformésenunpetitépanchementquis’estrapidement

tari.Avecunautrebâton,Masonasoulevélafourrurepourexposerlaplaie.Elleserefermaitàunetellevitessequ’onauraitditunevidéopasséeenaccéléré.Sijenel’avaispasvudemespropresyeux,jen’yauraispascru.—Chez les loups cela guérit beaucoup plus vite. Imagine un peu les applicationsmédicales. Si

nousparvenonsàisolerlegèneresponsable,nouspourronsfabriquerunsérumdeguérisonrapide.Quelqu’unvientd’avoirunhorribleaccidentdevoiture,ilperdtoutsonsang.Avecuneinjectiondecesérum,ilestguériavantquel’ambulancearriveàl’hôpital.Etpuislesapplicationsmilitaires!Unearméedemétamorphes,auxsenssurdéveloppés,seraitpotentiellementinvincible.

Ilvoulaitmepersuaderqu’ilœuvraitpourlebiendel’humanité.Maconvictionqu’ilétaitimmorald’exploiter une espèce ainsi faisait-elle demoi une ennemie du genre humain ? Et puis commentcroireunesecondequec’étaitunloup-garouquej’avaisdevantmoi,quec’étaitLucas?Ilsepouvaitjustequeceloupait,lui,d’incroyablescapacitésdecicatrisation.Certainementunesortedemutationgénétique,unheureuxhasard,maisuncasisolé,pasuneespèceparticulièred’humainssechangeantenloupsoul’inverse.Masons’esttournéversmoi.—Celadit,lesvraisprofitsseferontdansledomainedesloisirs.S’ilyavaitunedroguecapable

detechangerenlouppourquelquesheures,tulaprendrais,non?Aumoinspourvoircommentc’est.Lessoiréesmétamorphesferaientfureur.Nousserionspropriétairesdubrevet.Etsinousn’obtenonspasd’autorisationdemisesurlemarché,tantpis.Onseferaencoreplusdebléaumarchénoir.Cen’étaitpaspourlebiendel’humanité,finalement.C’étaitpourl’argent.— Quel égoïsme de garder ça pour toi, Lucas ! Tu aurais dû te porter volontaire pour nos

expérimentations.Etaucontraire,ilnousafalluvenirtetraquerjusqu’icipourtefairetomberdansunpiège.Unjeud’enfantunefoisqu’onacomprisquetusurprotégeaisKayla.Masonl’adenouveaupiquéavecsonbâtonetleloupagrogné.—Cen’estpasLucas.Tudélires!—Si, c’est lui.Attends un peu.Bientôt, trop affaibli, il sera obligé de reprendre son apparence

humaine.—Onnetelaisserapassortirduparcavecunloupdanstesbagages.Ilm’aadresséunsouriredébordantd’assurance.— C’est là qu’est l’astuce. Demain matin, deux hélicoptères viennent nous chercher. Pourquoi

crois-tuqu’ontenaitàdresserlecampprèsd’unevalléeaussilarge?Tunousaccompagneras,etunefoisquetuaurasvutoutcequ’ons’apprêteàdécouvrir,tucomprendraslaportéedenotretravail.Jeveuxquetoiaussituparticipesàcetteaventure.Etonfêteranotresuccèsparundînerauxchandelles.Dansma tête, jecriais«Jamaisde lavie !»,mais j’étaisconscientequ’ilmefallait jouerserré.

Jusqu’à ce que j’aie trouvé un stratagème pour nous échapper, le loup et moi, je devrais feindred’adhéreràleurprojet,mentiretamasserlemaximumd’informations.—Vousallezlerameneràlafac?—MapauvreKayla, tuesvraimentnaïve!Ouvre lesyeux.Toutçan’étaitqu’unearnaque.Mon

pèren’estpasprof, il estdirecteurde recherchechezBio-Chrome.Tuconnais ?«Les secretsdeschromosomespourunfuturplusradieux»?Celamedisaitvaguementquelquechose,unepubdébileàlatélé.—Mais,sesétudiants…—Noussommessonéquipederecherche.Noussommescequ’onappelleentoutemodestiedes

génies.Ilariàgorgedéployée.—J’aieumondoctoratàdix-septans.Moncolocataireétaitducoin.C’est luiquim’aparlédes

rumeurs à propos de lycanthropes dans la région. Il m’a même recommandé de m’intéresser enparticulieràLucas.J’aifaitdesrecherches.Ilyavaitbientropd’indicespourquecenesoitpasvrai.Etmaintenant,onvanonseulementleprouver,maisenplus,onvaentirerprofit.Masons’esttournéversleloup.—Lucas,tuvasentrerdansl’Histoire.Ensuiteils’esttournéversmoi.—Tuprendslamesuredel’événement,Kayla?Turéalisescequenousallonsaccomplir?Jeveux

queturejoignesnotreéquipe.—Jesuisencoreaulycée,Mason,ai-jedit,enfeignantunintérêt.

Ilalevélesyeuxauciel.—C’estlachancedetavie,Kayla!Monpèrepeutt’obtenirundiplômed’équivalencedubac.Ettu

pourrassuivredescoursdefacparcorrespondancependantque tu travaillerassurnosrecherches.Onseraàlapointe.Etonseratousmillionnaires.Voilàcequ’ontepropose.J’aiavalémasaliveavecdifficulté.—Génial,ai-jementi.Marchéconclu.—Jesavaisquetuprendraislabonnedécision.Etnet’inquiètepaspourLucas,luiaussifinirapar

entendreraison.Masons’estlevé,puisilestpartienmelaissantplantéelà.J’avaistellementserrélesbarreauxdela

cagequemesmainsmefaisaientmal.J’aiobservéleloupdenouveau,soutenantsonregard.Encore une fois, je sentais ce lien particulier entre nous. Peut-être quemoi aussi j’étais un peu

dingue.Jesavaispertinemmentquelesloups-garous–lycanthropes,métamorphes,commeonveut–n’existaientqu’àlatéléetdanslesfilms.Etmalgrétout,jemesuispenchéeetj’aimurmuré:—Lucas?Leloupm’aléchélesdoigts.J’ai lâché les barreaux et j’ai titubé en arrière.C’était impossible.Les loups-garous n’existaient

pas.Etceloupn’étaitpasLucas.J’aisursautéenentendantquelqu’unapprocher.C’étaitEthanetiltenaitunfusilàlamain,àballes

réellesouàfléchettestranquillisantes,impossibledesavoir.Ilm’alancéunsourireemprunté.—Cool,hein?a-t-ilditavantdes’asseoircontreuntroncd’arbre,lefusilposésurlescuisses.—Tucroisqu’ilva tenteruneévasion?ai-jedemandé,aveccequiessayaitd’êtrede l’humour,

pourtenterdeparaîtreaussiinoffensivequepossible.Ilahaussélesépaules.—Avantdel’avoirétudiéàfond,onnepeutpassavoirdequoiilestcapable.Etpuis,iln’estpas

seul.Lesautrespourraientessayerdelelibérer.J’allaisdesurpriseensurprise.

FurieusecontreMasonetsonpère,terrifiéepourleloup,jemesuismiseàéchafauderdesplans.Maisrienn’atransparudansmonattitudecesoir-làautourdufeu,aprèsledîner.Masonfaisaitgrillerdesmarshmallows,commesiderienn’était.LePrKeaneétaitassissursonpetittabouretpliable.J’aicaresséuninstantl’idéededonneruncoupdepieddedanspourlevoirs’étalerparterre.Maisiln’envalaitpaslapeine.Ilfallaitquejemecomportenormalement,pourqu’ilsmefassentconfiance.Masonm’a donné sonmarshmallow et je l’ai remercié avec un sourire un peu coquin avant de

l’avaler.— Tu vois, Papa, a ditMason. Je t’avais dit qu’une fois qu’elle saurait tout, elle comprendrait

l’importancedenotretravail.Comme le Pr Keane me regardait avec une méfiance visible, je lui ai adressé mon plus beau

sourire.—Jepensequevousêtesungénieabsolu,ai-jemurmuré.Il a légèrement bombé le torse, puis il a soliloqué sur l’argent qu’ils allaient se faire grâce au

secretdelatransformationdesloups-garous.—Vouscroyezdoncqu’ilyad’autrescréaturescommecelle-ci?ai-jedemandé.—Oh,c’estévident,arépondulePrKeane.J’aijetéuncoupd’œilàlacage.C’étaitmaintenantTylerquimontaitlagarde.—Ilfaudraitlenourrir,non?Oudumoinsluidonneràboire.Celanerendraitserviceàpersonne

qu’ilmeuremaintenant,ai-jedéclaré.

— Il ne risque pas de mourir dans l’immédiat. Nous devons l’affaiblir pour qu’il reprenne saformehumaine. Il lui faut beaucoupd’énergiepour rester loup, a dit leSavantFou,monnouveaunompourlePrKeane.—Commentvoussavezça?—Parcequec’estlogique.—Etsi,aucontraire,leloupétaitsonapparencenaturelleetqueçaluidemandaitplusd’énergie

poursetransformerenhomme?J’essayaisjustedeparticiperàlaconversation,maisprononcercesmotsm’afaitfrémir.Etsileurs

théoriesdémentesétaientvraies,aufond?Est-cequeceseraitcooldepouvoirchangerdeformeouest-ce que ce serait un cauchemar ?Un cauchemar,me suis-je dit.Depuis lamort demes parents,j’avaisconsacrétoutemonénergieàm’intégrer.Êtreaussidifférentdesautresm’apparaissaitcommelecombledel’horreur.LeSavantFouaréfléchiàmaquestion,puism’aadresséunsouriremaléfique,àlaSavantFou.—Ehbien,nousprocéderonsàdesexpériencespourlesavoir.Qu’est-cequiestvenuenpremier?

L’hommeouleloup?J’auraismieux fait deme taire. Je ne voulais surtout pas quemon loup serve de cobaye. Jeme

sentaisdansl’obligationdeleprotéger.Masonm’aprislamain.—Net’inquiètepas.Nousnegagnerionsrienàluifairedumal.«Etluitirerdessus,c’étaittafaçonàtoid’êtresympaaveclui?»Jenel’aibiensûrpasditàhautevoix.Jemesuiscontentéedeplaquerunsouriresurmonvisage.—Tuesabsolumentmerveilleux,ai-jesusurré,lepetitcopainidéal.J’aitropdechance.—L’hélicosera làà l’aube,aannoncé lePrKeane. Ilnousfaudradoncdémonter lecampement

trèstôt.Allonsnouscoucher.Ilssesonttouslevésetsesontdirigésversleurstentes.Masonm’aattiréeunpeuàl’écart.—Jevoulaisquetusachesquesijet’aidemandéderester,c’estparcequetumeplais.Cen’était

passeulementpourt’utiliserafindecapturerleloup-garou.—Tuauraisdûmeledire,voilàtout.Jet’auraisaidé.—Ilfallaitquetaréactionsoitauthentique.(Ilm’acaressélajoue.)Tumeplaisvraiment,Kayla.Jeluiaisouri.—Toiaussi,tumeplaisbeaucoup.Lemensongem’estvenusanspeine.Il s’est penché avec l’intention de m’embrasser. J’ai posé ma main sur son torse pour l’en

empêcher.L’idéemêmedel’embrasserm’étaitintolérable.— Je suis désolée, je suis encore sous le choc. Même si maintenant je comprends ton

comportement,etàtaplace,j’auraisfaitpareil,j’aimeraisqu’onyailledoucement.—Tuasraison,çaaétéunejournéepleinedesurprises.Ouplutôtdetrahisons,selonmoi.Ilm’araccompagnéejusqu’àmatente,puism’asouhaitébonnenuit.Tesslisait,allongéedansson

sacdecouchage.—Maisalors,quandtuflirtaisavecLucas…Elleasouri.—Çafaisaitpartiedupiège.Maisjeletrouvesexy,çac’estvrai.Etsiceloup,c’estlui,iln’enest

queplussexy.Elleétaitmalade.Gravement.J’aisortimalimeàonglesdemonsacàdosetjel’aiglisséedansmapochedepyjama.J’allaisen

avoirbesoinpourfairesauterlecadenas.

Commemonpèreadoptifestflic,j’aifiniparmaîtriserquelquesastucesdecriminels.Je me suis couchée. De longues minutes ont passé avant que Tess n’éteigne la lumière. Je

réfléchissais.Enfin,j’aientendularespirationdeTessdevenirlenteetprofonde,signequ’elles’étaitendormie.

Jemesuisextraitesansunbruitdemonsacdecouchageetj’aicommencéàenfilermeschaussuresensurveillantTessdansmondos.Jelavoyaistrèsbiengrâceauclairdelune.Elleétaitparfaitementimmobile.J’aiattrapélalampetorchequejegardaistoujoursprèsdemoiaucasoù.Je me suis faufilée hors de la tente sans prendre mon sac à dos. Je n’avais pas l’intention de

m’enfuir, car je ne pensais pas être capable de retourner seule auVillage desRangers, je voulaislibérerleloup.QuandMasonetsonpèreledécouvriraient,ilsverraientrouge,maisilsn’allaientpasm’abattrepourautant.Dumoinsjel’espérais.Mêmes’ilsétaientpassésducôtéobscurdelaForce,ilsrestaientavanttoutdesscientifiques,pasdesmeurtriers.Unsilencesurnaturelrégnaitdanslecamp.Jemesuisredresséeetj’aiavancéfurtivementjusqu’à

lazoneunpeuexcentréeoùEthanétaitànouveaudegarde.Ilétaitassisentailleurdevantlacageetpiquaitleloupavecunbâtontailléenpointe.J’imaginaisqu’ils’étaitditceci:commeluin’avaitpasledroitdedormir,leloupnonplus.Oupeut-êtreétait-cetoujoursdansl’idéedefatiguerlelouppourqu’ilreprennesaformehumaine.J’airesserrémaprisesurlalampetorche.C’étaitunbelobjet,lourdetsolide.Sinécessaire,elle

pouvaitservirdematraque.Etlà,c’étaitnécessaire.Mon cœur battait si fort qu’Ethan aurait pu l’entendre. En fait, j’étais même surprise que son

vacarmeneréveillepastoutlecamp.J’aifaitunpasdepluset…Crac!J’avaismarchésurunebranchemorte.Ethans’estretourné…Jel’aialorsfrappédetoutesmesforces.Ils’esteffondré.Iln’avaitmêmepaseuletempsdeme

voir.Jemesuisagenouilléeprèsdeluipourprendresonpouls.Toutallaitbien,maisilseréveilleraitcertainementbientôt.Ilfallaitquejefassevite.Jemesuisapprochéedelaportedelacage, j’aiallumémalampeet l’aiplacéedefaçonqu’elle

éclaireletroudelaserrure.Riendecompliqué,çan’allaitpasfaireunpli.J’aisortilalimedemapocheetmesuismiseauboulot.—Jevaistesortirdelà,ai-jechuchotéauloup.J’étaisétonnéede le trouversiéveillé.Cessadiquesne luiavaientdonnéniàboireniàmanger

depuisqu’ilsl’avaientcapturé.Ilagrogné,commes’ilronronnait.Jel’aiignoré.Jenevoulaispasqu’ilessaiedecommuniquer

avecmoi,jevoulaisjustequ’ilpuisseficherlecamp.Ilyaeuundéclic.J’aienlevélecadenasetj’aiouvertlaporteengrandavantdemereculer.D’unmouvementleste,leloupabondihorsdelacageets’estapprochéd’Ethanpourlerenifler.Je

mesuisdemandés’ilenvisageaitdelemanger.Jemesuisapprochéedelui.—Non!ai-jesifflé.Tudoist’enaller.Va-t’en!Allez!Mais il ne partait pas. Il était immobile, d’une immobilité si peu naturelle que j’ai senti l’air se

chargerd’électricité.Jemesuisrelevéeetj’airegardéalentour.Nousavionsdelachance:personneenvue.Pourlemoment.Jemesuisditquesijetapaisleloupaveclalampetorche,ilseraitpeut-êtresuffisammenteffrayépours’enfuir.J’airamassélalampeetjemesuisretournée…Leloupétaitparti!Maisaulieudemesentirsoulagée,j’aicommencéàpaniquer.Lucas, totalement nu, était accroupi près d’Ethan. Un vertige m’a saisie.Mason et le Pr Keane

avaientraison,enfindecompte?Lucasétaitbeletbienunloup-garou?J’aifaillimemettreàcriercommeunehystérique.

Je le fixaipendantque,dosàmoi, il enlevait sonpantalon treillis àEthan. Iln’avait absolumentaucunemarquedebronzage.C’étaituneparfaiteidoledebronze.Àcetinstant, j’auraispucéderaudésirquej’éprouvaispourluisijen’avaispassuqueleprendre,c’étaitleprendreenentier,c’est-à-direpelageetcaninescompris.—Bonnechance,luiai-jedit.Mavoixtremblait.Jemesuiséloignée.—Attends,m’aordonnéLucasàvoixbasse.Jemesuistournéeverslui.Ilfinissaitdeboutonnerlepantalon.—Ilfautquej’yaille.Avantquej’aieeuletempsdebouger,ilsetrouvaitàcôtédemoietm’avaitattrapéeparlebras.D’unmouvementbrusque,jel’aicontraintàmelâcher.—Laisse-moitranquille.Tueslibre,va-t’en.—IlesthorsdequestionquejetelaisseiciavecMason.Surtoutaprèscequ’ilaessayédetefaire.—Ilfaisaitsemblant.Iln’avaitpasl’intentiondemebrutaliser.(J’aisecouélatête.)Ilsavaitquetu

étaisdanslecoin,ilvoulaitjustequetutemontres.Manifestement,çaamarché.Ilacontractélamâchoire.—Oui,jesuistombédanssonpiège.Quandilt’aattaquée,plusriend’autrenecomptaitquedelui

ouvrirlagorge.Ilpourraitrecommencer.—Non,jevoisclairdanssonjeu,maintenant.Jeneluiendonneraipasl’occasion.—Tudoisveniravecmoi,ainsistéLucas.—Çaira.—Non,çan’irapas,a-t-ilditavecunsérieuxterrifiant.Maisilétaittoutletempssérieux.Cetypeneriaitjamaisetsouriaittrèsrarement…etalors,quel

effetçamefaisait!—Ilsignorentquec’estmoiquit’ailibéré,ai-jedéclaré.—Peuimporte.Dansmoinsdequarante-huitheures,ceseralapleinelune.Lapremièredepuiston

anniversaire.Or la première transformation a lieu pendant la première pleine lunequi suit le dix-septièmeanniversaire.—Super,merci pour l’info,mais ce n’est pas franchement lemoment deme faire un cours de

«Loups-garouspourlesNuls».Ilfautquetupartes.Quandils’estrapprochédemoi,j’auraisdûm’enfuir.Maisjesuisrestéelààcontemplersesyeux

d’argentquimeretenaientprisonnière.Mueparuneétrangeimpulsion,j’avaisenviedem’enfouiràl’intérieur de lui, dem’enrouler tout autour de lui. Lui, Lucas, dont le contact faisait chaque foissurgir enmoi l’envie de sortir demon cocon de chair. Son regard était si grave.Mais il y avaitquelquechosed’autredanssesyeux,quelquechosedepossessif.Jevoulaisquecet instantsetransformeenunescèned’amourdefilmàl’eauderose.Jevoulais

qu’ilme prenne dans ses bras et qu’ilm’embrasse comme si plus rien d’autre n’existait que nousdeuxetcebaiser.Puisjevoulaisqu’ils’enfuiedanslesboisetqu’ilnereviennejamaisplus.Jevoulaisplusquetoutqu’ilsoitensécurité.Pourquoiétait-cesoudainsiimportantpourmoi?Il a posé lesmains surmes bras. J’ai pensé qu’il allaitm’attirer à lui pourme donner enfin ce

baiserquej’attendaissidésespérément.Aulieudeça,ilm’aditd’untongrave:—Kayla,tuesl’unedesnôtres.

