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UNESCO UNESCO-CEPES CENTRE EUROPÉEN POUR L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR L’Enseignement Supérieur en Europe Dans ce numéro: Réflexions thématiques sur l’enseignement supérieur Vol. XXIX, No. 4 2004

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UNESCO

UNESCO-CEPES CENTRE EUROPÉEN

POUR L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

L’Enseignement

Supérieur

en Europe

Dans ce numéro:

Réflexions thématiques sur l’enseignement supérieur

Vol. XXIX, No. 4 2004

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L’Enseignement Supérieur en Europe

Volume XXIX Numéro 4 2004

TABLE DES MATIERES Liberté académique, innovation et responsabilité: vers un « système GPS d’éthique » dans l’enseignement supérieur et la science Jan Sadlak et Henryk Ratajczak........................................................................................433

Les dimensions éthiques et morales de l’enseignement supérieur et de la science en Europe

L’éthique « dans » et « pour » l’enseignement supérieur Peter Scott.........................................................................................................................439 L’université et l’éthique résolue Eric Gould.........................................................................................................................451 L’excellence, le partage et la solidarité en tant que principes éthiques de la coopération académique internationale: l’Agence universitaire de la Francophonie Roger Manière ...................................................................................................................461 Moralité, culture et modernité: les défis de l’université Andrzej Szostek .................................................................................................................467 La réforme universitaire en Europe: quelques considérations éthiques Andrei Marga ....................................................................................................................475 Prévention, gestion et modération: des cadres éthiques de gouvernance Jürgen Kohler ...................................................................................................................481 Pour une culture mondiale de la paix: la transmission et les dimension éthiques Federico Mayor.................................................................................................................491 L’éthique et la culture de la paix Abdelwahab Hechiche.......................................................................................................495 La Déclaration de Bucarest sur les Valeurs et les principes éthiques pour l’enseignement supérieur dans la Région Europe .............................................................503

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Tribune Les étudiants d’élite dans l’enseignement universitaire Adriaan Hofman et Müriel van den Berg .........................................................................509 Comptes-rendus et études bibliographiques ................................................................523 Notes sur les auteurs .........................................................................................................531

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Liberté académique, innovation et responsabilité: vers un « système GPS d’éthique » dans l’enseignement supérieur et la science JAN SADLAK et HENRYK RATAJCZAK A la place de notre éditorial habituel, Jan Sadlak, directeur de l’UNESCO-CEPES, et Henryk Ratajczak, vice-président de l’Académie Européenne des Sciences, des Arts et des Lettres (AESAL), présentent en ce qui suit les objectifs et les faits les plus marquants de la Conférence internationale sur Les dimensions éthiques et morales de l’enseignement supérieur et de la science en Europe, tenue à Bucarest les 2-5 septembre 2004. Les articles publiés dans cette édition, dont certains sont tirés de présentations de la Conférence, sont également présentés ici. La conférence a été organisée par les deux organisations susmentionnées, en collaboration avec l’Université des Nations Unies (UNU) de Tokyo et la Division des sciences fondamentales et des sciences de l’ingénieur de l’UNESCO de Paris. Elle a eu lieu sous le haut co-patronage de M. Jacques Chirac, président de la République Française, et de M. Ion Iliescu, président de la Roumanie, et a reçu une distinction particulière à travers de messages particuliers adressés par le Pape Jean Paul II, SMR le Prince El Hassan bin Talal, et M. Koïchiro Matsuura, le Directeur-général de l’UNESCO. Tous les documents de la conférence peuvent être consultés sur le site Internet de l’UNESCO-CEPES, <www.cepes.ro>. Tout au long de leur histoire, les universités et les autres établissements d’enseignement supérieur ont été responsables non seulement de l’enseignement et de la recherche, mais aussi de la promotion de valeurs normatives éthiques et morales. En fait, durant le dernier siècle, ces établissements ont été les initiateurs et les pionniers de débats éthiques cruciaux concernant le mouvement pour les droits civiles, l’égalité des sexes, l’action positive et l’égalité des chances, les aspects moraux de la science, et ainsi de suite. Les grands changements de la fin du Vingtième siècle, et surtout des pays de l’Europe Centrale et de l’Est, ont apporté de nouvelles perspectives sur les dimens ions éthiques et morales de l’enseignement supérieur et de la science dans la région ainsi que dans d’autres régions. Dans la lumière des reconfigurations continues de la mondialisation, les établissements d’enseignement supérieur sont désormais censés s’assumer un rôle encore plus évident en tant que représentants des valeurs sociales modernes, démocratiques, comme la liberté d’expression et d’association, l’accès équitable, la responsabilité envers les parties impliquées, et le règne du droit. Dans beaucoup de cas, les membres de communautés académiques font des pas pratiques afin de définir, concevoir, appliquer et évaluer la dissémination de telles valeurs. Néanmoins, avec l’émergence de la société du savoir, les établissements d’enseignement supérieur et de recherche sont impliqués de manière plus directe dans la vie économique et sociale tout en étant à leur tour influencés par cette dernière. L’humanité a profité de manière inestimable des merveilleux résultats du progrès scientifique et technologique qui, jusqu’à récemment, étaient en principal matériaux. Néanmoins, les résultats de ce progrès sont de plus en plus intangibles et virtuels; nous nous confrontons avec des défis éthiques est moraux conséquents et généralement inconnus.

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\L’information nous rapporte aujourd’hui tout un panorama de problèmes. Nos vies privées, publiques, politiques, et professionnelles sont de plus en plus définies non seulement par l’information, mais aussi par une symbiose avec la nouvelle galaxie de matériel et de logiciels informatiques. La plupart de nos tâches quotidiennes sont essentiellement des formes différentes de génération ou de consommation d’information, et les merveilles de l’Internet ont changé irrévocablement le fonctionnement des écoles, des universités, des laboratoires et des organisations de recherche. On est pratiquement confrontés tous les jours à des défis éthiques liés ou dérivant de ces merveilleuses avancées de la créativité humaine. Par exemple, la pratique omniprésente du téléchargement sur l’Internet constitue un problème significatif pour l’évaluation du travail de l’étudiant, ainsi que pour les publications académiques.

Des mesures légales et administratives adaptées sont certainement nécessaires, mais celles-ci ne résoudront pas les défis éthiques posés par la technologie de l’information. De même, la technologie ne résoudra pas nécessairement les problèmes posés par la technologie; la maîtrise de l’information ne réside pas dans le contrôle ou la centralisation.

Pour ce qui est de la science, des découvertes spectaculaires en chimie ont contribué de manière incontestable au progrès de notre civilisation, tout en polluant l’environnement, avec des conséquences biologiques et sociales imprévisibles. De nos jours, la biologie moléculaire et la génétique, malgré une évolution des paramètres légaux, sont peu sûres et contrôlables dans leur développement. Nos industries croissantes et nos sociétés enrichies sont en train de mettre en danger la planète, incluant les changements climatiques naissant à mesure que la consommation d’énergie pollue l’atmosphère et amoindrit notre couche d’ozone protectrice. Dans d’autres domaines de la science, les simples activités de recherche peuvent conduire à de nouveaux et plus accessibles moyens de destruction en masse.

Vue comme un processus d’évolution naturelle, la science doit pouvoir se développer librement; toute limitation de la recherche scientifique serait presque une contradiction de termes. De l’autre côté, la recherche incontrôlable peu mener à des dangers inconcevables. Ceux qui établissent des politiques ou qui effectuent des recherches sont ainsi confrontés à un dilemme éthique: permettre à la science d’avancer sans restrictions, et prendre des risques, ou envisager la recherche principalement dans le contexte des conséquences, de l’impact social et de la responsabilité ? La responsabilité est certainement un mot clé pour tous, non seulement pour les scientifiques. Nous croyons que l’éthique et la responsabilité sera une condition comportementale sine qua non pour les êtres humains au Vingt-et-unième siècle.

A part les effets technologiques de répulsion et d’attraction et ce qu’on vient de mentionner, les dimensions éthiques et morales de l’enseignement supérieur et de la science doivent être analysées dans le contexte de la mondialisation. Seulement un ignorant mettrait en question la pertinence et le rôle positif inhérent du marché en tant que principe relationnel dominant, mais tout, même dans la vie économique, ne peut être organisé par l’offre et la demande ou la recherche de l’équilibre du marché. Il est donc vraiment inquiétant que « l’avoir » domine « l’être » dans nos comportements collectifs. Un autre défi de la mondialisation réside en cela que les mécanismes et les structures institutionnels d’un système mondial de poids et de contrepoids sont insuffisants; ceux-ci sont nécessaires si on veut avoir une société civile internationale et une existence humaine vraiment civilisée. Les forces de la mondialisation sont puissantes; nos mécanismes censés gérer les défis naissants sont encore faibles.

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Rappelons-nous cependant que l’avenir dépend non seulement d’institutions démocratiques politiques et sociales, mais – plus essentiellement – de l’individu – ou, en ce qui nous concerne, les étudiants, les chercheurs, les enseignants et autres membres de la communauté académique.

Les responsabilités éthiques et morales des établissements d’enseignement supérieur et de recherche relèvent de leurs rôles parallèles, en tant qu’acteurs économiques et sièges des communautés académiques. Cela constitue un fait crucial, puisqu’on témoigne aujourd’hui un changement de paradigme dans l’organisation et le fonctionnement de l’enseignement supérieur. Au moment où la plupart des discussions actuelles sur l’enseignement supérieur européen se concentre sur des sujets comme la structure et la gestion institutionnelles, les flux d’étudiants, l’assurance de la qualité, et le commerce des services d’enseignement, les valeurs académiques ont été mises de côté et les principes fondamentaux concernant ce qui est et ce qui n’est pas approprié à cet égard s’évanouissent. L’érosion des valeurs académiques fondamentales n’est pas que du charabia académique, parce que l’inattention aux fraudes, au népotisme, à la bonne gouvernance, et à la corruption dans l’enseignement supérieur peuvent saper leur statut et leur rôle dans une société démocratique. De même, ces tendances socio-économiques naissantes ont manqué des programmes de l’enseignement supérieur, ou ont été tout simplement négligées. Il est le temps de trouver un meilleur équilibre entre les diplômes et les qualités, afin d’aider les étudiants à combiner et développer de manière pertinente leurs responsabilités professionnelles, personnelles et civiques dans une société démocratique.

Quatre cadres conceptuels principaux ont été élaborés pour la Conférence; à part les recommandations de la Conférence adoptées dans la Déclaration de Bucarest, ces cadres reflètent notre problématique1:

- Comment les contextes éthiques et moraux affectent l’enseignement supérieur et la science modernes, principalement d’une perspective institutionnelle.

- Solutions et modalités de traitement des défis éthiques dans différents établissements, programmes d’étude et activités de recherche.

- Cadres éthiques de gouvernance, censés traiter non seulement des pathologies institutionnelles comme la corruption, mais aussi l’expansion des ‘espaces gris’ évidents dans un grand nombre d’organisations complexes.

- Et tout cela n’a pas de sens si nous n’apprenons pas à mieux vivre ensemble, raison pour laquelle une ‘Culture de la paix’ représente une proposition symbolique.

Pour conclure, beaucoup des présuppositions implicites concernant les dimensions morales et éthiques de l’enseignement supérieur et de la science se trouvent actuellement remises en cause; d’après nous, cela a justifié l’organisation de notre Conférence. Les merveilles du progrès technologique, comme le global positioning system (GPS), nous aident à atteindre des destinations inconnues. Nous pourrions aussi tirer profit d’un ‘GPS éthique’ censé guider notre marche individuelle et collective dans la direction d’un Nouvel Humanisme, basé sur la liberté, l’innovation et la responsabilité. Ceux-ci sont des principes de départ à partir desquels on peut présenter les articles publiés dans ce numéro de l’Enseignement Supérieur en Europe, et la Déclaration de Bucarest – également publiée ici.

Dans le premier article de la section thématique de ce numéro, Peter Scott pose les prémisses en analysant l’apparent désengagement des universités par rapport à ce qu’il appelle « les structures essentielles de valeurs ». Il met en évidence le fait que les 1 En français dans le texte (ndlr).

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établissements d’enseignement supérieur rejoignent plus volontairement de nos jours des valeurs en rapport avec le commerce, l’instrumentalisme et/ou la science; les aspects éthiques courent de facto le danger d’être relégués au dernier rang, sublimés en échange dans une série diffuse de ce que Scott nomme « des aspects procéduraux ». Son analyse de cette possible érosion de l’autonomie éthique et du changement de paysage en ce qui concerne les valeurs académiques est importante en ce qu’elle est contre- intuitive: il affirme que ces changements sont en fait un signe d’expansion, et point de défaite aux mains des fo rces politiques et du marché. Le rapport entre l’enseignement supérieur moderne et la société du savoir a mené à l’apparition de nouvelles configurations de la production et de la consommation; l’article de Scott intègre l’expansion de l’université au nouveau territoire socioculturel, économique et technologique. Scott identifie trois tendances clés qui déterminent l’évolution de la société du savoir, et pose que cette évolution, de paire avec ses implications multiples dans l’enseignement supérieur de masse, est au coeur des fluctuations actuelles des systèmes de valeurs.

L’idée de Scott que l’enseignement supérieur s’implique dans des nouvelles formes sociales et est en même temps changé par celles-ci est reprise par Eric Gould, avec la même classe mais dans un but différent. Gould examine le rôle de l’université dans la société du savoir et se prononce, dans son analyse finale, en faveur d’une place juste pour l’éthique dans les programmes universitaires – une ‘éthique pragmatique’ intellectuellement saine. Pour arriver à cela, il accompagne le lecteur à travers le champ de mines éthique qu’est la génération actuelle de savoir: la création de valeurs en tant que produit secondaire du développement du savoir; le défi d’une approche commune, interdisciplinaire, du savoir; la promotion de la démocratie; et la massification et la corporatisation des universités, ces dernières résultant de la montée du capitalisme libéral. Gould met en évidence que les établissements d’enseignement supérieur doivent de plus en plus « … paraître et agir en tant qu’entités commerciales » dans l’intérêt de leur survie. La conclusion est claire, en cela que le rapport entre le savoir et les intérêts économiques devient de plus en plus étroit et qu’un défi éthique essentiel, selon Gould, concerne le décalage même entre les valeurs académiques classiques de l’université et les valeurs de marché de la société du savoir. Est-ce que les universités réussiront à trouver une médiation entre la modernité et la modernisation ? Peuvent-elles remettre en cause les structures sociales et éthiques sur-simplifiées et réconcilier « les buts capitalistes et les valeurs démocratiques » ?

Roger Manière affirme que le libéralisme incontrôlé et la mondialisation omniprésente et invasive représentent des dangers implicites pour le bien public; la question de l’intérêt collectif et de son respect est désormais essentielle. Mais comment peut-on favoriser ces derniers ? En retraçant l’évolution historique des universités d’Europe, Manière contemple le riche et divers héritage du continent. Il combine cette approche historique avec des évolutions sociologiques, politiques et économiques modernes et rajoute un utile post-scriptum éthique aux considérations particulières de Peter Scott: la ‘massification’ en soi a été également un choix éthique et en effet une réussite éthique. A certains des arguments plutôt anglo-saxons, déterministes, traités dans les deux articles qui le précèdent, l’article de Manière propose une perspective continentale complémentaire, sinon opposée: le processus d’intégration européenne au niveau de l’enseignement supérieur requiert non seulement de la coopération, mais une coopération basée sur une éthique du partage et de la solidarité. Il présente le rôle de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF), en tant que structure opérationnelle veillant à ce but, et affirme que les activités programmatiques organisées dans ce cadre constituent un bon véhicule du

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renforcement de la diversité linguistique, de la protection de l’environnement, de la démocratisation et du rôle critique des TIC dans la distribution équitable du savoir.

Deux auteurs venant d’Europe Centrale et de l’Est, Andrzej Szostek et Andrei Marga, suivent la voie ouverte par Manière dans la défense de la tradition humaniste de l’Europe dans l’enseignement supérieur. Szostek examine dans son article certains des défis actuels de l’université européenne, soutenant qu’il est possible de retirer la recherche et l’enseignement de l’université mais point vice versa. Le rôle humaniste du milieu universitaire ne peut simplement pas être abandonné, écrit- il, et demeure essentiel pour la conception de la recherche de la vérité, d’une communauté de l’enseignement, et d’une vie civique et culturelle européenne. Cependant, Szostek comprend les défis de la modernité et du libéralisme mondialisé qui affectent cette vocation universelle, humaniste. Ceux-ci incluent la massification, les progrès technologiques, les structures obsolètes de carrière académique, et un marché du travail en perpétue l changement. Il met en évidence que le maintien de la mission fondamentale de l’université à cette époque est un « défi moral », né de la croyance en l’héritage universitaire européen de production culturelle et de renouveau social.

Partageant l'appréhens ion de Szostek pour la protection et la propagation de l’héritage éducationnel du continent, Andrei Marga analyse la crise du modèle humboldtien, remarquant la fragmentation apparemment irrécupérable de sa vision unifiée de l’enseignement et du développement. Marga annonce l’imminence de changements culturels, en cela que la capacité d’adaptation des cultures éducationnelles européennes constitue un indicateur essentiel de succès: les universités européennes doivent tenir compte des traditions historiques de leur genèse, mais aussi des impératifs du changement constructif. Il souligne que la réitération et la redirection de la mission et des fonctions-clés de l’université sont cruciales, notamment dans les domaines de la réforme institutionnelle, de l’encouragement de la créativité, de la résolution de problèmes et de la gouvernance démocratique.

Les universités sont des articulateurs essentiels des systèmes de valeurs, y inclus de ceux qui concernent l’éthique; aussi essentiellement, les observations attentes et profondes de Jürgen Kohler se trouvent au croisement des principes et de la pratique. L’article de Kohler tente d’analyser et d’esquisser un cadre éthique de gouvernance dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la science, en fournissant une série d’exemples bien utile. Il fait, par exemple, une distinction entre les défis éthiques et les mesures préventives, traitant des aspects pratiques de la quête du savoir, du conflit et de l’égalité dans le monde académique, et des échecs des prévisions. Kohler propose aussi des cadres éthiques de gouvernance correcteurs ou préventifs, au niveau des structures censées assurer l’unification de la gouvernance et de l’éthique, ainsi que dans la gestion de l’éthique et de la prévention des risques. A la suite des cadres institutionnels présentés par Kohler, Federico Mayor offre une perspective personnelle sur les limites éthiques du savoir. Mayor se prononce en faveur d’un usage plus étendu de l’éthique dans la détermination des applications possibles du savoir, étant donné que le savoir et l’acquisition conséquente de pouvoirs ont augmenté de manière exponentielle, mais les cadres éthiques nécessaires n’on malheureusement pas suivi le pas. Mayor récapitule certains des moments éthiquement importants des cinquante dernières années, afin de mettre en évidence le rôle des établissements d’enseignement supérieur en tant que promoteurs mondiaux potentiels des dimensions éthiques du savoir. Abdelwahab Hechiche offre une évaluation contextuelle du mandat éthique de l’enseignement supérieur et referme le cercle en soulignant, tout comme Scott, l’existence d’un décalage grandissant entre l’éthique elle-même et le cadre élargi de la

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littérature éthique et des ‘procédures’ dans l’enseignement supérieur. Des euphémismes techniques et procéduraux remplacent de plus en plus toute implication éthique ouverte et Hechiche appelle à une réaffirmation de l’éthique comme qualité et but sociaux inhérents, plus importants que jamais dans la perspective des tendances transnationales émergeantes dans l’enseignement supérieur. L’éthique est la plus appropriée à ce but selon Hechiche parce que, à la différence des conceptions plus rationnelles de la moralité, sa dimension sociale favorise la conciliation et la focalisation sur les droits réciproques. Ces droits sont ambigus dans le contexte des dynamiques mondiales convergentes/divergentes; d’où la primauté des cadres favorisant la coopération et le dialogue. Hechiche étudie également la discipline de l’enseignement pour la paix en tant qu’application de ces idées, et relève quelques implications pour la profession d’enseignant. Sa conclusion est essentiellement qu’à cette époque fragmentée le fardeau de l’éthique doit être partagé.

La section thématique de ce numéro de l’Enseignement Supérieur en Europe se clôt avec la Déclaration de Bucarest, dont la version complète y est publiée. A la fin de la Conférence susnommée, les participants ont adopté cette série de recommandations, censées conduire à une plus grande acceptation des dimensions éthiques et morales de l’enseignement supérieur et de la science en Europe. La Déclaration propose quelques valeurs et principes directeurs concernant l’éthos académique, la culture et la communauté; l’intégrité académique dans l’enseignement et la formation; la gouvernance démocratique et éthique; l’intégrité et la réponse sociale dans la recherche; et l’application de principes éthiques. La Déclaration recommande aussi que l’UNESCO-CEPES, en coopération avec d’autres parties impliquées, initient des activités de suivi centrées sur l’identification et la promotion de pratiques institutionnelles positives. Dans la section « Tribune », Adriaan Hofman et Muriel Van Den Berg étudient la situation des étudiants d’élite des Pays-Bas, qui suivent deux programmes d’études universitaires concomitamment. A travers une perspective théorique basée sur des notions de capital humain et financier et de pertinence de facteurs programmatiques et motivationnels, les auteurs présentent des cadres compréhensifs concernant le sexe, la motivation, l’accroissement du capital humain des étudiants, et les ressources familiales. De manière encore plus intéressante encore, ils trouvent que l’intérêt intellectuel et la motivation intrinsèque sont des facteurs-clés, ce qui constitue pour les buts de ce numéro une réaffirmation rafraîchissante des ‘aires d’action’ clés de l’enseignement supérieur, planant aisément sur nos discussions.

Enfin, mais pas en dernier lieu, ce numéro de l’Enseignement Supérieur en Europe inclut une série de comptes-rendus et études bibliographiques de quatre critiques, une lecture recommandée. Le prochain numéro de la revue de l’UNESCO-CEPES aura comme sujet ‘Le Processus de Bologne: rétrospective et perspectives’. Vos contributions sont les bienvenues.

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L’étique « dans » et « pour » l’enseignement supérieur PETER SCOTT Le présent article analyse l’apparente conspiration du silence et/ou la culture du manque d’intérêt par rapport aux questions d’éthique dans l’enseignement supérieur. Une première interprétation traite cette question comme un phénomène presque entièrement négatif – la subordination des valeurs des universités aux forces externes politiques et du marché. La seconde interprétation, élaborée ci-dessous, est plus nuancée et plus objective ; l’apparente érosion de l’autonomie des universités et l’imprécision croissante des valeurs académiques traditionnelles sont vues comme une preuve non du déclin et de la chute, mais du succès de l’enseignement supérieur dans le territoire en pleine expansion de la société du savoir. Introduction Les universités sont des établissements fondés sur des valeurs - peut-être les établissements les plus conservateurs de valeurs dans la société moderne, après le déclin de la religion organisée et ceci a visiblement été le cas pour l’ « occident » (à une exception près, celle étonnante des Etats-Unis), alors que la montée du sécularisme est un phénomène mondial. Les universités non seulement expriment les valeurs intellectuelles et scientifiques directement à travers l’enseignement et la recherche; elles représentent aussi de puissantes valeurs organisationnelles (notamment en termes de gouvernance collégiale, d’autonomie institutionnelle et de liberté) et des valeurs instrumentales d’égale influence (du fait du rôle de plus en plus puissant qu’elles jouent dans le cadre de la société du savoir); finalement, les universités ont un apport essentiel à la formation des valeurs sociales et culturelles.

Cependant, il semble que les universités hésitent de plus en plus à reconnaître ces structures essentielles de valeurs – ou qu’elles cherchent plutôt à maintenir les valeurs à l’intérieur de zones bien protégées. Ainsi, les valeurs scientifiques intrinsèques sont mises en avant au détriment de valeurs plus intellectuelles et générales; les valeurs instrumentales à travers lesquelles les universités peuvent prouver leur utilité sont mises en avant au détriment de valeurs plus importantes qui sont ouvertes aux critiques (souvent fausses) comme étant trop politiques; et la culture organisationnelle des universités est de plus en plus contaminée par le pouvoir et l’influence croissants du commerce de la culture. L’effet, qu’il soit intentionnel ou pas, est celui d’encourager les universités à ne pas admettre ouvertement l’importance des valeurs. L’effet, intentionnel ou pas, est celui d’encourager les universités à ne pas reconnaître ouvertement la signification des valeurs. S’il ne s’agit pas d’une conspiration du silence, au moins une culture du manque d’intérêt est bel et bien mise en place. Au lieu de se présenter comme des établissements fondés sur certaines valeurs fondamentales, les universités semblent vouloir maintenant être perçues comme des organisations se limitant à rendre des services d’ordre technique, acceptant volontiers les valeurs que leurs principaux bénéficiaires - notamment le gouvernement et l’industrie - cherchent à imposer. Le triste résultat est que les problèmes d’ordre éthique se trouvent en danger de devenir des problèmes secondaires dans les universités modernes – ou, pour être plus précis, il existe une tendance à redéfinir les problèmes d’ordre éthique comme étant des problèmes essentiellement procéduraux plutôt que des problèmes fondamentaux

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directement liés à la principale mission de l’université. Ce changement peut aussi être remarqué dans le contexte de la recherche. L’éthique de la recherche ne se débat plus en termes de moralité du sponsorat militaire ou commercial des programmes de recherche; la recherche « au ciel bleu » et les bourses « désintéressées » ne sont plus défendues avec autant de force. A la place, l’éthique de la recherche se concentre sur des problèmes beaucoup plus étroits, souvent techniques, tels que le fait d’exposer les mauvaises pratiques et de maintenir la rigueur des méthodologies de recherche (y compris le besoin d’éviter d’exploiter les sujets de recherche ou les intrusions non nécessaires dans leurs vies) (Scott 2003). Un changement similaire peut être observé dans le contexte de l’enseignement. L’importante investigation a été réduite à la résolution du problème. Au lieu d’encourager les grands débats sur le développement souhaitable du programme d’enseignement, les universités se concentrent maintenant sur des politiques et des procédures conçues en vue d’éviter ou de punir le plagiat parmi les étudiants.

Il y a deux interprétations possibles de la signification de cette apparente conspiration du silence et/ou culture du manque d’intérêt concernant les problèmes d’éthique dans l’enseignement supérieur. La première la traite en phénomène presque entièrement négatif – la subordination des valeurs des universités aux forces externes de la politique et du marché (combinée à un collapse interne de la morale et de la confiance ou, pire encore, à une trahison des clercs). La seconde interprétation, que traite le présent article, est plus nuancée et moins critique; l’apparente érosion de l’autonomie des universités et l’imprécision croissante des valeurs universitaires traditionnelles sont vues non comme preuve de leurs déclin et disparition, mais comme preuve du succès de l’enseignement supérieur dans le cadre du territoire en pleine expansion de la société du savoir.

Le présent article est divisé en trois sections principales :

- une brève description historique du développement des valeurs universitaires, à la fois intellectuelles et organisationnelles (sujet moins direct et plus problématique que les dirigeants d’universités sont préparés à l’admettre);

- une discussion au sujet de l’impact des changements intervenus dans les relations entre les universités et la société (et plus particulièrement, le développement des systèmes d’enseignement supérieur de masse) concernant ces valeurs. Est- il correct de voir cet impact uniquement en termes de déclin et de disparition ?

- une discussion similaire au sujet de l’impact des nouveaux modes de production du savoir, de gouvernance et de transmission sur les valeurs universitaires traditionnelles (de l’élite ?). Est-ce que les dichotomies auxquelles nous sommes habitués entre l’enseignement universitaire et les écoles professionnelles et entre la recherche pure et la recherche appliquée sont toujours valables ?

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Le développement de la culture académique et des valeurs universitaires

L’université s’est d’abord développée comme institution distincte en Europe du sud et de l’ouest vers le haut moyen-âge. Le qualificatif distinct est important dans deux sens. Premièrement, il existait en Europe des établissements universitaires avant l’apparition des universités (ou studium generale) – au Septième siècle Northumbria (Bede)2 ou à la cour du roi Charlemagne (Alcuin)3. Mais il s’agissait d’écoles monastiques ou de cour, éléments organisationnels avec des configurations beaucoup plus larges. Deuxièmement, les établissements universitaires fleurissaient aussi dans l’est byzantin où sont apparus des établissements semblables aux universités et dans le monde islamique, où l’association de la religion à l’Etat rendait plus difficile l’émergence d’institutions distinctes. Ainsi, même si la différenciation structurelle des universités médiévales a été décisive en termes d’évolution future, son importance peut être exagérée en termes intellectuels et normatifs. L’université a offert des bases d’organisation séparée pour l’apparition d’un système de valeurs distinct, la scholastique. Mais la mesure dans laquelle on pouvait réellement distinguer la scholastique par rapport à la plus vaste culture catholique médiévale et à la société féodale était limitée.

C’est seulement avec l’avènement de la Renaissance – et surtout la Réforme – que la semi indépendance des universités a pris de l’importance. Une fois l’unité de l’Europe médiévale ébranlée, les universités ont été amenées à jouer un rôle clé dans la formation des Etats. Elles ont éduqué de nouvelles élites administratives (et plus séculières), ont construit des ponts et ont joué les intermédiaires entre la culture mercantile et celle des cours et ont promu de nouvelles valeurs intellectuelles en fournissant les jus tifications idéologiques pour le nouvel ordre politico-religieux et la culture proto-scientifique. Bien entendu, de nouvelles universités ont été fondées entre 1500 et 1700. Un indicateur de l’importance des universités durant cette période est leur pénétration sociale. En Angleterre le Long Parlement, qui a été élu pour la première fois en 1641 et a déclaré la guerre au Roi Charles Ier, comptait plus de diplômés d’université que tout autre parlement anglais d’avant 1945 (l’Angleterre était entre temps devenue le Royaume Uni).

Cependant, de certains points de vue, ce second fleurissement des universités européennes a représenté un faux départ. A partir du milieu du Dix-septième et jusqu’à la fin du Dix-huitième siècle, les universités ont stagné, tant du point de vue du nombre d’étudiants que de celui de leur engagement intellectuel (- cette affirmation reste généralement valable en dépit des études récentes qui suggèrent que les universités n’étaient pas si stagnantes pendant cette période qu’on l’avait supposé) (Porter 1996). En fait, les nouvelles Académie de Science, les écoles pratiques d’ingénierie, les illuminati des Lumières, les premiers mouvements des médias dominants et de l’industrie de la typographie, les opinions radicales et la 2 Bede le Vénérable (673-735), père de l’histoire anglaise, auteur de l’Histoire ecclésiastique de la nation anglaise a consigné les événements de la Bretagne à partir des raids de Jules César en 55-54 Av. J.C. et jusqu’à l’arrivée du premier missionnaire de Rome, Saint Augustin en 597. C’est à Bede que l’on doit, grâce à ses récits historiques, notre calendrier qui commence à la naissance du Christ <http://www.britannia.com/bios/bede.html>. 3 Alcuin d’York (735-804) a été nommé à la tête de l’Ecole du Palais de Charlemagne à Aachen en 781. Il y a développé la minuscule caroline, un scripte clair qui est devenu la base pour les lettres de l’actuel alphabet romain. Alcuin était responsable des plus précieux des codicilles carolingiens, appelés de nos jours les Bibles d’Or <http://www-groups.dcs.st- and.ac.uk/~history/Mathematicians/Alcuin.html>.

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politique révolutionnaire – ont été les canaux à travers lesquels l’innovation scientifique et intellectuelle a cheminé sur une période de plus d’un siècle. Alors que les universités ont joué un certain rôle dans la révolution scientifique, leur rôle dans l’illuminisme a été tangentiel, voir accidentel, tandis que le système de valeurs a évolué de manière indépendante. On n’exagère presque pas à affirmer que vers 1800 l’université était devenue une espèce en voie de disparition, qui risquait d’être remplacée par d’autres institutions académiques plus modernes (de Ridder-Symeons 1996).

C’est seulement au cours du Dix-neuvième siècle que l’université revit. Il s’agissait alors d’un phénomène concernant l’Europe entière (et de nos jours, le monde entier) et c’est la raison pour laquelle la fondation de l’Université de Berlin, en réalité un épisode local de la reconstruction de la Prusse après sa défaite par Napoléon, a acquis une telle importance historique. La troisième période faste pour l’université a été marquée par de nombreuses forces – les changements politiques, surtout concernant la collaboration accrue entre les Etats nations ; les changements intellectuels et culturels, alors que le sentiment religieux déclinait; les changements scientifiques, alors que les connexions entre la science spéculative et la technologie étaient devenues beaucoup plus serrées; et les changements socio-économiques, au fur et à mesure que des sociétés de masse, urbaines et de plus en plus démocratiques sont apparues. Les universités ont joué un rôle clé dans l’amélioration et la transmission de cette nouvelle culture, mais il est discutable de savoir si elles étaient suivaient la tendance ou en étaient les leaders. Les impulsions fondamentales continuent à venir de l’extérieur des universités.

Au Vingtième siècle, l’engagement social des universités s’est accru. Le rôle clé joué par les connaissances scientifiques dans le maintien et l’expansion des capacités industrielles et militaires était généralement reconnu et le rôle des universités dans la production du savoir scientifique a augmenté à travers le siècle. La démocratisation de la société a conduit à l’émergence de systèmes d’enseignement supérieur de masse dans lesquels les valeurs universitaires traditionnelles se sont confondues dans une certaine mesure (Scott 1995). Vers la fin du siècle, les universités n’étaient pas seulement décisives dans la division des forces du marché du travail, à travers la recherche, en contribuant à l’apparition de nouvelles technologies et à travers l’enseignement, en formant des experts en technique (et en d’autres disciplines). Les universités ont aussi été un facteur décisif dans la transmission du capital culturel et social, alors que les autres classifications sociales basées sur les différences de classes et de sexes sont tombées en désuétude.

Mais dans quelle mesure a été décisive l’université moderne dans la formation des valeurs? Il est plus difficile de répondre à cette question. Dans un certain sens, elle a pu être plus influente que l’université du Dix-neuvième siècle dans ce domaine. Premièrement, le développement du secteur public et de l’Etat providence, dans lesquels les systèmes modernes d’enseignement supérieur avaient leurs racines, ont promu l’indépendance organisationnelle des universités; celles-ci ne dépendaient plus tellement des fonds provenant des industries ni des paiements effectués par les étudiants. Deuxièmement, l’association des universités aux opinions radicales, toujours implicites du fait de la nouveauté inhérente de la science, l’importante culture des bourses d’étudiants et les influences libératrices et déracinantes de l’expérience estudiantine sont devenues quelques fois explicites au cours du siècle précédent. Ceci était évident dans les années 1960, lorsque le foisonnement intellectuel et le radicalisme politique se sont fondus d’une façon que l’on n’avait plus vu depuis la fin du Dix-huitième / le début du Dix-neuvième siècle (ou même avant la Réforme).

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Dans un autre sens, l’université moderne a cependant été systématiquement subordonnées aux valeurs instrumentales de la société du savoir. Tout d’abord, en ce moment, l’université représente seulement l’une des institutions du savoir à l’intérieur de toute une rangée dont elle a absorbé nombre de valeurs et de pratiques. De ce point de vue, son indépendance organisationnelle ainsi que sa capacité à générer ses propres valeurs ont été compromises. Deuxièmement, le principal moteur des universités modernes est de répondre à la demande de savoir d’une société de plus en plus « experte » - que ce soit en termes de formation de professionnels hautement qualifiés ou en termes de production de savoir technique sophistiqué. D’autres objectifs plus traditionnels de l’enseignement supérieur, qui mettent l’accent sur le développement personnel ou qui encourage la pensée critique ont apparemment été déchus. Ainsi, puisque c’est par ces autres buts devenus désormais secondaires que les valeurs académiques s’exprimaient le plus clairement il semble raisonnable de conclure que le pouvoir normatif de l’université a été réduit. L’université dans la société du savoir L’opinion générale est que l’université d’élite a été capable de maintenir une distance critique par rapport à la société – pour un certain nombre de raisons. Premièrement, on pouvait leur faire confiance de ne pas trop dévier par rapport aux normes dominantes ou de défier la culture intellectuelle dominante du fait que les leaders sociaux et des universités étaient membres d’une élite commune. Deuxièmement, les universités d’élite, à la différence des systèmes d’enseignement supérieur de masse qui lui ont succédé concernait surtout une petite échelle et par conséquent, ne représentait pas un poids important en termes de dépenses publiques (et était moins visible en termes de politique ?). troisièmement, l’articulation entre les universités d’élite, d’une part et la société industrielle et l’Etat bureaucratique d’autre part était moins directe et moins intense que celle entre les systèmes d’enseignement supérieur de masse et la société du savoir et l’Etat marchand. Par la distance critique établie à travers ces moyens, les universités d’élite ont pu développer leurs propres systèmes de valeurs – étroitement alignés à ceux de la société, mais en même temps différents – et ensuite les propager partiellement à travers la recherche et les bourses aux étudiants, mais principalement à travers leur rôle clé dans la formation des élites.

Il est dit que les systèmes d’enseignement supérieur de masse n’ont pas la capacité de maintenir une distance critique similaire par rapport à la société. Ils sont pleinement enracinés dans la société –pour un certain nombre de raisons. Premièrement, ces systèmes comprennent d’autres institutions en dehors des universités classiques - notamment les écoles polytechniques, les Fachhochschulen et les écoles supérieures qui sont d’orientation plutôt professionnelle que scientifique et sont guidées par des valeurs plutôt instrumentales que libérales (ou académiques). Dans certains systèmes contemporains d’enseignement supérieur, de telles institutions forment à présent le secteur majoritaire. Deuxièmement, même les universités classiques ont assumé des rôles très différents par rapport à ceux traditionnels – en établissant, par exemple, des écoles de commerce, en développant des programmes d’enseignement appliqué ou en créant des unités de transfert de technologie.

