Réflexions Ou Sentences Et Maximes Morales
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Rflexions ou sentences et maximes moralesLa Rochefoucauld, Franois de
Publication: 1664Catgorie(s): Non-Fiction, Sciences humaines, PhilosophieSource: http://www.ebooksgratuits.com
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A Propos La Rochefoucauld:Franois VI, duc de la Rochefoucauld, n le 15 septembre
1613 Paris et mort le 17 mars 1680, est un crivain, mora-liste et mmorialiste franais, surtout connu pour ses Maximes.Officiellement, il n'a publi que Mmoires et Maximes mais il crivait beaucoup. Appartenant l'une des plus illustresfamilles de la noblesse franaise, le prince de Marcillac prend,trs jeune, part au complot de Mme de Chevreuse contre Ri-chelieu. Sa vie se voit ds lors ponctue de disgrces ; embas-till, il opte pour l'exil et se retire sur ses terres. A la mort deRichelieu, il revient la cour. Mazarin succde Richelieu,mais l'animosit ne s'tiole pas. Bless plusieurs reprises aucombat, il vitera de peu la ccit. Jouissant de la faveur deLouis XIV, il se consacre la rflexion. Aprs la mort de sonpre, il prend le titre de duc de La Rochefoucauld. Il rdigealors ses 'Mmoires' qu'il consacre la rgence d'Anned'Autriche, mais le scandale le pousse dsavouer son uvre.Il frquente ds lors les salons des 'honntes gens' et se lied'amiti avec la marquise de Svign, Mme de Sabl et plusparticulirement avec Mme de La Fayette. Ses rflexions suc-cessives l'amneront publier un ouvrage indit : les'Maximes', ponctu d'aphorismes philosophiques. La Rochefou-cauld s'teindra aprs avoir reu l'extrme-onction des mainsde Bossuet.
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Partie 1Rflexions morales
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Nos vertus ne sont, le plus souvent, que de vices dguiss.1
Ce que nous prenons pour des vertus n'est souvent qu'un as-semblage de diverses actions et de divers intrts, que la for-tune ou notre industrie savent arranger; et ce n'est pas tou-jours par valeur et par chastet que les hommes sont vaillants,et que les femmes sont chastes.
2L'amour-propre est le plus grand de tous les flatteurs.
3Quelque dcouverte que l'on ait faite dans le pays de
l'amour-propre, il y reste encore bien des terres inconnues.4
L'amour-propre est plus habile que le plus habile homme dumonde.
5La dure de nos passions ne dpend pas plus de nous que la
dure de notre vie.6
La passion fait souvent un fou du plus habile homme, et rendsouvent les plus sots habiles.
7Ces grandes et clatantes actions qui blouissent les yeux
sont reprsentes par les politiques comme les effets desgrands desseins, au lieu que ce sont d'ordinaire les effets del'humeur et des passions. Ainsi la guerre d'Auguste etd'Antoine, qu'on rapporte l'ambition qu'ils avaient de serendre matres du monde, n'tait peut-tre qu'un effet dejalousie.
8Les passions sont les seuls orateurs qui persuadent toujours.
Elles sont comme un art de la nature dont les rgles sont in-faillibles; et l'homme le plus simple qui a de la passion per-suade mieux que le plus loquent qui n'en a point.
9Les passions ont une injustice et un propre intrt qui fait
qu'il est dangereux de les suivre, et qu'on s'en doit dfier lorsmme qu'elles paraissent les plus raisonnables.
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Il y a dans le cur humain une gnration perptuelle depassions, en sorte que la ruine de l'une est presque toujoursl'tablissement d'une autre.
11Les passions en engendrent souvent qui leur sont contraires.
L'avarice produit quelquefois la prodigalit, et la prodigalitl'avarice; on est souvent ferme par faiblesse, et audacieux partimidit.
12Quelque soin que l'on prenne de couvrir ses passions par des
apparences de pit et d'honneur, elles paraissent toujours autravers de ces voiles.
13Notre amour-propre souffre plus impatiemment la condam-
nation de nos gots que de nos opinions.14
Les hommes ne sont pas seulement sujets perdre le souve-nir des bienfaits et des injures; ils hassent mme ceux qui lesont obligs, et cessent de har ceux qui leur ont fait des ou-trages. L'application rcompenser le bien, et se venger dumal, leur parat une servitude laquelle ils ont peine de sesoumettre.
15La clmence des princes n'est souvent qu'une politique pour
gagner l'affection des peuples.16
Cette clmence dont on fait une vertu se pratique tantt parvanit, quelquefois par paresse, souvent par crainte, etpresque toujours par tous les trois ensemble.
17La modration des personnes heureuses vient du calme que
la bonne fortune donne leur humeur.18
La modration est une crainte de tomber dans l'envie et dansle mpris que mritent ceux qui s'enivrent de leur bonheur;c'est une vaine ostentation de la force de notre esprit; et enfinla modration des hommes dans leur plus haute lvation estun dsir de paratre plus grands que leur fortune.
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Nous avons tous assez de force pour supporter les mauxd'autrui.
20La constance des sages n'est que l'art de renfermer leur agi-
tation dans le cur.21
Ceux qu'on condamne au supplice affectent quelquefois uneconstance et un mpris de la mort qui n'est en effet que lacrainte de l'envisager. De sorte qu'on peut dire que cetteconstance et ce mpris sont leur esprit ce que le bandeau est leurs yeux.
22La philosophie triomphe aisment des maux passs et des
maux venir. Mais les maux prsents triomphent d'elle.23
Peu de gens connaissent la mort. On ne la souffre pas ordi-nairement par rsolution, mais par stupidit et par coutume; etla plupart des hommes meurent parce qu'on ne peuts'empcher de mourir.
24Lorsque les grands hommes se laissent abattre par la lon-
gueur de leurs infortunes, ils font voir qu'ils ne les soutenaientque par la force de leur ambition, et non par celle de leur me,et qu' une grande vanit prs les hros sont faits comme lesautres hommes.
25Il faut de plus grandes vertus pour soutenir la bonne fortune
que la mauvaise.26
Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement.27
On fait souvent vanit des passions mme les plus crimi-nelles; mais l'envie est une passion timide et honteuse que l'onn'ose jamais avouer.
28La jalousie est en quelque manire juste et raisonnable,
puisqu'elle ne tend qu' conserver un bien qui nous appartient,ou que nous croyons nous appartenir; au lieu que l'envie estune fureur qui ne peut souffrir le bien des autres.
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Le mal que nous faisons ne nous attire pas tant de perscu-tion et de haine que nos bonnes qualits.
30Nous avons plus de force que de volont; et c'est souvent
pour nous excuser nous-mmes que nous nous imaginons queles choses sont impossibles.
31Si nous n'avions point de dfauts, nous ne prendrions pas
tant de plaisir en remarquer dans les autres.32
La jalousie se nourrit dans les doutes, et elle devient fureur,ou elle finit, sitt qu'on passe du doute la certitude.
33L'orgueil se ddommage toujours et ne perd rien lors mme
qu'il renonce la vanit34
Si nous n'avions point d'orgueil, nous ne nous plaindrions pasde celui des autres.
35L'orgueil est gal dans tous les hommes, et il n'y a de diff-
rence qu'aux moyens et la manire de le mettre au jour.36
Il semble que la nature, qui a si sagement dispos les or-ganes de notre corps pour nous rendre heureux; nous ait aussidonn l'orgueil pour nous pargner la douleur de connatre nosimperfections.
37L'orgueil a plus de part que la bont aux remontrances que
nous faisons ceux qui commettent des fautes; et nous ne lesreprenons pas tant pour les en corriger que pour leur persua-der que nous en sommes exempts.
38Nous promettons selon nos esprances, et nous tenons selon
nos craintes.39
L'intrt parle toutes sortes de langues, et joue toutes sortesde personnages, mme celui de dsintress.
40L'intrt, qui aveugle les uns, fait la lumire des autres.
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Ceux qui s'appliquent trop aux petites choses deviennent or-dinairement incapables des grandes.
42Nous n'avons pas assez de force pour suivre toute notre
raison.43
L'homme croit souvent se conduire lorsqu'il est conduit; etpendant que par son esprit il tend un but, son cur l'entraneinsensiblement un autre.
44La force et la faiblesse de l'esprit sont mal nommes; elles ne
sont en effet que la bonne ou la mauvaise disposition des or-ganes du corps.
45Le caprice de notre humeur est encore plus bizarre que celui
de la fortune.46
L'attachement ou l'indiffrence que les philosophes avaientpour la vie n'tait qu'un got de leur amour-propre, dont on nedoit non plus disputer que du got de la langue ou du choix descouleurs.
47Notre humeur met le prix tout ce qui nous vient de la
fortune.48
La flicit est dans le got et non pas dans les choses; etc'est par avoir ce qu'on aime qu'on est heureux, et non paravoir ce que les autres trouvent aimable.
49On n'est jamais si heureux ni si malheureux qu'on s'imagine.
50Ceux qui croient avoir du mrite se font un honneur d'tre
malheureux, pour persuader aux autres et eux-mmes qu'ilssont dignes d'tre en butte la fortune.
51Rien ne doit tant diminuer la satisfaction que nous avons de
nous-mmes, que de voir que nous dsapprouvons dans untemps ce que nous approuvions dans un autre.
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Quelque diffrence qui paraisse entre les fortunes, il y ananmoins une certaine compensation de biens et de maux quiles rend gales.
53Quelques grands avantages que la nature donne, ce n'est pas
elle seule, mais la fortune avec elle qui fait les hros.54
Le mpris des richesses tait dans les philosophes un dsircach de venger leur mrite de l'injustice de la fortune par lempris des mmes biens dont elle les privait; c'tait un secretpour se garantir de l'avilissement de la pauvret; c'tait unchemin dtourn pour aller la considration qu'ils ne pou-vaient avoir par les richesses.
55La haine pour les favoris n'est autre chose que l'amour de la
faveur. Le dpit de ne la pas possder se console et s'adoucitpar le mpris que l'on tmoigne de ceux qui la possdent; etnous leur refusons nos hommages, ne pouvant pas leur ter cequi leur attire ceux de tout le monde.
56Pour s'tablir dans le monde, on fait tout ce que l'on peut
pour y paratre tabli.57
Quoique les hommes se flattent de leurs grandes actions,elles ne sont pas souvent les effets d'un grand dessein, maisdes effets du hasard.
58Il semble que nos actions aient des toiles heureuses ou mal-
heureuses qui elles doivent une grande partie de la louangeet du blme qu'on leur donne.
59Il n'y a point d'accidents si malheureux dont les habiles gens
ne tirent quelque avantage, ni de si heureux que les impru-dents ne puissent tourner leur prjudice.
60La fortune tourne tout l'avantage de ceux qu'elle favorise.
61Le bonheur et le malheur des hommes ne dpend pas moins
de leur humeur que de la fortune.62
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La sincrit est une ouverture de cur. On la trouve en fortpeu de gens; et celle que l'on voit d'ordinaire n'est qu'une finedissimulation pour attirer la confiance des autres.
