Danslamêmesérie

DangereusesAffinités,Acte1

FatalesAttractions,Acte2

Vertigescharnels,Acte3

Liensdéfendus,Acte4

UltimeTentation,Acte5

Pourmestroispetitsmiracles…

Chapitreun

Dublin,IrlandeERICA

Passé lesportespeintesennoirduWidow,c’étaituneplongéedans l’énergiedupub.Des rires fusaient au-dessus des murmures ambiants des clients, massés dans des boxadossés aumur.Serrant lamaindeBlakedans lamienne, je l’entraînaiplus loindans lasalleautourduvieuxbarcarré,piècemaîtressedecetendroitfestif.

Dansl’angletoutaubout,unvisages’illuminad’unsourireàmavue.

–Professeur!

JelâchailamaindeBlakeetmefrayaiuncheminversl’hommequiavaitétépourmoi,duranttoutescesannéesàHarvard,leprofesseurBrendanQuinlan.Ilselevaetm’accueillitd’uneétreintechaleureuse.Latexturedesonsweatvertétaitrêchesousmamain,sabarbepoivreetselchatouillamajoue.

–Erica!Quelplaisirdetevoir!Quellessontlesnouvelles?

Son accent irlandais avait repris de la vigueur depuis notre dernière rencontre. Etcomment résumer toutceque laviem’avait réservédepuis la findemesétudes,quelquesmoisplustôt?Entoutcas,encetinstant…

–Toutvabien.

JeluiadressaiunlargesourireetsentislachaleurdeBlakederrièremoi,puissamainseposeraucreuxdemondos.

Jerelevailesyeuxversl’hommequis’étaitemparédemoncœurdepuisladernièrefoisque j’avais vu Brendan. Blake avait fait couper ses cheveux châtain foncé pour notremariage. Si son torse lisse etmusclé étaitmasquéparunpull fin, son jeandessinait justecommeilfautlescontoursdesescuisses.J’étaispeut-êtreunejeunemariéefollementéprise,mais je n’étais pas la seule à l’admirer. Blake faisait tourner les têtes,mêmedepuis notreentréeaupubquelquesminutesauparavant.Maiscomme ilétaitàmoi, jenem’inquiétaisplusdequileregardait.

–Vousdevezêtrel’heureuxélu,ditleprofesseurenluitendantlamain.

Blakehochalatête,sesyeuxnoisetteseplissantsousl’effetdesonsourire.

–Oui, en effet. Très heureux de vous rencontrer. Ericam’a dit beaucoup de bien devous.

– Et elle de vous. Vous faites un beau couple. (Son regard courut de l’un à l’autre.)L’experteetlenabab.

–L’experte?m’exclamai-jeenriantetenmepenchantversBlake.Jenesuispassûred’enêtredéjàlà.

Leprofesseurdésignalatabledeboisuséeautourdelaquellenousprîmestousplace.

–N’endoutepasuneseuleseconde!Etdetoutefaçon,çaferaaumoinsunbontitredelivre.Jevaispeut-êtredevoirmel’approprier.

Ilappuyasaphrased’unclind’œilquim’alladroitaucœur.Sonamitiéetsesconseilsm’avaient manqué. Après avoir été un soutien indéfectible, il avait pris une annéesabbatiquependantque jemelançaispour lapremière foisdans lemondede l’entreprise.Je souris intérieurement au souvenir de ces heures passées surmonprévisionnel d’activitéouàéchangerdesidées,medemandantcommentj’allaisfinirmesétudestoutencréantmasociété. Je n’avais jamais oublié ce qu’avait alors représenté son aide pourmoi, et le rôlequ’elle avait joué dans une aventure qui allait m’entraîner bien au-delà de tout ce quej’avaispuimaginer.

Ils’étaitenvolépourl’IrlandeàpeuprèsaumomentoùBlakeétaitentrédansmavie.Il avait ses raisons, évidemment. Malgré toute son implication dans l’enseignement desaffaires à l’université, il s’était lancé dans la quête d’un tout autre rêve, dont j’étaisimpatiented’avoirdesnouvelles.

–Commentprogresseleroman?

–Trèsbien.Lesgensicionttoutcequ’ilfautpourm’inspirer.N’est-cepas,Mary?

Laserveuse,unefemmeauxépaissesbouclesbrunestiréesenarrièreparunebarrette,arrivaitànotre table.Elleapportaitunepinte sombrepleineà rasbord, recouverted’unefinecouchedemousse.Ellelaplaçasurlatablepuis,seredressant,posasesmainssurseshanchesau-dessusducordondesonpetittabliernoir.

– S’il vous importune, je peux le jeter dehors, ça ne serait pas la première fois, hein,Bren?demanda-t-elleavecunclind’œil.

– Pas la peine,mabelle, répondit-il tout sourire en secouant la tête. Je vais bienmetenir.

Oncommandad’autresbières,etquelquesheuresplustard,rassérénéepar l’alcooletlesrires,j’écoutaisencoreleshistoiresdeBrendansursesaventuresetsesamisducru.OnparlaaussideHarvard,évoquantmesmeilleurssouvenirs.J’évitaiprécautionneusementlesautres.Brendannesauraitjamaisriendecesfantômes,etj’espéraisvraimentqu’ilnesauraitjamais non plus jusqu’à quel point Max avait failli récidiver. Peut-être que, de retour à

Boston, ilauraitventdespoursuitescontresonancienélèvepourvoiesdefait ;maispourl’instant,ilenétaitbientropéloignépourenentendreparler.

Blake et Brendan discutaient de l’une des opérations de Blake lorsque Mary revintdébarrasser.

–Lavoilà,mafuturefemme,marmonnaBrendan.

–Oh,vousalors!lâcha-t-elleenluidonnantuncoupsurl’épaule,dissimulantàpeineunsourire.

Sonvisages’éclairaetilsetournaversnous.

–Uneautretournée?

Je jetai un coup d’œil vers le plateau de verres vides qu’emportaitMary.On pouvaitcontinuerlongtemps,etleregretter.Jesecouailatête.

–Çairapourmoi,maisallez-y,sivousvoulez.

Blakeselaissaretomberenarrièreetpassasonbrassurmesépaules.

–Non,ondevraitrentrer.Ilsefaittard.

–Toutàfait,acquiesçaBrendan.Laissez-moivousraccompagneràlaporte.

–Jem’occupedelanoteetjevousretrouvetouslesdeuxdehors,ditBlake.

Brendan protesta, mais Mary ignora ses suppliques. Ce détail réglé, on quitta levacarme du pub pour replonger dans l’ambiance plus paisible de la rue. Des gens nousdépassaient ici et là par petits groupes, entrant et sortant des divers établissementsalentour.Unedemi-luneéclairaitlarue.Lespavéssurmontésdebrumeétaientrévélateursd’unecourteondéedontnousn’avionspaseuconscienceàl’intérieurdupub.

Je plongeai mes mains dans mes poches et intégrai tous les détails de cet endroitnouveau.

–Unebienbellenuit,n’est-cepas?commentaBrendaneninspirantprofondémentl’airdusoir.

–Eneffet.Jesuisheureusequenousayonspunousrevoir,professeur.

–Brendan!gloussa-t-il.Jet’ensupplie,appelle-moiBrendan,aumoinsjusqu’àquetureprenneslafac–onverracommentonferaàcemoment-là.

–C’estbienpeuprobable,m’esclaffai-je,maisaumoinsc’estclair.

–Jesupposequ’àprésenttuvasapprendreàl’écoledelavie.(Sonsourires’effaçaunpeuetsonregardseperditdanslevague.)JesuisdésolépourtonamiMax.Jenepensais

pasqueçasepasseraitaussimal.J’avaispourtantcrudécelerunelueurd’espoirenlui…Ils’étaitamélioréaveclesannées.

Jebaissailesyeux,peuenclineàlaisserparaîtreàquelpointças’étaitmalpassé.

–Çava.C’estdel’histoireancienne,dis-jedoucement.

Jerepensaiaumailquej’avaisenvoyéauprofesseurquelques joursaprèsavoirapprisqueMax etmon ex-employée, Risa, avaient volé les fichiers dema société et s’en étaientservis pour lancer un site concurrent. Je n’avais pas voulu qu’il se sente coupable, justel’informer pour éviter qu’il envoie d’autres étudiants malavisés chercher aide et soutienauprèsdeMax.

Ce dernier s’était révélé bien plus dangereux que je n’aurais pu l’imaginer. Peut-êtrequesijenem’étaispasautantimpliquéavecBlake,iln’auraitpasétéàcepointdéterminéàme détruire. Mais je n’allais pas commencer à lui trouver des excuses, et il était hors dequestionquequiquecesoitvivecequej’avaisvécu.

–Peut-êtrequeçan’apaseuquedesmauvaiscôtés,puisquetuasrencontréBlake.Àquelquechosemalheurestbon,commeondit.

–C’estvrai.Cesderniersmoisontétédifficiles,etjen’auraispasfranchicecapsanslui.

Jem’étais toujours enorgueillie demon indépendance. J’avais été plaquée, blessée etdélaissée.J’avaisétésous-estiméeetsnobée.Jen’aurais jamaiscrupouvoirm’engageràcepoint avec un autre être humain. Mais je ne voyais pas comment j’aurais pu aussi bienaffronter cette période sans Blake à mon côté. Et je ne pouvais même pas imaginer majournéeoun’importequellendemainsanssonamouretsonsoutien.Luidireoui,échangernosvœuxetluioffrirmaconfianceavaitétéplusfacileaprèstoutcequenousavionsvécu.

–Tuesprête?

Blakevenaitdefranchirlaportedupubpourreveniràmoncôté,mefaisantoublierlefildemespenséesetdenotreconversation.

Nonqueçamegêne,d’ailleurs.J’avaisétéheureusederevoirunvieilami,maisj’étaisprête à replonger dans les bras de Blake, dans un endroit tranquille où il n’y aurait quenousdeux.Onétaitenvoyagedenoces,aprèstout.

Jememordislalèvreensouriant.Monvoyagedenoces,monmari…

Jemetournaiversleprofesseurpourunedernièreembrassade,etnosadieux,avantdeprendrechacunsonchemin.

On reprit, Blake et moi, le trajet devenu familier qui nous ramenait à notre hôtel àtraverslessombresruesserpentinesducentredeDublin.Lesdernièrestracesdelapluieet

l’odeur persistante des fleurs fraîches vendues dans les rues quelques heures plus tôtemplissaientl’air.

LamaindeBlakedans lamienne, j’admirais lesdétails architecturauxdes immeublesquibordaientlesvieillesrues,lecœurréchaufféparlesvisagessouriantsquinouscroisaientsur les trottoirs. Ilétaitpresqueminuit,mais tousnosplansétaientbousculés,et jen’étaispaspresséed’arriveroùquecesoittantquenousétionsensemble.

Retrouvermonancienprofesseuravaitétéunretourversunepériodebienplussimplede ma vie. Il s’était passé tant de choses depuis cette première réunion dans la salle deconférencesd’Angelcom,queleprofesseurQuinlanavaitarrangéeaveclesoutieninitialdeMax.Jen’auraisjamaisimaginéalorsquej’allaistomberfolleamoureusedecetinvestisseurarrogantassisenfacedemoi…quejedeviendraissafemme.Etpourtantnousenétionslà,aussiliésquedeuxêtrespeuventl’être.

Blakemeserracontreluietdéposaundouxbaisersurmajoue.

–Brendanmeplaît.Jevoispourquoiilestdevenuunami.

–Çaparaît unpeu étrangede le considérer commeun ami quand il a été tellementplus,répondis-jeensouriant.Maisc’estvrai.Ilm’aencouragéeàcréermasociétéquandjedoutaistellement.C’estgrâceàluiquej’aisuivicettevoie.

–Unevoiequit’amenéedirectementàmoi.(Ilserramamainplusfort.)Çaaétémachance.

Je levai les yeuxvers lui et l’embrassai sur la joue tout enmarchant. J’avais eude lachance,moiaussi.Jenepouvaislenier.

Mais je n’aurais jamais pu imaginer tout ce qui allait se passer. Avec l’aide de Sid etd’Alli, j’avais créé une société qui s’était développée et avait attiré des investisseurspromettantdenousporteràunniveausupérieur.Àpeinequelquesjoursaprèsavoirvendumesparts, j’avaisapprisqu’IsaacPerryet l’exdeBlakeallaientprendre le contrôle demasociété.Ceretournementdévastateurm’avaitaffectéeàuntelpointquejenem’enétaispasencoretoutàfaitremise.

Je revis les images de ma dernière visite dans les bureaux de Clozpin, encoreinconscientedecequej’avaiscédé.Jenedevaisjamaisoublierque,quoiqu’iladvienne,quel’entreprisecroisseous’effondreoubrûle,jenepourraisplusymettrelespieds.

–Tuesbiensilencieuse.Àquoipenses-tu?demandaBlake.

Jesoupiraietsecouailatête.

– À ma société, entre autres. Je n’arrive toujours pas à croire que je n’en fais pluspartie.

– Il ne faut pas que ça te ronge, dit-il doucement. C’est le passé, et tu as un avenirradieuxdevanttoi.

–Laplupartdutemps,j’essaiedeneplusypenser.

Ilrestaunmomentsilencieuxavantdereprendrelaparole.

– Je sais que ta blessure n’est pas refermée. Et je déteste savoir que tu as dûabandonner une entreprise dans laquelle tu avaismis tant de toi-même.Mais tu es libre,maintenant.Tuas lemondeà tespieds.Malgrétoutcequis’estpassé,cen’estpasunesimauvaisechose.

Peut-êtrequ’ilavaitraison,maismonavenirprofessionnelétaitbienincertain.

–Clozpinmedonnaitunbut.Jenepeuxqu’espérerque leprojetdeGeoffmefera lemêmeeffet.Aumoinsj’airécupérélaplusgrandepartiedemonéquipe,alorsjenesuispasenterreinconnue.

Comme Blake m’avait nommée au conseil d’administration d’Angelcom, j’avais eul’opportunité d’investir dans de nouvelles stratégies susceptibles de combler ce vide.GeoffWellsétaitprogrammateur,etilavaitcettemêmeflammeentrepreneurialequejesentaisenmoi.Au point que quand les choses avaient tourné court avec Clozpin, Sid, Alli etmoi yavionsvuunconceptsuffisammentprometteurpourenfairenotrenouvelleentreprise.

–J’investisdepuisassezlongtempspourreconnaîtrelapassionquandjelavois.Jel’aivue enGeoff, et je l’ai toujours vue en toi. Tu vas toutdonnerpour fairede ceprojet unsuccès.C’estdanstanature.Crois-moi.Qu’uneopportunitén’aitpasportésesfruitsdanslepassén’ychangerarien.

Lesouvenirdemadéception,decetéchecdévastateurrésonnaenmoi.Plus le tempspassait, plus je réussissais à me distancer émotionnellement de ce qu’Isaac et Sophiam’avaient fait. Et plus j’envisageais cette histoire pour ce qu’elle était : un épisode, uneexpérience formatrice que je n’oublierais pas de sitôt. Même si m’être fait spolier d’unesociétéquiavaittantcomptépourmoin’étaitplusaussidouloureuxqu’auparavant,laplaierestaitbéante.

–Peut-être.Maisjenepeuxpasm’empêcherderessentirçacommeunéchec.

La culpabilité restait ancrée enmoi, commeun cauchemar dont on n’arrive pas à sedébarrasser.

Ilmedévisagea.

–Tun’aspaséchoué.Tuasappris.

Je laissai traîner les semelles de mes bottes sur les pavés en marchant, évitant sonregard.

–Jenesuispasvraimentnouveaudanslesaffaires,tusais,reprit-il.Tudevraismefaireconfiance.

–C’est pour ça que je t’ai épousé, bien sûr, grimaçai-je. Pour ton sens des affaires etl’immensitédetesconnaissances.

Ilfronçalessourcils.

–Etpourtesmontagnesdedollars,m’empressai-jed’ajouter.

– Tu essaies deme dire que ce n’est pas pourmon incommensurable beauté ? C’estvexant.

Jepinçaileslèvres,m’efforçantdegardermonsérieux.

–Siuneseulechoseafaitpencherlabalance,jediraisquecesonttesexceptionnellesqualitésaulit.C’estlàquetuexcellesvraiment.

–Ehbien!s’esclaffa-t-il,aumoins,çamedonneuneraisond’être.

Ilmepressafermementlafesse.Enriant, je lerepoussaitandisquenousapprochionsd’unartistederuequichantaitpourunmaigrepublic.Unpetitgroupedetouristesparlantfrançaisétaitassemblélà,devantunhommeâgéaufaiblesourire,assissurletrottoiretenpiteuxétat.

Commelestouristess’éloignaient,onralentitpourl’écouter.C’étaitunechansontristemais pleine d’amour, chantée avec une émotion sincère. Blakeme tourna face à lui. Nosdoigtsentrelacés,sonsoufflechauddansmescheveux,ilm’entraînadanslespasimprovisésd’unedansesansnom.Jemeserraicontreluietfermailesyeux,meraccrochantàsoncorpscommejemeraccrochaisàchaqueinstantmagiquequenouspartagions.

Je tendis l’oreille pour saisir les paroles malgré l’accent du chanteur à couper aucouteau.

«Quandlamalchances’abat,personnen’aderépit.

Jem’étaislaisséaveugler,jenepeuxpaslenier.

Depuis,touteslesnuitslorsquejem’assoupis,

Mesyeuxnevoientplusquel’imagedemonaimée.»

Unmomentpassa, tandisque lavoixdu jeunehommes’éteignaitdans lanuit.C’étaitune chanson fort sombre qui devait toute sa légèreté à l’interprétation. Comme tant dechosesdanslavie,ladouleurétaitcequenousenfaisions.Ilavaitrendubellesatristesse.

JesoupiraietmecalaicontrelapoitrinechaudedeBlake.Lesbattementsdesoncœurétaientuneévocationpuissanteet régulièrede son soutien,de sonamour–une forcequim’avaitsauvée,changéeetguériedemultiplesfaçonsquejen’auraisjamaispuimaginer.Ilrelevamonmenton,unelueurdanssesyeuxàlamesuredelapassiondansmoncœur.Ilécartaseslèvrespleinesmaishésita,uninstantdesilencepartagé.

–Jevaistemontrerlemondeentier,Erica.

–Iln’yapasuneminutequejepourraisappréciersanstoi,murmurai-je.

Il interrompitnotredanse lente,passa leboutdesondoigt surmes lèvres, soudainsisérieuxquej’enretinsmonsouffle.

– Et je vais te faire retomber amoureuse de moi chaque matin et chaque soir. Danschaque ville et sur le rivagede chaque océan. Je te rappellerai sans cesse pourquoi tu esmienneetpourquoij’aitoujoursététien.

J’inspirai maladroitement, recevant sa promesse jusque dans mon âme. Après avoirdéglutiavecdifficulté,jeretrouvaimavoix.

–Jecroisquetuessurlabonnevoie.

Jemetendisversluijusqu’àtrouverseslèvres.D’aborddouxetlent,notrebaisersefitplusprofond,effaçanttoutepensée.

Ons’écartaunpeulorsqu’unevoixrocailleusenousinterrompit.

–Fonceluifairel’amour,mongars,avantqu’ellechanged’avis.

Derrière nous, installé pour la nuit sous le porche d’une boutique de luxe, l’hommenous adressa un sourire, accompagnant ses paroles de sagesse d’un geste amical de sapetitebouteilled’alcool.

Jesouris,etBlakeparutimmédiatementreleverledéfidel’inconnu.

– J’en ai bien l’intention, murmura-t-il d’une voix veloutée, teintée d’une délicieusemenace.

Unfrissonmeparcourut,etilrepritmabouched’unbaiserquienpromettaitbeaucoupplus.

Chapitredeux

BLAKE

Jerestaiassislàdansl’obscuritésanspouvoirapaisermespensées.Dehors,l’eauléchaitles pilotis quimaintenaient notre luxueux bungalow au-dessus des eaux transparentes del’océan.La luneéclairait l’horizonet lesvaguesavançaientenbandes inégalesdansnotredirection.Jenepouvaispasplusarrêterleurmouvementquejenepouvaisarrêterletemps.

Leurrythmehypnotiqueauraitdûm’apaiser,mais j’étaisbienloind’êtreenpaix,bienloin du sommeil. Les heures étaient devenues des jours, et les jours des semaines. Nousn’avionspasgâchéunseulinstant,maisjen’arrivaispasàmedébarrasserdecettesensationquimeprenaitlestripeschaquefoisquejepensaisàlafindenotrelunedemiel.Dansnosvies bien remplies, un mois était une éternité. Mais un mois n’était pas assez, et il medéplaisaitden’avoirplusquequelquesjoursavantquelaviedeBostonreprennesesdroits.

Nous avions atterri à Malé une semaine plus tôt, et presque instantanément j’avaisperçu le glissement. Peut-être parce que nous l’avions vu venir tous les deux. Peut-êtreparceque toutn’étaitquepaixsurcette île.Pasdevillesanimées,pasd’amisàretrouver.Pas de monuments à visiter, pas de boutiques de luxe. Juste nos corps et un silencebienvenu entre nous devant cemerveilleux décor. Le silence était naturel, agréable,maischargéaussid’uneréalitéquenil’unnil’autren’étionsprêtsàretrouver.

Jelaissaiéchapperunsoupirlasetattrapaimonordinateurportable,sanspouvoirmedébarrasserd’unecertainegêne.Monécranéclaira lanuitpresquenoireautourdemoi.Àmesure que les jours passaient, mon esprit s’était éloigné de la vie simple dont nousprofitions ici. Mes pensées revenaient de plus en plus à celle vers laquelle nous allionsretourner.

Danslachambre,Ericadormait,etj’espéraissonsommeilprofond.Elles’étaitagitéelaplusgrandepartiede lanuit. Jene savaispas simanervositédéteignait surelle,ou si lemêmegenred’anxiétél’affectaitaussi.

Nous nous étions promis de déconnecter, et pourtant j’étais là, incapable de passeroutre le faitquenousavionsdesennemis, etquema responsabilité laplus importanteentant qu’époux était de la protéger. La protéger pendant que nous voguions autour dumondeétaitunechose.Laprotégercheznousenétaituneautre.

Je voulais être celui qui se battrait pour elle. Pour sa sécurité et pour son bonheur.Erica était jeune,mais elle avait survécu à bien plus que quiconque n’aurait dû devoir lefaire.Jem’étaispeut-êtreefforcédeprendre l’ascendantentrenous,mais jen’avais jamaisdoutédesaforce.Quoiqu’ilensoit,j’avaisjurédelaprotéger.

Je survolai mes mails, résistant à mon envie instinctive de m’attaquer à la liste deschoses à faire qui s’étaient accumulées ces dernières semaines. La liste était trop longuepourêtretraitéeàuneheureaussitardive.Non,letravailattendrait.

Jecliquaisurunautreongletpourvoirlesnouvelles.Nousavionsentrevulesnouvellesinternationales dans les divers endroits où nous étions allés, de Paris à Cape Town,maisrien qui concerne Boston. Là, j’avais devantmoi la page d’accueil familière duGlobe, quiproclamaitqueDanielFitzgeraldavait remporté lesiègedegouverneurduMassachusetts.Unevictoireécrasante.

–Connard…maugréai-jeencliquantsurlelienpourenlireplus.

Jehaïssaiscethomme.Jehaïssaislefaitquedefaçonbienréelleilsoitlaseulefamilled’Erica, et qu’il n’ait pourtant apporté que terreur dans sa vie. Si elle avait besoin d’êtreprotégéedequelqu’un,c’étaitbiende lui. J’avais faitdemonmieuxpournepasexprimerouvertementcetteopinion,afindenepasvoircettedouleurdanssesyeuxdèsquelesujetrefaisait surface. Mais je restais convaincu que toutes ces années où il l’avait négligée ettouteslesfaçonsdontill’avaitdéçue,étaientresponsables,plusquemesmots,decequilataraudait.

Quoiqu’elleendiseounedisepas,jen’allaispaslelaissers’immiscerdenouveauentrenousdeux,etj’allaism’assurerqu’ilresteraitàbonnedistancedenosvies.

L’articlereprenaitlesécueilsdesderniersmoisdelacampagne,lamorttragiquedesonbeau-filsMark– l’hommequiavaitvioléEricadesannéesplus tôt,un faitquetrèspeudegensconnaissaient.Puis ladécouverte trèsmédiatiséed’Erica, sa fillebiologique illégitime,etenfinlafusillade…

Je fermai les yeux etmon estomac se serra commeme revenait le souvenir du corpsensanglantéd’Ericadansmesbras.J’étaisrestéfortpourelledurantcesterrifiantesminutesquejecroyaisêtresesdernières.

Elleétaittoutpourmoi.Tout.Unesortededésolationm’avaitenvahilorsquesesyeuxs’étaientfermésetquesoncorpsdevenaitfroid.Jecroyaisl’avoirperdue.Jel’avaisagrippée,refusant de partir, tremblant de rage et de désespoir. Tout en moi résistait à l’envie dehurler,depoursuivreDanieldanslarueetdemevengersurlui.

SiDanielavaitabattul’hommequiavaittirésurelle,ilnepourraitjamaislaprotéger.Ilne ferait que lui causer d’autres tourments, d’autres chagrins qu’elle essaierait encorevaillammentdemedissimuler.J’avaisfantasmésurdesmilliersdefaçonsdelebriser,maisje savais que ce n’était pas la solution. J’avais remballémes plans, sachant qu’un hommecommeluiétaitparfaitementcapabledes’autodétruiresionluienlaissaitletemps.

Par quelquemiracle, Erica avait survécu. Aumoment où elle avait perdu conscience,j’avais cru quemon cœur cessait de battre. Je vivais et je respirais,maismon existence selimitaitsoudainàunesimplesurvie,jusqu’aumomentoùlesmédecinspurentmepromettrequ’elleallaits’ensortir.Etàl’instantoùellerouvritlesyeuxdanslachambred’hôpital,moncœur se réchauffa. Une chaleur nouvelle ranima mes veines, et le monde redevint unendroit dans lequel je pouvais vivre. Elle était avecmoi.Hors de danger etmienne.Maispluslamême.

Je ne savais pas, alors, ce que nous pouvions encore perdre. Je rouvris les yeux. Endesserrant les poings, jem’efforçai de ne pas penser à ce dont sa blessure pourrait nouspriver.

Je refermai l’ordinateur d’un coup sec etme penchai en avant, enfonçantmesmainsdans mes cheveux. Bon sang ! Cinq minutes de connexion et mon esprit battait lacampagne, noyé dans les idées noires. Le ressentiment pour ce qui avait été perdu, unecraintelancinantepourcequ’ilrestaitàaffronter.

Quelquessecondesplustard,lespasfeutrésd’Ericaglissèrentsurlesoldemarbrefraisdenotrebungalow.Jemetournaidansladirectiond’oùprovenaitlebruit.Laluneéclairaitjusteassezpourmepermettrededistinguersasilhouettedansl’obscurité.

–Eh!

Elles’arrêtaàcôtédemoi,sonregardinterrogateurseposantsur l’ordinateurquimefaisaitface.

–Qu’est-cequetufaisdebout?luidemandai-je.

–Jecroyaisquetunetravailleraispasjusqu’ànotreretour.

– Je ne travaillais pas. (Je pris samain, passai le pouce sur ses phalanges.) Je te lepromets.

Sapeauétaitchaude,presquebrûlante.RiendesurprenantvuleclimatdesMaldives,maisjen’étaispasconvaincuquec’ensoitlaraison.

–Tuvasbien?

Elleréponditd’unhochementdetêtesilencieux.

–Unautrecauchemar?

–Jevaisbien,murmura-t-elle.

Sa voix faiblem’alarma.Mes tripes se serrèrent, nouées parmon ressentiment enversceux qui avaient trop souvent volé la quiétude de ses nuits. Instinctivement, je voulusl’attirerversmoi,lasauverdecesdémons.Maisaufildesterreursnocturnes–quis’étaient

considérablementatténuéescesdernièressemaines–,ellepouvaitparfoismeprendrepourlapired’entreelles.Avantquej’aiepuluiposerunequestion,elles’écarta,brisantcontactentrenous.

–Jevaisnagerunpeu.Jereviens.

En s’éloignant, elle ôta la chemise qui collait par endroits à son corps humide. Elleralentitaubordde lapiscineàdébordementqui faisait la transitionentrenotreespaceetl’océaninfini.Saculottetombasurlesol.Leraidelumièrelunaireparcourutlescourbesdeson corps. Les vagues blondes qui retombaient aumilieu de son dos flottèrent lorsqu’elledescenditdansl’eaupuisdisparurentsouslasurface,horsdevue.

Moncorpsvibradedésir,maisquelquechosedeplusprofonds’emparademoncœur.

Jeme levai et la suivis au bord de la piscine. Elle se redressa aumilieu de l’eau, lescheveuxplaquésenarrière,sesseinsàpeinerecouvertspar l’eaupeuprofonde.Jebrûlaisdelatoucher,decaresserchaquepoucedesoncorpssplendide.Jel’avaispossédéebiendesfois,maissansjamaisassouvirl’appétitquotidienquej’avaisd’elle.

–Çat’ennuiesijeterejoins?

Jemasquaisàpeinecequi,dansletondemavoix,suggéraitquej’envoulaisplusquecequ’incluaitmaquestion.

–Certainementpas,répondit-elleensouriant.

Jemedéshabillaietentraidansl’eau,assezfroidepourêtrerafraîchissante.Jemarchaiverselleetm’arrêtaijusteavantdelatoucher.Nousn’étionsplusqu’àquelquescentimètresl’unde l’autre. Je ladésiraisdésespérément. Jevoulais la serrer contremoiet luimontrerexactementàquelpoint.Maisj’attendis,m’armantdepatience.

Après un long moment, elle tendit la main vers moi. Le bout de ses doigts effleuralentement mon torse. Je pris délicatement sa main, la pressai là où mon cœur battaitpuissammentsousmescôtes.Chaquepincementdoux-amer,chaqueéland’amourressentilàluiappartenait.

Ses lèvres s’ouvrirent et un seul pas couvrit la courte distance qui nous séparait.Incapable de me retenir plus longtemps, je la saisis, l’amenai contre moi. L’eau ondulaitautour de nous. Je passai l’un de ses bras autour de mon cou, et elle y ajouta l’autre,refermant ses mains sur ma nuque, nous serrant l’un contre l’autre. Sa chaleur étaitcommunicativeetjelaissaiéchapperunsoufflequejen’avaispaseuconsciencederetenir.

–Erica…murmurai-je,capturantseslèvresdansunlentbaiser.

Mafemme.Labeautédevingt-deuxansquis’étaitemparéedemavieetavaitreléguétout le reste à l’arrière-plan. Je voulais tout lui offrir, ou, si ce n’était pas possible, lui

donnerassezpourcompensertoutcequelesautresluiavaientpris.

Je l’avais juré, un serment silencieuxprêté lorsque j’avais glissé l’anneau à sondoigt,qui l’avait faitemienne à jamais. Je voulais lui faire partager le réconfort que je trouvaisseulementquandonfaisaitl’amour.

Chaquefoisplusquelaprécédente.

Mes pensées tourbillonnaient autour de l’amour fou que je ressentais pour elle,canaliséespar ladouce fusiondenosbouches.Ellevibra,mordillama lèvre,provoquaunaffluxsanguindansmonbassin.Jemereculaiàpeinepourreprendremonsouffle,maisellemeramenaverselle.Jegémis,mepressantfermementcontreelle.Jelavoulaismaintenant,ici.Maisquelquechosemeretenait.

Jeprissonmentondansmapaume,monregardplongeantdanssesyeuxmaintenantembrumés de désir. J’y cherchais la réponse à une question que je n’avais pas encore étécapabledeluiposer.Jenevoulaispasvoirdeblessure,là,danscesprofondeursbleupâlequifaisaientpendantàcellesdel’océan.

Ellefronçalégèrementlessourcils.

–Qu’est-cequinevapas?

Mamagnifiquefemme…Jelaissaicourirmonpoucesurseslèvres.

–Jeveuxtedemanderquelquechose,etjeveuxquetumediseslavérité.

–Demande.

–Erica…(Jem’interrompis,lesmotsmenouantlagorge.)Veux-tuvraimentunenfant?

Elle se raidit et voulut baisser la tête, mais je l’en empêchai. Je relevai sonmenton,ramenaisonregardverslemien.

–Dis-moi,chuchotai-je.Jeveuxsavoirsic’estcequetuveuxvraiment.

Elledéglutitavecdifficultéetlaissaglissersesmainslelongdemapoitrine.

–Jeveuxpartagerchaqueexpériencepossibleavectoi,Blake.

–Moiaussi.

–Jenesaispassionestprêts,mais…

–Maisquoi?

J’avais parlé d’une voix égale, objective. Il n’était pas question de laisser mon cœurs’affoler.

–J’aipeurquesionattend,reprit-elleaprèsavoirprisunelongueinspiration,onn’enaitpluslapossibilité.(Elleeutunemoueinquiète.)C’estvraimenttôt.Peut-êtretrop.Jenesaispassic’estunechosequetupeuxvraimentdésirermaintenant.Et…jeneveuxpastedécevoir.

Jeprissamaindanslamienneetlaserraidoucement.

–Tunepeuxpasmedécevoir.C’estimpossible.Tulesais,n’est-cepas?

Sonregardplongeadanslemien,undébutdesouriresedessinantsurseslèvres.

Dans le même temps, cent idées décousues se bousculaient dans mon esprit. J’avaisréduitma vision dumonde pour la concentrer sur le travail pendant tellement d’années.PuismarelationavecEricaavaittoutchangéàmafaçondevoirleschoses.Élargirencorecechamppouryinclurelapossibilitéd’êtrepèreétaitencoreunenouveauté.Pasmalvenue,mais dérangeante à sa façon. La question d’avoir des enfants ne s’était jamais posée tantque les circonstancesn’en avaientpasmenacé lapossibilitémême.Et soudain, la réponseme fut évidente. Je voulais donner un bébé à Erica. Je voulais la regarder s’arrondir denotreenfant.Jevoulaisvivrecetteexpérience,quelqueétrangeetterrifiantequ’ellesoit.

Toutétaitincertain,maintenant.Quand,comment,si…Lepireétantqu’ilyavaittantdechoseshorsdemaportée.

Jepouvaispénétrerdanscertainsdessystèmeslesplussophistiquésdelaplanète,maisjen’avaisaucuncontrôlesursaphysiologieousurleslésionsqu’elleavaitsubiesetdontlesconséquencesrestaientinconnues.

Silaperspectived’avoirunenfantavecEricaétaitnouvelleetunpeudéstabilisante,nepas pouvoir lui en garantir la possibilité était un bouleversement. Fortune, influence ettechnologie étaient à ma disposition. J’avais œuvré pour les obtenir et, à maints égards,considérais l’ascendantquiendécoulaitcommeétabli.Maintenant, je tenais la femmequej’aimaisdansmesbras,etmalgrétoutcelanousétionsàlamerciduhasardetdescapricesdelanature.

Celamefrustraitetmemotivaitdanslemêmetemps.Jeferaistoutcequiétaitenmonpouvoirpournous rapprocher.Contreventsetmarées, je répondraisà tous lesbesoins,àtouslesdésirsqu’ellepourraitavoir.Jeresserrailégèrementmonemprisesursoncorps,laferveurdemonacceptationmuettesemantlechaosdansmesémotions.

–Sic’estcequetuveux,c’estcequejeveux.Etjesuisprêtsitucroisquetul’es.

Unpetitsourirenaquitsurseslèvres.

–Onne sera jamaisprêts, ni l’unni l’autre. Je crois qu’ona justebesoind’être assezfouspouressayer.

Jelaregardaidroitdanslesyeux.

–Crois-moi,j’essaie.

Son souffle s’accéléra, et un frisson parcourut ma peau. Je ne l’avais jamais ditauparavant,mais j’essayais de toutmon être depuis qu’elle s’était remise. Elle n’avait pasrepris la pilule, et j’avais été en elle toutes les nuits. Je l’avais baisée plus fort et plusprofond que jamais auparavant, espérant secrètement que ça lui apporterait ce que nouscraignionstousdeuxnejamaisavoir.

Êtredeux suffisait. Jen’aurais jamais eubesoindeplus, juste elledansmon lit, dansmesbrasjusqu’àlafindenotrevie.Maisc’étaitcequ’ellevoulait,etauplusprofonddemoije le voulais aussi. Ce serait plus, bien plus que ce que je pouvais réellement envisagermaintenant.

L’espoirbrillaitdanssesyeux,cachantlatristessequej’yavaisdéceléeauparavant.

–Commentpeux-tuavoirunetelleconfiance,aprèstoutcequenousavonsvécu?

Jesecouailatête.

–Jenesaispas.J’ai l’impressionquesinousledésironssuffisamment,çaarrivera.Oupeut-être que je n’ai tout simplement pas l’habitude de me contenter d’un « non » pourréponse.

Submergépar tout ce que jene comprenais pas tout à fait, je la serrai contremoi etl’embrassaidenouveau,plusprofondément,cettefois.Ladoucepressiondesoncorpsétaitla torture la plus agréable qui soit. Le baiser se fit plus pressant. Le goût de sa boucheaiguisamonappétit.Seshanchessefrottèrentcontremoi,etjedurcis.Jevoulaislaprendreàl’instant,m’enfoncerenelleencoreetencore.

Jelaissaiéchapperungémissementrauqueetpassaises jambesautourdemoncorps.Elles’accrochaàmoitandisquejeremontaislesmarchesdelapiscine.

Sesdoigtsglissésdansmescheveuxetenroulésautourdema tête, sescuisses serréescontremataille,elledévastamessenscommeellel’avaitfaitaussitotalement,aussisouventauparavant. Jeme forçai à garder les yeux ouverts entre ses baisers pour retrouvermoncheminverslapergolaau-delàdelapiscine.Jeladéposaisurledrapencotonblancdulitd’extérieur,etellem’attiraverselle.

*

ERICA

Mes doigts tremblèrent sur les épaules de Blake. L’eau ruisselait sur mon corps.Derrière moi, le ciel nocturne était une immensité bleu marine. Les étoiles scintillaient à

traverslatoilequidrapaitlapergola.

Quelquesinstantsplustôt,jeluttaispouréchapperàmoninconscient,assailliepardesscènesquejen’avaisrevécuesquetropsouvent.Maintenant, j’étaisdanslesbrasdeBlake,délivrée et rétablie, et la fulgurance de ce que nous venions de partager m’avait laisséepantoise.Était-cebienréel?

Je n’étais pas certaine de n’avoir pas rêvé ce qu’il venait deme demander. J’y avaispensé, évidemment. Chaque fois qu’on faisait l’amour, il y avait une possibilité, mais jen’auraisjamaisimaginéqu’ildésiraitunenfantluiaussi,qu’ilessayait…

Je m’enroulai autour de lui, mêlant nos membres comme une vague de désir meparcourait. Il prit ma bouche en gémissant. Je pouvais sentir l’amour dans notre baiser,doux contre sa langue quime titillait de tendres petits coups rapprochés. Son corps étaitfermecontrelemien,chaquemusclesetendantetroulantàmesurequenousbougionsl’uncontrel’autre.Yavait-ileuunmomentoùjel’avaisaiméplusquejel’aimaismaintenant?Je n’en avais pas souvenir. Mon cœur se gonfla dans ma poitrine, m’emplissant d’unepuissanteémotion.

– Je t’aime, luidis-je,horsd’haleine,quandnosbouches se séparèrent.BonDieu, j’aitellementenviedetoimaintenant…

Ilparcourutmonmentondesesbaisers,puismoncou,etjusqu’àl’endroittendresousmonoreille.Ilmesuçota,faisantfrissonnermapeauparvagues.

–Erica,chuchota-t-ildansmoncou,jeveuxtefaireunbébécettenuit.

Cette douce proclamation me coupa le souffle, me privant de ce que j’aurais voulurépondre.Mesdoutes.Mespeurs.Illeseffacerait,detoutefaçon,lesferaitparaîtreinutilesetminusculesfaceàcequ’ilvoulait,àcequenousvoulions.

–Jeleveuxaussi,répondis-jecalmement.

Il fit glisser une caresse humide sur monmenton, m’immobilisant de son regard. Lalueurdelalunefaisaitscintillerlesgouttelettessursapeau.

–Jesaisquetuaspeur.

Jenevoulaispasadmettre toutescespensées inexprimées,mais ilavait raison.Jemecontentaidehocherlatêtepournepasleurdonnervoix.Pascesoir.

– J’ai peur aussi. Si ondécided’essayer…Si on le fait vraiment, j’ai besoinde le voirdanstesyeux.Quandjetefaisl’amour,j’aibesoinquetuycroies.

– Je le veux, Blake. (Ma voix trembla et mon cœur se serra d’émotion.) Fais-moil’amour…s’ilteplaît.

Je passai délicatement mes mains sur les muscles durs de sa poitrine, sur ses abdostendus. Son érection pulsait contre moi, chaude et exigeante. Je la saisis, l’accueillis,caressai la chair tendre de son gland. Il souffla, se glissant entre mes doigts d’unmouvementlent.

Jemouillais, ce qui devint évident lorsqu’il se décala et fit glisser son érection contremes lèvres. Il répéta ce mouvement, déclenchant des vagues de plaisir dans mon clitojusqu’à que je ne puisse plus attendre. Je fis pivoter mes hanches, espérant le guider àl’intérieurdemoi.Ilpritsonérectiondelamain,metitillantduglandcontremonsexe.Jeravalai un gémissement frustré. Il adoraitme titiller. Puis, toute son attention concentréesurl’endroitintimequinousunissait,ils’enfonçalentementenmoi.

–Bonsang,quetuesbelle…

Il m’attrapa par le genou, me maintenant ouverte tandis qu’il poursuivait saprogression. Je cherchai mon souffle. La sensation de Blake m’emplissant, de mon corpss’écartant pour lui, me désarçonnait chaque fois. Je pressai mes ongles contre ses avant-bras,unesuppliquemuettepourqu’ilmepossèdeplusprofondément.

–Regardermabiteglisserentoi…c’estpresquetrop.Çamerendfouàchaquefois.

Jem’arquaisouslui.

–Jeteveuxauplusprofond.

Meprenantunsein,ilgémitetcouvritmoncorpsdelachaleurdusien.Lespoilsdesapoitrine excitaientmes tétons,maintenantdurs et hypersensibles. Ilm’embrassa, s’enfouit.Puis il me donna exactement ce que je voulais, comme toutes les nuits depuis que j’étaisdevenuesafemme.

Riennem’avaitjamaisparuplusjuste.

J’enfonçaimatêtedans lesoreillerset l’attiraiversmoi.Jenousvoulaisaussiprochesque possible. Aucun autre bruit que celui des vagues etmes cris pendant qu’ilme faisaitl’amour.Jefermailesyeux,mepréparantaujaillissementdemessensations.

–Erica…Regarde-moi.

J’ouvrislesyeux,etlevisageduseulhommequej’avaisjamaisaiméemplitmonchampdevision.Seslèvress’ouvrirentsursonhalètement.Chaquemuscleétaittenduparl’effort.C’étaitunevisionenivrante…époustouflante.

Nousn’étionsquetrophumains,alors,surunepetiteîleaumilieudel’immenseocéan.Nous n’étions que deux cœurs battants sur cette planète, et pourtant ce que nousrecherchionsparaissaitdémesuré.Cequenousdésirionsetquipouvaitêtrecrééparnous,

une étincelle de vie, minuscule et fragile, était trop phénoménal pour être vraimentappréhendé.Moncœurbattait lachamadedansmapoitrinesous lepoidsdecequenousnousefforcionsd’accomplir.

L’énergie irradiait entrenous, elle augmenta encore lorsqu’il referma samain surmahanche,l’autreentrelacéeàlamienne.Sonregardmeclouait,tropintensepourquejeleuréchappe,saufquejemedécomposaisunpeupluschaqueseconde.Possédéeparsonregardpuissantetlaférocitéaveclaquelleilmeprenait,jemeraccrochaiàluidetouteslesfaçonspossibles. Comme une corde toujours plus tirée et tendue, mon corps allait vers salibération.

–Jen’ai jamais rienvouluplusque toi.Riendansmavienem’a jamaispossédéplusquetoi,dit-il.

–Jet’appartiens.

–Àjamais,gronda-t-ilenécrasantmeslèvresd’unbaiser.

Il tenditunbrasautourdemeshanches,fit levierpourdéplacersonpoidsetchangerl’angledesescoupsderein.

–Blake!

Sonnométaitunesupplicationsurmeslèvres,unesupliquedésespéréepourimplorerlesummumdecequemefaisaitressentirsaprésenceenmoi.

Sonexpressions’adoucit.Unevulnérabilitépresquedouloureuseapparutsursestraitsmagnifiques,commeilnousrapprochaitdeceparadisquenoustrouvionsl’unenl’autre.

–Maintenant,mabelle.Laisse-toialler.Explosejustepourmoi.

Aussitôt, lacordeclaqua. Ilétait incroyablementenfoncé.Dansmoncorps.Dansmoncœur. Les lèvres écrasées, la peau en feu, nos corps unis, on jouit ensemble. On tombaensembledanscetendroitparfait,atterrissantsansencombredans lesbras l’undel’autre.La sensation m’envahit, me parcourut, vibra entre nous jusqu’à que nous nousimmobilisions.

On resta entremêlés dans l’air chaud. Hormis nos respirations qui s’apaisaient peu àpeu,onn’entendaitquelelentroulementdesvaguessurlagrève.

Fermantlesyeux,Blakesoupiraavecforce.

–MonDieu,quejet’aime!

Je soufflai, m’abandonnant à la chaleureuse apesanteur dans ses bras. Je fisparesseusementdansermesdoigtssursapeau,lelongdeseslargesépaules,revivantcequivenaitdesepasser.

Cettenuitavaitétédifférente.Cettenuit,nousavionspartagéquelquechosequejenepouvaisnommer.L’espoir,peut-être la foi.Laquêted’un rêvequenousnepouvions fairequ’ensembleencroyantquenouspouvionsleréaliser.

Un flot d’émotions m’envahit, peut-être plus violemment qu’à l’accoutumée dans cetétatvulnérabled’après l’amour. Je fermai lesyeuxpourcalmer leurbrûlure.Prenantunelongueinspiration,jeralentismescaresses.

–Jedevraisallerme laver,m’empressai-jededire,espérantgagnerquelquesminutespourmeressaisir.Jenevoulaispasgâchercetinstantpardeslarmes.

–Non,réponditBlake,soncorpstoujoursétaléau-dessusdemoi,enmoi.Ilfautlaissermespetitsbolidesfaireleurtravail.Donne-leurunpeudetemps.

Jerisdoucement,m’efforçantdenepasenvisagerqueçapuisseêtreunecauseperdue.J’écartailescheveuxdesonvisage.Sesyeuxmagnifiquesreflétèrentlalueurdelalune.

Jesecouailatête.

–Tuesvraimentdéterminé,n’est-cepas?

Ilsouritsousuntendrebaiseretentrelaçanosdoigts.

–Oh,Erica,tun’aspasidéeàquelpoint.

–Oh,jecroisquesi.

Je me cambrai contre lui, ne sachant que trop combien il pouvait être résolu. À telpoint que depuis que je l’avais rencontré, mes nuits étaient longues, et les matins nevenaientquetropvite.

Ilémitunpetitbourdonnement,sonregards’obscurcissantdenouveau.

–Tumerefaisbander.

Je fis remontermesorteils sur sesmollets jusqu’àqu’ils touchent lebasde ses cuissessolides.Jerelevaimeshanchesetl’attiraidenouveauenmoi.Sonérectionn’avaitpasvariédepuisqu’ilavaitjoui.Ilaccueillitmonmouvementd’unpetitcoupdereins,preuvetangibledelapersistancedesondésir.Jemeresserraisurluietmedélectaideladélicieusefrictiondontjem’étaisdéjàrepuesirécemment.

–Alors,recommençons,murmurai-je.

Chapitretrois

ERICA

Lalunedemielavaitétéuneescapade.Unemagnifiqueetdélicieuseescapade.Puislavraievienousavaitrappeléscheznous.

Une semaine plus tard, bronzés et régénérés par notre voyage sur une île quicommençaitànousappartenir,onatterritàBoston.

Des nuages gris obscurcissant le soleil et la menace d’un hiver imminent nous yaccueillirent.Jefrissonnaiquandunebourrasqueglacéeparcourutletarmac.

Ànotredescented’avion, jeremarquaiuneEscaladenoiregaréeunpeuplusloin.Onsedirigeaverselle,etunhommegranddefortecarrureenfitletour.Vêtutoutdenoir,ilavaituneprésenceimpressionnantequim’étaitfamilière.

– Clay ! (Je me haussai sur la pointe des pieds pour étreindre ce colosse qui avaitendossélerôledeprotecteurcesderniersmois.)Vousnousavezmanqué.

Ilsefenditd’unpetitsouriretimide.

–Commentaétélevoyage?

–Incroyable,maisonestheureuxd’êtrederetour.

Aprèstout,leparadisnepouvaitpasdurertoujours.

–C’estbondevousvoir.(IlsetournaversBlake.)Àlamaison?

Blakehochalatête.

–Àlamaison.

Clayroulaverslenord,laissantlesgratte-cieldelavillederrièrenous.L’autoroutefitplaceauxroutesétroitesquilongeaientlacôteentraversantdepluspetitesagglomérations.Je m’emplis de ce qui s’offrait à ma vue. La circulation dense, les rangées de maisonsdonnant sur le bleu profond de l’Océan, les éléments familiers. Tout m’était connu etétranger à la fois.Même la destination, unemaison quenous allions devoir refaire nôtre,allaitparaîtredifférenteaprèstantdetempspasséauloin.

Iciet là,despanonceauxélectorauxparsemaientencore lespelouses,certainsportantlenometlesloganFitzgerald.Danielétaitcertainementladernièrepersonnequejevoulaisvoirm’accueillir àmon retour,mais il était partout. Àmesure que la réalité reprenait sesdroits,lessouvenirsm’envahirentdésagréablement.

Après des années à ne pas savoir qui était mon père, j’avais découvert une vieillephotographie de Daniel avec ma mère. Je me souvenais encore de mon impatience à lerencontrer. C’est avec unmélange de crainte et d’espoir que je m’étais assise devant sonbureaupourluirévélerlenomdemamère.Aussiintimidantequecetteexpérienceaitété,faire véritablement connaissance avec l’homme derrière ses costumes de marque, sesbureaux cossus et lamachine politique chargée de sa campagne électorale avait été bienpluseffrayantencore.Etpourtant, lapeurn’étaitpasmonseulsentimentà lavuedesonnometausouvenirdesonvisage.

Il y avait de la déception aussi, et enfouie en dessous, de la colère. Après toutes cesannées, jem’étais attendue àmieux. J’avais espéré tellement plus.Ma gorge se noua, etj’eussoudainenvied’allerdétruiretouslespanonceauxquejecroisais.

Blakeserapprochaetpritmamain.

–Àquoipenses-tu?

–Àrien,répondis-je,leregardvide.

À rien dont j’aurais envie de parler. Je ne haïssais pas Daniel, quand bien mêmeç’auraitdûêtrelecas.Maisjesavaisquec’étaitcequeressentaitBlake.Ilcomprendraitmacolère,maism’enlamenteravecluinem’apporteraitpaslapaix.

–Ilagagné,tusais,maugréa-t-il.

Danielavaitgagné.Jemelerépétaimentalementàplusieursreprises,imaginanttoutela pompe et la gloire, les banderoles et les symboles patriotiques, la fausse fierté. Puis jesongeaiauxténèbresderrièrelafête,danslesquellessedissimulaienttoutesleschosesqu’ilavaitdûfairepours’assurerlavictoire.

Jen’étaispascertainedecequeçam’inspirait.Quepouvais-jeendire?Bonnenouvelle?Dommage?

Onfitlerestedelarouteensilence,commejecontinuaisdemedemandersijedevaiscélébrerouregretterl’électiondeDaniel.

Clay déposa nos bagages dans l’entrée et, en un rapide échange avec Blake, assuraqu’ilviendraitnouschercherlelendemainmatinpournousconduireaubureau.Onmontajusqu’àlachambrepours’effondrersurlelit.

*

Jem’éveillai sousun cielmatinal radieux et dansun lit vide.Unmessagedéposé surl’oreiller de Blake disait qu’il était parti travailler tôt. Je grommelai et envisageai de merendormir, mais la perspective d’être mise au courant de tout ce qui se passait dans lesnouveauxbureauxparAllietlesautresmeforçaàbouger.Jeprismontemps,regardantle

journal télévisé le temps de sortir du lit, où j’aurais facilement pu dormir huit heures deplus. Jemeservisducafé,m’interrompisà lamentiondunomdeDaniel.Leprésentateurfaisaitunrécapitulatifdel’électionquiavaiteulieulasemaineprécédente.

Même si je ne lui avais pas parlé depuis desmois, il était bien assez souvent apparudans mes pensées. Nous nous étions séparés. Enfin, plus exactement, il avait décidé dedisparaître de ma vie. Par compassion ? Peut-être. Parfois, je me demandais comment ilréagiraitsij’essayaisdelejoindre.Insisterait-ilpourgardersesdistances?

Maintenant qu’il avait été élu gouverneur, peut-être qu’il n’exprimerait plus rien dutout. Remporter l’élection était tout ce pour quoi il avait œuvré depuis longtemps, bienavant sa rencontreavecmamère.J’étaisconvaincueque,quellequesoit l’importancequej’avaiseuedanssavie,elles’étaitfonduedansl’arrière-plandesévénementsdumoment.

J’éteignislatélévision,déterminéeànepasluiconsacrerpluslongtempsmespensées.

Malgré ledécalagehoraireet tousmesregretsd’avoirvus’achevernotremerveilleuselunedemiel, j’étais impatientedeme jeterdenouveaudans le travail – ce que jen’avaispluseulapossibilitédefairedepuislaventedemasociété.

Lacaféinefitsoneffet.Ilétaittempsdememettreenroute.ClaymeconduisitenvilleetmelaissadevantleMocha,lecaféquej’avaislongtempsfréquenté,enbasdemesanciensbureaux.Jen’étaispasrevenuedepuisquel’exdeBlake,Sophia,avaitviréAllietquej’avaisdémissionné,maisjenepouvaispaséternellementresteràl’écart.Jeparcouruslestrottoirsduregard,m’attendantàvoirSophia,maisjenereconnusaucunvisage.

À l’intérieur, en revanche, je repérai immédiatement Simone. Pendant qu’elle servaitune tablée, je trouvaimon coinhabituel inoccupé etm’y assis.Mon téléphonebourdonnapendantquej’attendais,etjelusuntextodeMarisquimesouhaitaitunagréableretour.Jelui répondis, proposantdenous voir la semaine suivantepour échangerdesnouvelles. Jesavaisqu’ellevoudraitconnaîtretouslesdétailsdelalunedemieletj’étaisimpatientedelaluiraconter.Ellem’avaitmanquéplusqu’ellenel’auraitimaginé.

Simonevintmevoir,écarquillantlesyeux.

–BonDieu,quiêtes-vousetquefaites-vousdansmoncafé?

–Jevienspourmadosedecaféine!m’esclaffai-je.Etpourtevoir,évidemment.

–Tuasbienraison.(Ellesejoignitàmoi,seglissantsurlesiègeopposé.)Alors,quoideneuf?Jenet’aipasvuedepuistonmariage.

–Rienencore,enfait.J’ensauraiplusaubureautoutàl’heure,jesuppose.Ettoi?

–Queduvieuxici,dit-elleenindiquantlasalled’ungestedubras.

–Etcommentsontlesnouveauxvoisins?

Jen’avaispaspum’empêcherde ledemander,commeleMochan’étaitqu’àquelquespasdesbureauxdeClozpin,maisjemepréparaisàuneréponsequiferaitmal.Bonnesoumauvaises,desnouvellesneferaientqueretournerlecouteaudanslaplaie.

–Pourceque jepeuxendire, réponditSimonedansunhaussementd’épaules, lebigboss, Perry, n’est là qu’une ou deux fois parmois. Je n’ai pas du tout vu la fille. Ils ontembauchéquelquesnouveauxprogrammateurs.Ça,jenevaispasm’enplaindre,ilssesonttousrévélésd’excellentscaféinomanes.

–Alorsjesupposequelaboîtecontinuedetourner.

J’auraisvouluparaîtredétachée,maisjenepusdissimulerl’apathiedansmavoix.

–Ondirait.MaisjesuiscontentequeJamesnesoitpasresté.Ilestbienplusheureuxàtravailleravecl’ancienneéquipe.

Jamesavaitétéledernieràquitterlenavireaprèslechangementdepropriétaire.Lesdernièresnouvellesquej’avaiseuesétaientqueClozpinavaitétépiratéeetdesinformationscompromettantes sur IsaacetSophiaavaient fuité,qui risquaientdemener la sociétéà saperte.Apparemment,ilss’enétaientremisetavaientpoursuivileurroute.Peut-êtreétait-iltempsquej’enfasseautant.

–Qu’est-cequec’est?demandai-jeenindiquantlecœurartistiquementtatouédefraisàl’encrenoiresousl’avant-brasdeSimone.

–Oh,justeunnouveautatouage.

Ellepassa ledoigtsur lesméticuleuxornementsquis’enroulaientautourd’untroudeserrurenoiraucentreducœur.

–Ilestsuperbe.D’unefinesseincroyable.

Sesjouesrosirent.

–C’estJamesqui l’adessiné.Ilest fascinant,commeartiste. Ila lependant.Avecuneclé.

J’enrestaibouchebée,abasourdieparlesensindéniabledesdeuxsymboles.

–Ehbien!C’estpermanent,tusais.

Ellerit.

–C’estcensél’être.C’estunpeul’idée.

–Jesuisheureusepourvousdeux.

Après tout ceque j’avaisvécuavecJames, j’étaisparticulièrementheureuseque lui etSimonesesoientdécouvertquelquechoseàpartagerqui,jel’espérais,lescombleraitautant

queBlakemecomblait.

Sesyeuxsefirenttoutdoux,commeelleparcouraitledessinduboutdudoigt.

– Je ne savais vraiment pas si nous avions un avenir quand on a commencé à sortirensemble,mais il a trouvé lemoyen de s’enraciner si profondément dansmon cœur quemêmesionseséparait,jevoudraisgardercetatouagecommesouvenir.

–Iladelachancedet’avoir,Simone.

Elle laissa échapper un soupir, me paraissant aussi désespérément amoureuse quej’avaislaplupartdutempsl’impressiondel’être.

– Ilenavudesvertesetdespasmûres.Bienplusqu’ilnete l’aprobablement jamaisdit, Erica. Mais je n’avais jamais rencontré de ma vie un homme capable d’ouvrir aussicomplètement son cœur. C’est comme si, à partir du moment où on a cessé de fairesemblant d’être amis et où on a donné une chance à notre relation, plus rien n’avait pus’immiscerentrenous.Pasd’histoires,pasdefaux-semblants.Justenousdeux.

Jedéglutiavecpeine,l’émotionmenouaitlagorge.

–Bonsang,tuvasmefaispleurer…Arrête!

Ellesourit,chassantdesespaupièrescequisemblaitbienêtredeslarmesdejoieaussi.Quittantsontabouret,ellefitletourdelatablepourm’étreindre.

–Tum’asmanqué,dis-je.

Ces mots faillirent libérer les grandes eaux. J’avais adoré ma longue escapade, maismesamism’avaientmanquéaussi,plusquejenel’avaismesuréjusqu’àcetinstant.

Ellemeserraplusfort.

–Tum’asmanquéaussi.Vousm’avezmanqué,toiettoustesputainsdemélodrames.

–Désoléepourça,répondis-jeenrianttandisqu’elles’écartait.

– Ne t’inquiète pas. Ça met un peu d’animation dans ma morne vie de cafés et decroissants.Celadit,arrêtedeprendredesballesoucegenredechoses,tuveuxbien?J’aibesoinque turestesenvie.Monchiffred’affairesbaissequandtunevienspasnourrir tonaddiction.

Duboutdesdoigts,j’effaçailesdernièrestracesdelarmessousmesyeux.

–Jeferaicequejepourrai.

Elleposasamainsurmonbras.

–Çavaudraitmieux.Bon,jedoisretournertravailler.

–Moiaussi.J’aidestonnesdechosesàrattraper.

–Jen’endoutepasunseulinstant.Eh,rends-moiunservice.ClaquelafessedeJamesenarrivant.Dis-luiquec’estdemapart.

–Jevaisplutôttelaisserfaireça…répondis-jeenouvrantdegrandsyeux.

Elleritetmefitunpetitsigneens’éloignant.

Je remontai à pied les quelques pâtés de maisons qui me séparaient des nouveauxbureaux dans l’immeuble que Blake et moi partagions maintenant. Je gravis les marchesjusqu’aupremierétageetm’arrêtaiquelquessecondesdevantlaportedontleverredépoliaffichaitE.Landon,Inc.Jesourisintérieurement.

MadameEricaLandon.Çasonnaitbienàmonoreille.J’avaisprislenomdeBlakesanshésitation,maisprofessionnellementiln’avaitpasessayéderamenermesprojetssousl’aileprotectricede sa société.Et àuneépoqueoù jeperdais rapidement tout espoir, ilm’avaitoffertunespacemepermettantdetravaillersurdenouvellesviséessusceptiblesdecomblermonmanque.

Déterminéeàlaisserlepasséderrièremoietàsaisiràbras-le-corpscenouveauchapitredemavie,j’ouvrislaporte.Àl’intérieur,l’équipe–unmélangedenouveauxetd’anciens–étaitautravail.

Allipiaillabruyammentenmevoyant.

–Tu es revenue ! (Elle seprécipita versmoi etme serradans ses bras.)Et tellementbronzée!

Jeristandisquenousnousséparions.

–Unesemainesuruneîle,çapeutfaireceteffet-là.

–Jesuisfollementjalouse.Maisquefais-tulà?Jepensaisquetuprendraisd’abordunoudeuxjourspourteremettre.

–Jen’aipaspuattendre,répondis-jeavecunhaussementd’épaules.

Dederrièreleursstationsdetravail,GeoffetSidattirèrentmonattention.

–Commentçasepasse?leurdemandai-je.J’airatéquelquechose?

LesyeuxdeGeoffpétillèrent.

–Pleindechoses.Parquoivoulez-vouscommencer?

–Paroùvousvoulez.Racontez-moi.

Une sensationenivrantemontaenmoi :une impatience familièredeparler la languedes affaires et de la technologie, d’être projetée dans le foisonnement de détails qui

entouraientunprojetdepointe.

Sidselevaets’appuyaàsonbureau.

–Nousavonsdeuxnouvellesapplicationsquetupeuxtester.

–Génial.

–Eh,l’étrangère!

Unevoixprofondeavait retentiderrièremoi. Jamesapparut en franchissant laporte.Sa chevelure ondulée presque noire était ébouriffée, en accord avec son jean et son longtee-shirtnoirs.Ilsepenchaetm’embrassasurlajoue.

–Heureuxquetuaiesdécidéderevenir.

–Jenepouvaispasresteréternellementauloin.Etpuis, jenesaispascequej’auraispufairesansvoustouspourtrouverdequoim’occuper.

–Lebonheurtevabien,dit-ilenmetapotantgaiementleboutdunez.

Sesyeuxd’unbleuprofondsemblaientregarderdirectementdansmonâme,commeilsl’avaient toujours fait. Mon amitié avec James avait évolué vers un sentiment bien plusprofondquetoutcequej’auraispuimaginerquandjel’avaisembauchépourqu’ilrejoignel’équipeoriginelledeClozpin.Notre aparté romantiqueavait étébref etmalavisémaisnenousavaitheureusementpascoûténotrelienoriginel.

–Merci,répondis-jeenluidonnantunpetitcoupdepoing.Àtoiaussi.