12

Curieux de penser qu’une phrase aussi banale pouvait avoir un tas d’implications. Elle pouvaitvouloir dire « nous » au sens d’« espèce humaine ». Sauf qu’humain,Lucas ne l’était pas, ou pascomplètement.Oudumoins,pasàmesyeux.Ellepouvaitaussisignifierquecommejel’avaissecouru,jefaisaismaintenantpartiedesonclan,

que j’étais à présent destinée à le suivre partout où il irait.Dans certaines cultures, quelqu’un quisauvelavied’unautreluiestliéàjamais.J’avaisluçaquelquepart.Moncerveaufiévreuxcontinuaitàchercherd’autressignificationsàcettepetitephrase.Peut-êtrequecelasignifiait…MonDieu,quiest-cequej’essayaisdetromper, là?Cettepetitephrasenesignifiaitqu’uneseule

choseet jenevoulaispasquecesoitça.Quoiqu’ilpuissevouloirdire,ce«nous»signifiaitqueLucas m’incluait dans sa bizarrerie. Dans quelque chose qui n’était pas normal. Les gens ne setransformentpas en loups. J’avaisdéjà suffisammentde trucsbizarres àgérer, jenevoulaispasyajouteruneanormalitéphysiologique.Ethanacommencéàgeindre.Lucasaalorsprismamain.—Partonsavantqu’iln’alertetoutlecamp.J’aisecouélatête.—Jenesuispascommetoi.—Onenparleraplustard.Ilfautyaller.—Non.Jerefuse.— Kayla, dans moins de quarante-huit heures, ils sauront la vérité sur toi et c’est toi qui te

retrouverasdanslacage.Situsurvisàlatransformation.Ettuaurasbesoindemonaide…situveuxsurvivre.Demieuxenmieux.Ilm’annonçaitquenonseulementj’allaismetransformerenbouledepoils,

mais qu’en plus je pouvais enmourir s’il n’était pas là quand lamétamorphose aurait lieu !Moncerveauneparvenaitpasàassimiler toutescesinformations.J’étaishumaine.Jen’étaispascommelui.Etce«nous»?Combienétaient-ils?Toutcelaétaitabsurde.Jen’ycomprenaisrien.C’étaittrop.Il

existaitbeletbiendesgensquisetransformaientenloups?Etj’étaisl’uned’eux?Cetteidéeétaitdémente.Ethanagémiplusfortettentédeserelever.Bientôtilallaitnousvoir.Manifestement,Lucasétaitàboutdepatienceparcequ’ilm’aattrapée,soulevéeetchargéesurses

épaules. Quand j’ai retrouvé mon souffle pour protester, il courait déjà. Et vite. Comme à sonhabitude,sacourseétaitabsolumentsilencieuse.Commentpouvait-ilêtresi fort,si rapideetsisilencieuxalorsqu’ilmeportaitsursesépaules?

Quiétait-il?Supergarou?Jetenaistoujoursmalampetorche.Uninstant,j’aisongéàlaluibalancerentrelesjambes,cequi

auraiteupourrésultatàlafoisdel’arrêteretdemefaireretrouverlaterreferme.Maisjenel’aipasfaitetmesuisjustelaisséporter,tandisquelesarbresdéfilaientautourdemoi.Tuesl’unedesnôtres.Jesuisl’unedesleurs.J’ai repensé à cette peur étrange qui me tenaillait depuis quelque temps, cette peur dont je ne

connaissaispasl’origine.Etcessensationscurieuses,cetteimpressionquej’étaisentraindechangerd’unefaçonquejenecomprenaispas.

Je me suis dit que c’étaient les peurs normales de l’adolescence, les changements normaux del’adolescence.Jen’étaispasl’unedesleurs.Lucasavaittort.Peut-êtrequ’ilvoulaitquejesoiscommelui.Maisilsetrompait.Jen’étaispascommelui,j’étaisnormale.J’étaisKaylaMadison,uneadojuste

unpeupaumée.Jen’allaispasmetransformerenloup-garou.

J’ignoredepuiscombiendetempsLucascouraitquandj’aicrié:—Çasuffit!Arrête-toi!Ilafaitlasourdeoreille.Jel’aifrappéauxfessesaveclalampetorche.—Arrête!Arrêteouje…Oujequoi?Ilestplusgrand,plusfort,plusdur.Peut-êtrequequelquechosedansmavoixl’aalertéoupeut-êtrequ’ilétaittoutsimplementfatigué,

mais il a fait halte etm’a posée à terre.Quandmes pieds ont touché le sol,mes jambes étaient sifaiblesquejemesuiseffondrée.Ils’estaccroupiprèsdemoi.Sarespirationétaitsaccadée,commelamiennequandj’aimontéun

escalier quatre à quatre.Après sa course frénétique avecmoi sur ses épaules, il aurait dû haleter,suffoquer.Jen’auraisjamaisunetelleconditionphysique.Mêmepasenrêve.Le clair de lune nous éclairait au travers des branches,mais je voulais plus. Je voulais le plein

soleil.J’aiallumémalampetorche.—Tun’asmêmepastrébuché.Çam’étaitvenucommeça,sansypenser.Ilaeul’airsurpris.—J’aiuneexcellentevisionnocturne,a-t-ilfinalementrépondu.—C’estparcequetuesun…—Oui.Lavision,l’ouïe,l’odorat…toustessenss’aiguisentaprèslapremièretransformation.J’aifaitouidelatêteenavalantmasalive.—Alors,tuesquoi…aujuste?—Letermeexactestlycanthrope,maisentrenous,nousdisonsLycans.Etceuxquin’yconnaissent

riendisentloup-garou.(Ilaregardéautourdelui.)Ilfautqu’oncontinuepourmettrelaplusgrandedistancepossibleentrelesStatiquesetnous.—LesStatiques?—Ceuxquinesetransformentjamais.Iladitçaavecunepointedetristessedontj’ignoraissielleétait inspiréeparceuxquiavaientle

pouvoirdesetransformerouparlesautres.Ilm’aattrapélamainpourm’aideràmerelever.J’étaistellementvidéequesil’élannem’avaitpas

pousséecontrelui,jeseraisretombéeparterre.Ilm’aentouréedesesbrasetm’aregardéeaufonddesyeux.—Jesaisquetoutcequetuasappriscesoirestunchocpourtoi.J’aifaitnon,puisouidelatête.Jenesavaisplusoùj’enétais.Moncerveaufonctionnaitauralenti.—Qu’est-cequetuvoulaisdirepar«situveuxsurvivre»?Doucement,ilm’aeffleurélajoueduboutdesdoigts.Ilsétaientrêchesetcalleuxetjenevoulais

surtoutpaspenserqu’unpeuplustôtdanslasoirée,ilsseterminaientpardesgriffesquiauraientpulacérermonvisage.—Lapremièretransformationestdouloureuse,unpeucommeunenaissance.J’imaginequec’est

logique, tudonnesnaissanceau loupquiesten toi.Donc toncompagnondoitêtreà tescôtéspourcetteépreuve.

—Moncompagnon?Ilsefichaitdemoi?—Tunelasenspas?m’a-t-ildemandé.Cetteattiranceentrenous?Oui,cettechose.Cettechosequim’effrayaittant.J’aireculéd’unpas.—Jeneveuxpas ! (J’aicommencéà tourneren rondautourde lapetitezonedégagéeoùnous

nous trouvions.) Je n’ai rien demandé ! (Jeme suis brutalement immobilisée.) J’ai étémordue unjour,c’estça?—Non,c’estgénétique,commeKeanedisait.—Tuveuxdireque j’aihéritédecettecapacitéàme transformer?Demesparents?Euxaussi

étaient…(J’aihésitésurlesmots,puismesuistuependantquej’essayaisd’assimilercetteidée.)Ilsétaientdesloups-garous?Ils’estcontentédemeregarder.—C’estdingue!Ilsmel’auraientdit.(Uneimagem’estrevenueenflash:unsouveniravecdes

loups.Jel’aiignorée.)Tutetrompes.Jenesuispascommevous.Ilahaussélesépaules.—D’accord,tun’espascommenous.Maisnet’éloignepastrop,justeaucasoùj’auraisraison.En

plus,maintenant, le Savant Fou doit savoir que tum’as aidé àm’enfuir et il n’est pas du genre àpardonnerfacilement.J’aifroncélessourcils.—Commenttusaisquejel’appellecommeça?(J’aibondienarrière.)Oh,monDieu!Tupeux

liredanslespensées?Mavoixvibraitd’indignation.Iln’amêmepasprislapeinedenier.Avait-illutoutesmespensées?—Seulementsousmaformedeloup.(Ilaéteintlalampetorcheetmel’atendue.)Paslapeinede

nousfaireremarquer.Ilm’apriseparlamainetnousnoussommesenfoncésdanslaforêtànouveau.Jenevoulaispasy

aller,maisilavaitraison,malheureusement:j’étaiscoincéeavecluijusqu’àcequejepuisseyvoirplusclair.

Mesyeuxsesontpeuàpeuadaptésàlafaiblelueurdispenséeparlalune.JesuivaisLucasdetrèsprès,monpasréglésurlesienetmamainfermementserréedanslasienne.Ilétaitsigrand,silargeetsesdoigtsdégageaientunetelleforce.Jemesuisdemandés’ilétaitnaturellementcommeçaousicelaluiétaitvenuavecsapremièretransformationenloup.Biensûr,«naturellement»n’étaitpaslemot approprié. À ses yeux, la transformation était un phénomène naturel. C’était ne pas pouvoirchangerquiluisemblaitbizarre.Etsansl’avoirvoulu,jefaisaismaintenantpartiedecemondeàl’envers,dément.J’avaisdesmilliardsdequestionsàluiposer,maiscommenoustâchionsderesterdiscretsletemps

d’atteindrenotredestination–oùquecefûtd’ailleurs, jen’avaispasdemandéet iln’avait riendit,maissesgrandesenjambéesavaientvisiblementunbut–jegardaimesquestionspourmoi.Enplus,j’avaisdumalà tenir lerythme.Etmoiquiavaiscruêtreengrandeforme!Jehaletaiscommeunchienquiagalopéderrièreunfrisbee.Chien,loup,ilfallaitquej’arrêtedepenserauxanimaux.Je devais trouver une façon de ne pas me changer en animal sauvage, si c’était bien ce qui

m’attendait.J’avaisencoredesdoutessurlaquestion.N’aurais-jepasdûlesavoir,auplusprofonddemoi, si j’étais pour moitié loup, ou même seulement pour une faible part ? Cela semblaitinconcevable. Mais même si c’était en effet sur le point d’arriver, il devait exister un moyen del’empêcher. En résistant de toutes mes forces… Le pouvoir de l’esprit sur la matière. Ou, enl’occurrence,surleloup.Bref,jen’allaispasmerendresansrésister.

Et puis, fallait-il forcément que Lucas deviennemon compagnon ? N’aurais-je pas dû avoir lechoix?Ilm’avaitdemandésijeressentaisuneattirance.Impossibledelenier,maisçameterrifiait.Ce n’était pas juste une amourette, c’était viscéral, comme si c’était lui, le seul, l’unique, pour

toujours.Bonsang,jeleconnaissaisàpeine!Pourtant,jeneparvenaispasàmedébarrasserdel’idéequenousétionsfaitsl’unpourl’autre.Noustraversionsunezoneduparcquim’étaitinconnue.Lesbuissonsyétaientdensesetlesarbres

poussaient presque tronc contre tronc. L’épaisseur du feuillage masquait la lune en totalité, alorsLucasdevaitlittéralementmehisseràboutdebrasdanslesmontéeset,danslesdescentes,meretenirpourm’empêcherdelesdévaleràplatventre.J’étais à bout. Je n’avançais plus que par automatisme, comme un robot. Nous grimpions avec

difficulté vers le sommet d’une pente rocailleuse dont les arbres distribués au hasard entravaientnotreavancée.Soudain, j’airéaliséqueLucasauraitpuse transformeretque,danscecas, ilauraitdéjàétéloin.Siaccidentéfût-il,leterrainneluiauraitalorsposéaucunedifficulté.Aulieudeça,ilsecontentaitd’attendrepatiemmentquejelerattrapeavecdereprendrelamarche.—Parsdevant,ai-jedit,aprèsunechutequim’avaitfaitdévalerplusieursmètressurlesgenoux.—Pasquestion.—Maisc’esttoiquiesendanger.Moi,ilsnemeferontpasdemal.Ils’estarrêtéetm’aregardéeavecdureté.—Kayla,jenetelaisseraipasenarrière.Quelle tête demule ! J’ai rassemblé le peu de courage quime restait etme suis relancée dans

l’ascension.Quandjel’aienfinrejoint,iladit:—Tucontinues;moi,jeretourneeffacernostraces.J’enaipaspourlongtemps.Dansunmouvementdepanique,jel’aiattrapéparlebras.—Tun’arriveraspasàmeretrouver.—Si,grâceàtonodeur.Tusenssibon!Jeteretrouveraisn’importeoù.Était-cesafaçondedraguer?Entoutcas,j’étaisconquise.Maisavantquej’aiepudirequoiquece

soit,ilétaitdéjàparti.J’avaisenviedem’asseoirpourréfléchiràtoutça.Essayerd’ytrouverunsens.Aprèsl’épisodede

larivière,leschosesavaientcommencéàdéraper.Peut-être,enfait,quejem’étaisnoyéeetquej’étaisenenfer.Bon,n’importequoi.Parcontre, lapriorité,c’étaitLucas.Ilétaitendangeretsi jenemebougeaispaslesfesses,Keaneetsongrouperisquaientdenousrattraper.Jen’étaispasinquiètepourmoi.Jen’étaispascellequ’ilsvoulaientétudier.Maisjenevoulaispasqu’ilarrivequelquechoseàLucas.Cettecraintem’aredonnédel’énergie.Jenevoulaispasqu’ilretournedanscettecageàcausede

moi.Pouryservirdecobaye,commeunanimaldelaboratoire.Unanimal.Lemotrésonnaitdansmatête.Pourmoi,Lucasétaitunhommequisechangeaitenloup.Masonetsonpère,eux,voyaientunloup,etnonplusunêtrehumain,unepersonne.Àleursyeux,iln’étaitplusqu’unecréatureétrangedontl’existencedéfiaittoutelogique.Leurpointdevuejustifiaitqu’onlemettedansunecage.Lemienm’avaitimposédelelibérer.Uneglissadeévitéeinextremisgrâceàunpetitarbreauqueljemesuisraccrochéem’apermisde

m’arrêteruninstantpourreprendremonsouffleettâcherdetrouverparoùcontinueràgrimper.—Jesuissurpris,tuasbienavancé,asoudainditunevoixsortiedenullepart.J’ai failli en crier de surprise. Il fallait luimettre un collier avec des clochettes, ou un truc du

genre,pourquejepuissel’entendreapprocher.Ils’estassisàcôtédemoi.

—Çava?J’aiacquiescé.—Jereprendsjusteunpeumonsouffle.—Çavadevenirplusdifficileàpartird’ici.—Super.—Maisj’aiuneidée.Ils’estlevéetadisparuderrièreunfourré.—Qu’est-cequetu…(Quelquechoseaatterrisurmatête.C’étaitsonpantalon.)Euh,Lucas?—Toutvabien.Jevaismetransformer,c’estplussûr.Etpuistuvasmontersurmondos,comme

ça,onprogresseraplusvite.—Tun’espasuncheval,quandmême.—Fais-moiconfiance.C’estlaseulefaçond’yarriver.—Jetefais…Unloupvenaitd’apparaître.—Pourcespectacle,oncommenceralatournéeparLasVegas,ai-jemurmuré.Ilapousséunpetitgrondementquiressemblaitàunglous-sement.Lesloupspouvaientrire?Ils’estfrottécontremacuisse.—Jenecroispaspouvoirfaireça.Ilm’aléchélamain.—OK,OK,sic’estdemandégentiment…Jeme suis allongée sur son dos et j’ai confectionné une sorte de harnais grâce à son pantalon

enrouléautourdema tailleetnouésoussonventre. J’aiplié les jambesetposémespiedssursonarrière-trainpourqu’ilsnetraînentpasparterre.Enfin,j’aienfoncélesmainsdanssonpelageafindem’assurerunebonnepriseetils’estmisenroute.Jesentaissesmusclesroulersousmescuisses.Ilétaitsipuissant.Faisait-ildelamuscuouétait-cedûàsesgènes?Soncorpsétaitsi…J’ai immédiatementrefoulécettepenséeenmesouvenantque,souscetteforme, ilétait télépathe.

Ce pouvoir constituait une véritable atteinte à la vie privée, et il allait falloir très vite établir desrègles,maisenattendant,j’allaismeconsacreràréorganisermentalementleplacardàchaussuresdechezmamère.Elleétaitaccroauxchaussures,sibienquej’avaisaumoinsunecinquantainedepairesauxquellespenser pendant queLucas crapahutait.Aubout d’un certain temps, il s’est arrêté etm’asecouée.Jesuisdescenduepourqu’ilpuissepasserderrièreunbuisson.— Lance-moi mon pantalon, a-t-il dit en se relevant, si bien que je pouvais voir sa tête et ses

épaules.—Tufaisçahypervite,ai-jeditenm’exécutant.—Tuverras,toiaussiunefoisquetuteserashabituéeetquetuconnaîtraslestrucs.Un : je nem’y habituerais jamais.Deux : je n’étais pas encore persuadée que ça allait vraiment

m’arriver.Trois:jenevoulaispasconnaîtrelestrucs.Lucasestsortidederrièrelebuisson.—Tuasvraimentautantdechaussuresqueça?Monrireneparvenaitpasàcachermagêne.—Tupeuxt’enempêcher?D’envahirmespenséescommeça?—Ilyaunetechniquepourlesdissimuler.Jetemontrerai.—Tantmieux, parce que ce ne serait pas juste que tu aies accès à toutesmes pensées et que tu

barricadeslestiennes.—Jen’airienàtecacher.(Ilareprismamain.)Onn’estplustrèsloin.Nousavonscontinuéàdescendreunpeuetpuisnousavonsprisuntournant.Auloin,j’entendaisle

murmured’uncoursd’eau.

J’ai trébuché,perdu l’équilibre…Lucasm’a rattrapéeavantque jenem’étalede toutmon long.Commentfaisait-ilpourréagiraussivite?Est-cequeceseraitpareilpourmoi,dansl’éventualitéoùjemetransformeraisaussi?Est-cequej’enavaisenvie?—C’estlà,a-t-ilditenm’aidantàmeremettresurmespieds.—Oùça,là?—C’estuneplanque.Pourmoi, une « planque » évoquait un lieu exigu et sombre où il faut se tenir recroquevillé et

trembler. Je n’étais pas très impatiente dem’y trouver. Surtout que j’y serais forcément dans unepromiscuitéextrêmeavecLucas.Est-cequejepourraisrésisteràlatentation?Nous sommes sortisdesboispourentrerdansunepetite clairièrebaignéedeclairde lune.Une

cascadedévalaitcepandemontagne.Lucasm’alâchélamainetj’airéaliséavecstupeurquejemesentaiscommeprivéedequelquechose.J’aifaillirattrapersamain.Pasparcequej’avaispeur,maisparcequejenevoulaispasbriserlelien.—Ouah!C’estmagnifique!(Pendantunbrefinstant,j’aioubliéquenousétionspourchasséspar

leSavantFouetsonéquipe.)Jenesavaispasqu’unendroitpareilexistaitdanslecoin.—Nousenavonspleindanscetteforêt.—Àt’entendre,ondiraitqu’ellevousappartient.—C’estundomainenational,mais,envérité,oui,c’estlanôtre.— Quoi ? Tu veux dire qu’il y a vraiment un village caché dans la forêt comme l’a affirmé

Mason?Ilyenavraimentd’autrescommetoi?Ils’estfigé,commes’ilsedemandaitjusqu’àquelpointilpouvaitmefaireconfiance.Monrefus

de devenir comme lui devait forcément le faire douter dema sincérité. Jeme suis dit que si à unmomentouunautrejedevaisretrouverlegroupedeMason,ilvalaitmieuxquej’ensachelemoinspossible.—Vas-yetallume ta lampe torche,a-t-ilditen ignorantcomplètementmesquestions.Tuvasen

avoirbesoinlàoùnousallons.—C’est-à-direoù?—Danslacascade.