63L'aversion du mensonge est souvent une imperceptible ambi-
tion de rendre nos tmoignages considrables, et d'attirer nos paroles un respect de religion.
64La vrit ne fait pas tant de bien dans le monde que ses ap-
parences y font de mal.65
Il n'y a point d'loges qu'on ne donne la prudence. Cepen-dant elle ne saurait nous assurer du moindre vnement.
66Un habile homme doit rgler le rang de ses intrts et les
conduire chacun dans son ordre. Notre avidit le trouble sou-vent en nous faisant courir tant de choses la fois que, pourdsirer trop les moins importantes, on manque les plusconsidrables.
67La bonne grce est au corps ce que le bon sens est l'esprit.
68Il est difficile de dfinir l'amour. Ce qu'on en peut dire est
que dans l'me c'est une passion de rgner, dans les espritsc'est une sympathie, et dans le corps ce n'est qu'une envie ca-che et dlicate de possder ce que l'on aime aprs beaucoupde mystres.
69S'il y a un amour pur et exempt du mlange de nos autres
passions, c'est celui qui est cach au fond du cur, et que nousignorons nous-mmes.
70Il n'y a point de dguisement qui puisse longtemps cacher
l'amour o il est, ni le feindre o il n'est pas.71
Il n'y a gure de gens qui ne soient honteux de s'tre aimsquand ils ne s'aiment plus.
72Si on juge de l'amour par la plupart de ses effets, il res-
semble plus la haine qu' l'amiti.
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73On peut trouver des femmes qui n'ont jamais eu de galante-
rie; mais il est rare d'en trouver qui n'en aient jamais euqu'une.
74Il n'y a que d'une sorte d'amour, mais il y en a mille diff-
rentes copies.75
L'amour aussi bien que le feu ne peut subsister sans un mou-vement continuel; et il cesse de vivre ds qu'il cesse d'esprerou de craindre.
76Il est du vritable amour comme de l'apparition des esprits:
tout le monde en parle, mais peu de gens en ont vu.77
L'amour prte son nom un nombre infini de commercesqu'on lui attribue, et o il n'a non plus de part que le Doge cequi se fait Venise.
78L'amour de la justice n'est en la plupart des hommes que la
crainte de souffrir l'injustice.79
Le silence est le parti le plus sr de celui qui se dfie de soi-mme.
80Ce qui nous rend si changeants dans nos amitis, c'est qu'il
est difficile de connatre les qualits de l'me, et facile deconnatre celles de l'esprit.
81Nous ne pouvons rien aimer que par rapport nous, et nous
ne faisons que suivre notre got et notre plaisir quand nousprfrons nos amis nous-mmes; c'est nanmoins par cetteprfrence seule que l'amiti peut tre vraie et parfaite.
82La rconciliation avec nos ennemis n'est qu'un dsir de
rendre notre condition meilleure, une lassitude de la guerre, etune crainte de quelque mauvais vnement.
83Ce que les hommes ont nomm amiti n'est qu'une socit,
qu'un mnagement rciproque d'intrts, et qu'un change de
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bons offices; ce n'est enfin qu'un commerce o l'amour-proprese propose toujours quelque chose gagner.
84Il est plus honteux de se dfier de ses amis que d'en tre
tromp.85
Nous nous persuadons souvent d'aimer les gens plus puis-sants que nous; et nanmoins c'est l'intrt seul qui produitnotre amiti. Nous ne nous donnons pas eux pour le bien quenous leur voulons faire, mais pour celui que nous en voulonsrecevoir.
86Notre dfiance justifie la tromperie d'autrui.
87Les hommes ne vivraient pas longtemps en socit s'ils
n'taient les dupes les uns des autres.88
L'amour-propre nous augmente ou nous diminue les bonnesqualits de nos amis proportion de la satisfaction que nousavons d'eux; et nous jugeons de leur mrite par la maniredont ils vivent avec nous.
89Tout le monde se plaint de sa mmoire, et personne ne se
plaint de son jugement.90
Nous plaisons plus souvent dans le commerce de la vie parnos dfauts que par nos bonnes qualits.
91La plus grande ambition n'en a pas la moindre apparence
lorsqu'elle se rencontre dans une impossibilit absolued'arriver o elle aspire.
92Dtromper un homme proccup de son mrite est lui rendre
un aussi mauvais office que celui que l'on rendit ce foud'Athnes, qui croyait que tous les vaisseaux qui arrivaientdans le port taient lui.
93Les vieillards aiment donner de bons prceptes, pour se
consoler de n'tre plus en tat de donner de mauvais exemples.94
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Les grands noms abaissent, au lieu d'lever, ceux qui ne lessavent pas soutenir.
95La marque d'un mrite extraordinaire est de voir que ceux
qui l'envient le plus sont contraints de le louer.96
Tel homme est ingrat, qui est moins coupable de son ingrati-tude que celui qui lui a fait du bien.
97On s'est tromp lorsqu'on a cru que l'esprit et le jugement
taient deux choses diffrentes. Le jugement n'est que la gran-deur de la lumire de l'esprit; cette lumire pntre le fond deschoses; elle y remarque tout ce qu'il faut remarquer et aperoitcelles qui semblent imperceptibles. Ainsi il faut demeurerd'accord que c'est l'tendue de la lumire de l'esprit qui pro-duit tous les effets qu'on attribue au jugement.
98Chacun dit du bien de son cur, et personne n'en ose dire de
son esprit.99
La politesse de l'esprit consiste penser des choses honnteset dlicates.
100La galanterie de l'esprit est de dire des choses flatteuses
d'une manire agrable.101
Il arrive souvent que des choses se prsentent plus acheves notre esprit qu'il ne les pourrait faire avec beaucoup d'art.
102L'esprit est toujours la dupe du cur.
103Tous ceux qui connaissent leur esprit ne connaissent pas leur
cur.104
Les hommes et les affaires ont leur point de perspective. Il yen a qu'il faut voir de prs pour en bien juger, et d'autres donton ne juge jamais si bien que quand on en est loign.
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Celui-l n'est pas raisonnable qui le hasard fait trouver laraison, mais celui qui la connat, qui la discerne, et qui lagote.
106Pour bien savoir les choses, il en faut savoir le dtail; et
comme il est presque infini, nos connaissances sont toujourssuperficielles et imparfaites.
107C'est une espce de coquetterie de faire remarquer qu'on
n'en fait jamais.108
L'esprit ne saurait jouer longtemps le personnage du cur.109
La jeunesse change ses gots par l'ardeur du sang, et lavieillesse conserve les siens par l'accoutumance.
110On ne donne rien si libralement que ses conseils.
111Plus on aime une matresse, et plus on est prs de la har.
112Les dfauts de l'esprit augmentent en vieillissant comme
ceux du visage.113
Il y a de bons mariages, mais il n'y en a point de dlicieux.114
On ne se peut consoler d'tre tromp par ses ennemis, et tra-hi par ses amis; et l'on est souvent satisfait de l'tre par soi-mme.
115Il est aussi facile de se tromper soi-mme sans s'en aperce-
voir qu'il est difficile de tromper les autres sans qu'ils s'enaperoivent.
116Rien n'est moins sincre que la manire de demander et de
donner des conseils. Celui qui en demande parat avoir une d-frence respectueuse pour les sentiments de son ami, bien qu'ilne pense qu' lui faire approuver les siens, et le rendre ga-rant de sa conduite. Et celui qui conseille paye la confiancequ'on lui tmoigne d'un zle ardent et dsintress, quoiqu'il
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ne cherche le plus souvent dans les conseils qu'il donne queson propre intrt ou sa gloire.
117La plus subtile de toutes les finesses est de savoir bien
feindre de tomber dans les piges que l'on nous tend, et onn'est jamais si aisment tromp que quand on songe tromperles autres.
118L'intention de ne jamais tromper nous expose tre souvent
tromps.119
Nous sommes si accoutums nous dguiser aux autresqu'enfin nous nous dguisons nous-mmes.
120L'on fait plus souvent des trahisons par faiblesse que par un
dessein form de trahir.121
On fait souvent du bien pour pouvoir impunment faire dumal.
122Si nous rsistons nos passions, c'est plus par leur faiblesse
que par notre force.123
On n'aurait gure de plaisir si on ne se flattait jamais.124
Les plus habiles affectent toute leur vie de blmer les fi-nesses pour s'en servir en quelque grande occasion et pourquelque grand intrt.
125L'usage ordinaire de la finesse est la marque d'un petit es-
prit, et il arrive presque toujours que celui qui s'en sert pour secouvrir en un endroit, se dcouvre en un autre.
126Les finesses et les trahisons ne viennent que de manque
d'habilet.127
Le vrai moyen d'tre tromp, c'est de se croire plus fin queles autres.
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La trop grande subtilit est une fausse dlicatesse, et la vri-table dlicatesse est une solide subtilit.
129Il suffit quelquefois d'tre grossier pour n'tre pas tromp
par un habile homme.130
La faiblesse est le seul dfaut que l'on ne saurait corriger.131
Le moindre dfaut des femmes qui se sont abandonnes faire l'amour, c'est de faire l'amour.
132Il est plus ais d'tre sage pour les autres que de l'tre pour
soi-mme.133
Les seules bonnes copies sont celles qui nous font voir le ridi-cule des mchants originaux.
134On n'est jamais si ridicule par les qualits que l'on a que par
celles que l'on affecte d'avoir.135
On est quelquefois aussi diffrent de soi-mme que desautres.
136Il y a des gens qui n'auraient jamais t amoureux s'ils
n'avaient jamais entendu parler de l'amour.137
On parle peu quand la vanit ne fait pas parler.138
On aime mieux dire du mal de soi-mme que de n'en pointparler.
139Une des choses qui fait que l'on trouve si peu de gens qui pa-
raissent raisonnables et agrables dans la conversation, c'estqu'il n'y a presque personne qui ne pense plutt ce qu'il veutdire qu' rpondre prcisment ce qu'on lui dit. Les plus ha-biles et les plus complaisants se contentent de montrer seule-ment une mine attentive, au mme temps que l'on voit dansleurs yeux et dans leur esprit un garement pour ce qu'on leurdit, et une prcipitation pour retourner ce qu'ils veulent dire;au lieu de considrer que c'est un mauvais moyen de plaire aux
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autres ou de les persuader, que de chercher si fort se plaire soi-mme, et que bien couter et bien rpondre est une desplus grandes perfections qu'on puisse avoir dans laconversation.
140Un homme d'esprit serait souvent bien embarrass sans la
compagnie des sots.141
Nous nous vantons souvent de ne nous point ennuyer; etnous sommes si glorieux que nous ne voulons pas nous trouverde mauvaise compagnie.
142Comme c'est le caractre des grands esprits de faire en-
tendre en peu de paroles beaucoup de choses, les petits espritsau contraire ont le don de beaucoup parler, et de ne rien dire.
143C'est plutt par l'estime de nos propres sentiments que nous
exagrons les bonnes qualits des autres, que par l'estime deleur mrite; et nous voulons nous attirer des louanges, lorsqu'ilsemble que nous leur en donnons.