Ilpassasamaindanssescheveux,révélantledessousdesonavant-brasetletatouagetout neuf qui répondait parfaitement à celui de Simone : une ancienne clé ouvragée,dessinéeennoiretblanc.

–Jolitatouage,dis-jeavecunclind’œil.

–Merci. (Sa grimace semua enun large sourire. Il tendit lementon en direction dufond de la salle.) Allez, réunissons-nous dans ton bureau de luxe. On rêve tous del’inaugurer.

–Allons-y.

Touslescinq,onpassalerestedelamatinéeàanalyser lesprogrèsréalisés.Geoff, lecerveauderrière lasociété technologiqueque j’avaisdécidéde financerquelquesmoisplustôt,me fit ladémonstrationdesdernières versions.Visiblement, l’équipe avait fait bienduchemin durant mon absence, mais il restait encore des trous à combler et pas mald’améliorations à apporter avant qu’on puisse commercialiser ces applications. Les heurespassèrent,etjemeperdisdanslesdétails.

Quandons’arrêtapourdéjeuner,jerestaiunmomentàvagabonderdansmonbureau,cetespacedanslequeljen’avaispasencoreeuletempsdeprendremesmarques.Maispourla première fois depuismon retour, j’avais l’impressionque j’étais réellement faite pour cetravail.Malgré tous lesévénementsquiauraientpumedécourager, j’étaisaussiprêtequepossibleàreplonger,àrecommencer.

–Heureused’êtrederetour?

JetournaimonfauteuilpourdécouvrirAlli,l’épauleappuyéecontrel’embrasuredelaporte.

–Toutàfait,admis-je.

–Etnous,noussommesheureuxdeterevoir.Lafamilleaussi,évidemment.CatherineetGregontorganiséundînerenl’honneurdevotreretouraubercail,cesoir.

–C’estgentildeleurpart.

Leslèvresd’Allis’incurvèrent,tandisqu’ellejouaitavecunemèchedeseslongscheveuxbruns.

–Oh…ondiraitquetuveuxmedirequelquechose.

–Ehbien,ilyaurauncouvertdeplusàlatable,cesoir.

–Ah?Quiest-ce?

Elles’assitdanslesiègefaceàmonbureauetbaissalavoix.

–Tutesouviensdeceserveursexyauclub,celuiquetuasenvoyéàSophiaavecceshorriblesboissons?

–Vaguement.

Letempsquiavaitpasséetlelégerétatd’ébriétédecettenuit-làavaientembrumélesdétails. En revanche, je me souvenais distinctement de la brève apparition de Sophiapendantmonenterrementdeviedejeunefille.

–C’estlenouvelamoureuxdeFiona.

Jefronçailessourcils.

–Vraiment?Lui?

– Je suppose qu’ils se voient depuis déjà un moment, mais maintenant elle veut leprésenteràlafamille.

–C’estungrandpas.

Comme je n’avais jamais rencontré ou connu un seul des petits amis de Fiona, je nesavais pas comment son nouveau prétendant allait être reçu. D’un autre côté, sa famille

s’étaittoujoursmontréeaccueillanteetgentilleavecmoi.

–Jesais.Jesuisimpatientedevoircommentçavasepasser.

Jemelaissaiallerenarrièredansmonfauteuil.

–J’ail’impressiond’avoirratépasmaldechoses.

–Voilàcequiarrivequandonquittelepaysdurantdessemainessansliresesmails.

–Sansrire!Ilvamefalloirunmoisrienquepourtoutreprendre.Maismêmesic’estlecas,çavalaitlecoup.

Je me remémorai nombre des incroyables souvenirs de ce que Blake et moi avionsengrangédurantcevoyage.UnepartiedemoivoulaitparleràAllidenotrediscussionausujetdubébé,maisjen’étaispasencoreprêteàpartagertousmesespoirsetmescraintesàcesujet.Letempsviendraitet,quoiqu’iladvienne,jesavaisqu’elleseraitlàquandj’auraisbesoind’elle.

–Tupeuxpeut-êtremefaireunrésuméendéjeunant?

–Biensûr.

Elletritural’ourletdesachemise.

–Qu’est-cequ’ilya?

–Hum…Ehbien…

–Alli…

–Tuviensderevenir.Jenevaispastebombarderd’infos.

–Jesuisvenueaubureaupourça.Bombarde.

Sesjolisyeuxbrunssedétournèrentlégèrement.

–C’estàproposdeMax.

J’attendisqu’ellepoursuive.

–Sapeineaétéprononcée…pourtonagression.

–Oh!

J’avais rédigé ma déclaration des mois auparavant, et avec tout ce qui s’était passédepuislemomentoùilm’avaitagressée,leprocèsm’étaitsortidel’esprit.J’avaisditcequej’avaisàdireetnepouvaisplusqu’espérerenlajustice.

–Alors…qu’ont-ilsdécidé?

–Ilsl’ontjugécoupable.

–Oh!

Jen’auraisjamaisimaginéàquelpointentendrecesmotsmeferaitdubien.

Un immense soulagementm’envahit,mais ce sentiment apaisant semêla rapidementauxcentautresémotionsquej’avaisrattachéesàMaxetàcequ’ilm’avaitfait.Lacolèreetlagênequetantdegensdansnosmondessachentdansquellepositioncompromettanteilm’avait mise. Un peu de culpabilité, même, que Max passe en jugement à cause de macoopération. Sa vie en serait changée à jamais. Et pourtant, je nedevais pas l’oublier : jen’avaisrienfaitpourprovoquersonagression.Ilm’avaitdroguéeetacculéedesonproprefait.SiBlaken’étaitpasintervenu,Maxm’auraitviolée.Mêmesicen’étaitpasarrivé,j’étaisconvaincuequec’estcequ’ilauraitfait.

–Ilaprisdeuxansetdemi.

Magorgeseserraetjefermailesyeux.Moncorpssemblaitréagirauxnouvellesavantquemoncerveauaitréellementletempsdelesassimiler.Uneminutepassa,etjeretrouvraimavoix.

–C’estlamoitiédumaximum.

–Jesais,dit-elledoucement.

En hochant lentement la tête, je redressai une pile de papiers surmon bureau déjàparfaitementrangé.

–Ehbien,jesupposequecen’estquejustice.

– Au moins ils vont l’enfermer, même si ce n’est pas pour aussi longtemps qu’il lemérite.

Max perdrait sa liberté, au moins pour un temps. J’aurais voulu fêter cette petitevictoire,maisunevoixaufonddemoiconsidéraitquecen’étaitpasassezpourpayerpourcequ’ilavaitfait.

*

BLAKE

–Oh,quevousm’avezmanqué,touslesdeux!

Mamèrenousapplauditets’approchapourm’enlacer.Jemepenchaipourmemettreàsahauteur.Onauraitditquejerevenaisdeguerre,mais jenepouvaispaslablâmerdetropm’aimer.C’étaitsafaçond’être,etquandsonattentionsetournaversErica,jenepusquem’enféliciter.Lesdeuxfemmessebercèrentuninstantdanslesbrasl’unedel’autre,ettoutregretdedernièreminutequej’auraispuéprouverd’avoiracheténotrenidd’amouràquelquesmaisonsdechezmesparentsdisparut.

Ericaméritaitune famille,et iln’yenavaitpasdemeilleureque lamienne.Jene lesavaispastoujoursappréciés,maistoutçachangeaitrapidementdepuisqu’Ericaétaitentréedansmavie.

Mamèrenousregardatouslesdeux,noustoisa,pritunairapprobateur.

–Erica, tuesplusbelleque jamais.Vraiment.Touscesvoyagesontdûavoiruneffetbénéfiquesurtonâme.

–Jecroisqueoui,réponditEricaenregardantversmoi.

Ma mère sourit, les yeux plissés. C’était une belle femme, débordant d’une énergiecontagieuse,etplusencoreavecmonpèreàsoncôté.Celui-cinousrejoignit,revêtudesontablier préféré. Devenu le cuisinier en chef de la maison depuis sa retraite, il portaitfièrement ce titre. J’avais toujours considéré l’aisance de mes parents l’un avec l’autrecomme une évidence. Maintenant, j’y voyais une version familière d’Erica et moi.J’entrevoyaisuneéternitéencompagniedelafemmeaveclaquellejevoulaisvieillir.

PapamedonnaunpetitcoupdepoingsurlebrasetétreignitErica.

–Commentvontlesamoureux?

–Trèsbien,papa.

Ilfitunsignedetêteendirectiondelasalleàmanger,oùmasœur,Fiona,étaitassiseàcôtéd’unhommequinem’étaitpasfamilier.

–Vousêtesrevenusjusteàtempspourfaireconnaissancedunouveau,reprit-il.

–Ohoui!IlfautquevousfassiezlaconnaissancedeParker,ajoutaCatherineennousentraînantàl’intérieuretennousprésentantàcequisemblaitl’invitéd’honneur.

Ilseleva.

–Blake,jesuisenchantédevousrencontrer.

–Moiaussi,répondis-jeenluiserrantlamain.

On s’assit,Ericaetmoi, faceaunouveaucouple. Je toisai l’homme,dont lebrasétaitenrouléautourdudossierde la chaisedemasœur.Parker semblaitavoirmonâge,peut-êtreunpeumoins.Descheveuxblondfoncé,biencoupés.Unetenuedécontractée, jeanetchemiseboutonnée.Riendeparticulièrementcher,maisilavait l’aird’avoirconsacréàsonapparenceletempsnécessaire.

SesdoigtsetceuxdeFionarestèrententrelacés tandisquemamèreservait lecélèbrepaindeviandemaisondemonpère.Unrepasenfamilleetdesnouvellesdetoutlemondeauraientdû fairemonbonheur,mais je restaidistraitparParker. Il se tournaet chuchotaquelquechoseàl’oreilledeFiona.Ellesouritetsecollacontrelui.

Jem’éclaircisbruyammentlagorge,lesinterrompantdansleurmouvement.

–Alors,commentvousêtes-vousrencontrés?

LesyeuxdeFionas’écarquillèrent.Laquestionavaitretentiavecmoinsdefinessequeje l’aurais voulu, mais j’étais impatient d’en savoir plus sur cet étranger assez importantpourellepourqu’elleleprésenteàlafamille.J’espéraisqu’ilcesseraitdelacâlineràtable.

–Hum…commença-t-elle.

– Nous nous sommes rencontrés à la soirée d’enterrement de la vie de jeune fille devotreépouse,ditParkersansdétournerlesyeuxdeFiona.

–Vraiment?

Je n’avais jamais été vraiment enthousiaste à l’idée de voir Erica sortir dans sa tenuecourte et serrée cettenuit-là ;mais,naïvement, jen’avaispas envisagéqueFiona se fassedraguer. Je serrai les mâchoires, en réflexe contre l’image déplaisante de Parker ou toutautreayantunquelconquelienphysiqueavecellequandelleauraitbu.

– Il travaillait aubar, et il aprismonnuméroavantqu’onparte, ajoutaFionad’unevoixdouceetlégère.

Jeme détendis un peu, ses paroles ayant corrigé la vision qui s’était imposée àmonesprit. Fiona était d’abord ma sœur, mais elle avait aussi été une bonne partenaire enaffaires,toujoursconcentréeetpertinentequandelles’occupaitdemesbiensimmobiliers.Jen’avaispasl’habitudedelavoirdistraite,etsij’avaistoujoursvoululaprotégerentantquefrèreaîné,ellenem’enavaitquerarementdonnél’occasion.Peut-êtreparcequenotrefrèreHeathavaitluiaussiexigélongtempslamêmeattention.Maintenant,sonnouvelamoureuxétaitassisdevantmoi,nettementmoinsmalàl’aisequejel’auraisvoulu,étantdonnéqu’ilbaisaitfortprobablementmasœur.

–Alors,quelestvotremétier?Barman?

Jen’avaisjamaisétéélitiste,mais,pourjenesaisquelleraison,jenepouvaisrésisteràlatentationdeluirabattreunpeusoncaquet.

–Blake…ditFionad’unevoixplusgrave.

– Je vais à l’université, poursuivit-il enme regardant sans ciller. Je suis barmanpourjoindre les deux bouts. Mes parents ne peuvent pas financer mes études, alors je payecommejepeux.

Monpèreentradanslaconversation.

– C’est tout à fait louable, Parker. Rien ne vaut un succès que l’on ne doit qu’à soi-même.Nousn’avonsjamaisrechignédevantladuretédutravail,n’est-cepas,Blake?

–Certainementpas,répondis-je.Jeneparlequ’enmonnometpasenceluideHeath,évidemment.

Heath sourit et m’adressa un geste insultant que notre mère, heureusement, neremarqua pas. On gloussa, et la tension retomba momentanément. Papa s’était faitcomprendre.Mafortuneavaitchangénotrefaçondevivre,maisnousvenionsd’unefamilleouvrière. Peut-être allais-je accorder à Parker le bénéfice du doute, mais pas avant d’ensavoirunpeuplussurlui.

– Erica, veux-tu nous parler de ce nouveau projet sur lequel vous travaillez tous ?demandamamère.Gregetmoiaimerionsbiensavoirdequoiils’agit.

Apparemment, j’étaisleseulàvouloirm’enquérirdunouveau;alorsjelaissaiEricaetAllifairelaconversationetparlerdeleurtravail.

Àmesurequeledînerprogressait,Parkerparlaunpeuavecmesparentsetlesautres.S’il avait été déstabilisé parmes questions, il ne le laissa pas paraître. Àmon côté, Ericaavaitàpeinetouchéàsanourriture.Safourchettetraînaillaitsursespommesdeterre.

–Çava,mabelle?

Ellerelevalesyeuxversmoiavecunmaigresourire.

–Çava.Jecroisquejesuisépuisée.Çaaétéunelonguepremièrejournée.

Sesparolesmerappelèrentmaproprefatigue.Nousavionsdémarréauquartdetourdèsnotrearrivée,cequejeregrettaismaintenant.

–Tuveuxrentrertereposer?

Lesyeuxfermés,ellesoupiralourdement.

– Je crois, oui. Je suisdésolée,Greg. Ledîner était superbe. Jepeuxenemporterunpeu?

Mamèreseleva.

–Biensûr!Laisse-moiteprépareruneassiette.

Ericafitminedebouger,etjemelevaiavecelle.

–Jevaisteraccompagner,luidis-je.

–Cen’estpaslapeine.

Jerepoussaiunemèchedecheveuxderrièresonoreille,frôlantsajouedudosdemesdoigts.

–Jemesentiraismieuxcommeça.

Elleposasamainsurmapoitrineetsourit.

–Jevaisbien.Profitedecettesoiréeavectesparents.Jeteverraiquandturentreras.Pasbesoindetepresser.

Je posai ma main sur la sienne, touchant du bout des doigts les diamants de sonalliance.Malédiction!Jenel’avaispasvuedelajournée,etlapartageravecmafamillelesoirn’étaitpas lamêmechose.J’avaispris l’habitudede l’avoirpourmoiseul.Malgré toutceque j’avaisnégligédansmontravailcederniermois, j’avaisencoreenvisagéaujourd’huideredécolleravecelledèsquepossible.

Jecédai.

–D’accord,maisappelle-moisituasbesoindequelquechose.

–Çavaaller.

Elledéposaunbaisersurmeslèvresetnousquitta.

On termina notre plat, et pendant que mes parents s’occupaient des restes dans lacuisine,ontraînaautourdelatable,Heath,Parkeretmoi.

–Alors, comment supportes-tu la viemaritale ? demandaHeath en s’enfonçant danssonsiège.

–Trèsbien.

J’attrapai ma bière, portai la bouteille à mes lèvres. Le mois qui venait de s’écoulerincluaitcertainsdesplusbeauxjoursdemavie,etjecomptaisenvivrebeaucoupd’autres.

–Jen’arrivepasàcroirequetut’esmiscetteputaindecordeaucou.

Jerelevailamain,regardailefinanneaudeplatinequej’avaischoisi.

–Tupeuxlecroire.

–Etvous,Heath?demandaParkeraprèss’êtreéclaircilagorge.Est-cequ’Allietvousallezconvoler?

Heathplissalefrontetlaissaéchapperunpetitrire.

–Jenesuispascertainquecesoitdéjàvosaffaires.

Parkerserembrunit.

– Simple curiosité. Je suis nouveau, ici. Je veux dire, quand on trouve la bonnepersonne…

Son regard se détourna de nous, filant vers la partie du salon dans laquelle Alli etFionas’étaientassisespourbavarder.

Jeme redressai dansmon siège,mesmuscles se tendant sousmesmanches, prêts àassommerParker.

–Voussortezavecmasœurdepuistoutunmois.

Ilbutunegorgéedesabière.

–Plutôttrois,maisquicompte?

Heathsecoualatêteenriant.

–Tupeuxdifficilementdire lecontraire,Blake.Tuaspassé labagueaudoigtd’Ericaaprèsseulementquelquesmois.

–C’étaitdifférent,maugréai-je.

–Enquoi?demandaParkerenhaussantunsourcil.

–Ellen’apasdegrandsfrères,déjà,lâchai-jed’untonindubitablementmenaçant.

Ilpinçaleslèvresenhochantlatête.

–C’estdebonneguerre.Vousavezdestestsàmefairepasser?Mesrelevésbancaires,autrechose?

Jesouris.Ilnes’endoutaitpas,maisd’iciquelquesheuresj’allaisensavoirplussursaviequen’importequelemployeur.Sesrelevésbancairesneseraientqu’undétail.

– Ce ne sera pas nécessaire. Si j’ai un problème avec vous, vous le saurez. D’ici là,traitez-labien.Trèsbien.Elleneviendraprobablementpasnouslediresivousluibrisezlecœur,maisjetrouverailemoyendel’apprendresic’estlecas.

–Etqu’est-cequivousfaitpenserquejevaisluibriserlecœur?

–Récupérer des numéros de téléphonedans des boîtes de nuit n’est pas dumeilleuraloi.

Ilsereculadanssonsiège.

– Pourquoi ai-je l’impression que je serai présumé coupable tant quemon innocencen’estpasprouvée?

LamaîtrisedeParkermerappelaitunpeutroplamienne.Jen’avaispasencoredécidésiçameplaisait,ousiFionadevaitcommenceràcourirauxabris.Dansuncascommedansl’autre, je n’allais pas attendre longtemps avant d’aller trouver jusqu’à la dernièreinformationdisponiblesurlui.

–Ledessert,lesgarçons!criamamèredepuislacuisine.

–Dieumerci!laissaéchapperHeathentresesdents.

Je souris intérieurement, ne connaissant que trop le désintérêt de Heath pour touteformedeconflit. Ilaimait lavie. Ilauraiteuplusdechancesd’obtenirdes informationsdeParkerenbuvantavecluiautourd’unetabledebillard.Malheureusement,Parkerenaurait

probablementobtenudeuxfoisplusdesapart,yauraitgagnéunallié,etj’auraiseudeuxproblèmesàgérer.Telleétaitmavieentantquefrèreaîné,etj’avaisapprisàl’accepter.

Jerépondisàdenombreusesquestionsd’Allisurnotrevoyageendégustantledessert,puis saisis la première occasion pour m’excuser et partir. Le ciel s’était enténébré. Ericadormaitprobablement,mais jenevoulaispasêtre loind’elle trop longtemps.Nousavionspassé quasiment chaqueminute dumois dernier ensemble, et si j’avais toujours désiré saprésenceavantnotrelunedemiel,j’étaismaintenantdevenudépendant.

Jegagnainotrechambresurlapointedespieds.Lalampesurlatabledenuitéclairaitsestraits,paisiblesdanssonsommeil.Mamèreavaitraison.Ericaparaissaitmieux,millefoismieux qu’avant notre départ. Elle n’avait jamais semblé accorder grande importance à sabeauté,mais cela ne la diminuait pas. Elleme fascinait. En desmoments comme celui-ci,simplement vêtue d’un de mes tee-shirts, elle était une déesse, faite juste pour moi. Sapoitrinesesoulevaitenunerespirationrégulière.J’avaisenviedelatoucher,deladévorerdebaisers,delafairemienne.

Aulieudecela,j’éteignislalumièreetjequittailachambresansunbruit.

Chapitrequatre

ERICA

Jepinaillaissurmesœufsetmestoasts,pasmoinsépuiséequelaveilleausoir.J’auraisvouluattribuermonsommeilagitéaudécalagehoraire,maismespensées, troublées toutelajournée,l’avaientprobablementétéaussitoutelanuit.

J’aurais voulu parler à Blake de la condamnation deMax,mais je n’étais pas encorefixée sur ce point. Avec tout l’argent et l’influence de la famille Pope, je pouvais déjàm’estimer heureuse qu’il ait été emprisonné. Les hommes comme lui s’en tiraientgénéralementavecunepetitetapesur lesdoigtspouravoir faitcequ’ilsvoulaientavecdejoliesfillesnonconsentantes.IlenavaitétéainsiavecMark.Unjeunehommeprivilégiéquiavaitéchappéauxconséquencesdesesactespendantdesannées.

Max, lui aussi, avait grandi dans le luxe, avec derrière lui une famille au succèsincroyable.Maintenant,ilallaitpassersesjournéesderrièrelesbarreauxavecdescriminels.Sa haine pour Blake etmoi allait-elle grandir avec le temps ? Ou pouvait-il s’amender ?Difficileàdire.

Blake,silencieux,deboutdevantlamachineàcafé,tasseenmain,attendaitquelecafépasse.

–C’estlong,hein?

Ilémitunbruitinintelligibleetsefrottalefront.

–Tut’escouchétard?

–Plustardquejenelecroyais.

Incapabled’attendrepluslongtemps,ilremplitsatasse,remitlacafetièresurlaplaquedansungrésillement.

–TuasfaitlepointavecHeath?

–Non,autrechose.

–Qu’as-tupensédeParker?Tul’asmissurdescharbonsardents.

Ilsoupiraetenfonçasesdoigtsdanssescheveuxébouriffés.

–Oui.Jenesaispas.Quelquechoseenluimetapesurlesnerfs,jesuppose,maistouslesrésultatssontbons.

–Qu’est-cequetuveuxdire?demandai-jeenfronçantlessourcils.

Avantqu’ilaitpurépondre,jesursautai:onfrappaitbruyammentàlaporte.

–Jevaisrépondre,ditBlakeenreposantsatasse.

Derrièrelaportesetenaitunhommeencostumemarron.

–BlakeLandon?

Faceàl’étranger,Blakeoccupaitl’espacedansuneposturedéfensive.

–C’estmoi.Etvous,vousêtesqui?

L’hommeplissalesyeux,etmonestomacsenouanerveusement.Parfoisl’effronteriedeBlaken’avaitparfoispasdelimite.

– Je suis l’agent Evans. Du FBI. (Il ouvrit son portefeuille, révélant sa carte.) Puis-jeentrer?

–Non,maisvouspouvezmedirepourquelleputainderaisonvousvousprésentezici.

–Blake…soufflai-je.

Il m’ignora, toisa l’homme comme il le faisait si souvent avec les gens qui nel’intéressaientpas.

–Jesuisicipourdiscuterdestrèscurieuxrésultatsdel’électionaupostedegouverneurduMassachusetts.

–Qu’est-cequeleFBIaàvoiravecça?

Unfinsouriresedessinasurleslèvresdel’agent.

–Lorsquelesrésultats indiquentunemanipulationdesmachinesàvoter,celadevientl’affaireduFBI.Nousapprécierionsvotrecoopération.

Les mâchoires de Blake se serrèrent, ce qui le fit grimacer. Il frémit d’hostilité uninstant, ce qui me serra les tripes et menaça le peu de nourriture que j’avais réussi àingurgiterpourlepetitdéjeuner.

Leregarddel’hommealladeBlakeàmoi.

–Puis-jeentrer?

Blake ne répondit pas mais s’écarta suffisamment de la porte pour qu’il puisse enfranchirleseuil.Evanssemblaitavoirlaquarantaine.Plusgrandquemoi,ilparaissaitpetitàcôtédeBlake.Sesyeuxétaientmalicieusementplisséstandisqu’ilobservaitnotreintérieurquirestaitàdécorer.

–Puis-jevousoffrirducafé?

Je me tordais les mains, incapable de dissimuler la nervosité que m’inspirait saprésence.Unemanipulationdesmachines ?DansquoiDaniel était-il allé se fourrer, cettefois?

Evansm’adressaunsourirequifutloindem’apaiser.

–Ceseraittrèsaimable.VousêtesEricaHathaway?

–EricaLandon,coupaBlake.C’estmonépouse.

–C’estvrai.Félicitations.

–Onpourraitsepasserdesfioritures?Pourquoiêtes-vouslà?

Evansenfonçanonchalammentsesmainsdanssespoches.

– Avez-vous une raison d’être aussi vindicatif, monsieur Landon ? Je suis juste venuposerdesquestions.

–Jen’aipaseuuneexpérienceextraordinairementpositiveduFBI.

–J’ensuisbienconscient.

Evansavaitrépondud’unevoixgraveetpleinedesous-entendus.

–Vraiment?demandaBlakeeninclinantlatête.

–Jeneseraispaslàsinon,etjecroisquevouslesavez.

–Voilàbienlesecretdesdossiersscellés,soupiraBlake.

–Votreréputationvousprécède.

–Toutcequejesais,c’estquevousêteschezmoietquevousnem’aveztoujourspasdonnéunebonneraison.

–Puis-jem’asseoir?

Blakeneréponditpas,etEvanssedirigeaverslecanapé.Jeluiapportaisoncafépuismeperchaisurleborddel’accoudoirdufauteuiladjacent.

Ilbutunegorgée,setournaversmoi.

– Je croisquevousvenezde rentrerdevoyagedenoces. J’imaginequevousavezeuconnaissancedurésultatdel’élection?

–Fitzgeraldl’aremporté…avecunemajoritéécrasante,dis-je.

–C’estvrai.

–Qu’ya-t-ildesicurieuxdanscerésultat?demandai-je.

– Eh bien, jusqu’à quelques heures avant la fermeture des bureaux de vote, il étaitdistancé.

–Cen’estpasinhabituel,ditBlake.

– Ça l’est lorsque le nombre de voix dans un district dépasse le nombre d’électeursenregistrésdanscesbureauxetfaitbasculerl’électionensafaveur.

–Pourquoiaurait-ilfaitça?

Les mots m’avaient échappé, mon incrédulité oblitérant tout filtre que j’aurais dûmaintenirdevantcethommequin’étaitvisiblementpaslàpoursefairedesamis.

Leregarddemarbred’EvansquittaBlakepourrevenirversmoi,seréchauffantquelquepeu.

– C’est ce que nous essayons de découvrir. Une chose est claire, si Fitzgerald estderrièretoutça,ilaeudel’aide.L’aided’unexpert.

IlseretournaversBlake,sesyeuxcommuniquantquelquechosequepeut-êtreseulsluiet Blake savaientmaintenant. Il ne faisait aucun doute que tout ça avait un lien avec lesrumeurs sur le passé de hacker de Blake. Il s’était attiré de graves problèmes à l’époque.MaispourquoiEvansremettait-iltoutçasurletapis?Blakeavait-ilaidéDanielàmanipulerlesrésultatsduvote?

Monestomacsedéchaîna.Jem’agrippaiaucoussindufauteuiltandisquetoutlesangquittaitmonvisage.

–Toutvabien,madameLandon?Vousn’avezpasl’airenforme.

Jemeredressaifaiblement.

–Çava.

–Vousdevriezpartir,ditBlakeens’avançantversEvans.

Evansselevaaussitôt.

–Biensûr.Maisvousallezveniravecmoi.Vousaussi,madameLandon.

–Aucune chance.Vous pouvez la laisser hors de tout ça, rétorquaBlake la colère selisantdanssesyeux.

Evansfitunpasverslui.

– Monsieur Landon, vous êtes soupçonné d’avoir interféré dans l’élection pour fairepencherlescrutinenfaveurdupèrebiologiquedevotreépouse.Nousavonsdesquestions,etnousapprécierionsvotrecoopération.

Oh,monDieu,non!Jenepouvaisplusrespirer.Labilemeremontaitdans lagorge.Cen’étaitpasvrai.Çanepouvaitpasêtrevrai…

–Surquellesbases?

–Vousavezunmobile.Vousavezlesressourcesnécessairespourleréaliser.Etenfin,etsurtout,vousavezlestalentsrequis.

Blakecroisalesbrassursapoitrine.

–Vousallezavoirbesoindeplusquecelapourm’emmener.

–Etilestprobablequeceseralecas.Nousavonsunmandatdeperquisitionpourvosbureaux,enville.Ilssontdéjàentraindesaisirvosordinateurs.

–Que…

Blakeavançad’unpasmenaçantversEvans.

Evans glissa sa main sous sa veste, vers le holster de son arme. Je vins aussitôt meglisserentrelesdeuxhommes.

–Blake,s’ilteplaît.Allonsplutôtleurparlerettirerçaauclair.

JeposailamainsurlapoitrinedeBlake.Sousmesdoigts,soncœurbattaitlachamade.Uneimmenseénergieémanaitdelui.

Evansfitunpasdecôtéetsedirigeaverslaporte.

–Optonsplutôtpourlamanièredouce.Cenesontquedesquestions.Allonsréglerça.

*

ERICA

J’attendis longtempsdans la salled’interrogatoire, lesyeuxbaissésvers le froidmétalbrossé de la table. J’avais froid, aussi. Des doigts aux orteils, mais ce n’était pas ce quim’anesthésiait. La panique initiale s’était dissipée dans la voiture qui nous emmenait enville, et dans ma tête une sorte de brume donnait à tout un aspect alangui et irréel.Commentétait-cearrivé?

Lanauséemontait enmoi. Si les Fédéraux reliaientBlakeà la fraude électorale…Jen’arrivaismêmepasà l’imaginer. Ilne s’agissaitplusdepetitsdémêlésavec la loi, commequandilavaitcassélafigureàMax.Ilrisquaitunvéritableemprisonnement,pourquelquechosequ’iln’avaitpasfait.Jemeprislatêteentrelesmains.

La porte s’ouvrit, pour laisser entrer le détective Carmody, un homme dont j’auraispréféré ne pas connaître le visage. Il referma la porte, nous isolant du bruit des autresbureaux.Cen’étaitpasunegravuredemode,maisilétaitloind’êtrelaid.Sesyeuxétaientfatigués.Iltassasamincecarcassedanslachaisequimefaisaitface.

–Erica.Commeonseretrouve…

Lapremièrefoisqu’ons’étaitparlé, ilm’avaitinterrogéesurlamortdeMark.L’affaireétaitclasséemaintenant,maisc’étaitl’unedespremièrespersonnesàavoirapprisquej’étaislafilleillégitimedeDaniel–unfaitdontjenel’avaispasinformé.Ilensavaitdéjàbeaucoupplussurmoiquejenel’auraisvoulu.

–Voussavezpourquoivousêtesici?

–Blaken’apasfaitça.

En le disant, j’espérais que c’était vrai. Je connaissais Blake. Il ne me ferait pas ça.Carmodyréagitparunsourirepresquecompatissant.

–Commentpouvez-vouslesavoir?

–Jelesais,c’esttout.Ilnemeferaitjamaisdemal,etdétruireleschancesdeDanieldel’emporterm’auraitblessée.

–Àpartirdelà,assurerlavictoiredeDanielseraitvousrendreservice.

–Letrucageestévident.Commentçapourraitservirquiquecesoit?

Carmodysereculadanssonsiègepuismedemanda.

–Jusqu’àquelpointconnaissez-vousvotreépoux,Erica?

–Bienmieuxquevous.

Ilopina,unlégersourireauxlèvres.

–Ilaunpassé,voussavez.

–Vousvoulezdirequevousvousintéressezàluiuniquementàcaused’untrucqu’ilafaitquandilétaitadolescent?

Ilsepenchaenavant.

–Landonvousa-t-iljamaisparléd’accèsillégalàdesinformations?

Avantquej’aieeuletempsdeluidired’allersefairevoir,unhommed’âgemûrpoussalaporteetentradanslasalle.Sescheveuxpresquenoirsétaientsoigneusementramenésenarrière, et s’accordaient à un costume noir tout simple. Sa peau était pâle, presquetranslucide, en parfait contraste avec son costume et ses cheveux. Ilme regarda d’un airimpassibleavantdereportersonattentionsurCarmody.

– Je m’appelle Dean Gove, je suis l’avocat de Blake. Vous étiez censé attendre monarrivéepourl’interroger.

–Nous ne faisions que discuter, répondit Carmody d’une voix neutre. (Il se leva.) JesuisledétectiveCarmody.

Lesdeuxhommesseserrèrentlamain.

Govefronçalessourcils.

–VousêtesdelapolicedeBoston?Jepensaisquec’étaituneenquêteduFBI.

–Laquestiondelajuridictionsemblefairedébat.Maislesloisdel’Étatontclairementétéviolées.Alors,enattendant,toutlemondecherchedesréponses.

Uneversionbienétonnanted’unfrontuni.Jenepouvaisqu’espérerquecefosséentreEvansetluijoueraitennotrefaveur.

Sansplusseprésenterqued’unbrefsignedetête,Goves’assitàcôtédemoietsortitunbloc-notesetunstylo-plumedeluxe.

–Trèsbien.Dites-nouspourquoinoussommesici.

Carmodygardalesyeuxfixéssurmoi.

– Commençons par la campagne de Daniel Fitzgerald. Son chef de campagne m’aconfirmé que vous vous y étiez impliquée de façon intermittente ces derniersmois. Est-ceexact?

Lesnauséesmereprirent.MauditDaniel.

–Oui,c’estvrai.

–Pouvez-vousdévelopper?

–Jedirigeaismapropresociété,alors jen’avaispasvraiment le tempsdem’investiràfond dans sa campagne quand il me l’a demandé. J’ai accepté de travailler en tant queconsultante pour son équipe de communication, afin de développer sa présence sur lesréseauxsociaux.

–Vousnevousconnaissiezpasjusqu’àcetteannée,exact?

Jefermailesyeuxuninstant.

–Oui.

–Pourquoiparticiperàsacampagnesivousleconnaissiezàpeine?

Bonnequestion.Blakeaimeraitenconnaîtrelaréponse,luiaussi.

–C’estmonpère.Quandjel’aiappris,j’aivoulul’aider.

Iljetauncoupd’œilsursesnotes,écrivitquelquechose.

–D’accord.Autrechose?

–Non.

– Et Blake ? Il dispose de plus grandes ressources que vous. De quelle façon était-ilimpliqué?

Jeluiadressaiunregardfatigué.Jesavaiscequ’ilfaisait,etj’enavaisassez.

–Iln’étaitpasimpliquédutout.Ilnevoulaitmêmepasquejem’implique.

Carmodyhaussalessourcils.

–Vraiment?Pourquoicela?

Goves’éclaircitlagorge.

–Jecroisquenousnousécartonsdusujet.Restons-enauxfaits.LessentimentsdeM.Landonquantàl’implicationdesonépousedanslacampagnesontsansrapportaveccetteentrevue.

–Jen’ensuispassicertain.

– Alors vous lui poserez la question à lui. Erica, vous n’avez pas à répondre à cela.Poursuivez,détective.

Carmodyécrivitdenouveaudanssoncarnet.

–Étiez-vous impliquéedans laphase finalede la campagne courant jusqu’au jourdel’élection?

–Jerentrejustedevoyagedenoces,etnousétionsàl’étrangerdepuisunmois.Donc,non.

–EtBlake?Surquoitravaillait-il?

« Sur rien » : j’avais la réponse sur le bout de la langue. Il n’aurait pas fait ça. Il nepouvaitpasm’avoirfaitça.

– Rien, à ma connaissance. Nous avions décidé de nous déconnecter, et de nereprendreletravailqu’ànotreretour.

–Vousenêtescertaine?

Enétais-jecertaine?Non.

–J’ensuiscertaine,mentis-je.Nousétionsensembletoutelajournée,touslesjours.S’ilavaittravaillé,jem’enseraisaperçue.

Carmodyme dévisagea. Ses yeux étaient d’une couleur étrange. Bleu nuit, avec unetouched’ambreautourdes iris.Moncœurbattitplusvite. Jene savaispasceque toutçasignifiaitmais,aumoinspourleFBI,çaindiquaituneculpabilitépossibledeBlake.Quelquechoseau fonddemoimedit queCarmody savait que jementais.Mais j’auraismenti sansdiscontinuer pour Blake, si ça avait pu lui éviter des problèmes. Il n’y avait rien que jen’auraisfaitpourlui.

–Quandavez-vousparléàvotrepèrepourladernièrefois?

–Ilyaenvirondeuxmois.

–Uneraisonàcetteabsencedecommunication?

Jelaissaiéchapperungrandsoupir.Ilnem’avait jamaisétéfaciledediscuteraveclesautorités de ma relation avec Daniel, après ce qu’il avait fait. La situation n’était pasdifférenteaujourd’hui.

–Ilnevoulaitplusmevoir.

–Pourquoicela?

Jefermailesyeux,ausouvenirdenotredernièrediscussion.

«Tuesmafille.Monseulenfant.Jet’aime,maisilesttempsquejem’enaille.»

Çam’avaitbrisélecœurd’entendrecesmots.Lamêmedouloureusesensationdevidem’envahit.Unesouffrancequej’avaisenfouie,enconsidérantqu’elleneméritaitpasd’être.Maistoutdanssonrejetfaisaitencoremal.

– Après que je me suis fait tirer dessus… Il s’est dit qu’il valait mieux qu’il reste àdistance.

–Ilaabattul’hommequiaessayédevoustuer.

–Jesais,acquiesçai-je.

–Qu’est-cequeçavousinspire?

Goves’éclaircitlagorge.

–C’esttoutcequevousavez,Carmody?Nousnesommespasvenusicipourdiscuterdessentimentsd’Ericaenverssonpère.

Carmodys’adressafinalementdirectementàGove.

–Çameparaîtpertinent.

–Ça le seraitpeut-être, si vousaviez lamoindrepreuvecontremesclients, cequinesemblepasêtrelecas.(Goverangeasonbloc-notesetseleva.)OùestM.Landon?

–Ilparleavecl’agentEvans.

Govelefixad’unregardassassin.

–Sic’étaitunemagouillepourlelaisserseulavecleFBI,jevouscloueraiaupilori.

Carmodycilla.

–JenetravaillepasavecEvans.

Govejuradanssabarbe.

–Quelputaindecirque!Amenez-moiàLandon,etpassonsàlasuite.

Lesmâchoiresdudétectivesecrispèrentetilsepassalamainsurlementon.

–Bien,dit-il.Vousêteslibredepartir,Erica.

Jemelevai,pasmoinsanesthésiéepourautant.Labrumen’avaitfaitques’épaissir.Jecroulaissouslepoidsdecequis’étaitdit.Govemepritparlecoudeetm’entraînahorsdelasalle, me fit suivre quelques couloirs, et on se retrouva dans le hall du commissariat depolice.

–Jepeuxattendreici,dis-je.

–Vousdevriez rentrer.Blakem’a faitdirequeClayallait vous ramener. JedéposeraiBlakedèsquenousenauronsterminéici.

Monregardseperditdanslevide,commesij’allaisapercevoirBlakeàtoutinstant.Jenevoulaispasêtreici,maisjenevoulaispaslelaissericinonplus.

–Jepréféreraisattendre.

LeregarddeGoves’adoucit.

–Çapourraitprendreuncertaintemps,Erica.Ilveutquevousrentriez.

Moncœurseserra.

–Vousêtesàsesordres,hein?

Ilritdoucement.

–Vumeshonoraires,vousavezabsolumentraison.

–Ceneserapascherpayé,sivouslesortezdecettemouise.

–C’estpourçaquejesuislà.Nevousinquiétezpas,d’accord?Ons’enoccupe.

Il fit un signe de tête en direction des portes automatiques qui s’ouvraient et sefermaientdevantmoi,laissantentrerdesrafalesd’airfroid.

–Bien,maisassurez-vousqu’ilm’appelledèsquepossible.

– Je lui transmettrai le message. Nous ne resterons pas ici une minute de plus quenécessaire.Enrevanche,ilfautquej’yretourneavantqu’ilsessaientdejouerauplusmalinaveclui.

Àcontrecœur,jemedirigeaiverslesportes.J’aperçusl’Escaladenoireaucoindupâtédemaisons.Clayallaitmerameneràlamaison,oùj’attendraisenmeposantdesquestions.J’avaisbesoindeplusderéponsesquejen’enavais,etjenesauraisriendeplustantqu’ilsn’auraientpasrelâchéBlake.

Je pris mon téléphone, fis défiler mes contacts et sélectionnai le numéro de Daniel.Nousn’avionspasparlédepuisuneéternité,maissiquelqu’unpouvaitapporterunpeudelumière sur tout cemerdier, c’était bien lui. Après uneminute, la sonnerie fit place à lamessagerie.Jeraccrochaietluienvoyaiuntexto,espérantquetoutçapourraitm’apprendrequelquechose.

E:«Ilfautqu’onparle.Appelez-moi.»

Après tout ce qu’il avait fait pour gagner, si Daniel s’était arrangé pour trafiquer lescrutin, je n’en aurais pas été surprise. Si la perte de son beau-fils avait pu lui attirer lasympathie des électeurs, un avantage dont il avait bien conscience quand il avait donnél’ordredelefaireabattre,alorstoutétaitpossible.

Maissicen’étaitpasDaniel…Alors,qui?Lapolicepensaitvisiblementavoirtrouvélecoupable.

Quelquessecondesplustard,montéléphonebourdonna.

D:«N’appellepas.Pasdetexto.Resteleplusloinpossibledetoutça.»

Jelemaudisensilence.Ilavaitvumonmessageetl’avaitignoré.Espècedesalaud.

E:«LeFBIinterrogeBlake.J’aibesoinderéponses.»

Le téléphone restant muet, je sentis le désespoir monter en moi. Soudain, plus quetout,j’avaisbesoindusoutiendeBlake,del’entendrem’assurerqu’onallaits’ensortir;maisilétaitaucœurdetoutça,et jen’avaispas lamoindre idéedutempsqu’ilscomptaient legarder.

Jemarchais en direction de Clay quand j’entendis appelermon nom. Quelque chosedanslavoixmasculinequileprononçadéclenchaunfrissonquimeparcouruttoutel’épinedorsale.Jemeretournai,etmoncœurcessadebattre.

On était face à face, à quelques centimètres l’un de l’autre. Et non pas des mètres,commeleprévoyaitl’ordonnancerestrictiveémiseaprèsqu’ilm’avaitagressée.D’aussiprès,Maxparaissaithagard.Sescheveuxblondshabituellementtailléscourtétaientmalpeignés,etilavaitunebarbedetroisjours.Luid’ordinaireimpeccable…Jenel’avaisjamaisvudansuntelétat.

Unmélange révulsant de panique et de répugnancem’envahit.Que faisait-il ici ? Laquestionmevintauxlèvresmaisnelesfranchitpas.Jereculaid’unpas.

–Vousêtescenséêtre…

–Le jugem’aaccordé le tempsdemettremesaffairesenordre.Jevaisêtre incarcéréaujourd’hui. (Il secoua la tête,et ses lèvres se tendirentenunsourireamer.)Pouvez-vousimaginerça,Erica?Voirs’écoulerlesminutesducompteàreboursdesapropreliberté?

L’adrénalinem’envahit.Onétaitenpublic,mais jenemesentaispasensécuritépourautant.Meslèvrestremblèrenttandisquejeparvenaisàformerdesmots.

–J’aiuneordonnancerestrictive.Vousnepouvezpasêtreici,insistai-je,espérantqu’iltourneraitlestalonsetpartirait.

Ilavançad’unpasversmoi,regagnantladistanceperdue.

–Çan’aurabientôtplusd’importance.

Jereculaidenouveaud’unpas,lesangmartelantàmesoreilles.

–Ilfautquej’yaille.

Jedevaisfilerd’ici,etvite.

–Attendez.

Ilmepritparlebras,m’interdisanttoutefuite.

Lesoufflememanqua,lapeurm’envahit.

–Lâchez-moi!

Ilgrimaçaetresserrasonemprise,mepinçantdouloureusementlapeau.

–Ilvavousdétruire.Tous.

Ilavaitprononcécesparolesentresesdentsserrées.

Je tirai sur mon bras et reculai en titubant, manquant de tomber sur le trottoir. Jeretrouvaimonéquilibrequandilmelâcha.Tandisquejemettaisunpeudedistanceentrenous,ilrestaimmobile,lesyeuxvidesdetouteémotion.

–Ilvavousdétruire…commeilm’adétruit.

Ilyavaitquelquechosededéfinitifetdedésespérédanssavoix.

Enunéclair,Clayfutentrenousdeux,masquantlasilhouettedeMaxdesonimmensestature.

–Monsieur,reculez.

–Onnefaisaitqueparler.

– Je ne vais plus avoir d’autre choix que de vous éloigner physiquement si vous necommencezpasàmarcherdansladirectionopposéedèsmaintenant.

–Ellenemereverrajamais,croyez-moi.

Claynecillapas,etMaxtournalestalons.Lesmainsdanslespoches,lesyeuxrivéssurle sol, ilmonta lesmarchesducommissariat etdisparutdans l’immeubleque jevenaisdequitter.

–Vousallezbien?demandaClayensetournantversmoi.

–Çava…çava.

Mais hormis les violents spasmes qui me secouaient, j’étais paralysée, incapabled’atteindrelavoiturequimeramèneraitchezmoi.

–MadameLandon?

Les yeux deClay s’emplirent d’inquiétude. Lesmiens furent envahis de larmes qui sedéversèrentsurmesjoues.Sansréfléchir,jel’étreignis.J’avaisl’impressiond’êtreuneenfantserrantunepeluchegéante.LesbrasénormesdeClaym’enveloppèrentavecunedouceurinattenduepourleurforce.J’enfouismonvisagedanssontee-shirtetsanglotai.Ilm’apaisa,etuninstantplustard,monsouffleredevintrégulier.

–Jesuisdésolée,dis-jeenessuyantmaladroitementmeslarmes.

–C’estnormal.Vousêtessouslecoupdel’émotion.

–Je…jenem’attendaispasàvivretoutçaàmonretour.

–Jecomprends.

J’expiraienhoquetant.Siquelqu’unpouvaitcomprendre,c’étaitprobablementClay.Ilétaitpayépourêtreauxaguets,pournousprotégerde tous ceuxquinousvoudraientdumal.Peut-êtrequ’ilpouvaitappréhenderunpeudecequejeressentais.

–Merci,Clay.Pourtout.

–Vousn’avezpasbesoindemeremercierpouravoirfaitmontravail.

–Jesais,maisj’enaienvie.

Ilposalapaumedesamainsurmonépaule.

–Jevousramèneàlamaison.

–JeveuxattendreBlake.

Oh!combienj’auraisvouluqu’ilslelibèrentmaintenant…Jedétestaislesavoirdanscebâtiment…etquej’avaisdûensortir.

–Ilvabientôtrentrer.Etjeresteraiaussilongtempsqu’undevousdeuxaurabesoindemoi.

Jem’entêtaisànepasvouloirpartir.Sonexpressionchangea.

–Vousavezbesoinderepos,Erica.

L’entendre prononcer mon prénom faillit libérer une autre vague de pleurs. Uneminutepassa,etmesépaulesretombèrent.

–D’accord,dis-jeenfin,etjelelaissaimerameneràlamaison.

Chapitrecinq

BLAKE

Lasalled’interrogatoireétait froide,crûmentéclairéepardes tubes fluorescents.Rienicin’étaitfaitpourqu’ons’ysentebien,maisjenepensaispasàmonconfortpersonnelpourl’instant,sicen’estpeut-êtrepouvoireffacerphysiquementcetteexpressionsuffisantesurlevisage d’Evans. Je ne l’avais pas aimé dès lemoment où je l’avais vu. J’avais su d’instinctqu’il neme causerait que des ennuis.Mon instinct se trompait rarement, et ça faisait desheuresmaintenantquecetypemeposaitdesproblèmes.

DeanGove–monavocatetsurtoutamidelonguedate–étaitassisàcôtédemoi,l’airà lafois lasettendu.Onn’avaitpasencoreeul’occasiondeseparler librement,maisriend’important ne s’était passé depuismon arrivée. À la demande d’Evans, j’avais détaillé ledéroulement de notre lune demiel et de nos déplacements. Je n’avais rien à cacher à ceniveau-là.Onavait parlé affaires, lesmiennes et cellesd’Erica.Unedescription sommaire.OnavaitdiscutédemesrelationsavecFitzgerald,soigneusementexpurgéesde l’inventairedescrimesdontjelesavaisl’auteur,etdontlemoindren’étaitpasl’homicide.Pourcequ’ensavaitEvans,Danielétaitsimplement lepèrebiologiquedemonépouse,mêmeside touteévidence il pensait qu’il y avait plus que ça. J’espérais qu’il allait rapidement diriger laconversation vers l’électionproprement dite, parce que les détails expliqueraient la raisonmêmedecettediscussion.

Aprèsunebrèveinterruption,Evansrevintavecdeuxgobeletsdecaféetuneenveloppekraft sous le bras. Il posa l’un des gobelets devant moi. Par pur ennui, je l’acceptai. Leliquidenoirétaitbrûlant,ilavaitdûresterdesheuressurlaplaquechauffante.Jelereposaiengrimaçant.

–Cen’estpasvotrepremièrehistoiredefraudeinformatique,n’est-cepasBlake?

–Nerépondezpas,intervintDean.

Sansblague. Je regardaiEvansdroitdans sespetits yeux. Il était déjà au courantdemonpassé,jen’avaispasvraimentdedouteàcesujet-là.

Je m’étais fait serrer pour piratage quand j’étais adolescent. À l’époque, quand lesFédérauxm’avaientarrêté, j’avais coopéré.Lesaccusationsavaientétéabandonnées, et ledossierscellépuisquej’étaismineur.Maislesrumeursavaientpersisté,enparticulierquandunanplustardj’avaisécrit leprogrammebancaireleplussophistiquédumarché,grâceàmonexpérienceconcrètedupiratagedecequiexistaitdéjààl’époque.

Cequ’EvanspouvaitsavoirdevaitrésulterdelavolontéduFBIdenerienlâcheretdetoujours obtenir son dû. Jem’en étais sorti indemne et libre, tandis que d’autres avaientperdubeaucoupplus.Néanmoins, j’étais censé ne rien savoir de tout ça, et ce n’était pasmoiquiallaisenparler.

–Allezvousfairevoir…lâchai-je.

Ilrit,secoualatête.Ilfittournerledossierposédevantluisurlatable.Macuriositéfutpiquée,mais l’enveloppenepouvaitpas contenirdepreuves contremoi. Il essayaitdememanipuler.

–Essayonsencore.VousavezécritlecodeoriginelduprogrammedeBanksoft,n’est-cepas?

–Oui,répondis-jeaprèsuninstant.

–Corrigez-moi si jeme trompe,mais vous aviez à cemoment-là ce que l’on pourraitappelerune«connaissanceprivilégiée»desprogrammesbancaires,n’est-cepas?

L’enfoiré était tenace, mais j’étais prêt à parier qu’une seule personne dans la salleavaitleQId’ungénie.

–Allezdroitaubut.

–Faitintéressant,ilyaunesimilaritéentrelecodedecertainsprogrammesbancairesetceluiquigèrelesmachinesàvoter.

–J’ensuisbienconscient.

N’importequelprogrammateurdignedecenomsavaitça.Evansappréciaitvisiblementsapetiteincursiondanslejargontechnique,maisçamelassaitetj’avaishâtequ’ilpasseauxchosessérieuses.

–J’ensuisbiencertain,grimaça-t-il.

Jem’imposaidenepasserrerlespoingssouslatable.

–Blake,ona inspecté leprogramme installé sur lesmachinesàvoter, etona trouvéquelquechosed’intéressant.Laroutinedecryptageutiliséeestcellequevousavezcrééeilyadixans…pourBanksoft.

Voilàquiexpliqueraitpourquoijemetrouvaislà.

–Montrez-moileresteducode,demandai-jeenmaîtrisantmavoix.

Iltapotadesdoigtssurl’enveloppe,laregarda.

–Noséquipesl’examinent.

Jeserrailesdents,conscientdelacrispationdemesmâchoires.Quelquechosedanscesdernièresminutesnem’était que trop familier.Des conjectures hasardées, des accusationslancées,untasd’hommesencostumefaisantdeleurmieuxpourm’acculer.L’appréhensionmenoua l’estomac.Mais je n’étais plusungosse et je n’allais pasme laisser intimider, enparticulierpasausujetd’unehistoirequinemeconcernaitpas.

Evans fitméthodiquement pivoter le dossier et patienta, comme s’il s’attendait que jecraque.

Je me penchai en avant, commençant à sérieusement avoir les boules de savoir s’ildétenaitdesinformationsquipourraientm’innocenter.

–Écoutez-moi.C’estdéjàunmiraclequevotreéquipeaitréussià identifier l’encodageetàlerelieràmonprogramme.Laissez-moivoirlereste,et jevousmontreraicequevousnetrouvezpas.

Evanssouritendécouvrantsesdents.

–Ceseraitbienpratique.

–Pourtouslesdeux,apparemment.

Jeravalaiungrognement.J’avaisenviedel’étrangler.

–Pourquoinepasmedireplutôtquiatrafiquélesmachines?

Jemerenfonçaidansmonsiègeetlaissaiéchapperunpetitrire.

–Vousavezeudel’aide?

–Jen’aipaslamoindreputaind’idéedecequevousracontez.

L’expressiond’Evanssefitmoinsironiqueetplussérieuse.

–C’estplutôtsimple.Sivousnel’avezpasfait,alorsqui?

J’en avais une petite idée. Quelqu’un qui bâclait son travail et qui voulait se venger.Quelqu’unquiseraitheureuxdemesavoirassislà,àmefairecuisinerparleFBI.Celadit,jenepouvaispasenêtrecertain.

Onnepouvaitpasm’attribuerlamanipulationdurésultatdesélections,maisjen’avaispastoujoursétéaussiinnocent.EtEvansn’étaitpasleseulàlesavoir.

J’avais été un adolescent difficile – désœuvré, débordant de rage rentrée, et tropintelligent pour mon bien. Quand j’avais rejoint le groupe de hackers M89, ses membresaffolaientdespetitssites,sansplusd’effetqueça.BrianCooperétaitlechefdelabande,etensembleonconcoctaunplanquej’avaislacapacitéderéaliser.UngroupedegrosbonnetsdeWallStreets’acharnaitsurleslanceursd’alertequivoulaientdénoncerleurpyramidede

Ponzi. Ce n’était qu’un entrefilet dans les nouvelles, une injustice parmi des centainesd’autres,maisensembleondécidad’yfairequelquechose…quelquechosedepuissant.

Lecodequejefinisparécriredevaitvider lescomptesenbanquedecesgrosbonnetsauprofitdenotregroupe,afindefinancerd’autresactionscontredesgensquiméritaientdeperdretoutcequ’ilsavaientvolé.Saufque,plusieurssemainesavantquenoussoyonsprêtsàpasseràl’offensive,leplanchangea.Brianvoulaitélargirlefiletetseservirducodepourécrémerdespetitessommessurquantitéd’autrescomptes,détenusceux-làpardesgensquin’avaientrienàsereprocher,sinond’avoirconfiéleurséconomiesàcesescrocs.

J’étais jeuneetobnubiléparun sensde la justice fourvoyé,mais cequeBrianvoulaitn’était pas la justice. Je refusai de poursuivre dans cette direction, et nos chemins seséparèrent.Mais lorsqueBrianutilisa le code, lesFédérauxnousarrêtèrent tous lesdeux.Effrayé,jeleurdislavéritéet,lorsqu’ilspassèrentàBrian,ilnerésistapaslongtemps.Ilsesuicida quelques jours après notre arrestation, un événement que je n’avais jamais cessédepuisdereconsidérer,medemandantsij’auraispul’éviter.

Trevor était le frère cadet de Brian.Marchant en quelque sorte sur les traces de sonaîné,ilétaitdevenuunepetitecrapule,guidéeplusparlegoûtdelavengeancequeparletalent.IlavaitvouésonexistenceàmaruineàcausedelamortdeBrian.Sesexactions,quiconsistaientgénéralementenunacharnementcontremesaffairesoucellesd’Erica,avaientprisplusd’ampleuravec le temps,maiscettehistoirepouvaitêtre tropgrosse,mêmepourlui.

–Montrez-moilecode,Evans,etjepourraiprobablementtrouverpourvous.

Ilrestauntempssansréactionpuisseleva,faisantcrissersachaisesurlesoldebéton.

–On vous tient avec ça, Blake.D’une façon ou d’une autre, vous allez tomber. Vousdevriez réfléchir à la façon dont vous voulez le jouer. Prévenez-moi quand vous voudrezparler.

–Sivousaviezquoiquecesoit,vousm’auriezdéjàpassélesmenottes.

–Vousêtesl’unedesrarespersonnesàavoiraccèsaucodeoriginal.

–Banksoftaplusdedixmilleemployés.Jesuissûrquequelques-unsd’entreeuxyontaccès.Pourquoinepascommencerparlà?

Ilsepenchaetposalesmainssurlatable.

– Parce qu’ils n’ont pas de mobile. Cette élection est trafiquée dans votre sphèred’influence et offre à votre beau-père le siège de gouverneur. Tout vous accuse, vous, unhackerreconnu.

– Ce n’est qu’une rumeur, précisai-je. Et vous oubliez un tout petit détail. Je n’étaismêmepasdanslepaysquandc’estarrivé.

– Des gens travaillent pour vous, formés par vous, payés par vous pour faire ce quevousvoulez.Jeneseraispassurprissiunhommeavecvotrefortunedécidaitdenepassechargerdecegenredechoseslui-même.

Là,ilavaittort.Sijel’avaisfait,jem’enseraisoccupépersonnellement.Maiscen’étaitpas le cas, et le fait qu’ils pouvaient soupçonner les gens qui travaillaient pourmoi ne fitqu’attisermonexaspérationcroissante.

–Sivousêtessiconvaincuque jesuisderrièretoutecettehistoire,prouvez-le.Ouvrezvotrepetiteenveloppeetvoyonsça.

Ramassantl’enveloppe,ilseredressa.

– Croyez-moi, j’ai bien l’intention de prouver au-delà de tout doute raisonnable quevousêtesderrièretoutça.

Àcôtédemoi,Deanseleva.

–Ilsembleraitquecenesoitpasencorelecas,alorsjecroisquenousenavonsterminé.

*

Lecheminduretourdepuislepostedepolicefutlong,maisenunsenspasassez.Pasassez pour apaiser les pensées qui tourbillonnaient dans mon esprit. Dean conduisait ensilence.Jen’avaispasenviedeparler,aprèsdesheuresd’interrogatoire.

Mapremièreimpressiondel’agentEvanss’étaitvérifiée.C’étaitunepetitemerdeimbuedesapersonne.Ilpensaitqu’unbadgebrillantetuncostumebonmarchéluidonnaientdel’autorité. Il agitait lepeuqu’ilpouvait savoiravecunecrânerie répugnante, son seulvraipouvoirdérivéd’unebureaucratieinefficaceetd’unepetiteinformationàlaquelleiln’auraitmêmepasdûavoiraccès.Ilm’avaitcondamnéavantmêmed’avoirfranchilaporte.

J’avaisencorelesouvenird’autreshommescommelui, lesnuéesquis’étaientabattuespournousintimider,moietlesautresmembresoriginelsduM89.Maintenant,ilsexigeaientque je leur fournisse un mensonge qui me condamnerait. J’avais eu besoin de toute mavolontépournepasluirentrerdedans.

Sans les paroles rassurantes de Dean et le fait que je lui faisais plus confiance qu’àquasimentn’importequid’autre, j’auraisditàEvansd’aller se faire foutre, je serais rentrérejoindreEricaetj’auraisattenduquelasituations’éclaircissed’elle-même.

–Ilsvontvouloirparleràtafamilledemainpourétablirunechronologie.

Deanavait interrompumondiscours intérieuralorsque jeregardaispar lafenêtre. IlsavaientimpliquéErica,etmaintenantlerestedemafamilleallaitêtreembarquédanscette

putaind’odyssée.

–Ilscoopéreront.

– Je l’avais deviné. Je m’inquiète plus de ce que les Fédéraux vont trouver dans lesordinateursdetesbureaux.

Jedévisageail’hommeassisàcôtédemoi.Plusâgéquemoi,ilgardaitportantquelquechose de juvénile. C’était presque désarmant, jusqu’à ce qu’on découvre à quel point ilpouvaitêtreretors.

–C’estl’heuredelaconfession?

Illaissaéchapperunpetitrire.

–Çapourraitêtrelebonmoment,pourquejepuissemeprépareràtoutcequ’ilsvontnouslancer.J’auraispréféréteparleravantqu’Evanslancel’offensive,maistut’enesbiensorti.Ilsn’ontvisiblementriencontretoi,cequiestprometteur.Maisilsembledéterminé.

–Ilsnevontrientrouver.Jesuistoujoursméticuleux.

Nousn’enavions jamaisdiscutéouvertement,maisDeancomprenait. Je l’avaismêmeaidé dans quelques affaires difficiles en accédant à des dossiers qu’il n’aurait jamaisdécouvertstoutseul–paslégalement,entoutcas.Jelepayaisbien,maisilavaitunedetteenversmoi.Quoiqu’ilsepassecettefois,ilnedormiraitpastantqueceneseraitpasrésolu.Jelesavais.

–Ilsnevontpasseulementchercherunlienaveclesmachinesàvoter,Blake.Ilsvontchercherdanstouteslesdirections.N’importequoi,tantqueçaleurpermetdetemettrelamaindessus.Tucomprends?

Je serrai le poing surma cuisse. Putain de FBI.Même si jem’étaismontré imaginatifdansmafaçondetrouverdesinformations,jen’auraisjamaiscruêtredenouveauconfrontéàeux.Pascommeça.

–Alorsjesupposequ’ilstrouverontcequ’ilspourrontbientrouver.

Deanralentitetallas’arrêterderrièrel’Escaladedéjàgaréedansl’allée.

–J’aibesoindesavoirs’ilsvonttrouverquoiquecesoitdontj’auraiàm’occuper.

– Je suisméticuleux,Dean, d’accord ? J’ai fait ça toutema vie, et je sais couvrirmestraces.Ilsnetrouverontquedesscories.Ceserafacileàbalayer.

–J’espèrequetuasraison,parceques’ilstrouventlemoindredébutdepreuve,ilsvontendéduirebienplusquetunepourraislecroire.

Jeserrailesmâchoires.Quelgenredemerdiertoutçapourraitdevenir…etpourquoi?Quelqu’unqui,soitvoulaitqueDanielgagne,soitqu’ilperdeàlafindel’histoire.

–Qu’enditFitzgerald?demandai-je.

– Je le saurai bientôt. J’imagine qu’il a passé une longue journée au poste, lui aussi.J’espère obtenir des informations de son camp demain, et pouvoir jauger sa position. Tupensesqu’ilvaessayerdet’impliquer?

–Illeferaitsiçapouvaitlesauver.

J’auraispréférédireque,pourlebiend’Erica,ilneleferaitpas,maiscethommen’avaitpasd’âme.Onnepouvaitpascomptersurlui.

–Onverraçademainmatin.Retrouvons-nousàmonbureauà lapremièreheure,onferaunpointcomplet.

Jesoupiraietdescendisdevoiture,impatientderespirerl’airfrais.Desheuresdansunecage, avec pour alimentation du mauvais café. J’étais tendu et je voulais laisser tout çaderrièremoi.Avantquejerefermelaporte,Deanm’appela.

–Blake?

Jemepenchaipourleregarder.

–Quoi?

–N’enperdspaslesommeil,d’accord?Tumeconnais.J’essaiejustedecouvrirtouteslespossibilités.Ons’ensortira.

Chapitresix

BLAKE

Àl’intérieur,lesilencen’étaitbriséqueparlegrondementrauquedesvagues.Unorageapprochait.Àl’étage,jetrouvaiEricaendormiedansnotrelit.J’allaidanslasalledebainsadjacenteetouvris ladouche,pourmepurifierde lapire journéedemerdedemonpassérécent.

