Les évaporites Préparation à l’agrégation SV-STU ... · précède le dépôt de sel. Ce...

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Les évaporites Préparation à l’agrégation SV-STU; Université d’Orsay. Leçon de contre-option (niveau général) de géologie Proposition de plan par : Mathieu Rodriguez, Pr.agrégé & Dr. Géologie marine Adresse mail : [email protected] Introduction : Définition et généralités : Les évaporites sont des dépôts de sels minéraux. La précipitation des sels minéraux se fait lorsque la concentration des sels dissous dans une solution devient supérieure à un seuil donné. De nombreuses espèces ioniques peuvent précipiter et former les évaporites, qui présentent une certaine diversité pétrologique et géochimique. La salinité est mesurée à partir de la conductivité électrique de l’eau pour certaines valeurs de température et de pression. Concrètement, la conductivité K d’une solution salée correspond au rapport entre la conductivité de l’échantillon concerné et la conductivité d’une solution standard de KCl. Comme il s’agit d’un rapport de conductivité, la salinité est théoriquement sans unité. Cependant, elle est souvent exprimée en g/L, en psu (practical salinity unit), en ‰. La salinité moyenne de l’eau de mer est de 35 g/L, mais on estime que la salinité de la mer morte aurait pu atteindre jusqu’à 460 g/L. La densité du sel oscille autour de 2.2 quelque soit la profondeur, ce qui fait que le sel est toujours moins dense que la plupart des autres sédiments (dont la densité varie autour de 2.5) et dispose donc de propriétés mécaniques particulières. L’origine des sels marins est l’érosion des continents. Les ions sont transférés aux océans par les fleuves. La salinité des eaux marines étant constante au cours des temps géologiques, il existe des puits qui piègent les sels. Le puits dépend de l’ion considéré : le calcium est piégé dans les carbonates, le potassium dans les argiles. Les processus hydrothermaux jouent un rôle majeur dans le maintien de l’équilibre de la salinité marine ; par exemple l’albitisation piège le sodium. Le vivant intervient peu dans le maintien de cet équilibre, puisque l’essentiel des sels puisés par un organisme sont libérés lors de sa mort. On estime à 100 millions d’années le temps de résidence des sels dans l’eau de mer. Limites du sujet : Dans cette leçon, nous limitons notre étude aux dépôts évaporitiques du Phanérozoïque, car il ne reste pas de dépôt de sels pré-cambriens. S’agit–il d’une réelle absence ; ou est-ce que ces dépôts ont disparu suite aux subductions des océans et aux processus de dissolution ? Le consensus actuel postule que le dégazage du manteau serait à l’origine de la salinité initiale, et la salinité archéenne est estimée environ 2 fois supérieure à l’actuelle.

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Les évaporites Préparation à l’agrégation SV-STU; Université d’Orsay.

Leçon de contre-option (niveau général) de géologie

Proposition de plan par :

Mathieu Rodriguez, Pr.agrégé & Dr. Géologie marine

Adresse mail : [email protected]

Introduction :

Définition et généralités :

Les évaporites sont des dépôts de sels minéraux. La précipitation des sels minéraux se fait lorsque la concentration des sels dissous dans une solution devient supérieure à un seuil donné. De nombreuses espèces ioniques peuvent précipiter et former les évaporites, qui présentent une certaine diversité pétrologique et géochimique.

