Les filles au chocolat Tome 6 - Créer un blog...

127

Transcript of Les filles au chocolat Tome 6 - Créer un blog...

LesfillesauchocolatTome6

CŒURCOOKIE

CathyCassidy

Traduitdel’anglaisparAnneGuitton

©Stylismeculinaireetphotographiedecouverture:Anne-LiseDugat

Créationgraphique:LaurenceNingre

L’éditionoriginaledecelivreaétépubliéepourlapremièrefoisen2015,enanglais,parPuffinBooks,(ThePenguinGroup,London,England),

sousletitreTheChocolateBoxGirls–FortuneCookie.

Copyright©2015parCathyCassidyTousdroitsréservés

Traductionfrançaise©2015ÉditionsNATHAN,SEJER,25,avenuePierre-de-Coubertin,75013Paris

Loin°49-956du16juillet1949surlespublicationsdestinéesàlajeunesse,modifiéeparlaloin°2011-525du17mai2011.

«Cetteœuvreestprotégéeparledroitd’auteuretstrictementréservéeàl’usageprivéduclient.Toutereproductionoudiffusionauprofitdetiers,àtitregratuitouonéreux,detoutoupartiedecetteœuvre,eststrictementinterditeetconstitueunecontrefaçonprévueparlesarticlesL335-2etsuivantsduCodedelaPropriétéIntellectuelle.L’éditeurse

réserveledroitdepoursuivretouteatteinteàsesdroitsdepropriétéintellectuelledevantlesjuridictionscivilesoupénales.»

ISBN978-2-09-255846-1

Sommaire

Couverture

Copyright

Lafuite

Chapitre1-Avant

Chapitre2

Chapitre3

Chapitre4

Chapitre5

Chapitre6

Chapitre7

Chapitre8

Chapitre9

Chapitre10

Chapitre11

Chapitre12

Chapitre13

Chapitre14

Chapitre15

Chapitre16

Chapitre17

Chapitre18

Chapitre19

Chapitre20

Chapitre21

Chapitre22

Chapitre23

Chapitre24

Chapitre25

Lesfillesauchocolat

CherryCostello

CocoTanberry

SkyeTanberry

SummerTanberry

HoneyTanberry

Lesrecettesauchocolat

FortuneCookies

PannaCottaCoco

Charlottechoco-pêches

EasyCookies

Granitéfruité

Quellefilleauchocolates-tu?

Misspaind'épices-Extrait

Chapitre1

Chapitre2

CathyCassidy

Lafuite

Leréveildemontéléphonevibreà4heuresdumatin.Jerepoussemacouetteetmelève,déjàvêtudemonjeanetd’untee-shirt.Mespetitessœursontl’airendormiesdanslelitdubas–maisjefaissans doute un peu trop de bruit en descendant l’échelle, car Maisie ouvre les paupières. Je luimurmureàl’oreille:–Chut,rendors-toi.Jevaisjusteauxtoilettes.Saufqu’ellen’estpasidiote:jenevaisjamaisauxtoilettesaumilieudelanuit,surtoutpashabillé

etavecmonsacsurledos.Deslarmesluimontentauxyeux.Jerésisteàl’enviedeluiébourifferlescheveuxenluiassurantquetoutirabien.Ellecomprendraitqu’ils’agitd’unaurevoir,etçaneferaitquel’effrayerdavantage.–Chut,jerépète.Nedisrienàpersonne.Jet’appellerai,promis.–Cookie,s’ilteplaît,neparspas…souffle-t-elle.Jeposeundoigtsurmeslèvresetlabordeavantdesortirdelachambre.Danslesalon,mamanestcouchéesurlecanapé,lacouvertureremontéesurlatête.L’appartement

sent l’humidité, la lessive et l’encens. J’ouvre et referme la porte d’entrée aussi doucement quepossible,avantdedescendrel’escalierdel’immeublequirésonnesousmespas.Enfin,jemeretrouvedehorsdanslematind’été.L’airestfrais,etl’aubeéclairelesruesd’unelumièrerosée.Jem’arrêteletempsd’écrirequelquesmotssurlavitrinedurestaurantchinoisdurez-de-chaussée,

engrandeslettresdecinquantecentimètresdehaut,àl’aided’unrougeàlèvresvoléàmamère.Ellenevapasêtrecontente,maisjeseraidéjàloinquandelles’enapercevra.Puis je vérifie que mon billet de train se trouve bien dans ma poche, et je m’éloigne sans me

retourner.

1Avant

TanglewoodHouse

WoodLane

Kitnor

Somerset

CherJake,

Onneseconnaîtpas,etcequej’aiàtedirevateparaîtredingue,maisj’aimeraisquetulisescette

lettre jusqu’aubout.Récemment, j’aiapprisdeschoseschoquantesausujetdemonpère,quiapas

mald’argentetquiestpartis’installerenAustralie.Voilà:ilyaenvironquatorzeans,ilaeuune

liaisonavectamère…ettuesmondemi-frère.Génial,non?

Jem’appelleHoneyTanberry et je vais bientôt fêtermon seizièmeanniversaire. J’ai trois sœurs –

deuxjumellesdequatorzeans,SkyeetSummer,etCocoquienapresquetreize.Doncenfait,tuas

quatredemi-sœurs.IlyaaussiCherry,lafilledemonbeau-père,maiscommevousn’avezpasdelien

deparenté,çanecomptepasvraiment.Cettenouvellevasûrementtefaireunchoc–jelesais,jesuis

passéeparlà.J’aimeraisbeaucoupterencontreretenapprendredavantagesurtoi.Lafamille,c’est

trèsimportant,surtoutquandonaunpèreaussidécevantquelenôtre.

Je n’ai pas encore parlé de toi à mes sœurs, parce que je ne savais pas trop comment elles le

prendraient. Et je ne pense pas non plus que ma mère soit au courant. Alors si tu as une idée

lumineusepourleleurannoncer,jesuispreneuse!

J’espèrerecevoirbientôtdetesnouvelles!

Jet’embrasse,

Honey

Lorsquej’ailucettelettrequiétaitarrivéepourmoichezmamie,jen’yaid’abordpascru.Jeme

suisditqueçadevaitêtreunearnaque,commelafoisoùmamanareçuune-mailracontantqu’undeses cousins venait de mourir dans la jungle de Bornéo et que, si elle communiquait quelquesinformations,ellerecevraitunhéritagede500000livres.–C’estvrai?luiai-jedemandécejour-là.–Non,Jake,c’estcequ’onappelleunspam,m’a-t-ellerépondu.

C’était il y a deux ans, et je n’avais jamais entendu ce mot bizarre désignant un messagemalveillant.Mamanm’aexpliquéquedesgenscherchaientàobtenirsescoordonnéesbancairespourluivolerseséconomies.–Jeleursouhaitebonnechance,a-t-elleajouté.Jedoisavoirenvironsoixante-quinzecentssurmon

compteépargne.S’ilslesveulent,qu’ilssefassentplaisir.Voilàpourquoi,quandj’aiouvertlalettredeHoney,j’aipenséêtremoiaussivictimed’unspam.Quatre demi-sœurs, plus une autre fille qui n’a aucun lien avec moi, et un père nul émigré en

Australie…Pour lui, j’étaisaucourant :mamanm’asouvent racontécomment il adisparudans lanatureenapprenantquej’allaisnaître.Quantauxsœurs,j’enaidéjàdeuxetçamesuffitlargement,merci.MaisieetIslaontneufetcinqans,etellessontinsupportables.Alorsj’airoulélalettreenbouleetjel’aijetéeàlapoubelle.Ladeuxièmeestarrivéequatremoisplustard,débordanted’enthousiasme,commesijen’avaispas

ignorélaprécédente.CetteHoneyTanberryn’apasl’airdugenreàbaisserlesbras.Ellem’aexpliquéquesafamillevivaitdansunevieillemaisonprèsdelamer,etquejepouvaispasserquandjevoulais.«Fiche-moilapaix,luiai-jerépondu.Jenetecroispas.Enplus,j’aidéjàdeuxsœurs.Pourquoiest-

cequ’ilm’enfaudraitd’autres?»Concismaisefficace:çameparaissaitlemeilleurmoyendemedébarrasserd’elle.Jecommençaisàmedemandercequ’ellecherchait,etaufond,j’espéraisvraimentquecesoitunearnaque.Quelquesmoisplustard,j’aireçuunetroisièmelettre,accompagnéedephotos.Jedoisreconnaître

quej’aiétésurpris.Lesfillesmeressemblentbeaucoup–ouplutôt,c’estmoiquileurressemble.Àpart forcément la sœurd’adoption,qui a lesyeuxenamandeetdes cheveuxnoirs coiffés enpetitschignonsdepersonnagedemanga.Maislesautres…Elles sont aussi blondes quemoi, et nous avons lesmêmes yeux bleus et lesmêmes traits fins.

L’uneaunregardrêveur,uneautreunsouriremalicieux,latroisièmesembleunpeutristeetperdue,et la dernière a l’air d’un volcan sur le point d’exploser.Autant d’expressions que je vois souventquandjemeregardedanslemiroirfendudelasalledebains.Cescinqjoliesfillessontmesdemi-sœurs–exactementcommeMaisieetIsla,enfait.Leurpèreà

elles,Rick,étaitmaçonetvivaitàManchester.Plusjeune,jeregrettaisdenepasêtresonfils,jusqu’àcequ’ilsemetteàboireetse retrouveauchômage.Maman l’aquittéen jurantqu’ellenese feraitplusjamaisavoirparleshommes,carilsn’apportentquedesennuis.–Sauftoi,Jake,s’est-ellereprise.Toi,tuesdifférent.Jen’enétaispassisûr.Àl’école,j’avaistrèsmauvaiseréputation;jememoquaisdesprofesseurs,

jenerespectaispaslesrègles,j’abîmaislemobilier…«Cegarçonestunecatastropheambulante»,adéclaréunprofesseurunjour,dumêmetondésespéréquemamanquandelleparlaitdeRick.Lorsqu’elle a décidé de le quitter, il y a deux ans, elle a acheté des billets de train grâce à de

l’argentenvoyéparsamère,etnousavonsembarquépourLondresavecnosaffaires.Unefoisarrivés,nousavonsvisité lavilleavantdenousrendrechezmamie.Mamandisaitqu’il

fallaitprofiterdenosderniersmomentsdeliberté.NousavonsadmirélaTourdeLondresetBigBendepuisunbusàimpériale,mespetitessœursontagitélamainenpassantdevantBuckinghamPalace,etmamanleurajuréqu’elleavaitvulaReineleurrépondredepuissafenêtre.Onestdescendusdubusprèsd’uneimmensearcherougeetvertmarquantl’entréedeChinatown.

De l’autre côté, on se serait crus dans un autremonde. Lesmagasins vendaient des choses que je

n’avaisjamaisvues:dupoissonséché,desmulesensoie,desstatuesdeBouddhaetdeschatsporte-bonheuraveclapattelevée.–Choisissezunrestaurant,nousaproposémaman.MaisieetIslaontdésignéleplusproche,nomméLeDragondePapier,dontlavitrineétaitdécorée

demarionnettes.Onachoisiduporcaucaramel,desnemsetdesnouillessautéesauxchampignons–lamêmechosequ’àManchester,quandRickrapportaitdesplatschinoisàlamaison.Malheureusement,onétaitmaltombés.Notrecommandeamisuneéternitéàarriveret,autourde

nous,lesclientsmécontentscommençaientàgrogner.Quelqu’unademandéàvoirleresponsable.Celui-ciafiniparapparaître,ennage,levisagerougeetuntabliernouépar-dessussoncostume.– Ma serveuse vient de démissionner, s’est-il excusé en posant nos plats devant nous. Et la

deuxièmeestmalade.Jesuisunpeudébordé.Lesautresclientscontinuaientàrâler,exigeantdesavoirquandilsseraientservis.–Jen’aiquedeuxmains!aprotestélepatron.Uneminute!C’estalorsquemamans’est levéeetadisparudanslacuisine.Elleestrevenuequelquesinstants

plus tard avec plusieurs assiettes en équilibre sur son bras, qu’elle a distribuées gentiment auxhommesd’affairesrenfrognésdelatabled’àcôté.J’ignorecequ’elleleuradit,maisquandelleestrepartie,ilsavaientretrouvélesourire.Maisie,Islaetmoiavonsmangésanselle.Peuàpeu,lamauvaiseambiancequirégnaitdanslasalle

s’estenvolée.Messœursontpassélasoiréeàfaireducoloriageenengloutissantdeslitresdecrèmeglacée,pendantquej’écoutaisdelamusiqueetcontemplaislespectacledelarue.Cetendroitn’avaitrienàvoiraveclequartiertropcalmeoùnousvivionsàManchester.Chinatown

débordaitdevie,decouleursetd’animation.Tandisquelanuittombaitetquelesruess’illuminaient,toutmesemblaitpossible.Desfamillesasiatiquesallaientetvenaient;unebandedefillesenrobedesoirée est sortie d’une limousine et a disparu dans un restaurant ; un groupe de touristes a défilédevantmoi,accompagnéd’unguidequibrandissaitsonparapluieau-dessusdesa tête.L’und’entreeuxs’estarrêtépourprendrelavitrineduDragondePapierenphoto.Isla luiafaitunegrimaceenriant.Quandl’heuredelafermetureestarrivée,mamanavaitunnouveautravail.Lepatronluiamême

proposéunlogementau-dessusdurestaurant.–C’estmonjourdechance,répétait-il.AlisonCooke,vousm’avezsauvélavie!Ilnousaapportéquatrebiscuitsdorésenformedecroissantdelune.–Cesontdesfortunecookies,nousa-t-ilexpliqué.Chacuncontientuneprédiction.–Oh,commetonsurnom,Jake!s’estexclaméeMaisie.C’estRickqui,lepremier,m’aappeléCookie,etmescamaradesd’écolel’ontviteimité.Depuis,ce

surnommecolleàlapeau.–Cool,jeréponds.Nousavonscassélespetitsgâteauxpourdécouvrirnosmessages.–«Leplusdurestderrièrevous»,alumaman.–«Letempsestvenudevousfairedesamis»,aenchaînéMaisie.–«Vivelesnouveauxdéparts»,disaitceluid’Isla.Lemienétaitbeaucoupplusvague:«Votrevievabientôtdevenirintéressante.»J’étaisunpeudéçu,carj’ignoraisquecetteprédictionfiniraitparseréaliser.Cesoir-là,nousavons

dormidansnotrenouvelappartement,àmêmelesol,sousdescouverturesd’emprunt.Lelendemain,

maman a souscrit un prêt pour pouvoir régler le loyer et la caution àMr Zhao, le propriétaire durestaurant. Elle a aussi acheté un canapé-lit d’occasion, des poufs, une table basse et des litssuperposés.MaisieetIslapartageraientceluidubasetjeprendraisceluiduhaut.Quantàelle,ellesecontenteraitducanapé.– C’est temporaire, nous a-t-elle promis. Dès que j’aurai remboursé la banque et mis un peu

d’argentdecôté,onpourras’offrirunpeuplusdechoses.Enattendant,celasuffira.Unesemaineplus tard,nousavonsenfin trouvé le tempsd’allervoirmamieàBethnalGreen,un

quartierdunorddelaville.Mamanétaitdeservicetouslesmidisettouslessoirsaurestaurant.Peuaprès,Maisie, Islaetmoicommencions l’écoleetnotrenouvellevie.OnauraitditqueManchestern’avaitjamaisexisté.L’appartementétaithumideetenmauvaisétat.Lapeinturesedécollaitdesmurs,et les lattesdu

parquetflottantgrinçaientsousnospieds.Maisaumoins,iln’yavaitplusdedisputes,plusbesoinderaserlesmursdepeurd’énerverRick.Jegardaismessœurspendantquemamantravaillait.Ellenousavait offert une télé et un lecteurDVDd’occasion ; et de temps en temps,mamievenait passer lasoiréeavecnous.J’aiapprisàpréparerdestoastsaujambon,destoastsauxchampignonsetdestoastsaufromage,quenousmangionsaveclesrestesquemamanrapportaitdurestaurant.Nousavonsbriquél’endroitdusolauplafond,passéunenouvellecouchedepeinturepourcacher

les tachesdemoisi,et recouvert leparquetdusalonavecunechutedemoquette. J’aiaussi installéquelquesétagères.J’adoraisnotrequartier.Ilétaitunpeufou,maisjem’ysentaisbien.C’estpourçaque,quandlapremièrelettredemademi-sœurestarrivée,çanem’afaitnichaudni

froid.J’avaisdéjàunevieetunefamillequimeconvenaientparfaitement.Pourtant, la seconde lettre a remué quelque chose en moi et piqué ma curiosité. Je ne savais

quasimentriendemonpère.Au troisième courrier, j’ai donc décidé de questionner maman. Cette fois, je n’allais pas me

contenter de son histoire habituelle, à savoir qu’il était très jeune et que la perspective de manaissancel’avaiteffrayé.Jevoulaisdesdétails.– Pourquoi me demandes-tu ça maintenant ? s’est-elle étonnée, fatiguée après son service au

restaurant.–Pourquoipas?–Iln’étaitpasfaitpourêtrepère,a-t-ellefinalementreconnu.Onestbeaucoupmieuxsanslui.–Maisalors,c’étaitqui?Vousvousétiezconnuscomment?Danslalettrebienpliéeaufonddemapoche,Honeyprétendaitquemamanavaitétéstagiairepour

l’agencedesonpère,GregTanberry.Elleavaitdonceuuneliaisonavecunhommemarié.Sic’étaitvrai,jecomprenaisqu’ellesoitrestéeévasive.–Ontravaillaitensemble,a-t-elleavoué.C’étaitmonpatron.J’aicruquec’étaitsérieuxentrenous,

maisjemesuistrompée.Franchement,Jake,jenevoispasl’intérêtderemuercesvieilleshistoires!–Comments’appelait-il?Ellenemel’avaitjamaisdit.Gênée,elleaessayéd’éluderlaquestion,maisjeluiairappeléqu’il

s’agissaitdemonpèreetquej’avaisledroitdesavoir.–Greg,a-t-ellelâché.GregTanberry.Honeynem’avaitdoncpasmentisurcepoint.Jemesuisdemandésileresteétaitvrai.

«D’accord, tuespeut-êtremasœur, luiai-jeécrit ce jour-là.Maiscrois-moi, tun’aspasbesoind’unfrèredansmongenre.»SoncourriersuivantcontenaituneinvitationàTanglewoodetunbilletdetrainvalableunmois.«Préviens-moisituviens,disait-elle.Jen’aipasencoreparlédetoiauxautres.Maisilsvontêtre

fousdejoie,j’ensuissûre!»«Netefaispastropd’illusions»,ai-jerépondu.Une fois dans mon lit, j’ai épinglé le billet de train au mur à côté de la prédiction du fortune

cookie:«Votrevievabientôtdevenirintéressante.»Jenemedoutaispasdecequim’attendait.

2

Depuis,jetentedetoutesmesforcesd’oubliercettequatrièmelettre.Biensûr,jesuiscurieuxd’enapprendredavantagesurmonpère–c’esthumain.Jemeposedestasdequestions.Est-cequejeluiressemble physiquement ? Est-ce qu’on a lemême caractère ? Est-ce qu’il conduit une voiture desportetvitdansleluxe?J’aienviedecroirequeoui,neserait-cequepourégayerunpeumonquotidien.Avantleslettres,je

ne pensais jamais àmon père. Et lui, pense-t-il parfois àmoi ? S’il le fait, çam’étonnerait qu’ilm’imagine à quatre pattes dans une salle de bains aux murs moisis et au parquet grinçant. C’estpourtantlàquejesuisencemoment,entraindelavermonjeanpréférédanslabaignoire.Lalessiven’estpasvraimentmapassion,maisnotremachineestmorteilyasixmois.Jen’aipas

dequoialleràlalaverie,etj’aibesoindecejeanpourdemain.AvecmescopainsHarryetMitch,onaprévud’assisterauconcertdesPingouinsdéjantés.LegrandfrèredeHarryfaitpartiedugroupe;ilréussirapeut-être à convaincre levideurdenous laisser entrer. Il paraît qu’il y aurapleinde fillescool.Jefrottelejeandansl’espoirdefairedisparaîtrelasaucesojaquejemesuisrenverséesurlajambe

hier,aurestaurant,enchargeantdesassiettessalesdanslelave-vaisselle.Jetravaillelà-basàtempspartielpendantlesvacances.MrZhaoestgrincheuxetnemepaiepasunefortune,maisc’esttoujoursmieuxquerien.Malheureusement,j’aibeauutiliserdeslitresdelessiveliquide,jen’arrivequ’àatténuerunpeula

tache.Pournepasgaspillertoutecetteeausavonneuse,jevideensuitelepanieràlingesaledanslabaignoireetfaistournerlesvêtementssouslamousse.–Cookie!m’appelleIsladepuislesalon.Maisieesttropméchante!–N’importequoi!sedéfendMaisie.C’estellequim’aprismonlivredebibliothèqueetneveut

pasmelerendre!Évidemment.Messœurschoisissenttoujourslemomentoùjesuiscoincédansuneautrepiècepour

sedéclarer laguerre–àcroirequ’ellesontunsixièmesenspoursentirque j’ai lesbrasdans l’eaujusqu’auxcoudes.Toutàcoup,unhurlements’élèveetIslafondenlarmes.Jepousseungrossoupiretabandonnemalessive.Gardermespetitessœursn’estpasdetoutrepos.Jecomprendsqu’ellesenaient marre de tourner en rond dans l’appartement, mais je commence mon service dans trenteminutes ; je n’ai plus le temps de les emmener se promener. Comme maman ne rentrera pasavant19heures,mamievabientôtarriverpourmeremplacer.

–Cookiiiiiiie!crieMaisie.Viensm’aider!Dèsque je franchis laportedusalon, Isla se jetteàmoncouensanglotantetMaisieme tend le

pauvreromanmaltraité.Despagesfroisséesjonchentlesolautourd’elle.–Isla!jegronde.Mêmesituesfâchée,tunepeuxpasdéchirerleslivres,surtoutquandilsnesont

pasànous!–Ilestnul!décrète-t-elle.–Ilestsurtoutfichu.Jelarepoussepourinspecterlesdégâts.–ÇateferaitplaisirsiMaisieabîmaittesaffaires?–Jeladéteste!–Moiaussi,jetedéteste!rétorqueMaisie.Cookie,elleestinsupportable;jelisaistranquillement,

etregardecequ’elleafait!–Jevoulaisjustequ’ellejoueavecmoi,pleurnicheIsla.Parfois, je me dis que je devrais devenir diplomate. Ça ne doit pas être plus difficile que de

maintenirlapaixentrecesdeux-là.– Personne ne déteste personne. Allez, essuyez-moi ces larmes. Ça vous tente, des toasts au

fromage?VouspourrezlesmangerdevantleDVDdeLaReinedesNeiges.Isla,excuse-toiauprèsdeMaisieetramassecepapier,tuveux?Ellem’obéitenmarmonnant.Jelisseuneoudeuxpagesdansl’espoirdelesrépareravecduScotch,

maisilenmanquedesmorceaux.LeprochainlecteurdecetexemplairedeCharlieetlaChocolaterieauraintérêtd’avoirdel’imagination!Jesuisentraindepréparerlestoastsquandjereçoisunmessagedemamie:ilyaunproblèmesur

salignedemétro,etelleauraunedemi-heurederetard.«Pasdesouci»,jeréponds.Onm’attendaurestaurantdanscinqminutes.Sijelaisselesfillesdevantleurfilm,ellesdevraient

se tenir tranquilles.Toutàcoup,uncride joie retentitdans lasalledebains.Enallantse laver lesmains,Islaadécouvertlabaignoirepleinedemousseets’estempresséed’yplongerdeuxpoupées.–Qu’est-cequec’est?medemandeMaisie.–Jefaisaislalessive.Onn’apasd’argentpourlalaverie.–C’estcommedanslesdessinsanimés,s’amuse-t-elle.Ilyadesbullespartout!–Maisie,laisseIslajouerunpeu,etquandelleenauramarre,tun’aurasqu’àappuyersurlebouton

pourlancerLaReinedesNeiges.Mamienevapastarder,detoutefaçon.–D’accord.–Super.Ilfautquejefile.Tuvast’ensortir?Isla se retourne et colle de la mousse sur le nez de sa sœur, qui éclate de rire. La guerre est

officiellementterminée.Jem’éclipsediscrètementpendantqu’ellestransformentlasalledebainsenpiscine.Aumoins,ellesserontpropres,etmamien’auraplusqu’àessorermonjeanetàlemettreàsécher.Jedescendsencourantl’escalierquimèneauDragondePapier.Danslacuisinerempliedevapeur

brûlante,ChangetLiu,lescuisiniers,jonglentaveclescouteaux,leswoksetlescasserolessanscesserdediscuter.Jeleurfaisunpetitsignedelamain,attrapemontablieretjetteuncoupd’œilverslasalle,comme

toujoursbondée.Mamanmesourit.Elleportesonuniformedeserveuse:unerobeàcolMaoensoie

noire brodée de dragons dorés. Elle est en train de servir des desserts à l’une des grandes tablescentrales.Depuissonarrivée,leschosesontbienchangéaurestaurant.MrZhaon’arrêtepasdedirequ’elleluiportebonheur–mêmesi,cesdernierstemps,jelatrouvetristeetfatiguée.Illuiafalludeuxanspourremboursersonprêtetréglertoutesnosdettes,etonnerouletoujours

passurl’or.Lavien’estpasfacilepourelle.–Allez,Cookie,mehouspilleMrZhaoenentrantdanslacuisinepourrécupérerdeuxbolsdesoupe

auxraviolis.Arrêtederêvasser,mets-toiautravail!Je remplis le lave-vaisselle, puis me tourne vers les immenses casseroles et les woks qui

encombrent l’évier.Mamanm’apporte une pile d’assiettes sales et s’apprête à repartir avec quatreportionsdenouillessautées.–Jake,tucroisquetupourraismedonneruncoupdemain?MrZhaoattenduncoupdefild’un

fournisseur,etlatablesixabesoind’êtredébarrassée.–C’estcommesic’étaitfait!Jelissemontablieretm’empared’unplateau.Lasixest lagrandetablecirculairedontmamans’occupait toutàl’heure.Lesclients,heureuxet

détendus,discutentenbuvantdu théau jasminouen terminant leursverresdevin. Jecommenceàrassemblerleursassiettesavecunsourirecrispé.MrZhaon’aimepasquejesoisensalle.Ilmetrouvetropjeune,tropinexpérimenté,troptimide.Il

préfère que je reste en cuisine.En cemomentmême, ilme surveille depuis le comptoir, pendu autéléphone.Alors que je me penche pour attraper une cuillère, une goutte de liquide atterrit sur la nappe.

Bizarre.Jel’essuieavecuneserviette,maisuneautretombejustedevantmonnez.–Qu’est-cequec’estqueça?demandel’undesclients.–Jenesaispas…Àlatroisièmegoutte,nouslevonslatêtepourvoird’oùvientlafuite.Unegrosse tachesombresedessineauplafond. Ilesthorriblementbombé–unpeucommemon

brasquandjemelesuiscasséàl’âgedehuitans.Soudain,ondiraitqu’ilsemetàvibrer.Autourdelatable,toutlemonderetientsonsouffle.–Çanemeparaîtpasnormal,commentel’undeshommes.Sansblague…Puisleplafondcèdebrusquementetuntorrentd’eautièdesedéversesurlatable.Lesgensreculent

encriant,choqués.Desmorceauxdeplancher,deplâtrehumideetdeslambeauxdepeinturejonchentlanappe,entrelescouteaux,lesfourchettesetlestassesrenversées.Auboutd’unmoment,lachuted’eaufinitparsecalmeretseréduitàunmincefilet.MrZhaorestebouchebée,letéléphoneàlamain.Mamancontemplelecarnaged’unairhorrifié.Ladernièrechosequiatterritsurlatableestunjeantrempésurlequelondistingueencoreunetache

desaucesoja.Jevoudraismourirsurplace.

3

Aprèsquelquesminutesd’unsilencepesant,c’estl’explosion.Levisagecramoisi,MrZhaopousseunvéritablerugissement.–Qu’est-cequetuasfait?Maisenfin,QU’EST-CEQUETUASFAIT?Jenesuispassûrquecettequestionattendeuneréponse,maisjen’aijamaissumetaire.–J’ailavémesaffairesdanslabaignoireparcequ’ilyavaitunetachesurmonjean…–Tuaslavétesaffaires?Danslabaignoire?Tunepouvaispasutiliserunemachineàlaver?Ou

éteindrelerobinet,aumoins?Tuescomplètementstupide,ouquoi?Mesprofesseursmedisenttoujoursdetournerseptfoismalanguedansmaboucheavantdeparler.

Souslecoupdel’émotion,j’oublieencoreunefoisdesuivreleurconseil.–Ducalme,monsieurZhao.Lecôtépositif,c’estquevousn’aurezpasbesoindenettoyerlesol.Maman se cache le visage dans les mains, et je comprends soudain que l’heure n’est pas à la

plaisanterie.–Tutrouvesçadrôle?s’emporteMrZhao.Àcausedetesbêtises,monrestaurantetmaviesont

fichus!Débarrasse-moileplancheravantquejetefassepasserl’enviederigoler!Jereculeverslaporte,maislesclientsencolèrebouchentlepassage.–Commentosez-vousaccusercetenfant?demandel’und’eux.Votreplafondvientdes’effondrer!

J’aibienenviedecontacterlesservicesdel’hygiène.–Jevousenverrailanoteduteinturier,prévientunautre.C’estunehonte!MrZhaoseradoucit.–Jesuisabsolumentnavré…Ilvadesoiquejemechargeraidevosfraisdepressing,et jevous

présente toutesmesexcusespour ledérangementoccasionné.Votreprochainrepasvousseraoffert.J’espèrevousrevoiricibientôt…Touslesconvivesdelasallesecouentlatêted’unaircontrariéetprennentdesphotosdelascène

avecleurstéléphonesportables.Mamans’avanced’unpas,blanchecommeunlinge.–MonsieurZhao,s’ilvousplaît…commence-t-elle.Sonpatronesttropencolèrepourl’écouter.–Laisseztomber,Alison,c’esttroptard.Àlasecondeoùvousavezmislespiedsiciavecvossales

gamins,j’auraisdûmedouterquevousnem’apporteriezquedesennuis.Jesuisruiné!Horsdemavue!

Cettenuit,jeneparvienspasàtrouverlesommeil.Jemerepasselefilmdesévénementsjusqu’àen

devenir fou. Pourquoi n’ai-je pas vidé la baignoire avant de partir ? Pourquoi n’ai-je pas attendul’arrivéedemamie,quitteàêtreenretard?Etpourquoiai-jevoululavercefichujean?Enplus,Harrym’atéléphonéhiersoirpourannulerleconcert–sonfrèrel’aprévenuquel’entrée

était interditeauxmineurs.Etmêmeavecdes faussescartesd’identité,personnenenousdonneraitdix-huitans.Maman etmoi n’avons pas tardé à découvrir le finmot de l’histoire : en attendantmamie,mes

sœursontdécidédenettoyerlasalledebains.AlorsqueMaisierinçaitmonjean,unepièceesttombéede ma poche. Ravies, Isla et elle sont parties en oubliant de fermer les robinets pour acheter desgâteauxàl’épicerieducoin.Surlecheminduretour,ellesontrencontrémamie,quilesaemmenéesfairedelabalançoireauparc.Ellesnesontrentréesquedixminutesaprèslacatastrophe.J’aibeautournerleproblèmedanstouslessens,jesuisleseulresponsable.C’estmoiquiairempli

la baignoire, moi qui ai cru qu’un peu demousse et un DVD suffiraient à occuper mes sœurs enl’absencedemamie,moiencorequiailaissétraînerunepièceaufonddemapoche.Maisieaseulementvoulum’aider.Jen’auraispasdûlalaisserseuleavecIsla.Jefinisparm’endormirvers5heuresdumatin.Quandjerefaissurface,ilestpresquemidi.Entendantdesvoixdanslesalon,jedescendsl’échelleetcollemonoreilleàlaporte.Messœursse

taquinentgentimentdevantlatélévision,maiscen’estpascequim’inquiète.MrZhaoestlàluiaussi.Iln’apasl’aircontent.–Vousnepouvezplusutiliserlasalledebains,décrète-t-il.Non,non,non.J’aibouchéletrouavec

uneplanched’aggloméré,maisjenepeuxpasgarantirquecesoitassezsolide.Tenezvosenfantsàl’écartdecettepièce.Commevousauriezdûlefairehier,d’ailleurs!–Monsieur Zhao, nous nous sommes déjà excusés plusieurs fois. Que vous faut-il de plus ? Et

commentvoulez-vousquejelesempêched’entrerdanslasalledebains?Ilfautbienqu’ilsselavent!Notrepropriétairemarmonnedanssabarbequeçanedevraitplusposerproblèmetrèslongtemps.

Apparemment,ilnenousapasencorepardonnéletsunamid’hier.Ilajoutequelerestaurantvafermerpourtravauxetquenousferionsbiendepartirleplustôtpossible.Jemefige.Partir?Commentça?Jemeplaqueunpeupluscontrelaporte.–Regardonsleschosesenface:cetappartementn’estplusenétatd’êtrehabité.C’estuneruine,un

dangerpublic!Jeserrelesdents.Ruineoupas,c’estcheznous.–Laissez-moiquelquesjourspourmeretourner,répondmaman.Dèsquej’auraiexpliquécequise

passeauxenfants,nousferonsnoscartons.Àtraversunefissure,jedistingueMrZhaoplantédevantelle,lesbrascroisésetlevisagefermé.En

mêmetemps,cen’estpassurprenant;jenel’aiquasimentjamaisvusourire.–Biensûr,biensûr,grommelle-t-il.Jenevaistoutdemêmepasvousjeteràlarue.–Nousdéménageronssamediprochain,prometmaman.Désoléequeçasetermineainsi.–Moiaussi.Moiaussi,Alison.Jemordslamanchedemontee-shirtpourm’empêcherdeluihurlerdesinsanités.J’aidéjàcausé

assez de problèmes. Je ne pensais pas que la situation pouvait encore empirer – mais commed’habitude,jemetrompais.

Jecroisquecettefois,onatouchélefond.

4

MrZhaoatendudesbandesderubanadhésiforangeautourdelasalledebains.Ondiraitunescènedecrime–etdesonpointdevue,c’estsansdoutecequ’elleest.Aprèsunerapidetoiletteaulavabo,j’enfileuntee-shirtetlepantalondejoggingquejeportaishier.Lamoquettedusalonesthumidesousmespiedsnus.Jemedirigeverslacuisinepourmeservirunboldecorn-flakes.Aveclechauffagerégléàfond,onsecroiraitdansunsauna.Toutes lesfenêtressontouvertes,et

messœursregardentlatélévisionenmaillotdebain.Mamanseprépareunetassedethé,l’airfatiguéetlesyeuxcernés.–Alorscommeça,ondéménage?jeluilance.–Lesmursontdesoreilles, à ceque jevois…Jecomptaisvous l’annoncerbientôt.Tupourrais

attendreencoreunpeuavantd’enparlerauxfilles?Celles-ciontabandonnéla télépour jouerauxnaufragésavec leurspoupées.J’aimalaucœuren

pensantàcequ’ellesvontdevoirendureràcausedemoi.– Qu’est-ce qui va se passer ? je demande. On va vivre chez mamie ? Chercher un autre

appartement?Ounousinstallerdansunhôtelmiteux?Mamanlèvelesyeuxauciel.–Riendetoutcela,Jake.Enfait,j’airencontréquelqu’un.Unhommeadorableavecquijevoudrais

refairemavie.Nousallonsemménagerchezlui.Jemanquedem’étrangleravecmescéréales.Mamanmemontredesphotosdesoncopainsursontéléphone.Minceetbronzé,ilporteunegrosse

barbe,delonguesdreadlocksramasséesenqueuedechevaletuntee-shirt«Tibetlibre».Commesiuntee-shirtpouvaitchangerquelquechose!–Maismaman,ilesttropbizarre!–Pasdutout.Ilestdoux,gentiletassezouvertd’espritpourentamerunerelationavecunemèrede

troisenfants.Cen’estpasrien.Jejetteuncoupd’œilverslesalonoùIslaetMaisiesontentraindesortiruneplantedesonpot

pouryenterrerunepoupée.Cehippien’apaslamoindreidéedecequil’attend.–C’estunamidufrèredeLouParker,m’expliquemaman.Louestunedesesplusvieillescopines.Ellealescheveuxrosesetdestasdepiercings.–Ons’étaitdéjàrencontréslorsd’unefêteilyadesannées.Etlemoisdernier,quandjesuisallée

fairemonstagederéflexologie,jesuistombéesurlui.Ildonnaitdescoursdetai-chi.Qu’est-cequetu

veux,c’estledestin!Ledestin,tuparles.Unemauvaiseblague,oui!Maispourunefois,jegardemaréflexionpourmoi.