144On n'aime point louer, et on ne loue jamais personne sans
intrt. La louange est une flatterie habile, cache, et dlicate,qui satisfait diffremment celui qui la donne, et celui qui la re-oit. L'un la prend comme une rcompense de son mrite;l'autre la donne pour faire remarquer son quit et sondiscernement.
145Nous choisissons souvent des louanges empoisonnes qui
font voir par contrecoup en ceux que nous louons des dfautsque nous n'osons dcouvrir d'une autre sorte.
146On ne loue d'ordinaire que pour tre lou.
147Peu de gens sont assez sages pour prfrer le blme qui leur
est utile la louange qui les trahit.148
Il y a des reproches qui louent, et des louanges qui mdisent.149
Le refus des louanges est un dsir d'tre lou deux fois.
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150Le dsir de mriter les louanges qu'on nous donne fortifie
notre vertu; et celles que l'on donne l'esprit, la valeur, et la beaut contribuent les augmenter.
151Il est plus difficile de s'empcher d'tre gouvern que de
gouverner les autres.152
Si nous ne nous flattions point nous-mmes, la flatterie desautres ne nous pourrait nuire.
153La nature fait le mrite, et la fortune le met en uvre.
154La fortune nous corrige de plusieurs dfauts que la raison ne
saurait corriger.155
Il y a des gens dgotants avec du mrite, et d'autres quiplaisent avec des dfauts.
156Il y a des gens dont tout le mrite consiste dire et faire
des sottises utilement, et qui gteraient tout s'ils changeaientde conduite.
157La gloire des grands hommes se doit toujours mesurer aux
moyens dont ils se sont servis pour l'acqurir.158
La flatterie est une fausse monnaie qui n'a de cours que parnotre vanit.
159Ce n'est pas assez d'avoir de grandes qualits; il en faut avoir
l'conomie.160
Quelque clatante que soit une action, elle ne doit pas passerpour grande lorsqu'elle n'est pas l'effet d'un grand dessein.
161Il doit y avoir une certaine proportion entre les actions et les
desseins si on en veut tirer tous les effets qu'elles peuventproduire.
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L'art de savoir bien mettre en uvre de mdiocres qualitsdrobe l'estime et donne souvent plus de rputation que le v-ritable mrite.
163Il y a une infinit de conduites qui paraissent ridicules, et
dont les raisons caches sont trs sages et trs solides.164
Il est plus facile de paratre digne des emplois qu'on n'a pasque de ceux que l'on exerce.
165Notre mrite nous attire l'estime des honntes gens, et notre
toile celle du public.166
Le monde rcompense plus souvent les apparences du mriteque le mrite mme.
167L'avarice est plus oppose l'conomie que la libralit.
168L'esprance, toute trompeuse qu'elle est, sert au moins
nous mener la fin de la vie par un chemin agrable.169
Pendant que la paresse et la timidit nous retiennent dansnotre devoir, notre vertu en a souvent tout l'honneur.
170Il est difficile de juger si un procd net, sincre et honnte
est un effet de probit ou d'habilet.171
Les vertus se perdent dans l'intrt, comme les fleuves seperdent dans la mer.
172Si on examine bien les divers effets de l'ennui, on trouvera
qu'il fait manquer plus de devoirs que l'intrt.173
Il y a diverses sortes de curiosit: l'une d'intrt, qui nousporte dsirer d'apprendre ce qui nous peut tre utile, etl'autre d'orgueil, qui vient du dsir de savoir ce que les autresignorent.
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Il vaut mieux employer notre esprit supporter les infor-tunes qui nous arrivent qu' prvoir celles qui nous peuventarriver.
175La constance en amour est une inconstance perptuelle, qui
fait que notre cur s'attache successivement toutes les quali-ts de la personne que nous aimons, donnant tantt la prf-rence l'une, tantt l'autre; de sorte que cette constancen'est qu'une inconstance arrte et renferme dans un mmesujet.
176Il y a deux sortes de constance en amour: l'une vient de ce
que l'on trouve sans cesse dans la personne que l'on aime denouveaux sujets d'aimer, et l'autre vient de ce que l'on se faitun honneur d'tre constant.
177La persvrance n'est digne ni de blme ni de louange, parce
qu'elle n'est que la dure des gots et des sentiments, qu'on nes'te et qu'on ne se donne point.
178Ce qui nous fait aimer les nouvelles connaissances n'est pas
tant la lassitude que nous avons des vieilles ou le plaisir dechanger, que le dgot de n'tre pas assez admirs de ceux quinous connaissent trop, et l'esprance de l'tre davantage deceux qui ne nous connaissent pas tant.
179Nous nous plaignons quelquefois lgrement de nos amis
pour justifier par avance notre lgret.180
Notre repentir n'est pas tant un regret du mal que nousavons fait, qu'une crainte de celui qui nous en peut arriver.
181Il y a une inconstance qui vient de la lgret de l'esprit ou
de sa faiblesse, qui lui fait recevoir toutes les opinions d'autrui,et il y en a une autre, qui est plus excusable, qui vient du d-got des choses.
182Les vices entrent dans la composition des vertus comme les
poisons entrent dans la composition des remdes. La prudence
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les assemble et les tempre, et elle s'en sert utilement contreles maux de la vie.
183Il faut demeurer d'accord l'honneur de la vertu que les plus
grands malheurs des hommes sont ceux o ils tombent par lescrimes.
184Nous avouons nos dfauts pour rparer par notre sincrit le
tort qu'ils nous font dans l'esprit des autres.185
Il y a des hros en mal comme en bien.186
On ne mprise pas tous ceux qui ont des vices; mais on m-prise tous ceux qui n'ont aucune vertu.
187Le nom de la vertu sert l'intrt aussi utilement que les
vices.188
La sant de l'me n'est pas plus assure que celle du corps;et quoique l'on paraisse loign des passions, on n'est pasmoins en danger de s'y laisser emporter que de tomber maladequand on se porte bien.
189Il semble que la nature ait prescrit chaque homme ds sa
naissance des bornes pour les vertus et pour les vices.190
Il n'appartient qu'aux grands hommes d'avoir de grandsdfauts.
191On peut dire que les vices nous attendent dans le cours de la
vie comme des htes chez qui il faut successivement loger; etje doute que l'exprience nous les ft viter s'il nous tait per-mis de faire deux fois le mme chemin.
192Quand les vices nous quittent, nous nous flattons de la
crance que c'est nous qui les quittons.193
Il y a des rechutes dans les maladies de l'me, comme danscelles du corps. Ce que nous prenons pour notre gurison n'estle plus souvent qu'un relche ou un changement de mal.
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194Les dfauts de l'me sont comme les blessures du corps:
quelque soin qu'on prenne de les gurir, la cicatrice parat tou-jours, et elles sont tout moment en danger de se rouvrir.
195Ce qui nous empche souvent de nous abandonner un seul
vice est que nous en avons plusieurs.196
Nous oublions aisment nos fautes lorsqu'elles ne sont suesque de nous.
197Il y a des gens de qui l'on peut ne jamais croire du mal sans
l'avoir vu; mais il n'y en a point en qui il nous doive surprendreen le voyant.
198Nous levons la gloire des uns pour abaisser celle des autres.
Et quelquefois on louerait moins Monsieur le Prince etM. de Turenne si on ne les voulait point blmer tous deux.
199Le dsir de paratre habile empche souvent de le devenir.
200La vertu n'irait pas si loin si la vanit ne lui tenait
compagnie.201
Celui qui croit pouvoir trouver en soi-mme de quoi se passerde tout le monde se trompe fort; mais celui qui croit qu'on nepeut se passer de lui se trompe encore davantage.
202Les faux honntes gens sont ceux qui dguisent leurs dfauts
aux autres et eux-mmes. Les vrais honntes gens sont ceuxqui les connaissent parfaitement et les confessent.
203Le vrai honnte homme est celui qui ne se pique de rien.
204La svrit des femmes est un ajustement et un fard qu'elles
ajoutent leur beaut.205
L'honntet des femmes est souvent l'amour de leur rputa-tion et de leur repos.
206
22
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C'est tre vritablement honnte homme que de vouloir tretoujours expos la vue des honntes gens.
207La folie nous suit dans tous les temps de la vie. Si quelqu'un
parat sage, c'est seulement parce que ses folies sont propor-tionnes son ge et sa fortune.
208Il y a des gens niais qui se connaissent, et qui emploient ha-
bilement leur niaiserie.209
Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit.210
En vieillissant on devient plus fou, et plus sage.211
Il y a des gens qui ressemblent aux vaudevilles, qu'on nechante qu'un certain temps.
212La plupart des gens ne jugent des hommes que par la vogue
qu'ils ont, ou par leur fortune.213
L'amour de la gloire, la crainte de la honte, le dessein defaire fortune, le dsir de rendre notre vie commode etagrable, et l'envie d'abaisser les autres, sont souvent lescauses de cette valeur si clbre parmi les hommes.
214La valeur est dans les simples soldats un mtier prilleux
qu'ils ont pris pour gagner leur vie.215
La parfaite valeur et la poltronnerie complte sont deux ex-trmits o l'on arrive rarement. L'espace qui est entre-deuxest vaste, et contient toutes les autres espces de courage: iln'y a pas moins de diffrence entre elles qu'entre les visages etles humeurs. Il y a des hommes qui s'exposent volontiers aucommencement d'une action, et qui se relchent et se rebutentaisment par sa dure. Il y en a qui sont contents quand ils ontsatisfait l'honneur du monde, et qui font fort peu de chose au-del. On en voit qui ne sont pas toujours galement matres deleur peur. D'autres se laissent quelquefois entraner des ter-reurs gnrales. D'autres vont la charge parce qu'ils n'osentdemeurer dans leurs postes. Il s'en trouve qui l'habitude des
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moindres prils affermit le courage et les prpare s'exposer de plus grands. Il y en a qui sont braves coups d'pe, et quicraignent les coups de mousquet; d'autres sont assurs auxcoups de mousquet, et apprhendent de se battre coupsd'pe. Tous ces courages de diffrentes espces conviennenten ce que la nuit augmentant la crainte et cachant les bonneset les mauvaises actions, elle donne la libert de se mnager. Ily a encore un autre mnagement plus gnral; car on ne voitpoint d'homme qui fasse tout ce qu'il serait capable de fairedans une occasion s'il tait assur d'en revenir. De sorte qu'ilest visible que la crainte de la mort te quelque chose de lavaleur.
216La parfaite valeur est de faire sans tmoins ce qu'on serait
capable de faire devant tout le monde.217
L'intrpidit est une force extraordinaire de l'me qui l'lveau-dessus des troubles, des dsordres et des motions que lavue des grands prils pourrait exciter en elle; et c'est par cetteforce que les hros se maintiennent en un tat paisible, etconservent l'usage libre de leur raison dans les accidents lesplus surprenants et les plus terribles.
218L'hypocrisie est un hommage que le vice rend la vertu.