Sous le jet, jem’efforçaid’appliquer ledernierconseildeDeanetdemedétendre,aumoinspourlasoirée.Impossible.Lesquestionsd’Evansetsaputaindecondescendancemehantaient. Tous les plans de secours possiblesme passèrent par l’esprit. Je revis un à untous lespiratagesquipouvaientêtre remontés jusqu’àmoi.Bien sûr, je tenaispouracquisque j’étais assez bon pour ne plus jamaisme faire prendre. Sauf que j’étais examiné à laloupeparlesautorités…denouveau.

LesFédérauxavaientenquêtésurBrianCooperetsurmoiilyavaitdeçadesannées,età la fin il s’étaitsuicidé.Notreamitiéavaitviréà l’aigre,et le jouroù ilétaitmort, toutavaitchangé.J’avaischangé.

LorsqueleFBIm’avaitrelâchéàl’époque,jen’avaispaséprouvédusoulagementmaisde la culpabilité, de la frustration, et plus tard une détermination renouvelée. Jem’étaisjuré non pas de ne plus jamais toucher un ordinateur, mais de ne plus jamais me faireprendre. Et jem’étais aussi juré que personne ne subirait plus lemême sort que Brian àcause de moi. Quand je fricotais, j’œuvrais seul, et dans le travail mes équipes ne sepermettaientpaslemoindreécart–jamaisd’exceptions.

Ma réputation avait déjà été entachée, alors je m’étais imposé des standards plusstricts. Certains pourraient considérer ce que je faisais commemalhonnête ; en fait je nem’interdisaispasdecontourner lessystèmesque lasociétémetenplacepourempêcher lavéritéd’émerger.Était-cemafautesi lesgensquiéchafaudaientcessystèmesn’étaientpasassezintelligentspourleuréviterd’êtrevulnérables.

Lorsquej’avaisrencontréMichaelPope,ilavaitpriscettephilosophieetluiavaitdonnéun sens. Il avait vuuneopportunité,dontquelqu’unavecmes talentsparticulierspouvaitprofiter. Je n’étais pas intéressé par son argent, et il le savait. Je n’avais aucune envie depasser ma vie à écrire des programmes pour des grandes sociétés, mais il m’avait faitcomprendrequelefaireunefoiscommeilfautmedonneraitlaliberté…legenredelibertédontj’avaisbesoin.Maintenant,venuedenullepart,unemenaceplanaitsurmaliberté.Etcettefois,j’avaisinfinimentplusàperdre.

Je m’essuyai et retournai dans la chambre. Aucune chance que je dorme, mais voirErica lovéedansnotre litme rappelaquemepencherne serait-cequequelques secondessurellepourraitm’apaiser.Jemeglissaidoucementderrièreelle,respirantsonparfum.Unmélangedeshampoingetdesonodeurnaturelle.Jenesavaispascequ’ilyavaitdedans,maisdèsquejelarespirais,mesmusclessedétendaient.Jelaserraicontremoipourobtenirunpeuplusdeceteffetmagique.Ellegémitdoucement,unsonquifitnaîtreunéchodansmonbas-ventre.

Ellesetournaversmoi,lesyeuxfatigués.

–Blake…dit-elled’unevoixensommeillée.

Elleétaitétenduesurledos, justevêtued’uneculottedesoieetd’undébardeurnoirsquej’avaisenviedeluiarracheraveclesdents.

–Tuesrentré.

Elleglissasamainsurmapoitrinenue.Jedéposaiundouxbaisersurseslèvres.

–Jesuisrentré.

–Toutvabien?Qu’est-cequis’estpassé?

Sesyeuxétaientgrandsouvertsmaintenant,plusréveillés.L’anxiétédanssavoixétaitperceptible,etautantjevoulaisapaisermescraintes,autantjevoulaiseffacerlessiennes.

–Toutvabien.Rendors-toi,mabelle.Onpourraenparlerdemain.

Jecaressaissesbrasnus,incapabledenepasenappréciertouteslescourbes.BonDieu,qu’elleétaitbelle.Plusquecela,elleétaitmonsalut.

–Tum’asmanqué,murmura-t-elle.

Elleme ramena vers ses lèvres, que je retrouvai de bon cœur. Je voulais la laisser sereposer, mais mon corps n’était pas d’accord. Elle ne me rendit pas non plus les chosesfaciles en glissant la pointe de sa langue veloutée sur ma lèvre inférieure avant de lamordiller. Je gémis et pris sa bouche en un long baiser puissant, canalisant toutes lesfrustrationsdelajournéedansnotreconnexion.

Merde. Je bandais contre elle comme jamais. Pas la peine d’essayer de lui dissimulermondésir.Ellerelevasajambecontremahanche,secambracontremoi,transformantmonenvieenunesoifinextinguible.

–Erica…Jenevaispaspouvoirm’arrêtersitucontinuescommeça.

–Jeneveuxpasquetut’arrêtes.

Je plaçai ma main entre ses cuisses et l’attrapai fermement, comme un trophée quicriait au monde qu’elle m’appartenait, et que le chaud paradis sous ma paume était

égalementàmoi.Ellegémit,sepressantcontremoiàcecontact.

Contournantlabarrièredesaculotte,jeplongeaidanssachaleurmoite.Jegrondaietl’embrassai dans le cou, respirant lemusc de sa peau.Unparadis odorant fait juste pourmoi. Je résistai à l’envie de parcourir immédiatement tout son corps de ma langue – unvoyagequej’avaisfaitbiensouvent,chaquefoismeilleurqueleprécédent.

Jeretiraimamain,suçantsaliqueurauboutdechaquedoigt.Jeladésiraisplusqu’ellenelesauraitjamais.Moncœurs’accéléraetmonesprits’affoladetoutcequejepouvaisluifaire.Sisonodeurm’ensorcelait,legoûtdesoncorps–ladouceursaléedesapeau,lemielentresescuisses–faisaitdemoiunvéritableanimal.

Jenepouvaispasluifairel’amourcesoir.J’avaisbesoindelaposséderàmafaçon.

Seslèvress’entrouvrirentcommeellem’agrippait,mecaressantetmeserrantplusfortcontreelle.Jem’accolaiàelle,augmentant lapressiondemesreinsentresescuisses.Ellepoussaungémissement.

Jegoûtaiseslèvres,lessuçant,lespicorant.

–Jenepeuxpasêtredoux.Pascesoir.

C’était un avertissement et une promesse. Son regard se tourna vers moi,acquiescementsilencieuxdanslapénombre.

–Alors,nelesoispas.(Ellesedétenditsousmoi.)Jet’attendais…

C’était tout ce qu’il me fallait. Je la réduisis au silence d’un autre baiser féroce.Dévorant, absorbant, urgent. Elle était si délicieuse… Les courbes de sa poitrine mefrappèrent comme une vague, enflammantma peau partout où nos corps se touchaient.Ellem’aimait,jelesavais.Maisjenemelassaisjamaisdesavoirque,quoiqu’elleaitentête,à de rares exceptions près, son corps voulait ce que je voulais. Je ne pouvais qu’espérerpouvoirencoremarchercesoirsurlefildurasoiretnousdonnercedontnousavionstouslesdeuxbesoin.

Ellelaissaéchapperunpetitsondeprotestationquandjemeredressai.

–Vienslà,luidis-je,deboutàcôtédulit.

Mesyeuxétaientgrandsouverts,tousmesmusclestendus.Monsexevibraitdecequej’allaisbientôtexiger.

Elle glissa hors des draps et vint se dresser sans unmot devantmoi, son corps à uncheveudumien.Assezprèspourquejepuissepercevoirsachaleuretsentirsonexcitation.Prenantsondébardeurpar l’ourletdubas, je leremontai lentement,prolongeant l’instantavantquejevoietoutd’elle.Jejetailevêtementauloinetcessaidelatoucher,unepetite

torture en soi. Elle fit mine d’avancer vers moi, mais je la saisis par les poignets et lamaintinssoigneusementàl’écart.

Quelquechoses’emparademoialors–unréconforttranquillequinediminuapasmaismaîtrisa le féroce désir qui flamboyait en moi. L’assurance de contrôler son plaisir, d’enépuiserchaqueseconde, libéra l’animalenmoiquivoulait segorgerdeschairsexposéesàmesyeux.

–Enlèvetaculotte.Ensuite,jeteveuxàgenoux,dis-jed’untonsec,intransigeant.

Aussitôt, jesentissachaleurmonter.Sonsoufflese fit rauque.Lesbattementsrapidesdesoncœurfaisaientpulser lespoignetsque je tenais.Sansunmot,ellesedégageaet fitglissersaculotte.Unefoisàgenoux,elleregardaversmoi,lesyeuxenfumésetfiévreux.Lapassionm’envahit, et la force du désir qui s’empara de monmembre mit mes projets enpéril.Jereculaipourallerprendrequelquesobjetsdansletiroir.Puisjem’accroupisdevantelleetluiattachailespoignetsavecdesmenottesdecuirqu’elleconnaissaitbien.

–Tuconnaistonmotclé.

–Oui,répondit-elle.

Chaquefoisquejementionnaislemotclé,j’avaisl’impressionqueçal’inquiétaitautantqueça larassurait.Labattanteenelledevaitvouloirne jamais l’utiliser. Ironiquement,denousdeux,j’étaisleseulàm’enêtrejamaisservi.

Jemeredressai,tisonnéparl’attente.Lavued’Ericaligotéedevantmoi,lesyeuxlevésvers mon visage, était quasiment intenable. Me penchant vers elle, je parcourus sa lèvreinférieure, la courbe de sa joue puis son menton, jusqu’à enfoncer mes doigts dans sescheveux.Ellehoquetasouslafermetédemonemprise,sesyeuxdevenanthumides.Jeprismonmembredansl’autremain,lecaressaidelaracineaugland.

–Jeveuxlegoûter…s’ilteplaît,dit-elleenseléchantleslèvres.

Elleserraitetdesserraitsesdoigtssursescuisses.Sescraintes,apparemment,s’étaientmuéesendésir,une transformationdont jemedélectaisàchaque fois.Lesanggonflamabite. Mes cuisses se tendirent d’une retenue réaffirmée. J’inspirai longuement, pourm’empêcherdeperdretoutcontrôleetdejouiràlasecondeoùellem’envelopperaitdeseslèvresmoelleuses.Jetitillaiseslèvresduboutdemonmembre.

–Lentement!ordonnai-je.

J’allaisfairedurertoutçajusqu’àqu’onsoittouslesdeuxfous,consumésparlebesoindebaiser.

Elle eutun soupir chargéde soulagement et de concupiscence, et se redressa sur sestalons.Redessinant avecdélicatesse la couronnedubout de la langue, elle gagnapetit à

petitduterrain,uncentimètreàlafois.J’auraisbienfermélesyeux,maisjenevoulaispasraterunesecondedesasoumission.Jememaudisintérieurementdurythmelentquej’avaisimposé.Moninstinctmedisaitdeprendrelecontrôledesonmouvement,deresserrermonemprisesursescheveux,etde lamouvoir surmoienallers-retours fermesquime feraientbasculer dans l’extase. Luttant contre cette impulsion, je détendis les doigts et la laissaimaîtriser le mouvement, ce qui me rendait complètement cinglé à mesure que jedisparaissaisdanssabouchechaudeetaccueillante.

Merde. S’il était possible demontrer de la tendresse de cette façon, c’était ce qu’ellefaisait,avecchaquecaresseexaltantedesalangue.Puisellem’entraînajusqu’aufonddesagorge,unepauseravageuseaumilieudesprudentsva-et-vientdemabitedanssabouche.La sensation fut électrique, vertigineuse, et déclencha un réajustement de mes envies –amenantlebesoindequelquechosedetoutsauftendre.Désormaisincapabledemeretenir,j’attrapai ses cheveux, lui inclinai la tête, lui fis ouvrir laboucheplus grandpourpouvoiraccélérer.Ellegémitetjeplongeaiplusavant,plusrapidement,jusqu’àlalimite.Tropprèspourcequejevoulaiscesoir.

Lajournéen’allaitpasêtreeffacéedecettefaçon.Unesimpleéjaculationmelaisseraitsurmafaim.Jevoulaislafracasseretlaissersonpetitcorpsfermemefracasseraussi.Peut-êtrequequelquepart,dansceballetfoutraque,onallaitpouvoirtrouverunpeudepaixetygagnerunsommeilsansrêvespourlanuit.J’avaisbesoindelamener,denousmenerauborddugouffre…elleetmoi…ensemble.

Jeme retirai de sa bouche. Ses lèvres luisaient, pleines et gonflées. Ses yeux étaientembrumés,et sespaupières lourdes.Soudain, je fusperdu.Perdudans laperfectionde lafemmequisetenaitfaceàmoi.Elleétaittoutpourmoi.Puisuneautrepensée,nouvelleetmalvenue,vintmehanter.

MonDieu…ets’ilstrouvaientunmoyendemel’enlever?

Non,putain,non.

–Debout!luiordonnai-jedoucement.

Elleseleva,etjel’entraînaiversunedescolonnesaupieddulit.

–Lèvelesbras…Plushaut.

Je l’aidai, et accrochai la petite bande de cuir qui reliait ses poignets à un obscurdispositif dissimulé au sommetde la colonne et camouflé en élémentdedécoration.Nousétions face à face, à un cheveu l’unde l’autre. Elle se dressa sur la pointe des pieds, soncorpsmagnifiquementétirédevantmoi.Jemoulaidemespaumeslesamplescourbesdesesseins.Jedescendislelongdesescôtes,surseshanches,sescuisses.L’admirant.Ladésirant.

–Ondiraitque toncorpsaété sculptédansmes rêves.Là…(Baissant la tête, jeprisson téton entremes lèvres et en parcourus la pointe rose durcie dema langue.) Ils sontdivins.

Avec un soupir, elle s’abandonna à ce baiser intime dans les limites de ce quepermettaient ses liens. J’engobaiuneplusgrandepart, le suçaiplus fort,massant l’autretéton jusqu’à que ses soupirs deviennent des gémissements. Le crochet qui la retenait enhautcliqueta.Mapetitebattante…macombattante.J’aimaislavoirrésister.Presqueautantquej’aimaislamater.Enroulantunbrasautourdesataille,jelaserraicontremoi,fort.Mesdentsenserrèrentuntétonpendantquejemalaxaisfermementl’autre.

Ellelaissaéchapperunpetitcri,relevalesreins.Legémissementdedouleurquisuivitfutunmélangeenivrant.Plaisiretdouleur.J’allaisluifaireconnaîtrelesdeuxcesoir.

–Jevaistepunirmaintenant,mabelle.

Elle écarquilla les yeux, sa respiration s’accélérant de nouveau. Son anxiété s’affichaparunrosissementdesesjoues.

–Pasparcequetulemérites…

Jem’interrompis,medemandantcommentexpliquerça–ce jeuentrenousetcequ’ilreprésentait réellement pour moi. Je tendis la main vers le lit, la contournant pour yreprendrelebandeauquej’avaisrécupéréunpeuplustôtetplaçaicederniersursesyeux.

–Jenepeuxpasexpliquerpourquoi…justequej’enaibesoin.

–Blake,çava…

Ellepinçasalèvretremblanteentresesdents.Moncœurs’accéléraàcettevue.Maplusbellevictoire, toujoursprêteàacceptercettenoirceuraufonddemoi,à l’illuminer jusqu’àqu’elle devienne autre chose, quelque chose qui n’appartenait qu’à nous. Du pouce, jelibéraisalèvre,couvrissabouchedelamienne,respiraisonsouffle.

–Commentpourrais-jejamaisvivresanstoi?chuchotai-jetoutcontreelle.

–Blake…chevrota-t-elle.

Jefermailesyeuxdetoutesmesforces,heureuxqu’ellenepuissepasvoirladouleurenmoi.Merde!jeperdaislecontrôle.Ensipeudetemps,elleavaitmisledominantenmoiaupas.Parsonadhésion,parsonamour.

Jem’écartai avant deme saisir d’elle. Je la retournai face à la colonne, la serrai fortcontremoi.Elleserehaussa,frottantsonculcontremabite.Leplusténudescontactsmerendaitfoudedésirpourelle.Jelaissaiéchapperungrognementetretournaiautiroir.Desdécisions devaient être prises, et je n’étais pas en état d’en prendre une bonne. Sur uneimpulsion, jeprisunmartinet.Ses lanièresétaient longueset assez lourdes, conçuespour

lui offrir la pression à laquelle elle était habituée, qui n’avait jamais été particulièrementlégère.Onn’avaitjamaisjouéaveccelui-là,maisjesavaisqu’ellepouvaitlesupporter.

Deboutderrièreelle, j’admirailecorpsfrémissantdevantmoi,ligotéetbrûlantd’envieduplaisirquej’allaisluidonner.

Jefistournerlemartinetunefois,etleslanièresfrappèrentsescuissesetsesfesses.Uneautrefoissurlesépaulesetlehautdudos.

Elle prit une violente inspiration et frissonna, les muscles de ses épaules se nouantavantdesedétendredenouveau.J’attendisenunequestionmuette.

De légères lignes roses se formèrent sur sa peau là où les lanières avaient frappé. Jerépétai le mouvement. En dessinant du bras le symbole de l’infini, je fis rythmiquementclaquerlemartinetdefaçonmesuréesursesépaules,sesfesses,sescuisses.

Ellevacillapuisfredonnadoucement.Jepouvaispresquevoirl’adrénalineparcourirsesveines, les endorphines prendre le relais, jusqu’à que ça devienne bien plus que de ladouleur.

Par quelque miracle, elle aimait la recevoir autant que j’aimais la donner. J’auraisvoulu me sentir coupable de l’avoir ainsi transformée, mais c’était elle qui avait supplié.Éxigé que je l’entraîne dans les recoins les plus noirs, les plus obscurs demon âme, et jen’avaispasétéassezfortpourrefuser.

Un geste dupoignet, et lemartinet entra de nouveau en contact avec sa peau.D’uncôtéetde l’autre, enhautetenbas, en faisantattentionàéviter lemilieudu tronc, je lapeignisdelaplusadorablenuancederose.

Ses petits cris et hoquets se muèrent en gémissements. Lentement, elle abandonnatoute résistance. Les poings relâchés, elle laissait sa tête reposer sur son bras.Mon désirdevintquasimentintolérable.Matêteenbourdonnait.Mabiteenvibrait.

Jelaissaiéchapperlapoignéedecuiretallaiàelle,glissantmonbrassoussapoitrine.Elle tremblait dans mes bras, la peau moite de sueur. Elle était parcourue de vaguesélectriques.Àlalimite.Elleétaitexactementoùjelevoulais.

–Tuestoujoursavecmoi,mabelle?

–Jepeuxenencaisserencore.

Savoixétaitrauqued’émotionetd’adrénaline.Jelafistaire.

–Non,mabelle.Tuenaseuassez.Tuétaistellementbelle…tellementvolontaire.Jenepeuxpastedire…

Les mots restèrent coincés dans ma gorge. Je posai mon front sur son épaule, lachaleurdesapeaumartyrisées’harmonisantaveccelledemoncorps.

–Laisse-moitemontrercequeçasignifiepourmoi.

–Embrasse-moi.Touche-moi,supplia-t-elle.

Jesurvolaisonépaule,suivantlestracesderoseavecmabouche.Ladescentedudos,lescourbesarrondiesdesesfesses, je fispleuvoir lesbaiserssursachair tendre.Unmillierde petits semblants d’excuse pour la satisfaction que j’avais éprouvée à la tester ainsi. Jeremontai jusqu’à soncou,pourpasser la languesur sa jugulairequivibraitdespulsationsdesoncœur.

–Jet’aime,Erica.Tuestout.Bonsang,tumemetsenpièces.

Ellemiaula,unepetiteélévationsurlapointedesespiedscréantdenouvellesfrictionsentrenos corps. Je glissai lamain vers sonmontdeVénus et entre ses cuisses. Elle laissaéchapperunpetitcri,tremblante.Elleétaitvidée,etàlalimite.

Je m’écartai et la retournai lentement vers moi. Sa peau avait rougi, autant del’excitationquedelapunition.Jerésistaiàl’enviedel’embrasserpartout,desentirchaquepouce de son énergie sous mes lèvres. Nous étions exactement là où nous avions besoind’être.

–Jenepeuxpastevoir,minauda-t-elleenagitantfaiblementsesliens.

Jeserrailesdents,mesentantdéjàplusvulnérablequejenel’auraisvoulu.

– Pas ce soir. Je veux que ton corps me ressente, et il va me ressentir tout entier.Maintenant,enrouletesjambesautourdemoi.

Jelaprisparlegenou,l’aidai.Cemouvementvifl’ouvritàmoi,révélantlamoiteurdesonexcitationquimouillaitl’intérieurdesescuisses.

–Bonsang…

Cettevisionmedépouillademesdernierslambeauxdecontrôle.Siellen’avaitpasétéà ce point chauffée à blanc, j’aurais craint d’atteindre avant elle l’orgasme que nouspoursuivionsmaintenant.Jeprissonautrejambeetlapassaiautourdemoi.Enallégeantlatensiondanssesbrastoujourssuspendus,jememisenposition,monglandinséréenelle.

Jegrondai,abandonnantmadernièreoncederetenue.Puisjem’enfonçaienelle,nousunissantsoudainementetprofondément.Soncorpsn’offritaucunerésistance,commes’ilenavaittoujoursdûêtreainsi.

–Blake!

Le cri qui s’échappa de ses lèvresme détruisit. Un feu parcourutmon épine dorsaletandisquesesparois internesseresserraientsurmoi.Lebesoin impérieuxdebaiserprit lerelais, et l’instinct me projeta dans un furieux enchaînement de coups de reins. Seshurlements s’élevaient sans retenue, sans entrave, entre ses halètements. J’étais déchaîné.Rien ne pouvait plusm’arrêter. Les claquements des peaux et les craquements du lit quisupportait la pression résonnaient dans l’air tandis que je la pilonnais. Elle filait versl’orgasme,sachattevibrantfermementautourdemabite.Sesrâlessefirentplusgravesetpluspuissants.

–Attends-moi,Erica.

–Jenepeuxpas!clama-t-elleentirantsursesentraves.

–Tupeux.Attends.J’aibesoind’yarriveravectoi.

Jelabaisaiplusfort,meperdantenelle,lacourseauplaisircommeuniqueobjectif.Latension de son corps, serré contre le mien partout et de toutes les façons possibles, meconsumait.Elleenvahittoutesmespensées,devintleseulpointperceptibledansunocéandechoses sans importance.Etaprès tous les frissonsde l’attente,de l’exacerbationde sonplaisir,jenepouvaisplusm’arrêter.

–Merde…Maintenant,Erica,jouispourmoi.

Unéclaird’énergietraversamacolonnevertébrale,m’élançantdouloureusementdanslescouilles.

–Maintenant!

Ellehurla,chaquemuscledesoncorpsleliantaumien,letempsdequelquesinstantshaletants.J’explosaienelle,trépidantàtraverslesvaguesdeplaisirquisefracassaientsurmoi.Vidé…complètement.Jelaserraicontremoi,épuiséetchancelant.J’eneuslesdoigtsendoloris lorsque je relâchaimon emprise sur ses cuisses et l’allongeai sur le sol. Elle enporteraitlamarqueaumatin.

Jelibéraisesmains,lesmiennestremblaient.Immédiatement,ellearrachasonbandeauet enroula ses bras autour de mon cou. Son petit corps, moite de nos chaleurs, s’écrasacontrelemien.

J’avaislesgenouxencoton,etjelaportaijusqu’aulitavantm’yétendreavecelle.Ellegardait lesbrasserrés,commesiellen’allaitplus jamaisme lâcher.Plusnousprolongionsnotreétreinte,plus jemesentaissûrqueriennepourraitnousséparer.Unepureémotionenvahitmoncœur.J’inspirai,lesoufflecourt,etlagardaicontremoi.

Ellechuchotamonnom,écartantjusteassezlatêtepourmeregarderdanslesyeux.Jecillai, m’efforçant de la distinguer dans le brouillard de mon regard. En caressant mon

mentondelapaumedesamain,ellem’embrassa.

–Tuvasbien?murmura-t-elle.

Est-cequej’allaisbien?

–Jesuislàavectoi.C’esttoutcedontj’aibesoin,répondis-je.

Ellepritrapidementletempsderespirer,sedétenditcontremoi.

–Onvasesortirdetoutça.Jetelepromets.

Jefermailesyeux.J’avaistellementenviedelacroire.

–Jesais,mentis-je.

Chapitresept

ERICA

Je chassai le sommeil de quelques battements de paupières, m’assurant que la nuitdernièren’avaitpasétéun rêve.Quecettemaudite journéen’avaitpasétéuncauchemareffarant, déchirant, dramatique. Je me hissai sur mes coudes et regardai les vêtementséparpilléssurlesol.Lemartinetdecuirnoirlancésureuxétaitlapreuvequejen’avaispastoutinventé.

Je m’assis et jetai mes jambes par-dessus le bord du lit, grimaçant sous la douleurmusculaire.Laplupartdenosmeilleuresnuitsavaientunprix, lesinconfortsphysiquesdulendemain.Quoiqu’ilensoit,lanuitdernière,j’avaiseubesoindel’intensitédeBlaked’unefaçonquejenepouvaispasvraimentm’expliquer.

Même dans ce demi-sommeil, rien n’aurait pu s’interposer entre nous quand il étaitrentré. Je m’étais endormie tôt, hantée par l’idée cauchemaresque qu’il ne reviendraitjamais.Qu’enquitant lepostedepolice, je levoyaispour ladernière fois.Levoir revenir,sain et sauf, m’avait donné envie de le posséder aussi passionnément que lui voulait meposséder.

Je fermai les yeux et me remémorai la morsure du cuir. Une nouvelle sensation quipiquait ma peau. Le choc, puis la chaleur. L’énergie électrique qui me faisait me sentirvivanted’uneautre façon.Desmyriadesdepetitspointsde contact, chacunhurlantde ladouleurquejeressentais…ladouleurentrenousquinepouvaitallernullepartailleurs.

Jeme levai etme toisai dans lemiroir.Me tournant pour examinermon dos, je fussurprisededécouvrirquelespunitionsdelanuitn’avaientpaslaissélamoindretrace.Nonque les marques me gênent. J’avais plutôt tendance à les apprécier, à les chérir commeautantdepetitssouvenirsdecertainesdenosconvergenceslesplusmémorables.

Je passai le doigt sur les ecchymoses qui décoraientmes cuisses, là où Blakem’avaitserréetropfort.Mapeaurositdesjouesàlapoitrine.Jen’avaisriensentidansl’intensitédel’instant,maislespreuvesdelaforcedesapassionmeréchauffaientlecœur.

Je n’avais jamais compris comment, mais d’une certaine façon, Blake avait pris lecontrôle total de mon esprit, chamboulé toutes mes idées préconçues sur le sexe et ladouleur,etmenéeversdessommetsquepersonned’autrenem’avaitjamaisfaitapprocher.Nousyavionstrouvélapaix.Nousavionsfaituneîledenousdeux.Noscorps,noscœursetla façon féroce dont nous nous unissions prenaient sens quand le reste du monde nousdécevait.

Siseulementnouspouvionsvivresurcetteîleetnejamaislaquitter…

La réalité reprit sesdroitsquand lebruit ténude la télévisionau rez-de-chausséemerappelaqueBlakeétaitàlamaison.Ilnem’avaitpasencoreracontécomments’étaitpassél’interrogatoired’Evans.

Douchée et vêtue d’une tenue décontractée pour le bureau, je descendis l’escalier.Blakeétaitassissurl’undescanapésdetoile,lesyeuxrivéssurlejournaltélévisédumatin.Le visage de Daniel apparut sur l’écran. Des images récentes le montraient s’efforçantd’échapper aux journalistes à la sortie du poste de police où nous nous étions rendus laveille, Blake etmoi. L’expression flegmatique deDanielme rappela son côté plus sombrequejeconnaissaisbien, lecôtéquiserévélaitseulementquelorsqu’ilétaitblesséetbrûlaitdesevengeràtoutprix.Blakeallait-ilenêtrelacible?

J’attrapailatélécommandeetbaissaileson.Blakenecillapas.Jem’assisàcôtédeluiettiraigentimentsurlecoldesachemise,espérantlesortirdesatranse.

–Blake.

Sapoitrinesedétenditenunlongsoupir,etiljetauncoupd’œilversmoi.Sonregardétaitdistant,commes’ilétaitperdudanssespensées.

–Tuvasbien?demanda-t-il.

–Évidemment,répondis-jeenfronçantlessourcils.

–Claym’aditqueMaxt’avaitabordée.

Jesoufflaiuninstantetmepelotonnaicontrelui.

–Allim’a annoncé ànotre retour qu’il avait été condamné. Il se rendait aupostedepolicepoursonincarcération.

–Qu’est-cequ’ilt’adit?

Latensionétaitperceptibledanssavoix.

–Rien,mentis-je.

–Erica…

–Riend’important.

Max était loin,maintenant. Un chapitre clos. Aumoins jusqu’à ce qu’ils le relâchent.Mais jen’allais pas commencer àpenser à ça. Il avait promis àClayqu’onne se reverraitjamais.Jenepouvaisqu’espérerqu’ildisaitvrai.

Blake resta silencieux, et pourtant, d’une certaine façon, je pouvais l’entendre medemanderdeluidonnercequ’ilvoulait.Jesentaissesmusclesnoués.

Jesoupirai.

–Ilm’adit:«Ilvavousdétruire.»

–Quiça,moi?

Jedessinaidescerclessursonjean,làoùsesmusclessaillaient.

–Ensupposantquec’étaitcequ’ilvoulaitdire,oui.

Jerelevailatêtepourjaugersaréactionetessayerdeliredanssespensées.Ilfermalesyeuxetregardaailleurs,secoupantdemoi.

–Parle-moi,Blake,suppliai-je.

–Dequoiveux-tuparler?

Latensiondanssavoixm’alerta.

–Sioncommençaitparhier?Ques’est-ilpassé?

–LeFBIetlapolicesesontrelayéspourm’interrogerpendantneufheures.Voilàcequis’estpassé.

J’hésitai sur ce que je voulais lui demander d’autre. Il semblait déjà sur les nerfs, etnousn’étionsensemblequedepuiscinqminutes.Maisj’avaisbesoind’éclaircissements.Plusquetout,j’avaisbesoinqu’ilmeparle,pourquenouspuissionsalleraufonddeschoses.

–Queleuras-tudit?

–Jeleuraiditcequejepensaisqu’ilsavaientbesoindesavoir.

Jen’aimaispas l’ambiguïtédu tondesavoix.Onavaitété incroyablementproches lanuitdernière,etlàj’avaisl’impressionqu’onétaitdenouveauàdesannées-lumièrel’undel’autre. Et s’il me cachait quelque chose ? Je jouais avec le diamant à mon doigt, enconsidéranttoutesleschosesqu’ilpouvaitnepasmedire.

–Ilyaquelquechosequetuneleuraspasditetquetuveuxmedireàmoi?

Nosregardssecroisèrentalors.Jefouillaidanssesyeuxmaisn’ytrouvairien.

–Dequoituparles,Erica?

–Jeveuxdire…Qu’est-cequ’ils’estpasséavecl’élection?

Ils’esclaffabrièvement,maisiln’yavaitriendedrôledanssonrire.

–Tumedemandessijel’aifait?

J’abandonnai la chaleurde son flanc etme levai. Je tournai en ronddans la pièce –j’avaisbesoind’unpeud’espace.Jereconsidéraimaquestion,peuenclineàreconnaîtrequeçam’avaittournicotédanslatêtedepuislemomentoùilavaitdisparuavecEvanshier.

–Jesupposequec’estça,oui.

Ilsepenchaenavant,posantsescoudessursesgenoux.

– Tu crois que j’ai pris du temps sur notre mois de voyage de noces pour truquerl’électiondeDaniel,détruiresacarrièreetrisquerlamienne?Non.Laréponseestnon.Jen’aipasfaitça.

Mesépaulesretombèrent,lapressions’allégeant.

–Jesuisdésolée,Blake,je…

–Moiaussi,Erica.Jepensaisqueçairaitsansledire,maispeut-êtrequejenet’aipasdonnésuffisammentderaisonsdem’accorderlebénéficedudoute.

–Tuenestoutdemêmecapable.

–C’estcequetoutlemondemedit,grimaça-t-il.

–J’avaisjustepensé…

–Jeneteferaijamaisdemal,Erica.C’estvraiquej’éprouveuneputaindehainepourDaniel.(Samâchoiresecrispa,commes’ilravalaitunmillierdechosesqu’ilvoulaitdire.)Jenenieraipasque je leméprise, et je serais lepremierà reconnaîtreque laperspectivedel’écraser me ravirait. Mais je ne le hais pas assez pour risquer qu’il nous arrive encorequelquechoseàtouslesdeux.

Quelquesminutess’écoulèrent.Ils’enfonçadanslecanapé,lesbrascroisés,sonregardseposantpartoutsaufsurmoi.

–Qu’aditlapolice?Ilsn’ontpasputrouverquoiquecesoitquiterelieàça,n’est-cepas?

–Ilsconsidèrentnotreliencommeunmobile.

SelonCarmody,çapouvaitfonctionnerdanslesdeuxsens,queBlakeaiteul’intentionde favoriser Daniel ou de le compromettre. Mais la façon dont Gove avait écourté cettepartiedel’interrogatoiremefaisaitpenserquecelanesuffisaitpaspourinquiéterBlake.

–Çanesuffitpas.

Ilrestauninstantsilencieux,maissonsilencemeditqu’ilyavaitautrechose.

–Qu’ont-ilsd’autre?

–Onatrafiquélesmachinesàvoterenseservantdemoncode.

Monsangseglaça.J’interrompismamarchevaine.

–Quelcode?

–Uncodeque j’aiécrit ilyadesannées,quandjedéveloppais l’applicationbancaire.Les routines de cryptage sont uniques, et les Fédéraux ont passé les deux dernièressemainesàlesétudier,àlesrelieràmoi.

–Tun’espasleseulàavoirpulefaire?

– Il s’agit de banque, Erica. Avec des milliards de dollars en jeu, seules quelquespersonnesontaccèsaucodesource.

Lesrouagesdemoncerveautournèrentàpleinrégime,etpetitàpetitjerassemblaileséléments.

–D’accord.Alors,quienfaitpartie?

–Moi, évidemment.Michael Pope, et quelques très rares personnes dans la société àlaquelleonl’avendu.

–Pourquoilapolicenelesinterrogepas?

–Jesupposequ’ilslefont,soupira-t-il.Maistoutecettehistoireesttellementprochedemoiqu’ilsnevontpaschercherbeaucoupplusloin.Jesuisleurmeilleurcandidat.D’autantqu’Evans semble s’être donné pour mission de me punir pour ce que j’ai fait il y a unedécennieavecdenouvellescharges.

J’avais eu la même impression dans le court laps de temps où j’avais vu Evans.Carmodyn’inspiraitpasconfiancenonplus,maisencomparaisoniln’agissaitpascommes’ildétenait la vérité absolue. Il la cherchait encore, et il restait à voir ce que l’un ou l’autrepourraienttrouverpourpouvoiraccuserBlake.

Mon esprit se concentra sur cette nouvelle information. Banksoft était une entreprisequipesaitdesmilliardsdedollars.Qu’ilyaitchezeuxunefuite,delapartdequelqu’unquiaurait justement un intérêt dans l’élection du gouverneur du Massachusetts, paraissaithautementimprobable.SiBlakedisaitlavérité,etjepensaisquec’étaitlecas,alorslafailledevaitêtrecherchéeducôtédeMichael.Michaelneferait jamaisdemalàBlake.MaissonfilsMax,si.

–TucroisqueMaxauraitpulaisserTrevoryaccéder?

Blakehochalentementlatête.

–Jepensequec’estlecas.

–Ettul’asditàlapolice?

–Non,lâcha-t-il,aussibrièvementquesèchement.

–Pourquoi?

–Parcequejelesemmerde.

J’enrestaibouchebée.

–Tulesemmerdes?Blake,ilsessaientdet’envoyerenprison.Ettuneveuxmêmepasleurindiquerlabonnedirection?

– Ils n’ont rien contremoi, Erica. J’étais à l’étranger. Ils vont perdre des semaines àessayer de trouver le moindre début de preuve me liant à l’élection, et ils ne vont rientrouver,vuque,putaindeDieu!cen’esttoutbonnementpasmoiquil’aifait.

J’enhaletais.Toutescesnouvellesinformationsavaientfaitmontermonadrénaline.

–Etc’esttout?Tuvasattendrequ’ilst’innocentent?

–Queveux-tuquejefasse!s’exclama-t-ilenlevantlesbrasauciel.

Jemerapprochai,lespoingsserréslelongdemoncorps.

–Jeveuxquetutravaillesaveceuxpouralleraufonddeschoses.Onsaittouslesdeuxquecen’estpasarrivéparhasard.Trevornousaviséstouslesdeux.Ilessaied’infiltrertessociétésdepuisdesannées,mais làc’estdifférent.C’estde ta libertéqu’ilestquestion,pasd’unsiteWebsurlequelonbosse.

– Ilsne travaillerontpasavecmoi. Jen’aipasaccèsau code.Si je l’avais, jepourraisdécouvrircequ’ilsnetrouventpas.

–Alors,trouvons-le.Tusaiscommentteprocurerdesinformations.

–Ilsm’observentaumicroscope.Ilspassenttousmesordinateursaupeignefin.Tucroisqu’ilsnevontpassurveillerlemoindredemesgestescommedesoiseauxdeproie?

Ildétournalesyeux,sonregardsefixantquelquepartsurl’horizon.Jenesavaispasoùil était,mais j’avais besoin qu’il revienne avecmoi.Ondevait aller au fonddes choses, etvite.

–Pourquoiai-je l’impressionqueturefuseraisdetebattremêmesitulepouvais?(Jem’assisàcôtédeluietpritsamain.)C’estàcausedecequiestarrivéàBrian,n’est-cepas?

Lesilenceemplitlapièce,commeilnecédaitpas.Finalement,ilsetourna,lesyeuxlasetvidesdelaférocedéterminationquej’avaisapprisàaimerchezlui.

–Çan’arienàvoiravecBrian.

–Jecroisquesi.JecroisqueçaatoutàvoiravecBrian.Quoiqu’ilsesoitpasséentrevousdeuxàl’époque,tucontinuesdetesentircoupable.Tun’aschangéenrien,etTrevornonplus.Etmaintenantl’histoireserépète,etc’estexactementcequeveutTrevor.Ilveuttevoirsouffrirpourcequiestarrivéàsonfrère.Etpendantquetutefaisinterrogeretquenos vies sont piétinées, il est là-bas, quelque part, à préparer son prochain coup. Il nes’arrêterapastantqu’ilnet’aurapasmisàterre.

–Assez!

Letondesavoixmefitsursauter.

Ilselevad’unbond.Enjurant,ilattrapasavesteetsedirigeaverslaporte.

Jemeprécipitaiderrièrelui,refusantdelevoirpartiraussivite.

–Oùvas-tu?

– Je dois voir l’avocat et définir une stratégie. On doit se préparer à tout ce qu’ilspourraienttenter.

–Ilestaucourant,pourTrevor?

Ilseretournapourmefaireface.

–Laissetomber,Erica,jem’enoccupe.Çavaretombertoutseul.Fais-moiconfiance.

–Commentça,tut’enoccupes?

–Juste…Fais-moijusteconfiance,d’accord?

–Non.

Sesyeuxs’écarquillèrent.

–Pastantquetunem’auraspasditcommenttucomptesretrouverTrevor.

Sabouchesecrispa,etilenfilasaveste.

–Contente-toidelaissertomber,Erica.

Lacolèrem’envahitetretintleslarmesquimenaçaientdecouler.

–Jenevaispasrestersansrienfaireetteregarderdétruiretavie.

–Jenedétruispasmavie,maugréa-t-il.

–Non,tudétruisnosvies.Souviens-toi,chaquedécisionqu’onprendaffectel’autre.Oubiençanes’appliquequ’àmoiquandjenefaispascequetuveux?

Ilcillaetposalamainsurlapoignéedelaporte.

–Cetteconversationestterminée.

Avantquej’aieputrouverunmoyendelefairerester,ilavaitfranchilaporte.

L’émotionmebrûla lagorge.Jen’allaispas le laisser faire,cette fois.ChaquefoisqueTrevornousavaitmenacés,Blakeavaittendul’autrejoue.Pascettefois.Plusjamais.

La Tesla de Blake descendit la rue, et je me retirai dans la maison vide. Je m’assisderrière l’îlot de la cuisine, pour réfléchir à la situation. J’étais incapable de changer de

braquet et de penser au boulot maintenant. J’étais trop en colère. Trop effrayée que,contrairementàcequeBlakeavaitdit,lasituationneretombepassimplementd’elle-même.

–Malédiction!

Je tapai de la main sur le comptoir, refermai mes doigts sous l’effet de la douleur.J’avais la gorge serrée et les larmes menaçaient, mais quelque chose en moi refusait delaissertomber.Jenevoulaispas–jenepouvaispas.Aulieudequoi,lanauséerevint.Saufquecettefoisellenepassapas.Jecourusàlasalledebainsetvidaimonestomacdanslacuvettedestoilettes.

J’euscommeunepousséedefièvre,puismapeaumoiteserafraîchit.Jemeredressai,toute tremblante, et m’essuyai la bouche. La personne que je vis dans le miroir ne meparaissaitvraimentpasenforme,maisaprèsquelquesminutes,jereprisdescouleurs.

Mesvêtementsmeserraientunpeu.J’avaisprisdupoidspendantlevoyage.Cepoidsavait remplacéceluique j’avaisperduaprès la fusillade.Jeparcourusdudoigt laceinturedemonjeanetlapeaudouceau-dessus.

Unelueurd’espoirnaquitenmoi.Unespoirirrationneletinopportun.

Cen’étaitpaspossible…

Je me brossai les dents. Je m’efforçai de repousser l’idée, mais une centaine depossibilitésm’envahirentl’esprit.Notreamour,cetteviequenousconstruisions,lalibertédeBlake,etpeut-êtreplusencoreétaientenjeu.S’ilnelesprotégeaitpas,quileferait?

Soudain,lechaosdemespenséess’apaisa,etjesuscequejedevaisfaire.Jemontaiàl’étageetprismonsacdevoyagedansleplacard,sansm’inquiéterdesdrapsdéfaitsetdestracesdenotrenuitdepassion.Puisjefismavalise.

Chapitrehuit

BLAKE

J’avais passé la journée au bureau de Dean. L’équipe de Fitzgerald prétendait toutignorerdecettehistoire,etc’étaitplausible.Onrepassalachronologieduvoyagedenocesplusendétail.SelonlesélémentsfournisparleFBI,ilauraitfalluquejetrafiquel’électionpendant le volCapeTown–Malé ;mais ç’aurait été impossible, vu que le code avait étéchargé par USB sur les machines à voter pendant que je me trouvais à des milliers dekilomètresdelà.

De toute façon, Erica avait été le centre demon univers pendant des semaines. Rienn’étaitvenumedistrairedansmonintentiondefairedenotrevoyagedenocesunmomentmémorablepournousdeux.

Monesprits’évadaverscettepériodesansnuages.Toutavaitchangéenquelquesjours.Leprésentn’étaitvraimentpasparadisiaque.Lalunedemielétaitfinie,etnosviesavaientreprisleurcours.Jerefusaidecroirequec’étaitlàledébutdenotreavenircommun.

Peut-êtrequ’ilsallaientseconcentrersurFitzgerald;maiss’il tombait, ilnetomberaitpas tout seul. Il m’impliquerait, juste par rancœur. Il allait rester convaincu que j’étaisderrièretoutçatantqu’iln’auraitpaslapreuveducontraire.

EtpuisilyavaitTrevor.

Si j’avais voulu lâcher les chiens sur lui –oùqu’il soit –, j’enauraisparlé àDeandesannées auparavant.Mais jene l’avaispas fait. Et cen’était pas lemomentdebraquer lesprojecteurssurlui.Deanavaitpassédesheuresaujourd’huiàbalayerdesesargumentstoutcequipouvaitm’êtrereproché.Unexcellentexercicepourlui,maisjepouvaisvoirsesnon-dits,laquestionquiluibrûlaitleslèvres.Sijenel’avaispasfait,alorsqui?

J’entendaisencorelavoixd’Ericamedisantdefairecequ’ilfallait,deluienparler,dele mettre sur la voie. Mais quelque chose au fond de moi hésitait, et je restai fidèle aucheminquej’avaistoujourssuivi.Inutiledecompliquerleschoses,detoutefaçon.PointerledoigtdansuneautredirectionneferaitprobablementqueconvaincreencoreplusEvansdemaculpabilité.Ilnedonnaitpasl’impressiond’êtrelegenred’hommesusceptibledepartiràlapoursuited’ungarscommeTrevorpoursauveruntypecommemoi.Unepertedetemps.

Dean envisagea plusieurs scénarios possibles, et on s’accorda à dire que la seuleutilisation demon code ne constituait pas une preuve suffisante. Trop de gens y avaientaccès. On devait attendre pour voir s’ils pouvaient trouver autre chose. Là était la vraie

question.Que pouvaient-ils trouver ? Et combiende tempsdevrait-on attendre avant quetoutçasoitterminé?

La journée s’achevait, et je survolai mes mails sur mon téléphone, espérant trouverquelquechosepourdétournermonattentiondetoutcesouk.

–Tudevraisrentrer.

Deanquittasonbureauetlançamonmanteausurmesgenoux.

–Tumemetsdehors?

–Lajournéeaétélongue.RentrevoirErica.Jesuissûrqu’elleestencoresouslechocdetoutça.

–Tuasprobablementraison,maugréai-je.

–Ellenevoulaitpasquitterlepostetantqu’ilsn’enavaientpasfiniavectoi,hier.J’aiessayédelarassurer,maisj’aibienvuqu’ellenemecroyaitpas.

–Çanemesurprendpas.

Je jouai des mâchoires, déchiré entre mon empathie et la personne en moi qui necéderait jamais sur ce genre de choses. Je pouvais retourner voir Erica, et on reprendraitnotre conversation là où on l’avait laissée ce matin, un épisode dont je n’étais passpécialementfier.J’étaispartiavantlafindelaconversation.Ellem’avaitacculé,tenutête.Pas que çame surprît. Elle n’en avait toujours fait qu’à sa tête. J’avais vu ce feu en ellequandelleétaitentréedansmasalledeconférencesdesmoisauparavant.Jen’avaisjamaisvouluéteindrecefeu.Jevoulaisqu’ellebrûlepourmoi,qu’ellesebattepournous,etc’étaitexactementcequ’ellefaisait.

Deanselaissaretomberdanssonfauteuiletinclinalatête.

– Je dois dire que j’étais impatient de connaître la femme qui avait suffisammentd’importance à tes yeux pour que tu te passes de contrat de mariage, malgré tous mesconseilsavisés.J’auraisjusteaiméquecesoitdansd’autrescirconstances.

–Moiaussi.

La remarque deDeanme rappela que j’avais promis de tout partager avec Erica. Jel’avais exigé, malgré ses appréhensions. Pas simplement ma fortune, mais les joies et lessoucis aussi. La voix de la raison me chuchota que malgré tout ce qu’on avait fait pourcombattrenosdémonsenprivé,çanesepassaitjamaiscommeça,enfindecompte.J’avaisbeauêtredéterminéàallerseulaucombatcontreEvans,Ericaetmoiétionstropliéspourquecesoitpossible.

Notre dernière dispute toujours en tête, je quittai le bureau de Dean et descendis larue.Lesoleilétaitdéjàtrèsbas.Lesjoursétaientpluscourts,lesnuitsplusfroides.Saufquemesnuitsn’étaient jamais froidesquandEricaétaitavecmoi.Bon sang, jenepouvaispasmelasortirdelatête.Nousétionsdesdeuxcôtésd’uneligne,etellenecessaitdem’inciterà la rejoindre. Je voulais céder,mais quelque choseme retenait. Je continuai demarcherdans les rues du centre de Boston jusqu’à me trouver devant mon bureau. Les fenêtresétaientnoires.

Jepoussai lesportesetallai jusqu’àlasallecommune.J’allumaileslumières,révélantle désastre. Le désordre régnait partout enmaître. Des câbles arrachés jonchaient le sol.Cadym’avaitdéjà téléphonépourmeprévenirque lesautoritésavaient confisqué tous lesordinateursdenosbureaux.Maisd’unecertainefaçon,levoirdemespropresyeuxfitnaîtreenmoiuneragenouvelle.EnversEvans.Envers tousceuxque j’avaisapprisàhaïrdepuismon adolescence. Ça ne m’avait pas semblé juste à l’époque et ça ne me semblaitcertainementpasjustemaintenant,quandjen’avaisrienfaitpourlemériter.

–Çava?

Jefisvolte-face.Jamessetenaitdansl’embrasuredelaporte.

–Àtonavis?

Ilsecoualatêteets’excusa.

–Désolé.Jevaistelaisserseul.

Jedesserrailespoings.

–Non,çava.J’aijusteeuunedurejournée.Excuse-moi.

Ilacquiesçaets’approcha,observantlesdégâts.

– Alli m’a raconté ce qui s’était passé. Quel merdier ! (Il hésita, son regard seconcentrantsurmoi.)Tuasl’aird’unhommequiabesoind’unverre.

C’étaitvrai,mêmesiçan’allaitpasm’aiderquantauxdécisionsàprendre.

–Merci,maisjeferaismieuxderentrer.Ilsefaittard.Ericasedemandeprobablementoùjesuis.

Ilfronçalessourcils.

–Quoi?demandai-je.

–Ehbien…Elleestpartiecetaprès-midi,dit-il.

–Qu’est-cequetuveuxdire?

–Elleestvenuecematinavecdesbagages,elleetAlli sesontconcertéesunmomentdanssonbureau,puisellessontpartiesensemblepourl’aéroport.Alliaditqu’ellesseraientderetourdansunjouroudeux.Qu’onpouvaitlescontacterparmails’ilsepassaitquelquechoseaubureau.

Jeserraidenouveaulespoings.Décidément,c’étaitdemieuxenmieux.

–Tuasuneidéedel’endroitoùellessontallées?

Sesyeuxs’écarquillèrent.

–Paslamoindre.Ellen’apastraînéassezpourquej’aieletempsdeleluidemander.

Decolère,mavisionviraaublanc.

–Tul’asappelée?

–Ilfautquej’yaille,dis-jeenl’écartantdemonchemin.

Jefonçaiàlamaison,luitéléphonantsanscessepourn’entendrequelemessagedesaboîtevocale.J’ouvrisprécipitammentlaporte,m’attendantàmoitiéàlatrouverlà.Maislamaison était silencieuse et obscure. J’allai dans la cuisine, passai par toutes les pièces durez-de-chausséepuisgagnainotrechambre.Elleétaitpartie.Lelitétaitdansl’étatoùnousl’avionslaissé,hormisunboutdepapiersurmonoreiller.

Jem’ensaisis,l’adrénalinemontantenmoiàmesurequejelelisais.

«Tum’avaispromisquetumériteraistoujoursmaconfiance…majoie…monamour.»

*

ERICA

Jeluiavaispromisquejenem’enfuiraisplusjamais,maisilavaitrompusespromesses,luiaussi.Etlà,jefaisaiscequ’ilfallaitquejefasse.Jefaisaiscequ’ilneferaitpas.

On descendit de l’avion, Alli et moi, pour plonger dans l’air chaud du Texas. Vingtminutes plus tard, on arrivait à notre hôtel au cœur de Dallas. Le porteur déposa nosbagagesdanslachambre.JeluidonnaisonpourboirepuisrejoignisAlliquiregardaitparlagrandebaievitréedominantlepanoramadelaville.

Je n’étais jamais venue à Dallas, et j’aurais aimé avoir une autre raison d’être là. Jen’aimaispasalleroùquecesoitsansBlake,maisaprèsladisputedecematin,jesavaisquejenepouvaispascomptersurluipourl’instant.

–C’estjoli,ditAlli.

Elleallas’asseoirdansundesfauteuils.Sapochettevibraàsespieds.

– C’est Heath, ajouta-t-elle en me regardant, sans même faire mine d’attraper sontéléphone.

–Ilesttroptôt,répondis-je.

Elleouvritdegrandsyeux.

– J’ai l’impressiond’êtreune fugueuse,Erica.Si jene lui répondspasbientôt, je croisqu’ilvaprévenirlapolice.

–Jeneveuxpasquequiquecesoitsacheoùjesuispourl’instant.Pastantquejen’aipaseuunechancedeparleràMichaelseuleàseul.

– Je ne peux même pas imaginer quel cirque Blake va faire à Heath quand il vaapprendrequejesuisavectoi.

Blakeétait très loin,et iln’étaitmêmepasaucourant. J’étaisdésoléede l’avoir laissécommeça.Maisj’étaisencolère,aussi.Encolèrequ’ilnesebattepaspournous.Qu’aprèstoutcequ’onavaitvécuensemble,ilpuisseencoremebattrefroidcommeça.

– Tu m’as dit que tu allais m’aider, Alli. Je dois voir Michael demain matin à lapremièreheure.TupourrasappelerHeathàcemoment-là.

Je lui avais expliqué la situation au bureau, prête à y aller toute seule si nécessaire.Mais j’étais suffisamment partie à l’aventure pour savoir qu’il valait mieux avoir de lacompagnie. Le danger avait le chic pour me trouver, et j’étais encore marquée par sesconséquences.Maisdanscettehistoire, jenepouvaispasallerau fonddes chosesdans leconfortdenotremaison.

–Jevoulaisveniravectoi,Erica,maisjen’aimepascacherdeschosesàHeath.Onnele faitplus,quellesquesoient lescirconstances,et tumedemandesd’allerà l’encontredeça.

–ToutcequetudirasàHeathserarépétéàBlake,tulesais.Blaken’accepterajamaisqu’ilensoitautrement.JesuisconvaincuequeMaxapermisàTrevord’accéderaucodedeBlake,et c’est la seulechanceque j’aiede faire le lien.Michaeln’estpasdugenreàavoirunediscussion à cœur ouvert avecmoi au téléphone, et je ne veux pas que Blake viennemettresongraindesel.

Allihésitauntempsavantdeparler.

– Tu crois vraiment que tu vas le convaincre ? Michael Pope… Grand armateur,milliardaire, et probablement l’un des hommes d’affaires les plus intelligents et les plusbrillantsdumonde?

Vu de cette façon, j’avais des doutes. Mais même avec mes doutes, c’était notremeilleurechance.

–Jenesaispas.Ilal’airdebienm’aimer.Jesaisqu’iltientbeaucoupàBlake.Jeveuxdire,iladésavouéMaxaprèscequ’ilm’afait.Sijeréussisàluifairecomprendrecequiestenjeu,peut-êtrequ’ilm’aidera.

Jem’assisdanslefauteuilenfacedusien.

–C’estimportant,Alli.SiBlakerefused’agirpourêtreinnocenté,alorsc’estmoiquileferai.Jeneveuxpasleperdre.Jenepeuxpasleperdre.

Sontéléphonevibrad’unnouvelappel.Ellemesuppliaduregard.

–Iln’apascesséd’appelerdepuisl’atterrissage.Qu’est-cequetuveuxquejefasse?

Jesoupirai.

–Vas-y.Maisneluidispasoùnoussommes.

Elles’empressadeprendrel’appeletplaçaletéléphonecontresonoreille.

– Allô,mon amour…Oui, désolée. Une décision de dernièreminute, une histoire defilles.(Ellese levaetarpenta lapièce.)Toutvabien.Ilyauntrucqu’Ericadoitrégler,etelle voulait que je vienne avec elle… Heath, s’il te plaît, ne me pose pas de questionsmaintenant. C’est compliqué.Mais on va bien. Je te le promets, dit-elle enme jetant unregarddebiais.Oui,quelquechosecommeça.Jetereparleraiplustard,d’accord,quandceseraréglé…Oui,jet’aimeaussi.

Elleraccrochaetmedévisagea.

–Tum’essacrémentredevable.

–Jesais.Merci.

Elleposaunemainsursahanche.

–Jenesaispastoi,maismoi,jemeursdefaim.Changeons-nousetallonsdîner.

Je me forçai à me lever, chassant la fatigue accumulée tout au long de cetteinterminable journée émotionnellement éprouvante. J’aurais pume coucher et dormir desjours,maisAlliavaitraison.Nousavionsbesoindemanger,mêmesi j’avais l’estomacnouédepuislematin.

J’ouvrismonsacdevoyagepourchercherquelquechosedeconfortableàmemettre.

–Qu’est-cequec’est?

Alli hoqueta enattrapantuneboîte roseque j’avais jetéedansmon sac à ladernièreminute. Elle contenait deux tests de grossesse que j’avais achetés un peu plus tôt, enmerépétantquej’étaiscomplètementidiotedefaireça.

Jerésistaiàl’enviedelaluiarracher.

– Ça ressemble à quoi ? demandai-je d’un ton que je voulais nonchalant, alors quej’étaisdéjàstresséequ’ellelesaittrouvés.

Sesyeuxs’écarquillèrent.

–Tuesenceinte?

J’inspiraimaladroitement.

–Jen’enaipaslamoindreidée.

N’était-ilpasineptedeseulementl’envisager?

–Tuplaisantes?Tucroisquetupeuxl’être,ettun’aspasencorefaitletest?

Savoixétaitmontéedanslesaigus.

–Jen’aipaseuletemps.

C’étaitquasimentvrai.

–Ehbien,pourl’amourdeDieu,fais-le!Çamerenddéjàdingue!

Empourprée par l’anticipation, elle entreprit d’ouvrir la boîte. Je la lui repris, monanxiétéatteignantdenouveauxsommets.Jememaudisdenepasl’avoirmieuxcachée.

–Jepensaisqu’onallaitdîner,dis-je,essayantdésespérémentdechangerdesujet.

–Commesijepouvaismangerquelquechoseensachantquetuespeut-êtreenceinte.Nedispasd’âneries.

–Alli,arrête!coupai-je.

Ellelevaversmoidesyeuxincrédules.

Moncœurbonditdansmapoitrine. Jen’étaispasprêtepour la réalitéqui suivrait lerésultat.Jenepouvaispas…

–Jenepeuxpaslefairepourl’instant.

–Bonsang,maispourquoi?

Jerejetailaboîtedanslesacdevoyageetallaiverslafenêtre.Lesoleils’étaitcouché,et Dallas brillait d’une myriade de lumières. Comment pouvais-je le faire maintenant ?J’étaisaumilieud’unetempête.Lesoleilnepouvaitpasbrillerlà.

–Jenesuispassûred’êtreprêteàlesavoir,dansunsenscommedansl’autre.

Alliserapprochaetvintseplaceràcôtédemoi.

–Vousavezessayé?

JefermailesyeuxetpensaiàBlake.

–Quelquechosecommeça.

Maréponseavaitétéàpeineunmurmure.

–Évidemment.Questionidiote.Tuneprendsplus lapiluleettureviensd’unmoisdelunedemiel.Évidemment,quevousavezessayé.Quandas-tueutesdernièresrègles?

– J’ai cessé d’y penser depuis la fusillade. Elles ne sont pas encore redevenuesrégulières. Je ne sais pas. Si le test est positif, je vais flipper et angoisser. Je vais medemanders’ilpeutmêmesimplementêtreviable.Etsiletestestnégatif,jenesuispassûredevouloirsavoirqu’aprèstoutcetempsensemble…aprèsavoiressayécommeonl’afait…queçan’arrivetoujourspas.

–Erica, lesgensessaientparfoisdesannéespouryarriver.Ne tecondamnepas tropvite.Siçadoitarriver,çaarrivera.Maisnepassavoirnepeutêtrequ’unetorture.Aumoinspourmoi.Jen’arrivemêmepasàimaginerqueçapourraitêtredifférentpourtoi.

C’étaitvrai, lestatutdemonutérusnequittaitplusmespensées.M’imaginerenceinteétaitunejoie,mêmesicelam’effrayaitunpeu.Maisimaginerquejenel’étaispasetquejel’avaisseulementrêvéétaitunevraietorture.Quecettehypothèse-làseréaliseseraitencorepire.

– Je ne sais pas si je pourrai tenir le choc, avec tout ce qui se passe pour l’instant,admis-je.

Alliretournaversmonsacetmerapportalaboîte,l’undestestsdanslamain.

–Jeneseraipascapabledefairequoiquecesoittantquejenesauraipas.Disonsquec’estunefaveurquetumefaispourt’avoiraccompagnéedanscettemissiondefolie.Etquoiqu’iladvienne,onyferaface.Jesuislàpourtoi,danstouslescas.Jetelepromets.

Jetentaidesecouerlatête,maisellerestaferme,lesmâchoiresserrées,avecceregarddéterminéquejeconnaissaisbien.

–Direnonn’ychangerarien.Valà-dedansfaireletest.

Aprèsunlongmoment,jeprisletestqu’ellemetendaitetallaidanslasalledebains.Jefermailaporte,m’assissurlesiègedestoilettesetregardail’emballageencorescellé.

Jenepouvaispas faire ça. Jene voulaismêmepas savoir. Jeme répétai cette litaniejusqu’àqu’Alliintervienne.

–Est-cequetul’asfait?

J’entendislaquestionassezclairementpourcomprendrequ’ellesetenaitjustederrièrelaporte.

–Pasencore.

–Fais-le.

J’ouvrislepaquetetinspectailetest.Çaparaissaitassezsimple.

–Erica!

Jefisunepause,sachantqu’ellen’avaitpasvraimentenvied’entendrecequejevoulaisdire.Pasmaintenant.Peut-êtredemain.Çapeutattendre.Non…Ellen’accepteraitriendetoutça.

–Malédiction,Erica!Jesuistameilleureamieetj’exigequetupissessurcebâtonnet.

J’ouvrisdegrandsyeux. Jemedemandai combiende temps s’écoulerait avantqu’ellecommenceàmartelerlaporte.

–J’ysuispresque.Donne-moiuneminute,merde.

Jecontinuaidejurerensilence.Sansm’inquiéterdumoded’emploi,j’yallai.Lespetitesfenêtress’assombrirent,etj’attendis.

J’attendis et attendis, mon esprit fourmillant d’hypothèses. Est-ce que j’en parleraismême à Blake, si c’était négatif ? Pour lui dire que tous nos efforts, tout notre amour etnotrefoiennousn’avaientserviàrien?

Jeme levaietmepomponnai faceaumiroir,m’efforçantdedonnerduvolumeàmescheveux, n’importe quoi pour m’occuper l’esprit. À mesure que le test faisait son œuvre,j’essayaidemeconvaincrequ’ilétaitnégatif.Quetoutespoirétaitperdu.Quandjeparvinsàle croire, j’en fusdévastée, frappée aumêmeendroit où j’avais eu toutesmesnausées cesdeuxderniersjours.

C’étaitunsigne,n’est-cepas?Cequej’avaisressenti…Etsij’étaisenceinte?Etsinousallionsréellementavoirunbébé?

J’eusdumalà reprendremonsouffleen imaginant ceque jepourraisalors ressentir.Lapaniquem’envahitquand jepensai àBlakeet à cequ’il allaitdire.Mais c’était cequ’ilvoulait, n’est-cepas ?Nous avions tergiversé, peut-êtreparcequ’on étaitni l’unni l’autreabsolument certains que c’était possible. Mais on avait essayé… On avait accepté cetteéventualité avec la détermination aveugle qu’on appliquait à tout ce qu’on faisait, etpourtantj’étaisenvahieparledouteetlacrainte.

Les souvenirs de notre dernière nuit aux Maldives me revinrent à l’esprit. Blake mefaisantl’amoursouslesétoiles.Lestenturesdelapergolagonfléesparlevent,seulrempartentrelanuitetnous.L’éclatdelaluneetsesmilliersdepetitsraisdelumièretandisqu’onjouissaitensemble,unobjectifcommunàl’esprit.