Maman croit beaucoup au destin, ainsi qu’aux prédictions des fortune cookies, aux horoscopes, auyogaetàlamédecineparlesplantes.Lorsquej’aieudespouxàl’âgedehuitans,ellem’abadigeonnéla têted’huileessentielled’arbreà thé.Çasentait tellementfortquepersonnen’avoulus’asseoiràcôtédemoiavantdessemaines.Pasétonnantquelespouxsesoienttenusàl’écart.–Ils’appellecomment,cesaletype?–Ce n’est pas un sale type, Jake ! Il s’appelle Pete Shedden,mais tout lemonde le surnomme

Sheddie.Ilestformidable;jesuissûrequetuvasl’adorer.–Sheddie?Sérieux?Cen’estmêmepasunnom!–C’estunsurnom,commejeviensdeteledire.Laisse-luiaumoinsunechance!Jenesuispasdutoutconvaincuparcebarbuaunomridicule.Ondiraitunemarquedebonbonsou

decroquettespourchiens.Etpuis,jen’aipasenviededéménagerencoreunefois.Depuisquejesuisné,onn’estjamaisrestésquelquepartplusdedeuxans.MêmequandonvivaitavecRick,onbougeaitsansarrêtparcequ’iln’arrêtaitpasdesefairerenvoyer.Voici la listede tous les endroitsoù j’aihabité jusqu’ici : chezmamieàBethnalGreen, lorsque

j’étais tout bébé ; dans un meublé quelques rues plus loin à l’époque où maman et elle étaientfâchées;dansuntasd’appartementsdifférentsavecRickàManchester;etenfindansceminusculetrouàratsau-dessusduDragondePapier.Jen’aiaucuneintentiondefairemesvalisespourallerjouerlesfamillesrecomposéesavecuntype

quejen’aijamaisvu.Cettehistoirevamalfinir,c’estcourud’avance.Attirées par le bruit de nos voix et l’atmosphère électrique, mes sœurs nous rejoignent dans la

cuisine.QuandMamanleurproposedes’asseoiravecellesurlecanapé,ellesmejettentdesregardsinquiets.–Est-cequ’onvadéménager?demandeIsla.–Ehbien,vu l’étatde l’appartement,onnepeutpasvraimentrester ici, répondmamand’un ton

léger.Alorsoui, jepensequeceseraitlameilleuresolution.Nousallonsvivreunpeuplusaunord,dansunevillequis’appelleMillford.Unegrandemaisonavecunimmensejardinnousyattend,etilyaunparcjusteàcôté!Latristesseetlacolèresedisputentenmoi.Mamanadéjàtoutprévusanssesoucierdenotreavis.–Est-cequ’onaurachacunnotrechambre?l’interrogeMaisie.–Jenesaispasencoresiondormiradanslamaison,avouemaman.Sansdoutepasaudébut.–Hein?Maisonvadormiroù,alors?jem’offusque.Dansunetenteaufonddujardin?–Pasunetente,uneyourte,marmonnemamand’unairgêné.J’éclatederire,parcequejen’arrivepasàcroirecequej’entends.Etpuisjemesouviensqu’onva

êtreexpulsésàcausedemoi,etmonrires’étrangledansmagorge.–Onpartpourlesvacances?intervientIsla.Moi,jepréféreraisallersurlaCostadelSolcomme

macopineEvieàPâques.Elleadormidansungrandhôtelavecunepiscineetellearamenéunâneenpeluche.Çameplairaitbeaucoupplusquelecamping…–Non, la corrigeMaisie, on va vivre là-bas pour de bon. Pas vrai,maman ?Dis, on pourra en

profiterpourprendreunchien?J’aitoujoursrêvéd’avoirunlabrador.–Onverra.Entoutcas,ilyadéjàdespoules,etSheddieaplantéungrandpotager.Onserapresque

autonomes.

–Despoules?répèteMaisie.–Unpotager?faitIsla.Aprèsdeuxanspassésau-dessusduDragondePapier,àmangerdesrestesdeporcaigre-douxetde

rizcantonais,ellesdoiventavoirdumalàimaginerqu’onpuissefairepoussersespropreslégumes.PuisIslafroncelessourcils.–C’estqui,Sheddie?Mamanrougit,avantdeleurexpliquerquec’estungentiléducateuretprofesseurdetai-chiquifait

aussidelasculpturesurbois.–Oui,maisc’estqui?insistemaplusjeunesœur.Tonnouvelamoureux?– En effet, admetmaman. Je suis sûre qu’il vous plaira ! Il va venir passer quelques jours à la

maison,pourquevousfassiezconnaissance,etnousrepartironstousensemblepourMillford!Cen’estpasunventderomancequisoufflesurnotrefamille,maisunevéritabletornade.Maman

n’apasperdude temps.Pourtant, je suisconvaincuquesans lesmenacesd’expulsion,ellen’auraitjamais emménagé avec ce type aussi vite.Quant àmoi, entre un appartement inondé et uneviedehippie,jenesaispascequejeredouteleplus.–Onpartsamediprochain,c’estça?jedemande.–Oui,dèsqu’onaurafaitnoscartons.Aufond,c’estunebonnechose,Jake.Essaiedecomprendre!Maisjenecomprendsplusrien,justement.Jebousintérieurement.Sijen’avaispasfaitn’importe

quoi,nousnenousretrouverionspasàlarue.Pourquoifaut-iltoujoursquejegâchetout?Jecoursm’enfermerdanslachambreenclaquantlaportederrièremoi.Ellemanquedesortirdeses

gonds, mais je m’en fiche – de toute façon, cet appartement tombe déjà en miettes. Les épaulescouvertes de poussière de plâtre, jeme réfugie dansmon lit, le seul coin où je peux avoir un peud’intimité.Jen’osepasimaginercequeceserasouslayourte…Àplatventresurlematelas,jeclignedesyeuxpourrefoulermeslarmesetserrelespoingssifort

quemes onglesme rentrent dans la peau. Pourquoi le sort s’acharne-t-il toujours sur lesmêmes ?C’estl’histoiredemavie.Àl’école,HarryetMitchsontlesplusdissipés,maisc’esttoujoursmoiquisuis puni. J’ai le chic pourme trouver aumauvais endroit aumauvaismoment. Et surtout, je suisincapabledemetaire.Jen’aidécidémentpasdequoiêtrefier.Mesdéfautsontfiniparseretournercontremoi,etc’estmamanetmessœursquienpaientleprix.

Si seulement j’avaisdequoi rembourser lesdégâtsque j’aicausés…MrZhaoaccepteraitpeut-êtrequenousrestions.Laculpabilitémetordleventre.Fouderage,jedonneungrandcoupdepoingdanslemur.Cette fois, ce n’est pas du plâtre qui en tombe mais le billet de train pour le Somerset et la

prédictiondufortunecookie.«Votrevievabientôtdevenirintéressante.»Siçacen’estpasunsignedudestin…

5

EtvoilàquejemeretrouveàarpenterlesruesdeLondresà4heuresunsamedimatin,aussiaccabléque si je portais le poids dumonde surmes épaules, avecpour seul espoir la lettre d’une fille quiprétendêtremademi-sœur.Jemesenstellementcoupablequejeferaisn’importequoipourréparermes bêtises. Pour le moment, je ne sais pas encore exactement comment m’y prendre, mais çaviendra.J’aiemportédessandwichsaufromage,unpaquetdechips,dessous-vêtementsetuntee-shirtde

rechangedansmonsacàdos.Etdanslapochedemonjeanpréféré,toujourstaché,j’aiglissélebilletde train, la prédiction du fortune cookie et la somme mirobolante de 9,52 livres – toutes meséconomies.Ilesttempsdemejeteràl’eau.Comme lemétro n’a pas encore commencé à fonctionner, jeme dirige vers un arrêt de bus. Je

croise des sans-abri endormis sous des porches, roulés dans leurs sacs de couchage sous descouvertures de survie. Les battements de mon cœur s’accélèrent ; il faut vite que je trouve unesolutionànosproblèmes,sinonnousrisquonsdeconnaîtrelemêmesortqu’eux.Les trains à destination d’Exeter partent de la gare de Waterloo. Je traverse donc la Tamise,

illuminée par le soleil levant. Une fois de l’autre côté, je découvre que le service ne débutequ’à9heures.Après avoir achetéunchocolat chauddansun standquivientd’ouvrir, jem’assiedsdansuncoinpourréfléchir.On pourrait croire que j’abandonne le navire,mais c’est tout le contraire. Jeme suis donné une

semaine pour trouver unmoyen de sauverma famille. Je ne suis pas un fugitif,mais un agent enmission.Ce que j’ai écrit sur la vitrine du Dragon de Papier était unmessage d’excuse.Maman, Isla et

Maisien’ontpasàpayerpourmeserreurs.Sansmoi,ellesvontpouvoirreprendreunevienormale.Peut-êtrequemamannesesentiraplusobligéed’emménageravecsonSheddie.Je ne suis pas idiot ; jeme doute quemes excuses ne suffiront pas.Mais j’ai un plan, un plan

complètementfouquivautlapeined’êtretenté.Jevaisretrouvermonpère.Pasparcequ’ilalaisséunvidedansmonexistenceniparcequej’aibesoindelevoir,d’entendresaversiondel’histoireoudeluiprouverquejem’ensuissortisanslui.Non,mesmotivationssontbeaucoupplusterreàterre:jecompteluidemanderdel’argent.

Aprèstout,ilmedoitbiença!Ilnem’apasvugrandir,nem’ajamaisrenduvisite;jen’aijamaisreçu lamoindre carte ni lemoindre coupde fil de sa part. Si j’étais à l’hôpital en train demourird’unemaladiegrave,ilnelesauraitmêmepas.Jepourraisaussiêtreundélinquantouuncriminelenpuissance–d’ailleurs,mesprofesseursm’accusent parfois d’enprendre le chemin.Enfin, oublionsça;c’estunpeutropprochedelavérité.Cequejeveuxdire,c’estqu’ilnem’ajamaisriendonnédepuisquejesuisné.Iln’apasverséde

pensionàmaman–sinononn’auraitpasétéaussipauvres,etellen’auraitpaseubesoindetravaillerla nuit au supermarché deManchester ou de s’épuiser à la tâche sept jours sur sept auDragon dePapier.Simonpèreavaitmislamainàlapoche,onauraitpusepermettredefaireréparerlamachineà laver, ou au minimum d’aller à la laverie. Je n’aurais pas dû laver mon jean préféré dans labaignoire.D’ailleurs, puisqu’onparle de ça, autant être honnête : quand je dis « jean préféré », çasignifiesurtoutquejen’enaipasd’autre.Jenemefaisaucuneillusion:monpèren’estpasquelqu’undebien.Maisd’aprèsHoney,ilade

l’argent.Alorsjevais luidemanderdepayerlesréparationsdurestaurantetdel’appartement.Commeça,

M.Zhaoneserapasruiné,etilnenousmettrapasàlaporte.Siçasetrouve,monpèrenousaideramêmeàdénicherunappartementsanstachesdemoisisurlesmurs.J’espère quemes demi-sœursme soutiendront etm’expliqueront comment le contacter.Ce n’est

peut-êtrepasl’idéedusiècle,maisc’estmieuxquerien.Enattendant, j’auraiunendroitoù loger,etcesera l’occasionde faire leurconnaissance.Jedois

reconnaîtrequejesuiscurieux.Est-cequej’auraid’autrespointscommunsaveccesquatrefillesquipartagentmonADNetmacouleurdecheveux?Vont-ellesmecomprendre,m’apprécieretnepasvoirenmoiqu’une«catastropheambulante»?Onpeuttoujoursrêver.Ilestbientôtl’heured’embarqueràborddemontrain.Tandisqu’ilfilehorsdelaville,jedéguste

mes sandwichs en me réjouissant d’avoir échappé pour un temps au propriétaire grincheux et auhippieàdreadlocks.Lalibertéaquelquechosedegrisant.JesorsmonportablepourenvoyeruntextoàMaisie.C’estunappareilpremierprixquejemesuis

offertaveccequej’aigagnépendantlesvacancesdePâques.Quantàceluidemasœur,ilappartenaitàmamieavantqu’ellenousledonnepourlescasd’urgence–etaujourd’hui,jecroisquec’enestun.Ça va ? Ne montre ce message à personne et préviens-moi quand tu es seule, je

t’appellerai.

Saréponsearrivequelquesminutesplustard.

Tu peux essayermaintenant ? Jeme suis enfermée dans la salle de bains, avec les

robinetsouverts.

Là,jepaniqueunpeu.Dèsqu’elledécroche,jeluidemande:–Commentça,aveclesrobinetsouverts?Faisattention,Maisie!–C’estpourquemamanpensequejesuisentraindemelaver!Jen’aipasl’intentiondeprovoquer

unenouvelleinondation.Tumeprendspouruneidiote,ouquoi?

–Maisnon!Jevoulaisjustevérifierquetoutallaitbien.Bon,tuessûrequepersonnenet’entend?–Sûre.Mamanpassel’aspirateuretIslaregardelatélé.–OK.Nedisàpersonnequejet’aiappeléeniquetum’asvupartir.Promis,Maisie?C’esttrès,

trèsimportant.–Promis,répond-elled’unepetitevoix.Tuespartipourtoujours,Cookie?–Maisnon ! Je cherche seulementunmoyend’arranger les chosespour éviter qu’on aille vivre

aveclenouveaucopaindemaman.Onpourrarestercheznous,etlasalledebainsserarefaiteàneuf.Oualors,onsetrouveraunnouvelappartement,avecunechambrechacun.Jereviendraidèsqueceseraréglé.Enattendant,ilvafalloirquetumecouvres,d’accord?–J’aidéjàcommencé.MrZhaoestvenufrapperàlaportetoutàl’heurepourdireàmamanquetu

avaistaguélavitrinedurestaurant.Ellen’apasappréciéquetuluiaiespiquésonrougeàlèvresneuf.–Çamesemblaitplusfacileànettoyerquedelapeinture.JevoulaisqueMrZhaosachequej’étais

désolé!–Jecroisqu’ilacompris,comme tous leshabitantsde la rue !En toutcas,mamanétait trèsen

colère.Quandelleestvenuetechercherdanslachambre,jeluiairacontéquetuétaischezHarry.–Merci,Maisie.Bienjoué.–Tuvasrentrerquand?Cesoir?Ilfautquetutedépêches.Sheddiedoitarriverdemain,etmaman

n’arrêtepasdeparlerdesayourte.Letrainprenddelavitesse,etmontéléphoneadumaltrouverleréseau.–Non,Maisie,jenerentreraipasaujourd’hui.Ilvamefalloirunpeudetemps.Maisnet’inquiète

paspourlehippie,jem’enoccupe.Promets-moijustedegarderlesecret.Etn’oubliepasdefermerlesrobinets!Puis la communication est coupée. J’espère qu’elle a reçu lemessage. Je pousse un gros soupir.

Décidément, je rate tout ce que je fais ; même mes excuses ont été prises pour des graffitis.Heureusement que Maisie a assuré. Grâce à elle, maman pense que je suis chez Harry. Elle doitsupposerquejemecachelà-baspouréviterderencontrersoncopain.C’estsansdoutecequej’auraisfaitsanscebilletdetrainprovidentiel.Dèsqueleréseaulepermet,j’envoiedestextosàHarryetàMitchpourleurexpliquerlasituation,

etunàmamandisantquejevaisresterquelquesjourschezHarry,letempsqueMrZhaosecalme.Ne t’inquiètepas.Jeseraide retouren findesemaine,etpeut-êtrequeça iramieux

d’icilà.Désolédetecauserautantdesoucis.Bisous.Jake.

Puisjerangemonportableetregardelepaysagedéfilerderrièrelafenêtre.J’espèrevraimentque

toutsepasserabien.Quoiqu’ilensoit,jen’aipasl’intentionderesterassisdansuncoinpendantquelescatastrophes

s’enchaînent.Ilesttempsdereprendremondestinenmain.Jen’aiqu’àmedirequec’estuneaventure:jesuisunsuper-hérosadolescentenquêtedejustice,

d’unplafondneufetd’unsoldesalledebains.Çanemesemblepastropdemander.

6

Le trainmetuneéternitéàatteindreExeter.Une fois là-bas, jem’aperçoisqu’ilme resteencoredeux bus à prendre. Je parviens àme faufiler derrière un groupe d’élèves, puis àmemêler à unefamilledetouristes.Maisjecommenceàperdrecourage.Finalement, layourtedeSheddievaudraitpeut-êtremieuxque la campagneduSomerset.À travers la vitre, je vois défiler des kilomètres deprairiesaumilieudesquelssedressentdetempsàautrequelquesvillagesisolés,commepourrompreunpeulamonotoniedupaysage–sanssuccès.Pasétonnantquemamystérieusedemi-sœuraitdécidéderetrouvermatrace;elledoits’ennuyerà

mourirdanscetrouperdu.Enfin,jedescendsdubusàKitnoretjedemandeàunedamecommentmerendreàTanglewood.Ellemedessineunecartesommaireaudosd’uneenveloppe.Toutenlongeantlaroutequ’ellem’a

indiquée,jepriepourquecevoyagenesoitpasuneénormeerreur.Aprèstout,riennemeprouvequeHoneysoitbiencellequ’elleprétendêtre.Puisjerepenseauxphotosdesquatrefillesblondes,etjesuisunpeurassuré.Jenedoispasoublierquecetteaventuredoitmepermettrededécouvrirlavéritéausujetdemon

père.C’estmaseulechancedesauvermamanetmessœurs,etjen’aiqueseptjourspourréussir.Cen’estpaslemomentdemedégonfler.D’unautrecôté,jenevaispasvousmentir:lorsquejem’avancedansl’alléedegraviermenantàla

grandemaison des Tanberry, je tremble comme une feuille. Il y a dumonde : pasmoins de cinqvoituresetdeuxfourgonssontgarésdevant l’entrée.En jetantuncoupd’œilà travers la fenêtredederrière,jedistingueunefouledegensàl’intérieur.J’arrivepeut-êtreaubeaumilieud’unefête?Jerassemblemoncourage,m’approchedelaporteetfrappetroisfois.

Unjeunehommeàlunettesvientm’ouvrir.Ilestéquipéd’unénormemicropoilucommeonenvoit

parfoisàlatélévision.C’estunpeuintimidant.Jevérifiemonplan,craignantdem’êtreégaré.Pourtant,j’aisuivilesindicationsdeladame,etily

avaitunpanneau«Tanglewood»auboutdel’allée.Oùest-cequejesuistombé?–Oh,tevoilà!s’exclamelejeunehommecommes’ilm’attendait.Tuasuneheured’avance.Où

esttaguitare?

–Quelleguitare?–Trèsdrôle.Tupeuxretournercheztoilachercher?–Aucunechance.Je ne sais pas pour qui il me prend, mais je n’ai jamais eu de guitare. Ni aucun instrument,

d’ailleurs.Jen’aipasl’oreillemusicale.–Ah,lesgosses!grommelleletype.Jeterappellequetuvaspasseràlatélé!C’estpeut-êtreta

chancededevenircélèbre,ettoi,tut’enfiches.Enfin,entre.Tupourrasdonneruncoupdemainpourlascènedel’emballage.Suislemouvementetrestenaturel.Suivrelemouvement?Resternaturel?Résistantàl’enviedem’enfuirencourant,j’entredansla

cuisined’unpasaussinonchalantquepossible.J’ail’impressiondedébarquerdansunasiledefous.Ilyadescaméras,desmicros,deshaut-parleursetdesprojecteursaveuglantsdanstouslescoins.

D’immenses parapluies blanc et argent sont disposés à des endroits stratégiques afin de refléter lalumière,etdestasdetechnicienss’occupentderéglerlesobjectifsetleson.Au milieu de ce bazar, une famille est rassemblée autour d’une table couverte de boîtes

enrubannées,à côté de laquelle est posée une grande caisse en bois. Je reconnais tout de suitemacorrespondante.Elleestencoreplusjoliequesurlaphoto,bienqu’elleaitl’aircontrariée.Jerepèreaussilesjumelles,ainsiqueleurdemi-sœurbrune.Quantàlaplusjeune,elleestentraindegrimacerparcequ’unemaquilleuseessaiedeluimettredelapoudresurlevisage.Unefemmeblondeetunhommebrun–leursparentssansdoute–semblentattendrelesinstructions

del’équipe.Bizarre.Le côté positif, c’est qu’il y a tellement de gens dans cette cuisine quemon arrivée est passée

inaperçue.–Bien,onvareprendredepuisledébut,annonceunefemmearméed’unbloc-notes.Çadoitêtreellequidirige,cartoutlemondesetait.– Paddy, Charlotte, je voudrais que vous expliquiez aux filles que vous avez reçu une nouvelle

commandeetquevousavezbesoindeleuraidepouremballerleschocolats.OK?–OK!répondent-ilsenchœur.–Alorsonyva.Çatourne.Faitescommesinousn’étionspaslà;nousallonsfilmerunseulplan-

séquence, qui sera recoupé aumontage.Ne vous inquiétez pas si vous vous trompez. Le but, c’estd’obteniruneambiancedétendue,avecdesimagesprisessurlevif.Action!–Et legarçon? intervient le typequim’aouvert laporte.Vousnevoulezpasqu’il rejoigne les

autres?–Quelgarçon?demandelafemmeaubloc-notes.Soncollèguemedésignedudoigt.–Celuiquiaoubliéd’apportersaguitare.Commenttut’appelles,déjà?–Jenevousl’aipasdit.Touslesregardssebraquentsurmoi.Finil’anonymat.–Onneseconnaîtpas,si?m’interrogepolimentl’hommebrundeboutprèsdelatable.Jeluidécocheunsourirecrispé.–Non,jenecroispas…Lafemmeblondemedévisage,perplexe,lesbraschargésdeboîtesmulticolores.

–Quies-tu?J’ouvre la bouche, puis la referme sans rien dire. Je viens deme rappeler un passage d’une des

lettres.«Jen’aipasencoreparlédetoiauxautres,maisilsvontêtrefousdejoie.»Honeynelesapasprévenus!Qu’est-cequim’aprisdedébarquercommeça?Dansmatête,c’étaitpourtanttrèssimple:j’allais

chezeux, je récupérais lescoordonnéesdemonpère,et je repartaisavecassezd’argentpour réglertousmesproblèmes.J’auraisdûmedouterqueçasepasseraitautrement.Avecmoi,rienn’estjamaissimple.J’ai toujoursdumalàm’habituerà l’idéed’avoirdesdemi-sœurs, et àpartHoney,aucunen’est

doncaucourantdemonexistence.Jepourraistenterdeleurexpliquer,maisjen’aipasfranchementenviedelefairedevantuneéquipedetélé.J’observelesfillesassisesautourdelatable.Leursvisagessontdurs;leurssourcilsfroncés.Puis

mesyeuxseposentsurHoney,quimecontemple,ébahie.–Jake?souffle-t-elle.C’estbientoi?Jejettemonticketdetrainsurlatable.–Jepassaisdanslecoinetj’aivouluenprofiterpourtesaluer.Maisjevoisquejetombemal…Je recule d’un pas etme cogne dans l’évier. Des techniciensme bouchent la sortie. Impossible

d’échapperàHoney,quiseprécipiteversmoi.–Ohlàlàlàlà!Jake!Jen’arrivepasàycroire!Ellesejetteàmoncou.Jecommenceàpaniquer,surtoutquel’undescadreursfilmetoutelascène.

Verra-t-onàl’écranquejesuisterrifié?Honeys’écarteenfinpourmeregarder.–C’estqui?intervientlaplusjeunedesessœurs.Jesuisperdue!–Nousaussi,renchérituneautre.Honey,tuveuxbiennousexpliquer?–Oui,Honey,quesepasse-t-il?l’interrogelafemmeblonde.Honeysetourneverssafamille.–Vousn’allezpasencroirevosoreilles.JevousprésenteJakeCooke.J’aidécouvertsonexistence

quandj’étaischezpapaàSydney.Ilaquatorzeans–unpeuplusqueCocoetunpeumoinsquelesjumelles.Cenomneterappellerien,maman?Cooke?–Non,jenevoispas,répondlafemme.Mais jedétecteun léger tremblementdanssavoix,etelleme regardeavec insistance,commesi

j’étaisuneénigmequ’ellecherchaitàélucider.Jen’osepasimaginercequ’ellepenseencetinstant.–Jen’étaispascenséetombersurcesinformations,reprendHoney.Maisc’estarrivé,etj’aipréféré

commencerparentrerencontactavec lui.Si jenevousai riendit,c’estparceque jenesavaispascomment m’y prendre. Je ne voulais pas te faire de peine, maman. Et je ne m’attendais pas unesecondeàcequeJakedébarquesansprévenir!Siseulementellenem’avaitjamaisenvoyécebilletdetrain…Honeypassesonbrassouslemienavantdeconclure:–Çavavousfaireunchoc,maisautantcreverl’abcèstoutdesuite.Jakeest…oh,vas-y,dis-leur!J’ailagorgetellementsèchequejenesuispassûrdepouvoirprononcerunmot.Unperchistetend

sonmicroau-dessusdemoipendantqueHoneymepousseducoude.Alorsjemelance.–Jem’appelleJake,etjecroisquejesuisledemi-frèredeHoney.

Autourdelatable,unmélangedestupéfactionetd’horreursepeintsurlesvisages.Jecontinue:–Doncjesuissansdoutevotredemi-frèreàvousaussi.Lemondeestpetit,hein!–Papaaeuuneaventure,ajouteHoney.Ilyadesannéesdeça,quandonétaitpetites.EtJakeestné

de cette liaison. Je l’ai découvert, je lui ai écrit, etmaintenant levoilà. Il fait partiede la famille,non?Lafemmeauxcheveuxblonds laisse tomber lesboîtesdechocolatsqu’elleavaitdans lesbraset

s’écroulesurunechaise,blanchecommeunlinge.–Coupez!lancelaréalisatrice.Coupez,arrêteztout.Qu’est-cequec’estquecettehistoire?Personnenerépond.Letypeauxlunetteshausselessourcilsavecunsourireencoin.–Hum,seréjouit-il.Jecroisqu’ontientunepépite…

7

Après, c’est un peu la folie. Toutes les sœurs parlent en même temps, et elles ont l’air plutôtfâchées ; Charlotte, leurmère, est en larmes ; et l’homme brun supplie l’équipe de respecter leurintimité.–Nousavonspasmaldechosesàrégler.Cettehistoireneconcernequenotrefamille,paslatélé,

d’accord?–Pasdeproblème,Paddy,lerassurelaréalisatrice.Onvaarrêterlàpouraujourd’hui.Onreprend

demainmatin,vers10heures?–Situveux,concède-t-il.–Moiaussi,jevaisyaller,jemarmonne.MaisHoneymeretientfermementparlebras.–Pasquestion.Ilm’afalluassezdetempspourteretrouver;tunevaspasfilermaintenant!–Ellearaison,intervientPaddy.Laissons-lesrangerleurmatérieletallonsdiscuterausalon.Ilnousfaitsortirdelacuisinetandisquelestechniciensremballentcaméras,microsetprojecteurs.

Je longeuncouloirornédedessinsd’enfantsencadrés–des tachesdepeintureetdesbonshommespailletés sans doute réalisés parmes demi-sœurs.Unmélange d’admiration et d’envieme serre lecœur.Quandj’étaispetit,iladûarriveruneoudeuxfoisquemamanposemescartesdeNoëlsurlereborddelafenêtredenotremeublé;etplustard,àManchester,jemesouviensd’unaffreuxcollagedepâtesfabriquéparIslaquiestrestéscotchéàlaporteduréfrigérateurpendantunmoment.Maisjen’avaisencorejamaisvudespeinturesd’enfantsexposéesainsicommedesœuvresd’art.Lesalonesttoutaussiincroyableavecsesdeuxcanapésenveloursbleuetsagrandecheminéeau

manteauenboissculpté.Degroscoussinssontdisposéssuruntapisorientaltrèsuséquidoitvaloirune fortune. Les filles prennent place sur les canapés sans cesser de chuchoter, Charlotte se laissetomberdansunfauteuiletPaddymefaitsignedem’installeroùjeveux.Jechoisisuncoussin,prêtàmereleverd’unbondencasdebesoin.–Çayest,l’équipedetournages’enva,nousinformePaddy,deboutprèsdelafenêtre.Derrièrelui,j’aperçoiseneffetlesfourgonsquis’éloignentdansl’allée.–Bondébarras,ajoute-t-il.Mêmesijepariequ’ilssontravisdeleurjournée!–Iln’yapastoujoursdescamérasdansnotrecuisine,tusais,merassurelaplusjeunedessœurs.

Ilssontentraindetournerundocu-réalitésurlachocolaterie.

– Ah oui, j’ai oublié de te parler de ça, dit Honey. Maman et Paddy ont créé une marque deconfiseriesdeluxequis’appelleLaBoîtedeChocolats.Tuconnais?Jesecouelatêtesansrépondre.Ilm’arriveparfoisd’acheterunebarrechocolatéeàl’épicerie,maislestrucshorsdeprix,trèspeu

pourmoi.Jeneferaissansdoutemêmepasladifférence.–Vous croyezqu’ils vont utiliser cette scènedans le documentaire ? s’inquièteCharlotte.Aussi

divertissantquecesoit,jedoutequeGregappréciedevoirsonpetitsecretrévéléàlatélévision.Jerougis.Alorscommeça,jesuisjusteun«petitsecret»,quelquechosedontonahonteetqu’il

fautcacher.Commentai-jepucroirequejeseraislebienvenudanscettemaison?– Je vais discuter avec eux, promet Paddy. Ils sont obligés de respecter certaines règles de

confidentialité,d’autantqueJaken’étaitpasaucourantavantd’entrer.–Tuasbienchoisitonmoment!s’amuseHoney.Scèneun,«leretourdufilsprodigue»…action!–Techniquement,jenesuislefilsdepersonneici…–Non,maisc’étaitquandmêmeunesacréesurprise,reconnaîtCharlotte.J’auraispréféréquetume

mettesaucourantavant,Honey.RencontrerJakesansavoirétéprévenuem’afaitunchoc.J’aidumalàmefaireàl’idée.–Jevoulaisteledire,répondHoneyavecunegrimacenavrée,maisjenesavaispascommentm’y

prendre.Jesuistellementdésolée,maman!Jen’avaispasl’intentiondetefairedelapeine!Charlottes’essuielesyeuxavecunmouchoiretrelèvelatête.J’ignoreàquoiellepense,maisça

m’étonneraitquecesoitpositifpourmoi.–Alorscommeça,lance-t-elle,tut’appellesJakeCooke?Jeréprimel’enviedeporterlamainàmonfrontcommeunsoldat.–Oui,m’dame.Pardond’êtrearrivésansprévenir.Jen’aipasréfléchi.Sij’avaiseuunnumérooù

vous joindre, j’aurais sans doute téléphoné. Je n’aurais jamais dû venir. C’était une trèsmauvaiseidée.Charlotterepoussesescheveuxenarrièreetmesourit.–Maisnon, tuasbienfait.C’estunpeudifficilepourmoi, jenevaispasprétendre lecontraire.

Maistueslebienvenu.Jesuissincère.Sionamanquéd’hospitalité,c’estparcequ’onétaitsouslechoc.Etellerecommenceàpleurer.–Tuesvraimentnotredemi-frère?m’interrogelaplusjeunedesfilles.Etpersonnenelesavait?

Raconte-nous!–C’estdingue,renchéritl’unedesjumelles.Onn’avaitmêmepascinqans,mamanétaitenceinte

deCoco,etçan’apasempêchépapad’allervoirailleurs!Sijecomprendsbien,mavieentièrereposesurunmensonge.–Est-cequepapahabitaitaussiavecvous?medemandel’autrejumelle.Est-cequ’ilmenaitune

doublevie?Jenesaisplusoùdonnerdelatête.– Je ne l’ai jamais vu ; mamère et lui se sont séparés avant ma naissance. J’ai découvert son

identité grâce à la lettre de Honey. Maman n’avait que dix-huit ou dix-neuf ans quand elle l’arencontré. Ils travaillaient ensemble, je crois. Si ça se trouve, elle ne savait même pas qu’il étaitmarié.

–Dix-huit ou dix-neuf ans… répète Charlotte. Ce n’était qu’une enfant. Etmoi qui neme suisdoutéederien!Elle tente de sourire entre ses larmes. Jeme sens horriblement coupable. Et si je ne valais pas

mieuxquemonpère?Après tout, j’aihéritéde lamoitiéde sesgènes.Çaexpliqueraitpasmaldechoses.–Papan’a jamais étéquelqu’undebien, décrèteHoney.C’était unmauvaismari et unmauvais

père.Désolée,maman,maisc’estvrai!Moi-même,j’aimislongtempsàl’admettre.Cen’estlafautedepersonne;ilestnul.Àcroirequ’iln’ajamaistiréaucuneleçondeseserreurs.– En effet, confirme Charlotte. Voilà pourquoi c’est douloureux pour moi de repenser à cette

époque.Heureusement, notre famille a tourné la page.Et ces épreuvesm’ont permis de rencontrerPaddy,monâmesœur,sansquijenepeuximaginermavieaujourd’hui.Honeylèvelesyeuxaucield’unairagacé,bienquejedevinel’ombred’unsouriresurseslèvres.

Apparemment,ellen’aimepasbeaucoupquesamèreévoquesaviesentimentale.Je suis impressionné par la vitesse à laquelle Charlotte a digéré la nouvelle. Ses filles et elle

auraient parfaitement le droit de m’insulter ou de me jeter dehors. Au lieu de cela, je suisconfortablementinstallédansunsalonchaleureuxavecmesquatredemi-sœurs,àlesécoutercritiquermonpère.J’aidumalàycroire.–Aufonddemoi,j’aitoutdesuitecompris,avoueCharlotteenmeregardantdanslesyeux.Quand

j’aientendutonnometquej’aivutonvisage,unfrissonm’aparcourue.TuressemblestellementauxfillesetàGreg!C’étaituntrèsbelhomme.Est-iltroptôtpourleurdemanderunephoto?Sansdoute.Chaquechoseensontemps.–Onn’ajamaiseudefrère,commentel’unedesjumelles.Çapourraitêtreintéressant.–Tudînesavecnous?m’interrogelaplusjeune.Summeretmoiavonspréparéungratindepâtes

etdelasalade.Etcommed’habitude,onenafaitdixfoistrop.–IlvitàLondres,l’informeHoney.Doncoui,ilvarester.Etpuis,ilaencorepleindechosesànous

raconter.–Hé,arrêtezdeparlercommesijen’étaispaslà!jeproteste.–Pardon!C’estjustequejesuistropexcitée!s’excuseHoneyavantdevenirs’asseoiràcôtéde

moietdemeserrerunenouvellefoisdanssesbras.–Lâche-le,Honey!s’écriesasœur.Tuvasl’effrayer!J’en profite pour me dégager. Honey me décoche un clin d’œil amusé et pose sa tête sur mon

épaule.Elleestvisiblementd’unenatureexcessive.Lesjumelles,elles,setiennentsurleursgardes.Laplusjeuneestlaplusamicale,maisj’aidumalàcomprendrepourquoielleporteunbonnetpandaàl’intérieurenpleinmoisd’août.PaddyetCharlotteontl’airgentils,demêmequeCherry,quiprendjustementlaparole.– J’ai prévenu Shay de rester chez lui. Tommy et lui devaient participer au tournage, mais ça

attendrademain.J’aipenséqu’onauraitbesoindecalmepourdiscuter.–Tuasraison,confirmeCharlotte.–Situveux,tupeuxdormirdanslaroulotte,meproposePaddy.Bienquejen’aiepaslamoindreidéedecedontilparle,jeleremercie.–Mais…tamèrenevapass’inquiéter?medemandeCharlotte.–Non,non.Elleestaucourantdemavisite,çaneladérangepas.