Troisièmement, le développement d’une société du savoir a conduit à une érosion des frontières entre des domaines qui était plutôt discrets tels que la politique et le marché, la science et la culture. En étant l’une des plus dynamiques institutions dans le cadre de la société du savoir, l’université se trouve parmi les plus affectées par cette

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érosion – et par conséquent, son succès à résoudre les problèmes scientifiques et sociaux a causé inévitablement une perte d’autonomie. Finalement, les systèmes d’enseignement supérieur de masse ne sont plus aussi étroitement liés à la reproduction des élites. Les élites elles-mêmes ont proliféré et sont devenues plus volatiles, dans la mesure où l’étiquette d’élite est encore appropriée à la société contemporaine avec ses structures de pouvoir tellement plus fluides. Comme résultat, la confiance entre les élites universitaires et ce que l’on appelait en Grande Bretagne l’établissement a été minée. Pour ces raisons, l’enseignement supérieur de masse a perdu son indépendance essentielle que possédait auparavant l’élite universitaire – et de fait sa capacité à générer ses propres systèmes de valeurs distincts.

Ceci est en fait l’histoire standard – essentiellement l’histoire d’un déclin et d’une perte. Alors que le caractère d’accélération et d’instabilité de la société contemporaine a alimenté un discours compensatoire de regret et de nostalgie, de tels récits sont déjà acceptés. Le rabaissement du niveau intellectuel des universités, la chute des standards traditionnels, l’incapacité des universités à agir indépendamment et de manière efficace en tant que critiques de la société, la chute de leurs bases éthiques – sont les réclamations habituelles. Mais ce récit ou cette description rendent- ils une image exacte de la situation ?

Il est certainement possible de donner une description alternative, en arguant le fait que le système des universités d’élite était aussi un système fermé tant du point de vue social que du point de vue intellectuel. Ainsi, leur capacité à critiquer les normes sociales et les structures dominantes - et donc à développer de vraies bases éthiques indépendantes - conduisait à l’auto- limitation. Le degré d’interaction entre les élites sociales et politiques d’une part et les élites intellectuelles et scientifiques d’autre part, a toujours été important – et augmentait encore en temps de guerre. Les deux Guerres Mondiales ont non seulement stimulé la croissance de l’enseignement supérieur, soi-disant promouvant la démocratisation des universités, mais elles ont aussi souligné les liens incestueux entre les pouvoirs politique, militaire et scientifique. Avant l’ère des universités de masse, les intellectuels à l’esprit critique avaient tendance à se grouper autour d’autres institutions, souvent des journaux ou des périodiques – ou bien ils évitaient d’intégrer une institution et restaient « dans le vent » selon les termes évocateurs de George Steiner (Steiner 1965); les universités d’élite ne leur ont pas offert un environnement propice ou compatible. Elles ont cependant offert un environnement pour former les futurs dirigeants de l’administration d’Etat et des professions d’élite, sinon pour le milieu des affaires et l’industrie.

Les systèmes d’enseignement supérieur de masse, par contre, sont beaucoup plus ouverts – non seulement parce qu’ils recrutent des populations d’étudiants qui ne proviennent plus généralement des groupes sociaux privilégiés, mais aussi du fait qu’ils ont été obligés d’incorporer des traditions de savoir n’appartenant pas aux élites et même alternatives. Cela vient partiellement du besoin d’intégrer ces nouveaux étudiants, mais c’est aussi le résultat du fractionnement et de la prolifération du savoir. Superficiellement, il existe un lien plus étroit entre les choix des étudiants et les disciplines offertes d’une part et entre le marché du travail d’autre part dans l’enseignement supérieur de masse que dans les systèmes d’enseignement supérieur d’élite. Dans ce sens, les systèmes de masse sont plus orientés vers le professionnel et moins scientifiques. Mais cela peut conduire à une impression erronée: le besoin de rendre explicites ces liens entre l’enseignement supérieur et l’économie peut aussi être la preuve du déclin des connexions implicites et des intérêts personnels étroits. Les systèmes de masse doivent être planifiés et réglementés afin de contrôler leur potentiel d’émancipation, leur liberté délibérée. On ne peut pas leur faire confiance

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dans la même mesure qu’aux systèmes d’élite. Les systèmes d’enseignement supérieur plus ouverts (et démocratiques?) peuvent avoir la capacité de développer une éthique alternative, différente de l’éthique dominante de la société.

La signification de la relation imbriquée, voir incestueuse, entre les systèmes d’enseignement supérieur de masse et la « société du savoir » peut aussi être faussement interprétée. Une interprétation simple serait que l’enseignement supérieur a été incorporé dans la base productive – et par conséquent a perdu toute liberté qu’il a pu avoir d’agir comme base indépendante au développement d’un système éthique distinct. Comme le savoir en soi est à la fois une ressource primaire (en termes d’entrées – des technologies avancées, par exemple) et une marchandise (en termes d’idées et d’images), il ne peut plus être clairement distingué des autres entrées de ressources et sorties de marchandises (Bell, 1973). Tout comme le savoir s’imprègne aujourd’hui dans la société, la société s’imprègne dans le savoir.

Mais selon une seconde lecture plus subtile, la relation entre l’enseignement supérieur et la société du savoir est plus complexe et plus ambiguë. Premièrement, les systèmes modernes d’enseignement supérieur sont formés d’une rangée d’institutions de plus en plus hétérogènes. Les rôles traditionnels des universités d’élite non seulement transcendent et s’étendent à l’intérieur de ces systèmes d’enseignement supérieur plus étranges et plus ouverts, mais les établissements dont ils sont formés croisent aussi la société du savoir à différents niveaux – en partant de la production de recherche et de technologies avancées de niveaux mondial, à travers la formation d’élites professionnelles et techniques et jusqu’à la formation de masses de diplômés d’université. Alors que certains pourraient discuter de l’incorporation plus profonde de l’enseignement supérieur dans la société du savoir, d’autres peuvent au contraire arguer son indépendance – ou, si ce n’est l’indépendance de l’enseignement supérieur, la dépendance d’autres établissements sociaux ou économiques de l’enseignement supérieur (Scott, 1999). Les systèmes modernes d’enseignement supérieur tolèrent aussi (et même célèbrent) une variété beaucoup plus grande de traditions du savoir. Celles-ci s’étendent bien au-delà des cultures traditionnelles scientifiques, académiques et des élites professionnelles (qui sont elles-mêmes radicalement transformées, bien entendu), afin d’embrasser les cultures professionnelles et même populaires. Enfin, ces différentes cultures croisent la société du savoir de différentes manières et à différents niveaux. Certains peuvent en effet être décrits en termes d’incorporation de l’enseignement supérieur dans les bases productives; toutefois, d’autres liens contribuent à accentuer les turbulences culturelles (et peuvent donc directement contribuer à l’évolution des systèmes de valeurs). Ainsi, dans la perspective de l’enseignement supérieur, on peut se tromper à conclure que l’engagement de celui-ci par rapport la société du savoir a nécessairement érodé sa capacité à soutenir et à développer sa propre base éthique distincte.

On peut en effet affirmer que la variété de disciplines universitaires et de formations professionnelles dans le cadre des systèmes modernes d’enseignement supérieur rend plus important et non moins important, le fait de mettre l’accent sur cette base éthique – pour deux raisons principales. La première est que l’éthique a au moins le potentiel d’agir comme un liant qui aide à rassembler des traditions de savoir qui seraient autrement très dispersées. Même si on peut douter de l’étendu de son pouvoir réel à jouer ce rôle en pratique, il mérite de le tenter car il s’agit d’une assertion concrète de l’idéal d’unité de l’enseignement supérieur. La seconde raison est que les considérations d’ordre éthique s’immiscent de plus en plus dans ce qui était traditionnellement regardé comme domaines purement experts ou même

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techniques. L’impact de la production de savoir selon le Mode 2 sera présenté plus loin dans cet article. Mais un examen du programme d’enseignement dans de nombreuses disciplines professionnelles démontre à quel point sont importantes les considérations d’ordre éthique. De nos jours, par exemple, on enseigne aux ingénieurs les conséquences des problèmes juridiques et environnementaux sur la pratique de leur profession.

Il existe une deuxième façon, selon cette interprétation plus subtile, dans laquelle la relation entre les systèmes modernes d’enseignement supérieur et la société du savoir est plus complexe et plus ambiguë. Tout comme les universités croisent la société du savoir à différents niveaux et de différentes façons, de même, la société du savoir est une formation hétérogène (et contestée) (Stehr 1994). Il arrive trop souvent qu’une seule des dimensions soit mise en évidence – la montée sans remords et l’impact irrésistible des technologies de l’information et des communications. Etroitement liées à ceci sont les modifications du comportement social et des structures économiques associées à l’idée de société du savoir - comme la création d’un langage mondial à travers la propagation de puissantes images et marques, ou bien à travers le marché financier mondial ininterrompu et les autres marchés.

Mais la société du savoir ne peut pas être regardée simplement comme la transcription du triomphe du capitalisme du marché libre, de la démocratie libérale et du sécularisme. Pour commencer, il est difficile de la séparer du phénomène de la mondialisation; la clé des deux est l’abolition effective du temps et de l’espace. Il est maintenant possible de manipuler les deux (presque) à volonté. Cette manipulation du temps et de l’espace permet de développer de nouvelles et globales configurations de production et de consommation; et plus important encore, elle se trouve à la base des identités sociales et personnelles presque infiniment pliables qui caractérisent le monde moderne (ou post-moderne ?) (Nowotny, 1994). Les aspects socioculturels de la société du savoir sont au moins tout aussi importants que ses aspects économiques et technologiques.

Dans le cadre de la société du savoir [et de la mondialisation], il est possible d’identifier un certain nombre de tendances clé (Nowotny et al., 2001). La première est l’accélération – et, étroitement liée à celle-ci, la complexité. L’accélération et le changement sont généralement perçus comme des phénomènes technologiques et économiques (l’impact des TIC et le triomphe du marché) ; et, deuxièmement, comme linéaires et prévisibles. Mais l’accélération est aussi un phénomène scientifique, intellectuel et culturel – et il est souvent littéralement incontrôlable. Tout fluctue. La deuxième tendance est l’incertitude – ou le risque, car à coté de la société du savoir se trouve l’autre, la société du risque (Beck, 1992). Cette incertitude comporte deux aspects. Le premier est typiquement décrit en termes négatifs, à savoir le mauvais côté de la croissance économique et des changements sociaux en termes de pollution environnementale et de ruptures familiales. Mais le second aspect plus positif est que la réussite de la science est génératrice (et l’a toujours été) d’incertitude; dès qu’un problème est résolu, il y en a d’autres qui apparaissent. Pendant un certain temps, cette incertitude a été contenue à l’intérieur de la sphère intellectuelle relativement sûre. Maintenant, elle a inondé la société dans son ensemble. Ainsi, l’incertitude est intimement liée au potentiel, qui est à son tour un élément clé dans la production de l’innovation.

La troisième tendance est que la Société du savoir est un terrain contesté – dans deux sens différents. Premièrement, comme je l’ai déjà affirmé, son impact n’est pas limité à l’économie. Son impact est tant social que culturel. Le quotidien des individus est tissé de noms de marques qui sont souvent elles-mêmes localisées; les chances de

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vie, qui constituaient autrefois les indices brutes pour le calcul économique de la droite de marché et de la gauche socialiste ont été remplacées par des styles de vie, voir par des marques de vie. C’est dans un sens très réel que la société du savoir va au-delà du marché. Deuxièmement, la société du savoir - et plus particulièrement la mondialisation – sont hautement idéologiques. Le triomphalisme associé à l’idée de La Fin de l’histoire (pour citer le titre – naïf – d’un ouvrage de Francis Fukuyama sorti il y a une décennie) est déplacé (Fukuyama 1992); l’idée que la nation – ou l’Etat providence est remplacée par l’Etat marchand dans un grand changement historique (comme le suggérait un autre auteur américain, Philip Bobbitt) est génératrice de fausses idées (Bobbitt, 2002).

Mais la mondialisation ne concerne pas seulement l’avance du capitalisme démocratique – animé (malheureusement) le plus souvent de nos jours par des valeurs néo- libérales, à la place de celles sociales démocratiques – mais aussi les résistances globales à la mondialisation du marché libre: Greenpeace est un nom de marque tout aussi mondial que Coca-Cola. Dans une importante mesure, les attitudes vis-à-vis de la mondialisation du marché libre se sont substituées aux traditionnelles divisions politiques droite-gauche dans les pays développés. Il existe des mouvements qui s’opposent directement aux valeurs occidentales et aussi inacceptable que soit l’al-Qaeda, c’est aussi un produit de la mondialisation du point de vue des techniques et des technologies qu’elle emploie. L’ancienne question sur le contraste entre modernité et modernisation refait surface: avant, on considérait impossible de bien moderniser sans devenir en même temps complètement moderne. L’une des conséquences de la mondialisation a été de rouvrir cette question.

La société du savoir, loin d’être un phénomène technologique (ou technocratique) essentiel, déborde de valeurs. Les systèmes modernes d’enseignement supérieur, eux-mêmes largement ouverts et de plus en plus hétérogènes, doivent s’engager dans cette nouvelle forme de société, qui avance rapidement, qui est complexe et bien stratifiée, ambiguë et volatile. Les systèmes de valeurs tant dans l’enseignement supérieur que dans la société dans son ensemble fleurissent et l’étendue de l’engagement éthique entre les deux est de ce fait bien mise en évidence. On peut affirmer que dans les conditions contemporaines, toutes les questions qui se posent tiennent de l’éthique, dans une certaine mesure. Il n’existe plus de questions uniquement techniques, ou même économiques. Cela peut représenter un renversement de la tendance du Vingtième siècle allant vers un lien de plus en plus serré entre l’enseignement supérieur et une société experte et professionnelle : les deux sont devenus plus diffus et plus complexes. Par conséquent, les correspondances entre les deux sont devenues plus ambiguës, ne pouvant plus être réduites à des échanges experts, techniques et scientifiques qui ne posaient pas de problèmes par comparaison.

Les nouveaux modes d’enseignement et de recherche

Ainsi qu’il l’a été – faussement - affirmé que les systèmes d’enseignement supérieur de masse sont moins performants que les systèmes des universités d’élite à maintenir une distance critique nécessaire par rapport à la société, il a été de même affirmé que deux autres tendances ont aussi érodé l’ethos indépendant des universités modernes. La première porte sur la dérive apparente entre l’enseignement universitaire ou scientifique et celui professionnel (souvent péjorativement appelé formation) ; la seconde est la dérive parallèle entre la recherche pure et la recherche appliquée qui a été décrite comme changement du Mode 1 de recherche au Mode 2 de production du savoir. Comme l’enseignement et la recherche sont les principaux objectifs de

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l’université, les éléments clé de ce que Martin Trow a appelé « la vie privée de l’enseignement supérieur » (Trow, 1973), tout changement dans leur constitution et leur orientation peut avoir un profond impact sur l’ethos de l’université – plus profond peut-être que les changements dans la position socio-économique et politico-culturelle de l’enseignement supérieur, dont on peut affirmer que ce sont des aspects de sa vie publique.

Les changements dramatiques intervenus ces dernières années dans l’enseignement supérieur apparaissent comme sans précédent. Premièrement, des disciplines complètement nouvelles ont été introduites. Un bon exemple serait la formation d’aides soignants et les disciplines non-médicales dans le domaine de la santé, qui occupent à présent une place centrale dans les systèmes modernes d’enseignement supérieur, y compris dans certaines universités d’élite. Une génération auparavant, elles étaient souvent considéré comme des disciplines tenant entièrement de la formation professionnelle, bonnes à être enseignées seulement dans des établissements non-universitaires comme les écoles professionnelles (HBO) aux Pays Bas ou les Fachhochschulen en Allemagne. En Grande Bretagne jusqu’il y a une décennie, ces disciplines étaient enseignées dans des écoles de formation dans les hôpitaux, en dehors du système d’enseignement supérieur formel (et plus poussé). Cependant, l’introduction de nouvelles disciplines dans l’enseignement supérieur n’est pas totalement sans précédant, comme il pourrait le paraître à première vue. C’est seulement dans les années 1960 par exemple, que la gestion est devenue une discipline à part entière; avant, sa présence dans l’enseignement supérieur avait été plus précaire et dépendait de la contribution (et la légitimité) de disciplines plus spécialisées comme l’économie et les relations industrielles. Plus important encore, c’est seulement au cours de la deuxième moitié du Vingtième siècle que les écoles de commerce se sont départagées des départements plus académiques comme forme prédominante pour l’enseignement de la gestion.

Deuxièmement, de nouvelles disciplines ont été introduites dans le programme d’enseignement des universités, dont la majorité portaient des étiquettes professionnelles. Ces étiquettes peuvent bien sûr nous induire en erreur. Les études média peuvent être utilisées comme étiquette pour décrire aussi bien les études hautement théoriques – comme par exemple les études de sociologie ou culturelles – mais aussi des études très pratiques – comme le journalisme, ou la production de filmes ou de télévision, par exemple. Dans les systèmes modernes d’enseignement supérieur, les étiquettes des disciplines sont choisies plus peut-être pour leur effet de marketing que comme description correcte de leur contenu académique. Une fois encore, l’apparition de nouvelles disciplines n’est pas quelque chose de nouveau. Les sciences sociales enseignées de nos jours datent d’après 1945, et même d’après 1960. Les sciences politiques sont apparues un peu plus tôt comme résultat de l’économie politique. Les études littéraires (opposées aux études en langues et philologie) ont pris de l’importance pas plus tard qu’il y a un siècle. Mêmes les sciences naturelles pures, dans leur forme expérimentale, sont apparues seulement dans la seconde moitié du Dix-neuvième siècle. Ainsi, l’université n’a pas cessé de se transformer. Ni (l’apparent) accent sur le professionnalisme n’est un phénomène nouveau. Ces trois exemples de nouvelles disciplines comportent un puissant élément professionnel – les sciences naturelles comme la chimie du fait de leurs liens à l’industrie; les études littéraires (et les lettres en général) du fait de leurs liens à l’enseignement dans les écoles; et les sciences sociales du fait de leur engagement dans l’Etat providence d’après guerre.

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Il y a, certainement, d’autres changements pour lesquels il existe moins de précédents.

- l’un porte sur le changement d’accent de l’enseignement vers l’apprentissage, un changement nominal qui reflète des différences plus fondamentales. La première différence est la professionnalisation et la systématisation de l’enseignement universitaire (c’est celui-ci plutôt que la recherche qui est déjà devenu une entreprise quasi- industrielle). Une deuxième différence concerne la crise d’autorité académique dans de nombreuses disciplines, comme les traditions du savoir canoniques autrefois dominantes qui se sont perdues dans la brume post-moderne et post-structuraliste (Featherstone, 1998). Une troisième différence réside dans la montée du consumérisme dans l’enseignement supérieur, avec les professeurs qui sont redéfinis comme producteurs et les étudiants comme clients;

- un autre changement dont on peut également affirmer qu’il n’a pas de précédent, est l’inexorable montée de l’assurance de la qualité et de l’audit universitaire – qui ont d’importants liens internes à la professionnalisation de l’enseignement universitaire et à la systématisation des programmes d’enseignement supérieur (à travers, par exemple, l’introduction de systèmes modulaires et de crédits); mais aussi des liens extérieurs clé avec la montée de la « société de l’audit » (Power, 1997). Mais on peut aussi exagérer la nouveauté de ces changements apparemment sans précédent.

Il est certainement possible de tirer les mauvaises conclusions de ces

changements, que l’on admet dramatiques, survenus dans l’enseignement supérieur. On pourrait conclure que l’apparent passage vers la professionnalisation et le développement d’approches plus professionnelles et plus systématiques à l’enseignement supérieur peuvent avoir réduit la capacité des universités à maintenir une distance critique suffisante par rapport à la société et à soutenir leurs propres structures éthiques. Il est trop facile d’associer les disciplines universitaires au maintien de l’autonomie institutionnelle et la capacité de penser de manière indépendante et critique et les disciplines professionnelles à la dépendance organisationnelle et à la subordination intellectuelle – pour deux raisons.

a) Premièrement, dans une société du savoir, l’implantation sociale des établissements d’enseignement supérieur (et de leurs programmes d’enseignement et de recherche) peut stimuler le potentiel mais peut aussi imposer des contraintes; elle offre cet espace essentiel de manoeuvre à l’intérieur duquel peut se produire l’expérimentation scientifique et peut fleurir la créativité intellectuelle. Il peut s’avérer nécessaire de revoir radicalement les notions traditionnelles d’autonomie et d’indépendance dans ce nouvel environnement. En termes de valeurs, la raison pour laquelle les cours scientifiques spécialisés devraient offrir un environnement plus fertile pour le développement normatif que le développement d’aptitudes plus générales et plus facilement transférables – comme par exemple, dans la résolution des problèmes, le travail en équipe ou les communications - est loin d’être clair (Scott, 2004).

b) Deuxièmement, cette dichotomie simpliste entre les cours universitaires et professionnels n’illustre pas l’amplitude des transformations des programmes d’enseignement dans le cadre des systèmes modernes d’enseignement supérieur. Alors que de nombreuses disciplines universitaires contiennent aujourd’hui des éléments hautement instrumentaux (comme par exemple le fait d’enseigner des compétences favorisant l’emploi), de nombreuses disciplines professionnelles ont

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pris la direction opposée. L’une des raisons réside dans le fait qu’elles ont été forcées à devenir plus sophistiquées scientifiquement du fait du perfectionnement des aptitudes et de la hausse du niveau des connaissances dans les professions visées par leurs étudiants. Une autre raison est que dans une société du savoir les notions de professionnalisme (dans le domaine de l’expertise) deviennent plus problématiques. On peut arguer le fait que la combinaison des deux facteurs a eu pour conséquence de promouvoir les cultures de l’enseignement qui sont ouvertes – et demande en fait – une meilleure créativité normative.

Une analyse similaire peut être faite du passage parallèle de la science pure à la science appliquée - ce qui, bien entendu, serait une caractérisation bien trop simple de ce qui est en réalité un ensemble hautement complexe de tendances dans la recherche et l’octroi des bourses. Ces tendances ont été décrites en termes de passage du Mode 1, la recherche et les bourses ayant pour fondement l’université, au Mode 2, la production du savoir qui est beaucoup plus hétérogène, orientée vers les applications pratiques, dispersée socialement et réflexive (Gibbons et al 1995). Encore, il est trop simple d’aligner la recherche en Mode 1 à la préservation d’une culture scientifique et critique et le savoir du Mode 2 à la subordination de la science et des bourses aux agendas politiques et/ou du marché. On doit souligner deux aspects:

(i) Le premier est que les Mode 1 et Mode 2 sont des types idéaux ou des cadres analytiques; ils n’ont pas été créés pour devenir des descriptions empiriques exactes de la façon dont la recherche est entreprise et dont le savoir est généré. En pratique, leurs différents éléments ont toujours été combinés. La science universitaire a toujours tenu plus des valeurs instrumentales et utilitaires que les scientifiques ont été préparés à l’admettre, alors que la science appliquée a pu contribuer aux découvertes fondamentales. Dans la société du savoir les limites entre les deux se sont d’avantage estompées. Les séquences linéaires clairement départagées du processus de recherche – à commencer par la science pure et en passant par ses applications et le transfert de ses technologies dépendantes pour augmenter la richesse économique ou pour améliorer le bien-être social – ont cessé depuis longtemps d’offrir un rapport exact (en supposant qu’ils l’aient jamais fait). Au lieu de cela, se sont développé des modèles beaucoup plus fluides de systèmes d’innovation;

(ii) Le deuxième aspect est que certaines des caractéristiques principales du savoir du Mode 2 sont d’ordre normatif plutôt que fonctionnel. Ainsi, la réactivité de celui-ci est étroitement liée aux notions de responsabilité sociale, qui sont devenues très importantes aussi bien dans le contexte de la science que dans celui de la société – comme le prouvent les controverses nées au sujet de l’énergie nucléaire, de la bio ingénierie ou de la dégradation de l’environnement. Le Mode 2 est capable de s’attaquer à ces éléments normatifs – et même politiques – d’une manière que la recherche selon le Mode 1 avec son ethos plus autonome, expert et réductionniste trouve difficile. De même, la réflexivité du Mode 2 est étroitement liée à la notion de responsabilité, qui est à son tour liée aux idées d’engagement éthique. On peut affirmer en fait que les systèmes modernes de production du savoir, plus ouverts et plus fluides, sont bien plus capables de s’engager éthiquement avec des agendas sociaux plus importants que les systèmes scientifiques plus fermés et plus rigides du passé

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Conclusion Les arguments présentés dans le cet article sont, en quelque sorte, contre- intuitifs. Si on se tient à la description conventionnelle, l’université moderne (ou de masse) est un établissement beaucoup plus instrumental et bien moins normatif que l’université traditionnelle (ou d’élite). Elle a été incorporée dans une société du savoir et a perdu par conséquent, sa capacité à agir en critique indépendant de la société; et plus important encore, à générer ses propres valeurs distinctes, y compris une robuste culture scientifique. Au lieu de cela, l’université doit répondre à d’autres engagements – économiques, sociaux, politiques et culturels – auxquels elle contribue énormément, mais dans lesquels elle n’a pas le dernier mot.

On peu opposer deux arguments à la description alternative offerte par le présent article. Premièrement, la description conventionnelle ne tient pas compte de l’histoire. Elle est fondée sur des mythes idéalisés de l’autonomie institutionnelle et de la liberté universitaire, qui ignorent la relation pernicieuse entre les élites politiques, sociales, économiques et culturelles d’une part et les élites intellectuelles, universitaires et scientifiques d’autre part. cette description ignore aussi le rôle important que les Etats, les villes et les communautés ont joué dans la fondation et le développement des systèmes d’enseignement supérieur. Deuxièmement, les engagements multiples entre les systèmes d’enseignement supérieur de masse et la société, l’économie et la culture ne peuvent pas être simplement réduits à une série d’échanges techniques et entre experts, que ce soit en termes de production d’une main d’œuvre hautement qualifiée ou de science et de technologie.

Ces engagements multiples comprennent aussi – inévitablement – une série d’échanges profondément éthiques qui continuent à structurer à la fois le contenu normatif de l’éthique des universités dans l’enseignement supérieur, selon le titre de cet article – et le paysage normatif plus large: l’éthique pour l’enseignement supérieur, dans le même titre. Références

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L’université et l’éthique résolue ERIC GOULD Ecrit avec l’intention de présenter des arguments pour placer fermement l’éthique dans le programme d’enseignement, cet article examine le rôle des universités dans la société du savoir, les défis moraux qui y découlent et l’importance de développer une éthique pragmatique. Etre bon Les universités américaines ont eu une relation étroite mais pas toujours prévisible avec la question de savoir ce que signifie être bon. Leur mission souvent exprimée est de servir le « bien public » à travers le développement du savoir et des valeurs sociales, ainsi qu’en préparant les personnes à des vies responsables et productives. Depuis la Charte de Bologne,4 les universités européennes se posent la question de la manière de définir le mandat éthique de l’enseignement supérieur dans le contexte des grands changements apportés par la montée de l’éducation de masse, la privatisation optionnelle de l’enseignement supérieur et la face changeante des gouvernements. Car elles sont aussi préoccupées, tout à fait réellement, par le bien public.

Les efforts que les universités américaines ont consenti de faire afin d’être responsable de manière à la fois éthique et sociale varient énormément. Certaines offrent des cours et des exercices civiques, des conseils aux étudiants à l’exemple de parents attentifs, une large gamme de services de soutien, des programmes de direction et des opportunités aux étudiants pour faire des stages dans le milieu des affaires ou non profit et les sociétés se transforment parfois en employeurs. D’autres sont, d’une manière plus traditionnelle, les adeptes du fait que la rigueur d’une éducation intellectuelle prépare le mieux une personne pour une vie dédiée au service du « bien ». Ainsi, il faut commencer par l’intellect et le reste suivra certainement.

L’efficacité de ces deux positions est discutable et la plupart des universités ont tendance à se situer quelque part entre des dépôts de savoir et des centres de formation pour les services, mélangeant souvent la théorie et la pratique d’une manière deweyanne. Mais, quelle que soit la manière qu’elles choisissent pour définir leur mission, les universités américaines de nos jours sont très préoccupées à éduquer l’ « étudiant comme entité », celui-ci ne gagnant pas seulement des connaissances dans diverses disciplines, mais aussi une éducation pour la « vie » - qui couvre bien sûr tout, du comportement social responsable, de la connaissance des institutions sociales et jusqu’à la façon de gagner de l’argent.

Le présent article traite des façons dont le mandat éthique et universel des universités peut avoir sa propre place dans les programmes d’enseignement. Le fait de développer le savoir, d’enseigner, de soutenir une communauté scolaire et créative vitale génère après tout d’importantes valeurs éthiques qui découlent de la « recherche de la vérité ». Et même si la « vérité » semble souffrir d’un déficit d’attention dans notre époque post-moderne, elle reste un terme qui entraîne, de nos jours comme auparavant, une saine préoccupation. Les vérités, comme diraient les pragmatiques, sont des hypothèses de travail concernant des valeurs dont le bon sens a été prouvé et

4 Le texte en version intégrale est disponible sur <http://www.cepes.ro/information_services/sources/on_line/magna_charta.htm>.

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qui semblent fonctionner mieux que d’autres hypothèses de travail. Dans les universités de recherche post-modernes, la vérité doit être vérifiée tout autant qu’à d’autres époques, que ce soit par analyse empirique ou par valeur utilitaire. Toutes les universités qui se respectent insistent que la recherche du savoir doit être conduite selon les protocoles scolaires et de recherche les plus strictes. Il ne fait pas de doute que les universités doivent comprendre l’importance du respect de la lo i et des bonnes politiques managériales. Agir de manière éthique dans et étant une université à la recherche de la vérité, signifie assurer la liberté académique, le bon fonctionnement, la rigueur intellectuelle et l’intégrité dans la production du savoir.

Mais les protocoles rigoureux ne conduiront pas nécessairement à de bonnes actions ou à un bon comportement. En fait, c’est justement l’opposé qui arrive fréquemment. Nous sommes conscient que dans les universités, la théorie éthique et les bonnes pratiques se font face au-delà d’une grande division. Ainsi donc, nous hésitons à nous lancer dans l’enseignement du comportement éthique dans les universités, car cela conduit aux charges de l’ingénierie sociale. La « bienfaisance » est après tout la condition pour être bon et être bon est un fait contingent, qui est aussi bien situationnel que rhétorique. Il dépend de la manière dont nous agissons dans différentes situations et de la manière dont nous militons pour la bienfaisance de nos actions.

Cependant, l’ambition morale d’un enseignant est de former le caractère et les valeurs à travers le programme d’enseignement – surtout dans le domaine des arts, des lettres et même des sciences sociales – reste la plus ancienne raison de l’éducation libérale, aussi anc ienne que l’académie de Platon. Ceci est vrai même lorsque la bienfaisance a éludé les efforts pour trouver une bonne définition à travers le programme d’enseignement et la philosophie morale semble malheureusement une discipline morte – au moins dans les établissements d’enseignement supérieur laïques. Peu d’académies risqueraient leur réputation pour la croyance qu’elles s’occupent à enseigner au gens la manière d’être bons.

Les universités sont bien sûr fascinées par les dilemmes moraux: les arguments pour ou contre l’avortement, la moralité des guerres, les succès et les iniquités du capitalisme, la nécessité mais aussi le mécontentement liés à la démocratie, la nature frustrante de la loi, les ambiguïtés du pouvoir. On demande souvent aux étudiants de penser à des décisions moralement responsables dans des contextes difficiles du point de vue éthique et d’argumenter ces décisions. En ce qui concerne la définition d’un dilemme moral, il faut dire que celui-ci n’a pas nécessairement de résultat et qu’il peut être résolu de plusieurs façons.

Mais, là encore, aucun enseignant responsable ne dira à ses étudiants en quoi ils devraient croire; l’enseignant se contentera d’indiquer des options pour arriver à une conclusion et la justifier. Les universités visent à nourrir et à développer l’intellect et non la conscience, car une conscience est une chose à laquelle on préférerait ne pas avoir à faire puisqu’elle entraîne tellement d’aspects personnels. L’enseignement supérieur aide les gens à se former des valeurs, des arguments valables et à développer une base de savoir permettant à prendre des décisions informées, même si, comme l’affirmait Aristote, ce ne sont pas les décisions ou la théorie sur la signification de la bienfaisance qui font la vertu d’une personne. Nous devons vouloir faire du bien et être bons pour acquérir un sens développé de la responsabilité sociale; une condition au comportement éthique est l’empathie pour les autres, une propension au pathos, un sentiment de bonne volonté, la capacité à accepter le point de vue des autres. Mais toute la discussion sur le fait d’être bon, alors que nous vivons à travers des valeurs transcendantes ou bien des actes de croyance, rend les universitaires

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nerveux lorsque nous nous élevons au dessus des convictions de base dans le domaine de la logique, du droit et de la justice sociale.

Ainsi, lorsque nous enseignons la philosophie morale comme discipline, il s’agit surtout de l’histoire complexe des idées, de définir le bien et des conditions pour offrir des arguments valables aux standards éthiques. Cela ne revient pas loin de dire que la mission d’une université est de former les gens à argumenter de manière persuasive en poursuivant la vérité. Une éducation éthique ne signifie pas insister sur l’universalité de certaines valeurs que nous chérissons; elle vise à nous faire découvrir ce en quoi nous croyons et à nous pousser à l’argumenter de manière à ce que les gens dont l’opinion est opposée puissent trouver les arguments persuasifs. Ainsi, le fait de former les étudiants à la rhétorique et de les aider à accumuler des informations qui conduisent à un sens personnel de la vérité se trouvent au centre d’une éducation morale. La moralité et le langage ont une profonde relation symbiotique.

Ceci est une position éthique largement pragmatique, que tout un chacun qui a enseigné dans une université connaît très bien. Cependant, la contradiction culturelle la plus persuasive et élusive dans l’université reste la vie morale du programme d’enseignement et de l’enseignement en soi. Il existe un nombre de raisons pour cela qui vont du rôle changeant de la raison dans l’université depuis la Renaissance et jusqu’au fondamentalisme et à la rectitude politique des moralisateurs contemporains politiques et religieux, à la fois de droite et de gauche, dont certains se trouvent dans les universités.

La dernière affirmation on la connaît tous très bien; la première est plus complexe. L’une des principales raisons à notre hésitation à transmettre des valeurs transcendantes dans les universités est que pendant longtemps à la suite de l’émergence de la science laïque comme processus valable de découverte, nous avons été plus préoccupés par la nature de la raison en soi et par la certitude qu’elle peut offrir, que par le bien que la raison peut soutenir. Le raisonnement démonstratif ou le raisonnement scientifique – l’effort de trouver un sens à travers la logique et la découverte de faits empiriques – dominent la vie intellectuelle des universités selon l’opinion des universitaires. La science – qu’elle soit sociale ou naturelle – a occupé une position suprême parmi les disciplines lorsqu’il s’agit d’établir la vérité. Historiquement, depuis Aristote et son Ethique à Nicomaque5, le seul concurrent au raisonnement démonstratif ou scient ifique a été le raisonnement moral et ceci a soulevé tout autan de problèmes qu’il n’en a résolu. Le raisonnement moral – qui tient beaucoup du domaine des arts et des lettres – a toujours été le type de raisonnement qui traite des affaires humaines: des questions sur la nature humaine, de l’interprétation et des arguments, de la validité des faits ou de ce qui apparaît comme étant des faits, de la curieuse relation entre la culture et la nature, la question de savoir à quel point peut être autonome une œuvre d’art et ainsi de suite. Ainsi, la vie de l’esprit dans l’université moderne a été et continue d’être

provocatrice et résout rarement l’interaction entre les raisonnements moral et scientifique/démonstratif. Le mieux que l’on peut faire lorsque nous nous confrontons à la question de définir le bien est de dire qu’il découle d’un savoir valablement argumenté; mais ce savoir est toujours produit dans un contexte qui provoque l’introduction du raisonnement moral du fait que le savoir acquis a une signification humaine. Ainsi, le Principe d’incertitude de Heisenberg6 en est arrivé à travers les

5 Le texte intégral est disponible sur <http://classics.mit.edu/Aristotle/nicomachaen.html>. 6 Plus d’informations sur <http://www.aip.org/history/heisenberg/p01.htm>.