Mamainsereposasurmonventre,sur lacicatriceque j’avaisparcourueplussouventque je ne pouvais le dire. Ma blessure… et maintenant, peut-être une vie. J’expirai

profondémentenm’abandonnantàcettepensée.

–Qu’est-cequeçadit?

Lavoixd’Alliétaitquasimenthystérique.

J’allaiscriern’importequoiquandjeposaidenouveaulesyeuxsurletest.Jecillaideuxfoisenvoyantlalignesurnumérairequis’yétaitformée.

Lessecondespassèrent,propulséesparlerythmeaccélérédemoncœur.OhmonDieu!Ohmerde!Waouh!OhmonDieu!

–Jevaisentrermaintenant.Quetusoisdécenteounon.

Ellefitirruptiondanslasalledebains,mepritletestdesmains.

–Qu’est-cequ’ildit?

–Jecroisqu’ilditquejesuisenceinte.

Chapitreneuf

BLAKE

–Putain,oùest-elle?

Heathgrommela,s’étirasoussonduvet.

–Monvieux,jetel’aidéjàdithiersoir,jenesaispas.

–Ettucroisquejevaistecroire?Alliestavecelle,non?

–Oui,maiselleneveutpasmedireoùellessont.Jeluiaireparléhiersoirtard,etellem’aditquetoutallaitbien,qu’ilnefallaitpass’inquiéter.

Lemanquedesommeilcombinéàunenouvellepousséed’adrénalinemerenditfoudefrustration.

– Il ne faut pas s’inquiéter ? Putain, tu te fous de moi ? Ma femme a disparu, etpersonne ne veut rienme dire. Je crois que tume connais assez bien pour savoir que jem’inquièteplusqu’unpeu.

Heathsegrattalecrâneetsortitdulit.

–Monvieux,tuasbesoinderespirerunboncoup.Jevaispisser,etquandjereviendraionparlera.Faisunpeudeyogaenattendant.

Jequittailachambreenclaquantlaportederrièremoi.J’allaim’enfoncerdansledouxcuir sombreducanapédusalon.Lapetite tableétait couvertedemagazinesnuptiaux, cequimerenvoyadesimagesdemonpropremariage.Ericasouriante,plusheureusequejenel’avaisjamaisvue.

Je fermai les yeux, laissant s’évacuer une partie de ma colère. Soudain, je rêvai dereveniràcejour,l’undesplusbeauxdemavie.

Àquelquespasdenotremaison,nousavionséchangénosvœux.Mêmesi jemeseraiscontentédelefaireencomitérestreint,leséchangerdevantnosamisetlafamilleavaitétéplusimportantpourmoiquejenel’auraisimaginé.J’avaisrédigélesmienslaveilleausoir.Trouverlesmotspourexprimercequ’ellesignifiaitpourmoiavaitétédifficile,maisj’yétaistoutdemêmeparvenuetlesavaismémorisés.Etquandelleavaitmarchéversl’autel,j’étaisfoudroyé.Sansvoix.

Jenepouvaisplusdétournermonregard.C’étaitunrégalpourlesyeux: lescheveuxapprêtés,maisavecquelquesmèchesrebellessur levisage,unmaquillage légerqui faisaitressortirsesyeuxbleusrivésauxmiens…

Sarobe,faited’unedoucedentelleblanche,étaitparfaitementajustéeàsoncorps.Lejuge de paix parla, mais les seuls mots que j’entendis furent ceux d’Erica quand ellecommençaàprononcersesvœux.Savoixétaitdoucemaisforte,etellemeregardaitdanslesyeux.

–Quandjerêvaisdecettejournée,jen’auraisjamaisimaginél’amourintenseetabsoluque j’éprouverais pour l’homme qui serait là avecmoi. Je pensais qu’un amour comme lenôtre n’existait que dans les livres. Je pensais que les hommes comme toi n’existaient quedans les contes de fées. Mais tu es là, mon rêve devenu réalité, mon « et ils vécurentheureux».Etchaquejourquenousavonspasséensembleaétéuncadeau,merapprochantde toi. J’en serai toujours reconnaissante. Je promets de t’aimer, d’être à ton côté et dechérirchaquejournouveauquenouspasseronsensemble.(Elles’interrompit,sesyeuxbleusbrillants d’émotion.) Blake, mon cœur t’appartient à jamais. Ma confiance t’est à jamaisacquise.

Unebriseocéanedesaisonmurmuraentrenous,semblantmecouperlesouffle.

–Erica…murmurai-je.

Jepassailamainsursajoueparfaite.Ellelevalesyeuxversmoi,meregardaàtraverssescilsnoirsetappuyasajouecontremamain.Jemeretinsdel’embrasser.«Pasencore»,chuchotaunepetitevoixdansmatête.

Mongranddiscoursavaitprislaclédeschamps,emportéparlevent.Soudain,riennemeparutavoir jamaiseuautantd’importancequelesmotsquej’allaisprononcer. Il fallaitqu’ilssoientsincères.Qu’ilsviennentduplusprofonddemoncœur,pourparlerauxsiens.

–Jeprometsdemériter tonamouret taconfiance.Tunemanqueras jamaisd’amouroudeconfortoudebonheur.Jeteprometsquetuaurastoujoursunhavredansmesbrasetdansnotrefoyer.Jet’aimeraidetoutmoncœur,chaquejour,pourlerestantdemavie.

Le jugecommençaàparler.Dèsque j’entendis lesmots«embrasser lamariée», je lecoiffai au poteau en la prenant dansmes bras. Elle se laissa porter, ses bras comme desvoilesdesatinsurmanuque,commesielleavait toutautantattendu.Jeposaimes lèvressurlessiennesetl’embrassaitendrement.

–Tu veuxdu café, demandaHeath quand il entra dans la pièce,m’arrachant àmespensées.

Je clignai d’un œil. J’avais déjà bu assez de café pour alimenter un campusuniversitaire.Çan’avaitfaitquemerendreencoreplusnerveux.

–Tuasquelquechosedeplusfort?

Ilneréponditpasaussitôt.

–Ilestneufheuresdumatin,ettusaisquejeneboisplus.

–Jesais,soupirai-je.Désolé.Jen’ypensaisplus.

Maconfiancet’estàjamaisacquise.

Jeme penchai en avant, enfonçant mon visage dansmesmains. Ses paroles étaienttatouéessurmoncœur,inscritesàl’encreindélébiledansmonesprit.Nousavionséchangénos vœux. Étaient-ce simplement les mots d’un couple follement amoureux le jour dumariage ? Sa confiance enmoi était-elle si facilement ébranlée ? Peut-être que les autresprenaient de temps en temps des libertés avec leurs vœux, mais elle ne me feraitcertainementpasoublierlesmiens.

Avait-elleaussirapidementperduconfianceenmoi?Luienavais-jedonnédesraisons?

Siseulementellerentraitàlamaison…

Oùétait-elle?Ons’étaitdisputés,etj’avaisagicommeuncrétinborné,maisjepensaisqu’elle y était habituée à présent. Et je croyais aussi qu’elle ne s’enfuirait plus. On étaitmariés, maintenant. On devait apprendre à affronter ces choses-là ensemble. Elle nepouvait pas juste s’en aller. Pas comme ça. Pas quand tout le reste s’effondrait autourdenous.

Quelquechosedefroidtapotamonépaule.J’ouvrislesyeuxetdécouvrisHeathquimetendaitunebière.Jelaprisavecreconnaissance.Ils’assitsurlecanapéenface,toujoursencaleçon,unetassedecaféàlamain.

–Turessemblesàuncadavre,tusais,medit-ilenmeregardantpar-dessusleborddesatasse.

Je passai une main sur le poil dru de mon menton. J’avais attrapé les premiersvêtementsàportéedemaincematin,c’est-à-direlachemisefroisséequejeportaislaveille.Erica disparue, mon apparence était bien la dernière chose à laquelle je pouvais penser.J’adressaiunregarddésespéréàmonfrère.

–Oùest-elle?

Ilsecoualatête,leregardhésitant.

–Allim’aditqu’Ericadevait fairequelquechose.Ellen’arienvouludired’autre,saufquejenedevaispasm’inquiéter.

Une réponse putain de totalement inacceptable ! hurlamon esprit, mais je me forçai àrestercalme.

–Tuluiasdemandé?

–Évidemment,quejeluiaidemandé.

–Et…?

LeregarddeHeathseportaau-delàdemoi,samâchoiresecontractantnerveusement.

Jeserrailesdoigtsautourdelabouteillequejetenais.

–Heath.Parle-moi,oujejuredevantDieu…

–Elleestencolère,Blake.C’esttafemme,alorsjesupposequetulesavaisdéjà.Qu’est-cequ’ils’estpasséavantsondépart?

–Ons’estdisputés.

–Àquelsujet?

Jeportailabouteilleàmeslèvresetbusunelonguerasade.

– Elle veut que je retrouve Trevor, ou au moins que je dise aux Fédéraux qui ilsdevraientchercher.

–Ettuneleferaspas?

–Ilneméritepasqu’onluiconsacredutemps.NiEricanimoi.Il…

–Ilestquoi,exactement?

–Iln’estpaslaréponse.Lesautoritésnepourrontpasmefaireporterlechapeau.Lesenvoyeràsestroussesseraitunepertedetemps.

Heathposasatassesurlatableetjoignitsesmains.

–Tusaisque jen’aimepas lesaffrontements,maisceconnard tepoursuitdepuisdesannées. Peut-être que j’ai été trop occupé à saccager ma vie pour en parler jusqu’àmaintenant.Maisilfautqu’ils’arrête.Lefaitquequelqu’und’aussimalinquetoin’yaitpasmisfinestabsolumentridicule.

Je restai unmoment sans répondre, retenant la diarrhée verbale que j’avais enviededéversersurlui.Peut-êtrequ’ilavaitraison.Peut-êtrequeluietEricaavaienttouslesdeuxraison. Je jurai intérieurement. Jeme frottai les yeuxpour lutter contre l’irritationdueaumanquedesommeil.

–Ericapensequec’estparcequejemesenscoupablepourBrian.

–Etc’estlecas?

J’avalaiencoreunpeudebière.

–Peut-être…confessai-je,presquetropbaspourêtreentendu.

–Tuétaisjeune.Etcegossen’estpasBrian.Ilestaussicinglé,maisiln’ajamaisététonami.Tuneluidoisrien.

–Jesais.

–Vraiment?Parceque,desfois,onal’impressionducontraire.

Je n’avais jamais rencontré Trevor en personne, mais d’une certaine façon il étaittoujours Brian dans mon esprit. Je ne l’admettrais jamais, mais j’étais incapable de lesdissocier.Trevorétaituneombre,unfantômequepersonnenepouvaitattraper.Maispourmoi,c’étaitunfantômedépositairedusouvenirleplusnoirdemavie.Brianavaitétéaussimalaviséquemoi,mais ilétaitallé trop loin.J’avaisconçuleplanavec lui,maisc’était luiqui l’avaitmisenœuvre,etbienau-delàduprojetoriginel.Parceque la responsabilité luienavaitétéattribuée,j’étaislibre.

La menace d’un emprisonnement avait disparu, mais la culpabilité pour son suicidem’avait poursuivi. Desmois durant.Quand j’avais commencé à travailler pourMichael, jecroyaisl’avoirdépassée.Maispeut-êtrequecen’étaitpaslecas.

–Jenepeuxpaschangercequiestarrivé.

–Personnenelepeut.Maistupeuxempêchercette…menace…debousillertavie.Situ ne l’arrêtes pas, les Fédéraux vont t’enfermer, Blake. Tu n’as pas besoin que je te lerappelle,maistun’esplusmineur.C’estunputaindecrime.Tuasunefemme,unefamillequitientàtoi,descentainesdegensquidépendentdetoi.Ettuvasplantertoutçaparcequetun’aspaslescouillesderenverserlesrôlesetdet’assurerqueTrevoriraentaulepourtoutça?

–Ilnefaitrienquejen’aiepasfaitmoi-même.

– C’est peut-être vrai,mais tu fais des tas de choses qu’il ne fait pas. Tu as créé desdizainesdesociétésquiapportentdebonneschosesaumonde.Tuasaidépapaetmaman.Tum’as aidé, quand je t’avais donnéde bonnes raisonsdenepas le faire. Tu es le pilierd’Erica, et tu la trahis en étant trop aveugle pour voir la différence. Pourquoi ne pasl’affronter?

–S’ilsemontrait,jeleferais,tranchai-je.

–Tuvoiscequejeveuxdire.

–Jenevaispasmelaissertyranniserparuneombre.

–C’estdéjàlecas.

Jemelevaietarpentailapièce,lesparolesdeHeathrésonnantdansmoncrâne.

–L’affronter…jesupposequeçarendBriandenouveauréel.Trevorveutmereplongerdanscecauchemar.Toutestlà.IlveutfairedemoilapersonnequeleFBIcroitdéjàquejesuis.

–Tun’espascettepersonne,Blake.Tuestellementéloignédel’adoquetuétais.Tuesunadulte.Tuasvécudesmillionsdeschoses.Tuesmarié.Desgensontbesoindetoi,ilstedonnentunbut.

–Exactement.Jeneveuxpasquemonbutluidonnedesmunitions.

– Le simple fait que tu respires lui donne toutes lesmunitions dont il a besoin pourcontinuer de t’attaquer. Protège la vie que tu t’es construite. Voilà ce qui devrait être tonbut.Etsiçasignifiesortircepetitconnarddupaysage,alorsc’estcequetudoisfaire.

Jem’appuyaiaucanapéetexpirailentement.

–Quandtut’esmisàréfléchir?

–Ça,c’estvraimentde ta faute.Alliadû tomberamoureused’un typecomplètementdifférentquandjemesuisrachetéuneconduite.

Jehochailatête.

–Tuasdelachance.

– Toi aussi. Tu as juste besoin de prendre conscience que tu t’es trompé du tout autout,etquec’estpourçaqu’Erican’estpaslà.Remetstesidéesenordre,etellereviendra.Jen’endoutepasuneseconde.

Jeluiadressaiunregardimplorant.

–Ondiraitquetuasdesinformationsquejen’aipas.

Ilsecoualatête.

–Non,c’estjusteuneintuition.SiAllimequittaitsansunmot,jepeuxtegarantirqueje me demanderais en long et en large ce que j’ai pu faire de mal. Et aucun orgueil nepourraitm’empêcherdem’amenderpourlarécupérer.

–Tudonnesdeplusenplusl’impressiond’êtrelefrèreaîné.

Ilgrimaça.

–Tum’assortidesuffisammentd’impasses.Jetedoisbiença.

*

ERICA

Quandjemeréveillailelendemain,lefaitquejesoisenceinteneparaissaitpasmoinsirréel.UnepartiedemoivoulaitrentrerimmédiatementàlamaisonpoursedélecterdelanouvelleavecBlake,maisuneautresesatisfaisaitd’êtreunpeuàl’écart.Lavienousavaitdonné de dures leçons, et j’avais besoin de tempérer cette vague d’excitation pour ycomprendrequelquechose.Tantdechosesétaientincertaines.

Ma priorité était d’obtenir la coopération deMichael. Je me levai tôt et pris un taxipourme rendre à sonbureau, tandis qu’Alli restait à l’hôtel. Le chauffeur s’arrêtadevantl’impressionnantgratte-cielaucœurdelaville,etjeprisunascenseurpourledernierétage.J’avais appelé son assistante la veille, pour lui faire savoir que Blake serait en ville lelendemain et qu’il voulait le voir. Elle l’avait inscrit dans son emploi du temps sans unehésitation.Àmon arrivée, quand j’eus expliqué que j’étais l’épousedeBlake et que j’avaisl’intentiondevoirMichaeldetoutefaçon,sasecrétairemefitentrer.

Michael était assisderrièreungrandbureauaumilieud’unepièce immense.Pourunhomme qui avait le monde à sa disposition, il semblait n’avoir rien autour de lui. Sonbureauétaitpresquenu,exceptéunbloc-notes,unordinateurportableetunstylo.Touteslessurfacesbrillaient.Touslesélémentsdedécorationétaientimpeccablementdisposés.

Michael se leva. Ilme regardad’unairpresque circonspect comme jem’avançais verslui.

–Erica…Jenevousattendaispas.

–Jesais.J’ensuisdésolée.C’étaitimportant.

–Évidemment.Asseyez-vous.

Ilm’indiquauncoinsalondanscequisemblaitêtrel’aileouestdelapièce.Ilpritplacedansunfauteuilassortiquifaisaitfaceauluxueuxcanapédecuirnoirsurlequeljem’étaisassise.

–Qu’est-cequivousamèneàDallas?

– Je voulais vous parler de Blake. Je suppose que vous êtes déjà au courant de sesproblèmesactuels.

Ilacquiesçalentement.

–Oui,lapoliceestvenuemevoir,alorsjeconnaisunepartiedel’histoire.Jen’enaipasencoreparléavecBlake,enrevanche.

Je fus rassuréed’entendreque lapolice faisait aumoinsméticuleusement son travail,mêmesiBlakerestaitleurprincipalsuspect.

–IlsvousontinterrogésurlecodesourcedeBanksoft?

–Oui.

–Queleuravez-vousdit?

Ilmedévisageauninstant,seslèvresenuneligneimmobile.

–Jeleuraiditqu’àmaconnaissance,exceptéquelquesraresmembresdeconfiancedemonéquipe,personnen’avaitaccèsàmacopiedufichier.

–C’estlavérité?

–Erica,jen’aimepaslesdevinettes.Oùvoulez-vousenvenir?

Jem’armaidecouragepourdirecequim’avaitfaittraverserlamoitiédupays.

–JevoudraissavoirsiMaxyaeuaccès.

Michaeleutunlégersourireetcroisalesdoigts.

–Possible.Maxaétéimpliquédansbeaucoupdemesaffaires.

–Jepensequ’ilatransmislecodeàundénomméTrevorCooper.C’estunhacker…

–Jesaisquic’est.

Abasourdie,jenepusquemarquerlecoup.

–Voussavezquic’est?

–C’estunprogrammeurquiatravaillépourMaxuntemps,quil’aidaitsurdesprojetsannexes.Nousavonsfinancésontravailparl’entremised’unedessociétésd’investissementsqueMaxetmoidétenionsconjointementautrefois.

–ToutcetargentaserviàtenterdedétruireplusieursdessociétésdeBlake,ycomprislamienne.

Michaelsoutintmonregard.

–Sic’estvrai,jesuisdésolédel’apprendre.Commevouslesavezpeut-être,Maxetmoin’avonsplusdeliensfinanciers.Etquandnousenavions,ilétaitrarementimpliquédanslequotidiendemesaffaires.J’aiaidéà financernombredesesprojets,neserait-cequepouréviterqu’ilaitenviedetrops’impliquerdanslesmiens.JeneconnaisTrevorquedenom,etparcequemasociétéluiasignédeschèques.

–VoussavezoùTrevorsetrouvemaintenant?

–Non. La société d’investissements a été liquidée, et tous ses comptes ont été ferméspeuaprèsvosfiançailles.Jenesaispascequ’ilestadvenudeTrevor.

Malédiction. J’avais l’impression d’escalader une montagne dont le sommet étaittoujoursaussiloin.

–Michael, j’aibesoindevotreaidepour leretrouver. Il s’estserviducodedeMichaelpour trafiquer l’élection du gouverneur, sachant que Blake serait impliqué. Si quelqu’undésire encore plus que Max voir souffrir Blake, c’est bien Trevor. Il lui en veut depuislongtemps,avantmêmequevousl’ayezremissurledroitchemin.

–Jenevoispastrèsbiencommentjepourraisvousaider.

– Trouvez-le. Faites-le sortir de son trou. Ou bien dites au FBI ce que vous savezvraiment. Que Max lui a fort probablement donné le code. Si le FBI le savait, ilscommenceraientaumoinsàchercherdans labonnedirection,et ils cesseraientdevouloiraccuserBlaked’uncrimequ’iln’apascommis.

–Vousmedemandezd’impliquermonproprefils,Erica.

–Jevousdemanded’aiderà fairearrêterTrevor.Queçavousplaiseounon,Maxestimpliqué,etilaessayédemettreBlakehorsjeupartouslesmoyenspendantdesannées.JepensaisquevousteniezàBlake.Vousêtesprêtàlevoirallerenprisonpourça?

Son visage tendu trahissait son malaise. C’était pour cette raison que je n’avais pastéléphoné. Face à face, il ne pouvait plus nier la vérité. Et la vérité était que son fils, sachairetsonsang,avaitprispartàtoutça.

–Ildoityavoirunautremoyen,dit-ilenfin,lesyeuxbaissés.

–Iln’yapasd’autremoyen.Michael.S’ilvousplaît,jevousensupplie…Aidez-moiàleretrouver.Jenepeuxpas…

Jen’y arriveraispas toute seule. Je cherchaismesmots. Jem’efforçaide contrôler lesémotionsaccablantesquimesubmergeaient.Peut-êtrequejepourraisexpliqueràMichaelàquelpointj’étaisdésespérée,maisjenevoulaispasperdretoutsonrespectenm’effondrantcommejerisquaisdelefairemaintenant.

Avantquej’aieputrouverquelquechoseàajouter,ilvints’asseoiràcôtédemoi.Ilpritmamain. La sienne était chaude et sèche, tannée par le soleil. Ses yeux étaient doux etpresquetristes.

–Erica,jesaiscombienc’estdifficilepourvous.Etjesaisquecequevousavezvécuuneterrible épreuve lorsque Max vous a agressée. Personne ne mérite de subir une chosepareille.J’enaihonte,àunpointque jen’avais jamaisconnudemavie.Maisquandvousaurezdesenfants,vouscomprendrezque,quellequesoit lafaçondont ilsvousdéçoivent,quelle que soit la façon dont ils vous blessent et vous humilient, ils seront toujours vosenfants.J’aimeBlakecommeunfils…maiscen’estpasmonfils.Maxestmachairetmonsang.Je ferai toutceque jepourraipouraiderBlake,maispasauxdépensdeMax.Jenemesuisjamaisinterposéentreeux,etjenevaispascommencermaintenant.

Unelarmeréussitàs’échapperetroulasurmajoue.Ilserramamain.

–Erica,ilfauttrouverunautremoyen.Blakeestmalin…c’estl’undeshommeslesplusintelligents que je connaisse. C’est pour cette raison qu’il n’est pas là. Parce qu’il connaîtmonsentiment.

J’arrachaimamaindelasienne,ellemesemblaitmaintenantcondescendante.

–Iln’estpaslàparcequ’ilrefusedesedéfendre.

Jemelevaietmedirigeaiverslaporte.Jeposaimamainsurlapoignéeethésitai.Del’autrecôtédelapièce,Michaelétaitdebout.Sapostureétaitinformelle,sonvisageaffichaitune inquiétude évidente. J’avais toujours imaginé qu’il était différent, parce que Blakesemblaitpenserqu’ill’était.Est-cequejem’étaistrompéeàcepoint?

–Parfois, jepenseauxhommesqui fontpartiedemavie.Jevoiscombiend’entreeuxparadent comme des dieux, agitant leur puissance et leur ego comme une arme sanss’inquiéterdeceuxqu’ilsblessentetdesviesqu’ilsdétruisent.Etlerested’entrenousestlàpourramasserlesmorceaux.Pourjenesaisquelleraison,j’avaistoujourscruquevousétiezdifférent.Jesupposequej’avaistort.

Son silence confirma la pénible vérité. Je sortis de son bureau et pris un taxi pourl’hôtel,résignéeàmadéfaite.

Pour la première fois depuis que j’avais atterri à Dallas, j’allumaimon téléphone. Jepatientai, imaginant le déluge d’appels que j’avais dû rater. Une douzaine de textoss’affichèrentaussitôt,undeJamesettous lesautresdeBlake.Pourdemanderoùj’étais,sij’allaisbien,etmedirederappeler.

Unmessagetéléphonique.Jecommençaiàl’écouter,mepréparantàcequeBlakeavaitàdire.Jenem’attendaispasàunevoixaussicalme.

–Erica,c’estmoi.

Moncœurseserraenentendantlesondesavoix.

–Jenesaispasoùtues,etçametue.Jenedispasquejenel’aipasmérité,mais…s’ilteplaît, rappelle-moipourque jepuisseentendretavoixetsavoirquetuvasbien.Jesaisqu’Alliestavectoi,maisjenepeuxpasm’empêcherdem’inquiéter.Jeveuxêtreavectoioùquetusois,pourteprotégerdetoutcequipourraitt’arriver.Etjesaisdéjàcequetupensesencetinstantmême.Sijenemeprotègepasmoi-même,commentpourrais-jeteprotéger?Et tu as raison. Je suis trop têtu pour mon propre bien, et tu ne devrais pas avoir àsupporterça.Mêmesituaspromisdelefaire.S’ilteplaît…rappelle-moi.

La tristesse dans sa voix me noua les tripes. Il me manquait plus que je ne m’étaisforcée à le croire. J’entrai dans la chambre d’hôtel et trouvai Alli qui travaillait sur son

ordinateurportable.

–Commentças’estpassé?

Je me contentai de secouer la tête, et elle laissa retomber ses épaules, accablée dumêmesentimentdedéfaitequej’éprouvais.

–Iln’aiderapas?

–PassiçasignifieimpliquerMax.

Jemelaissaitombersurlelitàcôtéd’elle.

– Je suis désolée. (Elle passa son bras autour de mes épaules.) Qu’est-ce qu’on faitmaintenant,chica?

Jem’appuyai contre elle,me forçant à croire que j’allais trouver un autremoyen defaire éclater la vérité. Mais j’étais épuisée. Tout ce que je voulais maintenant, c’était leréconfort des bras de Blake. Si je pouvais le faire changer d’avis et le pousser à se battrepournous,alorsilyavaitpeut-êtreencoreunespoir.

Jefermailesyeuxetsoupirai.

–Jeveuxrentrerchezmoi.

Chapitredix

BLAKE

J’avaisdûl’appelercentfois.Jamaisderéponse.J’avaisrappeléHeathunedouzainedefois. Pasdenouvelles.Tout ce que je savais, c’est qu’elle était partie, et jen’avais aucuneidéedequand–nisi–ellereviendrait.

Jem’assisàlatabledelasalleàmanger,perdudansmespensées.Ladernièregorgéedescotchglissadansmagorge.Riennepouvaitapaiserladouleurdesavoirqu’ellen’étaitpas avec moi. Elle avait décidé de partir, et peut-être que je lui avais donné de bonnesraisonspourça.

Je me frottai les yeux. Une nuit sans sommeil, maintenant deux. Je m’étais assoupiplusieurs fois,pourmeréveilleraussitôt,paniqué.J’avais refaitàchaque fois le tourde lamaison, revérifié mon téléphone et mes mails. Rappelé Heath sans m’inquiéter de sespropresbesoinsdesommeil.Toutçapourcomprendreunefoisdeplusqu’elleétaitpartie,etm’inquiéterjusqu’àquemesyeuxnetiennentplusouverts.

J’entendis la porte principale se refermer. Clay était revenu jeter un coup d’œil. S’iln’avait pas étémon employé, il aurait probablement été plus explicite sur l’image que jedevaisprojeter.Surl’inanitédemafaçonderéagir.Maistoutcequ’onpouvaitmediren’ychangerait rien. Les choses ne redeviendraient normales que quand elle serait rentrée. Siellemedonnaitunechancedem’expliquer,j’arrangeraisleschoses.

Puisellefutlà.

Deboutàcôtéde la table,vêtued’un jeanetd’ungrandpull, l’airhésitant.Elleétaitplus proche qu’elle ne l’avait été depuis des jours mais semblait en même temps à desannées-lumièredemoi.Jemedégageaidemachaiseetm’avançaiverselle.Ellereculad’unpascommesielleavaitpeur.

Je m’arrêtai net. Serrant les poings pour me retenir de la toucher, je m’efforçai derassemblermes esprits,mais ce que je lisais dans ses yeux bleus limpidesme déchirait lecœur.

–Moncœur,jenevaispastefairedemal.

Elledéglutit,seslèvress’entrouvrantlégèrement.

–Tun’espasencolèrecontremoi?

–Non,je…BonDieu,vienslà.

Jelaramenaiversmoi, lasoulevaidusoldèsquejepusl’enlacer.Jemis latêtedanssoncouet larespirai.Elleétaitplusenivrantequetouslesalcools.Jeprononçaisonnom,encoreetencore.Elleétaitrentrée.Saineetsauve.Dieumerci.

Jecherchaisabouche,fisglissermeslèvressurlessiennesavecrévérence.Cebaisermerappelaceluiquiavaitscellénotremariage.Jusqu’àquesalanguetrouvelamienne.Douced’abord,puisplusexigeante.Jegémisquandelleenfonçasesdoigtsdansmescheveux,ensaisit lesracines.Jereprismonsouffle,m’écartantsuffisammentpourvoir le feurenouveléqui brillait dans ses yeux. Elle enroula ses jambes autour dema poitrine, et je l’emportaidanslesalon.

Je la déposai sur le canapé et couvris son corps dumien. La sensation de son petitcorps chaud sous le mien avait un goût de paradis. Le désir me faisait frissonner, maisl’avoir déjà simplement près de moi me bouleversait. Je n’avais pas de mots pour ça. Jecaressaisajoue,passaimonpoucesurseslèvresentrouvertes.

–Bonsang,tum’asmanqué…

Quelque chose comme de la tristesse passa dans son regard. Avant qu’elle puisseexpliquer pourquoi, je l’embrassai de nouveau. J’avalai toutes ces choses que je la savaisvouloirmedire.Jel’embrassai,profondémentetpassionnément,jusqu’àcequ’ellerompelecontact. J’avais envie de lui faire l’amour et d’oublier que ces deux derniers jours avaientmêmeexisté.Jevoulaistoutreprendredezéro,maisjesavaisqueceneseraitpassifacile.Àregret,jemeredressaipourpouvoirlaregarderdanslesyeux.

–Ilfautqu’onparle,dit-elled’unevoixhaletante.

La tension noua mes muscles. Je n’allais pas la laisser me quitter. Peut-être qu’elleserait mieux avec quelqu’un de moins désaxé, mais je m’en fichais. Égoïstement, je mebattraisdetoutesmesforcespourlagarderpartouslesmoyens.

Me préparant mentalement au déluge des réflexions qu’elle avait dû accumuler cesdeux derniers jours, je m’assis. Elle fit de même, remontant ses genoux sur le canapé àl’opposédemoi.

–Ilfautqu’onsoitaussiloinpourseparler?

–Jenepeuxpas…Jen’arrivepasàpenserclairementquandtumetouches,Blake,etj’aibesoinquetum’écoutes.

Ma bouche s’assécha, mais je voulais savoir au plus tôt. Je refusais la torture desprécautionsoratoires.

–Tuveuxmequitter?

Sesyeuxs’embrumèrent.

–Blake…

Une force invisible me frappa au plexus. Je frottai mes cuisses de mes mains, mepréparantàfairetoutcequidevaitl’êtreencetinstant.

–Tuavaisraison.Jet’aifaitunepromesseetjel’airompue.Jenesuispasparfait,etjesaisquecen’estpasuneexcuse…mais il fautquetusachesque je t’aime,Erica.Plusquetout.Etjeferaitoutcequ’ilfautpourtegarder…

–Tun’aspasàt’inquiéterpourça,Blake,mais…

Unelueurd’espoirapparutaufonddemescraintes.

–Mais…maisquoi?

–Blake…

Salèvretremblaetellejouaanxieusementavecl’ourletdesonjean.Jerecommençaiàcraindre qu’il se passe quelque chose de terrible. Je voulais l’avoir près de moi, pour luiassurer que, quoi que ça puisse être, on pourrait s’en sortir. On avait déjà vécu l’enferensemble.

–Blake,jesuisenceinte.

Tout l’oxygène disparut de la pièce. Tout devint noir et blanc, flou sur les côtés,exceptélafemmeassisedevantmoi.Mafemme.Encouleur,enhautedéfinition…lesmotsqu’ellevenaitdeprononcerrésonnantaussiclairementqu’unangélus.

Enceinte.

Plusieurssecondess’écoulèrentvainementtandisquejem’efforçaisd’assimilercequ’ellevenait de dire. J’inspirai finalement un air dontmes poumons avaient bien besoin, et quiapportaunpeud’oxygèneàmoncerveauflanchant.

–Tulesaisdepuisquand?

– Je viens de l’apprendre. J’ai fait un test pendant que j’étais au Texas. Enfin, plusexactement,Allim’enafaitfaireplusieurs,maistousétaientpositifs.

Jesecouailatête,espérantéclaircirtoutça.

–Attends…AuTexas?

Latristesserevintdanssonregard.

–JesuisalléeparleràMichael.J’espéraisqu’ilnousaiderait.

Au fonddemoi, jeme traitaide tous lesnomspour luiavoir fait croirequ’elledevaitfaireça.

–Mabelle…Pourquoifaireunetellechose?

–Parcequejesavaisquetuneleferaispas.

Je fermai les yeux.Elle avait raison,maisplus riende tout celan’avaitd’importance,maintenant. Je les rouvris et l’attirai versmoi.Nousn’avionspasbesoinde cettedistance.Ellevintdesonpleingré,s’installaàcalifourchonsurmescuisses.

Jetouchaisajoueettinssonvisage,portantmaboucheàlasienne,suivantlacourbedesonmenton jusqu’à sagorgequipulsait sousmes lèvres. Jevoulais la toucherpartout,commesiçaallaittoutrendreréel.Cettefollechosequ’onnepouvaitpasvoir.Rienn’étaitdifférent vu du dehors, mais les mots qu’elle venait de prononcer avaient soudain toutchangé.Tout.

–Tuesvraimentenceinte?

J’avaisbesoind’entendreencorecesmots.Ellecontinuademâchouillersalèvrejusqu’àquejelalibèredupouce.

–Jevoulaisattendrepourteledire…

–Pourquoi?

Ellebaissalesyeux,jouaaveclecoldemachemise.

–Jenesaispas.Justeaucasoù, tuvois,çanedureraitpas.Jem’étaisditqu’ilvalaitmieuxquetun’aiespasàvivreçatoiaussi.

Madétermination se renforça, et je chassai la possibilité d’une fausse couchedemonesprit. Le fait qu’elle était enceinte était trop nouveau, trop extraordinaire pour le diluerdanslesinquiétudes.Jeluirelevailementon,dirigeaisonregardverslemien.

–Toutvabiensepasser.Jetelepromets.Etquoiqu’ilarrive,jeserailà.Jeveuxvivreçadeboutenboutàcôtédetoi.

Seslèvrestremblèrent.

–J’aibesoinquetusoislà,Blake.C’estcequetunecomprendspas.Jenepeuxpasyarriverseule.Jeneveuxpaséleverunenfantseule,sanspère.Jesaiscequec’est,denepasavoircettepartdesoi,etjenevaispasresterlààlesregardernouspriverdetoi.

Lafaçondontelleleditfitbattremoncœurplusfort.

–Jenepermettraipasqueçaarrive.Onvaêtreunefamille.

Cesmotsétaientétrangersàmabouche,maisinstinctivementjesavaisquec’étaitvrai.Enunbattementdepaupières,notreaveniravaitprisunsensnouveau.

–Onnepeutpassimplementcomptersurnotrebonneétoile.IlfauttrouverTrevoretmettrefinàtoutça.Promets-le-moi.

–Jetelepromets,répondis-jesansmêmeyréfléchir.

Lefaitquej’avaispumedisputeravecEricapourunetellechosemeparaissaitsoudainabsurde.Àquoijepensais…

Sesyeuxs’éclairèrent,brillantsdelarmes.

–Tuesvraimentsincère?

–Jen’aijamaisétéplussûrdemavie.

–Alors,commentva-t-onletrouver?SiMichaelnepeutpasnousaider,jenevoispasversquionvapouvoirsetourner.

Mêmesijen’avaisaucuneintentiondelesuivre,j’avaisdéjàunplan.

–J’aibesoinducodequiaétéutilisépourtrafiquerlesmachines.Trevorfaitdutravailbâclé.Ilnepeutqu’avoirlaisséderrièreluideschosesquiletrahiront.

– Tu ne crois pas qu’après tout ce temps les Fédéraux auraient trouvé, s’il y avaitquelquechose?

–Pasnécessairement.C’estmoncode.Çaabeau fairedixans, je le connaisdans sesmoindresdétails.Etpuis,cesontdesgentils.Ilsnesontpasaussiretorsquemoi.Trevorestunhacker.Ilfautluiressemblerpourlecomprendre,jesuppose.

–Etcommentva-t-onobtenirlecode?

– Ils ont les yeux braqués sur moi, Erica. Sans ça, je suis sûr que je pourrais me leprocurer.

–Sidpourrait?

Jehaussailesépaules.

–Peut-être.Çadépends’ilestprêtàcourircerisque.

–Iladéjàfaitdesrecherchesnonconventionnellespourmoi.

Jesouris,unesensationétrange.Çafaisaitdoncsilongtempsquejen’avaispassouri?Ils’étaitécoulédesjoursdepuisqu’elleétaitpartie.

–Desrecherchesnonconventionnelles?C’estcommeçaqueças’appelle,maintenant?

–Jenejugepascequetufais,Blake.Jenesuispeut-êtrepastoujoursd’accord,maisjesais que tu es honnête. Sid l’est, lui aussi. Ses règles éthiques sont probablement pluscompatiblesavecmanotiondelanormalité,celadit.

–D’accord.Onvavoircequ’ilendit.

J’attrapaiuneboucledesescheveuxblondseten fis rouler lesmèchessoyeusesentremes doigts. Notre bébé allait-il être blond ? Aurait-il des yeux bleus quime fascineraienttouslesjours,commeceuxdesamère?

–Goveestaucourant,pourTrevor?

Jesecouai la tête,arrachéàdespenséesautrementplaisantes.Laculpabilitéreprit ledessus.

–Vas-tuaumoinsluienparleretvoircequ’ilenpense?Evansnetecroirapeut-êtrepas,maisçasuffiraitpeut-êtretoutdemêmeàcequ’ilstelâchentunpeu.

Cette tension dans mon estomac revint, pour disparaître aussitôt. Je n’en étais pascertain,maisjecroisquec’estcequ’onappelleavoirprisunebonneleçon.

–Jeluiparleraidemain.

Ses lèvres s’incurvèrent en un sourire, et l’anxiété dans l’océan sans fin de ses yeuxdisparut.

–Tum’asmanqué,chuchota-t-elleenm’embrassantsuavement.

Je la pris dansmes bras et la serrai comme si elle pouvait disparaître. Sa langue seglissa entremes lèvres, exploratrice et excitante. Elle était veloutée,moelleuse. J’ymis lamême passion, me délectant du plaisir singulier qu’étaient son goût, son contact, sonparfumexquis.

Je pouvais dire d’après ses mouvements lascifs et la façon sensuelle dont elle semouvait au-dessus de moi qu’elle attendait. Elle attendait que je prenne ce quim’appartenait – son corps, son plaisir. Bon sang, j’en avais follement envie,mais quelquechosemeretenait.Lafemmequejetenaisdansmesbrasn’étaitpluslamême.

*

ERICA

Lebruitdelaportedeladoucheserefermantmetiradematorpeur.Jem’étiraidansles draps. La fatigue passée disparut à mesure que je recouvrais mes esprits. Le réveilindiquait 22 heures, je n’avais donc dormi que quelques heures. J’enfonçai ma tête dansl’oreilleretregardaileplafond.Surtout,Blakeétaitrevenuàlaraison,etpourlapremièrefoisdepuisdesjoursjemesentaissoulagée.

J’étaisheureused’êtrerentrée,aussi.Deretourdanslelitconjugal,etdanslesbrasdeBlake.Saufquecen’étaitpasalléplusloin.Depuisquejeluiavaisannoncémagrossesse,ilsemblait dans l’expectative, comme si j’allais me casser s’il laissait la moindre trace depassions’insinuerdanssesdoigts.

Peut-être que les hormones avaient pris le dessus. Peut-être que j’avais simplementenviedecetteproximitéavecmonmari,toutautantqued’habitude.Peut-êtrequelafaçondontj’aimaisBlakes’étaittransformée,àl’idéequejeportaisnotreenfant,quenousavionscréélavieensemble.Quellequ’ensoitlaraison,j’avaissacrémentenviedelui,etjen’allaispaslelaissernousenpriver,niluinimoi.

L’eaucessadecouler,etpeuaprèsBlakeémergea,uneservietteautourdelataille.Sapoitrineétaitfièrementdénudée,desgouttesruisselaientdesescheveuxmouillés.Ilavaitlecorpsd’undieu,cequinecalmaitvraimentpasmalibidoenfolie.Jemerehaussaisurmescoudespourprofiterdemanièreéhontéeduspectacle.

–Jet’airéveillée?

Jesecouailatête,relevantlescommissuresdemeslèvresenunsouriresuggestif.

–Vienstecoucher.

–Tuasvoyagétoutelajournée.Tudevraistereposer.

–Jesuisfraîcheetdispose.Vienslà.

Je repliai les genoux. La friction entre mes cuisses et l’image de ce qu’il pouvaitprécisémentmefaireaumêmeendroitfirentaussitôtgrimpermatempérature.

Salanguecaressalentementsalèvreinférieure.

–J’arrivedanspaslongtemps.Ilfautquejetravailleunpeu.

Merde.

Je quittai le lit etmarchai vers lui. Je n’attendis pas qu’ilm’y invite. Je ralentis pourplanter mon regard dans ses yeux magnifiques, maintenant d’une teinte de vert à fairefondremoncœur.

Mesmainseffleurèrentsontorse.

–Jet’aime.

– Je t’aime aussi. (Ses yeux furent assombris par l’émotion.) J’aimerais que les motssuffisentàexprimermessentiments,Erica.Jetel’aiditcentfois,maischaquejourjet’aimeplus,etlesmotsrestentlesmêmes.

Mon cœur se serra. Je détestai qu’il ait été blessé à ce point. Il était propre et rasémaintenant,fraisetalerte,maisquandj’étaisrentrée,c’étaituneépave.Jenel’avaisjamaisvudévastéàcepoint.

Je n’aurais jamais dû le laisser aussi soudainement. Je savais qu’ilm’avait pardonné,maisunepartiedemoivoulaitexpiermesactes.Jevoulaisnousréunir.Jevoulaisréunirnoscorps.

–Jen’auraisjamaisdûpartircommeça.J’étaisfurieuse,etsieffrayée…

–Jesais,répondit-ilcalmement.

Après avoir quitté Blake en lui laissant un rappel des engagements que nous avionspris, j’avaisbeaucoupréfléchiànosvœuxetàcequ’ilssignifiaient– leursymboliqueet lesmotseneux-mêmes. Il s’agissaitdepromessesàpartirdesquellesonpouvaitconstruire,etnon pas de lois qui attendaient d’être violées. Nous étions humains. Imparfaits. Encorejeunes de bien des façons,même si nous avions très largement fait connaissance avec lesréalitésdumonde.

Nous nous étions blessés l’un l’autre. Nous avions échangé des coups puissants, puisnousavionsretrouvélavoiedel’amouretdelacompréhension.Nousavionschangé.Nousavionsappris.Etchaquedureleçonnousavaitrapprochésdurantnotreodyssée.

RiennepouvaitébranlermonamourpourBlake,etcesoirmonvœuétaitdemebattrepour cet amour. J’enfonçai les doigts d’une main dans ses cheveux, et de l’autre maincaressaisamâchoiresculpturale.Monmagnifiqueamant.

–Mêmesionsedisputeetqueçadéraille,ontrouveratoujoursunmoyenderéparer.Jetelepromets.

– Tu n’imagines même pas à quel point j’avais envie de croire que c’était vrai. (Ilrepoussaunemèchedemescheveuxderrièremonoreille.)Maisç’auraittoutdemêmeétéplusfacilesituavaisréponduàmesmessages.

Jefermailesyeux.

–Jesuisdésolée.

Sadouleurrésonnaenmoi.

J’avais dit les mots, mais j’avais besoin de lui en montrer la réalité. Et ce que jeressentais ne pouvait être exprimé par une simple caresse. Amour et désir, tous deuxhautementinflammables,alimentaientlapetitefournaisequibrûlaitdéjàenmoi.

Jepressaimeslèvressursapoitrine.Laissantfilermesdoigtslelongdesmassesduresdesesabdos,jetrouvailenœuddesaserviette,ettirai.

–Erica…

Jeluisoufflaideneriendireet laissai tomber laserviettesur lesol.Je fisvoltigermalanguesurledisquesoyeuxd’undesestétons,jusqu’àlerendresensibleaumoindresouffle.Puisjefisdemêmeavecl’autre.Jecouvrissaclaviculedebaisers,puissoncou,quejesuçaiinsolemment jusqu’à luiarracherungémissement. Ilpalpames fesses,meserracontre lui.Sonérectionétaitimmanquable,chaudecontremapeau.

Je fus envahie d’un pur plaisir féminin. Je voulais le satisfaire. Je voulais tout luidonnercesoir.

J’ôtai mon tee-shirt, et ses mains se posèrent sur moi, me caressant jusqu’à que j’enfrissonne.Leregardantdanslesyeux,jememislentementàgenoux.

Je laissai glissermesmains le longde ses jambes fermes, révérant les courbesde soncorps d’une tonicité impressionnante. De ses lèvres sculpturales à ses pieds, c’était unspécimen remarquable.Heureusement pourmoi, son cœur était aussi beau que toutes lesautrespartiesdesoncorps.

Je posai mes mains sur mes hanches. Je fermai les yeux et me penchai en avant,laissantmonfrontreposercontrelui.Jesoupiraid’aise,tellementheureused’êtrelàencetinstant.Nonobstantl’excitationetleplaisirquis’ensuivaittoujours,unepartiedemoiavaittoujoursétéunpeurétiveàcetteposition.Maisquelquechoseétaitdifférentcesoir.

Je ne m’était jamais crue naturellement soumise, malgré tout ce que Blake avait puvouloir ou avoir besoin que je le sois. Je serais toujours prête àmener tout combat qui leméritait.

Je n’étais pas soumise… mais amoureuse. Profondément et irrévocablement. Etj’appartenaisàBlakemaintenant,d’unefaçonquejen’avaisjamaisconnueauparavant.Etilétaitmien.Jen’endoutaispaslemoinsdumonde.

Maintenant, tout ce que je désirais, c’était la force de ses mains sur moi, son corpspuissant me donnant le plaisir que lui seul pouvait me donner. Je voulais sentir ladominationdesoncontactet,parmasoumission,luidonnercedontilavaitbesoinetquejedésirais.

–Pascesoir,Erica.

Jelevailatête,pourleregarder.

–Jet’aifaitvivreunenfer,tutesouviens?

Ilselaissatomberdevantmoi,sesgenouxheurtantlesol.Sesyeuxfixèrentlesmiens.

–Çan’aaucuneimportance.Jet’aidéjàpardonné.Tuméritaismieuxquelafaçondontjet’aiplantélàl’autrejour.

Ilm’embrassatendrement.

–Pardonne-moi.

–Seulementsitumefaisl’amour,murmurai-je.

Chapitreonze

BLAKE

Bon sang, que j’avais envie d’elle ! Je désirais tout ce qu’elle m’offrait. J’envahis sabouche à grands coups de langue, à la façondont je voulais pénétrer les profondeurs deson corps, avec un élan si éhonté qu’elle sentirait encorema présence le lendemain. Nosmains s’affolèrent. Nos bouches se fondirent. Je me relevai et l’emportai sur le lit. Meglissantdansl’espaceentresescuisses,jegrimpaisurelle.

Nos membres se mêlèrent, avides et exigeants. Je fermai les yeux et la sentis toutautour de moi. Ses douces caresses se firent plus impatientes. Mes hanches heurtèrentsèchementlessiennesenréactionàlacoursedesesonglessurmondos.

–Putaindemerde!

Jelaissairetombermonfrontdansl’oreilleràcôtéd’elle.

–Qu’est-cequinevapas?

Qu’est-cequin’allaitpas?Jen’arrivaispasàchasserdemonesprit l’idéequ’elleétaitenceinte.Voilàcequin’allaitpas.Àl’œilnu,rienn’avaitchangé.Maislasavoirenceinte,etqu’elle portait ce qui serait peut-être notre unique chance d’avoir un enfant, stoppait netmes ferventes ardeurs. Soudain, rien n’avait plus d’impor-tance que ce fait, et la baisercommeunebêteenrutn’étaitpasunrisquequejepouvaisprendre–etsijelablessais?

Ellemedévisageal’airinterrogateur.

–Qu’est-cequ’ilya?

–J’aipeurdetefairemal,dus-jereconnaître.

Ellehaussalessourcils.

–Mefairemal?

–Entebaisanttropfort.Jenesaispas…fairemalaubébé,jesuppose.

Ellesourit.

–Tuesbienmonté,Blake,etc’estimpressionnant,maisjetelepromets,tunevaspasfairedemalaubébé.

Jelaregardaiintensément,avecuneprofondeenviedelacroire.

–Jenetiensrienpouracquis.

–Çafaitdessemainesquetumefaisl’amour,etjevaisbien.

–Jenepeuxpasm’enempêcher.Tulesaisaussibienquemoi.

Mespenséess’évadèrent,tandisquejem’aventuraissursapoitrine,surlescourbesdesesseins.Quandjemevisprendreentrelesdentscettepetiteboulerosetendue,unflotdesangenvahitmonsexedéjàgonflé.

Ellemefitretombersurledosetmechevaucha.Mêmesilespectaclememettaitl’eauàlabouche, jen’étais toujourspasdans lebonétatd’esprit.Peut-êtrequesi je laprenaisàmafaçon…

Elle fitpivoter seshanches, ramenant surmoi le tissuhumidedesaculotte. Je laissaiéchapperungrognementdefrustration.Cetteculottedevaitdisparaître…

–Tunem’aidesvraimentpas,tusais…

J’avaisjusteenviedel’empalersurmabite.

Sesyeuxbrillaienttandisqu’ellesemordaitlalèvreinférieure.

–Alors,pourquoij’ail’impressionquetuveuxjustemebaisercommeunebêtesauvageencetinstantmême?merépondit-elle.

C’étaituneversiontrèsédulcoréedecequejevoulaisluifaire.Jevoulaislaprendresurmesgenouxetlafesserjusqu’àqu’elleenhurle.Jevoulaispassermesdentssursapeauetla sentir frissonner à l’orée de la douleur. Je voulais lui écarter grand les cuisses et lapilonnerjusqu’autréfonds.Sabouche,sadoucepetitechatte,ettouslesautresendroitsoùellem’accueillerait.Lesbêtessauvagesétaientloind’êtreaussidépravéesquemoi.

– Tout le problème est là. Je neme fais pas confiance, et tu ne devrais pasme faireconfiancenonplus.

Elles’inclinasurmoi,nousamenantpoitrinecontrepoitrine.Sapeaudouce,soyeuse,paradisiaque.

–Jetefaisconfiancepourmedonnerexactementcedont j’aibesoin.Tuconnaismoncœuretmoncorpsmieuxquequiconque.C’estcequifaitdetoimonmari,etnonunebêtesauvage.

Jeretinsmarespiration,merépétant intérieurementcequ’ellevenaitdedire.Lesangpulsaitàmestempes,projetantdésiretardeurdepuismoncœurverstousmesmembres.

Elleentremêlanosdoigtsetfrottaseslèvressurlesmiennes.

–J’aimebien toutdemêmeque tu soisunpeusauvage. Je sais cedont tuasbesoin,Blake.Maintenant,donne-moicequejeveux.

J’avais envie de lui faire l’amour depuis l’instant où elle avait réapparu. Bon sang,c’étaituncombatsansespoir.

Sansplusréfléchir,jelarebalançaisurledosetluiarrachaisaculottesansattendre.Jeme concentrai sur la toison bouclée au-dessus de sa chatte onctueuse. L’eaume vint à labouche, et jem’imaginai faire courirma langue sur cette peau lisse, plonger dans lemieldivinqu’elleenveloppait.Maisautantj’enavaisenvie…

Mon regard lubrique croisa le sien. Sa poitrine se soulevait au rythme de seshalètements.Elles’agitaitsanscesse,etjesusexactementcequ’ellevoulait.

Jelaprisparleshanchesetlapositionnaisousmoi.Jenepouvaisplusattendred’êtreenelle.J’appuyaimabitecontrel’entréedesachatteetm’enfonçaienelle.

Elle crispa ses ongles surmonavant-bras et se cambradansun sursaut. Je serrai lesdents.Une petite voix lointainemedit d’être doux quand je voulais la fracasser contre latêtedelit.J’obéis,décidéàlachoyercesoiretàgarderencagel’animalquivoulaitquecesoitpuissantetviolent.Jelelibéreraisunautrejour.

Quandelleselaissaretomber,jeprisseslèvres.

–Parfait,luimurmurai-je.

Elle tremblait légèrement, les yeuxdans le vague. J’adorais l’abandonqui envahissaitsestraitsquandlesdernièresbarrièresentrenoustombaient–quandjefaisaispartied’elle,et quand elle s’était emparée de moi. Je ne me retirai que pour mieux la reposséder,lentement, en prenant mon temps, en frottant ma bite contre la partie innervée juste àl’entrée.La forceavec laquellesoncorpssecontractam’indiquaqu’elleavaiteuraison.Jeconnaissaissoncorps.Jeconnaissaistoussessecrets.

Ainsiallaitmonamour,centimètreparcentimètre,coupdereinsaprèscoupdereins.Réguliersetmesurés.J’enperdaispresquel’esprit.

Nosmainsseserrèrentplusfort.Elles’accrochaàmoi,retenantl’orgasmequejesentaisgrandirdanschaquegémissementincontrôlé,danschaquetressautementnerveux.Lapeaurougie, mon nom sur ses lèvres… elle s’en approchait. J’aurais pu jouir avec elle, maisquelque part dans les brumesdemondésir, je préféraisme retenir. Je voulais lui donnerunenuitdeplaisir,pasunsimplepic.

Je soulevai ses hanches, me calai sur ses mouvements, frappai cette cible cachée enelle,encoreetencore.Sachattevibraitdespasmesquirythmaientsescris.

– Vas-y, Erica ! m’exclamai-je, si concentré sur son ascension que j’en oubliais lamienne.

–Jeveuxjouiravectoi.

Mapoitrineserréeetmabitedouloureusemerappelèrentàquelpointj’avaisenviedecéder aussi. Trop de temps s’était écoulé. Trop d’émotions m’avaient déchiré en son

absence,ettoutçamerevenaitd’uncoup.

–Erica.

Je me raidis pour maîtriser le besoin presque violent de la pilonner vite et fort. Jepouvaispresquesentirlapromessedejouissance.

Sonsexeserefermasurlemien.Sesonglesagrippèrentmapoitrine.Toutdevintrouge,et le hurlement qui m’échappa résonna dans la pièce, ponctué par les cris filants ethaletantsd’Erica.

*

ERICA

Je m’éveillai, enveloppée de la chaleur de Blake. Je m’étirai, m’incurvant contre soncorps.Jemeretournai,pourm’apercevoirqu’ilétaitdéjàhabillé,uneodeurdecaféflottantencoresurlui.

–Bonjour,medit-il.

Jesouris.Ilavaitl’airmieux.Etdemoncôté,j’étaissacrémentplusenforme.Jejouaisavecsescheveux,lesébouriffantjustecommeill’aimait.

–Lanuitdernièreétaitincroyable.

Unplid’inquiétudeseformasursonfront.

–Commenttesens-tu?

Jecataloguaimentalementlescomptesrendusdesdiversespartiesdemonorganisme.Chaquejoursemblaitlégèrementdifférent,etmaintenantquejesavaisquej’étaisenceinte,jecomprenaispourquoi.

–Hormisunefatiguechronique,quiparaîtêtremanouvelleréalité,jemesensbien.

Ilposaunemainsurmapoitrine,fitglissersesonglesjusqu’àmonnombril.Iln’auraitpaspuexprimersespenséesplusdistinctement.J’immobilisaisamain.

–Blake,vraiment,jevaisbien.

–Jenefaisquedemander.

Ilavaitparléd’unevoixinnocente,maisjesavaisàquoim’entenir.

–Dis-moi,jevaisdevoirt’attacherchaquefoisquej’aiuneenvieobscène?

Ilm’adressaunregardnoir.

–Jesuissûrqueceneserapasnécessaire.

Jesouris,uneidéemevenantàl’esprit.

–Jenesaispas.Situestellementanxieuxdemeblesser,peut-êtrequetudevraismelaisserlesrênesjusqu’àqueçatepasse.

–Trèsdrôle,maugréa-t-ilsèchement.

–Jen’essayaispasd’êtredrôle.

Jefaisaissemblantd’êtresérieuse,maisill’étaitbienassezpournousdeux.

–Jecroisquetusaisquejenepeuxpasfaireça.

Sontonétaitfaussementcalme,sesparolestoutàfaitexplicites.

–Tunepeuxpasoutuneveuxpas?insistai-je.

Ilfronçalessourcils.

–Lesdeux.Jecroisquenousavonsfaitlapreuvequelesentravessontau-delàdemeslimites.

J’ouvris de grands yeux et glissai ma main sous sa chemise, appréciant les musclesbosselésquimenaientàunecertaineexcroissancedanssonpantalon.

–Êtredominén’estpassimal,Blake.Çapeutêtreamusant,àpetitedose.

–Toutenmoihurleungrand«non»quandtudisdetelleschoses.C’estcourirdroitàlacatastrophe.

Jesouris,fitclaquermalanguedemanièreprovocante.

–Qu’est-cequ’onvabienpouvoirfairedetoi,Blake?

Ilpinçaleslèvresetm’amenapossessivementsurlui.

–J’aibienquelquesidées.

Sonregardincendiairemestimula.

–Moiaussi.Maintenant,ilneresteplusqu’àteconvaincre.

Jeparsemaisonmentondepetitsbaisers,prislelobedesonoreilledansmaboucheetlemordillai. Il gronda, redressa ses reins – si bien que son érection entra en contact avecmonclito.J’étaisencorechaudeetextrêmementsensible.S’ilnefaisaitpasattention,ilallaitdevoirchangerdejean.

Lachaleurenvahitmapeau,etlessouvenirsdelanuitprécédentem’envahirent.Peut-être que le convaincre de ne plus se retenir ne serait pas si difficile, finalement. Nousn’étionsplusqu’àquelquessecondesdenousarrachernosvêtementsl’unl’autre.

Sauf que la dernière fois que j’avais pris l’initiative dans la chambre, Blake avaitindéniablementétésecoué.D’unautrecôté,ilnes’étaitpasattenduàcequejeleligoteaumilieudelanuit.

–Jet’aiprisparsurprise,ladernièrefois.Donne-moiuneautrechance.

Ilrepoussal’idéed’unrire,celam’incitaplusencoreàinsister.

–Écoute,c’esttoujourstoiquicontrôlesmonplaisir.

–Ettuadoresça,coupa-t-ilcrûment.

–C’estvrai,maisjementiraissijedisaisquejen’aijamaispenséàfairelamêmechose.Iln’yapasquelerêvedepuissance,tusais.Pourleschosesqu’onfait…tudonnestoujoursplusquetunereçois.

–Etalors?Tuveuxdirequetuveuxinverserlesrôles?

Jemeredressai,renfrognée.

–Peut-être.

Lecôtédirectdesaquestionavaitempourprémesjoues.Finalement,l’idéedeprendrelecontrôlemeplaisaitplusquejenel’auraiscru.

–Etcette…domination…impliquerait…?

Ilramenalesbrasderrièresatêteavecunsouriredésarmant.

Unpetitfrissonmeparcourut.

–Ehbien, tun’espasvraimentceque j’appelleraisobéissant,apriori. Il faudraitdonccommencerparundressagevigoureux,quetuapprennesàconnaîtretaplace.

–Quiest…?demanda-t-ild’unevoixgraveetvibrantequirésonnaenmoi.

Jelaissaiéchapperunpetitronronnementetmepenchaisurlui.

–Sousmoi,murmurai-jecontreseslèvres,enpassantmamainsursabiteturgescente.Saufsijeveuxquetusoisailleurs,évidemment.

Ilgrondaetrehaussasesreinsversmamainimpatiente.

–Jesuissoustoiencetinstantmême.Ilsembleraitqu’unerécompensesoitderigueur.

–N’endemandepastrop.

Je souris intérieurement, de savoir combien de fois il m’avait dit la même chose. Iln’étaitpatientquelorsqu’ils’agissaitdemetitiller.Quandsonpropredésirseraitenjeu,sapositionpourraitbienchanger.

Ilplissalesyeux.

–J’aicrééunmonstre.

–Tupeuxm’appelerMaître,plaisantai-jeavecunsourirecoquet.

Ilritencore.

–JecroisqueMaîtresseseraitplusapproprié,encescirconstances.

–Jecroisquej’aimebienlafaçondontçasonne.

Unepartiedemoinepouvaitpascroirequenousavionscetteconversation,mêmes’ilne faisait que se prêter àmon jeu.D’un autre côté, j’étais rentrée depuismoins de vingt-quatre heures de la mission que m’avaient confiée mes hormones : parler à Michael etdonneràBlakeuneleçonquis’étaitrévéléecuisante.Quisavaitcequ’ilpensaitvraimentencetinstant?

Maissonregardmalicieuxletrahissait.

–Jesuisintrigué.Àquandlapremièreleçon?

–Peut-êtrecesoir,maisseulementsitutetiensbien,répondis-jed’untonléger.

Jen’avaisaucuneidéedecequejefaisais,maisçapouvaitdeveniramusants’illaissaitçasedévelopper.

Illibérasesmainsetmecaressaparesseusementlescuisses.

– Tu veux dire que tu vas m’envoyer travailler avec en tête des images de toi mechevauchanttoutelanuit?

Jemerembrunis.

–Tutravailles,aujourd’hui?

Nous avions jusqu’ici toujours réussi à garder les week-ends pour nous. Et, après lasemainequenousvenionsdevivre,jepensaisqu’onleméritaitmaintenantplusquejamais.

–JepensaisallervoirGoveetluiparlerdeTrevor.

–Oh!m’exclamai-je.

Là, je ne pouvais rien dire. Je sentis ce qu’il restait de mon stress commencer àdisparaître,desavoirqu’onallaitenfindanslabonnedirection.

À contrecœur, je libérai Blake et quittai le lit pour vaquer à mes occupations. Ondescendit, et je décidai deme faire une tasse de thé. Blake vint se glisser derrièremoi etm’embrassadanslecouavantdetoutmeprendredesmainspourlepréparerlui-même.

–Jem’enoccupe.Vat’asseoir.

–Tumegâtes,opinai-jeenallantm’asseoirderrièrel’îlotcentral.

–Ilvafalloirt’yhabituer.Qu’est-cequetuveuxpourlepetitdéjeuner?

Jeretroussailenez.Monestomacétaittoujoursauxabonnésabsents.

–Pasfaim.

Il pinça les lèvres d’une façon quime fit comprendre qu’il n’était pas satisfait demaréponse.

Ils’éclaircitlagorge,regardadansleréfrigérateuretensortitdesfruitsdéjàcoupésendésavecunpotdeyaourt.

–Pendantquetudormais,j’aiprisrendez-vouschezlemédecinpourtoi.

–Tuaschoisiunmédecinsansmoi?

–LedocteurHennemanestlameilleureobstétriciennedelaville,ettun’aurasquelemeilleurpourtoutecettepartie-là.Jeseraiintraitableàcesujet.

Toutevulnérabilitéquej’avaispuvoirprécédemmentdanssonregardavaitdisparu.Jen’étaispascertainedel’instantoùlapassationdepouvoiravaiteulieu,maisc’étaitbienlecas.

J’ouvrisdegrandsyeux.

–Jevoisquetuesderetourauxcommandes.

– Quand il s’agit de ta santé, ce sera toujours le cas. Avec tout ce que ton corps aenduré,jeveuxquetoietlebébéreceviezlesmeilleurssoins.

