Les transformations de l’écrit documentaire entre XIIe et XIIIe siècles - Menant
Les femmes musiciennes aux XIIe- XIIIe siècles : le cas des trobairitz.
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Diplôme national de master
Domaine - sciences humaines et sociales
Mention - sciences de l’information et des bibliothèques
Spécialité - cultures de l’écrit et de l’image
Les femmes musiciennes aux XIIe-XIIIe siècles : le cas des trobairitz.
Sandrine BRUN
Sous la direction de Laurence Moulinier-BrogiProfesseur des universités Lumière Lyon 2.
RemerciementsJe souhaite remercier tous ceux qui m'ont apporté leur soutien et leur aide
pour mon mémoire.
Tout d'abord, je tiens à remercier ma directrice de mémoire Mme
Moulinier-Brogi pour avoir bien voulu me diriger et m'aider avec mon mémoire.
Ensuite, je remercie Mme Rouchon et M. Adroher qui m'ont apporté leur
aide en me donnant de précieuses informations et pistes qui m'ont permis
d'avancer dans mon travail.
Et enfin, je remercie ma famille et mes amis pour m'avoir supportée et
soutenue tout au long de mes recherches, et surtout pour m'avoir aidée lors de la
relecture, de la traduction du résumé et de la mise en page.
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Résumé :
Dans l'Occitanie du XIIe siècle naît une nouvelle lyrique : celle des troubadours.
Parmi eux, un petit nombre de femmes, nommées trobairitz, vont elles aussi rédiger des
poèmes sur le thème de la Fin'Amor, thème essentiellement utilisé par les hommes.Cette
étude porte sur l'analyse des textes et des miniatures tirés de chansonniers provençaux.
Il s'agit, par ce biais, de reconstituer la place et le corpus de ces femmes-troubadours.
Descripteurs :
Chansonniers provençaux, Fin'Amor, Miniature, Moyen Âge, Musique, poètes occitans,
Trobairitz, Troubadour.
Abstract :
In XIIth century Occitanie, a new lyric was born : that of the troubadours.
Among them, a small number of women, named trobairitz, drafted poems on the theme
of the Fin'Amor, that was essentially used by men. This study concerns the analysis of
texts and miniatures from Provençal songsters. Thus, the crux of the matter is to
reconstituate the place and the corpus of these women troubadours.
Keywords :
Fin'Amor, Middle Ages, Miniature, Music, Provençal songsters, occitan poets,
Trobairitz, Troubadour.
Droits d’auteurs
Droits d’auteur réservés.
Toute reproduction sans accord exprès de l’auteur à des fins autres que strictement personnelles est prohibée.
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Sommaire
SIGLES ET ABRÉVIATIONS....................................................................................7
INTRODUCTION..........................................................................................................9
PARTIE 1 : DÉFINITIONS ET HISTORIOGRAPHIE DES TERMES...........131.1- Origine des appellations et dénominations :..............................................13
1.1.1 Les troubadours :.........................................................................................131.1.2 Les trobairitz................................................................................................18
1.2- Les origines et le développement de la lyrique des troubadours :........211.2.1 Trois périodes :............................................................................................221.2.2 La croisade des Albigeois :.........................................................................241.2.3 Pourquoi en Italie, en Espagne et dans d'autres pays d'Europe ?..........27
1.3- La fin'amor :....................................................................................................291.3.1 Définition :...................................................................................................291.3.2 Les genres de la lyrique troubadouresque:...............................................311.3.3 Le rapport à la musique :............................................................................35
PARTIE 2 : LES CHANSONNIERS........................................................................412.1- La tradition des chansonniers :....................................................................41
2.1.1 Qu'est-ce qu'un chansonnier ?...................................................................412.1.2 Les compilateurs et leur rôle :...................................................................43
2.2- Présentation des manuscrits concernés :....................................................452.2.1 Les principaux manuscrits étudiés ici :.....................................................452.2.2 Des ressemblances entre eux :....................................................................472.2.3 Particularité du chansonnier H :...............................................................48
2.3- Les types de textes que l'on y trouve :.........................................................502.3.1 Les vidas :.....................................................................................................502.3.2 Razos :..........................................................................................................532.3.3 textes et mélodies de troubadours et de trobairitz :.................................57
2.4- Les types d'image que l'on y trouve :..........................................................602.4.1 Définition de la miniature :........................................................................602.4.2 Les miniatures dans les manuscrits :.........................................................632.4.3 L'enluminure italienne au XIIIe siècle :....................................................72
PARTIE 3 : LES TROBAIRITZ...............................................................................753.1 La question d'auteur chez les trobairitz :....................................................75
3.1.1 Des femmes auteurs ?..................................................................................753.1.2 Des miniatures d'auteur ?...........................................................................79
3.2- Les textes :........................................................................................................813.2.1 Analyse des types de texte :........................................................................813.2.2 Comparaison avec les troubadours :.........................................................93
3.3- Les images :....................................................................................................1003.3.1 Analyse d'une ou deux images :...............................................................1013.3.3 Comparaison avec les troubadours :.......................................................105
CONCLUSION...........................................................................................................109
SOURCES...................................................................................................................111
BIBLIOGRAPHIE.....................................................................................................113
TABLE DES ANNEXES...........................................................................................121
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GLOSSAIRE...............................................................................................................207
INDEX..........................................................................................................................209
TABLE DES ILLUSTRATIONS............................................................................213
TABLE DES MATIÈRES........................................................................................215
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Sigles et abréviations
BnF : Bibliothèque nationale de France
coll. : collection
dir. : dirigé par-dessus
éd. : édition
f. : folio
ms. : manuscrit
[s.d] : sans date
[s.l] : sans lieu
trad. : traduction
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INTRODUCTION
Depuis plus d'une vingtaine d'années, les historiens cherchent à démontrer
que le Moyen Âge est loin d'être un âge obscur, éloigné de toute culture et de
savoir. Ils démontrent notamment que c'est à ce moment là que la ville devient un
grand centre non seulement économique mais aussi scolaire et culturel, où les
universités, d'abord celle de Bologne, de Paris, puis d'Oxford, se développent de
plus en plus.1 Au cours de cette période, du Ve au XVe siècle, le christianisme ainsi
que les monarchies sont renforcés. Non seulement ils s'étendent par les Croisades
mais aussi par l'évangélisation, ainsi que par la fondation d'administrations, comme
par exemple en Angleterre où Guillaume le Conquérant crée l’Échiquier et le
système de shérifs2. De plus, c'est au cours des XIIe et XIIIe siècles que se sont
développés deux des grands courants « littéraires » qui n'ont jamais connu d'égal.
Dans un premier temps le grand mouvement intellectuel de ce XIII e siècle, s'est
tourné vers la production de textes universitaires, de la scolastique, avec Thomas
d'Aquin ou Pierre Lombard, ou encore d'encyclopédies en latin ou en langues
vulgaires, comme dans le cas de celle de Brunet Latin (v.1220-1294). Puis, dans un
second temps, avec le développement des langues vernaculaires, la lyrique
troubadouresque, et plus généralement l'art poétique créé autour des héros comme
Charlemagne ou Roland et dans laquelle s'inscrivent les trobairitz3, se met en
place.
L'histoire de ces femmes troubadours, et plus généralement celle des
femmes au Moyen Âge, est un sujet qui intéresse les chercheurs depuis une
trentaine d'années environ. Mais le sujet particulier des trobairitz et des
troubadours est quant à lui étudié depuis environ deux siècles ; c'est le cas par
exemple de Jean-Baptiste de la Curne de Sainte-Palaye (1697-1781), qui le premier
a parlé, en 1774 dans son Histoire littéraire des Troubadours, des trobairitz en
proposant des traductions d'extraits de leurs œuvres en français. Mais avant lui,
nous pouvons remonter au XIVe siècle, où Dante a étudié de près cette lyrique
ainsi que la langue dans laquelle elle était écrite.
1 LE GOFF Jacques (dir.), Hommes et femmes du Moyen âge, Paris, Flammarion, p 122.2 Ibid., p 124.3 Les termes occitans employés dans cette étude sont définis dans le glossaire situé en fin de mémoire, p 209.
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Cependant, pour la période qui nous intéresse dans cette étude, c'est-à-dire
les XIIe – XIIIe siècles, voire le XIVe siècle pour certains chansonniers provençaux,
il faut souligner le fait qu'il existe peu de sources. En effet, hormis quelques textes
écrits par des femmes telles que Marie de France ou Hildegarde de Bingen, qui, il
faut bien le dire, étaient des femmes d'exception, tout comme Hrosvitha au Xe
siècle ou Trotula qui rédigea un ouvrage médical au XIe siècle, nous ne possédons
que peu de documents sur ces trobairitz.
D'ailleurs, ce problème de sources et de rapport quantitatif entre les
informations dont nous disposons pour les troubadours et celles pour les femmes-
troubadours est un des éléments sur lequel nous nous interrogerons au cours de
cette étude. En effet, le corpus textuel de ces femmes poètes ne représente qu'une
infime partie du corpus global des troubadours, qui est considéré encore
aujourd'hui comme une lyrique unique. Pour cette étude, je me suis appuyée sur
des sources médiévales telles que les chansonniers provençaux, rédigés pour la
plupart dans le Nord de l'Italie entre la fin du XIIIe siècle et le début du XIVe
siècle, et dans lesquels nous retrouvons non seulement (parmi ceux des
troubadours), les textes des trobairitz mais aussi leurs vidas et leurs razos, ainsi
que des miniatures les représentant. Mais à partir de là, quelle place accorder à ces
femmes poètes dans une société contrôlée par des hommes ou même dans cette
lyrique essentiellement masculine ? Surtout dans ce thème de l'amour courtois qui,
d'après Georges Duby, servait à « dresser les femmes, à juguler ce qui les rendait
inquiétantes aux yeux des hommes, en enfermant dans le déroulement de figures
ordonnées […] les germes de leur nocivité ».4
Avant d'aller plus loin, il est nécessaire, pour mieux comprendre le contexte
dans lequel nous nous plaçons, d'évoquer brièvement l'histoire des femmes en
général. La première chose à relever est qu'il nous est difficile de connaître
réellement leur statut, leurs conditions à partir des textes et d'autres documents en
notre possession, souvent écrits par des hommes et exposant des faits qui peuvent
varier grandement d'un type de texte à l'autre (des textes juridiques aux textes
littéraires en passant par les théologiens). Toutefois, s'il y a une chose dont nous
pouvons être certains c'est de la vision péjorative de l’Église des femmes au
Moyen Âge. En effet, la femme est impure, inférieure à l'homme, puisque arrivée
4 KLAPISCH-ZUBER Christiane (dir.), Histoire des Femmes en Occident, Tome 2 Le Moyen Âge, [Paris], éditions Plon, 1991, p 273.BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 10 -Droits d’auteur réservés.
Introduction
après Adam, et donc pour l'homme et par l'homme, puisqu'Ève est sortie par le flanc
d'Adam. Mais elle est aussi un instrument du péché, puisqu'elle est le premier être à
avoir péché en écoutant le serpent et en proposant le fruit défendu à Adam, c'est donc
par elle que l'homme a connu la déchéance. Ainsi, les femmes, si l'on en croit les
sources écrites, n'apparaissaient que sous la forme d'idoles, d'idées mais aussi et surtout
sous les traits de repoussoirs, ou comme des produits, si l'on reprend l'expression de
Georges Duby, des fantasmes des hommes. La femme était donc faite pour enfanter et
être dominée par l'homme. Et même si certaines possédaient un statut important dans la
société, on ne les écoutait que parce qu'elles étaient sous la tutelle d'un homme : un père,
un frère, un confesseur, etc. Ici, il sera aussi question de savoir quel est le statut des
trobairitz dans la société et parmi leurs pairs. Mais nous pourrons aussi nous demander
si elles avaient un tuteur derrières elles, si elles copiaient seulement les textes des
troubadours, ou si elles étaient véritablement des auteures. En effet, aujourd'hui, il est
admis que, même si nous ne sommes pas sûrs à cent pour cent qu'elles aient toutes
existé, au moins une bonne partie d'entre elles ont bien été des auteures et des
compositrices. Mais là aussi tout dépend des notions d'auteure et de compositrice et de
la définition que nous en donnons. Cela nous amène aussi à nous demander quelle part
prend la musique dans les compositions des trobairitz, sachant que nous avons fait le
choix ici, de n'évoquer que brièvement, sans les étudier, les jongleresses, souvent
représentées en danseuses et musiciennes. J'ai fait ce choix, car d'après mes lectures j'ai
pu définir qu'elles ne ressemblaient en rien aux trobairitz. Que ce soit par leur statut
social ou par leurs représentations iconographiques, ces deux groupes de femmes, bien
que se côtoyant, n'étaient pas considérées de la même manière ; si les trobairitz étaient
des femmes de haute noblesse et des créatrices, les jongleresses, elles étaient
généralement issues de classes sociales moins élevées et n'étaient qu'interprètes des
femmes troubadours.
Ce travail présuppose, dans un premier temps, de présenter et de définir qui
étaient les troubadours et les trobairitz et ce qu'ils faisaient, en analysant notamment
quelques uns de leurs textes, mais surtout en les replaçant dans le contexte historique ;
point sera évoqué dans la première partie. Par ailleurs, ces textes ne seraient pas
parvenus jusqu'à nous s'ils n'avaient pas été conservés dans des anthologies, choisis et
inscrits par des compilateurs et des enlumineurs des XIII e et XIVe siècles. Ainsi il
convient également de replacer ces chansonniers dans la tradition manuscrite, et d'en
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dévoiler le contenu, dans une seconde partie. Et enfin, la troisième partie abordera
la notion d'auteure et de leur représentation chez les trobairitz, tout en les
comparant avec les troubadours.
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PARTIE 1 : DÉFINITIONS ET HISTORIOGRAPHIE DES
TERMES
1.1- ORIGINE DES APPELLATIONS ET DÉNOMINATIONS :
1.1.1 Les troubadours :
Le terme masculin troubadour ou trobador en occitan vient de trouver ou
trobar en ancien provençal, dans le sens d'inventer, de trouver des pièces poétiques
soutenues par des mélodies.5 Le troubadour est donc un trouveur, un compositeur,
ainsi qu'un poète.
On trouve la terminologie du mot troubadour prononcée pour la première
fois en 1575 par Jean de Nostredame (1507 ? - 1577), procureur au Parlement de
Provence et poète6. Toutefois, en 1150, dans la vie de Saint Alexis, à la strophe 19,
le mot « trouver » apparaît, il n'est cependant pas utilisé pour désigner l'art de
composer des troubadours :
Tot son aveir qu'od sei en out portet,
Tot le depart que giens ne l'en remest :
Larges almosnes par Alsis la citet
Donet as povres ou qu'il les pot trover :
Par nul aveir ne volt estre encombrez.7
Il est également possible de le trouver sous la forme moins usitée de
« trouvoir », comme par exemple dans Le mistere du siège d'Orléans, au vers
14878 :
Interrogee de son stille,
De son savoir la plus habille
Que on peult au monde trouvoir,
5 CLÉMENT-DUMAS Gisèle, Des moines aux troubadours IXe – XIIIe siècle, La musique médiévale en Languedoc et en Catalogne, Montpellier, éditions Les Presses du Languedoc, (collection Musique et Patrimoine en Languedoc-Roussillon), 2004, p 105.
6 Data.bnf.fr (consulté le 22/03/2014)7 PARIS Gaston et PANNIER Léopold, La vie de saint Alexis : poème du XIe siècle et renouvellements des XIIe,
XIIIe et XIVe siècles, Paris, A. Frank, 1872.BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 13 -Droits d’auteur réservés.
Saige, prudente et fertille,
A respondre, honneste et agille,
Sans luy savoir riens reprouvoir.8
À partir de là, nous retrouvons ces poètes sous la forme de troveor, ou de
trovor, et ce dès 1160, par exemple dans le Roman de Troie de Benoît de Sainte
More, dans les Grandes Chroniques de France, Istoire du bon roy Robert , ou
encore de le Lai d'Aristote. Plus tard, bien que la forme du terme de « troubadour »
soit attestée, nous rencontrons encore ce terme de « troveor », notamment dans De
l'origine de la langue et poésie françoise, ryme et romans de Fauchet, au volume II
de l'édition de 1581 ; ou dans son Origine des chevaliers, au tome I, de l'édition de
1611.
Le terme même de trobar vient du grec tropos (forme, tournure de phrase)
et du latin tropus (la manière) qui a évolué en tropare au Moyen Âge. Or un trope
est d'abord utilisé en rhétorique. Dans ce cas là, il s'agit d'une « figure qui implique
un changement du sens premier, propre, des mots 9 » . Mais les tropes peuvent aussi
appartenir à un autre domaine, qui pour notre étude est plus utile. Dans le registre
de la théorie musicale, ils sont apparus à partir du IX e siècle en Aquitaine où ils
désignent des pièces poético-musicales en langue vulgaire insérées dans des chants
liturgiques lors des grandes fêtes afin de les embellir. Par exemple, Saint Martial
de Limoges en a été un centre important de diffusion 10. Cette invention d'abord
poétique puis musicale s’exécute par trois façons différentes : introduction (avant),
interpolation (pendant) et addition (après) dans l'office grégorien 11. Auparavant,
Cassiodore, au début du VIe siècle, assimile déjà tropus à sonus, cantus et donc au
chant et à la mélodie, comme le feront plus tard les carolingiens. Dans ce cas là, le
terme tropare signifie donc plus « composer, inventer un air » d'où une
récupération pour les troubadours en « composer une poésie », puis « inventer,
découvrir ».
Les troubadours aussi appelés Minnesänger ou mesteres de juglaría dans
d'autres pays sont connus dans les pays de l'ouest de l'Europe médiévale, du
Portugal à l'Allemagne et de l'Irlande à la Sicile.
8 D'après le manuscrit unique conservé au Vatican publié en 1862 par F. Guessard, à Paris.9 Dictionnaire illustré encyclopédique , édité sous la direction de FOUQUET Emmanuel, [Paris], Hachette, 2001.10 CLÉMENT-DUMAS Gisèle, op.cit., p 105.11 LE VOT Gérard, Vocabulaire de la musique médiévale, [s. l.], nouvelle édition augmentée, éditions Minerve,
1993, 2001, p 216.BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 14 -Droits d’auteur réservés.
partie 1 : Définitions et historiographie des termes
Cependant, il ne faut pas les confondre avec les jongleurs. Le joculator joue sur
les mots, fait maintes plaisanteries et ce terme regroupe tout un panel de personnages
très différents les uns des autres. En effet, sous cette dénomination de jongleur, on peut
retrouver le montreur d'animaux, le musicien, l'acrobate, le ménestrel composant des
ouvrages, le bouffon ou bien encore le conteur12. Pour Quintillien, jocus est « le
contraire du sérieux », et il l'associe à tout ce qui est grotesque, ridicule voire même
obscène13.
Les troubadours, eux, sont des compositeurs et des auteurs, qui chantent rarement
leurs compositions, sauf pour s'en attribuer la paternité devant témoins, préférant les
mettre par écrit et les confier à des jongleurs. Les jongleurs, dans ce cas présent,
permettaient la circulation des pièces écrites par les troubadours ainsi que de la musique
qui les accompagnait, et ce dans toutes les cours par lesquelles ils passaient. Toutefois,
bien qu'il s'agisse d'une lyrique de cour, les troubadours n'étaient pas nécessairement de
grands seigneurs ; cela est différent pour les trobairitz. Effectivement, ils pouvaient être
riches ou pauvres, faire partie d'un ordre religieux ou de la royauté, ou encore être
commerçants, bourgeois ou chevaliers. G. Brunel-Lobrichon et G. Duhamel-Amado
ajoutent même dans leur étude, Au temps des troubadours, XIIe – XIIIe siècles, que les
troubadours n'avaient pas un mode de vie précis, « D'abord parce qu'ils n'ont jamais
formé un groupe professionnel ou une corporation avec des règles établies, un costume
et des insignes, un rituel. Ensuite parce qu'ils proviennent de divers niveaux de la
société ». Mais bien que leurs origines sociales soient diverses, tous connaissaient l'art
du trobar et de la composition, d'où une certaine éducation tout de même. Cependant,
nous savons également que les troubadours étaient itinérants, suivant souvent les cours
par nécessité, étant donné que, s'ils n'étaient pas de grands seigneurs eux-mêmes, ils
dépendaient totalement du mécénat et de la générosité de leurs protecteurs 14.
Les troubadours seraient apparus en premier lieu en Aquitaine avec Guillaume IX
duc d'Aquitaine à la fin du XIe siècle, qui nous aurait légué onze chansons ; mais ils
n'auraient émergé en Catalogne et en Languedoc qu'un peu plus tardivement dans les
années 114015. Il est malgré tout nécessaire ici de rappeler que si Guillaume (ou
Guilhem) IXe duc d'Aquitaine fut le premier troubadour connu c'est avant tout dû à son
rang social. Or sa poésie, pas uniquement dédiée à l'amour courtois, est déjà bien
développée. Cela pourrait donc nous porter à penser qu'il existait avant lui une poésie 12 VERDON Jean, Les loisirs au Moyen Âge, nouvelle édition mise à jour, Paris, éditions Tallandier, 1996, p 217.13 CLOUZOT Martine, Le jongleur, Mémoire de l'image au Moyen Âge (1200-1330) , Berne, éditions Peter Lang, 2001,
p 5.14 Les troubadours [revue], Paris, éditions Europe, juin-juillet 2008, p 118.15 CLÉMENT-DUMAS Gisèle, op.cit., p 112.
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qui n'est malheureusement pas parvenue jusqu'à nous, tout comme ses auteurs.
Joseph Anglade va plus loin en disant que cette poésie des troubadours était
d'abord populaire puis qu' elle « a été transformée ensuite en poésie artistique par
des poètes bien doués16 ».
Il ne faut pourtant pas les confondre avec les trouvères, dont le mot apparaît
pour la première fois en 1160, qui, bien que poètes également, n'ont pas exercé
leur art au même moment ni au même endroit. En effet, ces trouvères ont évolué
dans le Nord de la France, le pays de la langue d'oïl, entre le XIIe et le XIIIe
siècles. L'un de leurs plus célèbres représentants est Thibaud de Champagne, qui
fut même surnommé par ses paires : « prince des trouvères ».
Depuis leur apparition au XIIe siècle, les troubadours ont suscité un vif
intérêt et ce jusqu'à nos jours. La preuve en est que même de leur vivant, ou à
peine un siècle après leur mort, des anthologies, que l'on appelle ici des
chansonniers et dont nous reparlerons plus tard, ont été composées. Puis dès la fin
du XIIIe siècle, Dante (1265-1321) se penche sur le sujet et plus particulièrement
sur l'importance de la langue vulgaire, la langue des poètes, à travers certains de
ses traités comme le De vulgari eloquentia, écrit entre 1303 et 1305. Au XIV e
siècle également, Pétrarque a rendu hommage à certains de ces troubadours dans
son Triumphus Cupidinis, tout comme Boccace qui s'est inspiré de la vida de
Guilhem de Cabestany pour écrire son Décaméron. Mais, après le Moyen Âge, il
faut attendre le XVIe siècle et Jean de Nostredame avec la publication des Vies des
plus célèbres et anciens Poètes provensaux, qui ont floury du temps des comtes de
Provence... en 157517, pour rencontrer un regain d'intérêt pour les troubadours et
leur lyrique, mais aussi avoir un premier travail remarquable sur le sujet.
Cependant, bien qu'il soit incontestable qu'il ait posé les bases de notre
connaissance sur la littérature de l'Occitanie, il n'en est pas moins vivement
critiqué aujourd'hui. Ses théories n'en ont pas été pour autant oubliées à la fin du
XVIe siècle et au début du XVIIe siècle puisque celle sur l'histoire de la
« littérature » médiévale a été reprise par Claude Fauchet et Étienne Pasquier,
parfois considérés comme les fondateurs de l'historiographie littéraire française.
Puis, il faut à nouveau attendre 1774 pour que Jean-Baptiste de la Curne de Sainte-16 CAMPROUX Charles, Histoire de la littérature occitane , Paris, éditions Payot, 1953, p 23-25. 17 En même temps que cette première édition française faite à Lyon, J. Guidici a fait paraître une traduction
italienne, elle aussi imprimée à Lyon chez Alexandre Marsilij. Nous connaissons également des réimpressions à Rome en 1710 et en 1722 et à Venise en 1730. Voir AGUILERA Delphine, Femmes poètes du Moyen Âge : les Trobairitz, Paris, éditions L'Harmattan, 2012, p 31.BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 16 -Droits d’auteur réservés.
partie 1 : Définitions et historiographie des termes
Palaye (1697-1781) présente la vie de 152 troubadours et trobairitz dans son Histoire
littéraire des troubadours, éditée en 1802. Á cela, il en évoque 137 autres et propose des
traductions d'extraits de certaines de leurs œuvres en français du XVIII e siècle. Aux
côtés de lui, il ne faut pas oublier de citer Jean-Pierre Papon, qui, dans son Histoire
générale de la Provence (1777-1786), cite même quelque fois des trobairitz.
Après eux, il faut attendre le siècle suivant pour que Victor Balaguer (1824-
1901), un catalan, décide de reprendre plus longuement ce travail dans son Histoire
politique et littéraire des Troubadours qu'il écrit en espagnol. En outre, au cours du
XIXe siècle et du romantisme, l'intérêt pour les troubadours est relancé. Ainsi, sont
apparues les premières anthologies de grande importance, notamment celle de Henri-
Pascal de Rochegude, dans son Parnasse occitanien de 1819, ainsi que celle de
François-Just-Marie Raynouard, qui dans ses six volumes des Choix des poésies
originales des troubadours, ajoute même des poèmes d'une dizaine de trobairitz, en
1816-1821. Puis à la fin du siècle, en 1885, Camille Chabaneau rédige ses Biographies
des troubadours en langue provençale dans lesquels il intègre des textes. Enfin, pendant
ce siècle, il est important de signaler le travail remarquable qu'ont réalisé des historiens
allemands comme Carl August Friedrich Mahn, Friedrich Diez ou encore Karl Bartsch.
Au XXe siècle et aujourd'hui encore, de nombreux chercheurs ont à leur tour
repris cette entreprise de recensement des troubadours et de leur vie ; c'est le cas par
exemple de Joseph Anglade avec sa Grammaire de l'Ancien Provençal publié en 1921,
mais aussi de Pierre Bec ou encore de Paul Fabre, qui tous deux ont publié une
Anthologie des troubadours, entre 1927 et 2011. Mais de nombreux autres historiens se
sont intéressés à ce sujet et ont contribué à son avancée. C'est le cas notamment d'Alfred
Jeanroy, en 1934, avec son ouvrage sur La poésie lyrique des troubadours, ainsi que de
Jean-Charles Payen, qui a travaillé, en 1975, sur le Vocabulaire courtois des
troubadours. Parmi eux, nous comptons également René Nelli, qui, bien que son sujet de
recherche principal soit les cathares, a beaucoup contribué aux recherches sur les
troubadours et leur lyrique, notamment grâce à son ouvrage intitulé L'érotique des
troubadours qui est paru en 1963.
Il est à noter que parmi tous ces historiens, très peu ont dédié leur ouvrage aux
trobairitz. C'est le cas de Jules Véran, qui, en 1934, a publié Les poétesses provençales
du Moyen Âge et de nos jours. Ces travaux sont également repris depuis une vingtaine
d'années par Meg Bogin par exemple dans The Women Troubadours. An introduction to
the Women Poets of 12th- century Provence and Collection of their Poems , ou Angelica
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Rieger. Cela nous amène à nous pencher sur le cas des trobairitz : qui sont-elles ?
D'où viennent-elles ?
1.1.2 Les trobairitz
Le terme de trobairitz est issu du thème de la fin'amor dans la courtoisie
lyrique, et plus précisément il est le pendant féminin du terme troubadour. Il est
cependant bien moins usité au Moyen Âge que le terme masculin et n'apparaît donc
pas dans les traités de poétique ou dans les vidas. Mais cela signifie-t-il pour
autant que les trobairitz soient des marginales ?
Le mot de trobairitz est évoqué pour la première et unique fois dans le
roman Flamenca18 aux vers suivants :
Voles, domna, doncas, qu'iei.l diga?
S'o voil ? Ans vos o prec, amiga.
Ar augas donc se i ave :
ilas ! - Que plans ? - Muer mi. - De que ?
De que ? Deu! - Hoc, domna, bos es ?
Margarida, trop be t'es pres
e ja iest bona trobairis.
O eu, domna, mellor non vist,
daus vos e daus Alis en fora19.
Ce roman occitan de 8095 vers, arrivé jusqu'à nous incomplet au début et à
la fin, fut composé entre 1250 et 1270 par un auteur inconnu. Pourtant une
hypothèse tendrait à faire penser que l'auteur pourrait être un clerc rouergat qui
aurait côtoyé l'entourage de la famille de Roquefeuille, des seigneurs d'une très
importante baronnie de l'Aveyron, du Gard et de la Lozère qui ont eu une place
importante à la cour de Guilhem de Montpellier. L'histoire, qui se passe en 1234,
met en scène Archambault, seigneur de Bourbon l'Archambault, qui tombe
amoureux et épouse Flamenca (la flamboyante), fille du comte Gui de Nemours.
Cependant, il devient très vite jaloux, et croyant que le roi avait eu les faveurs de 18 FEDORKOV Hanna et PFEIFER Sandra, Les Trobairitz, éditions Grin Verlag, 2013, p 2.19 « Vous voulez donc, dame, que je vous le dise ? - Si je le veux ? Mais, je vous en prie, amie. - Écoutez donc
s'il accorde avec les autres : Ailas ! -Que Plans ? - Muer mi. - De que ? - De quoi ? Par Dieu ! - Oui, dame, n'est-ce pas bon ? - Marguerite c'est très réussi tu es déjà une excellente « trouveresse ». - Oui, dame, la meilleure que vous vîtes jamais, vous et Alis exceptées » :Extrait de Flamenca, vers 4447 à 4457, roman occitan, présenté par MEYER Paul, d'après le manuscrit de Carcassonne, et traduction par Jean-Charles Huchet dans AGUILERA Delphine, op.cit, p 15-16.BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 18 -Droits d’auteur réservés.
partie 1 : Définitions et historiographie des termes
Flamenca car ayant attaché une manche de la dame au bout de sa lance lors d'un tournoi,
il enferme celle-ci dans une tour avec deux dames de compagnie (que l'on retrouve dans
la passage cité plus haut et qui sont comparées à deux trobairitz) et ne l'autorise à sortir
que pour aller à l'église et aux bains. C'est dans ce contexte que le seigneur Guillaume
de Nevers arrive pour mettre en œuvre la punition d' « Amour ». Pour cela, il se déguise
en clerc, ce qui lui permet de se déclarer, selon les règles de la courtoisie, auprès de
Flamenca à raison de deux syllabes par messe. Après la vengeance réalisée, le mari
jaloux n'en sachant rien devient plus accommodant sur la promesse faite par Flamenca.
L'amant vainqueur est ensuite congédié, bien qu'il revienne triomphant à un tournoi où il
prend un morceau de la manche de Flamenca. Ce roman, œuvre de fiction, est donc le
premier et le seul à évoquer une théorie de la poésie des femmes-troubadours.
Un autre élément à remarquer dans cet extrait : il s'agit de la forme du mot
trobairis, qui diffère légèrement de la forme la plus connue et généralement retenue
aujourd'hui, et ce depuis la fin du Moyen Âge, au niveau étymologique, c'est-à-dire la
forme se finissant par -itz : trobairitz. Nous observons donc un glissement de la forme
du mot au cours du temps20.
Le terme trobairitz est un terme générique qui englobe, au Moyen Âge, les
femmes auteures de poésie et musiciennes situées dans le Sud de la France, et qui se
distinguent donc de la partie Nord du pays par la langue, la langue d' oc, que l'on a
appelé plus tardivement l'occitan21. Pierre Bec ajoute d'ailleurs qu'aucune chanson,aux
XIIe et XIIIe siècle, n'a été composée par une femme trouvère. Nous pouvons donc
déduire de cela qu'il n'y avait pas de femmes trouvères dans le nord de la France. Il faut
néanmoins nuancer ces propos. En effet, Beverly Evans, dans Women trouvères : just
the same old refains ?, dit : « many women must have been writing and performing
songs in northern France, hardly solves the problem of the limited number of irrefutable
attributions that can be made to female poet-composers ».22
Les trobairitz, aussi appelées femmes troubadours, ont vécu aux XIIe et XIIIe
siècles. Elles sont aussi parfois appelées « trouveresses » ou « inventeresses », ou
« inventrix », comme c'est le cas dans les Chroniques de France au folio 6 du manuscrit
de Berne, dans Des Nobles malheureux de Boccace, au f. 24 v, de l'édition de 1313, ou
encore dans les Évangiles des Quenouilles : « Enfin, les six qui avoient esté
20 Ibid., p16.21 Ibid., p11.22 EVANS Beverly J., « Women trouvères : just the same old refrains ? », Neophilogus, 90:1, 2006, p 1-2.
BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 19 -Droits d’auteur réservés.
inventeresses et presidentes toute la sepmaine vindrent vers moy, et me
remercierent moult de la paine que prise avoie pour elles, et, pour mon salaire, me
promirent ayde, se les requeroie de me avanchier envers quelque damoiselle. »23
Mais bien que l'on puisse aussi les appeler ainsi, il ne faut pas les confondre
avec les jongleuses ou les jongleresses, car ce terme, qui vient de ioculatrix,
féminin latin de ioculator, désigne un bouffon, un rieur, un histrion ou bien encore,
un jongleur. On peut aussi trouver la forme latine de iocularis, qui désigne plus ici
un bouffon.
Actuellement, il est admis que vingt trobairitz sont retenues et plus ou
moins bien identifiées. Parmi ces vingt dames, il est en revanche nécessaire de
faire une distinction entre elles, puisqu' on reconnaît deux types de trobairitz : les
trobairitz dites « autonomes », c'est-à-dire qu'elles sont les auteures elles-mêmes
d'une œuvre, et les trobairitz connues comme interlocutrices dans les tensons, et
dans ce cas elles ont un ou une partenaire. Le problème de la tenson entre un
homme et une femme, c'est que l'on n'est pas sûr de l'identité de la trobairitz ; les
spécialistes doutent même parfois de la réelle existence de cette dame, qui pourrait
être un autre homme voire le même homme qui se répond sous la forme d'une
dame.
Dans le cas des trobairitz dites « autonomes » nous pouvons citer : Azalaïs
d'Altier, Gormonde de Montpellier, Na Bieiris de Romans, Azalaïs de Porcairagues
et encore Na Clara d'Anduze, Na Tibors de Sarenom, Na Castelloza et la Comtesse
de Die.
Et dans le cas des trobairitz auteures de tensons, nous connaissons douze
autres femmes troubadours : N'Alaisina Iselda, Na Carenza, Almucs de Castelnou,
Iseut de Capion, Alamanda, ou encore Maria de Ventadorn, Isabèla, Na Lombarda,
la Comtesse de Proensa dit Garsenda de Forcalquier, Na Felipa, Guilhelma de
Rosers. À cette liste nous pourrions éventuellement rajouter la Dòmna H, dont
nous avons un unique texte mais dont nous se savons rien de plus, ou encore des
trobairitz dont nous n'avons que le nom comme : Marguerite d'Oingt, et
Gaudarenca.
Toutes ces trobairitz sont par ailleurs issues d'un rang social élevé. Nous le
savons par leurs vidas qui les présentent généralement sous les traits de nobles
dames. Michel Zink, dans sa Littérature française du Moyen Âge, précise même :
23 Les Évangiles des Quenouilles, d'après Jean d'Arras, Fouquart de Cambray et Antoine Dubal, dans l'édition de 1855 faite à Paris chez P. Jannet, libraire.BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 20 -Droits d’auteur réservés.
partie 1 : Définitions et historiographie des termes
« Ce qui semble ressortir le plus nettement des vidas des trobairitz est que les femmes
désignées proviennent d'une couche sociale élevée de la société qu'elles sont toutes des
aristocrates »24. De plus, cela est renforcé par le fait qu'au Moyen Âge il existait peu de
femmes éduquées, sachant lire et écrire, et qui en plus chantaient des chansons de leur
composition sur le thème de l'Amour courtois. Cela était d'autant plus possible dans le
sud de la France où les coutumes et les lois étaient plus accommodantes en ce qui
concerne les femmes que dans le reste de l'Europe. En effet, c'est à partir du VI e siècle
que le code théodosien de 394-395 se met en place en Occitanie, permettant aux filles
non mariées d'avoir les mêmes droits que leurs frères en ce qui concerne les biens
paternels. Ainsi, de nombreux fiefs de cette région ont été dirigés par des femmes. Par
ailleurs, cela s'est trouvé confirmé lors des croisades durant lesquels les hommes, partis
guerroyer, laissaient le contrôle de leur domaine à leurs épouses.25
1.2- LES ORIGINES ET LE DÉVELOPPEMENT DE LA LYRIQUE DES
TROUBADOURS :
La lyrique des troubadours est avant tout une poésie chantée et composée en
langue vulgaire. Elle naît en France au milieu de musiciens et chanteurs nomades
suivant les grandes voies commerciales du pays. À ce moment là, on les nommait
histrions, mimes voire jongleurs. Quelquefois encore, il est difficile de les différencier si
ce n'est par leur costume et leur rang dans la société. Il nous est notamment possible de
remonter leurs traces grâce à un texte de Césaire d'Arles (mort en 542) qui interdit les
« chansons d'amour infâmes et diaboliques », dont les sujets représentaient un danger
pour les âmes et leur Salut26. Puis elle se développa pendant près de deux siècles dans le
milieu des cours féodales du Sud de la France, et fut diffusée essentiellement grâce à la
transmission orale, notamment à travers l'art des jongleurs. C'est pourquoi aujourd'hui,
elle ne nous est transmise que par le biais des chansonniers provençaux, des manuscrits
du XIIIe siècle pour la plupart, formant une sorte d'anthologie médiévale et précoce des
troubadours27.
24 ZINK Michel, Littérature française du Moyen Âge, p 44, dans AGUILERA Delphine, op.cit., p75.25 FEDORKOV Hanna et PFEIFER Sandra, op.cit., p 5.26 BECK Jean, La musique des troubadours, Paris, éditions Stock, (collection Stock musique), 1979, p 29-30.27 JULLIAN Martine, « Images de Trobairitz », dans Musiciennes, CLIO Histoire, Femmes et Sociétés, Toulouse,
éditions Presses Universitaires du Mirail, 2007, p 2.BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 21 -Droits d’auteur réservés.
1.2.1 Trois périodes :
On distingue trois périodes majeures dans la lyrique des troubadours :
La première, correspondant aux origines de la littérature troubadouresque, s'étend
depuis Guillaume de Poitiers, IXe duc d'Aquitaine (1071-1127) et ancêtre d'Aliénor
d'Aquitaine, jusqu' à environ 1140. Guilhem de Peitieus, grand seigneur
d'Aquitaine, est considéré comme « le premier troubadour » et certainement le
deuxième poète de l'Europe dite moderne, dont les œuvres, en langue romane (soit
en langue vulgaire), nous sont parvenues (soit vers 1100). Voici ce qu'il dit à
propos de lui-même : « Puisque le talent m'a pris de chanter, je ferais un vers ». Et
voici un exemple de ce qu'il a pu écrire par la suite :
Ab la dolchor del temps novel
Foillo li bosc, e li aucel
Chanton chascus en lor lati
Segon lo vers del novel chan ;
La nostr' amor dai enaissi
Com la branca de l'albespi
Qu'esta sobre l'arbre tremblan,
La nuoit, a la proja ez al gel,
Tro l'endeman, que'l sols s'espans
Per las fuellas derz e'l ramel28.
Dans cette première période nous pouvons aussi inclure les troubadours
Marcabru, Cercamon et Jaufré Rudel. Alors que ces derniers annoncent la
naissance de l'Amour courtois, Guillaume de Poitiers, lui, développe les thèmes de
la chevalerie. Durant les débuts de cette lyrique, les auteurs oscillent entre l'amour
courtois et l'amour divin, entre l'Homme et Dieu, d'où une certaine ambiguïté qui
permet au doute d'exister.
La deuxième période la plus florissante de la production troubadouresque
court de 1140 à 1250. C'est à ce moment là que Bernard de Ventadour, Bertrand de
28« À la douceur du renouveau Les bois reverdissent, les oiseaux chantent, Et chacun en son langage Fait retentir un chant nouveau ;
Notre amour est tout pareil À la branche de l'aubépine : Elle est sur l'arbre, tremblante, Exposée à la nuit à la pluie et au frimas ; Mais le lendemain le soleil éclaire Les feuilles vertes sur le rameau ». Traduction d'après A. JEANROY, dans les Chansons de Guillaume IX, Paris, éditions Champion, 1967, p 24, d'après LOMENEC'H Gérard, Aliénor d'Aquitaine et les troubadours, [Bordeaux], éditions Sud Ouest, 1997, p 17.BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 22 -Droits d’auteur réservés.
partie 1 : Définitions et historiographie des termes
Born, Peire Vidal ou encore Raimbaut de Vaqueiras et Raimbaut d'Aurenga développent
leurs poésies ainsi que la lyrique courtoise, dorénavant bien fixée. L'ambiguïté qui
pouvait exister entre l'amour destiné à l'Homme et celui destiné à Dieu a quasiment
disparu, tout comme les thèmes chevaleresques qui sont laissés de côté. Cependant, il
s'agit aussi une période de grand développement de la « littérature » au Moyen Âge :
Wace, avec le Roman de Brut, ou encore Geoffroy de Monmouth et Chrétien de Troyes
entre 1150 et 1175 en sont de dignes représentants. En outre, c'est également à cette
période qu'Aliénor d'Aquitaine, d'abord reine de France puis d'Angleterre, et petite-fille
de Guillaume IX, « premier » des troubadours, mène un mécénat pour les arts et leurs
représentants les plus importants. Elle est donc pour les troubadours de cette deuxième
phase une protectrice et une commanditaire des plus influentes de l'époque, permettant
peut-être la prospérité de la production troubadouresque.
Néanmoins, déjà durant cette période de prospérité, les troubadours
commençaient à connaître des difficultés à exercer leur art, et cela s'est renforcé avec la
Croisade des Albigeois. C'est le cas notamment de Gui d'Ussel, qui en 1208, sur ordre
du légat du pape Innocent III, Pierre de Castelnau, dut arrêter d'écrire29. Malgré cela, les
troubadours restent cependant nombreux après la Croisade.
Et donc, la troisième et dernière période débute après la Croisade des Albigeois,
avec le dernier des troubadours Guiraut Riquier, qui décida de partir pendant un temps à
Tolède, à la cour d'Alphonse X, soit de 1250 à la fin du XIVe siècle et qui écrivit sa
dernière poésie en 1292. En effet, à partir de la Croisade et ce jusqu'à ce que les
troubadours disparaissent, l’Église Romaine décide de s'attaquer à la galanterie de cour,
au luxe des femmes et donc à la lyrique troubadouresque et à la Fin'Amor, des vecteurs
de la théorie de l'amour courtois. Ainsi, il fut interdit aux troubadours de chanter l'amour
adultère, ce qui a amené la lyrique occitane a disparaître, n'ayant plus le but premier à
son existence et laissant donc la place à une nouvelle lyrique, célébrant la vertu des
jeunes filles à marier30.
Les événements de cette croisade de part leur influence sur la vie même des
troubadours méritent qu'on en parle plus précisément.
29 Les troubadours, Tome 2 : Le trésor poétique de l'Occitanie, traduction de LAVAUD René et NELLI René, Paris, nouvelle édition, éditions Desclée de Brouwer, 2000, p 119.
30 Ibid, p 22BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 23 -Droits d’auteur réservés.
1.2.2 La croisade des Albigeois :
Il est malaisé de connaître tous les tournants et tous les aboutissements de
cette croisade et plus particulièrement de cette hérésie, que l'on nomme hérésie
albigeoise, étant donné qu'on ne la connaît principalement que par le biais des
écrits de l’Église Romaine, combattant les albigeois. Néanmoins nous pouvons en
déceler les conséquences, comme par exemple la destruction du système féodal tel
qu'il avait court dans le Midi de la France auparavant, mais aussi tout ce qui
concerne les troubadours. En attendant, voici ce que nous pouvons en dire :
La croisade des Albigeois correspond à la première croisade en pays
chrétien et plus précisément dans le Sud de la France, dans la région d'Albi, de
Toulouse, descendant même jusqu'à Béziers. Durant une vingtaine d'années, de
1209 à 1229, elle mène la vie dure aux hérétiques albigeois, nommés bien plus tard
cathares. En réalité, la croisade des Albigeois commence en 1208 lors de
l'assassinat du légat pontifical, Pierre de Castelnau, par un vassal du comte de
Toulouse, Raimon VI (1156-1222).
À partir de là vont se suivre différentes affaires qui vont rendre l'activité des
troubadours et des trobairitz encore plus difficile. En voici quelques exemples :
Le 7 mars 1277, l'évêque de Paris, Étienne Tempier, condamne parmi
quelques ouvrages répréhensibles par l’Église, un traité de l'amour que l'on attribue
généralement à André le Chapelain, le De amoribus. Certains se sont même
demandé si cette condamnation n'était pas aussi un moyen d'atteindre la lyrique
troubadouresque, difficile parfois à saisir à cause de sa multiplicité des genres 31.
Dans cette optique, l’Église cherchant toujours à réduire et détruire l'amour
provençal et ses valeurs, une réponse est donnée par le troubadour Matfre
Ermengaud. Ce dernier compose à Béziers en 1288, le Bréviaire d'amour dans
lequel il essaie, d'après Jean Verdon, « d'inclure l'univers entier dans l'unité de
l'amour32 ».
