LES ECHOS LE PARISIEN MÉDIAS - DIMANCHE 32 …...son point de vente le matin. Paris, vendredi. La...

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PAR YVES JAEGLÉ (TEXTES) ET PHILIPPE DE POULPIQUET (PHOTOS) sion quand ils viennent récu- pérer la presse au local. Mo- hammed, 53 ans, beau sourire bienveillant, s’est positionné près du marché Secrétan (Paris XIX e ). D’habitude, il res- te de 7 h 30 à 18 heures. De- puis l’épidémie, il part à 13 heures. Il n’a pas d’autre travail, chaque journal vendu compte, on le paie au pour- centage. Il tient, sans autre choix sans doute, comme le kiosquier de Ménilmontant, à trois stations de métro, qui nous dit, fataliste : « Je suis ouvert, mais je ne vends pres- que rien. Les gens ne sortent pas, je comprends. » L’information n’a pas de prix, mais paie elle aussi l’ad- dition d’un métier déjà mena- cé, dont toute la chaîne est frappée de plein fouet par la pandémie. Alors, ces pauvres cabas bourrés de journaux, eux aussi n’ont pas de prix. Dedans, il y a des nouvelles du monde entier. Même par temps de chien, on peut ache- ter son canard. Grâce à cette chaîne humaine de l’info, qui sort de la nuit. Paris (XIX e ), vendredi. Malgré la crise sanitaire, Mohammed continue d’ouvrir son point de vente le matin. Paris, vendredi. La distribution des journaux et magazines continue pendant la crise du coronavirus. CRISE DU CORO NA VIRUS a Je suis ouvert, mais je ne vends presque rien. Les gens ne sortent pas, je comprends. UN KIOSQUIER PARISIEN 64 « Parisien », 18 « Humani- té », 15 « Libération », 4 « Fi- garo », 24 « Elle », 3 « Gazette Drouot »… L’entrepôt dessert le nord-est de Paris. Chacun fait ses paquets, puis les charge à l’aide d’un chariot dans sa propre voitu- re. Le coffre ou les sièges ar- rière sont remplis de jour- naux. Un employé veut se laver les mains. « Je vais te donner du gel », lâche son responsable. La nuit du jeudi au vendredi est « une grosse journée », précise Steeve Polydor, en raison des maga- zines comme « TV Mag » et les suppléments des quoti- diens. « Ça fait du volume. On fait aussi du Télé 7 jours, du Closer, du Elle, on a beaucoup d’hebdos cette nuit ». A 3 h 40, activité maximale. Difficile de parler. Chaque se- conde compte dans cette course contre la montre. Ar- thur, 44 ans, pousse son cha- riot. Comme beaucoup, il a deux boulots. Livreur pendant quelques heures la nuit, « un complément financier » à son travail de technicien en élec- tricité industrielle. Mais quand dort-il ? « De 19 heures à 1 heure. J’ai l’habitude », dit ce père de deux filles. Il est content d’être à la maison « à l’heure des devoirs ». On de- mande à un petit groupe la principale qualité d’un livreur. « Etre un as de la marche ar- rière », se marrent-ils. En voi- ture, il faut slalomer. A 4 h 30, tout le monde est parti pour son sprint matinal. Sauf Myriam, la coordinatri- ce, et le coresponsable du site, Amar, qui ont encore du tra- vail administratif. L’entrepôt assure aussi la distribution du « Monde », qui paraît l’après- midi. Il ne somnole pas long- temps. Myriam a enfin le temps de fumer une cigaret- te : « Ça fait du bien, ce silen- ce. J’ai la tête en compote, parfois, dans le brouhaha. Myriam ceci, Myriam cela, dès qu’il y a un absent, un malade, une panne de voitu- re, un retard de camion… ». Payés au journal vendu Cette nuit, aucun retard. Mais les héros invisibles qui permettent à la presse de sur- vivre par temps de coronavi- rus ne sont pas seulement à bord de leur voiture. Aux alentours de 7 heures, dans un local de Stalingrad (Pa- ris XIX e ), près du métro aé- rien, des vendeurs à la criée du petit matin se préparent. Recrutés par Team Diffusion (groupe les Echos - le Pari- sien), ils sont payés au journal vendu… et tous originaires du Bangladesh. Ces immigrés, vous les croisez le matin près des mé- tros. Debout par tous les temps, derrière une petite ta- ble façon camping, avec les quotidiens du jour sur une bâ- che. C’est presque irréel de voir leurs cabas de commis- « AUCUN ABSENT cette nuit. C’est beau. Malgré le contex- te. » Il est 5 heures, Paris ne s’éveille pas, sonné. Tout le monde est déprimé, et les journaux sont imprimés. Ce vendredi matin, à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), en bor- dure de Seine, Steeve Polydor, directeur régional de Proxi- my, société de distribution (appartenant à 75 % au groupe le Parisien) qui livre les jour- naux et magazines aux parti- culiers ainsi qu’aux débits de presse, boulangeries ou su- permarchés, a le sourire, en dépit d’un environnement épouvantable pour l’ensem- ble de la société, qui pénalise aussi lourdement la presse. Si l’on trouve encore un journal le matin dans sa boîte aux lettres, au kiosque ou ailleurs, c’est grâce à eux. Ces 56 livreurs qui viennent de partir du centre de distribu- tion de Saint-Ouen (Seine- Saint-Denis). Et qui ne peu- vent pas télétravailler. Ni se téléporter. Les journaux, ils les livrent en chair et en os. A plein gaz à 3 h 40 Il fait nuit noire mais, à 5 heu- res, l’entrepôt est déjà vide, la journée presque finie. Les journaux courent vers leurs lecteurs, en espérant ne pas revenir en boomerang sous la forme d’invendus. Flash- back : à 3 heures, l’entrepôt, ouvert à la froideur nocturne, est une ruche. On s’active en tous sens. Les croisements de chariots remplis de journaux font parfois penser à des autos tamponneuses qui s’évitent de justesse. Beaucoup d’hom- mes et seulement deux fem- mes. Certains masqués, pas tous. Des gants, souvent. Du gel ? « On en a reçu », signale Amar, l’un des deux respon- sables du site. Les journaux sont arrivés de l’imprimerie de Mitry- Mory (Seine-et-Marne) à par- tir de 2 h 30. Ici, on fait les piles, les paquets. Des prépa- rateurs et livreurs récupèrent auprès de Myriam, coordina- trice, leur feuille de route. Celle de Diao B. indique qu’il doit livrer 24 « Monde », MERCI POUR NOS JOURNAUX Leur journée s’arrête quand la nôtre commence. Plongée dans la nuit avec les livreurs, ces héros invisibles qui maintiennent la presse à flot par temps d’épidémie. a La qualité d’un livreur ? Etre un as de la marche arrière UN GROUPE DE PORTEURS DIMANCHE 32 | Le Parisien 22 MARS 2020 MÉDIAS lefigaro_in