Le bébé. La façondont il l’avait dit paraissait si certaine.Avec toutes les probabilitéscontrenous,j’avaiseudumalàmeconvaincrequedansneufmoisjetiendraisunbébédansmesbras.Maisjemeraccrochaiàlafoiquej’avaisprofesséeàBlakedanslesîles.J’allaisycroire,tantqu’onnemediraitpaslecontraire.

–D’accord.

–Tuasrendez-vouslundi.Jel’aifaitconfirmer.

Jebusunegorgéedethé.

–Tuviensavecmoi?

–Jeseraiavectoitoutletemps,jetelepromets.(Ildéposaunpetitboldebaiesetdemorceaux demelon surmontés d’une bonne cuillerée de yaourt devantmoi.)Maintenant,essaiedemangerunpeu,s’ilteplaît.

Chapitredouze

ERICA

Jeréfléchissaisàlafaçondontj’allaispasserlamatinéesansBlake,quandAlliappela.

–Salut!Jemesuisditquej’allaist’appelerpourvoirsitoutallaitbien.

–Oui,toutvabien,répondis-jeensouriant.

Ellelaissaéchapperunsoupirdesoulagement.

–Dieumerci…Jenesupportepasquandvousêtesenfroidtouslesdeux.

Je sentis renaître ma culpabilité, maintenant que je voyais les choses d’une autremanièreetquej’avaismesuréàquelpointBlakeavaitétébouleversé.Jen’imaginaismêmepascequ’ilavaitdûfairesubiràHeath,denepassavoiroùj’étais.

–Jesuisdésolée,Alli.Jen’auraispasdût’entraînerlà-dedans.

–Çava.Tuavaisbesoindemonsoutien,etjesuislàpourça.Jesuiscontentequetoutsoitarrangé.

–C’estlecas.Toutestréglé.

–Super.Ehbien,jevaisvouslaisseràvosretrouvailles.

–Defait,Blakeestalléenvillepourvoirl’avocat.Jemecontentedetuerletemps.

– Ah…Dans ce cas, que dirais-tu d’une petite thérapie lèche-vitrine ? J’ai besoin deréapprovisionnermagarde-robe,maintenantqu’ilfaitunpeufroid.

–Biensûr,nepus-jequerépondreàuneaussiplaisanteproposition.

Une heure plus tard, j’étais sur Newbury Street, à faire les boutiques avec Alli. Onpapota,onrit,onéchangeadesconseilsquandonhésitaitentredeuxachats.J’achetaiplusdechosesquejenel’auraiscru,bienquenoussoyonsvenuespourrenflouerlagarde-robed’Allietnonlamienne.MaisaprèsunmoisdevoyageavecBlakequines’interdisaitaucunedépense nulle part, je commençais à m’habituer à un niveau de vie bien plus élevé. Parailleurs, savoir que je dépensais mon propre argent et non celui de Blake ne pouvaitqu’aider.LaventedespartsdeClozpinm’offraittoutelatitudefinancière,sansquejedoivepuiserdansnotrecomptejointpourautrechosequelesdépensescourantes.Blakepouvaitbiens’enplaindre,jen’enavaiscure.Jetenaisàmonindépendancefinancièreetaufaitquejel’avaisgagnée.

Aprèsquelquesheuresdeshopping,onseréfugia,Allietmoi,dansunpetitrestaurantméditerranéenpourledéjeuner.Monembarrasmatinalavaitdisparuetj’avaisunefaimde

loup.Onsepartageaquelqueshors-d’œuvre,simplemiseenbouche.

Alli sirotait son vin. La lumière dansa sur le liquide et fit miroiter une pierre rougesuspendueàunechaîneépaisseetcourtequiluiceignaitlecou.

–C’estnouveau?C’estjoli.

Ellelacaressaduboutdesdoigts.

–Merci. Heathme l’a offerte il y a un petit moment.Mais je la trouve un peu tropvoyantepourlaporteraubureau,alorstunel’asprobablementjamaisvueauparavant.

Je la trouvaidebongoûtpuismedemandai s’il ne la lui auraitpasoffertepouruneautre raison. Leur relation n’avait pas toujours été stable, mais depuis son retour dedésintox, elle était devenue extrêmement solide. Ils avaient été inséparables durant lemariage. Je ne pouvais pasmanquer les étoiles qui dansaient dans les yeuxd’Alli, et unepartiedemoiespéraitquelamagiedenotregrandjourcommuniqueraitàHeathl’enviedefranchirlepasavecelle.Jelasavaisprête.Peut-êtrequ’ill’étaitaussi.

–Commentçava,entrevousdeux?

–Bien.ÇaaunpeusouffléaumomentoùonaquittéClozpin,touteslesdeux,maisçava,maintenant.Mieuxquejamais.

Je baissai les yeux versma serviette etmedemandai si Sophia avait quelque chose àvoiravectoutça.C’étaitmoiquiavaisavertiAlliqueHeathavaitpuavoirunpassépassiinnocentqueçaavecSophia.J’espéraissincèrementqueçan’avaitpasouvertunfosséentreeux ; mais après ce que Sophia nous avait fait vivre à toutes deux, je m’étais dit qu’Allidevait connaître lavérité–aumoinsdans les limitesdeceque j’ensavais.SeulsHeathetSophiasavaienttoutdecequ’ils’étaitpassé.

–IlvousestarrivédeparlerdeSophia,touslesdeux?

Elle hocha la tête et mâchonna sa salade en silence. Je me traitai immédiatementd’idiotepouravoirformulémespenséesàhautevoix.

–Désolée,Alli.Jenevoulaispasêtreindiscrète.C’estentrevousdeux.

Ellehaussalesépaules.

–Pasdeproblème.Jen’essaiepasdete lecacher.C’est justeque…siBlakesavait, jecroisqueçapourraitcréerunmalaiseentreeuxdeux.Çanemeplairaitpasplusqu’àtoi.

JefusdenouveauencolèrecontreSophia,cettefoispourAlli.Nonseulementelleavaitperdusonboulotàcausedecettesorcièremalfaisante,maiselleavaitfortprobablement,enplus, dû être confrontée au fait que cette dernière avait couché avecHeath. Si ce qu’elle

avait ressenti ressemblait à ce que je ressentais à l’idée que Sophia avait aimé Blake etl’aimaitcertainementencore,çaavaitdûluifairemal.

–Netesenspasobligéedemeparlerdechosesquetun’aspasenviedemedire,maistupeuxêtrecertainequejenelaisseraijamaisplusSophiafoutreenl’airnosvies.Elleafaitassezdedégâts.Elletrouverapeut-êtretoujoursunnouveaumoyendem’atteindre,maisentoutcasjenemelaisseraiplusfaire.JemelesuisjurélejouroùonaquittéClozpin.

Allilaissaéchapperunlongsoupir.

– Eh bien ! la vérité, c’est qu’après qu’elle m’a viré, j’ai mis les points sur les i avecHeath.Jeluiailaisséentendre–enmemontrantpeut-êtretrèslégèrementexplicite–quejesavaisqu’ilavaitpuyavoirunpeuplusquedel’amitiéentreeuxdeux.Jeluiaiditquejevoulaisconnaîtrelavérité,mêmesiçafaisaitmalàentendre.

Sessourcilsserapprochèrenttandisqu’elleregardaitparlafenêtre.

–Etqu’a-t-ildit?

Elleseretournaversmoietmeregardadanslesyeux.

–Ilnel’apasnié.Jedoisluireconnaîtreça.

–Ilsontcouchéensemble?

Elleacquiesça,incapabledemasquersondégoût.

–Unefois.Ilsfaisaientlafêteavecdesamiscommuns,àl’époque.Ilsétaientdéfoncés,évidemment.Blakeétaitenvoyage,alorsilnel’ajamaissu.

Soudain,jehaïsdenouveauSophia.

–Etellequijurequ’ellel’aime…

–Apparemment, il yavaitdéjàde l’eaudans legaz.Unechoseenamenauneautre.Lesdroguesetl’alcool.Demauvaisesdécisions.Heathnel’ajamaisditàBlakeparcequ’ilnevoulaitpas leblesser,enparticulieraprèstoutcequeBlakeavait faitpour lui.JesupposequeHeaths’esttoujoursditqueSophiaseservaitdeleuramitiépourresterprèsdeBlake.

–Çanem’étonneraitpasd’elle.EllenereculeradevantrienpourrécupérerBlake.

Ellemel’avaitdéjàprouvéparsaconduiteméprisableenversmoi.

–Mêmeauplusbas,Heathauncœurd’or.Jecroisqu’ilétaittropgentilpourlamettreaupieddumur.Maisévidemment, iln’apluseudenouvellesdèsqueBlakeacoupétouslesliensfinanciers.Riendesurprenant,jesuppose.

Heureusement, Sophia avait disparu de nos vies depuis des mois. Je ne pouvaisqu’espérerqu’elleavaitabandonné l’idéedemereprendreBlake.Onétaitmariés,avecun

bébé en vue, maintenant. Je détestais le fait qu’une partie du passé de Blake luiappartienne,maisaumoinssonavenirétaitmien.J’enétaiscertaine.

Allijouaitavecsoncollierd’unairabsent.

–Tuauraispréférénepassavoir?demandai-je.

–Audébut,c’estcequejemesuisdit.J’étaisencolère,évidemment.Nousavionsdéjàeu bien assez de problèmes. Je n’avais pas envie de l’imaginer avec d’autres femmes, enparticulier celle qui m’a virée aussi salement. J’étais furieuse, et aussi dévastée que toi àl’époque.Mais c’est la vie.Çane sert à riende vivredans le passé quandonaunavenirmagnifiquedevantsoi.

J’étais biend’accord et jeme sentis ragaillardie. Leur bonheurme faisait toujours ceteffet-là.Sesjouess’empourprèrent,etelleregardaailleurs.

–Quoi?

–Rien,répondit-elle.

Quelquessecondess’écoulèrent,etsonsouriremystérieuxnes’effaçapasdeseslèvres.

–Alli,nejouepasàça.Crachelemorceau.

Ellesecoualatête.

–Bonsang!jen’arrivepasàcroirequejet’enparle.(Ellepritunelongueinspirationetsoufflaprécipitamment.)Heathetmoi,ons’estditqu’onallaitsemarierendouce.

J’enrestaibouchebée.

–Tuessérieuse?

–Jen’aijamaisvraimentcachémesrêvesdemariage,tusais.Onenapasmaldiscuté,etonpenchepourcettefaçondefaire.

–J’imaginaisbienquevousenaviezparlé,maisjenepensaispasquevousalliezfileretvousmariersansenparleràpersonne.C’estdelafolie!

Ellehaussalesépaulesensouriant.

–Jenesaispas.Plus j’yrepensais,plus jetrouvaisçaromantique.D’autantquejemesuis un peu sorti tous mes rêves de mariage de la tête à l’occasion du tien. Tu étais siaccommodantequej’aifiniparyappliquerunebonnepartiedemesidées.

Jefisunpeulamoue.

–Oh,jesuisdésolée.

Elles’esclaffa.

– Il n’y a pas de raison. J’ai trouvé ça formidable. C’était unmariage superbe. Je nel’oublierai jamais et je n’ai pas lemoindre regret. Tuméritais ce jour incroyable, et j’étaisraviedepouvoiryparticiperàmamanière.

Ellemesourit chaleureusement,et je susqu’elleétait sincère.Onavaitbienenvisagé,Blake et moi, de se marier en secret, mais je savais que ses parents s’attendaient à unecérémonieetauraientregrettédelamanquer.Etlejourvenu,jen’avaispasregretténotrechoix. Alli et Fiona avaient fait un boulot de préparation impressionnant pendant maconvalescence, sansoublier aucundétail, et grâce à elles la journée futparseméede centinstantsparticuliersavecd’innombrablespetitestouchespersonnelles.

Malgrétoutesmeshésitationspasséesquantàungrandmariageenfamille,unepetitepartie de moi voulait la même chose pour Alli. Mais au fond, je lui souhaitais ce qu’ellevoulait.Monrôledemeilleureamieétaitdelasoutenircommeellem’avaitsoutenue,quoiqu’elledécide.

–EtHeathestpartantpourça?

–Oui. Jeveuxdire, il est tellementbonnepâte tout le temps.Etunmariagedans laplusstricteintimitéesttellementplussonstyle.Audébut,quandilaabordélesujet,çam’aun peu refroidie. J’avais envie qu’il me fasse sa demande, tu vois ? La bague, la robeblanche, la grande réception. Toutes ces petites choses dont j’avais toujours rêvé. (Ellesecoualatêteetreprit.)Jenesaispas.Jecroisquej’aifinalementcomprisqueçanesefaitpas toujours dans l’ordre. J’ai passé la moitié de ma vie à imaginer mon mariage avecquelqu’un que je n’avais pas encore rencontré. C’était un peu idiot de se dire qu’on allaitnécessairementvouloirlesmêmeschoses.

–Jesuissûrqu’ilseraitd’accordpourungrandmariage,situlevoulais.

–Jesaisqu’illeferait.Maissincèrement,plusj’ypense,plusjemedisqueceseramieuxs’iln’yaquenous.

Tous mes doutes sur leur projet s’envolèrent. Ils s’aimaient, avec une passion aussiparticulièrequelanôtre,àBlakeetmoi.Soudain,riennemeparutplusromantiquequedeles imaginer sceller leur union seuls, en privé, entre les deux personnes les plusimportantes.

–Çaal’airvraimentromantique,Alli.Égoïstement,jeseraitristedenepasêtrelà,maisjesaisqueceseramerveilleux.

–Onprendradesphotos,sourit-elle.Beaucoupdephotos.

Jeprissamainpar-dessuslatable,d’autantplusreconnaissantequ’ellefassepartiedemavie.QuandelleétaitpartievivreàNewYork,quelquesmoisplustôt, j’avaiscraintque

notreamitiénes’étiole.Lescirconstancesnousavaientréunies,etmaintenantl’amourallaitliernosviesàjamais.

–Nousallonsêtrebelles-sœurs.Tulecrois,ça?

Elleserramamain,lesyeuxbrillants.

–Pourmoi,tuastoujoursétémasœur,alorslareconnaissanceofficielleseraunbonus.

– Tu as toujours fait partie dema famille, Alli.Même quand je ne te rendais pas leschosesfaciles.

Sabouchesepinça.

–Tuastoujoursétéflamboyante,maisjet’aimebienpourça.

Je pris le temps de songer à son affirmation. Est-ce que j’étais flamboyante ? Jepréférais « déterminée », mais peut-être les hormones qui prenaient le pas sur monorganismeavaient-ellesgrillé lesplombsetaltérémescapacitésdedécision.Jen’étaispasvraimentconvaincue,maisj’étaiscertainequeBlakeauraiteubeaucoupdechosesàdireàcesujet,étantdonnélesévénementsrécents.

–JesuissûrequeBlakeseraitd’accord.Heureusementqu’ilestaussiindulgentquetoi.

Sonexpressionbadinesefitplussérieuse.

–Commentças’estpassé,quandtuesrentrée?

Je repensai à la veille au soir. Je savais que rentrer à la maison et expliquer monabsenceàBlaken’allaitpasêtre facile,mais ilm’avait terriblementmanqué.Onavait tantdechosesàsedire,tantdechosesàfaire.Celam’avaitbrisélecœurdelevoirassisseulàlatable.Maussade,lesyeuxdanslevague.Puis,soudain,ilétaitrevenuàlaviequandj’étaisentréedanssonchampdevision.Lesouvenirdesadouleuretdesonafflictionmeserradenouveaulecœuretjemelanguisdelui.

– Ç’a été intense, comme d’habitude. Parfois, on a du mal à accorder nos violons,surtoutsurdessujetsquinoustiennentàcœuràtouslesdeux.Ilestcarrémentobstinéet,franchement,moiaussi.

–Ehbien,j’imaginequevousaveztrouvéunmoyenterme,d’unefaçonoud’uneautre.Tuasl’airdenepasavoirbeaucoupdormi,conclut-elleavecunclind’œil.

Unsouriresedessinasurmeslèvres.

–Ça s’est arrangé.On s’estparlé commeonauraitdû le faireavantmondépart.Ons’est…réconciliés.

–Et…?demanda-t-elleenhaussantlessourcils.

Jen’avais jamaisvraimentparléàAllidemaviesexuelleavecBlake,etencoremoinsdepuisqu’elles’était liéeavecsonfrère.Nousavionsparlédenosaventuresdanslepassé,mais j’avais toujours été trop accaparée parma relation avec Blake pour vraiment entrerdans les détails. D’autant qu’ils auraient en grande partie frisé l’illégalité dans certainsÉtats. Je ne pouvais être certaine que lamoitié des choses que nous faisions entre quatremursn’allaitpashorrifiermameilleureamie.Maisaujourd’hui,peut-êtreétait-celejourdesconfidences.

– Je crois quema grossesse lui a fait un choc. Il ne sait plus trop par quel boutmeprendre,dis-jeenespérantrestersimple.

Elle émit un petit bruit compréhensif et se tapota la lèvre. Ses yeux brillèrentmalicieusement.

–Peut-êtrequ’ilabesoindemotivation?

–Jemefaispeut-êtredesidées,maisj’ail’impressionquetuasquelquechoseentête.

Jen’arrivaispasàdéchiffrersespensées.

–Peut-être.Jecroisqu’onvadevoirencoreallerdansdeuxoutroisboutiques.

*

BLAKE

J’entraidans lebarsportifàquelquespâtésdemaisonsduFenwayPark, lestadedesRedSox,etjetaiuncoupd’œilalentour.Deanétaitaubar,leregardfixésurlestéléviseurs.Satenueétaitdécontractée,jeanetpolo.Unevieillecasquettedebase-ballenténébraitsonregard.Jeprisletabouretprèsdelui.

–Pasdecostumecravate?

–C’estsamedi.Etpuisj’emmènelesenfantsvoirunmatchdebase-ballcetaprès-midi.

–Désolé.Jenevoulaispasparasitertaviefamiliale.

Pourlapremièrefoisdemavie,jelepensaisvraiment.J’avaistoujoursétéunbourreaudetravailsurdesprojetsexigeantsouventl’expertised’unavocat.Maisd’iciquelquesmois,j’allaisconsacrerchaqueminutedisponibleànotrepetitefamille.

C’étaitduràenvisager.Toutallaitchanger.

Deans’éclaircitlagorge,interrompantmesrêveries.

–Jesaisquejesuistrèspopulaireauprèsdetoi,maisàquoidois-jeceplaisir?

Jeregardai lesécransqui transmettaientunautrematch.Jen’étaispasencoreprêtàentamer la confession de ce que je lui avais caché durant tant d’années. Ça paraissait

étrange en y repensant, mais Dean était l’un de mes plus proches amis. Même si on nes’était jamais fréquentés endehorsdu travail, ilme connaissait bienmieuxque laplupartdesautres.Lescirconstancesl’avaientexigé.

–Tu sais cequ’il y ad’amusant ?Chaque fois que je te vois, c’est parcequequelquechoseatournéauvinaigredansmavie.Tuasdelachancequejenet’entiennepaspourresponsable.

Ils’esclaffa.

–C’esttoiquitemetstoujoursdansdessituationsinsensées,pasmoi.

–Pascettefois.

Ilbaissalesyeuxverslebar,fittournersondessousdeverreenpetitscercles.

–Alors,quesepasse-t-il?Qu’est-cequiatournéauvinaigre,cettefois-ci?

–Dunouveauducôtéd’Evans?

La réponsem’intéressait,mais j’avais tout demêmeposé la question pour gagner dutemps.Jen’avaispaseudenouvellesdeDeanpendantl’escapaded’Erica–etdurantcettepériode,jen’auraisdetoutefaçonrienécouté.

–Pasque je sache.Heureusement, tant luique lapolicen’ont faitaucunprogrès.Enrevanche, la commission électorale a effectué un recomptage des voix. Le poste degouverneur va à l’adversaire de Fitzgerald. Fitzgerald n’a pas fait de communiquédepuisl’annoncedelanouvelle,vendredi.Onverrabiencettesemaines’ilaquelquechoseàdire.

Une immense satisfaction s’empara de moi. Je savais que la réaction d’Erica à lanouvelleseraitplusmitigée,mais iln’yavait riendemitigédansmonenviedevoirDanielressentir tout le poids de cette défaite. Je voulais qu’il le ressente aussi profondément etaussi longtempsquepossible. Ilnemesemblaitpasêtrehommeàtolérer l’échec–unpeucommemoi,enfait.

–Unweek-endneseraprobablementpasdetroppourdigérerlanouvelle,finis-jepardire.

–À l’évidence. Je suis sûr que sonmonde en est tout retourné.Heureusement, çanecompliquepasleschosespournous.

Je n’arrivais pas à imaginer ce que Daniel allait faire après une telle humiliationpublique, mais Dean avait raison se demander d’abord de quelle façon l’événementaffecteraitmapropresituation.

–Enfait,jevoulaisteparlerdel’élection,justement.

Il répondit d’un court hochement de tête, attendant à l’évidence une nouvelleconfession.

–Jesaisquiamanipulélesmachinesàvoter.

Ilm’adressaunregardéberlué.

–Tupeuxrépéter?

– Jenepeuxpasprouverquec’est lui, et c’estpour çaque jene t’enavaispasparléauparavant.

Ilsetournasursontabouretetpiquaunfard.

–Tusaisquiestderrièretoutça,ettunem’enaspasparlé?

Je fis abstraction de sa réaction et m’employai à lui relater les faits en détail. Monpremier accrochage adolescent avec la police – qu’il connaissait ou dont il avait entenduparler–,lesannéesd’acharnementdeTrevorcontremesintérêts,etsonpartenariattoxiqueavecMax.

L’expression de Dean était passée de l’agitation au scepticisme, une qualité quej’estimaisetpourlaquellejelepayaisbien.

–Ondiraitqu’iladesacrésantécédentsdanssafaçondetepourrirlavie.Tucroisquecegosseauraitputrafiqueruneélectiondegouverneur?

–Quandilenaeuassezdelancerdesattaquescontremessitesetceuxd’Erica,ils’estassocié àMax et à une des anciennes collègues d’Erica pour créer un site concurrent dusien.Untravailbâclé,évidemment.Jel’aidémoliassezfacilement,etensuiteils’estévanouidanslanature.Disparudesécransradars.Jusqu’àmaintenant.Ilafaitgrimperlesenjeux,apparemment, et il m’est difficile de le rechercher parce que les Fédéraux ont les yeuxbraquéssurmoi.

–Donc,tutebatscontreluidepuisquasimentaussilongtempsquetumeconnais,ettunem’enasjamaisparlé?

Vu comme ça, je devais bien admettre que ça durait depuis longtemps. Heath avaitraison, et Erica aussi. Trevor devait être mis hors d’état de nuire, d’une façon ou d’uneautre.

–Jepensaisqu’ilneméritaitpasqu’onsortelagrosseartillerie,jusqu’àaujourd’hui.

– Putain de merde… (Il releva sa casquette et se frotta le front.) Bon, très bien.Commentonletrouvepourqu’Evanschangedecible?

–D’abord,ondoitprouverqu’il l’a fait.Ensuite, il faudra leretrouver. Ilestanonymedanstouslessensduterme.

–Qu’est-cequeçaveutdire?Toutlemondelaissedestraces.

– Iln’yapourainsidireaucunmoyende remonter jusqu’à lui.Erica l’a retrouvéunepremièrefois,maisilaredisparuaussitôtaprès.

Ilhaussalessourcils.

–Erical’aretrouvé?

–Jene le cherchaispas.Elle le cherchait. Je suis sûrque si j’yavaismisunpeuplusd’énergie,jel’auraisdébusqué.

Ilretintdifficilementunegrimaceamusée.

–Biensûr.Maiscommentl’a-t-elleretrouvé?

–Elleadécouvertquesamèrevivaitdans la région.Elleestallée lavoir–sansmonassentiment, faut-il le préciser –, et les choses se sont un peu emballées. Quand elle estrepartie,onn’apaseuletempsdedireoufqueTrevoretsamèreavaientdéménagésanslaisserd’adresse.

–Sionconnaîtsonidentité,c’estdéjàquelquechose.Undébutdepiste,entoutcas.

–C’estvrai.J’aijustebesoindecreuserunpeu.

Deanécarquillalesyeux.

–Ça,non!Tunecreusespas,Blake.

– Je connaisdes gensqui pourraientpeut-être aider.Çane remontera jamais jusqu’àmoi.

–Putain,çavaudraitmieux.(Ilsecoualatête.)Bonsang,tuvasmefilerunulcère.

–Situn’enaspasdéjàun,c’estquetunetravaillespasassezdur.

Illaissaéchapperunpetitrire,sonanxiétés’atténuantunpeu.

–Heureuxd’apprendrequetu t’inquiètesautantpourmasantéaprèsunedécennieàtadisposition.(Ilpritsontéléphoneettapaquelquesnotes.)Trèsbien.Faistesrecherches,avecvraiment toutes lesprécautionspossibles. J’en ferai autantdemoncôté. Informe-moidecequetutrouves,etonpourraréfléchirà la façond’enparleràEvans.Jecroisquesecontenterdeluibalancerlenomd’unharceleurquasiinconnuneferaitquel’énerver.

–Exactementcequejepense.

Untextotintasurmontéléphone.

E:«Quandpenses-turentrer?»

B:«Onaquasimentfini.Jeseraiàlamaisondansuneheure.»

E:«Attends-moidanslesalon.»

J’hésitai,medemandantcequ’elleavaitbienpupréparerpourlasoirée.Jen’avaispasprisnotre conversationmatinale tropau sérieux.Ericaavait l’habitudedevouloirprendrelescommandesjusqu’àquejelafassesupplierdeladominerdenouveau.

Maispeut-êtreyavait-ilplusqu’uneboutadederrièresaproposition.Peut-êtrequ’ellepartageaitmes inquiétudes.Etpeut-êtrequ’en cela elle avait raison. J’étaismal à l’aise etexcitéàlafois.

B:«Jedevraisêtreinquiet?»

Jemaintinsmondoigtau-dessusde la toucheenvoipendantuneminute,peucertaindevouloirqu’ellerépondeàça.Finalement,jel’envoyai.LetempsqueDeanfinissesabière,laréponseétaitapparue.

E:«Terrifié.»

Putaindepetitedébauchée.

Chapitretreize

ERICA

LavoixdeBlakerésonnadanslevastesalon.

–Jesuisrentré!

Moncœurbattaitàunrythmehallucinant.Jefinisdetendreledeuxièmebasnoirsurmacuisseetenfilaimestalonsnoirsfavoris.Jegonflaimescheveux,déposaiunenuancederougeprofondsurmes lèvresavecunpetitbruitdebouche.Lesmains sur leshanches, jemetoisaidanslemiroir.

Allim’avaitaidéeàchoisirlecorsetparfait–aprèsenavoirsélectionnéunpourelle,cequim’auraitchoquéesijen’avaispasadmisqu’iln’yavaitaucuneraisonpourqueHeathaitmoinsdepenchantsqueBlakeaurayondesfantasmes.

Le cuir noir brillant du corsetmoulait parfaitementmon torse, repoussantmes seinshorsdeleurdécolleté,tellementéchancréqu’ilcouvraitàpeinemesmamelons.J’imaginaisdéjà la façon dont Blake pourrait l’en extraire sans effort, au prix de quelques boutons àdéfaire.Jecomplétailatenued’unefineculotteetdejarretièresnoires.

Commed’habitude,jen’avaispaslamoindreidéedecequej’allaisfaire,maismatenueavaitdeschancesdeconvenir.Blakeallaitsoitm’éconduiredansunimmenseéclatderire,soitessayerdemedévorer.Jesaisislapetitecravachequej’avaisachetéeunpeuplustôtenpensant à ce cas de figure précis. Je préférais me présenter en dominante, armée pourrenforcermaposition.

Mesjouess’empourprèrent,s’accordantaurougeprofonddemeslèvres.JeconnaissaisBlake depuis longtemps, et je m’étais livrée à toutes sortes de débauches avec lui. Ilconnaissait intimementchaquepartiedemoncorps. Jenecomprenaispaspourquoi jemesentaissoudainembarrassée.Jeprisuneprofondeinspirationetluirépondis.

–J’arrive!

Ilmerestaitàdescendreunétagepourpouvoirgrimperbienplushaut.

Le rez-de-chaussée s’enténébrait. Les bougies que j’avais allumées un peu plus tôtpapillotaientsurlesdiversespetitestablesquientouraientlescanapés.Blakeétaitaffalésurl’und’entreeux,concentrésurunpointinvisibleduplafond.

–Bienvenueàlamaison.

J’entraienmedéhanchant,espérantparaîtrepluslangoureusequeridicule.Unedosed’insécuritépourdeuxdosesdelubricitéalimentéeauxhormones.

Nos regards se croisèrent dans la pénombre. Il me suivit des yeux tandis quej’approchais,etjeralentis.L’expectativeaccéléralesbattementsdemoncœur,etdansmonesprittourbillonnèrentunmillierdepenséesincontrôlées.Maislaconvoitisequejelusdanssesyeuxmecoupalesouffle.

– Tu prends cette histoire de domination plutôt au sérieux, dit-il dans un murmuredangereusementbasetgrave.

–Tupréfèresquejeretournem’habillerdefaçonplus…sobre?ledéfiai-jeeninclinantlatête.

–Aucunrisque,rétorqua-t-ilentendantlamainversmoi.Vienslà.

Oh,j’enavaisenvie,maisunepetitevoixs’interposaetmedonnaducourage.

–C’estmoiquicommandecesoir,Blake.(Jeposaileboutdemacravachesurlebasdesontee-shirtetlerelevai.)Enlève-moiça.

Unsouriredémoniaquesedessinasurseslèvres.Ilseredressaetenlevalentementsontee-shirt.Illejetasurlesolavantdereprendresaposenonchalantesurlecanapé.

–Etjesuiscenséfairelegentilcommeçapendantneufmois?

Plusqu’unpeuenhardie,jem’avançaientresesgenoux.

–Êtretoutletempsauxcommandesestépuisant.Tuméritesunepause.

Ilhaussalessourcils,caressaparesseusementl’intérieurdemacuisse.

–Vraiment?

Jesursautaiquandledosdesamainserapprochadupetitboutdetissuquicouvraitmonsexe.Jemouillaisdéjà,et jepensaisàtoutes les façons incroyablesqu’ilauraitdemefaireréagirsi lesrôlesétaientinversés.J’espéraisqu’ilnes’enrendraitpascompte,maislalueurprédatricedanssesyeuxmontraitquepasundessignauxquemoncorpsémettaitneluiéchappait.Ils’aventuraplushaut,suivitl’ourletdemaculotte.

Je repoussai samain et parcourus de la cravache le contour de l’érection persistantequitendaitsonjean.

–Jecroisquelepantalonvadevoirdisparaîtreaussi.

Ilselevalentement,àquelquescentimètresdemoi.Ilbaissasonjean,découvrantsoncaleçon gonflé. Je me léchai les lèvres. Que ne ferais-je pas pour tomber à genoux et ledécorerdelacouleurdecerougeàlèvresridicule…Mesdoigtsbrûlaientdeletoucher,delecaresser.Jeferaisçaplustard.

Duboutdelacravache,jeparcourussonglandàtraverslecaleçon.

–Etçaaussi.

–Çameparaîtunpeuàsensunique,dit-ilenlebaissantavantdel’ôter.

–Commeçadoitl’être,répondis-je,leregardfixésursonmembre,commeaimanté.

Ilglissaundoigtsouslafinebandedemaculotte.

–Onpourraittoutdemêmesepasserd’elle.

–Onnetouchepas,ordonnai-jed’unevoixmoinsconfiantequejenel’auraisvoulu.

–Cen’estpasdrôle.

Ilgrimaçaetlarelâcha.

–Onnepeutpas faireconfianceà tesmains.Tupourras teservirdetabouche,maisseulementquandjeteledirai.

Sesyeuxseteintèrentd’undésirténébreux.

–Unjeuintéressant.

Jelerepoussaidanslecanapéetattendisuninstantavantdememettreàcalifourchonsursesgenoux.Sabitemassiveétaitdéjàtendue,plusqueprêtepourmoi.Jem’abaissaietlafrôlaidemonsexe.Unflotdedésirenvahitaussitôtmonclito,merendantfolled’envie.Simaculottebougeait, il serait immédiatementenmoi,et je savaisqu’iln’étaitpasnonplusopposéàl’idéedemel’arracher.Avantdemeconvaincrequec’étaittrèsbien,etmêmeuneéventualitésouhaitable,jereprislecontrôlesurmesdivagations.

Attrapantl’attachequimaintenaitlecorsetserrésurmesseins,jelalibérai.Mapoitrinesegonflacontrelecuir,créantunepressionquej’étaisimpatientederelâcher.J’avaisautantenviedelessortirquedesentirlabouchedeBlakesureux.

–Ouvrelabouche,dis-je.

Ilsourit.

–Seulementsituprometsdemettrequelquechosededélicieuxdedans.

–Tuparlestrop.

Jemerelevaiunpeusurlesgenouxettendislebordouvertducorset.Ilsepourléchalesbabinesavantdeprendrelabandedecuirbrillanteentresesdents.Ilmeregardaalors,et j’aurais pu jurer en cet instant que quelque chose dans ses yeuxme promettait que jepaieraispourçaplustard.Mapoitrinesesoulevaitaurythmedemarespirationsaccadée.J’étaiscomplètementdépassée.

–Tire.

Sansattendreunseulinstant,ilsecouapuissammentlatêteentoussens,libérantcinqattaches d’un coup. Soulagement et désir m’envahirent quand il se pencha en avant,léchantlapeaudouceentremesseins.Jesoupiraietrésistaiàl’enviedemebaisseretdemefrottercontresonérection.Noseffortsdevolontéàl’unetl’autren’ysurvivraientpas.

–Blake…arrête.

Au lieu de ça, il enfonça plus avant ses lèvres entre mes seins, lécha et picora. Jel’attrapai par les cheveux et le forçai à pencher la tête en arrière. Ses yeux se firent debraise.Sespoingsseserrèrentdesdeuxcôtésdesoncorps.

– On peut passer à la partie où je me sers de ma langue, ma belle… avant que jen’arrachececorsetdetoncorps?demanda-t-ilentresesdentsserrées.

Un peu trop aux anges à la vue de sa frustration grandissante, je le lâchai et libéraimesattachesuneparune,medénudantjusqu’àlataille.Sonattentions’yfixa.

Jesourisetlaissailevêtementtomber.

–Tupeuxutilisertalangue,mais…

Iln’attenditpasunesecondedepluspourprendrepossessiond’unmamelondansunpuissant baiser. Je gémis lorsqu’il engloutit le téton dans sa bouche, d’une ardenteaspiration.Lasensationmêlaitleplaisird’unenuancededouleur.

–Attention,Blake.Ilssontencoretendres.

– Désolé, souffla-t-il d’une voix rauque, se calmant juste un peu. Hum… Et gonflés,aussi.Jenevoyaisdéjàqu’euxdepuisl’autreboutdelapièce.

Ilpritlemamelondanssabouche.Salangueétaitcommeduvelourssurletétondurci.Iln’utilisapassesdents.Aulieudequoi,ilparsemamapeauautourdumamelondepetitssuçons, décorantma poitrine d’une douzaine de petitesmarques rosacées. Des éclairs deplaisirpurmeparcoururent.

J’enfonçaimesmainsdanssesbouclesbrunesplusdoucementqu’avant,leguidantversl’autre sein, qu’il couvrit des mêmes ferventes attentions. Le feu brûlait sous ma peaupartoutoùnousnous touchions, et partoutoù je voulais être touchée. J’étais trempée.Etchaude comme la braise. Je rejetai la tête en arrière, m’abandonnant à la sensationélectriquedesabouchequimetourmentaitmerveilleusement.

Savolontéavaitdûs’effondreraussivitequelamienne.Sesmainsquittèrentsesflancspour venir envelopper mes fesses, me serrant fort contre son érection. Je gémis, et meshanchesparurentsemettreenmouvementdeleurproprechef.Ilavançaversmonbassin,sesdoigtsmettantdenouveauàl’épreuvelarésistancedesfinsbordsnoirsdemaculotte.

– On ne touche pas, le morigénai-je gentiment, en attrapant son avant-bras pourimmobilisersamainbaladeuse.

–Maisc’estàmoi,grinça-t-ilencontournantlabarrièredemaculottepourenvahirmamoiteur.

–Ah!gémis-je.

Ilmassamonclito,traçadescerclesmagiquesautouravantdes’aventurerplusavant,ouvrantmachatteduboutdesdoigts.Jemetendissurlui,n’attendantqueça,nevoulantqueça…

Mais quelque extraordinaire que ce soit, une petite voix me rappela les règles quej’avais décidé d’appliquer. Je perdais déjà le contrôle que j’avais été si déterminée àconserver.

Sansréfléchir,jefisclaquerleboutdelacravachesurlehautdesapoitrine.Unéclaird’irritationremplaçalaconcupiscenceaveclaquelleilmeregardaitquelquessecondesplustôt.Sonhumeurparaissaitmaintenantaussisanguineque lapetite tracerougeque j’avaislaissée sur ses pectoraux. Je restai bouche bée, des excuses se formant sur mes lèvres,quand…

–Faitchier!s’exclama-t-ilenm’arrachantmaculottedesesdoigtsrecourbés.

Jesursautai.Unesecondeplustard,j’étaissurledos,lesjambesouvertesautourdesamasseinflexible.Sesmainsimmobilisèrentmespoignetscontremesflancs.

–Blake!protestai-jed’ungrondement.

Ilmeparcourutduregardduhautenbas, lesmâchoires serrées. Jemedébattis souslui, en pure perte. Il était aux commandes. J’étais comme quelqu’un qui voyait son armeretournée contre lui dans unmoment d’inattention ou de faiblesse.Mon cœur battit plusviteà l’idéede lacravacheutilisée surmoi,mebrûlant lapeau.Jen’étaispascertainedevouloirça.J’étaisaussisensiblequedévergondée.

Merde.Monplanétaitcomplètementtorpillé.PendantquejemedébattaiscontremonincapacitéàmaîtriserlestendancesdominatricesdeBlake,saboucherevintsurmapoitrine.Ilflattadoucementunseindelalangueavecplusderetenuequejen’enauraisattendu,vusonrécentchangementd’humeur. Ilpassaà l’autre,puissa languedescendit lentement lelong de mon ventre, plongeant brièvement dans mon nombril. Il prit le temps d’allerembrassermacicatrice,commeil le faisaitmaintenantchaquefoisqu’ilenavait l’occasion.Puis il se retrouva entre mes jambes, embrassant et titillant l’intérieur du haut de mescuisses,justeau-dessusdel’extrémitédesbas.

Jefermailesyeux.Oh!j’adoraisça…

J’exhalaidansunsoupir.

–Jevaistebaiseravecmabouche,Erica.Ettuvassoitmedireexactementcommenttuveuxquejelefasse,soitmesupplierdetefairejouircommejel’entends.

–Cen’étaitpasleplan,Blake.

–Tufaislesrègles.Jelesadaptejusteunpeu.

Il prit mon clito dans sa bouche, fit papillonner sa langue sans pitié sur ce nœudsensible.Ilsereculajusteassezpourexhaleruneboufféed’airfraissurmeschairsexcitées.

Unechaleurdelavem’envahit.Jemetendisetrésistaiàsonemprise.

–Dis-moicequetuveux,chef.

Jedécalaimonbassin,frustréemaisavide.

–Malédiction!

–Cen’estpasassezexplicite.J’attendsmesordres.

Jeredressailatêtejusteassezpourleregarderdanslesyeux.

–Pinailleur.

Il eut un sourire retors et déposa le plus léger des baisers sur une chair vibrant dubesoind’unepressionplusforte.

– Elle reviendra plus tard. Si on commençait par ce que tu veux que je fasse demalangue?

Jelaissairetombermatêteenarrièreensoufflant.

–Jenevaispassupplier.

– Si tu en as vraiment envie, il va au moins falloir que tu demandes. Parle, et maboucheseralàpourt’obéir.

Ilponctuasonaffirmationd’ungrandcoupdelanguesurtoutelalongueurdelafentedemachatte.

Jem’agitaidésespérémentetm’arquaipourmerapprocher,maisilserecula.

–Crois-moi,jebrûlevraimentd’enfoncermonvisagedanstadoucepetitechatte.Parle-moi,mabelle.

Putaindemerde.

–Lèche-moi.

–Hum,c’estunbondébut.

Puis il obéit, prenant mon intimité dans la chaleur de sa bouche experte. Le sangpulsait dans mes veines. Dans mes poignets, qu’il retenait. Dans mon ventre, où le désircroissaitethurlait.Mescuisses se resserrèrent sur lui, lapassions’exprimantdans tous lesendroits où nos peaux se touchaient. Sauf que ce n’était pas encore à lamesure demonbesoin.J’avançaileshanches,exprimantensilencequej’envoulaisplus.

–Vas-y,Blake,suppliai-je.

Jevenaisdelesupplier,là?Etmerde.

–Plusprécisément?

–Plusfort,dis-jeeninclinantlatêtesurlecôté.

Il augmenta la pression, m’amenant au bord de là où je voulais aller. Mais j’avaisbesoind’untoutpetitpeuplusencore.

–Blake!

–Tuaslevocabulaired’uneuniversitaire.Sers-t’en.

Ungémissementtorturéfranchitmeslèvres.

–Touche-moiavectesdoigts.

Il libéraunedemesmainspourpassersonpoucesurmonclito.Leplaisir futcommedumieldansmesveineslorsqu’ildoublasongesteavecsalangue.

–Àl’intérieur.Rentreàl’intérieur.

–Commeça?

Lebourdonnementde sa voix fit vibrermon sexe, comme il enfouissait profondémentdeuxdoigtsaumilieudemestissussensibles.

– Ahh ! criai-je enme cambrant sur samain, des étoiles apparaissant aux limites demonchampdevision.Enfonce-lesencore!ajoutai-jeenhaletant.

Il allaplusavant, encoreet encore,massant lespoints sensibles à l’intérieur.Dans lemêmetemps,ilcontinuaitdemedévorercommesij’étaissondernierrepas.Jecommençaiàtrembler demanière incontrôlable. Tendu et s’efforçant de l’agripper plus fort, toutmoncorpsenexigeaitplus.

–Oh!monDieu,oui,commeça!

L’échauffement des sens qu’ilme prodiguait avait fait place à un véritable assaut desensations.Pourcela,jeremerciaitoutcequiétaitsaintd’uncriquis’arrachaàmabouche.Je luttai contre sa retenue, mais il restait inflexible dans un choix qui ne pouvait quem’entraînerplushaut.

–Net’arrêtepas!

Jenepusdissimulerledésespoirdansmavoix,tandisqu’ilmefaisaitdécoller.

Puis je fus dans les airs. Des couleurs éclatantes dansaient derrière mes paupières.Chaquepenséeétaitconcentréesursafaçondemetoucher.Subjuguéepardessensations,je jouisdansunhurlementrauque.Tousmesmusclessetendirent,etmoncorpstressautasoussesattouchementsexperts.

Le souffle coupé, et encore tremblante de ce puissant orgasme, je m’efforçai dereprendremes esprits.Mais Blake ne bougea pas. Il continua deme lécher. Une série decoups de langue moelleux et adorateurs créa autant de petites ondes de choc qui meparcoururent.Demamainlibre,jepressaisonépaule,quémandantsilencieusementunpeuderépit.

Il leva la tête versmoi.Une lueur diabolique dans ses yeux accompagnait sa boucheluisante,preuvedel’affolantplaisirqueluiseulpouvaitm’offrir.

– Je pourrais te dévorer pendant des heures. Si je n’avais pas tellement envie de tebaiser,c’estprobablementcequejeferais.Maisjesuiségoïsteetjeveuxjouirdanstapetitechatteserréemaintenant.Çateplairait?

–Oui,soufflai-jeenmedemandantcommentj’avaisbienpumeretrouvermariéeàundieudusexeàlalangueaussibienpendue.

Ilmerelâcha,seglissaplushautsurmoncorpset le frottementdesapeaucontre lamiennemitànouveaulefeuàmesterminaisonsnerveuses.Toutesceshistoiresdelevouloirsousmoin’avaientétéquecalembredaine.Rienaumonden’étaitplusdivinquedelesentirpressé au-dessus de moi, son corps puissant m’écrasant par le haut ou par le bas,qu’importel’endroitoùilavaitdécidédemebaiser.

–Dis-moicommenttuveuxça.

Letimbregravedesarequêtemefittrembler.Jerejetailatêtesurlecôté,déglutisavecdifficulté.Impossiblederéfléchir.Jen’étaismêmepascertained’avoirenviederéfléchir.

–Parderrière?poursuivit-il.C’estplusprofond,situpeuxlesupporter.

Jeclignaidesyeux,envisageant lespossibilitésqui, toutes,promettaientdesorgasmestonitruants.

–…Outupréfèresmechevaucher,masavoureusepetitedominatrice?

Salanguecourutsurmapoitrine,maclavicule,monépaule.

Avec un soupir langoureux, je m’enfonçai dans le canapé telle la poupée de chiffondéfaitequej’étaisredevenue.Matêtevibraitencoredel’orgasmeexquisdanslequelilvenait

dem’entraîner.

Jel’entendisglousser.

–Bonsang,mabelle,tuabandonnesdéjà?Tum’asrendutoutchoseavectonattiraildedominatrice.

–Attendsunpeuquejeretrouvemondeuxièmesouffle,maugréai-jeenmeconcentrantsursonbeauvisage.

–Hum.Voyonssijepeuxteranimer.

Il se pencha et pritmabouche. Je sentismongoût dans ce baiser intimequi relançamesfrissons.Lorsqu’ils’écarta,mondésirbrumeuxsedissipaunpeuàlavueduspectaclequis’offraitàmoi.Jesouris,frottantsalèvreinférieuredemonpouce.

–Tuasleslèvrestoutesrouges.

– J’arriverai à survivre, répondit-il avecungrand sourire.Sauf si tumedemandesdesortircommeça…jen’aipaslegoûtdel’humiliationpublique.

Unpeuconfuse,jemerembrunis.

–Laissetomber,poursuivit-il, jedevraisarrêterdetedonnerdesidées.Maintenant,situasretrouvécesecondsoufflequetucherchais,tourne-toietlèvecejoliculbienhaut.

Intérieurement,jebronchaiàcetordre.Justeassezpourdire:

–Non.

Ilmedévisageauntemps.

–Jen’arrivepasàdéterminersituesunebonnedominatriceouunemauvaisesoumise.

–Mêmechose.

Ils’esclaffa,unbruitpleindegaietéquisemuaenhoquetquandjeprissabitedansmamain. Je la caressai jusqu’au gland puis jusqu’à la racine, prenant ses bourses de l’autremaintoutenpassantdoucementmesonglescontrelapeautendre.

Sesyeuxsefermèrent,sonvisagetendulaissantparaîtresavulnérabilité.

–J’aibesoind’êtreentoi,Erica.Maintenant.

–Jenevaistoutdemêmepasdevoirtoutt’expliquer…

Je remontaimamain serrée jusqu’enhaut, extrayantunepetiteperlehumidede sonmembre. Jepassaimonpouce sur la fenteet enportai legoûtàmes lèvresd’uncoupdelanguelangoureux.Legémissementraviquej’émisnefutpassimulé.Avoirsurlalanguelapreuvedesondésirm’inspiratoutessortesdenouvellesidéespourlenargueretletitiller.

–…Çagâcheraitmeseffets,conclus-je.

Sabouches’ouvritunemicroseconde.

–Cen’estvraimentpasrien,tusais…

Jemepourléchailesbabines,imaginantques’ytrouvaitlatendrecouronnedesabite.

–Quiseressembles’assemble.

–Tucontinuesdevouloirêtreau-dessus,madouce?

–Oh,jesuisbienlà,rétorquai-je,mesentantenpositiondeforce.

Sonérections’épaissitettressaillitdansmamain.Toutseraitallépourlemieuxs’iln’yavaiteudanssonregardcettelueurdangereusequifitsoudainbattremoncœurplusvite.

–Paspourlongtemps,lâcha-t-ild’unevoixrauque.

Sans crier gare, il attrapa mon poignet au vol et me retourna à plat ventre. Il meremontaunpeu,pourquemesépaulesreposentsurl’accoudoirducanapé.

Sesmolletsbordaient lesmiens, leurspoilschatouillantmapeau.Et, comme ilvenaitdemeledemander,monderrièreétaitrelevéetàsadispositionpourcequ’ilavaitprojeté.Il passa la paume de sa main sur la courbe de mes fesses et en serra une avant de luiadministreruneclaquerapide.

– J’ai envie de t’attacher des pieds à la tête et de te donner une bonne fessée pourm’avoirfaitcepetitnuméro.

Mapeau s’enfiévraquand je l’imaginaimettre samenaceàexécution. Jegémisetmefrottai contre lui. Maintenant que j’avais été privée de mon pouvoir, je n’aurais pas étécontreunepetitedosedeçaaussi.Aprèstout,j’avaisétéuneméchantefille.

Ilpressasoncorpscontrelemien,portaseslèvresàmoncou.

–Maisjeneleferaipas.Jemecontenteraideteregardertedécomposersousmoi.

Son souffle chaud me fit violemment frissonner. Des paroles en l’air, me dis-jevaguement.Puistoutsecontractaquandjesentissesdoigtspuissonmembres’enfoncerenmoi.Ilfutdélicat,maisallanéanmoinsauplusprofondenquelquessecondes.

Leplaisirmecisaillacommeunelameaffûtée.

–Oh!merde…

Ilmesaisitfermement,seretiraets’enfonçadenouveau.

–J’aiàpeinecommencé.

Sur ces mots, il se mit à me baiser, à me pilonner coup après coup. J’enfonçai mesonglesdanslatoileducanapé,ballottéeparlatempêtequienflaitenmoi.

Il n’y avait plus rien de dominant dans ma position maintenant. J’étais offerte,maintenue par son emprise, enfermée dans la concupiscence qui unissait ainsi nos corps.Chaquecelluleavaitplusdevie.Chaqueterminaisonnerveusedemandaittoujoursplusdecettedélicieusestimulation.

Mescuissesétaientserrées.Jefrottaismespiedsdansleursbasdesoiel’unsurl’autre.Mesorteilsétaientélectriséset recourbés.Jenepouvaisplus rien faire, sinonaccueillir sescoupsdeboutoir.

Etplusilendonnait,plusj’envoulais.

–MonDieu,c’esttellementbon!

–Tachatteestincroyable.

Son emprise sur mes hanches se resserra, et il pompa plus vite. J’étais au bord dugouffre,prêteàm’envolerversleseptièmeciel,quandilseretirasoudain.Ilmeremitsurledos.Jehaletaisettremblaisdedésir.

–Blake!

Sic’étaitunnouveaujeupourmefairepleurerdefrustration,ilallaityarriver…

Sabouches’écrasantsurlamiennemitfinàcettecrainte.Jem’ouvrisàlui,désirantsongoûtsurmalangueautantquejedésiraisrespirer.Ilsecalaentremescuisses,passaunedemes jambesautourdesahancheetnousunitdenouveau.Jegémisdesoulagementetdeplaisir.

Quandjecroisaisonregard,mapoitrineseserra.

–Jeveuxvoirtesyeuxquandtujouiras,chuchota-t-il.

Ça recommençait. Il m’avait menée de la gaieté à la concupiscence, à une intimitéfascinantequiélevaittoutàunautreniveau.Ilsavaitallerau-delàdemoncorpsettouchermoncœur.Lafièvrecharnellequis’emparademoin’enfutquepluspuissante.

Jerivaimaboucheà lasienneetons’embrassaàs’encouper lesouffle.Chaquecoupde reins proclamait la passion. Chaque agrippement possessif était une promesse. Desvaguesderavissementdéferlèrentsurmoil’uneaprèsl’autre,jusqu’àcequej’enrestetoutetremblante.

Lesmusclesdesesépaulessebandèrentsousmesdoigts.Ilsedéploya,allamefrapperplusprofondémentencore.Unorgasmequimesemblaitimpossibleaprèslasériequ’ilvenaitdemedonnervintmefracasser.

Ses hanches battirent contre moi, et mon nom s’échappa de ses lèvres dans un crirauque.Soncorpsvibraettressautatandisqu’ilm’emplissait.

S’effondrantsurmoi,sabouchesurmonépaule,ils’efforçadereprendresonsouffle.

–Bonsang…souffla-t-il.

–Oui,futlaseulechosequejepusarticuler.

Jemecoulaisautourde lui,medélectantde soncontact.Mêmeaprèsavoirétéaussiintimementliéeàlui,jenevoulaispasm’éloignerdesoncorps.

Il se hissa sur ses coudes, encore pantelant. Avec son sourire satisfait, il était l’imagemêmedelasatiété.Del’épuisement.Delabeauté.Etpeut-êtreunpeutropcontentdelui,aussi.Jepassaiundoigtsurseslèvresentrouvertes.

–Neprendpascetairfat.

Ilhaussalessourcilsd’unairamusé.

–Fat?

–Ondiraitquetuviensderameneruntrophéeàlamaison.

Ilrit,etjemeretinsdesourire.

– C’est bien le cas. Tes orgasmes sont comme des trophées, et j’essaie d’en collecterautantquejepeux.

J’ouvrisdegrandsyeux.QuelquespointsdepluspourBlake.

Il fitcourir samainsurmontorse,descenditet remonta le longdemacuisse,puis fitclaquerlajarretièreenhautdemonbas.

–Jelesadore.Maissituremetscecorset,jenerépondsplusdemesactes.

Jerepoussaisesmainssursapoitrine.

–Tuesunmauvaissoumis.

Ilmepritdanssesbras,meserracontrelui.

–Oui,maisenfait,toiaussi.

Je ne réussis pas à faire la grimace. Plus qu’un peu déçue de voir ma tentative dedominationêtrealléeàcepointàvau-l’eau,maisindéniablementsatisfaitedurésultat.

–Tun’espasauxcommandes,tusais.

Au lieu d’une répartie sarcastique, Blakeme regarda en silence, écartant unemèchehumidedemonfront.

–Jesais,maugréa-t-il.Ilyaquelquechosedebienplusimportantquetoioumoiaux

commandes,maintenant.

Ilpritmonmentondanssamain,meregardadanslesyeux.Puisiltouchadoucementmonventre.Samains’ydéployaenunelégèrecaresse.

–Notrebébé.Monamourfoupourtoi.Toutcequejeressensmaintenantetquejenepourraispascontrôler,mêmesijelevoulais.

Je fermai les yeux, couvrant sa main de la mienne. Mon cœur battit plus fort de lavisionquis’imposaàmoi.Monventren’étaitplusplat,maispleinetarrondiparnotrebébé.Despetits coupsdepied sousnosmains, l’attentedansnos cœurs. Je voulais çaplus quetout.

Etilavaitraison.Rienn’étaitplusimportant.

Chapitrequatorze

BLAKE

Onvenaitdepasserunweek-endintenseàseréconcilieretrenouernosliensaprèsuneséparationquinousavaitsecouéstouslesdeux.Maislelundiaprès-midivintvite.Jen’étaispas du genre nerveux mais, assis dans la salle d’attente du docteur Henneman, je mesentaisunpeucommeunpoissonhorsdel’eau.

Samaindans lamienne, j’attendaisàcôtéd’Ericaqu’onappellenotrenom.Jen’étaispasungrandadeptede lapatience,mais lavoirparcourir sanscesse lasalled’attentedesesyeuxécarquillésvalaitbiença.Unejeunemèreassiseenfacedenousportaitunerobede grossesse tendue par son ventre. Son poids limitant ses mouvements, elle s’efforçaitd’empêcher son fils d’étaler tous lesmagazines par terre. Elle le gronda gentiment, nousadressantunsourired’excusequandilsemitàcrier.

Jen’arrivaistoujourspasàm’yfaire.J’avaissouventvudesfemmesenceintesautourdemoi–j’avaismêmeparfoisétéleuremployeur.Maiscen’étaitjamaisassociéàquelquechoseque je pourrais vivre en tant que père, en tant quemari. Pourtant j’étais là, et si tout sepassait bien, on allait bientôt vivre ça aussi, empêcher un petit enfant d’attraper tout cequ’onpossédait.

J’étaisimpuissantàcontrôlerlecoursdeschoses,maissecrètementdéterminéàremuerciel et terre pour qu’Erica ait une grossesse sans nuages en faveur de l’enfant que nousdésirionsmaintenant tous les deux avec ferveur. J’allais être là pour la soutenir à chaqueinstant.Lesmoisdegrossesse.Lesnauséesmatinales,lesdésagréments.L’accouchement…

Avantquemespenséesnerepartentpouruntour,onappelasonnom.Jemelevaietla suivis dans la salle d’examen toute blanche, où l’infirmière mesura ses constantes.Quelquesminutesplustard,lagynécologuenousrejoignit.C’étaitunejoliefemmeminceetgrande,avecdescheveuxblancscoupésàlagarçonne.

–Erica?

Ericaserralamaintenduedepuislatabled’examensurlaquelleelleétaitassise.

–Oui,etvoicimonmari,Blake.

–Raviedevousrencontrer,Blake.Félicitations.Vousdevezêtreenchantés.

Elle sourit chaleureusement, mais l’angoisse me nouait les tripes. J’acquiesçairapidement,mâchoires serrées.Tousmes fantasmes sur laviede familleàvenirpassèrentausecondplandèsquejepensaiauxrisques,auxdangersetàlapossibilitébienréellequeces rêves soient balayés par la femme qui se tenait devantmoi. Erica était bien enceinte.

Mais qu’elle puisse aller jusqu’à terme était une autre histoire et, même si je n’en avaisjamaisparlé,sesinquiétudesnefaisaientquerefléterlesmiennes.

Monimpuissancefaceàcetteviesuspenduedanslabalancememitmalàl’aise.

–Jenesaispassivousavezeul’occasiondelireledossierd’Erica,commençai-je.

Lagynécologues’assitsursontabouretetmedévisagea.

–Oui,enfait.Ilm’aétéfaxécematin.

–Alorsvousêtesinforméedesblessuresqu’elleasubies.

–Oui.

Son air enjoué s’atténua un peu. Son attention alla vers Erica, qui affichait lamêmeexpressionqu’elle.

–J’imaginequecequevousavezvécuaététraumatisant.Jevaisêtrehonnête,jesuisplutôtsurprisequevousayezréussiàconcevoiraussivite.

–Nousl’avonsétéaussi,répondit-elled’unevoixcalme.

–Maisnousyvoici,etl’expressiondudocteurHennemans’éclaira.Etjepeuxvousdireque les résultats des analyses semblent excellents. Vos taux d’hormones sont tout à faitnormaux,alorsmonidéepouraujourd’huiestdevousfairepasseruneéchographie,etnousdevrionspouvoirvousdonnerunedated’accouchement.

Avantque j’aie le tempsdemitrailler lagynécodequestions,elle fitétendre la futuremèresur la tabled’examen.Ellebaissa les lumières,etdeuxminutesplus tard l’écrangrisde l’échographe prit vie. Je tins lamain d’Erica, partageant la situation de tous ceux quiviventçapourlapremièrefoisetn’ontpaslamoindreidéedecequilesattend.Lesmaths,la science, la technologie avaient toujours été à ma portée ; mais il n’y avait rien detechniquedanslepetitorbesurl’écranetleminusculescintillementensoncentre.

–Voilàvotrebébé,ditlagynécoenindiquantl’ovaleflou.

Lamaind’Ericaserralamienne.Jelaportaiàmeslèvresetl’embrassaisansdétournerleregardde l’écran.Untorrentd’émotionsétrangesm’envahit,des impressions inconnues,nonrépertoriées.Jesavaisseulementquetoutallaitchanger.Sousnosyeux,lemondeavaitpris un sens nouveau. La gynéco poursuivit son examen, se concentrant sur les petitsbattementsdecœur.Monproprecœurs’emballaquandellenouslesfitentendre.

Après quelques impitoyables minutes de plus, elle nous annonça la date del’accouchement,débutjuillet.Ericaétaitenceintedeseptsemaines,cequiramenaitladatedeconceptionànotrenuitdenoces.

Wouah!Jesourisetmetapotaimentalementledos.Maisjeneparvenaistoujourspasàmelibérerdemesinquiétudes.

Lagynécoimprimaquelquesimagesdel’échographie,etmelestenditpendantqu’Ericas’essuyaitleventre.

–C’esttout?

J’hésitai,nesachantparlaquelledelacentainedequestionsquitourbillonnaientdansmatêtecommencer,toutesconcernantlasantéd’Erica.

Lagynécosouritchaleureusement.

–Pourl’instant,oui.Toutmesembleallerbien.

–Vousêtesoptimiste.

Elles’esclaffa.

–Vouspréféreriezquecenesoitpaslecas?

– Jepréfère le réalismeà tout le reste.Cequi est arrivéàErica était très sérieux.Çanouspèse,depuis.

Sonsouriresefitcompatissant.

– Je comprends, plus que vous ne pourriez le croire. Jeme suis spécialisée dans lesgrossesses à risque, alors je rencontre beaucoup de parents qui s’attendent au pire. Vosinquiétudessontcompréhensibles,maisEricaestenpleinesantéetj’aibonespoir.

Jepassailepoucesurleborddel’image.J’avaisenviedelacroire.J’enavaisvraimentenvie.

–Vousavezdéjàtraitédescascomparables?

Ellehochalatête.

– J’ai traité des couples confrontés à des probabilités extrêmement défavorables entermesdeconception.J’enaivucertainsréussir,d’autresnon.Vousavezdelachance.

–Commentquantifieriez-vousseschancesd’avoirunegrossessenormale?

UnregardversErica,etj’eusenviedemeflageller,auvudel’appréhensionquejelusdanssesyeux.

Je ramenaimonattentionvers lagynéco,dont l’expressionn’étaitplus compatissantemaissérieuse.

–Pourl’instant,jediraiscentpourcent,tantquejen’aipasvudesujetd’inquiétude.

Aufonddemoi,latensionserelâcha.Lagynécoinclinalatête.

– Gardez confiance, Blake. Ne gâchez pas cet instant très particulier par desinquiétudes. Tout est parfait jusqu’ici. Revenez me voir dans un mois, et j’espère que jepourraivousrassurerdenouveau.Nous feronscela tous lesmois,etvers la fin, toutes lesquinzaines.Et jeseraitoujours làpourrépondreàvosquestionsetapaiser lescraintesquipourraientnaître.

Je soufflai et regardai Erica, qui semblait partager mon soulagement. J’aurais dûm’imposeruneexpressionplusconfiante,poursonbien;maisseulslesmédecinsavaientlesréponsesànosquestions,etEricaétaitlapatiente.Ç’avaitétél’occasiond’obtenirdevraiesréponses,parcequelesrecherchessurInternetàceproposm’horrifient.Danscecasprécis,l’accèsàlatechnologien’étaitpasuncadeau.

–Etlesexeneposepasdeproblème,aucasoùvousauriezétéinquiet.

Je me rembrunis. Cette femme n’avait aucune idée de la façon dont je baisais, et jen’allaispasluidonnerdesdétails.

–Aucunproblème,conclut-elleavecunclind’œil.

Onseleva,etelleaidaEricaàdescendredelatable.

–Vousdisposezd’unfuturpèretrèsprotecteur,Erica.

Ericaouvritdegrandsyeuxetsourit.

–Croyez-moi,jesuisaucourant.

*

ERICA

Onprit lecheminduretour.Lesfeuillesmortestourbillonnaientdans lesbourrasquesets’éparpillaientsurlespelouses,mornesd’avoirperduleurvertestivaléclatant.Lanaturemourait,maisjeportaislavie,unepromesseténueetfragile.

Jen’avaispas tropsuceque jepouvaisattendredece rendez-vousmaisn’auraispaspuêtreplusheureuse.J’avaisenviedecrierlanouvellesurtouslestoits,mêmesijesavaisqu’ilvalaitmieuxattendreencoreunpeu.Jen’arrivaispasàcroireànotrechance.

–Toutvabien?

Blakepritmamainetlatintsursesgenoux.Jecroisaisonregardetsouris.