Mesmensongesmebrûlentleslèvres,etjedoisréprimeruneterribleenviedeleurdirelavérité.Cesgensnemeconnaissentpasetnemedoiventrien;nousnesommesliésqueparunaccidentdeparcoursquineferajamaisdenousunefamille,contrairementàcequ’espèreHoney.Monhistoireetmesproblèmesnelesregardentpas–dumoins,paspourlemoment.Mieuxvaut

resterprudent.–Jevoudraisquandmêmepasseruncoupdefilàtamère,déclarePaddy.Pourlaprévenirquetues

bienarrivé.– D’accord… Mais elle ne doit pas encore être rentrée du travail. Elle est serveuse dans un

restaurant,LeDragondePapier.Vousnevoulezpasplutôtluitéléphonerdemain?–Jepréféreraism’enoccupercesoir.Àquelleheuretermine-t-elle?–Euh,vers23heures,jecrois.Çarisquedefairetard…–Non,non,pasdeproblème.J’attendrai.–OK.Honeyfixesurmoiunregardinquisiteur.A-t-elledevinéquejementais?Entoutcas,ellechange

brusquementdesujet.–Allez,Jake,parle-nousunpeudetoi.Onveuttoutsavoir!Jesourisetmepasselamaindanslescheveux,soulagéqu’ellesoitvenueàmonsecours.–Ehbien,pourcommencer,appelez-moiCookie…

8

Jetrouvaismespetitessœursbruyantes,maisc’estparcequejen’avaispaseuaffaireàlafamilleTanberry-Costello. Ce sont de vraies pipelettes. Chacune des filles a sa propre opinion sur maprésenceàTanglewood,etdestonnesdequestionsàmeposer.Je leur parle de maman, de Maisie et d’Isla, du Dragon de Papier, du billet de train et de la

prédictionquim’ontpousséàpartirpourleSomerset.–J’étaiscurieux.Jevoulaisvousrencontrer,voirsi j’avaismaplaceparmivous.J’aitoujourseu

l’impression qu’il memanquait des pièces du puzzle. À présent, je vois enfin à quoi il est censéressembler.Sansvraimentmel’avouer,jebrûledeconnaîtremessœursdepuisladeuxièmeoutroisièmelettre

deHoney.Maissanslacatastrophedelabaignoire,jen’auraisjamaiseulecouragedevenir.Tanglewoodestunpetit paradisoù je serai en sécuritépendantquelques jours– à conditionque

Paddynegâchepastoutentéléphonantàmaman.Je passe sous silence Sheddie, ses dreadlocks, ses cours de tai-chi et sa fichue yourte, ainsi que

l’accidentquiasaccagé le restaurantetpoussémafamilleà la rue.Jene leurdispasnonplusquepersonnenesaitoùjesuis.Àquoiboncompliquerleschoses?Lesfillesvontchercherdesphotosdenotrepère,etjedécouvreenfinlevisagedecebonàriendont

j’ai,semble-t-il,hérité.Ilestblond,trèsbeau,grand,souriantetbienhabillé.SurunportraitprislejourdesonmariageavecCharlotte,ilsmeparaissenttousdeuxridiculementjeunesetpleinsd’espoir.Ilyaaussiunesériedeclichés réalisés lorsd’unpique-nique,où ilestassisdans l’herbeavecdesversionsminiaturesdemessœurs.Ellesmeressemblenttellementaumêmeâgequej’enaipresquefroiddansledos.J’inspectecesimagesenmedemandantsimonpèreregardeparfoisenarrièreetregretteseschoix

devie. Il a l’air plutôt sympathique,mais je saisque cen’est qu’uneapparence.Sur lesphotosdupique-nique,ilal’airdistantetunpeuailleurs–envisageait-ildéjàd’abandonnersafamillepourtantparfaite?Comment va-t-il réagir quand je le contacterai ? Est-ce qu’il sera heureux d’avoir de mes

nouvelles?Peut-être,jusqu’àcequ’ilcomprennequec’estaprèssonargentquej’enai.Nousmangeonsdanslesalon,nosassiettessurlesgenoux,enbavardantdetoutetderien.Pourle

dessert, les filles m’apportent un smoothie aux fruits frais et quelques échantillons des fameuxchocolatsdePaddy.C’estvraiqueçan’arienàvoiraveccequejemanged’habitude.

Plusl’aiguilledel’horlogeserapprochede23heures,plusjedeviensfébrile.SiPaddyinsistepourappeler maman, mon aventure risque de prendre fin alors qu’elle vient à peine de démarrer. Desébauchesdeplansetd’idéessemélangentdansmatête.JepourraisenvoyerunmessageàHarryouàMitchdans l’espoirqu’unede leursmères se fassepasserpour lamienne,maisellesn’accepterontjamais. Et si je donne un faux numéro à Paddy, ça ne fera que repousser le problème. J’ai beauretournerlaquestiondanstouslessens,jesuiscoincé.–Viens, Cookie, lance soudainHoney en se levant. Je vais te faire visiter la roulotte où tu vas

dormir!Jelasuisjusqu’àlaportedujardin,laissantlesautresplongésdanslesvieuxalbumsphotosetles

souvenirs. Fred, le chien, nous emboîte le pas. Au fond, sous les arbres ornés de guirlandeslumineuses,trôneuneroulottecoloréeautoitarrondi.Lanuittombe,etilcommenceàfairefrais.JemesensàdesmillionsdekilomètresdeLondresetdeChinatown.–Cool!jem’exclame.Bizarremaiscool.–Oui,c’estplutôtchouette,acquiesceHoney.Bon,maintenant,dis-moicequisepasse.Tuavais

l’air drôlement nerveux tout à l’heure quandPaddy a parlé de téléphoner à tamère. Jeme trompepeut-être,maisj’ail’intuitionqu’ellen’estpasaucourantdetaprésenceici…–Tuasraison,jereconnaisavecunsoupir.C’estunelonguehistoire.–J’enétaissûre!Tuasfugué?–Pasexactement…–Tuasfugué,ouiounon?–Onpeut direqueoui.En fait,ma famille adegros soucis, et, pour arranger ça, j’ai besoinde

l’aidedepapa.Honeyéclatederire.–Ehbien,boncourage!C’estrarequ’onpuissecomptersurlui,maistupeuxtoujoursessayer.Et

commentvas-tutedébarrasserdePaddy?Iltientvraimentàappelertamère.–S’illefait,toutestfini.–Ellenevapass’inquiéter?–Non,masœurluiaracontéquejedormaischezuncopain.–Bienvu.Maisçanesuffirapas.Ilfautquetutrouvesunesolution.–Laquelle?Paddyn’apasl’airdugenreàlâcherlemorceau.Jesuisfichu.–Maisnon,répliqueHoneyavecungrandsourire.Jevaist’aider,petitfrère.Tuasunportable?Jeleluitends.– Bien, déclare-t-elle en s’asseyant sur lesmarches de la roulotte. Tu vas donner ton numéro à

Paddy, et c’estmoi qui décrocherai. Je suis des cours de théâtre au lycée. Je prendrai l’accent deLondres.Fais-moiconfiance!Jen’ycroispasuneseconde,maisjen’aipasvraimentlechoix.Quandjerentredanslacuisine,Paddyestentraindepréparerduthé.Ilmesourit.–Alors,laroulotteteplaît?–Carrément!Elleestgéniale.Merci!–OùestHoney?Jeréfléchisàtoutevitesse.–Elle est partie promener Fred. Je crois qu’elle envoyait desmessages à quelqu’un. Je n’ai pas

voulum’imposer.

–Oui, soncopainest envoyageenEurope, et ils communiquent surtoutpar textos.Cen’estpasl’idéal,mais il devrait bientôt la rejoindre ici. En parlant de communiquer, tu penses que je peuxappelertamère,maintenant?–Biensûr.Elles’appelleAlisonCooke.JeluidonnemonnumérodeportableencroisantlesdoigtspourqueHoneynem’aitpasmentiau

sujetdesestalentsdecomédienne.Jeleregardeappuyersurlestouches,puisl’écouteexpliqueràsoninterlocutricequejesuisbienarrivéetquejepeuxresteraussilongtempsquejelevoudrai.Moncœurbat lachamade.Mêmeavecunaccent, ilva forcément reconnaîtresabelle-fille.Maisàmongrandétonnement,laconversationsepoursuitnormalement.Auboutdequelquesminutes,Paddymetendletéléphone.–Tiens,elleveuttedireunmot.J’attendsqu’ilregagnelesalonavecsestassesdethé.–Etvoilà,déclareunedrôledevoixàmonoreille.Commesurdesroulettes.Jesuisencoreplus

douéequejenelepensais!–Mamèreneparlepasdutoutcommeça.– Maintenant, si ! décrète Honey en laissant tomber son accent. Allez, Cookie, ne fais pas ta

mauvaisetête!–Aucontraire,jesuisépaté!Mercibeaucoup.Justeunequestion:pourquoiest-cequetum’aides?–Parcequetoietmoi,onestpareils.Onestdesaimantsàproblèmes.

9

Jemeréveilletrèstôtdanslaroulotteenbois,pelotonnésousunecouvertureenpatchwork,latêtesurunoreillerquisentbonlelingefrais.Aprèsm’êtreétiréenbâillant,jesuisprisdepaniquelorsqueje constate que quelque chose m’empêche de bouger les jambes. En fait, c’est juste Fred qui estcouchéentraversdulit,commes’ilvoulaitmetenirchaud.Jelegrondegentiment:–Hé,vilainchien!Descendsdelà!Ilmeregarded’unairplacide,puismetourneledosetsemetàronfler.Laroulotteestvraimentbienconçue.Ilyaunpoêleàbois,deuxfenêtresmuniesderideaux,une

tableetdeschaisesauxcouleursvives,uneétagèrerempliedelivres…Jemerendscomptequ’ilfaitjour,carjedistinguelesmoindresdétailsdutoitarrondi.Lapeinturerouge,vertetbleuestdécoréedefeuilles,decœursetdepetitsoiseaux.C’esttellementbeauquejerêveraisdem’yinstallerpourdebon.Jen’aipaseudechambreàmoidepuisManchester,etçamefaitdubiendemeretrouverunpeu

seul.Quitteàmedécouvrirquatredemi-sœursexcentriques,jesuisraviqu’ellesviventdansunesupermaisonavecuneroulotteaufonddujardinetunbeau-pèrechocolatier!Jesoulèveun rideaupour jeteruncoupd’œilà l’extérieur.Les rayonsdusoleil filtrententre les

arbres,etjedistingueauloinunetached’unbleuscintillant.Est-cequec’estcequejecrois?Aussitôt, je sors demon lit, enfilemon jean et ouvre la porte.Debout sur lesmarches, j’inspire

quelques bouffées d’air frais avant de m’aventurer sur l’herbe humide. Fred se lève d’un bond etatteintleportaildujardinavantmoi.Au-delà,uneimmenseétendueturquoises’ouvredevantmesyeux,illuminéeparlesoleiletbordée

d’uncroissantdesabledoré.Tanglewooddonnedirectementsurlamer.J’auraisdûm’endouter!Jedescendslesmarchesinégalesquibordentlafalaise.Enfin,mespiedss’enfoncentdanslesable

frais où se cachent des galets et des coquillages qui me font grimacer quand je marche dessus.Quelquessecondesplustard,jem’élanceencriantdanslesvaguesglacées.Trempéjusqu’auxos,jerisauxéclatspendantqueFredaboiegaiement.Puis,latêterenverséeenarrière,j’admirelecield’unbleuparfaitenayantunepetitepenséepour

MaisieetIsla.Ellesauraientadoréêtrelà,ellesaussi.

Commeelles,jen’avaisencorejamaisvulamer–àl’exceptiond’unefoisàSouthendquandj’étaisbébé,cequinecomptepaspuisquejenem’ensouvienspas.Jenepensaispasquel’océanseraitsiimmense,si infini.Niquel’eaumeparaîtraitsi froide,melaisseraitcegoûtsalésur les lèvres,mefouetteraitainsilesangetmeprocureraitunetellejoie.Pourlapremièrefoisdepuisquejesuisné,jesuissubmergéparlebonheurd’êtreenvie.–Hé!Cookie!C’estHoney, assise surun rocher aupiedde la falaise, qui agite lamaindansmadirection.Ma

fierté en prend un coup quand je songe qu’elle a pume voir sauter dans les vagues et m’ébrouercommeunphoque.Jeregagnelaplageaussidignementquepossible,Fredsurlestalons.–Çateplaît,ondirait!metaquineHoney.C’estvraiquec’estchouetted’avoirlamerdevantnotre

porte.Siturestesencoreunpeu,onorganiseraunefêteicientonhonneur!–Net’inquiètepas,jen’aipasl’intentiondepartirtoutdesuite.–Tantmieux.Parcequ’onades tonnesdechosesà rattraper !Quatorzeansd’anecdotes,enfait.

C’estdommagequecesfichuescamérasdoiventrevenirà10heures;jen’aipasdutoutenviedetepartageravecelles.–Qu’est-cequ’ellesfontlà,aujuste?Pourquoipassez-vousàlatélé?Vousêtescélèbres?–Non,biensûrquenon!proteste-t-elleenriant.Ilsréalisentunesériededocumentairessurdes

genspascommelesautres.Nikki,laproductrice,alogécheznousilyadeuxanspendantletournaged’un téléfilm. Ses collègues ont dû nous trouver intéressants. Les familles recomposées sont à lamode,etlachocolaterieapporteunetoucheoriginale.Ilsontquasimentfini,maisilssonttoujoursenquêtedescènesdramatiques,dedisputesouderévélations.Engénéral,ilscomptentsurmoipourça!Maishier,tuasremportélapalmeavectonentréefracassante.–Ilsnevontquandmêmepasutilisercesimages,si?Mamèreneseraitpasd’accord.–Qu’est-cequeçapeutfaire,puisquetuasfugué?–Jene suispaspartiparceque j’enveuxàma famille, aucontraire.Comme je te l’ai expliqué,

j’essaiederéparermesbêtises.Jetented’aidermamère,pasdemebattrecontreelle.–Intéressant,commenteHoneyenhaussantunsourcil.Unrebelleaugrandcœur!Danscecas,elle

n’aqu’àterejoindreiciavectespetitessœurs.Onvivraittousensemble,commeuneimmensefamillecompliquéemaisheureuse!–Çanemeparaîtpasunebonneidée…–Non?Ceseraitgénial,pourtant.Etledocumentairepourraitretracernotrehistoire.Çaajouterait

dususpenseetdesséquencesémotions : lesenfantsdeGregTanberry,enfin réunisdans leurhainepourleurpèreaprèsdesannéesdeséparation…–Non,jerépète.Çanem’intéressepas.Etçam’étonneraitqueCharlottesoitpartante.– Oh, je pourrais la convaincre. Ce serait trop cool. Mais bon, c’est toi qui décides. Tu veux

toujourscontacterpapa,aufait?–Oui.J’aidebonnesraisons,tupeuxmecroire.–«Ne jamaiscroireungamindequatorzeansqui sebaigne touthabillé.»C’estmadevise.Au

risquedepasserpourunegrandesœurrabat-joie,jeteconseilled’allertechanger.Sinonlescamérasnevontplustelâcher.Etc’estmoi,lecentredel’attentiondecettemaison!Jebaisselesyeuxversmontee-shirtetmonjeandégoulinants.Maisavantquejepuisserépondre

quoiquece soit,Fred s’ébrouede la tête auxpieds.Honeypousseuncri aigu,puis jure àmi-voixavantdegrimperencourantlesmarchesdelafalaise.

– Ilestencorepireque toi !En toutcas,cesémotionsontdû te retourner.Onaurait juréque tun’avaisjamaisvulamer!–C’estlecas.Enfinsi,unefois,quandj’avaissixmois.Bizarrement,jen’enaiaucunsouvenir.Honeypousseleportailrouilléetmeregardeavecdegrandsyeux.–Tun’avaisjamaisvulamer?Pourdevrai?Uneombrepassesursonvisage,commesielleessayaitd’imagineràquelpointmavieadûêtre

différentedelasienne.Quoiqu’elleimagine,elleestsansdouteloindelaréalité.PartagerdeuxlitssuperposésàtroisdansunappartementhumideoupréparerunrepasàpartirdeboîtesfourniesparlabanquealimentairenefontclairementpaspartieduquotidiendelafamilleTanberry-Costello.–Maisjenesuispasàplaindre,jelarassure.Chacunasesproblèmes.Ettoi,jepariequetun’as

jamaisvulesoleilsecouchersurlestoitsdeChinatown,niemmenétessœurspêcherdanslecanaldeManchester.Onn’attrapait jamaisdepoisson,maisunjourona trouvéunsacàmainquicontenaitencoreunportefeuilleetdescartesdecrédit.Onl’aapportéaucommissariat,oùonnousadonnéunerécompensededixlivres.QuandMaisieenaparléàRick,ils’estfâché.Jepariequ’ilauraitbienaimégarderlescartespourcommanderunpaquetdetrucssurInternet.–Àt’entendre,cen’étaitpasuntypetrèssympa.–Non.– Je suis triste que tu aies grandi loin de nous dans des conditions aussi difficiles. Rick, les

problèmesd’argentdetamère…Heureusementquetuavaistessœurs,quiontl’airadorables.Tuasraisondevouloirdemanderdescomptesàpapa.Etencore,elleneconnaîtpastoutel’histoire…Siçasetrouve,enapprenantquemamanétaitenceinte,monpèreadevinéquejeneluicauserais

que des ennuis. Comment lui en vouloir de l’avoir abandonnée alors qu’il avait déjà une femmegéniale, trois jolies petites filles, une quatrième en route, et unemagnifiquemaison au bord de lamer ?La seule chose que je ne comprends pas, c’est qu’il les ait quittées elles aussi. Si j’avais lachancedevivredansunendroitcommeTanglewood,jenepartiraisjamais.Nous nous dirigeons vers la roulotte.Mon jeanme colle aux jambes. Au bout d’unmoment, je

m’aperçoisquenoussommessuivisparunmouton.Honeym’expliquequ’il s’agitdeJoyeuxNoël,unebrebisorphelinequeCocoa recueilliequandelle était bébé et qui seprenddésormaispourunchien.– Coco a aussi un poney qui s’appelle Coconut, ajoute-t-elle. Dans l’étable, à côté de la

chocolaterie.Elleadorelesanimaux!–Çaplairaitàmessœurs.Unchien,unmouton,unponey…C’esttropcool!–N’est-cepas?Àpartça, tuasunechérieàLondres?Moi, j’ai rencontrémoncopain,Ash,en

Australie. Avant lui, je suis sortie avec pas mal de garçons pas très fréquentables. Lui, il estdifférent–intelligent,studieux,gentil…pasdutoutmongenre,quoi!Maisilmecomprend,cequiestplutôtrare.Jenel’aipasvudepuisdesmois.–Mapauvre…–Oui,c’estdur.Quelleidée,detomberamoureused’ungarçonquivitàl’autreboutdelaplanète!

Avantdecommencerlafac,iladécidédefaireletourdumonde.IlestalléenInde,auSriLanka,etmaintenant,ilestenEurope–enGrèce,jecrois.Jen’aipaseudenouvellesdepuisdeuxjours.Àtouslescoups,ilarencontréunebelleétudianteenvacancesetm’acomplètementoubliée.

–Ça,çam’étonnerait…Jepenseplutôtquesontéléphonen’aplusdebatterie!Vousavezprévudevousvoirbientôt?–Normalement,oui,répond-elle,leregardperduauloin.Quandilauraterminésonvoyage,d’ici

unmois.Tulerencontreraspeut-être.–Peut-être.Enréalité,jeseraidéjàpartidepuislongtemps.–Ettoi,alors,tuesunbourreaudescœurs,commetagrandesœur?J’éclatederire.–Pasvraiment,non!Jen’aipasletempsdepenseràça.–Çaviendra.Tuesplutôtmignon,tusais!Mêmesijenesuispasfandulookchienmouillé…Tu

asapportédequoitechanger,j’espère?–Euh…plusoumoins.–Parfait.Vatesécheretrejoins-nousàlamaison.Onvaprendreunpetitdéjeunerenfamilleavant

l’arrivéedel’équipe.Aumomentoùj’ouvrelaportedelaroulotte,elleajoute:–Cookie?–Oui?Ellemesourit,levisageinondédesoleiletlesyeuxrayonnantsdefierté.–Jesuistropcontentequetusoisvenu.Jen’aipastoujoursétéunesœuridéaleetj’aifaitbeaucoup

debêtises,maisj’essaied’apprendredemeserreurs.Quandj’aidécouverttonexistence,jen’aipaspum’empêcherdet’écrire.Jevoulaisterencontrer,teprésentertoutlemonde…Pourtant,j’avaisunpeupeur.Maman aurait pu se mettre en colère, mes sœurs me le reprocher. Et toi, tu aurais pu nousdétester.Maintenant, jesuisrassurée.Jemefichequetuaiesdébarquéicipourunemissionsecrètequinécessitedecontacterpapa.Tueslefrèredontj’aitoujoursrêvé.Pourunefois,j’aiprislabonnedécision!Surcesmots,elletournelestalonsets’éloigneverslamaison.Personnenem’avaitencorefaitdetelscompliments.Honeysaitquejesuisloind’êtreparfait.Mais

aulieudemejuger,elleadécidédemesouteniretdegardermonsecret,quitteàsefairepasserpourmamanautéléphone.Avecunealliéecommeelle,monplandevraitréussir.

10

S’ilyavaitdumondehier,cen’étaitriencomparéàaujourd’hui.Onmeprésentetellementdegensquej’enailetournis;mesyeuxetmesoreillessontsaturésd’informations.Sandy, la gérante de la chocolaterie, est venue accompagnée de ses enfants, Stevie et Jasmine.

Stevieaàpeuprèsmonâge,etc’estlegrandamideCoco–bienquejemedemandes’ilnesepassepasautrechoseentreeux.Tommy,lecopaindeSummer,estungarçonsympathiqueauvisagecouvertdetachesderousseur;quantàceluideCherry,Shay,c’estavecluiqu’onm’aconfonduhier.Ilestgrand, blond et super cool avec son bonnet et sa guitare. Enfin, il y a les meilleures amies desjumelles,TinaetMillie.Pendantlepetitdéjeuner,PaddyetCharlottem’ontrapportéquelaproductrice,Nikki,avaitpromis

decouperlascènedemonarrivéeaumontage.–Jeluiaiexpliquéqu’ilnousfallaitunpeudetempspourencaisserlanouvelle,ajouteCharlotte.

Elle a compris etm’aproposéd’en reparlerd’iciune semaineoudeux,quandnousauronsplusderecul.Maisçam’étonneraitquejechanged’avis.C’étaitunmomentintime,jenetienspasàlevoirdiffusédanstoutlepays.Toinonplus,jesuppose!Leprogrammedelajournéeestbiendéfini.L’équipevad’abordfilmerPaddyetCharlotteentrain

de préparer des chocolats dans l’atelier ; ensuite, Sandy fera semblant de recevoir une commandeurgentepourunechaînedegrandsmagasins;etc’estlàquelafamilleappelleradesrenfortspours’ensortir à temps. Les scénaristes ont profité de l’interruption de tournage d’hier pour réécrire etaméliorer la scène en y intégrant un millier de figurants. Enfin, peut-être pas un millier, maisl’ensembledesjeunesduvillagequ’onvientdemeprésenter.Pendantquelescadreurss’éloignentavecCharlotte,PaddyetSandy,nousnousinstallonsautourde

latabledelacuisine.Summersortdeuxgrandspichetsdelimonadeduréfrigérateurettoutlemondegrignotedestartinesdepainàlaconfiture,endiscutantd’untasdechosesetdegensinconnus.LesamisdemessœurssemblentdavantagechezeuxàTanglewoodquejeneleseraijamais.Summermesertunverredelimonadeauquelelleajoutedesglaçonsetunerondelledecitron.Je

manquederecracherlapremièregorgée;çan’arienàvoiravecceàquoijem’attendais.–C’estquoi,cetruc?Ondiraitdunettoyantpourlesvitres!–Oh,désolée,s’excuseSummer.C’estmoiquil’aipréparée,etjel’aimetrèscitronnée.C’estplein

devitamineC!Maistupeuxrajouterunpeudesucresituveux.

Commejetiensàgardermesdentsintactes, j’abandonnemonverredansuncoindèsqu’ellealedos tourné. Les autres ont pourtant l’air d’apprécier sa «mixture » ; peut-être qu’à la campagne,«limonade»nedésignepasuneboissongazeusemaisunliquideultra-acide.Deboutaumilieudugroupe,Honeyévoqueunefêtequ’ellecompteorganiserenl’honneurd’unde

sescousins.J’ail’impressionqu’ellem’aoublié,jusqu’àcequejecomprennequ’elleparledemoi.Soudain,j’ailanostalgiedemonpetitappartementdeChinatown.Messœurssontinsupportableset

mamèreadumalàbouclerlesfinsdemois,mais,aumoins,ellenousachètedelavraielimonadeausupermarché. Hier, elle a répondu à mon texto en me demandant de rentrer le plus vite possible.J’espère queMaisie s’estmontrée assez convaincante pour l’empêcher de téléphoner à lamère deHarry.Cen’estpaslapremièrefoisquejem’éclipsedelamaisonparcequej’aifaitunebêtiseouquejemesuisdisputéavecmaman.Ellesaitque,danscescas-là, lemieuxestdeme laisser tranquillependantquelquesjours.Jefinistoujoursparrevenir.Mais aujourd’hui, je lui en veux un peu de ne pas avoir davantage insisté. Elle doit être trop

occupéeàbriquerl’appartementavantlavisitedeSheddie,etraviequejenesoispasdanssespattes,entraindetirerunetêtededixpiedsdelongetdecritiquersonnouveaucopain.Elle ignore que je suis parti à des kilomètres dans l’espoir de sauver le restaurant et de nous

épargneruneviedans larue–oupire,sousuneyourteoùnousdevronsmangerdes lentillesetdesfeuillesdepissenlit.Ellenesaitpasquej’airetrouvémesdemi-sœurs.D’ailleurs,elleneconnaîtsansdoutemêmepas

leur existence. J’aimoi-mêmeencoredumal àm’habituer à cette idée.Nous sommes si différentsellesetmoique jeneferai jamaispartiedecette famille.Cen’estqu’unrêve,une illusion,unpeucommecesoi-disantdocumentaire sur leurchocolaterieécrità l’avance.Leschosesnesont jamaisaussi simplesqu’ilyparaît,mêmesiTanglewoodestunvraiparadis comparéànotre logementdeChinatown.Jesorsdiscrètementdelamaisonetmeréfugieprèsdelaroulotte.Lecœurlourd,jem’assiedssur

lesmarches,levisagetournéverslesoleil.Lesilencemefaitdubienaprèslebrouhahadelacuisine.Jenesuispasvenuicipourm’amuser,maispouraccomplirunemission.C’est dur de jouer les super-héros, surtout quand on a toujours été un bon à rien. Mais je ne

baisseraipas lesbras.Dèsque l’équipede télé serapartie, jedemanderai l’adressee-maildenotrepère à Honey. Je ne vois pas pourquoi elle refuserait deme la donner. En attendant, je décide detéléphoneràMaisiepoursavoirs’ilyadunouveau.Quandelledécroche,jereconnaislebruitdel’aspirateurderrièreelle.–Allô,c’estmoi…maisfaiscommesij’étaisunedetescopines,d’accord?Tupeuxt’enfermer

danslasalledebainscommel’autrejour?–Oh,salut,Tara!répondmasœurdutacautac.Jesuiscontentequetum’appelles.Mamèrefait

encoreleménage.Attendsuneminute,jevaisallerdanslasalledebainspourêtretranquille.J’entendsuneporteclaquer,puisdel’eaucouler.–C’estbon,reprendMaisie.Mamanvamerendrefolle.Elleapassél’aspirateurdeuxfoishier,et

ellerecommence.Ellevafinirparuserlamoquette!–Ellefaittoujoursçaquandelleeststressée.Çadoitêtreàcausedelafacturepourlestravauxde

lasalledebains.–Tuparles,c’estàcausedeSheddie,oui!Ildoitarriverdanslasoirée.Elleaprévudessaucisses

etdelapuréepourledîner–maisdessaucissesvégétariennes,parcequemonsieurnemangepasde

viande.–Quelrabat-joie…Net’inquiètepas,Maisie,monplanavance.Jecroisquejevaisréussiràtout

arranger.–Moiaussi,j’aiunplan.MamannousademandédefairebonneimpressionàSheddie,alorsavec

Isla,onvaêtreinsupportables.Onvasebattre,hurleretl’ignorerchaquefoisqu’ilessaieradenousparler.Commeça,ilnevoudrajamaisvivreavecnous!J’éclate de rire.Ma sœur est un génie ; si ça fonctionne, on pourra gagner un peu de temps en

attendantquejetrouveunesolutionplusdurable.–Tuesoù,Cookie?Turentrescesoir?–Non,pascesoir.Demain,peut-être,ouaprès-demain.Tuarriverasàmecouvrirjusque-là?–Oui,pasdeproblème.Maisnetardepastrop,d’accord?–Promis.Merci,Maisie.EtbonnechanceavecSheddie!Jesensqu’ellevaenavoirbesoin.

11

Monrépitnedurepaslongtemps.–Çava?demandeunevoixdansmondos.Lasœurquiémerged’entrelesarbresestlaseuleaveclaquellejen’aiaucunliendeparenté,celle

quialesyeuxenamandeetlescheveuxd’unnoirdejais.Aujourd’hui,elleporteunjeanslimrougeetletee-shirtd’ungroupederock.–Tut’appellesCherry,c’estça?jelanced’untonhésitant.–Oui,jesuislafilledePaddy.Tuavaisl’airunpeudépassétoutàl’heure,alorsjesuisvenuevoir

commenttutesens.ÀTanglewood,c’estparfoisdifficiledetrouversaplace.–Ilyatropdemonde.Jeviensàpeinedevousrencontrer,etavectouscesgensenplus, jesuis

perdu.Moncerveaun’arrivepasàsuivre!Cherrysourit.– J’ai ressenti lamême chose àmon arrivée.C’était il n’y a pas si longtemps,mais j’étais très

différented’aujourd’hui.Jen’avaisencorejamaisvuunendroitpareil.–Oui,onsecroiraitdansunchâteauoudansunvieuxmanoir!Toutçaestfantastique:laroulotte,

laplage,lamer…–Moiaussi,j’aidormidanslaroulotteaudébut.Àl’époque,Charlotteavaittransforméunepartie

delamaisonenbedandbreakfast.J’étaiscontented’avoirunendroitàmoioùmeréfugier.–Jevoiscequetuveuxdire.– Avant, on vivait à Glasgow dans unminuscule appartement. Papa faisait le ménage dans une

chocolaterie, et moi je n’étais pas franchement heureuse… À l’école, je n’avais aucun ami.Tanglewoodadespouvoirsmagiques,tusais.Depuisquejesuisici,mavieachangé.–Tonpèrefaisaitleménagedansunechocolaterie?jerépète,incrédule.Etmaintenant,ilamonté

sapropresociétéetonluiconsacreundocumentaire?Çaalors!JecroyaisquetuétaiscommelesTanberry,unefilleprivilégiée,quiatoujourseulabellevie.–Tutetrompais,merépondCherryens’asseyantsurunesouched’arbre.Jenesuisqu’unegamine

ordinaire,avecbeaucoupd’imaginationetpasassezdejugeote.Quantàmesdemi-sœurs,ellesnesontpasaussigâtéesquetulecrois.Quandjelesairencontrées,j’aieulamêmeréactionquetoi.Maisilfautseméfierdesapparences.–Commentça?

–Lamaisonestmagnifique,maisellenenousappartientpasvraiment.C’estcelledelamèredeCharlotte, qui vit en France depuis qu’elle s’est remariée. La plupart des filles sont nées ici,maisaprès le départ deGreg, Charlotte a eu beaucoup demal à s’en sortir. Il ne lui a jamais versé depensionalimentaire.C’estpourçaqu’elleaétéobligéedelouerunepartiedeschambres.–Décidément,monpèreestuntypeformidable.D’unautrecôté,çamerassuredeconstaterqu’il

n’enavaitpasseulementcontremoi…situvoiscequejeveuxdire.–Oui,jevois.–Entoutcas,jeneprendraipluslesTanberrypourdesprivilégiées!–D’unecertainemanière,leurenfanceaétéplusfacilequelanôtre.Maisellesontconnuleurpart

de difficultés. Avant de partir au bout du monde, Honey a complètement déraillé. Elle a fuguéplusieurs fois. Elle a même volé de l’argent dans le tiroir de la cuisine. La police l’a rattrapée àl’aéroportalorsqu’elleessayaitd’acheterunbilletpourl’Australie.–Lapolice?Waouh!–Iln’yapasdequois’extasier.Lesservicessociauxontfailli laplacerenfoyer.Etpendantson

séjourchezvotrepère,elleaétévictimedecyber-harcèlement.Elleabeauparaîtresûred’elle,ellerestetrèsfragile.Je hoche la tête, abasourdi. Je neme doutais pas que la rébellion deHoney avait pris de telles

proportions.Nousavonspeut-êtredavantagedepointscommunsquejenelecroyais.Mamanmesuppliesansarrêtdemecontrôler.«Situcontinues,onvameretirertagarde,m’a-t-

elle dit un jour à Manchester, alors que j’avais failli être renvoyé du collège. Je suis une mèrecélibataire,Cookie.Ilsvontconsidérerquejenesuispascapabled’assurertonéducation.»Aprèsça,j’aifaitdesefforts.Jenevoulaispasêtreséparédemafamille.–Ilyadeuxans,poursuitCherry,Summerapasséuneauditionpourintégrerl’unedesplusgrandes

écolesdedansedupays.Ellea toujours rêvédedevenirdanseuse.Maiselle s’est imposéune tellepressionqu’elleafiniparcraquer.Aujourd’hui,elleestencoresuiviedansunecliniquequitraitelestroublesducomportementalimentaire.Ellevamieux,maistuvois,ellenonplusn’estpasparfaite.JesongeauxgrandsyeuxtristesdeSummer,àsasilhouettegracieusemaisfrêle.Jecommenceà

comprendre.–Elleestanorexique,c’estça?–Samaladieafailli la tueretamisun termeà toussesespoirs.Elles’est renducomptequ’elle

n’étaitpascapabled’accomplirsonrêve.–PauvreSummer…–SkyeetCocos’ensortentbien.Skyeestpassionnéeparl’histoireetlesvêtementsvintage;quant

àCoco,elleestdinguedesanimauxetvoudraitsauverlaplanète.Ellessontadorablesettrèsdrôles.–Ettoi?–Depuis que je vis ici, ça va. J’ai arrêté de raconter desmensonges à tort et à travers, et je ne

renverseplusmonassiettesurlatêtedesgens.–Hum,jevaisquandmêmemeteniràdistance,aucasoù!–Eneffet,c’estplusprudent.Jeteverraisbienavecdesspaghettispleinlescheveux.Ellegardesonsérieuxpendantdixsecondes,puisnouséclatonsderire.Cherrymecomprendmieux

quequiconqueici–sansdouteparcequ’elleavéculamêmechosequemoi.–Allez,reviensdanslamaison,letournagevacommencer.Moinonplusjen’étaispastrèsmotivée

audébut,maisjepariequeçavaêtresympa.