219La plupart des hommes s'exposent assez dans la guerre pour
sauver leur honneur. Mais peu se veulent toujours exposer au-tant qu'il est ncessaire pour faire russir le dessein pour le-quel ils sexposent.
220La vanit, la honte, et surtout le temprament, font souvent
la valeur des hommes, et la vertu des femmes.221
On ne veut point perdre la vie, et on veut acqurir de lagloire; ce qui fait que les braves ont plus d'adresse et d'espritpour viter la mort que les gens de chicane n'en ont pourconserver leur bien.
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Il n'y a gure de personnes qui dans le premier penchant del'ge ne fassent connatre par o leur corps et leur espritdoivent dfaillir.
223Il est de la reconnaissance comme de la bonne foi des mar-
chands: elle entretient le commerce; et nous ne payons pasparce qu'il est juste de nous acquitter, mais pour trouver plusfacilement des gens qui nous prtent.
224Tous ceux qui s'acquittent des devoirs de la reconnaissance
ne peuvent pas pour cela se flatter d'tre reconnaissants.225
Ce qui fait le mcompte dans la reconnaissance qu'on attenddes grces que l'on a faites, c'est que l'orgueil de celui quidonne, et l'orgueil de celui qui reoit, ne peuvent convenir duprix du bienfait.
226Le trop grand empressement qu'on a de s'acquitter d'une
obligation est une espce d'ingratitude.227
Les gens heureux ne se corrigent gure; ils croient toujoursavoir raison quand la fortune soutient leur mauvaise conduite.
228L'orgueil ne veut pas devoir, et l'amour-propre ne veut pas
payer.229
Le bien que nous avons reu de quelqu'un veut que nous res-pections le mal qu'il nous fait.
230Rien n'est si contagieux que l'exemple, et nous ne faisons ja-
mais de grands biens ni de grands maux qui n'en produisent desemblables. Nous imitons les bonnes actions par mulation, etles mauvaises par la malignit de notre nature que la honte re-tenait prisonnire, et que l'exemple met en libert.
231C'est une grande folie de vouloir tre sage tout seul.
232Quelque prtexte que nous donnions nos afflictions, ce
n'est souvent que l'intrt et la vanit qui les causent.233
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Il y a dans les afflictions diverses sortes d'hypocrisie. Dansl'une, sous prtexte de pleurer la perte d'une personne quinous est chre, nous nous pleurons nous-mmes; nous regret-tons la bonne opinion qu'il avait de nous; nous pleurons la di-minution de notre bien, de notre plaisir, de notre considra-tion. Ainsi les morts ont l'honneur des larmes qui ne coulentque pour les vivants. Je dis que c'est une espce d'hypocrisie, cause que dans ces sortes d'afflictions on se trompe soi-mme.Il y a une autre hypocrisie qui n'est pas si innocente, parcequ'elle impose tout le monde: c'est l'affliction de certainespersonnes qui aspirent la gloire d'une belle et immortelledouleur. Aprs que le temps qui consume tout a fait cessercelle qu'elles avaient en effet, elles ne laissent pas d'opinitrerleurs pleurs, leurs plaintes, et leurs soupirs; elles prennent unpersonnage lugubre, et travaillent persuader par toutes leursactions que leur dplaisir ne finira qu'avec leur vie. Cette tristeet fatigante vanit se trouve d'ordinaire dans les femmes ambi-tieuses. Comme leur sexe leur ferme tous les chemins quimnent la gloire, elles s'efforcent de se rendre clbres parla montre d'une inconsolable affliction. Il y a encore une autreespce de larmes qui n'ont que de petites sources qui coulentet se tarissent facilement: on pleure pour avoir la rputationd'tre tendre, on pleure pour tre plaint, on pleure pour trepleur; enfin on pleure pour viter la honte de ne pleurer pas.
234C'est plus souvent par orgueil que par dfaut de lumires
qu'on s'oppose avec tant d'opinitret aux opinions les plus sui-vies: on trouve les premires places prises dans le bon parti, eton ne veut point des dernires.
235Nous nous consolons aisment des disgrces de nos amis
lorsqu'elles servent signaler notre tendresse pour eux.236
Il semble que l'amour-propre soit la dupe de la bont, et qu'ils'oublie lui-mme lorsque nous travaillons pour l'avantage desautres. Cependant c'est prendre le chemin le plus assur pourarriver ses fins; c'est prter usure sous prtexte de donner;c'est enfin s'acqurir tout le monde par un moyen subtil etdlicat.
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Nul ne mrite d'tre lou de bont, s'il n'a pas la force d'tremchant: toute autre bont n'est le plus souvent qu'une pa-resse ou une impuissance de la volont.
238Il n'est pas si dangereux de faire du mal la plupart des
hommes que de leur faire trop de bien.239
Rien ne flatte plus notre orgueil que la confiance des grands,parce que nous la regardons comme un effet de notre mrite,sans considrer qu'elle ne vient le plus souvent que de vanit,ou d'impuissance de garder le secret.
240On peut dire de l'agrment spar de la beaut que c'est une
symtrie dont on ne sait point les rgles, et un rapport secretdes traits ensemble, et des traits avec les couleurs et avec l'airde la personne.
241La coquetterie est le fond de l'humeur des femmes. Mais
toutes ne la mettent pas en pratique, parce que la coquetteriede quelques-unes est retenue par la crainte ou par la raison.
242On incommode souvent les autres quand on croit ne les pou-
voir jamais incommoder.243
Il y a peu de choses impossibles d'elles-mmes; etl'application pour les faire russir nous manque plus que lesmoyens.
244La souveraine habilet consiste bien connatre le prix des
choses.245
C'est une grande habilet que de savoir cacher son habilet.246
Ce qui parat gnrosit n'est souvent qu'une ambition dgui-se qui mprise de petits intrts, pour aller de plus grands.
247La fidlit qui parat en la plupart des hommes n'est qu'une
invention de l'amour-propre pour attirer la confiance. C'est unmoyen de nous lever au-dessus des autres, et de nous rendredpositaires des choses les plus importantes.
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248La magnanimit mprise tout pour avoir tout.
249Il n'y a pas moins d'loquence dans le ton de la voix, dans les
yeux et dans l'air de la personne, que dans le choix desparoles.
250La vritable loquence consiste dire tout ce qu'il faut, et
ne dire que ce qu'il faut.251
Il y a des personnes qui les dfauts sient bien, et d'autresqui sont disgracies avec leurs bonnes qualits.
252Il est aussi ordinaire de voir changer les gots qu'il est extra-
ordinaire de voir changer les inclinations.253
L'intrt met en uvre toutes sortes de vertus et de vices.254
L'humilit n'est souvent qu'une feinte soumission, dont on sesert pour soumettre les autres; c'est un artifice de l'orgueil quis'abaisse pour s'lever; et bien qu'il se transforme en mille ma-nires, il n'est jamais mieux dguis et plus capable de trom-per que lorsqu'il se cache sous la figure de l'humilit.
255Tous les sentiments ont chacun un ton de voix, des gestes et
des mines qui leur sont propres. Et ce rapport bon ou mauvais,agrable ou dsagrable, est ce qui fait que les personnesplaisent ou dplaisent.
256Dans toutes les professions chacun affecte une mine et un ex-
trieur pour paratre ce qu'il veut qu'on le croie. Ainsi on peutdire que le monde n'est compos que de mines.
257La gravit est un mystre du corps invent pour cacher les
dfauts de l'esprit.258
Le bon got vient plus du jugement que de l'esprit.259
Le plaisir de l'amour est d'aimer; et l'on est plus heureux parla passion que l'on a que par celle que l'on donne.
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260La civilit est un dsir d'en recevoir, et d'tre estim poli.
261L'ducation que l'on donne d'ordinaire aux jeunes gens est
un second amour-propre qu'on leur inspire.262
Il n'y a point de passion o l'amour de soi-mme rgne sipuissamment que dans l'amour; et on est toujours plus dispos sacrifier le repos de ce qu'on aime qu' perdre le sien.
263Ce qu'on nomme libralit n'est le plus souvent que la vanit
de donner, que nous aimons mieux que ce que nous donnons.264
La piti est souvent un sentiment de nos propres maux dansles maux d'autrui. C'est une habile prvoyance des malheurso nous pouvons tomber; nous donnons du secours aux autrespour les engager nous en donner en de semblables occasions;et ces services que nous leur rendons sont proprement parlerdes biens que nous nous faisons nous-mmes par avance.
265La petitesse de l'esprit fait l'opinitret; et nous ne croyons
pas aisment ce qui est au-del de ce que nous voyons.266
C'est se tromper que de croire qu'il n'y ait que les violentespassions, comme l'ambition et l'amour, qui puissent triompherdes autres. La paresse, toute languissante qu'elle est, ne laissepas d'en tre souvent la matresse; elle usurpe sur tous les des-seins et sur toutes les actions de la vie; elle y dtruit et yconsume insensiblement les passions et les vertus.
267La promptitude croire le mal sans l'avoir assez examin est
un effet de l'orgueil et de la paresse. On veut trouver des cou-pables; et on ne veut pas se donner la peine d'examiner lescrimes.
268Nous rcusons des juges pour les plus petits intrts et nous
voulons bien que notre rputation et notre gloire dpendent dujugement des hommes, qui nous sont tous contraires, ou parleur jalousie, ou par leur proccupation, ou par leur peu de lu-mire; et ce n'est que pour les faire prononcer en notre faveur
29
-
que nous exposons en tant de manires notre repos et notrevie.
269Il n'y a gure d'homme assez habile pour connatre tout le
mal qu'il fait.270
L'honneur acquis est caution de celui qu'on doit acqurir.271
La jeunesse est une ivresse continuelle: c'est la fivre de laraison.
272Rien ne devrait plus humilier les hommes qui ont mrit de
grandes louanges, que le soin qu'ils prennent encore de sefaire valoir par de petites choses.
273Il y a des gens qu'on approuve dans le monde, qui n'ont pour
tout mrite que les vices qui servent au commerce de la vie.274
La grce de la nouveaut est l'amour ce que la fleur est surles fruits; elle y donne un lustre qui s'efface aisment, et qui nerevient jamais.
275Le bon naturel, qui se vante d'tre si sensible, est souvent
touff par le moindre intrt.276
L'absence diminue les mdiocres passions, et augmente lesgrandes, comme le vent teint les bougies et allume le feu.
277Les femmes croient souvent aimer encore qu'elles n'aiment
pas. L'occupation d'une intrigue, l'motion d'esprit que donnela galanterie, la pente naturelle au plaisir d'tre aimes, et lapeine de refuser, leur persuadent qu'elles ont de la passionlorsqu'elles n'ont que de la coquetterie.
278Ce qui fait que l'on est souvent mcontent de ceux qui ngo-
cient, est qu'ils abandonnent presque toujours l'intrt de leursamis pour l'intrt du succs de la ngociation, qui devient leleur par l'honneur d'avoir russi ce qu'ils avaient entrepris.
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Quand nous exagrons la tendresse que nos amis ont pournous, c'est souvent moins par reconnaissance que par le dsirde faire juger de notre mrite.
