Les dieux s'amusent

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Denis Lindon LES DIEUX S’AMUSENT

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Denis Lindon

LES DIEUXS’AMUSENT

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Denis Lindon

LES DIEUXS’AMUSENT

U

ILLUSTRATION : Fred SOCHARD

Muni de son arc et de sa massue, Hercule se mit à la

recherche du lion de Némée et le trouva bientôt. Il

tenta d’abord de le tuer à coup de fl èches, mais la peau du

lion était si épaisse que les fl èches n’y pénétraient pas. »

DÈS 11 ANS

n précis de mythologie aussi savant que souriant. Un

livre passionnant, drôle et instructif qui permet de

découvrir les plus belles histoires du monde : les amours de

Jupiter, les travaux d’Hercule, les colères d’Achille, les ruses

d’Ulysse… Des récits qui nous font pénétrer dans l’univers

extraordinaire de ces drôles de héros !

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Mise en pageþ: Grain de PapierRecherche iconographiqueþ: Céline Hully

Publié précédemment sous le titre Les Dieux s’amusent.L’humour mythologique en 1984aux Éditions Jean-Claude Lattès

© Flammarion pour la présente édition, 2010© 1995 Castor Poche Flammarion© 1999 Père Castor Flammarion

pour la nouvelle édition revue et complétée87, quai Panhard-et-Levassor – 75647 Paris cedex 13

ISBNÞ: 978-2-0812-9822-4

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DENIS LINDON

LES DIEUX S’AMUSENT

Illustrations de Jean-Marie Michaud

Flammarion Jeunesse

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LES DIEUX S’AMUSENT

Naguère, tous les écoliers connaissaient par cœurla liste des travaux d’Hercule. Aujourd’hui, la mytho-logie est un peu oubliée. Denis Lindon la ressuscite,déroulant avec humour la guirlande des plus belleshistoires du mondeþ: les amours de Jupiter, les facé-ties de Mercure, les complexes d’Œdipe, les colèresd’Achille, les ruses d’Ulysse…

Savez-vous comment on pouvait reconnaîtreles dieux, lorsqu’ils s’amusaient à prendre formehumaineþ? Ils ne transpiraient pas, même par grossechaleur, ils ne cillaient pas, même en regardant lesoleil, et leur corps ne projetait pas d’ombre sur lesol.

Un livre passionnant, à la portée de tous, qui estune autre façon (la meilleure) de (re)découvrir lamythologie.

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LES NOMS DES DIEUX EN LATIN ET EN GREC

Les dieux grecs étaient si attachants et si sympa-thiques que les Romains, après avoir conquis laGrèce, les ont adoptés. Ce sont les noms latins, plusfamiliers aux Français que les appellations grecques,qui sont utilisés dans ce livre.

Latin Grec

Apollon (ou Phœbus) Apollon (ou Phoibos)Bacchus DyonisosCérès DéméterCupidon ÉrosCybèle RhéaDiane ArtémisEsculape AsclépiosFuries (les) Érinyes (les)Hercule HéraclèsJunon HéraJupiter ZeusLatone LétoMars Arès
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Mercure HermèsMinerve AthénaNeptune PoséidonPluton HadèsProserpine PerséphoneSaturne CronosVénus AphroditeVesta HestiaVulcain Héphaïstos

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© R

MN

Première partie

DU CÔTÉ DE L’OLYMPE

Jupiter foudroyant les Titans. Charles Lamy (vers 1688-1743)

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JUPITER PREND LE POUVOIR

l y a un peu plus de trois mille ans, la Terreétait peuplée d’une multitude de divinités quine cessaient d’intervenir dans les affaires des

hommes.À bien des égards, ces dieux ressemblaient fort à

des hommes ordinairesþ: ils étaient orgueilleux,avides, paresseux, gourmands, menteurs, mesquins,

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rancuniers, jaloux, frivoles, capricieux et violentsþ;il leur arrivait aussi quelquefois d’avoir de bonssentiments. Ils se mariaient, avaient des enfants, sedisputaient, se trompaient, se vengeaient et separdonnaient, tout comme le commun des mortels.Mais ils possédaient deux caractéristiques originales.

D’une part, ils ne mouraient jamais et ne vieillis-saient pasþ: c’est la raison pour laquelle on lesappelait souvent «þles Immortelsþ»þ; cette propriétéremarquable provenait de la consommation régu-lière de deux aliments que les dieux seuls pouvaient

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se procurerþ: le nectar, une liqueur fortement alcoo-lisée à base de plantes, et l’ambroisie, dont on neconnaît pas avec certitude la composition et le goût,mais qui, d’après certains experts, devait ressem-bler à du porridge bien sucré.