13

La cascade se déversait dans une très belle retenue d’eau qui, d’après Lucas, alimentait tout unréseauderuisseauxsouterrains.Etenamont,biensûr,unerivièredévalaitlapenteabrupteavantdedevenircettemagnifiquechuted’eau.J’espéraisquelelendemainnousaurionslapossibilitéd’allervoirçadeplusprès.Lucasm’avaitdenouveaupriseparlamainpourmeguiderautourdelamarescintillante.L’herbe

alaissélaplaceàdesgravierspuisàdesgaletsaussiglissantsqueduverremouillé.J’aidérapéetsiLucasnem’avaitpas retenue, je serais tombéedans l’eau.Au lieudeça, jemesuis retrouvée toutcontre lui, aucontactde sapeaudouceet tiède.Malgrémoi, jeme suis lovéecontre lui.C’était sibon!Sapeau,sesmuscles…Nousapprocherdelacascadeétaitcommeavancersurletonnerre.Levacarmedel’eaudéchaînée

se répercutait tout autourdenousetmasquait les autres sons. J’étaisdésorientée,presqueeffrayée.Unebrumedélicatesedéposaitsurmonvisage.Douceurtrompeuse,carlapuissancedecettecascadeauraitputuer.Lucasm’atiréederrièrelerideauliquidequidissimulaitunantred’unnoird’encre.Lucasm’alâchéeetj’aidûrassemblermoncourageafindenepaslaisseréchapperunlamentable

couinement de supplication pour qu’il ne m’abandonne pas. L’atmosphère y était plus calme. Lerugissementdelacascadenenousarrivaitplusqu’assourdi.J’aiexplorélacaverneaveclefaisceaudemalampetorche.Desgensétaientpassésiciavantnous.—C’estl’undenosrepaires,m’aexpliquéLucas,agenouillépourallumerunelanterneàpilesqui

setrouvaitlà.J’aiéteintmalampetorcheafindel’économiser.J’avaisbienl’intentiondelagarder;l’avoirme

sécurisait. Peut-être parce que c’était mon père adoptif qui me l’avait donnée. Soudain, j’aidésespérémentregrettéqu’ilnesoitpasmonvraipère.Riendetoutcelaneseraitarrivéalors.Maisdetoutefaçon,sic’étaitgénétique,ilauraitfalluquej’héritecedondemesparents.Or, ils

n’étaientàl’évidencepascommeLucas,étantdonnéqu’ilsn’avaientpasguéricommeluiaprèsqueMasonluiavaittirédessus.Euxétaientmorts.—Unpetitcreux?m’ademandéLucas,m’arrachantàmesréflexionsdéprimantes.—Non,maisparcontre,j’aisoif.Il m’a lancé une bouteille d’eau. Des containers en plastique transparent remplis de provisions

étaient alignés le long de la paroi. Lucas a dévoré une barre de céréales pendant qu’il sortait unecouverture. Il faisait fraisdans lagrotteet l’eau,omniprésente, accentuait encorecette fraîcheur. Ils’estapprochédemoietaenroulélacouvertureautourdemesépaules.—Tuenasplusbesoinquemoi.J’aiunt-shirt,pastoi,ai-jedit.—Ilyenad’autres.Etpuis,jepeuxtoujoursadopterlatechniquetout-fourrure.Ilaterminésaphraseavecunsouriresisexyqu’unfrissond’excitationm’aparcourulecorps.Commegênétoutàcoup,ilestretournéauxcontainers.Ilenasortiquelquescouverturesdepluset

deux sacs de couchage. Il a ouvert le premier pour l’étendre, entièrement déplié, au centre de lagrotte.— Jeme suis dit qu’on pourrait dormir côte à côte pour partager notre chaleur,m’a-t-il dit en

faisantungestequim’invitaitàm’allongersurlesacdecouchagedéplié.Iltenaittoujoursl’autredontilcomptaitcertainementnouscouvrir.Jen’avaisjamaisdormiavecungarçon.Etmêmesionnefaisaitquedormir,nousallionsquand

mêmeêtreensembledansunlit ;noscorpssetoucheraient.Jen’étaispassûred’êtreprêtepource

genred’intimitéaveclui.Celadit,l’idéedeprofiterdesachaleurdanscettecavernetropfraîchemeséduisaitbeaucoup.—Mais,euh,aprèstoutcequis’estpassé,commenttufaispourpouvoirneserait-cequepenserà

dormir?ai-jedit.—C’estquejevaism’écrouler,là.Avec tous les événements, j’avais relégué les épreuvesqu’il avait subies loindansmamémoire.

Peut-êtreparcequ’ilcachaittrèsbiensesdifficultés,ouparcequ’ilétaitpourdebonSuperloupgarou,depuisnotreévasion,jem’étaiscomplètementreposéesurlui.—Qu’est-cequejepeuxfairepourt’aider?ai-jedemandé.—Justevenirdormiravecmoi.J’aidenouveauregardélelitimprovisé.—Jenevaispast’agresser,commeMason.—Jesais,c’estjustequejen’aijamaisdormiavecungarçon.Ilaesquisséunsemblantdesourire.—C’estfacile,tuvasvoir.Tufermeslesyeuxetturêves,voilàtout.Jevoyaisbienlegenrederêvesquej’allaisfairecouchéeprèsdeLucas.Cependant,j’aiacquiescé

etmesuisétenduesurlesacdecouchage.Lucass’estallongéàsontour.Prudemment.C’étaitpeut-être à cause de son épuisement ou parce qu’il craignait que je panique. Il avait peut-être senti quej’étais tropraideet trop immobile.J’avaissouvent imaginécommentserait lapremièrefoisque jedormiraisavecungarçon.Jamaisjen’auraiscruqueceseraitdansunegrotteavecungarçonaussisombreetdangereuxqueLucas.Malgré ça,moncorps cherchait désespérément à échapper àmoncontrôlepourallersenichertoutcontrelui.—J’éteinsoutupréfèresqu’onlaisseallumé?m’a-t-ildemandé.—Éteins.À tous les coups, l’obscurité allait aggraver mon trouble, mais pas question pour moi de

reconnaîtrequecettesensationmefaisaitpeur.Ilyaeuundéclicetlalumières’estéteinte.Mesyeuxsesontviteaccommodésàlapénombre,si

bien que je pouvais admirer la cascade que le clair de lune transformait en un panneau de verreliquide.Curieusement,çam’arassuréeetj’aicommencéàmedétendre.—C’estmonrepairepréféré,achuchotéLucas.C’étaitcommes’ilavait ludansmespensées.Jemesuisdemandés’ilm’avaitmentiàproposde

sonpouvoir.Peut-êtreétait-iltélépathemêmesoussaformehumaine.—Cetendroitétaitprêtànousaccueillir,commesivousattendiezqu’ilyaitdugrabuge.—Noussommestoujoursprêtsàfairefaceaupire.Ils’estunpeurapprochédemoietj’aisentiqu’ilfrissonnait.—Tuasfroid.Jen’avaispasvoulumettrecettetonalitéaccusatricedansmavoix.—Non,c’estlecontrecoupdelapousséed’adrénaline.Maislachaleurmefaitdubien.IlavaitpristouslesrisquespourmeprotégerdeMason.Jepouvaisbienenprendrequelques-uns,

moiaussi,pourlui.Jesuisdoncalléemeblottircontrelui.Jeconnaissaiscegenredechoc.Quandmesparentsavaientététués,j’avaiscrunejamaispouvoir

arrêterdetrembler.Ilapassésonbrasautourdemoietjemesuiscolléeencoreplusprèsdelui,latêtenichéeaucreux

desonépaule.Lesacdecouchagequinousservaitdecouverturenoustenaitchaud.Jemesentaissibiencontrelui!Jesentaisl’odeurdesapeauetsachaleursousmesdoigts,contremajoue.—C’estcomparableàunemontéed’adrénaline?ai-jedemandédoucement.Devenirun loup, je

veuxdire?

—Non,jenevoispasçacommeça.C’estjusteaussicequejesuis.—Commentc’estarrivé?Jesaisquetum’asdéjàditquec’étaitgénétique,ettout.Maisqu’est-ce

quis’estpassé?Ilyabieneuunpremier,unlointainancêtrequiauraitétémorduparunloup?Sonrirearésonnéàtraverslagrotte.—C’estletrucdébilequ’onvoitdanslesfilms.Commentpeut-onnousfaireavalerqu’êtremordu

par une chose pourrait nous transformer en cette chose ? Pareil avec les vampires. C’est débile.Alors,non.Lalycanthropien’apascommencéparunemorsure.—Comment,alors?—Nousexistonsdepuisaussi longtempsquel’espècehumaine.Noussommesrestésdiscretssur

notreexistencepourd’évidentesraisonsdesécurité.Avant,nousvivionsparmilapopulation.Maisily a toujours un déclic de reconnaissance quand on rencontre quelqu’un de notre espèce. Ça t’estprobablement déjà arrivé, mais tu ne savais pas de quoi il s’agissait : deux êtres semblables quis’identifientcommetels.JemesuissouvenuedemapremièrerencontreavecLindseyl’annéeprécédente.C’étaitcommesi

nous étions instantanément devenues les meilleures amies dumonde. J’avais ressenti un lien, uneprofondeconnexion.Aussitôt,j’aiputoutluidire.—Lindseyaussiest…Impossibledeprononcerlemot.Çasemblaittropfou.—Oui,a-t-il répondu.Maisellen’apasencorefaitsapremière transformation.Ellen’auradix-

septansquedansunmois.—Maisonestamies,pourquoiellenem’ariendit?—Tul’auraiscrue?—Jenesaispas.Jenesuismêmepassûredetecroire,toi.Enfin,oui,j’aivuquetoi,tupouvaiste

transformer,maismoi,jenesuispasconvaincue.Ettudisqu’ilyenad’autrescommetoiquiviventparmilapopulation?—Biensûr.Partout,dans les lycées, les facs.Desdocteurs,desavocats,des flics.Noussommes

commetoutlemonde,exceptéquenousnoustransformons.—Pardon,maisçafaitquejustementvousn’êtespascommetoutlemonde.—D’accord.Et,oui,nousprenonsunrisqueenvivantparmilesStatiques.Toutefois,c’estquand

même plus simple que d’avoir notre propre pays ou un truc du genre. Nous avons parfois étédécouverts et alors on nous a brûlés comme sorciers ou traqués comme démons. Il y a plusieurssiècles,nosancêtresontcrééunesortedeconfrériede…J’imaginequ’onpourraitdiredechevaliers.De jeunes combattants, des guerriers que nous appelons les Gardiens de l’Ombre. Ils ont pourmissiondeprotégerlesautresLycans.J’aieuunpetitriremoqueur.—Jenesuispastrèsimpressionnéeparleurstalents.Jenelesaipasbeaucoupvuscettenuitquand

tuaseubesoind’eux.Ils’estéclaircilagorge.—Selonnotrecodedeconduite,siunGardienfaitlabêtised’êtredécouvert,ildoitsedébrouiller

seul.Nous risquonsnotreviepour les autres,maisnousne leurdemandonspasde risquer la leurpournous.Jemesuisunpeurelevéepourvoirsonvisage.—Attends!TuesentraindemedirequetuesundecesGardiens?Uneespècedechevalier?—Exact.C’estmonboulotdeteprotéger.C’estpourçaquej’airenvoyélesautresetquejesuis

resté.Etaussipourêtreavectoiquandceseraitlapleinelune.J’étaissamissionetilétaitmonangegardien?Celaexpliquaitbeaucoupdechoses,etnotamment

lafaçondontilmeregardait.

—Donctupeuxmourir.—Biensûr.Parlefeu,ouparballe.—Maisj’aivucommenttuguéris.— Impressionnant, hein ? (Il y avait de la fierté dans sa voix.) J’ai eu du pot que cet abruti de

Masonnesachepasquel’argentestnotretalond’Achille.Detouslesmythesd’Hollywood,c’estleseulquisoitvrai.Jenesaispaspourquoi,uneblessureinfligéeavecdel’argentneguéritpascommeuneblessurenormale.Çamarchepourlesépées,lescouteaux,lesballes.S’ilssontenargent,onestdansdesalesdraps.J’ai soudain réalisé qu’il me confiait le secret de la technique pour le détruire. Mais peut-être

n’était-ce pas unemarque de confiance de sa part, juste une information vitale quime concernaitaussi.—Est-cequ’ilyaunmoyendenepasdevenirun…Leseulmotquimevenaitétait«monstre»…Jenepouvaispasdireça.— Non, a-t-il répondu doucement. (Il m’a attirée à lui, comme pour me protéger contre les

implicationsdecenon.)Toutirabien.Fais-moiconfiance.Jesuisépuisé,Kayla.Laisse-moidormirunpeuetjerépondraiàtoutestesquestionsdemain.—OK.Àl’instantoùsarespirations’estralentieetàlafaçondontsontorsemontaitetdescendaitsousma

joue,j’aisuqu’ils’étaitendormi.J’aicontemplélestrombesd’eaudelacascade.J’aipenséàmeleverpourallermemettredessous.

Laisserlecourantm’emporter.Jenevoulaispasdevenirunloup.Masontrouvaitpeut-êtrequec’étaitsupercooletquedesmilliersdegensachèteraientvolontiersunedroguequi les transformeraitenloupspourquelquesheures,maismoi,jen’enauraispasvoulu,mêmegratuitement.J’espéraisqueLucassetrompait.Quecelienentrenousn’étaitpascequ’ilcroyait.Sesfacultésde

perceptionétaientpeut-êtrefausséesetilavaitvuquelquechoseenmoiquin’yétaitpas.JenepouvaispasêtreuneLycan.

Accroupieà l’entréede lagrotte, j’écoutais lacascadeenétudiantmesongles.Jem’étaisglisséehorsdulitoùLucasdormaitencore.J’avaisterriblementenviedem’enfuiraupasdecourse.Lucass’étaitapprochésisilencieusementquej’aifaillim’évanouirquandils’estagenouilléprès

demoi.Maisj’étaisfièred’êtreparvenueàcachermasurprise.—Tut’eslevéetôt.Çavabien?m’a-t-ildemandé.Toutmonunivers,toutemavien’étaientpeut-êtrepascequejecroyais,alorsnon,çan’allaitpas.

Cependant,j’aipum’enteniràunsoupir.—Jeréfléchis.Jen’aijamaisréussiàmelaisserpousserlesongles.J’imaginequeçavachanger.Ilarigolé.Oudumoinsj’aipenséqu’il l’avaitfait.Lefracasdel’eaunousforçaitàparlerfort,

alors il était difficiled’entendreunpetit rire.En tout cas, il souriait.Etpuis, commes’il craignaitqu’onnes’abîmelavoix,ilm’aindiquélagrotted’unpetitsignedetête.Jel’aisuiviàl’intérieur.—Est-cequemesparentssavent…àmonsujet?Jeveuxdire,cequejesuis?Ouplutôt,cequeje

vaisdevenir?—Jenecroispas.Quandtesparentsontététués,tuasétéévacuéed’urgenceavantqu’unGardien

nesoitenvoyépourtechercher.Unefoisquelesautoritéss’enmêlent,ilestdifficilederécupérerlesnôtres.Ilaouvertundescontainersenplastiqueetm’alancéunecannettedejusdetomate.—Jecroyaisquelesloupsétaientcarnivores,ai-jedit.—Lesloups,oui.LesLycans,non.

À la sécheresse de son ton, j’ai senti que je l’avais blessé. Il m’a ensuite tendu une barre decéréales.—Ilfautrestaurertesforces.—Tuneteconsidèrespascommeunloup.—Jenesuispasunloup,c’estjusteuneformequejeprends.—Engénéral, lesgensnesecouvrentpasdepoilspourallergaloperdanslaforêtengrognant.

Sanscompterlesallumésquitepourchassentpourt’étudier.—Cequecestypes–ettoiaussi–considérezcommeanormalmeparaîtàmoitoutàfaitnormal.

J’aitoujourssuquej’avaisçadansmonADN.J’étaistrèsimpatientd’avoirdix-huitans.Moncœuramanquéunbattement.—Jecroyaisquec’étaitdix-sept.—Dix-sept pour les filles, dix-huit pour les garçons.À cause de cette histoire commequoi les

fillessontmûresplustôt.—Oh,j’avaisespéréavoirunpetitsursis.Labarredecéréalessetransformaitensciuredansmabouche.Ilm’a tenduunpaquetdegâteauxauchocolat. J’enavaispresque les larmesauxyeux.C’étaient

mespréférés.—Celaaussi,tuasdûleliredansmespensées.Etmoi,jepourraiégalementêtretélépathe?—Oui.Audébut,tun’entendsqu’unbrouhahaincompréhensible.Ilfautapprendreàtrierlesvoix.—Ilyaunlycéepourloups-garousouuntrucéquivalentoùonpourram’enseignerlesbases?— On préfère ne pas utiliser le terme « loup-garou », qui a des connotations beaucoup trop

négatives.NoussommesdesLycans.Etnon,iln’yapasd’école,enrevanche,unentraî-nementalieudanscetteforêt.J’aifinimesbiscuitsetj’airelevémesgenouxpourpassermesbrasautour.—Çafaitmal?Il savait de quoi je voulais parler, et ce n’était pas de l’entraînement. Il est venu s’agenouiller

devantmoi, toujourspiedset torsenus.N’yavait-il pasd’habitsdans tousces containers ? J’avaisterriblementenviedepasser lesdoigtssursapoitrineetsesépaules.Jemesuisconcentréesursonregardd’argent.—Passitumefaisconfiance,a-t-ilditd’unevoixdouce.—Tuessûr?Parrapportàmoi,tunetetrompespas?Lucass’estsoudainrelevéetm’atendulamain.—Allez, viens.Onva faire un tour de surveillancede la zone.Après, onpourra se détendre et

profiterdecettebellejournée.Onn’estpasdesvampires,aprèstout.

Ilatrouvéunt-shirt.Soitcen’étaitpaslesien,soitc’étaitavantqu’ilneprennetoussesmuscles,maisillemoulaitcommes’ilavaitétécousuàmêmelapeau.Jel’aisuividanslapetiteclairièrequientouraitnotrerefuge.Ilétaitextrêmementgracieux,touten

muscles,légeretagile.Soncôtéprédateurnem’apparaissaitquemaintenant.JedoutaisquelePrKeaneetsabandepuissentlesurprendredenouveau.Et,s’ilsnousrattrapaient,

ceseraitluilevainqueur.Commeunloup-garoudeHollywood.Lafaçondontlesfilmsdécrivaientsonespèceneluiplaisaitpeut-êtrepas,maissadéterminationàmedéfendreétaitpresqueeffrayante,bienqu’excitante.Serait-ilprêtàmourirpourmoi?Est-cequejelevoulais?Biensûrquenon,mêmesijetrouvaiscraquantqu’ilsesoucietantdemasécurité.Parcontre,jene

savaispas tropquoipenserducôté«compagnonpour lavie». Impossibledenierqu’ilm’attirait

depuisledébut,avecuneintensitétellequej’avaispréférél’oublier,pourmeconcentrersurMason.J’arrivaisàgérermessentimentspourMason.AvecLucas,non.Àplusieursreprises,Lucass’est immobiliséet ilareniflé l’air. Imaginerquemoiaussi, j’aurais

dessensàcepointdéveloppésmeplaisaitbien–sij’étaisvraimentuneLycan.J’aurais dû observer la façon dont il s’y prenait, pour essayer d’apprendre ces trucs que j’étais

supposée acquérir. Au lieu de quoi, je pensais aux habits. Me transformer allait créer une bellepaniquedansmagarde-robe.Est-cequej’allaisdevoirplanquerdesfringuesdanstouslescoins?—Oui,a-t-ilmurmuré.—Tupeuxliremespensées,mêmesoustaformehumaine,ai-jerétorqué.Ilapassélamaindanssescheveuxmagnifiques.—Seulementquandjesuisconcentrésurtoi.—Etlà,tul’es?—Commentfaireautrement?Tusenssibon…—Arrêtedediren’importequoi.Jesuissalecommeuncochon.—Mais en dessous, il y a le parfum de ta peau, et c’est ça que je sens. (Il s’est dirigé vers la

cascade.)Viens.Onvapiquerunetête.—Ilyadesmaillotsdebain,danslagrotte?Ilm’alancéunsourireespiègle.—Desmaillotsdebain?Pourquoifaire?Jeluiaidemandédeseretournerpendantquejemedéshabillaisetquejeplongeaisdanslebassin.

L’eau était fraîche, revigorante, transparente. Quand j’ai refait surface, Lucas nageait à plusieursmètresdemoi.Commequoiiln’étaitpeut-êtrepassiàl’aisequeçaaveclanudité.Ennageantsurplace,jeluiaidemandé:—Aufait,letatouage,surtonépaule,çaveutdirequoi?—Touslesgarçonssefontce typedetatouagequandilspensentsedéclarerà lafillequ’ilsont

choisiepourcompagne.C’estsonnomécritdanslalangueanciennedenotretribu.—Tuaschoisiqui?Ilm’ajetéunregardquisemblaits’interrogersurmondegréd’abrutissement.—Oh.J’aiavalémasalive.J’étaisstupéfaitequ’ilaitpuressentirquelquechosed’aussifortsansenavoir

rienlaisséparaître.Commentavait-ilpuselivrerauxmainsd’untatoueursansmêmesavoirsimessentimentsétaientréciproques?—Jecroyaisquetunem’avaismêmepasremarquéel’étédernier.—Ohsi.Çam’afaitbamdanslestripes.—Maistunem’asriendit.—Tuvenaisjusted’avoirseizeansettuétaisencoreaulycéealorsquemoi,jepartaisàlafac.—Jesuisencoreaulycéeettoitoujoursàlafac.—Oui,maistuesplusâgée.Etl’annéeprochaine,tuserasàlafac.Tupourraist’inscriredansla

mêmequemoi.—Doncjepourrairevoirmesparentsadoptifs.—Biensûr.Àlafindel’été,tuvasretournercheztoi,justeunpeudifférente.Unpeu?Mêmesijenemetransformaispas,jamaisjenepourraisoubliercequej’avaisvuetje

passeraismavieàessayerderepérerdesLycans.—Nousfaisonspartiedelasociété,nousvivonsparmilesStatiques.Commedesgensnormaux,

oupresque,danslamesureoùnousportonslefardeaudusecretdenotreexistence.J’étaisencoresouslechocdel’histoiredutatouage.—Maisparrapportàtadécisionnousconcernant.Etsinousnenousétionsjamaisrevus?