280L'approbation que l'on donne ceux qui entrent dans le
monde vient souvent de l'envie secrte que l'on porte ceuxqui y sont tablis.
281L'orgueil qui nous inspire tant d'envie nous sert souvent aus-
si la modrer.282
Il y a des faussets dguises qui reprsentent si bien la vri-t que ce serait mal juger que de ne s'y pas laisser tromper.
283Il n'y a pas quelquefois moins d'habilet savoir profiter
d'un bon conseil qu' se bien conseiller soi-mme.284
Il y a des mchants qui seraient moins dangereux s'ilsn'avaient aucune bont.
285La magnanimit est assez dfinie par son nom; nanmoins on
pourrait dire que c'est le bon sens de l'orgueil, et la voie la plusnoble pour recevoir des louanges.
286Il est impossible d'aimer une seconde fois ce qu'on a vrita-
blement cess d'aimer.287
Ce n'est pas tant la fertilit de l'esprit qui nous fait trouverplusieurs expdients sur une mme affaire, que c'est le dfautde lumire qui nous fait arrter tout ce qui se prsente notre imagination, et qui nous empche de discerner d'abordce qui est le meilleur.
288Il y a des affaires et des maladies que les remdes aigrissent
en certains temps; et la grande habilet consiste connatrequand _il est dangereux d'en user.
289La simplicit affecte est une imposture dlicate.
290Il y a plus de dfauts dans l'humeur que dans l'esprit.
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291Le mrite des hommes a sa saison aussi bien que les fruits.
292On peut dire de l'humeur des hommes, comme de la plupart
des btiments, qu'elle a diverses faces, les unes agrables, etles autres dsagrables.
293La modration ne peut avoir le mrite de combattre
l'ambition et de la soumettre: elles ne se trouvent jamais en-semble. La modration est la langueur et la paresse de l'me,comme l'ambition en est l'activit et l'ardeur.
294Nous aimons toujours ceux qui nous admirent; et nous
n'aimons pas toujours ceux que nous admirons.295
Il s'en faut bien que nous ne connaissions toutes nosvolonts.
296Il est difficile d'aimer ceux que nous n'estimons point; mais il
ne l'est pas moins d'aimer ceux que nous estimons beaucoupplus que nous.
297Les humeurs du corps ont un cours ordinaire et rgl, qui
meut et qui tourne imperceptiblement notre volont; ellesroulent ensemble et exercent successivement un empire secreten nous: de sorte qu'elles ont une part considrable toutesnos actions, sans que nous le puissions connatre.
298La reconnaissance de la plupart des hommes n'est qu'une se-
crte envie de recevoir de plus grands bienfaits.299
Presque tout le monde prend plaisir s'acquitter des petitesobligations; beaucoup de gens ont de la reconnaissance pourles mdiocres; mais il n'y a quasi personne qui n'ait del'ingratitude pour les grandes.
300Il y a des folies qui se prennent comme les maladies
contagieuses.301
Assez de gens mprisent le bien, mais peu savent le donner.
32
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302Ce n'est d'ordinaire que dans de petits intrts o nous pre-
nons le hasard de ne pas croire aux apparences.303
Quelque bien qu'on nous dise de nous, on ne nous apprendrien de nouveau.
304Nous pardonnons souvent ceux qui nous ennuient, mais
nous ne pouvons pardonner ceux que nous ennuyons.305
L'intrt que l'on accuse de tous nos crimes mrite souventd'tre lou de nos bonnes actions.
306On ne trouve gure d'ingrats tant qu'on est en tat de faire
du bien.307
Il est aussi honnte d'tre glorieux avec soi-mme qu'il est ri-dicule de l'tre avec les autres.
308On a fait une vertu de la modration pour borner l'ambition
des grands hommes, et pour consoler les gens mdiocres deleur peu de fortune, et de leur peu de mrite.
309Il y a des gens destins tre sots, qui ne font pas seulement
des sottises par leur choix, mais que la fortune mme contraintd'en faire.
310Il arrive quelquefois des accidents dans la vie, d'o il faut
tre un peu fou pour se bien tirer.311
S'il y a des hommes dont le ridicule n'ait jamais paru, c'estqu'on ne l'a pas bien cherch.
312Ce qui fait que les amants et les matresses ne s'ennuient
point d'tre ensemble, c'est qu'ils parlent toujours d'eux-mmes.
313Pourquoi faut-il que nous ayons assez de mmoire pour rete-
nir jusqu'aux moindres particularits de ce qui nous est arriv,
33
-
et que nous n'en ayons pas assez pour nous souvenir combiende fois nous les avons contes une mme personne ?
314L'extrme plaisir que nous prenons parler de nous-mmes
nous doit faire craindre de n'en donner gure ceux qui nouscoutent.
315Ce qui nous empche d'ordinaire de faire voir le fond de
notre cur nos amis, n'est pas tant la dfiance que nousavons d'eux, que celle que nous avons de nous-mmes.
316Les personnes faibles ne peuvent tre sincres.
317Ce n'est pas un grand malheur d'obliger des ingrats, mais
c'en est un insupportable d'tre oblig un malhonntehomme.
318On trouve des moyens pour gurir de la folie, mais on n'en
trouve point pour redresser un esprit de travers.319
On ne saurait conserver longtemps les sentiments qu'on doitavoir pour ses amis et pour ses bienfaiteurs, si on se laisse la li-bert de parler souvent de leurs dfauts.
320Louer les princes des vertus qu'ils n'ont pas, c'est leur dire
impunment des injures.321
Nous sommes plus prs d'aimer ceux qui nous hassent queceux qui nous aiment plus que nous ne voulons.
322Il n'y a que ceux qui sont mprisables qui craignent d'tre
mpriss.323
Notre sagesse n'est pas moins la merci de la fortune quenos biens.
324Il y a dans la jalousie plus d'amour-propre que d'amour.
325Nous nous consolons souvent par faiblesse des maux dont la
raison n'a pas la force de nous consoler.
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-
326Le ridicule dshonore plus que le dshonneur.
327Nous n'avouons de petits dfauts que pour persuader que
nous n'en avons pas de grands.328
L'envie est plus irrconciliable que la haine.329
On croit quelquefois har la flatterie, mais on ne hait que lamanire de flatter.
330On pardonne tant que l'on aime.
331Il est plus difficile d'tre fidle sa matresse quand on est
heureux que quand on en est maltrait.332
Les femmes ne connaissent pas toute leur coquetterie.333
Les femmes n'ont point de svrit complte sans aversion.334
Les femmes peuvent moins surmonter leur coquetterie queleur passion.
335Dans l'amour la tromperie va presque toujours plus loin que
la mfiance.336
Il y a une certaine sorte d'amour dont l'excs empche lajalousie.
337Il est de certaines bonnes qualits comme des sens: ceux qui
en sont entirement privs ne les peuvent apercevoir ni lescomprendre.
338Lorsque notre haine est trop vive, elle nous met au-dessous
de ceux que nous hassons.339
Nous ne ressentons nos biens et nos maux qu' proportion denotre amour-propre.
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L'esprit de la plupart des femmes sert plus fortifier leur fo-lie que leur raison.
341Les passions de la jeunesse ne sont gure plus opposes au
salut que la tideur des vieilles gens.342
L'accent du pays o l'on est n demeure dans l'esprit et dansle cur, comme dans le langage.
343Pour tre un grand homme, il faut savoir profiter de toute sa
fortune.344
La plupart des hommes ont comme les plantes des propritscaches, que le hasard fait dcouvrir.
345Les occasions nous font connatre aux autres, et encore plus
nous-mmes.346
Il ne peut y avoir de rgle dans l'esprit ni dans le cur desfemmes, si le temprament n'en est d'accord.
347Nous ne trouvons gure de gens de bon sens, que ceux qui
sont de notre avis.348
Quand on aime, on doute souvent de ce qu'on croit le plus.349
Le plus grand miracle de l'amour, c'est de gurir de lacoquetterie.
350Ce qui nous donne tant d'aigreur contre ceux qui nous font
des finesses, c'est qu'ils croient tre plus habiles que nous.351
On a bien de la peine rompre, quand on ne s'aime plus.352
On s'ennuie presque toujours avec les gens avec qui il n'estpas permis de s'ennuyer.
353Un honnte homme peut tre amoureux comme un fou, mais
non pas comme un sot.354
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Il y a de certains dfauts qui, bien mis en uvre, brillent plusque la vertu mme.
355On perd quelquefois des personnes qu'on regrette plus qu'on
n'en est afflig; et d'autres dont on est afflig, et qu'on ne re-grette gure.
356Nous ne louons d'ordinaire de bon cur que ceux qui nous
admirent.357
Les petits esprits sont trop blesss des petites choses; lesgrands esprits les voient toutes, et n'en sont point blesss.
358L'humilit est la vritable preuve des vertus chrtiennes:
sans elle nous conservons tous nos dfauts, et ils sont seule-ment couverts par l'orgueil qui les cache aux autres, et souvent nous-mmes.
359Les infidlits devraient teindre l'amour, et il ne faudrait
point tre jaloux quand on a sujet de l'tre. Il n'y a que les per-sonnes qui vitent de donner de la jalousie qui soient dignesqu'on en ait pour elles.
360On se dcrie beaucoup plus auprs de nous par les moindres
infidlits qu'on nous fait, que par les plus grandes qu'on faitaux autres.
361La jalousie nat toujours avec l'amour, mais elle ne meurt pas
toujours avec lui.362
La plupart des femmes ne pleurent pas tant la mort de leursamants pour les avoir aims, que pour paratre plus dignesd'tre aimes.
363Les violences qu'on nous fait nous font souvent moins de
peine que celles que nous nous faisons nous-mmes.364
On sait assez qu'il ne faut gure parler de sa femme; mais onne sait pas assez qu'on devrait encore moins parler de soi.
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37
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Il y a de bonnes qualits qui dgnrent en dfauts quandelles sont naturelles, et d'autres qui ne sont jamais parfaitesquand elles sont acquises. Il faut, par exemple, que la raisonnous fasse mnagers de notre bien et de notre confiance; et ilfaut, au contraire, que la nature nous donne la bont et lavaleur.
366Quelque dfiance que nous ayons de la sincrit de ceux qui
nous parlent, nous croyons toujours qu'ils nous disent plus vraiqu'aux autres.
367Il y a peu d'honntes femmes qui ne soient lasses de leur
mtier.368
La plupart des honntes femmes sont des trsors cachs, quine sont en sret que parce qu'on ne les cherche pas.
369Les violences qu'on se fait pour s'empcher d'aimer sont sou-
vent plus cruelles que les rigueurs de ce qu'on aime.370
Il n'y a gure de poltrons qui connaissent toujours toute leurpeur.
371C'est presque toujours la faute de celui qui aime de ne pas
connatre quand on cesse de l'aimer.372
La plupart des jeunes gens croient tre naturels, lorsqu'ils nesont que mal polis et grossiers.
373Il y a de certaines larmes qui nous trompent souvent nous-
mmes aprs avoir tromp les autres.374
Si on croit aimer sa matresse pour l'amour d'elle, on est bientromp.