–Jen’ensuispassisûr…Commentvousfaitespoursupportercescadreursquitraînentdanstouslescoins?Ilsvousfilmentaussidanslestoilettes?–J’espèrequenon!Lesautressontravisdevivreleurquartd’heuredecélébrité,maismoi,jesuis

un peu comme toi : je préfère rester dans l’ombre. Enfin, il faut qu’on y aille, sinon ça paraîtrabizarre.Etpuis,c’estimportantpourpapaetCharlotte.IlsconnaissentNikkietilsluifontconfiance.Ellen’estpasdugenreàproduireuneémissionracoleuse,etlesgrandeslignesduscénariosontdéjàtracées.–Oui, c’est ce quem’a expliquéHoney. C’est dingue ! Ils nous font croire que c’est un docu-

réalité,alorsquelesscènessontécritesàl’avance.–Pasexactement,onpeutquandmêmedirecequ’onveut.Etlesscènescommecelledelagrosse

commandequ’ontourneaujourd’huiontréellementeulieu.Ilstrichentjusteunpeusurlachronologiepourrendrel’histoireplusattrayante,jusqu’àl’apothéosefinaledufestival.–Quelfestival?–Celuiqu’onaorganiséilyadeuxans,lorsdelacréationdelachocolaterie,danslecadred’une

semaine de promotion des spécialités régionales. Les producteurs nous ont proposé de faire unesecondeéditionsamediprochain.Tout levillagedevraitvenir.Tucroisque tuserasencoredans lecoin?Jehausselesépaulessansrépondre,carçameparaîtpeuprobable.J’espèreconvaincremonpèrede

payerlesréparationsduDragondePapieravantça.Sinonjepréfèrenepaspenseràcequiarrivera.Etsileschosestournentmal,riennem’obligeàrentrer.D’icisamediprochain,jepourraisfileren

stopjusqu’enAlbanie.Lesprésentateursdujournaltéléviséévoqueraientmamystérieusedisparitionetmontreraientmondernierportraitducollège–unephotohorribleoùj’aiunechemisefroissée,lescheveux trop longs et l’air d’un gamin de onze ans. Génial. Il y aurait peut-être une interview demamanen larmes, etdemamiedisant àquelpoint j’étaisunpetit-fils adorable.Sheddie rôderait àl’arrière-plan,têtebasse,conscientdesapartderesponsabilité.Bon,enfait,ilyauraitplusdechancespourquemamansemetteencolèreetquemamiedéclare

auxjournalistesquej’aitoujoursétéunvoyou,commemonpère.Mafamilleseraitbienmieuxsansmoi.Ellefiniraitparm’oublier,ourepenseraitdetempsàautreavecémotionàcetadolescentrebelledisparudanslanuitenquêted’unevieplusbellesansyourtenisoupeàl’ortie.–Etsitamèreettessœursnousrejoignaientpourlefestival?meproposeCherry.–Bof.–Vousêtesfâchés?Qu’est-cequis’estpassé?Jepousseungros soupir. Jepourraismeconfier à elle, lui parlerdeSheddiequi, en cemoment

même,doittraverserLondresensandalesdehippiepourallerséduiremafamilleavecseshistoiresdepotageretdetai-chiàlanoix.Jepourraisluiracontercommentj’aiprovoquélaruinedurestaurantdeMrZhaoparcequemamieaeulamauvaiseidéedeprendrelemétrocejour-là.Jepourraisluidirequemamans’épuiseàlatâchedanssarobechinoiseensoienoire,jonglantavec

les assiettes de nouilles sautées et de riz cantonais en rêvant d’un avenir meilleur. Lui expliquercommentIslaaabandonnésespoupéesdanslabaignoirepourallers’acheterdesgâteauxetfairedelabalançoire,etpourquoiMaisieaacceptédemecouvrirtoutenmenantlaviedureàSheddie.Jepourraisluiavouerque,dansunesemaineexactement,mafamilleseretrouveraàlarueparma

faute.AprèsavoirdévisagéCherry,jedécidequejepeuxluifaireconfiance.

–C’estunelonguehistoire,mais…voilà.J’aiplusoumoinsfuguédechezmoi.

12

Avantquej’aieletempsd’endireplus,unevoixs’élèveentrelesarbres.–Cookie?Oùes-tu?Honeyapparaît,suiviedeFredetdeJoyeuxNoël.Lecharmeestrompu.–Jemedemandaisoùtuétaiscaché,continue-t-elle.Oh,Cherry…Qu’est-cequetufaislà?–Ondiscutait,jeluirépondsensautantdesmarchesdelaroulotte.Maintenant,jesaistoutsurta

follejeunesse!LesouriredeHoneys’efface,etjemerendscomptequej’aiencoremislespiedsdansleplat.–Qu’est-cequetuasétéraconter?lance-t-elleàCherryd’untonagressif.Tun’asaucundroitde

parlerdemoi;mavieneteregardepas!–Jen’airienrévélé,soupireCherry.J’aijuste…–Du calme, j’interviens. Je plaisantais, Honey ! C’est toi quim’as avoué que tu avais fait des

bêtises.Cherrymeparlaitsimplementdudocumentaireetdelachocolaterie.Honey finit par se radoucir – heureusement, car je suis à bout d’arguments. Elle se tourne vers

Cherryavecunaircoupable.–D’accord,d’accord.Cookieatouchéunpointsensible,maisilnepouvaitpaslesavoir.Désolée,

Cherry…–Pasdesouci,soufflecelle-ci,incapabledelaregarderdanslesyeux.Jemedemandequellevieillerancœurj’airavivéeparmamaladresse.Detouteévidence,ilrègne

unecertainehostilitéentrelesdeuxfilles.Cherryavaitraison–àTanglewood,ilnefautpassefierauxapparences.–Bref,reprendHoney.Onestprêtsàtournerlascènedelacommandeurgenteaveclesfigurants.

Venez–pasquestiondevousdéfiler!LamaquilleuseavoulumettredufonddeteintàTommy,quin’apastropapprécié!Attendsunpeuqu’ellet’attrape,Cookie…jesensqu’onvarigoler!Cetteperspectivenem’amuseabsolumentpas,maisjeluiprometsdefairedemonmieux.Remplir des dizaines de boîtes de chocolats devant des caméras est un bon moyen de faire

connaissance.Unefoislaséanceterminée,jesaistoutdugoûtdeTommypourlesblaguesdouteuses,durenardàtroispattesadoptéparStevieetdesgrandsrêvesdecarrièremusicaledeShay.L’équipecommenceparfilmerquelquesscènesprévuesauscript,commecelleoùPaddy,Charlotte

etSandyse lamententparcequ’ilsne réussiront jamaisà finir lacommandeà temps,puiscelleoù

Honeytéléphoneàuninterlocuteurimaginairepourluidemanderderamenerdel’aide.Ensuite,notrepetitgroupearriveparl’alléedegravier,chaleureusementaccueilliparlafamillequi

nousremerciedeluisauverlavie.–Dommage que les baleines ne puissent pas en dire autant, déclareCoco.Elles sont en voie de

disparition,jevoussignale!J’aicommel’impressionquececommentaireseracoupéaumontage–maisonnesaitjamais.Nousnousrassemblonsensuitedanslacuisine,oùlafemmeaubloc-notesnousdisposedefaçonà

cequelescamérasfilmentnosvisages.Onnouschargedefermerlespetitesboîtesavecdesrubans,puisdelesrangerdansdescaisses–riendetropfatigant,surtoutquenousavonsledroitdediscuter.J’incarneuncousinéloigné.Franchement,sij’avaissuquejouerlacomédieétaitaussiamusant,jemeseraisinscritauclubdethéâtredepuisdesannées!Quisait,jedeviendraipeut-êtreunestardelatélé,mêmesijesuisencoreunpeusurprislorsqueles

camérasserapprochentouquelesperchistestendentleursmicrosau-dessusdenostêtes.Unpeuplustard,ondemandeàShaydes’asseoirsurl’évierpourchanterunedeseschansons.–Détends-toi,luiconseilleNikki.Imaginequetuorganisesunconcertimprovisépourencourager

tesamis.Shayfaitdesonmieuxpourparaîtreàl’aise,maisjeleplains.Çanedoitpasêtrefaciledejouerde

la guitare dans cette position.À unmoment donné, il renverse la bouteille de produit vaisselle, etl’équipeestobligéederecommencerlaprise.Shayaunebellevoix,etsachansondestonalitésfolkplutôtcool.Impressionné,jemetourneversCherry.–Jepensaisqu’ilsevantaitlorsqu’ilparlaitd’enfairesonmétier,maisilauraitlargementleniveau

pourpasserdansTheVoice!–Jenesuispascertainequecesoitsontruc,merépond-elleenriant,maisoui,ilestdoué.Unede

ses compositions a été utilisée pour le générique d’un téléfilm, l’année dernière. Ce documentairepourraitluipermettredepercer.Iljoueraaussipendantlefestival–etpassurunévier,cettefois!–Génial!Enfin,lajournéesetermineetl’équiperemballesonmatériel.Notrepetitebandesedisperse,mais

personnenesembleavoirenviederentrer.Honeyproposeunenouvellefoisd’improviserunefêtesurlaplage,etlesautressontpartants.Lesfillesréchauffentdespizzas,quelqu’unprépareunsaladierdesaladedefruits,etàmongrandsoulagement,lalimonadeestremplacéepardusirop.Nous emportons nos provisions au pied de la falaise. J’ai l’impression de m’être égaré sur le

tournaged’unesériepouradolescents,aumilieudecesjeunesquimangent,discutentetprennentlesoleil.Alorsquejem’apprêteàmeservirdudessert,Cocoetlesjumellesselèventpournousgratifierd’undiscours.–Nousnoustenonsaujourd’huidevant…euh,vous,commenceCoco,parcenousvoulionsprofiter

decettemagnifiquejournéepouraccueillircommeilsedoitnotre…–Cousin,lacoupeHoney.Notrecousinperdudevuedepuislongtemps.–C’estcequej’allaisdire!protesteCoco.Certains de leurs amis échangent des regards surpris,mais personne ne fait aucun commentaire.

Apparemment, les événements inattendus et l’arrivée de cousins oubliés sont monnaie courante àTanglewood.–Vous ne le savez sans doute pas, enchaîne Skye,mais jusqu’à hier, une bonne partie de notre

familleignoraitl’existencedeCookie.Quandiladébarquésansprévenir,çanousafaitunchoc.Nous

tenionsdoncàtedédiercettefête,Cookie,pourquetusachesquenoussommestrès,très,trèsheureuxdet’avoirparminous!Ellerougitetsecachederrièreunemèchedecheveux.Sajumelleprendlerelais.–Lescousins,onn’ena jamaisassez.Alorsnous sommes ravisde t’accueillir àTanglewood,et

nous espérons que tu pourras rester assez longtemps pour qu’on apprenne à te connaître. C’estvraimentsuperd’apprendrequenoussommesliésparlesang.Voilà!Ému quemes sœurs aient tenu àmarquer le coup de cette façon, je les remercie d’un immense

sourire.Coco,laplusjeune,s’avancedenouveau.–Jedéclaremaintenantlafêtedelaplageouverte!Shayprendsaguitare,Tommyetquelquesgarçonsentamentunmatchdefoot,etlesautrescourent

sejeterdansl’eau.Jenesuispaspressédelesrejoindre,carjemesuisdéjàbaignécematin,commemelerappellemonjeanencorehumide.Jerestedoncallongéausoleil.–Alors,petitfrère,elleteplaît,tafête?medemandeHoney.Désoléedet’avoirrétrogradéaurang

desimplecousin,maisonapenséquetupréféreraisresterdiscret.Çaneregardepersonne,pasvrai?Entoutcas,cecin’estqu’unavant-goûtdelasoiréeprévuesamediprochain,aprèslefestival.Ceseramémorable!–Jeseraidéjàparti.–Pourquoi?Riennet’yoblige.–C’estcompliqué.Jenepeuxpasvraimentt’expliquerpourlemoment,maisçaviendra,promis.

Disons simplement quemon temps est compté, et que je ne peux pasme permettre deme laisserdistraire.– Tu es sûr ? C’est lemois d’août, et tu es sur la plus belle plage du Somerset. Tu devrais en

profiter!– J’en ai bien l’intention, ne t’inquiète pas ! C’est juste que j’ai pas mal de soucis en tête.

Maintenantquejesaisquiestmonpère,ilfautabsolumentquejelecontacteauplusvite…–Onn’auraqu’àl’appelersurSkypepourluiprésentersonfilsperdu.Maisçarisquedeluifaireun

choc.Peut-êtrequ’uncoupdetéléphoneouune-mailseraientplusadaptés?–Jepréféreraiscommuniquerparécrit.J’aibeaucoupdechosesàluidire,etjevoudraisqu’ilaitle

tempsd’yréfléchir.J’auraisbesoindesonadressee-mail.–Biensûr. Justeundétail…papanonplusne saitpasque j’aidécouvert tonexistence.C’est sa

copine–etanciennesecrétaire–quiavendulamècheunjouroùelleétaitfâchée.Àtanaissance,ill’avaitchargéed’envoyerunvirementàtamère.J’essaiedefaireletridansceflotd’informations.– Jepensaisqu’ellementait, poursuitHoney, jusqu’à ceque je fouilledans lebureaudepapa la

veille de mon départ. Je suis tombée sur une vieille mallette qui contenait des documents teconcernant.Maisj’aipréférénepasluienparler,parcequec’étaitdéjàtenduentrenousetquejenevoulaispasenrajouter.Tucomprends?–Évidemment,net’enfaispas.Detoutefaçon,jetiensàleluiannoncermoi-même.Cettehistoire

neregardequeluietmoi,tun’yespourrien.Honey semble soulagée. Je me rends compte que, malgré tous ses défauts, elle a encore

désespérémentbesoindel’approbationdesonpère.Commenta-t-ilpucauser tantdemalautourdelui?

Ellem’empruntemonportablepourynoterl’adressee-maildeGregTanberry.Mamaintrembleunpeulorsquejelerécupère.J’aienvied’écriresur-le-champ,maiscen’estnilemomentnil’endroit.Enplus,çaneserviraitàrien:avecledécalagehoraire,ildoitencoredormiràcetteheure-ci.Je contemple l’horizon derrière lequel se cache unmonde que je suis incapable d’imaginer ; un

mondeoùmonpèrem’attendpeut-être.– Tiens, tu as changé d’avis ?me taquine Honey, pensant que je regarde l’océan. Tu n’as qu’à

remonterlesjambesdetonjeanetvenirtemouillerlespieds.Je finisparcéder, irrésistiblementattirépar lesvaguesbleu turquoise,aprèsm’êtredéchausséet

avoirglissémontéléphonedansunedemesbaskets.Dèsqu’ilsmevoientapprocher, lesgarçonsme tombentdessusetm’entraînentdansunebataille

d’eau. Deux minutes plus tard, je me retrouve à quatre pattes, trempé comme une soupe et lesmenaçantdereprésaillesentredeuxcrisesdefourire.Mêmesinousnousconnaissonsàpeine,unlientrèsforts’estdéjàtisséentrenous.Shay,Tommy,Stevieetlesautressontdesgensbien–toutcommelafamilleTanberry-Costello.Enfait,cesquelquesjourschezeuxsontloind’êtreuneépreuve.J’inspireàpleinspoumonsleparfumdelacrèmesolaireetdusablechaudenessayantdenepas

penserà IslaetMaisie.Siellesavaientété là, ellesauraientpoussédescrisde joie, sautédans lesvagues, construit des châteaux entourés de douves et ornés de coquillages… Au lieu de ça, ellesdoivent être enfermées dans l’appartement, à résister de leurmieux aux tentatives de séduction ducopaindemaman.En fin d’après-midi, Tommy, Stevie etCoco rassemblent du bois pour allumer un feu de camp.

Bientôt,l’odeurdelafuméeajouteunenouvelletouchedemagieàcettejournée.Summermedemandesij’aidéjàvuunballetàl’opéradeLondres.Jesuisforcédeluiavouerqu’en

deux ans, je ne suismêmepas allé une seule fois au cinéma.PuisSkyemeparle de ses boutiquesvintagepréférées,etjefaissemblantdecomprendredequoiils’agit.J’ail’impressionquecesontdesespècesde friperies.Cocom’expliqueensuiteque le réchauffement climatiqueest en trainde fairefondrelabanquiseetquepluspersonnenedevraitmangerdeviande.Jeluirépondsquelecopaindemamère,professeurdetai-chietsculpteursurboisàsesheuresperdues,estvégétarienluiaussi.Elles’exclamequ’ilal’airchouette,etlaconversations’arrêtelà.Ilyadessujetsqu’ilvautmieuxéviter.Pourfinir,jeretiremontee-shirtmouillé,mebadigeonnedecrèmesolaireetm’approprieuncoin

delacouverturequeCherrypartageavecShay.Étendusurledos,jefermelesyeuxetmelaissebercerparlesondelaguitaresanspluspenseràrien.

13

J’aidûemprunteràPaddyunpyjamaàcarreauxécossaisdixfoistropgrandpendantquemonjeanpassaitàlamachine.Cematin,enallantlerécupérer,jeconstatequelatachedesaucesojaadisparu.Çamerendunpeutriste,carçamerappellecombienjesuisloindurestaurantetdechezmoi.Dans lamaison silencieuse, les bols du petit déjeuner sont encore entassés à côté de l’évier.On

diraitquetoutlemondeestpartiprécipitamment.Jemesersdescéréales,unpeugênédejouerainsiles intrus. Pour compenser, je décide de faire la vaisselle. Je ne voudrais pas que mes hôtes meprennentpourunprofiteur.Plus tard, jemetsmon jean à sécher sur une branche de cerisier près de la roulotte.Les jambes

flottentauventcommedesdrapeaux.Ilest11h32,etjen’aitoujourspasderéponseaumessagequej’aienvoyéàGregTanberryavant

demecoucherhiersoir.CherMonsieurTanberry,Je sais que cette lettre va vous faire un choc,mais ça ne sera jamais pire que ce que j’airessenti en apprenant qui vous étiez. Je vous écris parce que je pense être votre fils.Mamère,AlisonCooke,atravaillépourvousilyaquatorzeouquinzeans.Lasuitedel’histoire,vouslaconnaissezmieuxquemoi.Jem’appelleJakeCookeet j’aiquatorzeans–çaaussi,vouslesavezsansdoutedéjà.J’aiencoredumalàm’habitueràl’idéed’avoirunpèrequivitau bout dumonde. J’ai beaucoup de choses à vous dire et un service à vous demander ;mais,pourlemoment,jevoulaisjustemeprésenter.J’espèreavoirbientôtdevosnouvelles,Bienàvous,JakeCookeJe vérifiema boîtemail pour la dix-septième fois – toujours rien. Jeme répète que je dois être

patient,toutencliquantsur«actualiser»aucasoùunmessageseraitarrivédanslestrentedernièressecondes.Cen’estpaslecas.–Hé,Cookie!Cherrys’avanceverslaroulotteavecunsacdecourses.–Salut!Jemedemandaisoùvousétiez.Lamaisonestdéserte.Qu’est-cequisepasse?

–Rien de spécial ; c’est un lundi de vacances comme un autre. Honey est encore au lit, Paddytravailleàl’atelier,CocoaemmenéCoconutsurlaplage,etCharlotteadéposéSummeràl’écolededansedeMinehead.Elleyaencadréunstagepourenfantslasemainedernière,maisçan’apasdûluisuffirepuisqu’elleatenuàyretourneraujourd’hui!SkyearejointMillieetTinaenville,etmoij’aiaccompagnéCharlotteausupermarché.Ont’aprisdeuxoutroischoses!–Vraiment?–Cenesontquedesbricoles,précise-t-elleenmefourrantlesacdanslesbras.Commetuvassans

douteresterencoreunjouroudeux,ons’estditquetuauraisbesoindevêtements.Le sac contient deux tee-shirts aux couleurs vives, un jean, un short de plage, des boxers et une

pairedetongs.Çan’apasdûcoûterunefortune,maisçam’embêtequeCharlottedépensedel’argentpourmoi.– Oh non, vous n’auriez pas dû ! je proteste. Je n’ai pas de quoi rembourser Charlotte ; mes

économiesnes’élèventqu’àseptlivresetquatre-vingt-douzecents!–C’estuncadeau.Etpasdepanique,toutétaitensoldes.Çat’éviteradedevoirporterlesaffaires

dePaddy.Sansvouloirmemoquer,tuneressemblespasàgrand-chose!–Ahbon?Jemetrouvaispourtanttrèsbeau!Plussérieusement,mercibeaucoup.Etc’estpilema

taille;commentCharlottea-t-elledeviné?–Elleavérifiésurtonjeanavantdelelaver,etj’avaisvulapointuredetesbasketshieràlaplage.

Pourlestee-shirts,onachoisiunpeuauhasard.–Cool.Qu’est-cequejepourraisfaireenéchange?CueillirdesfleurspourCharlotte?Tondrela

pelouse?J’aimeraisvousmontreràtouscombienjevoussuisreconnaissantdevotreaccueil.–Ilresteencorepasmaldedécoetdegâteauxàpréparerpourlefestival.Jeudi,onvanouslivrer

un grand chapiteau qu’il faudramonter. Et papa parlait aussi d’installer une petite scène sous lesarbres,maisjenesuispassûrequ’ilaitletempsdes’enoccuper.Ilvapassersesjournéesàl’atelierpours’assurerqu’onaitsuffisammentdestock.Enfin,cen’estpasindispensable;ladernièrefois,onafaitsans.–Moijepourraisenconstruireune,descène!Jesuisassezdouépourlebricolage.Sic’étaitune

optionaucollège,j’auraisunemeilleuremoyenne!Etjesécheraissansdoutemoinslescours–maisça,jelegardepourmoi.Cherrymeconduitvers

l’endroitoùPaddyaprévudefairejouerlesmusiciens.–EnplusdeShay,onainvitédesgroupeslocaux.Unescèneferaitplusproetpermettraitauxgens

demieuxserepérersurlesite.Tutesensvraimentcapabledet’encharger?–Biensûr.Parcontre,ilmefaudraitunpeudematériel,commedevieillescaissesenboisoudes

chutesdeplanches.–IlyauneréserverempliedebazaràcôtéduboxdeCoconut.Prends-ycequetuveux.Papasera

ravisituréussisàenfairequelquechose,etçan’apasbesoind’êtretrèsélaboré.–Tupeuxcomptersurmoi!Cherrys’assiedsurunesouche.–Alors,c’estvraicequetum’asdithier?Tuasfugué?–Eneffet.–Maisjenecomprendspas…Papaapourtantdiscutéavectamère,lepremiersoir.–C’est cequ’il croit !En fait, je lui aidonné lenumérodemonportable.Honeyadécrochéen

prenantunfauxaccent,etilesttombédanslepanneau.

– Ça ne m’étonne pas d’elle ! Elle a dû adorer jouer ce tour à mon père. En tout cas, ça afonctionné;àpartelleetmoi,personnenesedoutequetuesenfuite.–Promets-moidegarderçapourtoi,hein!–Net’inquiètepas,Cookie.Jesupposequetuasdebonnesraisonspouragirainsi.–Onpeutdireça.C’est fou comme je suis à l’aise avec Cherry, alors que je la connais à peine. Je lui décris la

catastrophe du restaurant et la salle de bains transformée en scène de crime. Abasourdie, elle nem’interromptqu’uneseulefois,quandjementionnelayourtedeSheddie.–Tropgénial!–Euh,non,pasfranchement.–Pardon.C’estvraiquetunel’aspaschoisi.JeluiexpliqueensuitequeMrZhaoal’intentiondefermersonrestaurantetdenousjeterdehors.–C’estpourçaquemamanveutemménageravecSheddie.Ellen’apasd’autresolution!–Tuluiasposélaquestion?Tuessûrquec’estlaseuleraison?–Non,mais c’est évident.Elle se retrouve sans travail ni logement, et commepar hasard, voilà

qu’unhippiedontellenenousavaitjamaisparléproposedenoushéberger.Çanepeutpasêtreunecoïncidence!–Jecomprendsquetut’inquiètes,maistun’étaispasobligédefuguerpourautant.Pourquoivenir

ici,alorsquetafamilleabesoindetoi?Jeluiconfiequejepensaisdemanderàmonpèredequoiremboursernotrepropriétaire.–Ilnousdoitbiença.Mamèren’areçuqu’unseulvirementdesapart,justeaprèsmanaissance.

Auboutd’unan,elleavaittoutdépensé.–Hum, ila faitpareilavecCharlotte. Ilétaitcensé luiverserunepensionalimentaire,mais elle

n’enaquasimentjamaisvulacouleur.Quandonaemménagéici,elleavaitbeaucoupdemalàjoindrelesdeuxbouts.Lebedandbreakfastluirapportaitàpeinedequoinourrirsesfilles,etellenepouvaits’autoriseraucunécart.Heureusement,papaetelleontobtenuunprêtpourLaBoîtedeChocolats,etleuraffaireatrèsvitemarché.–Tonpèreal’airvraimentcool.Rienàvoiraveclemien.–Tul’asdéjàcontactéoupas?–Jeluiaienvoyéune-mailauqueliln’apasencorerépondu.Ildoitêtreentraindevérifierqueje

neluiracontepasdebêtises.Oualors,ilespèrequejefiniraiparabandonner.Maisjenepeuxpasmelepermettre.Croisonslesdoigtspourqu’illuiresteuneonced’humanité.–Lagénérosité n’est pas sa plus grandequalité,mais il doit quandmêmeavoir une conscience.

Bonnechancepour tonplan,Cookie.Essaiesimplementdenepasêtre tropdéçus’ilne fonctionnepas.– Ça fonctionnera. Je n’ai pas le choix. Tu ne comprends pas, Cherry – il faut absolument que

j’arrangeleschoses!Ellepenchelatêtesurlecôtéd’unairsongeur.–Tut’enveuxbeaucoup,ondirait.Pourtant,cen’étaitqu’unmalheureuxaccident!– Non, c’est ma faute. Maman m’avait confié mes sœurs, et je n’ai pas été à la hauteur. Mes

décisionsonteudegravesconséquences.Etcontrairementàmonpère,j’ailafermeintentiondelesassumer.–C’esttoutàtonhonneur.Mêmesijeresteconvaincuequetun’yespourrien!

–Tuestropgentille.Aufond,c’étaitpeut-êtreledestin.Pileaumomentoùjenevoyaisplusquoifaire,lebilletdetrainenvoyéparHoneyetlaprédictiondufortunecookiesesontdétachésdumur.C’étaitforcémentunsigne!–Quisait…Maistun’aspaspeurquetamèrefinisseparseposerdesquestions?– Elle croit que je passe quelques jours chez un copain. Ce n’est pas la première fois que je

disparais.Detoutefaçon,elleesttellementoccupéeparlavisitedeSheddiequemapetitepersonnedoitavoir

étéreléguéeausecondplan.Etd’iciàcequ’elledécouvrelepotauxroses,j’aurairécupérédequoifairediparaîtrenossoucis.Cherryn’apasl’airconvaincue.J’insiste:–Monpèreestmonseulrecours.JecomprendsqueMrZhaonousenveuille,lepauvre,maisjene

peux pas le laisser nous expulser. Et je refuse que maman s’installe avec un homme pour demauvaisesraisons.Tut’imaginesallervivresousuneyourteavecquelqu’unquetun’asjamaisvu?–Non,biensûr!reconnaîtCherry.Tupeuxcomptersurmoi.Mêmesi,àmonavis,tuferaismieux

d’allervoirpapaetCharlotte.–Jamaisdelavie!jem’exclameavecvéhémence.Ilsontbeauêtresupersympas,jen’aipasenvie

deleurconfiermesproblèmes.Lesadultessontrarementdebonconseildanscescas-là.Ilssemêlentde tout et ne font qu’empirer les choses. Je parie qu’ils insisteraient pour appeler maman, quim’interdiraitdecontactermonpère,etonseretrouveraitaupointdedépart.Nonmerci!Jeneleurdirairien,ettoinonplus,d’accord?Tuaspromis.–Net’enfaispas,merassure-t-elle.Jetienstoujoursmespromesses.Jen’enparleraiàpersonne,

pas même à Shay. Bon, il est temps que j’aille aider papa à l’atelier ; préviens-nous quand tu telanceras dans la construction de la scène. Tommy, Shay ou Stevie pourront peut-être te donner uncoupdemain.–Jevaisallerjeterunœilàlaréserve.Çam’occuperal’espritenattendantquemonpèredaigneme

répondre.Jemeforceàsourire,maisj’ailecœurlourd.Jemefaispeut-êtretropd’illusions.–Çavaaller,Cookie,melanceCherryavantdepartir.Tiensbon.J’espèrequ’ellearaison.

14

Unefoisseul, jevérifiedenouveaumonportable.J’aireçuuntextodeMaisiemedemandantdel’appeler,etundemamandisantqu’ellecomprendmonbesoind’espace,maisqu’elleaimeraitquejerentreparcequejeluimanqueetquenoussommescensésdéménagersamedi.Elleajoutequej’aimalchoisimonmomentpourdisparaître.AttendsunpeuquejerevienneavecdequoisauverLeDragondePapieretnouséviterl’expulsion,

jesonge.Onverrasij’aimalchoisimonmoment…Biensûr,cen’estpascequejeluiréponds.Àlaplace,jetape:

Jerentreraidèsquetonidiotdecopainseraparti.

C’estunpeuméchant,maisjesuisdemauvaisehumeur.Pourquoifaut-iltoujoursqu’elletombesur

deshommesquineluiconviennentpas?PuisjetéléphoneàMaisie,quidécrocheàlapremièresonnerie.–Salut,Tara!Il ne lui aurapas fallu longtempspour s’habituer aumensonge.Et j’ai bien l’impressionqu’elle

s’estdéfinitivementappropriéleportableréservéauxcasd’urgence.–J’avaishâtequetum’appelles,déclare-t-elle.Tunedevinerasjamaisoùonest…auzoo!–Quoi?Auzoo?Commentçasefait?–Attends,Tara,jevaisallerm’asseoirdevantl’enclosdespingouins,c’estmonpréféré.Onpasse

unesuperjournée!Oh,lesautresvontacheterdesglaces…Vouspouvezmeprendreuncornetvanilleavecducoulisdefraises,s’ilvousplaît?–Quelsautres?Tuesavecqui?–Maman,IslaetSheddie.Ilesttropcool,Cookie.Jesuissûrequ’ilteplairait!–Çam’étonnerait!Tuessûrequ’ilsnepeuventpast’entendre,Maisie?Faisattention!–Ilssontpartisfairelaqueuedevantlestandduglacier.Lafileesttrèslongue,net’inquiètepas!– Comment veux-tu que je ne m’inquiète pas ? Je croyais que vous deviez être odieuses avec

Sheddiepourqu’ilvousdéteste.–Oui,mais…notreplann’apasfonctionné,parcequ’ilestvraimentgentil.Ilnousademandéoù

onrêveraitd’aller,ethop,nousvoilàauzoo!Mêmes’ilpréfèrelesréservesoùlesanimauxsonten

liberté.Ilnousaproposédeparraineruntigreparlebiaisd’uneassociation.Onrecevraunephotodenotrefilleuletunepeluche.Cool,non?– Sheddie est notre ennemi, Maisie. Comment peux-tu le trouver gentil alors qu’il veut nous

emmenervivresousunetentepourrieàMillford?–Pasunetente,uneyourte!Et ilnousamontrédesphotos,elleest trèschouette.Ilyaunpetit

poêleàbois,desguirlandeslumineuses,devraislitsavecdegrossescouverturesetdestapisindiensparterre.Etpuisc’estjusteenattendantqu’ilaitfinideretaperlamaison.Ilnousatoutexpliqué.Cen’estpascequ’oncroyait,Cookie!–Jeledétestequandmême!Jen’arrivepasàcroirequetutesoislaisséembobiner,Maisie.–Iln’yaquelesimbécilesquinechangentpasd’avis.Etdetoncôté,quoideneuf?–Jesuisentraind’aideràorganiserunfestivalsurlethèmeduchocolat!–Unfestival?Waouh!Mais tucomptes revenirquand?Onadéjàcommencé lescartons, ilne

resteplusquetesaffairesàemballer.Mamanditquesiçacontinue,ellevatéléphoneràlamèredeHarryetenvoyerSheddietechercher.–Ilfautquetul’enempêches!Trouveuneexcuse,n’importelaquelle,oujesuisfichu.Encoreun

jouroudeux,ettoutseraarrangé.Tiensbon,Maisie!–Ah,lesvoilàquireviennentaveclesglaces!Ilfautquejetelaisse.Bye!Elleraccroche,melaissantseulavecmesdoutes.Pourfinir, jerenonceàattendreunmessagede

monpèreetdécidedememontrerplusdirect.Salutpapa,Jepeuxt’appelercommeça,pasvrai?Etpuis levouvoiement,çafaitvraimenttropformel.Tu as dû avoir le temps de lire mon premier e-mail. Je suppose que tu as été surpris derecevoirdemesnouvellesaprèstantd’années–maisj’espèrequec’étaitunebonnesurprise.Ce n’est pas comme si tu découvrais mon existence. En tout cas, ce serait super si tupouvaismerépondreassezvite–j’aiquelquechoseàtedemander,etc’estplutôturgent.Bienàtoi,JakeAprès avoir cliqué sur « envoyer », je fixe l’écran demon téléphone comme si je pouvais faire

apparaîtreuneréponseparlaseuleforcedemavolonté.Riennesepasse.Lafrustrationm’envahit,accompagnéed’unepointededésespoir.Jen’aidécidémentpas l’étoffe

d’un super-héros. Ou alors, Cherry avait raison, et mon plan n’est pas aussi infaillible que jel’imaginais.Jen’arrivepasàcroirequeceloserdeSheddieaitréussiàsemettremessœursdanslapocheavecunebaladeauzoo,uneglaceetlapromessed’unepeluchedetigre.Àcerythme,elleschoisirontleursrobesdedemoisellesd’honneurd’iciunesemaine.Cettepensée

mefaitfroiddansledos.J’aibesoindemechangerlesidées,et,pourça,lemieuxestdemerendreutile.Jemedirigedonc

versl’atelier,oùj’annonceàPaddyquejevaisessayerdeconstruireunepetitescène.–Tuessûr?medemande-t-ilenretirantsontablier.Ceseraitformidable.Tupeuxprendreceque

tuveuxàcôté. Je t’auraisvolontiersdonnéuncoupdemain,mais jenevaismalheureusementpasavoirletemps.–Aucunproblème,j’aimebientravaillerseul.

Ilmeconduitàlaréserve,uneancienneécuriedanslaquellesontentassésdescageots,descaissesetdespalettes.Desplanchesdeboisexotique,decontreplaquéetdepinsontrangéeslelongd’unmur,en face d’étagères couvertes de scies, de bocaux de clous, de pinceaux et de boîtes de peintureentamées.–Génial!jem’exclame.Avectoutça,jedevraispouvoirfabriquerquelquechosedechouette.– Fais comme chez toi. Par contre, attention avec les outils.Rien d’électrique, d’accord ? Je ne

voudraispasquetamèremebottelesfessesparcequejet’ailaisséjoueravecunesciesauteuse!–Jemedébrouilleraisans!Etjeseraiprudent,promis.–Parfait.Mercibeaucouppour tonaide,Cookie.J’auraisaimém’enoccupermoi-même,mais je

viensdetrouverunenouvellerecette!Ilpassesamaindanssescheveuxébouriffésquiluidonnentl’aird’unsavantfou.–Leplusimportant,c’estd’innover,poursuit-il.Touteslesidéesméritentd’êtrecreusées.J’aidéjà

essayépasmaldechoses:deschocolatsaucurry,àlamarmelade,àlamuscade,àlacannelleouauthéEarlGrey.J’aimêmetestéunmélangebeurredecacahuètesetpimentsdujardin.Lerésultatn’estpas toujours terrible,mais ces expérimentations font partie du plaisir.Et cette fois, je crois que jetiensunparfumquipourraitfonctionner.–Ahoui,lequel?–C’esttopsecret!Jeteleferaipeut-êtregoûterplustard.Demain,l’équipedetélévisionvafilmer

l’ensemble du processus de fabrication ; si çamarche, il y a de fortes chances pour que les genss’arrachentcenouveauchocolatqu’ilsaurontvuàlatélé.Sur ces mots, Paddy retourne à l’atelier tandis que je me mets au travail. Je commence par

transporterdevieillespalettesetdescaissesjusqu’àl’étenduedepelouseindiquéeparCherry.Jesuisheureuxd’avoirunetâcheàaccomplir,ettoutl’après-mididevantmoi.C’estlapremièrefoisquejem’attelleàunprojetdecetteampleur,bienque j’aiedéjà installédesétagères, réparé leparquetetmêmeposéunnouveauplandetravaildanslacuisinedemaman.Jedevraism’ensortir.Enplusdem’occuper,ceseraunexcellentmoyenderemercierlesTanberry-Costellopourleuraccueil.J’entasse des palettes afin d’obtenir une base sur laquelle je cloue ensuite un plancher en

contreplaqué.J’ajoutedescaissesdechaquecôtépourformerdesmarches,puis,aprèsavoirfixédesplanches de pin tout autour pour dissimuler les palettes, je recouvre ma scène d’une couche depeinturebleuroi.Lorsque le soir arrive, je n’ai pas complétement terminé.Mais je dois laisser sécher la peinture

avantdepouvoirpasserauxfinitions.Alorsquejesuisentraind’entasserleschutesdeboisdansunebrouette,Paddyvientvoiroùj’ensuis.–Bravo,Cookie!mefélicite-t-il.C’estencoremieuxquecequej’imaginais!–Jemesuisbienamusé,etçam’apermisdebronzerunpeu.Jepeaufineraitoutçademain,maisle

plusgrosestfait.–C’estvraiquetuasprisdescouleurs.Onestenpleinevaguedechaleur,encemoment.Lamétéo

prévoitdesoragesen findesemaine,mais j’espèrequ’il ferabeausamedi !Tiens,voiciunepetiterécompensepourtontravail.Çateferaunpeud’argentdepoche.Ilmeglisseunbilletdanslamainets’éloignesansmelaisserletempsdeprotester.–Tul’asamplementmérité,lance-t-ilpar-dessussonépaule.Enplusd’unsuperbebronzage, j’aidoncgagnédix livres.Cettemanne inattenduemedonneune

idée. Je pourrais envoyer une avance àMr Zhao en attendant quemon père semanifeste – s’il se

manifesteunjour.Letotaldemeséconomiess’élèvedoncdésormaisàdix-septlivresetquatre-vingt-douzecents.Je

medoutequeçanesuffirapasàréparerleplafonddurestaurant,maisçaprouveraànotrepropriétairequejesuisdésolé.Etpeut-êtrequ’unefoiscalmé,ilrenonceraànousexpulser.Jevaischercherunefeuilledepapierblancdanslaroulotteafindeluiécriresansplustarder.