La salinité est mesurée à partir de la conductivité électrique de l’eau pour certaines valeurs de température et de pression. Concrètement, la conductivité K d’une solution salée correspond au rapport entre la conductivité de l’échantillon concerné et la conductivité d’une solution standard de KCl. Comme il s’agit d’un rapport de conductivité, la salinité est théoriquement sans unité. Cependant, elle est souvent exprimée en g/L, en psu (practical salinity unit), en ‰. La salinité moyenne de l’eau de mer est de 35 g/L, mais on estime que la salinité de la mer morte aurait pu atteindre jusqu’à 460 g/L. La densité du sel oscille autour de 2.2 quelque soit la profondeur, ce qui fait que le sel est toujours moins dense que la plupart des autres sédiments (dont la densité varie autour de 2.5) et dispose donc de propriétés mécaniques particulières. L’origine des sels marins est l’érosion des continents. Les ions sont transférés aux océans par les fleuves. La salinité des eaux marines étant constante au cours des temps géologiques, il existe des puits qui piègent les sels. Le puits dépend de l’ion considéré : le calcium est piégé dans les carbonates, le potassium dans les argiles. Les processus hydrothermaux jouent un rôle majeur dans le maintien de l’équilibre de la salinité marine ; par exemple l’albitisation piège le sodium. Le vivant intervient peu dans le maintien de cet équilibre, puisque l’essentiel des sels puisés par un organisme sont libérés lors de sa mort. On estime à 100 millions d’années le temps de résidence des sels dans l’eau de mer.

Limites du sujet :

Dans cette leçon, nous limitons notre étude aux dépôts évaporitiques du

Phanérozoïque, car il ne reste pas de dépôt de sels pré-cambriens. S’agit–il d’une réelle absence ; ou est-ce que ces dépôts ont disparu suite aux subductions des océans et aux processus de dissolution ? Le consensus actuel postule que le dégazage du manteau serait à l’origine de la salinité initiale, et la salinité archéenne est estimée environ 2 fois supérieure à l’actuelle.

Problématique :

Si l’on prend le cas de la France (Carte géologique de la France au 1 : 1 000 000°), les répartitions spatiales et stratigraphiques des formations évaporitiques semblent limitées à des contextes géodynamiques et climatiques particuliers. Par exemple, la Potasse d’Alsace, d’âge Oligocène, est associée aux fossés d’effondrement Cénozoïque (ici le fossé Rhénan), qui sont des cas particuliers de rift intra-continentaux. D’autre part, le Trias d’affinité germanique du bassin Aquitain & les dépôts associés à la mer du Zechstein, au Permien, dans la partie germanique du bassin Parisien; sont tous deux déposés à la faveur d’une mer épicontinentale de faible profondeur et d’épisodes d’inondation successifs. Les variations eustatiques à l’origine de ces dépôts ont aussi une origine géodynamique (ouverture de bassins océaniques et rôle du volume des dorsales). D’autres indices, comme les grès rouges, montrent que le Permien était dominé par un climat aride. Les évaporites du Trias ont ensuite influencés le style de la déformation tectonique, en particulier dans la chaîne du Jura.

Les conditions de formation des évaporites témoignent-elles de conditions climatiques et géodynamiques particulières ? Permettent-elles de comprendre quelques unes des grandes variations climatiques du Phanérozoïque? Permettent-elles de reconstituer l’histoire tectonique de certaines régions ? Comment les dépôts évaporitiques conditionnent le mode de déformation des sédiments sus-jacents ?

Ces questions, en dehors de leur intérêt académique, ont aussi un intérêt économique : intérêt alimentaire bien sûr ; déjà les légionnaires romains recevaient leur solde en sel (éthymologie du mot salaire) ; aujourd’hui les salars recèlent de grande quantité de lithium ; et les diapirs, en dépit des difficultés de forage qui leur sont liées, favorisent la formation de pièges à pétrole dans les formations sédimentaires qu’ils recoupent. En France, le sel triasique du Bassin Parisien est exploité en Lorraine, et sert essentiellement au revêtement des routes par temps de verglas. Une meilleure connaissance des contextes de formation des évaporites permet une meilleure prospection des ressources citées.

Annonce du plan :

Dans une première partie, nous étudierons la répartition actuelle et la diversité des dépôts d’évaporites. Ceci nous permettra de comprendre comment les évaporites se forment (quels paramètres physico-chimiques interviennent), et de mettre en évidence la diversité des contextes climatiques et géodynamiques dans lesquels on les trouve. En appliquant le principe des causes actuelles, nous discuterons de l’intérêt des évaporites dans la reconstitution des climats et bouleversements tectoniques passés, et des limites de leur interprétation. Nous illustrerons enfin les différents modes de déformation favorisés par le comportement mécanique particulier des évaporites.