—Jesaisoùtuhabites,Kayla.Jeseraisvenutechercher,siLindseynet’avaitpasconvaincuedereveniricicetété.Jenet’auraispaslaisséedécouvrirseulelavéritésurtanaturevéritable.—DoncLindseyconnaissaittessentiments.—Oui,maisilyauncode.Personnenedoitrévéleràunefillequ’elleaétéchoisie.Personne,à

partlegarçonquil’achoisie.J’étaisflattée.Etunbrinpaniquée.Etpuisilacommencéàfairedeslongueursdanslebassin.Lesmusclesdesondosroulaientsous

sa peau cuivréemarquée par le tatouage, mon nom en langue ancienne, qui semblait émettre despulsations.Il s’était lié à moi sans même savoir si j’allais l’accepter. J’étais flattée, mais aussi totalement

dépassée.J’aicrawlésurledosavantdemerendrecomptequej’exposaisunpeutropmonanatomie.Jeme

suisremiseànagerenchien,ouenl’occurrence,pourmoi,enloup.Ilestrevenuversmoiets’estarrêtéàunmètre.—Letatouage.Rafeenaunpresquepareil,ai-jedit.—Oui.Mesyeuxsesontagrandis.—Luiaussiestunloup-ga…unLycan?—Oui.—Quia-t-ilchoisie?—Jenepeuxpasteledire.J’aipromis.Ça,c’étaiténervant.Sansêtrefollederagots,j’étaisquandmêmetrèscurieuse.—Etqu’est-cequi sepasse si tunechoisispas labonnepersonne?Si la fillene ressentpas la

mêmechosepourtoi?—Danscecas,tupassestavieavecsurtonépaulelenomd’unenanaquin’apasvouludetoi,et

aucuneautrenes’intéresseraàtoiparcequetut’esdéjàengagéàvie.—Dur.—Conclusion:onnechoisitpasàlalégère.—Maistumeconnaissaisàpeine…—J’en savais assez,Kayla.Chez nous, quand tu rencontres l’âme sœur, tu le sais. Tu n’as rien

ressentiquandtum’asrencontré?—De la flippe,ai-je reconnu. J’étais…dépassée. Je t’ai évidemment remarqué,mais jen’aipas

penséqu’ilpuisseyavoirun«nous».Enfin,regarde-toi!Tuesplusvieux,sexy,canon…Etmoi,jesuisunerouquinecouvertedetachesdeson!Ilm’asouri.—Moi,j’aimebien.Etj’aimebienaussicetteforceintérieurequetuassanslesavoir.Parexemple,

tuasprisdegrosrisquesenmesortantdecettecage.Etpuis,quandtuasfrappéMason…J’aiadoré!Jemesuissentierougir.—Jen’enrevienspasqu’ilaitréussiàm’embobinercommeça.—Tun’espaslaseuleàt’êtrefaitavoir.—Peut-être,maispastoi.—J’avaisdessoupçons,riendeplus.Jeviensd’unecommunautéquiaétépersécutéependantdes

sièclespourdesmotifsdesorcellerie.Jen’accusepassanspreuve.Mêmesisesscrupulesavaientfailliluicoûterlalibertéetpeut-êtrelavie.—EtConnor?Brittany?Euxaussisontdes…?J’avaislatêtequicommençaitàtourner.

—Oui,commelaplupartdessherpas.C’estdecettefaçonquenouscontrôlonslacirculationdesStatiques dans le parc. Nous les emmenons là où nous voulons bien qu’ils aillent et nous lesempêchonsd’allerailleurs.—Masonditqu’ilyaunvillagecachédanslaforêt.Son visage a soudain pris une expression dure et ses yeux se sont transformés en pierres

tranchantes.—Jemedemandecommentilenaentenduparler.Biensûr,ilyadeslégendes,maisilavaitl’air

d’enêtretellementcertain.Àcemoment-là,etàmaplusgrandesurprise,j’aicoulé.J’avaistoutsimplementarrêtédefairedu

surplacesansm’enrendrecompte.J’aijusteeuletempsdefermerlabouche.J’auraisaimééviterdemecouvrirderidicule.Maisbon.Jesuis remontéeà lasurfacepourmeretrouvernezànezavecunLucasmédusé.J’aipoursuivi

commesiderienn’était.—Ilyadoncvraimentunvillage?—Wolford.C’est làquevivent lesSages.Quantànous,nousnousyréunissonspour lesolstice

d’été.L’endroitesttrèsbiencaché.AucunrisquequeDocteurMabouletsessbiresletrouvent.Jerepensaiàquelquechosequ’ilm’avaitditetquim’avaitintriguée.— Pourquoi cherches-tu à savoir comment Mason en a entendu parler ? Tu aimes juste les

mystèresouc’estparcequec’esttoilestratègedelabande?—Tun’aspasencorecompris?C’estmoilechefdemeute,lemâlealpha,situveux.J’aurais dû m’en douter, en effet, à la façon, par exemple, qu’avaient Rafe et Connor de s’en

remettreàsesdécisions.Jecroyaisquec’étaitsimplementparcequ’ilétaitresponsabledessherpas.—Etça,çamarchecomment?CesontcesSagesdonttuparlesquivotent?—Non,ilfautsebattre.Soussaformedeloup.Ilfautdéfierlechefetl’emporter.Commelesanimauxsauvages?Qu’est-cequeçafaisaitdelui,unhommeouunebête?—Etc’estcequetuasfait?Tuluiascassélagueule?Ilaplantésesyeuxdanslesmienspourjugerdemaréaction.—C’estuncombatàmort.Cettefois,quandj’aicessédenageretquej’aicoulé,jen’étaispassûred’avoirenviederemonter

àlasurface.CertaineschosesdecettesociétéàlaquelleappartenaitLucasnemedonnaientpasenvied’enfairepartie.

14

—Avantmoi,c’étaitDevlin,lechefdemeute.Lucasetmoinousétionsrhabillésetprenionsunbaindesoleil,allongéssurunecouverture,assez

loindubassinpourquelacascadenecouvrepasnotreconversation.L’endroitsemblaittroppaisiblepourcequeLucasétaitentraindemerévélersurlui.Leciel,d’unbleuincroyable,étaitparcourudepetitsnuages cotonneux.Quand lanuit tomberait, ce serait ladernière avant lapleine lune.Àcettepensée,j’avaisfrissonnédetoutmoncorps,commes’ilétaitimpatient.Maispsychologiquement,jen’étaispasprêtepourlatransformation.—Jen’aipaseul’occasiondeletuer,aditLucas,etj’aientenduunepointededéceptiondanssa

voix.Ils’estenfuicommeunlâche,sibienquemonaccessionautitredechefdemeutenes’estpasfaitedefaçonrégulière.J’aitournélatêteetobservésonbeauprofil.Sesyeuxnequittaientpasleciel.Ilavaitsansdoute

autantdemalàmeconfierseslourdssecretsquej’enavaiseuàluidévoilerlesmiens.Jen’arrivaispasàl’imaginertuerquelqu’un,etencoremoinsprendrelepouvoir…Jecherchaisàlecomprendre,maissonmondemesemblaitterriblementhostile.—Pourquoiconvoitais-tusaplace?ai-jedemandé.Ilm’aregardée.—Devlinétaituntrèsmauvaischef.Ilnecessaitdeprendredesrisquesinconsidérésquimettaient

des gens en danger et auraient pu révéler notre existence. Il fallait que quelqu’un l’arrête.Apparemment,j’aiéchoué…Leloupnoirquetuasvu,c’étaitsansdoutelui.—Doncquandtudisaisqu’ilavaitunloupdomestiqué…—Jem’arrangeaisunpeuaveclavérité.Nousysommesparfoisobligés.CommequandKeanea

commencéàparlerdeloups-garousetqu’ons’esttousfichusdelui.—Tucroisquec’estàcausedeluiquelePrKeaneaeuventdevotreexistence?Ilm’asourisombrement.—Denotreexistence.Tuesdesnôtres,toiaussi.—Ouais.Luienétaitconvaincu,moipas.Quelletuilepourluis’ilavaitchoisiuneStatique.Jemesuisassise

entailleur.—Jesaisqueçadevraitmetransporterdejoiemais…—C’estunenouvelledifficileàavaler.—Fautquejepréparequelquechose?Si jem’épile les jambessousformehumaine,mespattes

n’aurontpasdepoilsunefoisquejeseraitransforméeenloup?—Est-cequemoijen’avaispasdepoilssurlevisage?J’aieuunpetitrirenerveux.—Non.Enfait,tuétaisaussimagnifiqueenloupquetul’esen…J’ailaissémaphraseensuspens.Est-cequej’avaisvraimentenviedeluiavouerça?Ilm’alancéunsourireencoin.—Tumetrouvesmignon.—Mignon?Carrémentpas.Maisbeau,oui.Ils’estassisets’estpenchéversmoi.—Moiaussi,jetetrouvebelle.Depuisnotrepremièrerencontre.Jesentaisuneagréabletiédeurm’envahir.—C’estpourçaquetumeregardaistoutletemps?—Oui.Jemedisaisquetucomprendraiscequejeressentaissansavoirbesoindeteparler.

—Tun’aspasl’airtimide,pourtant.—Lapremièrefoisquejet’aivue,c’estcommesij’avaisreçuuncoupdepoingdansleventre.Je

nepensaispaspouvoirrecommenceràrespirernormalementunjour.Jenesavaispasquoitedire.Ilalevélamainpourmecaresserlajoueduboutdesdoigts.—Laveilledevotredépart,Rafeettoivousêtesengueulés.—Oui.Ilsavaitquetuétaisl’unedesnôtresetpensaitquej’étaisirresponsabledetelaisserseule.

Moi, jenevoulaispas te forceràpartir,etque tumedétestesàcausedeça.Etpuis, jen’avaispasencoretrouvécommentt’expliquercequetuétais.Et,bon,j’avoue,j’étaisjalouxquetut’intéressestellementàMason.—Jene saispas si jem’intéressais tantqueçaà lui. Je l’aimaisbienparcequeavec lui, c’était

simple, et qu’il ne provoquait pas enmoi tous ces trucs complètement dingues que toi, tume faisressentir.Cetteattirancedonttuparlais,qu’est-cequec’est?Uneattractionanimale?—Si on veut, sauf que tu ne peux pas l’éprouvermalgré toi.Nous avons ces envies primaires

parce que nous nous situons à la limite entre l’humain et l’animal, même si nous sommesfondamentalementhumains.Aveccettecapacitéenplusdepouvoirnoustransformer.—Tudisçacommesic’étaitnormal.—J’aigrandienvoyantdesgenssetransformeretseretransformeraussinaturellementques’ils

zappaientàlatélé.—Quit’aaccompagnépendanttapremièretransformation?—Lesmâles le font seuls. C’est une sorte de sélection naturelle : lesmâles les plus faibles ne

surviventpas.—Tuavaispeur?—J’étaismortd’impatience,mais,contrairementàtoi,jesavaisqueçaallaitarriver.Quandj’étais

petit,mesparentsm’emmenaientdanslaforêt,m’expliquaient,memontraient…—Oh,monDieu!—Quoi?Qu’est-cequ’ilya?Ils’étaitassisd’unbondetregardaitnerveusementautourdelui.—Mesparents…Leschasseursontditqu’ilsavaientvudesloups.(Jemesuiscachélevisagedans

les mains.) Et si c’étaient mes parents en train dememontrer ? On a couru.Mamanm’a cachéederrièreunbuisson.Jemesouviensdegrognements.(Desimagesquej’avaisrefouléesremontaientàmamémoire.)Ilyavaitdesloups.J’enavaisàprésentlacertitudeabsolue.J’ailaissétombermesmainsetcroiséleregarddeLucas,quejen’aipaslâché.—Lesloups.Ilsauraientpuêtremesparents?—Moi,çamesembleplausible.—Situmeurssoustaformedeloup,qu’est-cequisepasse?—Lesgensdenotreespècereprennentleurformehumainejusteavantdemourir.—Doncleschasseurspourraientavoirditlavéritéenaffirmantavoirtirésurdesloups?Ilaacquiescé.J’aisecouélatête.— Non, mes parents n’étaient pas nus. Et puisqu’on leur a tiré dessus, pourquoi n’ont-ils pas

guéri?—Sinoussommestouchésàlatêteouaucœur,çanemarchepas.—Danscecas,ilsauraientdûêtrenus,ai-jeconclu.Etilsnel’étaientpas.Oudumoins,pasdansmonsouvenir.L’étédernier,jen’avaispasvoulualleràl’endroitoùilsavaienttrouvélamort.Àcetinstant,j’ai

comprisque j’avaisbesoind’y retournersi jedésiraisaffrontermonpasséetma transformationà

venir.Maiscommentleretrouver?

Danslasoirée, jemesuismiseàfairelescentpasdanslagrotte.Avoirpassél’après-midiseuleavec Lucas m’avait rendue encore plus sensible à son charme. Là, dans notre refuge, j’avaisl’impressionque l’odeurde sapeauplanait autourdemoi. Il allait être trèsdifficiledepasseruneautrenuitdanssesbras.Je me suis avancée vers l’entrée de la caverne pour écouter le déluge de la cascade, les yeux

fermés.Jevoulaisfairelevidedansmonesprit,maisunepenséedemeurait:sijenemetransformaispas,est-cequejeperdraisLucas?Malgré le vacarme de la chute d’eau etmes yeux clos, j’ai perçu l’exactmoment où Lucas est

apparuderrièremoi.—Kayla?J’adoraissavoixdebasseetlesonqu’avaitmonprénomdanssabouche.Jemesuistournéevers

lui.—Rienn’achangéentrenous,a-t-ildit.—Si,toutachangé.Jeteconnaisbienmieuxmaintenant.C’estcommesij’étaisentréeencollision

avectoi,cequiaprovoquédeschosesenmoiquejen’avaisjamaisvécues.—Debonneschoses?—Deschoseseffrayantes.Intenses.Qu’est-cequisepasserasijenesuispascequetucrois?—Tuveuxdire,situn’espascourageuse?J’aisecouélatêteavecunpetitriregêné.—Cen’estpasceque…—Tuvastetransformer,Kayla.Maiscequejeressenspourtoin’estpasliéàcechangement.Au

contraire,c’estàcausedetoutcequinevapaschanger.—Oh.Jenesavaisquerépondre.C’étaitcertainementlaplusgrandedéclarationd’amourqu’ilmeferait

jamais.—Allez,viens.Ilm’aprislamainpourmeguiderverslessacsdecouchage.J’airessentiunétrangeréconfortcesoir-là,lovéedanslesbrasdeLucas.Jesentaissoncœurbattre

contremoietlachaleurdesoncorpsmepénétrer.Notrerelationavaitévolué.Iln’étaitplusLucas,monchefsherpa,maisLucas,monGardiendel’Ombre.—Est-cequelamétamorphosevaavoirlieudèsl’apparitiondelalune?—Non,seulementquandelleatteindrasonzénith.—Commentest-cequejelesaurai?—Tuvascommenceràtesentir…différente.Ilnefautpasquecelatefassepeur.Jesaisquetune

l’asapprisquetrèsrécemment,maispournous,cettetransformationestunprocessusnaturel,commelapuberté.—Saufqu’àlapuberté,j’aipasséunsalequartd’heure.Ilm’aembrasséesurlefront.—Ehbien,là,ceseralamêmechose,maisçapasseraplusvite.Pluslemomentapprochait,plusj’avaisdequestions.—Quandtutetransformesenloup,tupensescommeunloup?—C’est encore toi,Kayla, à l’intérieur.Seule tonapparencechange.Une fois loup, je suisplus

agressif,pluspromptàmebattre.Jecoursplusviteaussi.—Jet’aitrouvétrèsrapidesoustaformehumaine.

—LaplupartdesLycanssontfortsetrapides.Ilyaunesortedeprédispositiongénétique.(Ilm’aeffleurélatempedeseslèvres.)Tuvastrèsbient’ensortir,Kayla.Savoixnichéecontremonoreilleadéclenchéunfrissonquim’aparcourutoutlecorps.Sontorse

étaitchaudsousmamain.—Tuasditquejeseraistacompagne.Est-cequeçaveutdirequ’ondoitsemarier?—Pas forcément.Laplupart semarient,maispas toujours.Onpeutpasserpar toutes les étapes

classiques:premierrendez-vous,sortirensembleettoutça,si tuveux.Riennet’obligeàêtreavecmoisitun’enaspasenvie.Savoixétaitdevenueétrangementcalme.—Etsijeneveuxpas,tutrouverasuneautrecompagne?—Non,jeresteraiseul.J’aieuunpincementaucœur.Jemesuisappuyéesurlecoudepourvoirsonvisage.Lalunebrillait

danslecielsansnuagesettransformaitlacascadeenvoileirisé.—C’estpasjuste.—Je trouveaussi.Cene sontpas lesLycansmâlesqui s’en tirent lemieux. Ilsproposent et les

femellesdisposent.—Est-cequ’ilscombattentparfoispourunefemelle?—Bien sûr. Il arrive qu’une fille veuille savoir qui est le plus fort, qui la désire le plus.Nous

sommeshumains,maisnotrepartanimaleestforte.Iladoucementcaressémajoueavantdepasserlesdoigtsdansmescheveux.—Çatefaitflipper,cequejesuis?Bizarrement, ce n’est pas chez lui que cette dimension m’inquiétait, mais chez moi. Je ne

réussissais pas à l’accepter pour moi. Lucas, lui, était ce qu’il était, je n’y voyais rien à redire.Allongéeàcôtédelui,çanemedérangeaitplus.—Non,ai-jerépondu,sincère.—Bien.(Ilarouléversmoietm’aentraînéeaveclui,sibienquejemesuisretrouvéesurledoset

luiau-dessusdemoi.)Bien,a-t-ilrépété.Et il m’a embrassée avec douceur, comme s’il n’était pas sûr que je sois d’accord. Pourtant,

commentaurais-jepunepasl’être?C’étaitlevœuquej’avaisfaitpourmonanniversaire.Ils’estreculéetm’alancéunregardintrigué.—Tusouristoujoursquandont’embrasse?Monsourires’estélargi.—Monsouhaitd’anniversairevientd’êtreexaucé.Ensoufflantmesbougies,j’aifaitlevœuquetu

m’embrasses.—Sérieux?—C’estcurieux,hein?Jenesavaismêmepassitumeplaisaisvraiment.Ilyavaitquelquechose

desiextrêmeentoi.(J’aicaressésescheveux.)Maintenantjesaispourquoi.J’avais enviede croirequ’il avait raison et que j’allaismemétamorphoser.Enviede croireque

j’étaissonâmesœur.Ilm’aserréedanssesbrasetadéposéunbaisersurmonépaule.—Ondevraitessayerdedormirunpeu.Tuvasavoirbesoindetoutestesforcesdemainsoir.Lucas!Toujoursterreàterre.Moi,j’avaisenviederesterdansl’ambianceromantique,j’auraispu

luidirequelquechosecomme:«Desforces?Jen’aipasbesoindeforcesijet’ai,toi.»Maisilavaitraison.Commetoujours.Lelendemain,toutallaitchanger.Moiycomprise.

—Kayla,debout.