375Les esprits mdiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui
passe leur porte.376
L'envie est dtruite par la vritable amiti, et la coquetteriepar le vritable amour.
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377Le plus grand dfaut de la pntration n'est pas de n'aller
point jusqu'au but, c'est de le passer.378
On donne des conseils mais on n'inspire point de conduite.379
Quand notre mrite baisse, notre got baisse aussi.380
La fortune fait paratre nos vertus et nos vices, comme la lu-mire fait paratre les objets.
381La violence qu'on se fait pour demeurer fidle ce qu'on
aime ne vaut gure mieux qu'une infidlit.382
Nos actions sont comme les bouts-rims, que chacun fait rap-porter ce qu'il lui plat.
383L'envie de parler de nous, et de faire voir nos dfauts du ct
que nous voulons bien les montrer, fait une grande partie denotre sincrit.
384On ne devrait s'tonner que de pouvoir encore s'tonner.
385On est presque galement difficile contenter quand on a
beaucoup d'amour et quand on n'en a plus gure.386
Il n'y a point de gens qui aient plus souvent tort que ceux quine peuvent souffrir d'en avoir.
387Un sot n'a pas assez d'toffe pour tre bon.
388Si la vanit ne renverse pas entirement les vertus, du moins
elle les branle toutes.389
Ce qui nous rend la vanit des autres insupportable, c'estqu'elle blesse la ntre.
390On renonce plus aisment son intrt qu' son got.
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La fortune ne parat jamais si aveugle qu' ceux qui elle nefait pas de bien.
392Il faut gouverner la fortune comme la sant: en jouir quand
elle est bonne, prendre patience quand elle est mauvaise, et nefaire jamais de grands remdes sans un extrme besoin.
393L'air bourgeois se perd quelquefois l'arme; mais il ne se
perd jamais la cour.394
On peut tre plus fin qu'un autre, mais non pas plus fin quetous les autres.
395On est quelquefois moins malheureux d'tre tromp de ce
qu'on aime, que d'en tre dtromp.396
On garde longtemps son premier amant, quand on n'enprend point de second.
397Nous n'avons pas le courage de dire en gnral que nous
n'avons point de dfauts, et que nos ennemis n'ont point debonnes qualits; mais en dtail nous ne sommes pas trop loi-gns de le croire.
398De tous nos dfauts, celui dont nous demeurons le plus ais-
ment d'accord, c'est de la paresse; nous nous persuadonsqu'elle tient toutes les vertus paisibles et que, sans dtruireentirement les autres, elle en suspend seulement lesfonctions.
399Il y a une lvation qui ne dpend point de la fortune: c'est
un certain air qui nous distingue et qui semble nous destineraux grandes choses; c'est un prix que nous nous donnons im-perceptiblement nous-mmes; c'est par cette qualit quenous usurpons les dfrences des autres hommes, et c'est elled'ordinaire qui nous met plus au-dessus d'eux que la naissance,les dignits, et le mrite mme.
400Il y a du mrite sans lvation, mais il n'y a point d'lvation
sans quelque mrite.
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401L'lvation est au mrite ce que la parure est aux belles
personnes.402
Ce qui se trouve le moins dans la galanterie, c'est de l'amour.403
La fortune se sert quelquefois de nos dfauts pour nous le-ver, et il y a des gens incommodes dont le mrite serait mal r-compens si on ne voulait acheter leur absence.
404Il semble que la nature ait cach dans le fond de notre esprit
des talents et une habilet que nous ne connaissons pas; lespassions seules ont le droit de les mettre au jour, et de nousdonner quelquefois des vues plus certaines et plus achevesque l'art ne saurait faire.
405Nous arrivons tout nouveaux aux divers ges de la vie, et
nous y manquons souvent d'exprience malgr le nombre desannes.
406Les coquettes se font honneur d'tre jalouses de leurs
amants, pour cacher qu'elles sont envieuses des autresfemmes.
407Il s'en faut bien que ceux qui s'attrapent nos finesses ne
nous paraissent aussi ridicules que nous nous le paraissons nous-mmes quand les finesses des autres nous ont attraps.
408Le plus dangereux ridicule des vieilles personnes qui ont t
aimables, c'est d'oublier qu'elles ne le sont plus.409
Nous aurions souvent honte de nos plus belles actions si lemonde voyait tous les motifs qui les produisent.
410Le plus grand effort de l'amiti n'est pas de montrer nos d-
fauts un ami; c'est de lui faire voir les siens.411
On n'a gure de dfauts qui ne soient plus pardonnables queles moyens dont on se sert pour les cacher.
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Quelque honte que nous ayons mrite, il est presque tou-jours en notre pouvoir de rtablir notre rputation.
413On ne plat pas longtemps quand on n'a que d'une sorte
d'esprit.414
Les fous et les sottes gens ne voient que par leur humeur.415
L'esprit nous sert quelquefois faire hardiment des sottises.416
La vivacit qui augmente en vieillissant ne va pas loin de lafolie.
417En amour celui qui est guri le premier est toujours le mieux
guri.418
Les jeunes femmes qui ne veulent point paratre coquettes,et les hommes d'un ge avanc qui ne veulent pas tre ridi-cules, ne doivent jamais parler de l'amour comme d'une choseo ils puissent avoir part.
419Nous pouvons paratre grands dans un emploi au-dessous de
notre mrite, mais nous paraissons souvent petits dans un em-ploi plus grand que nous.
420Nous croyons souvent avoir de la constance dans les mal-
heurs, lorsque nous n'avons que de l'abattement, et nous lessouffrons sans oser les regarder comme les poltrons se laissenttuer de peur de se dfendre.
421La confiance fournit plus la conversation que l'esprit.
422Toutes les passions nous font faire des fautes, mais l'amour
nous en fait faire de plus ridicules.423
Peu de gens savent tre vieux.424
Nous nous faisons honneur des dfauts opposs ceux quenous avons: quand nous sommes faibles, nous nous vantonsd'tre opinitres.
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425La pntration a un air de deviner qui flatte plus notre vanit
que toutes les autres qualits de l'esprit.426
La grce de la nouveaut et la longue habitude, quelque op-poses qu'elles soient, nous empchent galement de sentir lesdfauts de nos amis.
427La plupart des amis dgotent de l'amiti, et la plupart des
dvots dgotent de la dvotion.428
Nous pardonnons aisment nos amis les dfauts qui nenous regardent pas.
429Les femmes qui aiment pardonnent plus aisment les
grandes indiscrtions que les petites infidlits.430
Dans la vieillesse de l'amour comme dans celle de l'ge on vitencore pour les maux, mais on ne vit plus pour les plaisirs.
431Rien n'empche tant d'tre naturel que l'envie de le paratre.
432C'est en quelque sorte se donner part aux belles actions, que
de les louer de bon cur.433
La plus vritable marque d'tre n avec de grandes qualits,c'est d'tre n sans envie.
434Quand nos amis nous ont tromps, on ne doit que de
l'indiffrence aux marques de leur amiti, mais on doit toujoursde la sensibilit leurs malheurs.
435La fortune et l'humeur gouvernent le monde.
436Il est plus ais de connatre l'homme en gnral que de
connatre un homme en particulier.437
On ne doit pas juger du mrite d'un homme par ses grandesqualits, mais par l'usage qu'il en sait faire.
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Il y a une certaine reconnaissance vive qui ne nous acquittepas seulement des bienfaits que nous avons reus, mais qui faitmme que nos amis nous doivent en leur payant ce que nousleur devons.
439Nous ne dsirerions gure de choses avec ardeur, si nous
connaissions parfaitement ce que nous dsirons.440
Ce qui fait que la plupart des femmes sont peu touches del'amiti, c'est qu'elle est fade quand on a senti de l'amour.
441Dans l'amiti comme dans l'amour on est souvent plus heu-
reux par les choses qu'on ignore que par celles que l'on sait.442
Nous essayons de nous faire honneur des dfauts que nousne voulons pas corriger.
443Les passions les plus violentes nous laissent quelquefois du
relche, mais la vanit nous agite toujours.444
Les vieux fous sont plus fous que les jeunes.445
La faiblesse est plus oppose la vertu que le vice.446
Ce qui rend les douleurs de la honte et de la jalousie si ai-gus, c'est que la vanit ne peut servir les supporter.
447La biensance est la moindre de toutes les lois, et la plus
suivie.448
Un esprit droit a moins de peine de se soumettre aux espritsde travers que de les conduire.
449Lorsque la fortune nous surprend en nous donnant une
grande place sans nous y avoir conduits par degrs, ou sansque nous nous y soyons levs par nos esprances, il estpresque impossible de s'y bien soutenir, et de paratre digne del'occuper.
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Notre orgueil s'augmente souvent de ce que nous retran-chons de nos autres dfauts.
451Il n'y a point de sots si incommodes que ceux qui ont de
l'esprit.452
Il n'y a point d'homme qui se croie en chacune de sesqualits au-dessous de l'homme du monde qu'il estime le plus.
453Dans les grandes affaires on doit moins s'appliquer faire
natre des occasions qu' profiter de celles qui se prsentent.454
Il n'y a gure d'occasion o l'on ft un mchant march de re-noncer au bien qu'on dit de nous, condition de n'en dire pointde mal.
455Quelque disposition qu'ait le monde mal juger, il fait en-
core plus souvent grce au faux mrite qu'il ne fait injustice auvritable.
456On est quelquefois un sot avec de l'esprit, mais on ne l'est ja-
mais avec du jugement.457
Nous gagnerions plus de nous laisser voir tels que noussommes, que d'essayer de paratre ce que nous ne sommespas.
458Nos ennemis approchent plus de la vrit dans les jugements
qu'ils font de nous que nous n'en approchons nous-mmes.459
Il y a plusieurs remdes qui gurissent de l'amour, mais il n'yen a point d'infaillibles.
460Il s'en faut bien que nous connaissions tout ce que nos pas-
sions nous font faire.461
La vieillesse est un tyran qui dfend sur peine de la vie tousles plaisirs de la jeunesse.
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Le mme orgueil qui nous fait blmer les dfauts dont nousnous croyons exempts, nous porte mpriser les bonnes quali-ts que nous n'avons pas.
463Il y a souvent plus d'orgueil que de bont plaindre les mal-
heurs de nos ennemis; c'est pour leur faire sentir que noussommes au-dessus d'eux que nous leur donnons des marquesde compassion.
464Il y a un excs de biens et de maux qui passe notre
sensibilit.465
Il s'en faut bien que l'innocence ne trouve autant de protec-tion que le crime.
466De toutes les passions violentes, celle qui sied le moins mal
aux femmes, c'est l'amour.467
La vanit nous fait faire plus de choses contre notre got quela raison.
468Il y a de mchantes qualits qui font de grands talents.
469On ne souhaite jamais ardemment ce qu'on ne souhaite que
par raison.470
Toutes nos qualits sont incertaines et douteuses en biencomme en mal, et elles sont presque toutes la merci desoccasions.