Une autre réponse est aussi émise par Guilhem Figueira, troubadour ayant
exercé dans la première moitié du XIIIe siècle, après le sac de Béziers :
31 VERDON Jean, L'amour au Moyen Âge, la chair, le sexe et le sentiment, Paris, éditions Perrin, 2006, p 9432 Ibid.
BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 24 -Droits d’auteur réservés.
partie 1 : Définitions et historiographie des termes
Per que cug e cre qu'ops vos auria traire
Roma del cervel
car de mal capel
etz vos e Cistel ! Qu'a Beziers fezetz faire
mout estranh mazel!33
Guilhem de Tulède ainsi que des auteurs anonymes donnent également, à travers
La Chanson de la Croisade contre les Albigeois, une vision du massacre qui a eu lieu
lors de la prise de Béziers le 22 juillet 1209, dont voici la fin du premier poème sur le
sac de Béziers, les vers 493 à 500 :
Que trastotz los aucisdron : no lor podo far pis.
E totz sels aucizían qu'el mostier se son mis,
Que no'ls pot grandir crotz, autar ni cruzifis ;
E los clercs aucizían li fols ribautz mendics
E femnas e efans, c'anc no cug us n'ichis.
Dieu recepja las armas, si-l platz, en paradis !
C'anc mais tan fera mort del temps Sarrazinis
No cuge que fos faita ni c'om la cossentis34.
Mais c'est à Guilhem Figueira que répond mot pour mot, ou plutôt strophe pour
strophe, Dame Gormonde de Montpellier, une trobairitz certainement issue d'un milieu
religieux de part ses connaissances théologiques ainsi que de l'hérésie cathare, à travers
un sirventès que nous étudierons plus tard :
No us meravilhes
negus si eu muou guerra
ab fals mal après
qu'a son poder soterra
totz bos faitz cortes
els encauss' e'ls enserra
33 « Je pense donc et je crois qu'auriez besoin Rome, qu'on vous ôtât de la cervelle ! Car vous êtes de mauvaise réputation vous et Cîteaux ! À Béziers vous fîtes faire un très horrible massacre ! », traduction de ZUCHETTO Gérard dans Camins de Trobar, Trobar et troubadours XIIe – XIIIe siècles, Terre des troubadours, Tome 1, Paris, éditions Tròba Vox, 2013, p 35.
34 « Les croisés les ont tous tués : ils ne peuvent désormais leur faire pis ! Ils ont tué tous ceux qui s'étaient réfugiés au moutier : Rien ne put les protéger, ni croix, ni autel, ni crucifix ! Les enragés, les misérables ribauds égorgeaient les clercs Et aussi les femmes, les enfants, si bien que nul, je crois, n'en échappa. Dieu reçoive, s'il lui plaît, leurs âmes en Paradis, Car je ne pense pas que jamais, même au temps des Sarrasins, On ait fait ni toléré massacre aussi sauvage ! » Traduction LAVAUD René et NELLI René, dans Les troubadours, Tome 2, op.cit., p 557-558.BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 25 -Droits d’auteur réservés.
trop se feng arditz
quar de Roma ditz
mal, qu'es caps e guitz
de totz selhs que en terra
an bos esperitz.35 […]
À partir de là, les troubadours restants ont su retourner ou développer un
nouveau genre de « littérature » n'ayant plus aucun rapport avec la Fin'Amor. En
effet, dès ce moment, le chant épique, les épopées, et plus encore les sirventès et
les textes d'actualité, de propagande (souvent virulents) sont redéfinis par les
troubadours. Et l'amour, quand il est encore célébré dans les textes, n'est plus
destiné aux femmes mariées, mais aux demoiselles qu'on se destine à épouser et
plus encore à la Sainte Vierge, d' où nous pouvons ressentir une importante ferveur
de la religion chrétienne.
Cette lyrique troubadouresque a été considérée, plusieurs siècles plus tard,
comme une mode dont les auteurs romantiques tentaient d'imiter les œuvres de
leurs prédécesseurs médiévaux. Et même avant, avec la fondation du Consistori
del Gai Saber en 1323, créée par sept bourgeois Toulousains, aussi appelés les
« sept troubadours de Toulouse », qui ne voulaient pas perdre l'apport des
troubadours. Pour cela, ils ont créé une anthologie des meilleures pièces qui leur
parvenaient, mais dont il ne nous reste rien aujourd'hui. Il faut attendre le XV e
siècle, et Guillem de Galhac (en activité de 1446 à 1464) dont le registre portant
son nom et contenant sept compositions du XIV e siècle et une soixantaine du XVe
siècle nous est parvenu36.
35 « Que personne ne s'étonne si je pars en guerre contre ce malappris hypocrite qui, autant qu'il peut, enterre, pourchasse et enferme toutes manifestations de courtoisie et de noblesse. Il feint trop d'être hardi en disant du mal de Rome, capitale et guide de tous les esprits justes de la terre. » Traduction de RÉGNIER-BOHLER Danielle, Voix de femmes au Moyen Âge, Savoirs, mystique, poésie, amour, sorcellerie, XII e – XVe siècle, Paris, éditions Robert Laffont, (collection Bouquins), 2006, p 69.
36 JEANROY Alfred, La poésie lyrique des Troubadours, Tome 2, Toulouse-Paris, éditions Privat-H. Didier, 1934, p 347.BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 26 -Droits d’auteur réservés.
partie 1 : Définitions et historiographie des termes
1.2.3 Pourquoi en Italie, en Espagne et dans d'autres pays d'Europe ?
La langue d'oc, et plus encore sa poésie, ont eu une influence importante sur le
pays même mais aussi sur d'autres pays d'Europe. Dante, dans son De vulgari eloquentia
dit même, entre 1303 et 1305, à propos de la langue d'oc :
Pro se vero argumentatur alia, scilicet « oc, quod vulgares eloquentes in ea
primitus poetati sunt tanquam in perfectiori dulciorique loquela 37 […].
De plus, elle a eu un rayonnement très important jusqu'à la croisade des Albigeois,
voire même encore un peu après.
Ainsi, les troubadours et les trobairitz se sont à la fin de la période dirigés vers les
grandes cours européennes, comme l'Espagne et l'Italie, pour plusieurs raisons. La
première, comme nous venons de l'évoquer est due à la Croisade des Albigeois qui a
privé les troubadours de leurs mécènes, qui avaient pour la plupart tenté de résister à
l’Église Romaine qui, après l'installation de l'Inquisition, les a obligé à changer de
registre. Il s'agissait d'un moyen d'échapper à la répression religieuse qui sévissait à
partir de ce moment là, mais aussi de trouver d'autres mécènes. Par exemple, parmi les
troubadours en exil, il était fréquent de rencontrer également des trouvères, qui copiaient
les troubadours non pas en langue d'Oc mais en langue d'Oïl. En outre, dans la
continuité des troubadours et dans cette optique de reprendre la lyrique troubadouresque,
de nombreux poètes et grands seigneurs se sont mis à composer un peu partout en
Europe. C'est le cas notamment dans les pays de langue germanique, que nous
connaissons aujourd'hui comme l'Autriche, la Bavière, où ils sont appelés Minnesänger
dans la deuxième moitié du XIIe siècle et où ils composent dans une langue commune le
Mittelhochdeutsch ; le plus ancien poète de ces régions est Friedrich von Hausen (1150-
1190). Mais il est aussi possible de trouver cette poésie provençale au Portugal, dont le
royaume fut fondé par des princes français, et qui dès le XI e siècle fut une terre d'accueil
pour les troubadours.
Une des autres cours prisées par les troubadours est la cour d'Angleterre, puisque
Richard Cœur de Lion étant lui même un poète à ses heures perdues et Aliénor
d'Aquitaine, sa mère, étant pour sa part l'une des plus grandes femmes mécènes et
protectrices des troubadours de son temps, la fréquentation de cette cour se fit depuis le
37 « L'autre parler, celui d'oc, arguë pour son compte qu'il est celui dans lequel premièrement les diseurs en langue vulgaire firent leurs poèmes, comme dans la parlure la plus parfaite et la plus douce […] » Traduction de André Pézard, dans DANTE, Oeuvres complètes, [Paris], éditions Gallimard, bibliothèque de la Pléiade, 1965, p 569-570.BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 27 -Droits d’auteur réservés.
XIIe siècle. Ainsi, des poètes comme Bertrand de Born, Peire Vidal, Gaucelm
Faidit ou Girault de Bornelh ont pu faire leur entrée dans cette cour anglaise, qui
partageait également certaines valeurs de l'amour courtois.
Pour finir, il existe trois autres cours, outre l'Italie, dans lesquelles ont
séjourné pendant un temps certains des troubadours : l'Espagne, la Sicile et la
Hongrie. Cela peut s'expliquer par la proximité géographique des cours d'Espagne,
ou par le mécénat des dirigeants. En Hongrie, par exemple, où se sont rendus entre
autre Gaucelm Faidit ou Peire Vidal, le roi Emeric était l'époux de Constance, fille
d'Alfons II d'Aragon. En revanche, en Sicile, touchée très tôt par la poésie
provençale grâce à l'Italie du Nord, Frédéric II de Hohenstaufen (1194-1250), roi
de Sicile de 1197 à 1250 et empereur germanique de 1220 à 1250, fut lui-même un
musicien et un poète. Ce monarque très cultivé, régnant sur une cour luxueuse à
l'influence importante, permit le développement
de cette poésie de Provence chantée par Guilhem Figueira entre autres nombreux
troubadours qui y firent leur apparition38.
Cependant, les liens entre l'Italie et les troubadours sont bien plus forts que
ceux qui les lient aux autres cours d'Europe. D'une part parce que le déplacement
en Italie s'est avéré plus simple, non seulement grâce à la proximité des deux pays
et à une prospérité économique de la région, mais également grâce à des liens très
étroits entre les différentes langues de l'Italie du Nord et de la Provence 39. Ce lien a
donc permis un développement plus important de la poésie troubadouresque. En
outre, un autre élément entre en ligne de compte dans les liens entretenus par les
troubadours avec l'Italie. Il s'agit du fait qu'à cette période, on ne parlait pas de
« nations » mais de « fiefs », les seigneurs des deux pays pouvant s'associer face à
un ennemi commun, il n'y avait pas de différence. Et c'est ainsi, que dès 1120-
1130, les troubadours font référence à des localités italiennes, comme par exemple,
Marcabru qui nomme Rome et les Romains, ou Pise.
Mais ce lien étroit entre les cours italiennes et les troubadours de l'Occitanie
est plus ancien encore. En effet, dès 1161, le « premier contact » est attesté à
Puigverd d'Agramunt, lors des noces de la princesse Rica de Pologne et de Raimon
Bérenger II, comte de Provence. Lors des fêtes, Peire d'Alvernhe, un troubadour
auvergnat, se moque des douze troubadours présents dont un vieux Lombard : 38 ZUCHETTO Gérard, op.cit., p 44 à 46.39 AVRIL François et alii, Dix siècles d'enluminure italienne (VI e – XVIe siècles), Paris, éditions Bibliothèque
nationale de France, 1984, p 35.BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 28 -Droits d’auteur réservés.
partie 1 : Définitions et historiographie des termes
« veilletz lombartz », et qui était déjà connu dans les cours du Sud de la France dans les
années 1160. De plus, nous savons que le jurisconsulte Odofredo disait dans ses
témoignages qu'il achetait à la même époque des chansonniers de troubadours
confectionnés en Provence. Tout cela témoigne d'échanges déjà bien établis entre les
différentes cours qui elles-mêmes étaient en perpétuel mouvement, tout comme les
centres juridiques et sociaux.
Enfin, les mécènes italiens étaient particulièrement généreux avec les
troubadours. Parmi ces mécènes se distinguent particulièrement à la fin du XII e siècle et
au début du XIIIe siècle, les cours des marquis de Malaspina et de Montferrat (qui furent
célèbres pour leurs interventions lors de la III e Croisade de 1147 puis de la IV e Croisade
de 1202,), dans le Nord-Ouest de l'Italie, ainsi que les marquis d'Este, et les comtes des
Romano et de San Bonifacio dans le Nord-Est40.
1.3- LA FIN'AMOR :
1.3.1 Définition :
La fin'amor est un des thèmes développés par les troubadours qui les mettaient en
musique. Ce thème est l'expression de l'idéal de la courtoisie, la cortesia
troubadouresque, où le troubadour vante les mérites de sa dame, inaccessible autant par
ses vertus que par ses qualités. Pour cela, il emploie un vocabulaire en rapport à celui du
vasselage, où il se met au service de la dame qu'il aime à condition qu'il en soit
récompensé. La Fin'Amor pourrait être comparée à un jeu mis en texte ; un jeu pratiqué
par le troubadour, le chevalier, l'homme en général, et sa dame, pendant lequel l'homme
tente par tous les moyens d'acquérir les faveurs de cette dernière ; alors que la dame le
met sans arrêt à l'essai, notamment lors de l 'assaig, moment où elle se dévoile à lui, pour
voir s'il arrive à se contrôler et à ne pas lui ravir son honneur. Or, cet amour courtois se
vit en dehors du mariage, puisque l'amour ne peux exister entre époux 41. Nous avons
ainsi quelques exemples de rivalités entre le mari et l'amant de la dame mis en poème.
C'est par exemple le cas dans une cobla de la Comtesse de Die dont voici l'extrait :
40 Les troubadours [revue], op.cit., p 118-119.41 VERDON Jean, op.cit., p 42.
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Bels amics, avinenz e bos,
Quora'us tenrai en mon poder,
Et que jagués ab vos un ser,
Et que'us dès un bais amoròs ?
Sapchatz, gran talan n'auria
Que'us tengués en luòc del marit,
Ab çò que m'aguessetz plevit
De far tot çò qu'eu volria42.
On peut aussi citer un autre exemple qui montre bien que la fin'amor relève
d'une caractéristique adultérine. Il s'agit de la fin du poème de Na Castelloza, Mout
avètz fach lonc estatge :
Tot lo maltrach e'l damnatge
Que per vos m'es escaritz
Vos grazir fan mos linhatge
E sobre totz mos maritz.
E s'anc fetz vas mi falhida
Perdon la'us per bona fe ;
E prèc que venhatz a me
Depuòis que auretz auzida
Ma chançon que'us fai fiança,
Çai trobetz bèla semblança.43
La fin'amor se base sur trois concepts principaux : la mezura (la mesure), la
jovens (la jeunesse) et le joi (la jouissance)44. La mezura conduit l'amant à agir
avec dignité et à se dominer, donc à être courtois, sans dépasser les limites
dressées par la société féodale. Cela est renforcé par le thème de la jovens qui
représente les jeunes hommes fidèles cherchant à mériter l'amour accordé par leur
dame. Enfin, le joi est la jouissance, l'état d'esprit dans lequel l'amant se trouve en
attendant sa récompense ou lorsqu'il l'a reçue.
42 « Bel ami, agréable et charmant, Quand vous tiendrai-je en mon pouvoir ? Quel soir coucherai-je avec vous et vous donnerai-je un baiser d'amour ? Sachez-le j'aurais grand désir De vous tenir à la place du mari Pourvu que j'obtienne de vous la promesse De faire tout ce que je voudrais. » Traduction de RÉGNIER-BOHLER, dans Voix de femmes au Moyen Âge, Savoirs, mystique, poésie, amour, sorcellerie, XII e – XVe siècle, op.cit, p 28-29.
43 « Tout le malheur et le dommage qui me sont advenus à cause de vous vous font louer par mon lignage et surtout par mon mari. Si jamais vous avez commis une faute envers moi, je vous la pardonne en toute bonne foi. Je vous supplie de venir à moi, sitôt que vous aurez entendu ma chanson, qui vous assure qu'ici vous trouverez un bon accueil. » Traduction RÉGNIER-BOHLER Danielle, Ibid., p 21-22.
44 CLÉMENT-DUMAS Gisèle, op.cit., p 121.BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 30 -Droits d’auteur réservés.
partie 1 : Définitions et historiographie des termes
Ainsi, les chants troubadouresques ont été composés pour le divertissement des
hommes, jeunes, et plus précisément des hommes de guerre45. Georges Duby ajoute
même que la Fin'Amor est « un dispositif pédagogique visant à discipliner l'activité
sexuelle masculine, à juguler les débordements de la brutalité virile, à pacifier, à
civiliser, dans le progrès général et fulgurant du XII e siècle, la part violente de la
société, le milieu des gens de guerre ».46
De plus, « cet art d'aimer », comme l'appelle Jean Verdon, est clairement défini
par André dit le Chapelain en 1180. Ce clerc parisien, au service de Marie de
Champagne (fille d'Aliénor d'Aquitaine), écrit, dans son ouvrage De arte honeste
amandi (« De l'art d'aimer comme il faut »), que l'amour « est une passion naturelle qui
naît de la vue de la beauté de l'autre sexe et de la pensée obsédante de cette beauté 47 ».
1.3.2 Les genres de la lyrique troubadouresque :
Parmi les 2542 poèmes de troubadours conservés dans environ quarante
chansonniers produits aux XIIIe et XIVe siècles, il existe plusieurs genres différents.
Nous pouvons relever les principaux genres du grand chant courtois, qui se
caractérise par de rares refrains et par l'absence de l'appellation du bien aimé ou de la
bien aimée (sauf par le biais de senhals, des surnoms). :
La canso est une chanson d'amour dont les thèmes parlent souvent de l'amour
inassouvi pour une dame. Elle se divise en trois partie : la première strophe est
considérée comme une exorde, puis il y a un développement par un nombre variable de
strophes (entre quatre et six habituellement) qui se termine généralement par une
tornada, un couplet final plus court que les autres, qui contient ce qu'on appelle l'envoi,
c'est-à-dire le nom de la personne à qui est adressée la chanson (la dame ou le protecteur
du troubadour). Sa forme, fixe, est définie depuis la fin du XII e siècle. Elle se caractérise
par son nombre variable de vers groupés en coblas (strophes). La comtesse de Die a
pour sa part écrit beaucoup de cansos, comme Ab Jòi et ab Joven m'apais (Je me repais
de Joie et de Jeunesse) ou encore A chantar m'èr de çò qu'ieu non volria (Il me faut
chanter ce que je ne voudrais point chanter).
Le sirventès, ou chanson satirique, est un poème inspiré formellement et
mélodiquement de la canso. Le poète s'inspire lors de la composition de l'actualité
45 Ibid.46 DUBY Georges, « Le modèle courtois », dans KLAPISCH-ZUBER Christiane (dir.), op.cit. p 261-276.47 VERDON Jean, L'amour au Moyen Âge, la chair, le sexe et le sentiment, op.cit., p 87.
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littéraire d'une part mais aussi et surtout de l'actualité politique 48. Ce genre se
développe plus particulièrement à partir du XIIIe siècle et plus encore lors de la
croisade contre les Albigeois, comme c'est le cas de Gormonde de Montpellier qui
justifie par ce biais les actions de l’Église.
La tenson ou tenso est une chanson dialoguée présentée comme un dialogue
où deux personnes (un homme et une femme ou deux personnages du même sexe)
débattent à partir d'un sujet qui a été lancé un peu comme un défi. Ces sujets
tournent généralement autour de l'amour d'une dame pour un chevalier, ou de la
conduite qu'un chevalier doit avoir lorsqu'il s'éprend de deux dames différentes.
Mais cela peut aussi être un sujet d'actualité. Nous connaissons plusieurs pièces de
ce genre où une trobairitz défend son point de vue face à un troubadour ; ce sont
pour certaines d'entre elles les seuls indices concernant leur possible existence (par
exemple Guilhelma de Rosers et Lanfranc Cigala). Malgré tout, avec ce genre dont
on ne connaît pas le processus de création, la question s'est posée de savoir si les
textes avaient été écrits par une seule personne ou si cela avait fait l'objet d'une
coopération entre auteurs. Ici, nous pouvons citer de nombreuses trobairitz comme
Maria de Ventadorn ou la Comtesse de Proensa qui ont chanté respectivement avec
Gui d'Ussel et Gui de Cavaillon, mais aussi d'autres trobairitz qui ont dialogué
entre elles comme Almucs de Castelnou et Iseut de Capion.
le planh, ou chanson de déploration, est une variante de la canso, dont nous
n'avons pour le cas des trobairitz, qu'une chanson anonyme.
Le partimen ou joc-partit (chanson-débat), genre voisin de la chanson et
donc soumis aux mêmes règles, est la représentation écrite d'un dialogue (débat ou
discussion) entre deux personnes. La question est de savoir s'il s'agit d'une œuvre
réalisée par deux auteurs différents ou par un seul, ou encore si les partimens sont
improvisés. Enfin, ce genre d'abord prisé dans la littérature occitane a fini par
arriver au Nord de la France par le biais du Poitou.
Nous pourrions aussi ajouter les genres mineurs comme l'alba, serena, salut
d'amor, balada, romança, descort, etc. Voici le classement typologique des genres
lyriques, réalisé par Pierre Bec en 1977 qui permet de mieux se repérer : ( toutefois
dans notre cas, nous ne retiendrons que les genres du grand chant courtois ainsi
que le salut d'amor, pour la pièce non chantée d'Azalaïs d'Altier) :
48 ADROHER Michel, Les troubadours roussillonnais (XIIe – XIIIe siècles), Pézilla-la-Rivière, éditions Publication de l'Olivier, p 311.BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 32 -Droits d’auteur réservés.
partie 1 : Définitions et historiographie des termes
I-LE GRAND CHANT COURTOIS :
1-La canso troubadouresque (+ la chanson de croisade)
2-Le sirventes (+ la chanson de croisade)
3-Le planh
4-La tenso et le jocx-partit
II-GENRES À PERTINENCE THÉMATIQUE :
A- Registre du « je » lyrique, chansons de femmes :
1-La chanson d'ami
2-La chanson de malmariée
3-La chanson d'aube
4-La chanson de croisade
B- Registre lyrico-narratif, chansons de femme :
1-La chanson de toile
2-La pastourelle
3-La reverdie
C- Registre pieux :
a) Genres à pertinence thématique :
1-La reverdie (lyrico-narratif)
2-Pastourelle (lyrico-narratif)
3-Aube (« je » lyrique)
4-Chanson d'ami (« je » lyrique)
5-Chanson de croisade (« je » lyrique)
b) Genres à pertinence lyrico-formelle :
1-Ballette
2-Rotruenge
3-Rondet
4-Motet
5-Lai-descort
6-Canso (chanson à la Vierge – chanson de croisade)
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D- Registres de l'anti-lyrique :
a) Formes lyriques parodiées (burlesque, bachique, obscène, etc.)
1-Ballette
2-Motet
3-Rotruenge
4-Canso (sotte chanson)
b) Formes spécifiques (registre du « non-sens ») :
1-Resverie
2-Fatrasie
III-GENRES À PERTINENCE LYRICO-FORMELLE :
A- Registre lyrico-musical :
1-Rotruenge
2-Lai-descort (troubadouresque)
3-Lai-farciture (arthurien)
4-Motet
B-Registre lyrico-chorégraphique :
1-Rondet de carole
2-Balada
3-Virelai
4-Estampie
IV-GENRES NON CHANTÉS :
1-Épître amoureuse, salut d'amor
2-Poèmes divers49
49 NIIRANEN Susanna, « Miroir de mérite » : valeurs sociales, rôles et image de la femme dans les textes médiévaux des trobairitz, Jyväskylä, éditions University of Jyväskylä, 2008, disponible sur : <https://jyx.jyu.fi/dspace/handle/123456789/19676#> (consulté le 22/01/2014), p 42-43.BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 34 -Droits d’auteur réservés.
partie 1 : Définitions et historiographie des termes
1.3.3 Le rapport à la musique :
Avant toute chose, il est nécessaire de rappeler que la musique étudiée ici est une
musique du passé, et que notre regard a par conséquent changé par rapport à ceux qui
l'ont écrite. Effectivement, celle-ci correspondait à une époque et aujourd'hui, pour la
décrypter, il nous faut des clés, des valeurs que nous n'avons plus. En outre, il faut
pouvoir nous défaire de nos idées préconçues du Moyen Âge, cette période ne se
limitant pas aux fous avec leurs grelots sur la tête, ou encore aux grandes ripailles autour
desquelles s’attablaient nobles dames et preux chevaliers. Ainsi, pour tenter d'accéder à
cette époque et à son expression musicale et émettre des hypothèses, il est nécessaire de
nous débarrasser de nos préjugés qui ont tendance à nous faire confondre le Moyen Âge
et le Romantisme 50.
Il faut attendre le milieu du XIX e siècle, pour que F. de Coussemaker mette en
avant la musique polyphonique médiévale et fasse découvrir par la même occasion un
répertoire musical très méconnu à l'époque51.
Ces mélodies font partie de la famille des musiques modales (qui suivent un
mode), instrumentales. Elles étaient accompagnées, selon les rares témoignages qui nous
soient parvenus, et qui sont en outre lacunaires et tardifs par rapport aux troubadours,
par des instruments de musique. Il pouvait s'agir de la petite harpe, du luth ou de la vièle
à archet52, dont voici la représentation à partir de la miniature du troubadour Perdigon,
dans le ms I, f.49.
50 À portée de notes : musique et mémoire, actes du colloque de Grenoble du 14 et 15 octobre 2003, Annecy, Paris, Grenoble, coédition ARALD, FFCB, bibliothèques municipales de Grenoble, 2004, p 44.
51 BECK Jean, op.cit., p 11.52 LE VOT Gérard, op.cit., p 218.
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Ainsi ces mélodies faisaient partie de la musique profane et non de la
musique religieuse, dont les compositions portent sur les chants à la Vierge, les
pèlerinages par exemple, et qui bien qu'utilisant également la forme modale,
n'employaient aucun instrument pour leur interprétation. De ce fait, la musique
profane était très critiquée par l’Église, comme le précise Danielle Roster dans son
ouvrage Les femmes et la création musicale : « La musique vocale monodique
sacrée constituait la musique acceptée. Mais la musique de danse instrumentale, de
même que celle des jongleurs et celle des femmes étaient diabolisées et âprement
combattues »53. Ce refus du chant féminin remonte à l'Antiquité où, dès le III e
siècle, l’Église a jugé trop dangereuses et trop « sexuelles » ces pratiques où le
chant était également employé lors des rites cultuels, comme celui dédié au culte
de la déesse Cybèle. Tout cela a conduit à « l'apparition de figures telles que la
cantorissa ou cantrix, dans l'enceinte des monastères, qui ont pour rôle d'enseigner
et retranscrire le chant à caractère religieux »54, afin d'encadrer l'expression
musicale chez les femmes.
53 ROSTER Danielle, Les femmes et la création musicale : Les compositrices européennes du Moyen Âge au milieu du XXe siècle, Paris, éditions L'Harmattan, 1998, p 11.
54 Ibid., p 12.BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 36 -Droits d’auteur réservés.
Illustration 1: miniature du troubadour Perdigon du manuscrit fr. 854, f.49, source : Gallica.
partie 1 : Définitions et historiographie des termes
Bien que nul ne soit en mesure de déterminer précisément la place qu'occupait la
musique chez les trobairitz55, nous pouvons tout de même avancer qu'elle était belle et
bien présente chez les troubadours, comme l'attestent les premiers vers de la première
cobla (strophe) tirée d'une canso de Berenguer de Palol, premier troubadour catalan
ayant exercé vers 1164 :
S'ieu sabi' aver guiardo
de chanso, si la fazia,
ades la comensaria
cunhdeta de motz e de so56.
Nous trouvons également une occurrence de la composition des mélodies chez
Jaufre Rudel, aux vers 1 à 5, au folio 63 du ms R :
no sap chantar qui son non dit
ni vers trobar qui mots non fa
ni conois de rima co's va si rason non entend en si
mais lo mius chants commença aissi
com plus l'ausiretz mais valrà, a, a57
Toutefois, une chose est certaine : les trobairitz entretenaient leur rapport à la
musique par leur voix en chantant leurs textes et non par les instruments comme des
jongleresses. Peut-être en ont elles joué, mais rien ne l'atteste ; aucune miniature de
trobairitz en notre possession ne montre ces femmes-troubadours en train de jouer d'un
instrument. De plus, dans aucune de leurs vidas ou razos il est possible de lire qu'elles
étaient bonnes musiciennes. Par ailleurs, en ce qui concerne les mélodies (nous n'en
possédons qu'une seule pour la comtesse de Die), rien ne dit que ce seraient elles qui les
auraient composées. La seule trobairitz qui fait exception à la règle est Gaudarenca, dont
nous savons par la razo de Raimon de Mireval, conservée dans les manuscrits E, P et R,
qu'elle composait des « danses » :
55 AGUILERA Delphine, op.cit., p 1056 « Si je pouvais tirer récompense de la composition d'une chanson, je la commencerais immédiatement, agréable par les
mots et la mélodie », traduction de Michel ADROHER dans Les troubadours roussillonnais (XIIe – XIIIe siècles), op.cit., p 44.57 « Il ne sait pas chanter celui qui ne donne pas de mélodie, ni trouver poème, celui qui ne fait pas de paroles, et il ne
sait comment il en va de la rime, s'il n'en comprend pas lui-même le sens. Ainsi mon chant commence : plus vous l'entendrez, plus vous l'aimerez, a,a. » Traduction de CUESTA (de la) dans Las cancons dels Trobadors , p 55, dans AGUILERA Delphine, op.cit., p 97.BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 37 -Droits d’auteur réservés.
Et ella dis que no ill fari' amor per nom de drudaria ; qu'enans lo volria per
marit, per so que lur amors non se pogues mais partir ni rompre, e qu'el degues
sa moiller cassar de se, la cals avia nom ma dona Caudairenca.
Don Miravals fo fort allègres, quant auzit qu'ela'l volia per marit ; et anet s'en al
sieu castel, e si dis a sa moiller qu'el no volia moiller que saubes trobar ; que
asatz avia en un alberc d'un trobador, e qu'ela s'apareilles d'anar a l'alberc de
son paire, qu'el no la tenria plus per moiller. Et ella entendia en un cavalier, quez
avia nom Guilem Bremon, don ella fazia dansas. [...] 58
D'ailleurs, quand elle était présente, la musique avait, d'après Jean Beck,
une influence relativement importante sur la forme même des chansons 59.
Voici l'exemple du seul poème de trobairitz accompagné d'une mélodie qui
nous soit parvenu. Il s'agit du poème de la Comtesse de Die : A chantar m'èr de çò
qu'ieu non volria :
A chantar m'èr de çò qu'ieu non volria,
Tant me rancur de lui cui sui amia,
58 « Elle lui dit qu'elle ne lui ferait aucun plaisir d'amour à titre de maîtresse, mais qu'elle le voulait auparavant pour mari, afin que leur amour ne pût jamais être divisé ni rompu ; et qu'il devrait d'abord chasser sa femme, qui avait nom madame Gaudairenca.
Miraval fut tout joyeux lorsqu'il entendit qu'elle le voulait pour mari. Il s'en alla à son château et dit à son épouse qu'il ne voulait pas d'une femme qui sût « trouver » ; que, dans une maison, il suffisait d'un troubadour ; et qu'elle se préparât à retourner au logis de son père, car pour lui, il ne la garderait plus pour femme. Or, elle était amoureuse d'un chevalier, qui avait nom Guillem Bremon, sur lequel elle composait ses « danses » [...] », traduction de Delphine AGUILERA, Ibid., p 99.
59 BECK Jean, op.cit., p 33.BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 38 -Droits d’auteur réservés.
Illustration 2: mélodie accompagnant le poème de la comtesse de Die, ms W f. 204, source : Gallica
partie 1 : Définitions et historiographie des termes
Car eu l'am mais que nulha ren que sia ;
Vas lui no'm val mercés ni cortesia,
Ni ma beltatz ni mos prètz ni mos senz,
Qu'atressí'm sui enganad' e traïa,
Cum degr'èsser, s'ieu fos desavinenz60
Ce poème a été conservé dans quatorze manuscrits, dont cinq le présentent
comme anonyme. En outre, la mélodie nous est transmise de façon lacunaire dans le ms.
fr 844 aussi appelé ms. W, au folio 204.
Pour finir, il est important de noter que le scribe travaille différemment selon
qu'il doit transcrire de la musique ou un texte. Paul Zumthor ajoute même qu'il est
important de prendre du recul par rapport aux chansonniers et aux transcriptions. Voici
ce qu'il en dit à la page 129 de son ouvrage, La lettre et la voix : « La tradition
manuscrite de la musique n'en restait pas moins (par comparaison avec celle des textes)
approximative […] elle témoigne d'une mouvance mélodique […] Ce n'étaient pas des
signes acoustiques (comme le sont les mots) que le copiste musicien se donnait pour
tâche de transposer visuellement, mais bien des faits (les sons) et surtout des opérations
vocales ou instrumentales [...] »61
Cet intérêt pour la musique médiévale et le rapport qu'elle entretient avec les
poètes de l'amour courtois ainsi que de leurs homologues féminins, les t robairitz, nous
conduit à nous interroger d'avantage sur la question des chansonniers provençaux dans
lesquels les mélodies sont contenues. Nous allons donc nous intéresser maintenant aux
chansonniers.
60 « Il me faut chanter ce que je ne voudrais point chanter : car j'ai fort à me plaindre de Celui dont je suis l'amie. Je l'aime plus que tout au monde, et rien ne trouve grâce auprès de lui : ni Merci, ni Courtoisie, ni ma beauté, ni mon mérite, ni mon esprit ; je suis trompée et trahie comme si je n'avais pas le moindre charme . » Traduction de BEC Pierre dans Chants d'amour des femmes-troubadours, Trobairitz et « chansons de femme », Paris, éditions Stock, (collection Stock Moyen Âge), 1995 , p 103-104.
61 AGUILERA Delphine, op.cit., p 95.BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 39 -Droits d’auteur réservés.
PARTIE 2 : LES CHANSONNIERS
2.1- LA TRADITION DES CHANSONNIERS :
Les chansonniers sont ancrés dans une tradition manuscrite importante.
Depuis les débuts du christianisme et jusqu'au XIIe siècle, les manuscrits étaient
copiés dans des abbayes ou en tout cas dans des scriptoria ecclésiastiques. Ils
servaient dans un premier temps à la célébration du culte ainsi qu'à la méditation et
à la prière individuelles. Et d'après Gilberte Garrigou, dans Naissance et
splendeurs du manuscrit monastique, « les grands monastères sauvegardèrent la
littérature antique tournée vers l'humain et non vers le divin, et s'en nourrirent.
Ensuite plusieurs influences, étrangères au monde latin, pesèrent d'un grand poids
dans la transmission de l'église de toute littérature ».
Puis à partir du XIIIe siècle, apparaissent de nouveaux ateliers ; des ateliers
laïcs qui se sont développés à la suite de la demande d'un nouveau public issu du
monde des universités et des administrations.
2.1.1 Qu'est-ce qu'un chansonnier ?
L’œuvre des troubadours et de leurs homologues féminins, soit
approximativement 2542 poèmes, nous a été transmise par une cinquantaine de
manuscrits datant du XIIIe et du XIVe siècles et que l'on nomme chansonniers.
Ceux-ci ont été réalisés par des copistes à partir de modèles ou d'indications
données par un commanditaire62.
Ils sont présentés d'une manière précise. En premier lieu, nous trouvons un
index avec le nom de chaque troubadour et les titres des textes qu'ils ont composés
(parfois classés par genre, ce qui suggère une intense réflexion en amont de la part
du compilateur), un nombre écrit en chiffre romain indiquant le feuillet où ils sont
inscrits. Ensuite, pour chaque troubadour (dans la logique, car tous les manuscrits
ne sont pas terminés) nous pouvons lire sa vida ou sa razo, qui sont l'une et l'autre
situées en préliminaire au texte. Puis, au début du premier texte figure une initiale
ornée d'un portrait de troubadour. Cette organisation est commune à tous les
62 NIIRANEN Susanna, op.cit., p 28.BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 41 -Droits d’auteur réservés.
chansonniers étudiés ici. Il ne faut néanmoins pas exclure de cette analyse certains
manuscrits (H, L, O, P et f) qui ne sont nullement organisés.
Cependant, nous observons quelques différences puisque plus de la moitié
d'entre eux conservent des œuvres de troubadours et/ou de trobairitz sans leurs
notations musicales. Les rares pièces qui nous sont parvenues accompagnées des
mélodies sont inventoriées dans une vingtaine de manuscrits réalisés à partir de la
fin du XIIIe siècle. Ce sont dans ce cas là des chansonniers de « luxe » . Parmi
ceux-ci nous pouvons citer le ms fr.844, dit aussi ms. W, conservé à la
Bibliothèque nationale de France (BnF) ou encore le ms fr.22543, appelé
également ms. R, lui aussi conservé à la BnF. Ainsi, il semblerait que les
compilateurs de ces chansonniers ainsi que leurs commanditaires se soient plus
intéressés aux textes qu'aux mélodies et donc à la musique qui les accompagnaient.
Cela est corroboré par Paul Zumthor ainsi que par Pierre Bec qui disent que « la
parole occupa la place primée par rapport à la musique ; il est vraisemblable que le
texte supportait la mélodie chez les troubadours et non le contraire 63 ».
Ces chansonniers mettent en œuvre une réorganisation du corpus des
troubadours spécifique, selon un sens culturel et historique 64. Par exemple, le
chansonnier A répartit les troubadours en trois grands groupes, les troubadours
célèbres, les troubadours un peu moins connus et enfin les troubadours considérés
comme mineurs. De surcroît, on observe qu'à l'intérieur de la deuxième rubrique,
un classement des troubadours selon leur rang social, d'abord les clercs, puis les
nobles et ensuite les serviteurs, les bourgeois et les jongleurs.65
À l'intérieur de ces manuscrits, il est aisé de remarquer que les troubadours
ont une place prédominante, alors que les trobairitz n'ont qu'une place limitée ;
d'une part parce qu'elles sont peu nombreuses et qu'elles ont certainement moins
produit que leurs homologues masculins, mais également parce qu'il s'agit d'un
univers principalement masculin. À cela, Danielle Régnier-Bohler ajoute que les
pièces énoncées au féminin se retrouvent régulièrement reléguées dans des zones
annexes, entre des grandes collections d'auteurs occitans voire même carrément
placées à la fin de l'ouvrage66. Il faut malgré tout nuancer ces propos en ajoutant
que bien que leurs textes pourraient être considéré comme un corpus particulier
63 Ibid., p 28.64 LEMAÎTRE Jean-Loup et VIELLIARD Martine, Portraits de troubadours, Initiales du chansonnier provençal
A (Biblioteca apostolica vaticana, Vat. Lat. 5232), Città del Vaticano, éditions Biblioteca apostolica vaticana, 2008, p XIX.
65 HÉRICHÉ-PRADEAU Sandrine et PÉREZ-SIMON Maud, Quand l'image relit le texte, Regards croisés sur les manuscrits médiévaux (Paris 15 et 16 mars 2011), Paris, éditions Presses Sorbonne Nouvelle, 2013, p 202-203.
66 RÉGNIER-BOHLER Danielle (dir.), op.cit., p 7.BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 42 -Droits d’auteur réservés.
Partie 2 : Les chansonniers
dans la lyrique troubadouresque, elles étaient tout de même reconnues par leurs
homologues masculins.
En parallèle de ces ouvrages luxueux, il y a les vademecum, des ouvrages moins
importants, qui étaient destinés à « l'usage de jongleurs ou de trouvères peu fortunés67 ».
Enfin, nous pouvons relever des ressemblances de composition avec les flores
auctorum et les flores sententiarum. En effet, les flores sont des florilèges d'origine
cistercienne compilant des auteurs, et proposant à la fin un index récapitulatif des
auteurs qui ont été cités à l'intérieur de l'ouvrage. Nous retrouvons cette composition
d'ouvrage dans les chansonniers provençaux, bien que l'index des auteurs et de leurs
textes soit souvent situé au début de l'ouvrage et non à la fin, avec l'indication du folio
où on peut trouver le troubadour et ses textes. En revanche, aucune de ces compilations
cisterciennes ne nous est parvenue entière.
Pour finir, nous ne pouvons aborder la question des chansonniers et de leurs
histoire sans faire un léger détour par leurs différents possesseurs et grands
collectionneurs de leur temps. Nous retrouvons ces derniers principalement en Italie au
XVIe siècle, comme par exemple le cardinal Pietro Bembo, secrétaire du pape Léon X,
qui posséda au moins quatre chansonniers (les ms H, K, L et O), ou encore Angelo
Colocci, secrétaire des papes Léon X et de Clément VII, et enfin, Fulvio Orsini,
bibliothécaire du cardinal Ranuccio Farnèse qui fit, plus tard, l'acquisition de la majorité
des manuscrits en possession de Pietro Bembo (sa collection est aujourd'hui à la
Bibliothèque Vaticane). Et donc jusqu'au XVIe siècle, la constitution de ces
chansonniers perdura en Italie68.
2.1.2 Les compilateurs et leur rôle :
Au Moyen Âge, les compilations, dont le mot même apparaît au XIII e siècle, bien
que le terme de compiler soit connu déjà en 1190 chez Saint Bernard, sont des ouvrages
réalisés dans le but de conserver les extraits, ou les textes complets qui les composent.
Ainsi un compilateur est celui qui choisit, compile et range ces textes. Nous trouvons la
première occurrence de ce mot en 1425 chez Olivier de La Haye, dans son poème sur la
grande peste de 1348 , au vers 3435 :
67 BECK Jean, op.cit., p 51-52.68 NIIRANEN Susanna, op.cit., p 29.
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Item, ſ'aucun vouloit ſavoir,
Combien que ce ne peut valoir,
Le propre nom du tranſlateur,
Et quant à ce compilateur
Preigne l'arbre, d'umble ſtature,
[...]
Et trouverra, ſe bon lui ſemble,
Les nom & ſeurnom tout enſemble.
Du point de vue étymologique, le mot compilateur vient du mot latin
compilator. Or un compilator est par définition un voleur, un pillard, voire un
plagiaire selon les cas. Il faut donc se tourner ailleurs pour trouver le sens
approprié au contexte. Et c'est vers le terme de compositor, et de excerpere qu'il
faut s'orienter. En effet, un compositor est celui qui compose, dans le sens d'auteur,
qui met en ordre ; il sait arranger les arguments et les idées. Et enfin, le verbe
excerpere signifie faire un choix, recueillir, extraire, etc. ce qui correspond bien à
l'une des fonctions principales du compilateur69. Mais nous pouvons nous
demander jusqu'à quel point les compositeurs choisissaient les textes. Il serait donc
utile de savoir s'ils avaient tous les textes à leur disposition et y effectuaient un tri
ou s'ils n'avaient que quelques pièces déjà sélectionnées par rapport aux critères de
leur temps. Cela nous amènerait à revoir la définition des chansonniers qui dans un
premier cas seraient comme nous l'avons dit des anthologies et dans le second cas
des sommes.
Les compilateurs des chansonniers provençaux étaient pour la plupart
originaires de l'Italie. D'après F. Zufferey, 65 % des copistes semblent être
installés en Italie, et plus précisément dans le Nord de l'Italie entre la Vénétie et la
Lombardie. Toutefois il ajoute également que sur les 27,5 % des copistes
originaires du Midi de la France, un certain nombre d'entre eux ont également
travaillé en Italie70.
Le rôle des compilateurs de ces chansonniers médiévaux aux XIII e et XIVe
siècles a été, outre le fait de rassembler dans un même recueil une grande partie
des œuvres des troubadours, en les attribuant à un auteur (quelque fois de façon
69 GAFFIOT Félix, Dictionnaire français-latin, nouvelle édition revue et augmentée sous la direction de Pierre Flobert, Paris, éditions Hachette, 2000.
70 ZIMMERMANN Michel (dir.), Auctor et Auctoritas, invention et conformisme dans l'écriture médiévale , actes du colloque, Paris, éditions École des Chartes, 2001, p 508.BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 44 -Droits d’auteur réservés.
Partie 2 : Les chansonniers
erronée) et en les classant par genre, de redonner une légitimité aux troubadours et à
leurs textes, ainsi qu'une image plus valorisante que ce qu'en disaient les auteurs eux-
même. Nous pouvons même supposer que ce sont les compilateurs qui sont à l'origine de
l'image du troubadour en tant qu'auteur71.
2.2- PRÉSENTATION DES MANUSCRITS CONCERNÉS :
2.2.1 Les principaux manuscrits étudiés ici :
Dans cette étude nous nous limiterons à l'étude des manuscrits conservés à la
Bibliothèque nationale de France, principalement : ms fr. 844 (ms W dit manuscrit du
roi), ms fr. 854 (ms I), ms fr. 856 (ms C), ms fr. 1592 (ms B), ms fr. 1749 (ms E), ms fr.
12472 (ms f), ms fr. 12473 (ms K), ms fr. 12474 (ms M), ms fr. 15211 (ms T), ms fr.
20050 (ms X dit manuscrit de Saint-Germain-des-Prés), ms fr. 22543 (dit Chansonnier
La Vallière ou chansonnier d'Urfé ou encore ms R). Mais nous allons aussi nous baser
sur les travaux réalisés par Jean-Loup Lemaître et Françoise Vielliard sur les manuscrits
vat. lat. 5232 (ms A) et vat. lat. 3027 (ms H).
Les chansonniers provençaux qui nous sont parvenus et qui sont étudiés ici sont
très lacunaires pour différentes raisons, que ce soit à cause d'une mauvaise conservation
ou utilisation, qui a fait qu'il ne nous reste que quelques pages dans certains cas, ou alors
qu'ils n'aient tout simplement pas été finis, comme c'est le cas pour nombre d'entre eux,
par manque de temps, de fonds ou d'intérêt du commanditaire. Nous étudierons le cas
particulier du ms I, qui reflète bien l'organisation intérieure des autres manuscrits, ainsi
que les marques d'une lecture postérieure visibles également dans les autres manuscrits.