1) Contextes climatique et géodynamique des formations évaporitiques actuelles. i. Diversité pétrologique et géochimique des évaporites.

Présenter quelques échantillons des différentes formes cristallines du gypse (sulfate) ; échantillon de halite et de sylvite KCl (chlorures). Diversité des formules chimiques des évaporites : Tableau « quelques espèces minérales de dépôts marins et continentaux » in « Les évaporites, matériaux singuliers et milieux extrêmes », Rouchy & Valleron.

ii. Les milieux de dépôt des évaporites

En domaine paralique :

Les lagunes hyper-salines (environnements en relation directe ou indirecte avec la mer); exemple du lac Asal, Djibouti : 80 m de sel déposés en moins de 3000 ans. Actuellement à une altitude de -150 m, cette lagune est alimentée en eau par des failles normales qui la connectent au Golfe d’Aden. Précipitations : 200 mm/an ; évaporation 2 m/an ; salinité de 350.

Autres environnements : sabkhas et playas.

Image satellite (Google Earth) d’une Sabkha en Tunisie

En domaine continental :

Les lacs salés permanents (environnements hypersalins sans connexion avec la mer); exemple de la mer morte (Israël): bassin pull appart, à -400 m. précipitations de 40 mm/an ; forte évaporation.

Les lacs hypersalins; exemple du salar d’Uyuni (Bolivie) : à 3700 m dans les chaînes andines, 11 alternances de sel et de dépôts lacustres sur près de 150m d’épaisseur, à des températures inférieures à 8°C (!!!) pour des pluviométries de 200 à 300 mm/an. Evaporation de 1,5 m/an. (1/3 des ressources mondiales en Li)

Photographie du Salar d’Uyuni en Bolivie Corollaire : construire un tableau bilan au tableau, qui sera ensuite complété par les exemples passés.

iii. Signification climatique et géodynamique des évaporites

L’étude comparée des cas précédents révèle que : _ Les évaporites continentales montrent une grande diversité chimique, qui est liée à la composition des eaux douces amenées au bassin, composition qui dépend de la nature des terrains du bassin versant. Une espèce donnée d’évaporite ne correspond pas à un contexte climatique ou tectonique particulier. _ Les bassins évaporitiques NE SONT PAS LIMITES AUX MILIEUX CHAUDS (Uyuni).

L'obtention de saumures hypersalées nécessite : Evaporation > Apports d'eau douce ou salée ; c’est-à-dire un CLIMAT ARIDE.

_ Le bassin doit être au moins partiellement isolé/ rôle de la tectonique et des variations eustatiques. Il faut un faible apport en eau depuis l’extérieur (faibles précipitations et faibles apports par les fleuves). _ L’évaporation d’une masse d’eau est rapide à l’échelle des temps géologiques ; la sédimentation des évaporites est élevée et les dépôts peuvent atteindre plusieurs centaines de mètres d’épaisseur (Uyuni pour l’actuel/ trias germanique : plus de 1000m dans le bassin Aquitain !). De tels dépôts impliquent une forte accomodation. De façon générale, les stades premiers du rifting continental semblent favorables au dépôt d’évaporites (faible tranche d’eau + subsidence). Est-ce réellement le cas lorsqu’on examine les formations passées associées aux marges passives?

2) Comment se déposent les évaporites ? Modèles et réalité. i. L’évaporation.

ii. Modèles de dépôt des évaporites.