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années au statut de problème humain. Le savoir est créé dans des cadres spécifiques, à partir de points de vue spécifiques et en réponse à des problèmes spécifiques. En ce qui me concerne, le contexte le plus large et le plus vibrant pour le développement du savoir dans l’enseignement supérieur est sa mission sociale d’enrichir les personnes et de se mettre au service du bien public. Tout ce que nous appelons savoir précieux dans l’université revient en quelque sorte à cela. Mais à la différence des institutions qui apportent de la valeur normative en jeu – comme par exemple la religion, les partis politiques, les centres de recherche ou les groupes de pensée à agenda politique – on s’attend de la plupart des universités à ce qu’elles gardent un esprit relativement ouvert sur le fait de savoir quelles valeurs sont importantes ou ne le sont pas. En principe elles ne se guident pas d’après des raisons tenant du profit, même si elles peuvent le faire. L’hypothèse de travail semble être qu’il n’existe pas de savoir pour le savoir, car celui-ci est toujours destiné à quelque chose ou à quelqu’un: il s’agit toujours de savoir pour et il est intimement lié à cet objectif et à cette perspective. Une critique importante de cette position est que nous avons tendance à neutraliser l’impact moral sur l’apprentissage lorsque nous mettons l’accent sur le relativisme des vérités. Et cette affirmation est devenue, dans la montée de la théorie post-structuraliste, une des favorites des penseurs conservateurs. Mais les autres qu’ils soient à l’extérieur ou à l’intérieur des universités sont aussi suspicieux quant aux efforts à passer trop ouvertement à une position qui soutien l’amoralité du savoir dans le milieu universitaire. Ils ne veulent pas laisser trop de place à la chance, surtout dans le contexte des nombreux désastres qui se sont produit au cours du vingtième siècle, lorsque les découvertes scientifiques ont conduit à un important nombre de morts et que l’irrationalité flagrante a pu passer pour une solution rationnelle aux « problèmes sociaux ». Récemment, les valeurs du marché, celles qui sont guidées par la demande de savoir sur le marché – avec lesquelles les universités ont été prêtes à flirter – enregistrent aussi un record négatif dans la promotion de mauvaise métaphysique et même pire, d’opportunisme de marché. Tôt ou tard, nous devons nous distancer et essayer de tirer au clair nos options

éthiques. Et je dirais même que nous n’avons pas beaucoup le choix, dans le milieu universitaire, que de nous concentrer sur la lutte entre le raisonnement démonstratif et moral, entre les valeurs transcendantes et contingentes. Nous pouvons par contre introduire dans le processus le raisonnement pragmatique: le raisonnement qui cherche à unir l’empathie à la logique, tout en se référant clairement aux contextes des faits ainsi que nous les connaissons. Selon les pragmatistes américains, un tel raisonnement, dans le contexte de la montée de la philosophie anglo-saxonne, tolère l’ambiguïté et les interprétations multiples, mais embrasse aussi le « bon sens ». Mais il s’agit d’une affaire complexe, car le bon sens ainsi que les bonnes valeurs les plus évidentes sont très nuancés. On demande aujourd’hui à une éducation éthique précisément d’avoir la volonté

d’explorer les pathologies complexes ainsi que les comportements sains de notre société, nature et culture. Toute bonne découverte doit se disputer avec le mal. Ainsi que l’expliquait Isaiah Berlin, en réalité, nous n’avons pas d’autre option que de comprendre de manière morale les actes les plus importants de notre histoire:

Si nous voulons comprendre le monde violent dans lequel nous vivons (et à moins d’essayer de le comprendre, nous ne pouvons pas nous attendre à pouvoir agir rationnellement dans celui-ci), nous ne pouvons pas limiter notre attention aux grandes forces impersonnelles, naturelles ou fabriquées par les hommes, qui agissent à notre encontre. Les objectifs et les motifs qui guident l’action humaine doivent être

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compris dans le contexte de tout ce que nous savons et comprenons; leur nature et leur développement, leur essence et surtout leur validité, doivent être examinés de manière critique, à travers toutes les ressources intellectuelles dont nous disposons. Ce besoin urgent … fait de l’éthique un domaine de toute première importance. Seuls les barbares ne sont pas curieux d’apprendre d’où ils viennent, comment ils en sont arrivés là où ils se trouvent, ce qu’ils vont faire, si ils veulent le faire et si non, la raison pour laquelle ils ne veulent pas le faire (Berlin, 1991, p. 2).

Les pathologies éthiques

Quelle est l’étendue des pathologies éthiques dans les universités ? Vaste, mais permettez-moi de résumer les préoccupations morales dominantes pour les programmes d’enseignement et la production de savoir. L’enseignement supérieur crée des valeurs tandis qu’il développe le savoir dans entre les disciplines. L’université opère comme une sorte de dépositaire de la confiance du public et tire sa puissance morale du fait qu’elle est perçue comme étant au service de la découverte du savoir en tant que vérité. Le public a montré peu d’intérêt dans la théorie de la déconstruction; le public américain reste profondément divisé en ce qui concerne le fait de savoir si la religion est ou n’est pas la seule dépositaire d’importantes valeurs et attend (surtout) des universités qu’elles avancent des connaissances importantes de manière responsable. Le public se tourne vers les universités pour effectuer des tests non censurés sur les médicaments, par exemple et pour une présentation objective des informations en classe, idées qui trouvent leur place dans la manière dont nous conduisons nos affaires de tous les jours et dont nous définissons les relations de force dans nos systèmes politique et social. La valeur du savoir produit ou disséminé par les universités est bonne dans la mesure de la profondeur de la recherche qui soutien le savoir et de la façon objective dont il est présenté. Il est aussi bon dans la mesure, on pourrait dire, de l’esprit de coopération entre les disciplines, la mesure dans laquelle les disciplines ne « détiennent » pas un sujet, mais offrent ouvertement une variété de perspectives sur celui-ci. Ainsi, la « démocratie » comme préoccupation académique par exemple, n’appartient pas aux scientifiques politiques, mais c’est une idéologie qui filtre toute discussion sur le comportement humain et la créativité dans l’université. L’enseignement supérieur a aussi une mission sociale de proportions globales qui guide la recherche. La confiance publique s’attend à ce que les disciplines combinées ne fournissent pas seulement des connaissances utiles et précieuses pour le bien-être de la société en général, mais aussi, pour reprendre le texte de la Charte de Bologne qu’elles « …transcendent les frontières géographiques et politiques et affirment le besoin vital des différentes cultures de se connaître et de s’influencer réciproquement ». Ainsi, les défis du fait de vivre dans une société du savoir – et même d’internationaliser le programme d’enseignement des universités – représentent des projets éthiques concernant toutes les disciplines universitaires. L’enseignement supérieur guide les nouvelles générations d’étudiants à travers les versions toujours changeantes de la modernité, où les valeurs apparaissent comme étant en flux et les vies aussi en perpétuel mouvement. Le sens de la modernité est élusif; la condition post-moderniste est profondément fragmentée; non seulement les représentations de la vie dans les arts et les médias sont des pastiches, mais les vies elles-mêmes sont vécues de cette manière; le soi est facilement décentré. Ainsi, l’un des plus importants mandats éthiques de l’université est de devoir intercéder entre les effets de la modernité et de la modernisation, à la fois culturellement et

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économiquement. Cela ne peut pas être simplement cédé aux médias et certainement pas aux chaires politiques ou religieuses. Une évaluation permanente doit aussi être faite du succès de notre projet. L’université est particulièrement mise au défi aujourd’hui pour promouvoir une éducation démocratique, offrant des définitions saines de travail dans une société démocratique qui est diversifiée et ouverte pour encourager le succès de tous ses membres. Cela signifie une analyse soignée des deux principaux développements de l’enseignement supérieur au cours du siècle passé. Le premier est le développement de l’enseignement de masse, qui a commencé aux Etats-Unis avec la Loi Morrill des années 1860 et qui est maintenant clairement pratiqué en Europe. Le second est le corporatisme croissant des universités, phénomène qui dérive du rôle des universités dans le développement du capitalisme libéral et dans la formation d’un marché puissant et pratiquement auto-réglé pour l’enseignement supérieur, qui assume lui-même des proportions globales. Plus les universités prolifèrent, se décentralisent, gagnent de l’indépendance et doivent chercher des sources indépendantes de financement, plus il semble, qu’elles le veuillent ou non, qu’elles doivent paraître et agir comme des entreprises afin de survivre sur le marché. Et il semble que plus cela arrive et plus le flux de savoir suit les besoins économiques. Ainsi, l’enseignement supérieur doit suivre les effets de l’inévitable évolution du management des universités selon les pratiques du milieu des affaires. Cela apporte un plus d’efficacité, mais aussi une tendance claire à trouver les connaissances plus profitables lorsque celles-ci peuvent être vendues à un prix élevé. Un important défi éthique est de faire face à la distance croissante entre les valeurs traditionnelles du savoir universitaire et les valeurs de marché dans la société du savoir, même si l’université flirte ouvertement avec ses options de marché. Au sujet de ce dernier point, le fait est que la croissance des médias et de la société du savoir a clairement modelé et simplifié les valeurs sociales et éthiques – souvent pour des raisons politiques et patriotiques. Le savoir au service des besoins politiques ou du profit est souvent destiné à manipuler les émotions et à satisfaire les désirs plutôt qu’à fournir un aperçu sociologique ou éthique. Même les universités font beaucoup appel aux marques d’entreprises et aux exercices de relations publiques, qui peuvent tourner en publicité pure. Ainsi, l’un des résultats les plus dérangeants de la nouvelle économie du savoir est qu’une faille entre les motivations capitalistes et les valeurs démocratiques peut se creuser très facilement. Qui plus est, ce n’est pas seulement le savoir et la recherche qui sont de plus en plus déterminés par les besoins corporatistes et politiques, mais le savoir universitaire est lui aussi devenu un bien marchand à travers la professionnalisation des disciplines par faculté. Les départements à travers le monde ont leurs standards professionnels et leurs associations, avec des universitaires qui doivent le plus souvent plus à leur discipline qu’à leur université. Plus les disciplines cherchent à se différencier des autres dans le programme d’enseignement et à attirer les étudiants à soutenir leurs budgets et leurs réputations, plus elles deviennent excessivement préoccupées par leur hégémonie politique et culturelle. Finalement, nous sommes constamment mis au défi de réorganiser le savoir dans l’enseignement supérieur afin de répondre aux besoins de la société, pas seulement pour un plus de savoir, mais pour un savoir plus focalisé et plus utile. Les soucis du public au sujet des universités aussi bien aux Etats-Unis qu’en Europe portent surtout sur: l’accumulation excessive de savoir dans les domaines ésotériques; la question de savoir si les professeurs enseignent suffisamment bien, étant donné les défis d’une société multiculturelle; les programmes d’enseignement trop spécialisés; la faillite de

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l’éducation générale à être autre chose qu’une formation de base et une introduction aux disciplines. Nous devons nous demander si le savoir est actuellement organisé pour le mieux dans les universités en départements et en disciplines. Et nous devons connaître la manière dont les universités sont largement devenues des corporations de savoir, en partie à cause de la façon dont le savoir a été départementalisé.

Mon point de vue est, je l’espère, plutôt cautionnaire que moraliste. L’université ne peut pas simplement se fier à la pure intersection de divers systèmes d’enseignement supérieur avec une société du savoir qui est de plus en plus entrepreneuriale pour bien réaliser sa mission éthique. L’enseignement supérieur doit être plus critique au sujet de la valeur du savoir – et la préoccupation croissante sur la globalisation ne rend pas la tâche plus facile. Nous devons mieux intégrer notre mandat éthique dans les programmes d’enseignement afin de servir le bien public et de modeler les résultats moraux de l’enseignement supérieur qui, comme je l’affirmait, ne concernent pas autant le bon comportement, mais la capacité à choisir de bien se comporter.

La pédagogie et l’éthique pragmatique Comment peut le mandat éthique de l’université s’immiscer, en termes pratiques, dans le programme d’enseignement ? Deux choses semblent claires si les universités devaient survivre entre toutes les corporations orientées vers le profit et les établissements qui produisent du savoir. Premièrement, elles doivent concentrer et intégrer leurs missions et faire connaître la manière dont elles travaillent effectivement pour le bien public. Très peu d’universités peuvent tout apporter à tout le monde dans le domaine du savoir. Mais chacune d’entre elles peut définir une voix puissante éthique, humaniste et critique – qui parle d’empathie pour les autres.

Lorsque nous prenons ce que représente la mission de l’enseignement supérieur dans les collèges et les universités des Etats-Unis, par exemple, nous trouverons normalement les articles suivants mentionnés dans leur Déclaration de mission: - L’importance d’une éducation générale (ou libérale) dédiée à la pensée critique,

éthique, à une introduction aux disciplines et à la compréhension de l’histoire des idées.

- La recherche créative et utile et les bourses offertes par les facultés, qui sont libres de travailler sans censure et d’utiliser leurs bourses pour informer leur enseignement.

- La préoccupation que les étudiants apprennent de manière efficace et l’évaluation de ce qu’ils ont appris.

- L’empathie pour les valeurs multiculturelles et interculturelles qui informent efficacement une communauté de campus diverse.

- La préparation des étudiants à des carrières dans une économie hautement concurrentielle à travers l’offre de connaissances utiles.

- Se dédier au bien public et au service de la société, ainsi qu’à la promotion des valeurs sociales.

Il existe aussi d’autres objectifs, bien sûr, mais ceux- la s’ajoutent à un projet de construction du savoir et de la société comme si l’université et la société en général se trouvaient dans une relation profondément symbiotique. Un bon commencement serait: l’intégration nécessaire des vies morale, intellectuelle et par conséquent professionnelle des étudiants. Cela implique une combinaison de valeurs humanistes et utilitaires, puisque l’université travaille pour le bien public et le développement

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personnel en même temps. Tout le monde sait que cet agenda doit être perpétuellement négocié entre les administrations, les facultés et les étudiants – dans chaque classe en fait. Mais une telle préoccupation pourrait signifier par exemple, étant donné l’étendue globale de notre mandat éthique, que nous devions préparer les personnes à comprendre le fait d’être connecté avec les autres, pas seulement à travers une économie locale, mais aussi une économie globale, ainsi qu’à travers la préoccupation des internationalistes pour définir un globalisme politique, géographique, écologique et culturel. Dans ce contexte, la relation souvent contradictoire entre modernité et modernisation apparaît à une échelle internationale. Car ce que les économies veulent faire au nom de la modernisation ne prend souvent pas en compte le fait que les cultures aient des idées différentes sur la modernité. Définir le moderne dans les formes excessivement simplifiées d’un globalisme corporatif est précisément l’un des champs de bataille où les universités peuvent et doivent envoyer des soldats: l’endroit où les nationalités, les économies, les cultures et les idéologies se rencontrent et s’affrontent. Les lettres et les sciences sociales en particulier n’ont jamais auparavant eu à faire face à un défi tellement intéressant à ce point de vue. Deuxièmement, quelle que soit l’orientation choisie par une université, le fait d’œuvrer pour le bien public devrait être visible dans le programme d’enseignement. Aucune discipline ne devrait se voir imposée la façon d’agir, mais les facultés peuvent à travers des directives disciplinaires, s’offrir de coopérer dans des domaines communs d’étude qui ont un puissant impact éthique. L’un de ces domaines d’étude est la globalisation, tout comme l’éthique elle-même, ou l’étude de la démocratie ou des futurs politiques et social. Ceci ne signifie pas que les valeurs spécifiques elles-mêmes – qui seront toujours simplifiées et ouvertes à la discussion – sont les forces motrices d’une éducation fondée sur l’éthique. A travers les conversations interdisciplinaires, les étudiants et les facultés peuvent générer une série de valeurs largement humanistes et utilitaires. Les études internationales et les programmes d’entreprise, par exemple, n’ont pas le monopole de la nature du globalisme ou de l’internationalisation. Les arts et les lettres comprennent aussi la manière dont les idées et la créativité traversent les frontières afin de créer d’importantes valeurs culturelles. Le défi éthique pour les universités contemporaines devient alors le fait d’organiser le programme d’enseignement de manière plus efficace afin de saisir la manière dont les valeurs se sont formées et comment elles peuvent être soutenues. Finalement, les valeurs ne sont efficaces que dans la mesure où les arguments qui les représentent le sont, ainsi que selon leur pouvo ir de persuader les gens à bien faire. Ainsi, l’agenda pragmatique pour l’éthique peut sembler demander un accord et une analyse de pouvoir. Il existe un nombre important d’approches à la systémique du pouvoir: sa fonction à travers les relations humaines, sa définition à travers la théorie du discours, sa relation avec la vérité et sa circulation à travers les institutions sociales, les relations de leader au suivant et ainsi de suite. Mais à la fin, la puissance de toute société du savoir réside dans le fait qu’elle dépende largement de la manière dont elle définit le pouvoir, de sa manière de présenter les histoires qu’elle raconte: leur crédibilité, leur utilité, leur logique, leur moralité et leur capacité à dramatiser les problèmes et à rendre les expériences fraîches, familières et facile à comprendre. Ce que nous appelons des valeurs sociales sont en fait une collection de narrations qui informent les différentes cultures et offrent des raisons pour bien faire, pour éloigner le mal, être heureux et ainsi de suite, de différentes manières. L’éthique n’est pas une

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taxonomie du bien, mais une série de mythologies pour que les êtres humains se définissent de la meilleure façon. Si les déclarations éthiques sont rhétoriques, alors l’enseignement supérieur est mis au défi d’incorporer dans son programme d’enseignement au moins des éléments pour faire prendre conscience du mode dont fonctionnent le travail narratif et l’argumentation, les deux à travers la discipline de l’éthique et une compréhension de la nature de la rhétorique. De la perspective historique des lettres, on peut étudier les arguments éthiques au sujet du pouvoir et du mode dont les intérêts ont fusionnés historiquement avec l’extraordinaire déplacement de paradigme dans la vie intellectuelle occidentale, à commencer par les changements révolutionnaires dans le statut du langage au cours de la Renaissance. Au cours des seizième et dix-septième siècles, la pensée scientifique et psychologique complexe s’est développée en même temps que la réalisation que le langage est métaphorique par nature, qu’il est ouvert aux interprétations et qu’il n’est pas en relation égale avec le sens. Ceci est une longue histoire qui n’a pas sa place ici, mais à partir de la Renaissance, l’université a épousé la signification sans valeur du langage et d’autres systèmes symboliques – comme les arts, les symboles mathématiques et ainsi de suite, particulièrement à travers le raisonnement démonstratif – et l’éthique elle-même doit être entrepreneuriale, argumentative et rhétorique pour tenir le pas avec le pouvoir. Conclusion L’enseignement supérieur a peu de chances de devenir éthique sur le marché, à moins d’insister sur le fait d’enseigner les façons et les moyens d’une éthique pragmatique dans un monde complexe de relations de force. Considérons alors à nouveau la valeur d’une composante du diplôme universitaire de premier cycle – peut-être une série de cours et de cas vers la fin des études pour le diplôme – qui offre la possibilité d’examiner les problèmes sociaux et intellectuels/scientifiques du point de vue d’un certain nombre de disciplines, tout en mettant l’accent sur l’interprétation. Une éducation générale peut élargir la base des connaissances offertes par les disciplines individuelles et créer des forums pour débattre des vastes problèmes moraux qui dépassent la façon dont différentes disciplines interprètent les expériences: des définitions interculturelles de ce que signifie être moderne, de la question de la modernité et de sa relation avec la modernisation, des dimensions éthiques du pouvoir, des intersections de l’accomplissement personnel et de la loi et ainsi de suite. Ceci peut conduire à des options de programme d’enseignement fascinantes pour les étudiants quand ils explorent la nature des réalités sociales, politiques et culturelles. Ce programme d’enseignement interdisciplinaire basé sur l’éthique peut incorporer des perspectives de tout le monde et mélanger les théories de la juste action avec une analyse des résultats. Il cherche à faire des évaluations pratiques, à résoudre les problèmes, à ouvrir de multiples options pour accéder à un sens, à conduire des recherches sur place, même comme une sorte d’enseignement des services. En bref, l’importante fonction éthique de l’université dans la société est de nous propulser de manière pratique dans des analyses de valeurs contradictoires et de dilemmes moraux, qui sont évident pour quiconque désirerait se pencher sur la façon dont nous vivons. Dans l’université post-moderne on demande aux étudiants de fonder leur éthique sur la politique de tous les jours et dans la manière de comprendre la façon dont elle est formée. Dès lors, une éthique pragmatique enseigne aux gens la manière dont ils peuvent faire confiance et développer leurs sentiments, leurs intuitions et leurs instincts dans des situations qui demandent un raisonnement moral. Ceci est beaucoup

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plus complexe qu’il ne paraît, tout en étant impératif, car il reste que notre pensée éthique tombe toujours trop facilement dans l’une des trois catégories qui poussent à la tendance de mystifier ou de rendre banale (et quelque fois même politiquement totalitaire) la nature du raisonnement éthique: (i) les valeurs religieuses fondamentalistes ou politiques/patriotiques qui ne peuvent pas être mises en cause par peur de la damnation; (ii) une croyance dans les normes éthiques quasi-transcendantes: la position habermasianne où les normes éthiques peuvent s’élever au-delà de l’historique et du contingent; (iii) une position post-moderne extrême et non constructive dans laquelle toutes les valeurs sont éphémères dans leur façon stimulante.

Cependant, comme l’affirmait Richard Rorty (1989), il ne suffit pas de faire confiance à la foi ou à la raison comme indicateur principal d’une humanité commune. Nous devons aussi faire confiance à la raison pour faire travailler l’imagination. La conscience morale marche à travers l’empathie: les sentiments de pitié, de bénévolat et de solidarité avec les autres – et c’est là qu’intervient l’éducation dans le domaine des arts et des lettres. La position postmoderniste plus sceptique de Rorty nous dispense le raisonnement scientifique comme un centre absolu même lorsqu’il le classe comme un bien marchand recyclable. La solidarité humaine doit être discutée toujours dans des contextes très chargés émotionnellement, qui ne deviendront pas plus faciles à comprendre en réduisant simplement le comportement humain aux tautologies des sciences sociales ou aux axiomes du raisonnement démonstratif.

L’enseignement supérieur doit traiter d’une manière ou d’une autre – et c’est là qu’intervient à nouveau la pertinence des disciplines dans le domaine des lettres – la question de l’interprétation stricte mais sans éviter le relativisme moral. Nous avons besoin, comme l’affirme Rorty, d’être des « ironistes personnels » afin de savoir si une chose est bonne ou mauvaise, ou bien tout simplement pourquoi nous ne pouvons pas en décider. Par exemple, le consensus démocratique sur le « bien » ne dépend pas seulement du fait de se mettre d’accord sur ce qui est bon, mais aussi sur ce qui est mal – et si nous devrions éviter ce mal. Des fois, le fait de se mettre d’accord sur le mal rend inopérants les accords sur le bien.

Cela prête à des conséquences politiques, bien sûr. Il existe une lutte palpable à l’intérieur et à l’extérieur de l’université lorsque nous demandons aux gens de mettre en cause leurs identités nationales, leurs croyances politiques, ainsi que lorsque nous leur indiquons des ambiguïtés dans la relation entre démocratie et capitalisme. Ils trouvent souvent de l’ironie et des ambiguïtés dans le large domaine des changements historiques, des dures défis à relever et se retirent même à des endroits idéologiquement neutres, tout comme le font souvent les enseignants aussi. La « société du savoir » n’aime pas du tout l’ironie, à moins qu’elle ne fasse vendre. Il existe l’impression dans l’économie basée sur le savoir corporatif que le pouvoir du savoir n’a pas grand-chose à faire avec le fait de soutenir une culture critique qui voie le monde comme étant ouvert aux sens et qui nous permette de négocier l’ironie. Cependant, l’ironie est toujours là et nous vivons tous notre quotidien avec elle, même dans les plus simples slogans publicitaires. « Se garer est quelque chose de doux amer » disait une publicité pour la marque Audi il y a quelques années. La présomption est que cette affirmation était destinée à ceux qui connaissent Shakespeare – ceux qui méritent une Audi car ils sont riches et cultivés. Ainsi, nous clignons et nous disons comme c’est intelligent, avec une admiration partagée pour le dramaturge avec la plus grande performance statistique de tous les temps. Se séparer d’une telle automobile c’est comme si Juliette se séparait de Roméo. Pour un moment,

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le problème éthique pourrait être la manière de persuader les gens à acheter en assumant que la valeur d’une ligne shakespearienne est la même qu’une voiture de luxe. Mais un tel sérieux a peu de place de nos jours. La culture ou le manque de culture n’influence pas les ventes. A part cela, tout le monde ne remarquera pas la référence, mais sera quant même impressionné par le jeu de mots. Après tout, dans notre monde post-moderne poussé vers les collages, Venus de Milo et la bouteille Coca-Cola sont juxtaposés dans l’une des principales œuvres d’art du vingtième siècle. Mais il existe une ironie intentionnelle chez Robert Rauschenberg7 avec son message complexe social et esthétique, même si son art reste très profond. Dans la publicité intelligente, on utilise l’ironie pour faire vendre un produit. D’autre part, il existe d’importantes questions éthiques couvertes d’ironie tragique: le choc des cultures qui produit le terrorisme, l’achat par les compagnies pharmaceutiques du talent universitaire. Nous devons opérer des discriminations morales, sinon la prédiction de Berlin deviendra réalité. Ainsi, dans la salle de classe, nous pouvons nous déplacer de l’étude de la lecture de l’ironie dans la publicité à celle de l’ironie dans des textes plus complexes, mais tôt ou tard, émerge la même préoccupation éthique importante: qu’est-ce qui rend la moralité réelle à nos yeux et comment résoudre les valeurs conflictuelles ? Et lorsque nous réalisons que le fondamentalisme éthique, la rigueur morale et la culture littéraire ne constituent pas une crise purement culturelle, mais plutôt politique de notre temps, alors le besoin d’une éducation éthique devient plus clair que jamais. On doit alors largement connecter l’éducation éthique et démocratique, non pas avec la vue acquise du bien et de la juste action, mais avec le talent pour soulever des ironies sur les situations morales et explorer les arguments qui peuvent être apportés dans ce sens – et il existe une importante tradition à ce sujet dans l’histoire de l’humanisme européen.

Références Berlin, I. The Crooked Timber of Humanity. New York: Alfred A. Knopf Inc., 1991. RORTY, R. Contingency, Irony, Solidarity. New York: Cambridge University Press, 1989. Autres textes SARAMAGO, J. ‘The Least Bad System Is in Need of Change: Reinventing

Democracy’, Le Monde Diplomatique, mardi, le 17 août 2004.

7 Robert Rauschenberg (n. 1925) - artiste pop américain.

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L’excellence, le partage et la solidarité en tant que principes éthiques de la coopération académique internationale: l’Agence universitaire de la Francophonie ROGER MANIÈRE Dans cet article, l’auteur analyse certains de défis moraux et éthiques manifestes à l’ère de la mondialisation. Il examine l’exemple des universités européennes et leur héritage, en particulier dans la lumière de la massification de systèmes d’enseignement supérieur d’Europe de l’Ouest, et désormais de l’Europe Centrale et de l’Est. Il est affirmé que l’intégration européenne est basée sur une coopération académique équilibrée, bâtie sur des principes éthiques et moraux de partage et de solidarité. Les activités de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) sont présentées en ce qui suit, en tant qu’exemple d’action étendue et d’habilitation où l’excellence et le co-développement rejoignent le partage et la solidarité. Les questions éthiques sont au cœur de nos sociétés. Elles en sont les fondements même. A l’orée du Vingt-et-unième siècle, avec une globalisation envahissante et inquiétante, avec une cinétique sociétale accélérée, avec des approches faites d’un libéralisme souvent effréné, les questionnements sont nombreux dans tous les compartiments qui structurent nos sociétés: sociologique, politique, économique, scientifique, technologique, éducatif.

L’enseignement, sur lequel repose l’avenir de nos sociétés, soulève à cet égard bien des questions. S’interroger aujourd’hui, dans le contexte qui est le nôtre, sur ce qui, en terme de morale et d’éthique, fait ou devrait faire l’enseignement supérieur paraît parfaitement justifié face aux évolutions – pour ne pas parler de bouleversements – qui marquent une époque caractérisée par une mondialisation où le libéralisme semble mépriser le social.

Les universités européennes sont le fruit d’une évolution à la fois historique, sociologique et culturelle, politique et, aujourd’hui tout particulièrement, économique. Les établissements d’enseignement supérieur sont, de fait, le miroir de nos sociétés, des sociétés qui, en Europe tout particulièrement, sont riches d’une formidable diversité culturelle, linguistique, religieuse, mais aussi politique et économique, d’une histoire commune, souvent partagée dans les périodes dramatiques.

La massification a été un processus délibérément choisi sur le plan politique. Cela a constitué un véritable défi, parfaitement légitime sur le plan sociétal et donc sur le plan éthique et moral. Cela a constitué une réelle difficulté qu’il a fallu surmonter; et, c’est une réussite. Cependant, dans cet effort on s’est sans doute beaucoup consacré aux moyens à mettre sur pied pour résoudre une équation difficile, et la fonction philosophique, culturelle, morale de l’enseignement supérieur a été délaissée. C’est une réussite qui a, peut être aussi, induit un oubli des critères humanistes qui doivent encadrer la formation universitaire. Mais il demeure là une nécessaire et constante question: Que devra être l’honnête homme du XXIe siècle ?

La massification s’est posée également en Europe Centrale et de l’Est, mais dans un contexte très différent sur le plan politique et économique. S’y ajoute une dimension supplémentaire, pour ne pas dire une difficulté supplémentaire: le processus de construction européenne. Si l’Europe est riche de sa diversité, elle doit faire face à ses disparités. Ainsi, la construction d’une « Europe du savoir » apparaît-elle comme une nécessité pour l’ensemble des établissements européens, mais aussi

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comme un devoir à accomplir: les établissements d’enseignement supérieur occidentaux ne doivent pas laisser les établissements d’Europe Centrale et de l’Est seuls face à ce processus. La construction européenne repose sur des coopérations universitaires équilibrées, fondées sur une éthique et une morale faite de partage et de solidarité. Or, c’est bien souvent l’inverse qui se produit en Europe Centrale et de l’Est, où un véritable pillage des ressources intellectuelles est organisé par les pays les plus riches de la planète en manque d’informaticiens ou, tout simplement, de doctorants.

Il est également important de s’interroger sur le socle moral et éthique des organisations qui structurent les sociétés universitaires et scientifiques, et de réitérer périodiquement leurs responsabilités et leurs objectifs, en mettant, notamment, à leur disposition des moyens financiers nécessaires. Leur rôle est essentiel puisque, fonctionnant souvent sur le long et moyen terme, ces opérateurs dessinent le paysage éducatif supérieur des années à venir. Ces organisations et sociétés doivent donc afficher leurs valeurs clairement et en parfaite transparence, en respectant ces principes dans les actions qu’elles initient.

Dans un tel contexte, il s’avère utile de présenter l’action de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF), qui tire sa force et sa légitimité actuelle, son originalité aussi, des fondements même de son action: l’excellence et le co-développement se conjuguent avec le partage et la solidarité.

L’AUF: association et opérateur

L’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) est une association regroupant des établissements d’enseignement supérieur et de recherche et des réseaux institutionnels. Elle est née de l’Associa tion des Universités Partiellement ou Entièrement de Langue Française (AUPELF), créée en 1961 à l’Université de Montréal au Québec, Canada. Depuis 1989, l’AUF a également le statut, confirmé dans la Charte de la Francophonie adoptée en 1997, d’opérateur direct du Sommet des Chefs d’Etat et de gouvernement ayant le français en partage, pour les domaines de l’enseignement supérieur et de la recherche.

L’AUF participe, avec un double objectif d’excellence et de co-développement, à la construction d’un espace universitaire scientifique francophone en contribuant à l’établissement d’un réseau structuré et interactif d’universités, d’établissements d’enseignement supérieur et d’organismes de recherche oeuvrant en français. Instance de proposition, d’impulsion, de concertation et de coordination, l’AUF favorise les rassemblements régionaux et les réseaux universitaires et scientifiques et développe la solidarité entre institutions en soutenant les activités associatives.

Réforme et développement

Conformément à la demande exprimée à Moncton en septembre 1999, par le Sommet des Chefs d’Etat et de gouvernement ayant le français en partage, une importante réforme de l’AUF a été mise en œuvre sous la direction de son nouveau recteur, Mme Michèle Gendreau-Massaloux. De nouveaux statuts ont été adoptés par l’Assemblée générale de Québec en mai 2001, créant notamment un Conseil associatif et un fonds universitaire de coopération et de développement. Les programmes de l’AUF ont été regroupés et recentrés sur les priorités et la gestion des actions largement décentralisées a été déconcentrée dans les bureaux régionaux. L’administration et la gestion ont été réorganisées: révision de l’organigramme,

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nouvelle présentation budgétaire, maîtrise des frais structurels et institutionnels, et mise en place d’un nouveau système intégré d’information budgétaire, comptable et programmatique complété d’indicateurs de suivi qualitatif d’activité.

La réussite de cette réforme, appuyée sur la qualité de l’ensemble des projets mis en œuvre par l’AUF au bénéfice de ses établissements membres, et le sérieux du suivi des actions mis en place dans un souci d’explication, de clarté et de transparence, ont permis à l’AUF de retrouver la confiance de ses membres et celle des Etats contributeurs, au premier rang desquels le Gouvernement français. Dans le cadre d’un plan de relance de la Francophonie annoncé par le Président de la République française au Sommet de Beyrouth en octobre 2002, et de son orientation prioritaire vers le secteur de l’éducation, cette confiance retrouvée a amené le Gouvernement français à augmenter sa contribution au financement des activités de l’AUF à environ 12 millions d’euros. La subvention annuelle du Ministère des Affaires Etrangères dépasse désormais les 30 millions d’euros.

Les priorités actuelles

Les grandes priorités actuelles sont les suivantes:

(i) Les campus numériques et la formation à distance: le réseau des campus numériques de l’AUF a été renforcé en 2003, notamment par la transformation de centres d’accès à l’information en campus numériques et par la modernisation de leurs équipements. Certains aménagements, entamés en 2003, seront finalisés en 2004 et les priorités de ce réseau seront recentrées sur la mise en place de formations à distance diplômantes, approuvées par le Conseil scientifique.

(ii) Les pôles d’excellence au Sud: la mise en œuvre de 16 pôles sélectionnés en 2003 permettra le développement d’actions régionales autour de ce dispositif. Leur évaluation accompagnera la mise en place de nouveaux pôles d’excellence afin de mailler ce réseau et de l’insérer rapidement dans les différents programmes de l’AUF.

(iii) Les mobilités des étudiants, des enseignants et des chercheurs: l’effort important de 2003 a été poursuivi en 2004 afin de renforcer le dispositif de mobilités et d’impliquer davantage les établissements membres, d’origine et d’accueil des boursiers dans le cadre de conventions et de partenariats. Le rôle vital des commissions régionales d’experts et du Conseil scientifique sera également consolidé. Les nouvelles formes de mobilité, mobilités régionales, mobilités de réseaux, seront développées et évaluées.

Les principales actions structurantes des programmes thématiques de l’AUF

demeurent: - Les réseaux de chercheurs: développer la dynamique de réseau, améliorer le

lien entre recherche et formation et développer dans les universités du Sud l’utilisation des technologies de l’information et de la communication.

- Les structures d’enseignement : instituts, formations doctorales et filières. - Les pôles d’excellence régionaux. - Les campus numériques francophones.

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Les dimensions éthiques et morales des programmes de l’AUF

La déclinaison des différents programmes de l’AUF montre parfaitement les orientations éthiques et morales prises par l’agence:

Langue française, Francophonie et diversité linguistique

Le projet de la francophonie universitaire a, avant tout, une fonction linguistique : faire en sorte que la production et la transmission des savoirs se poursuive en français sans se limiter à l’espace géopolitique de la francophonie institutionnelle. La langue française doit donc cultiver sa relation aux langues du monde, l’anglais, l’espagnol, le portugais mais aussi l’arabe et les autres langues nationales en contact avec elle dans les pays francophones.

Les grands problèmes environnementaux actuels du monde contemporain (énergie, eau, climat et biodiversité) se posent à l’échelle de la planète et les déséquilibres Nord-Sud sont criants dans tous ces domaines. Parmi les éléments de toute politique orientée vers la réduction de ces déséquilibres, la science et la technologie ont un rôle important à jouer. Dans ce domaine en particulier, la coopération entre partenaires du Nord et de Sud est fondamentale. Ce programme englobe toutes les disciplines universitaires qui ont trait à l’environnement et au développement économique et social des pays du Sud dans une optique de co-développement.

Développement et environnement

Aspects de l’Etat de droit

Contribuer à la réalisation, dans l’espace francophone, de l’aspiration universelle à la paix, à la démocratie et au respect des droits de l’homme, constitue une mission essentielle de la Francophonie. La paix et la sécurité conditionnent le développement durable. Les aspects de cet Etat de droit sont multiples. Ils touchent aussi bien les libertés et les droits fondamentaux ou le respect de la justice que les rapports entre le droit des individus et l’orientation communautaire de nombreuses sociétés, les rapports entre les caractères laïques de la déclaration universelle des droits de l’homme et le caractère religieux de certaines communautés. Le programme contribue au renforcement des conditions de mise en place et d’exercice de l’Etat de droit par la formation et la recherche.

Technologies de l’information et de la communication et appropriation des savoirs

En raison du déséquilibre économique entre les pays du Nord et les pays du Sud, l’Université doit être le lieu prépondérant de la circulation des savoirs au service d’une intelligence collective. Difficultés de circulation de l’information scientifique, marchandisation des connaissances, taxation des outils technologiques nécessaires à la modernisation des enseignements et de la recherche sont autant de facteurs de marginalisation des établissements du Sud. Pour lutter contre ce déséquilibre, les objectifs généraux de ce programme sont les suivants:

i. Intégrer les nouvelles technologies éducatives dans les pratiques pédagogiques, développer les formations ouvertes et à distance afin de permettre le

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développement des technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement, favoriser l’existence d’une relation plus interactive entre enseignants et enseignés.

ii. Consolider les formations présentielles des cycles scientifiques et technologiques et renforcer la gestion des compétences universitaires et professionnelles par la mise en ligne de contenus d’enseignement dans une démarche participative.

iii. Développer l’édition et la diffusion, notamment en ligne, afin de décloisonner les universités du Sud en matière d’information scientifique et technique.

iv. Déployer au cœur des universités des plates- formes technologiques spécialisées dans l’ingénierie pédagogique et fonctionnant en réseau.

C’est dans ce secteur en perpétuelle évolution que les questions éthiques ont

récemment été posées. Cette réflexion a donné lieu à une charte relative à la production et la diffusion des savoirs portés par les TIC préconisant notamment le libre accès universel aux savoirs partagés de toutes origines disciplinaires, l’égalité d’accès aux savoirs fondamentaux qui constituent un bien public inaliénable par des dispositifs qui stimulent cet accès tout en préservant l’identité des auteurs et en protégeant celle des utilisateurs, la participation active aux processus de normalisation et de standardisation de présentation des contenus véhiculés par les TIC, ainsi que la lutte contre la fuite des cerveaux.