Le manuscrit I, ou fr. 854 est inachevé, à certains passages, il n'y a rien que du
blanc, avec juste un titre en couleur qui appelle un texte à venir. On dit qu'il y a des
blancs, des réserves, comme par exemple aux folios 315,316,317, ou encore dans les
folios 341 à 342 où à la fin il y a le nom du troubadour qui vient après, cette fois, il
s'agit de Peire Cardinal. Ce sont des réclames soit un moyen pour les copistes de savoir
où ils en sont et ce qui vient après.
71 Ibid., p 508.BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 45 -Droits d’auteur réservés.
De plus, on note qu'il est inachevé par le fait que l'on distingue les traits
dessinés par le copiste pour écrire droit et pour séparer la page en deux. Il manque
également des enluminures, des décorations.
En revanche, on voit des gloses ou tout du moins des commentaires faits par
une autre main, certainement lors de l'étude du manuscrit dans des temps
ultérieurs. En effet, les gloses aux XIIe et XIIIe siècles étaient principalement
interlinéaires.
Il est également possible de distinguer d'autres éléments codicologiques,
comme les manicules : de manicula en latin, il est aussi possible de traduire par
« manche » ou « menotte ». Ces manicules sont des signes en forme de main avec
l'index pointé qui servent, depuis les marges, à attirer l'attention sur un passage en
particulier. Ici, ces signes sont souvent situés à côté de nouveaux paragraphes.
Elles sont souvent l’œuvre d'un lecteur.
Nous repérons aussi des pieds-de-mouche : il s'agit d'un signe portant
l'attention sur un paragraphe, de forme arrondie et parfois même massive.
En revanche, même si comme dans quasiment tous les autres manuscrits nous
retrouvons des enluminures, des lettrines simples et/ou des miniatures historiées,
ce manuscrit ne contient pas de mélodies comme c'est le cas des ms W, X et R. Il
nous faut cependant relever une exception au milieu de cet ensemble de BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 46 -Droits d’auteur réservés.
Illustration 3: manicule tirée du ms fr. 856, folio 69, source : Gallica
Partie 2 : Les chansonniers
manuscrits : le ms fr 12472, dit aussi ms f72, qui a plus l'air d'être dans un état de
brouillon où les textes auraient plus été jetés sur le papier pour s'en souvenir qu'écrits
pour réaliser un ouvrage de valeur. Cela pourrait plus correspondre à un ouvrage destiné
à un jongleur. Nous pourrions y voir la différence entre les manuscrits provençaux
réalisés par des italiens et les manuscrits français ; les premiers étant réalisés de façon
minutieuse par des copistes professionnels alors que les seconds seraient plus destinés
aux jongleurs73.
Enfin, comme nous l'avons vu au début de cette partie les manuscrits étudiés ont
tous plus ou moins la même organisation, et ce malgré le fait qu'ils n'ont pas été créés ni
au même endroit ni au même moment.
2.2.2 Des ressemblances entre eux :
Malgré des différences de temps et de lieu, il est notoire que certains de ces
manuscrits se ressemblent, de part leur style d'écriture ou de miniature, ou par leur taille
et leur composition luxueuse. Cela nous a permis de distinguer plusieurs ateliers
différents. Ainsi, il existe plusieurs aires de transcription : en Italie du Nord, en Vénétie
et en Lombardie, mais aussi en Toscane et à Naples, dans la région de Campanie. Mais
d'autres ateliers de copie ont été également identifiés dans le pays d'oc, notamment dans
les environs de Narbonne et de Béziers (ms C), ainsi qu'à Arles (ms f) et à Toulouse (ms
R).74
Prenons à présent le cas des manuscrits A, I et K, dont les ressemblances
textuelles et décoratives sont évidentes. Cela s'explique notamment par le fait qu'ils ont
été réalisés dans le même atelier, dans le Nord de l'Italie, vers la fin du XIII e siècle.
Nous y retrouvons également la même mise en page, la même présentation des auteurs et
de leurs textes : une rubrique servant de biographie en préambule des textes du
troubadour, lui-même représenté sous forme d'une miniature tenant lieu de « portrait ».
Il semblerait également que ces portraits de troubadours soient issus d'un même modèle
qui aurait servi, avec quelques variantes possibles, pour tous les troubadours. Au niveau
de la structure des miniatures, la composition est également similaire. En effet, chaque
troubadour est ancré dans une initiale, rehaussé d'un contour noir sur un fond d'or, le
tout délimité par un cadre coloré. Nous retrouvons également pour tous les personnages
72 Voir annexe 273NIIRANEN Susanna, op.cit., p 2874Les troubadours [revue], op.cit., p 36-37.
BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 47 -Droits d’auteur réservés.
une volonté de rendre le modelé, notamment grâce à l'ombrage de vert sur les
visages, ou les drapés parfois éclairés de rehauts blancs.
De même au niveau de la technique d'exécution, les manuscrits se
ressemblent. En regardant de plus près la découpe de la feuille d'or, nous pouvons
observer que celle-ci ne respecte pas parfaitement le contour des personnages, et
que le surplus n'a pas été gratté. Ainsi, la couleur qui recouvre ces feuilles ne s'y
accroche pas autant que sur le parchemin.
En revanche si les « portraits » sont plus issus d'une tradition byzantine, les
décors filigranés tireraient plus leur influence de l'art gothique septentrional.
Certains modèles ne sont pas sans rappeler des motifs existant déjà dans les
manuscrits français et anglais, comme par exemple les bandes du « I » un peu
empâtées selon l'expression de Marie-Thérèse Gousset dans son article « Deux
chansonniers provençaux originaires de Vénétie », ou encore les lobes médians des
fleurons qui sont très étirés.
Cependant, si nous pouvons estimer que ces ouvrages ont été réalisés dans
le même atelier, nous ne pouvons tout de même pas admettre qu'ils ont été faits par
le même artiste (enlumineur et filigraneur).
Enfin, il a été démontré par une analyse stylistique que cet atelier serait
aussi à l'origine de la décoration d'un exemplaire du Trésor de Brunet Latin, le ms
DVIII de la Bibliothèque capitulaire de Vérone, datant de la fin du XIII e siècle
(datation qui correspond également à celle des manuscrits A, I et K).75
2.2.3 Particularité du chansonnier H :
Le manuscrit Lat. 3027, dit aussi chansonnier H, a été copié par un scribe de
Vénétie entre Trévise et Padoue au cours de la seconde moitié du XII e siècle. Bien
que nous ne connaissons pas toute son histoire ni tous ses possesseurs, nous savons
néanmoins qu'il aurait appartenu à Fulvio Orsini (1529-1600), bibliothécaire du
cardinal Farnèse à partir de 1567 et grand collectionneur de son temps, avant qu'il
n'entre en possession de la Bibliothèque Vaticane. Et bien que moins bien conservé
que les autres chansonniers, et de moins grande qualité décorative, ce chansonnier
possède une caractéristique particulière qui le différencie des autres et qui prend
ici toute son importance. Outre le fait qu'il soit d'un plus petit format, environ 210
75 GOUSSET Marie-Thérèse, dans LEMAÎTRE Jean-Loup et VIELLIARD Martine, op.cit., p XLII à XLIV.BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 48 -Droits d’auteur réservés.
Partie 2 : Les chansonniers
x 150 mm, cet ouvrage médiéval, peut-être un chansonnier d'érudit, un manuel de
travail, est intéressant par le fait qu'il ne contient, dans ses soixante-deux feuillets
répartis en neufs cahiers, que des textes et des images de trobairitz. Il n'y a, à l'intérieur,
aucune œuvre ou miniature de troubadour, alors qu'à lui seul, il concentre huit des seize
miniatures de trobairitz connues.
De plus, un autre élément fait de ce manuscrit une exception par rapport aux
autres chansonniers produits à la même époque. Il est le seul à avoir conservé une
miniature de femme anonyme, ainsi que le poème l'accompagnant 76. En effet, la vida ou
razo qui auraient pu servir à l'identifier ayant disparu, et le poème étant un unicum,
c'est-à-dire qu'il n'en existe qu'un seul exemplaire, il nous est impossible d'identifier la
trobairitz. Pourtant, la miniature a tout de même permis aux chercheurs de distinguer
une femme et de lui en attribuer la paternité, ou plutôt la maternité, du poème accolé.
Tout cela a donné lieu à une hypothèse (qui à ce jour n'a pu être vérifiée) :
certains ont soumis l'idée que le manuscrit aurait pu être confectionné par ou pour une
femme77, ou en tout cas par un ou plusieurs amateurs (présence de plusieurs mains à
l'intérieur de l'ouvrage), qui auraient également ajouté des gloses marginales 78.
Les vignettes que l'on y trouve sont réduites. Elles mesurent 25 x 35 mm et sont
encadrées par un trait noir, et sont situées aux folios : 43v, 45rv, 46r, 49v, 50v et 53r. En
voici un exemple pour la trobairitz Almucs de Castelnou, qui se situe au folio 46r du
ms.79
76 Voir annexe n° 20.77 JULLIAN Martine, op.cit., p 3.78 LEMAÎTRE Jean-Loup et VIELLIARD Françoise, Portraits de troubadours, Initiales du chansonnier A (Biblioteca
apostolica vaticana, Vat. Lat. 5232), op.cit., p. 97.79 Cette illustration est extraite de LEMAÎTRE Jean-Loup et VIELLIARD Françoise, Ibid., p 103.
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Illustration 4: Miniature de la trobairitz Almucs de Castelnou, ms H f.46r.
2.3- LES TYPES DE TEXTES QUE L'ON Y TROUVE :
À l'intérieur de ces compilations médiévales nous trouvons plusieurs types de
textes organisés d'une manière précise, et dont certains nous servent en tant que
sources littéraires d'éléments d'informations sur les troubadours et les trobairitz.
2.3.1 Les vidas :
Les vidas sont des compositions qui, depuis 1820, sont appelées « des
biographies de troubadours » ou de trobairitz. En effet, c'est à partir de cette date
que Raynouard a édité une partie de ces vidas80. Au nombre de 225 environ, elles
concernent seulement une centaine de troubadours sur les 450 connus. Elles
dateraient du début du XIIIe siècle pour les plus anciennes et du premier tiers du
XIVe siècle pour les plus récentes.
Elles sont courtes bien que de longueurs inégales, faisant généralement
entre quatre et cinq lignes mais pouvant aller jusqu'à un maximum de vingt lignes,
elles sont écrites en prose. Conservées dans les chansonniers provençaux du XIII e
– XIVe siècles, elles sont généralement situées avant la ou les œuvres de l'auteur
dont il est question, le rendant parfois plus célèbre que ses poèmes, comme
Guilhem de Cabestanh, chevalier et troubadour catalan plus connu par sa légende.
Celle-ci raconte par l'entremise de la vida du troubadour, que le mari de la dame
dont était épris Guilhem de Cabestanh (Cabestany), c'est-à-dire Raymond de
Castel-Roussillon, aurait appris que sa femme était elle aussi éprise de Guilhem. Et
par jalousie, il aurait tué le chevalier, en lui coupant la tête et en lui arrachant le
cœur qu'il aurait fait manger à sa femme sans qu'elle le sache. Une fois le cœur
mangé, il lui aurait avoué l'origine du met la conduisant à se donner la mort en
tombant du balcon. La vérité est cependant tout autre, puisque la dame aurait bel et
bien survécu à la mort de son amant, mais le doute plane toujours quant à la mort
du chevalier qui aurait disparu sans laisser de traces.
De plus, d'après Jean Boutière, dans sa Biographie des Troubadours de
1964, « une vida n'est nullement proportionnée à l'importance du troubadour
auquel elle est consacrée : elle dépend, évidemment, du degré d'informations, très
variable, de l'ancien « biographe » ». Ainsi, les informations recueillies à 80 HÉRICHÉ-PRADEAU Sandrine et PÉREZ-SIMON Maud, op.cit., p 201.
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Partie 2 : Les chansonniers
l'intérieur de ces vidas vont de la simple indication du lieu d'origine, du statut social
voire même des qualités du poète aux relations qu'il a pu entretenir avec des dames ou
des mécènes, selon la taille de la vidas. Or si nous pouvons plus ou moins nous fier à la
localisation indiquée dans ces petites biographies, il n'en est pas de même en ce qui
concerne les récits de la vie amoureuse du troubadour. Non seulement ces récits ne
peuvent être vérifiés mais, de surcroît, ils sont souvent inventés, les biographes
s'inspirant des chansons écrites par les troubadours sur lesquels ils écrivent 81. Ces
biographes sont très rarement connus, hormis l'un d'eux : Francesco da Barberino.
Voici par exemple la vida d'Azalaïs de Porcairagues conservée dans plusieurs
manuscrits :
N'Azalaïs de Porcairagues si fo de l'encontrada de Montpeslièr, gentils d òmna et
ensenhada.
Et enamorèt-se d'En Gui Guerrejat, qu'èra fraire d'En Guilhem de Montpeslièr. E la
dòmna si sabia trobar, e fetz de lui mantas bonas cançons 82.
Les vidas des trobairitz sont généralement moins détaillées que celles de leurs
homologues masculins. En revanche, nous pouvons y lire qu'elles étaient appréciées et
que leur talent était reconnu. Nous ne possédons de vidas que pour huit des trobairitz
connues, fournies par seulement cinq manuscrits (ms A, B, H, I et K, tous issus de l'Italie
du XIIIe siècle): Almucs de Castelnou, Azalaïs de Porcairagues, Na Castelloza, la
Comtesse de Die, Iseut de Capio, Na Lombarda, Maria de Ventadorn et Tibors de
Sarenom.
En voici une beaucoup plus longue d'un troubadour nommé Bernart de Ventadorn
(Bernard de Ventadour), qui se situe dans plusieurs manuscrits tels que le ms K au folio
15r, ou au ms I 26v, et qui aurait été écrite, si l'on en croit la vida, par Uc de Saint-Circ,
un autre troubadour. Ceci est une exception, car, en général, ces vidas, telles qu'elles
nous sont parvenues, sont anonymes tout comme les razos.
Bernartz de Ventadorn si fo de Limozin, del castel de Ventadorn. Hom fo de paubra
generacion, fils d'un sirven qu'era forniers, qu'esquaudava lo forn a coszer lo pas del
81 Dictionnaire des Lettres Françaises, Tome 1, Le Moyen Âge ; la Pochothèque, Le livre de poche, Encyclopédie aujourd'hui, publié sous la direction du Cardinal Georges Grente, éditions Fayard, nouvelle édition de G. Hasenohr et M. Zink, 1994, article « vidas et razos », p 1475.
82 « Azalaïs de Porcairagues était de la contrée de Montpellier, dame noble et cultivée. Elle s'éprit de Gui de Guerrejat, qui était frère de Guilhem de Montpellier. Et la dame savait « trouver » et composa sur lui maintes bonnes chansons. » Traduction de BEC Pierre, dans Chants d'amour des femmes troubadours, op.cit., p 65.BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 51 -Droits d’auteur réservés.
castel. E venc bels hom et adreichs, e saup ben chantar e trobar, e vene cortes et
enseignatz. E lo vescons, lo seus seingner, de Ventadorn, s'abelli mout de lui e de
son trobar e de son cantar e fez li gran honor.
E'l vescons de Ventadorn si avia moiller, joven e gentil e gaia. E si s'abelli d'En
Bernart e de soas chansos e s'enamora de lui et el de la dompna, si qu'el fetz sas
chansos e sos vers d'ella, de l'amor qu'el avia ad ella e de la valor de leis.
Lonc temps duret lor amors anz que'l vescons ni l'autra gens s'em aperceubes. E
quant lo vescons s'en aperceup, si s'estranjet de lui, e la moillier fetz serar e
gardar. E la dompna si fetz dar comjat a'N Bernart, qu'el se partis e se loingnes
d'aquella encontrada.
Et el s'en parti e si s'en anet a la duchesa de Normandia, qu'era joves e de gran
valor e s'entendia en pretz et en honor et en bendig de lausor. E plasion li fort las
chansos e'l vers d'En Bernart, et ella lo receup e l'acuilli mout fort. Lonc temps
estet en sa cort, et enamoret se d'ella et ella de lui, e fetz mantas bonas chansos
d'ella. Et estan ab ella, lo reis Enrics d'Engleterra si la tole per moiller e si
la trais de Normandia e si la menet en Angleterra. En Bernartz si remas de sai
tristz e dolentz, e venc s'en al bon comte Raimon de Tolosa, et ab el estet tro que'l
coms mori. Et En Bernart, per aquella dolor, si s'en rendet a l'ordre de Dalon, e
lai el definet.
Et ieu, N'Ucs de Saint Circ, de lui so qu'ieu ai escrit si me contet lo vescoms
N'Ebles de Ventadorn, que fo fils de la vescomtessa qu'En Bernartz amet. E fetz
aquestas chansos que vos auziretz aissi de sotz escriptas 83.
C'est également à partir des vidas que des postilles ont été tirées. Ces
postilles, écrites dans un dialecte vénère et visibles dans le ms A, ont été insérées
83 « Bernart de Ventadour fut de Limousin, du château de Ventadour. Ce fut un homme de pauvre lignage, fils d'un serviteur qui était fournier et qui chauffait le four pour cuire le pain du château. Il devint bel homme et adroit ; il sut bien chanter et « trouver », et devint courtois et instruit. Et le vicomte de Ventadour, son seigneur, fut charmé par lui, ainsi que par sa façon de « trouver » et de chanter, et lui fit grand honneur.
Or le vicomte de Ventadour avait une femme jeune, noble et joyeuse. Elle goûta Bernart et ses chansons, et elle s'éprit de lui, et lui s'éprit d'elle ; aussi fit-il ses chansons et ses « vers » au sujet d'elle, de l'amour qu'il avait pour elle et du mérite [de la dame]. Longtemps dura leur amour avant que le vicomte ou tout autre s'en aperçût. Et, lorsque le vicomte s'en aperçut, il se sépara de [Bernart] et fit enfermer et garder sa femme. La dame fit donner congé à Bernart, [le priant] de s'en aller et de s'éloigner de cette contrée.
Il partit et alla auprès de la duchesse de Normandie, qui était jeune et de grand mérite, et se connaissait en mérite, en honneur et en belles paroles de louange. Les chansons et les vers de Bernart lui plaisaient beaucoup, et elle le reçut et l'accueillit très cordialement. Il demeura longtemps à sa cour, s'éprit d'elle et elle s'éprit de lui; il fit, à son sujet, maintes bonnes chansons. Tandis qu'il se trouvait avec elle, le roi Henri d'Angleterre la prit pour femme, lui fit quitter la Normandie et l'emmena en Angleterre. Bernart resta de ce côté [de la mer], triste et affligé, et se rendit auprès du bon comte Raimon de Toulouse ; il demeura auprès de lui jusqu'à sa mort. Et Bernart, pour la douleur qu'il en eut, entra à l'ordre de Dalon, et il y termina ses jours.
Et ce que moi, Uc de Saint-Circ, j'ai écrit de lui, me fut rapporté par le vicomte Eble de Ventadour, qui fut le fils de la vicomtesse que Bernart aima. [Bernart] fit ces chansons que vous entendrez, et qui sont écrites ci-dessous. » Traduction de BOUTIÈRE Jean et SCHUTZ Alexander-Herman dans Biographie des Troubadours, textes provençaux des XIIIe et XIVe siècles, édition augmentée, Paris, éditions A.G. Nizet, 1950, 1964, p 23-24.BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 52 -Droits d’auteur réservés.
Partie 2 : Les chansonniers
dans les marges afin d'indiquer à l'enlumineur les traits sous lesquels devaient être
représenté le troubadour.
Par ailleurs, au cours du temps, nous pouvons remarquer un respect de la mise en
forme de la vida (son « squelette » et la phraséologie) ainsi que de la langue employée.
Les vidas ont toujours été plus ou moins étudiées au cours du temps et ce depuis
leur inscription dans les recueils de poésie que sont les chansonniers provençaux. Déjà
au XVIe siècle, elles étaient étudiées par les commentateurs de Pétrarque mais aussi par
Jean de Nostredame, frère du célèbre Nostradamus, dans ses Vies des plus célèbres et
anciens poètes provençaux, qui ont floury du temps des comtes de Provence... en 157584.
Puis elles ont attiré l'attention de l'abbé Millot, dans son Histoire littéraire des
troubadours en 1774, ou encore de l'abbé Papon, dans son Histoire générale de
Provence et dans son Voyage littéraire de Provence, réciproquement écrits en 1776-
1786 et 1780.
Mais ce n'est qu'au XIXe siècle, qu'un important nombre de biographies de
troubadours a été imprimé. En effet, il a fallut attendre Rochegude, en 1819, et son
Parnasse occitanien, pour avoir à disposition 200 poésies appartenant à environ 140
troubadours différents. À côté de cette première grande anthologie provençale publiée en
Europe, une autre a joué un rôle important dans la diffusion des vidas et dans leur
appellation « biographie de troubadour ». Il s'agit de celle de Raynouard, en 1820, qui a
réunit une nouvelle sélection de vies de troubadours dans son ouvrage Choix des poésies
originales des Troubadours85.
Enfin, bien qu'au XIIIe siècle les vidas aient été bien mises en avant dans les
chansonniers, il faut tout de même remarquer qu'à partir du XIV e siècle, leur nombre
diminue au profit des razos, qui bien qu'existantes déjà au XIII e siècle, voient leur
nombre et leur utilisation s'accroître de façon significative.
2.3.2 Razos :
À la différence des vidas, les razos, dont l'étymologie vient du latin rationem,
sont des explications, des commentaires de poésie. Et bien que nous puissions y trouver
parfois des éléments biographiques complémentaires sur les auteurs, elles servent avant
84 Cette étude de Jean de Nostredame est cependant remise en cause depuis le XX e siècle par les historiens, car elle contient énormément d'erreurs.
85 BOUTIÈRE Jean et SCHUTZ Alexander-Herman, op.cit., p XXI.BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 53 -Droits d’auteur réservés.
tout à expliquer les conditions et les circonstances dans lesquelles ont été écrites
les œuvres de ces poètes médiévaux. De plus, il semblerait qu'elles soient plus
récentes que les vidas, bien que, tout comme les vidas, les razos permettent une
datation des textes de manière un peu plus précise.
D'ordinaire, les razos se situent, elles aussi, avant le texte qu'elles
présentent, mais sont très souvent plus longues que les vidas, bien que parfois elles
se confondent les unes dans les autres, ou qu'elles se remplacent mutuellement 86. Il
est admis que ce sont les troubadours qui ont créé ces explications de textes afin
d'en donner le sens et leurs motivations. Ces explications seraient nées en partie
pour éviter la confusion avec d'autres textes ou auteurs, les modifications de leurs
œuvres ou les incompréhensions qu'elles pourraient générer. C'est aussi pour cela
qu'ils auraient chanté certaines de leurs créations. Ils pouvaient aussi chanter les
réalisations de leurs paires pour leur donner une légitimité et confirmer le nom de
l'auteur de la pièce.
Voici un extrait de la razos de la canso de Rigaud de Barbezieux :
Ben avetz entendut qi fo Ricchautz de Ber[be]siu et com s'enamoret de la molher
de Jaufre de Ta[o]nay, q'era bella et gentils et joves ; et volia li ben outra
mesura, et apellava la « Mielz-de-Dompna », et ella li volia ben cortesamen. Et
Ricchaut[z] la pregava q'ella li degues far plaser d'amor, et clama[va] li merce.
Et la dompna li respondet q'ella volia volentier far li plazer d'aitan qe li fos
onor ; et dis a Ricchaut qe, s'el li volges lo ben q'el dixia, q'el non deuria voler
q'ella l'en dixes plus, ne plus li fezes con ella li fazia ni dizia.
Et aisi [e]stan et duran la lor amor, una dompna d'aqella encontrada, castellana
d'un ric castel, si mandet per Ricchaut ; et Ricchaut si s'en anet ad ella. Et la
dompna li comencet a dir con ella se fasia gran meravilha de so q'el fasia, qe tan
lonj[a]men avia amada la soa dompna, et ella no'l avia fait null plaser en dreit
d'amor ; et dis q'En Ricchaut[z] era tal hom de la soa persona et si valentz qe
totas las bonas dompnas li deurion far volontiers plazer ; et qe, se Ricchaut[z] se
volia partir de soa dompna, q'ella li faria plaser d'a[i]tan com el volgues
comandar, et disen autresi q'ella era plus bella dompna et plus alta qe non era
aqella en qi el s'entendia.
Et aven[c] aisi qe Ricchautz, per las granz promessas q'ella li fazia, qe'll dis q'el
s'em partria. Et la do[m]pna li commanda q'el anes penre connjat d'ella et [dis]
qe nul plazer li faria, s'ella non sa[u]bes q'el s'en fos partiz. Et Ricchautz se parti
86 Dictionnaire des Lettres Françaises, Tome 1, op.cit.BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 54 -Droits d’auteur réservés.
Partie 2 : Les chansonniers
et venc se a sa dompna en q'el s'entendia ; et comenset li a dir com ell l'avia
amada sobre totas las autras dompnas del mon, et mais qe si meseis, et com ella no li
volia aver fach nul plazer d'amor, q'el s'en volia partir de leis. Et ella en fo trista et
marrida, et commenset a pregar Ricchaut qe non se degues partir d'ella ; et, se ella per
temps passat non li avia fach plazer, q'ella li volia far ara. Et Ricchautz respondet q'el
si volia partir al pus to[s]t ; et enaisi s'en parti d'ella.
Et pois, qant el ne fo partiz, el se venc a la donna qe'l n'avia fait partir, et dis li com el
avia fait lo sieu comandemen et com li clamava merce, q'ella li degues complir tot so
q'ella li a[c] promes. Et la dompna li respondet q'el non era hom qe neguna dompna li
degues ni far ni dir plazer, q'el era lo plus fals hom del mon, qant el era partiz de sa
dompna, q'era si bella et si gaia et qe'l volia tant de be, per ditz d'aucuna autra
dompna ; et si com era partiz d'ella, si se partira d'autra. Et Ricchautz, qant auzi so
q'ella dizia, si fo lo plus trist hom del mon e'l plus dolenz qe mais fos. Et parti se, et vole
tornar a merce de l'autra dompna de prima ; ne aqella no'l vol[c] retener ; don ell, per
tristessa q'el ac, si s'en anet en un boschage et fet[z] se faire una maison et reclu[s] se
dinz, disen q'el non eisseria mais de laienz, tro q'el non trobes merce de sa dompna ;
per q'el dis en una soa chanson :
Mielz-de-Do[m]pna, don soi fugitz doz anz.
Et pois las bonas dompnas e'ill cavalier d'aqellas encontradas, vezer lo gran
dampnage de Ricchaut, qe fu aisi perduz, si ve[n]gen la on Ricchautz era recluz, et
pregero lo q'el se deges partir et issir fora. Et Ricchaut[z] disia q'el non se
partria mais, tro qe sa do[m]pna li perdones. Et la[s] dompnas e'l cavalier s'en
venguen a la domna et pregero la q'ella li degues perdona[r] ; et la dompna lo[r]
respondet q'ella no'n faria ren, tro que .C. dompnas et .C. chavalier, li qual
s'amesson tuit per amor, non venguesson tuith devant leis, man[s] jontas, de
genolhos, clamar li merce, q'ella li degues perdonar ; et pois ella li perdonaria, se il
aqest faisian. La novella venc a Ricchaut, don ell fetz aqesta chanson que ditz :
At[re]si com l'olifanz
Qe, can c[h]ai, no's pod levar,
Tro qe l'autre, a lor gridar,
De lor voz lo levon sus,
Es eu voill segre aqel us ;
Qe mos mesfait[z] es tan greus et pesant[z]
[Qe], se la cort del Poi et lo bobanz
E los fins precs de[l]s leial[s] amadorsBRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 55 -Droits d’auteur réservés.
No'm relevon, ja mai non serai sors,
Que den[h]essen per mi clamar merce
Lai on prejars ses merce pro no'm te.
Et qant las dompnas et li cavalier ausiren qe podia trobar merce ab sa
dompna, se .C. dompnas et .C. chavalier, qe s'amesson per amor, anassen clamar
merce a la dompna de Richaut q'ella li perdones, et alla li perdonaria, las
dompnas e'l chavalier s'asembleron tuit et anneron et clameron merce as ella per
Ricchaut. Et la dompna li perdonet.87
87 « Vous avez bien entendu qui fut Rigaut de Barbesieux et comment il s'éprit de la femme de Geoffroy de Toanay, qui était belle, noble et jeune. Il lui voulait du bien outre mesure et l'appelait « Mieux-que-Dame » ; elle lui voulait aussi du bien, courtoisement. Et Rigaut la priait de lui faire plaisir d'amour et lui criait merci. La dame lui répondit qu'elle voulait très volontiers lui faire plaisir, [mais] dans la mesure seulement où ce serait à son honneur ; si Rigaut lui voulait le bien qu'il disait, il ne devrait pas, lui dit-elle, vouloir qu'elle en dît et fît plus qu'elle ne faisait et disait.
Leur amour demeurant et durant ainsi, une dame de cette contrée, châtelaine d'un puissant château, manda Rigaut ; Rigaut vint à elle, et la dame commença à lui dire qu'elle s'émerveillait fort de ce qu'il faisait, [lui] qui si longtemps avait aimé sa dame, sans avoir reçu d'elle aucun plaisir en droit d'amour. Elle ajouta que Rigaut était tel de sa personne et si valeureux que toutes les dames de mérite devraient volontiers lui faire plaisir ; pour sa part, si Rigaut acceptait de quitter sa dame, elle lui ferait plaisir en tout ce qu'il voudrait commander ; elle disait aussi qu'elle était plus belle dame et plus noble que celle vers laquelle il tournait ses pensées.
Et il advint que Rigaut, à cause des grandes promesses qu'elle lui faisait, lui dit qu'il se séparait [de l'autre]. Et la dame lui ordonna d'aller prendre congé, ajoutant qu'elle ne lui ferait aucun plaisir si elle n'apprenait qu'il s'était séparer [de la première]. Rigaut s'en alla et se rendit auprès de la dame qu'il courtisait; il commença à lui dire comment il l'avait aimé plus que toutes les autres dames du monde et plus que lui-même ; aussi, puisqu'elle se refusait à lui faire aucun plaisir d'amour, voulait-il se séparer d'elle, [ajoutant] que, si elle ne lui avait fait aucun plaisir dans le passé, elle voulait désormais lui en faire. Rigaut répondit qu'il voulait se séparer d'elle au plus tôt ; et c'est ainsi qu'il la quitta.
Quand il l'eut quittée, il se rendit auprès de la dame qui avait causé la séparation, et lui dit comment il avait exécuté son ordre, la suppliant maintenant d'accomplir tout ce qu'elle avait promis. Elle lui répondit qu'il n'était pas homme auquel une dame dût faire ni dire aucun plaisir ; mais le plus faux du monde, puisqu'il avait quitté sa dame, qui était si belle, si joyeuse et qui lui voulait tant de bien, sur les seuls dires d'une autre ; et tout comme s'il s'était séparé de celle-ci, il se séparerait d'une autre. Quand il entendit ce qu'elle disait, Rigaut fut l'homme le plus triste du monde et le plus malheureux qui fut jamais. Il s'en alla, et voulut rentrer en grâce auprès de la première dame ; mais celle-ci refusa de le recevoir. Aussi, pour la tristesse qu'il en eut, se rendit-il dans un bois et s'y fit faire une maison où il s'enferma, disant qu'il n'en sortirait pas tant qu'il n'aurait pas trouver grâce auprès de sa dame. C'est pourquoi il dit dans une de ses chansons :
« Mieux-que-Dame », dont je me suis éloigné deux ans...Les dames de mérite et les chevaliers de ces contrées, voyant le grand dommage subi par Rigaut, qui était ainsi
perdu, se rendirent à l'endroit où il était reclus, et le prièrent de sortir et de s'en aller. Il répondit qu'il ne partirai pas tant que sa dame ne lui pardonnerait pas. Et les dames avec les chevaliers se rendirent auprès de la dame, sollicitant son pardon ; mais la dame leur répondit qu'elle n'en ferait rien tant que cent dames et cent chevaliers, s'aimant tous d'amour, ne viendraient pas tous ensemble devant elle, les mains jointes et à genoux, crier merci et la supplier de pardonner. Cela fait, elle pardonnerait. La nouvelle en vint à Rigaut ; il en fit cette chanson qui dit :
Comme l'éléphantQui, lorsqu'il tombe, ne peut se releverjusqu'au moment où les autres, au bruit de leurs cris, le redressent grâce à leur voix,je veux suivre, moi aussi, cet usage ;car mon méfait est si lourd et pesantque si la cour du Puy et sa magnificence et les fidèles prières des loyaux amoureuxne me redressent, jamais je ne serai relevé ;qu'ils daignent crier merci pour moià celle auprès de laquelle la prière, sans merci, ne me sert de rien.Et quand les dames et les chevaliers entendirent que Rigaut pouvait trouver merci auprès de sa dame, si cent
dames et cent chevaliers , s'aimant d'amour, allaient lui crier merci en la suppliant de pardonner, - et qu'alors elle pardonnerait, les dames et les chevaliers se réunirent tous et allèrent lui crier merci en faveur de Rigaut . Et la dame lui pardonna. » Traduction de BOUTIÈRE Jean et SCHUTZ Alexander-Herman dans Biographie des Troubadours, op.cit., p 155 à 157.BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 56 -Droits d’auteur réservés.
Partie 2 : Les chansonniers
Parfois, ce sont les razos de troubadours qui nous renseignent sur une trobairitz.
C'est notamment le cas pour Clara d'Anduze qui nous est brièvement présentée dans la
razos d'Uc de Saint-Circ (c. 1217 -1253). Voici un extrait de ce que nous pouvons
apprendre d'elle par ce biais :
N'Uc de Saint-Circ, qui fo ni dont, ben avètz auzit. E si amava una dòmna d'Andutz, que
avea nom ma dòmna Clara. Mout fo adrecha et ensenhada et avinentz e bèla ; et ac
gran volontatz e d'èsser auzida lonh e près, e d'aver l'amistat e la domestiguesa de las
bonas dòmnas e dels valentz òmes88 [...].
Les vidas et les razos sont, dans les manuscrits étudiés ici, écrits à l'encre rouge,
certainement à cause du fait qu'elles devaient être mises en valeur, en tant que
biographies ou que commentaires, comme les gloses.
2.3.3 textes et mélodies de troubadours et de trobairitz :
Dans la totalité des chansonniers provençaux en notre possession, nous avons pu
remarquer que les pièces des troubadours étaient quelque fois rangées selon les genres
auxquels ils appartenaient, comme par exemple dans le ms C.
Il est aussi possible de trouver parfois plusieurs versions d'un même texte avec
dans chaque exemplaire, des différences, notamment au niveau de l'orthographe.
Cependant, en ce qui concerne les trobairitz, leurs textes ne nous sont souvent parvenus
que par un seul exemplaire, car malheureusement les manuscrits concernés sont très
lacunaires.
Voici un exemple de texte qu'il est possible de trouver dans ces manuscrits
médiévaux. Ici, nous prenons le cas de Guilhem de Cabestanh aussi appelé Guilhem de
Cabestany, un troubadour légendaire du Roussillon de la fin du XII e siècle et du début
du XIIIe siècle. La canso énoncée ici est tirée du manuscrit fr.1592 aussi appelé
manuscrit B, au folio 54.
Lo jorn qu'ie-us vis, dompna primeiramen,
Quan a vos plac que-us mi laissetz vezer,
88 « Vous avez bien entendu conter qui et d'où fut le seigneur Uc de Saint-Circ. Il aimait une dame d'Anduze qui avait pour nom dame Clara. Elle était très habile, très cultivée, très avenante et belle. Un grand désir de célébrité, d'entendre parler d'elle de loin et de près et de posséder l'amitié et l'inimitié des dames et des hommes de qualité l'animait. » Traduction de RÉGNIER-BOHLER Danielle, Voix de femmes au Moyen Âge, Savoirs, mystique, poésie, amour, sorcellerie, XII e – XVe siècle, op.cit, p 23-24.BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 57 -Droits d’auteur réservés.
Parti mon cor tot d'autre pessamen
E foron ferm en vos tug mey voler ;
Qu'aissi-m pauzetz, dompna, el cor l'enveya
Ab un dous ris et ab un simpl'esguar ;
Mi e quant es mi fezes oblidar.
Que-l grans beutatz e-l solas d'avinen
E-l cortes dig e-l amoros plazer
Que-m saubetz far m'embleron si mon sen
Qu'anc pueys hora, dompna, no-l puec aver :
A vos l'autrey cuy mos fis cors merceya
Per enantir vostre pretz et honrar ;
A vos mi ren, c'om miels non pot amar.
E car vos am, dompna, tan finamen
Que d'autr'amar no-m don'Amors poder,
Mas aize-m da c'ab autra cortey gen,
Don cug de me la greu dolor mover ;
Pueis quan cossir de vos cuy jois sopleya,
Tot autr'amor oblit e dezampar :
Ab vos remanc cuy tenc al cor pus car.
E membre vos,si-us plai, del bon coven
Que me fezetz al departir saber,
Don aic mon cor adoncs guay e jauzen.
Pel bon respieit en que-m mandetz tener :
Mout n'aic gran joy, s'era lo mals s'engreya,
Et aurai lo, quan vos plaira, encar,
Bona dompna, qu'ieu suy en l'esperar.
E ges maltraitz no m'en fai espaven,
Sol qu'ieu en cug e ma vida aver
De vos, dompna, calacom jauzimen :
Anz li maltrag mi son joy e plazer
Sol per aisso quar sai qu'Amors autreya
Que fis amans deu granz torz perdonar
E gen sufrir maltrait per guazanh far.
BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 58 -Droits d’auteur réservés.
Partie 2 : Les chansonniers
Ai ! Si er ja, donna, l'ora qu'ieu veya
Que per merce me vulhatz tant honrar
Que sol amic me denhetz apellar !89
Parfois des mélodies accompagnent quelques fois les textes. Elles nous sont
principalement fournies par le biais du manuscrit fr. 844, dit aussi ms W. Mais elles sont
aussi transmises par d'autres manuscrits comme le manuscrit fr. 20050 aussi appelé ms
X., ou le ms fr.22543 dit aussi ms R. Elles sont généralement accompagnées des textes,
intercalés entre chaque portée de notes, comme ici dans le cas d'un poème en vers de
Bernard de Ventadour : Non es meravelha s'ieu chan, situé au folio 191 du manuscrit W.
89 « Le premier jour, Dame, que je vous vis, Quand il vous plut de vous montrer à moi, J'éloignai mon cœur de tout autre image : Tous mes vouloirs s'affermirent en vous ; Votre sourire, un regard tendre et doux, Ont mis en moi tel désir, ô ma Dame, Que j'oubliai moi-même et l'univers.
Votre beauté, votre entretien aimable, Votre parler courtois, l'amoureux charme De votre accueil m'ont ravi la raison, Et depuis lors, je ne la puis ravoir. Je vous l'octroie, à vous que mon cœur prie, Pour exalter et grandir votre Prix : À vous me rends : point n'est meilleure Dame.
Si purement, ô Dame, je vous aime Que je n'ai plus pouvoir d'en aimer d'autres. Amour veut bien que je courtise ailleurs, Par où je crois éloigner mon tourment. Mais aussitôt je laisse ces fleurettes Alors oublie et fuis toute amourette, Et reste à vous que j'ai plus chère au cœur.
Souvenez-vous de la bonne promesse Qu'à mon départ vous me fîtes connaître, Dont j'eus alors l'âme gaie et joyeuse ; Et de l'espoir où vous me rengageâtes.J'en eus grand' joie quoique mon mal s'aggrave, Mais ce bonheur, je le retrouverai, S'il plaît à vous, car j'en vis l'espérance.
Aucun tourment ne m'effraie, si je pense Qu'il me vaudra, à la fin, récompense De vous, ma Dame ; et j'aime mes douleurs Qui sont pour moi comme joie et plaisirs : Car je sais simplement qu'Amour assure Qu'un pur amant doit pardonner grands torts, Et bien souffrir pour gagner sa maîtresse.
Ah ! S'il venait une fois cet instant, Dame, où je voie que votre merci daigne Du nom d'ami m'honorer seulement ! » Traduction de LAVAUD René et NELLI René dans Les Troubadours, Tome 2 : Le trésor poétique de l’Occitanie , op.cit., p 116-119.BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 59 -Droits d’auteur réservés.
Illustration 5: mélodie accompagnant un texte de Bernard de Ventadour, ms W f.191
Toutefois, dans les rares chansonniers qui nous ont été transmis avec les
mélodies, il est important de noter qu'une grande part de ces « partitions »
médiévales n'ont pas été terminées, les lignes de portées ont pourtant été tracées et
le texte y a été écrit. Ainsi nous pouvons deviner que le texte a une primauté sur la
musique qui l'accompagnait, tout du moins en ce qui concerne les chansonniers.
Mais ce fait pourrait tout aussi se vérifier en comparant le pourcentage de pièces
transmises avec les mélodies par rapport au nombre de textes qui nous sont
parvenus seuls. Cela montre bien que les mélodies, sur lesquelles les musicologues
commencent à peine à travailler, étaient considérées comme moins importantes,
par rapport à l'écrit ; dans beaucoup de chansonniers les compilateurs leur ont
préféré les vidas et les razos, peut-être aussi suivant la commande qu'ils avaient
reçue.
2.4- LES TYPES D'IMAGE QUE L'ON Y TROUVE :
Si les textes utilisent un vocabulaire particulier pour désigner les
troubadours, il ne faut pas non plus oublier le langage propre aux images qui lui
aussi permet de définir, d'une autre manière, les troubadours et les trobairitz.
Celui-ci passe par le décor, les costumes et les attributs, mais aussi par les gestes,
la positions, etc.
2.4.1 Définition de la miniature :
Au Moyen Âge, et plus particulièrement à partir du XI e siècle, l'Occident a
connu une grande période de créativité et d'inventivité iconographique. 90 Et bien
que la miniature puisse y tenir une place importante notamment dans les
manuscrits destinés à des bibliothèques princières ou de riches collectionneurs, elle
n'était pas présente dans tous les ouvrages. Cependant, dans des ouvrages précis,
comme les livres d'Heures, les miniatures pouvaient revêtir un aspect primordial
pour la conception de l'objet91. Ici aussi, nous pouvons nous demander si tel n'est
pas le cas, puisqu'elles sont ici des représentations de troubadours mais aussi des
90 BASCHET Jérôme, L'iconographie médiévale, [Paris], éditions Gallimard, 2008, p 251.91 WATSON Rowan, Les manuscrits enluminés et leurs créateurs, Méolans-Revel, éditions Grégoriennes, 2004,
p 54.BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 60 -Droits d’auteur réservés.
Partie 2 : Les chansonniers
points de repère dans l'ouvrage. En plus d'embellir l'ouvrage, servir de repère,
l'enluminure pouvait aussi avoir une fonction pédagogique, en éclairant un point
particulier du texte92. Cependant, il est utile de rappeler qu'à cette époque, la lecture
l'emportait sur l'image93. Mais avant d'aller plus loin, faisons un petit retour sur le point
lexicographique.
Le mot miniature vient du latin miniare qui évolue en miniatura en italien.
Miniare en latin signifie enduire de rouge, soit de minium (de l'oxyde de plomb), qui
était une couleur très utilisée pour réaliser les rubriques et les initiales simples des
manuscrits médiévaux (dans la Basse Antiquité, ce rouge servait à encadrer les images).
Puis, au Moyen Âge, on lui préférera le terme d'enluminure plutôt que de miniature.
Les enlumineurs, en plus de créer et d'adapter des illustrations très souvent par
rapport à un texte, déjà inscrit sur la feuille de parchemin sur laquelle une place définie
leur a été attribuée souvent par le scribe, et en tout cas par rapport à la demande d'un
commanditaire, devaient également préparer les couleurs avec lesquelles ils avaient
besoin de travailler. Pour créer leurs pigments ils partaient de végétaux ou de minéraux,
selon leurs propriétés que se devaient de connaître autant les peintres que les
enlumineurs de l'époque. Nous possédons le cas d'un enlumineur de Cologne de la fin du
XVe siècle, Évrard d'Espinques, qui en 1480, a été installé à Ahun par le duc de
Nemours, Jacques d'Armagnac afin qu'il y travaille sur ses ouvrages. Dans son compte
rendu, il énumère les différents pigments qu'il a utilisé lors de son travail des « lettres »
et « vignectes » par exemple. Dans ces cas là, il annonce qu'il a utilisé 11 onces d'
« azur », de l'or et du « roze de Paris ». À partir des noms des couleurs de l'époque il est
relativement aisé de remonter jusqu'au matériau duquel elles ont été extraites. En effet,
le bleu, appelé azur à ce moment là, pouvait être tiré du lapis-lazuli pour les ouvrages
les plus somptueux mais il venait généralement du minerai de cuivre, l'azurite, ou des
végétaux : le pastel et l'indigo. Nous savons également, grâce à différents débats qui se
sont déroulés depuis cette période sur l'évolution des techniques (comme le traité de
Jean le Bègue en 1430, ou le manuel de Cennino Cennini, en 1400, Il libro dell'arte),
que les couleurs blanche, rouge, verte étaient obtenues respectivement à partir du
carbonate de plomb, du minium, et du cuivre94.
En outre, plusieurs sortes d'enlumineurs se distinguent généralement lors de la
conception de ces petites peintures de manuscrits. Ce sont des mains différentes qui
92 CASSAGNES-BROUQUET Sophie, La passion du livre au Moyen Âge, Rennes, éditions Ouest-France, 2010, p 15.93 BOULNOIS Olivier, Au-delà de l'image, Une archéologie du visuel au Moyen Âge V e – XVIe siècle, Paris, éditions du
Seuil, 2008, p 77.94 WATSON Rowan, op.cit., p 56 et 58.