–Oui.Jesuistoutsimplementheureuse.

–Bien,dit-il,etsursonvisagel’inquiétudelaisselaplaceàunamourdébordantquejeressentaisdemoncœurjusqu’auboutdesongles.Désolésijet’aiunpeufaitblêmir,là-bas.

–Pasdeproblème.Tuasposépasmaldequestionsquej’avaisentête.C’estdurquandonal’impressiondenepascomprendrecedontsonproprecorpsestcapable.

–Sitoitunecomprendspas,moijesuiscomplètementdanslenoir.

Jeris.Encequiconcernaitlagrossesse,aumoins,jesupposaisquec’étaitvrai.Au-delàdeça,ilsemblaitnesavoirquetropbiencedontmoncorpsétaitcapable.Jerougisunpeuàcetteévocation.

Bonjour,leshormones.Aussitôt,j’eusenvied’êtreàlamaison.Jevoulaisêtredanssesbras.Jevoulaisfairelafêteetmedélecterdelabonnenouvelle,encoreetencore.

LasonneriedutéléphonedeBlake,transféréesurletableaudeborddelaTesla,vintbrisermesrêveries.L’identificationdel’appelantaffichaRémy.Blakefronçalessourcils.

–Tuvasrépondre?

–Pasmaintenant.Jelerappelleraiplustard,s’empressa-t-ildedire.

Illâchamamainpourmettrefinàl’appel.

–Parle-luimaintenant.

Avantqu’ilaiteuletempsdem’arrêter,j’acceptail’appeldepuislaconsole.

Ilme lançaunregard intense tandisque l’accentdeRémyse faisaitentendredans lavoiture.

–Blake,bonjour.Vousavezuneminute?

–J’aiexactementuneminute.Quevoulez-vous?

LatensiondanslavoixdeBlakeétaitindéniable.

–C’estausujetdeSophia.

Unnœudcommençaàseformerdansmonestomac,chargéd’inquiétudeetderegret.J’avaisvouluconnaîtrelaraisondel’appeldeRémy,maisjen’enavaissoudainplusenvie.Jenevoulaisdesaprésenceautourdenousenaucunemanière.

LatensioncrûtenBlakeégalement,commel’indiquaitlacontractiondesamâchoire.

–Qu’est-cequ’ilya?

–Elleaétéblessée.

Blake,sonattentionrestantconcentréesurlaroute,demandaposément.

–Ques’est-ilpassé?

–Çaaeu lieuau club.Unclient,plutôtnouveau. Je supposequ’on l’a tous lesdeuxsous-estimé, tant elle que moi. Mais vous savez comment elle est. Elle… (Il s’éclaircit la

gorge.) Vous connaissez ses exigences. Elle l’a défié, et il a mordu à l’hameçon.Malheureusement,ilestallétroploin.

–Putaindemerde.Onauraitdûleprévoir.Ellevabien?

–Elleestàl’hôpital.

Jefisminederegarderailleurs,commesijepouvaisluidonnerunpeud’intimité.Maistout en faisant aumoins semblant, je visdu coinde l’œil que lesmainsdeBlake s’étaientcrispéessurlevolant.

–Vousdevriezallerlavoir.Ellelevoudrait.Personnenevacomprendre.Vousêtesleseulprochequ’elleait,ditRémy,unenoteimplorantedanslavoix.

Jehurlaimentalementunelonguesériedeprotestationsimpitoyables.Peut-êtrequecen’étaitpasl’undesesplanssinistresélaboréspourleurrerBlakeetleramenerdanssavie,mais c’était bien ce qu’elle devait espérer à partir de là. Je la connaissais assez bienpoursavoirça.

–Iln’yapasquemoi.Appelezsesparents.

–Ilsnecomprendrontpas,Blake,répondit-ild’unevoixplusbasse.Vouslesavezbien.

–Alorspeut-êtrequ’ilesttempsqu’elleleurenparle.Jen’étaispascequ’ellevoulaitàl’époque, et aujourd’hui je ne suis pas ce dont elle a besoin. Aller la voirmaintenant, cen’est pas la réponse. C’est une fichue masochiste de compétition, et vous le savez. Vousl’avezlaisséeseuleavecunputaindecinglé,Rémy.

– Jeneniepasavoirmanquéà toutesmesobligations,maisne la laissezpas tombervousaussi.

Blakeprituneinspirationetparlad’unevoixplacide.

–Laréponseestnon.Appelezsesparents.

–Jeneconnaispas…

–Jesuisauvolant,pourl’instant.Jevousenvoieuntextoavecleurscoordonnéesdèsmonarrivée.

Blakemit fin à l’appel sans unmot de plus.Une sensation aigre s’insinua enmoi ausouvenir que Blake l’avait aimée autrefois. Peut-être que ça ne pouvait être comparé ausentimentquinousunissaitmaintenant,maiscen’enétaitpasmoinsdouloureux.

–Jesuisdésolé,mabelle.

Jeregardaiparlafenêtre,enquêtedubonheurquejeressentaisavantcetappel.

–Tun’aspasàêtredésolé.

– Elle te contrarie, et j’avais juré que je ne la laisserais plus jamais te faire ça. Etprécisémentaujourd’hui.C’estbienlemoment…Bonsang!jesuisdésolé.

–Çava,mentis-je.

Je n’avais plus laissé Sophia m’empoisonner la vie depuis des mois, mais elle avaitquandmêmefiniparréapparaîtredansnotremonde,exprèsoupas.Jememorigénaipourm’être laissé affecter, pour avoir maudit une femme assez gravement blessée pour êtrehospitalisée. Par égard pour Blake, je m’efforçai d’avoir un peu de compassion. Mais jen’imaginaispascequiavaitpusepasser.Entre lesmursduclub,où lespratiques lesplusdépravéesdevenaientacceptables,voirecourantes,lespossibilitésnemanquaientpas.

–Queluiest-ilarrivé,àtonavis?demandai-je.

–N’enparlonspas,d’accord?

–Tucroisqu’elleestgravementblessée?

Sesépaulesretombèrent.

–C’esttoutàfaitpossible.Sicetypel’abattueassezfortpourqu’ellefinisseàl’hôpital,ce n’est probablement pas bon signe. Les choses qu’on fait, toi et moi… ce n’est rien,comparéàcequisepasseauclub,Erica.Lesseuilsacceptablesentermesdedouleuretdecomportement sont vraiment bien plus élevés. Pour que quelqu’un dépasse les limites, lablesse…

–Peut-êtrequetudevraisallerlavoir,meforçai-jeàdire.

Maispeut-êtreavait-elleplusbesoindeBlakequejel’imaginais.Ilentradansl’allée,segaraetsetournaversmoi.

–Non.

Lesoulagementetuninexplicablebesoind’empathies’affrontèrentenmoi.

–Cen’estpasunproblème,Blake.JenevaispastecachercombienjemépriseSophia,maistul’asaiméeautrefois.C’estunesituationbienparticulière,etjecomprendrais.

Ilhaussalessourcils.

–Maisjen’enaipasenvie.

–Situcroisquetuledevrais…

–Tu esma priorité. Tu es toutema vie. Toi et notre bébé, et la protection de notreavenirsontlesseuleschosesquimepréoccupentmaintenant.LesproblèmesdeSophiasontbien plus profonds que tout ce que je pourrais jamais arranger. C’est pour ça que je l’aiquittée,etsielleveutavoirunechanced’allermieux,elledoit lesaffronter.Queje lavoie

maintenantnel’aideraitenrienàlongterme.Maislemomentestpeut-êtrevenupourelledeparleràsafamille.

–Etsiellenelefaitpas?

Ilhésita.

–Rémyseralàpourelle.

–Commentlesais-tu?

Ils’enfonçadanssonsiège.

–Parcequ’ilestamoureuxd’elle.

Amoureux?MêmesimeséchangesavecRémyn’avaientduréquequelquesminutes,ilm’avaitfaitunecertaineimpression.LepropriétaireduclubérotiquequeBlakefréquentaitautrefois était aussi intense qu’intimidant. Il était également bel homme et charismatique,d’une façon que je n’aurais pas su décrire. Sophia avait fréquenté ce club autrefois avecBlake,mais l’associer àRémymeparaissait étrange.C’était undominant, sans lemoindredoute, peut-être à l’égal de Blake ou plus encore.Mais je ne pouvais pas imaginer Blakepartageantunefemme,mêmeaussivilequeSophia,avecquiquecesoit.

–Comment…situétaisavecSophia?

– Ilaétéhonnêteavecmoiquantà sonattirancepourelle.Quelquechoseenelle lefascinait. Il voulait la partager, aumoinsphysiquement.Disons simplement que je ne suispaspartageur.J’ai refusé,et iln’enaplus reparlé.Ànotreséparation, je luiaidonnémabénédiction.

–Ilssontsortisensemble?

Blakeserralesmachoires.

–Quelquesmoisplustard.Sophias’estbienassuréedemelefairesavoir.Unedernièretentativepourexcitermajalousieetmerécupérer,jesuppose.Maispourcequej’ensais,cen’estjamaisallébeaucoupplusloinentreeux.

–Parcequ’elletevoulaitencore?

–Jesupposequ’onpeutdirequ’ilsn’étaientpascompatibles.

–Maisc’estundominant.

–Lesdominantsnesontpas tous lesmêmes,commetupeux levoiravecceluiqui l’aenvoyée à l’hôpital. Disons simplement que sur l’échelle de l’intensité, les inclinations deRémy sont plus proches des miennes. De toute façon, ça n’a aucune importance. Je suisdésoléqu’ellesoitblessée,sincèrement,maisjerefusedelalaissernousvoleruneminutedeplusdenotretemps.

Jeprissamainetlatinsdanslamienne.Jeparcourusduboutdudoigtleslignesdesapaume.J’étais ravieet reconnaissantequ’il levivedecette façon.Quequoiqu’iladvienne,notreavenirluiimportaitplusquelafemmequiavaittoutfaitpournousséparer.Jel’auraisaiméetcomprismêmedanslecascontraire,maissaferveuretsaloyautémetouchaientauplusprofond.

–Merci,murmurai-je.

–Jelepensevraiment,dit-ildoucement.

Il relevamonmentonpourplongersesyeuxchaleureuxdansmonregard.Sonvisages’était détendu. L’amour avait remplacé l’inquiétude et lemalaise qui avaient gâchénotremomentdebonheur.

– Je le sais, et je t’en suis reconnaissante. Je veux que tu saches que si tu changesd’avis…

–Çan’arriverapas.

Jemecontentaidehocherlatête,percevantquelquechosededéfinitifdanssamanièredeparler.

– Tu es une personne bienmeilleure quemoi, Erica. Je ne sais pas si je pourrais telaisservoirunautrehommequiauraitemportétoncœur.

J’entrelaçainosdoigts.

–Tuesleseulhommequiaitjamaisemportémoncœur,Blake.

–Dieuensoitremercié,dit-ilenm’embrassant.Viens.Rentrons.

Chapitrequinze

BLAKE

Erican’étaitpasalléetravaillerlelundiàcausedesonrendez-vous,etlajournées’étaitterminéeaulit.Justeelleetmoientrelesdraps.

Je n’étais jamais rassasié de son corps, et c’était réciproque, bien sûr. Mais Ericachangeait.Elle était à la foisplus fougueuseetplus sensible.Plus réactiveetplus tendre.Physiquement,c’étaitcommeladécouvrirdenouveau.Ilyavaitquelquechosedemagiqueetdeterrifiantdanstoutça,maisjenemeseraislancédanscegrandhuitémotionnelavecpersonned’autre.

Jeme réveillais aumatin fasciné par la femme étendue auprès demoi. Ses cheveuxblondscouvraientl’oreiller.Seslèvresétaiententrouvertes,danssonprofondsommeil.

J’avaiscouchéavecbeaucoupd’autresfemmes,maisl’ensembledesnuitsdedébauchepassées à La Perle ne pouvait se mesurer à une seule des nuits avec Erica. Personne nem’avaitjamaisfaitchavirerlecœurainsi.Personne.

Mes pensées vagabondèrent vers Sophia, la seule avec laquelle j’avais cru connaîtrel’amour. J’étais étendu sur le dos, m’efforçant d’ignorer les images de l’hôpital que monespritfaisaitnaître.Elleétaitblessée.Àquelpoint, jen’enavaispasidée.J’auraisvoululesavoir, etdans lemême temps jene le voulaispas. Je l’avais complètement excluedemavie,maismaconsciencerevenaitàlacharge.Cematin,maconscienceparlaitd’unevoixunpeutropprochede lasienne,pourmerappelerde façon insistantequ’elleavaitbesoindemoi.

Sophias’étaitbiensouventtrouvéesurlefildurasoir,encequiconcernaitsonmodedevie.Etj’enavaissouventfaitdemêmeavecelle,avecd’autres.Maisjen’avaisjamaisbatailléautant à ce sujet qu’avec Erica. Quand j’avais réalisé, au tout début de notre relation,qu’elleavaiteuunpassésexuelviolent,j’avaisdécidédemettredecôtétoutcequipouvaitlui rappelerces terribles souvenirs. Jen’étaispascertaind’yparvenir,maisde toute façonEricanem’avaitpasdonnéunechanced’essayer.Ellen’avaitjamaisremisenquestionmesdésirslesplusvilsentermesdesexe.Mêmeceweek-end,sadeuxièmetentativeavortéededomination avait été une autre preuve de son ouverture d’esprit. La battante en ellesemblait vouloir tester ses limites et aller au-delà, quand je voulais parfois qu’elle le fasseavecplusdeprécautions,poursonproprebien.Etpourlemien.

Maischaque fois,d’une façonoud’uneautre,nous trouvionsnotreplaisir.Nousnoustrouvionsl’unl’autre.

Rien d’aussi profond ne s’était jamais matérialisé avec mon ex. Mes appétits dedominants’étaientfacilementadaptésaugoûtdelasoumissiondeSophia,maisj’avaisviteréalisé que ses besoins allaient bien au-delà. Elle recherchait la douleur – du genre quilaissaitdesmarquespendantdesjours,dugenrequimenaçaitdelaisserdescicatrices.

Simes désirs étaient devenus plus sombres, c’est parce qu’ils avaient été inspirés parquelquechosedebienplusnoirencoreenelle.Malgrétoutessessupplicationspourquejerevienne, Sophia n’avait pas besoin d’un maître. Elle avait besoin d’un monstre, et je nepouvaispasenêtreunpourelle.

Jen’étaissortidemesgondsqu’unefois.J’étaisrentréàNewYorkparunvoldenuitdepuis laCôteOuest,épuiséetprêtà larejoindre.Aulieudequoi je l’avais trouvéeau litavecHeath, dans les vapes et à demi nue. Je n’avais pas pris la peine de demander s’ilsavaient baisé. Une demi-douzaine d’autres inconnus dans le même état post-orgiaqueencombraientl’appartement.J’avaismisHeathettoutcepetitmondedehors.

Quand j’étaisallé la retrouverdans la chambre,passantpar toutes lesnuancesde lafureur, elle n’avait même pas cillé. Ses yeux luisaient de satisfaction, comme si elle avaitorchestré toute cette histoire pour attiserma jalousie et dévoiler un aspect demoi que jeregretteraitoujours.Riendanslapunitionquejeluiinfligeaiauceinturonnemeréconforta,pourtant.Commetoujours,elleavaitexigéd’allerencoreplusloin,quandelleenavaitdéjàencaissé plus que je ne pouvais en assumer. Elle voulut ensuite que je la baise, que jereprennepossessiondecequim’appartenait.Maisellen’étaitplusàmoi.Quelquechoseenmoilesavait:quecequej’avaispuposséderd’elleavaitétésouillé.Etleveravaittoujoursétédanslefruit.

Malgrétoutcequ’elleauraitvoulufairecroireànotreentourage,jen’avaisplusjamaiscouché avec elle. Ç’aurait été dangereux, émotionnellement et physiquement. De fait,Sophia ne m’avait jamais réellement laissé le contrôle. Quelque part au fond de moi jel’avaistoujourssu,mêmesil’obsédéducontrôlequej’étaisavaitrefusédel’admettre.

Peut-être avait-elle besoin demoi maintenant, mais il n’était plus question que je lalaissem’envahirl’esprit.Etjen’allaiscertainementpaslalaisserpénétrerdansuncercledemaviepartagéparErica.C’étaitfini.

Erica s’étira, et je me tournai pour admirer son corps encore endormi. Sophiaappartenait au passé. À un passé si lointain qu’un seul regard sur Erica la rendaitquasimentinvisibleàmesyeux.

Toute impression de vide s’évanouit devant la plénitude que m’inspirait sa vue. Elleétaitrentrée.Ensemble,onnefaisaitqu’un.

Préférant la laisser se reposer, je descendis au rez-de-chaussée lui préparer un petitdéjeuner léger.Elle avaitpeud’appétit lematin,mais avoir quelque chosedans l’estomac

semblait atténuer les nausées qui survenaient dans la journée. Dieu merci, ces nauséesétaientirrégulières,sansquoijenel’auraisjamaislâchée.D’unautrecôté,cen’étaitqueledébut.Jen’avaisaucuneidéedeceàquoij’allaisdevoirm’attendredansleshuitprochainsmois. Je pris mentalement note d’aller dans une librairie cette semaine-là, pour merenseignersurcequejenesavaispasetquirisquaitd’êtremonumental.

On frappabruyammentà laporte, brisant laquiétudematinale.Mesparents avaienttenuleurpromessedene jamaispasserà l’improviste,mais jem’attendaistoutdemêmeàvoirmamèredel’autrecôtédelaportechaquefoisquejel’ouvrais.

Aulieudequoijemeretrouvaifaceàl’agentEvansetaudétectiveCarmody.

–Qu’est-cequevousfaiteslà?

Carmodymetoisarapidement.

–Vousferiezmieuxd’allervoushabiller.

–Donnez-moiuneseuleraison.

La mâchoire d’Evans se crispa. Les yeux de Carmody le trahirent, et d’une certainefaçonjepusentendretoutcequ’ilsnedisaientpas,claircommedel’eauderoche.

–Donnez-moiuneminute,repris-je.

Sansunmotdeplus,jeremontaiàl’étage.Ericaétaitencoreendormie,etj’hésitaiàlaréveiller.Non.Ellen’avaitpasbesoindevoirça.

J’enfilaiquelquesvêtements.Alorsquej’allaisrepartir,elles’assit.

–Coucou.

Ilyavaitquelquechosededouxetdefatiguédanssonexpression.Sescheveuxétaientadorablementébouriffés.

–Coucou,mabelle.Nebougepas,d’accord?Evansestenbas.Jesuissûrquecen’estrien.Prendstontempspourtepréparer.

Elleserembrunit,toutetorpeurdisparuedesonvisage.

*

ERICA

Ignorantcequ’avaitditBlake,jemeglissaidansmarobeetlesuivisenbas,piedsnus.Il jura tout le long de l’escalier. À mon adresse ou à celle d’Evans, je n’en sus rien. Jen’arrivaispasàréfléchir.J’avaisencoredusommeilpleinlesyeux,etleFBIetlapoliceàlaporte.

Evansétaitdanslesalon,Carmodyàquelquespasdelui.Levisaged’Evansaffichaitunsourire plein de satisfaction qui me retourna l’estomac. Quelque chose n’allait pas, jepouvaislesentir.

–Quesepasse-t-il?demandai-je.

Carmodysortitunepairedemenottesetavançad’unpasversBlake.

–BlakeLandon,jevousarrête.Vousavezledroitdegarderlesilence.

Quelquechosedanssagestuelleparaissaitpresquecontrit,àcôtéd’Evansdontlecorpsentierexsudaitlahaineàl’encontredeBlake.

–Non.Vousnepouvezpasfaireça!

Mavoixs’étaitbrisée.

–Nous lepouvonsetnous le faisons.Voici lemandat, réponditEvansenme tendantunefeuilledepapierpliée.

Jelaregardai,incapabled’enlireunseulmot.Lepapiertremblotaitdansmamain.Çanepouvaitêtrequ’unrêve.Saufquejesavaisquecen’enétaitpasun.IlsarrêtaientBlakesousmesyeux.Moncorpstremblaitets’enfiévraitsousl’effetdel’adrénaline.Lespaumesdemesmainsmedémangeaient,et lesnauséesquejeressentaiscommechaquematinétaientamplifiées.Jeportailamainàmonestomacpourapaisermonenviedevomir.

Carmodypassa lesbrasdeBlakedanssondoset finitde lui liresesdroits.Blakecillaquandlesmenottesclaquèrentbruyamment,luientravantlespoignets.

Leslarmesmebrûlèrentlesyeux,troublantmavision.

–Iln’apasfaitça.

–Dites-leaujuge.

Unsouriresinistreincurvaleslèvresd’Evans.JeledépassaipourmedirigerversBlake.Ils ne pouvaient pas l’emmener. Pas aujourd’hui, ni un autre jour. Avant que j’aie pu lesrejoindre, Evans me prit par le bras et me repoussa en arrière. Les yeux de Blakes’enflammèrent.

–Nelatouchezpas.

–Alors,dites-luidesecalmer!criaEvans,plusàmonintentionqu’àcelledeBlake.

–Blake…sanglotai-je,impuissante,ententantdem’écarter.

Evansresserrasonétreinte,metirantenarrière.Jeglapis,legriffaipourmelibérer.

LavoixdeBlaketonna,résonnantdanslapièce.

–Elleestenceinte,salebâtard.Ôtezvosputainsdemainsd’elle.

CarmodyplaçaunemainfermesurlapoitrinedeBlake,lesyeuxgrandsouvertsetenalerte.EvansrelâchasonempriseetplissalesyeuxtoutenseplaçantlentemententreBlakeetmoi.

Jetremblaisdelatêteauxpieds.L’adrénaline,lapaniquedevoirl’hommequej’aimaisemmenéloindemoi.Leslarmesroulèrentsurmesjoues.

–Blake,nemequittepas.S’ilteplaît.Tunepeuxpas.Dis-leurlavérité.

Seslèvress’ouvrirent,maisaucunmotnesortitdesabouche.

–Allons-y,ditCarmodyenlepoussantverslaporte.

Lesmâchoiresserrées,lesyeuxvides,Blakelesuivitsansunmot.

La porte se referma et je tombai à genoux, incapable de retenir plus longtemps lesviolentssanglotsquimedéchiraientlapoitrine.

*

BLAKE

Lavisiond’Erica, levisageravagédelarmes,restaitgravéedansmonesprit.Elleétaittout ce que je voyais. Et par-dessus les claquements de portes et les cris et le tumulte, jepouvais encore entendre son cri au moment où la porte s’était refermée. J’appuyai mespaumessurmesyeux, incapabledemedébarrasserdeladouleurquimerelançaitchaquefoisque jevoyaismentalement la scène. Jeprisplusieurs longues inspirationsetmemisàespérer–àespérerquececauchemarprendraitbientôtfinetquejepourraisretournerversmafemme.

J’étaisincarcéréetj’attendaisqueDeanapparaisseaprèsavoirréglélacaution.Maislesheurespassaient,ettoujourspasunmotdelui.Lanuittombasansqueviennelesommeil.Pasàcausedelacoucheminablesurlaquellej’étaisétendu.Pasàcausedubruitdupostedepolice, et des gens qui entraient et sortaient des cellules toute la nuit.Mais parce quemonespritenvisageaitunàuntouslesscénariosettouteslessolutionspossibles.

N’importe qui aurait eu les nerfs à vif ici, mais j’avais déjà été en cellule, et jem’ensouvenais. J’étais jeuneet sous le coupd’émotionsdiverses,dont lamoindren’étaitpas lapeurdepasserlerestedemavieadultederrièrelesbarreaux.Ilsm’avaientretenupendantdesjours,confrontéàcetteéventualitéfortplausible.

En supposant qu’ils avaient réuni suffisamment de preuves pour m’accuser d’avoirtrafiquél’électiondeDaniel,j’allaisdevoiraffronterànouveaucesmêmescraintes.

Épuisé, accablé, je fusmené au tribunal aumatin, pour l’audiencede libération souscaution.Ilsm’installèrentdansunepetitepièce,oùj’attendisDean.Jetapotaidesdoigtssur

latableenrythmeenl’attendant,enattendantdesréponses.

Il arriva enfin,dans son costume, sonhabituelle tenue impeccable.Pasun cheveunedépassait, mais tout en lui était signe de tension. Il n’y avait rien de rassurant dans sonlangagecorporel.

–Mercid’êtrevenu,maugréai-je.

Sonvisageétaitcrispé.

–J’aiessayéd’arrangerunecautionhier.Aucunepossibilité.

–Tupeuxcommencerparm’expliquerpourquelleputainderaisonjesuisici?

Ils’assit,déboutonnantsonmanteaudanslemouvement.

–QuiestParkerBenson?

Jefronçailessourcils.

–Quoi?

– Parker Benson. Le type sur lequel tu as fait des recherches la nuit avant qu’ilsconfisquenttoutdanstonbureau.Çaterappellequelquechose?

–Ilsortavecmasœur.Jevoulaissavoirquic’était.

–Oui,ehbien,certainespersonnesferaientunerechercheInternet,oupaieraientpourune forme légalede vérificationdes antécédents.Apparemment, tu t’es introduit dans sesarchivesbancairesettuaspiratésoncomptemailàl’université.Riendecelan’estlégal.

Jemepenchaienavant.

–Tutefousdemoi?C’estpourçaquejesuislà?

–Jet’avaisditqu’ilscherchaient toutcequi traînait,mêmesic’étaientdespeccadillesou que ça n’avait aucun rapport avec l’affaire en cours. Et tu m’as affirmé que tu étaisméticuleuxaveccegenredechoses.

–Jel’aiété.

Jerevismentalementcettenuit-là,m’assurantquec’étaitbienlecas.

–Alors,commentont-ilstrouvé?

Pourlapremièrefoisdepuislongtemps,jerestaisansvoix.

– Ils ont dûpiégermes ordinateurs pendant que j’étais absent, pour pouvoir retracermes activités après mon retour de voyage de noces. Je ne savais pas encore qu’ils mesurveillaientàl’époque.Putaindemerde.

–Labonnenouvelle,c’estqu’ilsn’onttoujoursriensurl’élection.Ilstetiennentpourçaet espèrent trouver autre chose. Mais techniquement, c’est déjà suffisant pour te mettrevraimentdanslamerde.

Jem’enfonçaidansmonsiège,etdansmondéni.

–Çanesuffitpas.

–Ceseraitbiensic’étaitvrai,maisjepensequ’onsaittouslesdeuxquecen’estpaslecas.Ilsnevontpastefaciliterlatâche.

Uncoupsurlaportenoussignalaqu’ilétaittempsd’yaller.

–C’esttontour,ditDeanenselevant.Allonsfixertacautionettefairesortird’ici.

Vingtminutesplustard,nousétionsdevantlajuge.

–Nousdemandonslalibertésouscaution,ditDean.

Laprocureuresemblaitavoirlacinquantaine.Elleétaitpetite,avecdecourtesbouclesblondes en spirale encadrant sonvisage.Dèsqu’elle ouvrit la bouche, en revanche, je susqu’elleétaitlàpourmecloueraupilori.

–NousdemandonsquelacautionsoitrefuséeàM.Landon.

Deansecoualatête,apparemmentperplexe.

–Ils’agitd’uncrimesansviolence,VotreHonneur.

–Cethommeestunearmeambulante,poursuivitlaprocureure.Iln’abesoinqued’unordinateurpourcommettresonprochaincrimeets’emparerd’informationssensibles.

–Monclientauncasiervierge,insistaDean.

–Iln’yapastroismois,ilaétéarrêtépouruneagression.

–Leschargesontaussitôtétéabandonnées.

–Cen’estpassurprenantpourunhommedesoninfluence,rétorqua-t-elle.

Lajugeregardapar-dessusseslunettes.

–Vousremettezenquestionl’intégritédutribunal,maître?

–Biensûrquenon.Jedissimplementquecethommeestsous lecoupd’uneenquêtepourfraudeélectorale.Personnenesaitcedontilestcapable.

– Les accusations portées conte lui en ce qui concerne l’élection sont jusqu’ici sansfondementetn’ontaucuneincidencesurcetteaffaire,arguaDean.

–Bienaucontraire.M.Landonestunhackernotoire,etnouscommençonsseulementàmettreaujourcequipourraitêtretoutunensembled’activitésfrauduleuses.Enunesoirée,

ilaétécapabledes’introduiredanslessystèmesd’uneinstitutionbancairemajeureetd’uneuniversitéd’État. Il disposede vastes ressources financières et informationnelles. Il nedoitpasêtresous-estimé.

–Toutcelan’estquespéculation,fitremarquerDean.

– Si l’on considère les accusations portées contre lui aujourd’hui, l’identité et lesdonnéespersonnellesdechacunseraientmenacées,ycomprislesvôtres,VotreHonneur.

–Lacautionestrefusée.

–VotreHonneur…tentaDean.

Ilfutinterrompuparlacourtedétonationdumarteau.

–L’audienceestlevée.

L’effroim’envahit, ponctué par un sanglot que je reconnus immédiatement pour êtreceluidemamère. Jeme tournai et la vis àplusieurs rangéesde là. Lebrasdemonpèreentourait ses épaules, la serrant contre lui. Fiona était en larmes, et j’imaginais qu’ellen’étaitmêmepasencoreaucourantdelamoitiédel’histoire.PutaindeParker.

Jevoulaisl’enblâmer,maisenfaittoutétaitdemafaute.Àpartquelquesmessagesdecequisemblaitêtred’anciennespassadesremontantàdesmoisetauxquellesiln’avaitpasrépondu,Parker s’en était tiré avec leshonneurs. Et j’étais là parceque j’avais laissémoninquiétudeprendreledessus.

Le restedema famille semblait être venuassister àmes funérailles. Et puis il y avaitErica.Stoïque.Levisagetendu.Lesyeuxlasetgonflés.Souscettefaçadeforte, jesavaisàquelpointelledevaitêtredévastée.Lenœuddansmonestomacgrossit,apportantavecluiunesortederagesourde.

Je me tournai vers Dean, dévisageai cet homme qui cillait rarement mais avait ladécenceencetinstantdeparaîtreinquiet.

–Règleça.

–C’estpourçaquetumepaies.

Il avait l’air confiant, mais ses yeux racontaient une tout autre histoire. Ils sedétournèrentdemoi,survolèrentl’effervescencedelasalled’audience.

MonattentionrevintàErica,quiquittaitlasalled’audienceaveclerestedemafamille.Ellemetournaitledos,ettoutenmoibrûlaitd’allerverselle.Jevoulaislatenirdansmesbrasàtraverslatempête,sachantqu’ons’ensortiraitensembled’unefaçonoud’uneautre.Mais nous n’allions pas être ensemble. Nous allions être à des kilomètres l’un de l’autre,passerchaquenuitàs’inquiéterl’undel’autre.

Jedéglutisetlaregardais’éloigner,dégoûté.

L’huissiers’approcha,etj’adressaiunregardfroidàDean.

–TransfèremescomptesàHeath.Faistoutcequiestnécessaire.J’aibesoind’êtresûrqu’Ericanemanqueraderiensitoutçatourneauvinaigre.

–Considèrequec’estfait.Maisjevaistoutdemêmecommencerparessayerdetesortirdelà.

–Moi,çava.C’estelle,tapriorité.

– C’est toi, la priorité, Blake. Si Erica peut vivre avec toi, elle sera assez forte poursupportertoutça.Elles’ensortirabien.

L’huissiermepassalesmenottes.Commelemétalfroidserefermaitsurmapeau,moncœurbonditetmoncorpss’enfiévradésagréablement.Jelesauraissuivisdemonpleingré,mais c’était la troisième fois en deux jours que je devais accepter d’être attaché, et je fisappelàtoutemavolontépournepasrésister.

Quelque chose me parut définitif, cette fois. Leur claquement rapide quand elles semettaientenplaceétaitunbruitauqueljedevaism’habituer.

La bouche de Dean continuait de se mouvoir, mais la partie de moi qui aurait pus’intéresserauxquelconquesparolesrassurantesqu’ilpouvaittrouverétaitmourante.Ericaétaitunebattante.Moi,jen’étaisplussûrderien.

Chapitreseize

ERICA

Jesortisdu flotde la fouleet tiraimontéléphonedemonsac.La familledeBlake,àl’extérieurdelasalled’audience,s’étaitregroupéeautourdel’avocatquirépondaitàleursquestions. Je me serais jointe à eux si j’avais pu accorder le moindre crédit au systèmejudiciairepourrectifiercetteinjustice.

Lesmainstremblantes,jesélectionnailenumérodeDaniel,appelaietlaissaisonner.Samessagerieprit le relais. Je raccrochaiet rappelai.Laseconde fois, comme ilne répondaittoujourspas,j’écoutailemessageenregistréjusqu’aubout.Bref,froid.Commelui.

– Daniel, c’estmoi, Erica. Je sais que vous ne voulez plus avoir affaire àmoi, dis-je,fermant les yeux, luttant contre le désarroi près de se surajouter à ma douleur pesante.Maisj’aivraimentbesoindevousparler.C’est important.Etsivousnemerappelezpas, jecontinuerai d’appeler. Si vous me connaissez, et je crois que vous me connaissez mieuxmaintenant,alorsvousdevezsavoirquejen’abandonnepasfacilement.Merci.

Jeraccrochaiet,aprèsundernierregardendirectiondeGoveetdesvisages lugubresdelafamille,jetournailestalons.

Les lourdes portes de bois du tribunal s’ouvrirent d’une simple poussée. Dehors, unepoignée de journalistes se précipita vers moi. Leurs questions fusèrent toutes en mêmetemps.Leursvoixsemêlaient,–«Daniel,Blake,élections,implication…»

– Ces nouvelles charges contre votre mari ont-elles un rapport avec l’élection dugouverneur?

–Avez-vousuncommentairesurl’invalidationdelavictoiredeFitzgerald?

Monespritdéjàembrumén’étaitpasenétatd’assimiler cequi venaitde sepasserautribunal, et encore moins de formuler des réponses pour les journaux télévisés. Commej’essayais de les éviter, je n’entendis qu’une voix traverser la cohue, une voix criant monnom.PuisjevisMarieseglisserentredeuxhommes,lesyeuxécarquilléssurunmélangedefrustrationetd’inquiétude.Ellemetenditlebras.

–Viensavecmoi.

Je pris sa main et on partit au pas de course vers sa voiture. Les journalistesabandonnèrentquandonleseutdistancés.Jem’assisàl’arrièredesaberline,mecoupantdubruitetdufroidenfermantlaportesurmoi.

Unregardverslameilleureamiedemamèresuffitpourfairecoulermeslarmes.Ellesepenchapar-dessus le siègeavantpourm’enlacer. J’enfouismonvisagedans sonmanteau,m’efforçantdenepasm’effondrercomplètement.

–J’aivulesnouvellescematin,etjesuisvenuedèsquej’aipu.

Jereniflaietmerenfonçaidanslabanquette.

–Merci.

–Jesavaisqueçanes’annonçaitpasbienpourDaniel,cetypevendraitsonâmepourêtreélu,maisjenepensaispasqueBlakepouvaitêtreimpliqué.

Jem’essuyailesyeux.

–Ilnel’estpas.Iln’arienàvoiraveccetteélection.Maisc’estleseulsuspectauquelilss’intéressent,alorsilsfontdesavieunenferetl’ontmisendétentionsouslecoupdecettecharge.

La colère m’envahit. Je haïssais la femme qui s’était interposée entre Blake et sacaution. Forte de sa détermination, elle n’avait aucune idée de la douleur qu’elle nousinfligeaitennousséparant.Jeserrailespoings,essayantdemeraccrocheràmafureur,neserait-cequepourretenirladouleurravageusequis’accumulaitjustederrière.

–Pourquoinem’as-tupasappelée?

Jesecouailatêteetbaissailesyeux.

–C’étaittrop.C’esttroppourquequiquecesoitpuissearrangerça.

Alli avait passé la plus grande partie de la nuit à la maison, pour s’efforcer de merameneràunétatémotionnelàpeuprèsstable.Ladernièrechosedontj’avaisenvie,c’étaitdecommenceràparleràtortetàtraversalorsquej’avaissipeuderéponses.

Nousavionsparlésérieusementetfaitlepointautantquepossible,pourallervoirSidaprès l’audience et savoir s’il serait capable de trouver le code. Je ne pouvais pas luidemanderdemettre sa liberté enpéril,maismondésespoir grandissait sansdiscontinuer.Hormislapetitelueurd’espoirducôtédeSid,jenevoyaispluslamoindrelumièreauboutde cet affreux tunnel. Quant à retrouver Trevor, on n’était pas plus avancés qu’à monretourdeDallas.

J’étais probablement encore en état de choc d’avoir vu Blake emmenémenottes auxpoignets la veille.Etmaintenant, ça…Maintenant, iln’allaitmêmepluspouvoir venirmeretrouveràlamaison.

– Ils luiont refusé sa liberté sous caution,Marie. Jenepeuxmêmepas levoir. Jenesaispascequejevaisfairemaintenant.Onétaitpartispouralleraufonddecettehistoire

ensemble,etmaintenantiln’estmêmepluslà.

Marieessuyameslarmesquicontinuaientdecouler,m’apaisantdoucementjusqu’àquemes sanglots se calment. Je hoquetai,m’efforçant de reprendremon souffle aumilieu detoutmonmalheur.

–Monbébé,regarde-moi.Çavas’arranger,murmura-t-elle.

Je plongeai mon regard dans les merveilleux iris caramel de ses yeux. Ses cheveuxtombaientenlonguesvolutesautourdesonvisage.C’étaitunefemmebelle,aubeaucœur.Mais quand on en venait aux dures réalités de la vie, elle pouvait se montrer naïve. Jel’avaisvuetropsouventlecœurbrisépourcroirequ’ellepourraitarrêterdanssalancéeletrainfoudanslequelj’étaispiégée.

–Jevois lapeurdans tesyeux,mais j’yvoisaussidu feu.Jesaisque tuvoudraisqueBlakesoittaforce.Pourteprotéger,jecroisqu’ilseratoujourslà.Maisilabesoindetoiencetinstant.Ilabesoinquetusoisforte.

Forte.Qu’est-ceque çavoulaitdiremaintenant,dans ce contexte? Jemeconsidéraiscommeforte. Imparfaite,sensiblecertainement.Maisdans ladifficulté,quand lavieoffraitsonpirevisage,j’avaistoujourstrouvéunmoyendemerelever.

Mais si j’avais été quelqu’un de fort toutema vie, revenir seule n’était plus lamêmechose.J’avaisaffrontémessouffrances,mesbatailles,mescoupsdusort.MaintenantquejelespartageaisavecBlake,onavaitbeauvouloirlutterseulscontrenosdémons,quandl’undenousdeuxétaitaffecté,l’autresouffrait.Onavaitconjuguénosjoiesetnospeines.

Etriennepouvaitplusdéfairelelienquinousunissaitàprésent…

–Jesuisenceinte,Marie.

Unmélangedejoieetd’inquiétudeemplitsesyeux.

–Oh,monDieu!Oh,monDieu!Erica,pourquoitunemel’aspasditplustôt?

– Jene l’ai apprisqu’il yaquelques jours.Onestallésvoir lagynéco lundiet toutàl’airdebiendepasser.Onnel’aencoreditàpersonne.

D’autres larmes me vinrent au souvenir de cette joie passée. Comment les chosesavaient-ellespuchangeraussivite?Justeaumomentoùonn’auraitpaspuêtreplusfortsouplusheureux,Blakeetmoi,lafatalitémenaçaitdetoutnousenlever.

Marierestaunlongmomentsilencieuse.Lorsqu’elleparla,sesyeuxbrillaient.

–Jen’arrivepasàimaginercequetudoisressentir,monbébé.

Jepressaimesdoigts surmespaupièrespour endiguer les larmesquine cessaientdecouler.

–JepeuxsentirlaprésencedePatricia,quinousregardeencetinstantmême…

Je relevai la tête à travers mes larmes vers le visage de Marie. Dans toute cetteeffervescence, jen’avais paspensé àmamère.Mais soudain je crus la percevoir aussi…àtraversl’amourdeMarie.

– Et je sais qu’elle est heureuse, éclatant de joie.Ce que tu traverses n’est pas facile,Erica, et çame brise le cœur,mais il y a une raison pour que ce bienfait t’ait été donné.Raccroche-toi,bats-toipourlui.Fais-entaraisonderesterfortepourvoustous.

Unfaibleespoirnaquitenmoi.Jelesaisis,maisj’étaisencorebienloind’unquelconqueréconfort.Mespleurss’étaientcalmés,etjeprisuneinspirationsaccadée.

– J’aimerais croire que l’avoir ici et maintenant avec moi arrangerait les choses dequelquefaçon.C’estjustequejenevoispascommentçapourraitêtrepire.

Elleessuyameslarmesetrepoussamescheveux.

–Pourquoinepasvenirchezmoipourunmoment?

Je la dévisageai et jouai nerveusement avecmon alliance, encore et encore, sans luirépondre.

–Tunedevraispasrestertouteseuledanscettegrandemaison.Installe-toichezmoi,mêmesicen’estquepourunjouroudeux.Çaneteferaitpasdemaldechangerdedécor.

Jevenaisàpeinederentrerchezmoi.Maiselleavaitraison.Chaquesecondepasséeàlamaisonsoulignaitl’absencedeBlake.

– Il faudrait que j’y retourne. Les parents de Blake ne sont pas loin, si j’ai besoin dequelquechose,maugréai-je.

–Jesais,mais ilsont leurpropresouffranceàgérer.Laisse-moim’occuperunpeudetoi, jusqu’àqueBlakepuisserentrer.Tuesépuiséeetbouleversée.Jeteconnais.Tuvasterepliersurtoietterendremalade.Vienschezmoi,onpourraenparler.

Peut-êtrequ’elleavaitraison.Jehochailatête,merendantàsesarguments.

–D’accord.Jevaisrentrerpréparermonsac.

–Tuveuxquejet’yconduise?

–Non, ça va. Je vais rentrer avecClay, et ilmedéposera chez toiplus tard. Je veuxaussiparlerauxparentsdeBlake,voircequ’aditl’avocat.

Etilfallaitquejepasseaubureau.Mêmedansl’étatoùj’étais,jenepouvaispasallerme cacher chez Marie, panser mes plaies jusqu’à que tout soit terminé. Je devais suivretouteslespistespossiblesjusqu’àcequ’ellesmerapprochentdelavérité.

–D’accord.Appelle-moiquandtuserasenrouteous’ilsepassequelquechose.

–D’accord.Mercipourtout.

Je laissai échapper un long soupir, débarrassée de mes larmes mais pas rassérénéepourautant.Mariepritmamainetlaserra.

–Jeseraitoujourslàpourtoi.Quoiqu’iladvienne.

Je laremerciaiencore,sortisde lavoitureet laregardais’éloigner.JetrouvaiClaydel’autrecôtéduparking.IlmeramenaàMarbleheadetmedéposachezlesparentsdeBlake.Jem’arrêtaidevantleurporte,medemandantsijedevaisfrapper,puisdécidaid’entrer.

Fiona,Catherine,AllietHeathétaientdanslacuisine.

–QuevapenserParker?demandaHeath.

Fionasepinçalehautdunez.

– Sincèrement, je ne sais vraiment pas quoi lui dire. Je peux essayer de lui expliquerqueBlakeessayait justedemeprotéger,maisàl’évidencec’estunesacréeatteinteàsavieprivée.

Laporteserefermaderrièremoietjem’avançai.

–Erica,machère,entre,ditCatherineavecungrandsigne.

Ellem’étreignitquand je fusassezprès.Toutmoncorps secrispa.Jenepouvaispluspleurer. J’avais décidé la nuit dernière que j’avais versé bien assez de larmes,mais j’avaisquandmêmecraquéaujourd’hui.Ellemerelâchaavecunsoupirnerveux.

–Viens.Allonsnousasseoir.

Elle nous entraîna dans le salon, où tout lemonde prit place. La silhouette deGregattiramonattention.Ilétaitsurlaterrasse,accoudéàlabalustrade,noustournantledos.

L’Océanétaitagitéaujourd’huietallait seperdreà l’horizondansunmornecielgris.Parfois, jemedemandais cequeçapouvait faired’être là-bas,aumilieudesvaguesetdufroid,àlamercid’unenatureimpitoyable.C’étaitunpeucequejeressentaisencetinstant.Etpeut-êtren’étais-jepaslaseule.

MoncœursouffraitpourCatherineetGreg.Pourmoi,lajournéeavaitétédévastatrice.Jepouvaisàpeineimaginerl’effetqu’elleavaitsureux.Etilsn’étaientmêmepasencoreaucourantpourlebébé.AllietHeathsavaient,mais jemefélicitaisqu’onn’enaitpasencoreparléaurestedelafamille.MaintenantquelalibertédeBlakeétaitcompromise,cen’étaitpaslemomentdeleurannoncerlanouvelle.

–Qu’aditl’avocat?demandai-je.

–Çanevapasêtrefacile,ditHeath.LapoliceasuivilesactivitésdeBlakesurlaToilequand vous êtes rentrés de votre lune demiel.On sait tous qu’il a piraté les comptes deParker.Sansintentioncriminelle,maisilsvontessayerdelecoincerpourça.

LetéléphonedeFionasonna.

– C’est Parker, dit-elle. (Elle secoua la tête et passa le téléphone sur vibreur.) Jen’arrivemêmepasàcroirequeBlakeaitpufaireça.Qu’est-cequiluiestdoncpasséparlatête?

–Ilnefaisaitqueveillersurtoi,Fiona,ditCatherine.

–Ilauraitmieuxfaitderéfléchir.Bonsang!iln’apprendradoncjamais?

Ellelevalesyeuxauciel,furieusecommejenel’avaisjamaisvue.

– Il est comme ça, Fiona. Tu sais qu’il ne respecte pas toujours les règles, commentaHeath.

–Cequ’il fait,c’est investirdansl’immobilieretdansledéveloppementdelogiciels.Jene savais pas qu’il avait aussi l’habitude de s’infiltrer illégalement dans les affaires desautres.

Catherinesecoualatête,lesyeuxbrillants.

–Aprèstantd’années,nousvoilàrevenusàlacasedépart.C’estuncauchemar.Unvraicauchemar.

Àcôtédemoi,Allirestaitsilencieuse.J’avaislamainsurmonventre.Jen’auraispudiresi je rassurais le bébé ou cherchais à ce qu’ilme rassure. J’avais l’impression qu’on faisaitéquipe,danscettepièceoùiln’yavaitquelafamille.

–C’estsafaçond’être,finis-jepardire.Çanemeplaîtpasplusqu’àvous,maisc’estuntalentquelquepart.Amoral,sansdoute,maisilestcommeça,etc’estgrâceàçaqu’onseratoujoursàl’abridubesoin.Onnepeutluienvouloirpourça.

Le silence s’imposa.Catherine semouchaetquitta lapièce sansmotdire.Elle revint,unebouteilledevinsouslebrasetlesmainspleinesdeverres.

Heathlaregardad’unairinquiet.

–Maman,iln’estmêmepasonzeheures.

–Commesij’enavaisquelquechoseàfaire,maugréa-t-elle.

J’entendis laportede lamaison s’ouvriret,quelques secondesplus tard,Parkernousrejoignitdanslesalon.

LesyeuxdeFionas’illuminèrent.

–Parker…Qu’est-cequetufaislà?

Ilpinçaleslèvres.

–Tunerépondspasàmesappels,alorsjem’inquiétais.

Ellerepoussasescheveuxcourtsderrièresesoreillesetévitasonregard.

–J’imaginequ’ilfautqu’onparle.

Ilgrimaça.

–Je suisdéjàaucourant.Que ton frère soitune sale fouine,dit-il ennous regardanttous tour à tour, jem’en fous.Maispasdenepas t’avoir parléni vuequand il sepassaittoutça.

Fionalaissasonregardremonterlentementverslesien,lalèvretremblante.

–Jesuisdésolée.Jecroyaisquetuseraisfurieux.

Illafixacommesielleétaitlaseulepersonnedanslapièce.

–Fiona…Toutçanechangerien.

Elle soufflaet se leva. Il allaverselle.Elleprit samainet il l’enlaça. Ils restèrentuninstantdanslesbrasl’undel’autre,puisFiona,touterouge,l’entraînarapidementhorsdelapièceloindenous.

Catherinesoupiraetsecoualatête.Ellemarmonnaun«Dieumerci!»entresesdentsavantdecommenceràverserlevindanslesverres.

– Je vaisme fairedu thé, si çane vousdérangepas, dis-je quand elle posaun verredevantmoi.

–Laisse-moitelefaire,machère,répliqua-t-elle.

–Jevaisyarriver,insistai-jeavantdedisparaîtredanslacuisine.

Uneminuteplustard,Heathvintseposeràcôtédemoietprituneautretassedansleplacard. Les voix de Catherine et des autres n’étaient qu’un murmure. Fiona et Parkern’étaientnullepartenvue.

–Tuvasbien?demanda-t-ilenprenantunsachetdethé.

–Àtonavis?

Sesyeuxnoisetteétaientpleinsd’uneinquiétudequejepartageais.

–Govevaletirerdelà,Erica.Blakeneserapaslepremierricheàs’ensortirsurunvicedeforme.

Jefermailesyeuxetposailesmainssurlatable.

–J’enaiassezd’entendredesgensmedirequetoutvabiensepasser.J’enaiassezdetraverser la vieavec cette foi aveugleque tout va s’arrangerparmagie.Que jepeux faireconfianceà tout lemonde,qu’ilsvont se sentir concernés, faire leur travail,découvrirunevéritéquepersonnenesemblevouloirtrouverautantquenous.

Sonvisageseferma.

– Gove veut commencer à transférer une partie des actifs de Blake à ton nom et aumien,aucasoùleschosesempireraient.

–Non,mecontentai-jededire.

Seslèvresseserrèrent.

–Tuveuxavoirlafoi?Outuveuxêtreprête,ycomprisfaceàlapirehypothèse?

–Nil’unnil’autre.Jeveuxréglerça.

Jeluifisface.

–Etc’estcequejevaisfaire.

–LaissequandmêmeGovefairecequ’ildoit…

–Tuveuxmemotiver,Heath?(Jelevailesyeuxversluid’unairrésolu.)Alors,dis-moidenepaslefaire.Dis-moiquejenepeuxpasouquejenedevraispas.

–Toutcequejesais,c’estqueBlakeveutplusquetoutquetusoisprotégée.

–S’ilveuts’occuperdemoi,qu’ilrentreàlamaisonetlefasse.Sinon,jevaismoi-mêmeprendresoindemoi,etjevaisréglercettehistoire,quoiqu’ilm’encoûte.

Avantqu’ilpuisserépondre,montéléphonetintadansmapoche.Jelesortis.Untextos’afficha,provenantd’unnumérolocalquejenereconnuspas.

«J’aicequevouscherchez.StationParkStreet.»

Jelelusetlerelus,lecœurbattant.C’étaitpeutêtreDaniel…

Heathfinitdepréparernostassesdethé,pendantquejeréfléchissaisàmaréponse.

E:«Quand?»

«Dansuneheure.Jevoustrouverai.»

Jeregardaimamontre.S’iln’yavaitpasd’encombrements,Claypouvaitm’yameneràtemps.

–Ilfautquejeparte,dis-jed’untonpressant.

–Oùvas-tu?demandaHeathenfronçantlessourcils.

J’ignoraisaquestionetmedirigeaiverslaporte.

–Excuse-moiauprèsdeCatherine.Jedoisfiler.

Jepassai rapidementà lamaison, jetaiquelquesaffairesdansun sacdevoyagepourallerchezMarieetdemandaiàClaydemeramenerenville.IlsegaraàcôtédelastationParkStreetaveccinqminutesd’avance.

–Attendez-moiici,luidis-je.

Nosregardssecroisèrentdanslerétroviseur.

–Vousavezbesoinquejevienneavecvous?

–Non,çaira.

Cen’étaitpaslegenrederendez-vousoùl’onarrivaitavecungardeducorps.

Ilsetournasursonsiège,meregardantattentivement.

–Jevousconnaisdepuisassezlongtempspourreconnaître l’expressionquevousavezquandvousfaitesquelquechosequeBlakenevoudraitpasquevousfassiez.

– Si on écoutait Blake, je ne sortirais jamais de la maison. Je vais juste rencontrerquelqu’unenvitesse.Toutsepasserabien.C’estpromis.

Ilhésita.

–C’estmontravaildevousprotéger,Erica.

C’était la deuxième fois qu’il m’appelait par mon prénom. Les deux fois avaient étéimportantes.J’appréciaisasollicitude,maisjenepouvaispaslelaisserinterférer.

– C’est une station très fréquentée, Clay. Si je ne suis pas revenue dans dixminutes,vouspourrezcommenceràvousinquiéter.D’accord?

Ilseretournadenouveauetposaunemainsurlevolant.

–Cinqminutes.

J’ouvris de grands yeuxmais choisis de ne pas perdre une seconde de plus avant dedescendrevers lesquais.ParkStreetétaitune stationanimée,etplusencoreà l’heuredudéjeuner.Commentcetétrangerallait-ilmeretrouverdanslafoule?

J’attendisd’unairemprunté,m’efforçantdeparaîtrenaturelle,cequin’étaitpassimplepuisquejelaissaideuxmétrosarriveretrepartirsansbouger.D’autresgensenvahissaientlequaipourattendrelesuivant.Jeparcouraislesvisagesetm’immobilisaiquandj’enreconnusun.

Merde. Je tournai les talons et me dirigeai vers l’escalier qui me ramènerait àl’extérieur.J’auraisvoulucourirmaispréféraisadopterunevitessequiparaîtraitnaturelle.Il

n’auraitpaspuchoisirpiremoment.Jepriaisintérieurementpourqu’ilnem’aitpasvueetquejepuissesortirsansqu’ilmeremarque.

–Erica!

Lavoixavaitétéàpeineaudibledanslefracasdumétroàl’approche.Jecontinuaidemarcher, jusqu’à qu’une main saisisse mon poignet et m’empêche d’aller plus loin. JeregardaidanslesyeuxledétectiveCarmody,sonvisagepartiellementdissimuléparl’ombred’une casquette de base-ball. Il ne portait pas son costume, mais il était parfaitementreconnaissable.Mon cœur battait à tout rompre. Je lui arrachaimamain, sentis quelquechosedepetitetdedurcontremapaume.Jel’ouvrisetyvisunepetitecléUSB.Jerelevailesyeuxversledétective,maisilavaitdéjàdisparu.

Unebourrasqued’airchaudsoulevamescheveuxquandlemétrodémarra.

Chapitredix-sept

BLAKE

Ils m’avaient transféré dans une prison du comté après l’audience. Leur habitudepresquerituelledemedéplacerd’unendroitàunautre,d’unepièceàl’autre,m’avaitaidéà détourner mes pensées des événements de la matinée. La vision du visage traumatiséd’Ericarestaitgravéedansmonesprit.Maismaintenant jen’avaisplusquedutemps,et jenepouvaislachasserdemamémoire.J’avaisl’impressionquequelqu’unm’avaitarrachélamoitiédemesorganesenmedisantquejepouvaisvivresans.

SaufquejenepouvaisconcevoirdevivresansEricapourunlongmoment.Jepouvaisvivresansmoyens,sansaffaires,sanssuccès.Maisjenepouvaispasvivresanscettefemme.

À l’heure du déjeuner, jem’assis à une table vide et examinai la nourriture surmonplateau.Elleétaitmoinsrépugnantequ’immangeable.Je laissairetombermafourchetteetouvrislepetitcartondelaitquimerappeladescentainesdedéjeunersàl’école.

Je l’avalai et regardai autour de moi les délinquants assis aux autres tables. Je nepouvaism’empêcherd’établir des comparaisons.Onétait loinde la cantinedu collège. Jen’allaispasm’adaptermieuxiciquequandj’étaisunadoangoissé.Jemeconvainquisquejen’avais riendecommunaveccesgens.J’avais la ferme intentiondemetenirà l’écart.Quisavaitcombiendetempsj’allaisdevoirvivreici?

–Salut.

Max s’assit en face demoi. On portait lemême uniforme. Il posa son plateau sur latable,commes’ilcomptaitrester.

Jemeredressaisurmonsiègeetledévisageai.Unefinelignepâlemarquaitsajoue,etjesus immédiatementqu’elleétaitdueà lacorrectionque je luiavaisdonnée.Ladernièrefois que j’avais vu son visage, personne n’aurait pu le reconnaître. Je serrai les poings,revivantcesouveniretenvisageantsérieusementdeleremettreaugoûtdujour.

–Qu’est-cequetuveux?

Ilfronçalessourcils.

–Jen’attendsriendetoi.Onesttouslesdeuxlà.Jemesuisditqueçaneteferaitpasdemaldevoirunvisageamical.

–Lefaitqu’onsoittouslesdeuxicinefaitpasdenousdesamis.

–Peut-être,maisçanefaittoutdemêmepasdemald’avoirdesalliés.

Ilparcourutlesalentoursduregardavantdereportersonattentionsursanourriture.

–Situasbesoind’alliés,continued’enchercher.Moi,jesuisbiencommeça.

–Commetuveux,maugréa-t-il.

Onrestauninstantsilencieux.Incapabled’ignorerlesprotestationsdemonestomac,jeprisunebouchéedemeslasagnesencartonetmâchaimalgrél’arrière-goûtquemelaissaitmahainepourMax.Auxautres tables, leshommesparlaient entre eux sans s’intéresser ànous. Il était vrai que Max n’avait pas plus que moi l’air d’être ici à sa place. Il neressemblaitplusaujoligarçond’autrefois,enrevanche.Sescheveuxblondsétaientunpeutroplongs.Lapâleurdesapeaun’étaitpassateintehabituelle.

–Tun’aspasl’airenforme.Ilsn’ontpasdespaici,hein?

Ilplissalesyeux.

–Tudevraisteregarder.

–Bah,moi,jen’aijamaisaccordébeaucoupd’importanceauxapparences.

Jepassai lamain surmonmenton. Jenem’étaispas encore rasé. J’avais l’impressionqueçan’avaitplusbeaucoupd’importance.

Çasevoyait.

Unricanementsansjoiem’échappa.Del’ironiedenousretrouverici,demonenviederésister qui s’amenuisait chaque jour. Je repoussai le plateau, incapable d’avaler unebouchéedeplus.

On était assis là. Un milliardaire et l’héritier d’un autre, vêtus d’uniformes bleusinformes qui nous reléguaient au plus bas de l’échelle. L’argent importait, mais on nepouvaitpasacheternotreliberté.

Jel’avaistoujourssu.J’avaisappriscetteleçondesannéesauparavant,enconséquencede quoi j’avais toujours été excessivement méticuleux. Je trouvais les informations dontj’avais besoin, mais je faisais attention à ce que je faisais et à qui je croisais quand jecontournaislaloi.Etcruelleironie,j’étaismaintenantmoiaussiassislà,encompagnied’unhomme que je détestais et quiméritait vraiment de passer le reste de sa vie entre quatremurs.

Unterriblesentimentdevideetdedéfaitem’envahitdenouveau.

–SiMichaelpouvaitnousvoirmaintenant…

LeslèvresdeMaxsepincèrent,toutevelléitédecamaraderiedisparue.

–Çalesouciebeaucoupmoinsquetulecrois,tusais.

–Tudis çaparcequ’il t’a coupé les vivres.T’infliger ceque tuméritesne signifiepasqu’ilnes’intéresseàpersonne.

–Tuneleconnaispas,cracha-t-il.

–Jel’aiconnulamoitiédemavie.Jeleconnaissacrémentbien.

–Tun’enaseuqu’unaperçu.Tun’enasvuqueleboncôté.

Michaelétaitvraimentbon.Déterminé,judicieux,lucidedanssesactesetseschoix.Onne choisissait pas ses enfants, à l’évidence, etMax ne lui pardonnerait jamais dem’avoirpréféréencequiconcernaitlesaffaires.

–Tuessonfilsettuagiscommeunenfant.Jesuissûrqu’ilestobligédetemontrerunautrevisage,quejen’aimeraispasnonplus.

Illaissaéchapperunfaiblerire.

–Tume regardes, et tout ceque tuvois c’estun raté,parcequec’est cequ’il voulaitquetuvoies.J’auraisfaitn’importequoipourlui,pouravoirunechanced’apprendredeluiet de faire quelque chosedemieux. Ilm’a toujours sciemment tenuà l’écart de toutes lesopportunitésquim’auraientpermisd’exceller,etc’estàtoiqu’illesaoffertes.Ilm’ajetéçaauvisage.

–Peut-être,maisçan’excusepasleserreursquetuascommises.

–Laseuleerreurquej’aiefaiteaétédedirigermahainecontretoi.Ç’auraitdûêtrelui.Ç’auraittoujoursdûêtrelui.

–Tuasdirigétahainecontretousceuxquisetrouvaientsurtonchemin,souviens-toi.

Maxlâchasafourchetteetrepoussasonplateau.

–Écoute…JesuisdésolépourErica.

Sesparolesrestèrentsuspenduesentrenous.Desparolesridicules.

–Tuesdésolé?

–Qu’est-cequetuveuxque jedise?Je l’aiàpeinetouchée.Je faisde laprisonpourrien.

Jevisrouge.Chacundemesmusclessebanda,prêtaucombat.

– Tu t’es servi d’elle pour m’atteindre. Et mes poings ont été la seule raison pourlaquelletun’espasalléplusloin.Tulesaisaussibienquemoi,pauvresous-merde.Tun’aspaslamoindreidéedecequ’elleavécu.

–Cen’étaitpasuneoieblanche,Blake.MêmeMarkse l’étaitdéjà tapée.Cen’estpasparce que c’est ta femme qu’elle n’a pas de passé. Je veux dire, c’était ce qu’elle voulaitdepuisledébut,avecAngelcom.Quelgenredefemmefaitsaprésentationdevantunesallepleined’hommes,et…

Je me tendis brusquement par-dessus la table qui nous séparait. L’attrapant par lescheveux,jeluiprécipitailatêtecontrelatable.Jeleprisparlagorge.Jebouillaisderage.

–Lâche-moi!gargouilla-t-il.

–Markl’aviolée,sombreconnarddégénéré!

Il se débattit pour échapper àmon emprise. Lemurmure de la salle s’atténua, sansqu’ellesefassepourautantsilencieuse.Jesentaistoutdemêmedesregardssurnous.Maisquelquechosedesauvageetd’instinctifs’étaitemparédemoi.Où,sinondanscetenfer,unêtrecommeMaxpouvait-ilêtrechâtiécommeilleméritait?Etsiçadevaitêtredemamain,qu’ilensoitainsi.Satropcourtecondamnationnepouvaitsuffire.Unecondamnationàvien’auraitpassuffi.

Il continua de se débattre, et je ne lui donnai dumou que pourmieux lui taper denouveau le crâne contre la table, encore plus fort. Je sentis les tendons de son cou pliersouslapression.Jemepenchaisurlui,effleurantsonoreille.

–Tuasuneidéedecequeçareprésentepourmoiquedenepaspouvoirtouchermafemmeparcequ’ellecroitquecepourraitêtretoi?Oului?(Jefisunepause,laissantmonsouffle syncopéalimenter le flotd’adrénalinequipulsait enmoi.) J’auraisdû t’achever, cejour-là. J’auraisdûmettreunpoint finalà tavieetà tonexistencepathétique.TuasuneputaindechancequeMichaelm’aitretenu.

–Ilauraitpréférénepaslefaire,grimaça-t-il.

–Toi!Ôtetessalespattesdelà!

Jerelevailatête,monregardsetournantverslegardequiapprochait.Mêmesij’avaisvoulu lui infligerceque jevenaisdefaireàMax, il faisaitdeuxfoismatailleet tenaitunematraquedontonpouvaitsupposerunusagerégulier.

–Nemeregardepasdecettefaçon-là,Crésus.