Le renforcement institutionnel et scientifique des universités

La légitimité des universités, la reconnaissance de leur qualité et leur développement reposent surtout sur leur capacité à mettre en œuvre des actions de recherche. A défaut, les institutions universitaires et scientifiques du Sud sont en péril. En outre, la situation préoccupante de certains établissements les place devant un besoin urgent de restructuration et de renforcement. L’AUF entend mobiliser les réseaux qui la constituent pour venir en aide à ces établissements, par la promotion de la recherche dans le cadre de projets de coopération scientifique inter-universitaire entre établissements de régions différentes, par des appuis significatifs aux équipes de recherche et par la structuration des établissements en grande difficulté aux plans administratif, pédagogique et institutionnel.

Les mobilités

Contribuer au développement de l’espace universitaire francophone dans sa pluralité, développer le corps des enseignants et des chercheurs du Sud, renforcer les compétences scientifiques et universitaires des établissements du Sud, amplifier les échanges scientifiques et intellectuels, favoriser la mobilité des jeunes et des femmes, promouvoir la science en français sur la scène internationale, tels sont les objectifs essentiels qui fondent le programme de mobilité scientifique et universitaire développé par l’AUF. Les mobilités, au premier rang desquelles les bourses, mais aussi les missions d’enseignement, sont d’abord conçues pour être utiles aux institutions et attribuées à leur profit et dans la perspective du retour du boursier dans sa région d’origine à l’issue de la mobilité. Les flux prioritaires privilégient les universités du Sud, soit

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entre elles dans des flux Sud-Sud, soit avec les universités du Nord dans un flux prioritaire du Nord au Sud.

Les structures associatives et le soutien aux réseaux

L’espace universitaire international est animé régulièrement par un ensemble de réseaux scientifiques dont l’activité associative ou coopérative est essentielle; celle-ci permet de sortir de l’isolement des chercheurs que les bouleversements de l’histoire ont malmené; elle favorise une meilleure connaissance réciproque et permet la mise en synergie des équipes et des hommes. Ce programme a pour finalité de promouvoir, développer, renforcer, susciter la création de différents réseaux scientifiques qui démultiplient la coopération universitaire francophone, contribuent à son rayonnement international et renforcent la solidarité et le partage des savoirs dans l’espace scientifique mondial.

Conclusions

L’expérience acquise depuis dix ans par l’Agence universitaire de la Francophonie en Europe Centrale et de l’Est, en Afrique et en Asie est une illustration de cette volonté de partage et de solidarité. Elle vise à remettre en marche des sociétés où l’état de droit n’existe plus, où l’espoir pour la communauté scientifique et universitaire est faite d’émigration: la politique d’adhésion de l’agence suppose que chaque membre de l’agence accepte de nouveaux venus quitte à diminuer la part de chacun. Les activités sont décentralisées au niveau régional, où les prises de décisions appartiennent aux universitaires des régions concernées, et de nombreux colloques sont organisés sur les questions-clés de notre siècle.

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Moralité, culture et modernité: les défis de l’université ANDRZEJ SZOSTEK L’auteur se concentre sur les aspects éthiques de la conduite des recherches et de l’enseignement dans les universités. Quelle est la fonction de l’université dans le fait de rendre le monde contemporain plus humain et quelles sont les menaces présentes liées à cette mission ? Le travail scientifique est bien sûr pratiqué aussi en dehors des universités et l’enseignement ne doit pas nécessairement suivre le modèle universitaire; cependant, on ne peut pas nier le fait que l’université soit une institution scientifique et éducationnelle ubiquiste, dont les valeurs devraient être retenues et soulignées dans la lumière des développements modernes scientifiques et culturels. Le présent article met en évidence les traits caractéristiques des universités, avec un accent sur la production d’éducation et de culture. Il s’adresse ensuite aux défis auxquels l’université doit faire face dans le contexte de la civilisation moderne. En guise de conclusion sont exprimées quelques observations personnelles sur les dimensions morales et les défis. L’université: promotrice de l’Homme et de sa grandeur L’université représente l’une des meilleures idées de l’Europe médiévale. Il est difficile de trouver un autre établissement qui ait autant contribué à l’histoire et au développement de chaque culture nationale européenne et qui ait été en même temps, aussi largement accepté à travers le monde (Vetulani, 1970; Jilek, 1984). Naturellement, ces universités ont connu des hauts et des bas, et ont conçu différentes réformes et typologies d’étude à travers les siècles (Wielgus, 1999, p. 50-62). Cependant, elles partagent toutes une identité fondamentale et un prestige social: les universités continuent à unir et à former les esprits des élites intellectuelles en Europe et dans le monde. Qu’est-ce qui détermine la vitalité de l’université et sa production de culture ? Il y a peut-être de nombreuses réponses à cette question, mais l’auteur se concentre ici sur les qualités de l’université à travers lesquelles elle peut aider les jeunes à réaliser leurs plus grandes aspirations. A la recherche de la vérité L’homme est un être qui pense, capable de développer une distance cognitive entre lui-même et le monde qui l’entoure. Il pose des questions sur l’essence des choses, examine les espèces et le but de sa propre existence. Le fait de chercher ces vérités a de très importantes conséquences pratiques: ceci lui permet d’utiliser les cadres existants pour comprendre le monde et contrôler de manière consciente sa propre vie. Ces motifs pragmatiques ne limitent cependant pas la passion cognitive de l’homme, car nous cherchons aussi des vérités là où aucun bénéfice pratique n’est anticipé. Nous voulons simplement connaître ce qui nous intéresse. Paradoxalement ce désintéressement a déjà valu d’innombrables bénéfices pratiques, et c’est surtout nous qui en bénéficions le plus. Le fait de chercher la vérité et d’élargir nos connaissances sur le monde nous enrichit, développe notre esprit et apporte une satisfaction indépendamment du profit immédiat. En cherchant la vérité, les hommes se développent en tant qu’être qui pense.

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L’université offre une chance inégalable de développement, car c’est là que ceux curieux d’apprendre sur le monde peuvent trouver d’autres étudiants et des professeurs rongés « par le ver du savoir ». La bibliothèque offre l’opportunité de communiquer avec un nombre impressionnant de penseurs et avec leurs idées. Surtout, l’université est l’endroit où l’on peut apprendre une approche systématique et méthodique aux problèmes. De riches programmes d’études permettent de se rapprocher de la vérité d’une manière persistante, complète et inquisitive. Le diplôme reçu à la fin des études garanti le fait que le savoir acquis est profond et véritable. Les valeurs universelles de l’enseignement Certaines vérités se caractérisent par leur interconnexion; le savoir acquis conduit à de nouvelles questions et à de nouveaux domaines d’intérêt. Ars longa, vita brevis: la vie des hommes n’est pas assez longue pour satisfaire toute la curiosité que nous pouvons nourrir. Il est cependant très important de considérer le contexte du savoir acquis et d’éviter de se limiter à un champ trop étroit de recherche. C’est ce qui fait que l’enseignement universitaire soit différent d’une spécialisation étroite, qui risque de devenir creuse et stérile en absence d’une plus large perspective cognitive. Le nom de l’université suggère un enseignement allant bien au-delà d’étroites spécialisations (Szostek, 1996). Les universités médiévales classiques comprenaient quatre facultés, correspondant à l’universum du savoir de l’époque: la faculté d’arts libéraux (artes liberales), le droit, la médecine et la théologie. Il existe de nos jours beaucoup plus de facultés et de départements, il y en a tellement, en fait, qu’il est souvent impossible de les réunir tous dans le cadre d’une seule institution. Ce qui est important, cependant, c’est le titre d’université octroyé aux écoles offrant de vastes connaissances. L’idée n’est pas de donner ce nom aux plus grandes universités seulement, mais d’inclure dans le programme des disciplines offrant une plus large perspective cognitive aux étudiants. De nombreux collèges sans être formellement des universités, aspirent aussi – à juste titre – à cet idéal. Dans leurs tentatives dans ce sens, ils veulent se référer délibérément à cette idée fondamentale d’université, comme école qui offre non seulement du savoir dans un certain domaine, mais aussi une éducation plus complète. Il arrive souvent que l’enseignement complet reçu à l’université permette d’avoir accès à un emploi ou à une fonction sociale allant bien au-delà du savoir acquis au cours de la spécialisation. La recherche et l’enseignement: une communauté de professeurs et d’étudiants L’une des plus importantes caractéristiques de l’université est le fait qu’elle combine la recherche avec l’enseignement; elle n’est ni un simple centre de recherche, ni une école professionnelle. D’où l’importance du seminarium, au cours duquel le professeur – maître partage les résultats de ses recherches avec les étudiants, les introduits à ces résultats et les invite à approfondir leurs études (Wojtyla, 1978). Le séminaire ne peut être remplacé par des cours ou des lectures, ni par des exercices axés sur la méthodologie; ni même par l’enseignement à distance, aussi promettant soit- il. Toutes ces formes didactiques sont très importantes; cependant, aucune ne peut remplacer la communauté que le professeur peut établir avec ses étudiants. Certains d’entre eux deviendront ses collaborateurs et même des professeurs, dans un certain temps. Un séminaire n’est possible que si le professeur conduit des recherches, si il a le temps et les fonds nécessaires et lorsque les travaux académiques représentent sa principale activité intellectuelle.

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Il est difficile de ne pas apprécier l’importance didactique de l’enseignement universitaire, surtout dans le cadre du séminaire. En latin, le terme signifie semer et les pensées que le professeur sème se transforment à travers le temps dans de multiples conclusions originales et créatives. C’est, en même temps, un environnement où se développent des liens particuliers entre le professeur et les étudiants, qui forgent leurs caractères académiques et leurs individualités. Le programme d’études comprend souvent des cours d’éthique, mais rien ne peut remplacer l’exemple que le professeur donne personnellement. Qui d’autre pourrait fixer les règles de la recherche et du discours universitaires ? Tous les étudiants ne deviendront pas des cadres universitaires, mais ces règles s’appliquent aussi en dehors de l’université. L’ouverture aux nouvelles idées, le respect des opinions des autres et un effort sincère à les comprendre sont à la base de la recherche conjointe des meilleures solutions aux tâches complexes. La vie culturelle et les objectifs civiques La vie des étudiants n’est pas limitée à la participation aux cours et aux séminaires dans le cadre des universités, et l’activité en dehors du programme d’étude ne représente pas un complément aux principales fonctions de l’université; cette richesse de la vie estudiantine représente une parcelle de l’expérience universitaire. Ce ne sont pas seulement les problèmes et les disciplines spécifiques qui sont interconnectés, mais la science elle-même est une branche de la culture et doit être comprise comme telle (Szostek, 2001, pp. 103-109). La formation universitaire n’a jamais été limitée à la sphère purement intellectuelle, mais a aussi encouragé, depuis l’époque médiévale, ses étudiants à mieux se développer sur le plan personnel. L’une des plus ancie nnes traditions universitaire est de maintenir une communauté et d’avoir des échanges intenses entre les professeurs et les étudiants des établissements de nombreux autres pays. L’étudiant commence par acquérir le savoir d’un universum disciplinaire, et devient ainsi un citoyen de l’universum, un citoyen du monde. Ce n’est pas par accident que de nombreux mouvements socio-politiques ont vu le jour dans les cercles universitaires, soit y ont trouvé de nombreux adeptes. Les universités ont été à travers les siècles des lieux de rencontre pour les jeunes de différentes nations, religions et cultures; certaines villes érigent des signes indiquant leur nom ainsi que la fière mention Cité universitaire, soulignant le fait qu’il s’agit d’un centre de la science, la culture et la civilisation. Les universités joue un rôle irremplaçable dans l’union des nations et des cultures et sont indispensables à Europe et au monde. Bien sûr, un portrait idéal de l’université est dressé dans le présent article, surtout concernant la façon dont l’université devrait éduquer et former les nouvelles générations. C’est une vision profondément humaine et profondément chrétienne aussi. C’est l’Eglise qui a fondé les premières universités et leur a garanti une autonomie étendue, sans laquelle une véritable recherche de la vérité était difficilement réalisable. Une caractéristique de nombreuses universités est aujourd’hui qu’elles tentent de réunir des éléments d’enseignement, s’adressant aussi bien aux éléments spirituels qu’aux dimensions sociales. Cette tradition représente un héritage européen inestimable.

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Les défis contemporains Sans aucun doute, l’université remplit toujours sa noble fonction, avec une longévité exceptionnelle et un prestige notable. Toutefois, nous savons que la réalité est souvent différente de cet idéal. La civilisation moderne pose un certain nombre de défis à l’université qui doit chercher des moyens de préserver son identité et sa mission. Certaines de ces menaces et défis sont présentés dans ce qui suit. Le caractère de masse de l’enseignement supérieur Aujourd’hui, il n’y a pas seulement plus d’établissements d’enseignement supérieur qu’avant, mais il y en a de plus grand aussi. Chacun d’entre eux compte habituellement quelques centaines de professeurs et des dizaines de milliers d’étudiants répartis dans quelques dizaines de facultés, alors que les plus grandes universités réunissent des centaines de milliers d’étudiants répartis dans tellement de facultés et d’immeubles, qu’il leur est pratiquement impossible de maintenir leur cohésion organisationnelle. C’est la raison pour laquelle il existe une tendance à remplacer certaines universités par des universités corporatives. La Sorbonne, par exemple, est déjà divisée dans un certain nombre d’universités différentes, et un processus similaire se déroule aussi à Sapienza à Rome. Tout cela est lié à la massification radicale de l’enseignement. Alors que dans le passé, les universités réunissaient une petite élite, de nos jours, elles représentent un standard sans lequel il devient difficile de se trouver une place satisfaisante dans la vie. Si le fait d’acquérir du savoir correspond à la nature rationnelle de l’homme, on doit se réjouir du processus qui transforme l’enseignement en une entreprise à grande échelle; surtout vu l’importance croissante que prend l’enseignement. Cependant le nombre croissant d’étudiants ne va pas de pair avec l’augmentation du nombre de professeurs ou du nombre d’universités. Par conséquent, les séminaires où l’on fait de la recherche – essentiels au développement intellectuel et spirituel – sont devenus surpeuplés. Il est possible d’introduire et de développer une coopération entre le professeur et un groupe de plusieurs étudiants, une douzaine peut-être, mais il est impossib le de maintenir cette relation lorsqu’il y a des masses d’étudiants. Les séminaires sont devenus des classes dans lesquelles des dissertations sont produites, mais sans qu’il y ait le temps pour la réflexion profonde sur d’importants problèmes scientifiques. L’étudiant ne s’implique pas activement dans un processus commun de recherche de la vérité avec le professeur, dont le travail est souvent fait par un membre plus jeune de la faculté. Le premier objectif devient l’efficacité à délivrer des diplômes universitaires, à travers une recherche efficace et limitée dans le temps. Ces commentaires s’appliquent aussi à d’autres formes d’enseignement universitaire. La situation diffère selon le pays et le domaine d’étude, mais il est impossible d’ignorer la crise plutôt sérieuse intervenue dans les relations qui existaient dans le passé (Strózewski, 2000, p. 349-354). Les nouvelles technologies de l’information peuvent aider à résoudre ces problèmes, mais il est clair qu’elles ne remplacent pas le contact direct entre l’étudiant et le professeur. L’utilisation de technologies modernes dans l’enseignement et la recherche Les nouvelles technologies posent en fait certains défis. Le développement scientifique et technologique prouve le pouvoir de la pensée humaine et surtout, de l’esprit scientifique créatif. Il nous sert de différentes manières, consolidant notre

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pouvoir sur le monde physique; il nous aide à organiser des sessions académiques, qui, de plus en plus souvent, se déroulent non dans les universités, mais sur l’Internet. Ces progrès technologiques sont devenus tellement inséparables de la vie universitaire, que l’on a du mal à imaginer pouvoir enseigner ou faire de la recherche sans eux, bien qu’il s’agisse d’instruments tout à fait nouveaux. Cependant, un tel progrès indéniable comporte aussi certaines menaces, surtout concernant le maintien d’un haut standard. Tout d’abord, il rend le plagiat très facile. Il y a tellement de littérature accessible, qu’un étudiant ou un professeur malhonnête peuvent présenter, sans trop d’efforts ni de risques, les travaux de quelqu’un d’autre comme étant les leurs. Des programmes anti-plagiat ont été développés, mais ils ne sont pas assez efficaces. Une personne de mauvaises intentions peut facilement les éviter. Le plagiat est suivi de thèses faits sur commande par des spécialistes prêts à venir en aide aux étudiants trop occupés ou qui rencontrent des difficultés à remplir leurs tâches. Dans de nombreux pays, il n’existe pas de législation adéquate pour punir de tels écarts et en Pologne, par exemple, les gens qui offrent de tels services (y compris la liste des prix) ne peuvent pas être poursuivis en justice. Les réglementations doivent être améliorées et, si besoin est, complétées par les organismes universitaires. Les programmes anti-plagiat doivent aussi être améliorés et introduits sous forme de testes obligatoires pour chaque thèse. La lutte contre ces abus est difficile cependant car sa source se trouve en profondeur, dans la structure même de l’enseignement universitaire: les thèses qui doivent être délivrés pour se voir conférer son dip lôme. La carrière universitaire Les diplômes et les titres universitaires sont accordés à ceux qui remplissent certains critères bien connus. Ceux- là sont essentiels au respect des réglementations universitaires et ils ont subi un processus important de formalisation à travers le temps. Sans des critères claires et objectifs concernant la carrière universitaire, les études supérieures seraient arbitraires et chaotiques. Toute personne désirant obtenir un diplôme universitaire de licence, mastère ou doctorat doit démontrer avoir accompli les études correspondantes et/ou des travaux académiques. Cette procédure logique de la promotion universitaire est suivie par la tendance à se concentrer non sur le développement académique lui-même, mais sur le fait de remplir les conditions: un membre du corps universitaire choisis un sujet pour sa dissertation doctorale ou son ouvrage professoral qui ne lui prendra pas trop de temps et ne rencontrera pas une trop forte opposition de la part de ses collègues. Des critères similaires sont aussi responsables du choix des problèmes traités dans les publications académiques, que l’on est obligé de rédiger selon les termes du contrat de travail. Les intérêts réels et créatifs sont souvent mis de côté jusqu’au moment où l’on a parcouru l’échelle universitaire. Lorsque l’on obtient le titre de professeur à l’âge de 45 ans, la période de créativité se trouve déjà derrière. Reste la routine universitaire, où la médiocrité est de mise. Pire encore, les universitaires « de carriè re » useront exactement les mêmes critères pour lire et évaluer les travaux des autres, lorsqu’ils seront appelé à le faire (Grabowski, 1998; Prost, 2003). Cette règle ne s’applique pas à tous les professeurs. Heureusement, la passion universitaire l’emporte souvent face à la carrière académique. Cependant, le volume important de littérature universitaire médiocre est alarmant. Il y a de nombreux comités qui ont pour tâche d’éliminer les dissertations médiocres, comme le Comité pour les diplômes et les titres universitaires en Pologne; ces comités n’arrivent pas

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cependant à empêcher le flux de dissertations médiocres. La nécessité de remplir les conditions d’une carrière universitaire pousse de nombreux universitaires à plagier ou à s’auto-plagier (en copiant leurs propres textes sous des titres différents) ou au demi-plagiat (le fait de compiler les textes de quelqu’un d’autre d’une manière très peu créative). Il semble que les critères actuels devraient être revus afin d’éviter une formalisation extrême sans pour cela renoncer aux conditions et aux cadres objectifs. L’interaction avec le marché du travail L’un des atouts les plus importants de l’enseignement universitaire est son universalité, cependant certains domaines du savoir se développent constamment. Ceci se traduit par un programme de plus en plus riche en études spécialisées, implantées aux dépens des disciplines soi-disant d’ordre général et influencé par le marché du travail. Les critères qu’un employeur juge utiles comprennent la performance mais aussi les diplômes et du fait, les stages des étudiants remplissent une fonction importante. Cette étroite relation entre l’université et l’employeur est désirable et grâce à elle, certaines études deviennent plus tangibles. Certaines études comme la médecine, par exemple, ne pourraient se faire sans une telle coopération. Cependant, du fait du développement rapide des sciences et du marché global du travail, les études universitaires ne répondront jamais exactement aux demandes de ce dernier. Il est plus important dès lors que l’étudiant développe l’habitude de la formation continue et de l’amélioration professionnelle. Cela demande une certaine flexibilité mentale, qui ne s’acquiert pas à travers un apprentissage mécanique, matériel. L’enseignement matériel porte sur des sujets concrets; l’enseignement formel se concentre sur le fait de développer les capacités d’une personne à penser correctement, de manière logique et créative en même temps. Si l’on privilégie l’enseignement matériel, les diplômés d’université auront les esprits étroits et ne seront pas préparés aux surprises auxquelles ils pourraient se voir confrontés. Quel que soit leur travail, il se déroulera dans le contexte plus large de la vie sociale, à laquelle personne ne peut rester indifférent.

La science au service de l’humanité

J’aimerais résumer en réitérant une valeur particulièrement précieuse de l’université: la recherche conjointe de la vérité entreprise par les professeurs et les étudiants, qui correspond au caractère des êtres humains en tant qu’êtres qui pensent et fait qu’ils soient moralement matures.

Nous rencontrons ici un important problème, qui résulte de la pratique spécifique de la recherche. La science est gouvernée par sa propre logique et le fait de poursuivre des buts purement scientifiques suppose employer des méthodes qui peuvent violer des droits humains élémentaires. Pour étudier le corps humain ou plutôt son psychique, les généticiens, les psychologues et les sociologues peuvent trouver nécessaire de conduire des expériences à travers lesquelles les hommes deviennent des matériaux empiriques. Le coût de la recherche peut être le fait que le sujet soit sérieusement endommagé, sous le voile de la présomption que la vérité doit être recherchée en permanence, à tout prix. Cela peut nous conduire à considérer la science comme dieu et les scientifiques comme des prêtres, ayant le droit de tout faire pour atteindre la vérité. Des fois il est dit que la fin ou les bénéfices justifient les moyens. Nous devrions cependant tenir compte du fait que le critère fondamental de l’évaluation morale (y compris celle de la science) n’est pas un tel individu humain,

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mais notre humanité abstraite en quelque sorte. Quel est le bien moral le plus précieux, auquel tous les autres biens devraient être assujettis ? Il s’agit de questions très difficiles et complexes. Il mérite de souligner que de nombreux codes d’éthique comportent la déclaration « l’employeur est obligé de contrer l’utilisation malpropre des travaux scientifiques, comme par exemple leur utilisation contre des êtres humains » (Le Comité d’éthique pour la science, 1994, p. 7; Mames, 1992). Le critère fondamental de l’évaluation morale est et doit être l’être humain, chacun et tous à la fois. Dans la lumière de ce qui a été dit, permettez-moi de citer un discours du Pape Jean-Paul II adressé aux recteurs des universités polonaises lors d’une audience au mois d’août 2001:

0Il arrive trop souvent … que ce que l’homme réussit à réaliser grâce aux nouvelles possibilités offertes par la pensée et la technologie, subisse une certaine « aliénation » … Il y a de nombreux exemples dans ce sens. Il suffit de mentionner les exploits dans le domaine de la physique et plus particulièrement dans celui de la physique nucléaire, les exploits dans la transmission des informations, l’exploitation des ressources naturelles de la Terre ou, pour finir, les expériences dans le domaine de la génétique ou de la biologie … Tenant compte de cette tension, nous devrions tous comprendre le fait que l’université et tout établissement d’enseignement supérieur jouent un rôle clé comme milieu directement responsable du progrès dans de nombreux domaines différents de la vie. Ainsi, on devrait se demander quelle devrait être la forme interne de ces établissements afin de prévenir que les résultats du progrès permanent qui s’y développe soient « aliénés » et retournés contre l’homme. Il semble qu’à la base du fait de diriger les universités dans cette direction se trouve le soin pour l’homme et il s’agit d’humanité. Quelle que soit le domaine de la science, la recherche ou les travaux créatifs auxquels une personne contribue par son savoir, son talent et son travail, cette personne devrait se poser la question de savoir dans quelle mesure les résultats de son activité forment sa propre humanité et aussi de savoir si ils rendent la vie plus humaine et digne de l’homme de tous les points de vue (L’Obsservatore Romano, 2001, p.4).

Les universités modernes et leurs défis moraux Finalement, il existe certains défis moraux auxquels se confrontent les universités modernes et j’aimerais discuter ici au sujet de trois d’entre eux: L’université en tant que recherche de la vérité et moyen de la propager Cette proposition est en effet très sérieuse, mais c’est cette fonction de l’université qui est la plus importante, en dépit du fait qu’elle soit exposée à tous les types de privations. C’est seulement en répondant aux plus nobles ambitions intellectuelles que les universités contribueront au progrès social et élargiront l’horizon étroit du bénéfice immédiat. C’est la raison pour laquelle il est tellement important de protéger les travaux scientifiques contre le plagiat, la paresse et autres formes d’abus. C’est aussi pourquoi nous devons nous assurer que les études didactiques ne se substituent pas à la recherche académique originale. C’est pourquoi les professeurs doivent avoir de bonnes conditions – matérielles et organisationnelles – pour attirer l’attention sur les problèmes qui les fascinent réellement, et non sur des activités publiques lucratives. C’est seulement alors que l’université remplira sa fonction humaniste, soutenant le

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développement humain de ses étudiants et structurant les fers de lance intellectuels dont la société a besoin. L’université comme développement de l’éducation civique Il suffit d’observer les politiciens de n’importe quelle société pour réaliser le rôle qui revient à l’université dans la formation de leurs vues, attitudes et capacités. Nos dirigeants possèdent généralement des diplômes d’études supérieures et leurs biographies montrent souvent à quel point ils ont été modelés à travers leurs études. Le programme universitaire doit aider les gens à développer leurs capacités sociales, à s’ouvrir aux autres dans un esprit de tolérance et à comprendre l’importance du bien commun. C’est la raison pour laquelle nous devrions faire attention à ne pas surcharger le programme d’enseignement, qui serait contraire au développement intellectuel, car il limiterait la liberté créative des jeunes. Même un enseignement bien mis au point ne peut pas consommer tout le temps et l’énergie des étudiants, pour leur laisser l’opportunité de se développer moralement et socialement. Les diplômés d’université participent plus activement au monde social et peuvent devenir le modèle et l’autorité pour les autres. Ils seront les citoyens de leur propre pays et du monde. L’université comme source de science et de service Comme je l’ai déjà mentionné, la science peut se tourner contre nous des fois, en nous traitant comme du matériel de recherche et nous subordonnant à des objectifs inhumains – y compris militaires et consuméristes. Il est important de percevoir les plus importantes menaces à l’humanité et qui peut le faire le mieux sinon les universitaires ? Il y a tellement de défis à relever, y compris la menace de l’auto - destruction écologique; celle de la globalisation et les dangers de l’injustice économique; ou les menaces externes et internes à la démocratie, sous forme de terrorisme et de laxité morale.

Ceux- là et bien d’autres problèmes ne peuvent être ignorés par le monde de la science car ce sont les scientifiques qui les observent généralement avant les autres, qui nous attirent l’attention à cet effet et offrent des solutions efficaces. Ainsi, tout en respectant pleinement la liberté de la science, les cadres universitaires et les étudiants doivent être informés de leur responsabilité par rapport à l’humanité et à son futur.

L’université représente depuis des siècles un trésor, un moyen de production culturelle à travers le monde; mais elle pose aussi un grand défi que nous devons résoudre pour qu’elle continue à remplir ses fonctions. Références

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La réforme universitaire en Europe: quelques considérations éthiques ANDREI MARGA

Les universités européennes doivent affronter la crise du modèle humboldtien et trouver de nouvelles solutions d’organisation. Cet article part de deux observations initiales. La première est celle d’après laquelle nous passons par une « mutation culturelle » qui fait de la culture l’élément sur lequel se fonde la performance, y inclus celle technologique et cognitive. L’évolution des sociétés dépend désormais de la culture partagée par des êtres humains plus que de leur économie ou technologie. La deuxième observation est que la culture en soi et son éthique sous-jacente devraient être ouvertes à la reconsidération. L’évolution de la société dépend désormais de la culture et de sa capacité d’adaptation.

Les universités d’Europe gardent certaines caractéristiques historiques des universités italiennes du Moyen Age, de l’université napoléonienne, de l’université allemande et de l’université technique anglaise de la moitié du Dix-neuvième siècle. On peut dire que l’Université humboldtienne a exercé la plus grande influence, surtout en Europe Centrale et de l’Est. Si on examine les caractéristiques de l’université humboldtienne dès le début du Dix-neuvième siècle, on peut remarquer – parmi les attributs de l’établissement européen le plus ancien après l’église – les faits suivants: l’unité entre l’enseignement et la recherche; l’unité entre l’acquisition de savoirs par l’étudiant et sa formation civique; l’unité entre la formation spécialisée et la vision du monde, sous le parapluie d’une philosophie intégrative; et l’unité corporative de l’établissement universitaire (Marga, 1996; Humboldt, 1990). On peut facilement remarquer, de la formulation même de ces caractéristiques, la référence à l’unité ou, au moins, aux interrelations. Dans la bonne tradition humboldtienne, Szostek (2004) écrit pertinemment que l’exceptionnelle vitalité de l’université en tant qu’établissement vient de certaines valeurs qu’elle a personnifié: la recherche de la vérité pour la vérité en soi; la réalisation d’une communauté formative faite d’enseignants et d’étudiants; et la formation culturelle et civique des étudiants. Ces valeurs sont désormais perçues par Szostek comme étant en danger, à cause, entre autres, de la massification des universités, du mauvais usage des opportunités offertes par les nouvelles technologies, et de l’expansion de la routine académique au détriment de la créativité. Le fait de prendre conscience de ces difficultés est naturellement le premier pas vers l’identification de réponses adéquates. Les universités européennes doivent faire face à la crise du modèle humboldtien et doivent trouver de nouvelles solutions organisationnelles. Cet article part de deux observations initiales. La première est celle d’après laquelle nous passons par une « mutation culturelle » qui fait de la culture l’élément sur lequel se fonde la performance, y inclus celle technologique et cognitive. L’évolution des sociétés dépend désormais de la culture partagée par des êtres humains plus que de leur économie ou technologie. La deuxième observation est que la culture en soi et son éthique sous-jacente devraient être ouvertes à la reconsidération. L’évolution de la société dépend désormais de la culture et de sa capacité d’adaptation.

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Ce que signifie « l’Université » L’unité vers laquelle l’établissement humboldtien a aspiré a été rompue à plusieurs niveaux. D’un côté, la recherche de haut niveau n’est pas effectuée uniquement dans des universités, mais aussi dans des instituts et des laboratoires, et des groupes de réflexion sont reliés aux grandes corporations. De l’autre côté, beaucoup d’universités se voient seulement comme des établissements d’enseignement supérieur. L’unité entre l’enseignement et la recherche est encore pratiquée par des « universités de recherche », qui sont trop peu nombreuses d’ailleurs. Les enseignants se voient désormais seulement comme des transmetteurs de savoirs, la conséquence de la mauvaise interprétation, largement répandue, de la neutralité axiologique de Weber. Lorsqu’ils veulent offrir aux étudiants une orientation civique, les enseignants ne peuvent pas souvent mentionner des exemples personnels et perdent ainsi en crédibilité. Sous l’influence d’une incompréhension de la démocratie, les universités elles-mêmes agissent en sorte d’éviter les discussions concernant les décisions prises dans la société. Les sciences expérimentales – dont l’expansion est toujours à apprécier et encourager, n’arrivent plus à concevoir des perceptions complexes du monde. Jadis, les résultats des recherches expérimentales formaient une image du monde, mais de nos jours les universités montrent peu d’intérêt par rapport à celles-ci. L’unité de la science demeure faible est n’est presque jamais traitée de manière explicite en des termes théoriques. A partir de la massification de l’enseignement supérieur au niveau des diplômes basiques (licence), l’unité de la vie universitaire a été dissolue. La conséquence est que les étudiants ne rencontrent que rarement leurs enseignants à l’extérieur des cours, et la quantité de temps passée à travailler ensemble a diminué. Le contact direct de l’étudiant avec son enseignant est devenu de plus en plus rare. Ces indices démontrant l’unité brisée de l’université humboldtienne sont complétés par deux tendances plus cruciales apparues durant les deux dernières décennies. Premièrement, l’expansion de l’enseignement au-delà des frontières classiques de l’université; non seulement la recherche scientifique a été reprise par des firmes et des compagnies, mais aussi l’enseignement a commencé à être organisé par ces dernières. Les universités perdent leur monopole sur l’enseignement supérieur, comme elles ont perdu leur monopole sur la recherche scientifique il y a des dizaines d’années. Deuxièmement, la multiplication d’universités autoproclamées: des établissements qui organisent à peine quelques cours, ou sont spécialisées en formation linguistique ou dans des domaines de l’industrie (Dudenstadt, 2000). L’enseignement supérieur devient sans frontières8 non seulement au sens positif, selon Edgar Faure, en tant qu’élargissement de l’accès et du rapport avec la vie, mais aussi dans le sens qu’il perd sa structure interne. Devant ces évolutions – l’écroulement de l’unité entre l’enseignement et la recherche, entre le savoir et la préparation civique, entre la formation spécialisée et la formation d’une perception du monde, entre et parmi les sciences, entre les étudiants et les enseignants, ainsi que l’emprise sur l’enseignement exercée par les compagnies et la multiplication des universités improvisées – un nouveau défi est apparu: celui de clarifier une fois de plus ce que signifie l’université. Les valeurs constantes qui ont posé l’université en tant qu’établissement en Europe et en Amérique du Nord, incluant l’aspiration à former des caractères et de rechercher la

8 En français dans le texte (ndlr).

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vérité pour soi, ne seront cultivées avec succès que lorsqu’elles partiront de cette clarification. Cette question comporte des aspects éthiques, parmi lesquels ceux concernant les attentes des nouvelles générations; elle présente aussi des aspects légaux, à travers le renouveau de l’idée de l’université dans des articles de Droit.