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travaillent sur des aspects différents de l'enluminure. Il y a « l'enlumineur de
lettres », bien que parfois le scribe puisse s'en charger lui-même pour les plus
simples, « l'enlumineur de bordures » qui s'occupe de la réalisation du décor des
marges, et enfin « le peintre d'histoires » ou « l'historieur », qui crée les scènes
historiées. Les lettrines permettent un repérage et, en rompant avec une certaine
monotonie du texte, permettent au lecteur de s'y retrouver plus facilement. Pour les
ouvrages les plus somptueux, les plus grandes initiales permettent parfois la
composition de petites scénettes, on appellera ces lettrines des initiales historiées.
Cependant, il faut attendre la fin du Moyen Âge pour que ces petites scènes sortent
des lettrines pour venir s'ancrer dans les marges du feuillet. 95
De plus, la miniature constitue une des sources les plus importantes et les
mieux conservées pour l'histoire de la peinture et de l'imagerie médiévale. Cela
pourrait s'expliquer par le fait qu'elles étaient réalisées dans le but d'embellir, voire
de solenniser ou sacraliser un texte96, d'où une certaine préciosité de ce genre
d'image.
Les enluminures médiévales sont pour nous une source importante
d'informations puisqu' elles peuvent nous apprendre de nombreux détails sur le
monde d'autrefois, la façon de vivre, les comportements, les relations sociales,
etc97. Ici, les miniatures vont nous donner des indications sur la mode, la façon de
se vêtir à l'époque. À partir de là, nous pouvons même essayer de déduire le statut
social de la personne représentée, son métier même parfois. Par exemple, les
paysans portaient des tenues courtes afin de pouvoir mieux se mouvoir et parmi
cette catégorie nous distinguons les hommes des femmes ; si ces premiers portent
pour se protéger des braies et une courte cape à capuchon, les femmes quant à
elles, ont la tête couverte d'un léger voile.
Puis, les femmes appartenant à des catégories sociales supérieures sont
soumises à des règles sociales et religieuses strictes pour se vêtir, par exemple.
Ainsi leurs robes doivent nécessairement être d'une longueur conséquente, de plus,
les femmes mariées ont également l'obligation d'avoir la tête couverte soit d'un
voile, de toile au début puis de soie, soit de coiffes plus ou moins élaborées pour la
fin du Moyen Âge98.
95 CASSAGNES-BROUQUET Sophie, op.cit., p 16.96 GAUVARD Claude et alii (dir.), Dictionnaire du Moyen Âge , Paris, éditions Presses universitaires de France,
2002, p 923-925.97 GOUSSET Marie-Thérèse, Enluminures médiévales, Mémoires et merveilles de la Bibliothèque nationale de
France, Paris, éditions France Loisirs, Bibliothèque nationale de France, 2005, p 6.98 GAUVARD Claude et alii (dir.), op.cit., article du costume, p 349 à 352.
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Partie 2 : Les chansonniers
2.4.2 Les miniatures dans les manuscrits :
Les chansonniers médiévaux ne nous ont pas uniquement rapporté les œuvres de
ces auteurs occitans. Mais ils nous ont également transmis des miniatures des auteurs et
auteures ; on compte en tout et pour tout seize miniatures de huit trobairitz99. Parmi ces
miniatures d'auteurs nous faisons la distinction entre les initiales ornées et les vignettes,
aussi appelées miniatures hors texte. Mais en plus de ces portraits, les miniaturistes nous
ont légué d'autres images, dans les marges.
Voici le nombre de miniatures que nous pouvons compter dans les manuscrits que
nous étudions ici :
Dans le ms A nous comptons 44 miniatures dans des lettres ornées que nous
associons à des portraits de troubadours. Le ms C n'a conservé que 29 miniatures,
représentant un bestiaire ainsi que des animaux fantastiques, mais il en comptait une
cinquantaine auparavant. Le ms E contient lui 5 initiales ornées figurant des
troubadours, ainsi qu'environ trente lettres ornées. Le ms H ne présente quant à lui que
des vignettes, indépendantes du texte et représentant exclusivement des trobairitz.
Ensuite, le ms I est un des manuscrits les plus ornés, il possède 92 initiales ornées.
Quant aux ms K et M, ils nous transmettent respectivement 78 miniatures et 17
enluminures ainsi qu'une quarantaine d'initiales ornées. Enfin, le ms N possède 33
initiales ornées ainsi que 77 dessins marginaux tous en lien plus ou moins étroit avec le
texte, d'après A. Rieger. Nous retrouvons ces dessins marginaux en assez grand nombre
également dans le ms R, ainsi que les initiales ornées100.
Ces miniatures sont généralement, dans les manuscrits que nous étudions ici,
précédées par les vidas et razos dont nous avons parlé plus haut. Elles sont souvent
associées à une initiale, marquant ainsi le début d'un poème ou d'un florilège de l'auteur
qu'elles représentent. Elles serviraient donc de signal pour se repérer dans les pages.
Cependant, dans les ms I et K par exemple, aucune évocation de ces auteurs,
représentés à la manière d'un « portrait », ne correspond à la formulation dite
« classique » correspondant à l'écrivain en train de rédiger. En effet, l'image de l'auteur
en tant que copiste ou rédacteur n'existe pas, bien qu'il soit parfois possible de trouver
des troubadours tenant un livre ouvert dans les mains101. Cela est corroboré également
par la définition du mot « auteur » au Moyen Âge ainsi que par la façon dont se 99 JULLIAN Martine, op.cit., p 2. 100 D'après Geneviève Brunel-Lobrichon dans son article « L'iconographie du chansonnier provençal R », tiré de
TYSSENS Madeleine, La lyrique romane, médiévale : la tradition des chansonniers, actes du colloque de Liège de 1989, Liège, édition Université de Liège, 1991, p 255-256
101 GOUSSET Marie-Thérèse, dans LEMAÎTRE Jean-Loup et VIELLIARD Martine, Portraits de troubadours, Initiales des chansonniers provençaux I et K, Ussel, éditions Musée du Pays d'Ussel – Centre Trobar, 2006, p XLI.BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 63 -Droits d’auteur réservés.
décrivaient les troubadours eux-mêmes qui ne se voyaient pas réellement comme
des auteurs mais plus comme des trouveurs, des bâtisseurs. Ainsi, nous les
retrouvons sous des caractéristiques qui leur sont propres, tirées de leur légende ou
de leur vida. Certains sont représentés sous forme de chevaliers en armure portant
leurs armoiries, d'autres qui sont rentrés dans les ordres sont vêtus selon leur ordre,
etc. Voici, pour le ms I, le meilleur manuscrit tant par le nombre de miniatures que
par les variations de « portraits », les différentes représentations de troubadours
classées selon le nombre d’occurrences dans le manuscrit :
Nous pouvons voir que l'image du troubadour chantant seul est celle qui est
le plus employée par les enlumineurs, mais que l'image du chevalier en armure est
aussi très utilisée. Cependant, nous observons aussi sur ce diagramme que le
pourcentage de représentation des trobairitz sur les 98 miniatures de l'ouvrage est
inférieur à 5%.
Nous retrouvons également ces proportions, avec cependant moins de
représentations différentes, dans le ms K :
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Tableau 1 Pourcentages des différents types de représentations de troubadours dans le ms I
0
5
10
15
20
25
30
35
40Troubadour déclamant seul
Troubadour à cheval
Troubadour en habit liturgiqueTroubadour avec un instrument de musiqueLes Trobairitz
Troubadour en dialogue avec un ou plusieurs personnagesTroubadour tenant un livre ou une feuilleTroubadour mourant
Troubadour portant une armeTroubadour vagabond
Partie 2 : Les chansonniers
En y regardant de plus près, nous voyons que la proportion de troubadours
représentés seuls en train de déclamer ainsi que la proportion de cavaliers sont toujours
plus importantes que les autres représentations. En revanche, le nombre de troubadours
représentés en train de jouer d'un instrument de musique a sensiblement diminué par
rapport au ms I, tout comme le nombre de religieux.
Généralement, les troubadours sont représentés de face ou de profil, et très
souvent à cheval. En effet, nous pouvons aisément penser que les enlumineurs ont voulu
insister sur la nature itinérante des troubadours. Il existe toutefois des exceptions :
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Tableau 2 Pourcentages des différents types de représentations de troubadours dans le ms K
0
10
20
30
40
50
60
Troubadour déclamant seulTroubadours à chevalTroubadour en habit liturgiqueTrobairitzTroubadour avec une ou plusieurs personnesTroubadour avec un instrument de musique
Dans ce premier cas, nous voyons clairement que le troubadour est
représenté de dos sur son cheval, qui est présenté la croupe face à nous. Et même si
la main qui tient la lance à l'air à l'envers, il est explicite que l'enlumineur a voulu
le représenter de dos, car même son bouclier sur lequel on peut penser qu'il y a ses
armoiries est représenté les attaches tournées vers nous.
Néanmoins, cette manière de représenter le troubadour reste quand même
une exception car dans le corpus étudié, il est le seul troubadour à être représenté
de dos. Mais quant à savoir pourquoi, cela est une autre question que nous
n'étudierons pas ici, bien que nous puissions supposer qu'il ait été représenté ainsi
car le miniaturiste ne connaissait pas son visage et qu'il aurait été difficile de faire
de lui un portrait dans ces conditions. Nous pourrions également supposer que
l'enlumineur a voulu représenter un trait caractéristique du troubadour d'après sa
légende : il a disparu de façon mystérieuse ; comme nous ne pouvons connaître ses
intentions, nous voyons juste qu'il part.
Dans cette même optique, nous pouvons nous demander si les miniaturistes
n'ont pas voulu également respecter les valeurs de la Fin'Amor jusque dans leurs
représentations. En effet, outre la représentation des chevaliers en armure, nous
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Illustration 6: Guilhem de Capestanh, f.105b ms I
Partie 2 : Les chansonniers
retrouvons une valeur essentielle de la Fin'Amor : la jeunesse (joven). Nous avons pu
constater que dans le manuscrit I par exemple la représentation de troubadours jeunes
correspond à plus de 65% sur l'ensemble des miniatures présentent, sachant que dans les
35% restant seuls 7% correspondent à la part des personnages représentés âgés. Voici ce
que nous pouvons en tirer d'après un diagramme :
Nous observons sensiblement la même chose dans le cas du ms K :
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Tableau 3 Pourcentages des représentations des troubadours en fonction de l'âge dans le ms I
jeunes: 65,22%indéterminés: 27,17%âgés: 7,6%
Tableau 4 Pourcentages de représentation des troubadours en fonction de leur âge dans le ms K
0
10
20
30
40
50
60
70
80
90
100
jeune: 88,5%âgés: 11,5%
Dans ces manuscrits il est également possible de trouver des petites
représentations mettant en scène plusieurs personnages. Il peut s'agir d'un
troubadour faisant la cour à une dame, ce qui se retrouve assez fréquemment dans
les chansonniers provençaux étudiés ici, ou mourant dans les bras de celle-ci
comme par exemple dans le chansonnier provençal fr. 854 aussi appelé
chansonnier I, au folio 121v , où Jaufré Rudel, meurt dans les bras de sa dame,
selon sa vida :
Il peut aussi s'agir de deux chevaliers en train de jouter, ce qui est une
représentation un peu plus exceptionnelle. En voici un exemple, tiré du manuscrit I
au folio 174v :
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Illustration 7: dame et troubadour, ms I folio 121
Partie 2 : Les chansonniers
→ Les miniatures, révélatrices du statut des troubadours , s'ils sont chevaliers ou
membres du clergé, peuvent aussi mettre en évidence le thème majeur de la lyrique
troubadouresque, notamment dans les cas où un chevalier est avec une dame.
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Illustration 8: ms I, folio 174v
Illustration 9: ms K, f. 86v.
Nous constatons également des images dans les marges, comme dans le
chansonnier M.
En voici quelques exemples tirés de ce chansonnier :
Cette enluminure se trouve au folio 21v du manuscrit, elle est située sous une
pièce de Pere Bremont Ricas Nouas, Si'm ten Amors ab douz plazer jauzen (Amour
me maintient dans la joie grâce à un doux plaisir), dans une rubrique « Chansos qe
fes... » réservée aux plus grands troubadours. Elle représente une espèce d'oiseau
au long bec et aux serres acérées. La façon dont est représentée l'animal, ainsi que
les plumes de la queue pourrait faire penser à une autruche. Cette miniature
n'entretient néanmoins aucun rapport avec le texte.
Voici un autre exemple tiré du même manuscrit au folio 165r. Cette miniature
est située en bas de page, à la suite de l'initiale ornée dont la décoration court sur
quasiment toute la longueur de la page. Elle est située sous la canso de Jaufre
Rudel : Lanqan li jorn son lonc en mai (Lorsque les jours sont longs en mai). Là
encore, la miniature n'a aucun rapport avec le texte, puisqu'il est question d'amour
lointain au mois de mai et non de chasse.
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Illustration 10: Oiseau dans les marges du ms M
Partie 2 : Les chansonniers
De plus, la palette de couleurs utilisée pour les miniatures est très riche. Nous
pouvons y voir du rouge de plusieurs tons (vermillon, incarnat, orangé), du rose, du bleu
(clair, foncé, verdâtre), du brun, de l'ocre, du vert ainsi que du gris, du noir et du blanc.
Enfin, ces enluminures nous permettent d'appréhender la façon dont les
troubadours étaient vus au XIIIe siècle, tout comme leurs vêtements, leur statut social,
leur qualité, etc. Ainsi, nous pouvons voir qu'ils ne sont pas tous représentés de la même
manière selon ce que les artistes et/ou les commanditaires voulaient retenir d'eux : leur
statut ? Leur qualité d'auteur ou de troubadour ? Cela nous montre également que textes
et images étaient en rapport étroits (excepté dans le cas des miniatures dans les marges
du ms M) puisque les portraits faisaient souvent référence à une partie de la vie du
troubadour rapportée dans sa biographie.
Ainsi, nous pourrions comparer ces miniatures à des gloses marginales
réinterprétant ou non le texte. Les toutes premières représentations dans les marges sans
rapport avec le texte remontent au XIIIe siècle, et plus précisément dans les manuscrits
latins de la Physique d'Aristote, traduits pour les étudiants de l'université d'Oxford. Mais
ce n'est qu'à la fin de ce siècle surtout que ce genres de miniatures, situées dans les
marges du manuscrit, se développent. L'enlumineur commence notamment à s'en servir
pour signaler un oubli ou une erreur, à travers des petits personnages pointant du doigt le
manque par exemple102.
102 CAMILLE Michael, Images dans les marges, Aux limites de l'art médiéval , [Paris], édition française Gallimard, 1997, p 34-36.BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 71 -Droits d’auteur réservés.
Illustration 11: scène de chasse tirée du ms M f.165r
2.4.3 L'enluminure italienne au XIIIe siècle :
Avant de commencer à parler de l'enluminure italienne au XIII e siècle, il est
nécessaire de rappeler que les courants picturaux de l'époque sont ancrés dans une
tradition de recherches notamment artistiques. Les artistes italiens ont toujours
cherché à représenter l'espace, la profondeur et les volumes, la lumière, et le corps
humain (ses proportions, ses expressions) etc. ; ce qui conduira plus tard aux
recherches et aux découvertes de Giotto (1266-1337) qui ont permis par exemple
de représenter de façon plus humaine les figures sacrées.
Au XIIIe siècle, l'enluminure italienne est majoritairement utilisée dans
l'ornementation de la Bible. Cependant, il existe parmi les représentations
différents styles qui se sont développés à cette période.
En effet, à cette période, les enluminures italiennes étaient déjà inscrites
dans une tradition de reproduction des techniques et des motifs byzantins. Par
exemple, les fonds dorés étaient employés dans les mosaïques byzantines., avant
d'être utilisés dans l'enluminure italienne des XIIIe et XIVe siècles, en particulier à
Venise. De même que le rendu de la lumière, du modelé et du relief par les peintres
italiens reflète bien l'importance que revêtait l'influence byzantine sur l'art à cette
époque. Mais les palettes de couleurs étaient aussi différentes de celles utilisées en
France ou en Angleterre. Par exemple, l'école de Bologne utilisait du bleu vif pour
peindre ses miniatures, ainsi que de l'ocre et de l'orange vif, ce qui permettait un
contraste important103. Pour nombre des miniatures de troubadours, nous
retrouvons ces fonds dorés coupés par l'initiale peinte dans un bleu vif.
En parallèle de cette attirance pour l'art byzantin et ses fonds d'or,
l'enluminure italienne était aussi touchée par un autre courant artistique qui est
celui de l'art gothique septentrional. Ce style, à la différence du travail byzantin
déjà exercé au XIIe siècle, se caractérise par un rendu plat, linéaire. Ce nouveau
style pictural est arrivé en Italie grâce à des contacts avec le reste de l'Europe du
Nord, qu'ils aient été politiques, historiques ou culturels. En effet, pendant une
grande partie du XIIIe siècle et même longtemps avant, les princes normands,
souabes et français, ont envahi et dominé à plusieurs reprises le Sud de l'Italie, ce
qui a facilité l'apport de cet art septentrional. Ainsi, il est possible de retrouver ce
style gothique chez le maître de la Bible de Manfred, réalisée dans un atelier de
Naples au cours du troisième quart du XIIIe siècle, ou chez des artistes qui ont
103 WATSON Rowan, op.cit., p 62.BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 72 -Droits d’auteur réservés.
Partie 2 : Les chansonniers
travaillé pour Charles Ier d'Anjou, roi de Naples. Enfin, c'est aussi par les rapports
entretenus par les différents ordres mendiants avec leurs établissements, installés dans le
Nord de la France, ainsi qu'avec leur maison-mère, que l'art gothique septentrional s'est
finalement peu à peu installé dans le Sud de l'Italie. 104 Enfin, ces apports ont été aussi
facilités par la mobilité des artistes, et ce depuis le XI e siècle au moins, par exemple
avec Nivardus, un artiste Lombard qui a travaillé pendant un temps à Fleury. Cela
montre que les artistes étaient capables de parcourir de grandes distances pour travailler
et importer ainsi de nouveaux styles.105
En revanche, l'enluminure de Padoue et de Venise, deux grands centres
artistiques, est constitutive d'une des caractéristiques des chansonniers provençaux, ms
fr.854, ms fr. 12473, ms.819 et ms Vat. lat. 5232, pour ne citer que ces quatre
exemplaires-ci.
Ce style vénéto-padouan se caractérise par une structure compartimentée des initiales,
des coloris vifs avec une grande importance du vert, du rouge, du bleu et de l'ocre clair,
ou encore les fonds dorés inspirés des mosaïques byzantines. 106 De plus, l'emploi du noir
est relativement courant dans ces productions du Nord de l'Italie du Duecento.
Ces différents styles d'enluminure nous conduisent à aborder une étude plus
approfondie du corpus des trobairitz, en analysant leurs textes et leurs miniatures.
104 AVRIL François et alii, op.cit., p 33-34105 ALEXANDER J.G, Medieval illuminators and their methods of work , New Havenand London, éditions Yale
University Press, 1992, p 12.106 AVRIL François et alii, op.cit., p 35.
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PARTIE 3 : LES TROBAIRITZ
Le corpus des trobairitz, ces femmes poètes du monde occitan du XII e siècle,
ne correspond qu'à un et demi pour cent du corpus troubadouresque total, ce qui est
vraiment peu par rapport aux plusieurs centaines d’œuvres produites par leurs
contemporains masculins. Ce corpus est composé d'une quarantaine de textes ainsi
que de 16 miniatures connues. Dans l'ensemble du corpus, il est admis de compter
les textes anonymes mais où il y aurait l'expression d'une féminité, ainsi que des
textes écrits par des troubadours mais s'exprimant comme des femmes. On y trouve
des tensons, des cansos et des sirventès. Dans ce travail nous avons fait le choix de
présenter 27 des pièces.107 Les 23 pièces attribuées aux trobairitz de manière
certaine, ainsi que quelques pièces anonymes qui pourraient leur être attribuées.
3.1 LA QUESTION D'AUTEUR CHEZ LES TROBAIRITZ :
3.1.1 Des femmes auteurs ?
Le mot auteur apparaît dans les textes à la fin du XII e siècle. Ce terme vient
du latin auctor (ou autor, author) qui signifie « celui qui produit », « celui qui
accroît », dérivant ainsi du mot latin augere « augmenter », d'où le fait qu'on
utilise ce terme pour désigner « le créateur d'un livre, ou l'auteur d'un livre ou
d'une action ». Dans le cas de la version féminine du latin auctor soit auctrix ou
auctricis au pluriel, le mot désigne une femme qui produit, qui crée. Mais on
trouve également le sens de celle qui a vendu ou cautionné un événement, un objet,
une action, etc.
En revanche, le terme féminin moderne d'auteur soit auteure, est établi à la
fin du XXe siècle au Québec, même si on le connaît d'abord sous la forme
autoresse ( ou authoress en anglais), reconnue en 1900. Quoique auparavant on
puisse trouver le terme d'autrice, en 1560 et le terme authoresse en 1841.
Cependant, l'auteur, au sens médiéval, est, selon Françoise Vielliard et
Marie-Dominique Chenu108, quelqu'un qui « grâce à une reconnaissance officielle,
civile, scolaire, ecclésiastique, voit son avis, sa pensée, sa doctrine authentiqués,
107 Voir les annexes 3 à 21.108 Dans ZIMMERMANN Michel (dir.), op.cit., p 377
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au point qu'ils doivent être accueillis avec respect et acceptés avec docilité ». Ainsi
un auteur, dont le nom est cité, voit ses œuvres conservées et diffusées par des
ouvrages voire même utilisées comme argument d'autorité. On sait que les
troubadours ont vu leurs textes être commentés, cités ou encore copiés à de
maintes reprises. On peut donc supposer qu'ils ont été considérés comme des
auteurs.
En revanche, dans le cas des trobairitz, nous ne pouvons dire précisément si
leurs œuvres étaient utilisées ainsi. Toutefois, nous pouvons admettre sans trop
d'erreur qu'elles ont tout de même eu une certaine reconnaissance. Un des premiers
éléments qui nous permettent d'avancer cette idée, c'est tout simplement qu'elles
sont parvenues jusqu'à nous et ce à travers plusieurs manuscrits différents venant
parfois d'autres pays que la France, comme par exemple l'Italie.
Ensuite, nous pouvons également nous baser sur les vidas et les razos de ces
poétesses ou sur celles de certains troubadours. En effet, dans certaines de ces
biographies et commentaires de texte, nous pouvons voir que quelques unes d'entre
elles voyaient leur art reconnu, que ce soit par le fait que leur nom soit mis en
avant, ou par ce qu'on dit d'elles. C'est par exemple le cas de Tibors de Sarenom,
pour qui, dans sa vida, nous pouvons lire qu'elle « connaissait l'art de la
composition ». En outre, dans la razo d'Uc de Saint-Circ, nous trouvons également
un désir d'être connue si ce n'est reconnue d'une trobairitz qui n'est autre que Clara
d'Anduze : elle avait « un grand désir de célébrité, d'entendre parler d'elle de loin
et de près ». Cependant, on ne peut savoir si réellement cela a été le cas ou si elle a
eu une quelconque influence sur ses contemporains, d'autant plus que nous parlons
ici de chansons, de poésie et non de discours littéraire, théologique ou politique,
bien que certains sirventès soient des implications directes des auteurs.
Ainsi le sirventès est un genre de la lyrique troubadouresque qui peut aussi
nous conduire à penser que les trobairitz étaient impliquées dans leur temps,
notamment en politique et en religion, comme l'atteste le sirventès de Gormonde
de Montpellier que nous étudierons plus précisément un peu plus loin. Ce type de
texte peut aussi nous faire penser qu'elles avaient une certaine influence selon le
milieu, la catégorie sociale, auxquels elles appartenaient, pour ainsi donner leur
avis, sur des sujets importants comme l'était la Croisade contre les Albigeois.
Malgré cela, les troubadours eux-même ne se considéraient pas comme des
auteurs à proprement parler, car se sont les compilateurs qui ont créé la figure
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PARTIE 3 : Les trobairitz
d'auteur chez les troubadours. Effectivement, ces derniers , bien que se considérant
comme inventeurs de poésies, comme « trouveurs », ne se décrivaient pas comme des
auteurs mais comme des artisans fabricant quelque chose de nouveau. Ainsi ils
utilisaient des expressions figurées en rapport avec des matériaux comme le bois, la
pierre, du fil à tisser, etc. C'est ainsi que Marcabru, troubadour ayant exercé au milieu
du XIIe siècle, se décrit avant tout comme un bâtisseur de la langue, de la lyrique
troubadouresque : « Porte la peir' e l'esc' e'l fozill109 ». Un peu plus tard, Raimbaut
d'Aurenga emploie un vocabulaire affilié au domaine des arts de la ferronnerie et du
tissage :
Cars, bruns e tenhz motz entrebesc !
Pensius – pensanz enquier e serc
com si liman pogues roire
l'estraing röill ni'l fer tiure
don mon escur cor esclaire110.
Par contre, nous ne possédons pas de textes de la part des trobairitz qui nous
laisseraient penser qu'elles décrivaient leur travail de la même façon. Cela peut nous
conduire à formuler deux hypothèses : la première est qu'en tant que femmes elles
n'auraient par eu accès au métier et au vocabulaire qui y est associé précisément, mais
cela n'est pas très probant. La seconde hypothèse, en revanche, pourrait abonder dans
notre sens. Nous pouvons ici nous demander si le fait de ne pas utiliser ce genre de
vocabulaire ne serait pas un signe qu'elles ne voulaient pas être enfermées dans les
activités qu'on leur imposait : les travaux d'aiguilles par exemple, et ainsi montrer une
certaine liberté, à laquelle peu de femmes à l'époque pouvaient prétendre. Il est vrai
qu'ici, la revendication de leur statut d'auteure, ou tout du moins leur volonté d'une
certaine notoriété se reflète d'une manière différente dans leurs textes et dans leurs vidas
et razos.
Tout d'abord, une certaine reconnaissance de leur travail est perceptible à travers
leurs vidas, c'est le cas notamment d'Azalaïs de Porcairagues qui « sabia trobar, e fetz
de lui mantas bonas cançons111 ». Cela est également visible dans les vidas de la
109 « J'apporte la pierre et le mortier et la lime », traduction d'après Laura Kendrick dans ZIMMERMANN Michel (dir.), op.cit., p 509.
110 « J'entrelace des mots rares, obscurs et colorés ! Pensif, pensant, je cherche et recherche comment, en limant, je pourrais éliminer la rouille étrangère et le mauvais dépôt calcaire, et ainsi éclaircir mon cœur sombre », traduction d'après Laura Kendrick dans ZIMMERMANN Michel (dir.), Ibid., p 510.
111 « savait « trouver » et composa sur lui maintes bonnes chansons », Traduction de Pierre Bec, dans Chants d'amour des femmes troubadours, op.cit., p 65.BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 77 -Droits d’auteur réservés.
comtesse de Die, une des plus célèbres, si ce n'est la plus célèbre des trobairitz,
ainsi que de Na Castelloza. Nous trouvons réciproquement pour ces deux dames : «
fetz de lui mantas bonas cançós » et « fetz de lui sas cançons112 ». Cela est encore
plus poussé pour Dame Lombarde où dans sa vida, on peut lire : « Et sabia b[i]en
trobar e fazia bèlas coblas et amorosas 113». Ici nous comprenons qu'elle était
savante dans l'art d'écrire mais qu'en plus elle se basait sur la Fin'amor, un thème
utilisé en premier lieu par les troubadours.
De plus, les trobairitz sont toujours décrites comme étant des femmes
instruites voire même très instruites : mout ensenhada.
En revanche pour Clara d'Anduze il y a plus qu'une reconnaissance de son
art. En effet, dans la razo d'Uc de Saint-Circ il est dit que Clara d'Anduze avait une
grand envie de notoriété : « et ac gran volontatz de prètz e d'èsser auzida lonh e
près114 ».
D'autres éléments aussi nous indiquent une revendication de la paternité des
textes, comme par exemple l'emploi de la première personne du singulier, que l'on
retrouve dans tous les poèmes écrits par les trobairitz, ou des marques de
possessions. C'est le cas par exemple de la Comtesse de Die, dans son poème A
chantar m'èr de çò qu'ieu non volria : « Per qu'ieu vos mand lai ont es vòstr'
estatges, Esta chançon que me sia messatges115 » ou encore de Na Castelloza, dans
sa chanson Amics, s'ie'us trobès avinen : « E fauc chançons per tal qu'eu faç' auzir
Vòstre bon prètz116 »
Ensuite, grâce aux textes des trobairitz, nous avons une vision de la
Fin'Amor telle qu'elle était vécue et décrite par elles. Nous pourrions nous
demander si leurs textes ne pourraient pas être une réponse féminine à la lyrique
troubadouresque, une réponse non pas formulée sous forme de missive mais sous
forme de pièces lyriques reprenant la forme et le fond de cette poésie mise en place
par des hommes et pour des hommes. Cependant, nous ne pouvons pas dire qu'elles
étaient considérées comme égales à leurs pairs ou qu'elles se considéraient elles-
mêmes de cette façon, et encore moins comme supérieures. Dans leurs textes, elles
112 « fit sur lui maintes bonnes chansons » et « fit ses chansons sur lui », Traduction de Pierre Bec, Ibid., p 97 et p 75.
113« Et elle savait bien « trouver » [aussi traduit par : « elle connaissait bien l'art de la poésie » chez Danielle RÉGNIER-BOHLER, dans Voix de femmes au Moyen Âge, p 44] et composait de belles strophes amoureuses », Traduction de Pierre Bec, Ibid., p 158.
114« et avait grand désir de célébrité et qu'on parlât d'elle, de près ou de loin », Traduction de Pierre Bec, Ibid., p 92.
115« C'est pourquoi je vous mande, là-bas, en votre demeure, cette chanson, qui me servira de messager », Traduction de Pierre Bec, Ibid., p 103.
116« Mais je compose des chansons afin de faire entendre votre mérite », traduction de RÉGNIER-BOHLER Danielle, dans Voix de femmes au Moyen Âge, op.cit., p 18.BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 78 -Droits d’auteur réservés.
PARTIE 3 : Les trobairitz
se décrivent très souvent comme des « victimes ». C'est le cas notamment dans une
canso de Na Castelloza, Per jòi que d'amor m'avenha :
Grazisc-vos com que me'n prenha
Tot lo maltrach e'l consir ;
E ja cavalièrs no's fenha
De mi, qu'un sol non desir117,
Pour conclure cette partie, dans certains cas, nous savons que les trobairitz ont
été des mécènes et ont été reconnues comme telles. C'est le cas notamment de Maria de
Ventadour, fille de Raymond II de Turenne, qui épousa Ébles V de Ventadour en 1191.
3.1.2 Des miniatures d'auteur ?
Le premier point qu'il est utile de remarquer à propos de ces miniatures, que l'on
nomme parfois un peu trop vite « portrait d'auteur », est que justement elles ne
représentent pas des « auteurs» à proprement parler ; il n'y est jamais question d'un
troubadour ou d'une trobairitz en train d'écrire sa chanson. Par contre, nous les voyons
en train de chanter leurs poèmes, grâce à une certaine gestuelle plus ou moins répétée
dans une grande partie de ces miniatures. Il s'agit d'un geste des mains dit la « main
parlante », qui signale que la personne est en train d'émettre un son 118, alors que sur
aucune des ces représentations les troubadours n'ont la bouche ouverte. En outre, le
geste de la main ouverte et tendue vers l'avant, que l'on retrouve dans les miniatures
d'Azalaïs de Porcairagues, de Na Castelloza ou de la Comtesse de Die par exemple, est
un signe qui énonce une expression orale personnelle, et non écrite (ce qui confirme bien
la thèse de transmission orale de la lyrique troubadouresque). En plus de montrer par la
gestuelle que la trobairitz est en train de chanter, il signifie également la présence
virtuelle (sauf dans le cas de Na Castelloza dans sa miniature du chansonnier A) d'un
autre personnage qui pourrait lui répondre. Ainsi, elles sont représentées dans « l'acte de
performance »119.
De surcroît, on s'aperçoit que ces « portraits » suivent certaines normes
conventionnelles communes à toutes les trobairitz. Par exemple, leur visage est
117 Pour la joie qui peut m'échoir d'amour .« Je vous remercie, quoiqu'il m'en coûte et bien que victime, Pour toute la souffrance et le souci ; Que jamais chevalier ne s'intéresse à moi Car je n'en désire pas un seul. » Traduction de RÉGNIER-BOHLER Danielle, Ibid., p 23.
118 PASQUINELLI Barbara, Le Geste et l'Expression, Paris, éditions Hazan, 2006, p 148.119 JULLIAN Martine, op.cit., p 7.
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impassible et impersonnel, aucune marque ne pourrait les distinguer les unes des
autres d'autant plus qu'elles ont toutes la même couleur de cheveux qui s'apparente
à un châtain clair, ce qui selon toute vraisemblance, ne correspond nullement à la
réalité. Ainsi, ces représentations de trobairitz ne varient que par les couleurs
employées ou par les détails qui sont ajoutés, comme la présence d'un faucon, ou
d'un bâton fleurdelisé. Martine Jullian, dans son article sur les images de
Trobairitz, émet l'hypothèse que ce bâton pourrait être un « indice de la
performance et l'attribut même de la femme qui chante ». En effet, elle appuie ces
propos sur l'analyse d'une figure d'une jeune fille tenant dans sa main droite un
bâton se terminant par une fleur de lys, tirée de la page dédiée au premier décan du
Cancer d'un manuscrit astrologique, le Liber astrologiae, réalisé dans le Sud de
l'Italie dans la première moitié du XIIIe siècle120. Dans la marge de la page, la
légende identifie cette figure comme « puella...cantans laudes ».
Ces remarques sur les conventions sont d'autant plus renforcées pour les
trobairitz par le fait que les enlumineurs cherchaient principalement à représenter
leurs qualités, leur rang supérieur, en les représentant quasiment toutes dans la
même position droite, contrairement aux troubadours dont les styles de
représentations sont plus nombreux. Il est certain que « la gesticulatio négative et
excessive de l'histrion »121, soit du jongleur, n'aurait certainement pas convenu à
ces nobles dames. À partir de ces constatations sur ces représentations plus ou
moins standardisées, nous pouvons affirmer que ces miniatures, bien que
représentant des trobairitz, ne sont pas des portraits dans le sens commun du
terme, c'est-à-dire la représentation exacte ou tout du moins très ressemblante
d'une personne.
Cependant, l'enlumineur, pour représenter ces miniatures, s'est inspiré des
rubriques présentant les auteurs. Il cherchait à suggérer la qualité du troubadour ou
de la trobairitz ou un élément important de leur vie. C'est ainsi qu'il a représenté
certains troubadours dans les habits épiscopaux, comme c'est le cas pour Folquet
de Marseille qui est devenu évêque de Toulouse, comme le dit sa vida, ou en train
de mourir comme par exemple Jaufre Rudel. Pour ce dernier, le miniaturiste s'est
inspiré de la légende bien connue du troubadour, prince de Blaye, seigneur de
Bergerac et de Pons qui n'est jamais revenu de la II e croisade ( 1147-1149) mais
dont on connaît quelques vers sur une dame lointaine (peut-être la comtesse 120 Ibid., p 7.121 SCHMITT Jean-Claude, La raison des gestes dans l'Occident médiéval , [Paris], éditions Gallimard, 1990,
p 262.BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 80 -Droits d’auteur réservés.
PARTIE 3 : Les trobairitz
Odierne de Tripoli, épouse de Raymond I). Ainsi, ces miniatures, bien que toutes plus ou
moins semblables, n'en restent pas moins uniques, variant d'un troubadour à un autre, les
rendant « identifiables » par des détails qui leur sont propres. Bien entendu, il était plus
facile de les reconnaître à l'époque puisque leurs vidas, leurs légendes, leurs textes et
parfois eux-mêmes étaient connus ou dans tous les cas présents dans les mémoires, ce
qui n'est plus le cas aujourd'hui où nous en refaisons la découverte.
3.2- LES TEXTES :
Dans cette partie, je m'attacherai à analyser et comparer différents textes de
trobairitz et de troubadours afin de montrer en quoi ils se rattachent à la lyrique
courtoise et en quoi ils sont intéressants pour l'historien.
3.2.1 Analyse des types de texte :
Le premier texte que j'ai choisi est celui de la trobairitz Na Bieiris: Na Maria,
prètz e fina valors Je l'ai choisi d'une part parce qu'il reprend bien la forme de la canso
courtoise, mais aussi le thème de la Fin'Amor habituellement présent dans ce genre de
texte et qui est celui des mérites d'une dame vantés par un auteur.
Na Maria, prètz e fina valors, Dame Marie, mérite et fine qualité,
E'l jòi e.l sen e la fina beutatz, joie, esprit et délicate beauté,
E l'aculhir e'l prètz e las onors, accueil, noblesse et déférence,
E'l gent parlar e l'avinent solatz, aimable conversation et agréable
E la dous cara, la gaia cuendança, compagnie,]
E'l dous esgart e l'amorós semblan, doux visage et mines enjouées,
Que son en vos, don non avètz egança, tendre regard et airs amoureux,
Me fan traire vas vos ses còr truan. résident en vous, qui n'avez pas d'égale,
et m'attirent vers vous le cœur dépourvu
de tromperie.]
Per ço vos prèc, si'us platz, que Fin' Amors Aussi je vous prie, s'il vous agrée, que ce
E gauziment e dous umilitatz pur amour,]BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 81 -Droits d’auteur réservés.
Me puòsca far ab vos tant de secors cette allégresse, cette tendre humilité
Que mi donetz, bèla Dòmna, si'us platz, puissent me faire obtenir de vous le
Çò dont plus ai d'aver jòi esperança ; secours]
Car en vos ai mon còr e mon talan de bénéficier, belle dame, s'il vous plaît,
E per vos ai tot çò qu'ai d'alegrança, de ce dont j'espère le plus avoir joie et
E per vos vauc mantas vetz sospiran. espérance.]
En vous j'ai déposé mon cœur et mon
désir,]
par vous j'obtiens tout ce que je possède
d'allégresse,]
à cause de vous je chemine souvent en
soupirant.]
E car beutatz e valors vos enança Beauté et mérite vous élèvent en honneur
Sobre totas, qu'una no'us es denan, au-dessus de toutes, si bien qu'aucune ne
Vos prèc, si'us platz, per çò que'us es onrança, vous dépasse ;]
Que non ametz entendidor truan. je vous prie, s'il vous plaît, sur ce qui
vous fait honneur,]
de ne pas aimer un soupirant félon.
Béla dòmna, cui Prèts e Jòis enança, Belle dame, en qui mérite, joie et doux
E gent parlar, a vos mas coblas man, parler se bonifient]
Car en vos es gaess' e alegrança je vous adresse mes strophes
E tot lo ben qu'òm en dòmna deman. car en vous résident joie et allégresse
et tout ce qu'on demande à une dame.122
Cette canso de Béatrice de Romans est composée de quatre strophes
appelées coblas, de huit vers pour les deux premières et de quatre vers pour les
deux dernières. La structure est celle des rimes croisées. Nous distinguons quatre
vers différents : les vers dits « A » sont en « ors », les vers appelés ici « B » sont
en « atz » et les vers « C » et « D » correspondent respectivement aux sons « ça »
et « an ». Cela donne la structure : ABABCDCD pour les deux premiers couplets et
les deux derniers ne sont qu'en alternance des vers CD. Nous sommes donc devant
122 Traduction de RÉGNIER-BOHLER Danielle, dans Voix de femmes au Moyen Âge, op.cit., p 31.BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 82 -Droits d’auteur réservés.
PARTIE 3 : Les trobairitz
des coblas doblas, c'est-à-dire que des groupes de deux strophes possèdent les mêmes
rimes.
Néanmoins, outre la forme qui respecte bien celle de la canso, même s'il n'y a pas
de tornada, l'intérêt de cette pièce se situe surtout au niveau de son contenu. Bien que
nous n'y apprenions rien en ce qui concerne le contexte de l'époque, nous voyons que le
texte est revendiqué par la dame qui l'a écrit par l'emploi de la première personne du
singulier par exemple au vers 9, ou au vers 22 : « a vos mas coblas man » ( je vous
adresse mes strophes).
De plus, l'auteure emploie tous les éléments de la lyrique courtoise, autant dans le
vocabulaire choisi, que dans le thème abordé. Nous trouvons par exemple l'utilisation de
mots tels que « Joi », « fina valors », « umilitatz », « bela domna », etc. Tous ces mots
auraient très bien pu être employés par un homme.
C'est ce qui nous amène à nous interroger sur la dame à qui est adressée la canso.
En effet, les médiévistes ne sont pas tous d'accord quant à l'interprétation que l'on peut
tirer de ce texte. Un premier groupe pense qu'il pourrait s'agir d'une prière à la Vierge
Marie. Au niveau du nom tout correspond, et les tous premiers vers abonderaient dans ce
sens. Cependant, en allant un peu plus loin dans la strophe, les traits décrits ne sont pas
généralement utilisés pour parler de la Sainte Vierge : « dous esgart e l'amoros
semblan » (tendre regard et airs amoureux). Cela tendrait plus vers la seconde hypothèse
notamment soutenue par Pierre Bec : ce dernier pense que ce texte pourrait être
considéré comme le premier texte homosexuel, écrit pour une femme par une femme.
Enfin, il existe une troisième hypothèse : il pourrait s'agir également d'une erreur
d'attribution du texte, comme il en existe pour tant d'autres, comme Danielle Régnier-
Bohler le pense. En effet l'auteur pourrait être Gui d'Ussel s'adressant à sa dame, Marie
de Ventadour. Cela est d'autant plus plausible que nous ne savons pour ainsi rien à
propos de cette trobairitz dont le nom ne nous ai donné que sous la forme Bietris de R.
par le manuscrit et rien de plus. Les chercheurs en ont déduit qu'elle venait de Romans,
puisque dans ce même manuscrit on retrouve également des textes de Folquet de R., un
troubadour dont on fait remonter les origines à Romans sur Isère, dans la Drôme. Peut-
être aussi est-ce tout simplement le fait de cette trobairitz qui a voulu se prendre pour un
homme, et rendre hommage à une dame comme l'aurait fait un troubadour, en copiant le
style et la position de ce dernier ? Malheureusement, il ne nous est pas possible de
savoir réellement ce qu'il en est.
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Cela dit, si nous gardons le fait que ce soit une femme qui en soit l'auteur,
ce texte de Béatrice de Romans n'en est pas moins un texte exceptionnel, car étant
le seul exemplaire de cette trobairitz parvenu jusqu'à nous, et encore plus écrit à la
façon d'un troubadour.
Le deuxième texte que j'ai choisi ici est le sirventès de Gormonde de
Montpellier car je tenais à avoir un texte mettant en avant une prise de position
d'une trobairitz, montrant ainsi l'importance que ces femmes pouvaient avoir dans
la société. En voici le texte :
Greu m'es a durar, Il m'est difficile de supporter
quan aug tal descrezensa d'entendre divulguer et semer
dir ni semenar. une telle incroyance,
E no'm platz ni m'agensa cela ne me paraît ni ne m'agrée
qu'om non deu amar car on ne doit pas aimer
qui fai desmantenensa celui qui abandonne
a so don totz bes ce dont vient, naît et existe,
ven e nais e es tout bien,
salvamens e fes. salut et foi :
Per qu'ieu farai parvensa c'est pourquoi je montrerai
e semblan que'm pes. et ferai paraître combien cela me pèse.
No us meravilhes Que personne ne s'étonne
negus si eu muou guerra si je pars en guerre
ab fals mal après contre ce malappris hypocrite
qu'a son poder soterra qui, autant qu'il peut, enterre,
totz bos faitz cortes pourchasse et enferme toutes
els encauss' e'ls enserra manifestations de courtoisie et de
trop se fenh arditz noblesse. Il feint trop d'être hardi
quar de Roma ditz en disant du mal de Rome,
mal, qu'es caps e guitz capitale et guide
de totz selhs que en terra de tous les esprits justes de la terre.
an bos esperitz.
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PARTIE 3 : Les trobairitz
En Roma es complitz En Rome sont accomplis
totz bes, e qui'l li pana tous les biens et qui les lui dérobe
sos sens l'es falhitz a perdu la raison
quar si metels enguana, car il se trompe lui-même,
qu'elh n'er sebelitz, il sera enseveli
don perdra sa ufana. et perdra sa vanité.
Dieus auja mos precx, Que Dieu entende mes prières,
que selhs qu'an mals becx, que ceux qui, jeunes ou vieux,
joves e senecx, se montrent méchantes langues
contra la lei romana, contre la religion de Rome
cajon dels bavecx. choient des balances [de la justice divine].
Roma, selhs par pecx Rome, je tiens pour insensés,
tenc totz e per gent grossa, pour gens grossiers,
per obs e per secx aveugles et privés de clairvoyance
que lur car e lur ossa tous ceux qui alourdissent
cargon d'avols decx, leur chair et leurs os de méchants vices ;
don cazon en la fossa, ils en tombent dans la fosse
on lur e sermatz où leur est préparé
pudens focx malvatz ; un feu puant et cruel,
don mais desliatz où ils ne sont jamais délivrés
no seran de la trossa du fardeau
qu'an de lurs peccatz. de leurs péchés.
Roma, ges no'm platz Rome, il me déplaît vraiment
qu'avols hom vos combata, qu'un méchant homme vous combatte ;
dels bos avetz patz, les bons recherchent votre paix,
qu'usquecx ab vos s'aflata. chacun se flatte [d'être] de votre parti.