JelâchaiMaxetm’écartaidelatable.Maxsereculasurlebanc,portalesmainsàsagorge et s’efforça de reprendre son souffle. Quelles qu’en soient les conséquences, je lesassumerais et recommencerais. Si être ici ne m’apportait rien d’autre, j’aurais au moinsl’occasion de rendre justice à Erica à l’intérieur de ces murs. Cet objectif pouvait meconvenir.

LegardetiraMaxparlanuque,unpeucommejel’avaisfait.

– Qu’est-ce qui se passe ? glapit Max en battant désespérément des bras avant detomberparterre.

–Debout!aboya-t-il.

–Jen’airienfaitdutout!Ilm’apasséàtabac!

Le garde se pencha vers lui, leva sa matraque. Max recula d’une bonne coudée enrampant.

–Premièrement, tun’aspas laputaindemoindre idéedecequec’estquedese fairepasser à tabac. Deuxièmement, tu es là pour tentative de viol, alors tu ferais mieux debougertonpetitculfissa,parcequesinontuvasviteapprendre.

LaterreuremplitlesyeuxdeMax,quis’empressadeserelevercommeilput.Unrapidecoup d’œil alentour révéla bon nombre de regards menaçants se régalant de savulnérabilité.

–Maintenant,dégageavantquequelqu’und’autren’enprofite.

Maxpritsonplateau, ledébarrassaetallas’asseoiràunetabledéserteà l’autreboutdelasalle.

Legardem’adressaunregardinexpressif.

–Prendsgardeàtoi,m’avertit-il.

*

ERICA

Troispasdans lebureau,et l’anxiété sur tous lesvisagesme fit comprendreque toussavaientdéjàquequelquechosen’allaitvraimentpas.

Les yeux bleus de James se tournèrent vers moi, de derrière son ordinateur, avantmêmequ’ilselève.

–Erica,j’aiapprispourBlake.Tuvasbien?

Je ledépassaietposai la cléUSBsur lebureaudeSid. Ildescendit soncasqueaudioautourdesoncou.

–J’aiunnouveauprojetpourtoi,dis-je.

–Qu’est-cequec’est?demanda-t-il,sonregardallantdelacléàmoi.

–Jen’ensuispassûreàcentpourcent,maisjecroisquec’estlecodequiaétéchargédanslesmachinesquiontcomptélesfauxvotesenfaveurdeFitzgerald.

Ilpinçaleslèvres.

–Dis-moi,j’aienviedetedemandercommenttul’aseu?

–Non.TuasenviedepasserlecodeaupeignefinetdetrouverunmoyendeprouverqueBlakenel’apasécrit.

Ilsoufflalentement.

–Justeça,hein?

Commejenerépondaispas,ilbranchalaclésursonordinateuretcommençaàtapersursonclavier.Sesyeuxparcoururent l’écranpendantqueGeoff,Allietmoi leregardionsfixement.

– On dirait que c’est l’exécutable. Donne-moi quelques heures pour l’étudier un peuplusavant.Jetepréviendraiquandj’auraitrouvéquelquechose.

Jeprisunechaiseprocheetm’assisdevantsonbureau,croisantlesjambes.Jejetaiunœil au désordre sur le bureau de Sid. Une bonne douzaine de canettes de boissonénergétiquevides,quelquesdossiers.Ilhaussaunsourcilquandnosregardssecroisèrent.

– Blake est en prison, Sid. Je ne pars pas d’ici tant que tu n’as pas trouvé quelquechose.

Geoffintervint.

–Jepeuxregarder?

–Attends,jefaisunecopie.Uneseconde…

Sidtapaquelquechose,puisretiralaclé.

–Tiens,ajouta-t-ilenlaluitendant.

Quelquesminutesinfiniess’écoulèrentavantqueSidreprennelaparole.

–Ça,c’estbonsigne.

–Quoi?demandai-jeenmeredressant.

– On dirait que le code original des machines a été modifié par un programmeextérieur.

–Qu’est-cequeçaveutdire,exactement?

–Pourfairesimple,quelqu’unaajoutéunvirusenutilisantunefaillezéro-jourducodedeBlakepourgonflerlenombredevoixpourFitzgeraldlejourdel’élection.SiBlakeavaitécritçalui-même,jedoutefranchementqu’ilauraitchoisicetteméthode.

–Pourquoiça?

–Pourquoiattacherunprogrammeàsonproprecode,quandonestcapabled’écrireleblocdelignesquilemodifieradirectement?

Entendreçame fitmépriserEvansplusencore.S’ilavait chargédesgensd’étudiercecode, ils auraient dû se dire la même chose. Peut-être que c’était pour ça que Carmodym’avaitdonnélaclé.J’auraisbienvoululuidemanderdesexplicationssursongeste,maisje

m’étaisfiguréqu’ilavaiteudebonnesraisonsdenepasresterassezlongtempspourquejelefasse.

– D’accord. C’est un début, mais on a besoin de trouver un moyen de prouver queTrevorestleresponsable.

–Hum…(LevisagedeGeoffmontrait sa concentration tandisque sesdoigts volaientsurleclavier.)Peut-êtrequ’onnepeutpasmettrelenomdeTrevorsurcecode,maisceluideBlakeyestdéjà,non?

–Oui, les routines de cryptage sont les siennes. Tout lemonde sait ça, y compris lesautorités,dis-je.

– Très bien. Alors, théoriquement, on devrait pouvoir prouver que deux personnesdifférentes ont écrit les deux codes. C’est un peu comme l’analyse graphologique ou lesempreintesdigitales.Lastructured’uncodepeutêtreanalyséedelamêmefaçon.

–Tupeuxfaireça?demandai-je.

–Ilyadesprogrammesdisponibles,maisvuquecefichierest,disons,sensible,jepenseà un ami qui a écrit le sien. Je peux lui demander de scanner ça, de comparer les deuxversionsetdefaireressortirlesdifférences.

–Allons-y,dis-jesanslamoindrehésitation.

Voilàcedontj’avaisbesoin,quelquechosedeconcret.Tout,àpartleschargesretenuescontreBlake,reposaitsurdesconjectures.

–Sijedisposaisd’autrescodesécritsparBlakeetTrevor,çafaciliteraitlacomparaison,ajoutaGeoff.

– Il y a les logs des premières attaques deTrevor contreClozpin, dit Sid. Si on peutprouverquelevirusn’estpasuncodedeBlake,ondevraitaussipouvoirprouverqueceluiquiapiraténotresiteetpasmald’autresdanslasphèredeBlakeétaituneseuleetmêmepersonne,renchéritSid.Maisjen’aiplusaccèsauserveurdeClozpin,malheureusement.

Jamesintervint.

–Mes identifiants fonctionnent encore. J’ai gardéunœil sur ce qu’ils faisaient depuismondépart.Attends,jevaistelespasser.

–Cesontbiendesamateurs,gloussaSid.

J’allaisleurdemandercombiendetempstoutçaallaitprendre,quandmontéléphonesonna.Danielm’appelait.

–Jereviens.

Jefilaidansmonbureauetrefermailaportederrièremoi.

–Bonjour,Daniel.

–J’aieutonmessage,répondit-il.

–Mercidemerappeler.

–Jet’avaisditdenepastéléphoner,reprit-ild’untonfortpeuchaleureux.

–Jen’écoutepastrèsbien.

–Àl’évidence.Ilyatropdepression,pourl’instant.Enplusdel’élection,lesFédérauxmeharcèlentparcequ’ilspensentquejesuisderrièretoutecettehistoireavecBlake.Tunedevraispasrisquerdet’impliquerencoreplusquetunel’esdéjà.

–IlsontarrêtéBlake.

Ils’éclaircitbruyammentlagorge.

–J’ensuisconscient.

–Cen’estpasluiquiafaitça.

–Tuferaismieuxdeprierpourquecesoitvrai,Erica.Jenevaismêmepastedirelesfortunesquej’aiengloutiesdanscettecampagne.Ilnes’agitpasqued’argent.C’estl’œuvred’unevie,ets’ils’estinterposéentremoiet…

–Jesaisquiafaitça,etj’aibesoindevotreaidepourleretrouver.

Nonobstanttoutlemalqu’ilavaitfait,j’avaisenviedeluidonnerungrandcoupsurlecrâne pour son égocentrisme. Je progressais enfin, et lui en était resté à la culpabilitésupposéedeBlake.

–Erica,jen’aipasdetempsàconsacreràça.

–Jemefichequevousayez le tempsoupas.Jenevousdemanderaiplus jamaisrienaprès.Jemetiendraipourtoujoursàl’écartdevotreviesic’estcequevousvoulez.Jevousdemandejustecettechose-là.

Lesmotss’étaientprécipitéshorsdemabouche,avantquej’aieletempsdemesurercequejepromettais.Maisenvérité,j’auraisditoufaitn’importequoipoursortirBlakedetoutça,etDanielétaitpeut-êtremadernièrechancedetrouverTrevor.

–Onnedevraitpasseparlercommeça.Cen’estpassûr,ditenfinDaniel.

–Bien.Alorsvoyons-nous.

–Où?soupira-t-il.

Je réfléchis une minute, soupesant les possibilités. Daniel avait probablement raisond’être parano, mais j’étais contente qu’il accepte de me rencontrer. Le voir face à faceimpliquaitplusquedeladiscrétion,enrevanche.J’avaisbesoinqu’ilm’écoute.J’avaisbesoin

deluidiredeschosesquejerefoulaisdepuisdessemaines,etceseraitpeut-êtremadernièreoccasiondelefaire.

–Retrouvons-noushorsdelaville.Jevousenvoiel’adressepartexto.

–Bien.

Une heure plus tard, on patientait dans la cuisine, Marie et moi. Ses mains étaientcrispéessur lebordducomptoir.Jepassaimonpoidsd’unpiedsur l’autreetrevérifiaimamontre.

–Pourquoiici?

Lebouleversementdans savoixme fit regrettermadécisiond’inviterDaniel chezellepournotretête-à-tête.C’étaituneidéefolle,etpourtantquelquechosemedisaitquec’étaitpeut-être l’endroit parfait pour vraiment l’atteindre comme je n’avais jamais pu le faireauparavant. J’espérais par ailleurs qu’avoirMarie près demoimedonnerait la force dontj’avaisbesoinpourl’affronterdenouveau.

– Pour l’instant, il reste convaincu que Blake a saboté ses chances de devenirgouverneur.J’aibesoindeleconvaincreducontraire,etilfautqu’onpuisseenparlerdansunendroitsûr.

Ellelâchalecomptoiretcroisalesbrassursapoitrine.

–Erica, je t’avaisavertie.C’estunhommedangereuxet tunepourras jamais lui faireconfiance.

–Oui,tum’avaisprévenue.Pourmadéfense,jenesavaispasàquoim’attendrequandjel’aiinvitéàentrerdansmavie.«Jetel’avaisbiendit»nem’aidepasvraiment,là.Onesticietmaintenant,etilfautàtoutprixquejeréussisseàleconvaincresijeveuxsortirBlakedelà.Tum’asditdemebattre,etc’estexactementcequejefais.

Ellesoupira.

– Jem’inquiète juste pour toi. Richard… (Elle avala sa salive avec difficulté…) Il estmortensemêlantdesaffairesdeDaniel.

Oui,l’ex-petitamideMarieavaitconnuunefinprématuréeenmettantunpeutropsonnezdansl’enquêtesurDanieletlesupposésuicidedesonbeau-fils.Jemesouvenaisencoredesonregarddéterminéquelques instantsavantquesavies’achèveetque lamiennesoitirrévocablementtransforméeparlecanond’unearmeàfeu.

Peut-être qu’enun sensRichard avait été aussi entêté quemoi. Il était journaliste, etc’étaitsonmétier.Maisiln’étaitpaslafilledeDaniel.JeplaignaisceuxquisetrouvaiententraversduchemindeDaniel,maisaufondj’étaisconvaincuequ’iltenaitàmoi,neserait-cequeparcequ’ilavaitaimémamère.

Onfrappaàlaporte,cequifitsursauterMarie.

–C’estlui.

Elleregardaendirectiondelaporteethésita.

–Tuessûrequetuveuxlefaire?

–Ilfautquejeluiparle,Marie,etilfautqu’ilmecroie.

Ellehocharapidementlatêteetallaàlaporte.Elleouvrit.

Daniel cilla une seconde, la regarda de haut en bas. Il était habillé de façondécontractée,pantalonkakietchemisebleue.

–Bonjour,Daniel.

Sonairsurprissetransformaenrictus.

–Marie?

Ellelaissasedessinerunpetitsouriresurseslèvres.

–Tutesouviens?

–Biensûr.Commentpourrais-jeoublier?

Il semblait soudain différent. Mal à l’aise, presque vulnérable. Pas le Daniel que jeconnaissais.Aucundesesvisages.

–C’estbondeterevoir.

Jesavaisqu’elle,enrevanche,ne lepensaitpas,et jedétestais l’avoirmisedanscettesituation.Mamère luiavait faitpromettredenepasmerévéler l’identitédemonpère,etpourtant il était là, frappant à sa porte. Et elle avait toutes les raisons de se montrerprotectrice.Danieln’étaitpasunhommeàquil’onpouvaitfaireconfiance.

Elles’écartaetluifitsigned’entrer.

–Entre.Ellet’attend.

Nosregardssecroisèrent.

–Erica.

Son ton était sérieux, mais pas agressif comme il aurait pu l’être si nous avions étéseuls.

–Bonjour.Asseyez-vous.

Ons’assit l’un faceà l’autredans lesalondeMarie,pendantqu’ellemontaità l’étagepournouslaisserànosaffaires.

–Unchoixintéressantpourunlieuderencontre,dit-ilaprèsqu’ellesoitpartie.

–Disonsquec’estunepreuvedeconfiance.

Porter à sa connaissance queMarie faisait toujours partie dema vie représentait unrisque, mais je pensais que ce pourrait être un rappel du passé, aussi, et un rappelimportant.Cettedébâcleélectoraleallaitêtreuntournantdanssavie,sansnuldoute,maisceneseraitpaslepremier.Ilavaitfaitunchoixilyavaitbienlongtemps.Ilavaitchoisidesedétournerdelafemmequ’ilaimaitetdel’enfantqu’elleportait.Ilavaitfaitcechoix–oucechoixavaitétéfaitpourlui,peut-être–pourseconcentrersurlapossibilitéquivenaitdeluiglisserentrelesdoigts.Ilavaitfaitunchoixquil’amèneraitencetendroitàcetinstant,et pourtant, malgré tous ses rêves et toute son ambition, rien ne s’était passé comme ill’avaitprévu.

– Je te fais confiance,mais je ne fais pas confiance à tonmari, dit-il avec un sourirepincé.

–VouscroyeztoujoursqueBlakeestresponsable?

Je lui posai la question sans colère ni arrière-pensée. Je voulais simplement savoircommentilpouvaitcroirecequejesavaisnepasêtrelavérité.

–Jen’enécartepaslapossibilité.Iln’ajamaisvraimentétéundemesfans.

–Etlamêmechoseestvraiepourvous.Pourquoirisquervosfoudresquandilsaitdéjààquelpointvousvousdéfiezdelui?Quelintérêt,pourluioupourmoi?

Ilsecoualatête.

–Tunepeuxpasnierqu’ilmeveuthorsdetavie.

–Vousétiezdéjàsortidemavie.

–Blake estunhommeextrêmement riche. Je suis sûrque tu le sais. Jen’ai peut-êtrepassongenredefortune,maisj’ailepouvoir.Cesabotagenem’apasuniquementcoûtélaposition que j’avais remportée : il menace tout ce que j’ai construit en dehors de cetteélection.Maréputationàlatêtedemoncabinet.Entantquemembredelacommunauté.Dans les conseils d’administration auxquels j’appartiens. J’ai une influence qui m’a menéjusque-là,etdont les fondationsontétéébranlées,dit-ilenagitant lesmains,pressant lesdoigts sur la petite table qui nous séparait. Ces fondations, Erica, représentent ce que jevaux, et elles sedésagrègent chaque jourunpeuplus.Celameplaceendessousdegensauxquelsjen’auraisjamaiseuàrendredescomptesauparavant,quipeuventmeprendrecequ’ilsveulent.Ettonmaripourraitenfairepartie.

Mapatiences’émoussait.Jegrondai,interrompantsatiraderidicule.

–Bonsang,Daniel!Cen’estpasluiquiafaitça,insistai-jeenm’efforçantderetenirmacolère. Par ailleurs, quiconque croit que sa valeur se jauge en fonction de sa puissancepolitiqueasérieusementbesoindevacances.C’estcommeçaquevousvousvoyez?C’estçaquevousapportezaumonde?

Ilmeregardad’unairfroid.

–Toutcequejepeuxtedire,c’estqueceluiquiafaitçavamelepayer.D’unefaçonoud’uneautre.D’autresquemoiavaientintérêtàcequejel’emporte.Etjenesuispasleseulàvouloirdesréponses.

–Sivousteneztantqueçaàobtenirdesréponses,aidez-moiàlestrouver.Jesaisquiafait ça. Je l’ai débusqué une première fois, et j’ai besoin que vousm’aidiez à le retrouverpour que le FBI puisse l’arrêter. Tant qu’ils croiront Blake responsable, ils penseront quevousêtesimpliqué.L’aideràs’ensortirvousaideraaussi.

Ilrestasilencieuxuntemps.

–Quicherches-tu?

–TrevorCooper.IlvientdupassédeBlake,c’estunhackerquis’estserviducoded’unvieuxprojetdeBlakepour trafiquer lesmachinesàvoter.Sincèrement, je croisqueçan’avraimentrienàvoiravecvous. Ilvoulait justesevengerdeBlake,etvousenavezsubi lesconséquences.

–Sitoutçaestvrai,pourquoilapolicen’estpasàsapoursuite?

–Parcequ’ilsnesaventpasqu’ilexiste.Dumoinspastantquejenel’auraipastrouvé.C’estpourçaquej’aibesoindevous.

–C’estunscénariobientiréparlescheveux,Erica.C’estBlakequiorchestretoutça?Jenepensaispasquetupouvaisêtrecréduleàcepoint,maispeut-êtrequel’amourt’arendueaveugle.

Monsangseremitàbouillir,etj’eusdumalàmeretenirdecrier.

–L’amournem’apasaveuglée.Ilm’afaitvoirplusclairementquejamaisauparavant.Etoui,jeferaisn’importequoipourblanchirsonnom.Etvousallezm’aider.

Illâchaunjuronetsepassalamainsurlanuque.

Je n’allais pas l’emporter en le houspillant. J’en avais envie. Ça faisait du bien.Maisj’avais besoin qu’il s’engage. J’avais besoin qu’il partage au moins une fraction de mondésespoir.Pasvraimentcertainequ’ilenétaitcapable,jedevaisaumoinsessayer.Ilyavaitencorebeaucoupdechosesquejeneluiavaisjamaisdites.

–Daniel…(J’attendisqu’ilrelèvelatête,quesesyeuxbleuscroisent lesmiens.Jeprisunelongueinspiration,espérantaspireraussiunpeuducouragedontj’avaisbesoin.)Blakevaêtrelepèredemonfils.Vousm’avezditunjourqueçan’auraitpasd’importancepourvous…Est-cetoujoursvrai?

Ilpâlitet fixasonattentionsurun lointainpoint invisibleausol.Comme ilgardait lesilence,jepoursuivis.Jemefaisaisviolencepourgarderuntonposéalorsquemoncœurseserrait.

–JereconnaisquejevousaifaitveniriciparcequejevoulaisquevousrevoyiezMarie.Çamefaitunpeupeurdevousréintroduiredanssonmonde,mêmebrièvement,parcequejenesaisjamaiscequevousallezfaire.Maisquelquepart,dansvotrecœurfroidetassoiffédepouvoir,jesaisqu’ilyauneplacepourautrechosequecettemauditeélection.J’espéraisque pour uneminute vous pourriez ouvrir les yeux et voir qu’elle a été commeunemèrepourmoidepuislamortdemaman.

–Jesuisheureuxqu’elleaitétélàpourtoi,dit-ildoucementencontinuantd’évitermonregard.

Jefermailesyeuxunbrefinstant,m’efforçantdepoursuivremalgrémagorgenouée.

–Aprèslafusillade…j’étaisdésespéréeàl’idéequejenepourraispeut-êtreplusavoird’enfants.J’yaibeaucouppensé.Plusqu’onnepourraitl’imaginer.Puis,parmiracle,j’aieucettechance.Etleplusincroyable,c’estquej’aipupartagerçaavecunhommequej’aimeprofondément,etdetoutemonâme.(Mavoixsebrisa,maisjemeforçaiàmurmurer.)Etjeveuxfairemieux.Jeveuxdonneràcetenfantplusquejen’aieu.Plusqueça.

J’avançai ma main, paume vers le haut, par-dessus la table, un petit geste poursymbolisertoutescesannéesdeséparation,cevideentrenousquipersistaitencore.

–Tuyarriveras.Jen’endoutepas.

–Alorscetenfantabesoind’unpère,parcequejesaiscequec’estquededevoirvivresans. Personne d’autre que Blake ne pourra jamais jouer ce rôle. J’ai dû grandir dansl’amourdequelqu’und’autreet j’ensuisreconnaissanteàmonbeau-père,maisc’auraitdûêtrevous.Illesavait,etmoiaussi.

Moncœurétaitdouloureuxdansmapoitrineetj’étaisauborddeslarmes.Toutcequeje retenais depuis si longtemps, avant même de savoir qui était Daniel, menaçait de sedéverserd’uncoup.Commentpouvais-jeàcepoint lemépriseret levouloirdanslemêmetemps,celarestaitunmystèrepourmoi.Sinotrelienavaitunequelconquevaleur,jepriaispourquecesentimentaitunesignificationpourluietvibreenluiaussi.

Ilpritsatêteentresesmainsetpassasesdoigtsdanssescheveuxgrisonnants.J’auraisvouluvoirsesyeux.Je les imaginaispleinsderegret.Unepartiedemoi,aumoins,voulait

qu’ilslesoient.Peut-êtreregrettait-iltoutça?

–Jesuisdésolé,Erica.Tunesaurasjamaisàquelpoint.

Cesdoucesparolesmetouchèrentprofondément.

–Jenepeuxpasyarrivertouteseule,Daniel.Jesuisassezforte…peut-êtrequeje lepourrais,jenesaispas,maisjen’arrivepasàmelereprésenter.Lachancem’aétéaccordéederecevoircedont jemecroyaisà jamaisprivée.Etmaintenant, ilsembleraitque l’amourdemaviepourraitm’êtreprisàsontour.J’aibesoindevotreaide.S’ilvousplaît.

Ilsoupira.

–D’accord.

Jereprisespoir.

–Vousallezm’aider?

– Si je peux. Je ne suis pas certain de ce que tu attends de moi. Ils épient aussi lemoindredemesfaitsetgestes.

Jetiraiunefeuilledepapierdemapocheetlaluitendis.

–VouspouvezcommencerparMargaretCooper.C’estlamèredeTrevor.C’estparellequeje l’aidénichéladernièrefois,mais ilsontdisparudesradarstous lesdeux.Voici leurdernièreadresse connue, et tout cequipourrait aider.Si jepeux la trouver,ou si vous lepouvez,j’arriveraipeut-êtreàtrouverTrevorouàlaconvaincredememeneràlui.

Ilregardalepapier,levisageimpassible.

–Cequetuveux,cesontdesinformations.

–Oui.

Sonvisagesecrispa.

–Lesinformationsontunprix.

Jelaissaibéermabouchecommeildevaits’yattendre.

–J’aidel’argent…

–Jeneveuxpasdetonargent.Jem’efforcedetefairecomprendrequejenesuispascomme toi.Lesgensqui trouventdes informationspourmoin’entrentpasdansunepiècepourlesdemanderpoliment.Ilpourraityavoirdesdégâts.

Jeprisletempsdesérieusementconsidérercequ’ilvenaitdedire.JemesouvinsdelamèredeTrevor,delafaçondontelles’étaitprécipitéesurmoi.Siellen’avaitpasétésiivre,elle se serait peut-être approchée suffisamment pourme faire dumal. J’avais été stupide

d’allerchezeuxseule,etpeut-êtrequejel’étaisaussidedemanderunetellechoseàDaniel,maisjen’avaisplustellementlechoix.

–Peum’importecequevousferez,tantqueçamepermetdetrouverTrevor.Trouvez-le,etvousn’entendrezplusjamaisparlerdemoi.

Ilopinaduchefetregardadenouveaulafeuilledepapier.Ill’agitaitrythmiquement,latenantentrelepouceetl’index.

–C’estcequetuveux?

Moncœurcessadebattre.

–Qu’est-cequevousvoulezdire?

Ilsecoualatêteetcommençaàselever.

–Jenesaispas.Jedevraisyaller.

Rangeantlepapierdanslapochedesonpantalon,ilseleva.

–Jeverraicequejepeuxtrouver.Onresteencontact.

–Vousvenezd’arriver.

Jelesuivisjusqu’àlaporte.

–Margotacommencéàfairesesvalisescematin.Ilfautquejerentreetquej’essaiedeluifaireentendreraison.Lefaitquejesoisvenutevoirnevaprobablementpasplaiderenmafaveur.

–Jesuisdésolée.

Sesyeuxs’emplirentderegret.

–Moiaussi.

*

Tôtlelendemainmatin,jefusréveilléeparlasonneriedemontéléphone.Jedécrochaienmefrottantlesyeux.

–Allô?

Laréceptionétaitmauvaise,etuneopératricemedemandasi j’acceptaisunappelenPCVdelaprisonducomtédanslaquellejesavaisqueBlakeétaitdétenu.Moncœurbattitfollementdansmapoitrine,tantdel’attented’entendrelavoixdeBlakequedudéplaisantrappelqu’ilétaittoujoursprisonnierlà-bas.J’acceptail’appeletj’entendisundéclic.

–Erica?

LavoixdeBlakesemblaitlointaine.

–Oui.

Jefermailesyeux,cherchantdesmotsquandtoutcequejevoulais,c’étaitlesentir.Jevoulaismeprécipiterlàoùilétaitetleramenerlàoùildevaitêtre.

–Commentvas-tu?

–Jevaisbien.

Aucune vie dans sa réponse, et je repoussai une soudaine envie de pleurer. Je nevoulaispasqu’ilm’entendecraquer.Ilfallaitquejesoisforte…

–Tumemanquestellement.Jepeuxvenirtevoirquand?

Ilrestauninstantsilencieux.

–Jepréféreraisquetuneviennespas,dit-ilfinalement.

–Qu’est-cequetuveuxdire?

– Je ne veux pas que tu viennes ici, d’accord ? Tumemanques. Bon sang ! dit-il enlaissant échapper un souffle saccadé. Tu me manques plus que tu ne pourrais jamaisl’imaginer,maisjeneveuxpasquetumetteslespiedsdanscetendroit.C’estcompris?

Jem’assisdanslelitetunsoucinouveaum’éclaircitlesidées.

–Toutvabien?Tumefaispeur,Blake.

– Je vais bien, il n’y a pas de raisons de t’inquiéter. Mais toi, ici… Que tu me voiescommeça…Cen’estpasunsouvenir,nipourtoinipourmoi.

–Maissi…

–Commentvontmamanetpapa?

«Mais si tune revienspasà lamaison?»C’était laquestionqu’aucundenousdeuxn’acceptaitd’envisager. Jeprisunedifficile inspiration,décidaide respecter son souhait etchangeaimiséricordieusementdesujet.

Chapitredix-huit

BLAKE

–C’estquoi,cetruc?

Jecommençaiàexaminer lapiledepapiersqu’Evansvenaitde laisser tomberdevantmoi.

–Çaressembleàuneanalysedétailléeducode.

Evansétaitdel’autrecôtédel’unedespetitestablesrondesréservéesauxprisonniersetàleursvisiteurs.J’avaissecrètementespéréquelqu’und’autre,maisj’étaisheureuxqu’Ericaait respecté mon souhait et ne soit pas venue. J’avais envie de la voir, même quelquesminutesseulement.J’auraisvouluavoir lapossibilitédelaréconforterautantquepossible,mêmederrièreunevitre,maisjenevoulaispasnonplusqu’ellemevoiecommeça.

Max avait eu raison sur un point. Je n’avais jamais beaucoup prêté attention àmonapparence, dumoins pas comme lui. Pour aller travailler, j’avais une bonne collection detee-shirts vintage que je pouvais facilement remplacer, quand cela s’imposait, par descostumestrois-pièces.J’enavaisunplacardentier,maisjen’avaispasbesoindemedonnerdegrandsairscommelesautres.

Jene l’avais jamais fait. Je savaisqui j’étais, et jen’avaispasbesoindeglamourpourasseoir la fortune que j’avais accumulée ou les succès que j’avais remportés sans cesconneriessuperficielles.

Néanmoins,avec l’argent, jem’étaishabituéàcequ’il yavaitdemeilleur.Passermesjournées dans une boîte de béton avec un accès limité au plus strict nécessaire était fortéloignédemaviehabituelle.Demaviehabituelleoudemavied’avant?Malédiction,j’étaistombétropbas,etjenevoulaispasqu’Ericalesache.

Physiquement, j’étais dans un état lamentable. Émotionnellement, c’était pire. Je nepouvaispasprotégerma familled’ici. Jenepouvaism’occuperde riennid’aucundeceuxquiavaientbesoindemoi.Etjenerisquaispasdegagneràunconcoursd’élégance.

J’écartai cespenséesetm’efforçaidemeconcentrer sur lesannotations inscritesentreleslignesdecode,dontjereconnaissaiscertainespourêtrelesmiennes.D’autresnel’étaientvisiblement pas. Il s’agissait dans l’ensemble d’une évaluation plutôt bien argumentée quiconcluaitque jen’avaispas intégralementécrit lecodeutilisépourmanipuler lesvotes.JerepoussailespapiersversEvans.

–Illeurenafallu,dutemps,àvostechniciens,pourpondreça.

–Cen’estpasleurœuvre.

Jehaussailessourcils.

–Unesourceanonymenousl’atransmis.Uneidée?

Jehaussailesépaules.

–C’estvous,lesexperts.Àvousdemeledire.

–Vousêtesentauleetvousêtespartipourypasserdutemps,alorspourquoinepasfairesimple?QuiestTrevorCooper?

Je le dévisageai. J’avais cru que les notes que je venais de parcourir suffiraient pourconvaincre la police que je n’étais pas coupable,mais il semblait évident qu’Evans n’allaitpas s’avouer battu aussi facilement. Il allait falloir lui faire un dessin pour qu’il lecomprenne:jen’étaispasaucœurdel’affaire.

–Govemeditqueceseraitunesortedecyber-rivalquevousavez,poursuivit-il.Pourcequejevois,ondiraitquevousavezcoordonnévoseffortsavecceuxdequelqu’und’autre,etmaintenantvousessayezdetoutluimettresurledos.

Jelaissaiéchapperunpetitrire,riend’autre.

–Bonsang,Blake,mettez-vousàtable.

– Je ne peux pas placer un mot. Et pour dire quoi, quand vous êtes à ce pointconvaincud’avoirtoutcompris?Jedétesteraisdétruirevosillusionsenvousimposantcetteversionqued’aucunsappelleraientla«vérité».

Ilserenfonçadanssachaise.

–Jenevousaimepas,Landon.

–Unsentimentpartagé.

–Maisjenesous-estimepasvotreintelligence.

–Là,jenepeuxpasendireautant.

Ilgrimaça,etjesentisqu’ilperdaitpatience.

C’étaitlemomentoujamais.Jen’avaispasgrandespoirqu’Evansentenderaison,maisaumoins il posait des questions. Dean lui avait parlé de Trevor, et il y avait devantmoiassez de preuves distinguant son code dumien pour qu’Evans soit contraint de suivre denouvellespistess’ilvoulaitgarderunechanced’avoirundossiersolide.

De toute façon, la situationne pouvait guère empirer. Chaque jour que je passais enprison était un jour sans Erica, et je n’allais pas jouer lesmartyrs pour le frère cadet deBrian,quoiqu’ilsesoitpasséautrefois.

Jeprisunelongueinspiration,mepréparantàluiracontertoutel’histoire.

–Bien.Qu’est-cequevousvoulezsavoir?

–CommençonsparTrevor.Commentl’avez-vousconnu?

– Je peux supposer que vous êtes informé de tout ce qui concerne leM89 en détail,exact?

Evanssedétenditunpeu,retrouvantsonsouriredefouille-merde.

–Pourfaciliterlaconversation,disonsqueoui.

– Bien. Quand Brian Cooper s’est suicidé, il a laissé derrière lui samère et un frère,Trevor.

Lesourired’Evanss’atténuaunpeu.

–Continuez.

–Jen’aipasbesoindevousracontermonhistoire.J’aidéveloppéBanksoftpuisinvestidans bonnombre de projets personnels depuis. Il y a quelques années, j’ai remarqué quecertainsdemessitesétaientciblésparunhackerouungroupedehackers.Riendesérieux.Rienquemonéquipenepuissegérer.Justeunecontrariété.

–Etvouspensezquec’étaitTrevor.

– Je sais que c’était Trevor. Il a revendiqué les attaques au nom de sa nouvellegénération de M89 chaque fois qu’il a pu. Je n’ai jamais pris la peine d’essayer de ledébusquer. Je pensais que ça ne valait pas le temps perdu, mais Erica l’a retrouvé parl’intermédiaire de samère et lui a demandé des comptes. Il a quasiment tout admismaisaussitôt disparu des écrans radars. C’est un programmateur de merde, mais il sait seplanquer.

–D’accord.Supposonsque tout ça soit vrai.Pourquoi irait-il truqueruneélection? IlestliéàFitzgeraldd’unequelconquefaçon?

– Son seul lien avec Fitzgerald est à travers moi et Erica. Il n’en a rien à faire del’argentouduprestige.IlaconsacrétoutesavieàvengerBrian.Etquellemeilleurefaçondevengersonfrèrequedevoirsonancienacolytederrièrelesbarreauxpourexactementlamêmechosequecequiapoussésonfrèreausuicide?L’électiondeFitzgeraldn’étaitquelemoyendem’impliquer.

Quelquesminutess’écoulèrent,durantlesquellesjem’efforçaisdenepaspenseràlaviequ’Evans et Trevorme souhaitaient. Une vie derrière les barreaux, peut-être pas une vieentière,maisassezpourraterdesmilliersd’instantsprécieuxquejeneretrouveraisjamais.

DesinstantsavecEricaetnotreenfant,lafamillequenousétionssiprèsd’avoir.QueTrevoraitunechancedevoirsonplancouronnédesuccèsmedonnaitlanausée.

Jeserrailespoings,lespressaicontremescuisses.Lavoixd’Evansbrisalesilence.

–Commentsavoirsivousnemeracontezpasdescraques?

Jemepenchaienavantlesyeuxécarquillés,plusirritéquejamaisqu’aprèsavoirretenutoutçasilongtemps,sapremièreréponsesoitencorelescepticisme.

–Disons les choses clairement, Evans. Si j’avais truqué cette putain d’élection, ce quin’est pas le cas, vous ne vous en seriez jamais aperçu. Deuxièmement, si votre bande degéniesétaitcapabledemerelieràça,ilsbosseraientpourmoi.

Ilrenâcla.

–Vousêtesfier,jedoisvousl’accorder.

–Appelezçacommevousvoulez,maisquemonnomsoitassociéàcetteconnerieestinsultant. J’ai mis une douzaine des pires salauds deWall Street à genoux quand j’avaistreizeans.Vouscroyezque jenesauraispastrafiquerunemachineàvotersans laisserdetraces?Soyezunpeusérieux!

Lesjouesd’Evanss’empourprèrent,etilrajustalecoldesachemise.

–SivousmediteslavéritéetqueTrevorestderrièretoutça,oùvais-jeletrouver?

Jehaussailesépaules.

–Débrouillez-vous.

–Vousvoulezsortird’ici,Landon,ouvousvoulezvoirvotreenfantauparloir?

JeravalaidifficilementtoutcequejevoulaisdireàEvans.

– Je ne serais pas derrière les barreaux sans vous. Maintenant, vous essayez de meforceràfairevotreputaindeboulotàvotreplace,c’estça?

Sesnariness’épatèrent.

–Réfléchissez-y.Réfléchissez-ybienetlonguement.

Son téléphone sonna alors, un bruit aigu et déplaisant. Il répondit et tint l’appareilcontresonoreille.«Evans.»Sonregardsedétournademoi.«Vraiment?Oùça?»Presqueaussitôt,ilseleva,etlachaiseraclalesoldebéton.«Jesuislàdansdixminutes.»

Ilm’adressaunregardimpénétrableetpartit.

*

ERICA

J’avaispassélesdeuxnuitssuivanteschezMarie,etj’enétaisheureuse.MêmesiBlakememanquaithorriblementetquejem’inquiétaispournotreavenir,j’appréciaissaprésence.Lafemmeinsoucianteetbonnequitombaitviteamoureuseetsouffraittoutaussifacilementétait plaisante à vivre pour les mêmes raisons. Chaleureuse et modeste, elle ne jugeaitjamais,nelaissaitjamaissesinquiétudess’ajouterauxmiennes.

J’étais loin d’un quelconque soulagement, mais les progrès faits avec Sid m’avaientdonnéde l’espoir.Nous avions anonymement envoyéàEvans l’analyse compiléegrâce aucontactdeGeoff.Sij’attendaisdesnouvellesdececôté-là,j’enattendaisaussidelapartdeDaniel.

Je m’étais repassé mentalement notre conversation d’innombrables fois. Il paraissaitsincère.Sincèrementulcéréquantàsapropresituation,sincèrementdésolédenepasavoirétélàpourmoi.J’espéraisqu’ilétaitsincèreaussidanssavolontédetrouverTrevor,parceque c’était lui la clé. Il était l’ombre qui avait hanté nos vies depuis bien trop longtemps.Parfois,jen’arrivaispasàcroirequej’avaisréussiàleretrouverunepremièrefois.Etjememaudissais encore et encore pour l’avoir laissé s’échapper. J’avais agi inconsidérément enpartanttouteseulesursatrace.J’auraisdûattendrel’aidedeBlake.Peut-êtren’enserions-nouspaslàaujourd’hui,confrontésàlapossibilitéd’unavenirséparé.

Lematin, j’allaisaubureau.Le travailde routineet la compagniedesgensm’étaientunpetitréconfort.Jepassais laplusgrandepartiedela journéeàessayerd’enapprendreplus sur les autres cas de fraude informatique, et à comparer notre situation à celle desautres.Laplupartdutemps,çanefaisaitqu’ajouteràmonanxiété.Allifrappaàmaporteàl’undecesinstants.

–Eh,tuvasbien?

Jefispivotermonfauteuiltandisqu’elles’asseyaitdanslesiègeenfacedumien.

–Ouais.J’étaisjusteentraindeparcourirmesmails.

–Commenttesens-tu?

Jefisglissermondoigtlelongdemonbureau.

–C’estunequestionpiège,Alli.

–Désolée.Jeveuxdirephysiquement.

Jehaussailesépaules.

–Riendebienparticulier.

Elleacquiesçaetrestauninstantsilencieuse.

–TuesalléevoirBlake?

Jesecouailatête.

–Uneraisonparticulière?

Je ne pouvais pas passer une heure sans penser à Blake. On avait passé un moisensemble vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, et ça n’avait pas étéassez.J’avaisbesoindesaprésenceplusquedecelleden’importequid’autre,etpourtantjen’arrivais pas à me résoudre à dire à Clay de m’emmener là-bas, quand Blake m’avaitspécifiédenepasvenir.

–Ilneveutpas.

–Quandest-cequeçat’aarrêtée?

Ilm’était venu à l’esprit d’ignorer sa volonté. Parfois, Blakene savait pas ce qui étaitbonpourlui.Maisj’étaisterrifiéeàl’idéedelevoirsivulnérable.

–Jecroisquej’attends,finis-jeparreconnaître.

–Tuattendsquoi?

–C’estcommesij’attendaisjustequ’ilrentreàlamaison.Etquandjeprendsconsciencequeceneserapas lecas, j’ai l’impressionque j’attendsdetrouver lemoyenderéglertoutça.

– Je comprends que tu ressentes ça,mais on n’a aucunmoyen de savoir combien detempsvadurerceprocessus.Quoiqu’ilarrivedanscetteenquête,vousêtestoujoursmariésetamoureux.Ilabesoindetoi.

–Jelesais,oui,etcrois-moi,çametue.Lejourdel’audience,ilsemblaitsidésespéré.La seule fois que j’ai vu cette expression dans ses yeux, c’était quand jeme suis fait tirerdessus.Ilesttoujourssifort,siincroyablementdéterminé.Maisilnepouvaitpascacherquejerisquaisdemourirjustelàdevantlui,cejour-là.Sic’estcequ’ilressentmaintenant,qu’iln’yaplusd’espoir,alorsjeneveuxpasallerlevoirtantquejeneseraipascapabledeluidonnerça.Del’espoir.Etjen’aipasl’impressiond’enavoirdéjàlapossibilitépourl’instant.

Latristessesepeignitsursonvisage.

–Desnouvellesdelapolice?

Jesecouailatête.

–Govem’aappeléeetm’aditqu’ils«étudiaient»,maisrienencore.

Ellelaissaéchapperunsoupirfatigué.

–Jet’emmènedéjeuner.

–Jen’aipasvraimentfaim.

–Écoute, j’adorerais t’emmenerdescendrequelquesMartini,mais tu es au régime secpourunmoment.Tuasbienledroittoutdemêmedet’abandonnerauxplaisirsdelatabledetempsentemps. Ilyacepetit indienque j’ai trouvéàquelquespâtésdemaisonsd’ici.Leurpainnanestàtomber.

Monestomacgargouillasonassentiment.

–D’accord.

Un peu plus d’une heure après, par la grâce d’un délicieux repas riche en glucides,j’arboraisunpetit ventre cumulantmesexcès etmonbébé. Je le tapotai, cequimeparutridicule et naturel à la fois. Personne n’aurait pu dire que j’étais enceinte, mais j’étaisimpatientedevoirlejouroùilenseraittoutautrement.

Onrevenaitvers lebureauquand je tombai surRisa sortantdechezun traiteuravecmavieilleamieLiz,unautrevisagefamilier.OnavaitétécolocpendantmapremièreannéeàHarvard,Lizetmoi;maisaprèsmondéménagement,ons’étaitunpeuperduesdevue.C’était elle qui m’avait recommandé Risa quand j’embauchais pour Clozpin, mais on nes’étaitpasreparlédepuis.Maintenant,lesdeuxfemmessetenaientdevantnous,vêtuesdemanièreformelled’unevesteetd’unpantalonnoirs.Ellestenaientàboutdebrasdessacsenpapiercontenantàl’évidenceleurdéjeuner.Lizfutlapremièreàparler.

–Erica,commentvas-tu?

Elles’avançaetm’étreignitinconfortablement.

–Bien,ettoi?

–Çava.Jecontinuedefairedéfilerdeschiffresdansmasociétéd’investissements,maisbon…aumoinsj’aidelacompagnie,maintenant.

EllesouritetfitunsignedetêteendirectiondeRisa,quisetenaitnerveusementàcôtéd’elle.

JenesavaispastropcequeRisaavaitditàLizdenotreséparation,maisapparemmentpas assez. Risa avait trahi ma confiance et mis en danger ma société, deux crimesabsolumentimpardonnablesselonmoi.Elleavaittentédefaireamendehonorablequelquesmoisauparavant,etj’avaisunpeupitiéd’ellepouravoirprisd’aussidouteusesdécisionsquecellede faire entrerMaxdans sa vie ;mais elle avait fait ses choix, et jenepourraisplusjamaisluifaireconfiance.Elleparutavoirludansmespenséesquandellepritlaparole.

–J’aiappris,pourBlake.Voustenezlecoup?

Jehaussailesépaules,nesachanttropquoirépondreàça.Commentjetenaislecoup,cen’étaientpasvraimentsesoignons.Surtoutquejenetenaispasaussibienlecoupqueje

l’auraisvoulu,enparticulierquandleslarmesmemontaientauxyeuxdèsqu’onprononçaitlenomdeBlake.

– Eh bien, on est contentes de vous avoir vues, mais on est en retard pour notrerendez-vous,intervintAllienregardantsamontregrandformat.

Surce,elleglissasonbrassouslemienetm’entraîna.

– Hum… Erica, j’espérais qu’on pourrait se parler un de ces quatre, s’empressad’ajouterRisa.

Elle posa son sac en papier pour fouiller dans sa pochette. Elle en tira une carte devisite,quiconfirmaitqu’elletravaillaitpourlasociétéqu’avaitintégréeLizàsasortiedefac.Avec Liz au milieu de tout ça, je ne sus que dire. Les bonnes manières m’imposaientd’acquiescer,maisjen’avaisaucuneenviedereparleràRisa.Elleétaitàdesannées-lumièredemoncercledeconfiance,etiln’yavaitaucunechancequejelalaisses’enapprocher.

Allipritlacartequ’elletendait.

–Super.Onvousreverrabientouteslesdeux.Maisondoitfiler!

Ondescenditlarueversnotresupposérendez-vous.

– Désolée d’être restée pétrifiée comme ça, lui dis-je à l’approche du bureau. Mercid’êtrevenueàmarescousse.

–Pasdeproblème.Jenousairenduserviceàtoutes lesdeux.Jen’avaisrienàdireàcettefemmeaprèscequ’ellet’afait.Etàmonavis,toinonplus.

–Riendeplaisant,entoutcas.

Je glissai la carte dans la poche demon jean,m’efforçant d’oublier qu’elle travaillaitmaintenantàquelquespâtésdemaisonsde là,etquecen’étaitqu’unequestionde tempsavantquenoscheminssecroisentdenouveau.

Chapitredix-neuf

ERICA

ClaymeramenachezMariecesoir-làencore.Quandjefranchis laporte,monregardseposaimmédiatementsurlasilhouetteassisesurlecanapéenfaced’elle.Danielselevaetvintlentementversmoi.

–Toutvabien?demandai-je.

–Tiens.

Iltiraunmorceaudepapierdesapocheetmeletendit.

–Qu’est-cequec’est?demandai-jeenledépliant.

–C’estlàquetuletrouveras.

–Trevor?

Unprofondsoulagementm’envahit,ainsiqu’une fortepousséed’adrénaline.Yavait-ilunechancequeDaniell’aitvraimentretrouvé?

– Il se terredansunappartementdeRoxbury,au-dessusd’unequincaillerie.C’estunquartierdur,alorsfaisattention.

–Commentl’avez-vousretrouvé?

–Delamêmefaçonquetoi.Parsamère.

–Etellevousl’aditcommeça?

Seslèvresformèrentunelignesombre.

–Non.Pasexactement.

Jesentislesangseretirerdemonvisage.Oh,monDieu.Qu’avait-ilfait?

–Toutlemondeaunprix…Lesienétaitbeaucoupplusbasquejenel’auraiscru.

–Ai-jevraimentenviedesavoircequevousentendezparlà?

Ilsourit.

–Sicettepetitemerdenem’avaitpascoûtélesiègedegouverneur,j’auraispresqueeupitiédelui.QuelquesmilliersdedollarsetdeuxbouteillesdeVicodineontsuffi.Ilsembleraitqu’ilaitnégligé lesaddictionsdesamère,cesderniers temps,alorsellenes’estpassentietrèsmaternellequandmesamissontvenusdiscuteravecelle.

–Oh…

Malheureusement,riendanscescénarionemesurprenaitvraiment.Laseuleetuniquefois que je l’avais vue, cette femme avait l’air d’une épave. À l’instar de Daniel, si Trevorn’avaitpasmenacéàluiseuldedétruiretoutcequim’étaitcher,j’auraispuavoirunpeudesympathiepourlui,desavoirqu’ilavaitétéélevéparunemèrepareille.

–Commentsavez-vouss’ilestvraimentlà?

– J’ai fait surveiller son appartement pour m’assurer qu’il s’y trouvait. Un ado petit,cheveuxnoirs?

–Oui,c’estlui.

–Onest restésassez longtempspourvérifierque l’adresseétait labonne,mais jen’aipasvouluqu’ilpaniqueetdisparaissedenouveau.Jemesuisditquetuprendraislerelaisàpartirdelà.

–Merci.

Lepapiers’agitaitdansmamaintremblante.Sansréfléchir, j’enlaçaiDanieletenfouismonvisagedanssonépaule,retenantlessanglotsquivoulaientexploser– les larmesd’unimmensesoulagement.Sesbrasserefermèrentsurmoi.Sapoitrinesegonflad’uneprofondeinspirationavantqu’ilmeserreuntoutpetitpeuplusfort.

–Millefoismerci,murmurai-je.

Onbrisalà,etilévitamonregard.

–Jeferaismieuxd’yaller,dit-ildoucement.

IlsetournapouradresserunsignedetêteàMarie.

–Aurevoir,Daniel,répondit-elle.

–Aurevoir.

Puisilpartit,descendit larueversl’endroitoùConnorl’attendaitàcôtédelaLincolnnoirequiautrefoismeterrorisaitchaquefoisquejelavoyais.

Àbientôt,medis-je.Maisjen’étaispascertainequeceseraitlecas.Jeluiavaispromisqu’ilnemereverraitplusjamais.Était-cevraimentcequ’ilvoulait?Cequejevoulais?

Jeconnaissaislaréponse,maisjen’avaispasletempsdem’appesantirsurlesujet.Pasmaintenant,quandonétaitsiprèsdemettrefinàcecauchemar.

DèsquelavoituredeDanieleutdisparuetquej’eusreprislecontrôledemesémotions,je tapai le numéro quem’avait anonymement envoyé le texto quelques jours auparavant,espérantentendrelavoixdudétectiveCarmodyàl’autreboutdufil.

–Carmody,répondit-ilbrusquement.

–Bonsoir,EricaLandonàl’appareil.

Ilhésita.

–Quepuis-jefairepourvous?

–J’aitrouvéTrevor.Ilestenville.Jevoudraisquevousl’arrêtiez.

–Oùest-il?

Jedéglutisetregardaileboutdepapierquejetenais.Jeleserraifort,commequelquechosedeprécieux.SiTrevorétaitvraimentlà,etsilapolicepouvaitl’appréhender,alorscepapierétaituntrésor.

–Erica,vousêtestoujourslà?

–Oui. J’ai l’adresse là devantmoi. J’ai juste besoin que vousme promettiez quelquechoseauparavant.

–Quoi?

Tantdechosesétaientdanslabalance.Ilnefallaitpasselouper.SiTrevors’apercevaitde quelque chose et disparaissait de nouveau, je ne le retrouverais peut-être plus jamais.Pasavantqu’ilsoittroptard…

– Il faut que je sache si vous allez faire ça bien, Carmody. J’ai peur qu’il s’enfuie etqu’onneleretrouveplus.

–S’ilestlà-bas,jel’arrêterai.

Jevoulaislecroire.

Carmody était en position d’interpeller Trevor, et il était ma meilleure – etprobablement seule – chance d’arriver à ce résultat. Le fait qu’il était allé au-delà de sesobligationspourm’aideràtrouverTrevorm’incitaitàluifaireplusconfiancequ’àn’importequid’autre;maiscelam’amenaitaussiàmeposerdesquestionssurcequil’avaitconduitàagirainsi.

–Pourquoim’avez-vousaidée?

Ilrestaunlongmomentsilencieux.

–Écoutez,iln’yapasdequoienfairetoutunplat.Jenesuisducôtédepersonne,sicen’estde lavérité.Età la façondontEvansabordait l’affaire,onne risquaitpasdes’enapprocher. Ilmènevisiblementunevendettaaunomdesonservice,et j’aieu l’impressionqueçapourraitaider.

Jefermailesyeux,heureusequ’ilaitagiainsi.S’ilnel’avaitpasfait…Jen’osaismêmepasypenser.

–Promettez-moi,c’esttout.

Ilsoupirabruyamment.

–Erica, siTrevorest làoùvousnous l’indiquez,etque l’onpeut trouverdespreuvesquil’incriminentdanstoutecetteopération,jenevaispaslelaisserm’échapper.Vousavezmaparole.

–D’accord,finis-jeparconcéder.

Je lui énonçai l’adresse, en intimant à mon cœur l’ordre de battre moins fort, sanssuccès.J’entendisCarmodys’agiteràl’autreboutdutéléphone,puislesilence.

–Vousyallezaujourd’hui?demandai-je.

–Jemontedanslavoitureàcetinstantmême.

–Merci.

Lacommunicationpritfin,etjecommençaiàattendre.

*

BLAKE

–Aujourd’huiesttonjourdechance.

Je pris un siège face à mon avocat, avec une furieuse envie d’effacer son expressionoptimistedesonvisage.Iln’yavaitrienderéjouissantdansmasituationdumoment.

–J’endoutefranchement.

–IlsontretrouvéTrevor.

Jemarquaiuntempsd’arrêt.

–Commentont-ilsfait?

Deanm’adressaunsourireconvenu.

–Unautrecoupdemainanonyme.Entreçaetlecode,jecroisquelacuriositéd’Evansa été piquée.Quoi qu’il en soit, Carmody a reçu l’info et l’a arrêté. Ça n’a pas été facile,d’ailleurs.Jesupposequ’ilaessayédes’enfuir. IlaétéunpeurudoyéquandCarmody l’ainterpellé.

–Çaalors!Jen’arrivepasàcroirequ’ilsl’aienteu.

Ils avaient réussi à arrêter un fantôme. Une ombre. Mais je ne pouvais pas leur enattribuertoutlemérite,nimêmeunetropgrandepartie.Ericaavaitdûlesaider.

Bonsang,commentavait-ellefait?D’abordlecode,etmaintenantça.Jenevoyaispasquid’autreauraitpuréussirtoutçaaussirapidement.Seulunfiefféimbécilesous-estimeraitmafemme.

Monvisages’éclairad’unsourireradieux.

– Il refuse de coopérer, ça va sans dire, poursuivit Dean. Mais ça n’a pas grandeimportance,parcequ’ilsonttrouvéunemontagnedepreuvesdanssesordinateurs.Ducodesourceenveux-tuenvoilà.Desmachinesàvoter,detessites,deceluid’Erica.Ilyatoutça,etbienplusencore.Ilscontinuentdeledépouillerencemomentmême.

–Jesupposequeçaveutdirequejesuistiréd’affaire,maintenant.

–Pourlamanipulationdel’élection,oui.MaisilsneveulentpascédersurleschargesdefraudeinformatiqueliéesàParkersitunenégociespasunaccord.

–Unaccord?

– Ils veulent que tu coopères avec le ministère public dans ses poursuites contreCooper. Ils veulent une déposition complète et toutes les preuves afférentes sur sesinteractionsavectesaffaires.Etilspourraientvouloirquetutémoignes.

–Merde…maugréai-je.

Je pouvais faire avec la déposition et les preuves, mais je n’avais pas envie de meretrouverfaceàcepetitconnarddansuntribunal.Çaavaitquelquechosed’humiliant.

–Onafaitbeaucoupdechemin,Blake.Ilafallupasmaldechancepourenarriverlà,etçan’apasétésansrisque.Dieusaitcequ’EricaadûfairepourtrouverlecodeetTrevor.Situn’acceptespas…

Il lâcha sonstyloet sepinça lehautdunez. Iln’avaitpasbesoindeme ledire.Si jen’acceptaispas,j’étaisuncrétinégoïsteetautodestructeur.

–Qu’est-cequ’ilsoffrent?

Ilmeregardad’unairlas.

–Unepeineréduite.

Toutlesoulagementquej’avaispuressentirfutbalayépardenouvellescraintes.

– Tu veux dire qu’il y aura quandmême une peine de prison ? Aucune chance. Pasd’accord.

–Avecsursis,Blake.Jepeuxtefairesortirdemain.Tutetiensàcarreauquelquesmoiset,àparttoncasier,ceseracommes’ilnes’étaitrienpassé,dit-ilensepassantlamaindansles cheveux, troublant leur ordonnancement. Tu crois que j’aurais accepté de la prisonferme?Tumeprendspourqui?

Jelaissaiéchapperunsoupirdefrustration.

–D’accord.

Ils’immobilisa.

–Tuvaslefaire?

–Oui.Oùdois-jesigner?

*

Aussi serein que je veuille le paraître,mon cœur chantait quand je pus remettremespropresvêtementsaprèslaprocéduredelevéed’écrou.Jemeregardaidanslepetitmiroirsuspenduaumurdelapiècedanslaquellejemechangeais.Mêmesijesavaisquecen’étaitpaslecas,jeressemblaisàl’hommequ’Ericaavaitvuladernièrefois.

Mes lunettes sur le nez, je passai lamain dansma chevelure, qui avait besoin d’êtrerafraîchie. Je n’avais pas vu Erica depuis une semaine, et si je voulaisme précipiter à lamaison pour la retrouver aussi vite qu’il était humainement possible, je m’inquiétais parailleursdecequ’ellediraitquandjefranchiraisenfindenouveaulaporte.

C’étaitellequim’avaitfaitlibérer.Maismêmesij’étaisaccueilliparlesbraschaleureuxdelamêmeErica,jesavaisquejen’étaispluslemêmehomme.Cettedernièreconfrontationavec la loiavait étédouloureusement révélatrice. Jepouvaisêtreorgueilleuxparfois,maissavoir que je n’étais plus la seule personne dont l’avenir était en jeu m’avait apprisl’humilité.

Jefranchislederniersasdesécuritéetpénétraidanslastérilitéducouloird’entréedelaprison.Devantmoi,MichaelPopeémergeadelasalled’attente.Ilétaitvêtud’unluxueuxcostumerayé.Ilaffichaitunteinthâléfortseyant,etsescheveuxblondsgrisonnantsétaientimpeccablementcoupés.Pourlapremièrefoisdemavie,jemesentisunpeuinférieurdansmaconditiondumoment.

Jem’avançaiverslui.

–Quefaites-vouslà?

–Jemesuisditquej’allaisteramenerenvoiture.

–Jenevousattendaispas.

Deanétaitcensémeretrouveretmeramener,maisjenelevoyaisnullepart.

–Jesais.J’aidéjàparléàtonavocat.Jeluiaiditquejeteramènerais.(Michaelfitunsignedetêteendirectiondelaporteetdemanda.)Tuesprêt?

–Plusquejamais.

Dehors,l’airfroidmesaisit,etjerespiraiprofondément,plusheureuxquejamaisd’êtrelibre.

Puis ilmerevintà l’espritqueMaxétaitégalement ici,prisonnier,etqu’il respirait lesmêmesremuglesquej’avaisrespiréscesderniersjours.

–VousavezvuMax?

–Iln’apasvoulu.(LevisagedeMichaelétaitcalme,impassible,etilprécisa.)Peut-êtrelaprochainefois.

Onmontaàl’arrièredelaseulelimousinenoireduparking.Jedonnaimonadresseauchauffeur, et on s’éloigna de l’enfer dans lequel je me jurai solennellement de ne jamaisretourner.

Je m’enfonçai dans mon siège. L’odeur du cuir, un soupçon de scotch et l’eau deColognesubtiledeMichael,quejeluiavaistoujoursassociéedepuisaussilongtempsquejele connaissais, imprégnaient la voiture. Pourmoi, c’étaient les odeurs d’une civilisation, leluxe, et d’une vie pour laquelle j’avais travaillé dur et que je voulais retrouver. PourtantMichael,quireprésentaitnaturellementtoutesceschoses,restaitcloîtrédansunsilencequin’auguraitriendebon.

– J’apprécie votre présence,Michael,mais quelque choseme dit que vous n’avez pasfaittoutlechemindepuisleTexassimplementpourmerameneràlamaison.Quesepasse-t-il?

–Non.JesuisvenuicipourparleràTrevor,enfait.

Jefronçailessourcils.

–Pourquoiiriez-vousdoncperdrevotretempsaveclui?

Ilcroisasesmainssursesgenouxetsoutintmonregard.

–Quandlapolicel’aappréhendé,jemesuisditquej’auraispeut-êtreàintervenir.

Jeledévisageaiattentivement,enquêted’indices.Quelquechosen’allaitpas.Iln’auraitpas dû être là, il n’aurait pas dû consacrer une minute de sa journée à un gars commeTrevor.

–Pourquoiauriez-vousàintervenir?

– Quand les choses ont dégénéré avec Max, j’ai embauché Trevor. (Il s’éclaircit lagorge.)J’aicommencéparlesortirdelacomptaetparliquiderlesopérationsdeMax.Puisjel’aimisautravail.

Qu’est-cequec’étaientquecesconneries?

–Vousl’avezembauché?

Sesyeuxprirentunpeuvie.

–J’aivuunpotentielenlui,uneopportunitédelechangerpourlemeilleur.Quelquechosechezluimefaisaitpenseràtoi,et j’aitentémachance.Commeavectoiàuneautreépoque.

–Jen’airiendecommunavecTrevor.

Ilinclinalégèrementlatêteetfitunpetitbruitdésapprobateur.

–Toiplusjeune,peut-être.ToietCooperavezplusencommunquetunepourraislecroire… Révolté, confus, porté par une mission nébuleuse. J’aurais pu opter pour desreprésaillesquandj’aiapprisquelleplaieilétaitdevenupourtoi.Maiscommentdiscipline-t-onuninsurgécommelui?Onnepeutpas.C’estimpossible.Alorsj’aiessayédelechanger.Defairedeluicequej’avaisfaitdetoi.Jeluiaidonnéunprojet.Unobjectif.

Mes pensées tourbillonnaient à la vitesse de la lumière. Erica avait eu raison d’allerinstinctivementvoirMichael.Simplement,ellenelesavaitpas.Pourtant,jen’arrivaispasàcroire que Michael irait jusqu’à faire l’effort d’embaucher Trevor. Michael avait été unmentoradmirable,maisjenesavaispasqu’ilcherchaitdenouvellesrecrues.

– Les choses que tu avais réalisées pour le M89 il y a une décennie étaientremarquables,poursuivit-ilencroisantsesdoigtsdevant lui.Révolutionnaires,vraiment.Situnet’étaispasfaitprendre,lelogicielbancaireneseraitpascequ’ilestaujourd’hui.Tuasidentifié les défauts de ce qui était alors sur le marché. Peut-être que tu ne l’avais pascomprisà l’époqueparceque tuétaisencore tellement jeune…maisàcausedeceque tuavais fait, tousceuxquiavaientde l’argentàprotégersesont intéressésà larésolutiondeces problèmes. Les téléphones des banquiers étaient assiégés. Les gens voulaient savoircommentleurargentallaitêtreprotégé.Tuavaisgénéréunepeur.Etlesgensréagissentàlapeur.

–Etvousn’avezpaseudemalàvendreBanksoft.

–Absolument.Enun sens, çan’avaitpasdeprix.Ce fut laplusgrosseacquisitiondel’histoiredans ledomainedu logiciel,à l’époque.Etcen’étaitpasunhasard.Parceque…combienserais-tuprêtàpayerpourprotégertafortune?

Il jeta un coupd’œil dansmadirection,mais je restai silencieux et immobile, sentantqu’ilyavaitencorebeaucoupdechosesqu’ilnem’avaitpasdites.

–Laisse-moiteposeruneautrequestion.Peux-tufixerunprixpourl’intégritéduvotequi détermine les hommes et les femmes qui dirigeront notre pays, à tous les niveaux degouvernement?

Nousyétions.Unsourireamermedéformaleslèvres.

– Selon votre logique, le prix augmente considérablement quand quelqu’un acompromisunsystèmefaillible.C’estunnouveaumodèleéconomique?

Ilopinalentement.

–Çal’était.Jem’étaisditquelemêmeprincipes’appliqueraitaulogicieldevotequejevoulais queTrevor réalise pourmoi. Et quand l’heure serait venue, j’aurais eu la solutionprêteàêtrevendueauplusoffrant.Saufqu’aulieud’attendrelademande,jel’auraiscréée.Ilfallaitunscandale,lesmédias.

–Contentd’avoirpuvousaider.

Je serrai les dents, déjà furieux de ce que Michael m’avait révélé. La façon dont ilpercevait Trevor me faisait reconsidérer tout ce que j’avais toujours respecté chez lui.Comment pouvait-il considérer comme prometteur un type qui n’avait jamais rien faitd’autrequevandalisermesentreprises?