La mission et les fonctions de l’université

Aujourd’hui, la représentation de l’université en tant qu’agent principal de la Raison, dans un monde où les valeurs fermes sont éphémères, est perçue avec un manque de confiance, et ce manque de confiance nourrit des approches de courte durée et finalement des improvisations. Le manque de confiance s’est installé au moment où l’université s’est permise d’être proie aux missions « historiques », dirigées par des forces politiques (Bloom, 1987, pp. 311-312). Mais même le manque de confiance requiert une analyse, parce que la conséquence du manque de confiance – une approche fonctionnelle de l’université – n’est pas satisfaisante non plus. La vision fonctionnaliste et sa concrétisation plus récente, la « perception industrialiste », considèrent cet établissement comme étant un acteur de la modernité, parmi d’autres, sans lequel la société moderne peut aller de l’avant si tel est le cas. Nous devrions protéger la représentation de l’université en tant qu’établissement lesté mais aussi favorisé par l’histoire, qui appartient non seulement au passé mais aussi au futur, et qui reproduit dans le temps des valeurs culturelles reliant les vies des gens. Seulement une université qui est consciente de sa mission et de ses fonctions peut affronter les défis économiques et culturels de notre époque. Je ne parlerai pas ici de la procédure complexe d’établissement de la mission de l’université d’aujourd’hui (Marga, 2003). Si on prend comme point de référence l’expérience d’université prestigieuses on peut dire que la mission de l’université est celle de former des spécialistes au plus haut niveau, afin d’accroître les savoirs et améliorer les conditions de la vie humaine. Ainsi, la mission de l’université n’est pas limitée à la formation, car l’université assure une formation supérieure et en même temps une formation censée accroître les savoirs. Cette mission n’empiète pas à la recherche scientifique, parce que l’université doit former. La mission de l’université ne se limite pas à l’offre de services à la communauté, parce que la formation de spécialistes et la recherche scientifique conditionnent le service social. Talcott Parsons a écrit pertinemment au sujet de quatre fonctions: la recherche scientifique et la formation de la succession; la formation universitaire pour la profession; la formation générale; et la contribution à l’auto-compréhension culturelle et à l’évolution intellectuelle (Parsons et Plott, 1973, p. 90 et suiv.). On peut offrir aujourd’hui un cadre plus compréhensif de ces fonctions et il est pertinent de concevoir l’université comme un établissement formateur pour la dissémination et le développement des savoirs; comme un source d’innovation technologique; et comme un lieu d’engagement pour les droits civiques, la justice et les réformes. L’université ne peut pas accomplir son rôle toujours rétrécissant qu’en clarifiant sa mission et ses fonctions, et en demeurant fidèle à ses traditions historiques et culturelles originaires. Autonomie et liberté académique Selon ceux qui ont créé l’université humboldtienne, le savoir ne peut être obtenu que si les membres de la communauté universitaire jouissent de liberté et d’autonomie. Le professeur universitaire est celui qui établit ses sujets, ses méthodes et qui formule les conclusions de ses investigations. L’enseignant est celui qui décide du contenu des

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cours, des séminaires et des travaux pratiques. La communauté universitaire est celle qui décide de manière autonome de l’organisation et du contenu des programmes d’étude et de recherche. La relation entre la performance et la liberté académique a été justement réaffirmée dans la Magna Charta Universitatum (1988) et transmise ainsi à notre génération. L’existence même des universités est conditionnée par la liberté et l’autonomie académiques. Si on touche à celles-ci, le statut d’un établissement change ou est affecté, pour le moins. Cette affection est directe dans le cas des dictatures, mais elle peut être indirecte aussi, à travers la politisation vulgaire et la restriction juridique des prévisions constitutionnelles concernant l’autonomie universitaire (comme il est actuellement le cas de plusieurs pays d’Europe de l’Est). La liberté académique et l’autonomie universitaire dépendent de leur compréhension et pratique. La difficulté pratique consiste en cela que l’atteinte à la liberté et à l’autonomie universitaires représente ne représente pas l’unique problème, mais aussi le manque de performances qui se cache derrière celui-ci. On peut facilement remarquer, par exemple, la recherche scientifique triviale dans les rapports annuels de certains enseignants ou de certaines chaires et universités. Il y a aussi d’autres exemples de pathologies universitaires cachées derrière une mauvaise utilisation de l’autonomie universitaire: le renfermement des portes de certaines universités devant du personnel n’appartenant pas à un cercle favorisé; la promotion de dignitaires d’offices publics au rang de professeurs; la défense de la corruption évidente au nom de la solidarité académique; et le népotisme. L’absence – ou le mauvais usage – de la liberté académique et de l’autonomie universitaire rend impossible le fonctionnement de l’université. Contributions morales et civiques Beaucoup d’universitaires entretiennent l’illusion que le savoir et son usage sont la même chose, et que les questions éthiques finissent avec la production du savoir; le postulat de Weber de la neutralité axiologique est encore considéré valide. Actuellement, la production même du savoir, au niveau initial de la formulation de questions, est inévitablement conditionné par des intérêts et par des valeurs (Habermas, 1973). L’immanence des valeurs dans le cadre du processus du savoir n’est pas une raison d’être pessimiste, mais constitue une raison de plus d’accroître la réflexivité et d’assumer la responsabilité. Restons cependant dans le domaine de l’usage du savoir. Un universitaire, un chercheur scientifique, possède certaines données qui ont un impact social, du fait du prestige conféré par son établissement. Je ne parle pas ici des questions troublantes concernant les interventions sur le code génétique, ou des énergies qui peuvent être déclanchées grâce à la physique actuelle. Je me réfère uniquement aux sciences sociales et au cas de la sociologie, en tant que possibles manipulations des informations concernant la société. La démocratie implique la compétition, et la compétition démocratique est soutenue par l’information, qui requiert certaines compétences. Je mentionnerai ici un défi éthique pour les sociologues, concernant l’activité au service de différents groupes de pouvoir. Je veux souligner aussi le plus sérieux défi éthique de la déformation des données dans des buts manipulateurs. Dans le cadre des démocraties émergeantes – où l’obsession de collecter des votes s’impose devant le soin pour le pluralisme des approches, où la démocratie est comprise plutôt comme un instrument de confirmation des dirigeants qu’une source de meilleures solutions, et où l’argent

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est censé être fait de la manipulation et de la déformation des données – la préoccupation de certains universitaires pour la manipulation est devenu une menace publique. Des crises actuelles de motivation et de signification Du fait de la multiplication du nombre de fournisseurs d’enseignement supérieur (les universités classiques étant confrontées à de nouveaux types d’universités: « virtuelles », « ouvertes », etc., ainsi qu’à des entreprises qui offrent des diplômes d’enseignement supérieur spécifiques) et dans le contexte de l’expansion des savoirs, de la nouvelle organisation de la science et de la primauté sans précédent de l’information, nous nous demandons: que fait-on dans les universités ? Les étudiants s’inscrivent dans les universités à la recherche d’enseignants, de cours et de séminaires, d’une communauté académique qui puisse leur offrir une validation sur le marché du travail, ma is aussi leur permettre de rester compétitifs et autonomes en tant qu’individus. Les occupants des postes d’enseignant universitaire et le contenu des cours sont ainsi décisifs. L’occupation des postes d’enseignement sans des critères rigoureux et en l’absence d’une vraie compétition – ce qui est malheureusement la norme dans certaines universités – a des conséquences négatives d’envergure, y inclus de nature éthique. La compétition ouverte, ouverte à des candidats de tout pays et loin de tout « arrangement » local, demeure une condition indispensable. Le fait de comprendre, en tant qu’enseignant, la nécessité d’une recherche continue, compétitive, représente également une question ayant des implications éthiques nettes. Le fait de concevoir des postes d’enseignement permettant le libre accès pour les jeunes générations constitue un défi éthique pour l’enseignement supérieur européen actuel et un problème éthique profond dans le cadre du fonctionnement de l’université. Le contenu de la formation universitaire pose également des questions éthiques. Sous l’effet de la mondialisation, la règle du volume élevé est remplacée – comme le fait pertinemment remarquer Robert Reich (1992, pp. 77-85) – par la règle de la valeur élevée. Cela signifie que les indicateurs de valeurs ont changé, ce qui fait que la capacité de générer de nouvelles solutions dans des contextes variables est devenue décisive. Et la prémisse académique de ces succès est la formation de compétences innovatrices ou, pour reprendre la fameuse formule de Bergson (1920), la « création de créateurs ». Cela équivaut à l’encouragement et au soutien de l’étude individuel évolué, sous la direction d’enseignants compétents, la synchronisation permanente du programme d’enseignement, la diversification des diplômes universitaires, l’accomplissement d’une vraie interdisciplinarité, et l’encouragement et le soutien, y inclus financier. Comme on peut l’observer dans des universités américaines prestigieuses, la qualification du diplômé universitaire selon une capacité de résolution créative de problèmes implique une réorientation vers la pensée abstraite, et vers l’offre de solutions alternatives et leur vérification. Cela implique également la communication en langues modernes, y inclus celles de la technologie de l’information disponibles aujourd’hui (Reich, 1992, pp. 77-85). Il y a toujours un déséquilibre dans les sociétés européennes séculières entre les utilisateurs de la démocratie et ses promoteurs. Je n’insisterai pas ici sur l’expérience de la transition en Europe Centrale et de l’Est, mais je dirai en simplifiant qu’il ne suffit pas d’avoir des élections libres afin de proclamer la démocratie. L’autoritarisme peut se cacher derrière des élections libres, tout comme la non-performance peut se

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cacher derrière l’économie formelle de marché. Dans l’essence, l’exercice de la démocratie dépend finalement de la culture démocratique (Marga, 2004). L’assurance des ressources culturelles de la démocratie est devenue un sérieux problème dans les sociétés européennes. Quelles sont les ressources culturelles dont on dispose afin que la démocratie ne soit pas réduite à des élections libres mais pratiquée comme une source de solutions ? Cette question, posée par Dewey (1957) il y a plus de 70 ans a été récemment débattue par Habermas et Ratzinger (2004) avec une grande clarté. Quel est le rôle des universités dans l’offre de ressources motivationnelles à la démocratie ? Ma thèse ici est que les universités peuvent jouer un rôle décisif dans la formation d’une vision sur la société parmi ses diplômés. Je pense ici à deux actions: la formation des étudiants dans les disciplines sociales et humanistes, et la culture de valeurs solides. Cela ne concerne pas uniquement ce que Weber appelait Sachverständigen ohne Seele (Weber et Marga, 2000, pp. 5-14), mais aussi la prise de décision dans la société en l’absence d’une approche systématique et informée. Afin de traiter la question de leur validité, on peut au moins examiner les conséquences de différents systèmes de valeurs. Les choix de valeurs ne sont pas tous des réussites, parce qu’il y a des critères qui sont formulés – comme « la différenciation économique », « la complexité de la production », « la sophistication technologique », et ainsi de suite. L’existence humaine vécue avec un sens suppose des valeurs solides, et leur culture, y inclus éthique, requiert l’action des universités. A travers celle-ci, les universités peuvent rester fidèles à leur grande tradition de promoteurs de la Raison dans la vie des êtres humains. Les universités doivent inculquer plusieurs valeurs: le développement et l’expansion des savoirs; la production de savoirs nouveaux et utiles; la capacité d’appliquer les savoirs; l’innovation technologique; l’évaluation critique; et le dévouement pour la participation civique et la justice. Certaines de ces valeurs sont indubitablement éthiques. Récemment, un des plus compétents éthiciens de notre époque, Ottfried Höffe, a pertinemment mis en évidence que les écoles et les universités doivent gérer des valeurs éthiques dans cinq dimensions: la dimension de la disponibilité et de la capacité de la personne d’assumer l’auto-responsabilité; la dimension de la justice et de la tolérance; la dimension de la raison, de la confiance en soi et de la capacité critique; la dimension de la démocratie dans laquelle vit l’individu; et la dimension des droits universels de l’individu. Il est essentiel à souligner que leur application réside dans le domaine de la pédagogie. Pour finir, il s’impose de mentionner deux implications fondamentales. La première est que les universités peuvent promouvoir la morale dans la société de manière limitée, leurs propres pratiques étant un facteur décisif. La deuxième implication est que les enseignants peuvent prêcher l’éthique mais à défaut de la pratiquer leur formation éthique demeure purement formelle. Références

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Prévention, gestion et modération: des cadres éthiques de gouvernance JÜRGEN KOHLER Cet article cherche à analyser et à esquisser un cadre éthique de gouvernance dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la science. Il fait à cette fin une distinction entre les défis éthiques en tant que tels et les mesures de prévention et les remèdes. Une brève présentation des défis éthiques de l’enseignement et de la science y est également fournie, traitant la quête du savoir, les conflits avec la dignité et les violations de l’égalité académique, et les manques en matière de formulation de politiques, de réaction et d’équilibrage des aspirations. Cette présentation est suivie par la proposition d’une série de cadres éthiques de gouvernance correcteurs ou préventifs, en particulier l’intégration culturelle de la gouvernance et de l’éthique, et la gestion de l’éthique et la prévention des risques. Structuration de la problématique Le débat sur le cadre éthique de la gouvernance de l’enseignement supérieur et de la science est, et a été depuis des siècles, un débat étendu et difficile. Il se fonde sur des termes, des valeurs et des choix comme la liberté et la responsabilité, la vérité et la convenance politique, l’autocontrôle et le contrôle externe, l’autonomie et l’intervention de l'Etat, et la quête du savoir et la « vente de l’âme au diable ». Je ne dois pas vous rappeler le Faust de Goethe, ou le Docteur Faustus de Thomas Mann. Cependant, même si je cite ici ces deux chefs d’œuvres de la littérature mondiale, l’éthique dans l’enseignement et la recherche ne constitue pas qu’une problématique allemande. Ce problème est plutôt de nature mondiale, ressenti de plus en plus comme urgent et intéressant du fait de l’augmentation des capacités techniques, du rôle sociétal et des implications économiques, et surtout financières, de l’enseignement et de la recherche modernes.

L’analyse et la planification d’un cadre éthique de gouvernance dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la science requièrent une concentration sur leurs spécificités. Je m’abstiendrai de couvrir la règle générale de ne pas accepter des avantages de tierces parties, financiers ou autres, qui peuvent créer une dépendance et affecter l’impartialité. En outre, même l’impression de prendre de tels risques doit être mise de côté. Même si cela est vrai en général et se trouve couvert par la loi pénale sous différentes catégories de corruption, il en ressort aussi une question de gouvernance dans le contexte de l’enseignement supérieur et de la recherche qu’on traitera brièvement en ce qui suit.

Il faut distinguer dans le cadre spécifique de l’enseignement supérieur et de la recherche les défis éthiques en tant que tels, d’un côté, et les mesures préventives et les remèdes à ces défis, de l’autre. Certes, le fait de fournir des remèdes aux défauts éthiques et de prévenir des tentations non-éthiques fait partie d’une bonne gouvernance, mais cela ne peut pas avoir lieu en l’absence d’un claire identification des défis éthiques eux-mêmes. Ainsi, cette présentation esquissera en premier lieu les problèmes éthiques pour indiquer par la suite des cadres éthiques qui peuvent pallier à ces problèmes, voir, plus encore, prévenir leur apparition.

On peut ajouter ici que le fait de répondre aux défis éthiques est inévitable dans le « monde de Bologne », et que tous les membres des établissements d’enseignement

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supérieur sont en position de procéder ainsi. Le Processus de Bologne n’est pas qu’une convergence technique de structures, mais elle est envisagée comme représentant un espace commun de l’enseignement supérieur qui porte la marque de la culture académique. Une partie de celle-ci est la notion d’ethos, qui est accompagnée par l’idée que l’enseignement et la recherche relèvent de la responsabilité publique, c’est-à-dire de la responsabilité des établissements d’enseignement supérieur et de leurs membres d’agir de manière responsable envers le public général. Le terme de « public général » ne se réfère pas qu’à un pays donné, mais au monde dans son entier, comme il s’impose lorsqu’il est question de reconnaissance internationale et d’assurance de la qualité. Les défis éthiques pour l’enseignement supérieur et la science et pour la gouvernance de leurs établissements Lorsqu’on évalue les défis éthiques dans les établissements d’enseignement supérieur et de recherche, il faut tenir compte du fait que ces défis sont généralement doubles, et qu’ils doivent être traités séparément. D’un côté, il y a des défis pour l’enseignement supérieur et la recherche per se, qui mettent en danger leur bon fonctionnement. De l’autre côté, il y a des menaces pour l’éthique de la gouvernance, c’est-à-dire pour une partie essentielle de la structure institutionnelle de l’enseignement supérieur et de la recherche - au niveau des opérations de gestion et de gouvernance. Les défis éthiques pour l’enseignement supérieur et la science On peut dénombrer, illustrer et analyser les défis éthiques pour le fonctionnement de l’enseignement supérieur et la recherche en fonction de leur caractère général, comme il suit: Les défis pour la quête académique du « vrai savoir » L’essence du monde académique est la quête du véritable élargissement du savoir, et certains dangers font surface à cet égard. Ceux-ci peuvent prendre plusieurs formes, dont les deux suivants sont particulièrement menaçants:

- La falsification des résultats de la recherche, ou la prétention même qu’il y a eu de recherche véritable ou qu’il y a eu des résultats issus de celle-ci, représente un problème existant dans un nombre de pays. La motivation qui se trouve derrière une telle faute professionnelle de l’inventivité n’est pas seulement la vanité, mais aussi la dimension concurrentielle de la recherche moderne et sa dépendance du financement externe, qui suscite la fabrication d’histoires de succès. Il s’en suit que ce défi éthique se produit souvent en médecine et en sciences naturelles où « les financements par projets déterminés » jouent un rôle important. La falsification comprend aussi la suppression ou la mauvaise interprétation intentionnelle des données ou des conclusions de la recherche. Cela peut représenter un risque dans les sciences humaines et sociales en spécial, parce que celles-ci sont parfois susceptibles de créer et de soutenir des idéologies ou des croyances de différents types.

- Etant donné que la résolution des défis éthiques est une responsabilité commune de tous les membres de la communauté de l’enseignement et de la recherche, il va de soi que les étudiants se trouvent également impliqués. Pour

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mettre ceci dans des termes concrets dans le contexte de la véracité, l’attente de l’abstention de tricher aux examens n’en est pas moins un défi éthique.

- La violation de la propriété intellectuelle est un deuxième phénomène de cette catégorie. Dans ces cas, quelqu’un adopte les conclusions de recherche de quelqu’un d’autre en prétendant que celles-ci sont ses propres découvertes. A l’époque du travail en équipe, ce type de violation peut également prendre la forme de la suppression de la contribution de quelqu’un aux conclusions de recherche communes. L’essence du problème éthique ne réside pas dans l’adoption de la recherche d’un autre, un phénomène commun et nécessaire dans le monde académique en tant que processus de discussion permanente des conclusions atteintes en préalable. Le problème arrive seulement lorsque l’adoption des efforts et des contributions d’autres n’est pas reconnue ouvertement . Les raisons de ce fait sont similaires à celles relevées au niveau de la falsification des résultats de recherche: la vanité individuelle, l’avantage concurrentiel censé attirer des financements, et ainsi de suite.

Les conflits avec la dignité et la stabilité Deuxièmement, les dangers éthiques surviennent là où les efforts faits en vue d’atteindre la vérité et l’excellence académique entrent en conflit avec la dignité, la stabilité et la durabilité dans un sens étendu, c’est-à-dire de l'être humain, de la nature et de l'environnement, et de la société dans son ensemble. Les deux types de cas suivants peuvent être soulignés:

(i) Les atteintes à l’intégrité physique et psychique des êtres humains, mais aussi des animaux et de la nature en général sont des problèmes évidents. Ces cas se produisent habituellement dans le contexte de la recherche médicale et en sciences naturelles. Cependant, ils ne sont pas limités à ces disciplines, et des domaines ayant des liens étroits avec les sciences humaines et les sciences sociales peuvent aussi se confronter avec de tels risques, surtout lorsqu’ils comportent des éléments expérimentaux ou de surveillance, comme en psychologie ou en criminologie. Dans un sens plus étendu de l’intégrité humaine, même la violation du droit à la vie privée, aussi bien que la calomnie et la diffamation peuvent être encadrées dans la même catégorie. Cela pourrait effectivement constituer un problème particulier dans les sciences humaines et dans les sciences sociales, où il peut y avoir des implications politiques de la recherche et des « prises de position ». Cela est généralement loué en tant que « transfert des résultats de la recherche vers la société », et des domaines comme les sciences politiques et le droit peuvent se confronter à des risques particuliers.

(ii) Dans la plupart de ces cas, toute atteinte puise sa racine dans la nature même du sujet académique et de sa méthodologie de recherche. Ici on ne peut pas donner de réponse en « noir ou blanc », et il est question d’un équilibre d’intérêts qui doit être établi en fonction de l’objet, de l’intensité et de la durée de l’atteinte, de la valeur académique et de la réussite prospective de la recherche, ainsi que de l’inévitabilité de l’atteinte, tout en tenant compte du fait que certains droits sont inaliénables même dans la lumière de projets de recherche bien intentionnés et significatifs.

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(iii) On devrait aussi faire attention aux défis au niveau de l’interface entre le monde académique et l’éthique sociétale, étant donné que ce point recèle une ligne de démarcation particulièrement sensible. Cette interface représente ces règles et acceptions qui gouvernent le statut de la libre citoyenneté et de la sécurité et la stabilité des sociétés. Les sciences sociales et humaines mettent justement en question les modèles existants de comportement social et institutionnel, et cela peut être facilement perçu comme de la subversion politique, voire même comme un évident plaidoyer en faveur de l’illégalité. Différents débats autour de la légitimité de la torture illustrent cette situation sensible ces derniers mois. La suppression de la recherche et de l’enseignement n’est pas limitée aux systèmes totalitaires, et les sociétés démocratiques ne sont point délestées de formes plus ou moins subtiles de censure au détriment d’opinions académiquement valides. De l’autre côté, il est très sensé d'empêcher les gens de détruire les assises de la civilisation, de la paix, de la liberté et de la prospérité au nom de la recherche et de l’enseignement. Le fait d’établir un équilibre entre les approches critiques et celles novatrices et l’oppression étatique ou médiatique est un problème per se, dont la gestion fait partie de la bonne gouvernance institutionnelle et des cadres légaux et culturels.

Les violations de l’égalité académique Enfin, les dangers éthiques au niveau académique peuvent inclure la violation de l’esprit académique et de la pratique de l’égalité. L’égalité dans ce contexte ne signifie pas l’identité de l’expertise, mais le fait de fournir un niveau égal de justice. Cet aspect comporte trois demandes éthiques concrètes:

i. Une compréhension académique de l’accès à l’enseignement supérieur et à la science comprend l’idée que l’admission doit être uniquement basée sur la capacité intellectuelle et la personnalité. Il ne peut pas être fonction des moyens, ni dépendant de tout possible privilège, de race, de classe, de religion, d’orientation politique, ou toute autre considération sans rapport aux facteurs académiques relevants.

ii. Les standards éthiques dans l’enseignement supérieur exigent qu'il y ait une équité au niveau des examens. Ceux-ci ne sont censés tester que des compétences, et point des moyens financiers ou d’autres atouts. On doit assurer des chances égales, ainsi que la transparence des attentes, des procédures d’examen et des critères de distribution des notes.

iii. L’ethos académique inclut la création et le maintien d’un style de discours spécifique. Ses critères seraient ceux d’agir d’une manière non discriminatoire et encourageante, de créer une atmosphère directe mais polie, avec un discours et une action basés sur la notion du partenariat entre êtres égaux en dignité et potentiel intellectuel.

Les défis éthiques pour la gouvernance La gouvernance des établissements d’enseignement supérieur et de recherche peut couvrir tous les aspects de la direction institutionnelle, à la fois les éléments technocratiques et ceux stratégiques de la gestion. Elle n’est pas uniquement un outil

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pour remédier ou prévenir les susmentionnés défis éthiques pour l’enseignement supérieur et la science, comme on pourrait le présupposer en prenant à la lettre le titre de ce chapitre. Plutôt, la gouvernance et ses structures posent en elles-mêmes des défis éthiques, c’est-à-dire des risques. Ceux-ci sont étroitement liés aux aléas généraux du pouvoir et de ses abus, mais aussi de son non-usage. L’échec au niveau de l’élaboration de politiques Pour commencer, la gouvernance est non-éthique si elle ne sert pas à prévenir et remédier les défis éthiques pour l’enseignement supérieur et la science mentionnés ci-dessus. Dans ce sens, une bonne gouvernance est censée prévoir l’élaboration de politiques planifiées en tant que renforcement des limites éthiques dans le cadre académique. Tout schéma ou pratique de la gouvernance académique qui n’arrive pas à procéder ainsi, ou qui n’essaie pas sérieusement de faire ainsi, est immoral, parce que le gaspillage de ressources est susceptible de servir de prétexte à ceux qui se trouvent au pouvoir pour l’utiliser dans leur propre intérêt au lieu de rendre service à l’établissement, à ses membres et au public général. L’échec au niveau de la responsabilisation La gouvernance est non-éthique si les dirigeants ne sont pas responsables vis-à-vis des membres de l’établissement. En employant ici le terme de « responsabilisation » et pas celui de « responsabilité », on cible certaines caractéristiques très fondamentales de la bonne gouvernance en tant que service pour la communauté: l’écoute consciencieuse, l’évaluation sérieuse des opinions et l’offre de réponses sérieuses dans un lapse de temps aussi court que possible. Les dirigeants chargés des affaires de gouvernance ne peuvent pas être distants; ils ne peuvent pas traiter les membres de l’établissement comme des simples objets des mesures administratives. En bref, il est non-éthique au niveau institutionnel de réagir de manière « kafkaïenne ». Un processus partagé et juste est un critère moral essentiel de la gouvernance; l’arrogance du pouvoir est inacceptable. L’échec au niveau de l’équilibrage des aspirations collectives et individuelles Enfin, la gouvernance peut se montrer immorale et non-éthique si elle ne s’efforce pas d’assurer un juste et sain équilibre entre les aspirations collectives et individuelles d’une institution. L’accomplissement de ce but est en grande partie une question d’éviter la répression et de créer un sens positif d’inclusion à travers le respect. Des cadres éthiques de gouvernance en tant que remèdes aux défis éthiques Toute analyse pertinente des cadres éthiques de la gouvernance implique un devoir de la gouvernance des établissements d'enseignement supérieur et de science d'établir des pratiques servant comme mesures préventives et comme remèdes aux défis éthiques possibles. Cette position est justifiée par la définition même de la bonne gouvernance, même d'un point de vue institutionnel égoïste: la bonne gouvernance est essentiellement cette partie de la direction institutionnelle qui concerne le développement stratégique et le bien-être d'un établissement. Et étant donné que le fait d’atteindre tout développement institutionnel positif dépend du soutien créé à

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travers la confiance entre les parties intéressées, les standards moraux et éthiques pratiqués et communiqués par l'établissement sont vitaux. Combiner la culture de la gouvernance et la gestion éthique La conception d’un cadre éthique pour la gouvernance de l’enseignement supérieur et la science doit se fonder sur l’idée qu’il y a une distinction entre la culture et la gestion dans la gouvernance de ces matières, tout comme il est le cas d’autres domaines de gouvernance, comme l’assurance de la qualité. La signification et l’importance Une « culture de l’éthique » représente un cadre mental, à la fois au niveau institutionnel et individuel: elle comprend l'ambition émotionnelle, la résolution mentale et la capacité intellectuelle de définir et préserver des limites éthiques pratiques. Ces éléments de gestion sont essentiels en vue de la réussite parce que le comportement éthique doit être assuré de manière proactive, ce qui ne peut pas être accompli seulement par un système technocratique de prévention, de supervision et d’intervention. Un tel système peut être décrit seulement en tant que gestion de l'éthique, et le fait d’assurer une telle gestion est essentiel, même s’il n’est pas suffisant. Certains pourraient être tentés par exemple à court-circuiter ou saboter des projets de la direction, y inclus par la délocalisation des activités douteuses de recherche vers un pays où les standards éthiques et juridiques sont plus cléments; une gestion lasse manquera d'empêcher ceci de se passer. L’étude des instruments On ne peut toucher ici que de manière succincte aux instruments utiles en vue de soutenir le développement d’une culture éthique. Ceux-ci consisteront en la communication des avantages d’un comportement éthique aussi bien qu'en la présentation de pratiques positives et de chemins vers les pratiques positives. L’établissement d’exemples à tous les niveaux, ainsi qu’au niveau supérieur de l'établissement, sera un bon moyen de créer une culture éthique. Une partie d’une telle culture est certainement la disponibilité de matériel tangible censé interpréter et appliquer l’éthique de la gestion, ce qui constitue la raison pour laquelle on doit présenter ici quelques éléments d’importance générale concernant les caractéristiques de la gestion.

En premier lieu, il n’y a pas de gestion sans objectifs et critères; cela est également vrai dans le contexte de l’éthique et de la gestion des défis éthiques. En outre, il est question ici de procédures correctes.

- Afin de traduire le besoin d'objectifs éthiques définis en des actions concrètes il doit y avoir une présentation de tous les défis éthiques mentionnés ci-dessus, ainsi qu’un signal clair que leur traitement constitue un objectif institutionnel. Evidemment, le vrai problème consiste en la définition des limites, surtout là où il y a un conflit de valeurs. Dans ces cas, la définition des objectifs comprend également la résolution du conflit par l’établissement d’un équilibre juste, transparent et gérable. Cela peut constituer un processus politique, mais afin de rendre l’éthique gérable il faut trouver quelques conclusions pratiques.

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- Développer des critères signifie rendre opérationnelles des questions « oui-ou-non » en définissant leur rôle dans le cadre d’un défi éthique donné. Dans le contexte du conflit de valeurs entre le savoir et la dignité humaine, un problème général dans la recherche clinique en médecine, il doit y avoir des critères comme l’ampleur de l’atteinte, le caractère évitable de l’atteinte, la valeur de recherche du projet, le rôle de l’information et de l’accord de la personne concernée, la protection des données, les procédures de suivi, les moyens de compensation, pour ne nommer que quelques-uns.

- En plus des objectifs et des critères, l’éthique de la gestion requiert la définition et l’application de processus pertinents. Les processus appliquent les critères donnés et arrivent à une décision rationnelle qui correspond aux objectifs éthiques. Afin d’arriver à cela on doit définir les promoteurs et les décideurs, on doit établir des lignes de communication, on doit développer des modalités d’observation des faits et de prise de décisions, etc. Tous ces éléments doivent être caractérisés par la transparence, l’impartialité et l’ouverture de l’esprit, afin d’être transposés en ce qu’on appelle habituellement « le processus final ».

Pour résumer tous ce qui a été mentionné au sujet des objectifs, des critères et des processus, la gestion d’une bonne gouvernance dans ce contexte est ce qui est généralement connu comme l’assurance du règne du droit. Le règne du droit comprend l’orientation des objectifs vers les valeurs, l'existence de critères substantiellement pertinents et d’un processus juste, transparent et réalisable qui assure la consistance d’un cas à l’autre; il comprend aussi un élément d’égalité dans l’application des règles. Un établissement d’enseignement supérieur ou de recherche doit respecter les règlements légaux externes établis par l’Etat ou le droit international, et dans plusieurs cas les questions d’éthique sont circonscrites par la législation et par les recommandations d’organisations comme les Conférences des recteurs. L’acceptation de ces cadres régulateurs rajoute un élément de respect démocratique.

L’éthique de la gestion, la gouvernance intacte et la prévention des risques Quelles sont certaines des approches adéquates pour gérer les défis présentés ici ? La gouvernance devrait comprendre des éléments censés assurer une « gouvernance intacte » ainsi que minimiser les risques concrets. Assurer une gouvernance intacte Afin d’assurer une gouvernance éthiquement intacte – le devoir d’une bonne gouvernance – on doit tenir compte d’un nombre d’aspects et d’instruments:

- La bonne gouvernance en matière d’éthique est une question de direction. Elle requiert une force de direction parce que celle-ci doit façonner des esprits et des croyances dans l’ensemble d’un établissement. Elle requiert aussi un processus d’instruction dans le cadre de l’établissement, qui est de gestion orientée selon la gouvernance. Enfin, la bonne gouvernance requiert une direction persistante afin d’effectuer efficacement le passage de la théorie de l’éthique à la bonne pratique de l’éthique.

- L’éthique de la direction et de la gouvernance requiert un discours pertinent. Concrètement, l’ethos de la bonne gouvernance requiert des systèmes efficaces de

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participation, de communication et de réponse. Cela est en partie une question de régulation transparente, mais aussi une de culture pratiquée.

- La gouvernance éthique doit préserver un équilibre entre les aspirations collectives et individuelles, en définissant l’interaction entre l’enseignement, l’instruction et la recherche individuels et l’accomplissement d’objectifs communs.

- L’individu a le droit de choisir de manière indépendante ses sujets de recherche et d’instruction, et les méthodologies appliquées. Celui ou celle-ci devrait également être libre de toute conclusion a priori dictée par la convenance politique ou la préférence institutionnelle, et libres de publier en l’absence de toute censure, avec une implication institutionnelle assurant une assistance technique et financière pertinente. Toutefois, toute prévision de ce type devrait être contrebalancée par une description des devoirs de l’individu pour garantir aux étudiants une expérience structurée de l’enseignement. Il est évident que ces intérêts opposés des établissements et des individus nécessitent beaucoup de travail d’adaptation; c’est toujours pour cette raison que ces matières ne sont pas uniquement soumises à la régulation mais doivent être intégrées dans une culture éthique.

- Enfin, mais pas en dernier lieu, il doit dépendre de la gouvernance éthique institut ionnelle de prévenir et/ou de remédier tous les défis éthiques concrets pour l’enseignement supérieur et la recherche dès la planification opérationnelle. L’échec de cette mesure équivaut à une violation importante de l’ethos de la bonne gouvernance en tant que tel. On verra en ce qui suit ce que cela implique, selon les cas.

Prévenir et remédier les dangers concrets

Une bonne gouvernance doit traiter non seulement les problèmes éthiques concrets présentés ici. Elle doit essayer, au moins aussi fort, de prévenir toute violation potentielle. Certains de ces instruments sont issus du cadre national et de l’expérience de l’auteur, censés être adaptés à la nature spécifique de l’établissement donné, à sa culture et son milieu juridique.

Il va de soi qu’il doit y avoir un schéma pour la prévention et la sanction de la corruption, incluant des formes subtiles, non monétaires, comme le népotisme. Dans la plupart des pays, le droit pénal et du travail contiendront des prévisions en ce sens, censées être accompagnées par des réglementations institutionnelles. On ne les traitera pas en détail ici parce qu’elles ne représentent pas une spécificité de l’enseignement supérieur et de la recherche; néanmoins, il y a un aspect de la bonne gouvernance qui est important dans le contexte de la corruption: une gouvernance intelligente doit s’efforcer de prévenir la corruption en assurant des revenus corrects. Il s’agit d’un mesure fondamentale de prévention afin d’exclure les raisons, ou au moins les excuses, pour l’offre ou l’acceptation de pourboires dans la société.

Pour ce qui est de la prévention des violations du principe académique concernant la poursuite et la dissémination du savoir, un code de pratiques positives pourrait définir les devoirs des chercheurs au sujet de la transparence et de la vérifiabilité. Un tel code devrait obliger les adhérents à rendre toutes leurs sources de recherche, qu’il s’agisse de leurs textes, expériences ou analyses, librement disponibles à tous les intéressés, au moment de la publication ainsi qu’à un moment ultérieur établi. Cela ne représente pas une attente injustifiée, car la recherche est censée être vérifiable de manière interpersonnelle, incluant l’opportunité de suivre le processus de recherche menant aux conclusions tirées. Un code de pratiques positives devrait également souligner des pas concrets relatifs à la conservation et la disponibilité des données

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expérimentales à partir desquelles dérivent certaines conclusions scientifiques. En outre, un code de pratiques positives doit prévoir que les chercheurs présentent leurs sources d’inspiration littéraires ou non-expérimentales. Le fait de suivre les points de vue des autres est clairement permis, car l’échange d’idées peut accroître le niveau de la recherche; cela n’inclut certainement pas le droit de déposséder les autres de leurs propres droits, et la réponse est d’utiliser un système pertinent de références.

Un tel code de pratiques positives, prévoyant des objectifs et des critères éthiques importants, devrait être appliqué par tout établissement d’enseignement supérieur et de recherche. Il devrait également contenir des prévisions concernant l’administration, et des sanctions en cas d’abus.

La bonne gouvernance devrait assurer une composition variée du corps de recherche, afin de prévenir la distorsion de l’enseignement par des idéologies ou croyances spécifiques; elle devrait aussi soutenir le droit à l’expression d’opinions différentes. Il doit y avoir un schéma de traitement des complaintes censé répondre à toute atteinte au droit d’un chercheur de tirer ses propres conclusions de recherche; évidemment, un tel schéma doit aussi permettre le maintien des opportunités de carrière de ceux qui choisissent de déposer des plaintes.

Lorsqu’on parle du devoir des étudiants de s’abstenir de tricher, on doit avoir l’idée éthique claire qu’une telle action est injuste envers les autres étudiants et les futurs employeurs, et fondamentalement immorale en tant qu’abus de confiance. La bonne gouvernance met cette idée en action en fournissant des règles pour gérer de tels cas, et elle poursuit leur application.

Pour ce qui est des défis éthiques pour la dignité humaine dans un sens étendu, pour le bien-être des animaux et pour la protection de l’environnement, la bonne gouvernance devrait évaluer l’admissibilité des projets de recherche. Une commission interne devrait être créée à ce but, évaluant la recherche éthiquement sensible avec l’idée claire que toute recherche de ce genre est interdite faute de potentielle permission. Toute commission de ce type doit adhérer strictement au principe du règne du droit et à la nécessité d’un processus final et de critères claires d’admissibilité.

Les problèmes de ces schémas dérivent de leurs limitations concernant la libre recherche. Ce droit à la libre recherche ne devrait être inhibé que si l’intérêt public le demande, et l’équilibrage dépend des faits et des critères établis. L’accomplissement de ce but résulterait par exemple en le droit de la commission d’établir des réglementations détaillées pour un projet, tout en lui permettant de progresser, en principe. Cependant, pour ce qui est des questions d’harmonie sociale et de stabilité étatique la question est plus délicate. Ici, la ligne de démarcation entre les limites saines et la censure patente est plutôt vague, et les décisions devraient être généreuses et favoriser la liberté de l’expression. Une telle décision devrait revenir à l’établissement et des collègues, assurant que le choix n’est pas fait par les autorités cherchant à détourner le processus pour servir leurs propres fins.

Enfin, lorsqu’on analyse des violations du principe de l’égalité académique il y a un nombre d’instruments de coordination de la bonne gouvernance qui viennent à l’esprit. Premièrement, il doit y avoir une série de règles traitant de l’admission dans les établissements d’enseignement supérieur et de recherche et des éléments ou étapes spécifiques d’un programme d’études donné. Ces règles doivent définir les critères de la qualité académique et doivent être transparents à tous ceux qui sont concernés, y inclus dans le cas des appels. Une bonne gouvernance assurera un cadre légal ainsi qu’un processus consultatif entre les administrateurs et les universitaires.

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Ces directives contre la corruption et le népotisme s’appliquent à la fois à l’admission d’étudiants et au recrutement de personnel. L’existence de procédures correctes est vitale pour la sélection du personnel, et les postes vacants doivent être occupés seulement à la suite d’une annonce publique et d’un cycle de recrutement pertinent. Les parties externes devraient être intégrées et consultées dans le processus de sélection, et les candidats internes requièrent une attention et une justification supplémentaire.

Des règles similaires sont en principe applicables au niveau des examens. Une bonne gouvernance assure que l’admission, les examens et les notes soient rendus transparents, et dans ce contexte les examens oraux nécessitent une attention particulière. Les notes devraient être accompagnées par une justification attaquable par appel. En général, il faudrait mettre en place des instruments censés guider l’ensemble du processus d’évaluation.

Enfin, il peut y avoir des instruments simples censés encourager un esprit de confiance. Par exemple, tout établissement devrait avoir une règle stipulant que toute application ou question par écrit doit obtenir une réponse dans les quatre semaines au plus, ou dans le cas contraire les raisons du délai doivent être communiquées au demandeur. Des lignes de communication doivent être établies dans toutes les directions, puisque la transparence et le respect sont les soutiens fondamentaux de la dignité humaine dans le cadre des établissements administratifs. Conclusion A la fin de toute présentation il y a une tendance à résumer, mais je m’abstiendrai de procéder de même. La conclusion d’une présentation sur le cadre éthique de a gouvernance doit rappeler au public le fait que toute théorie sur ce sujet n’est qu’un appel à une pratique positive, comme par exemple à l’implémentation de l’éthique à travers l’application pratique de principes moraux. Il y a environ cent ans, l’humoriste allemand Wilhelm Busch a résumé l’essence de la moralité en une seule ligne, qui est un vers: « Es gibt nichts Gutes ausser man tut es ». La traduction approximative serait: « Il n’y a point de bien tant qu’on ne s’y met pas ». La bonne gouvernance est, par définition, la direction vers un meilleur avenir.