Dels fols lur foldatz Quant aux fous, leur folie
fes perdre Damiata, leur fit perdre Damiette 123
mas li vòstre sen Mais votre bon sens,
fan sel ses conten sans discussion, rend
caitiu e dolen misérable et malheureux
que contra vos deslata celui qui dépasse la mesure123 Damiette est une ville de Terre sainte qui fut perdue en 1221 lors de la V e Croisade.
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ni renha greumen. et se conduit méchamment envers vous.
Roma, veramen Rome, je sais en vérité
sai e cre ses duptansa et je crois sans nul doute
qu'a ver salvamen que vous conduirez
aduretz tota Fransa, la France entière vers un vrai salut,
oc, e l'autra gen oui, ainsi que tous ceux
que'us vol far ajudansa. qui veulent vous apporter leur aide.
Mas so que Merlis Mais ce que Merlin
prophetizan dis dit dans ses prophéties
del bon rei Lois, du bon roi Louis
que morira en pansa, – qu'il mourra à Montpensier –
aras s'esclarzis. s'éclaire maintenant.
Piegz de Sarrazis Pire que des Sarrasins
e de pus fals coratge et de sentiments plus hypocrites
heretje mesquis sont les hérétiques méprisables.
son. Qui vol lur estatge Qui souhaite leur existence
ins el foc d'abis va dans le feu infernal
van s'en en loc salvatge et, au lieu de [faire son] salut,
en dampnatio. se damne.
A selhs d'Avinho À ceux d'Avignon
baisses, don m'es bo, vous avez abaissé,
Roma, lo mal pezatge, Rome, et je m'en réjouis, le mauvais
don grans merces fo. Péage : ce fut une immense grâce.
Roma, per razo Rome, avec raison
avetz manta destorta vous avez redressé
dressad'a bando sans réserve maints torts
et oberta la porta et ouvert la porte
de salvatio, du salut
don era la claus torta, dont la clé était tordue.
que ab bon govern Par votre juste gouvernement
baissatz folh esquern. vous abaissez la folle moquerie.
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PARTIE 3 : Les trobairitz
Qui sec vostr'estern, Qui suit votre exemple
l'angel Michel lo'n porta est emporté par l'ange Michel
el garda d'ifern. et protégé de l'enfer.
L'estiu e l'yvern Été comme hiver
deu hom, ses contredire on doit sans conteste,
Roma, lo cazern Rome, lire le cahier
legir, si que no's vire, sans rien y changer,
e quan ve l'esquern, et, en voyant l'ignominie
cum jhesus pres martire, du martyre de Jésus,
albir se lo cas qu'on considère le cas :
si's bos crestias, si l'on ne pense pas à la paix
…..................... alors l'on n'est pas chrétien ;
s'adoncx non a cossire, si donc on ne s'en soucie pas
totz es fols e vas. on est complètement fou et insouciant.
Roma, lo trefas Rome, le perfide,
e sa leis sospechoza avec sa religion suspecte
als fols digz vilas aux propos insensés et vils,
par que fos de Toloza, me paraît être de Toulouse
on d'enjans certas laquelle n'a donc pas honte
non es doncx vergonhoza. de ces tromperies avérées.
Ni ans de dos ans Mais ce comte digne d'éloges,
mas si'l coms prezans avant deux ans,
cove que'ls engans devra abandonner les fourberies
lais e la fe duptoza et la foi douteuse
e restaur'els dans. et réparer les dommages.
Roma, lo reis grans Rome, que le grand roi
qu'es senhers de dreitura qui est seigneur de droiture
als falses Tolzans apporte grand malheur
don gran malaventura, aux perfides Toulousains,
quar contra sos mans car à ses commandements
fan tan gran desmesura, tous font d'immenses outrages,
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qu'usquecx lo rescon, que chacun le cache :
e torbon est mon ils troublent le monde.
el comte Raimon, Et le comte Raimon,
s'ab elhs plus s'asegura, s'il leur donne davantage de garanties,
no'l tenrai per bon. je ne le tiendrai plus pour noble.
Roma, be's cofon Rome, qui gronde contre vous,
e val li pauc sa forsa bâtit château et forteresse,
qui contra vos gron se détruit totalement
ni bast castelh ni forsa et sa force lui sert peu,
quar en tan aut mon car il ne monte ni ne s'établit
nos met ni no s'amorsa en si haute montagne
que dieus non recort que Dieu ne se rappelle
son erguelh e'l tort son orgueil et son tort
…......................... ….........................
don pert tota s'escorsa il perd ainsi son enveloppe charnelle
e pren dobla mort. et subit une double mort.
Roma, be'm conort Rome, me réconforte pleinement [le fait]
quel coms ni l'emperaire, que le comte de Toulouse et l'empereur ,
pueis que son destort depuis qu'ils se sont détournés
de vos, non valon gaire, de vous, ne valent plus guère,
quar lur fol desport leur folle conduite
e lur malvat vejaire et leur mauvais jugement
los fatz totz cazer les font tous deux tomber
a vostre plazer, à votre plaisir,
qu'us nos pot tener, si bien qu'aucun ne peut tenir sa
sitot n'es guerrejaire, position, fût-il guerrier,
non li val poder. sa puissance ne lui sert à rien.
Roma, ieu esper Rome, j'espère en vérité
que vostra senhoria que votre pouvoir
e Fransa per ver, et la France,
cui non platz mala via, à qui mauvaise voie déplaît,
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PARTIE 3 : Les trobairitz
fassa deschazer feront tomber
l'erguelh e l'eretgia, l'orgueil et l'hérésie,
fals heretges quetz, les hérétiques hypocrites et sournois,
que non temon vetz qui ne craignent pas le vice
ni creja'ls secretz124, ni ne croient aux secrets,
tan son plen de feunia tant ils se montrent pleins de félonie
e de mal pessetz. et de méchantes pensées.
Roma, be sabetz Rome, vous savez
que fort greu lor escapa fort bien que leur échappe difficilement
qui au lor decretz, celui qui écoute leurs décrets ;
aissi tendon lur trapa ils tendent ainsi leur piège
ab falses trudetz avec de faux appâts
ab que quascus s'arrapa. auxquels chacun se prend.
Totz son sortz e mutz, Tous sont sourds et muets,
qu'el lur tolh salutz, car celui-là leur vole leur salut,
don quecx es perdutz, dont chacun éprouve la perte,
qu'ilh n'an capelh a capa, car ils ne possèdent ni chapeau ni cape
e remanon nutz. et restent nus.
Chauzitz e sauputz Clandestins ou connus [les hérétiques],
naisson senes falhida même s'ils naissent sans la faute,
crematz e pendutz [seront] brûlés et damnés
qu'en lur malvada vida à cause de leur vie mauvaise,
anc negun vertutz, jamais aucun d'eux n'a accompli de
car fe no i es auzida miracle, nous n'en avons
non avem sivals. du moins jamais entendu parler.
E si fos lejals Si leur vie mortelle
lor vida mortals, avait été loyale,
dieus crei l'agra eissauzida, je crois que Dieu l'aurais exaucée,
mas non es cabals. mais elle n'est pas juste.
Qui vol esser sals, Qui veut être sauvé
ades deu la crotz penre doit prendre sur-le-champ la croix124 Les secrets seraient un des mots utilisés par l’Église pour parler de la doctrine cathare.
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per heretges fals afin de pourchasser et de ruiner
dechazer e mespenre, les hérétiques hypocrites,
que'l celestials car le Roi céleste
hic venc sos bras estendre vint ici étendre ses bras
tot per sos amicx tout entiers pour ses amis.
e pus tals destricx Puisqu' Il a souffert
pres, ben es enicx de telles peines, est bien mauvais
selh que non vol entendre celui qui ne veut pas L'entendre
ni creire'ls chasticx. ni croire à Ses enseignements.
Roma, si pus gicx Rome, si tu tolères que règnent
renhar selhs que'us fan onta plus longtemps ceux qui font honte
al sant esperitz au Saint-Esprit
(quant hom lor o aconta – ils sont si infâmes,
tan son fol mendicx que pas un n'affronte
qu'us ab ver no s'afronta) la vérité quand on la leur rapporte –
no'i auras honor. tu n'en retireras pas d'honneur.
Roma, li trachor Rome, les traîtres
son tan ple d'error sont si pleins d'erreur que chacun,
qu'on plus pot, quascus là où il peut le plus, augmente
quec jorn sa folor monta. chaque jour sa folie.
Roma, fol labor Rome, agit de manière insensée
fa [qui ab] vos tensona, qui polémique avec vous ;
de l'empe [rador quant à l'Empereur,
dic, s']ab vos no s'adona, je dis que s'il ne s'abandonne pas à
q' [en gran] deshonor vous, sa couronne en viendra à
ne venra s[a corona connaître un grand déshonneur
e] sera razos et ce sera raison.
mas per [o ab vos Mais, cependant, auprès de vous
leu] troba perdos trouve facilement le pardon qui
qui g[en sos tor]tz razona reconnaît avec noblesse ses torts
ni n'es an [goissos]. et en est affligé.
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PARTIE 3 : Les trobairitz
Roma, l'glorios Rome, que le Glorieux
que a la Magdalena qui a pardonné
perdonet, don nos à la Madeleine et dont
esperam bona estrena, nous attendons une juste récompense,
lo folh rabios fasse semblablement mourir
que tans ditz fals semena, de la peine dont meurt l'hérétique
fassa d'aital for le fou enragé,
elh e son thezor qui sème
e son malvat cor tant de fausses paroles,
morir e d'aital pena lui, son trésor
cum heretjes mor. et son méchant cœur.125
Ce long texte de Gormonde de Montpellier, trobairitz de Montpellier ayant vécu
au XIIIe siècle, est composé de vingt coblas (strophes) toutes de longueur similaire c'est-
à-dire de onze vers chacune. Chaque strophe commence par six rimes croisées puis se
continuent par des rimes plates pour enfin finir de nouveau par des rimes croisées. Ce
sirventès suit la forme des coblas capfinidas, c'est-à-dire que la rime du dernier vers
d'une strophe est réutilisée pour le premier vers de la strophe suivante. Cependant,
puisque l'auteure change de rimes à chaque strophe, excepté pour le premier vers de
chaque cobla qui reprend la rime du vers précédent, nous pouvons penser que nous
sommes également face à des coblas singulars.
Outre sa forme particulière, ce sirventès est intéressant pour plusieurs raisons. La
première est la prise de position de la trobairitz, la Domna Gormonde de Montpellier,
car dans cet extrait de l'unique sirventès en parti conservé dans deux manuscrits (il nous
manque trois strophes), cette dernière répond au troubadour Guilhem Figueira. Pour
cela, elle reprend la même forme pour pouvoir lui répondre strophe par strophe, afin de
défendre la papauté et donner une légitimité aux actes de cette dernière lors de la
Croisade des Albigeois. Cependant, il nous manque trois strophes pour parvenir au
même nombre de strophes du texte de Guilhem de Figueira. De plus, alors que lui
emploie le mot « Roma » dans vingt-et-une de ses strophes, Gormonda de Montpellier,
elle, ne l'emploie que dans treize des siennes. Cependant, les rimes sont les mêmes chez
les deux auteurs.
Cela nous conduit à nous pencher sur le contexte dans lequel a été écrit ce texte.
En effet, il s'agit d'un des rares textes de trobairitz qu'il est possible de dater de manière 125 Traduction de RÉGNIER-BOHLER Danielle, Ibid., p 69-73.
BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 91 -Droits d’auteur réservés.
plus ou moins précise, grâce aux éléments qu'elle nous donne. En général, les
médiévistes se basent sur les quelques informations qui se trouvent dans le texte,
tels que le nom d'un troubadour, souvent incomplet ou erroné, ou un événement.
Puis, ils se reportent à la vida, souvent imaginée ou arrangée, du troubadour dont il
est question pour avoir une fourchette de dates. Dans ce cas ci, nous savons que ce
sirventès a été écrit pendant la croisade des Albigeois, avant la prise de Toulouse
mais après le massacre de Béziers ; cela nous donne une fourchette relativement
précise de moins de deux années. Il est évident que ce texte est postérieur à celui
de Guilhem de Figueiras puisqu'il en est une réponse. Or le sirventès de ce
troubadour a été daté, par Alfred Jeanroy, à après la mort de Louis VIII, c'est-à-
dire le 8 novembre 1226 à Montpensier (près de Clermont-Ferrand), et le traité de
Meaux, le 12 avril 1229 qui correspond à la paix entre Louis IX et Raimon VII. Il
ajoute même : « M. Appel la placerait volontiers [la date] en 1227, après le
bannissement prononcé par Grégoire IX contre Frédéric126 ; elle [la pièce] aurait
donc été inspirée par l'empereur ou ses lieutenants. Elle semble en tout cas avoir
été composée en Italie ; l'auteur est peu au courant des événements du Midi,
puisqu'il annonce comme prochain le triomphe de Raimon VII ; les succès de
celui-ci auxquels il fait allusion remontaient à une dizaine d'années »127. Ainsi, le
sirventès de Gormonde de Montpellier se situerait entre la fin du mois de
novembre 1226 et le traité de Meaux, puisque la dame souhaite qu'il arrive malheur
à la ville de Toulouse et à ses habitants, aux vers 111 à 114. Elle ne sait pas
réellement ce qui va arriver ; s'il leur était arrivé malheur elle l'aurait certainement
chanté, étant contre ces « hérétiques ».
Nonobstant cette défense de l’Église, il est intéressant de remarquer que la
trobairitz fait tout de même appel à la mythologie celtique, et plus précisément à
Merlin, l'enchanteur conseiller du roi Arthur dans la littérature narrative
médiévale, pour contrer l'un des arguments de Guilhem Figueira, qui dit, dans son
texte, que la mort du roi Louis VIII est dûe à la Croisade et donc à l’Église
catholique qui a encouragé le roi à y participer. Or Gormonde de Montpellier lui
répond que cela n'est aucunement la faute de la papauté et que la mort du roi était
déjà prévue dans les prophéties de Merlin.
Enfin, un dernier point sur ce texte est nécessaire. Bien que ce texte reste
important dans le corpus des trobairitz, il n'en est tout de même pas le représentant 126 L'empereur d'Occident Frédéric II (1194-1250) fut, depuis son arrivée au pouvoir en tant qu'empereur en
1220, en lutte permanente avec la papauté qui l'a fait excommunier.127 JEANROY Alfred, op.cit., p 220.
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PARTIE 3 : Les trobairitz
majeur, même s'il est le seul sirventès de cet acabit ayant été écrit par une femme.
Cependant, il nous amène à nous interroger sur la place et l'influence des femmes-
troubadours dans la société, et plus encore de Gormonde de Montpellier. Cet
engagement de sa part, ainsi que ses connaissances sur le sujet de la Croisade, nous
amènent à penser qu'elle était soit une religieuse, soit qu'elle avait été élevée dans ce
milieu. Par ailleurs, nous pouvons supposer que si ce texte nous est parvenu c'est qu'à
l'époque il était connu, voir même reconnu, et qu'ainsi la trobairitz avait peut-être une
légitimité au niveau de la société. Toutefois, nous ne pouvons pas avoir la même force
d'opinion pour toutes les trobairitz, puisque ce texte est d'un genre totalement différent
par rapport aux autres textes du corpus des trobairitz qui s'inspiraient de l'amour
courtois.
3.2.2 Comparaison avec les troubadours :
J'ai choisi ici de comparer les textes des trobairitz avec deux troubadours de
catégories sociales différentes, afin de voir les différences et les ressemblances entre les
deux corpus. Dans un premier temps nous allons analyser un canso de Rigaud de
Barbezieux (v.1150 – v.1215) dont le nom occitan se change en Berbesieu, : Atressi com
Persavaus. Ce troubadour, dont nous connaissons neuf poèmes, est un chevalier de
Saintonge ayant vécu dans la première moitié du XIIIe siècle. Si j'ai choisi ce troubadour
c'est parce qu'il est considéré comme un auteur un peu à part de part ses compositions
(les rythmes et les comparaisons varient de ceux de ses contemporains).
Atressi com Persavaus Comme jadis Perceval
Atressi com Persavaus Comme jadis Perceval
El temps que vivía, - Au temps qu'il vivait -
Que s'esbaï d'esgardar Fut si fort émerveillé
Tant qu'anc no saup demandar Qu'il ne sut pas demander
De que servía À quoi servaient
La lansa ni-l grazaus, La lance et le Graal,
Et eu soi atretaus, Je demeure interdit,
Mielhs de Domna, quan vei vostre cors gen, Mieux-que-Dame, devant votre beauté :
Qu'eissamen J'oublie tout
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M'oblit quan vos remir ; Lorsque je vous contemple ;
E-us cug prejar e no fauc, mas consir. Je veux vous prier, je ne puis : je rêve.
Ab us dous esgartz coraus Que si, par doux regards tendres,
Que an fait lor vía Qui font leur chemin
Per mos olhs ses retornar Par mes yeux, et sans retour,
El cor, on los tenc tan car, Au cœur où me sont si chers,
Que si-us plasía À vous il plaisait
Qu'aitals fos mos chaptaus Me donner le profit
Dels trebalhs e dels maus, Des peines et des maux,
Mielhs de Domna, que trac per vos soven, Mieux-que-Dame, que souvent je souffris,
Tan greumen, Si cruels,
Mais am per vos morir Lors j'aime mieux mourir
Que d'autr'aver nul joi, tan vos desir. Tant vous désire, qu'avoir joie d'une
autre.
Si-l vostre durs cors fos taus S'il avait, votre dur cœur,
Com la cortesía Même gentillesse
Que-us fai d'avinen parlar, Qui vous fait si bien parler,
Leu pogratz de mi pensar Sans peine vous comprendriez
Qu'anz m'auciría Que me tuerais
Que-us pregues, quar non aus : Plutôt que d'oser vous
Qu'en mon cor tenc enclaus, Prier : je garde au cœur,
Mielhs de Domna, de vos un pensamen Mieux-que-Dame, de vous un souvenir
Tan jauzen Si heureux,
Que quant en re m'azir, Que si me vient tristesse,
Del douz pensar pert l'ir'ab l'esjauzir. Ce doux penser me l'ôte en m'enchantant.
Si com l'estela jornaus, Comme l'étoile du jour
Que non a paría, Qui n'a sa pareille,
Es vostre ricx pretz ses par ; Votre Prix est sans égal,
E l'olh amoros e clar, Vos yeux amoureux et clairs
Franc ses feunía ; Purs, sans félonie :
Bels cors ! Plazens'e gaus, Bel être ! Grâce et joie,
De totas beutatz claus, De toute beauté sourceBRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 94 -Droits d’auteur réservés.
PARTIE 3 : Les trobairitz
- Mielhs de Domna-e de bel estamen ; -Mieux-que-Dame- de toute bienséance ;
Que-m defen Défendant
Lo pensar d'esmarir ; Ma pensée du chagrin ;
Don no pot hom deslonhar ni grandir ! Dont on ne peut ni s'éloigner ni fuir !
Bona domna naturaus, Bonne et excellente Dame,
Merce vos querriía, Requerrais merci
Que pogues merce trobar Si je la pouvais trouver
Ab vos, que per autr'afar En vous, car de rien autre
Gaug no-m daría ; Je n'aurais joie ;
Merce-us clam e non aus, Merci vous crie, rien d'autre,
Merce es mos captaus, Merci est ma ressource.
Mielhs de Domna ; si merces no-us en pren, Mieux-que-Dame : et si n'avez pitié,
Veramen En vérité,
M'er per vos a morir : Pour vous je dois mourir :
Res mas merces no-m pot de mor garir. Seule, Merci peut me sauver de mort !
Vielha de sen e de laus, Vieille d'esprit et de gloire,
Joves on jois lía, Jeune où Joie habite,
Vielha de pretz e d'onrar, Vieille de Prix et d'Honneur,
Joves de bel domnejar, Jeune de courtoisie belle ;
Lonh de folía ; Et sans folie,
Vielh'en totz fagz leiaus, Vieille en tous faits loyaux,
Jov'on Jovenz es saus, Jeune où Jeunesse est sauve ;
Mielhs de Domna, vielh'en tot bel joven Mieux-que-Dame, vieille en belle
Avinen jeunesse,]
Vielha ses velhezir Avenante,
E joves d'ans e de bel aculhir. Vieille qui ne vieillit,
Si jeune d'âge et de bel accueillir !
Miels de Domna, en re no me repen, Mieux-que-Dame, je ne regrette rien,
S'eu aten Si je pense
Lo joi qu'es a venir À la joie à venir ;
Que bon'amor gazanh'hom ab servir. Car Bon amour se gagne à bien servir !128
128 Traduction de LAVAUD René et NELLI René dans Les troubadours, Tome 2, op.cit., p 98 à 103BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 95 -Droits d’auteur réservés.
Ce poème de Rigaud de Barbezieux est composé de coblas unissonans,
c'est-à-dire que toutes les strophes conservent les mêmes rimes 129. Celles-ci sont un
mélange de rimes plates et de rimes embrassées dont la forme est celle-ci :
ABCCBAADDEE et correspondent respectivement aux sons : « aus », « ia »,
« ar », « en » et « ir ». De plus, ce poème de sept strophes de onze vers pour les six
premières strophes et de quatre vers pour la dernière, se termine par une tornada,
dont les rimes utilisées sont celles habituellement employées en fin des autres
coblas. Ainsi, par son nombre de sept strophes elle varie un peu de la forme
classique d'une canso qui est en général de six strophes maximum. En revanche,
nous retrouvons la tornada, cette formule bien employée en conclusion de canso.
Pour continuer sur une analyse plus contextuelle, cette canso a été
composée au moins à la fin de la seconde moitié du XII e siècle. En effet, au tout
début de la chanson, au premier vers, l'auteur fait référence à Perceval, puis au vers
6, au Graal. Perceval le Gallois est un personnage inventé par Chrétien de Troyes
dans son Conte du Graal vers 1175 et Rigaud de Barbezieux fait en outre référence
à un passage précis du texte de Chrétien de Troyes dans la première strophe. Il
s'agit du moment où Perceval reste muet d'étonnement et où il ne pose pas la
question à propos du Graal et de la lance, question qui aurait pu guérir le « roi
Pécheur ». Un autre élément de datation correspond au surnom « Mieux-que-
Dame » qu'il emploie tout au long de son poème et qui désigne la dame dont il est
épris et dont il vante les mérites. Celle-ci a été identifiée comme étant la femme de
Jaufre de Taunay, le seigneur de Taunay en Charente, dont le nom a été retrouvé
dans des textes allant de 1170 à 1220.
Quant à l'analyse des paroles en elles-même, elle nous montre bien que ce
poème entre dans le corpus troubadouresque car nous retrouvons à l'intérieur tous
les éléments le faisant appartenir au registre de la Fin'Amor : le vocabulaire
employé, « Plazens' e gaus » (Grâce et joie) au vers 39, « bon'amor » (bon
amour » au vers 70 ; ou le thème en lui-même. En effet, l'auteur s'adresse à sa
dame, se plaignant de n'en avoir que des « trebalhs e dels maus » (des peines et des
maux). Mais il conclut qu'il ne regrette rien, sachant qu'en continuant à la servir, il
sera récompensé.
Pour conclure sur cette analyse, l'auteur utilise beaucoup la jeunesse et de la
Joie, deux thématiques importantes dans la lyrique des troubadours du XII e siècle.
129 HAMLIN Frank R., et alii, Introduction à l'étude de l'ancien provençal , Genève, éditions Librairie Droz, 1ère
édition 1967, 2e édition revue et corrigée 1985, p 40.BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 96 -Droits d’auteur réservés.
PARTIE 3 : Les trobairitz
Pour continuer sur les comparaisons, j'ai choisi un sirventès du Moine de
Montaudon sur les femmes. Je trouvais intéressant d'analyser un texte moralisateur sur le
comportement des femmes au Moyen Âge. De plus, ce texte nous donne des éléments
précieux quant à la fabrication des cosmétiques à cette époque. Ce troubadour a vécu
entre 1145 et 1220 (nous ne possédons pas, comme pour une grande partie des
troubadours ses dates exactes), on le connaît aussi sous la forme du monge de
Montaudon ou Pierre de Vic.
Épilogue : Comment les dames font le fard.
Sobre sacramen vei obrar Contre le serment je vois agir telles
De tals que s'en degran laissar, Qui devraient s'en abstenir,
E non es gen Et il n'est pas beau
C'a la chascuna vei falsar Que par chacune je voie. [sic]
Lo covenen. Trahir le pacte.
Per so son li vóut irascut De ceci les Images sont irritées
Car hom lor a plait ronput, Que l'on a rompu leur arrangement,
E non an grat Et elles n'ont pas plaisir
Que-ill quecha fai pisar son glut Que chacune fasse broyer son fard
Am ueu pastat. Avec de l’œuf délayé.
De blanquet e de vermeillon Tant de blanc et de vermillon
Se meton tant sobre-l menton Elles se mettent sur le menton et sur la
Et en la fatz, figure]
Qu'anc no vist trïan carton Que jamais tu n'as vu
Deves tot latz. Parcelle de peau authentique
D'aucun côté.
De çafra e de tifeigno, De safran et de narcisse,
D'angelot, de borrais an pro De sarcocolle et de bourrache elles ont
E d'argentat, en suffisance,]
De que se peingnon a bando Et aussi de poudre d'argent
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Quan l'an mesclat. Avec quoi elles se fardent sans retenue,
Quand elles l'ont mélangé.
En lait de sauma an temprat Dans du lait d'ânesse elles ont détrempé
Favas, ab que s'an adobat Des fèves, et avec cela elles ont
Lo viel cortves, accommodé]
E-ill quecha jura Charitat Leur vieux cuir,
Que res non es. Et chacune d'elles jure par la divine
Miséricorde qu'il n'en est rien.
Quant ellas an lor onguimentz Quand elles ont préparé
Totz ajustatz per sagramentz, Toutes leurs pommades selon les
Vos veirätz formules,]
De boissas e de sacs tresentz Vous pourriez voir
Ensems lïatz. Trois cent boîtes ou sachets
Attachés ensemble.
Anc sainz Peire ni sainz Laurenz Jamais saint Pierre ni saint Laurent
No son creüz dels covinenz Ne sont obéis touchant les promesses
Que feiron far qu'ils firent faire]
A veillas qu'an plus longas denz Á des vieilles
D'un porc cenglar. Qui ont les dents plus longues
Qu'un porc sanglier.
Peitz an faitz, non avez auzi : Elles ont fait pis, et vous ne l'avez pas
Tant nos an lo safran charzi encore entendu:]
Que oltra mar Elles ont chez nous tellement fait
O conteron li pelegri ; renchérir le safran]
Be'n dei clam far ! Que par-delà la mer
Les pèlerins ont conté cela : je dois bien
là-dessus]
Faire entendre une plainte !
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PARTIE 3 : Les trobairitz
Que meils vengra qu'om lo manges Car ce serait un meilleur résultat qu'on
En sabriers, qu'en aissi-l perdes, le mangeât]
E compressan Dans les sauces,que de le perdre ainsi,
Cendals, don quecha se bendes, Et qu'avec l'argent elles achetassent
Pos talen n'an. Des soieries, dans lesquelles chacune se
draperait,
Puisqu'elles ont une passion pour cela.130
Ce texte est composé de neuf coblas toutes de cinq vers chacune. Ce sirventès
commence par deux rimes plates puis se poursuit avec des rimes croisées. Cela donne la
forme AABAB, pour la première strophe par exemple. L'auteur suit la forme des coblas
singulars, c'est-à-dire qu'il change les rimes pour chaque strophe. De plus, nous
remarquons que certaines rimes sont réutilisées dans plusieurs strophes.
En revanche, si nous reconnaissons dans cette pièce un sirventès, c'est avant tout
par son contenu très moralisateur en ce qui concerne la fabrication et l'emploi de
maquillage par les femmes. En effet, le moine de Montaudon est révolté par ces femmes
qui utilisent de façon excessive ce genre de produits, qui ne respectent par leurs
promesses et qui cherchent toujours à se parer avec luxe, ce qui était normalement
interdit par les lois somptuaires. Nous pourrions comparer les dames, selon ce qu'il nous
en dit, à un genre de coquettes gaspilleuses qui n'ont plus aucune « parcelle de peau
authentique » et qui trompent les autres par leurs fards.
D'un autre côté, ce texte est intéressant car il nous donne des informations
précieuses concernant la fabrication et l'utilisation des cosmétiques aux XII e-XIIIe
siècles. Par exemple, nous apprenons que les femmes utilisaient de l’œuf délayé pour
broyer leur fard, blanc ou rouge, qu'elle se l'appliquait sur le visage comme aujourd'hui
nous le ferions avec un fond de teint.
De plus, ce texte indique quelles plantes et fleurs étaient utilisées pour la
fabrication de ce genre de produits (aux vers 16 et 17) : le safran, le narcisse, le
sarcocolle (petit résineux venant d'Afrique et du Moyen Orient) ainsi que de la
bourrache (plante dont la fleur a le goût d'huître). Ces plantes, comme le sarcocolle, ne
poussant par forcément dans le pays, cela impliquait un commerce important de ces
plantes. Cette idée est renforcée par le vers 37, où l'auteur dit qu'elles ont « Tant nos an
lo safran charzi » (chez nous tellement fait renchérir le safran).
Enfin, il utilise un vocabulaire très péjoratif pour décrire ces femmes qu'il traite 130 Traduction de LAVAUD René et NELLI René dans Les troubadours, Tome 2, op.cit., p 831 à 833.
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de « veillas qu'an plus longas denz d'un porc cenglar » (à des vieilles qui ont les
dents plus longues qu'un porc sanglier) aux vers 34 et 35. Il va même plus loin en
sous-entendant un lien avec la sorcellerie aux vers 26 et 27 : « Quant ellas an lor
onguimentz/Totz ajustatz per sagramentz » (Quand elles ont préparé/Toutes leurs
pommades selon les formules). Ici le mot formule peut faire référence aux
formules magiques employées par les sorcières.
Bien que ce sirventès nous offre une vision négative des femmes, il reste
n'en reste pas moins une exception dans la lyrique troubadouresque, sortant du
cadre de la Fin' Amor ; tout comme l'a fait Gormonde de Montpellier avec son
propre texte. Ainsi, nous pouvons voir que les textes des troubadours et des
trobairitz ne sont pas si différents les uns des autres. Au contraire, les trobairitz
empruntent aux troubadours la lyrique courtoise mais aussi la forme des textes,
tout en y ajoutant un regard féminin plus doux qui n'existe pas chez leurs
homologues masculins. Enfin, elles parlent généralement pour elles, avec un
vocabulaire bien plus personnel et émotionnel, que ne l'ont fait les troubadours 131.
3.3- LES IMAGES :
Parmi les 16 miniatures connues de trobairitz, il existe plusieurs types
d'images : celles dans une initiale, communes aux troubadours et aux trobairitz, et
celles inscrites dans des vignettes qui sont également appelées miniatures hors-
lettres et que l'on ne retrouve qu'au ms H, pour les trobairitz. Ici, je vais
m'appliquer à décrire une miniature de chaque type d'image afin de voir ce qu'elles
nous apprennent. Ensuite, je les comparerai aux représentations de troubadours
afin de montrer les différences et les ressemblances.
131 BOGIN Meg, Les femmes troubadours, Paris, éditions Denoël/Gonthier, 1978, p 72.BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 100 -Droits d’auteur réservés.
PARTIE 3 : Les trobairitz
3.3.1 Analyse d'une ou deux images :
Tout d'abord commençons avec la représentation d'une trobairitz sous forme de
vignette. Il s'agit ici de la comtesse de Die, l'une des plus célèbres trobairitz, tout du
moins la seule dont on ait gardé autant de textes et de représentations.
Cette miniature, conservée au folio 49 vb du ms H, représente une femme à la
chevelure châtain, tenant de sa main gauche gantée un oiseau que nous pouvons
identifier comme étant un faucon. Ce faucon, d'après la symbolique médiévale,
signalerait que nous avons à faire à une dame de haute naissance, car seuls des
personnes issues de la noblesse pouvaient posséder de tels oiseaux, notamment pour la
chasse.132 Cependant, si nous pouvons dire que cette femme était issue de la noblesse,
rien ne nous permet de dire (si ce n'est le fait qu'elle soit accolée au texte de la comtesse
de Die) qu'il s'agit réellement de la comtesse, dont nous ne savons pratiquement rien si
132 PASTOUREAU Michel, Symboles du Moyen Âge, Animaux, végétaux, couleurs, objets, Paris, éditions Le Léopard d'or, 2012, p 131.BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 101 -Droits d’auteur réservés.
Illustration 12: Représentation de la comtesse de Die, ms H f. 49vb
ce n'est qu'elle était comtesse, qu'elle fut l'épouse de Guilhem de Poitiers et qu'elle
s'éprit de Raimbaut d'Aurenga (d'Orange).
Sa position, droite, pleine de noblesse, le genoux légèrement plié et la main
indiquant qu'elle est en train si ce n'est de chanter du moins de parler, ne change en
rien des autres représentations des trobairitz. Elles sont toutes représentées de la
même façon : une main soit cachée dans la robe, soit en train de tenir un objet (un
bâton ou ici un oiseau), pendant que l'autre est tendue vers l'avant, ce qui indique
qu'elles sont en train de chanter. De plus, outre le fait qu'elles se ressemblent
toutes physiquement (la ressemblance allant jusqu'à la couleur de cheveux
identique pour toutes les trobairitz), leur visage est rarement identifiable ; ici, il est
effacé.
Par ailleurs, bien que cette miniature ne soit ni insérée dans une initiale, ni
disposée sur un fond d'or, son lien avec l'enluminure italienne est indéniable :
autant par l'utilisation du noir en contour, qui fait ressortir la silhouette de la
trobairitz, que par l'utilisation de ce rouge vif pour la longue robe (ou
houppelande). Les vêtements qu'elle porte, autant la robe pourvue d'une traîne que
les chaussures qui présentent un bout pointu, donnent une indication de temps,
cette mode étant particulièrement utilisée au cours du XII e siècle jusqu'au début du
XIIIe siècle133. Or, nous estimons que la comtesse de Die a vécu vers la fin du XIIe
siècle. De plus, cette robe nous donne d'autres éléments importants : le premier
consiste en la couleur, le rouge étant une couleur très prisée à l'époque. 134 La
seconde information portée par cette robe est sa longueur qui nous indique
clairement que nous avons affaire à une dame de condition noble. En effet, les
femmes de conditions plus modestes ne portaient pas ce genre de tenue,
notamment à cause du coût (plus la couleur était intense plus elle coûtait cher)
mais aussi pour un côté pratique, les robes longues ne se prêtant pas aux
domestiques. Cependant, contrairement à l'obligation des femmes mariées d'avoir
la tête couverte, les trobairitz ne sont ici nullement représentées avec un voile ou
une coiffe précise. Dans cette représentation de la comtesse de Die, nous observons
néanmoins que ses cheveux sont attachés d'une certaine manière.
Pour finir cette analyse, nous voyons donc que nous avons affaire à une
dame de haute noblesse en train de parler ou de chanter. Or, nous ne pouvons pas
clairement identifier cette trobairitz de part sa seule représentation, puisque nous 133 MADOU Mireille, Le costume civil, dans La Typologie des sources du Moyen Âge occidental , fascicule 47,
GENICOT Léopold. (dir), Turnhout, éditions Brepols, 1986, p 23.134 JULLIAN Martine, op.cit., p 5.
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PARTIE 3 : Les trobairitz
avons besoin du texte qui l'accompagne pour pouvoir affirmer qu'il s'agit de la comtesse
de Die ; mais ce n'est pas tant ce que contient le texte que la position de celui-ci par
rapport à la miniature qui nous renseigne sur ce point.
Passons maintenant à une seconde étude de miniature de trobairitz qui pourra
peut-être nous éclairer un peu plus sur certains points.
Pour ce nouvel exemple de représentation de trobairitz, j'ai choisi une initiale,
tirée du folio 110v du ms K, dans laquelle est figurée Na Castelloza.
Cette fois-ci nous n'avons pas à faire à une miniature hors texte mais à une
initiale ornée d'un fond d'or et de couleurs vives qui ne sont pas sans rappeler le style
vénéto-padouan du XIIIe siècle que nous avons déjà évoqué en deuxième partie.
De plus, nous retrouvons une dame dans une longue robe rouge. Or, nous savons
que la façon de se vêtir à cette époque était définie de façon très stricte par les codes de
la société et par le rang social auxquels hommes et femmes appartenaient. Ainsi, les
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Illustration 13: Représentation de Na Castelloza, ms K f. 110v
vêtements représentés sur les miniatures peuvent nous en apprendre davantage sur
les trobairitz et sur leur appartenance sociale135. Michel Pastoureau, dans son
ouvrage de 1989, Couleurs, images, symboles, Études d'histoire et
d'anthropologie, va même plus loin en précisant que « chacun doit porter le
vêtement de son état et de son rang ». Cette longue robe à traîne et aux manches
bleues boutonnées nous donne donc de précieuses informations. En effet, ces
manches de couleurs différentes traduisent ici une mode vestimentaire que les
femmes d'un certain rang social du XIIIe siècle aimaient tout particulièrement : il
s'agit des manches interchangeables. Par ailleurs, les boutons, objets de luxe au
Moyen Âge, permettaient d'affiner la silhouette en ajustant le tissu. Il est vrai
qu'ici, elle ne porte pas de manteau de fourrure de vair (identifiable par l'alternance
du blanc et du gris) comme les autres trobairitz (seules 4 dames sur les 16 connues
n'en portent pas). Cette matière très coûteuse, en usage chez les grands seigneurs
depuis les Croisades, était également très prisée par les dames de haute naissance
et ce malgré les lois somptuaires qui leur interdisaient de porter des ornements trop
précieux, exception faite pour les dames de très haute lignée. 136Nonobstant la robe
et les boutons, un autre élément donne une indication quant à la qualité de la
dame : le ruban perlé disposé sur sa tête comme un diadème (ces perles se
retrouvent également comme élément de décoration sur l'initiale).
En somme nous sommes face à une noble dame, debout et légèrement
tournée de trois-quarts vers la droite. Dans cette attitude toute en retenue, une main
sur la taille cachée dans la fente de la robe, et l'autre ouverte et tendue vers l'avant,
que l'on pourrait identifier comme une « main qui parle », expression picturale de
la parole, et seul élément l'indiquant puisque la bouche de la dame est fermée, nous
pouvons voir le symbole de la mezura, la retenue, une des qualités de la dame
vantée par les troubadours dans la lyrique troubadouresque.
En dehors de cette comparaison, il y a toutefois un élément étrange qu'il
faut relever. Parmi les trobairitz qui nous sont parvenues, signe qu'elles étaient
tout de même connues voire même reconnues par les leurs et qu'elles ont pu avoir
une influence sur d'autres périodes, certaines d'entre elles ne sont par représentées.
Pourquoi a-t-on fait le choix de représenter plusieurs fois la même trobairitz,
comme la comtesse de Die pour laquelle nous possédons cinq représentations
135 Ibid., p 173.136 Ibid., p 5.
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PARTIE 3 : Les trobairitz
différentes, alors que nous n'avons aucune représentation d'Azalaïs d'Altier par
exemple ? Est-ce un problème de sources ? Les artistes n'avaient-ils pas assez
d'informations pour la représenter ? Ou bien ces sources ne nous sont-elles tout
simplement pas parvenues ? Était- ce un moyen de montrer l'ordre d'importance de ces
trobairitz ? Ou y a-t-il eu une erreur d'attribution dans les chansonniers ? Tant de
questions qui, pour la plupart restent actuellement sans réponse, faute de sources.
Cependant, ces illustrations de femmes font partie d'une part de l'iconographie de
la femme au cours de cette période du Moyen Âge que nous connaissons un peu mieux.
Il est vrai qu'en règle générale, pour cette période, nous retrouvons les représentations
de femmes surtout dans le domaine religieux de l'iconographie : que se soit en tant que
saintes dans l'hagiographie ou en tant qu'épouse de fondateurs ou de bienfaiteurs. 137
3.3.3 Comparaison avec les troubadours :
Contrairement aux troubadours, qui peuvent être représentés avec des instruments
de musique entre les mains, comme nous l'avons vu dans la seconde partie, les
trobairitz, elles, ne sont jamais montrées avec de tels objets. En effet, on ne connaît que
quelques postures peu variantes les unes des autres pour ces femmes compositrices. En
revanche, les troubadours, eux, sont représentés dans de nombreuses situations
différentes, que ce soit à cheval, en train de combattre contre un autre chevalier, ou en
train de lire ou de parler. Ils sont ainsi souvent représentés selon des caractéristiques qui
leur sont propres, parfois tirées de leurs vies. C'est le cas par exemple de Folquet de
Marseille, dont voici la miniature extraite du ms I au folio 61r.
137 FRUGONI Chiara, « L'iconographie de la femme au cours des X e et XIIe siècles », dans Cahiers de civilisation médiévale, 20e année (n°78-79), Avril-Septembre 1977, p177.BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 105 -Droits d’auteur réservés.
Folquet de Marseille (v 1160- 1231), d'abord commerçant à Marseille
comme son père, il devient très vite poète de cour, soutenu par Richard Cœur de
Lion ou Raimon V par exemple, pour ensuite se retirer du monde en entrant à
l'abbaye cistercienne du Thoronet. En 1201 il en devient l'abbé et en 1205, il est
nommé évêque de Toulouse. C'est sous cet habit d'évêque que nous le retrouvons
ici, dans cette initiale où les différents éléments de l'habit de l'évêque sont bien
reconnaissables. Folquet de Marseille porte une chasuble bleue (bien que
normalement violette pour les évêques), qui est un vêtement de forme ovale
ouverte sur les bras et qui s'enfile par la tête. Ce vêtement était généralement porté
lors des messes. Sur cette chasuble, il porte également un pallium, une sorte
d'écharpe décorée de six croix noires, bien qu'ici nous n'en voyons que quatre.
Pour finir, il porte une mitre, coiffure liturgique réservée aux hauts prélats de
l’Église Romaine138, néanmoins il ne tient pas de crosse mais un livre dans sa main
droite. De plus, sa soutane est de couleur rouge ce qui ne convient par à un évêque
mais à un cardinal. Ainsi même si l'enlumineur a voulu représenter un évêque de
façon vraisemblable, il n'en reste pas moins qu'il a commis quelques erreurs.
138Les vêtements liturgiques de l'évêque, <http://www.ipir.ulaval.ca/fiche.php?id=814> (consulté le 31/05/14) et d'après PIPONNIER Françoise et MANE Perrine, Se vêtir au Moyen Âge, Paris, éditions Adam Biro, 1995, p 190 et 193.BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 106 -Droits d’auteur réservés.
Illustration 14: représentation de Folquet de Marseille, ms I f. 61r
PARTIE 3 : Les trobairitz
Enfin, dans cette initiale, nous reconnaissons bien l'influence byzantine avec le fond
doré. Et cette compartimentation de l'initiale, ici l'initiale A, ainsi que l'emploi des
couleurs vives telles que le rouge et le bleu sont bien significatives du style vénéto-
padouan.
Si nous prenons un autre exemple, celui du roi d'Aragon notamment, nous
retrouvons également des éléments qui le distinguent des autres troubadours. En effet,
nous reconnaissons aisément une couronne ainsi que le blason du royaume d'Aragon et
de la Provence : « d'or à quatre pals de gueules », soit quatre bandes rouges verticales
disposées sur un fond or.
Cette miniature située au folio 108rb du ms I, nous conforte dans l'idée que toutes
les catégories sociales des troubadours étaient représentées, les jongleurs vagabonds
autant que les rois. Ainsi, nous avons la preuve qu' Alphonse II (1152-1196), d'abord
comte de Barcelone (en 1162) puis roi d'Aragon (1164), fut non seulement un protecteur
des troubadours mais aussi un poète lui-même.
Par ailleurs, mis à part cette signalisation par l'habillement (la cotte de maille, le
heaume) ainsi que par les armoiries, rien ne le distingue des autres troubadours dans la
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Illustration 15: représentation du roi d'Aragon, ms I f. 108rb
forme de la miniature. Nous retrouvons toujours cette initiale compartimentée et
les couleurs vives qui l'inscrivent bien dans le style vénéto-padouan du XIII e
siècle. Enfin, pour en finir avec cette analyse, le cheval qu'il monte, également aux
couleurs de son royaume, est le seul élément qui donne une impression de
mouvement dans la miniature. Et bien que ce ne soit pas très réaliste, nous voyons
bien que l'artiste qui a réalisé ce « portrait » s'ancre dans les recherches de son
temps.
Ainsi, toutes ces comparaisons iconographiques et textuelles nous
permettent de conclure que les trobairitz, bien que peu nombreuses, ont tout de
même eu une grande importance à leur époque, importance qui a conduit les
compilateurs et les enlumineurs à les introduire et à les sauvegarder dans les
chansonniers provençaux. Notons aussi que, bien qu'étant toutes représentées de la
même manière, elles n'en sont pas plus dévalorisées face aux troubadours. En effet,
elles gardent la même mise en page que ces derniers, tant au niveau du texte qu'au
niveau des images. En revanche, elles sont, à la différence des troubadours, toutes
représentées sous les traits d'une dame de haut lignage.
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CONCLUSION
En conclusion, bien que nous commencions à en savoir d'avantage sur les
trobairitz, il n'en existe pas moins une part d'ombre qu'il est difficile d'éclairer. En
effet, de part leur nombre minimal par rapport à celui des troubadours et de part les
identifications peu fiables des compilateurs, les trobairitz, bien que l'on ait
aujourd'hui attesté leur existence, n'en sont pas moins méconnues. Néanmoins, il
est incontestable qu'elles ont joué de leur temps un rôle important dans la
« littérature » médiévale et plus particulièrement dans la lyrique troubadouresque,
ainsi que dans la société de leur temps. En effet, ces femmes de haute noblesse,
bien qu'exceptionnelles, pouvaient parfois défendre l’Église et donner leur avis à
travers leurs textes, comme ce fut le cas de Gormonde de Montpellier dans son
sirventès, mais aussi protéger leurs semblables par leur mécénat et leur rang dans
la société.