Quelque chose dans le ton de Lucas m’a immédiatement réveillée. Une urgence. Je m’étaisendormiedansledouxcocondesesbrasetjenem’étaispasrenducomptequ’ils’étaitlevéavantdelevoirlà,accroupiprèsdemoi,entraindemesecouerl’épaule.—Qu’est-cequisepasse?—Jenesaispas.Maisilyauntrucquicloche,jelesens.Sesmotsm’ontgalvanisée.Etmoiaussi, je lesentais.C’était lamêmesensationquelapremière

nuit,cettepetitedémangeaison,commesiquelqu’unmesurveillait.—Mason.Ilsnousontretrouvés,ai-jedit.—C’estimpossible.Iln’yavaitpasdepisteurdansleurgroupe.Etcettezoneesttrèsàl’écart.—Oncroyaitpasnonplusquec’étaientdesscientifiques,etpourtant…—Unpointpourtoi.Ilm’amisunsacàdosdanslesbras.—Tiens,tut’encharges.Moi,ilvapeut-êtrefalloirquejemetransforme.J’aicommencéàenfilermeschaussures.—Qu’est-cequ’onvafaire?—Évaluerlasituationet,sinécessaire,décamperenvitesse.Il s’est levé à sa façon féline quim’électrisait tant.Main dans lamain, nous avons avancé vers

l’entréedelagrotte.—Attends-moilàletempsque…Commedansunmauvais téléfilm,unhommeestapparu,brandissantunpistolet.Àsavue,Lucas

s’estfigéetm’adissimuléederrièrelui.Ils’estencoreunpeurapprochédelacascadeetaessayédemepousserverslasortie.—Vadel’autrecôté.—Oh!Lucas!Tunevoudraispasqu’elleratelespectacle?Etpuis,nesoispassimalélevé.Tu

pourraisquandmêmeprésentertonfrèreàtapetiteamie.Devlin?C’étaitDevlin?Jemesuispenchéepourmieuxlevoir.Sanscettehainequiluidévorait

les yeux, il aurait pu être beau. Il avait certainement dû l’être,mais quelque chose l’avait à jamaisabîmé.Lucas,immobilecommeunestatue,s’estmisàgrogner.—N’ypensemêmepas.Situtetransformes,jevaistetirerlaballeenargentquej’aichargéedans

cepistoletettun’aurasaucunechance.Tumourras.—Qu’est-cequetuveux?—Pourcommencer,récupérerlaplacequim’estdueentantquechefdemeute.—Le chef demeute est automatiquement chef desGardiens de l’Ombre, c’est-à-dire qu’il doit

protégerlessiens.Alorsquetoi,tunousaslivrésàKeane.—Ça,tun’ensaisrien,maisc’estexact,eneffet.—Tulesasvraimentconduitsici?—Lesimbéciles.Jemesuisdésintéresséd’euxquandj’aivuqu’ilsn’allaientpastetuer.Ilssont

partisdansleurshélicos,maisj’imaginebienqu’ilsreviendront.Jem’enfousmaintenant.Ilsétaientcensésfairedesexpérimentationssurtoi,t’autopsier.Aulieudeça,ilsavaientl’intentiondeprocéderàdesanalysesdesangetdesalive.Pasdrôle.—Tuasmisnotreexistenceàtousendanger.Devlinalâchéunprofondsoupir.—Notreexistenceétaitdéjàmenacée.NoussommessipeunombreuxetaucunStatiquenevoudra

jamaisdenous.Jedétestetellementcequenoussommes.—Cen’estpasparcequ’ilyaeuunefillequi…

—Elleétaittoutpourmoi.Etmaproprefamillen’apasvoulud’elle.Pasplusqu’elledemoi.Jemesuistransformépourluivenirenaideunenuit,parcequedestypesl’ontattaquée.Etqu’est-cequej’y ai gagné ? Je lui ai fait horreur. Tu sais ce que ça veut dire de choisir une fille et de ne pasl’avoir ?Decomprendreque tuvaspasser tavie seul ?D’êtrevide,d’unvidequ’aucunamourneviendrajamaiscombler?—Jesaisqueçaaétédur…—Non,tunesaispas!Maistuvasledécouvrir.Avantlapleinelune.Tuvascomprendreceque

c’estdedétestercequetues.JesuisallévoirKeaneparcequejevoulaisqu’iltrouveunremède,qu’ilmefassedevenirnormal.Aulieudeça,ilavouluquenousdevenionstousdesmonstres.—Donctun’espasdemècheaveceux?ai-jedemandé.Denouveau,j’aisentiLucassecrisper.Jelevoyais,ilvoulaitquejemefassediscrèteaupointde

disparaître,maissonfrèreétaittropdangereux.Devlinnem’apasrépondu.IlacontinuéàparleràLucas.—Situn’espasavecelleaumomentdesapremièretransformation,turisquesbiendelaperdre.

Toncœursebriseraettusaurasenfincequejeressens.—Jeseraiavecelle.—Onverraça.Devlins’estlentementavancédanslacaverne.Jenesaispasàquoijem’attendais.Peut-êtreallaient-ilssetransformerpours’affronter?Alors,

quand l’explosiona retenti etqueLucasest tombéenarrièredans lachuted’eau, j’étais stupéfaite.Maismoninstinctavitereprisledessusetmoncrid’horreurs’estnoyédanslefracasdelacascadedèsquej’aiplongéàsasuite.

Êtrebonnenageuseconstitueunavantagecertainquanddestonnesd’eaus’abattentsurvous.Etdescoursdesauvetagesontassezutilesaussi.End’autrescirconstances,j’auraispum’émerveillerdelatransparencedel’eauquisemblaitluire

souslesrayonsdelalune,maisenl’occurrencejenepensaisqu’àrécupérerLucas.J’aienroulémonbrasautourdesapoitrineavantdememettreànagerverslasurface.Puisj’aitraversélebassinpourm’éloignerdelacascade.—Aide-moi,Lucas,luiai-jeordonné.Ilagémietj’aisentiqu’iltremblaitpendantquesonsangsedéversaitsurmoi.J’aiessayé,envain,

delehissersurlarive.—Lucas,uneffort.Iladenouveaugémi,puisilaréussiàsortirsuffisammentsontorsedel’eaupoursemettreàplat

ventresurlaberge.Jel’aipousséjusqu’àcequ’ilsoittoutàfaitausecetj’aiémergéàmontourpourm’agenouillerprèsdelui.—C’estgrave?—Oui,a-t-ilrépondu,lamâchoireserrée.J’ai soulevé son t-shirt, révélant une plaie béante au flanc. J’ai enlevémon t-shirt pour essayer

d’enrayerl’hémorragie.Jeneportaisplusqu’undébardeuretjel’auraisaussiôtésibesoin.—Tuessûrquetunepeuxpastetransformer?luiai-jedemandé.Mêmepourquelquessecondes?—Danscecas,ilmourra.Devlin.Jenel’avaispasentenduarriver.J’auraisdûdevinerqu’ilviendraitadmirerlerésultatde

sontravail.—Ilsentdéjàlabrûluredel’argent…Etilsaitquejen’aipasmentiàproposdelaballe,a-t-ildit,

la voix débordant de satisfaction. Je ne veux pas qu’il meure. Je veux juste qu’il ne puisse pascontrecarrermesplans.

—Quelsplans?Avant que je puisse protester, ilm’avait relevée de force pourm’attacher les poignets avec une

corde.—Mesplansdekidnapping,a-t-ilditenmetirantviolemmentverslui.—Tuesmalade!—SelonNietzsche,«ilyatoujoursunpeudefoliedansl’amour».(Unsourirecruelbarraitson

visage.)J’étudiaislaphiloàlafac.—Lucasafaitcequ’ildevaitpourprotégerlessiens.Tunepeuxpasluienvouloirpourça.—Biensûrquesi,jepeux.Jesuisseuljugedemesactions,ellesn’ontdesensquepourmoi.C’est

cequ’ilyadebeaudanslafolie.Bon.Etpuisçasertàrienderésister, j’aiencorequelquesballesdanscepistolet.Sijetetue,jamaisvousnevousreverrez.—Jevaismourir,detoutefaçon.Lucasm’aditquejenesurvivraispassijen’étaispasaveclui.—Ehbien,onvavoir.Il a tiré sur la corde pourm’entraîner à sa suite. Je ne voulais pas abandonner Lucas, mais je

n’avaispaslechoix.J’aijetéunregardenarrière.Àgrand-peineLucassemettaitàgenoux.«Surtoutnenoussuispas,ai-jepensé.Sauve-toietattends-moi.»J’espéraispouvoirm’échapperettrouverdel’aidepourLucas.L’ascensiondelafalaiseenvahied’arbresquedévalaitlacascadeaétépassablementardue,surtout

aveclesmainsattachées.Quandnousavonsenfinatteintnotredestination,j’étaisépuisée.Uneteinterougeorangédélavait

leciel,annonçantl’arrivéedujour.Del’endroitoùnousnoustrouvions,onapercevaitlarivièrequidonnaitnaissanceàlacascade;jen’avaisniletempsnil’envied’enadmirerlabeauté.Larespirationlaborieuse,jemesuislaisséetomberàgenoux.—Donne-moiuneminute,s’ilteplaît.—J’avaisoubliécombienl’imminencedelapremièretransformationdrainetouteslesforces.Iltenaittoujourslacordequimeliaitlesmainsetjemedemandaisi,entirantdessusdetoutesmes

forces,j’avaisunechancedelefairebasculerpar-dessuslafalaise.—Lucasesttonfrère,ai-jeremarqué.—Etalors?—Commentpeux-tuluifaireça?Ils’estaccroupidevantmoi.—Ilm’adéfié!Etilaprismaplacedechefdemeute.OK,peut-êtrequej’étaisunpeulimiteàce

moment-là,maisjevenaisdeperdreJenny.Ilsauraientpumefoutrelapaix.—Masonm’aditquesoncolocàlafac…—Oui,c’étaitmoi.C’étaitunpauvremôme, intellodebase, fascinéparsonpère.Quand ilm’a

parlédeBio-Chrome,jemesuisditquec’étaitledestin.—Situvoulaisaussidésespérémenttrouverunremède,pourquoinepasavoirdemandéàKeane

demenersesexpérimentationssurtoi?—Parcequejeneluifaisaispasassezconfiance.(Ilahaussélesépaules.)Etpuisj’étaisd’humeur

revancharde.(Ils’estrelevéetatirésurlacorde.)Onyva.Soudain,j’aientenduungrognementsourd.Ildevaityavoirunebonnecentainedeloupsdanscette

forêtetuncertainnombredeLycans.Maisavantmêmedemeretournerpourvoirlepelagefamilierdecouleursmélangées,jesavaisquec’étaitLucassoussaformedeloup,babinesretroussées.—Putain,Lucas,tuasretirélaballetoi-même?Tuveuxvraimentprouverquelquechose,hein?

Hélas, jen’aipasd’autreballeenargent.Tun’enreviendraispas,duprixqu’ellescoûtent. (Devlinm’abalancéeparterreetj’aiatterrilourdement.)Doncj’imaginequ’ilvafalloirréglerçaàlafaçondenotreespèce.

Delàoùjemetenais,jevoyaisleflancdeLucasquicontinuaitdesaigner.Mêmesilaballen’étaitplus à l’intérieur, j’ai compris que la blessure ne guérissait pas comme elle aurait dû, à cause del’argent.Ilétaitaffaibli,troppeut-êtrepour…Unt-shirtm’esttombésurlevisageetletempsquejem’endébarrasse,Devlinmétamorphosése

tenaitàcôtédemoisous l’apparenced’unloupnoir.Celui-làmêmequej’avaisvudans laforêt. IlétaitplusgrandqueLucasetsescrocssemblaientpluslongs,plusdangereux.Masonavaitditquelquechoseàproposdesyeuxquinechangeaientpas.Àprésent,jecomprenais

cequ’ilavaitvouludire.LesLycansconservaient leursyeuxhumains.JereconnaissaisLucasàsesyeuxargentésetjepercevaisladémencedanslesyeuxternesdeDevlin.

Ceseraitunelutteàmort,commecelaauraitdûl’êtrequandLucasavaitdéfiéDevlinpourlaplacedechefdemeute.LucasétaitaffaiblialorsqueDevlinétaitenpleine formeet sa foliedécuplait saforce.EtpuisLucasavaittoutàperdre,alorsqueDevlinavaitdéjàtoutperdu.CelafaisaitdeDevlinleplusdangereuxdesadversaires.Devlin avait toutes les chancesde son côté etmoi, je savais que je risquaisdeperdreLucas, de

perdrecequejevenaisjustedecomprendre.«Jet’aime.»J’avais à peine murmuré ces mots dans mon esprit. Mais cela avait suffi pour que Lucas les

entende.Ilavivementtournélatêteversmoi.Erreurtactique.AlorsqueDevlinseruaitsurLucas,jemesuisrenducomptequej’avaispeut-être

condamnéàmortLucas.

15

Avecungrognementdedéfi,LucasabondiversDevlin.Les crocs à nu, les deux frères se sont heurtés avec une sorte de rugissement. Leurs puissantes

mâchoiresclaquaientfurieusementetleursgriffeslabouraientleursépaissesfourrures.Ilsonttouchélesol,avantdecommenceràtourner,àpascomptés,enuncerclequiserétrécissait

toujoursplus.Chacunguettaituninstantdefaiblesse,unsignedevulnérabilité.Lucasattendait,etjesavaisqu’iltâchaitderassemblerlepeudeforcesqu’illuirestait.Devlinaplongéenavant,Lucasl’aesquivéd’unmouvementsurlecôtépuiss’estjetésursondos

etluiasauvagementmordul’épaule.Devlinaglapidedouleuretaussidesurprise.Ilnes’attendaitcertespasqueLucassemontreaussiagressif.Devlins’estdébattupoursedébarrasserdeLucas,quil’amordudenouveau.Après une roulade, ils se sont séparés et ont recommencé à tourner avant de se jeter l’un sur

l’autre.Encoreetencore.JevoyaislesforcesdeLucasl’abandonnerpeuàpeu.Jenelequittaispasdesyeux,cherchantquelquechosepour l’aidermaisconsciente,dansmondésarroi,qu’iln’yavaitrienàfaire.Unjourplustard,leschosesauraientpuêtredifférentes.J’auraispuluiêtreutile,aprèsmapremièretransformation.Maislà,Lucasdevaitcombattreseul.JesavaisaussiqueDevlinnemontreraitaucunepitié.S’ilenavait l’occasion, il l’attaqueraitàla

gorge.Ils continuaient à se battre. À force de roulades et d’écarts, ils se rapprochaient sans cesse

davantageduborddelafalaise.J’essayaisdefairetairemespenséesparcequejenevoulaispasqueLucassenteàquelpointj’étaisterrifiéepourlui.Ilétaithorsdequestionderéitérermonerreurenledistrayantdenouveau.Ilétaitdéjàpantelantetsonflancétaitmaculédesang.Jetrituraislet-shirtdeDevlinparcequeçamefaisaitquelquechoseàquoimeraccrocher.J’aijeté

unœilverslepantalonqu’ilavaitabandonnéetj’aivulepistolet.J’airampédanssadirectionetm’ensuissaisie.C’étaitdifficile,aveclesmainsattachées.Monpèreadoptifm’avaitemmenéem’entraînerdans sonclubde tir denombreuses fois, si bienque jemedébrouillaispasmal.Même si, jusqu’àprésent,jen’avaistiréquesurdesfeuillesdepapier.J’aimisDevlinen joue,maisLucasétaitdansma lignedemire.Est-cequec’était soncombat?

M’envoudrait-ilsijetuaissonfrère?Lesballesn’étaientpasenargent,doncjenerisquaispasdeletuer. Par contre, ça pourrait donner une chance à Lucas. Jeme suis déplacée à la recherche d’unmeilleurangle.DevlinabondidenouveauetLucasasautéàsarencontre.Ilssesontpercutésenl’airetleurélan

lesafaitpasserpar-dessusleborddelafalaise.Monhurlementaaccompagnéleurchute.Lepistoletinutiletoujoursenmain,jemesuisruéeverslegouffre.Devlin,àmi-pente,étaitempalé

surlabranchebassed’unarbre.Immobile,ilavaitreprissaformehumaine.J’enaidéduitqu’ilétaitmort.Moncœurbattaitdouloureusementdansmapoitrine.OùétaitLucas?Puisjel’aivu,encoresoussaformedeloup,entrainderemonterlapenteavecpeine.—Non!ai-jecrié.Redescends!J’arrive.Mais il a continué à grimper jusqu’à ce qu’ilm’ait rejointe. Il a trotté versmoi etm’a léché le

menton.J’aipassémesbrasautourde lui,enfouimonvisagedanssonpelageet jemesuismiseàpleurer.Unefoismacrisedesanglotsapaisée,jemesuisreculéepourregarderLucasdanssesbeauxyeux

d’argent,lesmêmespourleloupetpourl’homme.

—J’aieusipeur.C’étaittonfrère,jesais.Etjesaisaussiquetunevoulaispaslecombattre,maisilnet’apasdonnélechoix.Cen’estpastafautes’ilestmort.Il a rejeté la tête en arrière et poussé un hurlement. C’était le cri le plus triste que j’aie jamais

entendu.Quandleséchosdesapeineetdesadouleursesontéteints,ils’esteffondrédansmesbras.Jenesavaispasquoifaire,maissijen’arrêtaispasl’hémorragiedesonflanc,ilallaitmourir.

Sonhurlementn’avaitpasserviqu’àexprimersapeine.C’étaitaussiunappel.Dansl’heure,unedouzainedeloupsavaientdébarqué.J’étais parvenue à enrayer l’écoulement du sang avec le t-shirt deDevlin,mais Lucas était trop

lourdpourquejepuisseledéplacer,etilétaittropépuisépourlefaireseul.Ungrandloupnoirauxyeuxmarrons’estapprochéavecprécaution.Lucasalégèrementrelevéla

têteetj’aisentiqu’ilcommuniquaitaveclui.J’avaisaussimonidéesursonidentité:Rafe,quiétaitlelieutenant attitré deLucas.Puis le loupnoir est descendu le longde la falaise et a disparudans lagrotte.Ilaréapparuquelquesminutesplustard.Entre-temps,ilavaitréintégrésaformehumaineets’étaithabillé.Ilaalorsprisleschosesenmain.Nous avons ramené Lucas dans la grotte. Une fois bien installé et emmailloté sous toutes les

couverturesquenousavionstrouvées,ils’estànouveautransformé.Rafeaexaminélablessure.—Elleneguéritquetrèslentement,ondirait.—Oui,mais si je redeviens loup durant quelques heures, je guérirai assez pour ne pas être un

poidsmort.—Maisalorspourquoiavoirreprisformehumaine?ai-jedemandéenluitenantlamain.Ilm’aadresséunsourirefatigué.—Parcequejevoulaispouvoirteparler,êtrelàpourtoi.(Ilm’acaressélajoue.)Moi,jesaisce

quetupenses,maiscen’estpaslecaspourtoi,pasencoredumoins.J’auraisaiméqueRafeetConnorsortentdelagrottepourquejepuissem’allongercontreLucas.

Jenesouhaitaisqu’unechose,êtreseuleaveclui.—Jevaistebanderavecdelagazepourralentirlesaignement,aditRafe,puisilaajouté,avecun

regardaccusateur:Tuauraisdûnousappelerplustôt.Tun’avaispasàaffronterçatoutseul.—Tucroispasquetupourraislelâcherunpeu?ai-jedit.Ilasoncomptepouraujourd’hui.—Tuveuxqu’onramèneDevlinauvillage?ademandéConnor.Lucasahochédelatête.—Oui.Pournosparents.—Ons’enoccupe.RafeetConnorsontsortis.J’aitouchésescôtes,làoùlaballel’avaitatteint.—Jen’arrivepasàcroirequetul’aiesretiréetoi-même.—C’étaitrien.Aucunorganevitaln’étaittouché.Jesuismêmesurprisqu’ellenesoitpasressortie

d’elle-même.—Doncçavaguérir,maintenant?—Çavaprendretoute la journéeetfaireunmaldechien,maisd’icicesoir, jedevraisêtresur

pied.Justeàtempspourmasupposéetransformation.—Nousdevrionsdormir, tous lesdeux, a-t-il dit.Onadéjà traverséune rudeépreuve,mais ce

soir,çavaêtrecostaudaussi.Jeme suispenchéeet l’ai embrassé.Que jeme transformeoupas, j’avais craquépourLucas…

complètement.

Puisjemesuisredresséeetluiaisouri.Jemesuistournéepourenlevermeschaussuresetquandjeluiaifaitfacedenouveau,unloupétaitallongéàcôtédemoi.Jemesuislovéecontresonpelage.Dormirmesemblaittoutsimplementimpossible,sachantcequi

m’attendaitlesoir.Sansmêmem’enrendrecompte,j’aisombrédanslesommeil.