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PAR YVES JAEGLÉ (TEXTES)ET PHILIPPE DE POULPIQUET (PHOTOS)

sion quand ils viennent récu-pérer la presse au local. Mo-hammed, 53 ans, beau sourire bienveillant, s’est positionné près du marché Secrétan(Paris XIXe). D’habitude, il res-te de 7 h 30 à 18 heures. De-puis l’épidémie, il part à 13 heures. Il n’a pas d’autre travail, chaque journal vendu compte, on le paie au pour-centage. Il tient, sans autre choix sans doute, comme le kiosquier de Ménilmontant, à trois stations de métro, qui nous dit, fataliste : « Je suis ouvert, mais je ne vends pres-que rien. Les gens ne sortent pas, je comprends. »

L’information n’a pas de prix, mais paie elle aussi l’ad-dition d’un métier déjà mena-cé, dont toute la chaîne est frappée de plein fouet par la pandémie. Alors, ces pauvres cabas bourrés de journaux, eux aussi n’ont pas de prix. Dedans, il y a des nouvelles du monde entier. Même par temps de chien, on peut ache-ter son canard. Grâce à cette chaîne humaine de l’info, qui sort de la nuit.

Paris (XIXe), vendredi.

Malgré la crise sanitaire,

Mohammed continue d’ouvrir

son point de vente le matin.

Paris, vendredi. La distribution des journaux et magazines continue pendant la crise du coronavirus.

CRISEDU

CORONA

VIRUS

aJe suis ouvert,mais je ne vends presque rien. Les gens ne sortent pas, je comprends.UN KIOSQUIER PARISIEN

64 « Parisien », 18 « Humani-té », 15 « Libération », 4 « Fi-garo », 24 « Elle », 3 « Gazette Drouot »… L’entrepôt dessert le nord-est de Paris.