Aujourd'hui, nous rencontrons encore des « trobairitz », des poétesses du
Sud de la France, reprenant parfois des pièces de leurs prédécesseurs ou composant
elles-mêmes de nouvelles pièces. Néanmoins, elles restent moins connues et
n'attirent autour d'elles qu' un public averti.
De plus, ces femmes auteures étaient aussi compositrices. Et bien qu'une
seule mélodie nous soit parvenue, leurs miniatures nous permettent de dire qu'elles
transmettaient leurs œuvres non pas par l'écrit, comme l'ont fait les compilateurs à
travers les chansonniers provençaux, mais à l'oral, en chantant ; puisque leurs
poèmes n'étaient pas faits pour être lus mais pour être chantés, comme l'attestent
les mélodies. Ce qui, dans un sens montre leur lien avec la musique, bien qu'elles
ne soient jamais représentées tenant des instruments de musique, comme des
jongleuses ou comme les troubadours qui pouvaient parfois être également des
jongleurs.
C'est notamment pour cela que j'ai fait le choix ici de ne pas parler des
jongleuses, ou de ne les évoquer que très brièvement. En effet, ces dernières, qui
contrairement aux trobairitz, étaient très nombreuses au XIIIe siècle, n'avaient pas
le même statut, et n'appartenaient pas à la même classe sociale que les trobairitz.
De plus, ces jongleresses n'étaient qu'interprètes des femmes troubadours et de
leurs chants ; pour cette raison, elles n'étaient pas représentées dans les
chansonniers provençaux qui mettaient en avant les auteurs et les compositeurs. Et BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 109 -Droits d’auteur réservés.
même si nous possédons beaucoup de leurs représentations, nous n'avons
cependant que peu d’éléments sur elles.
Il est vrai que ce sujet pourrait être potentiellement interminable tant il reste
d'informations à découvrir. Cependant, il faut pour cela pouvoir se déplacer et aller
voir les différents chansonniers ou fragments directement sur place afin de pouvoir
mieux les examiner et les collationner, ce que je n'ai malheureusement pas pu
faire. En outre, une bonne partie de ces manuscrits étant numérisés (principalement
les manuscrits conservés à la BnF), il n'est pour ainsi dire plus possible de les
consulter directement.
À présent, reste à continuer les études menées sur les trobairitz pour pouvoir
les cerner un peu plus chaque fois. Ainsi, il serait intéressant de se pencher sur
l'hypothèse de Martine Jullian sur le bâton fleurdelisé tenu par les trobairitz et plus
encore sur la représentation des femmes tenant ce genre d'objet dans le Liber
astrologiae.
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Sources
Sources manuscrites :Bibliothèque nationale de France :
manuscrit, Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 844 (manuscrit W dit manuscrit du roi)
manuscrit, Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 854 (manuscrit I)
manuscrit, Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 856 (manuscrit C)
manuscrit, Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 1592 (manuscrit B)
manuscrit, Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 1749 (manuscrit E)
manuscrit, Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 12472 (manuscrit f)
manuscrit, Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 12473 (manuscrit K)
manuscrit, Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 12474 (manuscrit M)
manuscrit, Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 15211 (manuscrit T)
manuscrit, Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 20050 (manuscrit X dit manuscrit de Saint-Germain-des-Prés)
manuscrit, Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 22543 (Chansonnier La Vallière ou chansonnier d'Urfé ou encore manuscrit R)
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Bibliographie
Outils de travail :
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Travaux :
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Ménestrel :<http://www.menestrel.fr/> (consulté le 18/11/13)
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Les vêtements liturgiques que l'évêque :<http://www.ipir.ulaval.ca/fiche.php?id=814> (consulté le 31/05/14)
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Discographie
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Table des annexes
ANNEXE 1 LISTE DES CHANSONNIERS MÉDIÉVAUX..............................122
ANNEXE 2 MS FR. 12472, FOLIO 15...................................................................126
LES TROBAIRITZ AUTONOMES : TEXTES ET IMAGES...........................127
ANNEXE 3 AZALAÏS D'ALTIER.........................................................................127
ANNEXE 4 AZALAÏS DE PORCAIRAGUES.....................................................132
ANNEXE 5 NA BIEIRIS DE ROMANS................................................................137
ANNEXE 6 NA CASTELLOZA..............................................................................139
ANNEXE 7 CLARA D'ANDUZE............................................................................154
ANNEXE 8 LA COMTESSE DE DIE....................................................................156
ANNEXE 9 GORMONDE DE MONTPELLIER.................................................167
ANNEXE 10 NA TIBORS DE SARENOM...........................................................174
LES TROBAIRITZ DANS LES CHANSONS DIALOGUÉES.........................176
ANNEXE 11 N'ALAISINA,YSELDA ET NA CARENZA.................................176
ANNEXE 12 ALAMANDA ET GUIRAUT DE BORNELH..............................178
ANNEXE 13 ALMUC DE CASTELOU ET ISEUT DE CAPION....................182
ANNEXE 14 COMTESSE DE PROENSA ET GUI DE CAVALHON.............184
ANNEXE 15 LA DOMNA H ET ROFIN...............................................................185
ANNEXE 16 GUILHELMA DE ROSERS ET LANFRANC CIGALA............188
ANNEXE 17 ISABÈLA.............................................................................................191
ANNEXE 18 NA LOMBARDA...............................................................................194
ANNEXE 19 MARIA DE VENTARDORN...........................................................197
ANNEXE 20 LES ANONYMES :...........................................................................200
ANNEXE 21 QUELQUES TEXTES SUPPLÉMENTAIRES............................202
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ANNEXE 1 LISTE DES CHANSONNIERS MÉDIÉVAUX
Biblioteca Ambrosiana :
manuscrit, Milan, Biblioteca Ambrosiana, R 71 (manuscrit G)
Biblioteca Apostolica Vaticana :
manuscrit, Città del Vaticano, Biblioteca Apostolica Vaticana, Chigi. L. IV. 106
(manuscrit F)
manuscrit, Città del Vaticano, Biblioteca Apostolica Vaticana, vat. lat. 5232
(manuscrit A)
manuscrit, Città del Vaticano, Biblioteca Apostolica Vaticana, vat. lat. 3027
(manuscrit H)
manuscrit, Città del Vaticano, Biblioteca Apostolica Vaticana, vat. lat. 3206
(manuscrit L)
manuscrit, Città del Vaticano, Biblioteca Apostolica Vaticana, vat. lat. 3208
(manuscrit O)
Bibliothèque de l'Académie :
manuscrit, Aix, bibliothèque de l'académie, manuscrit q.
Biblioteca de Catalunya y central :
manuscrit, Barcelona, Biblioteca de Catalunya y central, 146 (manuscrit Sg, ou Z
dans la réattribution des sigles de Zufferey)
manuscrit, Barcelona, Biblioteca de Catalunya y central, 7y8 (manuscrit Veag)
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Table des annexes
Biblioteca Medicea Laurenziana :
manuscrit, Firenze, Biblioteca Medicea Laurenziana, XLI. Cod. 42 (manuscrit P)
manuscrit, Firenze, Biblioteca Medicea Laurenziana, XLI. Cod. 43 (manuscrit U)
manuscrit, Firenze, Biblioteca Medicea Laurenziana, XC inf. 26 (manuscrit c)
Bibliothèque municipal de Perpignan :
manuscrit, Perpignan, Bibliothèque municipale, 128 (manuscrit p)
Biblioteca Nazionale Centrale :
manuscrit, Firenze, Biblioteca Nazionale Centrale, F. IV. 776, (manuscrit J)
Biblioteca Nazionale Estense :
manuscrit, Modène, Biblioteca Nazionale Estense, R. 4.4 (manuscrit D)
Bibliothèque nationale de France :
manuscrit, Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 844 (manuscrit W dit manuscrit
du roi) : auteur Lambert l'Aveugle, vers 1201-1300.
manuscrit, Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 854 (manuscrit I)
manuscrit, Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 856 (manuscrit C)
manuscrit, Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 1592 (manuscrit B)
manuscrit, Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 1749 (manuscrit E)
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manuscrit, Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 12472 (manuscrit f)
manuscrit, Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 12473 (manuscrit K)
manuscrit, Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 12474 (manuscrit M)
manuscrit, Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 15211 (manuscrit T)
manuscrit, Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 20050 (manuscrit X dit
manuscrit de Saint-Germain-des-Prés)
manuscrit, Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 22543 (Chansonnier La
Vallière ou chansonnier d'Urfé ou encore manuscrit R)
Biblioteca Nazionale Marciana :
manuscrit, Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, fr. App. cod. XI (manuscrit V)
Biblioteca Riccardiana :
manuscrit, Firenze, Biblioteca Riccardiana, 2909 (manuscrit Q)
Bobleian Library :
manuscrit, Oxford, Bobleian Library, Douce 269 (manuscrit S)
Pierpont Morgan Library :
manuscrit, New York, Pierpont Morgan Library, 819 (manuscrit N)
BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 124 -Droits d’auteur réservés.
Table des annexes
Staatsbibliothek :
manuscrit, Berlin, Staatsbibliothek, Philipps 1910 (manuscrit d dans la réattribution des
sigles de Zufferey)139
139Pour établir cette liste, je me suis basée sur l'ouvrage de VAN VELCK Amelia, Memory and re-creation in troubadour lyric, Berkeley, éditions University of California Press, 1991.BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 125 -Droits d’auteur réservés.
ANNEXE 2 MS FR. 12472, FOLIO 15140
140 Cette image est tirée du ms fr 12472 (f.15) disponible sur le site de la BnF (Gallica).BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 126 -Droits d’auteur réservés.
Table des annexes
LES TROBAIRITZ AUTONOMES : TEXTES ET IMAGES
Les traductions sur lesquelles je me suis appuyées sont celles de Pierre Bec, dans
son ouvrage, Chants d'amour des femmes troubadours, Trobairitz et « chansons de
femme », ainsi que celles de Danielle Régnier-Bohler, Voix de femmes au Moyen Âge,
Savoir, mystique, poésie, amour, sorcellerie, XIIe – XVe siècle.
Les illustrations sont quant elles tirées des manuscrits I et K, conservés à la BnF
et disponibles en version numérique sur Gallica, ainsi que des manuscrits A et H, dont
les miniatures ont été utilisées dans l'ouvrage de Jean-Loup Lemaître et Françoise
VIELLIARD, Portraits de troubadours, Initiales du chansonnier provençal A
(Biblioteca apostolica vaticana, Vat. Lat. 5232).
ANNEXE 3 AZALAÏS D'ALTIER
SALUT D'AMOUR :
Tantz salutz e tantas amors, Tant de saluts et tant d'amours,
E tantz bens e tantas onors, Tant de biens et tant d'honneurs,
E tantas finas amistatz Tant de fines amitiés
E tantz gaugs com vos volrïatz, Et autant de joie que vous le voudrez,
E tant ris e tant d'alegrièr Tant de rires et tant d'allégresse
Vos tramet Azalais d'Altier Vous envoie dame Azalaïs d'Altier,
A vos, Dòmna, cui ilh volria À vous, Dame, qu'elle voudrait
Mais vezer que ren qu'el mon sia ; voir plus que personne au monde !
Que tant n'ai auzit de ben dire Car j'ai entendu dire de vous tant de bien
A celh que'us es òm e servire, Par celui qui est votre homme lige et
Que per lo ben que me n'a dich votre serviteur
Ai tant inz en mon còr escrich Que, pour le bien qu'il m'en a dit,
Vòstre semblant, que si'us vezia, J'ai gravé dans mon cœur
Entre mil vos conoisseria ; Votre visage : à tel point que si je vous
E dic vos ben aitan en ver voyais,entre mille je vous reconnaîtrais.
Quez anc dòmna, senes vezer, Et je vous assure en vérité
Non amèi tan d'amor coral ; Que jamais je n'ai aimé si cordialement
E dic vos ben, si Deus mi sal, une dame sans l'avoir vue ;
Quez el mon non es nulas res Et vous affirme, avec l'aide de Dieu,
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Qu'eu pensès quez a vos plagués Qu'il n'est au monde nulle chose,
Quez eu non fezé volentièra, Dont je pense qu'elle pourrait vous plaire,
Senes mant e senes priguièra. Que je ne fasse volontiers
Ez ai, Dòmna, tròp gran desire Sans commandements ni prière.
Quez eu vos vis, e'us pogués dire Et j'ai, Dame, un trop grand désir
Tot mon còr e tot mon voler de vous voir et de pouvoir vous faire part
E pogués lo vòstre saber. De mon cœur et de ma volonté.
Aras, Dòmna, es enaissí : Maintenant, Dame, voici ce dont il
L'autre jorn se'n venc çai a mi s'agit :L'autre jour vint me voir ici
Lo vòstr' amics tristz e marritz, Votre ami, triste et dolent,
Com òm encauçatz e faiditz ; Tel un homme évincé et banni.
E dis mi qu'en ditz ez en faitz Il me dit qu'il avait commis envers
Es vas vos mesprés e forfaitz, vous, en paroles et en actions,
Segon, Dòmna, que vos dizés ; faute et forfait,]
Qu'el non cuidèra qu'el dissés, Selon ce que vous, Dame, avez
Ni qu'elh, a nulh jorn de sa vida prétendu.]
Fazés vas vos nulha falhida, Mais moi, je ne saurais croire qu'il
Mas que vos am'e'us obezís ait pu dire]
Mais que nulha ren qu'elh anc vis. Ou faire, un seul jour de sa vie,
Pero, Dòmna, si vos cuidatz Quelque faute à votre encontre.
Qu'eu n'aja mais, ben es vertatz Je crois au contraire qu'il vous
Que vos avètz ben tan de sen, aime et vous ]
De valor e d'ensenhamen, Obéit plus qu'à nulle autre qu'il ait
Que si, lo tòrtz granz non i fos, pu voir. ]
Ja no'lh trobaràs ocaisós Pourtant, Dame, si vous croyez
Per que'l fezés de vos partir, Que j'en aie davantage, cela est
Ni aissí desirant languir ; bien vrai:]
Ni non podètz ges per raizon Car vous avez tant de sagesse,
Azirar lui per l'ucaison, De valeur et de bonne éducation,
Qu'eu sai, ez elh e vos sabètz, Que, s'il n'y avait pas grand tort
Pero, s'aucire lo volètz, de sa part,]
Vòstra èr la perda e'l danz ; vous n'auriez jamais trouvé de raison
E pòis per totz los fins amanz De l'éloigner de vous
Deuretz en èsser mens prezasa Et de le laisser ainsi languir de désir.
Per totz temps, ez uchaisonada. Et vous ne pouvez point selon raison
Ez aquil que non o sabràn Le haïr pour le motif
Cuidaràn si que per talan Que je sais et que vous et lui savez.
Qu'autrui amar vos l'aziretz Mais si vous voulez le tuer,BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 128 -Droits d’auteur réservés.
Table des annexes
E de vos amar lo lungetz, vôtres seront la perte et le dommage ;
Ez intraretz in fòla bruda, Et vous en serez par la suite moins estimée
Si ètz per canjairitz tenguda ; de tous les fins amants
Qu'esquern fai de si mal retraire Et pour toujours accusée.
Brizeida, car ilh fo canjaire
Sos còrs, car laissèt Troïlus Et ceux qui n'en sauront rien penseront
Per amar lo filh Tideus. Que c'est par désir d'en aimer un autre
Autressí'us èr en mal retrach que vous êtes fâchée contre lui
Si'us partetz de lui sens forfach. Et l'avez éloigné de votre amour.
Que'us vòl e desira e'us ama Et vous serez la victime de bavardages
Tant qu'en morent n'art e n'aflama ; insensés]
E s'autra dòmna l'agues mòrt Si vous êtes tenue pour une femme volage.
En cuidèra que molt gran tòrt Car la raillerie a fait mal parler
Vos agués fait, si m'ajut Dieus, De Brizéidis lorsque
Car el es mielhs vòstre que sieus. Son cœur volage lui fit laisser Troïlus
E s'el, Dòmna, per sobramar, Pour aimer le fils de Tydée.
Vos fetz de ren vòstre pessar De la même manière
Amors o fetz, e non gens elh ; Vous subirez le reproche si vous le
Per quez eu conosc ben quez elh quittez sans ]
Non deu perdre vòstra paria, qu'il soit coupable :
Ni l'amor que de vos avia. Car il vous veut, vous désire et vous aime
Ni nula dòmna non es bona À un point tel qu'en mourant il brûle et
Pòis qu'estrà ni tòl çò que dona. s'enflamme !
Eras, com qu'el sia estat, Et si une autre dame eût été cause de sa
O per la vòstra volontat, mort,]
O per lo tòrt que'us a agut, Je pense qu'elle aurait commis envers
Ve'l vos aissí mòrt e vencut ; vous un]
Quez el non dòrm ni non repausa, très grand tort, par la grâce de Dieu,
Ni el mon non es nula causa, Car il est plus vôtre que sien.
Que ja'l puesca donar conòrt, Et si lui, par excès d'amour, fut cause
Si doncs ab vos non tròb' acòrt. De votre peine en quoi que ce soit,
Per qu'eu vos prèc, per gran mercé, c'est Amour qui le fit et non pas lui !
Que vos, tot per amor de me, Car je sais bien
Li perdonetz e'l finiscatz Qu'il ne doit pas perdre votre amitié
Los tòrtz, dont vos l'ucasonatz ; Ni l'amour que vous lui accordiez.
Ez eu fatz vos per lui fiança, Et nulle dame n'agit bien
Que ja en ditz ni semblança. Lorsqu'elle enlève et retire ce qu'elle
Non faça nul temps ni non diga donne.]BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 129 -Droits d’auteur réservés.
Ren per qu'el sïatz enemiga. Car désormais, quoi qu'il en ait été,
E no'l sïatz oimais avara, Ou de par votre volonté
Anz li sïatz fina e clara, Ou par le tort qu'il a eu envers vous,
Que'l noms ni'l semblanz no'us desmenta. Le voici mort et vaincu.
E prèc Amor que'us o consenta, Il ne dort ni ne repose
Bona Dòmna. Et il n'est rien au monde
Qui puisse désormais lui donner
réconfort,]
S'il ne retrouve auprès de vous la
concorde.]
Je vous prie donc, par grande merci,
Au non de l'amitié que vous me
portez,]
De lui pardonner et d'en finir avec
Les torts dont vous l'accusez.
Et moi, je vous garantis en son nom
Que désormais, ni par ses paroles
ni par son attitude,]
Il ne vous fera ni ne vous dira
jamais rien]
Qui puisse justifier votre inimitié.
Ne lui soyez donc plus hostile,
dorénavant, ]
Mais soyez pour lui fine et claire,
Pour que ni votre nom ni votre
visage ne le démente
Et je prie Amour qu'il vous
l'accorde, Noble Dame141.
141 Traduction de Pierre BEC, dans Chants d'amour des femmes-troubadours, op.cit.,p 190 à 192.BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 130 -Droits d’auteur réservés.
Table des annexes
ANNEXE 4 AZALAÏS DE PORCAIRAGUES
folio 140b ms I initiale
BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 131 -Droits d’auteur réservés.
folio 125vb ms K, initiale
BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 132 -Droits d’auteur réservés.
Table des annexes
Ar em al freg temps vengut Nous voici parvenus à la froidure
Ar em al freg temps vengut Nous voici parvenus à la froidure,
Que'l gèls e'l nèus e la fanha qui est gel, neige et boue,
E l'aucelet estàn mut les oisillons restent muets,
Qu'uns de chantar non s'afranha ; à chanter aucun n'incline.
E son sec li ram pels plais, Les branches sont sèches dans les haies,
Que flors ni fòlha no'i nais ni fleur ni feuille n'y éclôt
Ni rossinhòls non i crida ni rossignol n'y chante,
Que lai en mai me reissida. lui que j'aime lorsqu'en mai il m'éveille.
Tant ai lo còr deceubut J'ai le cœur si désabusé
Per qu'eu soi a totz estranha, qu'à tous je suis étrangère ;
E sai que l'òm a perdut je sais que l'on perd
Molt plus tòst que non gazanha ; beaucoup plus vite qu'on ne gagne.
E s'ieu falh ab motz verais, Si je donne le change avec des mots
D'Aurenga me mòc l'esglais, sincères,]
Per que m'estauc esbaïda, c'est que d'Orange me vint la douleur
E'n pèrt soltaz en partida. qui me laissa consternée :
j'en perds en partie la joie.
Dòmna met molt mal s'amor Une dame place très mal son amour
Que ab ric òme plaideja, en plaidant contre un homme de haut
Ab plus aut de vavassor, parage,]
E s'ilh o fai, ilh foleja : de meilleure noblesse qu'un vavasseur,
Car çò ditz òm en Velai et, en agissant ainsi, elle commet une folie.
Que ges per ricor non vai, On dit en Velay
E dòmna que n'es chausida que l'amour ne s'accommode pas de
En tenc per envilanida. L'orgueil,]
et je tiens pour déshonorée
la dame qui se distingue de cette manière.
Amic ai de gran valor Je possède un ami de grand mérite
Que sobre totz senhoreja, qui surpasse tout le monde en
E non a còr trichador noblesse ;]BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 133 -Droits d’auteur réservés.
Vas me, que s'amor m'autreja. ne me montre pas un cœur infidèle
Eu dic que m'amors l'eschai, celui qui m'accorde son amour.
E cel que ditz que non fai, J'affirme que mon amour lui revient,
Dieus li don mal' escarida, à qui prétend le contraire
Qu'eu me'n tenh fòrt per guerida que Dieu donne mauvaise fortune,
car je me sens fort bien protégée.
Bèls amics, de bon talan Bel ami, bien volontiers
Som ab vos totz jornz en gatge, je me suis engagée avec vous pour
Cortes' e de bèl semblan, toujours,
Sol no'm demandetz outratge ; courtoise et de belles manières,
Tòst en venrem a l'assai : à condition que vous ne me réclamiez
Qu'en vòstre mercé'm metrai ; rien de déshonorant.
Vos m'avètz la fe plevida Nous en arriverons bientôt à l'essai
Que no'm demandetz falhida. où je me mettrai à votre merci ;
vous m'avez fait la promesse que
vous ne me demanderez pas de
faillir [à l'honneur].
A Dieu coman Belesgar À Dieu je recommande Beau-Regard
E plus la ciutat d'Aurenja et plus encore la cité d'Orange,
E Glorïet' e'l Caslar et la Gloriette et le château,
E lo senhor de Proença, et le seigneur de Provence,
E tot quant vòl mon ben lai et tous ceux qui là-bas veulent
E l'arc on son fasch l'assai ; mon bien,]
Celui perdièi qu'a ma vida et l'arc où sont représentés les
E'n serai totz jorns marrida. Exploits.]
J'ai perdu celui qui détient ma vie,
j'en resterai à jamais affligée.
Joglars que avètz còr gai, Jongleur, vous qui avez le cœur
gai,
Ves Narbona portatz lai du côté de Narbonne, portez là-
bas
BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 134 -Droits d’auteur réservés.
Table des annexes
Ma chançon ab la fenida ma chanson avec sa chute
Lei cui Jòis e Jovenz guida. à celle à qui Joie et Jeunesse servent de
guides142.
142 Traduction de Danielle RÉGNIER-BOHLER, dans Voix de femmes au Moyen Âge, op.cit., p 15 à 17.BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 135 -Droits d’auteur réservés.
ANNEXE 5 NA BIEIRIS DE ROMANS
Na Maria, prètz e fina valors Dame Marie, mérite et fine qualité
Na Maria, prètz e fina valors, Dame Marie, mérite et fine qualité,
E'l jòi e.l sen e la fina beutatz, joie, esprit et délicate beauté,
E l'aculhir e'l prètz e las onors, accueil, noblesse et déférence,
E'l gent parlar e l'avinent solatz, aimable conversation et agréable
E la dous cara, la gaia cuendança, compagnie,]
E'l dous esgart e l'amorós semblan, doux visage et mines enjouées
Que son en vos, don non avètz egança, tendre regard et airs amoureux,
Me fan traire vas vos ses còr truan. résident en vous, qui n'avez pas
d'égale,]
et m'attirent vers vous le cœur
dépourvu de tromperie.
Per ço vos prèc, si'us platz, que Fin' Amors Aussi je vous prie, s'il vous agrée,
E gauziment e dous umilitatz que ce pur amour,
Me puòsca far ab vos tant de secors cette allégresse, cette tendre humilité
Que mi donetz, bèla Dòmna, si'us platz, puissent me faire obtenir de vous
Çò dont plus ai d'aver jòi esperança ; le secours]
Car en vos ai mon còr e mon talan de bénéficier, belle dame, s'il vous
E per vos ai tot çò qu'ai d'alegrança, plaît,]
E per vos vauc mantas vetz sospiran. de ce dont j'espère le plus avoir
joie et espérance.
En vous j'ai déposé mon cœur et
mon désir,]
par vous j'obtiens tout ce que je possède d'allégresse, à cause de vous
je chemine souvent en soupirant.
E car beutatz e valors vos enança Beauté et mérite vous élèvent en
honneur
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Table des annexes
Sobre totas, qu'una no'us es denan, au-dessus de toutes, si bien qu'aucune
Vos prèc, si'us platz, per çò que'us es onrança, ne vous dépasse;
Que non ametz entendidor truan. je vous prie, s'il vous plaît, sur ce qui
vous fait honneur,
de ne pas aimer un soupirant félon.
Béla dòmna, cui Prèts e Jòis enança, Belle dame, en qui mérite, joie et doux
E gent parlar, a vos mas coblas man, parler se bonifient
Car en vos es gaess' e alegrança je vous adresse mes strophes
E tot lo ben qu'òm en dòmna deman. car en vous résident joie et allégresse
et tout ce qu'on demande à une dame.143
143 Traduction de Danielle RÉGNIER-BOHLER, Ibid., p 31.BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 137 -Droits d’auteur réservés.
ANNEXE 6 NA CASTELLOZA
folio 168vb ms A initiale
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Table des annexes
folio 125 ms I, initiale
BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 139 -Droits d’auteur réservés.
folio 110v ms K, initiale
BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 140 -Droits d’auteur réservés.
Table des annexes
Amics, s'ie'us trobès avinen Ami, si je vous avais trouvé avenant,
Amics, s'ie'us trobès avinen, Ami, si je vous avais trouvé avenant,
Umil e franc e de bona mercé, humble, noble et enclin à la pitié,
Be'us amèra – quand èra me'n sové je vous aurais aimé. Maintenant que les
Que'us tròp vas mi mal e felon e tric souvenirs me reviennent, ]
E fauc chançons per tal qu'eu faç' auzir je vous trouve à mon égard méchant,
Vòstre bon prètz : dont eu no'm puòsc sofrir félon et tricheur,]
Que no'us faça lauzar a tota gen, mais je compose des chansons afin de
On plus mi faitz mal adiramen. faire entendre]
votre mérite. Aussi, plus vous me
causez de mal et de peine,]
moins je puis m'abstenirde vous attirer des louanges de tout le monde.
Jamais no'us tenrai per valen, Jamais je ne vous tiendrai pour un
Ni'us amarai de bon còr e de fe homme de valeur,]
Tro que veirai si ja'm valria be ni ne vous aimerai sincèrement et sans
Si'us mostrava còr felon ni enic ; réticence,]
Non farai ja, car no vuòlh puscatz dir jusqu'à ce que je perçoive si je tirerais
Qu'ieu anc vas vos agués còr de falhir, quelque profit]
Qu'auriatz pòis qualque razonamen à vous montrer un cœur félon et hostile.
S'ieu fazia vas vos nulh falhimen. Je ne le ferai point ! Je refuse que vous
puissiez dire ]
que j'ai jamais éprouvé le désir de vous
manquer ;]
vous pourriez ensuite trouver là
quelque excuse]
si je commettais à votre endroit la
moindre faute.]
Eu sai ben qu'a mi estai gen, J'ai parfaitement conscience qu'il
Si be's dison tuch que mout descové m'est agréable,]
Que dòmna prei a cavalièr de se même si tout le monde dit que
Ni que'l tenha totz temps tan lonc prezic ; c'est très inconvenant,]BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 141 -Droits d’auteur réservés.
Mas cel qu'o ditz non sap ges ben gauzir qu'une dame courtise
Qu'ieu vuòlh proar enans que'm lais morir spontanément un chevalier]
Qu'el prejar ai un gran revenimen et qu'elle lui adresse constamment
Quan prèc celui dont ai grèu pessamen. de si longs discours.]
Mais qui tient un tel propos
manque de jugement :]
je veux prouver, avant de me
laisser mourir,]
que la prière amoureuse
m'apporte un grand réconfort,]
lorsque je l'adresse à celui d'où
vient mon tourment.
Assatz es fòls qui me'n repren Complètement fou est celui qui
De vos amar, pòis tan gen mi convé, me blâme]
E cel qu'o ditz non sap cum s'es de me, de vous aimer puisque cela m'enchante
Ni no'us vei ges aras si cum vos vic, - qui le fait ignore tout de moi –
Quan me dissetz que non agués cossir et je ne vous vois pas aujourd'hui
Que qualqu'ora poiri' endevenir, comme je vous vis,]
Que n'auria enquèras gauzimen : à l'époque où vous m'invitiez à ne
De sol lo dich n'ai eu lo còr gauzen. pas me tourmenter ;]
un jour il se pourrait
que j'en éprouve encore de la joie.
L'énoncer suffit à me réjouir le cœur.
Tot' autra amor tenh a nïen, Je méprise tout autre amour.
E sapchatz ben que mais jòis no'm sosté Sachez bien que jamais joie ne me
Mas lo vòstre que m'alegr' e'm revé, secourt,]
On mais en sent d'afan e de destric ; sauf celle qui me vient de vous,
E'm cug adès alegrar e gauzir me rend allègre et me redonne
vie,]
De vos, Amics, qu'ieu no'm puòsc convertir, au moment où je ressens le plus de
Ni jòi non ai, ni socors non aten, peine et de tourment.]
Mas sol aitant quan n'aurai en dormen. Je pense continuer à tirer joie et
plaisirBRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 142 -Droits d’auteur réservés.
Table des annexes
de vous, ami, car je ne puis changer ;
je n'éprouve aucune joie ni n'espère de
secours,]
sauf ceux que m'apportera le sommeil.
Oimais non sai que'us mi presen Désormais, j'ignore si vous faites encore
Que cercat ai et ab mal et ab be partie de ma vie ; ]
Vòstre dur còr don lo mieus no'is recré, j'ai recherché, tant bien que mal,
Qu'enòja-me si no'm volètz gauzir votre cœur endurci que le mien
De qualque, e si'm laissatz morir n'abandonne pas. ]
Faretz pechat, e serai n'en tormen Je ne vous le fais pas dire mais vous
E seretz ne blasmatz vilanamen. l'avoue moi-même :]
la souffrance m'étreint si vous me
refusez la jouissance]de quelque joie. Et si vous me laissez mourir
vous pécherez : je connaîtrai [l'infernal]
tourment]
et vous l'opprobre et l'avilissement144.
144 Traduction de Danielle RÉGNIER-BOHLER, Ibid., p 17 à 19BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 143 -Droits d’auteur réservés.
Ja de chantar non degr' aver talan Jamais [plus] je ne devrais
éprouver le désir de chanter,
Ja de chantar non degr' aver talan Jamais [plus] je ne devrais
Car on mais chan éprouver le désir de chanter, ]
E pieitz me vai d'amor, car plus je chante
Que planh e plor moins l'amour me récompense ;
Fan en mi lor estatge ; plaintes et pleurs
Car en mala mercé font en moi long séjour.
Ai mes mon còr e me, En mal merci
E s'en brèu no'm reté, j'ai mis mon cœur et ma personne
Tròp ai fach lonc badatge. et si rapidement il ne me retient
pas [comme amie]]
j'aurais perdu trop de temps.
Ai ! Bèls Amics, sivals un bèl semblan Ah ! Bel ami, accordez-moi au moins
Mi faitz enan un beau sourire avant
Qu'ieu mòira de dolor, que je ne meure de douleur.
Que l'amador Les amants
Vos tenon per salvatge, vous déclarent farouche ;
Car jòia non m'avé jamais joie ne me vient
De vos, don no'm recré de vous, que je ne cesse
D'amar per bona fe d'aimer sincèrement,
Totz temps, ses còr volatge. avec constance, le cœur fidèle.
Mas ja vas vos non aurai còr truan Mais jamais je ne vous montrerai
Ni plen d'engan, un cœur félon]
Si tot vos n'ai pejor, et plein de perfidie,
Qu'a grand onor même si je n'obtiens de vous que
M'o tenh en mon coratge ; le pire ;]
Anz pens quand mi sové je tiens [cet amour] en mon for
intérieur
Del ric prètz que'us manté, comme grand honneur.
BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 144 -Droits d’auteur réservés.
Table des annexes
E sai ben que'us cové À l'inverse, je suis pensive lorsque je
Dòmna d'auçor paratge. me souviens]
de quel haut mérite vous êtes,
et je sais bien que vous sied
dame de plus haute noblesse.
Despòis vos vi, fui al vòstre coman, Dès l'instant où je vous vis, je fus en
Et anc per tan, votre pouvoir,]
Amics, no'us n'aic melhor ; et pour autant,
Que prejador ami, je n'obtins rien de plus.
No'm mandetz ni messatge : Vous ne m'avez envoyé personne pour
Que ja'm viretz lo fre, me supplier [en votre nom]]
Amics, no'n façatz re ! ou pour m'annoncer
Car jòis non mi sosté, que vous aviez déjà tourné le frein [de
A pauc de dòl non ratge. votre cheval] vers moi.]
Ami, n'en faites rien !
Puisque la joie ne me soutient pas,
peu s'en faut que je n'enrage de douleur.
Si pro i agués, be'us membrèr' en chantan Si j'en tirais quelque profit, je vous
Qu'aic vòstre gan rappellerais par mon chant]
Qu'emblièi ab gran temor ; que j'eus en ma possession votre gant
Puois aic paor dérobé avec effroi ;
Que i aguessetz damnatge puis j'ai craint
D'aicela que'us reté, que vous ne subissiez quelque dommage
Amics, per qu'ieu dessé auprès de celle dont l'amour vous retient,
Lo tornèi, car be cre ami, aussi, immédiatement,
Qu'eu non ai poderatge. je vous le rendis, car je suis sûre
que je n'ai nul pouvoir [de le garder].
Dels cavalièrs conosc que i fan lor dan, Je connais des chevaliers qui font
Car ja prejan leur malheur]
Dòmnas plus qu'elas lor, en priant d'amour
Qu'autra ricor les dames plus qu'elles ne les prient,
BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 145 -Droits d’auteur réservés.
No i an ni senhoratge ; car ils n'en retirent
Que pòis dòmna s'avé ni autre puissance ni autre seigneurie.
D'amar, prejar deu be Lorsqu'une dame s'entremet
Cavalièr, s'en lui ve d'aimer, elle doit adresser sa prière
Proez' e vassalatge. à un chevalier, si elle discerne en lui
prouesse et noblesse.
Dòmna N'Almucs, ancsé Dame Almuc, toujours
Am çò don mal mi ve, j'aimerai là d'où vient le mal,
Car cel qui prètz manté car celui qui possède le mérite
A vas mi còr volatge. me montre un cœur volage.
Bèls Noms, ges no'm recré Beau Nom, je ne renonce point
De vos amar jassé, à vous aimer pour l'éternité,
Car viu en bona fe, je vis en bonne foi,
Bontatz e bon coratge. dans la générosité et la noblesse
de cœur.145]
145 Traduction de Danielle RÉGNIER-BOHLER, Ibid., p 19 à 20.BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 146 -Droits d’auteur réservés.
Table des annexes
Mout avètz fach lonc estatge. Votre séjour a duré trop longtemps.
Mout avètz fach lonc estatge, Votre séjour à duré trop longtemps,
Amics, pòis de mi'us partitz, Ami, depuis que vous m'avez quittée,
Et es mi grèu e salvatge Cela m'est douloureux et cruel ;
Car me juretz e'm plevitz Vous m'aviez promis et juré
Que als jorns de vòstra vida Que tous les jours de votre vie
Non acsetz dòmna mas me ; Vous n'auriez d'autre dame que moi.
E si d'autra vos perté, Si une autre vous importe,
M'avètz mòrta e traïda, Vous m'avez trahie et tuée
Qu'avi' en vos esperança Car j'avais mis en vous l'espérance
Que m'amassetz ses dobtança. Que vous m'aimeriez sans tromperie.
Bèls Amics, de fin coratge Bel Ami, je vous ai aimé
Vos amèi puòis m'abelitz, d'un noble sentiment dès que vous m'avez
E sai que fatz i folatge, séduite;]
Que plus me n'es escaritz je sais que je commis une folie,
Qu'anc non fis vas vos ganchida ; car toujours davantage vous vous êtes
E si'm fazetz mal per be, éloigné de moi,]
Be'us am e non me'n recré ; bien que je ne me sois jamais jouée de vous.
Mas tant m'a Amors sazida Même si vous me rendez mal pour bien,
Qu'eu non cre que benanança je vous aime sincèrement et ne m'en
Puòsc' aver ses vòstr' amança. abstient pas.]
Mais l'amour m'a tant saisie
Que je ne crois pas
obtenir le bonheur sans votre amour.
Mout aurai mes mal usatge J'aurai établi un bien mauvais usage
A las autras amairitz, pour les autres amantes :
Qu'òm sòl trametre messatge on adresse habituellement message,
E motz triatz e chausitz, paroles choisies et élégantes ;
Et eu tenc me per garida, et moi je me tiens pour apaisée,
Amics, a la mia fe, Ami, sur ma foi,
Quan vos prèc, qu'aissí'm cové ; lorsque je vous prie d'amour, car
BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 147 -Droits d’auteur réservés.
Que plus pros n'es enriquida cela me sied.]
S'a de vos qualqu' aondança La plus noble se trouve enrichie
De baisar o d'acoindança. Si elle obtient de vous le plaisir
Du baiser ou de la rencontre.
Mal aj' eu, s'anc còr volatge Que mal me vienne si jamais cœur
Vos aic ni'us fui camjairitz, volage]
Ni drutz de negun paratge J'eus à votre endroit ou si je me
Per mi non fo encobitz ; montrai versatile,]
Anz sui pensiv' e marrida Ou si j'ai désiré
Car de m'amor no'us sové, Un amant de quelque noblesse.
E si de vos jòis no'm ve, Mais je suis inquiète et soucieuse,
Tòst mi trobaretz fenida ; Car vous ne vous souvenez plus de
Car per pauc de malanança mon amour,]
Mòr dòmna s'òm tot no'lh lança. Et si la joie ne m'arrive de vous,
Bientôt vous me trouverez morte ;
Car pour peu de peine
Meurt dame si on ne l'en éloigne pas.
Tot lo maltrach e'l damnatge Tout le malheur et le dommage
Que per vos m'es escaritz Qui me sont advenus à cause de vous
Vos grazir fan mos linhatge Vous font louer par mon lignage
E sobre totz mos maritz. Et surtout par mon mari.
E s'anc fetz vas mi falhida Si jamais vous avez commis une
Perdon la'us per bona fe ; faute envers moi,]
E prèc que venhatz a me Je vous la pardonne en toute
Depuòis que auretz auzida bonne foi.]
Ma chançon que'us fai fiança, Je vous supplie de venir à moi,
Çai trobetz bèla semblança. Sitôt que vous aurez entendu
ma chanson, qui vous assure
qu'ici vous trouverez bon
accueil146.
146 Traduction de Danielle RÉGNIER-BOHLER, Ibid., p 20 à 22.BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 148 -Droits d’auteur réservés.
Table des annexes
Per jòi que d'amor m'avenha Pour la joie qui peut m'échoir
d'amour.
Per jòi que d'amor m'avenha Pour la joie qui peut m'échoir d'amour
No'm calgr' ogan esbaudir, Il ne conviendrait pas que désormais je
Qu'eu non cre qu'en grat me tenha me réjouisse,]
Cel qu'anc non vòlc obezir Car je ne pense pas que cela agrée
Mos bons motz e mas chanços ; À celui qui jamais ne voulut écouter
Ni anc non fon laçatz sos Mes bons poèmes et mes chansons ;
Qu'ie'm pogués de lui sofrir, Jamais ne fut composée mélodie
Anz tem que'm n'èr a morir Qui me permettrait de me passer de lui.
Pos vei qu'ab tal autra renha Je crains plutôt qu'il me faille mourir,
Don per mi no's vòl partir. Je m'aperçois qu'il vit sous la
domination d'une autre]
Dont il ne veut pas se séparer pour moi.
Partir me n'èr, mas no'm denha, Il me faudra le quitter puisqu'il ne me
Que mòrta m'an li consir ; juge pas digne [de son amour] ;]
E pòs no'lh platz que'm retenha, Les soucis m'ont tuée ;
Vuelha'm d'aitant obezir Puisqu'il ne lui sied pas de me retenir
Qu'ab sos avinenz respós Qu'il daigne au moins exaucer cette prière :
Me tenha mos còr joiós ; Que ses aimables réponses
E ja a sidònz non tir Maintiennent mon cœur joyeux.
S'ie'l fatz d'aitant enardir, Qu'il ne s'arrache pas à sa dame
Qu'ieu no'l prèc per mi que'm tenha Si je parviens à le rendre hardi,
De leis amar ni servir. Car je ne le supplie pas de s'abstenir
De l'aimer et de la servir.
Leis serva mas mi'n revenha Qu'il la serve mais me revienne
Que no'm lais del tot morir et ne me laisse pas définitivement mourir ;
[Si m'angoissa] que m'estenha je crains que l'amour dont il me fait languir
S'amors don me fa languir. Ne m'éteigne.
Ai ! Amics valenz e bos, Ai ! Ami valeureux et beau,
Car ètz lo melhor qu'anc fos, Vous le meilleur qui fut jamais,
BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 149 -Droits d’auteur réservés.
Non vulhatz qu'alhors me vir, Ne souhaitez pas que je me
Mas no'm volètz far ni dir détourne de vous,]
Com eu ja jorn me captenha puisque vous ne voulez pas que
De vos amar ni grazir. vos actes et vos paroles]
me conduisent à m'abstenir un jour
de vous aimer et de chanter vos
louanges.]
Grazisc-vos com que me'n prenha Je vous remercie, quoiqu'il m'en
Tot lo maltrach e'l consir ; coûte et bien que victime,]
E ja cavalièrs no's fenha Pour toute la souffrance et le soucis ;
De mi, qu'un sol non desir, Que jamais le chevalier ne
Bèls amics, si fatz dòrt vos, s'intéresse à moi]
On tenc los òlhs ambedós ; Car je n'en désir pas un seul.
E platz me quan vos remir Bel Ami, je vous désire ardemment,
Qu'anc tan bèl non sai chausir. Vous sur qui mes yeux restent fixés.
Dieu prèc qu'ab mos bratz vos cenha, J'aime à vous contempler
Qu'autre no'm pòt enriquir. Car il ne me fut jamais donné de
voir aussi bel homme.]
Je prie Dieu de pouvoir vous
enlacer de mes bras,]
Nul autre ne peut m'enrichir ainsi.
Rica soi, ab que'us suvenha Je suis comblée, pourvu que vous
Com poguès en luec venir vous souveniez]
Ont eu vos bais e'us estrenha D'un moyen qui me permettrait de
Qu'ab aitant pòt revenir, venir en un lieu]
Mos còrs, quez es envejós Où je puisse vous embrasser et
De vos mout e cobeitós ; vous étreindre,]
Amics, no'm laissatz morir, Alors pourra guérir
Pueis de vos no'm puesc grandir Mon cœur qui est plein de l'envie
Un bèl semblan que'm revenha Et du désir de vous.
Fatz, que m'aucira'l consir. Ami, ne me laissez pas mourir,
Puisque je ne puis me détourner de
vous,]BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 150 -Droits d’auteur réservés.
Table des annexes
Réservez-moi un aimable accueil qui
me guérisse,
il achèvera mon souci147.
147 Traduction de Danielle RÉGNIER-BOHLER, Ibid., p 22-23.BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 151 -Droits d’auteur réservés.
ANNEXE 7 CLARA D'ANDUZE
En grèu esmai et en grèu pessamen En grand émoi, en grand souci
En grèu esmai et en grèu pessamen En grand émoi, en grand souci
An mes mon còr et en granda error et en grande détresse ont mis mon cœur
Li lauzengièr e'l fals devinador, les vils flatteurs148 et les espions perfides,
Abaissador de Jòi e de Joven, par qui déclinent Joie et Jeunesse,
Car vos qu'eu am mais que res qu'el mon sia car vous que j'aime plus que tout en ce
An fait de me departir e lonhar, monde]
Si qu'ieu no'us puesc vezer ni remirar, ils vous ont séparé de moi et éloigné,
Don muer de dòl, d'ira e de feunia. si bien que je ne peux ni vous voir ni
vous admirer.]
J'en meurs de chagrin, de colère et de
tristesse.]
Celh que'm blasma vòstr'amor ni'm defen Qui me blâme et m'interdit de vous
Non pòdon far en rem mon còr melhor aimer]
Ni'l dous desir qu'ieu ai de vos major ne peut empêcher que mon cœur
Ni l'enveja ni'l desir ni'l talen ; devienne meilleur]
E non es òm – tant mos enemics sia – ni que croissent le doux désir,
Si l'aug ben dir, non lo tenha en car, l'envie, l'attirance et le penchant que
E si'n ditz mal, mais no'm pòt dir ni far j'éprouve pour vous.]
Neguna ren que a plazer sia. Il n'existe pas d'homme – si ennemi me
soit-il – ]
qui ne me devienne cher s'il vous loue
et, s'il médit, quoiqu'il puisse faire ou dire,
rien ne me fera plaisir.