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Pour une culture mondiale de la paix: la transmission et les dimensions éthiques FEDERICO MAYOR L’auteur considère dans cet article les limites éthiques du savoir, les inhérents défis du développement des cadres éthiques et légaux, et certains des moments importants d’un point de vue éthique du dernier demi-siècle. Les conséquences pour l’enseignement supérieur dans le contexte de la mondialisation sont également examinées, tout comme certaines des nouvelles demandes de l’économie et de la société du savoir. Le savoir et ses données éthiques La première et la plus importante chose à prendre en considération lorsqu’on parle du rapport entre le savoir et l’éthique est la distinction entre ce qui est faisable et ce qui est admissible. Le savoir est toujours positif, mais n’oublions pas que son application peut être négative et même perverse.

La science a été mal employée à plusieurs occasions. Cependant, le mauvais emploi du pouvoir résultant de son acquisition immodérée a été beaucoup plus destructeur. On témoigne aujourd’hui d’une gouvernance mondiale fondée sur les muscles, sur la force, sur l’imposition; le système des Nations Unies a été marginalisé, laissant la place à des « assassinats sélectifs », au suicide terroriste, aux « guerres préventives », et ainsi de suite. La concentration du pouvoir dans quelques mains – y compris dans les médias - mène de plus en plus à un accroissement de la confusion et de la peur. Ceux-ci constituent des sombres points de départ pour nos discussions.

Le monde académique, la communauté scientifique, les intellectuels, les artistes, les écrivains… ceux-ci ont une responsabilité urgente de solidarité morale afin de « … construire la paix dans les esprits des hommes », comme il est affirmé si brillamment dans le Préambule de la Constitution de l’UNESCO. Et afin de construire une paix fondée sur la Justice, la Liberté et l’Egalité – ce qui est également énoncé dans la Constitution de l’UNESCO -, le savoir est indispensable. Notre réalité ne peut pas être transformée si elle n’est pas connue en profondeur. Par exemple, lorsqu’on traite des défis du développement en Afrique, à qui est-ce que l'Afrique appartient? Lorsqu’on traite du multiculturalisme, qui décide de l’uniformité des mass médias et de la mode pour les jeunes? Qui décide d’accélérer l’économie de la guerre ou les missions spatiales, quand des milliers de personnes meurent tous les jours de faim, de manque d'eau et de maladies traitables?

C’est ma croyance que nous vivons aujourd'hui non seulement avec des problèmes plus anciens ou plus récents, mais que nous sommes aussi confrontés à de nouveaux dangers et abus. Mais encore, le problème, dans mon acception, est celui d’une relative impunité au niveau supranational, pour les corporations colossales, pour les paradis fiscaux, et pour le trafic de toutes sortes – y inclus d’êtres humains. Cela est essentiellement dû à l'inexistence d'une structure éthique et juridique internationale suffisante, respectée et soutenue par tous. Le rêve de Franklin D. Roosevelt demeure toujours un rêve: « Nous, les peuples, avons décidé de sauver les générations suivantes du fléau de la guerre ».

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La mémoire du passé et la mémoire de l’avenir La référence essentielle que nous devons porter dans nos esprits est l’avenir, le monde de demain. Au cours du temps il y a eu certaines lignes directrices d'action qu'on pourrait appeler des « moments importants d’un point de vue éthique »:

- 1948: La Déclaration universelle des droits de l’homme.

- 1974: Le « cri » d’Asilomar9 de Paul Berg10.

- 1988: Génétique et gén-éthique – l’idée des modifications des, et des modifications dans, les êtres humains.

- 1993: Le langage de la vie humaine – le génome humain a été décodé, suivi par des événements importants. Par exemple, les préoccupations liées à HUGO, la création d'un Comité international de la bioéthique et les accords généraux sur les implications éthiques de l’ingénierie génétique et le clonage. Une Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l'homme a été approuvée à l'unanimité par la Conférence générale de l'UNESCO en novembre 1997, et par l’Assemblée générale de l’ONU une année plus tard. Le clonage génétique dans le but de la reproduction humaine a été interdit.

- 1995: Les accords sur le développement social du Sommet de Copenhague, et la Déclaration de l'UNESCO sur la tolérance.

- 1996: La Charte de la Terre, un abrégé d’initiatives d’action du Sommet de la Terre (Rio, 1992) et de la Culture de la paix.

- 1998: La Déclaration de la Conférence mondiale de l’UNESCO sur l’enseignement supérieur, tenue a Paris.

- 1999: La Déclaration et le Programme d’action pour une Culture de la paix de l’Assemblée générale de l’ONU.

- 1999 et après: Des débats en cours, organisés par des groupes interdisciplinaires permanents, autour des implications de la recherche sur les cellules indifférenciées et sur des questions apparentées.

J'aimerais attirer votre attention sur le fait qu'une des responsabilités morales de la communauté académique est d’interagir avec les Parlements et les corps législatifs similaires afin d’incorporer ces déclarations et directives dans leur législation nationale. La même obligation s’étend sur nos rapports avec les médias et le public en général. L’enseignement supérieur – son potentiel, sa responsabilité et sa réforme Au lieu du renforcement attendu du système des Nations Unies à la fin de la Guerre Froide, les pays les plus avancés ont décidé de prendre la gouvernance mondiale dans 9 La Conférence d’Asilomar avait requis et a finalement obtenu la restriction de certaines expériences génétiques. 10 Paul Berg (n. 1926), affilié à l’Université de Stanford, Stanford CA, Etats-Unis, est considéré le père de l’ingénierie génétique. Lauréat du Prix Nobel en chimie (1980), il a été la première personne à fabriquer une hormone humaine à partir d’un virus combiné à des gènes d’un chromosome bactérial. Plus de détails sont disponibles à l’adresse: <http://www.ascb.org/profiles/9610.html>.

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leurs propres mains à travers des organisations comme le G-7/G-8. Lorsque la société civile internationale a attendu bénéficier de « dividendes de la paix » et de fonds promis pour le développement endogène, aucun n’a été dispensé. Il y a eu des prêts, accordés en fonction d’un mécanisme draconien d’ajustement structurel, mais ceux-ci n’ont fait qu’élargir encore plus le gouffre entre riches et pauvres. Il n'était plus question d’idéaux ou d’idéologies; à travers les lois du marché, la gouvernance mondiale est devenue une ploutocratie, au lieu d'une démocratie guidée par des valeurs et des principes sociaux. Cela est partout vrai, et en mai 1996 un des dirigeants du monde a reconnu que « ... La solution est non seulement l’économie de marché, mais la société de marché et la démocratie de marché »!

Dans un tel contexte, le rôle consultatif et prospectif des universités et des établissements scientifiques devient plus pertinent que jamais. Ils doivent rendre conscients les Parlements, les conseils locaux, etc., de problèmes de plus en plus spécifiques: l'épuisement de la couche d'ozone, la maladie de la vache folle, le SARS, le SIDA. L'anticipation représente la plus grande victoire, par laquelle le savoir mène à la prévoyance et la prévoyance mène à la prévention. À l'aube du Troisième millénaire, les actions prospectives et préventives des universités sont nécessaires plus que jamais.

Néanmoins, afin de pouvoir accomplir ces fonctions, les universités et les autres établissements d’enseignement supérieur et de recherche doivent se réformer pour avoir: - Une vision de plus en plus mondiale; - Une approche interdisciplinaire censée traiter des problèmes complexes; - Une approche à long terme, qui tiendrait compte en permanence des générations

futures et qui permettrait des mesures anticipatoires; - Une éthique du temps, c’est-à-dire des actions qui s’inscrivent dans le temps et sont

considérées dans le cadre de phénomènes potentiellement irréversibles.

L'économie basée sur le savoir peut contrecarrer la délocalisation de compétences et de brevets, mais elle dépend toutefois de manière essentielle de la promotion de la recherche fondamentale et de créativité. Cela est fonction de la capacité des universités de devenir des formateurs de citoyens mondiaux, capables de participer et d’exprimer entièrement leurs opinions dans le cadre de la société civile internationale. L'économie du savoir dépend des établissements d'enseignement supérieur dans leur capacité de constructeurs de la démocratie, raffinant des acteurs non seulement économiques mais aussi sociaux. Finalement, les établissements d'enseignement supérieur et de science ont le potentiel de former des citoyens bénéficiant d’une perspective internationale, capables de se mobiliser eux-mêmes ainsi que beaucoup d’autres, capables de joindre leurs mains et leurs voix, capable d'être écoutés et même entendus.

Les universités ont la capacité de devenir des tours d’aguets permanentes censés annoncer, résoudre ou éviter des atteintes à la dignité humaine. Elles sont capables d'influencer l'opinion mondiale, de s’écrier et de s’ériger en voix pour tous ceux qui n’en ont pas une. Il va sans dire cependant qu’il ne peut y avoir d’excellence dans les universités en l’absence d’enseignants excellents. Cela constitue un premier problème à résoudre, à savoir l'incorporation d’enseignants et d’étudiants dans l’enseignement supérieur, comme il est établi par l’Article 26.3 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, … selon le mérite (notre accentuation). Il n'y a pas d’excuses: la spécification « selon le mérite » est une mention claire et simple. Les fonctions

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universitaires, par exemple, ne doivent être obtenues qu’après une démonstration claire du mérite. La compétitivité des universités aura inévitablement à souffrir du fait de l’existence de mécanismes démodés d'incorporation et de promotion du personnel, si ceux-ci manquent d’être reconsidérés à la lumière des tendances actuelles.

De l’autre côté, les étudiants des systèmes d'enseignement supérieur doivent être conscients de leurs propres droits et responsabilités, et éviter de prendre comme allant de soi la liberté, la paix, l’accès à l’eau et aux équipements médicaux… L'éthique implique un devoir de mémoire et de comparaison: d’être conscient et dévoué par rapport à tous les autres êtres humains de son époque, ainsi qu’à l'amélioration de leurs conditions de vie. Un monde meilleur est possible Dans un ouvrage intitulé Un monde nouveau, (Mayor, 1999), j’ai souligné la nécessité pressante de créer quatre nouveaux « contrats »: - Un nouveau contrat social; - Un nouveau contrat environnemental; - Un nouveau contrat culturel, et - Un nouveau contrat moral.

Ceux-ci pourraient mener par exemple à un Plan mondial pour le développement endogène; ils pourraient mener à une transition d'une culture de la force, de l’imposition et de la violence vers une culture de la compréhension, du dialogue, de la conciliation. Comme il est énoncé dans la Déclaration de l’Assemblée générale des Nations Unies de 1999, ces buts peuvent être atteints à travers l’éducation, la liberté d'expression, à travers l’égalité des genres, à travers le respect des droits de l'homme, et à travers le partage du savoir. Dans mon opinion, le monde d’aujourd’hui n’est malheureusement pas mondialisé; c'est précisément le défi que nous avons devant nous. Un autre monde est possible, un monde basé sur l’amour, l’altérité et la fraternité; un monde dirigé en fonction des valeurs universelles et non en fonction des intérêts égoïstes des acteurs du marché. Dans ce monde nous pourrons réduire les décalages économiques actuels, traiter le phénomène de l'exclusion sociale, et examiner les racines de nos propres sentiments de frustration et d’abandon.

Nous poursuivons notre route vers une économie basée sur le savoir non seulement à cause de ses avantages pour le commerce et la productivité, mais aussi à cause de ses principes éthiques et de sa meilleure distribution des marchandises - y compris du savoir. Le système d’enseignement pour une citoyenneté mondiale doit avoir une vision mondiale et une responsabilité mondiale. Tout être humain est capable de créer, d’inventer, d’être libre et de façonner sa propre vie. Comme Virgile l’a écrit, « Ils peuvent parce qu'ils pensent qu'ils peuvent », et les universités peuvent aussi. Elles peuvent si elles osent, si elles ne restent pas silencieuses. Elles peuvent si elles expriment leurs idées contre le vent.

Oser savoir! Savoir oser! « Partager et oser », ceux-ci sont les piliers fondamentaux de l’éthique et finalement d’une culture de la paix. Référence MAYOR, Federico. Un monde nouveau. Paris: Editions Odile Jacob, 1999, 530pp.

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L’éthique et la culture de la paix ABDELWAHAB HECHICHE Dans le présent article on examine quelques nouveaux défis aux conceptions présentes sur l’identité locale et nationale dans le contexte de l’enseignement supérieur. On y réaffirme le rôle de l’éthique, particulièrement en vertu du fait que celle-ci présente une tendance nécessaire vers la tolérance, la réconciliation et le dialogue entre des personnes aux vues différentes ou opposées. Alors que nous essayons de comprendre les nouvelles tendances culturelles transnationales, la composante éthique de l’enseignement – et particulièrement l’éducation pour la paix – est d’autant plus importante. Introduction Dans une publication récente, Bruce Macfarlane (2003, p. 1) traite de la complexité croissante de l’enseignement supérieur, surtout en ce qui concerne la nature changeante de l’enseignement supérieur moderne et son impact significatif sur les défis éthiques auxquels se confrontent les universitaires. Du fait que l’éthique signifie s’attaquer à des situations complexes et à des choix difficiles, Macfarlane observe un « … vide pédagogique en train de s’étendre entre la littérature technique naissante sur l’enseignement et l’apprentissage dans l’enseignement supérieur, et les ouvrages et les articles traitant du contexte social, politique, économique et éthique plus large de l’enseignement supérieur » (Macfarlane, 2003, p. 3). A cause de cette tendance, il redoute que « ce phénomène cause le danger d’un divorce entre l’éthique et le développement éducationnel et professionnel des enseignants universitaires » (Ibid.). Naturellement, comme de nombreux autres spécialistes, Macfarlane prend en compte ce que Peter Scott appelle la « massification » de l’enseignement supérieur (Scott, 1995; Macfarlane, 2003).

Cependant, l’enseignement de masse n’est pas nécessairement quelque chose de nouveau puisqu’il est associé à des facteurs démographiques et à d’autres facteurs socio-économiques. Selon Deborah Reed-Danahay, dans l’approche de John Meyer, John Boli, Francisco Ramirez et d’autres de « l’éducation de masse et la culture globale », il est affirmé qu’un modèle d’éducation de « culture globale » est né en Europe avec l’Illuminisme et que celui-ci n’a pas cessé depuis de s’étendre à travers le globe (Reed-Danahay, 2003, p. 202). Plus précisément, selon ces mêmes auteurs, l’enseignement de masse obligatoire « … est lié à la montée de l’Etat nation et son rôle était de créer des citoyens modernes dans ces entités géopolitiques. » (Ibid.). A travers cette évolution de l’enseignement, les « masses transnationales » ont été transformées en citoyens nationaux. Ironiquement, avec le progrès présent et régulier de l’unification européenne, les citoyens nationaux d’aujourd’hui sont encouragés à se transformer à nouveau en « citoyens européens », transnationaux. (Id.). Dans l’ensemble, l’enseignement supérieur se trouve confronté à de nouveaux défis par rapport aux conceptions présentes sur l’identité locale et nationale. Cela est d’autant plus critique que les spécialistes et les amateurs s’effo rcent toujours à comprendre les nouvelles tendances culturelles transnationales. Comme l’affirmait Hannerz, « Il existe maintenant une culture mondiale, mais nous devons bien comprendre ce que cela signifie : il ne s’agit pas d’une réplique de l’uniformité, mais de l’organisation de la diversité » (Hannerz, 1996, p. 102, cité par Reed-Danahay, p. 202).

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Dans une introduction éloquente mais objective à son ouvrage Danse, dialogue et paix, Haim Gordon offre une approche qu’il considère « … pertinente par rapport aux problèmes causés par la division de la race humaine en de nombreux groupes, qui se sont aliénés les uns par rapport aux autres, ne se faisant pas confiance et se confrontant de manière non pacifique à cause de leurs différences ethniques, culturelles et religieuses » (Gordon, 1986, p. ix). Plus particulièrement, l’approche unique de Gordon porte sur le cœur des questions politiques :

Pour les gens qui vivent dans des groupes sociaux et éthiques qui se trouvent en conflit les uns avec les autres, l’activité politique peut améliorer ou au contraire, aggraver le cadre de leur vie … Par conséquent, la question devient critique lorsque le cadre propage la séparation et cristallise cette séparation au lieu de l'atténuer (Gordon, 1986, p. x).

L’approche conceptuelle L’éthique est une tentative de s’approcher au plus près de l’atteinte ou de l’accomplissement d’une idée, à savoir de l’idée positive de l’existence. En pensant et en agissant selon l’éthique, l’individu se transforme en témoin de ce qui dis tingue de manière positive les êtres humains : l’aspiration à la dignité (Coicaud et Warner, 2001, p. 1-2). Jean-Marc Coicaud et Daniel Warner ajoutent à cette définition un effort vers la réconciliation avec soi-même, avec les autres et le monde entier. Pour ces deux auteurs,

L’éthique ne concerne pas le soi isolé … Fondamentalement, l’éthique est une qualité sociale. Elle vise à intégrer l’existence et le destin des autres dans notre vision du soi … L’éthique rend impératif pour chacun de nous de sentir que notre identité est aussi définie par notre relation avec les autres … (Coicaud et Warner, 2001, p. 1-2).

S’agissant essentiellement d’un acte de conscience et de sociabilité, l’éthique conduit à une interaction constante qui peut causer à l’occasion des conflits entre les droits et les devoirs. D’où l’émergence d’un système d’interactions éthiques motivées par le besoin ou la nécessité de réciprocité (Ibid.). La même idée se trouve au centre de Teaching with Integrity (2004) [Enseigner avec intégrité] de Macfarlane, où il indique la nécessité d’équilibre entre liberté et responsabilité. Cette approche met en évidence la différence entre moralité et éthique, la dernière classifiant le bien et le mal à travers des règles de réciprocité dans les relations humaines. Cela est d’autant plus nécessaire que la moralité peut, quelquefois être intolérante du fait des jugements absolus; l’éthique peut avoir tendance à apprécier la tolérance, à favoriser la réconciliation et à conduire les gens ayant des vues différentes ou opposées au dialogue. L’éthique, les droits et la culture de la paix Dans son éloquente introduction à The Age of Human Rights [L’age des droits des hommes], Norberto Bobbio écrivait:

La reconnaissance et la protection des droits des hommes représente la base des constitutions démocratiques modernes. … Les droits des hommes, la démocratie et la paix sont trois composantes essentielles du même mouvement historique : si les droits des hommes n’étaient pas

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reconnus et protégés, il n’existerait pas de démocratie et sans démocratie, les conditions minimes pour régler de manière pacifique les conflits n’existerait pas (Bobbio, 1996, p. 1).

Lorsqu’il se réfère à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, Bobbio explique comment l’accent est passé du domaine d’Etat à une « loi cosmopolite », expression utilisée par Kant. La même idée est partagée par Antonio Cassese qui affirme que la Déclaration soutien l’émergence de l’individu dans un nouvel espace conceptuel, même si cette présence reste faible et incertaine. Sans s’arrêter à la nature embryonnaire de cette émancipation, le processus déclanché est irréversible et l’on devrait le fêter (Cassese, 1998, p. 143; voir aussi la note 6 de Bobbio, 1996, p. x). A cette série de nouveaux droits, considérés comme faisant partie de la deuxième génération de droits, Bobbio ajoute une troisième génération de droits : même si se trouvant à l’état embryonnaire, l’écologie a gagné une extraordinaire puissance idéologique. Bobbio se trouve aussi parmi les premiers à remarquer l’émergence d’une quatrième génération de droits concernant les résultats troublants mais prometteurs de la recherche biogénétique concernant la manipulation potentielle de l’identité individuelle. Une autre idée importante exprimée par Bobbio concerne la différence entre la loi romaine et celle anglo-saxonne et plus particulièrement entre les droits moraux versus les droits légaux. Le rôle de l’enseignement supérieur Avec une conscience accrue du fait que la globalisation pénètre de manière irrésistible leurs vies, les enseignants ont commencé à se demander « est-ce qu’il existe une ou plusieurs cultures globales de l’enseignement? Est-ce que les systèmes d’enseignement à travers le monde différent de leurs sources originelles européennes ou bien convergent- ils vers un seul modèle ? (Anderson-Levitt, 2003, p. 1) Voici la manière dont Kathryn Anderson-Levitt introduit un dialogue entre deux perspectives très différentes sur la scolarité à travers le monde :

D’une part, les anthropologues et de nombreux chercheurs dans le domaine de l’enseignement comparatif soulignent les variations nationales et, à part elles, les variations d’une région à l’autre et d’une classe à l’autre. De ce point de vue, les près de 200 systèmes nationaux d’enseignement du monde représentent quelques 200 types de cultures de scolarité différentes et divergentes. D’autre part, les « institutionnalistes » de la sociologie, ou les théoriciens de la culture mondiale affirment que non seulement le modèle de l’enseignement moderne de masse s’est répandu à partir d’une source commune, mais que les établissements d’enseignement à travers le monde deviennent de plus en plus similaires avec le temps. Selon la théorie de la culture mondiale, plutôt que divergents, les établissements d’enseignement convergent vers un seul modèle global (Anderson-Levitt, 2003, p. 1).

Le même auteur ajoute: Entre-temps, pour les enseignants qui se préoccupent des problèmes pratiques immédiats, la question d’une culture globale de la scolarité peut avoir des conséquences pratiques critiques : les réformateurs de l’enseignement, feraient-ils mieux de soutenir la politique de la Banque

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Mondiale et de l’UNESCO, ou bien de travailler directement avec les enseignants dans les établissements d’enseignement locaux ? Est-ce que les enseignants locaux peuvent espérer de changer les établissements d’enseignement pour les adapter aux besoins locaux, ou bien sont-ils tenus de respecter un modèle global, qu’ils peuvent ou qu’ils ne peuvent pas percevoir ? (Anderson-Levitt, 2003, p. 2).

Reconnaître l’importance de la culture est une chose; en déduire qu’elle faciliterait une culture de la paix en est une autre. Dans certains cas, on peut même redouter le contraire, étant donné la spécificité ou la rigidité de certains concepts culturels. Pour Gilbert Rist les échecs dans le développement peuvent être causés par la diversité des logiques culturelles. Il explique : « la critique épistémologique montre que la connaissance qu’une personne a d’une autre est liée à une pratique : cela-ci peut conduire soit à un sociocentrisme et à l’impérialisme, soit à une remise en cause de soi… » (Rist, 1994, p. 20-22). Rist recommande d’arrêter d’attribuer la même valeur universelle à des concepts culturels précis11, et propose une approche plus modeste : « Essayer une coopération cohérente, une coopération dans le cadre du dialogue, adaptée aux réalités culturelles des partenaires » (Rist, 1994, p. 93). Ainsi, on peut déjà imaginer la tâche à entreprendre non seulement pour une culture globale, mais, de manière plus ambitieuse, pour une culture globale de la paix ! D’autre part, devrait-on nous sentir empêchés par de tels défis ? En ce qui concerne ce choix, l’ancien Directeur Général de l’UNESCO, M. Federico Mayor a déclaré solenne llement :

Nous partageons tous le même destin … nous devons assumer nos devoirs envers nous-mêmes et envers les générations futures à travers une réconciliation avec nous-mêmes et avec la nature, tout en gardant vive la mémoire du futur, l’amour du passé et les impératifs du présent. Moins d’égoïsme et moins de solidarité, moins de fanatisme et plus de dialogue, moins de violence et plus de sécurité, moins de pauvreté et plus de justice sociale, moins de retranchement vers soi et plus d’ouverture vers la coopération avec les autres, moins d’usines d’armes et plus d’écoles, tels sont parmi d’autres, les objectifs que nous nous sommes fixé pour nous-mêmes (Mayor, 1999, p. 9).

L’enseignement pratique: études sur la paix ou enseignement pour la paix ? Lors d’un colloque sur le système mondial et l’idée d’un Nouvel Ordre Mondial, M. Hassan Fodha, Directeur du Centre d’Information des Nations Unies à Paris parlait d’un nombre important de lettres qui lui ont été adressées par des citoyens français étonnés par les contradictions entre les idéaux et les règles de la Charte des Nations Unies d’une part, et le nombre important de tragédies et d’expériences douloureuses pour l’humanité, d’autre part. M. Fodha a rappelé à son public que l’idée d’un nouvel ordre mondial n’était pas nouvelle et qu’elle a été proposé par les NU en 1974 dans le cadre d’une discussion sur un Nouvel Ordre Economique International. A l’époque, les NU ont demandé la mise en place d’un ordre mondial fondé sur « …l’équité, l’égalité souveraine, l'indépendance et la correction des injustices et des inégalités

11 Penser aux débats théologiques et moraux déclanchés par la décapitation d’un citoyen américain, M. Paul Johnson, en Arabie Saoudite en juin 2004.

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présentes ». Ce nouvel ordre introduit par la Résolution 3201 de l’Assemblée Générale ne s’est pas matérialisé (Fodha, 1992). Naturellement, le concept de nouvel ordre international ne prend de sens que si les gens reçoivent une éducation spéciale et une formation pour rejeter totalement l’utilisation de la force. C’est seulement alors que l’on peut espérer de manière réaliste à établir une communauté mondiale multiculturelle, multiraciale et multireligieuse nourrie par les meilleures valeurs de la cohabitation pacifique et de la tolérance inconditionnelle. Certains enseignants ont dévoué leur pensée créative à cet effet ces soixante dernières années. On considère Manchester College de l’Indiana, Etats-Unis, comme le premier à offrir un Programme d’enseignement de la paix en 1948 (Weigert, 1999). Mais là aussi la terminologie laisse de la place à une variété de définitions et d’interprétations : le mot « paix » non seulement comporte de nombreuses définitions et connotations, mais l’« enseignement pour la paix » elle-même signifie beaucoup de choses différentes, même pour ceux qui s’identifient comme enseignant la paix. Betty Reardon pense qu’« il serait présomptueux de définir de manière spécifique un domaine qui se trouve au début de ce qu’il pourrait devenir » (Reardon, 1998). Ce qui compte le plus pour ce spécialiste c’est la nécessité de répondre à des buts pédagogiques et à des objectifs politiques :

Nous devons aller au-delà de l’objectif innovateur qui est la préparation de politiques non violentes et investiguer les causes profondes des conditions violentes auxquelles nous sommes confrontés, afin de pouvoir déterminer la manière dont on peut utiliser l’éducation pour interrompre le cycle de la violence toujours croissante … » (Reardon, 1998, p. ix-x).

Pour les spécialistes de la nouvelle discipline, le principal objectif est de comprendre la paix et la violence pour que les citoyens soient bien préparés à contribuer à créer un monde meilleur. En insistant sur des éléments fondamentaux tels que l’« humanisation » et la « personnalisation » de l’enseignement pour la paix, Robin J. Crews fait de la « connectivité » le point central de son approche (Crews, 1999, p. 23). Cette opinion aide et justifie l’Appel de la Haye et les efforts de l’UNESCO qui y sont reliés pour renouveler le soutien à l’enseignement pour la paix systématique à tous les niveaux. L’étique de l’enseignement et la globalisation de la paix

N’existe-t-il pas une conviction croissante, plus évidente que jamais parmi de nombreux gens que la mort de personnes – avec lesquelles nous n’avons rien en commun– qu’il s’agisse de liens raciaux, linguistiques ou religieux … nous concerne ? (Alphonso Lingis, 1994).

Les conséquences des remarques exprimées ci-dessus sur les développements éthiques dans le contexte des droits, de la culture et de l’éducation concernent principalement la profession d’enseignant. L’éthique de l’enseignement concerne les dilemmes moraux quotidiens que conna issent les enseignants universitaires qui « gèrent les relations avec les étudiants et avec les autres enseignants ». Cependant, au-delà des exigences de la fiche du poste, « …il s’agit de faire face à une réalité beaucoup plus complexe : faciliter la discussion dans le cadre d’une classe, répondre aux évaluations des étudiants concernant l’enseignement, investiguer lorsqu’un étudiant est suspect de

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tricher, présider des réunions difficiles, résoudre les plaintes concernant les collègues… » (Macfarlane, 2003, p. 1). Cette opinion de Macfarlane reflète la nature changeante de l’enseignement supérieur moderne et son « … impact significatif sur les défis moraux auxquels se confrontent les universitaires » (Ibid.). Le mérite de l’approche de Macfarlane réside en la distinction qu’il opère entre « des solutions standard confortables » et les « choix difficiles » impératifs du point de vue éthique. Il est très important de se souvenir du fait que la Constitution de l’UNESCO proclame que « … les guerres prennent naissance dans l’esprit des hommes » et que « … c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix ». Comme exemple concret de coopération entre l’UNESCO et d’autres institutions, on peut mentionner le Manuel pour l’enseignement relatif à la résolution des conflits, aux droits de l’homme, à la paix, et à la démocratie. Cette publication très intéressante et utile a été réalisée en coopération avec l’Association internationale de recherche sur la paix (IPRA), prenant le Liban pour l’étude de cas. En se référant aux différentes significations du mot « paix » dans différentes langues, les auteurs affirment : La paix pour laquelle nous militons n’a pas de frontières. C’est une aspiration commune de tous les êtres humains qui désirent pour les autres ce qu’ils désirent pour eux-mêmes. C’est une préoccupation universelle, non pas nationale. La paix implique un sentiment profond d’empathie et de compassion prescrit par toutes les religions. Elle demande un effort constant pour promouvoir des relations économiques et culturelles équitables parmi les membres de la même société et parmi les Etats. Elle refuse à la puissance le rôle d’arbitre suprême des relations humaines (IPRA, 1995, p. 50). Pour réaliser un tel environnement social, politique, économique et culturel, les promoteurs de ce projet considèrent l’éducation, la communication et la coopération comme les trois instruments majeurs du changement. En ce qui concerne l’éducation, ils déclarent :

L’éducation est un facteur de transformation. L’adoption ou l’adaptation de certains programmes d’enseignement peuvent accélérer le passage d’une société de l’état de guerre à celui de la paix. L’enseignement pour la paix ne fait pas tabula rasa sur le passé, mais elle n’est pas non plus son otage. (IPRA, 1995, p. 50).

Conclusion Il est difficile de ne pas être d’accord avec Macfarlane lorsqu’il nous rappelle le besoin de partager le fardeau de l’éthique dans l’enseignement avec les autres, y compris avec les étudiants. Cela est d’autant plus nécessaire que nous observons un « … déplacement de l’équilibre des forces dans les relations d’enseignement » et que « les étudiants traduisent les valeurs du consumérisme dans leurs attentes par rapports à l’enseignement universitaire ». Avec cette nouvelle perception, l’université devient juste une autre pièce du magasin de la vie de consommation moderne (Macfarlane, 2003, p. 144). Certaine de ces idées mérite une attention particulière du fait de l’impact éthique des nouveaux environnements technologiques, sociaux, économiques, culturels et même religieux d’une classe :

La disponibilité des nouvelles technologies pour l’enseignement suppose une volonté d’innover ou de chercher une certaine forme d’amélioration continue à travers le besoin de justifier les bénéfices ajoutés aux étudiants. La nature changeante et la grande diversité dans la masse des

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étudiants demande aussi que les universitaires répondent de manière créative et flexible et qu’ils aient le courage de prendre des risques calculés en réponse. Qui plus est, l’élargissement de la participation dans l’enseignement supérieur a ajouté des conséquences sur le plan de la compréhension, avec des étudiants provenant de milieux sociaux, économiques, culturels et éducationnels très variés (Macfarlane, 2003, p. 144).

Tout bien considéré, souvenons-nous de l’esprit et de la lettre de l’Article 2 de la Déclaration mondiale sur l’enseignement supérieur pour le 21ème siècle, qui met l’accent de manière très éloquente sur le « rôle éthique, autonomie, responsabilité et fonction d’anticipation. » L’Article 2 de la Déclaration parle de:

a.–préserver et développer leurs fonctions essentielles en soumettant toutes leurs activités aux exigences de l’éthique et de la rigueur intellectuelle;

b.–pouvoir s’exprimer sur les problèmes éthiques, culturels et sociaux en pleine indépendance et responsabilité, exerçant une sorte d’autorité intellectuelle dont la société a besoin pour l’aider à réfléchir, à comprendre et à agir;

c.–renforcer leurs fonctions prospective et critique, par l’analyse permanente des nouvelles tendances sociales, économiques, culturelles et politiques, constituant ainsi un espace de prévision, d’anticipation et de prévention;

d.–se servir de leur capacité intellectuelle et de leur prestige moral pour défendre et diffuser activement les valeurs universellement acceptées, et notamment la paix, la justice, la liberté, l’égalité et la solidarité inscrites dans l’acte constitutif de l’UNESCO;

e.–jouir sans restrictions de leur liberté académique et de leur autonomie, conçues comme un ensemble de droits et de devoirs, tout en se montrant pleinement responsables et comptables envers la société;

f.–jouer un rôle en aidant à identifier et à traiter les problèmes qui nuisent au bien-être des communautés, des nations et de la société mondiale (UNESCO, 1998).

Le même esprit a inspiré les leaders mondiaux lors d’une conférence sur l’évolution de l’Ordre mondial, tenue à Toronto en 1997. Lors de la conférence, M. Daisaku Ikeda a exprimé des opinions qui transcendaient les dimensions légale, militaire, économique et écologi que. M. Ikeda a parlé de :

La nécessité d’une réforme intérieure de l’individu, une réforme qui inspirerait la spiritualité, une nouvelle morale et conscience éthique ainsi qu’une nouvelle relation entre l’homme et la nature… Il est traditionnellement impératif à la religion, à l’éthique et à l’éducation de développer un esprit de non-violence et de compassion; d’étendre le domaine de la conscience pour englober toute l’humanité; de contribuer à une réforme générale de tous les systèmes de valeurs (Ikeda, 1999).

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La déclaration de Bucarest sur les valeurs et les principes éthiques pour l’enseignement supérieur dans la Région Europe I. Préambule Les universités et autres établissements d’enseignement supérieur jouent désormais un rôle central dans le développement de la société, de l’économie et de la culture, à tous les niveaux – global, régional, national et local. Dans la société du savoir émergeante, les universités ne sont plus seulement responsables de la production et de la préservation des sciences fondamentales et de l’esprit académique; elles sont aussi engagées dans la traduction, la transmission et l’application des nouvelles connaissances. En même temps, les universités ne sont plus seulement responsables de la formation des futurs professionnels, des élites techniques et sociales; elles éduquent maintenant des masses d’étudiants. Les universités sont aussi devenues des organisations complexes et à grande échelle et ne peuvent plus être gouvernées seulement d’après les normes académiques traditionnelles et collégiales.

Ces profonds changements dans la structure et la mission de l’enseignement supérieur et de la recherche ont soulevé des questions sur la traditionnelle « idée d’université » et ont ouvert l’appétit pour continuer leur réforme. Le nombre et les types d’universités ont augmenté à une vitesse sans précédent – et même les universités les plus traditionnelles ont assumé de nouvelles et de plus larges responsabilités. Le nombre de leurs décideurs a aussi proliféré – et les universités se retrouvent maintenant au centre de réseaux d’ « établissements de savoir » de plus en plus denses. Par conséquent, un nouvel équilibre semble être apparu entre l’université en tant qu’établissement de service public et organisation entreprenariale. Cependant, l’accent de plus en plus important mis sur le « marché » est un aspect seulement de cette transformation; tout aussi importants sont les agendas de « réforme » de plus en plus actifs, suivis par de nombreuses nations européennes. Le Processus de Bologne conduit à des changements de grande portée dans la structure (et à long terme dans la culture) de l’enseignement supérieur européen.

Tous ces changements ont d’importantes conséquences pour une discussion sur les dimensions éthiques et morales de l’enseignement supérieur – qui ont souvent été définies et redéfinies selon une idée traditionnelle de l’université, remplacée maintenant par de nouveaux rôles et responsabilités. Il est très important que la prise en compte de ces responsabilités éthiques et morales, plus cruciales au cours du Vingt-et-unième siècle que jamais auparavant, se passe en ayant pleinement conscience de l’impact de cet élargissement radical et rapide de la mission de l’université dans le cadre de la société du savoir. C’est la raison pour laquelle il était à la fois urgent et important pour le monde universitaire que le Centre européen de l’UNESCO pour l’enseignement supérieur (UNESCO-CEPES) convoque la Conférence internationale sur Les dimensions éthiques et morales de l’enseignement supérieur et de la science en Europe, organisée sous le haut patronage de M. Jacques Chirac, Président de la République Française et de M. Ion Iliescu, Président de la Roumanie, ensemble avec l’Académie Européenne des Sciences, des Arts et des Lettres – Academia Europensis et en collaboration avec l’Université des Nations Unies (UNU) et la Division des sciences fondamentales et des sciences de l’ingénieur de l’UNESCO, à Bucarest, les 2-5 septembre 2004.

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Les participants à la Conférence affirment:

- Quelle que soit l’importance prise par les universités dans la production de richesse économique, elles ne peuvent être perçues comme de simples « fabriques » de science, de technologie et d’experts techniques, dans le cadre d’une économie du savoir mondiale. Elles ont des responsabilités intellectuelles et culturelles essentielles qui sont bien plus importantes dans une société du savoir.

- Par conséquent, les universités ne peuvent pas être considérées comme étant des établissements dépourvus de valeurs. Les valeurs et les standards éthiques qu’elles épousent auront non seulement une influence essentielle sur le développement académique, culturel et politique de leurs universitaires, étudiants et employés, mais serviront aussi à tracer les contours moraux de la société en général. En tant que telles, elles doivent accepter une responsabilité explicite et entreprendre des actions afin de promouvoir des standards éthiques aussi élevés que possible.

- Il ne suffit pas d’épouser de hauts standards éthiques au niveau rhétorique. Il est essentiel que ces standards soient respectés et appliqués dans tous les domaines de travail des institutions – et non seulement à travers leurs programmes d’enseignement et de recherche, mais aussi en termes de gouvernance et de gestion internes, ainsi que d’engagement avec les décideurs externes.