16

Jemesuisréveilléepeuavantlatombéedelanuit.Lucasdormaitencorequandjemesuisglisséehors de la grotte.C’était une de ces nuits bizarres où la lune et le soleil étaient visibles enmêmetemps.J’avaistoujourstrouvélaluneapaisante,maispascettefois-là.Ellemesemblaitmenaçanteetincarnaitunchangementquejen’étaispassûredevouloiraffronter.J’aijetéuncoupd’œilalentour:aucunsignedesloupsquinousavaientrejointsplustôt,toutefois

jedevinaisqu’ils étaient toujours là,qu’ilsmontaient lagarde. Ils savaientcequidevait avoir lieucettenuit-là.Jemedisaisquej’auraisdûmesentirdifférenteetaulieudeça,jem’inquiétaispourmaterminalesij’avaisunpetitcopainquiallaitàlafacdansunautreÉtat.Jepensaisauxfringues,auxchaussuresetauxnotes.Lestrucsdel’adotypique.Àpartquejenesavaispassijeseraisencoreuneadotypiqueàl’aube.J’aiperçulaprésencedeLucasavantdel’entendreoudelevoir.Ilavaitreprissaformehumaineet

se tenait debout à côté de moi. Même s’il était encore en train de récupérer de sa blessure, ilrayonnait.—Lesautressontencorelà?ai-jedemandé.—Oui.DevlinaditquelesKeaneétaientpartis,maisilspourraientréapparaîtrecettenuit.Orla

premièretransformationsepassebienmieuxs’iln’yapasd’élémentperturbateur.—Commenttutesens?—Passimalpourquelqu’unquis’estfaittirerdessus.Jemesuistellementhabituéàlaguérison

rapidedesLycansquejesupportemallalenteurdecelle-ci.Maisçaira.—Ilauraitputetuer.—Orilnel’apasfait,etmaintenantc’estsurtasurviequenousdevonsnousconcentrer.Soudain,maboucheétaitterriblementsèche.Àcetinstant,j’avaispresqueaussipeurquependantle

combat.—Situasraisonquantàcequidevraitsepassercettenuit,j’imaginequejeneseraiplusjamais

unefillenormale.Ilm’alancéunsouriretriste.—Tunel’asjamaisété,Kayla.J’aihochélatête.—Jesaisqueçavaparaîtredébile,cen’estpascommesionallaitsemarier,maisjemesenscrade

etj’aimeraisbienm’arrangerunpeu.—Pleindemecsamènentleurscopinesicipourleurpremièretransformation.Ilyauneboîteavec

untasdetrucsdenanasdedans.Jevaistemontrer.Etpuismoiaussi,j’aidespréparatifsàfaire.J’ai trouvétoutcedont j’avaisbesoindans lagrotte.C’étaitclair,d’autresfillesquemoiavaient

ressenti ce besoin d’être sur leur trente et un pour leur première transformation. Il y avait deséchantillonsde tout,commedans leshôtels.Enmemettant sous lapartie lapluscalmede lachuted’eau,jemesuisdouchéeetshampouinée.Puisjemesuispassédulaithydratantsurlecorps,mesuispeignéeetj’aiséchémescheveuxaveclesdoigts.Pendantuninstant,jemesuisdemandédequoimonpelageallaitavoirl’air,avantderéprimercettepensée.Jen’avaisguèreenviedepenseràcequiallaitbientôtsepasser.J’aimismeshabitsenbouleprèsdessacsdecouchagepourenfiler,surlesconseilsdeLucas,une

sortededrapquimepermettraitderestercouverte jusqu’àmatransformationcomplètesansgênermesmouvements.C’était une toile blanche aussi douce que de la soie, idéalement adaptée à une première

transformation. Je me suis enroulée dans ses grands plis qui m’épargnaient d’avoir à m’y

cramponner pour l’empêcher de tomber. Après plusieurs centaines d’années, je trouvais plutôtnormalquelesLycansaientaboutiàl’accessoirevestimentaireleplusadaptépourcemoment-là.J’étaismoinsassuréequeLucasàproposdel’imminencedematransformation.Maismêmesije

redoutaislamanièredontellesedéroulerait,j’étaisencorepluseffrayéeàl’idéequ’ellen’aitpaslieuetque,malgrésesaffirmations,jeperdeLucas.

Lucasetmoiavonsdînéauclairdelune.Nousétionsinstalléssuruntissunoirsemblableaublancquejeportais.C’étaittrèscertainementceluideLucasetjemesuisétonnéequ’ilnel’aitpasencoreenfilé.Bref,çadevaitsemble-t-ilfairepartied’unritueldontj’ignoraistout.Lucasm’a conseillé de bienmanger pour avoir des forces. J’ai avalé plusieurs sandwichs sous

plastiqueetdesbarresdecéréales.Ensirotantmabouteilled’eau,j’aiobservélalunemonterdansleciel.— Alors, après ma première transformation, je pourrai me métamorphoser à volonté ? ai-je

demandé,désireused’ensavoirlepluspossibleaucasoùelleauraitréellementlieu.Lucasétaitoccupéàfourrernosdéchetsdansundessacsàdos.L’environnementavanttout!Ila

levélesyeuxversmoi.—Oui.—Etalors,jefaiscomment?—Tun’arriveras pas à contrôler ta première transformation.Ton corps fera ce qu’il faut pour

apprendre à changer. Ensuite, quand tu seras prête à reprendre ta forme humaine, il te suffira defermerlesyeuxetdetevisualiserdanstoncorpshumain.Là,toncorpsprendralerelais.—Etsijen’yarrivepas?Sijerestecoincéeenloup?Çal’aamusé.—Jen’aijamaisentenduparlerdequelqu’unquiseraitrestécoincé.Sijamaistupaniques,dis-le-

moi.Etpuisn’oubliepasquejepourrailiretespensées…ettoilesmiennes.—Oncommuniquerapartélépathie?—Oui.—Çavamefairecarrémentbizarre…Etàquelleheuretoutçaest-ilcenséavoirlieu?Quandla

luneatteint-ellesonzénith?—Autourdeminuit.J’aihochélatête.—Ettoi,tufaisquoi?—Situveuxdemoi…—Attends,qu’est-cequetuveuxdireparlà?—Tudoism’acceptercommecompagnon.—Etcommentjem’yprends?—Enm’embrassant,a-t-ilditdoucement,unsourireàl’appui.Jeluiairendusonsourireavantderedevenirsérieuse,àlaperspectivedesévénementsimminents.—Doncc’estunrituelcombinanttransformationetaccouplement?Ilenarougi.—Çanevapasplusloinqu’unbaiser…àmoinsquelesdeuxpersonnesconcernéesenaientenvie

etsoientd’accord.—Tul’asdéjàfait?Jeveuxdire,enloup?Ilaexploséderire.Unrireprofond,sincère,unrirevéritablequejeneluiavaisjamaisentendu.

Çam’afaitbeaucoupdebienetm’apermisderelâcherunpeulatension.—T’asdecesquestions!a-t-ildit.—Quoi?Tuasbiendûypenser…

Ilm’asouri,l’airsagace.—Non,jenel’aijamaisfaitenloup.—Et,heu…Enhumain?Ilaattrapémamainetasecouélatête.—Lesloupschoisissentleurcompagnonpourlavie.J’aiavalémasalive.—Alors,c’estcommesi,heu,tum’avaisattendue?—Toutemavie.PasétonnantqueDevlinsoitdevenufou.Maisjen’avaispasenviedepenseràDevlinouàtoutce

queLucasdevaitgérerparrapportàcettehistoire.Ilfallaitquejem’ensortepourpouvoirl’aideràaffronter ça.Monpsy allait prendre sonpied au coursdenotreprochaine séance àmon retourdevacances.—Cetructoutdouxsurlequelonestassis,tuvasleporter?Ilahochélatête.—Ettuvasrestersoustaformehumainejusqu’àceque…—Nousallonschangerenmêmetemps.—Ettumeguideras?Unautrehochementdetête.—Écoute, ne leprendspasmal,mais j’ai besoind’aller faireun tour.Seule.Pourmepréparer

psychologiquement.—OK.J’auraisdûêtresoulagéequ’iln’essaiepasdediscuter.Etpuis,ilavaitbesoinderepos.Ilmerestait

encoreàpeuprèsdeuxheuresavantlezénith.Jemesuislevéeetj’aicommencéàmarcherlelongdelaclairière.Lecalmedelanuitmesurprenait.Jemeseraisattendueàunetempêteavecdutonnerre,deséclairs.

Commesilemondeavaitdûvibreràl’unissondel’oragequim’habitait.J’avaisditàLucasquejel’aimais.Illuirestaitencoreàmefairesadéclaration.Compagnonspourlavie…Lesmotsd’amourauraientdûluiveniraisément.Peut-êtrequ’aprèscettesoiréenouscommencerionsànousvoir,ànousfréquenterdefaçonplus

classique, pour permettre à la partie humaine de rattraper celle du loup. Même si ça me donnaitl’impressiondem’yprendreàl’envers.Detoutefaçon,jen’avaispaslechoix.J’aimarchéjusqu’àl’épuisement.Affrontetespeurs,avaitditleDrBrandon.Ah!Ilétaitloind’avoirlamoindreidéedespeursquim’assaillaient.Je me suis arrêtée à l’extrémité de la clairière pour y attendre l’heure fatidique. La lune était

maintenanthautedansleciel.Jel’avaistoujoursconsidéréecommeunastrepaisible.Etpourtant,elleavaitlepouvoirdechangerlesmaréesetcesoir,peut-êtremêmemavie.Lucass’estenfinlevéetm’arejointe.Mesjambes,faiblestoutàcoup,nemeportaientplus,jeme

suis appuyée avec soulagement contre le tronc d’un arbre. Arrivé près demoi, Lucas a posé sonavant-brascontrel’écorce,au-dessusdematête,commesiluiaussiavaitbesoindesoutien.Ilétaitsiprèsdemoiquejesentaislachaleurdesoncorpsirradierlemien.Uncorpsquej’avaisenlacésoussaformehumaineetsoussaformedeloup.Uncorpsquinemefaisaitpaspeur.Ilabaissélatête,sibienqueseslèvrestouchaientpresquelesmiennes.—Kayla,a-t-ilmurmuré,latiédeurdesonhaleinecaressantmajoue,c’estl’heure.Deslarmesmepiquaientlesyeux.J’aisecouélatête.Jenevoulaispasmetransformerenloup.—Jenesuispasprête.

J’aientenduungrognementsourd.Lucas,quil’avaitentenduluiaussi,s’estraidi.Ilareculéd’unpasetregardéderrièrelui.Lesloupsétaientrevenusetilsrôdaientmaintenantdanslaclairière.Lucasm’aregardéedenouveau,sesbeauxyeuxd’argentbrillantdedéception.—Danscecas,choisis-enunautre,tunepeuxaffrontercetteépreuveseule.Puisilm’atournéledosets’estrésolumentdirigéverslesloups.—Attends!luiai-jecrié.Maisilétaitdéjàtroptard.Ilacommencéàsedéshabillertoutenaccélérantlepas,s’estmisàcourir,afaitunbond…Etc’estunloupquiatouchélesol.Jen’avaisjamaisassistéàsamétamorphose.Jem’attendaisque

ce soit laid, commedans les films, son corps se rebellant contre la transformation.Au lieu de ça,c’étaitunesortedescintillementsoudain,puissantetbeau.Quelquechosede…naturel.Ilarejetélatêteenarrièreetahurléàlalune.Sonappelarésonnéenmoi.J’aivoulurésisterà

l’envie d’y répondre,mais l’animal au fond demoi était trop fort, trop déterminé pour se laisserdompter.J’aicouruvers lui.Sousmespiedsnus, l’herbeétaitdouceet fraîche. Ilavait faillimourirpour

moi,jepouvaisvivresansl’entendremedirequ’ilm’aimait,maisjenepouvaispasvivresanslui.Dansmacourse,j’airamasséletissunoirquej’aidrapéautourdeluienlerejoignant.—C’esttoiquejechoisis.Un nouveau scintillement, le temps d’une seconde, et Lucas se tenait devantmoi, drapé dans le

voilenoir.Jeluiaisouri.C’étaitunguerrier,unGardien.Qu’ilapparaissesousuneformehumaineousouscelled’unloup,c’étaittoujoursLucas.Unhommecourageuxqui,unanplustôt,avaitposélesyeux surmoi et avait su ceque j’avais si peurde reconnaître : quenous étions faits l’unpourl’autre.Monnomgravésursonépauleenétaitlapreuveindélébile.Ilaprismamainetm’aguidéejusqu’aucentredelaclairière.Enmeretournant,j’aidécouvertque

touslesloupsavaientdiscrètementquittéleslieux.Ilsn’avaientdoncétélàquepourm’offrird’autresoptions, pourme contraindre à choisir.Nous étions seuls de nouveau et j’en étais soulagée. Je nesouhaitaispasdepublicpourcequiallaitarriver.Lucas s’est arrêté etm’a enlacée. Puis il a attendu.Attenduque je l’accepte pour de bon, que je

l’embrasse.D’unecertainefaçon,cet instantétaitpresqueplusimportantquecequiallaitsuivre.Jemesuishausséesurlapointedespieds.Ilneluienfallaitpasplus.Ilaposéseslèvressurlesmiennes.Cebaiser,douxettendre,bienqu’ilressemblâtauxprécédents,neressemblaitenfaitàaucunautre.

Ilétaitsauvageetaffamé.En un clin d’œil – enfin, façon de parler, parce que j’avais fermé les yeux dès que ses lèvres

avaient touché lesmiennes–, nous étionspassésdu«Nous sommes amis et nous tâtons le terrainpourpeut-êtreautrechose»à«Noussommescompagnonspourlavie,nosdestinsmêlésàjamais».Affrontetespeurs,avaitditleDrBrandon.Maiscommentaffronterça?Commentaffrontertoutce

quejeressentaisdéjàpourlui,affronterl’idéeques’illuiarrivaitquelquechose,mavieseraitfinie?Compagnons.Destin.Pourtoujours.Lesmotstournaientenboucledansmatête.Biensûr,j’avaislechoix.Jepouvaisencorem’enaller.

Pourtant,moncœuretmonâmeresteraientlà,avecLucas.Aprèsunlongmoment,iladétachéseslèvresdesmiennesetm’aserréeplusfortencoredansses

bras. Puis son visage s’est frayé un chemin vers mon cou et il a inspiré profondément pours’imprégnerdemonodeur.Àmontourj’airespirélasienne,mâleetgrisante.Puisj’aiattendu.Attenduquelaluneatteignesonzénith,quemoncorpsrépondeàsonappel,qu’ilréagisseparune

douleurinsoutenable.

Auxpremièrescaressesdelaluneàsonzénith,mapeauacommencéàmepiquer.Nerveuse,jemesuisraidie.Àvoixbasse,Lucasacherchéàmerassurer.—Détends-toi,neluttepas.Maisresteavecmoi.J’ai senti comme des milliers de minuscules piqûres d’aiguilles sur et sous ma peau. L’odeur

lourde des boism’enveloppait et celle, si sexy, de Lucas,m’envahissait.Mon cœur battait à toutevitesse,jusqu’àmestempes.Mesorteilsserecroquevillaient,meschevillestressautaient…—Jet’aime,Kayla.J’airelevélatêtepourcroisersonregardd’argent.—Jenepouvaispasteledireavant.Avantquetumechoisisses.Jet’aime.Entermesdediversion,ilsavaityfaire.Etilm’aembrasséedenouveau.Unbaisermerveilleuxetterrifiant.Libérateuretpossessif.Unecolonnedefeuaremontémacolonnevertébrale.—Pasencore,m’aordonnéLucas.Resteavecmoi.Accroche-toiàmoi.Concentre-toisurmavoix.Ilm’aembrasséedanslecou.J’avaisdéjàeudefortesfièvres,avecdescrampesdanstoutlecorps,maisriendecomparableàça.

Moncorpsentierétaitcommesouspression.Çamontait,montaitencore…—Maintenant,amurmuréLucas.Laisse-toialler.Une explosion de blanc, un flash de couleur, suivis d’une déflagration silencieuse et pourtant

assourdissante.Puisànouveau,lesyeuxargentésdeLucasdevantmoi,plantésdanssonvisagedeloup.J’aibaissé

latêtepourregardermespattes,mesjambes.Etlepelagerouxquimerecouvrait.Çava?C’étaitLucasquimeposaitlaquestion,maissansutiliserdemots.Oui.Ilacaressémonmuseauaveclesien,puiss’estfrottéàmoncouetàmonépaule.Mêmeenloup,il

sentaitLucas,cetteodeurquiétaitsaquintessencesoussaformehumaine.Tuesbelle.Seulementenlouve?ai-jepensé,dansunaccèssubitdevanité.Toujours.C’estjusteplusfacileàpenserqu’àdire.Jenemesenspasdifférente.Cen’estqu’uneforme.J’avais envie de rire, après toute l’angoisse qui avait précédéma transformation. Ç’avait été si

facile!GrâceàlaprésencedeLucasàmescôtés,ç’avaitétédugâteau!Est-cequejevaisavoirdescourbaturesdemain?Unpeu.Etmaintenant,qu’est-cequ’onfait?Ons’amuse.Ettablessure?Elleestpresqueguérie.Ilm’apousséesurleflanc,doucement,justepourmeprovoquer.Nousavonsroulél’unsurl’autre

puis,remissurnospattes,nousavonsrecommencéànousbousculer.Attrape-moi, ai-je pensé juste avant de partir au trot à travers la clairière. Il m’a laissé un peu

d’avance.J’aiadorélasensationduventdansmafourrure.Maisjenepouvaispasledistancer.Ilm’arattrapéesanseffort.Alorsnoussommespartisensemble

galoperauclairdelune.

17

Cettenuit-là,j’aidormidanslesbrasdeLucas,emmitoufléedansletissublanc.J’avaisreprismaformehumainesanslamoindredifficulté.—C’estcommesitufaisaisçadepuistoujours,avait-ildit,unepointedefiertédanslavoix.Nousnoussommesembrassésetnousavonsparlélongtempsavantdenousendormir.Jemesuisréveilléelapremière.Lafaiblelumièrequipénétraitdanslacavernemepermettaitde

voirLucasquidormaitencore.Êtrelàaveclui,dormiràsescôtés,sitoutcelaétaitàcepointnaturel,c’étaitparcequej’étaislàoùjedevaisêtre.La veille, quand jem’étais changée en louve, tout ce que j’avais jamais été, tout ce que j’avais

jamaispensédeveniravaitchangé.Jen’étaispascellequej’avaiscruêtre,orcurieusement,jesavaisenfinvraimentquij’étais.Cespeursquimetiraillaient, je lesavaisenfin identifiées :c’était la louveenmoiquivoulaitse

révéler.J’avaissentiauplusprofonddemonêtrequ’unchangementétaitimminent,maisjen’avaispascompriscequec’étaitetn’avaispassuquoifaire.Ce matin-là, la peur avait disparu. Concernant mon passé et mon avenir. J’avais découvert ma

véritableidentitélaveilleetcettedécouverteavaitdissipétoutesmespeurs.Etpuisj’avaisLucas.J’étaiscellequ’ilavaittoujoursvoulue,toujoursattendue.Luiétaitaussitout

cequej’avaistoujoursvoulu.Leplussilencieusementpossible,jemesuislevéepourm’approcherdelacascade.Jemedemandaissimamèreavaitelleaussivécusapremièretransformationicimême.Monpère

l’avait-ilguidéecommeLucasl’avaitfaitpourmoi?J’essayaidemerappelersimonpèreportaituntatouagesurl’épaule.Maisj’étaissipetitequandilsétaientmortsqu’unefoulededétailsm’avaientéchappé.Enfin, jem’étais réconciliée avecmes souvenirsdu jouroù ils étaientmorts.La transformation

avait débloqué ma mémoire. Je me souvenais clairement de nos derniers moments ensemble. Ilsessayaientdem’expliquerceque j’étais, cequenousétions. Jemesouvenaisde leursyeuxemplisd’amourquandilsseregardaientoumeregardaient,moi.Aucunepeurdansceregard,carpoureuxlatransformationétaitunecélébrationdecequ’ilsétaient,decequenousétions.Obnubilésparl’idéedenepasm’effrayer,ilsn’avaientpasentenduleschasseurs.S’ilsnem’avaientpasmanquédepuislongtemps,àprésentilsmemanquaientterriblement.Sans l’avoirentenduapprocher, j’ai suqueLucasétait làavantqu’ilnepassesesbrasautourde

moietm’attirecontrelui.Messens,exacerbésdepuislatransformation,neluipermettaientplusdemejouerlesmêmestoursqu’avant.—Toutvabien?m’a-t-ildemandé.— Je pensais à mes parents. L’année dernière, je n’étais pas suffisamment prête pour aller à

l’endroitoùilssontmorts.(Jemesuistournéepourluifairefaceetplantermesyeuxdanslessiens.)Jepensequej’aibesoind’yaller,maisjenesaispasoùc’est.Ilareplacéunemècherebellederrièremonoreille.—Ilyaurabienquelqu’unàWolfordquipourranousledire.Tesparentsfaisaientpartiedenotre

communauté.Wolford: l’endroitqueLucasdéfendaitdesavie, lesanctuaire,unefoisl’an,deceuxquiétaient

commenous.J’ai acquiescé. Si j’avais eu du mal à y croire, avant, j’en étais maintenant convaincue.