Ja no'us donetz, belhs amics, espaven Ne vivez jamais, bel ami, dans la crainte
Que ja ves vos aja còr trichador, que mon cœur vous trompe
Ni qu'ie'us camge per nul autr' amador, ni que je vous change pour un autre amant,
148 Non traduit par Pierre BEC dans Chants d'amour des femmes-troubadours, op.cit. , qui garde le terme de lauzengiers, p 95.BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 152 -Droits d’auteur réservés.
Table des annexes
Si'm pregavon d'autras dònas un cen ; cent autres dames m'en prieraient-elles.
Qu'Amors que'm ten per vos en sa bailia Amour qui me tient pour vous en son
Vòl que mon còr vos estui e vos gar, pouvoir]
E farai o ; e s'ieu pogués emblar exige que je vous réserve et vous garde
Mon còrs, tals l'a que jamais non l'auria. mon cœur.]
Je le ferai ! Et, si je pouvais soustraire
mon corps, qui l'a jamais ne l'aurait.
Amics, tant ai d'ira e de feunia Ami, j'éprouve tant de colère et de tristesse
Quar non vos vei, que quant ieu cug chantar, de ne pas vous voir que, lorsque je pense
Planh e sospir, per qu'ieu non puesc çò far chanter,]
A mas coblas que'l còrs complir volria. j'émets plaintes et soupirs, aussi ne puis-
je pas faire exprimer]
à mes couplets ce que mon cœur
souhaiterait accomplir149.]
149 Traduction de Danielle RÉGNIER-BOHLER, dans Voix de femmes au Moyen Âge, op.cit., p 25.BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 153 -Droits d’auteur réservés.
ANNEXE 8 LA COMTESSE DE DIE
folio 49 vb ms H vignette
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Table des annexes
folio 49 vb ms H vignette
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folio 167vb ms A initiale
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Table des annexes
folio 141 ms I, initiale
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folio 126 vb ms K initiale
BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 158 -Droits d’auteur réservés.
Table des annexes
Ab Jòi et ab Joven m'apais Je me repais de Joie et de Jeunesse
Ab Jòi et ab Joven m'apais Je me repais de Joie et de Jeunesse
Et Jòis et Jovenz m'apaia, Et joie et Jeunesse me comblent :
Que mos amics es lo plus gais Car mon ami est le plus joyeux
Per qu'ieu sui coindet' e gaia ; Et c'est pour cela que je suis aimable et gaie.
E pòis eu li sui veraia, Et puisque je suis sincère envers lui,
Be's tanh qu'el me sia verais, Il est juste qu'il le soit à mon égard,
Qu'anc de lui amar non m'estrais Car jamais je n'ai renoncé à mon amour
Ni ai còr que me n'estraia. Et je n'ai point le cœur de m'en détacher.
Mout mi plai car sai que val mais Il me plaît fort qu'il soit le plus valeureux,
Cel que plus desir que m'aia, Celui dont je désire le plus qu'il me
E cel que primièrs lo m'atrais, possède,]
Dieu prèc que gran jòi l'atraia, Et je prie Dieu pour qu'il attire la joie
E qui que mal le'n retraia Sur celui qui le premier l'attira vers moi
No'l creza, fòrs qu'ie'l retrais ; Et qu'on ne croie pas quiconque en
Qu'òm cuòlh maintas vetz los balais dirait du mal,]
Ab qu'el mezeis se balaia. Si ce n'est ce que moi je lui reproche.
Car bien souvent on cueille soi-même
les verges]
dont on se frappe.
E dòmna qu'en bon prètz s'enten Une dame qui se targue de haut mérite
Deu ben pausar s'entendença Doit placer son affection
En un pro cavalièr valen, Dans un chevalier preux et vaillant,
Pòis qu'ilh conois sa valença, Et, une fois sa valeur reconnue,
Que l'aus amar a presença ; Devra oser l'aimer ouvertement ;
Que dòmna, pòis am' a presen, Et d'une dame qui aime au vu de tous,
Ja pòis li pro ni l'avinen Les nobles et les généreux
No'i diràn mas avinença. Ne diront ensuite que des louanges.
Qu'ieu n'ai chausit un pro e gen Car celui que j'ai choisi est noble
Per cui Prètz melhur' e gença, et valeureux]
BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 159 -Droits d’auteur réservés.
Larc et adreg e conoissen, Et par lui Mérite s'améliore et s'embellit.
Ont es sens e conoissença ; Il est généreux, adroit et cultivé,
Prèc-li que m'aja crezença, Plein de jugement et de connaissance.
Ni òm no'l puòsca far crezen Je le supplie d'avoir confiance en moi ;
Qu'ieu faça vas lui falhimen, Et que personne ne puisse lui faire croire
Sol non tròp en lui falhença. Que je commette une faute à son égard,
Pourvu que je ne trouve point en lui de
défaillance.]
Floris, la vòstra valença Floire, les preux et les vaillants
Sabon li pro e li valen, Connaissent votre valeur.
Per qu'ieu vos quièr de mantenen, Aussi je vous demande sans attendre,
Si'us plai, vòstra mantenença. Si cela vous agrée, votre protection150.
150 Traduction de Pierre BEC, dans Chants d'amour des femmes-troubadours, op.cit. , p 101BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 160 -Droits d’auteur réservés.
Table des annexes
A chantar m'èr de çò qu'ieu non volria. Il me faut chanter ce que je ne voudrais
point chanter.
A chantar m'èr de çò qu'ieu non volria, Il me faut chanter ce que je ne voudrais point
Tant me rancur de lui cui sui amia, chanter :]
Car eu l'am mais que nulha ren que sia ; Car j'ai fort à me plaindre de celui dont je suis
Vas lui no'm val mercés ni cortesia, l'amie.]
Ni ma beltatz ni mos prètz ni mos senz, Je l'aime plus que tout au monde,
Qu'atressí'm sui enganad' e traïa, Et rien ne trouve grâce auprès de lui : ni
Cum degr'èsser, s'ieu fos desavinenz Merci, ni Courtoisie,]
Ni ma beauté, ni mon mérite, ni mon esprit ;
Je suis trompée et trahie
Comme si je n'avais pas le moindre charme.
D'aiçò'm conòrt quar anc non fi falhença, Une chose me console : jamais, en aucune manière,
Amics, vas vos, per nulha captenença, je n'eus de torts envers vous, ami ;
Anz vos am mais non fetz Seguís Valença, Je vous aime, au contraire, plus que Seguin n'aima
E platz mi mout quez eu d'amar vos vença, Valence,]
Lo mieus amics, car ètz lo plus valenz ; Et il me plaît fort de vous vaincre en amour,
Mi faitz orguòlh en dichz et en parvença Mon ami, car c'est vous qui avez le plus de valeur.
E si ètz francs vas totas autras genz. Mais vous me traitez avec orgueil, dans vos
paroles et vos manières,]
Alors que vous êtes si aimable envers toute autre
personne.]
Be'm meravilh cum vòstre còrs s'orguòlha, Je suis surprise de l'arrogance de votre cœur,
Amics, vas me, per qu'ai razon qu'ie'm duòlha ; Ami, car j'ai bien sujet d'être triste ;
Non es ges dreitz qu'autr' amors vos mi tuòlha Il n'est point juste qu'un autre amour vous enlève à moi,
Per nulha ren que'us diga ni'us acuòlha ; Quels que soient les paroles et l'accueil qu'on vous
E membre-vos quals fo'l començamenz réserve.]
De nòstr' amor,ja Domnidieus non vuòlha Qu'il vous souvienne du début de notre amour ; à
Qu'en ma colpa sia'l departimenz. Dieu ne plaise]
Que je sois responsable de notre séparation.
Proeza granz qu'el vòstre còrs s'aisina La grande vaillance qui loge en votre personne
E lo rics prètz qu'avètz me n'ataïna, Et votre éclatant mérite me sont des sujets
Qu'una non sai, lonhdana ni vezina, d'inquiétude;]
Si vòl amar, vas vos non si' aclina ; Car je ne connais point de dame, lointaine ou BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 161 -Droits d’auteur réservés.
Mas vos, Amics, ètz ben tan conoissenz voisine,]
Que ben devetz conóisser la plus fina, En désir d'amour, qui ne se sente pour vous
E membre-vos de nòstre covinenz. de penchant.]
Mais vous, Ami, vous avez tant de jugementQue vous devez bien reconnaître la plus fidèle :
Ne vous souvient-il pas de notre place ?
Valer mi deu mos prètz e mos paratges Je dois pouvoir compter sur mon mérite, ma
E ma beutatz e plus mos fis coratges, haute naissance]
Per qu'ieu vos mand lai ont es vòstr' estatges Et ma beauté, et plus encore sur la sincérité
Esta chançon que me sia messatges ; de mon cœur;]
E vuòlh saber, lo mieus bèls amics genz, C'est pourquoi je vous mande, là-bas, en
Per que vos m'ètz tan fèrs ni tan salvatges, votre demeure,]
Non sai si s'es orguòlhs o mals talenz. Cette chanson, qui me servira de messager.
Je veux savoir, mon bel et doux ami,
Pourquoi vous êtes à mon égard si farouche
et si dur:]
Est-ce orgueil ou malveillance ?
Mas aitan plus vuòlh li digas, messatges, Mais je veux, messager, que tu lui dises en outre
Qu'en tròp d'orguòlh an gran dan maintas genz. Que trop d'orgueil peut nuire à maintes gens151.
151 Traduction de Pierre BEC, Ibid., p 103-104.BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 162 -Droits d’auteur réservés.
Table des annexes
Estat ai en grèu cossirièr J'ai été en cruel tourment
Estat ai en grèu cossirièr J'ai été en cruel tourment
Per un cavalièr qu'ai agut, Pour un chevalier qui fut mien ;
E vuòlh sia totz temps saubut Je veux qu'en tout temps soit su
Cum eu l'ai amat a sobrièr ; Comment je l'ai aimé par-dessus tout.
Ara vei qu'ieu sui traïda Je perçois maintenant que je suis trahie
Car eu non li donèi m'amor, Car je ne lui ai pas accordé mon amour,
Don ai estat en gran error, J'ai commis là une grande erreur,
En liech e quand sui vestida. Au lit ou vêtue.
Ben volria mon cavalièr Je voudrais bien tenir nu mon chevalier
Tener un ser en mos bratz nut Un soir entre mes bras ;
Qu'el se'n tengra per ereubut Il serait transporté de joie
Sol qu'a lui fezés cosselhièr, Si je lui servais seulement d'oreiller,
Car plus m'en sui abelida J'en suis plus éprise
No fetz Floris de Blanchaflor : Que ne le fut Floire de Blanchefleur.
Eu l'autrei mon còr e m'amor, Je lui donne mon cœur, mon amour
Mon sen, mos uòlhs e ma vida. Mon esprit, mes yeux et ma vie.
Bels amics, avinenz e bos, Bel ami, agréable et charmant,
Quora'us tenrai en mon poder, Quand vous tiendrai-je en mon pouvoir ?
Et que jagués ab vos un ser, Quel soir coucherai-je avec vous
Et que'us dès un bais amoròs ? Et vous donnerai-je un baiser d'amour ?
Sapchatz, gran talan n'auria Sachez-le, j'aurais grand désir
Que'us tengués en luòc del marit, De vous tenir à la place du mari,
Ab çò que m'aguessetz plevit Pourvu que j'obtienne de vous la promesse
De far tot çò qu'eu volria. De faire tout ce que je voudrais152.
152 Traduction de Danielle RÉGNIER-BOHLER, dans Voix de femmes au Moyen Âge, op.cit., p 28-29.BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 163 -Droits d’auteur réservés.
Fin jòi me don'alegrança L'allégresse m'apporte une joie subtile
Fin jòi me don'alegrança : L'allégresse m'apporte une joie subtile,
Per qu'ieu chan plus gaiamen, Aussi je chante plus gaiement
E non m'o tenh a pensança Et ne me soucie
Ni a negun pensamen, Ni ne me chagrine de rien,
Car sai que son a mon dan Car je sais qu'existent pour me nuire
Li mal lauzengièr truan Des médisants fourbes et trompeurs ;
E lor mals ditz non m'esglaia, Leurs méchants propos ne m'effraient pas,
Anz en som dos tantz plus gaia. À l'inverse ils doublent ma gaieté.
En mi non an ges fïança, En moi ne trouvent pas la moindre confiance
Li lauzengièr mal dizen, Les médisants hypocrites.
Qu'òm non pòt aver onrança On ne peut conserver son honneur
Qu'a ab els acordamen : Si l'on s'accorde avec eux ;
Qu'ist son d'altretal semblan Ils ressemblent tout à fait
Com la nívol que s'espan Au nuage qui s'étend
Que'l solelhs en pèrt sa raia, Et voile les rayons du soleil ;
Per qu'eu non am gent savaia. Aussi je n'aime pas les méchants.
E vos, gelós mal parlan, Et vous, médisants jaloux,
No'us cugetz qu'eu m'an tarzan N'allez pas croire que j'attendrai
Que Jòis e Jovenz no'm plaia, Que Joie et Jeunesse me déplaisent
Per tal que dòls vos deschaia. Pour que le dépit vous détruise153.
153 Traduction de Danielle RÉGNIER-BOHLER, Ibid., p 29.BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 164 -Droits d’auteur réservés.
Table des annexes
ANNEXE 9 GORMONDE DE MONTPELLIER
Greu m'es a durar, Il m'est difficile de supporter
quan aug tal descrezensa d'entendre divulguer et semer
dir ni semenar. une telle incroyance,
E no'm platz ni m'agensa cela ne me paraît ni ne m'agrée
qu'om non deu amar car on ne doit pas aimer
qui fai desmantenensa celui qui abandonne
a so don totz bes ce dont vient, naît et existe,
ven e nais e es tout bien,
salvamens e fes. salut et foi :
Per qu'ieu farai parvensa c'est pourquoi je montrerai
e semblan que'm pes. et ferai paraître combien cela me pèse.
No us meravilhes Que personne ne s'étonne
negus si eu muou guerra si je pars en guerre
ab fals mal après contre ce malappris hypocrite
qu'a son poder soterra qui, autant qu'il peut, enterre,
totz bos faitz cortes pourchasse et enferme toutes
els encauss' e'ls enserra manifestations de courtoisie et de
trop se fenh arditz noblesse. Il feint trop d'être hardi
quar de Roma ditz en disant du mal de Rome,
mal, qu'es caps e guitz capitale et guide
de totz selhs que en terra de tous les esprits justes de la terre.
an bos esperitz.
En Roma es complitz En Rome sont accomplis
totz bes, e qui'l li pana tous les biens et qui les lui dérobe
sos sens l'es falhitz a perdu la raison
quar si metels enguana, car il se trompe lui-même,
qu'elh n'er sebelitz, il sera enseveli
don perdra sa ufana. et perdra sa vanité.
Dieus auja mos precx, Que Dieu entende mes prières,
que selhs qu'an mals becx, que ceux qui, jeunes ou vieux,BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 165 -Droits d’auteur réservés.
joves e senecx, se montrent méchantes langues
contra la lei romana, contre la religion de Rome
cajon dels bavecx. choient des balances [de la justice
divine].
Roma, selhs par pecx Rome, je tiens pour insensés,
tenc totz e per gent grossa, pour gens grossiers,
per obs e per secx aveugles et privés de clairvoyance
que lur car e lur ossa tous ceux qui alourdissent
cargon d'avols decx, leur chair et leurs os de méchants vices ;
don cazon en la fossa, ils en tombent dans la fosse
on lur e sermatz où leur est préparé
pudens focx malvatz ; un feu puant et cruel,
don mais desliatz où ils ne sont jamais délivrés
no seran de la trossa du fardeau
qu'an de lurs peccatz. de leurs péchés.
Roma, ges no'm platz Rome, il me déplaît vraiment
qu'avols hom vos combata, qu'un méchant homme vous combatte ;
dels bos avetz patz, les bons recherchent votre paix,
qu'usquecx ab vos s'aflata. chacun se flatte [d'être] de votre parti.
Dels fols lur foldatz Quant aux fous, leur folie
fes perdre Damiata, leur fit perdre Damiette
mas li vòstre sen Mais votre bon sens,
fan sel ses conten sans discussion, rend
caitiu e dolen misérable et malheureux
que contra vos deslata celui qui dépasse la mesure
ni renha greumen. et se conduit méchamment envers vous.
Roma, veramen Rome, je sais en vérité
sai e cre ses duptansa et je crois sans nul doute
qu'a ver salvamen que vous conduirez
aduretz tota Fransa, la France entière vers un vrai salut,
oc, e l'autra gen oui, ainsi que tous ceux
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Table des annexes
que'us vol far ajudansa. qui veulent vous apporter leur aide.
Mas so que Merlis Mais ce que Merlin
prophetizan dis dit dans ses prophéties
del bon rei Lois, du bon roi Louis
que morira en pansa, – qu'il mourra à Montpensier –
aras s'esclarzis. s'éclaire maintenant.
Piegz de Sarrazis Pire que des Sarrasins
e de pus fals coratge et de sentiments plus hypocrites
heretje mesquis sont les hérétiques méprisables.
son. Qui vol lur estatge Qui souhaite leur existence
ins el foc d'abis va dans le feu infernal
van s'en en loc salvatge et, au lieu de [faire son] salut,
en dampnatio. se damne.
A selhs d'Avinho À ceux d'Avignon
baisses, don m'es bo, vous avez abaissé,
Roma, lo mal pezatge, Rome, et je m'en réjouis, le mauvais
don grans merces fo. Péage : ce fut une immense grâce.
Roma, per razo Rome, avec raison
avetz manta destorta vous avez redressé
dressad'a bando sans réserve maints torts
et oberta la porta et ouvert la porte
de salvatio, du salut
don era la claus torta, dont la clé était tordue.
que ab bon govern Par votre juste gouvernement
baissatz folh esquern. vous abaissez la folle moquerie.
Qui sec vostr'estern, Qui suit votre exemple
l'angel Michel lo'n porta est emporté par l'ange Michel
el garda d'ifern. et protégé de l'enfer.
L'estiu e l'yvern Été comme hiver
deu hom, ses contredire on doit sans conteste,
Roma, lo cazern Rome, lire le cahier
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legir, si que no's vire, sans rien y changer,
e quan ve l'esquern, et, en voyant l'ignominie
cum jhesus pres martire, du martyre de Jésus,
albir se lo cas qu'on considère le cas :
si's bos crestias, si l'on ne pense pas à la paix
…..................... alors l'on n'est pas chrétien ;
s'adoncx non a cossire, si donc on ne s'en soucie pas
totz es fols e vas. on est complètement fou et insouciant.
Roma, lo trefas Rome, le perfide,
e sa leis sospechoza avec sa religion suspecte
als fols digz vilas aux propos insensés et vils,
par que fos de Toloza, me paraît être de Toulouse
on d'enjans certas laquelle n'a donc pas honte
non es doncx vergonhoza. de ces tromperies avérées.
Ni ans de dos ans Mais ce comte digne d'éloges,
mas si'l coms prezans avant deux ans,
cove que'ls engans devra abandonner les fourberies
lais e la fe duptoza et la foi douteuse
e restaur'els dans. et réparer les dommages.
Roma, lo reis grans Rome, que le grand roi
qu'es senhers de dreitura qui est seigneur de droiture
als falses Tolzans apporte grand malheur
don gran malaventura, aux perfides Toulousains,
quar contra sos mans car à ses commandements
fan tan gran desmesura, tous font d'immenses outrages,
qu'usquecx lo rescon, que chacun le cache :
e torbon est mon ils troublent le monde.
el comte Raimon, Et le comte Raimon,
s'ab elhs plus s'asegura, s'il leur donne davantage de garanties,
no'l tenrai per bon. je ne le tiendrai plus pour noble.
Roma, be's cofon Rome, qui gronde contre vous,
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Table des annexes
e val li pauc sa forsa bâtit château et forteresse,
qui contra vos gron se détruit totalement
ni bast castelh ni forsa et sa force lui sert peu,
quar en tan aut mon car il ne monte ni ne s'établit
nos met ni no s'amorsa en si haute montagne
que dieus non recort que Dieu ne se rappelle
son erguelh e'l tort son orgueil et son tort
…......................... ….........................
don pert tota s'escorsa il perd ainsi son enveloppe charnelle
e pren dobla mort. et subit une double mort.
Roma, be'm conort Rome, me réconforte pleinement [le fait]
quel coms ni l'emperaire, que le comte de Toulouse et l'empereur ,
pueis que son destort depuis qu'ils se sont détournés
de vos, non valon gaire, de vous, ne valent plus guère,
quar lur fol desport leur folle conduite
e lur malvat vejaire et leur mauvais jugement
los fatz totz cazer les font tous deux tomber
a vostre plazer, à votre plaisir,
qu'us nos pot tener, si bien qu'aucun ne peut tenir sa
sitot n'es guerrejaire, position, fût-il guerrier,
non li val poder. sa puissance ne lui sert à rien.
Roma, be sabetz Rome, vous savez
que fort greu lor escapa fort bien que leur échappe difficilement
qui au lor decretz, celui qui écoute leurs décrets ;
aissi tendon lur trapa ils tendent ainsi leur piège
ab falses trudetz avec de faux appâts
ab que quascus s'arrapa. auxquels chacun se prend.
Totz son sortz e mutz, Tous sont sourds et muets,
qu'el lur tolh salutz, car celui-là leur vole leur salut,
don quecx es perdutz, dont chacun éprouve la perte,
qu'ilh n'an capelh a capa, car ils ne possèdent ni chapeau ni cape
e remanon nutz. et restent nus.
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Chauzitz e sauputz Clandestins ou connus [les hérétiques],
naisson senes falhida même s'ils naissent sans la faute,
crematz e pendutz [seront] brûlés et damnés
qu'en lur malvada vida à cause de leur vie mauvaise,
anc negun vertutz, jamais aucun d'eux n'a accompli de
car fe no i es auzida miracle, nous n'en avons
non avem sivals. du moins jamais entendu parler.
E si fos lejals Si leur vie mortelle
lor vida mortals, avait été loyale,
dieus crei l'agra eissauzida, je crois que Dieu l'aurais exaucée,
mas non es cabals. mais elle n'est pas juste.
Qui vol esser sals, Qui veut être sauvé
ades deu la crotz penre doit prendre sur-le-champ la croix
per heretges fals afin de pourchasser et de ruiner
dechazer e mespenre, les hérétiques hypocrites,
que'l celestials car le Roi céleste
hic venc sos bras estendre vint ici étendre ses bras
tot per sos amicx tout entiers pour ses amis.
e pus tals destricx Puisqu' Il a souffert
pres, ben es enicx de telles peines, est bien mauvais
selh que non vol entendre celui qui ne veut pas L'entendre
ni creire'ls chasticx. ni croire à Ses enseignements.
Roma, si pus gicx Rome, si tu tolères que règnent
renhar selhs que'us fan onta plus longtemps ceux qui font honte
al sant esperitz au Saint-Esprit
(quant hom lor o aconta – ils sont si infâmes,
tan son fol mendicx que par un n'affronte
qu'us ab ver no s'afronta) la vérité quand on la leur rapporte –
no'i auras honor. tu n'en retireras pas d'honneur.
Roma, li trachor Rome, les traîtres
son tan ple d'error sont si pleins d'erreur que chacun,
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Table des annexes
qu'on plus pot, quascus là où il peut le plus, augmente
quec jorn sa folor monta. chaque jour sa folie.
Roma, fol labor Rome, agit de manière insensée
fa [qui ab] vos tensona, qui polémique avec vous ;
de l'empe [rador quant à l'Empereur,
dic, s']ab vos no s'adona, je dis que s'il ne s'abandonne pas à
q' [en gran] deshonor vous, sa couronne en viendra à
ne venra s[a corona connaître un grand déshonneur
e] sera razos et ce sera raison.
mas per [o ab vos Mais, cependant, auprès de vous
leu] troba perdos trouve facilement le pardon qui
qui g[en sos tor]tz razona reconnaît avec noblesse ses torts
ni n'es an [goissos]. et en est affligé.
Roma, l'glorios Rome, que le Glorieux
que a la Magdalena qui a pardonné
perdonet, don nos à la Madeleine et dont
esperam bona estrena, nous attendons une juste récompense,
lo folh rabios fasse semblablement mourir
que tans ditz fals semena, de la peine dont meurt l'hérétique
fassa d'aital for le fou enragé,
elh e son thezor qui sème
e son malvat cor tant de fausses paroles,
morir e d'aital pena lui, son trésor
cum heretjes mor. et son méchant cœur154.
154 Traduction de Danielle RÉGNIER-BOHLER, Ibid., p 69 à 73.BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 171 -Droits d’auteur réservés.
ANNEXE 10 NA TIBORS DE SARENOM
folio 45a ms H vignette
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Bèls dous amics, ben vos puòsc en ver dir Beau doux ami, je peux bien vous avouer
sincèrement.
Bèls dous amics, ben vos puòsc en ver dir Beau doux ami, je peux bien vous avouer
Que anc non fo qu'eu estès ses desir sincèrement]
Pòs vos conuc ni'us pris per fin aman, Que jamais je ne fus sans désir
Ni anc no fo qu'eu non aguès talan, Depuis que je vous connus et vous pris pour fin amant,
Bèls dous amics, qu'eu soven no'us vezés Que jamais je n'ai cessé d'éprouver le besoin,
Ni anc non fo savons que me'n pentés, Beau doux ami, de vous voir souvent,
Ni an non fo, si vos n'anetz iratz, Que jamais n'arriva le moment de m'en repentir,
Qu'eu agués jòi tro que fossetz tornatz, Que jamais il n'advint que, si vous partiez irrité,
Ni anc … J'éprouve de la joie jusqu'à ce que vous fussiez de
retour,]
Que jamais.155..
155 Traduction de Danielle RÉGNIER-BOHLER, Ibid., p 30.BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 173 -Droits d’auteur réservés.
LES TROBAIRITZ DANS LES CHANSONS DIALOGUÉES
ANNEXE 11 N'ALAISINA,YSELDA ET NA CARENZA
Na Carenza ab bèl còrs avenenz Dame Carenza au beau corps avenant
- Na Carenza ab bèl còrs avenenz, Dame Carenza au beau corps avenant,
Donatz conselh a nos doas serors, Donnez un conseil aux deux sœurs que nous
E car saubetz triar la melhors, sommes,]
Consilhatz mi segon vostr'escienz : Et puisque vous savez mieux (que
Penrai marit a vòstra conoissença, quiconque) choisir la meilleure part,]
O' starai mi pulcela ? E si m'agença, Conseillez-moi selon votre avis :
Que far filhons non cuit que sia bos Dois-je prendre un mari, à votre connaissance,
E sens marit mi par tròp angoissós. Ou rester vierge ? C'est là pourtant ce qui
m'agrée,]
Car je ne pense pas qu'il soit bon de faire des
enfants.]
Mais de rester sans mari me paraît bien amer.
- N'Alaisina Iselda, 'nsenhamenz, Dame Alaisina Iselda, l'éducation,
Prètz e beltatz, jovenz, frescas colors Le mérite et la beauté, la jeunesse et les
Conosc qu'avètz, cortisia e valors, fraîches couleurs,]
Sobre totas las autras conoissenz ; De tout cela je vois que vous êtes pourvue,
Per qu'ie'us conselh per far bona semença de même que de courtoisie et de valeur,]
Penre marit coronat de scïença, Plus que toutes les autres dames averties.
En cui faretz fruit de filh glorïós : Je vous conseille donc, pour faire bonne
Retenguda's pulcel' a cui l'espós. semence,]
De prendre un mari couronné de science,
grâce à qui vous enfanterez d'un fils éminent.
Une vierge est bien accueillie par celui qui
doit l'épouser.]
- Na Carenza, penre marit m'agença, Dame Carenza, il me plaît de prendre un mari ;
Mas far infanz cuit qu'es gran penitença, Mais je pense que c'est une grande pénitence
Que las tetinas pendon aval jos de faire des enfants,]
E lo ventrilh es rüat e 'nojós. Car les tétons vous pendent par-dessousBRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 174 -Droits d’auteur réservés.
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Et le bas-ventre est ridé et douloureux.
- N'Alaisina Iselda, sovinença Dame Alaisina Iselda, ayez de moi souvenance
Ajatz de mi en l'ombra de guirença : À l'ombre de ma protection (?) ;
Quant i siretz, prejatz lo Glorïós Et quand vous y serez (?), priez le Glorieux
Qu'al departir mi ritenga près vos. Qu'au moment de nous séparer il me retienne
auprès de vous156.]
156 Traduction de Pierre BEC, dans Chants d'amour des femmes troubadours, op.cit. , p 134 à 135.BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 175 -Droits d’auteur réservés.
ANNEXE 12 ALAMANDA ET GUIRAUT DE BORNELH
S'ie'us quièr conselh, bèla' amia Alamanda Si je vous demande conseil, belle
amie Alamande
- S'ie'us quièr conselh, bèla' amia Alamanda, Si je vous demande conseil, belle
No'l mi vedetz, qu'òm cochatz lo'us demanda ; amie Alamande,]
Que çò m'a dich vòstra dòmna truanda Ne me le refusez pas, car c'est un
Que lonh sui fòrs issitz de sa comanda, homme affligé qui l'implore.]
Que çò que'm dèt m'estrai èr e'm demanda. Suivant ce que m'a dit votre perfide
Que'm conselhatz ? maîtresse]
Qu'a pauc lo còrs totz d'ira non m'abranda Je suis chassé fort loin de son pouvoir
Tan fòrt en sui iratz. Et ce qu'elle m'a donné maintenant
elle me le retire et me le redemande.]
Que me conseillez-vous ?
Peu s'en faut que mon cœur ne
s'embrase de colère]
Tant je me sens irrité.
- Per Dieu, Giraut, ges assí tot a randa, Par Dieu, Guiraut, jamais
Volers d'amics no's fai ni no's garanda, Le désir des amants ne s'accomplit
Que si l'uns falh, l'autre coven que blanda, complètement ni ne conserve la juste mesure;
Que lor destrics no's cresca ni s'espanda. Si l'un vient à manquer, il convient que
E s'ela 'us ditz d'aut puòch que sia landa, l'autre montre de l'indulgence]
Vos la'n crezatz. Afin que leur dommage ne croisse ni ne
E plaça vos lo bes e'l mals qu'ilh manda s'étende.]
Qu'aissí seretz amatz. Si elle vous affirme qu'un pic montagneux
est une lande,]
Croyez-la.
Que vous agréent le bien et le mal qu'elle
ordonne,]
Ainsi vous serez aimé.
- Non puòsc mudar que contr' orguòlh non gronda, Je ne puis m'empêcher de gronder
Ja sia vos, donzèla, bèl' e blonda, contre l'orgueil,]
Pauc d'ira'us nòtz e paucs jòis vos aonda, Vous êtes, demoiselle, belle et blonde,
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Table des annexes
Mas ges non n'ètz primieira ni segonda. Un peu de colère vous importune, un peu
Et eu que'm tem (fòrt) d'est' ira que'm cofonda, de joie vous comble,]
Vos me lauzatz, Mais vous n'êtes ni première ni seconde.
Si'm sent perir, que'm tenga plus vas l'onda : Mais à moi, qui crains fort cette colère
Mas cre que'm capdelatz. Destructrice,]
Vous conseillez,
Si je me sens sombrer, de m'enfoncer
davantage dans l'onde.]
Je crois que vous me gouvernez mal.
- Si m'enqueretz d'aital razon prionda, Si vous m'interrogez sur une question aussi
Per Dieu, Giraut, non sai com vos responda. profonde,]
Pero, si'us par qu'ab pauc fos jauzionda Par Dieu, Guiraut, je ne sais comment vous
- Mais vòlh pelar mon prat qu'autre'l mi tonda. répondre.]
Que s'ie'us èra del plach far desironda Vous me déclarez de cœur léger et joyeux
Vos escercatz -Mais je préfère raser mon pré plutôt qu'un
Com son bèl còrs vos esdui' e'us resconda. autre me le tonde.]
Ben par com n'ètz cochatz. Alors que je désirais vous réconcilier,
Vous auriez [dû] chercher
Pourquoi elle se dérobe et se cache à vous.
Il semble bien que vous êtes pressé par la
détresse.]
-Donzèl', oimais non siatz tan parlieira, Demoiselle, cessez donc d'être aussi bavarde,
Qu'ilh m'a mentit mais de cinc vetz primieira : Car, la première, elle m'a menti au moins
Cujatz vos doncs qu'ieu totz temps lo sofieira ? cinq fois.]
Semblaria qu'o fezés per nescieira : Croyez-vous que je puisse le supporter
D'autr' amistat ai talant qu'ie'us enquieira éternellement?]
Si no'us calatz, Il apparaît que je le fais pas faiblesse.
Melhor conselh dava Na Berengieira J'ai en tête une autre amitié dont je vais
Que vos non me'n donatz. vous parler]
si vous ne vous taisez pas.
Meilleur conseil me donnait dame Bérangère
Que vous ne m'en donnez.
-Lora vei ieu, Giraut, qu'ela'us o mieira, Je perçois maintenant, Guiraut, qu'elle vous
Car l'apelatz camjairitz ni leugieira. a transformé]
Pero cujatz que del plach vos enquieira ? Car vous la traitez d'inconstante et de frivole.BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 177 -Droits d’auteur réservés.
Ieu non cug ges que'ilh sia mainieira, Cependant, croyez-vous qu'elle
Anz èr oimais sa promessa derrieira cherche un terme à la querelle?]
-Que que'us digatz - Je ne l'estime pas à ce point conciliante.
Si's destrenh tant que contra vos sofieira L'ultime assurance sera plutôt
Trega ni fin ni patz. désormais]
-Quoi que vous en disiez-
Qu'elle se contraigne au point
d'accepter]
Une trêve, la fin [de la querelle] et la
paix.]
-Bèla, per Dieu, non perda vòstr' ajuda, Belle, par Dieu, ne me privez pas de
Ja sabetz vos com mi fo covenguda. votre aide,]
S'ieu ai falhit per l'ira qu'ai aguda, Vous savez bien de quelle manière
No'm tenga dan, s'anc sentitz com lèu muda elle me fut acquise.]
Còr d'amador, bèla, e s'anc fotz druda, Si j'ai failli à cause de la colère,
Del plach pensatz. Ne m'en tenez pas rigueur. Si jamais
Qu'ieu sui be mòrtz s'enaissí l'ai perduda – vous avez éprouvé l'inconstance]
Mas no'lh o descobratz. D'un cœur amoureux, belle, et si
jamais vous avez été amoureuse,
Pensez à nous réconcilier.
Je suis mort si je l'ai perdue.
Mais n'allez pas le lui révéler.
-Sénh' En Giraut, ja n'agr' ieu fin volguda, Sire Guiraut, je n'aurais jamais
Mas ela'm ditz qu'a drech s'es irascuda poursuivi votre fin,]
Qu'autra'n pregetz com fòls tot a saubuda Mais elle déclare s'être légitimement
Que non la val ni vestida ni nuda. irritée]
No'i farà doncs, si no'us gic, que vencuda Car, publiquement, en fou, vous priez
N'èr ? Çò sapchatz : d'amour une autre femme]
Be'us en valrai et ai la'us mantenguda Qui ne la vaut en rien, ni vêtue ni nue.
Si mais no'us i mesclatz. Évitera-t-on, si elle ne vous éloigne,
que vaincue]
Elle ne paraisse ? Sachez-le :
Je rechercherai votre bien et vous la
conserverai]
Si vous ne vous brouillez plus.
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Table des annexes
-Bèla, per Dieu, si de lai n'ètz crezuda Belle ; par Dieu, si elle vous croit
Per me l'o afiatz. Faites-lui-en la promesse pour moi.
-Ben o farai. Mas quan vos èr renduda Je le ferai. Mais, lorsque vous sera restitué
S'amors, no la'us tolhatz. Son amour, n'allez pas lui reprendre le vôtre157.
157 Traduction de Danielle RÉGNIER-BOHLER, dans Voix de femmes au Moyen Âge, op.cit., p 38 à 39BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 179 -Droits d’auteur réservés.
ANNEXE 13 ALMUC DE CASTELOU ET ISEUT DE CAPION
N'Almucs de Castelnou, folio 46r ms H
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Table des annexes
-Dòmna N'Almucs, si'us plagués, Dame Almuc, s'il vous plaisait
-Dòmna N'Almucs, si'us plagués, Dame Almuc, s'il vous plaisait,
Be'us vòlgra prejar d'aitan : Je vous prierais volontiers d'une chose :
Que l'ira e'l mal talan Qu'à la colère et au ressentiment
Vos fezés venir Mercés Mette un terme la pitié
De lui que sospir' e planh Pour celui qui soupire et se lamente,
E muòr languent e's complanh Meurt de langueur, gémit,
E quièr perdon umilmen ; Et demande humblement pardon.
Que'us fatz per lui sagramen, Je vous fais en son nom le serment,
Si tot li volètz fenir, Que, si vous mettez un terme à toute rancune,
Qu'el si gart melhz de falhir. Il prendra mieux garde de faillir.
-Dòmna N'Iseutz, s'ieu saubés Dame Iseut, si je savais
Qu'el se pentís de l'engan Qu'il se repentît de la si grande tromperie
Qu'el a fait va mi tan gran, Qu'il commit envers moi,
Ben fora drech qu'eu n'agués Il serait tout à fait juste que j'eusse
Mercé ; mas a mi no's tanh, Pitié, mais il ne me sied pas,
Pòs que del tòrt no s'afranh Puisque de son tort il ne se préoccupe pas
Ni's pentís del falhimen, Ni ne se repent de son forfait,
Que n'aja mais chausimen ; De manifester de la pitié.
Mas si vos faitz lui pentir, Mais, si vous l'amenez à se repentir,
Lèu podretz mi convertir. Vous pourrez aisément me faire changer
d'avis158.
158 Traduction de Danielle RÉGNIER-BOHLER, Ibid., p 35.BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 181 -Droits d’auteur réservés.
ANNEXE 14 COMTESSE DE PROENSA ET GUI DE CAVALHON
Vos que'm semblatz dels corals amadors Vous qui me semblez appartenir à ces
amants de cœur
La Comtessa de Proença
Vos que'm semblatz dels corals amadors, Vous qui me semblez appartenir à ces
Ja non vòlgra que fossetz tan doptanz ; amants de cœur,]
E platz mi molt quar vos destrenh m'amors, Je ne voudrais point que vous vous montriez
Qu'autressí sui eu per vos malananz ; si craintif.]
Ez avètz dam en vòstre vulpilhatge, Me plaît fort que l'amour que vous éprouvez
Quar no'us ausatz de prejar enardir ; pour moi vous tourmente]
E faitz a vos ez a mi gran damnatge, Car je suis pareillement torturée.
Que ges dòmna non ausa descobrir Vous tirez dommage de votre lâcheté,
Tot çò qu'ilh vòl per paor de falhir. De ne point oser vous enhardir à me prier.
Vous causez, à vous et à moi, grand tort,
Une dame n'ose point découvrir
Tout ce qu'elle souhaite par peur de faillir.
En Gui de Cavalhon
Bona dòmna, vòstr'onrada valors Bonne dame, votre glorieux mérite
Mi fai estar temerós, tant es granz ; Me rend craintif tant il est grand.
E non m'o tòl negun autra paors Aucun autre motif de peur ne me dissuade
Qu'eu non vos prèc, que'us volria enanz De vous prier ; auparavant, je voudrais
Tan gen servir qu'eu no'us fezés oltratge Vous servir avec une noblesse si grande que
-Qu'aissí 'm sai eu de prejar enardir je ne puisse vous causer d'outrage.]
E volria que'l fach fosson messatge Je sais qu'ainsi je m'enhardirai à vous prier
E presessetz en lòc de prècs servir d'amour.]
Qu'us onratz faitz deu be valer un dir. Je souhaiterais que mes actes fussent mes
messagers]
Et que vous acceptiez mon service
amoureux en guise de prières.]
Une action qui honore vaut bien une
parole159.]159 Traduction de Danielle RÉGNIER-BOHLER, Ibid., p 40.
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ANNEXE 15 LA DOMNA H ET ROFIN
Rofin, digatz m'adès de cors Rofin, donnez moi rapidement votre sentiment
-Rofin, digatz m'adès de cors, Rofin, donnez moi rapidement votre sentiment,
Quals fetz melhs, car ètz conoissens : Vous qui agissez pour le mieux et êtes savant :
Una dòmna coind' e valens Une dame charmante et noble
-Que ieu sai – a dos amadors De ma connaissance a deux amants,
E vòl qu'usquecs jur e pliva Elle exige que l'un et l'autre lui promettent et
Enanz que'ls vòlh' ab si colgar, jurent]
Que plus mas tener e baisar -Avant qu'elle n'accepte de coucher avec eux-
No'lh faràn ; e l'uns s'abriva De ne pas aller au-delà de l'étreinte
E'l fach, que sagramen no'lh te ; Et du baiser ; l'un s'empresse
L'autres no l'ausa far per re. De lui faire l'amour et ne tient pas sa promesse,
L'autre n'ose agir ainsi pour rien au monde.
-Dòmna, d'aitan sobrèt folors Dame, d'autant plus excessive est la folie
Cel que fo desobediens De celui qui désobéit
Ves sidòns, que non es parvens À sa dame qu'il ne semble pas
Qu'amans, puòis destrenh Amors, Qu'un amant, si l'amour le presse,
Dej' ab volontat forciva Doive, contre sa volonté,
Los ditz de sa dòmna passar. Enfreindre la parole de sa dame.
Per qu'eu dic que senes cobrar Aussi je déclare que, sans [espoir de] la
Deu perdre la jòi' autiva recouvrer,]
De sidòns cel qui frais la fe, Doit perdre la joie suprême
E l'autres deu trobar mercé. De sa dame celui qui a manqué à sa foi,
En revanche l'autre doit trouver grâce.
-A fin amic non tòl paors, La peur ne retient pas un parfait amant,
Rofin, de perdre jauzimens, Rofin, de prendre son plaisir,
Que'l desirs e'l sobretalens Car son désir et son excès
Lo destrenh tan que per clamors L'étreignent tant qu'en dépit des clameurs
De sidòns nominativa De la dame élue
No's pòt sofrir ni capdelar ; Il ne peut prendre patience et s'abstenir.BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 183 -Droits d’auteur réservés.
Qu'ab jazer et ab remirar De la voir couchée et de la contempler,
L'amors corals recaliva L'amour sincère l'échauffe
Tan fòrt que non au ni non ve Si violemment qu'il n'entend ni ne voit
Non conois quan fai mal o be. Et ignore s'il agit bien ou mal.
-Dòmna, ben mi par grans errors Dame, il me semble que commet une
D'amic – puòis ama coralmen - grave erreur]
Que nuls gaugs li sia plazens L'amant –dès lors qu'il aime sincèrement-
Qu'a sa dòmna non sia onors, Qui goûte le moindre plaisir
Car no'lh deu èsser esquiva Dont sa dame ne se trouve pas honorée.
Pena, per sa dòmna onrar, Il ne doit pas éviter
Ni'l deu res per drech agradar La peine pour faire honneur à sa dame ;
S'a leis non es agradiva ; Rien ne peut légitimement lui être agréable
E drutz qu'enaissí no's capté S'il n'agrée pas à celle-ci.
Deu perdre sa dòmna e se. Un amant qui n'en use pas ainsi
Perdra sa dame et se perdra.
-Rofin, dels cròis envazidors Rofin, à propos des méchants assaillants,
Aunitz e flacs e recrezens Honnis, mous et lâches,
Sapchatz que fon l'aunitz dolens Sachez qu'est malheureux et méprisé
Que's perdèt en meg del cors ; Celui qui se perd à la mi-course.
Mas l'arditz on prètz s'aviva Mais le preux, en qui le mérite s'exalte,
Saup gen sa valor enansar, Sut noblement accroître sa valeur,
Quant pres tot çò que'lh fon plus car, En prenant tout ce qui lui tenait à cœur
Mentre'lh fon l'amors aisiva ; Au moment où l'amour le lui préparait.
E dòmna qu'aital drut mescré La dame qui désavouerait un tel amant
Mal creirà cel qui se'n recré. Accordera peu de confiance à celui qui
s'abstient.]
-Dòmna, sapchatz que grans valors Dame, reconnaissez le grand mérite
Fon de l'amic e chausimens Et le discernement
Que'l fetz gardar de falhimens, Qui gardèrent l'amant de faillir,
Esperan de sidòns socors. Dans l'espoir des secours [émanant] de sa
E cel fetz foudat nadiva dame.]
BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 184 -Droits d’auteur réservés.
Table des annexes
Que sa dòmna ausèt forçar ; Agit comme un forcené celui
Et qui'l manté sap pauc d'amar : Qui osa forcer sa dame
Qu'amans – puòis fin' amors viva - Qui le soutient connaît peu l'amour.
Lo destrenh – tem sa dòmna e cre Un amant, dès lors qu'un amour pur et brûlant
De tot quant ditz, qu'aissí's cové. Le tourmente, craint sa dame et lui accorde
créance]
En tout. Ainsi convient-il d'agir.
-Oimais conosc ben cossí va, Désormais, je vois parfaitement ce qu'il en est,
Rofin, puòis que'us aug encolpar Rofin, puisque je vous entends accuser
Lo fin e'l caitiu razonar : L'amant parfait et excuser le mauvais.
Qu'eissamens òbra caitiva De même, vous accompliriez
Fariatz ; e midòns, dessé, Une méchante action. Il faut que sur-le-champ
N'Agnesina, diga que'n cre. Dame Agnésine nous dise ce qu'elle en pense.