Chacun fait ses paquets, puis les charge à l’aide d’un chariot dans sa propre voitu-re. Le coffre ou les sièges ar-rière sont remplis de jour-naux. Un employé veut se laver les mains. « Je vais te donner du gel », lâche son responsable. La nuit du jeudi au vendredi est « une grosse journée », précise SteevePolydor, en raison des maga-zines comme « TV Mag » et les suppléments des quoti-diens. « Ça fait du volume. On fait aussi du Télé 7 jours, du Closer, du Elle, on a beaucoup d’hebdos cette nuit ».

A 3 h 40, activité maximale. Difficile de parler. Chaque se-conde compte dans cette course contre la montre. Ar-thur, 44 ans, pousse son cha-riot. Comme beaucoup, il a deux boulots. Livreur pendant quelques heures la nuit, « un complément financier » à son travail de technicien en élec-tricité industrielle. Mais quand dort-il ? « De 19 heures à 1 heure. J’ai l’habitude », dit ce père de deux filles. Il est content d’être à la maison « à l’heure des devoirs ». On de-mande à un petit groupe la principale qualité d’un livreur. « Etre un as de la marche ar-rière », se marrent-ils. En voi-ture, il faut slalomer.

A 4 h 30, tout le monde est parti pour son sprint matinal. Sauf Myriam, la coordinatri-ce, et le coresponsable du site, Amar, qui ont encore du tra-vail administratif. L’entrepôt assure aussi la distribution du « Monde », qui paraît l’après-midi. Il ne somnole pas long-temps. Myriam a enfin le temps de fumer une cigaret-te : « Ça fait du bien, ce silen-ce. J’ai la tête en compote, parfois, dans le brouhaha. Myriam ceci, Myriam cela, dès qu’il y a un absent, un malade, une panne de voitu-re, un retard de camion… ».

Payés au journal venduCette nuit, aucun retard.Mais les héros invisibles qui permettent à la presse de sur-vivre par temps de coronavi-rus ne sont pas seulement à bord de leur voiture. Aux alentours de 7 heures, dans un local de Stalingrad (Pa-ris XIXe), près du métro aé-rien, des vendeurs à la criée du petit matin se préparent. Recrutés par Team Diffusion (groupe les Echos - le Pari-sien), ils sont payés au journal vendu… et tous originaires du Bangladesh.

Ces immigrés, vous les croisez le matin près des mé-tros. Debout par tous les temps, derrière une petite ta-ble façon camping, avec les quotidiens du jour sur une bâ-che. C’est presque irréel de voir leurs cabas de commis-

« AUCUN ABSENT cette nuit. C’est beau. Malgré le contex-te. » Il est 5 heures, Paris ne s’éveille pas, sonné. Tout le monde est déprimé, et les journaux sont imprimés. Ce vendredi matin, à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), en bor-dure de Seine, Steeve Polydor, directeur régional de Proxi-my, société de distribution (appartenant à 75 % au groupe le Parisien) qui livre les jour-naux et magazines aux parti-culiers ainsi qu’aux débits de presse, boulangeries ou su-permarchés, a le sourire, en dépit d’un environnement épouvantable pour l’ensem-ble de la société, qui pénalise aussi lourdement la presse.

Si l’on trouve encore un journal le matin dans sa boîte aux lettres, au kiosque ou ailleurs, c’est grâce à eux. Ces 56 livreurs qui viennent de partir du centre de distribu-

tion de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis). Et qui ne peu-vent pas télétravailler. Ni se téléporter. Les journaux, ils les livrent en chair et en os.

A plein gaz à 3 h 40Il fait nuit noire mais, à 5 heu-res, l’entrepôt est déjà vide, la journée presque finie. Les journaux courent vers leurs lecteurs, en espérant ne pas revenir en boomerang sous la forme d’invendus. Flash-back : à 3 heures, l’entrepôt, ouvert à la froideur nocturne, est une ruche. On s’active en tous sens. Les croisements de chariots remplis de journaux font parfois penser à des autos tamponneuses qui s’évitent de justesse. Beaucoup d’hom-mes et seulement deux fem-mes. Certains masqués, pas tous. Des gants, souvent. Du gel ? « On en a reçu », signale Amar, l’un des deux respon-sables du site.