Curieusement,lenœudaucreuxduventrequiaccompagnaittoujoursl’évocationdelamortdemesparentsavaitdisparu.Aprèstoutcetemps,j’étaisenfinprêteàaffrontermonpassé.

—Onfaitlarouteenloups?ai-jedemandé.—Oui,maisjevaisquandmêmeprendrelessacsàdospourqu’onaitquelquechoseàsemettreen

arrivant.— Très bonne idée. (J’ai froncé les sourcils.) Comment tu te débrouilles, d’ailleurs, pour les

habits?—Onadesplanquesunpeupartout.Ont’enferaàtoiaussi.Etpuissinon,tulaissetesfringuesà

unendroitoùtupeuxlesretrouver.Tut’yferas.

Letrajetjusqu’àWolfordnousaprisunjouretdemi.Jamaisjen’auraisputrouvercetendroitsansguide.Noussommesarrivésauvillageàlatombéedelanuit;letermedevillagenem’apassembléparticulièrementadapté.C’étaituneforteresse,entouréeparunehauteenceintequesurmontaientdespiquessournoisesen

ferforgé,oùveillaientdessentinelles.Pourtant,malgrésasingulièreapparence,elleparvenaitàsefondredanslepaysage,sibienquejenel’airemarquéequ’unefoisarrivéedevant.Lucas s’est approché du monumental portail pour entrer une longue suite de chiffres dans un

digicodedissimulésurlecôté:mélangedemoderneetd’ancien…Lelourdpanneaus’estlentementrelevé, et Lucas, qui m’avait pris la main, m’a conduite par un chemin de terre vers une grandestructure de pierre et de brique. Deux petits scottish-terriers ont déboulé en aboyant. Lucas s’estaccroupipourlescaresser.—C’estdesvraischiens?ai-jedemandé.Ilaexploséderire.—Biensûr.—Est-cequ’onpeutcommuniqueravecleschiens?—Oui.Tudis«assis»,«ici»,«vachercher».Jet’apprendrai,situveux.Enrigolant,jeluiaidonnéunetapesurlebras.—Trèsdrôle.Tum’aseue!—Plussérieusement,non,nousnepouvonspaslireleurspensées,a-t-ilditenserelevantpendant

quelespetitschiensgalopaientailleurs.Jenesuismêmepascertainqu’ilsenaient.—Ilvafalloirquej’arrêtedefantasmersurnoscapacités,j’imagine…—Peut-être,oui.Pendantqu’ilmerépondait,jeregardaiautourdemoi.—Bon,alors,c’estquoi,cedrôledevillage?—Ilyaencorequelquesconstructionsautour,maispasgrand-choseàpartcebâtimentprincipal.—Ondiraitunesortedemanoiroud’hôteldeluxe.—Ilsertàhébergerlesgensquiseréunissenticipourlesolsticed’été.SeulslesSagesyvivent

toute l’année.Etcommenoussommesencoreàquinze joursdusolstice, ilnedevraitpasencoreyavoirlafoule.—Pasdeproblème.J’yseraicommeunpoissondans l’eau.Ou,plutôt,commeun loupdanssa

tanière…Nous avons grimpé lesmarchesmonumentales quimenaient à la porte d’entrée que Lucasm’a

galammenttenueouverte.C’était ni plus ni moins gigantesque. Sur le côté du hall d’entrée, un magnifique escalier en

colimaçon s’enroulait jusqu’au premier étage. Une rangée de portraits à l’huile brillait sous lalumièrechatoyanted’unénormelustreencristal.Onseseraitcrudansunpalaceprincier.—Pasvraimentunecabanedanslesbois,hein?ai-jedit.Lucasrigolait.—Non,pasvraiment.

—Ettoi,tuvisdansuntrucdecegenre?—Moi,j’habitesurlecampus.—Ouais,ouais…Tuvoiscequejeveuxdire.Maquestionc’est:est-cequetuasgrandidansun

endroitquiressemblaitàça?—Non,dansunemaisontoutcequ’ilyadeplusnormal.J’avaisencoredumalàconsidérerquelesLycanspouvaientprétendreàlanormalité.—Lucas!Unevoixforteetprofondevenaitderésonner,précédantunhommeàl’épaissecheveluregrise.D’unseulcoup,Lucass’estassombri.—Papa.LepèredeLucas!Ilavaitl’air…Ehbien,pourêtrefranche,ilavaitl’aird’unpoliticien.Ilapris

Lucasdanssesbrasàlafaçond’ungrosours.Unefinepelliculedelarmesvoilaitsesyeux,argentéscommeceuxdeLucas.PuisilaécartéLucas,lesmainstoujoursfermementagrippéesauxbrasdesonfils.—JesuisdésolépourDevlin,aditLucas.Jen’aipaseulechoix.— C’est difficile, mais il y a longtemps que nous l’avions perdu. Bien que notre peine soit

immense,samortnousapporteaussiunecertainepaix.—Maman?—Ellecomprend.Ildevaitenêtreainsi.Devlinnousatrahisetils’esttrahilui-même.(Ilatapoté

l’épauledeLucasavecsagrossepatte.)Tuauraistortdet’envouloir.Lesparolesréconfortantesdesonpèrenechangeaientrienausentimentdeculpabilitéquiaccablait

Lucas.Commentaurait-ilpuenêtreautrement?Jen’auraispasputomberamoureusedequelqu’unquin’auraitpaseuderemordsdansunesituationpareille.Puissonpères’esttournéversmoi.—TudoisêtreKayla.—Oui,monsieur.UnfaiblesourireestapparusurlevisagedeM.Wilde.—Turessemblesàtamère.J’enaieulesoufflecoupé.—Vousl’avezconnue?—Oui.Ettonpèreaussi.Desgensbien.—J’aimeraisbeaucoupquevousmeparliezd’eux,àl’occasion.J’aisipeudesouvenirs.—Oui,onenparleraplustard.—Oh,Lucas!Unetrèsbellefemmed’âgemûrs’estprécipitéeversnousetaprisLucasdanssesbras.Deslarmes

roulaientsursesjoues.—JesaisquetuesunGardien,maisturestesmonpetitgarçonetj’aieusipeurpourtoi.—Maman,jesuisdésolé.—Chut.Tun’aspasàt’excuser.Tuasprêtélesermentdenousprotégercoûtequecoûte.Parfois,

leprixàpayerestélevé,maisnouslesavons.Ellel’aembrassédenouveauetj’aisentiqueLucassedétendaitunpeu.Ils’estdégagédesonétreintepourvenirmeprendreparlamainetmeconduireàelle.—Maman,voiciKayla.MmeWildem’asouri.—Bienvenueparminous.Deretouraubercail.—Merci,jesuisheureused’êtreici.

— C’est ici qu’est ta place. (Elle m’a prise dans ses bras pour m’embrasser.) Mais nousbavarderonsplustard.LesSagesvousattendent.Lucasetmoi,seulsdenouveau,avonstraversélegigantesquemanoirvibrantdel’échodenospas

jusqu’àuneporteencadréepardeuxstatuesdeloupsgrandeurnature.Lucass’estarrêtéets’esttournéversmoi.—C’estlasalleduConseil.SeulslesSagesetlesGardienspeuventyentrer.—Ilfautquejet’attendedehors?—C’esttoiquivois,Kayla.Tun’espasobligéededevenirGardienne,maissic’estcequetuveux,

j’appuieraitacandidature.Jetefaisuneconfianceaveugle.—Ilfaudraquejemebattepourêtreadmise?—Non,tudevrasseulementprêterlesermentdeserviretdeprotégernotrecommunauté.Jen’aipaspum’empêcherderire.—Quoi?m’ademandéLucas.—Tusaisquemonpèreadoptifestflic.Deplus, j’avaisl’intentiondem’inscrireendroitpénal.

Doncj’imaginequec’estplutôtdansmescordes.Parcontre,jen’aiaucuneformationenlamatière.—Ça,jem’encharge.Ilnedoutaitpasdemescapacitésetdèslors,moinonplus.—Danscecas,jesuisd’accord.Ilaalorsprismamainavantd’ouvrirlaportepournousfairepénétrerdansunesallegigantesque

oùtrônaitunemassivetableronde.—NemedispasqueleroiArthur…—Peut-êtrebien…Unesortedepetitcouinementm’afaitmeretourner.—Lindsey!mesuis-jeexclamée.Elleapassésesbrasautourdemoipourmeserrerfortcontreelle.—Jesuissicontentedetevoir.Danssondos,j’aiaperçuBrittany.—Tuauraisputoutmedire,tusais,Lindsey,ai-jedéclaré.Touscescoupsdefil,textosetautres

chatssurMessengerettunem’enasjamaisparlé?—Turisquaisdepaniqueretalors,vasavoircequiauraitpusepasser.—Brittanyettoi,vousêtesaussidesGardiennes?—Apprentiesseulement.Nousn’avonspasencoreaccomplinotrepremièretransformation.Maisà

laprochainepleinelune…(Elleasoupiré.)J’aihâted’yêtre.Uncouparésonnésurlatablepournousappelerànosplaces.Jemesuisinstalléesurunechaise

vide.Pasdedoute,ilsm’attendaient.IlétaittrèsfacilededistinguerlesGardiensdesSages.LesSagesétaient,ehbien,vieux,alorsque

lesGardiensétaienttousjeunesavecquelquechosedeguerrierdansleurattitude.UnSages’estlevé.Sonvisageétaittoutridéetsescheveuxblancsluitombaientauxépaules.—Est-ellel’unedesnôtres?—Oui,Grand-Père,ellel’est,aditLucas.Elleestaussimacompagneetjelasuivrailàoùelleira.J’étais un peu surprise que cet homme soit le grand-père de Lucas, mais enmême temps, cela

semblaitlogique:chefsdepèreenfils.Legrand-pèredeLucasahochélatêtecommepourdonnersonconsentement.Ilm’afixéedeses

yeuxargentclair.—Souhaites-tuprêterserment?—Oui.Ilacontournélatablepourseplacerdevantmoi.

—Àgenoux.Ça m’a semblé un peu archaïque, mais j’ai quand même mis un genou à terre. Lucas s’est

agenouilléàcôtédemoietm’aprislamain.—Tuessûrqu’onn’estpasentraindesemarier,là?ai-jemurmuré.—Oui,jesuissûr.— Jures-tu, Kayla Madison, de protéger nos secrets et d’écarter le mal et les dangers qui

pourraientnousmenacer?—Jelejure.—SoisdonclabienvenuedanslesrangsdesGardiensdel’Ombre,agravementconclulegrand-

pèredeLucas.Desapplaudissementsontrésonnédanslasalle,Lucasetmoinoussommesrelevés,puisLucasm’a

présentéeauxautresSages.LesprésentationssesontpoursuiviesaveclesGardiens.IlyavaitRafe,Connor, ainsi quequatregarçons et deux filles.Une fois l’apprentissagedeLindsey et deBrittanyachevé,nous serionsdouzeGardiens.Nousallions avoir amplement le tempsde lier connaissanceparlasuite.Aprèslesprésentations,nousnoussommestousrassisautourdelatable.Legrand-pèredeLucas,leSageWilde,adenouveauprislaparole.—C’estavecuneimmensetristessequ’ilnousfautaujourd’huifairefaceauxdégâtsoccasionnés

par laconduitedeDevlin.Lesscientifiquesqu’ila lancésànos troussesnevontpassedécourageraussifacilement.Nousdevonsnouspréparerauxdifficultésàvenir.Lucass’estlevé.—C’estengrandepartiemafautesinoussommesaujourd’huiconfrontésàdetellesdifficultéscar

j’aihésitéàtuermonfrèrequandj’auraisdûlefaire.J’aiconsciencequecelaentachelalégitimitédemapositionentantquechefdemeute,doncjesuisprêtàaffronterquiconquesouhaitemedéfierpourcetitre.—Quoi?Non!(Jem’étaisrelevéesivitequej’avaispresquerenversémachaise.)Siquelqu’unte

défie,ilfaudraqu’ilmepassed’abordsurlecorps.—Kayla…—Ceneseraitpasjuste.Pastantquetablessureneserapastoutàfaitguérie.Etpuisjenevoispas

pourquoituseraisresponsabledesméfaitsdeDevlin.Ilyaeuplusieursraclementsdegorge,quivoulaientcertainementdirequejen’avaispasrespecté

unesortedeprotocole,decode,quejeneconnaissaispas.—Ellearaison,aditleSageWilde.Etpuisjenecroispasquequiconquedésiretedéfier.LeSageavaitraison,personnen’adéfiéLucas.Ils ont continué à discuter pendant un moment. La majorité préférait une approche prudente,

attentiste.IlétaitpossiblequelesKeanebaissentlesbras,maisc’étaitunvainespoir,selonmoi.Enfin,onnousaautorisésàpartir.Plustard,aprèsledîner,nousnoussommesassis,Lucasetmoi,prèsd’unegigantesquecheminée,

faceàsesparents.—Tun’imaginespasàquelpointnousavonsétésoulagésquandtesparentsadoptifst’ontamenée

icil’annéedernière,m’adéclaréMmeWilde.Etpuis,quandLindseyettoiêtesdevenuesamies,nousnoussommesréjouis,certainsqu’ellearriveraitàteconvaincrederevenircetété.—Maispourquoinem’avoirrienditl’annéedernière?ai-jedemandé.C’estM.Wildequiarépondu.—Pourêtrehonnête,nousnesavionspasvraimentquoifaire.Tuesuncasunique,Kayla.Aucun

desnôtresn’ajamaisétéélevépardesétrangers.Desvisiteursquisetrouvaientdanslaforêtlejouroù tes parents ont été tués ont prévenu la police avant que nous puissions te récupérer. Tu as été

confiée aux autorités et malgré toutes nos recherches, nous n’avons pas pu te retrouver. Notreinfluenceaseslimites.Jen’osaisimaginercequiseseraitpassésijen’étaispasrevenueauparcl’étéprécédent.Mêmeen

yétantpréparée,mapremièretransformationavaitétéuneépreuve.Queserait-ilarrivésijen’avaisriensu?—Enparlantdemesparentsadoptifs,qu’est-cequejedoisfaire?Retourneràlamaisonetfaire

commesiderienn’était?—C’estcequetuveux?m’ademandéMmeWilde.Sinon,nouspourrionsleurparler,prétendre

êtretafamilleéloignéeetteprendreavecnous.J’aisecouélatête.—Ilsm’aiment.Jeneveuxpasleslaisseravantdepartiràlafac.Ceseraitinjusteenverseux.Je

veuxquecettedernièreannéeàleurscôtéssedéroulecommeilsl’avaientprévue.(Mamèreadoptiveavaitdéjàunefouled’idéespourfêtermonbac.J’étaisleurfille,aprèstout.)Maisilscomprendrontquejesoistombéeamoureusependantl’étéetquejeveuillealleràlamêmefacqueLucas.Deplus,ilvatefalloirleurconsentement.Lucasagrimacéàcetteidée.—Çadevraitaller,l’ai-jerassuré.Monpèreettoi,vousservezetprotégezvotrecommunauté.Ça

vousferaquelquechoseencommun.—Àpartquejenepeuxpasluidire.—Maisillesentira.Monpèreavaitundonpourjaugerlesgens.J’aidenouveautournémonattentionverslesparentsdeLucas.—Vousconnaissezl’endroitoùmesparentssontmorts?M.Wildeahochélatête.—J’expliqueraiàLucascommentvousyrendre.Avantdenouscoucher,Lucasetmoisommesallésnouspromener.L’enfermement,mêmedansun

endroitaussigrand,merendaitnerveuse.J’avaistoujoursaiméêtredehors,maisdepuispeu,c’étaitencoreplusimportantpourmoi,c’étaitcequimecorrespondait.—Tunetesenspastropsubmergée?m’ademandéLucas.—Non,tesparentssonttrèsgentils.Maisqueseserait-ilpassésiLindseyn’étaitpasarrivéeàme

convaincrederevenir?—Jeseraisvenutechercher,Kayla.Jemesuisserréecontrelui.—Jem’attendaisqueleschoseschangentàpartirdemondix-septièmeanniversaire,maispasàce

point.(J’ailevélesyeuxverslui.)Jenepensaispastrouverunpetitami.—Tuastrouvéplusqueça.(Ils’estarrêtéets’estcampédevantmoi.)Moncœur,monâme,ma

vie…Toutcelaestpourtoi.Deslarmesmepiquaientlesyeux.—Jet’aime,Lucas.Ilm’aprisedans sesbrasetembrassée.Commechaque fois, c’étaitmagnifiqueet tendre.Àson

image.Surlecheminduretour,ilm’ademandésij’étaisnerveuseausujetdulendemain,carnousavions

prévudenousrendrelàoùmesparentsavaienttrouvélamort,surlesindicationsdesonpère.—Oui,unpeu,ai-jeavoué.Etj’auraisaimépouvoirdormiravectoicettenuit.IlétaitprévuquejepartageunechambreavecLindseyetBrittany.Aprèstoutcequenousavions

traversé, il paraissait bizarre de ne pas dormir ensemble.Manifestement, sur ce point, les LycansétaientaussivieuxjeuquelesStatiques.

—LesGardiens sont là augrand complet à cause de l’incident avecMason et songroupe,m’aexpliquéLucas,mais nous repartons tous au parc demainmatin.D’autres groupes attendent d’êtreaccompagnés.Lanuitprochaine,toietmoidormironsàlabelleétoile.—Super!Maisonreviendraicipourlesolstice.—Oui,d’iciunequinzainedejours.—Qu’arrivera-t-ilsiMasonetlesautresdécouvrentlevillage?—Ons’occuperad’eux.Pendantquenousretournions lentementvers lemanoir, j’espéraide toutcœurque la journéedu

lendemainmeguériraitenfindemonpassé.

Le lendemainmatin,Lucas etmoi sommespartis avant l’aube aprèsnous être transforméspourallerplusvite.J’appréciaistoujoursdavantagelatransformation.Messensnecessaientdes’aiguiseretrestaientplusfinsmêmequandjereprenaismaformehumaine.Etj’étaisstupéfiéeparlafacilitéaveclaquellejepassaisd’humaineàlouveetinversement,grâceàunesimplepensée.Aprèsavoir couruuncertain tempsdans la forêt, j’ai su intuitivementquenousétionsarrivésà

destination.J’airalentilerythme,puisjemesuisarrêtée.Jerespiraisavecpeine,j’avaisconsciencequec’étaitàcausedustress.Cependantjen’avaispaspeurdecequejepourraisdécouvrir,parcequejeconnaissaisdéjàtous

lessecrets.C’étaitplusintense,voilà:mesparentsétaientmortsàcetendroit.Lucasa remarquéque jene le suivaisplus. Il est revenuenarrière, toujoursen loup,et a laissé

tomberlesacàdosdevantmoi.Ils’estéloigné,l’airderien,pourmepermettredemetransformeretdem’habiller.Puisjeluiailancélesacet,quelquesminutesplustard,ilm’arejointesoussaformehumaine,ent-shirtetenjean.—C’estparlà,a-t-ilditenmeprenantparlamain.—Jesais.—Tureconnaisquelquechose?s’est-ilétonné.Pasvraiment,maisleslieuxmeparaissentfamiliers.—Monpèrem’afaitunplan.Ilditquelesrapportsdepolicesurl’affairesonttrèsprécis.Nousnoussommesapprochésd’unroncieretj’aiétéprisedefrissons.Jesavaisquedepuisdouze

ans,leschosesauraientchangé,quedesarbresseraientmorts,d’autresauraientpoussé.Unélémentpourtantétaitdemeuréinchangé:unefalaisetapisséedeplantes.Je me suis agenouillée et j’ai écarté la végétation pour faire apparaître une petite caverne

dissimulée.Toutàcoup,desimagesm’ontassaillie.Secacher.«Soissage,Kayla.»Mesparents…Lesoufflecoupé,jemesuisvivementrelevéepourregarderautourdemoi.—Qu’est-cequisepasse,Kayla?m’ademandéLucas.— Jeme souviens,maintenant.Mes parentsm’avaient emmenée ici. Ils voulaient… (Jeme suis

laisséeglisseràterreetj’aicachémonvisagedansmesmains.)Ilssesonttransformés,ilsétaientsibeaux…Ensuite,onaentendudescris,deschasseursquiparlaientdeloups…Puisdescoupsdefeu.Assourdissants.Jeluttaispourmesouvenir.Lucass’estassisàcôtédemoietaposélamainsurmongenou.—Vas-ydoucement,m’a-t-ildit.—Mamèrem’apousséedanscettecachette,elleareprissaformehumaineets’esthabillée.Les

chasseursétaientivres.Ilscontinuaientàtirerdansladirectionoùilsavaientvudesloups.C’étaitlechaos.Jemesouviensd’avoirattenduensilence,terrifiée.Puisj’aientendudespas.C’étaitl’undeschasseurs.Ilm’atrouvéeetm’aemportée.J’imaginequejeneconnaîtraijamaistouteslesréponses.(JemesuisretournéepourregarderLucasenface.)Jecroisqu’ilsdésiraientmemontrercequenous

étions,pourquejen’aiepaspeur.Maisàcausedudrame,c’esttoutlecontrairequis’estpassé.Parcequejen’avaispascomprisdequoiilsrefusaientquej’aiepeur.—Tuasencorepeuraujourd’hui?—Non,maintenant,jet’ai,toi,ai-jeditenluicaressantlajoue.—Etpourtoujours.Lanuitvenue,nousavonsdressélecampprèsd’uneenfiladedepetitescascades.Deboutsousl’immensecielnoir,Lucasetmoicontemplionslesremousdel’eau.Jemesuislaissée

allerenarrièrepourappuyermondoscontresontorse.Ilm’aenlacéeetaenfouisonvisagedanslecreuxdemoncou.Ilétaitmoncompagnon.Pourtoujours.Ou,dumoins,pouraussilongtempsqu’ilnousresteraitunsouffledevie.J’ai levé la tête vers la lune. Elle décroissait déjà. Pour le solstice, il n’en resterait qu’un éclat

argenté.De nombreux dangers nous guettaient. Je sentais leur présence menaçante autour de nous. Le

momentvenu,j’allaislesaffronterauxcôtésdesGardiensdel’Ombre,carj’étaisl’uned’eux.Maispourl’instant,nousétionsensécurité.JemesuisretournéedanslesbrasdeLucas.Ilabaissésonvisageverslemienetm’aembrassée

passionnément. Son goût, son odeur m’ont confirmé que nous étions vivants. Voilà tout ce quicomptait!