-De mi non cal qu'ieu o pliva Pour moi, peu importe que je m'engage,
Que'l ver en podètz ben triar, Car vous pouvez parfaitement discerner la vérité,
Dòmna, si'us platz, e mout m'es car Dame, s'il vous plaît. J'apprécierai hautement,
-Que midòns – on prètz s'aviva - Ma dame, où le mérite s'exalte,
N'Agnesina demand' ab se Que dame Agnésine appelle à ses côtés
Na Cobeitosa de tot be. Dame Désireuse-de-tout-bien160.
160 Traduction de Danielle RÉGNIER-BOHLER, Ibid., p 50 à 52.BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 185 -Droits d’auteur réservés.
ANNEXE 16 GUILHELMA DE ROSERS ET LANFRANC CIGALA
-Na Guilhelma, maint cavalier arratge Dame Guillelma, maints chevaliers errants,
Anant de nuech per mal temps que fazia, voyageant de nuit, par mauvais temps,
Si planhian alberc en lur lengatge. Souhaitaient un gîte dans leurs plaintes.
Auziron dui bar que per drudaria Les entendirent deux chevaliers qui, par amour,
Se n'anavan vas lur dòmna non len. S'en allaient promptement vers leur dame.
L'us se'n tornèt per servir cela gen, L'un d'eux s'en retourna servir ces gens,
L'autres anèt vas sa dòmna corren. L'autre poursuivit vers sa dame au galop.
Quals d'aquels dos fetz mielhs çò que'lh tanhia ? Lequel des deux agit le mieux comme il
convenait ?]
-Amic Lanfranc, mielhz complí son viatge, Ami Lanfranc, celui qui poursuivit vers son
Al mieu semblant, cel que tenc vas s'amia ; amie,]
E l'autre fetz ben, mas son fin coratge à mon sens, accomplit le mieux son voyage.
Non pòc tan ben saber sidònz a tria L'autre agit bien, mais sa dame ne put aussi
Com cil que'l vic denant sos òlhs presen distinctement]
Qu'atendut l'a sos cavaliers coven ; connaître la pureté de son cœur
Qu'eu près tròp mais qui çò que ditz aten que celle qui le vit en personne devant ses
Que qui en als son coratge cambia. yeux,]
Car son chevalier a tenu sa promesse envers
elle.
Je prise beaucoup plus celui qui observe sa
parole
Que celui dont les projets changent.
-Dòmna, si'us platz, tot quan fetz d'agradatge Dame, s'il vous plaît, tout ce qu'accomplit de
Lo cavaliers que per sa galhardia désagréable]
Garda'ls autres de mòrt et de damnatge Le chevalier, qui par son courage
Li mòc d'amor, car ges de cortesia Protégea autrui de mort et de dommage,
Non a nuls òms si d'amor no'lh descen ; Lui vint d'amour. Un homme ne possède
Per que sidònz deu grazir per un cen point]
Quar deliurèt, per s'amor, de turmen De courtoisie si elle ne provient d'amour.
Tanz cavaliers que se vista l'avia. Aussi sa dame doit-elle lui rendre grâce
Cent fois plus que si elle l'avait vu
Car, pour son amour, il a tiré de la peine tant
de chevaliers.
BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 186 -Droits d’auteur réservés.
Table des annexes
-Lanfranc, ja mais non razonetz musatge Lanfranc, n'allez pas excuser une folie
Tan gran com fetz d'aquel qu'aiçò fazia, aussi considérable que celle qu'il fit,
Que, sapchatz be, mout i fetz gran ultratge sachez-le, il commit une grande faute.
(Pueis bèls servirs tan de còr li movia), Puisque son cœur éprouvait tant le désir de servir,
Quar non servic sidònz premeiramen ; pourquoi n'a-t-il pas commencé par servir sa dame ?
Et agra'n grat de leis e jauzimen, Il aurait obtenu d'elle gratitude et plaisir
Pueis per s'amors pògra servir soven puis, pour l'amour d'elle, il aurait pu souvent servir
En maintz bos luecs, que falhir no'lh podia. En maints bons lieux, sans commettre de faute.
-Dòmna, perdon vos quièr , s'ieu dic folatge ; Dame, je vous demande pardon si je tins des
Qu'oimais vei çò que de dòmnas crezia : propos déraisonnables;]
Que non vos platz qu'autre pelegrinatge je perçois maintenant ce que je redoutais :
Façan li drut, mas ves vos tota via, vous, femmes, vous déplaît que les amants fassent
Pero cavals qu'òm vòl que biòrt gen d'autre pèlerinage]
Deu òm menar ab mesur' et ab sen ; Que celui qui va droit à vous.
Mas car los drutz cochatz tan malamen Aussi doit-on conduire avec mesure et intelligence
Lur falh poders, don vos sobra feunia. Le cheval que l'on veut voir jouter noblement.
De même aux amants si méchamment pressés
manquent les forces, et les ressentiment vous
submerge.]
-Lanfranc, ieu dic que son malatz usatge Lanfranc, je déclare que le jour même
Degra laissar en aquel meteis dia le chevalier qui veut tenir en son pouvoir
Li cavaliers que dòmna de paratge une dame de haut rang, belle et noble,
Bèla e pros, deu aver en bailia. Doit abandonner son comportement néfaste.
Qu'en son alberc servís òm largamen, Qu'en sa maison il serve longuement ;
Ja el no'i fos, mas chascun razon pren celui-ci ne le fit point. Chacun cherche une
Car sai que a tan de recrezemen échappatoire,]
Qu'al major òps poders li falhiria. Car je sais qu'il est si pusillanime
qu'au plus fort du besoin ses forces failliront.
-Dòmna, poder ai eu et ardimen Dame, je possède vaillance et pouvoir,
Non contra vos, que'us vencés en jazen, mais point contre vous car vous m'avez vaincu.
Per qu'eu fui fòls car ab vos pris conten, J'ai agi en fou en disputant avec vous,
Mas vencut vuelh que m'ajatz com que sia. Je veux que vaincu vous me preniez quel que je
sois.]
BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 187 -Droits d’auteur réservés.
-Lanfranc, aitan vos autrei e'us consen Lanfranc, je vous l'octroie et vous le consens
Que tant mi sen de còr e d'ardimen d'autant]
Qu'ab aital genh com dòmna si defen Que je me sens si brave et si hardie
Mi defendri' al plus ardit que sia. Qu'avec l'adresse dont femme se défend
Je me garderait du plus entreprenant161.
161 Traduction de Danielle RÉGNIER-BOHLER, Ibid., p 42-43BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 188 -Droits d’auteur réservés.
Table des annexes
ANNEXE 17 ISABÈLA
folio 45vb ms H vignette
BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 189 -Droits d’auteur réservés.
ISABÈLA ET ÉLIAS CAIREL (TENSO)
-N'Elias Cairel, de l'amor Seigneur Élias Cairel, de l'amour
Qu'ieu e vos soliam aver que nous partageâmes,
Vòlh, si'us platz, que'm digatz lo ver, je veux, s'il vous plaît, que vous me disiez la
Per qué l'avètz cambiad' alhors ; vérité:]
Que vòstre chanz non vai si com solia Pourquoi l'avez-vous porté ailleurs ?
Et anc vas vos no'm sui salvada un dia Votre chant ne résonne plus comme à
Ni vos d'amor no'm demandetz anc tan l'accoutumée;]
Qu'ieu non fezés tot al vòstre coman. Pas un seul jour je ne me suis dérobée à vous,
et vous ne m'avez rien requis au nom de
l'amour]
Que je n'ai accompli en parfaite soumission.
-Ma dòmn' Isabèla, valor Ma dame Isabelle, valeur,
Jòi e prètz e sens e saber joie et mérite, sagesse et intelligence
Soliatz quec jorn mantener ; vous avez entretenu chaque jour,
E s'ieu en dizia lauzor et si je chantais vos louanges
En mon chantar, no'l dis per drudaria dans ma poésie, ce n'était pas par amour
Mas per onor e pron qu'ieu n'atendia, mais pour le mérite et le profit que j'en
Si com joglars fai de dòmna prezan, espérais,]
Mas chascun jorn m'ètz anada cambian. Comme un jongleur le fait d'une dame.
Mais chaque jour vous vous montriez
changeante à mon égard.]
-N'Elias Cairel, amador Seigneur Élias Cairel, je ne vis jamais
Non vi mais de vòstre voler amoureux qui, comme vous, veuille
Qui cambiès dòmna per aver ; troquer sa dame contre un avantage.
E s'ieu en dissés desonor, Si je vous blâmais,
Eu n'ai dich tan de ben qu'òm no'l creiria, on ne me croirait pas tant j'ai dit bien de vous.
Mas be podètz doblar vòstra folia. Vous pouvez bien redoubler votre folie !
De mi vos dic qu'adès vauc melhuran Pour moi, je vous affirme que je progresse
Mas en drech vos non ai còr ni talan. déjà,]
Mais, légitimement, je n'éprouve pour vous
ni amour ni désir.]
-Dòmn' eu faria gran folor Dame, je commettrais une grande folie
S'istès gair' en vòstre poder, si je demeurais davantage en votre pouvoir,BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 190 -Droits d’auteur réservés.
Table des annexes
E ges per tal non desesper et je ne suis pourtant point désespéré
S'anc tot no ai pron ni onor. De n'en avoir retiré ni bénéfice ni honneur.
Vos remanretz tals com la gens vos cria, Vous resterez telle que les gens vous clament
Et ieu irei vezer ma bèl' amia Et moi j'irai rendre visite à ma belle amie,
E'l sieu gen còrs graile e ben estan au corps gracieux, gracile et parfait,
Que non m'a còr mensongèr ni truan. Et qui n'a pas envers moi le cœur hypocrite et vil.
-N'Elias Cairel, fenhedor Seigneur Élias Cairel, vous ressemblez
Rassemblatz, segon mon parer à un hypocrite, à ce qu'il me paraît,
Com òm qui's fenh de dòl aver à celui qui feint de souffrir d'une douleur
De çò dont el non sent dolor. Qu'il n'éprouve pas.
Si'm creziatz, bon conselh vos daria : Croyez-moi, je vais vous donner un bon conseil :
Que tornassetz estar en l'abadia retournez séjourner à l'abbaye,
E no'us ausèi anc mais dir mon semblan, et si j'osais vous dire mon sentiment :
Mas pregat n'èi lo patriarcha Joan. Priez plutôt le patriarche Jean.
-Dòmn' Isabèl', en refeitor Dame Isabelle, en aucun réfectoire
Non estèi anc matin ni ser, je ne fus jamais, ni matin ni soir,
Mas vos n'auretz oimais lezer mais [vous] vous aurez bientôt le loisir de le faire
Qu'en brèu temps perdetz la color. Car en peu temps vous perdrez votre teint.
Estier mon grat mi faitz dir vilania Contre mon gré vous me faites dire une vilenie,
Et ai mentit, qu'eu non crei qu'el mon sia j'ai menti : je ne crois pas qu'il existe au monde
Dòmna tan pros ni ab beutat tan gran une dame possédant autant de noblesse et de beauté,
Com vos avètz, per que n'ai agut dan. C'est pour cela que j'en suis affligé.
-Si'us plazia, N'Elias, ieu volria S'il vous agréait, Seigneur Élias, je souhaiterais
Que'm dissessetz quals es la vòstr'amia Que vous me confiiez qui est votre amie.
E digatz-lo'm e no'i anetz doptan Dites-le-moi et soyez sans crainte,
Que'us en valrai s'ela val ni sai tan. Je vous le revaudrai si elle possède valeur et mérite.
-Dòmna, vos m'enquerètz de gran folia Dame, vous me demandez [de commettre] une
Que per razon s'amistat en perdria, grande folie,]
E per paor que lausengièr mi fan je perdrais son amitié à juste titre
Per o non aus descobrir mon talan. Et pour la peur que me causent les vils flatteurs,
aussi je n'ose vous dévoiler mon désir162.
162 Traduction de Danielle RÉGNIER-BOHLER, Ibid., p 48-49BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 191 -Droits d’auteur réservés.
ANNEXE 18 NA LOMBARDA
folio 43vb ms H vignette
BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 192 -Droits d’auteur réservés.
Table des annexes
Na Lombarda et Bernart N 'Arnautz
Lombards volgr' eu' èsser per Na Lombarda... Lombard je voudrais être pour dame
Lombarde,
Bernart N'Arnautz Bernard Arnaud
Lombards volgr' eu' èsser per Na Lombarda, Lombard je voudrais être [appelé] pour
Qu'Alamanda no'm platz tan ni Giscarda, dame Lombarde,]
Car ab sos òlhs plazenz tan gen mi garda, Car Alamande ni Giscarde ne me plaisent
Que par que'm don s'amor : mas tròp me tarda, autant;]
Car bèl vezer De ses yeux charmants elle me regarde si
E mon plazer tendrement]
Ten e bèl ris en garda, qu'elle semble me donner son amour. Mais
Que nuls no'l pòt mover. elle tarde trop;]
Elle tient si bien en garde joyeux sourire,
Belle apparence
Et mon plaisir
Que nul ne peut les en sortir.
Sénher Jordan, se vos lais Alemanha, Seigneur Jourdan, si je vous laisse
França e Peiteus, Normandia e Bretanha, l'Allemagne,]
Be me devètz laissar senes mesclanha La France, le Poitou, la Normandie et la
Lombardia, Liverno e Lomanha. Bretagne,]
E si'm valètz Vous devez bien m'abandonner sans conflit
Lèu per un dètz La Lombardie, Livourne et la Lomagne.
Valdré'us ab leis qu'estranha Et si vous m'aidez,
Es de tot àvol prètz. Moi, au décuple,
je vous le revaudrai auprès de celle qui se
tient]
Éloignée de tout vil mérite.
Miralh-de-Prètz Miroir-de-Mérite,
Conòrt avètz, Vous me réconfortez.
Ges per vila[n] no's franha Qu'à cause d'un vilain ne se brise point
L'amor en que'm tenètz. L'amour par lequel vous me tenez.
BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 193 -Droits d’auteur réservés.
Na Lombarda Dame Lombarde
Nom vòlgr' aver per Bernart Na Bernada Je voudrais avoir nom dame Bernarde
E per Arnaut N'Arnauda apelada ; et pour sire Arnaud dame Arnaude
E grans mercés, Sénher, car vos agrada être appelée.]
Qu'ab tals doas dòmnas m'avètz nomnada. Grand merci, seigneur, puisqu'il vous
Vòlh que'm digatz plaît]
Quals mais vos platz De me nommer en compagnie de ces
Ses cuberta celada, deux dames-là.]
E'l miralh on miratz. Je veux que vous me disiez
Celle qui vous plaît le plus
Et, sans feinte cachotterie,
Dans quel miroir vous vous mirez.
Car lo miralhs e non vezer descòrda Car le miroir et l'absence introduisent
Tan mon acòrd qu'ac pauc vo'l desacòrda ; tant la discorde]
Mas quan recòrd çò que'l meus noms recòrda Dans mon accord que peu s'en faut
En bon acòrd totz mos pensars s'acòrda ; qu'il ne le désaccorde.]
Mas del còr pes Mais lorsque je me rappelle ce que
On l'avètz mes mon nom rappelle]
Que sa maison ni bòrda En un bon accord toute ma pensée
Non vei que lui taisés. s'accorde.]
Mais je pense à votre cœur,
Où l'avez-vous logé ?
Je ne vois ni sa maison ni une
chaumière]
Car vous ne lui en soufflez mot163.
163 Traduction de Danielle RÉGNIER-BOHLER, Ibid., p 44-45BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 194 -Droits d’auteur réservés.
Table des annexes
ANNEXE 19 MARIA DE VENTARDORN
folio 53b ms H, vignette
BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 195 -Droits d’auteur réservés.
Marie de Ventadour et Gui d'Ussel
Gui d'Uissel, be'm pesa de vos Gui d'Ussel, vous me peinez beaucoup
-Gui d'Uissel, be'm pesa de vos Gui d'Ussel, vous me peinez beaucoup
Car vos ètz laissatz de chantar ; Car vous délaissez la poésie.
E car vos i vòlgra tornar Je voudrais que vous y retourniez.
(Per que sabètz d'aitals razós), Vous qui connaissez tant de « commentaires »,
Vuòlh que'm digatz si deu far egalmen Dites-moi si une dame doit accomplir
Dòmna per drut, quan lo quièr francamen, également]
(Cum el per lieis) tot quant tanh ad amor pour son amant, lorsqu'elle l'aime
Segon los dreitz que tenon l'amador. franchement,]
-Comme lui le fait pour elle-tout ce qui
touche à l'amour,]
Conformément aux lois que respectent les
amants.]
-Dòmna Na Maria, tensós Dame Marie, je pensais abandonner
E tot quant cujava laissar, tensons et toute forme de poésie,
Mas aoras non puòsc estar Mais dorénavant je ne puis m'abstenir
Qu'ieu non chant als vòstre somós. De chanter puisque vous m'y inviter.
E respond eu a la dòmna brèumen Je réponds aussitôt à la dame
Que per son drut deu far comunalmen Qu'elle doit agir vis-à-vis de son amant
Cum el per lieis ses garda de ricor, exactement]
Qu'en dos amics non deu aver major. Comme il agit à son endroit, sans égard pour
le rang,]
Car entre deux amants l'un ne doit pas
l'emporter sur l'autre.]
-Gui, tot çò don es cobeitós Gui, toutes les faveurs qu'un amant convoite,
Deu drutz ab mercé demandar, il doit les demander avec humilité ;
E dòmna o deu autrejar, la dame doit les lui octroyer
Mas ben deu esgardar sazós. Mais prendre garde au moment.
E'l drutz deu far prècs e comandamen L'amant adresse ses prières et ses demandes
Cum per amiga e per dòmna eissamen, autant à une amie qu'à une dame ;
E'lh dòmna deu a son drut far onor la dame doit honore son amant
Cum ad amic mas non cum a senhor. Comme un ami mais non comme un maître.
BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 196 -Droits d’auteur réservés.
Table des annexes
-Dòmna, çai dison demest nos Dame, nous pensons ici entre nous
Que, pòis que dòmna vòl amar, que -lorsqu'une dame veut aimer-
Engalmen deu son drut onrar, à égalité il lui faut honorer son amant
Pòis engalmen son amorós. Puisqu'ils s'aiment à parité.
E s'esdeven que l'am plus finamen Et s'il advient qu'elle l'aime avec plus de ferveur
E'ls fachs e'l dichz en deu far aparen, Ses actes et ses propos doivent le montrer ;
E si el' a fals còr ni trichador Si elle a le cœur félon et hypocrite
Ab bèl semblan deu cobrir sa folor. Que sa folie se dissimule sous de belles manières.
-Gui d'Uissel, ges d'aitals razós Gui d'Ussel, les amants ne raisonnent point ainsi
Non son li drut al començar ; au commencement.
Anz ditz chascus, quan vòl prejar, à l'inverse, ils disent, lorsqu'ils veulent prier,
Mans jointas e de genolhós : mains jointes, à genoux :
'Dòmna, volhatz que'us serva franchamen « Dame, acceptez que je vous serve sans réserve
Cum lo vòstr' òm' : et ela enaissí'l pren. Comme votre homme lige » et la dame l'accepte
Eu vo'l jutge per drech a traïtor ainsi.]
Si's rend pariers e's dèt per servidor. Je considère légitimement l'amant comme un traître,
Si, s'étant déclaré serviteur, il se veut son égal.
-Dòmna, çò es plaitz vergonhós Dame, il est honteux
Ad òps de dòmna razonar Pour une dame de soutenir
Que celui non tenha per par Qu'elle n'estime pas son égal
Ab cui a fach un còr de dos. Celui avec qui elle fait un cœur de deux [cœurs].
O vos diretz – e no'us estarà gen - Ou vous prétendez – mais cela ne vous agréera point-
Que'l drutz la deu amar plus finamen Que l'amant doit aimer avec plus d'authenticité,
O vos diretz qu'il son par entre lor, ou vous déclarez qu'ils sont égaux
Que ren no'lh deu lo drutz mas per amor. Et que l'amant ne doit rien, sauf l'amour164.
164 Traduction de Danielle RÉGNIER-BOHLER, Ibid., p 46 à 48.BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 197 -Droits d’auteur réservés.
ANNEXE 20 LES ANONYMES :
folio 45a ms H vignette165
Cobla anonyme tirée du manuscrit H, en face de la vignette présentée au dessus.
165 Seule vignette d'une trobairitz anonyme qui ait été conservée avec la pièce écrite par la-dite trobairitz.BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 198 -Droits d’auteur réservés.
Table des annexes
Dieus sal la terra e'l palai Dieu protège la terre et la salle
Dieus sal la terra e'l palai Dieu protège la terre et la salle
On vòstre còrs es ni estai, Où votre corps demeure et séjourne ;
On qu'eu sia mos còrs es lai, Où que je sois, mon cœur est là-bas,
Que sai non n'es òm poderós ; Car personne ici n'a de pouvoir sur lui.
Aissí vòlgr'eu que'l còrs lai fos, Aussi voudrais-je que mon cœur fût là-bas,
Qui que çai se'n fezés parlièrs, Quels que soient ici les propos que l'on
Mais n'am un jòi que fos entièrs tienne.]
Qu'el que se'n fai tant envejós. [Car ] je préfère une joie qui soit entière
À celui qui s'en montre si jaloux166.
166 Traduction de Pierre BEC, dans Chants d'amour des femmes troubadours, op.cit. , p 114.BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 199 -Droits d’auteur réservés.
ANNEXE 21 QUELQUES TEXTES SUPPLÉMENTAIRES
Dòmna et donzèla Dame et demoiselle
Bona dòmna, tan vos ai fin coratge Bonne dame, j'éprouve pour vous un tel
attachement]
-Bona dòmna, tan vos ai fin coratge, Bonne dame, j'éprouve pour vous un tel
Non puesc mudar no'us conselh vòstre be, attachement]
E dic vos be que faitz gran vilanatge, Que, pour votre bien, je ne peux m'empêcher
Car cel òme qu'anc tan non amèt re de vous donner un conseil:]
Laissatz morir e non sabetz per que ; je vous assure que vous commettez une
Pero si mòr, vòstre n'èr lo damnatge, grande vilenie]
Qu'autra dòmna mas vos a grat no'l ve, En laissant mourir, sans savoir pourquoi, cet
Ni en lui non a poder ni senhoratge. Homme]
Qui jamais n'aima personne [autant que vous].
Aussi, s'il meurt, vôtre sera le dommage,
Car aucune autre femme que vous ne lui agrée
Ni n'exerce sur lui pouvoir et souveraineté.
-Na Donzèla, be'm deu èsser salvatge Demoiselle, j'ai tout lieu de me montrer cruelle
Quan el gaba ni se vana de me ; Quand il plaisante et se vante à mon propos.
Tan a son còr fòl e lèu e volatge Il a le cœur si fou, si frivole, si volage
Que m'amistat en lunha re no's te. Que mon amitié il ne peut faire aucun cas.
Per que m'amors no'l tanh ni no'l cové ; Mon amour ne le touche ni ne lui sied.
E pus el eis s'a enqués lo folatge, Et puisqu'il a lui-même recherché la folie,
Non me'n reptetz si la foldatz le'n ve, Ne me blâmez pas s'il sombre dans la folie,
Qu'aissí aug dir que dretz es e onratge. J'ai ouï dire qu'[agir] ainsi est juste et honnête.
-Bona Dómna, ardre'l podètz e pendre, Bonne dame, vous pouvez le brûler ou le
O far tot çò que'us venga a talen, pendre,]
Que res non es qu'el vos puesca defendre, Ou lui faire tout ce qu'exige votre caprice,
Aissí l'avètz ses tot retenemen. Car il n'est rien qu'il vous puisse interdire ;
E no'm par ges que'us sia d'avinen, Vous disposez ainsi de lui sans la moindre
Pus ab un bais lo fetz lo còr estendre réserve.]
Aissí co'l fòcs que'l mòrt carbon encen : Il ne paraît pas que cela soit convenable
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Table des annexes
Pueis quant el mòr, non vo'n cal mercé pendre. Puisque d'un baiser vous lui faites dilater le cœur,
comme le feu embrase le bois mort.
Une fois mort qu'importe le pardon !
-Na Donzèla, non me'n podètz rependre, Demoiselle, vous n'avez pas à me blâmer
Que'l dèi m'amor ab aital covinen Car je lui alloué mon amour à la condition
Que el fos mieus per donar e per vendre qu'il m'appartînt, [que je pusse] le donner et le
E que tostemps fos a mon mandamen. vendre]
Mas el a fach vas me tal falhimen et qu'il restât éternellement sous mes ordres.
Don ges no's pòt escondir ni defendre. Mais il a commis à mon endroit un faute telle
Non o fatz mal, si m'amor li defen, qu'il ne peut ni se disculper ni se défendre.
Car ja per el non vuelh mon prètz discendre . Je n'agis pas mal en lui refusant mon amour,
Je ne veux pas à cause de lui appauvrir mon mérite.
-Süau parlem, Dòmna, qu'òm no'ns entenda ! Parlons doucement, dame, qu'on ne nous entente pas.
Ara digatz que forfaitz es vas vos, Vous vous déclarez là victime d'un forfait,
Mais que per far vòstres plazers se renda Mais pourvu qu'afin de satisfaire votre plaisir, il
Sos còrs umils contra'l vòstr' ergulhós, rende]
Vuelh que'm digatz, Dòmna, per quals razós Son cœur humble au vôtre orgueilleux,
Poiretz estar que mercés non vo'n prenda, Dites-moi, dame, pour quelle raisons
Que mil sospirs ne fa'l jorn angoissós, Vous pourriez lui refuser votre grâce,
Don per un sol no'l denhatz far esmenda. Et, quand mille soupirs rendent ses jours douloureux,
D'un seul ne pas daigner lui accorder réparation.
-Si m'amor vòl, Na Donzèla, que renda, S'il veut regagner mon amour, demoiselle,
Ben li èr òps que sia gais e pros, il lui faudra vraiment se montrer gai et vaillant,
Francs e umils, qu'ab nulh òm no's contenda noble et humble, et à quiconque ne chercher querelle
E a cascun sia de bèl respós ; et envers tous paraître affable.
Qu'a me non tanh òm fèl ni ergulhósn Qu'à moi ne s'attache traître ou orgueilleux
Per que mon prètz deschaia ni discenda, Faisant déchoir et diminuer mon mérite,
Mas francs e fis, celanz et amorós, Mais à l'inverse un homme noble et sincère, discret
S'el vòl que'l don lezer qu'en mi entenda. et amoureux,]
S'il désire que je lui donne le loisir de m'aimer.
-Aital l'auretz, ja regartz non vo'n prenda, Vous l'aurez tel, n'ayez crainte,
Bona Dòmna, que'l sieu còr avètz vos, Bonne dame, vous détenez son cœur,
Que el non a poder qu'ad autr' entenda. Il ne peut s'attacher à une autre femme.
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-Bona's la fin, Donzèla'n que s'atenda ; Cela finira bien, demoiselle, s'il s'y applique.
E vos sïatz garda entre nos dos, Montez la garde entre nous deux
E que'us tengatz ab aquel que'l tòrt prenda. Et restez près de celui à qui incombe le tort167.
167 Traduction de Danielle RÉGNIER-BOHLER, dans Voix de femmes au Moyen Âge, op.cit., p 35 à 37.BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 202 -Droits d’auteur réservés.
Table des annexes
Chanson de nonne :
Lassa, mais m'agra valgut Malheureuse que je suis, il aurait mieux
valu pour moi
Lassa, mais m'agra valgut Malheureuse que je suis, il aurait mieux
Que fos maridada valu pour moi]
O cortés amic agut Que je sois mariée
Que quan fui monjada ! Ou que j'eusse un ami
Plutôt que d'être devenue nonne !
Monjada fui a mon dan : C'est pour mon dommage que je suis
Pecat gran entrée au couvent:]
Han fait segons mon albir, Et ils ont commis un grand péché,
Mas cels qui mesa m'i han À ce que je pense,
En mal an Ceux qui m'y ont mise.
Los meta Deus e'ls aïr ! Que Dieu les maudisse et les haïsse !
Car si jo'unagués saubut Car si je l'avais su
Mas fui poc fada, - Mais j'étais un peu folle,
Qui'm donàs tot Montagut Même si l'on m'avait donné tout Montagut,
No'i fora entrada ! Je n'y serais pas entrée168 !
168 Traduction de Pierre BEC, dans Chants d'amour des femmes troubadours, op.cit. , p 230.BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 203 -Droits d’auteur réservés.
Planh d'une jeune femme extrait du manuscrit G
Ab lo còr trist environat d'esmai Le cœur triste, dévoré d'inquiétude,
Ab lo còr trist environat d'esmai, Le cœur triste, dévoré d'inquiétude,
Plorant mos uelhs e rompent los cabelhs, Les yeux pleins de larmes, m'arrachant les
cheveux
Sospirant fòrt, lassa, comjat pendrai Et poussant de gros soupirs, hélas ! Je prendrai
congé
De Fin'Amor e de totz sos conselhs, De Fine Amour et de tous ses conseils :
Car ja no'm platz amar òm qu'el mon sia Car désormais il ne me plaît pas d'aimer
homme au
D'ar' en avant ne portar bon voler, monde]
Pus mòrt cruzel m'a tòlt cel qu'eu volia Ni de lui manifester mon bon vouloir,
Tròp mais que me sens negun mal saber. Puisque la mort cruelle m'a ravi celui à qui je
voulais
Plus de bien qu'à moi-même, sans nul
ombrage.
E per aiçò fauc lo captenimen Et c'est pour cela que j'ai ce comportements
Desesperat e farai chascun jorn, Désespéré, que j'aurai chaque jour,
Ab trist semblant, e dirai entenen Le visage triste, et ferai comprendre
A totz aicels que'm vei anar entorn : À tous ceux que je vois autour de moi
Qu'en me no'ls cal aver nul' esperança, Qu'ils n'ont plus besoin d'avoir en moi nulle
Anz pòdon ben cercar en autra part espérance,]
Dòmna que'ls am o que'ls don s'amistança, Mais peuvent bien chercher ailleurs
Car eu d'amor e de jòi me depart. Une dame qui les aime et leur fasse don de
son amitié:]
Car moi, je me sépare de Joie et d'Amour.
E si del mon pogués pendre comjat, Et si je pouvais prendre congé du monde,
Ab grat de Deu, aissí cum fau d'amor Avec l'agrément de Dieu, comme je le fais
d'Amour
-totz mos parentz encara m'an reptat - -Tous mes parents m'en ont encore blâmée-,
Plandria'm pauc aitant visc ab dolor ; Je ne me plaindrais qu'à peine, tellement je
vis
E per aiçò prèc la mòrt sens demòra, dans la douleur.]
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Table des annexes
Venga de faitz per mon las còr aucir, Et c'est pour cela que je prie la mort de venir en
Pus a mòrt cel que lo meu còr tant plora personne et sans attendre]
E fa mant dòl nueit e jorn e sospir. Pour tuer mon cœur accablé,
Puisqu'elle a tué celui que mon cœur pleure tant,
Et qui est cause, nuit et jour, de ma douleur et de
mes soupirs.]
De totz quant vei ben paratz e vestitz, Tous ceux que je vois bien parés, bien vêtus,
Dançant, chantant, alegres e pagatz, Dansant, et chantant, joyeux, allègres
Ai gran enueg e no'm platz mos delitz ; Et satisfaits me sont cause de chagrin, et
E no'n deu èsser res meravelhatz mon plaisir me déplaît.]
Car pus me son renovelant la plaia, Et personne ne doit s'en étonner,
Anant me'l còr en la gent arezar Car ils ne font que rouvrir encore plus ma
E'l gai vestir d'aicel – aqui Deus aia- blessure:]
Lo qual non crei en lo mon n'agués par. Lorsque mon cœur songe à la belle parure
Et aux gais vêtements de celui -Que Dieu
reçoive ! -
Dont je ne vois point qu'il ait au monde son
égal.]
Per que m'es bon de nul temps amar plus C'est pour cela qu'il me plaît de ne pas aimer
E de gequir amor e son ostal, à nouveau de longtemps]
Car eu non crei òm de trobar dejús Et de renoncer à Amour et à sa suite ;
Tan bon, tan gai ne de valor aital. Car je ne crois point qu'on trouver ici-bas un
El èra franc, valent, d'onor complida, homme]
E tant ardit que el n'es estat mòrt, Si bon, si gai, ni de telle valeur.
Per que mon còr faria gran falhida Il était noble, vaillant, accompli en fait
Si n'amava altre après sa mòrt. d'honneur,]
Et si hardi qu'il en perdit la vie.
Mon cœur commettrait donc une grande faute
S'il en aimait un autre après sa mort.
Mon dolç amic, si ben òm no'm soterra, Mon doux ami, bien que je ne sois point sous
Mòrta sui eu gran res – si Deu m'ajut - terre,]
Car sinon mal non sent, tant fòrt s'aferra Je suis morte depuis longtemps – Et que
Dolor en me depueis que'us ai perdut. Dieu me protège!:]
Car je ne sens point d'autre mal, si forte est
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La douleur qui s'incruste en moi, depuis que
je vous ai perdu169.]
169 Traduction de Pierre BEC, Ibid., p 118 à 119.BRUN Sandrine | Diplôme national de master| mémoire de recherche | juin 2014 - 206 -Droits d’auteur réservés.
Glossaire
Assaig : autrement dit l'essai. Il s'agit du moment où la dame va tenter son amant afin de savoir si celui-ci va résister à son désir et lui laisser son honneur.
Canso : chanson en occitan. Il s'agit d'un des genres de la « littérature » troubadouresque.
Cobla : signifie strophe en langue d'oc.
Domna : signifie dame.
Fin'Amor : thème majeur de la lyrique troubadouresque aux XIIe et XIIIe siècles.
Joi : la jouissance, un concept de la Fin'Amor.
Jovens : la jeunesse, un autre concept de la Fin'Amor.
Mezura : la mesure. Il s'agit d'un des trois concepts sur lesquels la Fin'Amor se base.
Na ou N' : abréviation de Domna
Oc : signifie « oui » dans le Sud de la France. Il s'agit du nom d'une des deux grandes langues parlées en France à l'époque médiévale.
Oïl : signifie « oui » dans le Nord de la France. Il s'agit également du nom de la deuxième grande langue parlée en France au Moyen Âge. La deuxième étant la langue d'Oc.
Partimen (ou joc-partit) : chanson-débat, représentation d'un dialogue entre plusieurs personnes.
Planh : chanson de déploration, variante de la canso.
Senhals : surnoms en occitan.
Sirventès : chanson satirique, dont les thèmes tournent principalement autour de l'actualité politique.
Tenso : chanson dialoguée, présentée comme un dialogue entre deux ou trois personnes, où celles-ci débattent sur un sujet précis.
Tornada : couplet final d'un canso, contenant l'envoi, le nom de la personne à qui est destiné la canso.
Trobar : trouver en occitan, signifie également composer des poèmes et des mélodies.
Trope : figure de rhétorique, et dans notre cas pièces poético-musicales en langue vernaculaire insérées dans des chants liturgiques.BRUN Sandrine | Diplôme national de master | mémoire de recherche | juin 2014 - 207 -Droits d’auteur réservés.
Vidas : ce sont des « vies » de troubadours ou de trobairitz, autrement dit des biographies que l'on trouve principalement dans les chansonniers provençaux.
Vièle : terme qui désigne, en Europe, les différents instruments à archet à partir du XIe siècle.
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Index
A
Adam..............................................10 svAgramunt, Puigverd d'.......................28Alaisina Iselda....................................20Alamanda............................................20Alphonse X.........................................23Altier, Azalaïs d'..................20, 32, 105Alvernhe, Peire d'...............................28Anduze, Clara d'..............20, 57, 76, 78Anglade, Joseph...........................15, 17Aquin, Thomas d'.................................9Aquitaine, Aliénor d'........22 sv, 27, 31Aragon, Alfons II d'...................27, 107Archambault.......................................18Arles, Césaire d'.................................21Arthur..................................................92Aurenga, Raimbaut d'..........23, 77, 102
B
Balaguer, Victor.................................17Barberino, Francesco da....................51Barbezieux, Rigaud de..........54, 93, 96Bartsch, Karl.......................................17Bec, Pierre.................17, 19, 32, 42, 83Beck, Jean...........................................37Bembo, Pietro.....................................43Bingen, Hildegarde de.......................10Boccace.........................................16, 19Bogin, Meg.........................................17Born, Bertrand de.........................23, 27Bornelh, Girault de.............................27Boutière, Jean.....................................51Bremont Ricas Nouas, Pere...............70Brunel-Lobrichon...............................15
C
Cabestany, Guilhem de.........16, 50, 57Capion, Iseut de...........................20, 32Cardinal, Peire....................................46Carenza................................................20Cassiodore...........................................14Castel-Roussillon, Raymond de........50Castelloza...........20, 30, 51, 78 sv, 103Castelnau, Pierre de.......................23 svCastelnou, Almucs de.......20, 32, 50 svCavaillon, Gui de...............................32
Cennini, Cennino................................61Cercamon............................................22Chabaneau, Camille...........................17Champagne, Marie de........................31Champagne, Thibaud de....................16Chapelain, André le.....................24, 31Charlemagne.........................................9Charles Ier...........................................73Chenu, Marie-Dominique..................75Cigala, Lanfranc.................................32Clément VII........................................43Colocci, Angelo..................................43Constance............................................27Coussemaker, F. de............................35Curne de Sainte-Palaye, Jean-Baptiste de la.................................................9, 16Cybèle..................................................36
D
Dante.........................................9, 16, 26Die, comtesse de.20, 29, 31, 37, 51, 78 sv, 101 svDiez, Friedrich....................................17Duby, Georges.........................10 sv, 30Duhamel-Amado................................15
E
Emeric.................................................27Ermengaud, Matfre............................24Espinques, Evrard d'..........................61Evans, Beverly....................................19Ève.......................................................10
F
Fabre, Paul..........................................17Faidit, Gaucelm..................................27Farnèse, Ranuccio........................43, 48Fauchet, Claude............................14, 16Felipa...................................................20Figueira, Guilhem........24 sv, 28, 91 svFlamenca........................................18 svForcalquier, Garsenda de...................20France, Marie de.................................10
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G
Galhac, Guilhem de............................26Garrigou, Gilberte..............................41Gaudarenca...................................20, 37Giotto...................................................72Gousset, Marie-Thérèse.....................48Grégoire IX ........................................92Guillaume IX, duc d'Aquitaine...15, 22 sv, 102Guillaume le Conquérant.....................9
H
Hausen, Friedrich von........................27Hohenstaufen, Frédéric II de......28, 92Hrosvitha.............................................10
I
Innocent III.........................................23Isabèla.................................................20
J
Jeanroy, Alfred.............................17, 92Jullian, Martine...................................80
L
La Haye, Olivier de............................44Latin, Brunet...................................9, 48Le Bègue, Jean....................................61Lemaître, Jean-Loup..........................45Léon X.................................................43Lombard, Pierre....................................9Lombarda......................................20, 51Louis IX..............................................92Louis VIII...........................................92
M
Mahn, Carl August Friedrich............17Marcabru................................22, 28, 77Marie...................................................83Marseille, Folquet de............80, 105 svMerlin..................................................92Millot...................................................53Mireval, Raimon de............................37Monmouth, Geoffroy de....................23Montaudon, moine de........................97
Montpellier, Gormonde de. .20, 25, 31, 76, 84, 91 sv, 100, 109Montpellier, Guilhem de....................18
N
Nelli, René..........................................17Nemours, Gui de.................................18Nevers, Guillaume de........................19Nivardus..............................................73Nostradamus.......................................53Nostredame, Jean de..............13, 16, 53
O
Odofredo.............................................28Oingt, Marguerite d'...........................20Orsini, Fulvio...............................43, 48
P
Palol, Berenguer de............................36Papon, Jean-Pierre.......................17, 53Pasquier, Etienne................................16Pastoureau, Michel...........................104Payen, Jean-Charles...........................17Perceval...............................................96Perdigon..............................................35Pétrarque.......................................16, 53Pologne, Rica de.................................28Porcairagues, Azalaïs de 20, 51, 77, 79Provence, comtesse de.................20, 32
Q
Quintillien...........................................15
R
R., Folquet de.....................................83Raimon Bérenger II............................28Raimon V..........................................106Raimon VI...........................................24Raimon VII.........................................92Raymond I...........................................81Raymond II ........................................79Raynouard, François-Just-Marie......17, 50, 53Régnier-Bohler, Danielle............42, 83Richard Cœur de Lion...............27, 106Rieger, Angelica..........................17, 63
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Index
Riquier, Guiraut......................................23Rochegude, Henri-Pascal de............17, 53Roland........................................................9Romans, Béatrice de....................20, 81 svRoquefeuille............................................18Rosers, Guilhelma de.......................20, 32Roster, Danielle.......................................36Rudel, Jaufré..................22, 36, 68, 70, 80
S
Saint Bernard...........................................43Saint-Circ, Uc de.................51, 57, 76, 78Sainte More, Benoît de...........................14Sarenom, Tibors de....................20, 51, 76
T
Taunay, Jaufre de ...................................96Tempier, Étienne ....................................24Tripoli, Odierne de..................................81Trotula......................................................10Troyes, Chrétien de..........................23, 96Tulède, Guilhem de.................................25
U
Ussel, Gui d'...............................23, 32, 83
V
Vaqueiras, Raimbaut de.........................23Ventadour, Bernard de...............22, 51, 59Ventadour, Ebles V de............................79Ventadour, Marie de.....20, 32, 51, 79, 83Véran, Jules.............................................17Verdon, Jean.....................................24, 31Vic, Pierre de...........................................97Vidal, Peire.......................................23, 27Vielliard, Françoise..........................45, 75
W
Wace.........................................................23
Z
Zink, Michel............................................20Zufferey, François...................................44Zumthor, Paul...................................38, 42
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Table des illustrations
Illustration 1: miniature du troubadour Perdigon du manuscrit fr. 854, f.49..........35
Illustration 2: mélodie accompagnant le poème de la comtesse de Die, ms W f. 204...................................................................................................................................38
Illustration 3: manicule tirée du ms fr. 856, folio 69.................................................46
Illustration 4: Miniature de la trobairitz Almucs de Castelnou, ms H f.46r...........49
Illustration 5: mélodie accompagnant un texte de Bernard de Ventadour, ms W f.191................................................................................................................................59
Illustration 6: Guilhem de Capestanh, f.105b ms I.....................................................66
Illustration 7: dame et troubadour, ms I folio 121......................................................68
Illustration 8: ms I, folio 174v......................................................................................69
Illustration 9: ms K, f. 86v............................................................................................69
Illustration 10: Oiseau dans les marges du ms M.....................................................70
Illustration 11: scène de chasse tirée du ms M f.165r................................................71
Illustration 12: Représentation de la comtesse de Die, ms H f. 49vb.....................101
Illustration 13: Représentation de Na Castelloza, ms K f. 110v............................103
Illustration 14: représentation de Folquet de Marseille, ms I f. 61r......................106
Illustration 15: représentation du roi d'Aragon, ms I f. 108rb...............................107
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Table des matières
SIGLES ET ABRÉVIATIONS....................................................................................7
INTRODUCTION..........................................................................................................9
PARTIE 1 : DÉFINITIONS ET HISTORIOGRAPHIE DES TERMES...........131.1- Origine des appellations et dénominations :..............................................13
1.1.1 Les troubadours :.........................................................................................131.1.2 Les trobairitz................................................................................................18
1.2- Les origines et le développement de la lyrique des troubadours :........211.2.1 Trois périodes :............................................................................................221.2.2 La croisade des Albigeois :.........................................................................241.2.3 Pourquoi en Italie, en Espagne et dans d'autres pays d'Europe ?..........26
1.3- La fin'amor :....................................................................................................291.3.1 Définition :...................................................................................................291.3.2 Les genres de la lyrique troubadouresque:...............................................311.3.3 Le rapport à la musique :............................................................................34
PARTIE 2 : LES CHANSONNIERS........................................................................412.1- La tradition des chansonniers :....................................................................41
2.1.1 Qu'est-ce qu'un chansonnier ?...................................................................412.1.2 Les compilateurs et leur rôle :...................................................................43
2.2- Présentation des manuscrits concernés :....................................................452.2.1 Les principaux manuscrits étudiés ici :.....................................................452.2.2 Des ressemblances entre eux :....................................................................472.2.3 Particularité du chansonnier H :...............................................................48
2.3- Les types de textes que l'on y trouve :.........................................................502.3.1 Les vidas :.....................................................................................................502.3.2 Razos :..........................................................................................................542.3.3 textes et mélodies de troubadours et de trobairitz :.................................57
24- Les types d'image que l'on y trouve :...........................................................602.4.1 Définition de la miniature :........................................................................602.4.2 Les miniatures dans les manuscrits :.........................................................632.4.3 L'enluminure italienne au XIIIe siècle :....................................................72
PARTIE 3 : LES TROBAIRITZ...............................................................................753.1 La question d'auteur chez les trobairitz :....................................................75
3.1.1 Des femmes auteurs ?..................................................................................753.1.2 Des miniatures d'auteur ?...........................................................................79
3.2- Les textes :........................................................................................................813.2.1 Analyse des types de texte :........................................................................813.2.2 Comparaison avec les troubadours :.........................................................93
3.3- Les images :....................................................................................................1003.3.1 Analyse d'une ou deux images :...............................................................1013.3.3 Comparaison avec les troubadours :.......................................................105
CONCLUSION...........................................................................................................109
SOURCES...................................................................................................................111
BIBLIOGRAPHIE.....................................................................................................113
TABLE DES ANNEXES...........................................................................................121
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GLOSSAIRE...............................................................................................................209
INDEX..........................................................................................................................211
TABLE DES ILLUSTRATIONS............................................................................215
TABLE DES MATIÈRES........................................................................................217
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