Afin de remplir la vocation éthique des établissements d’enseignement supérieur

conformément aux valeurs largement louées de l’éthos académique, les participants à la Conférence internationale lancent un appel aux politiciens, aux universitaires, aux directeurs et aux étudiants d’appliquer dans leurs activités académiques ce qui suit :

II. Les valeurs et les principes:

1. L’éthos, la culture et la communauté académiques

1.1.La culture académique de tout établissement d’enseignement supérieur doit promouvoir activement et diligemment, à travers des déclarations de politique, les chartes institutionnelles et les codes de conduite académique, les valeurs, les normes, les pratiques, les croyances et les présomptions qui guident toute la communauté institutionnelle envers l’affirmation d’un éthos basé sur le principe du respect de la dignité et de l’intégrité physique et psychique des êtres humains, de la formation continue, du progrès du savoir et de l’amélioration de la qualité, y compris de l’éducation, la démocratie participative, la citoyenneté active et la non discrimination.

1.2.L’autonomie des établissements d’enseignement supérieur, bien qu’essentielle à l’accomplissement efficace de leurs tâches historiques et à leur adaptation aux défis du monde moderne, ne doit pas être utilisée comme excuse par ceux-ci dans le but de manquer à leur responsabilité envers la société en général, d’agir constamment pour la promotion du bien public.

1.3.Il est difficile de maintenir de hauts standards académiques et éthiques dans l’absence d’un financement public adéquat pour l’enseignement supérieur. Des fonds publics réduits peuvent aussi éroder l’idée d’enseignement supérieur en tant que bien public et peuvent rendre plus difficile la tâche des institutions de maintenir un large accès et de hauts standards de conduite.

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2. L’intégrité académique dans les processus d’enseignement et d’apprentissage

2.1.Les valeurs et les standards d’intégrité académique offrent le fondement pour le développement du savoir, de la qualité de l’enseignement et de la formation des étudiants comme citoyens et professionnels responsables. La communauté universitaire doit se dévouer à la promotion de cette intégrité académique et faire des efforts actifs pour son incorporation dans le quotidien de la vie institutionnelle de ses membres.

2.2.Les valeurs clé d’une communauté académique intègre sont l’honnêteté, la confiance, l’équité, le respect et la responsabilité. Ces valeurs ne sont pas seulement bénéfiques en elles-mêmes, mais elles sont aussi essentielles à la transmission efficace de l’enseignement et à une recherche de haute qualité.

2.3.La quête d’honnêteté devrait commencer par soi-même et s’étendre aux autres membres de la communauté académique, tout en évitant systématiquement toute forme de tricherie, de mensonge, de fraude, de vol ou autres comportements malhonnêtes qui affectent de manière négative le statut qualitatif des diplômes universitaires.

2.4.La confiance mutuellement partagée par tous les membres de la communauté académique est la colonne vertébrale de ce climat de travail favorisant le libre échange des idées, la créativité et le développement individuel.

2.5.L’équité dans l’enseignement, dans l’évaluation des étudiants, dans la promotion des membres du personnel et dans toute activité liée à l’octroi de diplômes doit se fonder sur des critères légitimes, transparents, équitables, prévisibles, constants et objectifs.

2.6.Le libre échange des idées et la liberté d’expression sont fondés sur le respect mutuel entre tous les membres de la communauté académique, sans tenir compte de leur position dans la hiérarchie de l’enseignement et de la recherche. Dans l’absence de tels échanges la créativité académique et scientifique se trouve diminuée.

2.7.La responsabilité devrait être partagée par tous les membres de la communauté académique, permettant ainsi le respect de la condition de responsabilisation.

3. La gouvernance et la gestion démocratiques et éthiques

3.1.Un fonctionnement plus efficace des corps dirigeants des établissements d’enseignement supérieur doit être promu afin de refléter à la fois la croissance de leurs dimensions et la complexité et la variété accrue des rôles et des responsabilités. Cependant, en ce qui concerne les activités entreprenariales et commerciales, les corps dirigeants doivent promouvoir les meilleures pratiques possibles non seulement pour une bonne gestion de telles entreprises, mais aussi pour sauvegarder le règne de la loi et les principales valeurs académiques et éthiques. Les universitaires, les étudiants et les membres du personnel doivent jouer un rôle essentiel pour s’assurer que la quête d’entreprises commerciales et la hausse des revenus n’affaiblissent pas la qualité de l’enseignement et les résultats des recherches ou les standards intellectuels de leurs établissements.

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3.2.Les réformes dans la gouvernance et la gestion des établissements d’enseignement supérieur doivent maintenir l’équilibre entre le besoin d’encourager une direction et une gestion efficaces et le besoin d’encourager la participation des membres de la communauté universitaire, en associant les étudiants, les professeurs, les chercheurs et les administrateurs au processus de prise de décisions.

3.3.Les présidents, les recteurs, les vice-chanceliers et autres leaders institutionnels doivent être tenus responsables – non seulement pour la bonne conduite des affaires de leur établissement et pour leur développement académique, mais aussi pour le fait d’offrir une direction éthique. On devrait aussi explorer l’idée d’ « audits éthiques » comme partie intégrante de la performance institutionnelle.

3.4.Le processus de la prise de décision institutionnelle doit être mis en œuvre de manière à affirmer les obligations morales et la responsabilité des décideurs envers toutes les parties concernées par leurs décisions.

4. La recherche fondée sur l’intégrité académique et la réaction sociale

4.1.La liberté intellectuelle et la responsabilité sociale sont les valeurs clé de la recherche scientifique et doivent être constamment respectées et promues. Au lieu d’être en conflit, ces deux valeurs se renforcent chacune dans le cadre des systèmes d’enseignement et de production de savoir plus ouverts qui caractérisent la société du Vingt-et-unième siècle.

4.2.Les chercheurs individuels ainsi que les équipes de chercheurs ne sont pas seulement responsables moralement du processus de recherche – du choix des sujets, des méthodes d’investigation et de l’intégrité de la recherche – mais aussi des résultats de la recherche. Du fait, ils doivent adopter et respecter rigoureusement les codes éthiques qui réglementent leurs recherches scientifiques.

4.3.Tout code de conduite dans le domaine de la recherche doit inclure à la fois des standards éthiques et des procédures de mise en œuvre et éviter ainsi les pratiques de superficialité, de vacuité, d’hypocrisie, de corruption ou d’impunité.

4.4.Les communautés scientifiques doivent promouvoir la coopération mondiale et assurer la solidarité intellectuelle et morale fondée sur les valeurs d’une culture de la paix.

4.5.Le personnel universitaire et les chercheurs ont individuellement et/ou collégialement la responsabilité et le droit (i) de s’exprimer librement sur les défis scientifiques et éthiques de certains projets de recherche et résultats et (ii) en dernière instance, de se retirer de ces projets selon leur conscience.

III. Le soutien à la mise en œuvre des valeurs et des principes éthiques

La mise en œuvre des valeurs et des principes ci-dessus mentionnés requiert une série de moyens appropriés pour:

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- assurer un équilibre dans l’enseignement supérieur entre le bien public et la commercialisation, tout en préservant les principales valeurs de l’éthos académique;

- promouvoir un système de gouvernance des établissements d’enseignement supérieur permettant une prise de décision collégiale;

- s’assurer que chaque établissement d’enseignement supérieur et de recherche fonctionne selon des politiques et des procédures de conduite académique constamment implémentées et périodiquement mises à jour;

- élaborer et renforcer aux niveaux institutionnel, national et international des codes de standards éthiques pour la recherche scientifique qui soient à la fois disciplinaires et interdisciplinaires dans leur orientation;

- promouvoir une coopération internationale concentrée sur des standards éthiques de l’enseignement supérieur et de la recherche dans la région Europe et dans d’autres régions du monde.

IV. Le suivi par l’UNESCO-CEPES L’UNESCO-CEPES est appelé à disséminer et à implémenter, en collaboration avec d’autres partenaires adéquats – la présente Déclaration. Les activités de suivi doivent se concentrer sur l’identification des exemples de « bonne pratique » dans les domaines visés, assurant de la sorte une base informative pour les futurs débats sur les valeurs, les principes et les standards éthiques de l’enseignement supérieur dans la Région Europe et pour la promotion des meilleures pratiques institutionnelles.

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Tribune Les étudiants d’élite dans l’enseignement universitaire

ADRIAAN HOFMAN ET MURIEL VAN DEN BERG

Est-il toujours possible de combiner deux programmes d’études dans l’enseignement supérieur, et si oui, quelles sont les caractéristiques de ces étudiants doubles et quels types d’obstacles rencontrent-ils ? Aux Pays-Bas, environ 10 pour cent des étudiants de l’enseignement universitaire étudiant deux programmes en même temps.

Des approches théoriques différentes offrent des hypothèses censées expliquer le choix des étudiants d’un deuxième programme d’études, par comparaison aux étudiants qui suivent un seul programme normal. La théorie du capital humain ainsi que celle du capital financier (socio-économique) fournissent certains éclaircissements au sujet du processus de sélection. Les facteurs concernant les programmes d’enseignement, ainsi que les facteurs motivationnels et d’intégration (sociale et économique) (Tinto, 1987), seront des déterminantes importantes du choix de poursuivre un ou deux programmes d’enseignement supérieur.

Introduction La question fondamentale de cette étude est de savoir quelles opportunités offrent les programmes actuels d’étude de l’enseignement supérieur aux étudiants qui ont un talent ou une motivation au dessous de la moyenne. Au cours des décennies, l’égalité des chances pour tous les étudiants indifféremment de leur origines ou préparations a été un principe de base des politiques d’enseignement supérieur dans la plupart des pays d’Europe. Beaucoup de recherches se sont concentrées sur les conséquences des mesures politiques sur l’accès à l’enseignement supérieur. Ce qui arrive après l’accès, en termes des opportunités pour les étudiants qui varient en talent ou en motivation, est moins connu. Ces opportunités de développement optimal des étudiants pourraient s’étendre de programmes de récupération à des programmes d’honneurs ou combiner plus d’une étude avec une autre. La pression externe et interne a transformé l’enseignement supérieur en un système qui œuvre de manière de plus en plus efficace. Durant les années 1990, l’efficience et l’efficacité se sont trouvées en tête de l’agenda politique aux Etats-Unis (Bastedo et Gumport, 2003) et en Europe. La responsabilisation est devenue une question majeure au cours de la dernière décennie. La question qu’on peut se poser est la suivante: jusqu’à quel point est-ce que cette évolution a affecté la différentiation et la stratification interne des programmes et des étudiants ? Est- il encore possible de choisir une combinaison de deux études et de les poursuivre de manière active ? Nous nous concentrerons sur une comparaison entre deux groupes d’étudiants: les étudiants normaux, qui suivent un programme d’études, et un groupe d’étudiants qui suivent deux programmes d’études. Le but est de comparer ces groupes d’étudiants au niveau de leurs origines, de leurs motivations et de leurs facteurs comportementaux respectifs. Nous nous posons la question: Comment le système d’enseignement supérieur répond- il à la demande des étudiants d’un orientation plus étendue, ou de

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poursuivre plus d’un programme d’études ? Quel est- il le niveau de sélectivité du système à cet égard ? Différentes approches théoriques proposent des hypothèses qui expliquent le choix des étudiants d’un deuxième programme d’études, par comparaison à ceux qui suivent un seul programme normal d’études. La théorie du capital humain ainsi que celle du capital financier (socio-économique) offre certains éclaircissements sur ce processus de sélection. Les facteurs concernant les programmes d’enseignement, ainsi que les facteurs motivationnels et d’intégration (sociale et économique) (Tinto, 1987), seront probablement des déterminantes importantes du choix de poursuivre un ou deux programmes d’enseignement supérieur.

Nous répondrons en ce qui suit aux questions de recherche suivantes:

- Quels sont les facteurs qui influencent la décision de combiner deux ou plusieurs études ?

- Quelles sont les raisons et les restrictions qui sont mentionnées en ce qui concerne la poursuite de deux études ?

Des notions théoriques et du modèle conceptuel

Le capital humain ou l’accomplissement éducationnel Il se peut que les étudiants qui ont beaucoup de succès (démontrent une progression rapide dans les études et/ou ont des notes élevées) dans leur premier programme d’études choisissent plus souvent de poursuivre un deuxième programme d’études qui les étudiants qui ont moins de succès dans leur première programme d’études. Les avantages de la poursuite d’un deuxième programme d’études peuvent être plus importants pour les étudiants plus capables. La raison de cette hypothèse puise ses racines dans l’approche du capital humain, et est soutenue par exemple par Oosterbeek et Van Ophem (1995). Ceux-ci soutiennent que le revenu d’une vie d’un individu est déterminé par la quantité d’instruction reçue et par les capacités intellectuelles de l’individu. En outre, il existe un effet de superposition de l’instruction et des capacités intellectuelles. A partir de recherches empiriques, Oosterbeek et Van Ophem (1995) montrent que l’effet de superposition est positif, ce qui veut dire que plus d’instruction est plus bénéfique pour des individus avec des capacités intellectuelles supérieures.

Le capital financier ou les facteurs (socio-) économiques Les investissements en capital humain dépendent aussi de l’accès des individus aux sources financières (voir par ex. Becker, 1967). Les étudiants ayant une position financière favorable sont plus enclins à poursuivre un deuxième programme d’études – qui implique des investissements supplémentaires – que les étudiants ayant une position financière modeste. En général, les coûts d’un deuxième programme d’études seront plus élevés que ceux d’un premier. Les étudiants à plein temps reçoivent aux Pays-Bas une aide financière du gouvernement au long de la durée nominale des études. Les étudiants que poursuivent une deuxième programme d’études ne reçoivent pas de fonds supplémentaires. Récemment, le gouvernement hollandais a décidé qu’il n’y aura non plus de fonds supplémentaires dans le proche avenir (Ministère hollandais de l’éducation, de la culture et de la science, 2004). En finançant la durée nominale du premier programme d’études, le gouvernement fournit environ 30 pour cent des revenus totaux des étudiants (van den Berg et al., 2001).12 Généralement, les parents des étudiants fournissent également 30 pour cent

12 Actuellement, les bourses d’étude sont de 72€ par mois pour les étudiants habitant chez leurs parents et de 221€ par mois pour les étudiants qui habitent seuls ou sur campus.

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du total; 40 pour cent sont gagnés par les étudiants à travers du travail rémunéré. On s’attend à ce que les étudiants qui reçoivent plus d’argent de leurs parents soient plus enclins à suivre un deuxième programme d’études. Un concept lié au quantum de l’aide financière reçue des parents est la position socio-économique des parents des étudiants: avec le niveau des revenus ou d’éducation des parents grandit le montant du soutien financier reçu par les étudiants (Van den Berg et al., 2001). L’opportunité de suivre un deuxième programme d’études peut être influencée par le mécanisme financier (plus d’argent, plus d’opportunités). Il est aussi probable que les étudiants ayant des parents hautement éduqués soient plus susceptibles de poursuivre un deuxième programme d’études, du fait de leur milieu social et culturel. Comme le montrent les recherches effectuées par de Graaf et al. (2000), la situation parentale influence le niveau éducationnel final des enfants. De nos jours, les aspects culturels ont tendance à jouer un rôle plus important que les aspects financiers.

Les facteurs concernant l’enseignement: le temps et le programme Le rapport entre les revenus tirés du travail rémunéré et le choix d’un deuxième programme est ambigu. Un haut niveau des revenus peut avoir une influence positive sur la décision de suivre un deuxième programme d’études. De l’autre côté, plus de revenus issus du travail rémunéré signifie que l’étudiant dédie plus de temps au travail rémunéré. Cela signifie qu’il dispose de moins de temps pour d’autres activités comme les études, ce qui réduit probablement les chances d’entreprendre un deuxième programme d’études.

Lorsqu’on formule des hypothèses sur le rapport entre le temps et les chances de poursuivre un deuxième programme d’études, on remarque que les étudiants qui dédient moins de temps à leurs premières sont plus susceptibles de poursuivre un deuxième programme d’études. La quantité de temps qu’un étudiant accorde à son premier programme d’études est partiellement déterminée par des caractéristiques individuelles comme la capacité (les étudiants plus capables dans un certain programme d’études requièrent vraisemblablement moins de temps pour maîtriser la matière que les étudiants moins capables). Aussi, les facteurs de programme d’enseignement déterminent la quantité de temps nécessaire dans un programme d’études (voir par ex. Carroll, 1963; Bloom, 1971 et 1976).

Les facteurs motivationnels et l’intégration sociale et académique Deux autres aspects qui peuvent influencer le choix d’un deuxième programme d’études sont les facteurs motivationnels et sociaux et l’intégration académique. Ces aspects sont présents dans presque tous les modèles d’interaction, ce qui explique la réussite dans les études, l’évolution dans les études et/ou l’abandon dans l’enseignement supérieur (voir Tinto, 1987, 1992; Bean et Metzner, 1985; Prins, 1997). Selon le modèle de Tinto (1987), l’intégration sociale reflète le rapport entre l’étudiant et ses collègues et les activités extrascolaires qu’il entame. L’intégration académique est déterminée par l’interaction entre les étudiants et les enseignants et par les accomplissements universitaires de l’étudiant (qui sont modelés séparément dans notre modèle). Enfin, on pose qu’une motivation plus forte dans les études influence positivement les chances de choisir un deuxième programme d’études. Des motivations intrinsèques (les étudiants qui sont intéressés à étudier, qui souhaitent acquérir des savoirs) et des motivations extrinsèques (poursuivre un programme

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d’études à cause des perspectives existantes sur le marché du travail, acquérir une position supérieure) sont censées avoir également des influences positives.

Un modèle conceptuel de recherche est présenté dans la Figure 1.

Figure 1: Modèle conceptuel

Source: Les auteurs.

La collection et l’échantillonnage des données Le modèle a été testé sur un échantillon d’étudiants de l’Université d’Amsterdam, de l’Université de Maastricht, de l’Université Technique de Delft, et de l’Université Erasmus de Rotterdam (EUR), durant les années universitaires comprises entre 1996/1997 et 1999/2000. Pour chaque année, dans chaque université, un échantillon représentatif aléatoire d’étudiants de chaque année et secteur d’entrée a été interrogé à travers une enquête téléphonique. Le taux de réponse de l’enquête a varié entre 80 pour cent et 93 pour cent (no. valide = 9789).13 Les données ont été collectées dans le cadre du programme de recherche « Etudier et travailler dans l’enseignement universitaire », effectué par l’Institut de recherches en politiques sociales de Rotterdam (RISBO) et commandé par le Ministère hollandais de l’éducation, de la culture et de la science (Van den Berg et al., 2001). Les thèmes principaux de cette étude ont été la situation financière des étudiants, le temps qu’ils dédient à leurs études et à leur travail (rémunéré), et leur avancement dans les études. On a mesuré entre autres la motivation intrinsèque et extrinsèque des étudiants et on a rassemblé des informations concernant des caractéristiques basiques comme l’âge, le sexe, l’ethnicité, les antécédents éducationnels et le niveau d’instruction des parents.

13 Le taux de réponse pour l’année universitaire 1996-1997 a été de 93 pour cent. En 1997-1998, le taux de réponse a été de 84 pour cent, en 1998-1999 a été de 80 pour cent, et en 1999-2000 de 83 pour cent (Van den Berg et al., 2001, p. 28).

accomplissements éducationels

facteurs (socio-) économiques

temps choix d’un deuxième

programme

d’études

integration sociale et universitaire

facteurs de programme

d’enseignement

facteurs motivationnels

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On doit dire que les répondants ne sont pas tous appropriés pour cette étude sur les étudiants d’élite dans l’enseignement supérieur. Seulement les étudiants recevant du soutien financier du gouvernement hollandais ont été sélectionnés. La raison de cette sélection est de s’assurer qu’uniquement les étudiants à plein temps sont pris en compte. Cela signifie que 8.764 sur 9.789 exemples sont inutilisables pour notre recherche, ce qui correspond à environ 90 pour cent de l’échantillon d’origine.

Une description de l’échantillon de recherche Dans notre échantillon de recherche, environ 90 pour cent des étudiants ont pris un programme d’enseignement supérieur et environ 10 pour cent des étudiants ont pris eux programmes simultanément. Ce pourcentage a été constant durant la période comprise entre les années universitaires 1996-1997 et 1999-2000. Des programmes qui sont fréquemment combinés sont:

- Mathématiques ou statistiques avec informatique, physique ou astronomie; - Médecine avec psychologie; - Commerce ou sciences économiques avec Droit; - Administration publique ou sciences politiques avec Droit; - Philosophie en combinaison avec un autre programme (par ex. Droit, sciences

économiques, médecine).

Certaines statistiques descriptives de l’échantillon de recherche sont présentées dans le Tableau 1. Nous distinguons les variables de base des étudiants des variables qui comportent des informations concernant quatre des facteurs du modèle théorique: les accomplissements éducationnels des étudiants, les facteurs socio-économiques, les facteurs motivationnels, et le temps. Nous n’avons pas pu collecter des informations sur l’intégration sociale et universitaire et les facteurs de programme d’études. Ainsi, le modèle théorique de la Figure 1 n’a été testé que partiellement.

Les variables de base montrent qu’environ un cinquième de notre échantillon de recherche a été composé par des étudiants de première année, avec quatre-vingt pour cent de l’échantillon consistant en des étudiants entre la deuxième et la cinquième année.14 L’échantillon est partagé de manière égale entre hommes et femmes. Le pourcentage d’étudiants minoritaires15 est de 6,7 pour cent, ce qui dépasse relativement la moyenne nationale (4,6 pour cent) citée dans le Students’ Monitor (Hofman et al., 2001).

14 La majorité des études universitaires aux Pays-Bas comportent un programme de 4 ans (un programme de licence de 3 ans et un programme de maîtrise de 1 an). Les études dans le domaine de la science et de la technologie ont un programme de 5 ans (un programme de licence de 3 ans et un programme de maîtrise de 2 ans). Cela constitue cependant la durée nominale d’un programme d’études. La plupart des étudiants nécessitent plus de temps pour compléter leurs schémas de diplôme. Sans tenir compte de la possibilité de l’abandon, un étudiant typique de notre échantillon requiert une année supplémentaire environ pour terminer ses études. 15 Par la définition du Ministère hollandais de l’intérieur et des relations dans le Royaume, un étudiant appartient à un groupe minoritaire lorsque celui-ci – ou au moins un de ses parents – est né dans les pays suivants: la Grèce, l’Italie, l’ex-Yougoslavie, le Portuga l, le Cap Vert, l’Espagne, la Turquie, le Maroc, la Tunisie, le Surinam, les Antilles Hollandaises, et l’Aruba.

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Tableau 1: Statistiques descriptives de l’échantillon de recherche (n=8.764)

Facteurs Taux/moyenne (sd)

Variables de base taux d’étudiants de première année 21,4 taux de femmes 50,3 taux d’étudiants minoritaires 6,7 âge moyen en années 21,9 (2,1)

Accomplissements éducationnels taux d’étudiants ayant une éducation préuniversitaire 86,1 note moyenne dans l’enseignement préuniversitaire 6,9 (0,7) avancement dans les études 33,2 (12,1)

Facteurs socio-économiques éducation des parents

taux de parents sans éducation/éducation primaire 10,7 taux de parents avec éducation secondaire inférieure 9,1 taux de parents avec éducation secondaire supérieure/éducation professionnelle intermédiaire

21,5

taux de parents avec éducation professionnelles supérieure/éducation supérieure

58,7

revenu mensuel total en Euros 581 (276) revenu mensuel reçu de la part des parents en Euros 166 (134)

Facteurs motivationnels motivation intrinsèque 12,8 (1,5) motivation extrinsèque 12,1 (1,7)

Temps: heures passées par semaine études 31,1 (15,4) travail rémunéré 8,0 (7,7) travail volontaire 2,5 (6,0)

Source: Les auteurs.

Le Tableau 1 montre que plus de 85 pour cent des étudiants ont rejoint l’université par le biais d’un diplôme d’enseignement pré-universitaire, la soi-disant « voie royale » vers l’université, qui prend généralement 6 ans. Environ 15 pour cent des étudiants rejoignent l’université d’une manière différente, par exemple par une « voie professionnelle »,16 un diplôme étranger, ou viva voce17. Pour le groupe d’étudiants ayant obtenu un diplôme d’enseignement pré-universitaire, les notes moyennes d’examen sont connues. Les étudiants ont obtenu en moyenne de 6,9 sur 10 (pour passer il faut au moins une note de 5,5). L’avancement dans les études est mesuré en « crédits hollandais d’études ». Tout programme d’études de l’enseignement supérieur hollandais a une charge nominale d’enseignement de 42 crédits hollandais par an (équivalente à 60 ECTS). Dans notre échantillon, les étudiants gagnent environ 33 points d’études, en moyenne, une année

16 Après l’enseignement secondaire (enseignement secondaire général supérieur ou enseignement professionnel secondaire), les étudiants commencent l’enseignement professionnels supérieur. A la fin (au moins de la première année de) enseignement professionnel supérieur, les étudiants peuvent décider d’entrer à l’université afin d’obtenir un diplôme de maîtrise. 17 Les étudiants qui n’ont pas un diplôme approprié pour entrer à l’université, mais qui ont passé un examen d’admission à l’université.

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pour leur premier programme d’études,18 ce qui équivaut à presque 80 pour cent de la charge nominale d’enseignement. Un troisième groupe de acteurs sont les variables socio-économiques. Le statut socio-économique des étudiants est mesuré en fonction du niveau d’instruction de leurs parents. Le Tableau 1 montre que presque 6 parents sur 10 ont un diplôme universitaire et/ou un diplôme d’enseignement professionnels supérieur, un résultat qui correspond aux observations nationales (Statistics Netherlands, 2001). La situation financière des étudiants est mesurée en fonction des revenus mensuels totaux, et du soutien financier qu’ils reçoivent de leurs parents. Ces sommes sont de 581 € et de 166 € respectivement, et sont en conformité avec la moyenne nationale du Students’ Monitor’ (Hofman et al., 2001). Le Ministère hollandais de l’éducation, de la culture et de la science (1999) a exprimé son intention que les parents fournissent un tiers des revenus des étudiants (dans notre échantillon on atteint les 30 pour cent). D’autres sources de revenus sont le soutien financier de gouvernement (les bourses d’études),19 les revenus provenant du travail rémunéré, et les prêts.

Le quatrième groupe de variables consiste en les variables motivationnelles. On a demandé aux étudiants de considérer plusieurs propositions qui reflètent des motivations intrinsèques ou extrinsèques dans les études. Afin de déterminer des motivations intrinsèques, les étudiants ont noté quatre propositions sur une échelle allant de 1 (fort désaccord) à 4 (fort accord):

- Mon cours m’intéresse; - Mon cours m’offre la possibilité d’utiliser au maximum mon potentiel; - Je peux évoluer grâce à mon cours; - Je veux étendre mes connaissances.

Afin de déterminer les motivations extrinsèques, les étudiants ont noté quatre propositions sur une échelle allant de 1 (fort désaccord) à 4 (fort accord). Celles-ci sont:

- Je peux gagner du prestige grâce à mon cours; - J’ai de meilleures opportunités de travail grâce à mon cours; - J’ai de meilleures opportunités de gagner un salaire plus élevé si je complète

mon cours avec succès; - Je peux atteindre une position supérieure grâce à mon cours.

Le dernier groupe de facteurs concerne le temps. On a demandé aux étudiants de préciser combien d’heures ils dédient par semaine à leur programme d’études principal, à leur travail rémunéré et à leur travail volontaire. Un étudiant moyen passe environ 31 heures par semaine à étudier et 10,5 heures par semaine à travailler. Cependant, ces chiffres varient hautement d’une discipline à l’autre. Les étudiants en sciences, techniques et médecine étudient plus de 34 heures par semaine, pendant que les étudiants en sciences sociales et en Droit passent moins de 28 heures par semaine à étudier.

18 Les étudiants qui poursuivent deux programmes d’études simultanément sont tenus de rapporter uniquement les résultats de leur premier programme (au début de l’entrevue il est déterminé quel programme est considéré comme étant le programme principal).

19 Les bourses d’études sont actuellement de 72€ par mois pour un étudiant vivant avec ses parents et de 221€ par mois pour un étudiant vivant tout seul ou sur campus.

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Les conclusions de l’enquête Dans notre modèle, les caractéristiques fondamentales disponibles sont prises en compte en tant que variables de contrôle. Le modèle appartient au groupe de modèles logistiques, où la variable dépendante ne prend que deux valeurs (0 lorsque l’étudiant suit un programme d’études et 1 lorsque l’étudiant suit deux programmes). Le fait de savoir si une variable a un effet significatif sur l’opportunité de poursuivre deux programmes d’études est présenté dans le Tableau 2, avec + (effet positif au niveau de confiance de 95 pour cent) ou – (effet négatif au niveau de confiance de 95 pour cent). L’envergure de cet effet peut également être estimée à partir du Tableau 2. Par exemple, l’effet induit par le sexe est de –0,4833. Cela veut dire que, si on tient compte de l’ensemble des variables du modèle, la chance qu’une femme poursuive deux programmes d’études est exp(-0,4833)/(1+exp(-0,4833)) = 38,4 pour cent inférieure à la chance qu’un homme poursuivre deux programmes d’études. A partir des « accomplissements éducationnels » du Tableau 2 nous tirons les conclusions suivantes: l’instruction préalable, mesurée en tant qu’enseignement pré-universitaire et autres formes d’enseignement, n’a pas de conséquences sur les chances de poursuivre deux programmes d’études. Cela n’est pas conforme à nos idées initiales. Néanmoins, dans un modèle qui a été testé séparément pour les étudiants ayant accompli un enseignement pré-universitaire, on a enregistré une conséquence positive des notes.20 Comme prévu, les étudiants qui ont de meilleurs résultats dans l’enseignement pré-universitaire sont plus susceptibles de choisir un deuxième programme d’études. De même, les étudiants qui ont de meilleurs résultats dans l’enseignement universitaire, mesurés en tant qu’avancement dans les études pour le programme principal, sont plus susceptibles de poursuivre un deuxième programme d’études.

20 Dans le modèle pour les étudiants ayant accompli un enseignement pré-universitaire, la variable « instruction préalable » a été exclue du modèle et remplacée par la variable « note moyenne dans l’enseignement pré-universitaire ». Celle-ci a une estimation de paramètres de 0,2693, avec un taux d’erreur standard de 0,0712. L’effet est significatif au niveau de confiance de 95 pour cent.

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Tableau 2: Modèles à variables multiples pour l’ensemble des étudiants et pour les étudiants ayant un diplôme pré-universitaire21

β (es)* Variables fondamentales

cohorte (0=étudiants de première année, 1=étudiant avancé) + 0,3552 (0,1278) sexe (0=hommes, 1=femmes) - -0,4833 (0,0847) minorité (0=non-minorité, 1=minorité) + 0,3423 (0,1741)

Age -0,0250 (0,0292) Accomplissements éducationnels

instruction préalable (0=enseignement pré-universitaire, 1=autre) -0,0514 (0,1298) avancement dans les études + 0,0365 (0,0037)

Facteurs socio-économi ques instruction des parents

parents sans éducation ou avec une éducation primaire (groupe de référence)

0,0000

parents avec une éducation secondaire inférieure 0,0637 (0,2127) parents avec une éducation secondaire supérieure ou professionnelle intermédiaire

0,3109 (0,1700)

parents avec une éducation professionnelle supérieure ou universitaire + 0,3936 (0,1570) revenu mensuel total 0,0001 (0,0001) revenu mensuel reçu des parents + 0,0005 (0,0002)

Facteurs motivationnels motivation intrinsèque + 0,0791 (0,0288) motivation extrinsèque - -0,0926 (0,0256)

Temps: heures dédiées par semaine à études - -0,0084 (0,0030) travail rémunéré 0,0020 (0,0065) travail volontaire + 0,0239 (0,0060)

* Les effets significatifs au niveau de confiance de 95 pour cent sont marqués en gras.

Source: Les auteurs.

A partir des facteurs socio-économiques on a tiré la conclusion que les parents des étudiants contribuent à la chance de poursuivre deux programmes d’études de deux manières. Le niveau d’instruction des parents (lorsqu’on y recherche les variables financières) ainsi que leur contribution financière (lorsqu’on y recherche le niveau d’instruction) comptent. Les étudiants dont les parents ont eux-mêmes reçu une éducation professionnelle supérieure et/ou une éducation universitaire poursuivent plus fréquemment deux programmes d’études que les étudiants dont les parents sont démunis d’éducation ou qui n’ont qu’une éducation primaire. De même, une contribution parentale plus importante est associée à une meilleure chance de poursuivre deux programmes d’études. Certainement, à partir de ces données trans-sectionnaires il n’est pas possible de saisir la causalité de cet effet: est-ce que les étudiants poursuivent plutôt deux programmes d’études lorsque la contribution parentale est plus importante, ou est-ce que les parents contribueront plus lorsque leur fils ou leur fille poursuit eux programmes d’études ?

21 Le modèle a été testé sur l’ensemble du groupe de recherche. A cause de valeurs manquantes, le nombre d’observations est devenu 8764 – 1644 =7120 (81 pour cent de l’échantillon d’origine). Le modèle a été également testé sur un groupe d’étudiants ayant terminé leur enseignement pré-universitaire (dans ce modèle, la variable « instruction préalable » a été enlevée et la variable « note moyenne enseignement pré-universitaire » a été rajoutée). A cause de valeurs manquantes, le nombre d’observations dans le groupe pré-universitaire est devenu 6809-1157=5652 (83 pour cent de l’échantillon d’origine). Nous avons employé un système de suppression par listes afin d’éliminer les valeurs manquantes.

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Les aspects motivationnels jouent également un rôle dans le choix d’un deuxième programme. Les étudiants qui ont une haute motivation intrinsèque choisissent plus souvent un deuxième programme d’études, ce qui est conforme à nos attentes. Néanmoins, les étudiants ayant un niveau élevé de motivation extrinsèque choisissent moins souvent un deuxième programme d’études, ce qui est contraire à nos attentes. Un deuxième programme d’études est poursuivi moins fréquemment par les étudiants qui passent plus de temps sur leur programme principal. Cela constitue une conséquence logique, puisque les étudiants qui requièrent relativement plus de temps pour leur premier programme d’études ont moins de temps (et d’énergie) à passer pour d’autres activités d’étude. Nous avons aussi prévu que les chances de poursuivre un deuxième programme d’études diminuent avec l’accroissement de la quantité de temps dédié au travail (rémunéré ou volontaire). Cependant, il résulte que la quantité de travail rémunéré n’a pas d’effet et que la quantité de trava il volontaire a un effet positif. La seule explication logique pour cela est que la pratique du travail volontaire reflète une caractéristique de l’étudiant, comme une forme spéciale de motivation intrinsèque.

Les résultats des sources de données qualitatives

Afin de saisir les motivations et les problèmes que connaissent les étudiants lorsqu’ils poursuivent ou ont l’intention de poursuivre deux programmes d’études, des données supplémentaires ont été collectées à travers une entrevue téléphonique et un groupe de dialogue. Dans le cadre de ce groupe de dialogue on a demandé aux étudiants poursuivant deux programmes d’études de parler des facteurs qui constituent des motivations ou des obstacles lorsqu’on suit deux programmes d’études simultanément. Afin d’examiner quels sont les facteurs qui représentent des motivations ou des obstacles lorsque les étudiants poursuivent deux études ou ont l’intention de poursuivre deux programmes d’études, on a organisé une enquête téléphonique supplémentaire.22 Trois groupes d’étudiants ont été interrogés, des étudiants qui voulaient obtenir un deuxième diplôme universitaire (N=84), des étudiants qui voulaient obtenir un diplôme mais qui ont été considérés comme étant des candidats de succès afin d’obtenir un deuxième (à cause des notes élevées obtenues dans l’enseignement secondaire) (N=92), et un groupe d’étudiants ayant un autre diplôme (N=125). Les motivations identifiées incluent par exemple la motivation intrinsèque et la sécurité de l’emploi. Les obstacles incluent par exemple les problèmes organisationnels, les problèmes financiers, les problèmes liés au temps et la difficulté de combiner deux programmes d’études universitaires. Les motivations pour poursuivre deux programmes d’études Le Tableau 3 présente les réponses à l’enquête concernant deux possibles motivations. On a demandé aux étudiants de noter les éléments sur une échelle allant de 1 (complet désaccord) à 10 (complet accord).

22 Le taux de réponse a été d’environ 90 pour cent.

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Tableau 3: Les motivations pour poursuivre ou vouloir poursuivre deux programmes d’études

Intérêt vis -à-vis des contenus éducationnels

Perspectives sur le marché du travail Etudiants

moyenne (sd) moyenne (sd) 1 programme d’études/ doués (n=92)

8,37 (0,91) 5,43 (2,37)

1 programme d’études/ qualifiés (n=125)

8,46 (1,21) 5,93 (2,09)

2 programmes d’études (n=84)

8,51 (1,77) 5,02 (2,77)

Source: Les auteurs.