D’autre part, ils pouvaient, quand ils le vou-laient, modifier leur apparence physique et setransformer en homme, en femme, en animal ouen objet. Ils utilisaient généralement cette facultépour tromper les humains et leur jouer de mauvaistours. Heureusement, il existait trois moyens dereconnaître des dieux lorsqu’ils se déguisaient enhommesþ:

Premièrement, ils ne transpiraient jamais, mêmepar grosse chaleur.

Deuxièmement, ils ne clignaient pas des yeux,même en regardant le soleil.

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Troisièmement, leur corps ne projetait pas d’ombresur le sol et ne se reflétait ni dans l’eau ni dans lesmiroirs.

Compte tenu du rôle important joué par les dieuxdans les affaires des hommes, il n’est pas possiblede raconter les aventures des héros sans consacrerd’abord quelques chapitres à l’histoire des dieux.Car, bien qu’ils fussent immortels, ils avaient unehistoire, et même une histoire agitée.

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Les Titans et les Géants

Au commencement du monde, il n’y avait que leCiel et la Terre. De leur accouplement naquirentdeux races puissantesþ: les Titans et les Géants.

Les Titans, au nombre de quelques dizaines, étaient,selon les Grecs, «þdes êtres d’une taille immense etd’une force prodigieuseþ». Quant aux Géants, égale-ment au nombre de quelques dizaines, c’était, paraît-il, «þdes êtres d’une taille immense et d’une forceprodigieuseþ». Mais alors, me direz-vous, quelle dif-férence y avait-il entre les Titans et les Géantsþ? Unexpert réputé, le docteur von Pruchtembuch, pro-fesseur de mythologie comparée à l’université dePrinceton (États-Unis), à qui j’ai posé la question,m’a fait une réponse qui vous éclairera peut-êtreþ:

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«þLes Titans, m’a-t-il dit, se caractérisaient essentiel-lement par leur force véritablement gigantesquecependant que les Géants étaient surtout remar-quables par leur stature absolument titanesque.þ»

Quoi qu’il en soit de leurs différences physiques,il y avait en tout cas entre les Titans et les Géantsune grande différence mentaleþ: les premiers étaientintelligents, alors que les seconds étaient des brutes.C’est ce qui explique que, très vite, les Titans pri-rent l’avantage sur les Géants et les réduisirent à unétat de subordination proche de l’esclavage.

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Saturne

Le chef de la tribu des Titans s’appelait Saturneet sa femme s’appelait Cybèle. Saturne, à qui savictoire sur les Géants avait donné l’empire dumonde, était d’un caractère pessimiste, méfiant etcruel. Il craignait qu’un de ses fils ne cherchât unjour à le supplanter. Pour écarter ce risque, il réso-lut de dévorer lui-même, dès leur naissance, tous lesenfants que lui donnerait sa femme. Il en avalaainsi successivement cinq, privant chaque fois lapauvre Cybèle des joies légitimes de la maternité. Deplus en plus frustrée, Cybèle décida de sauver coûteque coûte son sixième enfant. Dès qu’il fut né, elle lemit à l’abri dans l’île de Crète, sur le mont Ida, cepen-dant qu’elle offrait à son époux, à la place du

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nouveau-né, une pierre enveloppée de langes. Telleétait la voracité de Saturne qu’il ne s’aperçut de rien.

L’ascension de Jupiter

Ce sixième enfant, sauvé par sa mère, s’appelaitJupiter. Il fut nourri par la chèvre Amalthée, auxmamelles inépuisables, et élevé par une troupejoyeuse et bruyante de nymphes et de faunes qui,par leurs cris et leurs rires, couvraient les vagisse-ments du bébé afin que Saturne ne les entendît pas.Lorsqu’il fut devenu grand, Jupiter récompensa la

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chèvre Amalthée en en faisant une constellationcéleste, non sans lui avoir préalablement arrachéune corne dont il fit cadeau aux nymphes du montIda. Cette corne, qui fut appelée «þcorne d’abon-danceþ», avait la propriété miraculeuse de produireà profusion ce que les nymphes aimaient par-dessus tout, c’est-à-dire des fleurs, des fruits, desarticles de mode et des bijoux.

Ayant ainsi réglé ses dettes envers ses protec-teurs, Jupiter se mit en mesure de régler ses comptesavec son père. Doté d’un sens politique profond,dont il devait donner plus tard bien d’autres preuves,il comprit qu’il ne pourrait vaincre Saturne et luiprendre le pouvoir qu’en s’appuyant sur des alliés,dont il trouverait bien le moyen de se débarrassers’ils devenaient trop exigeants. Il incita donc lesGéants à se révolter contre Saturne, et obtint en

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outre le concours d’un des principaux Titans,Prométhée. Celui-ci se distinguait de ses congénèresnon seulement par son intelligence supérieure,mais aussi par son sens moral développé. Semblableà certains de nos intellectuels contemporains qui necessent de signer des pétitions pour la défense desdroits de l’homme, Prométhée ne craignait pasd’élever de fréquentes protestations contre les abusde pouvoir et la cruauté de Saturne. C’est par idéa-lisme, et non par ambition personnelle, qu’il promità Jupiter son soutien.