471Dans les premires passions les femmes aiment l'amant, et
dans les autres elles aiment l'amour.472
L'orgueil a ses bizarreries, comme les autres passions; on ahonte d'avouer que l'on ait de la jalousie, et on se fait honneurd'en avoir eu, et d'tre capable d'en avoir.
473Quelque rare que soit le vritable amour, il l'est encore
moins que la vritable amiti.474
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Il y a peu de femmes dont le mrite dure plus que la beaut.475
L'envie d'tre plaint, ou d'tre admir, fait souvent la plusgrande partie de notre confiance.
476Notre envie dure toujours plus longtemps que le bonheur de
ceux que nous envions.477
La mme fermet qui sert rsister l'amour sert aussi lerendre violent et durable, et les personnes faibles qui sont tou-jours agites des passions n'en sont presque jamais vritable-ment remplies.
478L'imagination ne saurait inventer tant de diverses contrari-
ts qu'il y en a naturellement dans le cur de chaquepersonne.
479Il n'y a que les personnes qui ont de la fermet qui puissent
avoir une vritable douceur; celles qui paraissent douces n'ontd'ordinaire que de la faiblesse, qui se convertit aisment enaigreur.
480La timidit est un dfaut dont il est dangereux de reprendre
les personnes qu'on en veut corriger.481
Rien n'est plus rare que la vritable bont; ceux mmes quicroient en avoir n'ont d'ordinaire que de la complaisance ou dela faiblesse.
482L'esprit s'attache par paresse et par constance ce qui lui
est facile ou agrable; cette habitude met toujours des bornes nos connaissances, et jamais personne ne s'est donn lapeine d'tendre et de conduire son esprit aussi loin qu'il pour-rait aller.
483On est d'ordinaire plus mdisant par vanit que par malice.
484Quand on a le cur encore agit par les restes d'une pas-
sion, on est plus prs d'en prendre une nouvelle que quand onest entirement guri.
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485Ceux qui ont eu de grandes passions se trouvent toute leur
vie heureux, et malheureux, d'en tre guris.486
Il y a encore plus de gens sans intrt que sans envie.487
Nous avons plus de paresse dans l'esprit que dans le corps.488
Le calme ou l'agitation de notre humeur ne dpend pas tantde ce qui nous arrive de plus considrable dans la vie, que d'unarrangement commode ou dsagrable de petites choses quiarrivent tous les jours.
489Quelque mchants que soient les hommes, ils n'oseraient pa-
ratre ennemis de la vertu, et lorsqu'ils la veulent perscuter,ils feignent de croire qu'elle est fausse ou ils lui supposent descrimes.
490On passe souvent de l'amour l'ambition, mais on ne revient
gure de l'ambition l'amour.491
L'extrme avarice se mprend presque toujours; il n'y a pointde passion qui s'loigne plus souvent de son but, ni sur qui leprsent ait tant de pouvoir au prjudice de l'avenir.
492L'avarice produit souvent des effets contraires; il y a un
nombre infini de gens qui sacrifient tout leur bien des esp-rances douteuses et loignes, d'autres mprisent de grandsavantages venir pour de petits intrts prsents.
493Il semble que les hommes ne se trouvent pas assez de d-
fauts; ils en augmentent encore le nombre par de certainesqualits singulires dont ils affectent de se parer, et ils lescultivent avec tant de soin qu'elles deviennent la fin des d-fauts naturels, qu'il ne dpend plus d'eux de corriger.
494Ce qui fait voir que les hommes connaissent mieux leurs
fautes qu'on ne pense, c'est qu'ils n'ont jamais tort quand onles entend parler de leur conduite: le mme amour-propre quiles aveugle d'ordinaire les claire alors, et leur donne des vues
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si justes qu'il leur fait supprimer ou dguiser les moindreschoses qui peuvent tre condamnes.
495Il faut que les jeunes gens qui entrent dans le monde soient
honteux ou tourdis: un air capable et compos se tourned'ordinaire en impertinence.
496Les querelles ne dureraient pas longtemps, si le tort n'tait
que d'un ct.497
Il ne sert de rien d'tre jeune sans tre belle, ni d'tre bellesans tre jeune.
498Il y a des personnes si lgres et si frivoles qu'elles sont aus-
si loignes d'avoir de vritables dfauts que des qualitssolides.
499On ne compte d'ordinaire la premire galanterie des femmes
que lorsqu'elles en ont une seconde.500
Il y a des gens si remplis d'eux-mmes que, lorsqu'ils sontamoureux, ils trouvent moyen d'tre occups de leur passionsans l'tre de la personne qu'ils aiment.
501L'amour, tout agrable qu'il est, plat encore plus par les ma-
nires dont il se montre que par lui-mme.502
Peu d'esprit avec de la droiture ennuie moins, la longue,que beaucoup d'esprit avec du travers.
503La jalousie est le plus grand de tous les maux, et celui qui
fait le moins de piti aux personnes qui le causent.504
Aprs avoir parl de la fausset de tant de vertus apparentes,il est raisonnable de dire quelque chose de la fausset du m-pris de la mort. J'entends parler de ce mpris de la mort queles paens se vantent de tirer de leurs propres forces, sansl'esprance d'une meilleure vie. Il y a diffrence entre souffrirla mort constamment, et la mpriser. Le premier est assez or-dinaire; mais je crois que l'autre n'est jamais sincre. On a
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crit nanmoins tout ce qui peut le plus persuader que la mortn'est point un mal; et les hommes les plus faibles aussi bienque les hros ont donn mille exemples clbres pour tablircette opinion. Cependant je doute que personne de bon sensl'ait jamais cru; et la peine que l'on prend pour le persuaderaux autres et soi-mme fait assez voir que cette entreprisen'est pas aise. On peut avoir divers sujets de dgots dans lavie, mais on n'a jamais raison de mpriser la mort; ceux mmesqui se la donnent volontairement ne la comptent pas pour sipeu de chose, et ils s'en tonnent et la rejettent comme lesautres, lorsqu'elle vient eux par une autre voie que cellequ'ils ont choisie. L'ingalit que l'on remarque dans le cou-rage d'un nombre infini de vaillants hommes vient de ce que lamort se dcouvre diffremment leur imagination, et y paratplus prsente en un temps qu'en un autre. Ainsi il arrivequ'aprs avoir mpris ce qu'ils ne connaissent pas, ilscraignent enfin ce qu'ils connaissent. Il faut viter del'envisager avec toutes ses circonstances, si on ne veut pascroire qu'elle soit le plus grand de tous les maux. Les plus ha-biles et les plus braves sont ceux qui prennent de plus hon-ntes prtextes pour s'empcher de la considrer. Mais touthomme qui la sait voir telle qu'elle est, trouve que c'est unechose pouvantable. La ncessit de mourir faisait toute laconstance des philosophes. Ils croyaient qu'il fallait aller debonne grce o l'on ne saurait s'empcher d'aller; et, ne pou-vant terniser leur vie, il n'y avait rien qu'ils ne fissent pourterniser leur rputation, et sauver du naufrage ce qui n'enpeut tre garanti. Contentons-nous pour faire bonne mine dene nous pas dire nous-mmes tout ce que nous en pensons, etesprons plus de notre temprament que de ces faibles raison-nements qui nous font croire que nous pouvons approcher dela mort avec indiffrence. La gloire de mourir avec fermet,l'esprance d'tre regrett, le dsir de laisser une belle rputa-tion, l'assurance d'tre affranchi des misres de la vie, et de nedpendre plus des caprices de la fortune, sont des remdesqu'on ne doit pas rejeter. Mais on ne doit pas croire aussi qu'ilssoient infaillibles. Ils font pour nous assurer ce qu'une simplehaie fait souvent la guerre pour assurer ceux qui doivent ap-procher d'un lieu d'o l'on tire. Quand on en est loign, ons'imagine qu'elle peut mettre couvert; mais quand on en est
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proche, on trouve que c'est un faible secours. C'est nous flat-ter, de croire que la mort nous paraisse de prs ce que nous enavons jug de loin, et que nos sentiments, qui ne sont que fai-blesse, soient d'une trempe assez forte pour ne point souffrird'atteinte par la plus rude de toutes les preuves. C'est aussimal connatre les effets de l'amour-propre, que de penser qu'ilpuisse nous aider compter pour rien ce qui le doit ncessaire-ment dtruire, et la raison, dans laquelle on croit trouver tantde ressources, est trop faible en cette rencontre pour nous per-suader ce que nous voulons. C'est elle au contraire qui noustrahit le plus souvent, et qui, au lieu de nous inspirer le mprisde la mort, sert nous dcouvrir ce qu'elle a d'affreux et deterrible. Tout ce qu'elle peut faire pour nous est de nousconseiller d'en dtourner les yeux pour les arrter sur d'autresobjets. Caton et Brutus en choisirent d'illustres. Un laquais secontenta il y a quelque temps de danser sur l'chafaud o il al-lait tre rou. Ainsi, bien que les motifs soient diffrents, ilsproduisent les mmes effets. De sorte qu'il est vrai que,quelque disproportion qu'il y ait entre les grands hommes etles gens du commun, on a vu mille fois les uns et les autres re-cevoir la mort d'un mme visage; mais 'a toujours t aveccette diffrence que, dans le mpris que les grands hommesfont paratre pour la mort, c'est l'amour de la gloire qui leur ente la vue, et dans les gens du commun ce n'est qu'un effet deleur peu de lumire qui les empche de connatre la grandeurde leur mal et leur laisse la libert de penser autre chose.