On a demandé aux étudiants qui poursuivent deux études simultanément de préciser à quel niveau l’intérêt pour le contenu des études joue un rôle dans la décision de suivre un deuxième programme d’études. L’intérêt vis-à-vis du sujet des études est une motivation importante: les étudiants doubles lui ont accordé la note 8,5. Le fait de poursuivre un deuxième programme d’études à cause du positionnement plus favorable sur le marché du travail a obtenu une moyenne de 5. L’intérêt vis-à-vis du programme d’études (motivation intrinsèque) est une motivation plus importante que les perspectives sur le marché du travail (motivation extrinsèque). On a demandé aux étudiants poursuivant un seul programme d’études d’envisager les raisons qui ont eu n rôle à jouer lorsqu’il a été question de suivre un deuxième programme d’études. Leurs notes, à la fois sur l’intérêt et les perspectives sur le marché du travail, n’ont pas été très différentes par rapport aux notes accordées par les étudiants poursuivant deux programmes d’études.23 Les résultats du groupe de dialogue sont similaires aux résultats de l’enquête. Le groupe de dialogue a également montré qu’un positionnement plus favorable sur le marché du travail n’a pas été une raison pour la poursuite d’un deuxième programme d’études. Les étudiants s’accordent fortement sur le fait que l’intérêt est le plus important argument pour poursuivre un deuxième programme d’études. L’intérêt peut représenter à la fois un élargissement et un approfondissement. Une autre motivation, qui est largement partagée par les étudiants doubles, est la volonté de passer le temps de manière utile. Quand d’autres étudiants regardent les programmes de télévision, ou vont au café, les étudiants doubles aiment acquérir des connaissances supplémentaires durant les heures du soir. Le groupe de dialogue nous a fait comprendre que les étudiants doubles passent leur temps libre à étudier. A leur propre compte, qui est soutenu par l’analyse quantitative présentée dans le Tableau 2, ils consacrent la même quantité de temps au travail rémunéré que les étudiants qui poursuivent un seul programme d’études. L’argent est nécessaire pour payer les frais quotidiens et le coût (extra) des études.

Les obstacles pour poursuivre deux programmes d’études Le Tableau 4 présente les réponses à l’enquête concernant cinq possibles obstacles. On a demandé aux étudiants de noter les éléments sur une échelle allant de 1 (complet désaccord) à 10 (complet accord). Sur une échelle allant de 1 (complet désaccord) à 10 (complet accord), les étudiants qui poursuivent deux programmes d’études considèrent le temps comme étant un obstacle modéré. Cela n’est pas surprenant, étant donné qu’une partie des étudiants doubles ont commencé leur deuxième programme d’études puisqu’ils

23 On a employé le test de Scheffé, à un niveau de confiance de 95 pour cent.

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disposaient de temps libre inutilisé. Il n’est pas surprenant non plus que les étudiants qui suivent un seul programme d’études considèrent le temps comme étant un obstacle plus important. Les étudiants doués et qualifiés ont accordé la note 7,5. Les obstacles potentiels concernant « la difficulté du deuxième programme d’enseignement » et « les problèmes pratiques/organisationnels liés à la poursuite simultanée de deux programmes d’études » ont également reçu des notes plus élevées de la part des étudiants à un seul programme que de la part des étudiants doubles.

Tableau 4: Les obstacles pour poursuivre ou vouloir poursuivre deux programmes d’études

Etudiants Pratiques./

organisationnels Temps Difficulté Financiers en

général

Financiers concernant le

système de soutien des

études moyenne (sd) moyenne (sd) moyenne (sd) moyenne (sd) moyenne (sd)

1 programme d’études/ doués (n=92)

6,21 (2,09) 7,58 (1,95) 6,80 (2,02) 4,67 (2,26) 4,66 (2,35)

1 programme d’études/ qualifiés (n=125)

6,06 (2,31) 7,70 (2,01) 6,51 (2,28) 5,19 (2,56) 5,46 (2,46)

2 programmes d’études (n=84)

4,92 (2,55) 5,55 (2,76) 4,79 (2,30) 3,96 (2,58) 4,50 (2,68)

Les problèmes financiers et ceux financiers concernant le système de soutien des études: dub < kwal; pratiques, temps et difficulté: dub < kwal en tal (Scheffé). Source: Les auteurs. Dans le groupe de dialogue, les problèmes pratiques/organisationnels sont mentionnés en tant qu’obstacles. Le fait de combiner deux programmes d’études en même temps mène à un programme très chargé. Par exemple, les étudiants doivent suivre des cours pour un programme d’études durant le jour et des cours pour l’autre programme d’études le soir (lorsque cela est possible). La programmation des examens peut aussi s’avérer problématique. Lorsque deux examens sont programmés à la même heure, les étudiants doivent s’arranger avec les enseignants ou les conseillers des étudiants. Certains enseignants et conseillers sont plus flexibles en ce qui concerne les arrangements particuliers que d’autres. En comparaison avec les autres obstacles, les problèmes financiers semblent avoir un effet relativement modéré sur la décision de poursuivre deux programmes d’études. Il résulte de l’enquête que la situation financière est en général notée en dessous de 4 (sur une échelle allant de 1 à 10) par les étudiants doubles. Les étudiants qualifiés, avec une moyenne de 5,2, accordent une note relativement plus élevée que les étud iants doubles. La moyenne des étudiants doués, de 4,7, ne diffère pas de manière significative des autres groupes.24 La même conclusion est valable pour ce qui est des obstacles financiers concernant le système de soutien des études.25 Les étudiants qui poursuivent deux programmes d’études accordent une note de 4,5 et les étudiants qualifiés relativement plus, environ 5,5. Les étudiants doués accordent une note de 4,7 et ne diffèrent pas de manière significative des autres groupes.

24 On a employé le test de Scheffé, à un niveau de confiance de 95 pour cent. 25 Comme on vient de l’expliquer, le gouvernement hollandais ne soutient l’étudiant que durant la durée nominale d’un programme d’études dans l’enseignement supérieur. Les étudiants doivent payer les coûts supplémentaires requis par un deuxième programme d’études.

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Les étudiants du groupe de dialogue considèrent le système de soutien financier des études comme étant un obstacle. La durée des allocations d’étude (de quatre ou cinq ans, habituellement) suffit tout justement à la finalisation d’un programme d’études. Les étudiants suggèrent l’introduction de fonds supplémentaires, qui seraient distribués aux étudiants doubles. Mais, comme ils le font remarquer, il devrait y avoir des conditions strictes. Les étudiants devraient prouver qu’ils poursuivent effectivement deux programmes d’études et devraient progresser dans les deux à la fois.

CONCLUSION Le facteur fondamental du sexe joue un rôle dans l’explication du choix de poursuivre un ou plusieurs programmes d’études dans l’enseignement supérieur. Les femmes ont des chances relativement inférieures de poursuivre plus d’un programme d’études par rapport aux hommes. L’argument du capital humain présente une certaine validité dans l’explication du choix de plus d’un programme d’études; le niveau d’instruction des parents ainsi que les performances de l’étudiant dans l’enseignement pré-universitaire et universitaire ont des effets significatifs. L’argument du capital financier est également applicable, en cela qu’une plus importante contribution parentale est associée à un accroissement des chances de poursuivre deux programmes d’études. Les facteurs motivationnels sont aussi importants dans le cadre de la décision de suivre un ou plusieurs programmes d’études, même s’il s’agit d’une motivation purement intrinsèque. Quelles sont les motivations reçues par les étudiants, et quels sont les obstacles qu’ils rencontrent ? Nous concluons que l’intérêt pour les études (motivation intrinsèque) est une motivation beaucoup plus puissante que les perspectives sur le marché du travail: un positionnement plus favorable sur le marché du travail n’est pas un argument pour poursuivre un deuxième programme d’études. Les étudiants s’accordent fortement sur le fait que l’intérêt est le plus important pour la poursuite d’un deuxième programme d’études. Une autre motivation, qui est partagée par les étudiants doubles, est le désir de passer le temps de manière utile: les étudiants doubles emploient le temps libre pour étudier, tout en dédiant un temps égal au travail rémunéré. Les obstacles tiennent premièrement des aspects organisationnels: le fait de combiner deux programmes d’études mène à un emploi de temps très surchargé, et la planification des examens peut aussi devenir problématique. Les établissements d’enseignement et les enseignants et les conseillers peuvent être plus flexibles à faire des arrangements individuels pour les étudiants doubles. Les étudiants du groupe de dialogue considèrent le système de soutien financier des études comme étant un obstacle. La durée des allocations d’étude (de quatre ou cinq ans, habituellement) suffit tout justement à la finalisation d’un seul programme d’études. On suggère l’introduction de fonds supplémentaires, suivant des conditions strictes. Les étudiants devraient prouver qu’ils poursuivent effectivement deux programmes d’études et devraient progresser dans les deux à la fois. L’organisation des programmes d’enseignement est un des facteurs clés de la réussite de l’étudiant. Des recherches (par ex. Jansen, 2004; Van den Berg et Hofman, 2004) montrent que les mesures qui affectent le comportement de planification des étudiants stimulent l’avancement dans les études. La planification de quelques cours parallèles contribue à un accroissement au niveau de la réussite dans les études (Jansen 2004). Van den Berg et Hofman mettent en évidence que les étudiants ont tendance à faire moins de progrès dans le cadre de programmes où un plus grand

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nombre de disciplines sont planifiées durant la même période d’études. Les programmes où le contenu est livré de manière coordonnée sont plus efficaces que les programmes où un grand nombre de disciplines sont programmées en même temps. On peut présumer qu’une adaptation de ce type de l’organisation des programmes peut s’avérer également bénéfique pour les étudiants doubles. Cependant, il faut aussi reconnaître que l’instruction basée sur des problèmes mènera à un accroissement des interactions étudiant/enseignant et étudiant/étudiant. Des cours intensifs, comme l’instruction basée sur des problèmes, peuvent également créer de sérieux problèmes d’emploi de temps pour les étudiants doubles. Il est important de souligner que ce qui est appelé ici « l’étudiant doué » n’est pas identique au soi-disant « étudiant double ». Il y a beaucoup d’étudiants doués qui poursuivent un seul programme d’études et qui vont plus en détail que d’autres étudiants. Cependant, les résultats de cette recherche suggèrent que pour les étudiants doués qui veulent poursuivre plus d’un programme d’études il est essentiel que les études universitaires fournissent des programmes d’enseignement flexibles, offrant des arrangements alternatifs pour les cours. Les commissions d’examen qui vont au-delà d’un seul programme d’études pourraient avoir aussi un rôle à jouer dans la coordination de programmes d’enseignement différents. Il se peut qu’un problème apparaisse ici au sujet des intérêts conflictuels entre les étudiants doués et « normaux ». Il peut s’avérer bénéfique pour les étudiants doués si les universités proposent des programmes d’enseignement plus flexibles, avec des horaires et des examens alternatifs. Néanmoins, différentes recherches sur l’enseignement supérieur présentent des résultats (par ex. Jansen, 2004; Van den Berg et Hofman, 2004) où ces programmes d’enseignement flexibles semblent aller main dans la main avec un accroissement de la concurrence entre les disciplines d’étude ou les tests. Même si les étudiants doués sont positivement affectés par cette approche, celle-ci semble nuisible pour l’avancement dans les études des étudiants normaux ou moins doués. Les universités ont l’opportunité d’offrir des programmes alternatifs à leurs étudiants hautement doués et motivés. Dans la perspective susmentionnée, il serait recommandé de les employer de manière optimale. Ils peuvent offrir une plus grande différenciation au niveau de leurs mastaires, ou introduire des mastaires de haut niveau ou des programmes d’élite afin de satisfaire les besoins de leurs étudiants. Une telle approche n’aura pas un effet négatif supplémentaire sur les autres étudiants.

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Comptes-rendus et études bibliographiques

26 Certainement, dans les limites du monde académique, ces deux approches du savoir ont été historiquement opposées et sont simplement perçues comme des modalités de découverte concurrentes, et pas coopératives.

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Access and Exclusion, de Malcolm Tight, éd. (International Perspectives in Higher Education Research Series, Volume 2). Amsterdam et Boston: JAI (Elsevier Sciences), 2003, ix-270 pp. ISBN 062309741. Il s’agit d’une collection plutôt disparate de dix articles écrits principalement par des chercheurs britanniques et australiens. L’éditeur affirme dans son introduction qu’ils traitent tous de questions relatives à « l’accès et l’exclusion », mais il n’arrive pas à convaincre. Cinq des articles concernent l’accès, la participation et l’exclusion des étudiants dans l’enseignement supérieur au Royaume-Uni en général, en Irlande du Nord en spécial, en Australie, en Afrique du Sud et dans l’Union Européenne. Tous ces articles emploient des données issues de recherches afin de présenter des problèmes relatifs à des initiatives gouvernementales censée développer la participation et élargir l’accès afin d’inclure des groupes relativement exclus. Un des thèmes est l’échec de la tentative d’accroître le taux de participation des jeunes personnes de la classe ouvrière; un autre consiste en les contradictions entre les politiques gouvernementales de soutien financier des étudiants et les objectifs gouvernementaux de participation et d’accès. Les autres articles sont pour la plupart intéressants, pris à part, mais forment un ensemble mitigé: le nouveau management public dans les universités britanniques, et le sentiment d’exclusion du processus de prise de décisions, vécu par un bon nombre d’universitaires; la présentation sensationnaliste des « tableaux de classement » des universités dans la presse britannique; les approches alternatives de l’enseignement universitaire en rapport avec la discipline et la qualité de l’instruction (deux articles); la diversité des appellations de départements universitaires. Un autre ouvrage académique coûteux qui – malgré la qualité de certaines de ses contributions – ne comporte pas un but raisonné.

Norman Fairclough The Human Factor: Revolutionizing the Way People Live with Technology, de Kim Vicente, New York: Routledge, 2004, iii-352 pp. ISBN 0-415-97064-4. The Middle Mind: Why Americans Don’t Think for Themselves, de Curtis White, New York: Harper San Francisco, 2003, 205 pp. ISBN 0-06-052436-7. Les enseignants, se guidant selon une profonde conviction sur l’importance et la dignité du progrès de la science, reconnaissent les résponsabilités spéciales qui leur sont léguées. Leur principale responsabilité à leur éga rd est de chercher et d’affirmer la vérité comme dès qu’ils le perçoivent. A cette fin, les enseignants consacrent leurs énergies au développement et à l’amélioration de leurs compétences académiques. Ils acceptent l’obligation d’exercer de l’auto-discipline et du jugement dans le processus d’utilisation, d’expansion et de transmission de savoirs. Ils pratiquent l’honnêteté intelectuelle. (American association of University Professors, Statement of Professional Ethics, June, 1987).

Certaines des plus grandes découvertes… consistent principalement en l’élimination d’obstacles psychologiques qui bloquent l’approche de la réalité; ce qui fait qu’elles paraissent post factum si évidentes.26

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“Nous sommes libres de dire ce que nous voulons dans le climat culturel répressif actuel, tant que ce que nous disons ne compte pas.

Ce critique croit – surtout dans le cadre de ce numéro de revue dédié à l’éthique de la profession académique – qu’il est essentiel pour lui d’inviter les lecteurs à « sortir des chantiers battus » des usuelles politiques d’enseignement supérieur afin de pouvoir percevoir pertinemment un cadre, un tableau plus étendu, où les discussions entre spécialistes concernant des questions d’éthique professionnelle relatives aux enseignants et aux administrateurs puissent être saisies de manière appropriée, à la fois épistémologiquement et socialement. Les deux ouvrages analysés réussissent admirablement à accomplir ce but, selon nous, à travers leurs propres visions du monde, divergentes mais complémentaires, celle technique et celle littéraire.39 Même si chacun des volumes vient d’une « orbite » différente de l’interprétation, les deux partagent une préoccupation commune pour la récupération et l’expansion de la portée des actions humaines dans les professions et dans la société à partir des marécages mitigés de la pensée de groupe et d’une « culture de l’audit » mécaniquement appliquée, et donc totalitaire. Dans The Human Factor, le professeur d’ingénierie Kim Vicente emploie une définition élargie de la « technologie » pour lancer sa critique réfléchie et complexe sur les débuts de l’ingénierie humaine, c’est-à-dire « le système par lequel une société fournit à ses membres des choses qui sont nécessaires ou désirées » (p. 20). En analysant des problèmes des systèmes de plus en plus complexes de soins médicaux, de sécurité de l’aviation, de contrôle de la circulation, etc., il met constamment en évidence l’influence exercée par des questions « non-techniques » comme les programmes de travail, les définitions légales de la culpabilité et de la responsabilité, et ainsi de suite, sur la réussite ou l’échec de toute technologie donnée. En tant que « anthropologue de la technologie », comme il se décrit soi-même, l’auteur croit être de son devoir de mettre en évidence les obstacles conceptuels qui apparaissent lorsqu’on tente de réunir de manière efficace les deux approches philosophiques d’interprétation de problèmes scientifiques spécifiques – pour ne pas mentionner le vide encore plus important existant actuellement entre les praticiens des sciences et ceux des arts dans le domaine de l’enseignement supérieur – de penser de manière humaniste et mécaniciste. En tant que professeur d’ingénierie, l’auteur s’intéresse principalement à combattre les mauvaises conséquences scientifiques et sociales d’une vision purement mécaniciste de la conception de systèmes (dis)fonctionnels dans les domaines susmentionnés de l’activité professionnelle gérée, et – à la différence de beaucoup dans son secteur – il tient également à nommer et prescrire des domaines économiques et politiques d’influence qui limitent l’étendue des activités de re- ingénierie humaine. L’ouvrage devrait intéresser les faiseurs de politiques d’enseignement supérieur comme une perspective sur les fondements éthiques non- inscrits que les universités et les collèges du monde entier se rattachent de plus en plus, un système massifié où les attributions jadis unifiées de l’enseignement, de la recherche, du conseil pour les étudiants et de l’évaluation sont divisées et transformées en des sphères spécialisées d’activité impliquant un grand nombre de personnes in situ et au-delà, nécessitant toutes un niveau plus élevé de coordination – ou de gestion – et de responsabilisation. Il présente le problème général de la manière suivante: Partout où on regarde, dans la vie de tous les jours ou dans des systèmes complexes, on voit des technologies qui dépassent nos pouvoirs humains de contrôle. Dans les plus simples des cas… les effets quotidiens qu’on subit sont assez mauvais –

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inefficacité, frustration, aliénation et une incapacité d’accomplir notre potentiel humain et technologique. Mais lorsqu’on observe des domaines où la sécurité est critique – l’énergie nucléaire, les soins médicaux, l’aviation, la sécurité des aéroports et l’environnement – les effets des dérapages de la technologie sont encore plus inquiétants. Des erreurs dans ces systèmes complexes peuvent conduire à des accidents industriels onéreux, comme c’est le cas des avions qui s’écrasent, dont les dégats valent des millions ou des milliards de dollars, pour ne pas mentionner les pertes inestimables en vies humaines. Des systèmes complexes incontrôlables peuvent également conduire à des litiges onéreux, car il y a des individus et des organisations qui sont fréquemment appelés en justice lorsque les choses vont mal. Dans certains cas, des erreurs de ces systèmes peuvent mener à des désastres écologiques qui menacent l’environnement, comme la contamination provoquée non seulement par Chernobyle, mais aussi par l’énorme Exxon Valdez qui a déversé tout son pétrole devant les côtes de l’Alaska. Ces coûts représentent un immense fardeau posé sur les épaules de la société. Et dans notre monde relié, des systèmes technologiques complexes mal conçus mettent en danger l’ensemble des pays, et pas uniquement les pays développés (pp. 27-28). Théoriquement, la meilleure partie de l’ouvrage de Vicente est le deuxième chapitre (« Pourquoi est-ce la technologie si incontrôlable ? »), où il présente son « échelle de technologies humaines », qui combine des technologies et des besoins perçus aux niveaux physique, psychologique, d’équipe (ou de groupe), organisationnel et politique, et le neuvième chapitre (« Impératifs politiques II: la défense de l’intérêt public »), où il présente les modèles séminaux d’évaluation dynamique des risques de Jens Rasmussen (qui intègrent des analyses des activités, du personnel, de la direction, de la compagnie, des régulateurs et des acteurs gouvernementaux afin de saisir comment les incidents et les « quasi-échecs » rapportés arrivent, tout en incluant une analyse des effets des forces psychologiques et financières sur l’évaluation des risques dans des situations données). Des exemples tirés de la réalité rajoutent une sensation de véridicité et de solidité à cette étude. Même si l’enseignement supérieur ne semble pas (à la première vue) être une entreprise « à haut risque » pour les enseignants et pour les étudiants, il peut trop facilement y parvenir, surtout dans le contexte du déclin des protections professionnelles des enseignants, et de l’incertitude de la « valeur d’échange » des diplômes universitaires des étudiants à la recherche d’un emploi, tout en ayant à rembourser des prêts pour les études. De cette manière, le travail de Vicente constitue un effort pertinent et admirable digne d’être pris en considération. Une perspective qui est très différente de celle de Vicente, mais qui comporte néanmoins un intérêt similaire pour les mœurs et les décisions éthiques dans la société (et dans l’enseignement supérieur, par conséquent), est présentée dans l’ouvrage du professeur britannique Curtis White, The Middle Mind. Il s’agit d’une collection humaniste et littéraire d’essais – qui fait largement appel aux conceptions

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épistémologiquement radicales souvent oubliées du poète américain du Vingtième siècle Wallace Steven40—, qui cherche A explorer cette pauvreté, notre pauvreté, à travers les médias, le monde académique et la politique, les trois domaines de la vie publique qui sont les véhicules des grands antagonistes de l’imagination: le divertissement, l’orthodoxisme, et l’idéologie. Mais je veux aussi penser, de manière plus positive, à la condition actuelle de notre esprit religieux et civique, ainsi qu’à quelque chose que j’appelerai le sublime, 27 qui nous fait signe de derrière les activités suffocantes, quoique familières, de divertissement, d’othodoxisme académique et d’idéologie. Le sublime est cette chose inprécise mais essentielle que Stevens appelait « l’ange nécessaire ». Il a quelque chose de très simple mais curieusement étranger à nous dire. Il veut nous dire que le changement est réel et que le monde peut être différent de ce qu’il est (p. 7). La lecture de ces ouvrages peut offrir un « système de radars » fiable aux spécialistes en enseignement supérieur qui cherchent à échapper aux exaspérants culs de sac28 ou « doubles sens » éthiques qui sont souvent posés à travers un « réalisme » réductionniste par l’ordre social actuel – comme il est démontré par les forces pédagogiques conflictuelles reflétées par les devises représentatives citées ci-dessus. Les deux auteurs peuvent être donc très utiles à mettre en marche une telle libération « utopique », soit par la promotion d’une manière holistique de penser à travers l’ingénierie humaine (Vicente) soit par le « débranchement » du simulacre de réflexion médiate offert même à un public d’élite aux Etats-Unis et de plus en plus à l’étranger (White). Dans un mot, on peut arriver à une nouvelle raison pour la Nouvelle Année seulement si on ose regarder au-delà des cellules de décision politique.

Eric Gilder Women’s Universities and Colleges: An International Handbook, de Francesca B. Purcell, Robin Matross Helms, et Laura Rumbley. Chestnut Hill: Boston College, Center for International Higher Education, Lynch School of Education, août 2004, 291 pp. Le Centre pour l’enseignement supérieur international du Collège de Boston (Boston College Center for International Higher Education) a récemment enrichi sa série de publications avec le susnommé manuel, qui contient des informations actualisées et structurées sur des établissements post-secondaires uniquement féminins de différentes régions du monde.

27Comme l’affirme White, « même si il a été un agent d’assurances, Stevens a eu une vision du réel qui a été radicale du point de vue politique. Il soutient, dans des termes qui dépeignent notre époque de manière effrayante:

En parlant de la pression de la réalité, je pense à la vie dans un état de violence, pas physiquement violent, pas encore pour nous aux Etats-Unis, mais physiquement violent pour des millions de nos amis et pour encore plus de millions de nos ennemis, et spirituellement violent, on doit le dire, pour tout être vivant. … Tout possible poète doit être un poète capable de résister ou d’évader à la pression de la réalité de ce dernier degré, dans l’idée que le degré d’aujourd’hui peut devenir un degré plus meurtrier demain (p.4). 28 En francais dans le texte.

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L’ouvrage offre au lecteur une revue des établissements d’enseignement importants, en principal d’Asie (76 établissements de 6 pays) et d’Amérique du Nord (44 établissements américains et 1 canadien). Le Moyen Orient est représenté par trois établissements, l’Europe par deux établissements (un de Norvège et l’autre d’Ukraine), et l’Afrique par un autre. Certains des raisons citées par les chercheurs de l’étendue limitée de la revue incluent un taux de réponse aux questionnaires relativement faible, le relatif manque de motiva tions pour les participants aux projet, les contraintes de temps, la pénurie d’informations nationales disponibles sur le sujet, et un manque de réaction – y inclus, de manière surprenante, de la part de pays qui accordent de l’importance à l’enseignement supérieur pour les femmes. Cette publication n’est pas (et n’est pas censée être) une compilation exhaustive des universités et des collèges pour les femmes. Comme il est mentionné dans l’introduction, il y a des régions où la séparation de l’enseignement pour les femmes et pour les hommes demeure stipulée dans la loi; de l’autre côté, il y a l’exemple des Etats-Unis, qui continuent à occuper la première place en ce qui concerne le nombre d’établissements centrés sur les femmes, même s’ils enregistrent un déclin visible. Dans d’autres parts du monde, comme en Amérique latine, en Australasie ou en Europe, la ségrégation par sexe dans l’enseignement ne constitue ni une tradition ni une option politique du fait de l’existence d’impératifs stricts d’égalité des sexes. De cette manière, même si on peut identifier beaucoup de programmes d’études sur les femmes et d’études de genre, il n’y a que peu d’établissements d’enseignement pour les femmes. Tout en sachant l’impossibilité de résumer la gamme étendue des initiatives de ce type, il est regrettable que des milieux d’enseignement virtuel conçus afin d’assurer la formation des femmes, comme l’Université virtuelle internationale pour les femmes (VIFU) d’Allemagne, n’ont pas été inclus dans cette investigation; ceux-ci auraient pu compléter et enrichir la perspective internationale de la publication. Néanmoins, les lecteurs qui cherchent ces types d’établissements peuvent y trouver des informations institutionnelles utiles, comme la mission de chaque établissement, les frais d’études, le type de financement, les types de diplômes offerts, des données démographiques et concernant les intérêts des étudiants, etc. Les chercheurs et les créateurs de politiques dans le domaine de l’enseignement peuvent trouver ici des informations supplémentaires, comme les domaines d’étude les plus populaires, le taux de diplômés qui obtiennent un emploi dans l’année suivant la fin des études, et les domaines de spécialisation habituels. Ces données peuvent s’avérer utiles dans des analyses qualitatives ou comparatives sur des thématiques comme l’évolution des choix de programmes d’études, les objectifs à long terme de l’enseignement pour les femmes ou même l’avenir institutionnel des universités pour les femmes. Les ouvrages comme celui-ci confirment le fait que les universités pour les femmes ont effectivement une « réelle histoire » et une tradition dans beaucoup de pays du monde entier; ont-elles aussi un avenir ? Est-ce que la place des femmes s’est déplacée de la périphérie vers le noyau du questionnement éducationnel et intellectuel, et est-ce que cela implique un renforcement du besoin de séparation, d’intégration, ou des deux à la fois ? La réponse ne peut pas être globale ou nette, elle doit être prise dans son contexte. D’une perspective européenne, la tendance peut s’axer plus sur la coordination de groupes et de problématiques sociaux; d’une perspective internationale ou de l’UNESCO, la tendance peut s’axer sur l’intégration. D’un point de vue féministe, je soutiens personnellement que les collèges et les

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universités pour les femmes devraient être préservés lorsqu’ils sont de haute qualité académique. Au-delà de ces points de référence, ces efforts de collecter, systématiser et dispenser des informations et des conseils sur ce sujet demeurent très pertinents et utiles.

Laura Grünberg Consortia: International Networking Alliances of Universities, de David Teather, éd. Carlton [Victoria, Australia]: Melbourne University Press, 2004, x-261 pp. ISBN 0-522 85096-0 L’ouvrage comporte treize chapitres écrits par des auteurs qualifiés dans le domaine des réseaux internationaux d’universités. Huit documents annexés dénombrent de manière chronologique les membres de différentes alliances et réseaux analysés dans le volume. L’introduction, écrite par l’éditeur, pose les questions suivantes: « Pourquoi est-ce qu’autant d’universités ont essayé de créer ou de se joindre à des réseaux institutionnels internationaux ? Jusqu’à quel point justifient les réseaux de succès les prétentions émises par leurs initiateurs ? » et promet: « Cet ouvrage tente de répondre à ce genre de questions en étudiant des réseaux sélectionnés, et à travers des études de cas de programmes et de projets spécifiques effectués par ces réseaux » (p. 2). Le livre est fait de paires de chapitres qui expliquent d’abord le but d’un réseau ou d’une alliance spécifique, pour enchaîner avec le deuxième chapitre, qui présente les projets du réseau ou de l’alliance. Même s’il y a de nombreux exemples de déclarations des objectifs et de compilations des bénéfices offerts par la participation à ces réseaux, le langage est plutôt nébuleux. Un des premiers chapitres de de Wit fournit une longue liste de choses à faire et à ne pas faire lorsqu’on met en œuvre un réseau, mais les explications sont vagues et pas aussi pratiques qu’elles devraient être. Une des affirmations faites par de Wit au sujet de ces alliances serait plus crédible si elle serait accompagnée par une présentation des étapes à suivre afin de la mettre en oeuvre:

Les partenariats stratégiques dans la recherche, l’enseignement et le transfert de savoirs – entre universités, entre universités et entreprises et au-delà des frontières étatiques – seront l’avenir de l’enseignement supérieur, afin de gérer les défis posés par la mondialisation (p. 48).

De Wit fait également une distinction entre l’internationalisation et la mondialisation, que la plupart des auteurs emploient de manière interchangeable: « L’internationalisation peut être vue comme une réponse de l’enseignement supérieur à la mondialisation de nos sociétés » (p. 30). Les différents consortiums présentés dans les paires de chapitres de l’ouvrage incluent l’Association des universités du Commonwealth, l’Association européenne des universités d’enseignement à distance (EADTU), le Consortium reliant les universités de science et technologie pour l’enseignement et la recherche (Consortium Linking Universities of Science and Technology for Education and Research - CLUSTER), l’Institut David C. Lam pour les études Est-Ouest (LEWI), Universitas 21, le Réseau des universités des capitales d’Europe (UNICA), et la Ligue des universités du monde (League of World Universities - LWU). La plupart de ces consortiums incluent des universités d’Europe, d’Asie et d’Australie, mais il y a aussi certaines universités américaines.

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es atouts: L’ouvrage présente des informations historiques complexes et précieuses sous la forme d’études de cas sur le développement et l’activité des dits consortiums. Il y a des documents importants concernant ces consortiums et leurs accomplissements. Les auteurs qui ont écrit au sujet de ces groupes sont bine informés et sont pour la plupart des anciens membres des réseaux sur lesquels ils écrivent. Les annexes fournissent des listes complètes et compréhensibles des réseaux analysés. On y retrouve une bibliographie étendue et un index utile. Les faiblesses: Même si l’ouvrage offre une vue d’ensemble des réalités vécues par ces consortiums, il n’offre pas au lecteur un chapitre sur les méthodes d’application des informations. En tant qu’éducatrice pragmatique, j’aime que la théorie soit accompagnée par des pas concrets de mise en œuvre effective des informations. L’addition d’un tel chapitre ou d’une telle annexe rendrait l’ouvrage plus utile aux responsables de programmes d’administration de l’enseignement supérieur et aux membres des corps intermédiaires de direction d’universités européennes et est-européennes, ainsi qu’à ceux d’universités américaines. En tant que tel, l’ouvrage sert uniquement de registre historique de ceux qui ont été personnellement impliqués dans les projets. Quelques exemples d’agendas des réunions, de plans de travail pour les projets, de budgets pour les voyages, et/ou de notes issues de réunions de prise de décisions rendraient l’ouvrage encore plus utile. Il n’est cité aucun de ces exemples, ce qui fait que les projets présentés semblent encore plus irréalisables à ceux qui n’en ont pas pris part. En tant qu’éducatrice féministe, j’ai dû également constater le manque d’auteurs femmes dans cet ouvrage. Puisque les chapitres ne citent que très rarement, si jamais, les noms des personnes impliquées, le lecteur peut se poser la question si des femmes y ont réellement participé. Lorsqu’on parle d’internationalisation et de mondialisation on devrait mentionner que les femmes demeurent majoritaires dans la population mondiale et deviennent de plus en plus majoritaires dans un grand nombre d’établissements d’enseignement supérieur, ce qui fait de celles-ci les personnes les plus affectées par tout possible effort de lancement de la pensée globale au-delà des frontières internationales. Le manque d’expériences ou de contributions féminines à cette discussion donne à l’ouvrage des perspectives limitées, pour le moins. Les possibles usages: L’ouvrage milite fortement en faveur de la nécessité de consortiums d’universités et d’entreprises au-delà des frontières internationales et peut être un excellent instrument pour tous ceux qui tentent de convaincre leurs universités à joindre un de ces consortiums. L’ouvrage peut aussi servir au mieux en tant que registre historique de la participation et des accomplissements de ceux qui ont investi dans les consortiums mentionnés. Les questions restées sans réponse: L’ouvrage respecte la promesse faite dans l’introduction de répondre à deux questions spécifiques, mais les questions qui demeurent dans la tête du lecteurs sont: Par quoi dois-je commencer ? Quelle personne de l’université doit entamer la mise en ouvre d’une telle entreprise ? Qui dois-je contacter premièrement pour y participer ?

Laura L. Savage

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Notes sur les auteurs VAN DEN BERG, Muriël, Chercheur

Adresse: Institut de recherche en politiques sociales (RISBO), Université Erasmus de Rotterdam, Burgemeester Oudlaan 50, Postbus 1738, NL-3000 DR Rotterdam, Pays-Bas. Tél.: +31 10 408 2124; Fax: +31 10 4529 734.

FAIRCLOUGH, Norman, Professeur de langage dans la vie sociale, LAMEL Adresse: Lancaster University, Lancaster LA1 4YT, Royaume-Uni.

GILDER, Eric, Professeur Dr. et boursier C. Peter Magrath

Adresse: Faculté de lettres et d’art, Université Lucian Blaga de Sibiu, Bd. Victoriei 5-7, RO-550024 Sibiu, Roumanie. Tél.: +40 269 215 556/ext.188; Fax: +40 269 217 887; e-mail: [email protected]

GOULD, Eric, Professeur

Adresse: University of Denver, Sturm Hall 485, Race and Asbury Streets, Denver CO 80208, Etats-Unis. Tél.: +1 303 871 4571; Fax: +1 303 316 7387; e-mail: [email protected]

GRÜNBERG, Laura, Dr., Assistante de programmes

Adresse: Centre européen de l’UNESCO pour l’enseignement supérieur (UNESCO-CEPES), Str. Stirbei Voda nr. 39, RO-010102 Bucarest, Roumanie. Tél.: +40 21 313 0839; Fax: +40 269 217 887; e-mail: [email protected]

HECHICHE, Abdelwahab, Professeur

Adresse: University of South Florida, SOC 107, 4202 E. Fowler Avenue, Tampa FL 33620-8100, Etats-Unis. Tél.: +1 813 974 2249; Fax: +1 813 974 4345; e-mail: [email protected]

HOFMAN, Adriaan W. H., Professeur, Directeur de recherche, Institut de recherche en politiques sociales (RISBO)

Adresse: Université Erasmus de Rotterdam, Burgemeester Oudlaan 50, Postbus 1738, NL-3000 DR Rotterdam, Pays-Bas. Tél.: +31 10 408 2124; Fax: +31 10 4529 734; e-mail: [email protected]

KOHLER, Jürgen, Professeur, Directeur, Droit civil et procédure civile

Adresse: Université de Greifswald, Domstrasse 20, D-17487 Greifswald, Allemagne. Tél.: +49 383 486 2128; Fax: +49 383 486 2113; e-mail:[email protected]

MANIERE, Roger

Adresse: Bureau pour l’Europe Centrale et de l’Est, Agence universitaire de la Francophonie (AUF), 1, Schitul Magureanu St., RO-050025 Bucarest, Roumanie. Tél.: +40 21 312 12 76; Fax: +40 21 312 16 66; e-mail:[email protected]

MARGA, Andrei, Professor, Président du Conseil académique

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Adresse: Université Babes-Bolyai, Str. Kogalniceanu Mihail nr. 1-2, RO-400084 Cluj-Napoca, Roumanie. Tél.: +40 64 405 390/5937; Fax: +40 64 191 906; e-mail: [email protected]

MAYOR, Federico, Professeur, Président, Fondation Culture de la Paix

Adresse: Universidad Autonoma de Madrid, c/Velázquez 14-3, E-28001 Madrid, Espagne. Tél.: +34 91 426 1555; Fax: +34 91 431 6387; e-mail: [email protected]; info@fund_culturadepaz.org

RATAJCZAK, Henryk, Professeur, Membre de l’Académie polonaise des sciences (PAN); Vice-président, Académie européenne des sciences, des arts et des lettres - Academia europensis (EAASH)

Adresse: Faculté de chimie, Université de Wroclaw, 14, F. Joliot-Curie, 50-383 Wroclaw, Pologne. Tél.: +33 1 5690 1834; Fax: +33 1 4755 4697; e-mail: akademia@club- internat.fr

SADLAK, Jan, Dr., Directeur

Adresse: Centre européen de l’UNESCO pour l’enseignement supérieur (UNESCO-CEPES), Str. Stirbei Voda nr. 39, RO-010102 Bucarest, Roumanie. Tél.: +40 21 313 0698; Fax: +401 312 3567; e-mail: [email protected]

SAVAGE, Laura L., EdD, Professeur

Adresse: Cooperative Studies, Inc., P.O. Box 12830, Overland Park, KS 66282-2830, Etats-Unis. E-mail: [email protected]

SCOTT, Peter, Professeur, Vice-chancelier

Adresse: Kingston University, River House, 53-57 High Street, Kingston upon Thames, Surrey KT2 7PW, Royaume-Uni. Tél.: +44 208 547 7001; Fax: +44 208 547 7009; e-mail: [email protected]

SZOSTEK, Andrzej, Professeur

Adresse: Catholic Université de Lublin, Al. Raclawickie 14, PL 20-960 Lublin, Pologne. Tél.: +48 81 445 4120; Fax: +48 81 445 4123; e-mail: [email protected]