En milieu continental : Le cas du salar d’Uyuni : issu de l’assèchement d’un lac il y a 10 000 ans, le salar

est régulièrement inondé à la saison des pluies. L’évaporation des eaux à la saison sèche induit une remontée des saumures, qui précipitent dans les fractures et les colmatent. Sont dénombrées 11 alternances de sels et de sédiments lacustres. A chaque inondation, le sel de l’épisode précédent est dissous puis reconcentré lors de l’évaporation. Le sel initial provient d’un diapir tertiaire. Le Li provient de l’altération des roches volcaniques avoisinantes.

En milieu marin : voir schéma page suivante.

!!!Mise en garde !!! : l’ouvrage »Bases de sédimentologie» de Chamley présente une erreur importante : le modèle bassin profond et eau profonde n’est pas valide ; pour la simple raison que l’eau sur-salée en raison de l’évaporation plonge bien avant que les évaporites ne cristallisent (et même si les cristaux plongeaient, ils seraient dissous avant d’atteindre le fond). Ce modèle n’est jamais vérifié dans la nature, et ne s’applique pas aux mers paléozoïques comme celle du Zechstein. (je crois que l’ouvrage de sédimentologie de Cojan & Renard fait la même erreur). Les germes d’évaporites cristallisant à la surface de l’eau n’existent que dans les tranches d’eau peu profondes, là où l’eau ne peut plonger, comme par exemple dans la partie sud de la Mer Morte (photo ci-dessous).

3) Contextes climatique et géodynamique des formations évaporitiques passées

i. Les dépôts d’évaporites au cours des âges géologiques.

ii. Les dépôts d’évaporites associés aux mers épicontinentales :

_ Cas du Trias Aquitain. Faciès germanique (grès rouge du Bundstandstein ; marnes et évaporites du Muschelkalk ; évaporites lagunaires du Keuper). Cartes paléo-géographiques dans « Géologie de la France », J.Dercourt. Les transgressions marines sont associées à l’ouverture de la Téthys et à l’augmentation du volume des dorsales. _ Cas de la mer du Zechstein, en Allemagne. Obéit au modèle « eau peu profonde, bassin peu profond » ; lorsque les variations eustatiques favorisent l’isolation d’un bassin.

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iii. Le cas de la crise Messinienne (5.3 Ma): lorsque la tectonique favorise l’isolement d’un bassin.

La convergence entre l’Afrique et l’Eurasie induit il y a 6 Ma la fermeture du détroit de Gibraltar, isolant ainsi la méditerranée de l’Atlantique. 1 million de km3 d’évaporites. Localement : 1500 m d’épaisseur

iv. Les évaporites, témoins de la déchirure continentale ?

_ Du sel dans les marges passives ? Présenter des profils sismiques de la marge angolaise, nord égyptienne ou du delta du Mississipi (schémas interprétatifs in « entre sel et terre » de Brun & Fort. Evidence de diapirisme). Exemple français au niveau du delta du Rhône (schéma in « océanologie » de Savoye et Biju-Duval)

Exemple de carte bathymétrique (multifaisceaux) de bassins d'effondrement gravitaire associés à de l'halocinèse, dans le delta du Mississipi, golfe du Mexique (Gutscher et al., 2007) Hors liste.

_ Les évaporites, indicateurs de la rupture continentale ?

2 modèles : A) soit le sel se dépose dans un bassin subsident avant le break-up de la croûte continentale. La déchirure continentale sépare le bassin salifère, dont les deux parties vont migrer au fur et à mesure de l’expansion océanique. B) soit la déchirure précède le dépôt de sel. Ce dernier se dépose dans les bassins océaniques, suite à la subsidence thermique, ou mécanique au niveau des systèmes de Horst-Graben. En France, le cas du fossé Rhénan et de la potasse d’Alsace illustre plutôt le premier scénario.

4) Tectonique salifère : diapirisme, tectonique gravitaire et tectonique de couverture

i. Propriétés mécaniques du sel

Le sel à l’état déshydraté se déforme par fluage de dislocation selon l’équation : dɛ/dt= A exp (-Q/RT)σn

où dɛ/dt est la vitesse de déformation, Q l’énergie d’activation, σn la contrainte, R cste des gaz parfaits, T la température et A une constante.