Ilsoupira.

–Blake,jen’aijamaisvouluquetuaillesenprison.

Je laissai échapperunpetit rire ironiqueetmepassai lamaindansdes cheveuxdéjàdécoiffés.

–Ils’estservidemonputaindecode.Çanevousapasinterpellé?

–Jen’airiensudesroutinesdecryptagejusqu’àlavisiteduFBI.J’avaisdonnéàTrevoraccèsà toutcedont ilavaitbesoin.Quecesoitducodeoude l’argent.Je l’ai restructuré,commejel’avaisfaitavectoi.Lesgenscommetoirépondentàlaconfiancequ’onleurfait,quandpersonned’autrenelesenjugedignes.

Jeserrailesdents.

–Lesgenscommemoi,hein?

– Ne sois pas si susceptible, Blake. C’est comme ça que je t’ai amadoué il y a silongtemps.Jet’aifaitconfiance…implicitement.

–Jevousavaisfaitconfianceaussi.

Uneémotionpassadanssesyeux.

– Je sais, et peut-être que ce n’était pas mérité. Mais j’avais d’abord besoin de taconfiancepourpouvoirt’enseignertoutlereste.

–Pourquoil’électiondugouverneur?PourquoiFitzgerald?

–Çaaétéunchoixfacile.SesavocatsonttournéledosàMaxquandonestallésleurdemanderdelereprésenter.Tuasuneidéedecombiendecentainesdemilliersdedollars

j’aidépensésdanssoncabinet?

–Alorsc’étaitunevengeance.

– Pas du tout. Il s’agissait de créer une opportunité. La vengeance était un bénéficeinopiné.Unbonus,situveux.

– Et quand j’ai été impliqué et que le FBI est venu vous voir, vous ne l’avez quandmêmepaslâché?

–S’ils’étaitsimplementagideteprotéger,jel’auraisfait.MaisjecraignaisqueTrevorneretournesavesteetessaied’impliquerMaxpoursevengerdemoi.Ladernièrechosequeje veux est quemon unique enfant fasse encore plus de prison. C’est un satané imbécile,mais c’estmon fils. Il était plus facile de garder Trevor dans l’ombre que de le dénoncerpoursesexactions.

Jesecouailatêteetregardaiparlafenêtre,abattu.

–Incroyable.

–Tusaisaussibienquemoiquequandoncommenceàlaisserlesémotionss’enmêler,onperdlecontrôledelasituation.C’estunefaiblesseetunevulnérabilitéetçaterattraperaunjouroul’autre.

Michaelm’avaitenseignéça,etàuneépoqueçam’avaitparuavoirunsens.Jen’étaisqu’émotionsquandjel’avaisconnu.J’avaisbesoindeprincipesdirecteurs.Ilavaittoutrendusimpleaveclesrèglesdesaffaires,memontrantcommentuserdemontalentdefaçonàlafoislégaleetlucrative.«Net’attaquepasàunproblèmedel’extérieur»,medisait-il.C’estunepertedetempsetc’estdangereux.Trouveleursfaiblesses,etproduislasolutiondepuisl’intérieur.

Etc’étaitcequej’avaisfaitavecl’argentdeBanksoft.Aulieudepunirlesresponsablesdes injusticesque jevoyaispartoutautourdemoi, je créaisdes sociétésqui répondaientàcesproblèmesàl’aidedesolutionsquin’existaientpasauparavant.

Plutôt ironique, non, quand mon mentor payait un hacker qui avait fait tout sonpossible pour nuire à mes projets. Je serrai les poings, comptant les secondes qui meséparaientdumomentoùj’arriveraischezmoi,cequimettraitfinàcettediscussionfoireuse.

– Je vois bien que tu en fais quelque chose de personnel, Blake.Mais il faut que tucomprennes qu’après un certain point, il ne s’agissait plus que de limiter les dégâts. Unechose que j’ai souvent eue à faire avec Max. Je suis révulsé par ce qu’il a fait à Erica.Sincèrement.Maisjen’allaispasinfléchirl’enquêtedanssadirection.

–Jecroyaisquevousnelaissiezpasinterférervosémotions.

–Effectivement.Maxetmoisommesdifférentssurcepoint.Enaffaires,chaquedécisionqueMaxapriseaétéémotionnelle,nourrieparl’orgueiloulavengeance.Destinéeàattirermonattentionouàtenuireparcequ’iltrouvaitquejet’enportaistrop.Iln’ajamaiscomprispourquoi je te faisaisprogresser…pourquoi çanepouvaitpas être lui. Il était trop jeune,évidemment,maisçan’ajamaisétéunequestiondeconfianceensescapacités.Ilnepouvaitrienchangeraufaitqu’ilétaitmonfilsetqu’ildevaitêtretraitédifféremment.

–Ilvoushait,maintenant.Vouslesavez?

Je me souvins de notre bref échange au réfectoire. Avant de vouloir lui arracher lagorge, j’avais ressenti une vague pitié pour lui. Sans la protection deMichael, il semblaittellement perdu. Je ne pourrais jamais lui pardonner ce qu’il avait fait à Erica, mais jepartageais indubitablement quelque chose : son sentiment de trahison.Maxm’avait trahicent fois,évidemment. Jem’yétaisattendu,et lamoitiédu temps je l’avaisvuvenir.MaisMichael avait toujours eumon respect etma confiance. Sa trahison faisait beaucoup plusmal.Ellem’affectaitprofondément.

–Quoiqu’ilensoit,ilhériteradel’empirequej’aiconstruit,etilm’enremerciera.Peut-êtrepastoutdesuite,mais ilcomprendraunjourquepourenarriver làoùjesuis, jen’aipu laissermes liensaffectifs interféreravecmesdécisionsprofessionnelles. Iln’yapas lienplusfortqueceuxd’unparentavecsonenfant.

Michaelsemblaitplusvieuxencetinstant.Iln’étaitpluslejeunementorambitieuxquej’avaisconnu,maisunhommequiavaitchangésousmesyeux.Etsoudain,jen’étaispluslejeunehommequ’il avait arrachéàunepériode troubléede savie. J’avaisgrandi, et vécu.Plusquetout,j’avaisappris.Àcetinstantmême,jecontinuaisd’apprendre.

Jepressaimamainsurmonfront,jecommençaisàavoirmalàlatête.

–Tuparaissurpris,maissitumetsdecôtétouteslesémotionsdumoment,ceseraitceàquoitut’attendrais,voirecequetuferais.

–Jeneferaisjamaisça.

–Cen’estpasunetrahison.Cesontlesaffaires.Situpensesàtavie,tuasfaitlamêmechose.La façondont tuasgéréHeath,parexemple.Tu l’asmarginalisédans tesaffaires.Tuastoujoursexercésurtonmondeuncontrôlequim’impressionnait…AvecErica…c’estunebonnechosepourtoi,jecrois,maisaussiunefaiblesse.Tuchangespourelle.

Je me crispai à la seule mention de son nom. Comment osait-il imaginer savoir cequ’elleétaitpourmoi?

–Elleméritequ’onchangepourelle.

Ilacquiesça.

–C’estbiennormalderessentirça.L’amouretlapassionfontceteffet-là.Tupartagesles deux avec elle, et j’en suis heureux pour toi. En revanche, ça passe. Tu es marié,maintenant.Elleestenceinte.Ellevaseconcentrersurvotrefamille,etcetteobsessionquevousavezl’undel’autrevas’atténuer.Turedeviendrastoi-même.

Non.Riennepouvaitflétrircequejeressentaispourelle.Qu’elleportenotreenfantneferaitqu’attiserplusencorelaflamme.

–Ladernièrechosequejeveuxfaireestderedevenirmoi-même,quandj’aidéjàtrouvélemeilleurdemoienelle.

–Je resteconvaincuducontraire. J’aiplus investien toiqu’ennulautrede toutemavie. Et jusqu’ici, j’ai plutôt bien réussi dans mes investissements. (Son sourire satisfait seternitunpeu.)SaufdanscettehistoireavecCooper…Tropd’orgueil,jesuppose.

–Chezluiouchezvous?

– Peut-être les deux. Je voulais tricher et prendre quelques longueurs d’avance. Tuconnaisbiencela,évidemment.

–Vraiment?

–Hommed’affaireslejourethackerlanuit?Ettun’aspasl’impressiondetricher?

–Jenefaisdemalàpersonne.

– Tu n’as jamais piraté des informations pour te placer dans une situation plusfavorabledansuneaffaire?Tunet’es jamaisservideces informationspourdiscréditerouéliminerlaconcurrence?Tupeuxbienhabillerçadetouslesqualificatifsencolblancquetu veux, on sait tous les deux que tu triches. Et ce n’est pas plusmal, parce ceux qui netrichentpasaumoinsunpeunevontpasbienloin.

–Vousn’êtespasallébienloin,cecoup-là.

Ilregardaparlafenêtre.

–Non.Malheureusement,TrevortenaitplusdeMaxquedetoi.Desémotionsetaucuncontrôle.

–Etqu’est-cequivousfaitpenserquevotrenouveauprodigenevapasraconterauFBIquevousêteslecerveauderrièretoutça?

–Ilneraconterarienàpersonne.(Sonregardrevintsurmoi.)C’estbientristeàdire,maisonl’atrouvécematinpendudanssacellule.

Mon sang se glaça. La confession deMichaelm’avait ébranlé jusqu’au tréfonds.Maisl’imagedeTrevor,ungossequejen’avaisjamaisrencontré,pendudansunecellulefortpeudifférentedecellequejevenaisdequitter,s’imposadefaçonextraordinairementviveàmon

esprit. Mon estomac se noua, et je ne pus me débarrasser de la nausée qui m’envahit,malgré mes efforts pour la chasser. Nous n’étions plus qu’à deux ou trois minutes de lamaison,maisj’enavaisdéjàtropsupporté.

–Laissez-moiici,dis-jeauchauffeur.

Il se rangeaaubordde la route et jedescendis.Unepetite averse avait commencéàtomber,maisjem’enfichais.Jecontinuaiàpied.

Michaelsortitetfitletourduvéhicule.

–Blake,attends.

– Assez ! tonnai-je en faisant volte-face pour le regarder. Appelez ça les affaires.Appelez ça tout garder sous contrôle. Donnez-lui un nom qui paraîtra sensé dans votreputaindeversiondélirantedelaréalité.Maiscen’estrienqu’unputaindejeu.Etvousvousbercezd’illusions si vouscroyezquevouspossédez leplateau,etquevouspouvezbougerlespiècescommevousl’entendez.

Seslèvress’incurvèrentenunsourireamer.

–Saufquejepossèdebienleplateau,Blake.

J’ôtaimeslunettescouvertesd’eaudepluieetledévisageai.Ressentimentetpitiépourl’hommequimefaisaitfacesemêlèrentàmacolèreenuncocktailcapiteux.

– Peut-être que c’est vrai, Michael. Et si c’est le cas, considérez ceci comme marenonciationfinale.C’estfinientrenous.Jenejoueplus.

–Tuesprêtà jeterauxortiesnotre relationdans sa totalité, justepour ça?C’est cequetuveuxdire?

–C’estcequejedis,oui.

Sonvisageseferma.Lemiragedesachaleuretdesabontés’étaitévanoui.

–Nemedéfiepas,Blake.Sijet’aiapprisquelquechose,c’estaumoinsça.

Savoixétaitgraveettendue,lourdedemenaces.

Peut-être qu’à une autre époque dema vie, j’aurais fléchi,mais pas aujourd’hui. Pasquandj’avaisétésiprèsdetoutperdre.Celam’avaitretourné.Toutcequej’avaiscruvrai,tous les enseignements de sagesse distillés par Michael allaient devoir être remis enquestion.

–Jenevousdéfiepas,Michael.Mais jem’envais.Sivouscroyezqueparcequevousm’avez pris sous votre aile il y a dix ans, je vais vous idolâtrer pour tout le reste demaputaindevie,vousaveztort.Jenelèchepasvosbottescommelefontlesautres.J’aigagnémonargent,etjem’enserspourréaliserdeschosesenlesquellesjecrois.Jefaismavieavec

la femme que j’aime. Et je n’ai pas besoin de redevenirmoi-même. Je le suis, je suismoi.Voilàqui je suis, et jen’aipasbesoindemeprendrepourDieuavec laviedesgensetderecompter ma fortune toute la journée pour avoir l’impression que ma vie vaut quelquechose.Alors,remontezdansvotreputaindevoitureetrentrezchezvous.

Surce,jetournailestalonsetmedirigeaiversmamaison.Aprèsquelquesinstants,laLincolnnoiremedépassa.Jepressailepas,soulagéqueMichaelsoitpartietpresséd’allerretrouverErica.

Lapluiesefitplusforte.Unepluiefroidequidétrempaitmesvêtementsetmouillaitmapeau.Maisellenepouvaitpasapaiserlechaosenmoi.Nilaverlesangsurmesmains.

Chapitrevingt

ERICA

Jefaisaislescentpasdanslesalon.Qu’est-cequiprenaitdonctoutcetemps?Lapluiemartelait lafenêtre,obscurcissantlavuesurl’Océan.Govem’avaitappeléelematinmêmepourmedirequeBlake seraitbientôtde retour. Jevoulaisaller le chercherà sa sortiedeprison, mais Gove avait insisté pour que j’attende ici. Il voulait pouvoir être celui qui luiannonceraitlanouvelle,pourTrevor.

Trevor,quiavaitdécidédeprendresondestinenmain.

J’avais le cœur serré à l’idéede cequeBlakepouvait éprouver. Il devait être soulagéd’être libre,maismaintenant le sentiment de culpabilité qui le taraudait déjà au sujet deBrian allait redoubler si on n’y prenait garde. Je voulais qu’il soit à la maison pour leconvaincredenepass’égarerainsi.Maisceneseraitpasfacile.J’étaisconfrontéeauxplussombresdesessouvenirs,etl’histoirevenaitdeserépéter.

Je n’étais pas certaine qu’on aurait pu faire autrement. Carmody avait dit qu’il nequitteraitpasTrevordesyeux,maisilnel’entendaitpasausenslittéral.Personnen’auraitpu imaginer qu’il envisagerait sérieusement le suicide comme une échappatoire. La policeavaitàpeineeuletempsdel’interrogeravantqu’ilmettefinàsavie.

C’étaitpresquecommesiBlake l’avaitvuveniràdes lieuesde là,etquerefuser touteactionmenantàl’incarcérationdeTrevoravaitétésafaçond’éviterl’inévitable.Etpourtant,ilnepouvaitpasleprévoir.Néanmoins,nousenétionslà…

J’avais voulu la vérité et j’avais voulu la justice,mais cettemort n’en était pasmoinstragique. Comme celle de Mark, la vie de Trevor en valait une autre, malgré seségarements.

Le bruit de la pluie emplit la pièce quand Blake franchit la porte. Il était trempéjusqu’aux os. J’en restai ébahie, pétrifiée. Il referma la porte et s’y adossa, sa poitrine segonflantaurythmedesarespirationhaletante.

–Erica.

Le tondesavoixme fit courirvers lui.Noscorps s’écrasèrent l’uncontre l’autreet jel’entourai demesbras. Je glissaimesmainsdans ses cheveux trempés, caressai sanuque,sontorsecontrelequelsachemises’étaitcollée.Moncœurbattaitlachamade.Jemurmuraisonnomcommedansunrêve.Ilétaitrentré!Dieumerci,ilétaitrentré…

Ilmeserrasifortcontresapoitrinequej’eneuspresquemal,maisjem’enfichais.Jeleserraiàmon tour.Quand jem’écartai,moncœursaignasous le regarddeses incroyables

yeuxvertsquiplongeaientenmoi,pleinsd’émotion.Jefrôlaidesdoigtsseslèvres,lespoilsdrussursonmenton.Monamour…

Le voir avait déclenché une poussée d’adrénaline qui m’avait réchauffée, mais Blakeétaitencoretransidefroid.L’humiditédesesvêtementsavaitcommencéàgagnerlesmiens.

–Tuestrempé.

Je reculai unpeupour pouvoir déboutonner sa chemise. Je fis glissermes paumes lelongdesapoitrine,repoussantsonvêtementpar-dessussesépaules. Il finitde l’enleverets’endébarrassaavantdemereprendrefermementdanssesbras,s’emparantdemabouchedansunbaisersauvage. Iln’étaitquebesoinetdésir,et je fusengloutie, incapabledevoiroudesentirautrechosequesonurgence,saprésencedévorante.Monpoulsmartelantautraversdetoutmoncorps,jelesentaistremblercontremoi.

Jemereculaiunpeu,haletantemaiscraignantpourlui.

–Blake,tugrelottes.

–Aucuneimportance,murmura-t-ilenfaisantcourirsesmainssurmoncorps.

Jeposaimesmainssurlessiennespourtenterdeleralentir.

–Tuvastombermalade,Blake.Commençonsparteréchaufferettesécher.

Ils’immobilisa,etlefeudanssesyeuxsefittorride.

–J’aibesoindetoi…S’ilteplaît.

Ledésespoirdanssavoixmeréduisitànéant,etjemedemandaisic’étaitlefroidquilefaisaittremblercontremoi.Quoiqu’ilensoit,jevoulaisquecetteexpressiondisparaisse,etaussiladouleurquilacausait.

J’acquiesçai rapidement et sa bouche fut sur mon cou, suçant, mordillant. Je perçusl’impact de chaque contact, tandis qu’un désir incandescent envahissait mon corps. Ilrepoussamontee-shirtverslehautetlepassapar-dessusmesépaules.Tirantsurmonjean,illefitdescendresurmeshanchesavantquejepuissel’arrêter.

–Allonslà-haut,luidis-je.

Je l’entraînai vers l’escalier. J’eus un hoquet lorsqu’il me reprit. Entrelacés dans nosétreintesrespectives,onyparvintpresque.

–Ici,gronda-t-il.

Ons’arrêtasurlapremièremarche,etilnousramenaausol.Sesmainsétaientpartout.

–Maintenant.

Il m’arracha mon jean et ma culotte et me souleva au-dessus de lui pour que jechevauchesonbassin.

Ilm’attiracontresapoitrine,m’ancraàsaboucheetmeravageadebaisersétouffants.Une boule de chaleur grossit en moi, prenant naissance bas dans mon ventre et sedéployantversmesmembresetverslapulsationentremescuisses.Ledésirm’envahissait.

–Dis-moicequetuveux,Blake.

Monexcitationgrimpaitenflèchesoussesdoigts,etj’envoulaistoujoursplus.

L’émotionbrutescintilladanssesyeux.

–Toi.Jeneveuxquetoi.Tuestoutcedontj’aibesoinsurcetteputaindeplanète.

Il ouvrit sa braguette d’un coup sec, baissa son jean jusque sous ses hanches etm’amenaplus étroitement sur lui. Jepenchai la tête enarrièredepurplaisir. Il saisit sonmembreraideet,soulevantsesreins,s’enfonçaprofondémentpournousunir.

Un cri rauque lui échappa.Un cri quime fitmonter les larmes aux yeux. Je pouvaissentirsadouleur,sondésarroi.

Lesyeuxfermés,lesmâchoiresserrées,ilcommençaàmemouvoirsursonmembre.Jemecontractai sur sapénétration, tendueet excitée.Mesgenouxcognaientà chaquecoupdeboutoir,maisjem’enfichais.Uneseulechosem’importait:onétaitunis,ons’aimait,onsedonnaitchacuncedontonavaitbesoin.

Ilmefitbougersurluienglissementspressants.Jesuivissonrythme,jouantdesreinspourlesentirpartout.Ilsecambraetmemaintintfermement,nousfaisantfusionnerenmepilonnantavecunevigueurincroyable.Chacunmeremuaitjusqu’aucœur,etjehurlai.Moncri résonna contre le mur, se mêlant à d’autres qu’il m’arrachait encore et encore. Jefrissonnai,l’espritdélicieusementperdu.

–Erica…

Ils’humectaleslèvres.Sesmainsquittèrentmeshanchesetremontèrentlelongdemesbras.Nosdoigtssenouèrentetjem’abaissai,poitrinecontrepoitrine.Uneénergiebrûlanteirradiaitdetouslespointsoùnoscorpssetouchaient.

De ma vie je n’avais jamais rien connu d’aussi intense, et je m’y abandonnai,submergée.

Nosregardssefixèrent,etlafouguedanssesyeuxmeserralecœur.

–Jet’aime,Blake,jegémiscontreseslèvres,unelarmeroulantsurmajoue.

Jemedisquej’auraispupasserlerestantdemavieainsi.Aussidouloureuxquecesoit,Blake me laissait entrevoir une facette de lui-même que je n’avais jamais vue. Cette

vulnérabilitébrute.Etjeluienétaisreconnaissante,autantqued’êtreavecmoi,deprendresonplaisiretdem’endonnertellementplusencore.

Sonexpressionétaittendue,presquedouloureuse.Ilresserrasonétreinteetsesbicepsse bandèrent, et tout son corps puissant. Une flamme remonta le long de mon épinedorsale,etjecriaienmêmetempsquelui.Onretombaensemble.

*

Petit à petit, la vie revint à la normale.Durant lesmois qui suivirent, on s’immergeadans le travail,Blakeetmoi. Ilme fit partager sesprojets, et je lui fispartager lesmiens.Blake consacrait la plus grande partie de son énergie à la conception d’un logiciel demachine à voter qui allait très certainement répondre à un besoin. Je ne pouvaisqu’apprécier,parailleurs,lefaitquechaquelignedecodesoitunevictoirevoiléecontreleplanavortédesonmentor.

Blaken’avaitpluseudenouvellesdeMichaeldepuislejourdesonretour,etmêmes’iln’enparlaitpasbeaucoup,jesavaisquelatrahisondecedernierluipesait.Elleavaitbriséquelquechoseenlui–peut-êtrequelquechosequiavaitjustementbesoind’êtrebriséavantdemieuxsereconstruire.

Malgré toutes les blessures qu’on pansait, notre avenir s’annonçait radieux. Jegrossissais,resplendissante,etchaquejournousrapprochaitd’unefamillecomplète.

J’étais retombée amoureuse de lui, de ses parties blessées et convalescentes. Notrerelation était exigeante. Nous étions tombés dans une passion folle et avions lutté pourpréserverça.Notreamournedemandaitpaspoliment.Ilprenait.Ilravageait.Ilconsumaitlescœursetposaitlesquestionsplustard.Sesbienfaitstouchaientnosâmesàleurmesure,brûlantesetdévorantes,serépandantcommeunetraînéedepoudre.

J’étaisassisedansunpetitbistrotprèsdubureau.La lumièredansait surmesbaguestandisquejeruminaislespérégrinationsdanslesquelleslavienousavaitentraînéstouscesderniersmois.Onavaitétémalmenés,menacésettrahis.Onavaittrouvél’amour,lepardonet l’espoir. On avait couvert toute la gamme des émotions et des expériences, et on étaittoujoursdebout,prêtspourlaprochaineaventure.

Risatiraunedeschaisesdelatableets’assitfaceàmoi.

–Bonjour,dit-elleavecunsouriretimide.

Elleportaitunpantalonnoiretunblazerassortisurunsimplechemisierblancnacré.Si elle avait toujours eu la quintessence du style quand elle travaillait chez Clozpin, elleavaitadoptéunlookbeaucoupplusconventionnellesdernièresfoisquejel’avaisvue.

Mes pensées revinrent à la raison pour laquelle j’avais finalement accepté de larencontrer.

–Commentvas-tu?

–Bien.

–Etletravail?

Ellehaussalesépaules.

–Çava…Jen’auraisjamaisimaginétravaillerdansunesociétéd’investissements,maislavieestpleinedesurprises.

–Jepeuxenattester.

Sesyeuxbleuprofonds’adoucirentunpeu.

–Vousaveztraversébiendesépreuves.Çaadûêtredifficile,maisjenevousenadmirequeplus.

Elleparaissaitsincère,saufqu’elleavaitcauséunebonnepartiedesdésastresauxquelsj’avaisdûsurvivre!

–Alors,pourquoivoulais-tumevoir?demandai-je.

Ellehésitaavantderépondre.

–Jesuisdésolée,jenem’attendaispasàcequevousacceptiezvraimentdemerevoir,jesuisunpeupriseaudépourvu.

Longtemps, jen’avaispasvoulu lavoirnonplus,mais en tombantparhasard sur sacarte de visite, un jour, une idée m’était venue – une idée que je n’avais jamais réussi àécarter.

–Ehbien,onestlàtouteslesdeux.Raconte-moi.

Ellepritunelongueinspiration.

–Ehbien,jevoudraiscequevousnem’accorderezprobablementjamais,jelesaisbien.Jevoudraisunenouvellechancedetravaillerpourvous.

–L’aventureClozpinestfinie.Sijetefaisaisassezconfiancepourtravaillerdenouveauavectoi,tonsensdelamodeneseraitplusd’aucuneutilitédanscequejefaisactuellement.

Ellesemordillalalèvreinférieure.

–Écoutez,j’aicommisuneerreurconsidérable.Jesaisquej’aiperduvotreconfianceetquejenelaregagneraipeut-êtrejamais.Jepourraism’excusersansfin.Jepourraisessayerd’expliquer qu’en fin de compte j’ai compris à quel point Max m’avait manipulée. Deraconterleschosesqu’ilm’afaitfaire…pourluiprouvermaloyauté,reprit-elleenbaissantlesyeuxsurlatable,évitantmonregard.Jecroisqueçaneprouveraitquemonmanquedevolontéfaceàlui,etcen’estpasvraimentunélémentpositifpourunemploi.Maiscequeje

voulais vous dire, plus que tout ça, c’est que j’étais vraiment heureuse de travailler pourvous. On s’est parfois opposées, je sais, mais j’avais l’impression d’être en vie pour lapremièrefoisdepuis longtempsquandj’étais là-bas,et jen’aiplusressentiçadepuis.Touslesmatins,jemelèveetjemeforceàalleràuntravailquejenedétestepasvraiment,maisquejen’aimepasnonplus.Jeregretted’avoirtoutgâché.

Jerestailongtempssilencieuse,absorbéepartoutcequ’ellevenaitdemedire.

–Tupensesvraimenttoutça?

–Jen’airienàgagneràmentir.Jesaisbienquevousêtestropmalignepourmelaisserapprocher vos projets. Je voulais juste vous dire ce que j’avais sur le cœur.Çamepesait.Avecunpeudechance,çapurifieraaumoinsl’airentrenous.Jenepeuxrienchangeràvossentiments,maisjesouffraisquevousmehaïssiezàcausedeserreursquej’avaiscommises.

–Jesaisquetuasfaitdetrèsmauvaischoix,parfoisparcequetut’esfourvoyée,maisjenetedétestepas,Risa.

Sesyeuxsefixèrentsurlesmiens,etjedis:

–Tuasl’airenforme.

–Oh,merci…

L’air unpeuperdue, elle repoussanerveusementunemèchede cheveuxderrière sonoreille.

– Quand on s’est revues, après queMaxm’a agressée, tu n’avais pas l’air d’être toi-même.Onauraitditquetuvenaisdepasseràlamoulinette.

Sonvisagesedéfit.

–Vousn’avezpasidée.

–Qu’est-cequ’ilt’afait?

Elles’enfonçadanssonsiègeettriturasaservietteenpapier.

–Jenesaispassijepeuxenparler,murmura-t-elle.

–Tunepeuxpas,outuneveuxpas?

Ellesecoualatête.

–Jepréfèremedirequ’ilnepeutplusmefairedemalmaintenant,maisd’icipeut-êtredeuxansçapourraitdenouveauchanger.

–Tuaspeurdelui?

–Mêmesicen’étaitpaslecas,jenesuispascertainequej’auraisenviedeparlerdecequ’ils’estpasséentrenous.C’est…embarrassant.Humiliant.

–Ilétaitviolentavectoi?

Ses joues rosirent, et ses yeux brillaient malgré le flot de couleur qui envahissait sapeau.

–Parfois. Jamais d’une façonqui aurait pu se voir. Il… faisait attention. Il ne laissaitjamaisdemarquesreconnaissables.

–Pourquoin’enas-tuparléàpersonne?

–Je…jenesaispas.Jepensaisquepersonnenemecroirait,jesuppose.Ilestriche,belhomme. Charmant. Qui aurait envie de croire qu’un homme comme lui frappe sa petiteamie?

Je fermai lesyeuxetn’aimaipas l’imagequim’apparut.Personne,pasmêmeRisa,neméritaitd’êtretraitécommeça.Jesavaisd’expériencecequ’étaientlespousséesdeviolencedeMax.Jenecroyaispaspouvoirlemépriserplus,maisl’histoiredeRisameprouvaitquesi.Jen’avaispasenviedeposerdesquestions,maisj’avaisbesoind’ensavoirplus.

– Tu paraissais prise au dépourvu quand je t’ai dit ce qu’il m’avait fait, repris-je, lapoussantàm’endireplus.

Leslèvrespincées,elledessinadespetitscerclessurlanappe.

–C’étaitlecas,j’imagine.Çaparaîtétrangeàdire,maisj’étaisunpeujalouse.Mêmesitout s’effondrait entre nous, qu’il vous désire sexuellement m’a fait mal. J’étais tombéeamoureuse. Je l’aimais. Comment aurais-je pu, sinon, rester aussi longtemps avec lui ? Jesavaisquec’étaitmalsain,maisj’étaisencoresoussonemprised’unecertainefaçon.

–Çat’asurprisequ’ilaitessayédemevioler?

Sonregardparutsérieux,avantqu’ellenebaisselesyeux.

–Non,répondit-elledansàpeineplusqu’unmurmure.

Jedéglutisavecpeine,envahieparunenouvellevagued’émotions.

–Qu’est-cequ’ilt’afait?

Ellefermaviolemmentlesyeux.

–Jenepeuxpasenparler,Erica.

–Pourquoipas?

Jesavaispourquoi,maisilfallaitinsister.

–Vousnecomprenezpas…

–Jecomprendsparfaitement.

Elle ouvrit les yeux, et la peur que j’y lus me poussa à dire les mots qu’elle-mêmen’arrivait pas à prononcer. Elle n’était pas la seule, et je l’avais ressenti pendant silongtemps.Quoiqu’ellem’aitfait, jenepouvaischasserdemonespritl’idéequeMaxavaitmis en pratique sur elle les projets qu’il avait pourmoi, peut-être à plusieurs reprises, etqu’ilavaitensuiteescamotésesméfaitspardefaussespromessesd’amour.

–QuandMaxm’aagresséependantlafêtedefiançailles,cen’étaitpaslapremièrefoisque je vivais ce genre de choses. Son ami Mark MacLeod m’avait violée au cours de mapremièreannéedefac. Ilavaitprismavirginitédans lesbuissonsderrière lamaisond’unefraternitépendantquemesamiesfaisaientlafêtesansmoiàl’intérieur.Lizyétait.Tupeuxluidemander.

Sesyeuxs’emplirentdelarmes.

–Jen’enavaisaucuneidée.

Lesouvenirmeparcourutcommeunpetitséisme,quifinitpars’estomper.Chaquejour,ilavaitmoinsd’influencesurmoi.

–Non,parcequec’estunehistoiredifficileàraconter.Jeressentaislamêmechosequetoi. L’embarras. La honte. J’ai passé le reste demes années de fac à regarder par-dessusmonépaule,àcraindrelejouroùjelereverrais.Jen’avaisjamaissuquic’était,maisjel’aireconnuunsoirdansunbar.EtBlakeaétélepremieràquij’enaieparlé.QuandMaxm’aagressée, tout m’est revenu. Les années à faire comme si j’étais remise, comme si j’étaispassée à autre chose, avaient disparu d’un coup. Mon seul moment de réconfort a étéquand j’ai faitmadépositionauprèsde lapolice.Ç’aété l’unedeschoses lesplusdifficilesdemavie.

–Jenel’imaginemêmepas.

Elle s’essuya les yeux et je pris une longue inspiration, me souvenant combien cettedécisionm’avait été difficile.Mais parce que je l’avais fait, Risa et les autres ne risquaientplusriendelui.Aumoinspouruntemps.

–Tuveuxvraimentretravaillerpourmoi?

Sesyeuxs’éclaircirent.

–Oui,dit-elleaussitôt,levisageéclairéparl’espoir.

–C’estd’accord.

–D’accord?

–Oui.

Elleenrestabouchebée.

–Attendez…Vousêtessérieuse?

–J’yaipasmalréfléchi.Jesaisquetuasfaitdeserreurs.Etsijeveuxmeprotégerdesgensquipourraientme faireceque tum’as fait, jeveuxaussi croireque lesgenspeuventchangerets’améliorer.

–Jepeuxlefaire,etjevaislefaire.Jevouslepromets.

–J’espèrequec’estvraietquemoninstinctnemetrompepas.Jetereprendsaumêmesalaire.Maisilyaunecondition.

–Absolumenttoutcequevousvoudrez.

Jetapotaidesdoigtssurlatableuninstant,medemandantsielleenseraitcapable.Sielleenavaitlaforce,alorsjesavaisquejeprenaislabonnedécision.

–Risa,jeveuxquetuaillesvoirlapolice,etquetuleurracontescequeMaxt’afait.

Lepourpredesesjouesdisparutsoudain.

–Je…jenepeuxpasfaireça.

Jemepenchaienavant,laregardantdanslesyeux.

–Ohsi,tulepeux.

Seslèvresfrémirent.

–Risa,tupeuxlefaire.Etjeserailàpourt’aider.

–D’accord,dit-elledansunmurmure.

ÉPILOGUE

Uneeaulimpideetfraîchebaignaitmespieds.Jecherchaiduregard,danslesableendessous,quelquechosequim’accrocherait l’œil.N’importequelpetit trésorqui luiplairait.Lerefluxformaunemotteautourd’uncoquillage.Jemepenchaietl’attrapai.Voyantqu’ilétaitintact,jelenettoyaidanslavaguesuivante.

–Maman!regardecequej’aitrouvé!

Tricia se précipita versmoi, interrompant sa course par des petits bonds espiègles etexcités.Sonmaillotdebainétaituneexplosiondecouleurs fluosur les tonsneutresde laplage.Sesfinscheveuxblondstombaientbasdanssondos,brillantsursapeaubronzée.

–Qu’est-cequetuastrouvé,monchou?

Elles’arrêtad’uncoupfaceàmoi,tenantunelongueplumeunpeuemmêléequiavaitsansdouteappartenuàunemouette.

–Wouah!C’estmerveilleux.Jepeuxlanettoyerpourtoi?

Ellehésitauninstantavantdemelatendre.

–D’accord.

Je la lavaidans l’eau, lissant lesbarbesgrises etblanches jusqu’àqu’elles reprennentpresque leur forme originelle. Dès que j’eus terminé, Tricia s’en empara et repartit encourantvers l’endroitoùBlakeétaitassisdans le sable,àquelquespasde là. Je la suivis,évaluantlaprogressiondeleurchâteaudesable.

–Papa,çavaêtrenotredrapeau.

L’excitationdanssavoixétaitcontagieuse.Jerepensaiàmes lointainssouvenirsde laplagedulacavecmamèreetElliott,quanddetellespetitesvictoirespouvaientgonflermonjeune cœur. La voir s’émerveiller était un don du ciel dont j’étais reconnaissante chaquejour.

Lessignesdeconcentrations’effacèrentduvisagedeBlakequandilregardanotrefilleetsonnouveautrésor.

–Parfait.

Iltenditlamainverslaplume.

Ellelaserra.

–Nan,jeveuxlefaire!

–Trèsbien,soupira-t-il.Oùveux-tulamettre?

Elle semit à genoux et s’avança un peu plus, faisant verser une avalanche de sabledanslesdouvessoigneusementlisséesdeBlake.

–Ici !pépia-t-elleen laplantantdans lesablemouausommetduchâteauqueBlakeavaitpasséprèsd’uneheureàconstruire.

Elles’assitsursestalons,lesyeuxbrillants.SurlevisagedeBlake,éclatantd’amouretd’admiration,sedessinaunpetitsourire.

–Parfait.

Ilpassaunbrasautourd’elle,l’attiraverslui.Ilsadmiraientleurœuvrelorsquelebruitd’uneportièredevoiturelesinterrompit.Auloin,unhommeavançadansnotredirection.

LesyeuxdeTricias’écarquillèrent,etelles’empressadese lever,s’arrachantauxbrasdeBlake.

–Papy!piailla-t-elle.

EllecourutversDanielaveclesmêmespetitsbondsqu’auparavant.Ilattrapasoncorpsmenuetlalançaenl’airavantdelarattraperetdelaposersursahanche.Unsouriremevintauxlèvres,maistoutetraced’amouravaitdisparudesyeuxdeBlake.

Jemelevaiàleurapproche.

–Salut,ditDanield’unevoixgravemaisjoviale.

Ilsepencha,m’embrassasurlajoue.

–Comments’estpassélevoyage?

Ilsourittendrement,sonregardtournéversTricia.

–Pasmal.Voirmaprincessevautaumoinsça.

–Papy,jeveuxtemontrerquelquechose.

Sesyeuxvertpâles’agrandirentd’excitation,etelleselibéradesonétreinte.

–Qu’est-cequetuveuxmemontrer,madouce?

Ellepritsagrandemaindanssapetitemainet l’entraînavers lesable. Ils’esclaffa,etellecommençaàluidresserlalistedescoquillagesetdesdébrisqu’elleavaitaccumuléstoutl’après-midi.

Blake avait les yeux fixés sur l’horizon, et je cherchais unmoyen de briser la tensiontoujoursprésenteentreeux.

–Tuasfaim,papa?

Lanourritureétaitprobablementlapanacéeuniverselle.

–Jemangeraisbiendansunpetitmoment,maisriennepresse.

–Jevaisallernouspréparerquelquechose,m’empressai-jededire.

Blakeselevaetchassalesabledesonshort.

– Je viens t’aider. (Il adressa à Daniel un regard interrogateur, les yeux froids et lamâchoireserrée.)Çavaaller,avecelle?

–Onsedébrouille,répondit-ild’untonlégersanscroisersonregard.N’est-cepas,madouce?

Sa voix s’était adoucie pour parler à Tricia. Délicatement, il écarta une mèche decheveuxdesonvisagepleindesable.

Triciacommençaàenterrerlespiedsmaintenantnusdesongrand-pèredanslesable,et à les décorer de coquillages. Apparemment content de la laisser aux soins de Daniel,Blakemepritparlamain,etonrepartitverslamaisondeborddemer.

–Tudevraisessayerd’êtreplusgentilaveclui,Blake,leréprimandai-jedoucement.

–Jesuistrèsgentil,maugréa-t-il,l’expressionplacidedesonvisagerévélantcombienilluiencoûtait.

Nousnousétionsfaittantdesouvenirsici,àMartha’sVineyard.JesavaisqueBlakenepardonnerait jamais à Daniel ce qu’il avait fait. Quand bienmêmem’être autorisée à luipardonner m’avait permis d’apprécier les souvenirs que Tricia partageait avec luimaintenant.

Elle aurait toujours les parents de Blake qui, affectueusement et régulièrement, lesgâtaient, elle et ses cousins. Alli et Heath avaient maintenant deux petits garçons d’âgeproche,et jen’auraispudemanderplusque l’amourqu’ilsapportaient tousànotrepetitefamille.

Marie, lancée depuis plus d’un an dans une nouvelle histoire d’amour prometteuse,n’étaitjamaistrèsloin,ettoujoursprêteàchouchouterTricia.

Égoïstement,mamère disparue et Elliot si loin, permettre à Tricia de connaître unepetitepartiedemafamillesignifiaitbeaucouppluspourmoiqueBlakenelemesurait.

Daniel n’était pas le père que j’avais si souvent imaginé. Il avait d’immenses défauts,mais ilavait faitun longchemindepuisnotrepremièrerencontre.Beaucoupdisaientdansson dos qu’il était tombé en disgrâce, mais je savais qu’il en allait tout autrement. Sasituationétaitmeilleurequ’ellenel’avaitjamaisété.

Peu après l’annulation de son élection, il avait également perduMargot. Lamort desonfils,combinéeàl’humiliationdelapertedesonsiègedegouverneur,avaientétédetrop

pour elle. Ils avaient divorcé l’année suivante. Et la controverse autour de l’implicationsupposée deDaniel dans l’élection truquée avait pesé sur le grand cabinet d’avocats qu’ildirigeait.Àregret,ilavaitdûserésoudreàuneretraiteanticipée.

Toussesrêvesdegloireetsonambitieuxprojets’étaientréduitsàuneexistencesimpledansunepetite ville côtière duMaine, où il passait désormais le plus clair de son temps.Toutelamachinepolitiquequiconstituaitsavieavaitétéstoppéenet,etcetéchecapparentluiavaitpermisdevivrecommeiln’avaitjamaispulefaireauparavant.Enfindecompte,ilétaitlibérédecetteexistencequiavaitpristouteslesdécisionspourluidepuisl’époqueoùilavaitmonâge.Lesuccèsn’étaitqu’unmot,etperdaitdesonsensquandonlecomparaitàlapromessed’unbonheursimple.Maintenant,ilavaitaumoinsunechancedevivreça.

Tricia semblait le rendre heureux, plus heureux que je ne l’avais jamais vu. Ses yeuxs’éclairaientàsavue,oubrillaientd’émotionquandellevenaitseblottircontrelui,épuiséeparsonénergiesansretenue.

Je jetai un coup d’œil par-dessusmon épaule. Sa silhouette et celle de Tricia étaientlointaines,maintenant. Peut-être qu’il ne laméritait pas, qu’il nenousméritait pas. Peut-êtrequesestransgressionsétaienttropgraves,maisjenepouvaism’empêcherdecroirequ’ilpouvaitmériterlepardon,mériterunesecondechance.

On passa le coin de la terrasse, Blake et moi. Il ouvrit le robinet de la douched’extérieur, qui déversa sur lui une cascade d’eau fraîche. J’observai, appréciant lesruissellements sur son corps splendide. Cinq années ne l’avaient changé en rien. Il étaittoujoursalléchant,beauàcouperlesouffle.

Ils’interrompit,croisamonregard.Metenditlamain.Jelapris,etilm’attirasouslejetavec lui. J’inspirai d’un coup au contact de l’eau froide.Mais aussitôt les lèvres de Blakefurentsurmoi,fondantnosbouchesenunlentbaiserpassionné.Jemedressaisurlapointedespiedspourm’yabandonner.

Ilgronda,unevibrationquisetransmitàmeslèvres.

–Rentrons.

Ceque suggérait le tonde savoixétait clair, tout commesonérectioncontremoi. Jemetendis,d’unehésitationquinemeseraitjamaisvenueavantd’êtremère.

–EtTricia?

–Elleval’occuperlà-basencorepourunmoment.

–Pourunmoment?

Jeregardaiverslaplage,alorsmêmequ’ilsétaienthorsdevuedepuisl’endroitoùonsetrouvait.

UnlégercontactramenamonattentionsurBlake,surlamaliceetlaconcupiscencequibrillaientdanssesyeux.

–Unmomentsuffisantpourtedévorerdelatêteauxpieds.

Jeréprimaiunsourire.

–C’esttentant.

Ilhaussalessourcils,faisantsemblantd’êtrechoqué.

–Tentant?C’esttout?

–Arrête.

Jerisetpoussaidespoingscontresapoitrine.

Ilnebougeapasd’unpouce,sonbrasfermementenrouléautourdemataille.

– N’importe quoi. On a au moins vingt minutes, et rien ne m’empêchera de te fairemienne.

–Cen’estpasbienlong,letitillai-je.

Ilfitglissersalanguesurmalèvreinférieure.

–Jepeuxallervite.

Jehoquetaiquand il saisit lebasdemapetite robedeplagede linblancmaintenanttrempée.Il lafitpasserpar-dessusmatête,révélantleBikinimoinsmodestequejeportaisendessous.Illajetaparterre,letissuhumideheurtantleboisdelaterrasseavecunbruitmat.Sesmainscoururentsurmapeaumouilléedemesflancsjusqu’àmeshanches.

–MonDieu,quetuesbelle!Pourquoituportescetruc?

–Jenesaispas,mentis-je.

Jebaissailesyeux,fisglissermesdoigtslelongdesdeuxcolonnesduresdesesabdos.

Entrelescicatricesetlagrossesse,moncorpsn’étaitplusceluid’avant,contrairementàceluideBlake.Pourunœilextérieur,dansmapetiterobedeplage,j’étaislamêmefilleaveclemêmecorps.Enprivé,lescicatricesétaientdevenuesdessouvenirsdecequej’avaisvécu.Du traumatismequiavaitmenacédedétruiremes rêves–mespossibilitésdegrossesse, lagrâcequinousavaitétéaccordéeavecnotrefille.J’auraisdûportercescicatricesavecfierté,maisjen’yarrivaispas.

Cetteenfantétaitundon,maisnousnel’avionsreçuqu’unefois.Onavaitréessayésanssuccès.Elleétaitnotremiracle.L’astrequiilluminaittouslescielssombres.Uneimagebelleetparfaitedel’amourpourlequelons’étaittantbattus.

Aprèsavoirpassésesdoigtssurmajoue,ilmerelevalementon.

–Netecouvrepas,mabelle.J’aimetoncorps.Jeneveuxpastevoirlecacher.

–J’essaierai,promis-je.

Ilcaressamesbras,mapoitrine,s’attardaauborddumaillotquicouvraitmesseins.

–D’unautrecôté,jenesuispassûrdepouvoirmecontrôlersijetevoiscommeçatoutl’été.Jemanquedéjàdevolontécommeça.

Une seconde plus tard, il avait écarté le haut demonBikini.Mon sein était lourd ettendudanssamain.

–Blake.

Sonnomm’échappacommeun faibleavertissement.De l’anxiété,mêléeau frissondedésirquicouraitsousmapeau.

Ilmefitsignedemetaire,effaçamonobjectiond’unnouveaubaiserprofond.Jepassaimesbrasautourdesoncoutandisqu’ilnousentraînaithorsdujetdeladouche,contrelemurdelamaison.J’étaisclouéeparsoncorpsferme,macuisselevéehautau-dessusdesahanchepourm’ouvrirà lui.Sescaressesobsédantesparcoururentmoncorps,monventre,plusbas.JehoquetaiquandilglissalamainsouslebasdemonBikini,meprenantcommedans une coupe. Sa bouche abandonna la mienne pour trouver un sein. Le suçant et leléchant,ilenaiguillonnalapointetenduetandisquesesdoigtsfaisaientmonterl’excitationentremescuisses.

Jemepinçailalèvre,retenantungémissement.

–Jeveuxt’entendre,chuchota-t-ilentredeuxrapidesinspirations,mesuçantplusfort,mordillantmestendresmamelonsjusqu’àquejenepuisseplusmeretenir.

M’arquantavecungémissement,j’enfonçaimesdoigtsdanssescheveuxmouillés.Jemeretinsàlui,m’accrochaitandisquedesvaguesdeplaisirmesecouaient,gagnantchaquefoisen intensitémalgré leur régularité, commeunemaréemontante.Peuàpeu, jen’eusplusconsciencedelaréalité.Lesbruitsdelaplages’estompèrentetBlakes’emparademessens,jouantsurmoncorpsunairqu’ilconnaissaitparcœur,qu’iln’avaitjamaisoublié.–Oh,monDieu!

Lecribalbutiant s’échappademes lèvresalorsque je frissonnaisviolemment sous sescaressesexpertes.

–Enfin!murmura-t-il.

Ma tête retombaenarrière tandisque je reprenaismonsouffle, le cœurbattantdansma poitrine. Je diminuai mon emprise sur ses épaules. Mes ongles avaient laissé desmarquesblanchespuisrougessursapeaubronzée.

–Maintenant,soufflai-jeentredeuxhalètements.

L’airchaudetsaléemplitmespoumonsetcouvritmapeauhumide.Chaquesensationvibrait en moi. Le frottement de ses jambes contre les miennes, ses paumes incurvéesderrièremon corps, nous rapprochant.Noshanches s’agitant aumême rythme, ses lèvresdouces surmon cou. Quand il se recula, son regard émeraude était plein de désir et dequelquechosed’autre,quelquechosedeplusprofondquinemanquaitjamaisdemecouperlesouffle.Uneformed’amourétourdissantequ’iln’étaitcapabledepartagerqu’avecmoi.

–Blake…jet’aimetant.

Lesmots coulèrent dema bouche, une proclamation aisée, qui ne perdait rien de savaleurmalgré lepassagedutemps.Cesmotsn’avaientpasmoinsdesensque lapremièrefoisquenouslesavionsprononcés.Ilsenavaientmêmepluschaquefois.

– Je t’aime,moi aussi, dit-il enmeparcourantdu regard. Et je neme lasserai jamaisd’amener cette expression sur ton visage. J’adore te voir comme ça, empourprée et vidée,avecdes étoilesdans les yeuxquand tu t’abandonnes.Çamedonne l’impressiond’être lecentredumonde,mêmesicen’estquepouruneminute.

D’une main tremblante, je parcourus l’aile noire de son sourcil, son nez parfait, seslèvrespleines.L’œuvred’artavec laquelle jepartageaismavie…L’œuvred’artdont jenemelasseraisjamais,quejerefusaisdetenirpouracquise.

–Sic’est lecas,notreamourest lecentredemonmonde,Blake.Chaquejoie,chaquebeautédelavie,jelesdoisàcetamour.

Il fermalesyeux,m’attiravers lui jusqu’àquenosfrontssetouchent.Puis ilmecaptadansunregardquirévélaittoutesonâme.

–Cetamour,tul’aurastoujours.

SCÈNEBONUS

Revenonslàoùtoutacommencé…PouravoircettefoislachancedesavoirexactementcequepensaitBlakequandEricapénétrapourlapremièrefoisdanslasalledeconférencesd’Angelcom.

BLAKE

Appuyéàlaparoidel’ascenseur,jeregardaisdéfilerlesétagestandisquej’approchaisdudernierpalierdesbureauxd’Angelcom.Jefermailesyeux,regrettantdenepasavoireuquelquesheuresdeplusàlesgarderclos.

Laportes’ouvritensonnant.Àquelquespasdelà,Gretaétaitassisederrièrelegrandbureauderéceptionquiportait lenomet le logod’Angelcom.Danscebureau,débutaientcertainsdemesmeilleursprojets;c’étaitmondeuxièmechez-moi.

Gretasouritchaleureusementàmonapproche.

– Bonjour, monsieur Landon. Les investisseurs se sont réunis dans la salle deconférencesB,cematin.

J’acquiesçaietregardaimamontre.J’avaiscinqminutesderetard.Masatisfactionétaitdéjà,auminimum,desavoirqu’onrencontraitunedesrecruesdeMaxcematin.Etdeplus,ildevaitdéjàavoirlesboulesàcausedemonretard.

– Vous avez l’air épuisé. Je peux vous apporter quelque chose ? demanda Greta enfronçantlessourcils.

–Nonmerci.Çava.

Jepassaiunemaindansmescheveux.J’avaispassélamoitiédelanuitàcontrerunecyber-attaquecontreuneplateformequ’onavait lancéequelques joursplus tôt seulement.Celui qui l’avait ciblée était sacrément persistant,mais il n’avait pas réussi à nousmettrehorsligne.Jebusuneautregorgéedemoncaféglacégéantetmedirigeaiverslasalledeconférencesauboutducouloir.

Lesautres investisseursétaientdéjà installés, tousassisautourd’unegrandetablequifaisaitfaceauxgratte-cieldeBoston.JemelaissaitomberdanslesiègevideàcôtédeMaxetscrutailamagnifiqueblondeassiseenfacedemoi.

–VoiciBlakeLandon,luiditMax.Blake,EricaHathaway.Elleestvenueprésentersonréseausocialdemode,Clozpin.

–Unbonnom.C’esttoiquil’asamenée?luidemandai-jesansdétournerlesyeuxdelajeunefemme.

–Oui,nousavonsunamicommunàHarvard,répondit-il.

J’acquiesçai lentement. Avant cette réunion, j’avais déjà eu le plaisir d’une rencontreplusphysiqueaveccettefille,quiressemblaitmaintenantbeaucoupplusàunefemmedanssonensembleet sonchemisierbleusassortisà sesyeuxensorcelants.Desyeuxauxquels jenepouvaism’arracher.Quelquechose,dansl’instantoùjel’avaisreconnue,avaitfaitpassercettetroplonguenuitetcematindifficileausecondplan.

EricaHathaway.

Je m’humectai les lèvres et la regardai suivre mon mouvement des yeux. Elle rositlégèrementdelapoitrineauxjoues.Celafaisaitdeuxfoisdesuitequejemeravissaisdesesréponsesphysiquesàmapersonne.

Mais c’était vrai dans les deux sens, et jem’étais quasimentmaudit pour n’avoir pasdonnésuiteàmonattraction.Enréponseàsonregardtroublé,quandelleavaittrébuchéetque je l’avais rattrapée dans mes bras au restaurant l’autre soir, j’aurais dû l’inviter àprendreunverre;celaauraitpunousmeneràautrechose.MaisMichaelétaitenville,etjenepouvaispasannulerundîneravecluijustepourallertireruncoup.

Aumoins,àprésent,j’avaisunesecondechance.

Ellepétritsaveste,évitamonregardetrepritmaladroitementsaprésentation.

Pendantcetemps je laissaimonespritdivaguersurtoutes les façonsdontcettesoiréeauraitpuseterminer.Puisjeredirigeaimespenséesvagabondesversleprésentettouteslesfaçons dont je pourrais rattraper cette opportunitémanquée, en l’allongeant sur la tableplutôtsolidequinousséparait.Jepassaimalanguesurmalèvre,medemandantquelgoûtellepourraitavoir.Lesouvenirdesoncorpsserrécontremoi,chauddanslapaumedemesmains,sefitunpeuplusinsistant.

Jenepouvaism’empêcherdesourirequandnosregardssecroisaientetquelesmotsluimanquaient. Elle était mal à l’aise, visiblement nerveuse. Rien d’inhabituel pour unepremière présentation, ou n’importe quelle présentation, d’ailleurs. J’aurais dû vouloir lamettreplusàl’aise,maisjenepensaisqu’àdécouvrircommentelleréagissaitàlapression.Je l’interrompis au milieu de sa phrase et la mitraillai de questions sur son modèleéconomique,auxquelleselleréponditavecplusdegrâcequejenel’avaisescompté.

Donc,Erican’étaitpasjusteunejoliefille.Elleétaitmaligne,etlefaitqu’elleaitréussiàarriverjusqu’àcettesalledeconférencessignifiaitqu’elleétaitégalementdéterminée.

Satisfait,jeluifissignedepoursuivre.

Pendantqu’elleparlait, jem’interrogeaisurceque jedésirais leplus :unepartdesasociété,ousoncorpssouslemienhurlantmonnom.

Malheureusement, jepréférais lasimplicité.L’absencedecomplications.Sinon, j’auraispuavoirlesdeux.Maisjenecherchaispasàbriserlescœurs,etmélangeramouretaffairesétaitl’assuranced’yparvenir.

Mon téléphone s’éclaira d’un texto, interrompantma concentration. Sophia,mon ex,serait en ville dans quelques jours. Les émoticônes qui ornaient sonmessage annonçaientclairement qu’elle voulait plus que me voir. Je souris intérieurement de sa persistance.J’aurais dû vouloir tout ce qu’elle avait à m’offrir, mais je ne pouvais me résoudre àrecoucher avec elle. Après tout ce qu’on avait vécu, il valait mieux qu’on soit seulementamis.

Etencoreplusquandj’avaisdevantmoiunmorceaudechoixcommeEricaHathaway.

J’envoyai un texto à Sophia, lui annonçant que je serais à Las Vegas et que j’allaismanquer sa venue. Je reposai mon téléphone sur la table alors qu’Erica achevait sonpropos. Difficile d’ignorer le mélange de soulagement et de peur dans son regard. De lavulnérabilité,avecunetracedefeuintérieur.

Lorsqu’elleconclut,jeluidemandai:

–Voussortezavecquelqu’un?

Jesusquecettequestionallaitmedamneràl’instantmêmeoùjeprononçaicesmots.L’empourprementdesjouesd’Ericameleconfirma.

–Pardon?demanda-t-elled’unevoixincertaine.

– Les relations peuvent être perturbantes. Si vous deviez obtenir de ce groupe lefinancementdontvousavezbesoin, cepourrait êtreun facteur susceptibled’affectervotrepotentieldecroissance.

J’aurais pu obtenir undiplômede connerie, si j’avais trouvéune fac valable pour ça.Sauf qu’elle ne se laissait pas faire. Toute sa vulnérabilité avait disparu.Maintenant, ellen’était que feu, une réalité qui provoqua un gonflement dans mon bas-ventre.Malheureusement pour elle, ou peut-être heureusement, la promesse de la mettre dansmonlitétaitentraindel’emporter.

–Jepeuxvousgarantir,monsieurLandon,quejem’impliqueàcentpourcentdansceprojet.(Sesyeuxseplissèrent,tandisqu’elleplongeaitsonregarddanslemien.Elleinclinalégèrement la tête.) Avez-vous d’autres questions sur ma vie privée qui participeraient àvotredécisioncejour?

Je me posais justement énormément de questions sur sa vie privée, et j’avais bienl’intentiond’entrouverlesréponsesdèsquecetteprésentationseraitterminée.

–Non,jenecroispas.Max?

Je me tournai vers Max, qui demanda promptement aux autres investisseurs de seprononcer sur leur intérêt pour ce projet. Erica prit une difficile inspiration et serra sesmainsdevantelle,sifortquesesphalangesblanchirent.

Unparun,ilsseprononcèrentnégativement.

Elledéglutit,et jesentisqu’ellesepréparaità lapossibilitébienréelledequittercettepièce rejetée de tous. Ce qu’Erica ne savait pas, c’était que Max avait rempli la pièced’hommesquiinvestissaienttrèsrarementdanslesstart-upliéesàl’Internet.Cesimplefaitm’indiquaitdéjàqu’illavoulaitpourluiseul.

Puis tous lesyeuxse tournèrentversmoi,et lesilencese fit.Jeregardaidroitdans ladirectiond’Erica.

–Sansmoi,dis-je.

REMERCIEMENTS

Celivreestpourmestroispetitsrase-moquette,S.,A.,etE.qui,mêmesijemerefuseàl’accepter, ne seront pas toujours aussi petits. Même si cela ne vous paraît pas encoreévident, jevousprometsquechaque jourdenotrevie follementagitée serapourmoiunesourcedefierté,d’émerveillement,etdeplusd’amourpourvousquejenesauraisl’exprimerpar desmots.Merci d’avoir partagé votremamanavec ses personnages et ses lecteurs, etd’avoir accepté tous les sacrifices que nous avons dû faire.Merci de vous être passionnéspourchaquepasdenotreodyssée,d’avoirétélespremiersàmeréconforterquandj’enavaisleplusbesoin,etdemerappelerchaquejourcequiestréellementleplusimportant.

Je voudrais remercier mes lecteurs et mon équipe de lecture pour leur incroyablesoutien. Votre amour pour cette histoire a inspiré l’aventure de Blake et d’Erica plus quevousnepourriezjamaisl’imaginer.Jevoussuisdéfinitivementredevablepouravoirprisunepartaussiconsidérabledanslaréalisationdemonrêve.

J’ai le bonheur de pouvoir enfin rendre un hommage formel à mon agent, KimberlyBrower, et au soutiende l’agence littéraireRebecca Friedman.Kimberly,merci dem’avoirdécouverte,d’avoirluetaimémeslivresetd’avoiracceptédetejoindreàlafolleaventuredemacarrièred’écrivain.

Ma gratitude va également aux équipes de Hachette Book Group, Grand CentralPublishingetForeverRomance,quiontaidéavectantdedévouementetd’efficacitéàfaireconnaître la série « Hacker » à mes lecteurs. Merci, Leah Hultenschmidt et Jamie Raab,d’avoirdiscernélepotentieldelasérieetd’avoirconsacréunetelleénergieàsapublicationet à sa distribution.Merci également aux nombreux éditeurs étrangers et à ces dames del’agence littéraire Bookcase, qui ont partagé notre enthousiasme et présenté l’histoire deBlakeetd’Ericaaurestedumonde.

Comme toujours, j’adresse mes plus chaleureux compliments à ma talentueusedirectrice de collection,HelenHardt. C’est folie que de se dire qu’il s’est écoulé deux ansdepuisque je t’aienvoyé lepremier jetdupremiervolume,etqu’onenest làmaintenant,six livres plus tard ! Je sais que je t’ai promis à chaque date de livraison que ce serait ladernière fois que ça se passerait dans la panique,mais je crois que tume connaismieux,maintenant.Merciunefoisencorepourtaflexibilitéettescorrectionstoujoursjudicieuses.

Je n’aurais pu naviguer en toute confiance dans le système judiciaire demonmondeimaginairesans l’expertise juridiquedeMeAnthonyCanataetdemonconsultant,MichaelGove. Michael, je suis heureuse de t’avoir eu à mon côté durant certaines des périodescharnières de ma vie. Merci pour ton amitié toujours renouvelée et tes conseils toujoursjudicieux.

Unegrandepartiedugénienatureletdel’expertisetechniquedeBlakem’aétéinspiréepar Luc Vachon, mon vrai Sid, ami brillant et ancien collègue, qui met ses pouvoirs auservicedubien.Merci,Luc,pourtoncerveauincroyablequistimulelesgensautourdetoietleurpermetdemieuxévaluerl’étenduedespossibles.Etaprèslesannéesquej’aipasséesàteharceleràcesujet,voisencesremerciementsmonacceptationtardivedetonincapacitéàvenirtravailleravantmidi.

Je remerciemonéquipedeWaterhousePressd’avoir fait tourner lamachinependantque je disparaissais durant des semaines pour être écrivain plutôt que chef d’entreprise.David Grishman, merci d’avoir pris les rênes et de m’avoir permis de ne plus être lapatronne.KurtVachon, il estdifficiled’imaginermeneràbienunprojet important sans leflot régulier de vidéos de petits animauxmignons que tu proposes, en sus de ton soutientechnique indéfectible qui fait tout fonctionner dans les coulisses sans encombre. ShaylaFereshetian, tu sais mettre en ordre mon monde chaotique avec passion et philosophie.Mille mercis ! Et un avertissement sans frais : si quiconque essaie de t’arracher àmoi, jemords.

MiaMichelle,madouce!Mercid’avoirétémonaccoucheuselittéraire,mercipourtonsoutiensans faille,etpourêtrecettebelleâmedont je suis si fièrededirequ’elleestmonamie.ChelleBliss, tonéthiqueprofessionnelleme fascineetaétéunevéritable inspirationpour la procrastinatrice qui sommeille en moi. Merci pour tes appels réguliers, tescontributionsettaprésencebienréelle.

Merci à toi, Remi Ibraheem, pour ton amitié et ta considérable capacité de conseil.Merciauxnombreuxamisquejemesuisfaitsenchemin,etàceuxquim’ontaccompagnéedanscettefolleexpérienceaveccomplicitéetoptimisme.

Commetoujours,mercimamanpourtonécouteetpourm’avoiraidéeàcroirequeleschoses qui semblent parfois impossibles sont toujours à portée de main. Je n’aurais passurvécuàcetteaventuresanstonsoutienettonamour.

Par-dessustout,jeveuxremerciermonépoux,Jonathan,saufquelesmotsnepourrontjamais suffire. Je n’aurais jamais imaginé écrire l’histoire de deux personnages aussiprofondément amoureux sans avoir connu ce genre d’amour fou moi-même. Merci d’êtremonhéros,monmeilleurami,etl’amourdemavie.

TitreoriginalHardLove(TheHackerSeries,Book5)

©2015,MeredithWild©ÉditionsMichelLafon,2016,pourlatraductionfrançaise

118,avenueAchille-PerettiCS70024–92521Neuilly-sur-Seine

Photodecouverture:©MayerGeorge/Shutterstock

ISBN:978-2-7499-3114-2

www.michel-lafon.com