CherMonsieurZhao,

J’aimerais m’excuser (une nouvelle fois) pour les dégâts causés par le débordement de notre

baignoire.Croyez-moi,c’étaitunaccident.J’avaistachémonjeanaurestaurantlaveille,maisnotre

machineàlaverétaitenpanne,etjen’avaispasdequoialleràlalaverie.Surtout,n’envoulezpasà

mes sœurs d’avoir laissé les robinets ouverts. Je suis le seul responsable, car j’étais censé les

surveiller.

Jesuiségalementdésoléd’avoirécritaurougeàlèvressurvotrevitrine.Jetenaisàm’assurerque

vousauriezmonmessage,maisjemerendscompteaujourd’huiquej’auraismieuxfaitdeglisserune

lettresousvotreporte.J’oubliesouventderéfléchiravantd’agir–commepourlabaignoire.Sachez

quejesuispartienmissionsecrètepourtrouverdequoiréparervotreplafond.Malheureusement,les

chosesn’avancentpasaussivitequejelevoudrais.Voicidonc17,92livrespourcommencer;lereste

suivradèsquepossible.S’ilvousplaît,neditesrienàmamère.Elleneseraitpascontente,etjene

tienspasàluirévéleroùjesuispournepasl’inquiéter.

Nenousjetezpasdehors,parpitié.Jen’aivraimentpasenvied’allervivresousuneyourte.

Jevousjurequejen’aipasfaitexprès.

Avecmesplussincèresexcuses,

JakeCooke

Unedemi-heureplustard,jedescendsauvillageaprèsavoirobtenuuneenveloppeetuntimbreen

racontantàCharlottequejesouhaitaisécrireàmafamille.

15

Mêmesima lettreàMrZhaomepermetdegagnerdu temps, il fautvraimentque j’accélère leschosesducôtédemonpère.Deretouràlaroulotte,jeluienvoieunnouvele-mail.Cherpapa,Tutedemandessansdoutecommentrépondreàmesmessages.Çanedoitpasêtreévidentdes’adresseràunenfantqu’onaabandonnéavantsanaissance.Maisn’aiepaspeur:jenecherche pas à régler des comptes avec toi. La vie n’a pas toujours été facile à lamaison.Mamanavaitparfoisdumalànousnourrir,maiselleest formidableetelleasucompenserton absence. Alors je te pardonne. D’ailleurs, j’ai même une idée pour que tu te rattrapesaprès ces années de silence. Je pense que ça te ferait du bien, etmoi, çame soulageraitd’ungrandpoids.S’ilteplaît,cessed’ignorermese-mailsetfais-moisigne,afinquejepuisset’endireplus.Jetejurequ’iln’yapasdequoit’inquiéter.Tonfilsperdudepuislongtemps,JakeÀ chaque fois que j’expédie un nouveau message à destination de l’Australie, mes espoirs

s’effritent davantage.Quand j’ai conçumon plan, j’étais persuadé queGregTanberry sauterait surl’occasionderenoueravecmoietouvriraitsonportefeuillesanshésiter.C’estcequeferaitn’importequelpère,non?Sauflemien,apparemment.Je ne lui ai jamais rien demandé de ma vie, et c’est la seule personne riche que je connaisse.

D’aprèsHoney,ilvitdansunevillatrèschicenbanlieuedeSydney;ilaunepiscine,unebellevoitureetdescostumessurmesure.Ilpeutsûrementsepermettredefairerefaireleplafonddurestaurantetlasalledebains– jepariequ’ildépensebienpluschaqueannéeenchampagneetencaviar. Iln’auraqu’àseserrerunpeulaceinturepourunefois,etsecontenterdecidreetdethonenboîte.Siseulementilacceptaitdemerépondre,jesaisquej’arriveraisàleconvaincre.Jeluiexpliquerais

quejenesuisniencolèrenienquêtederevanche.Jen’aiaucuneintentiond’allersonneràsaporte;tout ceque jeveux, c’est unpetit coupdepouce.Alors je continue à insister, dans l’espoir que saconsciencefinisseparavoirraisondesesréticences.–Cookie!appelleHoneydepuislamaison.Viensmanger!

Après le dîner, composé de lasagnes végétariennes et de salade, Paddy et Charlotte retournenttravaillerpendantquenousmettonsladernièremainauxpréparatifsdufestival.Honeyétalesestubesdepeinturesurlagrandetabledelacuisineafindefabriquerunesériedepanneaux;Cherryrédigelesmenus du café qui sera installé sous le chapiteau dont elle m’a parlé ; et moi, j’aide Coco àtransformer des pots de confiture en lampions. Je la laisse se charger de la partie artistique quiconsisteàcollerdesmorceauxdetissumulticoloreetdesétoilesargentéessousunecouchedevernis.Monrôleselimiteàdéposerdesbougieschauffe-platàl’intérieuretàleurajouterdepetitespoignéesenfildefer.Pendantcetemps,SkyeetSummerretouchentlescostumesdeféeduprécédentfestival.Maisieet

Islaseraientsubjuguéespartoutescesépaisseursdetulle,dedentelleetdetaffetasdoré.–C’estmagnifique,jecommente.Ondiraitdesrobesachetéesdansuneboutique!–Skyeesttrèsdouéepourlacouture,meconfieSummer.Ellepeutfabriquerdestenuessublimesà

partirdetroisfoisrien.Moi,jenesuisquesonassistante!Elleamêmetravailléaveclacostumièredutéléfilmquiaététournéauvillage.Sijamaistutedemandesquellejumelleestlaplusgénialedesdeux,laréponseestsimple:c’estelle!–N’importequoi!sedéfendSkye.C’esttoiquiesgéniale.Tudevraislavoirdanser,Cookie.Elle

est incroyable. Sans parler de ses innombrables qualités, comme la patience, la gentillesse etl’enthousiasme.Lespetitesdel’écolededansel’adorent.Elleferaitunexcellentprofesseur!–D’accord,d’accord,vousêtestouteslesdeuxgéniales,intervientCoco.Maismoi,jevaischanger

le monde ! Je deviendrai célèbre pour avoir sauvé les pandas géants, stoppé le réchauffementclimatiqueoujenesaisquoi.–Eneffet,tunesaispas!lataquineHoney.Ettoi,Cookie?Pourquoies-tudoué?Jefroncelessourcilssansrépondre.Jenecroispasavoirdetalentparticulier.J’aimebienfabriquer

deschosesdemesmains,mais jenesuispascertainqueçacompte.Dommage.J’auraisadoréêtreaussiintéressantquemesnouvellesdemi-sœurs.–Lefestivalvaêtreépuisant,déclareCoco.Ondevraitpeut-êtreprofiterdenosderniersjoursde

répitpourfairevisiterlecoinàCookie?–Super idée ! acquiesceHoney.Demain, ça vousdirait ?Onpourrait faire unebalade à vélo et

pique-niquerdanslescollines.Ilyadestasd’endroitssensationnelsàdécouvrir,Cookie–lesgrottesdecontrebandiers,laforêt,ledéversoir…çavaêtretropchouette!–Jenesuispasalléelà-basdepuisuneéternité,renchéritSummer.Et jepariequeTommyserait

partant,luiaussi.–Oui,commeStevie,ditCoco.D’aprèsPaddy,ilvayavoirdel’orageenfindesemaine.Autant

profiterdubeautempsavantqueçasegâte!–Qu’est-cequetuenpenses,Cookie?medemandeHoney.J’angoisseunpeuàl’idéedeperdreunejournéeàm’amuseralorsqueletempspresse,maisjene

voudraispasmemontreringrat.–Ceseraavecplaisir,jeréponds.Jen’aipasdevélo,maisvousm’enprêterezun!–Tun’aurasqu’àprendreceluidepapa,suggèreCherry.Shaynetravaillepasdemain;jevaislui

proposerdesejoindreànous.Ilpourraitmêmeapportersaguitare!–Youpi,marmonneHoney.Enfin,commetuveux.Jem’enfiche.J’ailasensationqu’aucontraire,ellenes’enfichepas.Lesautresontl’airgênées,maisCherrysort

malgrétoutsontéléphonepourenvoyeruntextoàShay.C’estbizarre;çafaitdeuxoutroisfoisqueje

note un certainmalaise entre les deux filles. Pas besoin d’être devin pour comprendre queHoneydétestesademi-sœur.Plustard,alorsquej’aideCocoàrangerleslampionsdanslabuanderie,jeluidemandecequis’est

passé.Ellemeregarde,trèsétonnée.–Personnenetel’aexpliqué?Ehbien,disonsqu’onmarchesurdesœufslorsqueHoneyestdans

lesparages.EllenepeutpassupporterCherry.–Ça,j’aivu,maispourquoi?–Depuisledébut,elleenveutàPaddyetàsafilled’êtrevenuss’installercheznous.Sonséjouren

Australiel’aunpeucalmée,et,maintenant,elletolèreàpeuprèsnotrebeau-père.MaisavecCherry,c’estpluscompliqué.–Commentça?–Ehbien,ilyatroisans,ShayétaitlepetitcopaindeHoney.Ill’aplaquéepourCherry.–Aïe!Çan’apasdûêtrefacile.Enfin,siçaremonteàtroisans,ildevraityavoirprescription.–Jesuisd’accord,surtoutqueCherryn’avaitrienplanifié.Lessentiments,çanesecontrôlepas.

J’aiparfoisl’impressionqueHoneyaimeraitseréconcilieravecelle,maisqu’elleadumalàtournerlapage.C’estnul,hein?Direqu’unequerellevieilledeplusieursannéesopposelesdeuxsœursquisesontmontréeslesplus

gentilles et les plus accueillantes avec moi… Je devrais peut-être parler à Honey afin qu’ellecomprenneàquelpointc’estridicule.Nousretournonsdanslacuisine,oùelleestentraindeservirdesmilk-shakesauchocolat.Paddyet

Charlottenousrejoignentbientôtavecunplateaud’échantillons.– Les enfants, annonce Paddy, je voudrais vous faire goûterma dernière création. J’hésite entre

deuxdéclinaisonsdecenouveauparfumetj’auraisbesoindevotreavis.Ilfaitpasserleplateauautourdelatable.Certainschocolatssontrecouvertsdemiettesdebiscuits

façoncrumble,etlesautresfourrésdepépitescroustillantes.Ilssontsicrémeuxquej’aidumalànepastoutdévorer–etjenesuispasleseul.–Doucement,Coco!grondeHoney.Tuvast’étouffer!–Jen’ypeuxrien,c’esttropbon!Qu’est-cequetuenpenses,Cookie?–Moijepréfèreceuxquicroustillent!déclareSkyeavantquej’aiepuouvrirlabouche.–Etmoilesautres!répliqueSummer.Ilssontunpeuriches,maisj’adorelacouchedecrumblesur

ledessus.Paddymedévisage,attendantmonverdict.–Jesuisd’accordavecSummer,mêmesilesdeuxversionssontàtomber!–Danscecas,vapourlesmiettesdecrumble!Jevoulaisquecesoittoiquidécides,Cookie,parce

quecesontlestiens.Jenevoispastropoùilveutenvenir.Cherrym’explique:–Papaainventéunchocolatpourchacuned’entrenous,ens’inspirantdenosparfumsfavoris.Ils

onttousénormémentdesuccès.Lemiens’appelleCœurCerise,etilyaaussiCœurGuimauve,CœurMandarine,CœurCocoetCœurVanille.Pourfêtertonarrivéeparminous,iladécidédetedédiersanouvellecréation:CœurCookie.Çateplaît?Brusquementmagorgeseserre.Paddy,Charlotteetlesfillesmeconsidèrentvraimentcommeun

membredeleurfamille.J’inspireprofondémentpourreprendremesesprits.–Çasonnebien,jemurmureenfin.C’estlapremièrefoisqu’ondonnemonnomàunchocolat.

–La recette n’est pas encore définitive, préciseCharlotte. Il nous reste une surprise à ajouter àl’intérieur,maisonestsurlabonnevoie.Entoutcas,jesuisraviequetuaimes!–Tevoilàofficiellementl’undesnôtres!conclutHoneyavecungrandsourire.

16

Le lendemain, notre petite bande se rassemble au village à 10 heures. Pendant que les autresétudientlescartesendiscutantdumeilleuritinéraire,jeremontemonsacsurmondossansriendire.J’ai l’impressiondemeretrouverdansuneaventureduClubdesCinq.Nousnousélançonsàlafileindienne sur de jolies routes bordées de chèvrefeuille à l’odeur délicieuse. Mon guidon trembledangereusement chaque fois qu’une voiture nous dépasse. Le terrain est assez vallonné et le soleilbrilledanslecield’unbleupur.Nousn’avançonspastrèsvite,maispersonnenes’ensoucie.Auboutd’unmoment,nousbifurquonsversunsentierquis’enfoncedanslesbois.Rapidement,la

majorité d’entre nous se résout à continuer à pied, sauf Shay et Stevie qui sont équipés de VTT.Commelapistequimèneauxgrottesdescontrebandiersestfermée,nousdécidonsdepique-niquerauborddelarivière.Faceàlapetitecascadequ’elleformeensejetantdansledéversoir,jenepeuxpasm’empêcherde

repenseraudésastreduDragondePapier.Heureusement, l’attraitdel’eaufraîchefinitparmefaireoubliermesproblèmes,etjemedébarrassedemontee-shirtetdemonjeanpourallernageraveclesautrespendantque les jumellesétalentdegrandesnappesàcarreauxsur laberge.Tout lemondeaapportéquelquechose–moi,j’aiprisdessandwichsaufromageunpeuécrasés.C’estunvraifestin.Il y a de la pizza froide, des crudités, des feuilletés aux saucisses, des chips, des œufs durs, del’houmous et des falafels ; et pour le dessert, des cupcakes couverts de glaçagesmulticolores, dubrownie au chocolat et de la salade de fruits frais. Tommy plonge des bouteilles de soda et delimonadedanslarivièreafindelesrafraîchir.–Vousêtesensembledepuislongtemps?jedemandeàSummerenprenantunsandwich.–Pasmal,oui.Tommyestsuper.Ilm’abeaucoupsoutenuedanslesmomentsdifficiles.Jejetteuncoupd’œilàsajumelle,étendueunpeuplusloinavecunlivre.–EtSkye,ellen’apasdepetitcopain?–ElleestsortieavecuncertainFinn,àpeuprèsàlamêmeépoquequemoiavecTommy.C’étaitle

filsdeNikki,laproductricedudocumentaire.Malheureusement,çaafinipars’étioleràcausedeladistance.Ilssontrestésamis.OnainvitéFinnpourlefestival,maisilnepourrapasvenir.C’estsansdoutemieuxcommeça…PuisTommyvients’asseoiràcôtédenous,etnouschangeonsdesujet.Aprèsavoirbu,mangéet

discuté,nousnousprélassonsausoleil.Pourtant,j’aidumalàprofiteràfonddecettejournée;jesuis

troppréoccupéparl’avenirdemafamillepourmedétendre.Auboutd’unmoment,jesuisincapablederésisteretvaism’isolerauborddel’eauafindevérifiermese-mails.Évidemment,jen’enaitoujourspasdemonpère.Maman,parcontre,m’aenvoyéuntexto.

Jake, je sais que tu te caches chez Harry, mais il faut qu’on parle. Personne n’a

décroché quand j’ai appelé chez lui. On déménage samedi – s’il te plaît, rentre à la

maison!

Jemehâtedetaperuneréponse.

Ducalme,maman!Toutvabien,jetejure–j’aijustebesoin

d’unpeudetempspourmoi.

J’aiaussiunmessagedeMaisiequimedonneenviedejetermonportabledanslarivière–maisje

meretiens,parcequec’estmonseulmoyendecontactermonpère.Hiersoir,Sheddienousapréparéunplatindienvégétarientropbon!Jevaispeut-être

devenirvégétariennemoiaussi.Aujourd’hui, ildoitnousfaireuncoursdetai-chi.Tu

devraisluilaissersachance,parcequ’ilestsuper.

Super ou pas, il nem’intéresse pas. Je devrais peut-être rester à Kitnor, vous vous

amuseztrèsbiensansmoi.

J’appuie rageusement sur « envoyer », glisse le téléphone dans ma chaussure et retourne me

baigner,remontantlarivièrejusqu’àlacascade.JedétesteSheddie.Jedétestequ’ilsoitcheznousence moment, et qu’il essaie de s’attirer les bonnes grâces de mes sœurs. Pendant des années, nosvacancesd’étésesontrésuméesàdesjournéesàtraînerauparcoudansl’appartement.Detempsentemps,onprenaitlebusjusqu’àBethnalGreenpourjouerdansleminusculejardindemamie.Etvoilàque ce type débarque et que c’est la fête ; il emmène les filles en balade, leur cuisine des repasexotiquesetleurapprenddestasdechoses.Pasétonnantqu’ellessoientfollesdelui.Maismoi,jenemeferaipasavoiraussifacilement.Jevaismeplantersous lacascadedont l’eauglacéemartèlemonvisageetdissoutpeuàpeuma

colère.Quandjen’enpeuxplus,jem’allongesurledosetmelaissealler,lesyeuxfermés,levisagetournéverslecieletlesbrasécartés,attendantquelesoleilmeréchauffeetquelecourantemportemafrustration.Enfincalmé, jeretourneverslebord.Honeyestassisesurunrocheràl’écartdesautres, lesbras

serrésautourdesgenoux.–Çanevapas?jeluidemandeenmehissantprèsd’elle.Tuasl’aird’aussimauvaisehumeurque

moi.Ellepousseungrossoupirendésignantsonsmart-phone.–Lesgarçonssonttouslesmêmes…Ilavaitpourtantpromisdem’écriretouslesjours!–Tuparlesdetoncopain–comments’appelle-t-ildéjà…Ash?–Oui.Jen’aiaucunenouvelle.Nicoupdefilnimessage.

–Ilapeut-êtreperdusontéléphone?–Çam’étonnerait.Audépart, il avait prévude traverser l’Italie, l’Espagne et laFrance en train

avantdemerejoindreici.Maisçafaisaitunmomentqu’iln’avaitplusévoquélesujet,etmaintenant,silence radio. Il a dû changer d’avis.On ne s’est pas vus depuis desmois ; je ne peux pas lui envouloird’êtrepasséàautrechose…–Tunecroispasqu’ilestjustetropoccupéàvisiteretàs’amuser?J’auraisdûmetaire;cen’étaitclairementpaslaréponsequ’elleattendait.–Jen’aijamaiseudechanceaveclesgarçons,reprend-elle.J’ailedonpourchoisirceuxquivont

medécevoir…–TuparlesdeShay?jesouffle.–Tuesaucourant?Bah,peuimporte,cen’estpasunsecret.Notrerupturen’aéchappéàpersonne.

C’était horrible. J’avais l’impression d’être la risée du village. Et comme si ça ne suffisait pas, jedevaisvivresouslemêmetoitqueCherry–tuimagines?–Mapauvre…– Je ne te le fais pas dire. Il y avait de quoi péter les plombs. J’avais envie de tout casser pour

montrer aux gens que plus rien n’avait d’importance, alors qu’au fond, c’est moi que je voulaisblesser.Jemesuisconstruitunecarapacepouréviterdesouffrir– jusqu’àceque jerencontreAsh.J’aicruqu’ilétaitdifférent.Maisvisiblement,jemesuisencoretrompée.Jesecouelatête.–Jesuissûrqueçavas’arranger.Ildoityavoiruneexplicationàsonsilence,ilapeut-êtreperdu

sontéléphoneousonchargeur.Ouils’est laisséprendreparsonvoyagesanspenserquetupouvaist’inquiéter.–Possible.C’estvraiqueje levoismalmeplaquersansunmot.Iln’estpascommeça.Mais je

n’enpeuxplusd’attendreunmessagequinevientpas.Àcesujet,oùenes-tuavecpapa?–Àtonavis?–Nullepart,jesuppose.Jet’avaisprévenuqu’ilétaitnul.Onn’avraimentpastirélegroslotavec

lui!–Non…HeureusementquetuasPaddy.Ilestchouette.Mamère,elle,s’estentichéed’uneespèce

dehippieappeléSheddie.Iladesdreadlocks,donnedescoursdetai-chietessaiedeconvaincremessœursdedevenirvégétariennes.–Cen’estpassigrave,si?Cocoaussiestvégétarienne,etmamanfaitdutai-chi.Quantauxdreads,

c’estunlookcommeunautre…–Tunevaspast’ymettre!Messœursavaientpromisdeluimenerlaviedure,mais,auboutd’une

journée,ellesluimangeaientdanslamain.Beurk.–Qu’est-cequetuluireproches?C’estunvoleur?Untypeviolent?Undrogué?Iloubliedesortir

lespoubelles?–Jenesaispas,jenel’aipasencorerencontré.Maiscen’estpasleproblème.Tun’aspasl’airde

comprendre!–Si, jevoisbiencequi te tracasse.Le truc,c’estquequand lesparentsseséparent, ils finissent

souventparretrouverquelqu’un.CommemamanavecPaddy,ounotrepèreavecEmma.C’estlavie.Queçateplaiseounon.–Justement,çanemeplaîtpas!Etpuiscen’estpaslamêmechose.Paddyn’estpasunbonàrien

complètementfauché.

–Pourtantc’estcequejepensaisdeluiaudébutalorsqu’ilestplutôtsympa.J’aimislongtempsàadmettre que je m’étais fait de fausses idées à son sujet. Je ne dis pas que nos deux cas sontsemblables,maisSheddieméritepeut-êtrequetuluilaissesunechance.Sitamèrel’aime,ildoityavoiruneraison.–Laraison,c’estqu’ellenesaitpaschoisirsescopains.Regardemonpère.–Notre père. Sur ce coup-là, je ne peux pas te contredire.Mais essaie de ne pas avoir trop de

préjugés.Tupourraisêtresurpris.–Toiquiparlesdelaisserleurchanceauxgens,pourquoitunelefaispasavecCherry?LevisagedeHoneysefermebrusquement.–Çan’arriverajamais!jure-t-elleavantd’allerrejoindrelesautres.

17

Le lendemain, j’ai des courbatures plein les jambes et un gros coup de soleil sur les épaules àl’endroitoùj’avaisoubliédemeremettredelacrème.Maisjesuisravidemonescapade.Aprèsnotrelonguepauseprèsdudéversoir,nousavonsdescendu lacolline, laissénosvélosdansun fossépuisescaladé les rochersde laplagepouratteindre lesgrottesdescontrebandierspar lebas.C’était trèsimpressionnant. Sur le chemin du retour, on a croisé un troupeau de poneys exmoor, puis on s’estarrêtéspouracheterdesfritesetdesbouteillesd’eaudansunpetitvillagevoisindeKitnor.JememoquequemessœursselacoulentdouceàLondresparceque,moiaussi,jepassedesuper

vacances.Leseulpointnoir,c’estquejen’aitoujourspasdenouvellesdemonpère.Sijepouvaismetéléporterjusqu’àSydney,j’iraisdirectementfrapperàsaporteafinqu’ilnepuisseplusm’ignorer.Enmêmetemps,c’estcequ’ilfaitdepuisquejesuisné…Cherpapa-que-je-ne-connais-pas,J’essaiedenepasperdreespoir.Jemedisquemese-mailsontdûatterrirdansundossierdespams,parcequejenepeuxpasimaginerquetumesnobesvolontairement.Tuneferaispasça,hein?Jesuistachairettonsang,etmêmesionnes’estjamaisrencontrés,ilexisteunlienentrenous.Quetuleveuillesounon,tuesmonpère.Quejeleveuilleounon,jesuistonfils.C’estcommeça.Laseuleautreexplicationquejetrouveàtonsilence,c’estquetuneme crois pas. Tu te dis peut-être que je suis un imposteur, un arnaqueur. Alors, pour teprouverquecen’estpas lecas, jet’envoieunephotodemoiprisehier.Je loucheunpeuàcausedusoleil,maistuverrasqu’onseressemblebeaucoup.Entoutcas,d’après lesvieuxportraitsdetoiquej’aivus.Jetejurequejenesuispasentraindetemanipuler.J’aivraimentbesoindetonaide.Situasuncœur,réponds-moi,etjet’expliqueraitout.Tonfilsdésespéré,JakeMamanm’alaisséunesériedemessagesvocauxetdetextossurlesquelsjenem’attardepas.Puis

jegrogneenlisantceluideMaisiem’informantqueSheddieaprévudelesemmeneràlapiscine.Pourmecalmer,jedécidedeterminerlascènedufestival.Aprèsavoirramasséd’énormesbrassées

deboisflottésurlaplage,jefixedeuxgrossesbranchesàlaverticaledechaquecôtédelascène.Elles

serviront à soutenir le décor d’arrière-plan. Je ne sais pas encore à quoi il ressemblera, mais jevoudraisqu’ilaitl’airprofessionnel.Puisjefixelerestedesbranchespourformerunegrandearchequiviendraencadrerledevantdelascène.Çameprenddesheures,maislerésultatenvautlapeine.Ceseffortsm’ontdonnéchaud.Latempératureaencoreaugmentédequelquesdegrésaujourd’hui.

Enfindematinée,lesjumellesetCocoviennentvoiroùj’ensuis.– Bravo,me félicite Summer. C’estmagnifique.Mais ton arche serait encore plus belle si tu y

accrochaisdesguirlandeslumineuses.–Jesaisoùentrouver,renchéritCoco.–Génial!j’acquiesce.Etjevoulaisaussiajouterunarrière-plan,maisjenesaispastropcomment

lefabriquer.–Pourquoipasungranddrap?suggèreSkye.Ilyenapleinquineserventplusdanslegrenier.On

pourraitlepeindreetlesuspendreentrelesdeuxpoteaux.Unedemi-heureplustard,nousnousmettonstouslesquatreautravail.Cocoapporteuntasdepots

depeintureetdepinceauxdans labrouette.Pendantqu’elledessinedesétoilesetdescroissantsdelunesurlecontourdelascène,jedécorelesdeuxbranchesdufonddefeuillesdelierreentrelacées.–Tun’espasseulementdouédetesmains,tuesaussiunvraiartiste!mecomplimenteSkye.Agenouilléesdevantundrapblancétendusurl’herbe,Summeretellesontentraindepeindreun

immense arc-en-ciel et d’écrire«Festival duChocolatdeTanglewood» en lettres rondes.Ça renddrôlementbien,etencoreplusunefoisqu’ellesontterminéetquenoustendonsleurbanderoleentrelespoteaux.Lefaitdecollaborerainsiavecmessœursm’aideàmesentirplusintégré.Ilnemeresteplusqu’àgrimpersurunescabeaupourlatouchefinale.J’ajustedemonmieuxles

guirlandesautourdel’archejusqu’àcequetoutsoitparfait.–MamanetPaddyvontadorer,déclareSummer.C’esttropbeau!–MillefoismieuxquecequePaddyavaitentête,confirmeSkye.Unevraieœuvred’art!–Mais si jamais ilpleut? remarqueCocoenplissant lenez.N’oubliezpasqu’ildoityavoirde

l’orage.Lesampoulesrisquentdeprendrel’eau.Ondevraitpeut-êtreprotégerlascèneaveclesbâchesenplastiquequisontdanslaréserve?–Çam’étonneraitqu’ilpleuve,jeluiréponds.Onétouffe!– Justement, insisteSkye. Il fait toujours très lourd avantunorage.Cocoa raison, ondevrait se

méfier.Nous finissons donc par recouvrir notre travail avec des bâches. J’ai hâte de voir la réaction de

Paddylorsquenousledévoileronsdevantlui!Lesfillesretournentdanslamaisonpourdonneruncoupdemainencuisine,pendantquej’assiste

PaddyetCherryàl’atelier.Ilsmeprêtentuntablieretmedemandentderecouvrirmescheveuxavecun foulard quime donne une allure de pirate. Paddy n’arrête pas une seconde car il veut avoir unmaximum de stock en prévision du festival. Il me montre la machine qu’il vient d’acquérir pourpeaufinersadernièrerecette:uneespèced’aiguilleélectriquequipermetdedessinersurduchocolat.– On va écrire des petites prédictions à cacher dans la ganache, m’explique Cherry. Tu veux

essayer?Malgrémabonnevolonté,jenesuispastrèsdoué.HeureusementqueCherrysedébrouillemieux

quemoi.TandisquePaddyluiapporteunplateaudepetitscœursenchocolatàdécorer,jeréfléchisàune liste demessages.Ce n’est pas si facile. «Souris », «Donne-moi un bisou », «Sois gentil »,« Fais rire quelqu’un », « Partage », « Sois fort », « Relax » et « Vive la magie » devraient

fonctionner;«Répondsauxe-mails»,«Nelavepastonjeandanslabaignoire»et«Attentionauxchutesdeplafond»,unpeumoins.Au bout d’un moment, Honey nous rejoint, tout sourire. Sa mauvaise humeur de la veille est

oubliée.Mêmesielles’énervevite,ellen’estpasrancunière.SaufavecCherry,biensûr.–Cookie,viensvoir!J’aiinventéuntrucgénial.Ceseraparfaitpourlefestival.J’aihâtedesavoir

cequetuenpenses.Jelasuisverslamaisonoùrègnelamêmeeffervescencequedansl’atelier.Sandy,StevieetCoco

sontentraindeplierlespetitesboîtesquicontiendrontleschocolats;etdanslacuisine,Charlotteetlesjumellespréparentassezdefondantaupralinépournourrirtouteunearmée.L’invention deHoney trône aumilieu de la table dans un grand verre sur lequel est fichée une

fraise:c’estuneboissonchocolatéecomposéedeplusieurscouches,commeuncocktail.J’enaidéjàl’eauàlabouche.–Goûte-moi ça,m’ordonne-t-elle enme tendant le verre.Àvotre avis, c’est plutôt un smoothie

crémeux,unmilk-shakeouunchocolatfrappé?Qu’est-cequisonnelemieux?–Unmilk-shake,répondSummer.–Non,unsmoothie,lacontreditCharlotte.Maiscequicompte,c’estsurtoutquecesoitbon!Ilyaunecouchedepuréedefraises,unedelaitauchocolat,unedechocolatnoir,etenfinunede

crèmefouettéesurmontéedecopeauxdechocolat.C’estunepuremerveille.–Peuimportelenom,moi,jesuisfan!jem’écrie.–Jesavaisqueçateplairait!seréjouitHoney.Ettoi,Paddy,tuenpensesquoi?Iln’yapastropde

chocolatnoir?J’aid’abordessayéavecdubeurredecacahuètesetdelabanane,maisc’estmillefoismeilleuravecdesfraises–etpuis,toutlemondeaimeça,non?Paddyboitunegorgéeethochelatêted’unairapprobateur.–Tu as trouvé l’équilibre parfait entre les différents parfums. Je devrais te recruter pour que tu

m’inventesdenouvellesrecettes!–Merci,Paddy.Cherrygoûteàsontouretlèvelepouceensigned’encouragement.–Cookiearaison,c’estàtomberparterre!Honeyluisourit.Maisjusteaprès,elletourneledosauxadultesetmurmure:–Commesij’enavaisquelquechoseàfairedetonavis…Elleaparlésidoucementquej’aifaillinepasl’entendre.Jesuischoqué,maisCherrysoupiresans

répondreetrepartversl’atelier.Ignorantcequivientdesepasser,lesautresdécidentdes’accorderunepetitepausepourboireunthé.–Quoi?marmonneHoneyenmedévisageant.Jesuishonnête,c’esttout!Jesecouelatête,incapabledelaregarderdanslesyeux.Ellehausselesépaulesavecindifférence,

maislorsquejesorsdelapièce,ellem’emboîtelepas.–Qu’est-cequ’il y a ? insiste-t-elle enme retenantpar lebras. Jen’ai jamaisprétenduêtreune

gentillefille,hein!Jen’aimepasCherry,etjenecomprendspascequetuluitrouves.–Ellenousressemble,Honey.Elleajustebesoindesesentiràsaplacedanscettefamille.Pourquoi

es-tuaussidure?–Cen’estpaschezelle,ici.Elles’estincrustéepournousvolertoutcequ’onavait.Messœursse

sontfaitembobiner,ettoiaussi!Jemedégagebrusquement.

–C’esttoiquiessaiesdem’embobiner.Jepensaisquetuvalaismieuxqueça.Surcesmots,jem’éloignesansmeretourner.

Plustard,prèsdelaroulotte,jedemandeàCherry:–Pourquoiest-cequetuneréagispas?Tunedevraispaslalaissertetraitercommeunchien.–Queveux-tuquejetedise?Elleasesraisons.Jel’aiblesséesanslevouloir.Ellem’atoujours

détestée.Àforce,jem’ysuishabituée.–Çaneterendpastriste?–Biensûrquesi!Cesdernierstemps,çaallaitmieuxentrenous.Jecroisqu’elleestjalouseparce

quej’aisympathiséavectoi.–Ons’estàpeineparlédeuxoutroisfois!–Jesais.Maisaufond,Honeyestbeaucoupplusfragilequ’elleneleprétend.–Jem’endoutais.–J’aidelacompassionpourelle.Jeregrettequ’ellesecomporteainsi,maisj’essaiedeprendredu

recul.Peut-êtrequ’unjour,ellefiniraparmedonnermachance.JeréfléchisauxparolesdeCherrylongtempsaprèssondépart.Donnersachanceàquelqu’un,lalui

refuser,tentersachance,larater…comments’yretrouverdanstoutça?