A part dans des conditions très particulières, la viscosité du sel (entre 1017-1019 Pa.s) est celle d’un comportement newtonien (i.e. n=1 ; la relation entre vitesse de déformation et la contrainte est linéaire). La résistance du sel (σ3-σ1) est très faible et dépend essentiellement de la viscosité et de la vitesse de déformation, d’où le comportement ductile du sel même en surface. Les sédiments détritiques ou carbonatés ont donc toujours une résistance supérieure à celle du sel.

ii. Le diapirisme salifère

Comment se forment les diapirs de sel si fréquemment observés en sismique réflexion ? Il a été longtemps supposé que l’interface sel-sédiment (les sédiments étant au dessus du sel) pouvait se plisser spontanément (instabilité de Rayleigh-Taylor). Cependant la résistance des sédiments sus-jacents est trop forte pour permettre un plissement et une fracturation par simple déstabilisation convective, qui génère des contraintes trop faibles. Un autre modèle communément répandu est que le diapirisme s’initie par chargement sédimentaire différentiel : les régions où la pile sédimentaire est plus épaisse génèrent une pression plus forte sur le sel que les régions où l’épaisseur de sédiments est faible. Le sel, ductile et mobile, flue pour accommoder la différence de charge, ce qui conduit à la formation de diapirs. Cependant, les diapirs de sel ne peuvent percer seuls leur couverture sédimentaire : il faut donc qu’il y ait des endroits de non-dépôt pour permettre au sel d’être évacué à la surface par diapirisme…conditions jamais rencontrées dans la nature ! Les variations d’épaisseur de la pile sédimentaire sont communes à tous les bassins, cependant les niveaux salifères ne forment pas systématiquement du diapirisme. L’origine du diapirisme est donc ailleurs : il faut appliquer une extension dans la

couche de sédiment superposée au sel pour initier le développement de failles, qui permettent alors au sel de s’infiltrer dans la pile sédimentaire. Le diapirisme est un processus syn-sédimentaire, qui déforme les couches sédimentaires de façon différente selon son stade de croissance. Au cours du diapirisme se forment d’excellents pièges à pétrole !

Exemple de diapirs salifères en sismique réflexion, observés au large du Brésil

iii. Tectonique de socle et tectonique de couverture : les évaporites niveau

de décollement

Les évaporites jouent le rôle de nouveau de décollement, qui découple la déformation de la couverture sédimentaire de la déformation du socle. Un exemple en France est la chaîne du Jura au front des Alpes. Le sel triasique découple socle et couverture, favorisant le développement de plis coffrés et de chevauchements dans le pile sédimentaire sous l’effet de la compression alpine, là où le socle est affecté par des failles inverses très espacées s’enracinant sur un niveau de décollement localisé dans la croûte inférieure. Un autre exemple est celui du bassin pull-apart de la Mer Morte, où le sel de la formation de Seldom, déposé au Pliocène, découple la déformation du socle de celle du remplissage sédimentaire du bassin. Le socle se caractérise par une déformation de type horst-graben, là où la couverture affiche de magnifiques structures en rollover. La couverture sédimentaire est tout de même couplée aux bords décrochants du bassin : nous avons donc un cas très particulier où extension et décrochement déforment une pile sédimentaire découplée de son socle. Cette déformation favorise l’expression d’un diapirisme.