Les journaux sont arrivésde l’imprimerie de Mitry-Mory (Seine-et-Marne) à par-tir de 2 h 30. Ici, on fait lespiles, les paquets. Des prépa-rateurs et livreurs récupèrent auprès de Myriam, coordina-trice, leur feuille de route.Celle de Diao B. indique qu’il doit livrer 24 « Monde »,

MERCI POUR NOS JOURNAUXLeur journée s’arrête quand la nôtre commence. Plongée dans la nuit

avec les livreurs, ces héros invisibles qui maintiennent la presse à flot par temps d’épidémie.

aLa qualitéd’un livreur ? Etre un asde la marche arrièreUN GROUPE DE PORTEURS

DIMANCHE 32 |Le Parisien

22 MARS 2020

MÉDIAS

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Demain un Autre Jour: 2020-03-22T02:03:08c:Les Echos;u:[email protected]; 2020-03-23T12:51:02+01:00

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un badge qui ouvre 80 % des immeubles », ajoute celui qui a livré ses premiers journaux en 1998, juste avant la Coupe du monde. « J’ai commencé sous un pont, à côté du Parc des Princes, près d’une sta-tion-service. Quand il faisait froid, je me réchauffais dans la voiture. Après les matchs, à 5 heures du mat, les suppor-teurs qui avaient fait la fête voulaient m’embrasser… »

En mode petites foulées, il n’a « pas besoin d’aller dans une salle de sport », plaisante ce bon vivant qui vient de prendre sa retraite dans son « autre métier », la logistique des plateaux-repas pour une compagnie aérienne, lui qui est diplômé de l’école hôteliè-re. « J’ai toujours eu deux jobs, pour avoir les moyens de voyager. Sinon, j’explose », dit ce passionné d’Afrique, dont les deux fils adultes vi-vent aux Etats-Unis.

On en est loin, dans les pe-tites rues à angle droit, un peu tordues à conduire, près de l’avenue de Clichy. « Je con-nais le tracé. Je pars très tôt pour passer avant les poubel-les et les camions de livrai-son. Pas question d’être en re-tard, le dernier client doit avoir son journal avant 7 h 30. Sinon, il peut y avoir réclamation. » Francis veut continuer à ce rythme « en-core deux ans ». D’ici là, la maison qu’il se fait construire à Abidjan (Côte d’Ivoire) pour sa vraie retraite sera achevée.

À UN MOMENT, on a pensé à « Koh-Lanta » ou à un jeu d’orientation. Il est 4 h 42 vendredi dans le quartier de la Fourche (Paris XVIIe). Fran-cis Berthome, 60 ans, court d’une adresse à l’autre avec une pile de journaux amon-celés dans sa voiture. Sa mis-sion : livrer par portage et à toute allure particuliers, cafés, débits de presse, kiosques…

Il sort de sa Citroën C3 ar-rêtée porte ouverte et cligno-tants allumés en pleine rue déserte, file vers une porte cochère, redémarre, pile dans une autre rue, 100 m plus loin. Soudain, il marqueun rare temps d’arrêt et re-brousse chemin, surpris. Le café qu’il devait livrer est fer-mé, c’est marqué sur l’affi-chette. « C’est un métier diffi-cile, il faut foncer sans se tromper et mémoriser où doivent aller l’Equipe, Libé, le Parisien, Elle, la Croix… »

« J’ai toujours eudeux jobs, pour avoirles moyens de voyager »Chaque journal doit atterrir dans la bonne boîte aux let-tres. « Certains débutants pa-niquent », confie le sexagé-naire, dont la célérité à ouvrir les portes tourne à la prestidi-gitation. « Avant, il fallait mé-moriser tous les codes d’en-trée par cœur. Au bout d’un moment, les doigts les retien-nent tous seuls. Un type m’avait dit : Mais c’est quoi votre truc ? Maintenant, on a

« Foncer sans se tromper » FRANCIS BERTHOME, 60 ANS, LIVREUR DE JOURNAUX

Steeve a débuté dans le mé-tier à 25 ans comme livreur. « A l’époque, le week-end, je pouvais faire une grosse fête et assurer directement la li-vraison des journaux derriè-re. Mais avec l’âge, il faut lâ-cher la fiesta et avoir une bonne hygiène de vie pour tenir . » Aujourd ’hui , i l « vend » 75 titres de presse à différents clients mais reste près de ses équipes de nuit. Avant de le rencontrer, on lui avait demandé à quelle heure l’appeler sans le déranger dans son sommeil ? « Quand vous voulez. Je ne dors pas », avait-il rétorqué.