18

Jeme couche avant 22 heures, épuisé par notre expédition à vélo de la veille etmes efforts del’après-midi.Maisjen’arrivepasàtrouverlesommeil.Ilfaittropchaud,troplourd.Jerepousselacouverture en patchwork pour ne garder qu’un simple drap. Ça ne change rien ; j’ai toujoursl’impressionquelaroulottes’esttransforméeensauna.Toutàcoup,montéléphonesemetàvibrer.C’estMaisie.Jem’assiedspourluirépondre.–Salut,sœurette.Çava?Auboutdufil,ellefondenlarmes.–Oh,Cookie,onestfichus!Mamanacomprisquetun’étaispaschezHarry.NichezMitch.Elle

saitquetuasfugué!–Quoi?Qu’est-cequis’estpassé?Nepleurepas,Maisie,calme-toi.Ellevafinirpart’entendre.–Jesuismontéedanstonlit.Commeça,c’estunpeucommesituétaisprèsdemoi.Isladort,et

moi,jemesuiscachéesouslacouette.Onnecraintrien.Peuàpeu,sessanglotss’apaisent.Ellesemoucheavantdepoursuivred’unevoixplusferme:–Cen’estpasmoiquit’aidénoncé.Jetelejure.–Raconte-moitout.Elleprendunegrandeinspirationavantdeselancer.– Tout à l’heure,Mr Zhao est passé voir maman. Il lui a montré une lettre et lui a remis une

enveloppequicontenaitde l’argent.Mamans’estmiseàpleurer.Jenesaispaspourquoi,maiselleavait l’air bouleversée.MrZhao était triste lui aussi. Il a dit qu’il était désoléde t’avoir donnédefaussesimpressions,etqu’iln’avaitaucuneintentiondenousexpulser.Ilsedemandaitcommenttuavaisputemettreuneidéepareilledanslatête.Çaveutdirequoi,expulser?–C’estquandonjetteseslocatairesdehors.Maisjen’aipasrêvé,jel’aientenduenparler.Enfin,je

crois.Ilétaittrèsfâché!–Plusmaintenant,ondirait.Ellearaison ;maintenant,c’estmoiquisuisencolèrecontremoi-même.J’aiencore toutgâché.

Lorsquej’aienvoyécettelettreidioteàMrZhao,jen’imaginaispasunesecondequ’iliraitlamontreràmamère.Pourmoi,ilsnes’adressaientmêmepluslaparole.–Etensuite,ques’est-ilpassé?–Mamanaditqu’elleétaitnavréed’abandonnerMrZhaodanscescirconstancesdifficiles,mais

qu’onallaits’installeràMillford.ElleluiaprésentéSheddiequiaproposédedonneruncoupdemain

pourlestravaux.Cen’estpassonvraimétier,maisjesuissûrequ’ilenestcapable.Ilsaittoutfaire!–Fiche-moilapaixavecSheddie!Etaprès?–QuandMrZhaoestparti,mamana rappeléHarry.C’est samèrequi adécroché.Elle lui adit

qu’ellenet’avaitpasvudepuisplusd’unesemaine.Ensuite,mamanatéléphonéàMitch.Ilaessayéde tecouvrir, jusqu’àcequesonpère luiarrache lecombinédesmainset révèleque tun’étaispasvenu chez euxdepuis une éternité.Sheddievoulait prévenir la police,maismamanapaniqué.Elleavaitpeurquelesservicessociauxl’accusentd’êtreunemauvaisemèreetteplacentdansunfoyer.–Cen’estpasunemauvaisemère,aucontraire;elleestgéniale!–Jesaisbien.Elleesttrèsinquiète,etmoijevaisavoirdesproblèmesparcequej’aimentipourte

protéger.Ilfautqueturentrestoutdesuite,Cookie.Sheddieetellesontentraind’étudierunecarteduSomersetdanslesalon,parcequelalettrequetuasenvoyéeàMrZhaovenaitdelà-bas.Soudain, j’entends un cri. Maisie recommence à pleurer, et je reconnais la voix de maman au

téléphone.–Jake?Jake,c’esttoi?Dis-moioùtues,monchéri,s’ilteplaît.Jenesuispasfâchée,jenevais

pastegronder.Jeveuxjustem’assurerquetuvasbien.– Je vais bien.Ne t’en fais pas pourmoi,maman. Je te promets de rentrer très bientôt, dès que

j’aurairégléuneaffaireimportante.–Jake…Lecœurserré,jeraccrochesansattendrelasuite.J’auraisdûmedouterqueçaarriverait.JemesuislaisséséduireparTanglewood,distraireparmes

sœurs,mesnouveauxamis,lesbaladesàvéloetlaplage.Laviequejemèneiciestsiagréablequej’enaipresqueoubliélesraisonsdemavenue.Çame fait toutdrôledenepluspouvoir contacterMaisie.Mamanva sûrement lui confisquer le

téléphone.Tantpispourmoi.Entre-temps,j’aireçudesmessagesdeHarryetdeMitchquis’excusentdenepasavoirréussiàmecouvrir,maistoujoursriendemonpère.Ladéceptionmerongecommeunpoison.Plusçava,plusjemedisque,sijesonnaisàsaporte,il

melaclaqueraitaunez.Jemesuismontrépatientetpolijusqu’ici,maisilfautquejeregardelavéritéenface:iln’enarienàfairedemoi.Cherpapa,Jemedemandepourquoijet’appelleencorecommeça,maisjenevoispasquelautretermeutiliser.Jenemefaispasd’illusions:tunerépondraspasplusàcemessagequ’auxprécédents.Turefusesd’assumerteserreurs.Reconnaîtrequetuasunfilsreviendraitàadmettrequetuesunhommeinfidèleetunmenteur.Tuasenchaînélesliaisonssanstesoucierunesecondedeleursconséquences.Monexistenceestbien tropembarrassantepour toi–d’autantque j’aigrandidansdesappartementsmiteuxetdesmeublésàmille lieuesdumondeluxueuxdanslequeltuévolues.Je ne t’ai jamais rien demandé de ma vie. Ni ton nom, ni ton amour, ni quoi que ce soitd’autre. Mais il s’est passé quelque chose de grave, et je n’avais personne vers qui metourner,alors j’aipenséà toi. Jemesuisditque tupourraispeut-être rattrapercesannéesd’absenceenétantlàpourmoi.Jemedisaismêmequeçapourraittefaireplaisir.Quelidiotjesuis!

Enfait,mieuxvautnepasavoirdepèrequ’enavoirunaussinulquetoi.Jenet’embêteraiplus,JakeÀpeineai-jeappuyésur«envoyer»quejeregrettemongeste.Quandest-cequejecesseraid’agir

sans réfléchir ? Jouer lespetitsmalinsme soulagependant cinqminutes, jusqu’àcequema raisonreprenneledessusetquejem’aperçoivequej’aiaggravéleschoses.Renonçantàdormir,jesorsdelaroulotteetmedirigeverslamaison.Danslacuisine,jetombesur

Cherry,venueseservirunverred’eau.–Jemeursdechaud,seplaint-elle.Ohlàlà,qu’est-cequit’arrive,Cookie?Tuasunetêteàfaire

peur!–Mamanadécouvertquej’avaisfugué,Sheddieveutprévenirlapolice,etmapetitesœurvientde

m’appelerenpleurant,terrifiéeàl’idéequelesservicessociauxm’emmènentdansunfoyer.Etàcôtéde ça, jem’aperçois quemon plan était voué à l’échec depuis le début.Mon père neme répondrajamais.S’ilavaitétéàlahauteur,ilnem’auraitpasabandonnéàlanaissance.–Tut’espeut-êtremontrétropgentilaveclui.Lese-mails,c’estfacileàignorer.–Pasceluiquejeviensdeluienvoyer.–Tantmieux!réplique-t-elleenriant.Çaluiferalespieds.Ilcomprendrapeut-êtrequetun’aspas

l’intentiondelâcherlemorceau.Cen’estpasqu’unequestiond’argent,n’est-cepas?Leproblème,c’estqu’ilrefusedereconnaîtretonexistence.Pourquoinepasl’appelersurSkype?–Jenesauraispasparoùcommencer.Etj’aipeurqu’ilmeraccrocheaunez.–Onpourraitsedébrouillerpourqu’ilt’écoute.Tuluiasditquoi,jusqu’ici?Ilestaucourantque

tuescheznous?–Non,jevoulaisgérerçatoutseul.Encoreunebrillanteidée…–Travaillerenéquipepermetsouventd’obtenirdemeilleursrésultats.S’ilnesaitpasquetueslà,

onvapouvoirleprendreparsurprise.Ilsuffitdedemanderauxfillesdelecontacter.Àelles,illeurrépondra. Et ensuite, elles te céderont la place. Je suis sûre que Skye, Summer ou Coco seraientd’accord.Mêmesi…–Quoi?–L’idéalseraitdepasserparHoney.Elleavécuaveclui,etc’estellequileconnaîtlemieux.Siça

ne marche pas, on piochera dans nos économies et on te paiera un billet de retour pour Londres.D’accord?–D’accord.Pour la première fois depuis le début de la semaine, j’ai l’impression qu’une lueur d’espoir

s’allumeàl’horizon.

19

C’estainsiquejemeretrouveàcomploteravecHoneyà1heuredumatin,assissurlereborddesafenêtre.–Tuauraisdûvenirmevoirdirectement. J’aurais appelépapa surSkype, et ce serait déjà réglé

depuislongtemps.Ellemedévisaged’unaircontrariéavantd’ajouter:–Jecroyaisqu’onétaitproches,Cookie.Qu’ilyavaitunlienspécialentrenous.Pourquoies-tuallé

teconfieràCherry?–Parcequ’ellemecomprend.– Il faut toujours qu’elleme vole ce que j’ai ! s’offusqueHoney.Mamaison,mon copain,mes

sœurs,mamère…etmaintenant,toi!– N’importe quoi. Tu es bien plus heureuse qu’avant, c’est toi-même quime l’as dit. Tu es en

terminale,tesnotesontbeaucoupprogresséettonprofd’artsplastiquest’encourageàpoursuivredanscette voie.D’accord, Shay et Cherry sont tombés amoureux,mais c’est de l’histoire ancienne ! JecroyaisqueAshétaitleseulgarçonquetuaiesréellementaimé?–Dommagequecenesoitpasréciproque.Jen’aitoujourspasdenouvellesdelui.–Çanedevraitplustarder.Tamèreettessœurstetrouventgéniale,etjesuisplutôtd’accordavec

elles.Quelbesoinas-tud’êtreaussiméchanteavecCherry?C’estellequiasuggéréquetuappellesGreg.Etellene t’apasdénoncéequand je luiaiparlédufauxcoupdefilàmamère,alorsqu’elleauraitpu.–Encoreunepreuvedesastupidité.–Arrêteunpeu!Autantt’acharnersurunchatonsansdéfense.–Queveux-tu,j’aiunmauvaisfond.–Etmoi,jenesaispastenirmalangue,doncjetedonnemonavis.Tunevauxpasmieuxquemoi

avecSheddie.–Faitescequejedis,pascequejefais.Allez,petitfrère,onnevapassedisputerpourça.Jete

rappellequej’aiacceptéd’envoyerunmessageàpapapourtoi!Ilvientdemerépondre:onarendez-voussurSkypeà13heures,heuredeSydney,soit2heuresdumatinici.Cen’estpasl’idéal,maisilsera enpause-déjeuner et devrait avoir cinqminutes ànous consacrer.Etpuis aumoins,onpourrautiliserl’ordinateurdemamansansêtredérangés.

Honeyn’aplusdeportabledepuisquelesienafiniaufondd’unepiscineenAustralie.Êtrevictimedecyber-harcèlementluiacoupél’enviedesurfersurInternet.Depuis, elle s’est trouvé d’autres occupations. Sa chambre, située au dernier étage de lamaison

dansune tourelle, est unevéritable caverned’AliBaba.Desportraitsde filles au regard triste sontentassésdanstouslescoins,àcôtédeplanchesàdessinetdetoilesvierges.Certainssontréalisésàpartir de fragments demiroir, d’autres voilés par des pans de tissu ou peints sur de vieux puzzlesauxquels ilmanquedespièces.Cesontdesœuvresmagnifiquesquirévèlentuneautrefacettedesapersonnalité,loindesesgrandsairsetdesafausseassurance.Uneprofondesouffrancedoitsecacherderrièretoutcela.–Jesuissûrequetuvasdevenircélèbre,Honey!MasœurseraleprochainVanGogh.Enfin,nete

senspasobligéedetecouperuneoreille.–J’enprendsbonnenote.Parfois,j’ail’impressionquel’artestlaseulechosequicomptepourmoi.

Quandonestbriséenmillemorceaux,çaaidedepouvoirs’enservirpourconstruirequelquechosedepositif.Tucomprends?Pasfranchement,maisjevoisqueçaadeseffetspresquemagiquessurelle.Jemeprojettequelques

annéesenavantetnousimaginebuvantuncaféensembledansunbarbranchédeLondres.Elleaurauncartonàdessinsouslebras,etmoi–moi,jenesaispastrop,maisj’yserai.Ettoutirabien.–Qu’est-cequ’ilfaitchaud!gémit-elle.Paddyavaitraison,ilvayavoirdel’orage.–Jen’ycroistoujourspas.Jecollemonfrontcontrelavitrepourcontemplerleciel.Pourlapremièrefoisdepuismonarrivée

àTanglewood,lesétoilesetlalunesontinvisibles.Onfrappedoucementàlaporte.C’estCherry.–Ilestpresque2heures,souffle-t-elle.Ondescend?Honeylèvelesyeuxauciel.–Mercidetonsoutien,Cherry,maisonn’apasbesoindetoi.Jem’enoccupe.JeprendsladéfensedeCherry:–Çameferaitplaisirqu’ellesoitlà.Aumomentoùnoussortonssurlepalier,laportedelachambredesjumelless’entrouvre.–Qu’est-cequisepasse?demandeSkyeàvoixbasse.Ons’apprêtaitàallerchercheràboire,eton

vousaentenduschuchoter.–Rien,rien,mentCherry.–Non,riendutout,j’ajoute.–Vousallezoù?nousinterrogeSummerpar-dessusl’épauledesasœur.–Nullepart ! répliqueHoneyd’unevoixsèche.C’estdingue,onnepeutpasêtre tranquilledeux

minutesdanscettemaison!Bon,voilà:onvaappelerpapasurSkypepourluiprésenterCookie.–Oh!Onpeutvenir?supplieSkye.Çanousconcerneaussi,non?S’ilteplaît!– D’accord, mais essayez de ne pas réveiller maman et Paddy. Cookie a le droit à un peu

d’intimité!C’est alors qu’une autre porte s’entrebâille et que Coco fait son apparition, nageant dans un

immensetee-shirt«Sauvezlespandas».–Jen’arrivepasàdormir,avoue-t-elle.Ilfaittellementchaudquemonsangvabientôtsemettreà

bouillir!Qu’est-cequevousfabriquezsurlepalieraumilieudelanuit?

–Bonne question,marmonneHoney, exaspérée.Changement de programme,Cookie.Ce sera unappelgroupé.Allez,venez–maisparpitié,nefaitespasdebruit!Nous descendons l’escalier à pas de loup, osant à peine respirer lorsque nous passons devant la

chambredePaddyetCharlotte.Unefoisaurez-de-chaussée,lesfillessedirigentverslacuisinepournousservirdesverresdejusd’orangebienfrais.Fredsecolledansnosjambesengémissant.– Il est toujours comme ça quand il va y avoir de l’orage,m’explique Coco. Il déteste ça. Son

sixièmesensestinfaillible;jetepariecequetuveuxqueçavabientôtêtreledéluge.Nous nous glissons ensuite dans le bureau deCharlotte, installé au fond de l’arrière-cuisine. La

tableestencombréedefactures,debonsdecommandeetdedocumentsàen-têtedelasociété.Honeys’assiedsurlachaisepivotanteaumomentprécisoùlepremieréclairillumineleciel.–Waouh!s’écrieSummerenserapprochantdesajumelle.Impressionnant!Sesmotssontnoyésparuncoupdetonnerresifortqu’ilfaittremblerlesmurs.Lapluiesemetà

tomber,fouettantlavitreetdégoulinantlelongducadre.Ondiraitquelafindumondeestarrivée.Fredpressesonmuseaucontremamainenquêtedecaresses.–LanuitidéalepourunappelsurSkype!s’amuseHoneyenallumantl’ordinateur.Entoutcas,on

nepourrapasdirequ’ilnesepassejamaisrienàTanglewood.Bon,écartez-vousuneminute.Onvaéviterdefairepeuràpapa!C’estunesacréenouvellequ’ons’apprêteàluiannoncer,alorsjepréfèreyallerendouceur.Espéronsqu’iln’aitpasoubliél’heuredenotrerendez-vous.Nous reculons tous d’un pas pour sortir du champ de la caméra. Après quelques sonneries, la

connexionestétablie,et levisagedemonpèreemplit l’écran.Ilestblond,belhomme,trèsélégantavecsachemiseauxmanchesretrousséesetsacravate.Lamontreenargentquiornesonpoignetdoitvaloirdeuxfoisplusquecequemamangagneenunan.Voiretrois.Onnedevineraitjamaisquec’estmonpère;ilal’airbeaucouptroplisse,charmeuretdéterminé.

Ladéceptionmefaitl’effetd’unedouchefroide.–Commentvamafillepréférée?demande-t-ilàHoney.Skye,SummeretCocoserapprochentdeleursœur,l’airoutré,ensedisputantpoursavoirlaquelle

pourraitprétendreàce titre. Ils’ensortd’unepirouette,questionneHoneysursadernièrepeinture,Summersursescoursdedanse,Skyesurlesièclequil’inspire,etCocosursescampagnesdedéfensedesanimaux.Ellessourientjusqu’auxoreilles,commehypnotisées.PuisSkyefaitvenirCherry,avecquiilsemontretoutaussiadorablebienqu’ilnelaconnaissepas.– Je suishonorédepartager cebelorageavecvous,déclare-t-il lorsqu’unnouvel éclair zèbre le

ciel,suivid’uncraquementdetonnerre.Mêmesijedoisavouerquelamétéoanglaisenememanquepas!Vousdevriezpeut-êtreretourneraulit,non?Quevadirevotremère?–Onnevapas tarder, luiprometHoney,dèsqu’on t’auraexposé la raisondenotreappel.Papa,

j’espèrequetuesassis.Jetepasselesdétails,maisvoilà:onadécouvertqu’onavaitundemi-frère,onaretrouvésatrace,et…ilesticiaujourd’hui.Gregluttepourgarderlesourire–mais,derrière,jedevineunepointed’irritation,decolèreetpeut-

êtremêmedepeur.–Queldemi-frère?demande-t-il,sansgrandeconviction.Ilestcoincé,etillesait.Honeymecèdesaplace.Monvisages’affichedanslapetitefenêtresituéeenhautdel’écran,tandis

qu’uneexpressiond’immensesurprise,puisdequasi-fascinationsepeintsurceluideGreg.–Vas-y!m’encourageHoney.Parle-lui,Cookie!

J’ailaboucheatrocementsèche,etlesbattementsdemoncœurrésonnentencoreplusfortquelescoupsdetonnerre.–Papa?jedisd’unetoutepetitevoix.C’estmoi,Jake.JakeCooke.

20

Jem’attendspresqueàcequ’ilpousseuncride rage,niemonexistenceetme traitedementeuravantdecouperlacommunication–maiscen’estpaslecas.–Jake?répète-t-ilsimplement.Submergé par la souffrance, l’amour et le regret, je suis incapable de prononcer unmot. Jeme

contentedehocherlatêteenretenantmeslarmes.D’ungesteunpeuridicule,jetendslamainpourcaresserl’écran.J’ail’impressionque,sijeparvenaisàtouchercepèrequines’estjamaiscomportécomme tel, je pourrais lui faire comprendre combien il m’a manqué. Et moi, est-ce que je lui aimanqué?Lorsquejeretrouvelaparole,jemurmure:–Tun’aspasréponduàmese-mails…–J’aicruquec’étaientdesspams.–Pasdutout.Jesuisvenuicipourteretrouver–etpourrencontrermessœurs.Jenesavaispasque

j’enavais,mais,toi,ilyalongtempsquejetecherche.C’estvrai,mêmesi jenem’ensuisrenducomptequerécemment.Chaquefoisquejemesentais

seuloutriste,c’étaitparcequej’étaisenquêted’unrocsurlequelm’appuyer.Etaujourd’hui,j’aiplusquejamaisbesoindelui.Jepoursuis:–J’aidesproblèmestellementgravesquej’aidûfuguerpourtedemanderdel’aide.Àcaused’un

accidentquej’aiprovoqué,onrisquedeperdrenotreappartement.Ilfautabsolumentquejetrouvedel’argent. Alors, vu que tu es mon père, j’ai pensé que tu pourrais peut-être me dépanner ? Je terembourserai,biensûr.Jenesaispascombienilmefautexactement,maishuitouneufcentslivresdevraientsuffire.Çanoussauveraitlavie.Levisagedemonpèreseferme,commeunrideaudeferquidescendsurunevitrine.–Tumeréclamesdel’argent!s’exclame-t-il,incrédule.Aprèsquatorzeans,turemontesmapiste

jusqu’auboutdumondedanslesimplebutdemeracketter?C’estuneblague,j’espère!–Pasdutout!Mamanaperdusontravail,etnotrepropriétairemenacedenousexpulseràcausede

moi.GregTanberryéclatederire.–Onpeutdirequetunemanquespasdeculot.Tuesbienlefilsdetamère.Toutcequevoulait

Alison, c’était de l’argent : de l’argent pour le bébé, pour le loyer, pour des vêtements, pour de lanourriture… elle croyait s’être trouvé une vache à lait. Elle m’a piégé dans l’espoir de se faire

entretenir, pensant que je serais assez idiot pour payer ses factures à sa place. Et visiblement, leschiensnefontpasdeschats.Lacolèreenfleenmoicommeunraz-de-marée,siviolentqu’ilmepropulsesurmespieds.–Tais-toi!jehurleenabattantmonpoingsurlebureaucouvertdepapiers.Tun’esqu’unmenteur!

Unsalementeur!Leslarmesmebrouillentlavue.Jen’aiplusqu’uneenvie:fuir.Repoussantmessœurs,j’ouvrela

porte-fenêtreetsorsencourantsousl’orage.–Cookie!crieHoneydansmondos.Attends!Nel’écoutepas,c’estunidiot.–Jake,reviens!mesupplieCherry.Jeprêteàpeineattentionàleursvoix,pressédem’éloignerdecettemaisonetdel’humiliationque

je viens d’y subir. Il m’aura fallu quatorze ans pour retrouvermon père, et deuxminutes pour leperdreà jamais. Ilestégoïste, radinetcruel. Jepréfèremepasserd’unpère toutemaviequed’enavoiruntelquelui.Leventmefouettelevisage,etlapluiesemêleàmeslarmes,trempantmesvêtementsetplaquant

mes cheveux sur mon front. Les gouttes me martèlent la peau comme des milliers d’aiguilles.Complètementgelé,jememetsàclaquerdesdents.–Cookie!Neparspas!continuentdehurlerHoney,Cherryetlesautres.Ellesmetalonnent,maisjesuisincapabled’affronterleursregards.Jenesaispassijelepourraiun

jour.Un nouvel éclair illumine le ciel au-dessus des arbres. Je traverse le jardin au pas de course,

contourne la scène enveloppée de bâches, ouvre le petit portail et m’aventure sur les marchesglissantesquimènentàlaplage.Agrippéàlarambardebranlante,jemeréjouisquemesbasketsaientdebonnessemelles.Enfin,mespiedstouchentlesableetjecontemplel’océandeveloursnoirquis’étenddevantmoi

sousuncroissantdelunevoilé.Lesnuagescommencentàsedissiper,emportantaveceuxunepartiedemacolère.–Cookie!HoneyetCherryontatteint l’escalierdelafalaise.Soudain,unhurlements’élèvedanslanuit,et

moncœurfaitunbonddansmapoitrine.Quelqu’unesttombé!–Cherry!sangloteHoney.Ausecours!Veneznousaider!Jemeprécipiteverselles,guidéparlesaboiementspaniquésdeFred.Honeyestàplatventresur

unemarcheetretientsademi-sœurparlesmains.JedistinguelevisagedeCherry,pâleetterrorisé,etj’entendssonsoufflehaletant.–JevaischerchermamanetPaddy!crieSummerdepuislehautdel’escalier.SkyerejointHoneyetnouesesbrasautourdesataille.–Jenetiendraipastrèslongtemps,Cookie,meprévientHoney.Faisquelquechose!Constatant que je ne pourrais pas atteindreCherry par lesmarches, je redescends etme lance à

l’assautdelaparoienmeservantdesaspéritésdelaroche.J’aivaguementconsciencedelaprésencedeCocoderrièremoi.Ellemeconseilled’yallerdoucementetdefaireattentionauxtouffesd’ajonc.Lesyeux rivés sur la tachede couleurdu tee-shirt deCherry, je cherchedes appuis à tâtons sur lapierremouillée.–Netombepas,Cherry,supplieHoneysouslapluie.Tiensbon,s’ilteplaît.Jem’excusepourtout

cequejet’aiditettoutcequejet’aifait.Jesuisvraiment,vraimentdésolée!Accroche-toi!

Même si j’ai l’impression qu’il s’écoule une éternité, je mets moins d’une minute à atteindreCherry.Jemefaufileentrelafalaiseetuntroncquifaitsailliejusteau-dessousd’elle.Àcetinstant,un nouvel éclair illumine le ciel, et je vois ses pieds racler désespérément la paroi en quête d’uneprise.Sesmains sont toujours agrippées à cellesdeHoney.Puis lenoir revient.Tendant lesbras àl’aveuglette,jeparviensàattraperCherryparlataille.–Tupeuxlâcher!jecrieàHoney.Cherryetmoinousécroulonscontrelevieilarbre.Quelquesinstantsplustard,nousrejoignonsCocoaupieddelafalaise.QuandPaddy,CharlotteetSummerarriventenfin, ilsnous trouventassisdans lesable.Honeyet

CherrysontblottiescontremoisousleregardinquietdeSkyeetdeCoco.–Jesuistellement,tellementdésolée,n’arrêtepasderépéterHoney.Cherry hoche la tête, frissonnante, et remercie sa demi-sœur pour la centième fois. Peu à peu

l’adrénalineretombe,etlesbattementsdemoncœurreprennentunrythmenormal.Ilyaencoreunedemi-heure,jecroyaisavoirtoutperdu.Enfait,c’estlecontraire:ilmemanquera

toujours une des pièces du puzzle,mais, à la place, j’en ai gagné une poignée d’autres dont je nepensaispasavoirbesoin.Aprèsleslarmesviennentlesembrassadesetlesexplications.CharlotteetPaddynesemettentpas

encolère;ilssecontententdenousserrerdansleursbras,puisnousaidentàremonterl’escalieràlalumièred’unetorcheélectrique.Lapluiecessealorsquenoustraversonslejardin.Lecielsedégage,laissantlalunenousbaignerde

sesrayonsargentés.Tandisquelesautressedirigentverslaportedelacuisine,Honey,Cherryetmoinousattardonssouslescerisiers,brasdessusbrasdessous.Soudain,noussommesbalayésparlespharesd’unvieuxvanquis’avancedansl’allée.–Qu’est-cequec’estqueça?jemarmonne.HoneyetCherrysecouentlatêtesansrépondre.PaddyetCharlotteressortentdelamaison,lessourcilsfroncés.Quipeutbiennousrendrevisiteà

3heuresdumatin?Àpeine levans’est-ilarrêtéque laportière latéraledécoréed’arcs-en-ciels’ouvreencoulissant.

Unefemmeensortavecunepetitefille,bientôtsuivieparuneenfantplusâgéeetàmoitiéendormie.Quand je vois le conducteur, grand,mince, et coiffé de longuesdreadlocks,moncorps se recouvred’unesueurfroide.Sheddie.–Jake,s’écriemamanavecunsourireépuisé.Oh,Jake,Dieusoitloué,noust’avonsenfinretrouvé!

21

Islaseréveilleetsefrottelespaupières.–Cookie!s’écrie-t-elle.Maisieetelleseprécipitentversmoi.Impossibledeleurrésister;jeleurouvregrandlesbrasetles

étreinsde toutesmes forcesen riantmalgrémoi.Leurodeurde shampoingetdechewing-gummerappellelamaison.–Beurk,tuestoutmouillé!protesteIsla.– Maman m’a confisqué mon portable, m’annonce Maisie, les larmes aux yeux. Grâce aux

messagesquetum’avaisenvoyés,elleadevinéoùtuétais.Jesuisdésolée!–Cen’estpastafaute,jemurmure.Net’enfaispas.Envoyantmamèreapprocherderrièremessœurs,jemeprépareaupire.Danslafaiblelumièrequi

provientdelamaison,jedistinguedenouvellesridesetdescernessombressursonvisage.Ledestinlui a joué tellement de mauvais tours qu’elle semble avoir perdu sa joie de vivre. Avant notreinstallationàLondres,ellen’étaitpassiépuisée.–J’étaismorted’inquiétude,mereproche-t-elle.–Jet’aienvoyédestextospourtedirequej’allaisbien.–Oh,Jake…Ellem’ouvre les bras, et jeme jette à son cou. Isla etMaisie se faufilent entre nous. Je respire

profondément,attendantquelapaniqueretombe.–Onenreparleraplustard,murmuremamanenmecaressantlescheveuxcommequandjefaisais

descauchemarsétantpetit.Toutvas’arranger.Autrefois,jel’auraiscrue.Maisj’aigrandi.PaddyetCharlottes’approchentdenous.– Mrs Cooke ? dit Paddy, la main tendue. Nous nous sommes parlé au téléphone, juste après

l’arrivéedeCookie.Mamanledévisage,surprise.–Jenecroispas,non,réplique-t-elled’unevoixsèche.Etjeleregrette!J’auraisbienaimésavoir

oùsetrouvaitmonfilscesderniersjours.Paddysetourneversmoi.–Qu’est-cequeçaveutdire?

– Rentrons à l’intérieur, intervient Charlotte. On dirait que Cookie a pas mal de choses à nousexpliquer.Nousnousasseyonsautourdelatabledelacuisineavecdestassesdechocolatchaud.Charlottea

vérifiéqueCherryallaitbien.Elles’entireavecquelqueségratignuresetlapeurdesavie.Honeyluia serré lespoignets tellement fortqu’ils sont couvertsdebleus–d’ailleurs, elle aussi s’estunpeuabîmélesmainssurlaroche.Cherryetelleneselâchentplus,commesicecontactpouvaiteffacerdesannéesderancœuretdetension.Aprèstantdevainestentatives,ilaurafalluunaccidentpourlesréconcilier.–Allez, tout lemondesousladouche,etensuite,aulit!ordonneCharlotteenpoussant lesfilles

verslaporte.Cookieetsafamilleontbesoind’intimité.Etvous,ilfautquevousvousreposiez.Elle étend une couverture surMaisie, blottie dans un fauteuil à côté de la cuisinière. Le chien

somnoleàsespieds.QuantàIsla,elles’estdéjàrendormiedanslesbrasdemaman.Pourmapart,jesensquejenesuispasprèsd’allermecoucher.Jefrissonnedansmesvêtements

mouillés,malgrélaserviettedontonm’aenveloppéetlechocolatchaud.Mamannous expliquequ’elle est tombée sur le nomdeKitnor en fouillant dans le téléphonede

Maisie.Quandellel’aquestionnée,masœurs’estseulementrappeléquej’avaismentionnéunfestivaldu chocolat. La piste était mince mais valait la peine d’être creusée. Maman était résolue à metrouver, quoi qu’il en coûte.Unedemi-heureplus tard, nos affaires étaient chargées dans le van etSheddieprenaitlaroutedeKitnor.Ilsavaientprévudes’arrêterencheminpourdormirenattendantquelejourselève,puisd’interrogerdespassantsausujetdufestival.Finalement,ilsn’enontpaseubesoincarilsontaperçuuneaffichesurlaquelleétaitindiquéel’adressedeTanglewood.Paddyvients’asseoiràcôtédemoi.–Dis-moi,Cookie,commentt’es-tudébrouillépourquejen’appellepastamère?Elleetmoi,nous

méritonsuneexplication.Jememordsleslèvres.–Jet’aidonnélenumérodequelqu’und’autre,àquij’aidemandéderépondreensefaisantpasser

pourmaman.Jesuisdésolé;c’étaitidiotdemapart.Laportedelacuisines’ouvresurHoneyetCherry.Leursvisagessontgraves.Charlottetentedeles

renvoyeraulit,maisellessemblentbiendécidéesàrester.–L’idéenevenaitpasdeCookie,maisdemoi,avoueHoney.J’aiprissonportableetmodifiéma

voix pour que Paddy ne la reconnaisse pas. Ça m’amusait de lui jouer ce tour. Je suis la seuleresponsable.–C’estfaux,ellen’yestpourrien!jeproteste.–Quantàmoi,jen’airienditalorsquej’étaisaucourant,ajouteCherry.–Vousmedécevezénormément,touslestrois,déclarePaddy.Jevouscroyaisplusmûrsqueça.–Moiaussi,renchéritmaman.Ilesttempsdetoutmeraconter,Jake.Jesentaisbienquequelque

choseclochaitcesderniersjours,maisjet’aicruquandtum’asditavoirbesoind’air.EtpuisMrZhaom’amontrétalettre,etj’aivraimentprispeur.Islaouvrelespaupièresetmejetteunregardsévère.Lahonteetlaculpabilitémetordentleventre.Sheddierestesilencieuxaufonddelacuisine.Iladesyeuxbrunstrèsdouxetsouritbeaucoup,mais

jenesuispasdupe.Ilnem’inspiretoujourspasconfiance.Jenevoispaspourquoiilseraitdifférentdeshommesquemamèreaconnusavantlui.

– Ce que je ne comprends pas, c’est ce que tu es venu faire ici, reprend maman. Pourquoi leSomerset?Est-cequetuconnaisquelqu’unici?Unanciencamaraded’école?J’échangeunregardfurtifavecCharlotteetPaddy.–C’estunelonguehistoire…–Ehbienvas-y,jet’écoute.–Maman,jeteprésenteCharlotteCostello.Avant,elles’appelaitTanberry.Cenomneterappelle

rien?–CharlotteTanberry?répètemamand’unevoix tremblante.Non, jenepensepasquenousnous

soyonsrencontrées.–Eneffet,maisvousêtesliées.Ilyaquinzeans,tuaseuuneaventureavecsonpremiermari.Le

mondeestpetit,hein?Nemedispasquetuasoublié.Si jevoulaisfairede lapeineàmamère,c’était réussi.Elles’effondre littéralement,cachantses

larmesderrièresesmains.Je prends peur, car elle ne pleure jamais. Elle a toujours été forte et déterminée.Mes sœurs se

réveillent et semettent à sangloter, pendant queSheddie se précipite versmaman et passe unbrasautourdesesépaules.Charlotteluitendunmouchoir,etPaddymecontempletristement.Cen’estpaslapremièrefoisquejedéçoismafamille,maisçafaittoujoursaussimal.–CequeCookieessaiedevousexpliquer,c’estqu’ilestvenuicipournousrencontrer,intervient

Honey.Nous,sessœurs.Onnepeut toutdemêmepas luienvouloir ! J’aidécouvert sonexistencequandjevivaischezpapaenAustralie.Onaéchangéquelqueslettres,etj’aifiniparluienvoyerunbilletdetrain.–Jenecomptaispasl’utiliser.Maisensuite,ilyaeul’accidentdelasalledebains.MrZhaoétait

trèsencolèreparma faute.Encoreune fois, jen’avaispas réfléchi. Il t’a renvoyéeetvoulaitnousjeterdehors.Onallaitêtreobligésd’allervivreavecSheddie,et…–Uneseconde!mecoupemaman.Dequoiest-cequetuparles?MrZhaonem’apasrenvoyée,j’ai

démissionné!Etiln’étaitpasquestionqu’ilnousexpulsedel’appartement.Oùas-tuétéchercheruneidéepareille?–Jevousaientendusdiscuter, le lendemainde l’inondation. Ilétait furieux. Ilnousadonnéune

semainepourpartir.–Non,Jake.Cematin-là,jeluiaiannoncéquej’allaiscesserdetravaillerpourluietdéménager.Tu

asdûmalcomprendre.Ilnenousauraitjamaisfaitça!Jesuisperdu.Ai-jetirédesconclusionsunpeutrophâtivesàpartirdebribesdeconversation?Ce

neseraitpaslapremièrefois…

–Pourtant,ilavaitvraimentl’airfâché.Tuasdittoi-mêmequ’ilnepourraitpaspayerlestravaux!Etnousnonplus,onn’enavaitpaslesmoyens.–Pourquoivoudrais-tuqu’ilpaie?C’étaitunaccident!L’expertdel’assuranceestpassé;lesfrais

seront intégralement pris en charge. Le restaurant sera encore plus beau qu’avant, tout commel’appartement.–L’assurance?jerépète.Jen’yavaispaspensé.Mamanm’expliquequenotrepropriétaireréglaitchaquemoisunecotisation

afindeprévenircegenredeproblèmes.–Alors,pourquoidoit-onallerhabiteràMillfordsousunevieilleyourte?