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Partie 2Maximes supprimes
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1 Maximes retranches aprs la premire dition
1L'amour-propre est l'amour de soi-mme, et de toutes choses
pour soi ; il rend les hommes idoltres d'eux-mmes, et les ren-drait les tyrans des autres si la fortune leur en donnait lesmoyens ; il ne se repose jamais hors de soi, et ne s'arrte dansles sujets trangers que comme les abeilles sur les fleurs, pouren tirer ce qui lui est propre. Rien n'est si imptueux que sesdsirs, rien de si cach que ses desseins, rien de si habile queses conduites ; ses souplesses ne se peuvent reprsenter, sestransformations passent celles des mtamorphoses, et ses raffi-nements ceux de la chimie. On ne peut sonder la profondeur, nipercer les tnbres de ses abmes. L il est couvert des yeuxles plus pntrants ; il y fait mille insensibles tours et retours.L il est souvent invisible lui-mme, il y conoit, il y nourrit,et il y lve, sans le savoir, un grand nombre d'affections et dehaines ; il en forme de si monstrueuses que, lorsqu'il les amises au jour, il les mconnat, ou il ne peut se rsoudre lesavouer. De cette nuit qui le couvre naissent les ridicules per-suasions qu'il a de lui-mme ; de l viennent ses erreurs, sesignorances, ses grossirets et ses niaiseries sur son sujet ; del vient qu'il croit que ses sentiments sont morts lorsqu'ils nesont qu'endormis, qu'il s'imagine n'avoir plus envie de courirds qu'il se repose, et qu'il pense avoir perdu tous les gotsqu'il a rassasis. Mais cette obscurit paisse, qui le cache lui-mme, n'empche pas qu'il ne voie parfaitement ce qui esthors de lui, en quoi il est semblable nos yeux, qui dcouvrenttout, et sont aveugles seulement pour eux-mmes. En effetdans ses plus grands intrts, et dans ses plus importantes af-faires, o la violence de ses souhaits appelle toute son atten-tion, il voit, il sent, il entend, il imagine, il souponne, il p-ntre, il devine tout ; de sorte qu'on est tent de croire quechacune de ses passions a une espce de magie qui lui estpropre. Rien n'est si intime et si fort que ses attachements,qu'il essaye de rompre inutilement la vue des malheurs ex-trmes qui le menacent. Cependant il fait quelquefois en peude temps, et sans aucun effort, ce qu'il n'a pu faire avec tousceux dont il est capable dans le cours de plusieurs anne ; d'o
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l'on pourrait conclure assez vraisemblablement que c'est parlui-mme que ses dsirs sont allums, plutt que par la beautet par le mrite de ses objets ; que son got est le prix qui lesrelve, et le fard qui les embellit ; que c'est aprs lui-mmequ'il court, et qu'il suit son gr, lorsqu'il suit les choses quisont son gr. Il est tous les contraires : il est imprieux etobissant, sincre et dissimul, misricordieux et cruel, timideet audacieux. Il a de diffrentes inclinations selon la diversitdes tempraments qui le tournent, et le dvouent tantt lagloire, tantt aux richesses, et tantt aux plaisirs ; il en changeselon le changement de nos ges, de nos fortunes et de nos ex-priences, mais il lui est indiffrent d'en avoir plusieurs ou den'en avoir qu'une, parce qu'il se partage en plusieurs et se ra-masse en une quand il le faut, et comme il lui plat. Il est in-constant, et outre les changements qui viennent des causestrangres, il y en a une infinit qui naissent de lui, et de sonpropre fonds ; il est inconstant d'inconstance, de lgret,d'amour, de nouveaut, de lassitude et de dgot ; il est capri-cieux, et on le voit quelquefois travailler avec le dernier em-pressement, et avec des travaux incroyables, obtenir deschoses qui ne lui sont point avantageuses, et qui mme lui sontnuisibles, mais qu'il poursuit parce qu'il les veut. Il est bizarre,et met souvent toute son application dans les emplois les plusfrivoles ; il trouve tout son plaisir dans les plus fades, etconserve toute sa fiert dans les plus mprisables. Il est danstous les tats de la vie, et dans toutes les conditions ; il vit par-tout, et il vit de tout, il vit de rien ; il s'accommode des choses,et de leur privation ; il passe mme dans le parti des gens quilui font la guerre, il entre dans leurs desseins ; et ce qui est ad-mirable, il se hait lui-mme avec eux, il conjure sa perte, il tra-vaille mme sa ruine. Enfin il ne se soucie que d'tre, etpourvu qu'il soit, il veut bien tre son ennemi. Il ne faut doncpas s'tonner s'il se joint quelquefois la plus rude austrit,et s'il entre si hardiment en socit avec elle pour se dtruire,parce que, dans le mme temps qu'il se ruine en un endroit, ilse rtablit en un autre ; quand on pense qu'il quitte son plaisir,il ne fait que le suspendre, ou le changer, et lors mme qu'il estvaincu et qu'on croit en tre dfait, on le retrouve qui triomphedans sa propre dfaite. Voil la peinture de l'amour-propre,dont toute la vie n'est qu'une grande et longue agitation ; la
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mer en est une image sensible, et l'amour-propre trouve dansle flux et le reflux de ses vagues continuelles une fidle expres-sion de la succession turbulente de ses penses, et de ses ter-nels mouvements.
2Toutes les passions ne sont autre chose que les divers degrs
de la chaleur, et de la froideur, du sang.3
La modration dans la bonne fortune n'est quel'apprhension de la honte qui suit l'emportement, ou la peurde perdre ce que l'on a.
4La modration est comme la sobrit : on voudrait bien man-
ger davantage, mais on craint de se faire mal.5
Tout le monde trouve redire en autrui ce qu'on trouve re-dire en lui.
6L'orgueil, comme lass de ses artifices et de ses diffrentes
mtamorphoses, aprs avoir jou tout seul tous les person-nages de la comdie humaine, se montre avec un visage natu-rel, et se dcouvre par la fiert ; de sorte qu' proprement par-ler la fiert est l'clat et la dclaration de l'orgueil.
7La complexion qui fait le talent pour les petites choses est
contraire celle qu'il faut pour le talent des grandes.8
C'est une espce de bonheur, de connatre jusques quelpoint on doit tre malheureux.
9On n'est jamais si malheureux qu'on croit, ni si heureux
qu'on avait espr.10
On se console souvent d'tre malheureux par un certain plai-sir qu'on trouve le paratre.
11Il faudrait pouvoir rpondre de sa fortune, pour pouvoir r-
pondre de ce que l'on fera.12
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Comment peut-on rpondre de ce qu'on voudra l'avenir,puisque l'on ne sait pas prcisment ce que l'on veut dans letemps prsent ?
13L'amour est l'me de celui qui aime ce que l'me est au
corps qu'elle anime.14
La justice n'est qu'une vive apprhension qu'on ne nous tece qui nous appartient ; de l vient cette considration et cerespect pour tous les intrts du prochain, et cette scrupuleuseapplication ne lui faire aucun prjudice ; cette crainte retientl'homme dans les bornes des biens que la naissance, ou la for-tune, lui ont donns, et sans cette crainte il ferait des coursescontinuelles sur les autres.
15La justice, dans les juges qui sont modrs, n'est que l'amour
de leur lvation.16
On blme l'injustice, non pas par l'aversion que l'on a pourelle, mais pour le prjudice que l'on en reoit.
17Le premier mouvement de joie que nous avons du bonheur
de nos amis ne vient ni de la bont de notre naturel, ni del'amiti que nous avons pour eux ; c'est un effet de l'amour-propre qui nous flatte de l'esprance d'tre heureux notretour, ou de retirer quelque utilit de leur bonne fortune.
18Dans l'adversit de nos meilleurs amis, nous trouvons tou-
jours quelque chose qui ne nous dplat pas.19
L'aveuglement des hommes est le plus dangereux effet deleur orgueil : il sert le nourrir et l'augmenter, et nous te laconnaissance des remdes qui pourraient soulager nos misreset nous gurir de nos dfauts.
20On n'a plus de raison, quand on n'espre plus d'en trouver
aux autres.21
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Les philosophes, et Snque surtout, n'ont point t lescrimes par leurs prceptes : ils n'ont fait que les employer aubtiment de l'orgueil.
22Les plus sages le sont dans les choses indiffrentes, mais ils
ne le sont presque jamais dans leurs plus srieuses affaires.23
La plus subtile folie se fait de la plus subtile sagesse.24
La sobrit est l'amour de la sant, ou l'impuissance de man-ger beaucoup.
25Chaque talent dans les hommes, de mme que chaque arbre,
a ses proprits et ses effets qui lui sont tous particuliers.26
On n'oublie jamais mieux les choses que quand on s'est lassd'en parler.
27La modestie, qui semble refuser les louanges, n'est en effet
qu'un dsir d'en avoir de plus dlicates.28
On ne blme le vice et on ne loue la vertu que par intrt.29
L'amour-propre empche bien que celui qui nous flatte nesoit jamais celui qui nous flatte le plus.
30On ne fait point de distinction dans les espces de colres,
bien qu'il y en ait une lgre et quasi innocente, qui vient del'ardeur de la complexion, et une autre trs criminelle, qui est proprement parler la fureur de l'orgueil.
31Les grandes mes ne sont pas celles qui ont moins de pas-
sions et plus de vertu que les mes communes, mais cellesseulement qui ont de plus grands desseins.
32La frocit naturelle fait moins de cruels que l'amour-propre.
33On peut dire de toutes nos vertus ce qu'un pote italien a dit
de l'honntet des femmes, que ce n'est souvent autre chosequ'un art de paratre honnte.
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34Ce que le monde nomme vertu n'est d'ordinaire qu'un fan-
tme form par nos passions, qui on donne un nom honnte,pour faire impunment ce qu'on veut.
35Nous n'avouons jamais nos dfauts que par vanit.
36On ne trouve point dans l'homme le bien ni le mal dans
l'excs.37
Ceux qui sont incapables de commettre de grands crimesn'en souponnent pas facilement les autres.
38La pompe des enterrements regarde plus la vanit des vi-
vants que l'honneur des morts.39
Quelque incertitude et quelque varit qui paraisse dans lemonde, on y remarque nanmoins un certain enchanement se-cret, et un ordre rgl de tout temps par la Providence, qui faitque chaque chose marche en son rang, et suit le cours de sadestine.
40L'intrpidit doit soutenir le cur dans les conjurations, au
lieu que la seule valeur lui fournit toute la fermet qui lui estncessaire dans les prils de la guerre.
41Ceux qui voudraient dfinir la victoire par sa naissance se-
raient tents comme les potes de l'appeler la fille du Ciel,puisqu'on ne trouve point son origine sur la terre. En effet elleest produite par infinit d'actions qui, au lieu de l'avoir pourbut, regardent seulement les intrts particuliers de ceux quiles font, puisque tous ceux qui composent une arme, allant leur propre gloire et leur lvation, procurent un bien sigrand et si gnral.
42On ne peut rpondre de son courage quand on n'a jamais t
dans le pril.43
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L'imitation est toujours malheureuse, et tout ce qui estcontrefait dplat avec les mmes choses qui charmentlorsqu'elles sont naturelles.
44Il est bien malais de distinguer la bont gnrale, et rpan-
due sur tout le monde, de la grande habilet.45
Pour pouvoir tre toujours bon, il faut que les autres croientqu'ils ne peuvent jamais nous tre impunment mchants.
46La confiance de plaire est souvent un moyen de dplaire
infailliblement.47
La confiance que l'on a en soi fait natre la plus grande partiede celle que l'on a aux autres.
48Il y a une rvolution gnrale qui change le got des esprits,
aussi bien que les fortunes du monde.49
La vrit est le fondement et la raison de la perfection, et dela beaut ; une chose, de quelque nature qu'elle soit, ne sauraittre belle, et parfaite, si elle n'est vritablement tout ce qu'elledoit tre, et si elle n'a tout ce qu'elle doit avoir.
50Il y a de belles choses qui ont plus d'clat quand elles de-
meurent imparfaites que quand elles sont trop acheves.51
La magnanimit est un noble effort de l'orgueil par lequel ilrend l'homme matre de lui-mme pour le rendre matre detoutes choses.
52Le luxe et la trop grande politesse dans les tats sont le pr-
sage assur de leur dcadence parce que, tous les particulierss'attachant leurs intrts propres, ils se dtournent du bienpublic.
53Rien ne prouve tant que les philosophes ne sont pas si per-
suads qu'ils disent que la mort n'est pas un mal, que le tour-ment qu'ils se donnent pour tablir l'immortalit