Tectonique de socle versus tectonique de couverture : exemple du Jura

Profil sismique S-N recoupant la Mer Morte longitudinalement (d’après Kashaï et Croker, 1988). Les failles transverses délimitent des blocs basculés et leur pendage s'amortit en profondeur. Les failles transverses ne sont pas des structures de socle ré-activées. Des structures en rollover (éventail de sédiments) sont observés, et résultent de la déformation gravitaire des sédiments

iv. Tectonique gravitaire

Les pentes des marges continentales génèrent des instabilités gravitaires que la présence d’un niveau de sel (décollement) amplifie. Le sel favorise l’étalement gravitaire de la pile sédimentaire, qui se déforme pour individualiser des « radeaux » qui migrent vers la bas de la pente. A l’arrière de la pente, il est observé des déformations extensives, avec des blocs individualisés par des failles normales. Au pied de la pente, il est observé une déformation compressive, avec des chevauchements marquant l’empilement des radeaux arrivés en bas de pente. Le sel flue au cours de cette déformation, et se concentre préférentiellement en bas de pente, où des diapirs peuvent s’initier au sein des failles inverses. Les structures associées à la tectonique gravitaire sont d’une incroyable diversité : nous avons déjà vu les structures en rollover dans le cas de la Mer Morte ; la carte du Golfe du Mexique montre les bassins individualisés par les radeaux et le diapirisme ; la coupe de la marge angolaise illustre la répartition de la déformation extensive, compressive, et du diapirisme à l’échelle d’une marge.

La structure de la marge angolaise expliquée par la tectonique gravitaire

5) Conclusion :

Il est difficile de relier les évaporites à un climat ou à un contexte géodynamique particulier. Nous avons montré la diversité des contextes dans lesquels les sels se déposent. Des points communs entre ces contextes émergent : pour avoir dépôt d’évaporites, il faut que, conjointement, un climat aride règne sur une étendue d’eau peu profonde et préférentiellement isolée de tout apport en eau. Les fortes épaisseurs de sels ne sont obtenues qu’en contexte de forte subsidence ou de fort espace disponible. Une seule de ces conditions ne semble pas suffire pour former les évaporites. Du point de vue de la climatologie, les évaporites sont les témoins de périodes où l’aridité s’est maintenue ; un changement de climat induit une sédimentation différente. A ces conditions de formation des évaporites, nous pouvons en rajouter une autre, plus surprenante : l’action de l’homme. En effet, en mer d’Aral (Kazakhstan), le détournement des fleuves pour l’irrigation des cultures a isolé ce bassin et favorisé la formation des évaporites !

Le sel est aussi un matériau aux propriétés mécaniques particulières. Il intervient dans les processus de diapirisme. Sur les marges passives, les sédiments sus-jacent aux dépôts de sel sont découplés de la tectonique du socle et se déplacent à la manière de radeaux, sous l’action de la gravité, et finissent par se chevaucher en bas de pente continentale. Ainsi, il peut y avoir de la tectonique compressive sur une marge passive ! L’étude des marges passives à travers le monde a montré que ces cas sont très fréquents, et que le diapirisme exerce un contrôle important sur la sédimentation (déviation des courants de turbidité, déstabilisation des sédiments). De plus, le rôle des évaporites en tant que niveau de décollement est bien connu (exemple du Jura, des Pyrénées). Elles jouent, via le diapirisme, un rôle essentiel dans l’évolution des bassins sédimentaires (comparer le bassin parisien et le bassin Aquitain). Certaines couches argileuses peuvent favoriser une tectonique gravitaire semblable à la tectonique salifère (on parle alors de « shale tectonics »). Si la tectonique et la géodynamique contrôlent les conditions de dépôt des évaporites, n’oublions pas que ces dernières sont aussi des actrices fondamentales de la déformation et de la tectonique

Ouverture possible : « le sel et les crises biologiques»

Références bibliographiques principales :

Rouchy J-M., Blanc-Valleron M.-M., 2006. Les évaporites. Matériaux singuliers, milieux extrêmes. Vuibert eds Les évaporites, revue Géochronique n°80, 2001

Rotaru M. et coll., 2006. Les climats passés de la Terre. SGF – Vuibert eds.

JP Brun et X. Fort, 2008, Entre sel et Terre. Vuibert eds.

Jolivet et al. 2008, Géodynamique de la Méditerranée, Vuibert eds.

Dossier Pour la Science sur le sel en Mer Morte (Décembre 2012)