–Jake,moninstallationavecSheddien’arienàvoiravecça!Nousvoulonsvivreensembleparcequenousnousaimons–toutsimplement.Jefais lagrimace.Lavieamoureusedemamèrenem’intéressepas,mais jen’enrevienspasde

m’êtretrompéàcepoint.Jebaisselatête,penaud.– Ta lettrem’a effrayée, tu sais, reprendmaman. Tu disais àMr Zhao que tu allais trouver de

l’argent.Commentcomptais-tut’yprendre?–Jevoulaisdemanderàpapa…j’espéraisqu’ilparleraitàMrZhao,l’empêcheraitdenousmettre

dehorsetpaieraitlesréparations.–Onl’aappelésurSkypetoutàl’heure,ajouteCherry.Etçanes’estpastrèsbienpassé.Cookiea

finiparsortirencourant;onl’asuivijusqu’àlafalaise,etc’estlàquejesuistombée.Mamanprendsatêtedanssesmains.–TuascontactéGreg?Ohnon…jeneveuxpasdesonargent,Jake!Jen’enaijamaisvoulu!EllesetourneversCharlotte,trèsgênée.–Jen’étaisqu’unegaminequandjel’airencontré.C’étaitmapremièrehistoiresérieuse.Aveclui,

jemesentaisspéciale.Jenesavaispasqu’ilétaitmarié,jevouslejure!Notreaventuren’apasdurélongtemps;l’annoncedemagrossesseyamisfin.J’aiperdumontravailettoutlereste.Ilm’adonnétroismillelivrespourquejemetaiseetquejedisparaisse.Àl’époque,j’aiétéasseznaïvepourm’enréjouir,carjen’avaispaslamoindreidéedecequeçacoûtaitd’avoirunenfant.Quelquesmoisplustard,ilnemerestaitrien.QuandjepensequeGregl’aaccuséeden’envouloirqu’àsonargent…j’enailanausée.–Jenemerendaispascomptedetoutça,maman.J’auraisdûteprévenir,maisj’avaispeurquetu

meretiennes.Ilfallaitquej’essaie,mêmesi,aufinal,monplanesttombéàl’eau.Jecroyaisquepapaseraitheureuxd’avoirdemesnouvelles,qu’ilvoudraitm’aider,mesauver…maisjemetrompais.Honeyprenddoucementmamaindans la sienne.De l’autrecôté,Cherry faitpareil.Soutenupar

messœurs,jemesensplusfort.–Jesuisdésolée,Cookie,murmureCharlotte.Gregabeaucoupdedéfauts.Ilestégoïste,impulsifet

incapabled’assumerlesconséquencesdesesactes.Quandjevoislemalheurqu’ilacauséautourdelui, je regretteparfoisde l’avoir rencontré.Maissans lui, jen’auraispasmesadorables filles,et tamamannet’auraitpas,toi.Jepensequ’elleserad’accordpourdirequ’aufond,çaenvalaitlapeine.–Toutàfait,acquiescemaman.Jenechangeraisçapourrienaumonde.Nousparlonsjusqu’àl’aube.MaisieetIsladormentsurlesgroscanapésdusalon;HoneyetCherry

ontfiniparmontersecoucher,ellesaussi.Jeregagnelaroulotteensongeantàlavisionsurréalistesurlaquelle j’ai refermé laporte :mamanetCharlottedans lesbras l’unede l’autre, riant, pleurant ets’appelant par leurs prénoms.À côté, Paddy buvait un café avec Sheddie en discutant de chocolatéquitable,dedéveloppementdurableetde lapossibilitéd’organiserunatelierde tai-chipendant lefestival.Finalement,j’ail’impressionquejevaispouvoiryparticiper!

22

Quandonn’apasfermél’œildelanuit,parlésurSkypeaupèrequ’onn’avaitjamaisrencontré,vusesespoirssebriserenmillemorceauxetescaladéunefalaisepoursauverunevie,onadequoiêtrefatigué.Alors quand enpluson a vudébarquer sa famille à 3heuresdumatindansunvandécoréd’arcs-en-cieletconduitparunhippieauprénomridicule,puisdiscutépendantdesheuresdeplafondseffondrés, de primes d’assurances et de pères incompétents –, là, on a vraimentmérité une grassematinée!Malheureusement,celuxenemeserapasaccordé.Monportableindique5h50lorsquejem’écrouleenfinsurmonlit.Àpeinetroisheuresplustard,

je suis réveillé par le crissement des roues d’un camion dans l’allée. Peu après, un grand coup deKlaxonretentitdanslesilence.J’ouvrelaporteetdécouvreunegranderemorquegaréedevantlamaison.Deuxouvrierss’affairent

àdéchargeruntasdepiquetsenmétal,uneimmensetoilerougeetdeskilomètresdecorde.C’estlechapiteauindiencommandéparPaddyquivientd’arriveravecfracas.Jeme précipite vers eux pour les convaincre de transporter lematériel dans le jardin. Paddy et

Sheddienousrejoignentbientôt.Ilsontlesyeuxrougesetn’arrêtentpasdebâiller.Maman,Charlotteet les filles sortent à leur tour, etnousdonnonsuncoupdemainauxouvriers.L’und’eux remet àPaddyunefeuilled’instructionscenséeexpliquercommentmonterlatente.Ilestencoreentraindelaretournerdanstouslessensd’unairperplexequandlecamions’éloignedansl’allée.Heureusement,Sheddieseproposedesuperviserlesopérations;d’aprèslui,leprincipeestàpeuprèslemêmequepouruneyourte.C’est foucequ’onestcapablede faireenn’ayantdormique troisheures !Nous travaillonsdéjà

depuisunbonmomentquandShay,StevieetTommyfontleurapparitionetnousapportentuneaidebienvenue.Unpeuplustard,envoyantdeuxfourgonsapprocherdansl’allée,nouspensonsqu’ils’agitdenouveauxrenforts.Maispasdutout:c’estlatélévision.–Jerêve!s’écrieSummer.Nemeditespasqu’ilscomptentnousfilmerentraindenoustueràla

tâche!– J’en ai bien l’impression, je réponds. Ils veulent sans doute immortaliser les préparatifs du

festival.–Ne faitespas attention,nousconseilleNikkipendantque seshommes s’agitent autourdenous

commedesfourmisafind’installerleuréquipementetderéaliserlespremièresprisesdeson.Essayez

deresternaturels!Je ne vois pas comment c’est possible dans ces conditions. Toute la journée, les caméras nous

suivent à la trace, et les micros s’avancent subrepticement au-dessus de nos têtes dès que nousdiscutons. Heureusement, le chapiteau commence à prendre forme. Concentré sur ma tâche, j’enoubliepresquedebouderSheddie–presque,maispastoutàfait.Ilestdoux,travailleurettrèsdifférentdecequej’imaginais.Paddysemblebeaucoupl’apprécier.À

midi,quandmaman,Charlotte,MaisieetIslanousapportentunpique-niquebienmérité,jeremarqueque ma mère s’illumine chaque fois qu’il la regarde. Peut-être qu’elle a dit vrai et que notredéménagementn’arienàvoiravecl’effondrementduplancherdelasalledebains…Messœursaussisont à l’aise avec lui et lui font instinctivement confiance. J’aimerais que les choses soient aussisimplespourmoi.– Il est plutôt sympa, ce Sheddie, me glisse Cherry tandis que nous dévorons nos sandwichs à

l’ombreduchapiteauencoursdeconstruction.–Netelaissepasavoir.–Parquoi?Parlefaitqu’ilaitrouléjusqu’icienpleinenuitpourvenirtechercher?Parlafaçon

dontilsuperviselestravauxdanslajoieetlabonnehumeur?Parsagentillesseenverstamèreettessœurs?Jefroncelessourcilstoutenvérifiantqu’aucunecaméranetraînedanslecoin.–J’enaimarre.Jen’aipasenviededéménageretderepartiràzéroencoreunefois.Millfordestun

trouperduaumilieudenullepart.Etçanemetenteabsolumentpasd’habitersousuneyourte.Notreappartementmeconvenaitparfaitement.–Tun’aspastoujoursditça.–OK,iln’étaitpasensuperétat.Maisonn’apasbesoindelui,Cherry.Çafaitdeuxansqu’onse

débrouilleseuls.Jejetteunregardendirectiondemaman,SheddieetmessœursquijouentavecFredetessaientde

séduire JoyeuxNoël avec desmorceauxde pommeet des caresses.Onn’a peut-être pas besoin deSheddie,maisilsembledéjàtrèsintégré.C’est le moment que choisissent les caméras pour débarquer, attirées par cette tranche de vie

typiquedeTanglewood : undéjeuner impromptu avecunebanded’amisbohèmesvenusdonneruncoupdemainpourlefestival.Silesgenssavaientcequecelacache,ilsseraientsurpris.J’interrogeCherry:–Tun’aspaseudemalavecCharlotte,audébut?Tun’auraispaspréféréqueleschosesrestent

commeavant,quandtuétaisseuleavecPaddy?–J’aitoujoursvouluunefamille,répond-elle.J’enairêvétellementfortqu’ilm’estarrivédeme

demandersiellen’étaitpasapparueparlasimpleforcedemavolonté.Maisrienn’estjamaisparfait,Cookie.JemeseraisbienpasséedelaguerreavecHoney,parexemple.Celle-ciestassiseunpeuplusloinaumilieudescaméras.Ellenousfaitunpetitsignedelamainet

se lèvepournousapporterdessandwichs.Parchance, lescadreursne lasuiventpas. JemurmureàCherry:–Jecroisquel’armisticeestdéclaré.Tunousasfaittellementpeurhiersoirqueçaatoutchangé.– Je l’espère. Tu vois : c’est la preuve que rien n’est jamais gravé dans le marbre. Revoir son

opinionsurquelqu’unnedemandepastantd’effortsqueça.Elleapeut-êtreraison.

–Hé,Cookie!lanceHoney.Ilestsupercool,enfait,tonSheddie!–Cen’estpasmonSheddie.–Oui,bon,façondeparler.Entoutcas,jeluiairacontéquel’escalierdevientsuperglissantquand

ilpleut,cequiaprovoqué l’accidentdecettenuit. Ilm’apromisd’installerunenouvellerambardedèsdemainetderedresserunpeulesmarchespourqu’ellessoientmoinsdangereuses.Franchement,Cherry,tul’aséchappébelle.Situnet’étaispasaccrochée,çaauraitputrèsmalfinir.–C’estsurtoutgrâceàtoiquejem’ensuissortie.EtàCookie.S’iln’avaitpasescaladélafalaise

pourmesauver…brrr.Jevousdoislavie.D’ailleurs,jenesaisplussijevousairemerciés…–Si,si,environunmilliondefois,lataquineHoney.Maisderien.C’estnormal.Jejetteuncoupd’œilfurtifàSheddie.Ilaurasûrementbesoind’aidepourcettenouvellemission.

Jepourraispeut-êtremeportervolontaire?–Combiendetempst’a-t-ilfallupourt’habitueràPaddy?jedemandeàHoney,quiéclatederire.– Oh là là, je préfère ne pas te le dire ! N’oublie pas que je suis une tête de mule. Je déteste

admettre que jeme suis trompée.Cherry peut en témoigner.Mais aujourd’hui, c’est du passé, pasvrai?–Biensûr,répondCherry,rosedeplaisir.Toutestpardonné!–SoisindulgentavecSheddie,reprendHoney.Nefaispaslamêmeerreurquemoi.Qu’est-ceque

tuasàperdre?Lefaitestquej’aidéjàbeaucoupperdu,maisaussibeaucoupgagné.Maintenantquej’airetrouvé

mesdemi-sœurs,jen’aipasl’intentiondeleslâcher.Entrenous,c’estpourlavie.Enfind’après-midi, lemontageduchapiteauindienestenfin terminé. Ilestmagnifiqueavecses

toits pointus, ses ouvertures bordées de pompons et ses parois rouge foncé doublées d’un imprimécachemire.Jeplanteundernierpiquet,etquandjerelèvelesyeux,Sheddiesetientdevantmoi.–Jolitravail,mongrand,mefélicite-t-il.–Merci. Au fait, je voulais te dire… si tu as besoin d’un coup demain pour réparer l’escalier

demain…jeseraisravidet’aider.Enfin,situenasenvie.Sheddies’illumine.–Avecplaisir!Onneserapastropdedeux.Il me tend une main noueuse et bronzée, au poignet orné d’un tatouage celtique. Je la serre

brièvement,etj’ail’impressionqu’unnouveauchapitres’ouvreentrenous.MalgrémeseffortspourdétesterSheddie,jen’yarriveplus.

Lelendemain,nousdormonstoustrèstard.JesuisréveilléparSummerquifrappeàlaportedela

roulotte,uneliassedelettresàlamain.– En revenant de promener Fred, je suis tombée sur le facteur, m’explique-t-elle. La plupart

concernentlasociété,maisilyenaunepourmoi–c’estbizarre,parcequejenereçoisjamaisrien.Ondiraituncourrierofficiel.Etcelle-cit’estadressée.J’espèrequec’estunebonnenouvelle!–Pareilpourtoi.

CherJake,

J’ai été très inquiet lorsque j’ai reçu ta lettre et l’argent qu’elle contenait. Cet accident t’a

visiblementbeaucoupperturbé. Je suisdésolédem’être énervé contre toi. Jeperds vitemon sang-

froid, mais je n’avais pas l’intention de t’effrayer. Je sais bien que tu n’étais pas responsable.

Franchement,c’estplutôtàmoiquej’enveuxdenepasavoirfaitremplacervotremachineàlaveret

d’avoir poussé ta mère à travailler autant. Je ne m’étais jamais demandé qui gardait tes sœurs

pendantcetemps-là.J’aiétéégoïste,etjem’enexcuse.

Cookie,àaucunmomentjen’aiparlédevousrenvoyertamèreettoi.Etencoremoinsdevousjeterà

larue!Encemomentmême,desouvrierssontentrainderéparerleplafond.Ilsm’ontaussiproposé

quelquestravauxderafraîchissement,alorstoutestbienquifinitbien.L’assurancecouvrelesfrais;

jen’auraipasbesoindetonargent.

Sitamèrevoulaitrester,elleseraitlabienvenue,maiselleadécidédepartir.Jeleregrette,carc’est

trèsdifficiledetrouveruneemployéeetunelocataireaussiagréable.Vousallezmemanquer.

Juste avant de prendre la route, ellem’a dit qu’elle pensait savoir où tu étais etm’a donné cette

adresse.J’espèrequ’ellet’aretrouvéetj’enprofitepourluirenvoyersacaution.C’estlamoindredes

choses, car l’appartement est en bienmeilleur état que lorsque vous y avez emménagé.Ce chèque

de500livresvousserasansdouteutilepourvotrenouvellemaison.

SiturepassesparChinatown,viensmedirebonjour.Jevoussouhaitebonnechanceàtous.

Tonami,

DeshiZhao

23

Lorsquenousnousretrouvonsautourdelagrandetabledecuisinepourlepetitdéjeuner,jedonnelechèque àmaman. Il symbolise beaucoup de choses : l’amitié, le pardon, la justice, et notre avenirensemble.Ce n’est pas rien.Nous sommes en train de trinquer à la santé deMrZhao avec du jusd’orangequandSummerfaitsonentrée,lesyeuxpleinsdelarmes.–Qu’est-cequit’arrive,machérie?luidemandeCharlotte,inquiète.Summerbranditunefeuilledepapieràen-tête.–Ooooh…faitSkyeenlaluiprenantdesmains.Ils’avèrequeleprofesseurdedansedeSummerl’arecommandéepouruneboursedeformationà

l’enseignement,danslamêmeécolequecelleoùelleavaitpasséuneaudition.Ladirectricevientdeluiannoncerqu’elleétaitretenue.– Jene savaismêmepasque ce cursus existait ! s’extasie Summer.Vous vous rendez compte ?

Comme je n’aurai plus à me produire sur scène, la pression sera beaucoup moins forte. SylvieRochelleestconvaincuequejesuisfaitepourenseigner.Elleditqu’elleestimpatientedemevoiràlarentrée!Toutlemondesepresseautourd’ellepourlaféliciter.Paddyouvreunebouteilledemousseuxeten

verseunpeudansnos jusd’orange,pendantqueMaisieet IslasependentaucoudeSummeren lasuppliantdeleurapprendreàdanser.Elleaccepteavecjoie.MamanetSheddienousobserventensouriant,bienqu’ilsignorentcequecettenouvellereprésente

pourSummer.En lavoyantserrersa jumelledanssesbras tropminces,sedoutent-ilsdesépreuvesqu’elleatraverséesetdelaforceintérieuredontelleadûfairepreuve?Plustard,alorsquenousréparonsensemblel’escalierdelafalaise,Sheddiem’interrogeàcesujet.–Qu’est-cequiestarrivéàlafilleauxyeuxtristes–Summer,c’estça?–Ellesouffredetroublesalimentaires,jerépondsenplantantunpieudestinéàsoutenirlanouvelle

rambarde. Jecroisqu’ellevamieux,maintenant,mais ilyadeuxans,elleest tombée trèsmalade.Elleadûabandonnersonrêvededevenirdanseuse.Heureusement,ondiraitquetoutn’estpasperdupourelle.Elleavaitl’airdrôlementcontentecematin.–Eneffet,acquiesceSheddie.Fairecequ’onaimeestbienplusimportantqu’êtrericheoucélèbre.

Ilsuffitdetrouverlapetitechosequinousrendheureux.Pourtamère,c’estleyogaetlaréflexologie.D’ailleurs, elle compte s’y remettre une fois àMillford.Elle pourraitmêmeouvrir un cabinet, quisait!

–Hum.Jedescendsquelquesmarchesetentreprendsd’enfoncerunnouveaupiquetdanslesol.Jen’aipas

enviedeparlerdeMillford, car j’ai toujoursdes réticences concernantSheddie.Pour cequi est dudéménagement,jen’aipluslechoix,maisjenesuispasencoreprêtàlelaisserdéciderdenosviessansbroncher.Toutàl’heure,nousavonstendudugrillagesurlesmarches,tellementserréquenousenavionsles

mainsensang.Celadevraitlesrendremoinsglissantesquandilpleuvra.Puisnousavonspasséunbonmomentdans laforêtaubordde lafalaise,àcouperdesbranchesdenoisetiersauvage.Sheddie lesclouemaintenantsurlespiquetsquejeviensdeplanter,afindeformerunerambardeaussibellequesolide.J’aimalpartout,maisjesuisfierdurésultat.Pendantquejerassemblelesoutilsettransporteles

chutesdebois jusqu’aubûcherdressé sur laplageenprévisionde la fête,Sheddieajoute la touchefinaleensuspendantdepetitslampionsàénergiesolairelelongdelarampedel’escalier.Commeça,pluspersonnenedescendraàl’aveuglettedanslenoir.Nousremontonsensuiteverslamaisonencontournantlechapiteausouslequelsetiendralecafé.

Lesfillesontrecouvertlestablesdenappesàcarreauxetdisposédesbouquetsdefleurssauvagesdansdespotsdeconfiture.Toutautour,lesarbressontdrapésdekilomètresdeguirlandeslumineuses.Desbanderolesentourentlascèneetlesdifférentsstandssontdéjàinstallésauxquatrecoinsdujardin.Lajournéededemains’annoncechargée.–Ettoi,Cookie,qu’est-cequiterendheureux?m’interrogeSheddietandisquenousrangeonsles

outilsdanslaréserve.Passerdu tempsavecmessœurs, lesgrandescommelespetites.Mepromenerdans lanature,au

borddel’océanousousuncielétoilé,bienquecesoitencorenouveaupourmoi.Travaillerdurpourfabriquerquelquechosedemesmains,lascènedufestivaloulanouvellerambarde,parexemple…JenesuispascertainquecesoitlegenrederéponsesqueSheddieattend.–Aucuneidée,jemens.Jen’yaijamaisvraimentréfléchi.Ettoi?Ilmedévisagelonguementavantderépondre:–Tuveuxlavérité?C’esttamamanquimerendheureux,Cookie.Toutsimplement.

De retour à la caravane, je vérifiema boîtemail. Pas de nouvelles demon père. Je ne suis pas

surpris, bien que çam’attriste toujours autant.Nous avions tellement de choses à nous raconter…Maispuisqu’ilarefusédeprendrelamainquejeluitendais,toutestfinientrenous.Pourtant,jenepeuxpasm’empêcherdeluienvoyerunderniermessage.

Cherpapa,J’aimeraistedirequej’aiétécontentdeteparlersurSkype,maisceseraitunmensonge.Àforcedemedemanderàquoitupouvaisressembler, jem’étaisconstruit l’imaged’unsuper-héros–alorsquand j’aidécouvertque tuétaisplutôtducôtédesméchants, çam’a fait unchoc.Tuserassoulagéd’apprendrequejen’aiplusbesoindetonaide.Finalement, leschosessesontarrangéesetnousn’auronspasà financer les travaux.Tantmieux, vuque tun’auraisjamaisacceptédemettrelamainàlapoche.Gardetonargent.J’espèrequ’iltetientchaud,lanuit.

J’ai mis des années à comprendre à quel point tu me manquais. Finalement, je suis bienmieux sans toi. Ma mère est une femme formidable. Dommage que tu ne t’en sois pasaperçu. J’ai aussi deux petites sœurs que j’adore, sans compter les cinq que je viens derencontrer et leurs amis. Mon séjour à Tanglewood m’a beaucoup appris. La plus grandeleçonque je retiendrai, c’est que fuir ne suffit pas à régler les problèmes.Pour ça, rien nevautletravailenéquipe.Toi, tuastoujourschoisi la fuite.Tuavaisuneviederêve ici,unebellemaison,unefemmegéniale et quatre filles qui t’aimaient. Pourtant, ça ne t’a pas empêché de tout jeter à lapoubelle,commetunousasjetésmamèreetmoi.J’ai l’impressionquetuesenquêted’unmonde idéaloù lesgensconduisent tousdesvoituresde luxeetboiventduchampagneaupetitdéjeuner.J’espèrepourtoiquetutrouverasunjourcequetucherches,etqueçaterendraheureux.Ilnefaudraitpasquetuteréveillesunbeaumatin,seulettriste,enprenantconsciencequeleplus importantn’estpascequ’onpossèdemais lespersonnesquinousentourent.Lavraierichessen’arienàvoiravecl’argent.Lavieestuneaventure,etlamiennen’apastoujoursétéfacile–pourtant,mêmesij’avaislechoix, jen’ychangeraisrien.Je tesouhaitebonnechance,papa.Tun’entendrasplusparlerdemoi.JakeCooke

24

Lesamedimatin,lesoleilselèvedansuncieldégagé.Toutlemondeestdeboutavant7heurespourrégler les derniers détails. Honey drape des tentures indiennes autour des stands et installe lespanneauxqu’elleafabriquéselle-même.Jeretirelesbâchesquirecouvrentlascène,dévoilantlesplanchesbleuesdécoréesd’étoilesetde

croissantsdelune,ainsiquel’arrière-planentissuetl’archeenbois.Ilyadequoiêtrefier.–C’esttoiquiasfaitça?s’exclameSheddie,admiratif.Bravo,Cookie.Tuesvraimentdouédetes

mains!–Merci!–Magnifique,acquiescePaddy.Çavaêtrelepointcentraldufestival.Mercibeaucoup!Jegonfleletorse.Onnem’avaitjamaisfaitdetelscompliments.Jecomptaissurcettescènepour

témoignermareconnaissanceàmeshôtes,etjecroisquec’estréussi.Shay et Tommy ne tardent pas à arriver.Une fois lesmicros et les haut-parleurs installés,mon

œuvreressembleàundécorprofessionnel.Bientôt,desmorceauxd’indiepopretentissentàintervallesréguliersjusqu’àlaplage,pourleplusgrandplaisirdesbadaudsquipromènentleurschiensauborddel’eau.Cocoarassembléunzoominiatureautourdubassin.LesenfantspourrontycaresserJoyeuxNoël,

lescanardsetFougère,lerenardàtroispattesdeStevie.Soncopainetelleproposerontégalementdesbaladesàponeydanslechampduvoisin,afinderécolterdesfondspourunrefugelocal.Unpeuplusloin,Sheddieorganiseradesateliersd’initiationautai-chi,etmamandesséancesderéflexologie.GrâceàSkye,MaisieetIslaontellesaussileurdéguisementdeféesduchocolat.Avecleurcorsage

enveloursbrun, leur juponentullemarronetdoré, leursailesassorties, leurschaussonsensatinetleursrubansdanslescheveux,messœurssonttoutesplusbelleslesunesquelesautres.– À un moment donné, il a été question de déguiser les garçons, m’informe Tommy avec une

grimace.Skyem’aparlédejeanmarronetdechapeauàplumes.Jel’aiprévenuequemoivivant,çan’arriveraitpas!–Ouf!Merci,Tommy!Onluiaconfiélatâchededirigerlesvoituresverslechampquiserviradeparking,carl’alléede

gravier est réservée à la famille et aux véhicules de la télévision. Shay s’occupera de la sono etorganisera un petit concours de chant pour les enfants entre les passages des différentsmusiciens.Skye a investi la roulotte, qu’elle a transformée en antre de diseuse de bonne aventure. Cherry,

CharlotteetPaddyseconsacrerontaustanddeLaBoîtedeChocolats,leplusimportantdufestival.EtSandy,lamèredeStevie,resteraencuisinepourpréparerlescommandesducafé,quelesserveusesHoney,Summer,Millie etTina apporteront ensuite sous le chapiteau.Afind’éviter les ruptures destock comme lors de la précédente édition, les filles etCharlotte ont passé la semaine derrière lesfourneaux.Les responsables des autres stands arrivent peu à peu. Il y aura des ateliers de dégustation à

l’aveugle, de décoration de gâteaux, de fabrication d’ailes de fées et demaquillage,mais aussi unvide-grenier et un espace où les enfants pourront se déguiser et se prendre en photo avec desaccessoiresfournisparlemuséedeKitnor.Lesgensdelatélévisionsontdéjàlà.Aprèsquelquesinterviews,ondemandeàCharlotteetPaddy

de faireunpetit discours afindeprésenter leur société.Paddydéclareque la scène serait undécoridéalpourcetteséquence.Unefoistoutlemondeenplace,ilselance:–LaBoîtedeChocolats,c’estd’abordl’histoired’unrêvedevenuréalité.C’estlapreuvequ’àforce

de conviction, on peut donner vie à un projet auquel personne ne croyait. C’est aussi le fruit d’untravail d’équipe avec nos amis et notre famille, afin d’obtenir le meilleur produit possible. Noschocolats ne sont pas seulement originaux et délicieux ; ils sont fabriqués à la main à partir dematièrespremières issuesducommerceéquitable.Et surtout, ils sont faitsavecbeaucoupd’amour.Parceque,jusqu’ici,onn’aencorerientrouvédemieux!LacamérasetourneensuiteversCharlotte,quienchaîne:–Paddyaparfaitementrésuménotreesprit,maisiloubliedevousparlerdeslonguesheurespassées

à l’atelieretde l’important travaildeplanificationnécessaireà lacréationd’unchocolat…commenotrepetitdernier,quenousavonsappelé«CœurCookie»!Nousvousleprésentonsaujourd’huienexclusivité dans le cadre du festival, en espérant convaincre nos distributeurs de le mettre sur lemarchédanslessemainesàvenir.Jenevousendispasplus,maisvousverrezquec’estunchocolat…quiaducœur!Nikkifaitalorsmonterlesfilles,Sandy,Stevie,Shay,Tommyettoutemafamillesurscène.Nous

nousserronslesunscontrelesautressousl’archedebois.– Le travail d’équipe, reprend Paddy. Voilà l’ingrédient secret qui met de la magie dans nos

chocolats!–Coupez!crieNikki.Formidable!Commevousn’allezpastarderàêtretrèsoccupés,j’aipréféré

tournercettescèneauplusvite.Etcedécorétaitparfait!Maintenant,jevouslaissetranquilles.–Etsipersonnenevenait?jedemandeàHoney.–Ilyadéjàdesvoituresquifontlaqueueàl’entréeduparking.Net’inquiètepas,lescurieuxne

manquerontpas!Aufait,commentças’estpasséavecSheddiehier?–Plutôtbien.Ettoi?DesnouvellesdeAsh?–Toujourspas.Jen’enattendsplusvraiment.Jem’enremettrai,va.C’estlavie.–Lesenfants?appellePaddy.Toutlemondeenplace!Onouvredanscinqminutes.Merciàtous,

etbonnechance!Jemepostederrièrelatableinstalléeprèsduportailoù,enéchanged’uneparticipationd’unelivre,

jedoisdonneràchaquearrivantunpetitprospectuscontenantunplandeTanglewoodetlalistedesactivités proposées. On m’a confié un fond de caisse dans une boîte en fer-blanc, et un tampon«Festivalduchocolat»pourprouverquelesvisiteursontpayé.C’estuneresponsabilitéimportantequejen’aipasl’intentiondeprendreàlalégère.

Honey s’éloigne enme faisant un clin d’œil.Dès que je suis prêt, Paddy ouvre le portail et lespremiersfestivalierss’avancentunàun.Audébut,jen’aipastropdemalàtenirlerythme,maistrèsvite,unefiled’attenteseformedansl’allée.Jem’emmêlelespinceauxavecmamonnaie,oubliedetamponner les poignets et fais tomber mes dépliants sur le sol. Plusieurs centaines de personnesdéfilentdevantmoi,sibienquejefinisparperdrelecompte.Del’autrecôtédelaroute,leparkingdeTommyestpleinàcraquer.Shayannoncedansleshaut-parleursqueleconcoursdejeunestalentsvacommencer.Pendantune

heure, les reprises à moitié fausses et les airs de ukulélé s’enchaînent, entrecoupés par sescommentaires encourageants. Les caméras ne perdent pas une miette des animations. Pendant cetemps,lesmembresdel’équipeinterviewentlescurieuxquifontlaqueuepouracheterdeschocolats,sefaireprédireleuravenir,suivreuncoursdetai-chiouparticiperàunatelierderéflexologie.Souslechapiteau indien, c’est l’effervescence ; les serveuses courent dans tous les sens, leurs plateauxchargés de milk-shakes, de sundaes, de cupcakes et de parts de fondant au chocolat. Des enfantsmaquillésenanimaux,vêtusdecostumesanciensouarborantdesailesenpapiercréponsepromènentunpeupartout.Toutlemondesembleravi.Soudain,Cherrysurgitàcôtédemoi.–Tut’ensors?medemande-t-elle.C’estlafolie,hein!Onestdéjàenrupturedestockpourles

CœurCookie.Lesgenslesontadorés!Ducoup,onaouvertuncarnetdecommandes.–Moinonplus,jen’aipasarrêté.Etmêmesiçacommenceàsecalmer,ilyaencoredumondequi

arrive.Jen’enrevienspas!Commepourconfirmermesdires,unnouveauvenufranchitjustementleportail.C’estungarçon

grandetminceauxcheveuxnoirsetàlapeausombre.Ilporteungrossacderandonnéequ’ilposesurlesolletempsdefouillersespoches.–Salut,lance-t-ilavecunfortaccentaustralien.Jechercheunefillequis’appelleHoneyTanberry.

Elleestici?Cherryécarquillelesyeux.–Uneminute…tuneseraispasAsh,parhasard?Oh là là !Tuasbienchoisi tonmomentpour

débarquer!– En fait, c’est voulu. Les gens de la télé m’ont contacté il y a plusieurs semaines pour tout

arranger.Jecroisqu’ilscomptentsurmoipourune«séquenceémotion»…– Alors c’était un coup monté ! je m’exclame. Honey est folle d’inquiétude. Comme tu ne lui

donnaisplusdenouvelles,elleacruquetul’avaisoubliée!–Onm’avaitinterditdeluiécrirepournepasgâcherlasurprise.Ellevam’envouloiràmort,mais

jen’avaispaslechoix.Ilsm’ontpayémesbilletsdetrainenéchangedemonsilence.–Àmonavis,elletepardonneradèsqu’elleteverra!Cherry,tupeuxmeremplaceruneminute?

Viens,Ash,allonschercherHoney!Lescadreursnousrepèrentalorsquenousnousfrayonsunchemindanslafoule.L’und’euxnous

emboîtelepas.–Tupeuxt’arrêteretregarderendirectionduchapiteau?demande-t-ilàAsh.Jevoudraisfaireun

grosplandetonvisage,puisélargirsurunevued’ensembleducafé.Ashéclatederireetsouritàlacaméraavantdesetournerverslatente,lesyeuxpleinsd’espoir.Honeyestentraindeservirduthéetdesgâteauxàdeuxvieillesdames.Quandellerelèvelatêteet

l’aperçoit,elles’arrêtebrusquementdeparler;latassequ’elletenaitàlamains’écraseàsespieds.

–Ash?murmure-t-elle.C’estbientoi?Jenerêvepas?Puiselleseprécipiteversluietsejettedanssesbras,manquantdelefairetomberàlarenverse.Ils

s’étreignentenriantettourbillonnentsansfindevantl’objectifdescaméras.

25

Cette scènede retrouvailles frôle la perfection. Je ne connais pas grand-chose aux techniquesderéalisation,mis à part que d’ici quelques semaines, les images seront coupées etmontées pour unrésultat encore plus poignant. Ce sera de la télé-réalité avec une âme, un joli documentaire quiréchaufferalecœurdestéléspectateurspendantlesnuitsd’automne.Ilfautdirequetouslesingrédientssontréunis: lafamillerecomposée, lestensions, l’amitié, les

sœurs toutes plus cool et originales les unes que les autres avec leurs rêves, leurs espoirs et leurshistoiresd’amour,surfonddecampagneanglaiseetdeplage–etcerisesurlegâteau,lachocolaterie.Jesuispeut-êtrecynique,maisjepariequeçavafaireuncarton.EtlesretombéesdevraientêtretrèspositivespourLaBoîtedeChocolats.Entoutcas,c’estcequepenseNikki,l’amiedeCharlotteetPaddydontlefilsestsortiavecSkye.

Maintenantquelefestivalestterminéetquelescamérassontreparties,elleabandonnesonbloc-noteset vient s’asseoir avec nous autour du feu de camp. Nous avons rangé le plus gros du matériel,débarrassélestablesetremplilelave-vaisselle;lemomentestenfinvenudenousreposer.Tandis que nous nous repassons inlassablement le film de la journée, Honey reste en retrait,

rayonnantedebonheur.–Ashestunedespersonneslesplusformidablesquejeconnaisse,avoue-t-elle.Endehorsdevous,

biensûr.Vousvousrendezcomptequ’ilatraversétoutel’Europepourmefaireunesurprise?Mêmesijeneluiaipasencorepardonnédem’avoirlaisséesilongtempssansnouvelles.Tuvasmelepayer,Ash!Ill’enlaceenriant.–Lenouveauchocolatafaituntabac,déclareNikki.Celuiquicontientdesprédictionsécritessur

despetitscœurs.Comments’appelle-t-ildéjà?–CœurCookie,enl’honneurdecejeunehomme,répondCharlotteavecunclind’œil.Alors,Jake,

notreavenirs’annoncebien?–Hum,voyonsvoir…Suiteaudocumentaire,LaBoîtedeChocolatsserabientôtlamarquepréférée

dupays.Vousaurezuneinfluencepositivesurl’ensembledel’industrieenincitantvosconcurrentsàvendredesproduitsissusducommerceéquitable.Gloire,fortuneetbonheurvousattendent.–Super,seréjouitPaddy.Etlesfilles,danstoutça?–Oui,etnous?ditHoney.Moiaussi,jeveuxdevenirricheetcélèbre.