L’auteur

RachelHawthorneestnéeenAngleterre,maisagrandiauTexas.Petite,ellerêvaitdéjàdedevenirécrivain,maiscen’estqu’aprèsdesétudesdepsychologie,quiluiserontd’unegrandeutilitépourlaconstructiondesespersonnages,qu’ellesetourneenfinversl’écriture.Elleareçudenombreuxprixetsesromanssontapparusplusieursfoisdansleslistesdebest-sellers.

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Retrouvezenavant-premièrelasuitede

LESGARDIENSDEL'OMBRE

danscetextraitdutome2delasérie:

ClairdeLune

Prologue

Lapleineluneestdevenuemonennemie.Abritéedansunecaverne,jemeprépareàvivrelanuitlaplusimportantedetoutemonexistence.Il

yaquelquesjoursquej’aifêtémesdix-septansetcesoirunepleineluneselèveradansleciel.Jemebaigneraialorsdanssalumièreetmoi,LindseyLancaster,jemetransformerai…Enloup.Je suis une Métamorphe, espèce qui possède depuis des milliers d’années la capacité de se

transformerenanimal.PourlesLycans,leclanauquelj’appartiens,c’estleloup.D’aussi loin que jeme rappelle, j’ai toujours impatiemment attendu cette fameuse nuit,mais au

coursdesdernières semaines, j’ai commencéàcraindre sonapproche,parcequemavieaprisuntourconfusetcompliqué.Mesémotionsetmessentimentssontdanstousleursétats.Moncœurmeconseilledansunsensetmatêtel’inverse.Connoretmoisommeslesmeilleursamisdumondedepuistoujours.Danslemondeextérieur,là

oùnousprétendonsnepaspossédercepouvoirextraordinaire,oùnousprétendonsêtredesStatiques(ceuxquisontdépourvusdelacapacitédesetransformer),nosfamillesrespectivessontinséparables.EtnosparentssontconvaincusqueConnoretmoisommesdestinésl’unàl’autre.Parfois,j’aipeurquenoussoyonstouslesdeuxprisonniersdurêvequ’ilsnourrissentpournous

aupointdel’avoirfaitnôtre.Unsoir,devantnosdeuxfamillesréunies,Connorm’adéclaréesienne.J’étaisfolledejoiedelesavoirsiéprisdemoi,parcequejecroyaisressentirlamêmechosepourlui.Nous avons organisé une grande fête et, comme le veut la tradition de notre clan, il s’est faittatouermonnom, sous formede runeceltique, sur l’épaulegauche, cérémoniequi constituenotreéquivalentdesfiançailles.Notredestinétaitscellé.PuisRafeestrevenuaprèssapremièreannéedefac,etj’aicommencéàm’intéresseràlui,cequi

nem’étaitjamaisarrivéauparavant.Quandilparle,savoixgravedevientparfoislégèrementrâpeuseetsisexy.Maisilneparlepasbeaucoup,saufs’ilaquelquechosed’importantàdire,cequidéclencheimmanquablement des fourmillements dans mes doigts de pieds. Ses yeux noirs me captivent etdéclenchentdestempêtesdansmoncœur.Etquandsonregardsauvageseportesurmeslèvres,j’aienviedemefondredanssesbraspourportermaboucheàlasiennedansunavant-goûtd’interdit.Ilaimevivredangereusementetrepoussertoutesleslimites.Ilestlegrandméchantloup,oserais-

jedire,pourfaireunmauvaisjeudemots.Salibertéradicaleéveilleenmoiunetentationàlaquellejen’aipasledroitdesuccomber.JesuisdestinéeàConnor.

De deux ans mon aîné, Connor a déjà vécu sa première transformation et, cette nuit, il vam’accompagnertoutaulongdelamienne.J’essaiedemeconcentrersurConnor,avecsescheveuxblonds, ses beaux yeux bleus et ce sourire en coin qui nemanque jamais deme faire rire. En cemomentmême, ilm’attend pour partager avecmoi la nuit la plus importante dema vie. Il vameguiderautraversdematransitionets’assurerquej’ysurvive.Cetteexpériencepartagéenousuniraprofondémentetàjamais.Dumoins,c’estlescénarioprévu.J’observemonrefletdans lemiroir.Mesyeux,généralementdecouleurnoisette,ont tendanceà

varierde teinteen fonctiondemonhumeur.Cesoir, ilsvirentunpeuvers lebleuetdégagentunetristesse déplacée quand au contraire ils devraient déborder d’excitation, un peu comme pour unpremierrendez-vous.Mes cheveux, blonds au point d’en être presque blancs, tombent librement sur le grand drap de

veloursblancquejeporteetlanervositém’envahitàl’idéeducontactimminentaveclesrayonsdelalune–etlesbrasdeConnor.Jemedétournedumiroiretm’avanceversl’entréedelagrottedissimuléederrièreunecascadequi

protègenotrerepairedelacuriositédeceuxquienignorentl’existence,etsurtoutnotreexistence.Jemeglissederrièrelerideauliquideetcontournelebassinoùlalunesereflèterabientôt.J’observeConnorquiattendpatiemmentmonarrivée.Enveloppédansunhabitnoir,ilmetendla

main.Seslongsdoigtsrassurantsserefermentsurlamienne,quisemblesoudaintropdélicateettropfragilepourcequiestsurlepointdecommencer.Commeconscientdemonappréhension,ilm’attireàlui.Soncontact,sifamilier,meréconforteimmédiatement.C’estluiqu’ilmefaut,ilestmonâmesœuretl’atoujoursété.Il se penche et ses lèvres effleurent ma bouche. Un instant, mon cœur cesse de battre devant

l’énormitédecequiseprépare.Maindanslamain,nousnousdirigeonsverslaclairière,verslalunequiattendetversunavenir

partagépourtoujours.Etjenepeuxqu’espérernepasavoirfaitlemauvaischoix.Sinon,jesuisentraindecommettrela

plusgrosseerreurdemavie.

1

Onditque les rêvesserventà révélernospeurscachéesetnosdésirssecrets,quiexigentparcebiaisqu’onleurprêteattention.Monrêvedelaveilleavaitétésiintensequesasimpleévocation,lelendemainsoir,enpleineséanceduConseil,mefaisaitencoretressaillir.Assisedosaumurdanslagrandesalle,j’assistaisàladiscussionentrelesSagesetlesGardiensdel’Ombre–ceuxd’entrenouschargés de protéger notre espèce – sur la meilleure façon d’assurer notre survie. Du fait que jen’avais pas encore vécu ma première transformation, je conservais un statut de novice quim’empêchait de siéger avec eux autour de la grande table ronde. Cette situation me convenaitparfaitementcarellemepermettaitdelaissermonespritdivaguersansquel’onpuissemereprochermoninattention.Dansmonrêve,jemetenaisdansuneclairièreavecConnor,officiellementmoncompagnonàvie,

et nous nous enlacions si fort que nous pouvions à peine respirer. Puis soudain de grands nuagesnoirs recouvraient la lune, notre seule source de lumière, et une profonde obscurité s’abattait surnous.SerréetoutcontreConnor,jeprenaisconsciencequesesmusclesetmêmesesoscommençaientà onduler sous sa peau. Il grandissait, s’élargissait. Sous mes doigts, ses cheveux se mettaient àpousseretàépaissir.Ilm’embrassait,maisseslèvresmesemblaientpluscharnuesqu’àl’accoutuméeet son baiser plus sauvage que tous ceux que nous avions partagés. Une vague de chaleur m’aparcouruedespiedsàlatête,etj’aieulasensationdecomprendrecequec’étaitd’êtreunechandellequi fond sous l’intensité d’une flamme. Je savais que j’aurais dûm’écarter,mais, au contraire, jem’accrochaisàluicommesijerisquaisdemenoyerdansunemerdedoutesijem’éloignais.Lesnuagesontdérivéetlalunenouséclairaitànouveau,saufquejenemetrouvaisplusdansles

bras de Connor. À la place, c’était contre le corps de Rafe que je me lovais, c’était lui quej’embrassais,sesmainsquimefaisaientfrémir…Jemesuismiseàremuerinconfortablementdansmachaiseausouvenirdel’intensitédemondésir

pourRafe. C’était enversConnor que j’étais supposée ressentir cet élan.Mais jem’étais réveilléeemmêléedansledésordredemesdraps,gémissantepouruneautrecaressedeRafe…Toujoursentraindegigoter,j’aisentiuncoudes’enfoncerentremescôtes.—Tiens-toitranquille,m’achuchotéBrittanyReedquiétaitassiseàcôtédemoi.Commemoi,elleétaitenpassed’avoirdix-septans,etsatransformationauraitlieuàlaprochaine

pleinelune.JeconnaissaisBrittanydepuis lamaternelle.Nousétionsamies,mais jenem’étais jamais sentie

aussiproched’ellequedeKayla,que jen’avaispourtant rencontréeque l’étéprécédent,quandsesparents adoptifs l’avaient ramenée dans notreParc pour qu’elle y affronte sonpassé.Notre amitié

avaitétéaussiimmédiatequeprofondeetnousavionspassél’annéesuivanteànousraconternosviespartéléphone,mailettexto.Elleavaitrécemmentdécouvertqu’elleétaitl’unedesnôtresetétaitdevenuelacompagnedeLucas

Wildeaucoursdeladernièrepleinelune.Avecsipeudetempspours’ypréparer,l’expérienceavaitdû être absolument terrifiante. Nous, les Lycans, ne pouvons pas contrôler notre premièretransformation.Quandlapleineluneselèvedansleciel,notrecorpsréagitàsonappel.MaisKaylaétaitàprésentassiseàlagrandetableaveclesautres.À l’occasiondu solsticed’été, le jour leplus longde l’année,nous aimons tousnous retrouver

pour fêter notre existence. Mais cette année-là, une menace planait sur le rassemblement qui sedéroulait,commechaqueannée,àWolford,unpetitvillageperdudansl’immenseParcNationalquiborde la frontière canadienne.De ce qui avait autrefois été une communauté vibrante de vie, il nerestaitquequelquespetitsbâtimentsannexeset lastructuremassivequiressemblaitàunmanoiroùhabitaient les Sages, responsables de notre petite communauté. Cemanoir faisait également officed’aubergepourlaplupartd’entrenous.Nousavonstoujoursvécudanslesecret.Mêmesinousnousmêlonsaurestedumonde,nousne

levons jamais le voile sur notre véritable nature. Peu de temps auparavant, nous avions cependantapprisquelefrèreaînédeLucasnousavaittrahisenrévélantnotreexistenceàdesscientifiquesd’unlaboratoirederecherchemédicaleappeléBio-Chromebiendécidésàcapturercertainsd’entrenouspour découvrir notre secret. Ils cherchaient à déposer un brevet autour de cette découverte ets’enrichirgrâceàelle.Maisnousnecomptionspaspasserlesgrandesvacancesàjouerlescobayessurleurtablededissection.Même si nous n’avions plus de nouvelles de Bio-Chrome depuis que Kayla et Lucas étaient

parvenus à échapper à leurs griffes, il aurait été illusoire de croire qu’ils avaient abandonné leurprojetaussifacilement.Nousétionstoussurlesdentsàl’idéed’unenouvelleconfrontationquenoussentions imminente, à la façon dont les animaux pressentent la tempête. La nature nous a rendussensiblesàlaprésencedudanger,raisonpourlaquellenousn’avonspassubilesortdesdinosaures.Brittanyavaitraison,ilfallaitquejerestecalme,quej’arrêtedepenseràcerêvetotalementfouet

que jemeconcentresur laconversation.Malheureusement,comme je laissaismesyeuxcourir surl’assistance,ilsontrencontréceuxdeRafe.L’intensitéaveclaquelleilmeregardaitm’afaitcraindrequ’ilnesoitaucourantàproposdemonrêve.Sonregardportaitunesortededéfi,mepressaitdenepasmedétourneretdeprendrelerisqued’êtresurpriseentraindelefixerquandj’auraisdûêtreentrainderéfléchiràunesolutioncontrelamenacedeBio-Chrome.Surlemoment,Rafem’asemblébienplusdangereuxpourmoiquen’importequelscientifiquenepourraitjamaisl’être.Je pouvais presque sentir le contact de son regard résolu sur ma peau. J’étais incapable de

détournerlesyeux,incapabledemepriverdel’intensitéducourantquipassaitentrenous.Jen’avaisjamaisrienexpérimentéd’aussipuissant.Toutacommencéàdevenirflouautourdemoi,lesmotsneme parvenaient plus que déformés, comme prononcés sous l’eau. Les battements de mon cœuraccéléraienttoutàcoup,puisralentissaientaussitôttantj’étaistroublée.J’avaisaussibienenviedemeleverpourallerversluiquedem’enfuirencourant.Rafeneparlaitpasbeaucoupaucoursdecesréunions.Mais,encoreunefois,iln’étaitpasdugenre

bavard. Ilassumait le rôlede lieutenantdeLucas,plusversédans l’actionque lesparoles.Commed’habitude, une ombre de barbe accentuait le côté sexy de son visage, autant que ses beaux yeuxmarron foncéet l’épaissechevelure lissede lacouleurd’unenuit sans lunequi lui tombait sur lesépaules.Quandilsetransformait,ilétaitsplendide…etfatal.L’étéprécédent,jel’avaisvuterrasserunpumaquil’avaitattaqué.Rafes’étaittransforméetj’avais

alorspuvoirdemesyeuxdequoiceuxdemonespècesontcapablesquandilssontmenacés.Nousdevenonsalorsagressifsetparfoismortels.

Mêmesoussonapparencehumaine,lapuissancequisommeillaitenRafemeterrifiait.Jenesavaispas pourquoi je n’avais que récemment commencé à m’intéresser à lui, pour employer uneuphémisme, parce que cinq secondes ne se passaient plus sans que je pense à lui. Jem’inquiétaisconstamment de savoir où il se trouvait et je débordais d’une curiosité envers lui que je n’avaisjamais éprouvée à propos d’aucun autre garçon, pasmêmeConnor. Je voulais connaître les filmsqu’il aimait, les livres qu’il lisait. J’avais envie d’écouter son iPod pour découvrir ses chansonspréférées.Mais,par-dessustout,jebrûlaisdesavoircequejeressentiraiss’ilm’enlaçaitcommedansmonrêveetcombiensesbaisersmeconsumeraient.—Plus que quinze jours à attendre et, nous aussi, nous jouerons dans la cour des grands,m’a

susurréBrittany,brisantlecharmequimemaintenaitprisonnièredesyeuxdeRafe.Avait-elleremarquéqu’ilaccaparaittoutemonattention?—Tun’aspaspeur?Vuquepersonnenes’estencoredéclarépourtoi…Lalégendeveutquelesfillesnesurviventpasàleurpremièretransformationsiellesl’affrontent

seules.Maisàpeinel’avais-jeprononcéequej’aiimmédiatementregrettécettephrase.BiensûrqueBrittanydevaitsefaireunsangd’encre,sansavoirbesoinquejeleluirappelle.Elle a pourtant simplement levé les yeux au ciel en secouant énergiquement la tête, balançant sa

longuetressecouleurcharbon.—C’estcomplètementvieux-jeu.Jenedevraispasavoiràattendrequ’untypesedécideàvenirme

voir.Jedevraispouvoirallerlevoir,moi.Onestquandmêmeauvingtetunièmesiècle!—Alorstuiraisvoirqui,sic’étaitautorisé?Elle a hésité, et, pendant un instant, j’ai cru qu’elle allait lâcher un nom. Elle s’est finalement

contentéedehausserlesépaules,commesiellen’étaitpasencoredécidée.—Pasquelqu’unchoisiparmesparentsàmaplace,entoutcas.Aïe !L’allusionà la façondontmesparentsetceuxdeConnoravaientencouragénotre relation

étaitplusqu’évidente.—CenesontpasmesparentsquiontchoisiConnor.—Regardeunpeu les choses en face.Lesvacances, les coursde sport, les anniversaires…Vos

parentsvousontfaitpassertoutvotretempsensembledepuisquevousêtesnés.Impossibledelenier.Connoravaitparticipéàtouslesmomentsimportantsdemavie.J’avaisdes

photosdenousdeuxàDisneyWorld,àHawaï,auski…Lalisteétaitlongue.Jenecomptaispluslesétéspassésànouséclaterlàoùnosparentsnousemmenaientenvacances.Jemesouvenaisaussidel’horrible sensation de solitude quand il avait commencé à travailler comme guide pour le ParcNationalaulieudevenirenvacancesavecmoi,l’annéedemesquinzeans.L’étésuivant,j’avaismoiaussirejointlegroupedesguidespouryassumerlerôledesherpa,quiconsisteàaccompagnerlescampeursdanslaforêtetàs’assurerqu’ilsnes’approchentpasdenosrepaires.—Ons’esttoujoursbienamusésensemble.Onest…compatibles.—Compatibles?Ondiraitquetuneparlespasdecequiconstituecertainementladécisionlaplus

importantedetoutetavie:lechoixdetoncompagnon.—Pourquoiest-cequetutesensobligéedemettremadécisionendoute?Cequiapourconséquencedemefairedouter,mesuis-jedit.Ouétait-ceàcausedurêve?—Parcequecen’estpasjusteenversConnor,situnel’aimespasvraiment.—Etenquoiçateregarde?Elle a pincé les lèvres.Cela faisait desmois qu’elleme harcelait à propos dema relation avec

Connor,insinuantqu’entantquepetiteamie,jen’étaispasàlahauteur.—OhmonDieu.Mais…tuesamoureusedelui?

[…]

Titreoriginal:Moonlight,aDarkGuardianNovel

Directeurdecollection:Xavierd’Almeida

Publiépourlapremièrefoisen2009parHarperTeen,NewYork.

Textcopyright©RachelHawthorne,2009.

Couverture:photos©VettaCollection/istocketPhotosani/Fotolia

© 2012, éditions Pocket Jeunesse, département d’Univers Poche, pour la traductionfrançaiseetlaprésenteédition.

ISBN978-2-266-22594-6

Cetteœuvreestprotégéeparledroitd’auteuretstrictementréservéeàl’usageprivéduclient.Toutereproductionoudiffusionauprofitdetiers,àtitregratuitouonéreux,detoutoupartiedecetteœuvre,eststrictementinterditeetconstitueunecontrefaçonprévuepar lesarticlesL335-2etsuivantsduCodede laPropriétéIntellectuelle.L’éditeurseréserve ledroitdepoursuivretouteatteinteàsesdroitsdepropriétéintellectuelledevantlesjuridictionscivilesoupénales

Loino49-956du16juillet1949surlespublicationsdestinéesàlajeunesse:mai2012.