L’inquiétudegagne les livreursAu cours de la nuit, il avoue quand même que s’il a un seul enfant, c’est peut-être parce que la cadence est dure et usante : « Ce métier est as-sez prenant, ça m’a freiné. Mais j’ai adoré être livreur. Personne ne sait comment le journal arrive jusqu’à vous. C’est grâce à ces petites mains. Un milieu très chaleu-reux. Un peu moins en ce moment. Les livreurs sont in-quiets. On a des centres de distribution dans l’Oise, l’un des endroits où le virus a fait ses premiers dégâts. »

Inquiet, il l’est aussi, lui dont la femme travaille comme secrétaire médicale dans un grand hôpital : « Elle s’occupe du personnel. Ils n’ont pas tout ce qu’il faut, ils manquent de masques. » Aucun des deux ne peut télétravailler. Au petit matin, en nous quittant, Steeve n’en a pas fini avec ses obligations. Il doit repasser chez lui pour déposer sa compagne à la gare. Il sourit. Le sommeil attendra encore.

ON S’EST DONNÉ rendez-vous à 2 h 45. Steeve Polydor, 45 ans, directeur régional de Proximy, qui gère les livrai-sons de journaux, est d’excel-lente humeur alors qu’on a les yeux qui piquent : « C’était l’anniversaire de mon fils hier. Ce soir quoi… Heureuse-ment, j’avais acheté ses ca-deaux bien à l’avance, rit-il. Bon, il n’aura pas la maison pour lui tout seul avec ses co-pains pour ses 20 ans ce week-end… »

« Je ne dors pas » STEEVE POLYDOR, 45 ANS, DIRECTEURDES LIVRAISONS

dépôt à 2 heures. Et c’est moi qui m’occupe des réclama-tions des clients qui n’ont pas reçu leur journal à domicile, et aussi de la tournée des porteurs, du planning, des rapports, des anomalies éventuelles », explique cette jeune quadra sans enfant — « pas encore », précise-t-elle.

Myriam a toujours voulu travailler de nuit : « Avant, j’étais hôtesse d’accueil à l’aé-roport Charles-de-Gaulle. Un jour, de ma fenêtre chez moi, j’ai vu passer un porteur de journaux. J’ai postulé sur un coup de tête. J’ai livré des journaux pendant deux mois, puis on m’a proposé de m’oc-cuper de la saisie des inven-dus, des retours. J’ai toujours aimé avoir ma journée libre pour en profiter, aller nager… Sinon j’aurais l’impression de perdre mon temps. Je dors quand j’ai un coup de barre, vers 13-14 heures. Mon som-meil n’est pas régulier. Le matin ou l’après-midi, ça dé-pend. Avant, j’étais pourtant une grosse dormeuse… ».

Et cette ambiance de grou-pe, où personne ne peut télé-travailler, cette cohue dans l’entrepôt quand la France entière est censée rester confinée chez elle, cela ne la stresse pas ? « Je prends un maximum de précautions. J’étais déjà maniaque au ni-veau des mains. Maintenant, c’est pire. La peur, je ne l’ai pas trop. » Pas vraiment le choix non plus.

ELLE NE LIVRE PAS mais, sans elle, les livreurs seraientperdus. Myriam travaille avec un masque à l’un de ses deux bureaux. L’un face aux presque soixante employés qui vont charger leur voiture en journaux, au cœur de l’en-trepôt, l’autre mieux installé, à l’écart, après leur départ, pour boucler le travail admi-nistratif du centre de distri-bution de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis). « J’ouvre le

« Je n’aime pas travailler en journée » MYRIAM RABHI, 41 ANS, RESPONSABLE ADMINISTRATIVE

Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), vendredi. Coordinatrice à Proximy, Myriam donne aux porteurs leur feuille

de route. « C’est moi aussi qui m’occupe des réclamations des clients qui n’ont pas reçu leur journal… »

Paris (XVIIe), vendredi. « Pas question d’être en retard, souligne

Francis, livreur, le dernier client doit avoir son journal avant 7 h 30. »

Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), vendredi. Pour Steeve Polydor,

directeur régional de Proximy, pas de télétravail possible.

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22 MARS 2020 DIMANCHE

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Demain un Autre Jour: 2020-03-22T02:03:08c:Les Echos;u:[email protected]; 2020-03-23T12:51:02+01:00