–Célèbre,çanefaitaucundoute,grâceà tes talentsd’artiste.Jenepeuxpas tepromettrequetugagnerasbeaucoupd’argent,maiscen’estpasleplusimportant.Tut’installerasàParisavecAshdansun appartement sous les toits, où tumangeras des croissants pour le petit déjeuner.Tu peindras lajournéeettudanseraslanuit.Ashprépareraunethèsedejenesaispasquoi–dephilosophie,tiens.Quant à Summer, nous savons déjà qu’elle sera professeur de danse ; elle formera certaines desballerines lesplusdouéesdesonépoqueet,un jour,elle reprendra ladirectiondecettesuperécoledontj’aioubliélenom.–LaRochelleAcademy,mesouffleSummer.Oh,siseulementtupouvaisavoirraison!–C’estcequivasepasser,j’ensuissûr.Tommys’occuperadelacuisine,del’administrationetde

l’éducationdevostroisouquatreenfants–toutesdesfilles,quiferontbiensûrdeladanse.Tommyglousseetm’envoieunpetitcoupdecoudedanslescôtes,maisjevoisbienqueçaluifait

plaisir.Derrièrelui,Islatournoiedansleventquifaitvolersesailesetlesrubansdesescheveux.– Skye deviendra une créatrice demode réputée qui concevra les costumes de plusieurs films à

succès.Etellecontinueraàs’habilleravecdestenuesvintage,mêmequandelleseravieilleetridée.JepasseensuiteàCherry.–Toi, tuserasécrivain.Tucommencerascommejournalisteet,sur tontempslibre, tuécrirasun

livrepourenfantsàproposd’unefillettenomméeSakura.Ilsevendratellementbienqu’ilseraadaptéà la télévision,puisaucinéma.Tu te retrouverasencoreplus richequeShay,qui serapourtantunesuperstardelachanson.–Etmoi?demandeCocoavecunepetitemoue.Est-ceque jevaissauver lemonde?Fonderun

refugepourlesanimaux?Oufinircaissièredansunsupermarché?–Tu vas faire des études de vétérinaire. Tu serasmajor de ta promo,mais tu plaqueras tout en

dernièreannéepourt’engagerauseindeGreenpeaceetpartirenArctiquesurleRainbowWarriorIII.Là-bas,tucréerasunsanctuairedestinéauxoursblancs.Quelquesannéesplustard,tuépouserastonamourdejeunesse,Stevie.CocodevienttouterougeetStevieprendunairhorrifié.Lesautress’esclaffentetmepressentde

leurdonnerdesdétails.–Dis,Cookie,combienauront-ilsd’enfants?Etcombienderenardsàtroispattes?– Ils n’auront pas d’enfants. Coco finira par se lancer dans la politique et deviendra Premier

ministre.Ceseralapremièreécologisteàgouverner leRoyaume-Uni.Ellesauveralemonde,oudumoinsycontribueraàsafaçon.Etmoi,jepourraidirequejelaconnaisdepuistoutepetite!–Youpi!s’exclameCoco.J’adoremaprédiction,c’estlameilleure!J’espèrequ’elleseréalisera.–Vousverrezbien…–Tuvasmemanquer,petitfrère,murmureHoneyenpassantunbrasautourdemesépaules.Jene

veuxpasquetupartes.Onvientseulementdeteretrouver,etonteperdànouveau.–Vousn’allezpasmeperdre.Jamaisdelavie.Onesttousdespiècesdumêmepuzzle,non?–Absolument!confirmeCherry.D’ailleurs,quediriez-vousd’organiserungrandrassemblement

chaqueannée,ici,àTanglewood?Onferaitunefêtesurlaplageenjouantdelaguitareautourdufeu,jusqu’àcequ’onsoittrès,trèsvieux.–Moi,jevotepour!jem’écrie.Lorsquelesoleilsecouche,Paddyselèveetallumeleslanternesplantéesdanslesable.Puisilsort

son violon pour se joindre à Shay.Au bout d’unmoment,Coco le remplace. Elle joue atrocementfaux,maisjenepeuxm’empêcherdesourire.

Ilestprèsde23heuresquandmamanetSheddiemontentcouchermespetitessœurs.–Neveillepas troptard,Jake,meprévientmaman.Onpartiradebonneheuredemainmatin; la

routeestlonguejusqu’àMillford.Cettephrasemeramènebrusquementsurterre.Lafête toucheàsafin.Tout lemondeestépuisémaisheureux.Paddy,Charlotte,SandyetNikki

rentrentàlamaison,tandisquelesfillesetleursamissedirigentverslechapiteausouslequelilsontprévudepasserlanuit.Jem’attardeencoreunpeusurlaplageafindeprofiterdecetinstantdesolitude.Lefeun’estplusqu’unamasdebraisesquis’éteignentpeuàpeu,maisjerestelàprèsd’uneheure,

tandis que la nuit s’épaissit et que les étoiles s’allument une à une autour d’un croissant de luneparfait.Mamanfrappeàlaportedelaroulotteà6heures.Dixminutesplustard,douchéethabillé,j’avale

unepartdepizzafroidedanslacuisinedeTanglewood.Levanestprêtàpartir,etmamaninstallemessœursàl’arrière.Ons’estmisd’accordpouréviterlesadieuxdéchirants.Nousnoussommesdéjàditaurevoirhier

surlaplage.MaisPaddyetCharlottesortentpournousserrerunedernièrefoisdansleursbrasetnousfairepromettredegarderlecontact.–Tenez,jevousaimisquelqueschocolatsdecôté,annoncePaddyenmetendantunepetiteboîteen

cartonferméeparunruban. Ilyenaunchacun. Ilparaîtquecettenouvellecréationvadevenirunproduit-phare;sic’estlecas,jetedevraiunefièrechandelle,Cookie!MamanetSheddiemontentàl’avantduvantandisquejeprendsplaceàcôtédemessœurs.Puis

Sheddiedémarreetnousnouséloignonsdansl’allée.–Cookie!hurlesoudainquelqu’underrièrenous.JemeretourneetvoisHoneyetCherrytraverserlejardinencourant,talonnéesparlesjumelleset

Coco.Lorsquenouspassonslagrille,cinqfillesauchocolatàmoitiéendormiesnousfontsignedelamain.–BonnechanceàMillford!crieCherry.Nenousoubliepas!–Écris-moi!ajouteHoney.Etreviensvite!NousfranchissonslesommetdelacollineetTanglewoodn’estbientôtplusqu’unlointainsouvenir.

Pendant quelque temps, je distingue encore la mer gris-bleu à l’horizon, puis elle aussi disparaîtcommesiellen’avaitjamaisétélà.–C’estquoi,ceschocolats?medemandemaman.–LadernièrecréationdePaddy.Aprèsavoirinventéunparfumpourchacunedesfilles,iladécidé

d’appelercelui-làCœurCookieenmonhonneur.Ilscontiennentdesprédictions.Hier,ças’estvenducommedespetitspains.–C’estunejolieidée.Onpeutgoûter?Jefaispasserlaboîte.–Miam!déclareMaisie.Oh,maisc’estquoi,ça?Ellesortdesonchocolatuncœursurlequelestécrit:«Ilfautcroireensesrêves.»CeluideIsladit:«Vivelafamille»;celuidemaman,«Sautezlepas»;etceluideSheddie,«Un

nouveaudépart».Cesprédictionssonnentétonnammentjuste.

– À toi, maintenant, m’encourage Maisie alors que j’enfonce délicatement mes dents dans laganachefondante,jusqu’àtombersurlecœurcachéàl’intérieur.–«Votrevievabientôtdevenirintéressante.»J’éclatederire,carcettefois,j’ensuisconvaincu.

Lesfillesauchocolat

CherryCostello

Timide,sage,toujoursàl’écartElleaparfoisdumalàdistinguerlerêvedelaréalité

15ans

Néeà:GlasgowMère:KikoPère:Paddy

Allure:petite,mince,lapeaucaféaulait,lescheveuxraidesetnoirsavecunefrange,elleasouvent

deuxpetitschignons

Style:jeansmoulantsdetouteslescouleurs,tee-shirtsàmotifsjaponais

Aime:rêver,leshistoires,lesfleursdecerisier,lesoda,lesroulottes

Trésors:kimono,ombrelle,éventailjaponais,unephotodesamère

Rêve:fairepartied’unefamille

CocoTanberry

Chipie,sympaetpleined’énergieElleadorel’aventureetlanature

12ans–bientôt13!

Néeà:KitnorMère:CharlottePère:Greg

Allure:cheveuxblondsetbouclés,coupésaucarréettoujoursenbroussaille,yeuxbleus,tachesde

rousseur,grandsourire

Style:garçonmanqué,jeans,tee-shirts,elleesttoujoursdébrailléeetmalcoiffée

Aime:lesanimaux,grimperauxarbres,sebaignerdanslamer

Trésors:Fredlechienetlescanards

Rêve:avoirunlama,unâneetunperroquet

SkyeTanberry

Avenante,excentrique,indépendanteetpleined’imagination14ans

SœurjumelledeSummer

Néeà:KitnorMère:CharlottePère:Greg

Allure:cheveuxblondsjusqu’auxépaules,yeuxbleus,grandsourire

Style:chapeauxetrobeschinésdansdesfriperies

Aime:l’histoire,l’astrologie,rêveretdessiner

Trésors:sacollectionderobesvintageetunfossiletrouvésurlaplage

Rêve:voyagerdansletempspourvoiràquoiressemblaitvraimentlepassé…

SummerTanberry

Calme,sûred’elle,jolieetpopulaireElleprendladansetrèsausérieux

14ansSœurjumelledeSkye

Néeà:KitnorMère:CharlottePère:Greg

Allure:longscheveuxblondstressésourelevésenchignondedanseuse,yeuxbleus,gracieuse

Style:toutcequiestrose…Tenuesdedanseuseetvêtementsàlamode,elleesttoujourstrèssoignée

Aime:ladanse,surtoutladanseclassique

Trésors:sespointesetsestutus

Rêve:devenirdanseuseétoile,puismontersapropreécole

HoneyTanberry

Lunatique,égoïste,souventtriste…Elleadorelesdrames,maisellesaitaussisemontrerintelligente,charmante,organiséeettrès

douce15ans–bientôt16!

Néeà:LondresMère:CharlottePère:Greg

Allure:cheveuxblondsondulés,yeuxbleus,peaulaiteuse,grandeetmince

Style:branché,robesimprimées,sandales,shortsettee-shirts

Aime:dessiner,peindre,lamode,lamusique…

Trésors:soncarnetàdessinetsachambreenhautdelatour

Rêve:devenirpeintre,actriceoucréatricedemode

Lesrecettesauchocolat

FortuneCookies

Iltefaut(pour12pièces):1blancd’œuf •50gdesucreenpoudre •50gdebeurre fondurefroidi •40gde farine •unepincéed’extraitdevanille•unepincéed’extraitd’amandes•1cld’eau1.Préparetesmessagessurdefinesbandesdepapier.Metslefouràpréchaufferà190°Cetrecouvredeuxplaquesdepapiersulfurisé.2.Dansunbol,mixeleblancd’œufetlesucre.Ajoute,enmixantàchaquefois,lebeurrefondu,lavanilleetl’amande,l’eauetlafarine.3.Surlesplaques,forme12disquesdepâted’environ7cmdediamètreenlesespaçantbien.4.Enfournependant5à7minutes.Ilfautquelesbordsdesdisquessoientlégèrementdorés.5.Sorslesdisquesdufour,déposetesmessagesdessus,puisreplielesdisquesendeuxencollantlesbordsdelapâteavectesdoigts.Rapprochelesextrémitésdefaçonàdonneraubiscuitlaformed’unfer à cheval.Attention, les biscuits doivent être très chauds pour prendre leur forme.Manipule-les(sanstebrûler!)dèslasortiedufour.

PannaCottaCoco

Iltefaut(pour4personnes):50cldelaitdecoco•unpeudelaitentier(oudemi-écrémé)•1potdemascarpone•3gd'agar-agar(1sachet+½sachet)•ducoulisdefruitsrouges•2cuillèresàsouped’eau•1mouleàcake1.Verselelaitdecocodansunecasserole.2.Mets lemascarpone dans un verre doseur, et ajoute du lait jusqu’à obtenir lamêmequantité demélangequedelaitdecoco.Versedanslacasserole.3.Dansunpetitbol,mélangel’agar-agaravecdeuxcuillèresàsouped’eau.4.Metslacasseroleàchaufferenremuant.Lorsquelemélangefrémit,versel’agar-agaretcontinuedemélangerpendant3minutes.5.Retirelacasseroledufeuetverselemélangedansunmouleàcake.Attendsqu’ilrefroidissepourlemettreaufrigo.6.Attendsaumoinstouteunenuitpourservir,avecuncoulisdefruitsrouges.

Charlottechoco-pêches

Iltefaut(pour6personnes):30biscuitsàlacuillère•150gdechocolatnoir•450gdepêchesenconserve•100gdefromageblanc•1cuillèreàsoupedecrèmefraîche•1cuillèreàsoupedesucre•1sachetdesucrevanillé•1verred’eautiède•1mouleàcharlotteouungrandsaladier1.Mélangel’eauetlesucre.2.Trempelégèrementlesbiscuitsdansl’eausucrée,puismets-lesdanslemoulejusqu’àcequ’ilensoittapissé.3.Faisfondrelechocolataveclacrèmefraîchedansunecasserole.4. Fouette le fromage blanc avec le sucre vanillé. Coupe les pêches en morceaux. Mélange lesmorceauxdepêchesaveclefromageblancetlechocolat.Versel’ensembledanslemoule.5.Recouvred’unecouchedebiscuitstrempésdansl’eausucrée.Poseuneassiettesurlemoule,placequelquechosedelourddessusetlaisseaumoins4heuresaufrais.Lepetitplus :pourdécorer lacharlotte, tupeuxmettrede lachantilly,quelques fruitsetmêmeduchocolatfondu.

EasyCookies

Iltefaut(pour15pièces):125gdefarine•100gdesucreroux•125gdebeurre•1œufbattu•2cuillèresàcafédemiel•1sachetdesucrevanillé•1pincéedesel•½sachetdelevure•despépitesdechocolat1.Metstonfouràpréchaufferà180°C.2.Dansungrandsaladier,mélangelafarine,lesucreroux,lesucrevanillé,leseletlalevure.3.Faisfondrelebeurredansunecasserole,ajoutel’œufbattuetlemiel,puisincorporel’ensembleàlapréparation.4.Ajoutelespépitesdechocolatetmélangebien.5.Suruneplaquerecouvertedepapiersulfurisé,formedescookiesd’environ10cmdediamètreenlesespaçantbienlesunsdesautres.6.Mets les cookies au fourpendant9 à11minutes (selonque tupréfères les cookiesmoelleuxoucroustillants).Lepetit plus : tu peuxvarier tes cookies enmettant, au choix, des pépites aux trois chocolats, despaillettesdesucre,desnoisettes…

Granitéfruité

Iltefaut:500gdefraises(fraîchesoudécongelées)•350mld’eau•150gdesucre1.Metslesucreetl’eaudansunecasseroleetlaissecuireàfeuxdoux.Quandlesucreestbienfondu,arrêtelacuissonetlaisserefroidir.2. Lave, équeute et mets les fraises dans un mixeur. Ajoute le sirop, et mixe jusqu’à ce que tuobtiennesunmélangehomogène.3. Verse la préparation dans une assiette creuse et laisse-la au moins 3 heures au congélateur, engrattantdetempsentempsavecunefourchette(del’extérieurversl’intérieur).Lepetitplus:tupeuxvarierlesfruitsetlessaveurs:orange-menthe,framboise,miel-melon…

Quellefilleauchocolates-tu?

Tonamieestdéprimée,pourlaréconforter,tu…1.l’écoutesavecattentionetluidonnestesconseils2.l’entraînesdansunefêtegéniale3.l’emmènessebalader4.luiécrisunelettrepleinedecompliments5.luiproposesd’allerfairelesboutiquesLecombleduchic,pourtoi,c’est:

1.unerobelonguerehausséedeperles2.unejoliepaired’escarpins3.unjeanbrutbiencoupé4.unevesteensoiecolorée5.unejupeenmousselinedesoieEnsport,tuopteraispour:

1.lerollerderby:intensitéetentraide2.lesurf:mereténergie3.l’escalade:agilitéetaventure4.lekendo:stratégieetobservation5.letai-chi:souplesseetprécisionDansunefête,onpeuttetrouver:

1.àlaported’entrée,pouraccueillirlesarrivants2.àlasono,pourlaisserlamusiqueparleràtaplace3.dehors,pourrespirerl’airfrais4.aubuffet,pourdiscuteravecdesgensintéressants5.surlapistededanse,pourybrillerSitupouvaistetéléporterquelquepart,ceserait:

1.danslegrenierd’unpeintre2.auLouvre,lanuit3.ausommetduKilimandjaro4.surunnuage5.suruntrapèzeTuarrivesaucinémaaprèsledébutdufilm.Tu…

1.t’assiedsparmégardesurdesgenouxinconnus2.n’hésitespasàfaireleverquelquespersonnespourêtreaumilieudelasalle3.allumestalampedepochepourtrouveruneplace

4.attendslaséancesuivante5.entresdiscrètementetteglissessurlepremierfauteuilvenuÀchoisir,tuteverraisbiendanslapeau:

1.d’unetortue2.d’unaigle3.d’uncheval4.d’unkoala5.d’uneantilope

Tuasobtenuunmaximumde1:SkyePassionnéeettrèscréative,tuadoreslamodeetl’histoire.Tuastendanceàteperdredanstesrêves,maisgrâceàtanaturecurieuseetgénéreuse,tuparvienssouventàlesrendreréels!Tuasobtenuunmaximumde2:HoneyArtiste dans l’âme, tu as une sensibilité à fleur de peau et un caractère volcanique. Il faut de lapatiencepourgagnertaconfiance,mais,unefoisaccordée,tonamitiéestprofondeetsincère.Tuasobtenuunmaximumde3:CocoPour toi, chaque jour est une aventure. Proche de la nature, tu possèdes une conscience aiguë desproblèmes environnementaux, que tu combats par ton mode de vie et par tes engagements. Tu esjoyeuse,courageuseetdéterminée:unefillesurquicompter!Tuasobtenuunmaximumde4:CherryTues à la fois discrète et cool, rêveuse et attentive aux autres.Pour toi, rienne vaut lesmomentspassésenfamilleetavectesamis,quisontdessujetsd’inspirationinépuisable.Tuasobtenuunmaximumde5:SummerTrèséléganteetraffinée,tuaimesleschallengesetletravailquilesaccompagne.Maistun’oubliespasdeprofiterdetesamis–grâceàtoncharmeetàtasensibilité,tuenasbeaucoup!

Danslamêmesérie

Tome1:Cœurcerise

Tome2:CœurguimauveTome3:CœurmandarineTome31/2:CœursaléTome4:CœurcocoTome5:CœurvanilleTome51/2:Cœursucré

Chapitre1

CannelleBrownie…ondiraitunecouleurdepeintureoudeteinturepourlescheveux.Ouencoreungâteau bizarre un peu écœurant. Quel genre de parents appellerait leur fille ainsi ? Réponse : lesmiens.Ils n’avaient pourtant pas l’intention deme gâcher la vie. Ils ont simplement trouvé original de

choisirlesprénomsdeleursenfantsens’inspirantdesjolisbocauxenverredeleurplacardàépices.Simonpèren’avaitpasétéunsigrandamateurdecuisine,riendetoutcelaneseraitarrivé.Magrande sœur s’appelleMélissa, d’après la plante aromatiquequ’on retrouve souvent dans les

tisanes.J’aieumoinsdechancequ’elle.Siencorejen’avaispaseulescheveuxrouxfoncé,çaauraitpupasser.Maisavecunecombinaisonpareille,j’étaiscondamnéeàdevenirlacibledetouteslesplaisanteries.

Jel’aicomprisdèsmonpremierjouràl’écoleprimaire,quandlamaîtressearépriméunsourireen

faisantl’appel.Lesgarçonsm’onttirélestressesenriant,etlesfillesm’ontdemandésimesparentsétaientpâtissiers.Trèsdrôle.Cesoir-là,enrentrantàlamaison,j’aiannoncéàmesparentsquejevoulaischangermonprénom

enEmmaouSophie.Ilssesontgentimentmoquésdemoi.D’aprèseux,c’étaitunebonnechosedenepasressembleràtoutlemonde,etCannelleétaituntrèsjoliprénom.Çanem’aidaitpasbeaucoup.–Neleslaissepast’atteindre,m’aconseillémasœur.Risaveceuxouignore-les.Facile à dire.Mélissa allait déjà au collège et c’était une fille sûre d’elle, populaire et entourée

d’amis.Elleavaitbeauavoirlesmêmescheveuxquemoi,personnenelataquinaitjamaisàcesujet.J’aifiniparm’apercevoirqueleplussimpleétaitdemefairelaplusdiscrètepossible.–C’est une élève très réservée, a confiéMlleKaseem àmes parents au début demon année de

CM2.Elleestadorable,maisellenesemêlepasbeaucoupauxautres.RienàvoiravecMélissa.Heureusement, elle ne leur a pas tout raconté – que personne neme choisissait lorsqu’il fallait

composer une équipe en sport oupréparer un exposé, quemes camarades nem’invitaient jamais àleurssoiréespyjamas,leursfêtesouleurssortiesaucinéma.J’étaislemoutonnoirdelaclasse.Assisetouteseuleàlacantine,jerêvaisdedevenirinvisibletoutenmangeantunesecondepartdetartepourm’occuperetcomblerlevidequelasolitudecreusaitdansmapoitrine.–Nonmaisregardez-la,alancéChelsieMartinàsescopinesunjour.Elleesténooorme!Jel’aivue

engloutirdeuxpaquetsdechipsàlarécré,etellevientdereprendredesfrites!C’estécœurant.J’aicontinuéàsourirecommesijen’avaisrienentendu.EtdèsqueChelsieatournélestalons,je

n’aifaitqu’unebouchéedelabarredechocolatprévuepourmongoûter.Àl’époque,jepensaisquemavieressembleraittoujoursàça.

Mes parents commençaient à s’inquiéter. Ils me poussaient sans cesse à inviter des amis, ou àm’inscrireàdescoursdedansecommemasœur.–Ce serait sympa, insistaitmaman.Tu pourrais rencontrer dumonde, et ça te ferait du bien de

bougerunpeu.C’estlàquej’aicomprisqu’euxaussimetrouvaientgrosseetnulle.Jen’étaispaslafilledontils

rêvaient,unefillecapabled’assumerunprénomaussioriginalqueCannelle.Àl’approchedemononzièmeanniversaire, ilsm’ontproposéd’organiserunefête.J’ai refuséen

prétextantquecen’étaitplusdemonâge.–Iln’yapasd’âgepours’amuser!arétorquémonpère.J’ai vu passer une drôle de lueur dans ses yeux, sans savoir si c’était de l’inquiétude ou de la

déception.–Sinon,a-t-ilrepris,pourquoipasuneséancedecinémaouunaprès-midiàlapatinoire?J’aifiniparcédertoutensachantquec’étaitunetrèsmauvaiseidée.–Maissipersonnenevient?ai-jedemandéàmasœurd’unepetitevoix.Mélissaaéclatéderire.–Biensûrquesi,ilsviendront!Jemesuisdoncdécidéepour lapatinoire.Mamanapréparéungâteauauchocolatà troisétages

couronnédeonzepetitesbougies.Malgrémescraintes, j’étais surexcitée.Mélissam’avaitprêtédufardàpaupièresrosepailleté,etj’avaisenfiléunetuniqueàfleurstouteneuvepar-dessusunjean.Jemetrouvaispresquejolie.Lerendez-vousétaitfixéà14heures.EmilyCroftetMegWalters,deuxfillesunpeuintellosqui

melaissaientparfoistraîneravecellesàlarécré,sontarrivéespileàl’heure.–Ilyauraquid’autre?m’ont-ellesdemandé.–Oh,pleindemonde,ai-jerépondumalgréledoutequicommençaitàm’envahir.Chelsie,Jenna,

Carly,Faye…SurlesconseilsdeMélissa,j’avaisconviél’ensembledesfillesdelaclasse:lapatinoireétaitassez

grandepouraccueillir tout lemonde,etmêmesinousn’étionspasproches, ce serait l’occasiondefairemieuxconnaissance.Aufonddemoi,j’avaistoujoursrêvéd’unegrandefêtedecegenre.Etjenevoulaispasdécevoirmasœur.Laplupartdesfillesm’avaientd’ailleursréponduqu’ellesviendraient.Mais pourquoi n’étaient-elles toujours pas là ? À 14 h 30, papa a regardé sa montre pour la

centièmefois.–Mélissa,emmèneCannelleet sesamiesà l’intérieur.Tamèreetmoiallonsattendreencoreun

peu.Lesautresontpeut-êtremalcomprisl’heuredurendez-vous.Emilyasortil’invitationdesapoche.–Pourtant,c’estbienmarqué14heures.Jeluienaivouludenepasjouerlejeu,denepasmettreceretardsurlecompted’uneerreuroudes

embouteillages–n’importequoipoursoulagermonangoisse.Mélissanous a entraînéesdans le bâtiment. J’avais l’impressionqu’aumoindre choc, je risquais

d’exploser comme une statue de verre.Mes yeuxme piquaient. Nous avons retiré nos chaussures,enfiléd’affreusesbottinesmuniesdelames,puisnoussommesdescenduessurlaglace.Ilfaisaittrèsfroid,etj’avaisdumalàtenirsurmesjambes.Audébut,jesuisrestéeagrippéeàlarambarde,jusqu’àcequeMélissaprenneleschosesenmainet

m’obligeà fairequelquespas.Finalement,c’étaitplutôtamusant.Bientôt,Emily,Meg,masœuret

moiavonscommencéà tournerautourde lapatinoireenpoussantdescris terrifiéschaquefoisquequelqu’unnousdépassait.Mesparentsont finipar arriver, etMélissanousa abandonnéesquelques instantspour aller leur

parler.C’estalorsquej’aiaperçuChelsie,Jenna,CarlyetFaye.Lesquatrefilleslespluspopulairesdelaclasseétaientvenuesàmonanniversaire!Ellesavaientdû

se tromper d’heure, comme l’avait supposé mon père. Je me suis élancée vers elles, un immensesourireauxlèvres.–Salut,Cannelle,aditChelsie.Sa voix était dure, comme toujours lorsqu’elle s’adressait à moi – ce qui de toute façon ne se

produisaitpassouvent.–Onsedoutaitqu’on tecroiserait ici,a-t-elle repris.Désolée,onn’apaspuvenirà ta fête…on

avaitmieuxàfaire.Sescopinesetelleontéclatéderiretandisquej’essayaisdecomprendre.Paspuvenir?Mieuxà

faire?Pourtant,ellesétaientbienlà…Puistoutestdevenuclair.Cen’étaitpasmonpèrequiavaitpayéleurentrée.Ellesétaientlàdepuisledébut,attendantmon

arrivéepoursemoquerdemoi.Jesuisdevenuetouterouge.–Regardez!s’estexclaméeFaye.Elleserabientôtdelamêmecouleurquesescheveux!J’aisouhaitétrèsfortquelapatinoires’ouvreendeuxetm’engloutisseàjamais.Biensûr,cen’est

pascequis’estpassé.Jesentaisvaguementlaprésenced’EmilyetMegdansmondos,etjesavaisquemaman,papaetMélissanousobservaient.J’aivoulumeretournerpouréchapperauregardcrueldeChelsieetausouriredeFaye,maisj’aiperdulecontrôledemespatins.Jemesuisétaléesurlaglacesousleurséclatsderire.Emilyestvenues’accroupiràcôtédemoi.–Ignore-les,m’a-t-ellegentimentconseillé.Viens,Cannelle.Neleslaissepasgagner.Letempsquejemerelève,Chelsieétaitdéjàentraindes’éloigner.Ellem’ajetéuncoupd’œilpar-

dessussonépaule,etjel’aientenduedireàsescopines:–Nonmaisregardez-moicettegrossenulle!Quand je repense à cette journée, je sens encore la honte qui m’a envahie tandis que le froid

engourdissaitmesmainsets’infiltraitdansmoncœur.EmilyetMegm’ontaccompagnéejusqu’àlarambarde,oùj’airacontéàmasœuretàmesparents

que jem’étais faitmal.Nous avons quitté la glace, rendu nos patins et gagné la cafétéria située àl’étage.Maman a apporté le gâteau au chocolat pendant que tout le monde me chantait « JoyeuxAnniversaire».Maisjenepouvaispasm’empêcherderegarderverslapatinoireencontrebas,oùChelsie,Jenna,

Carly et Faye tourbillonnaient en agitant leurs cheveux et en draguant les garçons.Même si je lesdétestais,unepartdemoirêvaitdeleurressembler.J’aisoufflémesbougiesetfaitunvœu.

Chapitre2

Lesvœuxneseréalisentpastoujours,maiscelui-làafonctionné:aujourd’hui,jesuisencinquièmeetleschosesontbienchangé.Sionlesouhaitevraimentfort,ilestpossibledeseréinventer.Lapetitefilletristeeteffrayéeque

j’étaiscejour-làappartientdésormaisaupassé.J’ai rencontré Shannon le jour de ma rentrée en sixième, au collège de Kinnerton. Comme me

l’avait conseilléMélissa, jemarchais la tête haute et les épaules en arrière, en espérant avoir l’aircool.Nousétionsalléesachetermonuniformeensemble.Masœuravaittroquélajupeplisséeetleschaussures réglementaires pour une minijupe et une paire de baskets noires à lacets. J’avais fièreallure,maisintérieurement,jetremblaiscommeunefeuille.–C’estlapremièreimpressionquicompte,m’avait-elleassuré.Ilfautquetuparaissessûredetoi.

Tuvasyarriver.Jen’étaispasconvaincue.Moncœurbattaitsifortquelemondeentierdevaitl’entendre,etj’avais

leventrenoué.Unefoisenclasse, jemesuisassisetoutaufondet j’aientreprisdemecolorier lesongles au marqueur pour masquer ma peur. Malgré tous mes efforts et ma bonne volonté, j’étaisencoreseule.Masœurm’avaitpromisqu’aucollège,mavieallaitchanger.Maissiellesetrompait?Shannonestarrivéeenretard–unehabitudechezelle,commejeledécouvriraisbientôt.Elleavait

delongscheveuxblondsquitombaientencascadesursesépaules,etleteintbronzéd’unefillequiagrandiausoleil.Elleadévisagélesélèveslesunsaprèslesautres,puisestvenues’installeràcôtédemoiavecun

grandsourire.–J’adoretescheveux,m’a-t-ellecomplimentée.Cematin-là, j’avais passé uneheure àme coiffer à l’aide du lisseur deMélissa. J’ai décidé que

dorénavant,jeleferaistouslesjours.–Çateditqu’onsoitcopines?m’a-t-elleproposéenseremettantduglosspendantqueleprofavait

ledostourné.–D’accord.Àpartirdelà,toutachangépourmoi.J’étaisamieavecunefillesympaetinsouciante,commeje

l’avaistoujourssouhaité.Jen’aiplusjamaisregardéenarrière.Uneannées’estécoulée.Aujourd’hui,nousentronsencinquièmeetc’estunpeulafolie.Lespetits

nouveaux errent dans la cour avec leurs vestes tropgrandes et leurs chaussuresbien cirées, serrantleurssacscontreeux.

–Pfff, les sixièmes…soupireShannon. Ils ont l’air tellement niais…On ressemblait à ça, nousaussi?–Çam’étonnerait!Ilyaunandecela,Shannonarrivaitaucollègeenterrainconquis.Ellem’achoisieparcequ’ellea

supposé,àtort,quej’étaisaussicoolqu’elle,etjemesuisappliquéeàjouercerôlejusqu’àfinirparycroire.Shannon n’imagine pas une seconde combien j’étais terrifiée ce jour-là. J’ai beaucoup changé

depuis,etChelsien’estplusqu’unlointainsouvenir.Elleestpartieeninternatàl’autreboutdupays.Sielleétaitencorelà,jepariequ’ellenemereconnaîtraitpas.Jenna,CarlyetFayesontdanslemêmecollègequemoi,maispasdans lamêmeclasse.Lorsque jecroise leursregardsà lacantineouà larécré,j’ail’impressiond’ylireuneformederespect.Pourmapart,jelesignoresuperbement.–L’annéedernière,c’étaitchouette,maislacinquièmevaêtrecarrémentgéniale,décrèteShannon.La sonnerie retentit, et un troupeau de petits sixièmes se précipite vers l’entrée principale du

bâtiment.Shannonfaitlagrimaceetm’entraîneducôtédel’annexe,oùsetrouveuneautreporte.–Onvaenfinêtredevraiesados…j’aitrophâte!ajoute-t-elle.Onserasophistiquéesetsages…

Lesgarçonsvonttombercommedesmouches.Elleal’habitude:ilssontdéjàtousàsespieds.Ilslamangentdesyeuxetpassentleurtempsàla

draguer. Shannon se contente généralement de leur sourire sans répondre. Elle prétend attendre lebon–ungarçonpluscool,plusmûr.VulapopulationmasculineducollègedeKinnerton,ellerisqued’attendreunmoment.Nous contournons l’abri à vélos pour emprunter l’entrée secondaire, et découvrons soudain un

garçonétenduen traversdesmarches. Ilade longues jambes,porteunpetitchapeauetesten traind’écriresursonjeannoiraveccequiressembleàducorrecteurblanc.Shannonmeserrelebras.–Hé…souffle-t-elle,toutexcitée.Pasmal!Je passe en revue le chapeau, le jean, la posture négligée et les Converse aux lacets défaits de

l’intrus.Unechoseestsûre,cen’estpasunsixième.Shannonsedirigedroitverslui.Encoreunquiseretrouveàsespieds–littéralementcettefois.Il

lèvelesyeuxversellesoussonchapeau,révélantunsourireespiègleetunetouffedecheveuxbouclés.–Jenet’aijamaisvuparici,commenceShannond’unevoixcharmeuse.Jem’ensouviendrais…Illadévisageensilence,commes’ilessayaitdedécrypterl’énoncéd’unproblèmedemaths.Puis

sonregardglisse jusqu’àmoi.Rougissant, jebaisse la têtedans l’espoirdemecacherderrièremescheveux.–Alors,insisteShannon.Tuesnouveau?Commenttut’appelles?Ilsetourneànouveauverselle.–Jerentreencinquième,etjem’appelleSamTaylor.–Moi,c’estShannon,répondmonamieenentortillantunemèchedecheveuxdoréssursondoigt.

Tu ferais bien de rentrer, Sam. Ça vient de sonner. Si tu veux, je peux te faire visiter. Je suis encinquièmemoiaussi.Ànouveau,lesyeuxdeSamseposentsurmoi.–Ettoi?demande-t-il.Commenttut’appelles?–Elle,c’estmacopineCannelle,faitShannon.

Samsourit.–Joliprénom.J’adorelesépices!–Bon, on y va ? lance Shannon. Tu n’as sûrement pas envie de t’attirer des problèmes dès ton

premierjour.MaisSamsesoucievisiblementaussipeudeShannonquedesproblèmes.–Çava,merci.Jevaismedébrouiller.Shannon semble contrariée. Il faut dire que c’est nouveau pour elle : en général, les garçons lui

obéissentaudoigtetàl’œil.–Qu’est-cequetufabriquesavectonjean?reprend-elle.MlleBennettnevapasapprécier.– Je n’ai pas d’uniforme, explique Sam en haussant les épaules. Je me suis dit que j’allais

customiserunpeumatenuepourqu’ellesoitplusadaptée.Jedéchiffrel’inscriptionrédigéeaucorrecteur:«Lesannéescollègesontlesplusbellesdelavie.»Shannonlèvelesyeuxauciel.–N’importequoi!commente-t-elle.Enfinbref,pousse-toi,jevoudraispasser.Sam se lève d’un bond sans cesser deme sourire. Shannonme prend par le bras et grimpe les

marchesd’unairhautain.–Àplus,missPaind’Épices!lanceSamensoulevantsonchapeau.

L’auteur

CathyCassidyaécritsonpremierlivreàl’âgedehuitouneufans,poursonpetitfrère,etellenes’estpasarrêtéedepuis.Elleasouvententendudirequelemieux,c’estd’écriresurcequ’onaime.Commeiln’yapasgrand-chosequ’elleaimeplusquelechocolat…cesujetluialongtempstrottédanslatête.Puis,quanduneamieluiaparlédesamèrequiavaittravaillédansunefabriquedechocolat,l’idéedelasérie«LesFillesauchocolat»estnée!CathyvitenÉcosseavecsafamille.Elleaexercébeaucoupdemétiers,maisceluid’écrivainestdeloinsonpréféré,carc’estleseulquiluidonneunebonneexcusepourrêver!

CelivrenumériqueaétéconvertiinitialementauformatEPUBparIsakowww.isako.comàpartirdel'éditionpapierdumêmeouvrage.