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À la tête de cette coalition, Jupiter, ayant attaquépar surprise Saturne et les Titans, les écrasa. Il forçason père à vomir les cinq enfants qu’il avait dévorés,et qui, si étrange que cela puisse paraître, n’avaientpas encore été digérés. Puis il exila Saturne dans unpays lointain, où il devait bientôt disparaître d’unefaçon mystérieuse et définitive. Pour se débarrasserdes autres Titans, Jupiter les ensevelit dans lesentrailles de la Terre. Ce sont leurs convulsions derage et leurs vomissements de dépit qui, selon lesGrecs, provoquèrent au cours des siècles suivantsles éruptions volcaniques. L’un des Titans, nomméAtlas, qui du fait de sa force exceptionnelle avait étéle plus difficile à terrasser, fit l’objet d’une punitionspécialeþ: il fut condamné à porter en permanencesur ses épaules la voûte du ciel.

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Pour prix de leur aide, les Géants recouvrèrent laliberté. Quant à Prométhée, il refusa noblementtoute récompense personnelleþ; il demanda seule-ment, et obtint, la grâce de son frère Épiméthée, quiavait pourtant choisi le mauvais camp.

La révolte des Géants

Jupiter s’installa alors sur la plus haute montagnede Grèce, l’Olympe, en compagnie de ses deux frèreset de ses trois sœurs qu’il avait fait vomir parSaturne et qui, avec lui, constituèrent la première

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génération des dieux de l’Olympeþ; ses frèress’appelaient Neptune et Pluton, et ses sœurs Junon,Cérès et Vesta.

Ils vécurent d’abord dans l’oisiveté et l’indolence,laissant à Jupiter le soin de s’occuper de toutes lesaffaires du monde. Ce n’était pas une tâche écra-sante, car la cause principale des tracas et des soucisdivins, à savoir l’humanité, n’existait pas encore.Mais enfin, pour un seul dieu, cela faisait tout demême beaucoup de travail. Ne pouvant avoir l’œilsur tout, Jupiter ne s’aperçut pas que ses alliés de laveille, les Géants, mécontents de n’avoir pas obtenuune part plus importante du pouvoir, complotaientcontre lui et projetaient de le détrôner.

Une nuit, ils décidèrent de passer à l’action. Pours’emparer de Jupiter, il leur fallait d’abord escaladerl’Olympe, dont les parois étaient très escarpées.

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Arrachant d’énormes blocs de pierre de deux mon-tagnes voisines, le mont Pélion et le mont Ossa, ils«þentassèrent le Pélion sur l’Ossaþ» et se mirent àgrimper. Jupiter et ses frères, qui avaient bu laveille au soir un peu trop de nectar, étaient profon-dément endormis et n’entendaient rien. Heureuse-ment pour eux, un aigle, que Jupiter avait apprivoiséet qui vivait près de lui, ne dormait que d’un œil.Au moment où les premiers agresseurs parvenaientau sommet, l’aigle se mit à battre frénétiquementdes ailes et réveilla Jupiter, Neptune et Pluton, qui

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engagèrent aussitôt le combat. Mais leur inférioriténumérique était flagrante, et ils comprirent bientôtqu’ils allaient être submergés par les Géants. C’estalors que Jupiter se résolut à employer, pour la pre-mière fois, une arme secrète et dévastatrice dont ildisposait. Cette arme suprême, c’était la foudre.Comment Jupiter se l’était-il procurée, on l’ignore.Mon hypothèse personnelle est qu’elle avait étéinventée par le savant Prométhée, et que celui-ci,pénétré de scrupules, avait fait promettre à Jupiterde ne jamais s’en servir. Mais, dans le péril extrêmeoù se trouvait Jupiter, les scrupules et les promessesn’étaient plus de mise. Au moment où Neptune etPluton reculaient et où les Géants allaient prendrepied sur l’Olympe, un éclair aveuglant, sorti de lamain de Jupiter, déchira l’atmosphère et pulvérisa

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en un instant le rocher qui servait de base à l’écha-faudage construit par les Géants. Toute la pile derochers s’écroula aussitôt dans un énorme fracas,entraînant les Géants dans sa chute. Depuis ce jour,pendant les orages, l’éclair de la foudre est toujourssuivi du bruit du tonnerre, semblable à celui del’écroulement d’une montagne.

La séparation des pouvoirs

C’est à la suite de cette chaude alerte que Jupiterinventa et mit en pratique le principe de la séparation

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des pouvoirs. Ayant compris qu’il ne pouvait pas, àlui seul, s’occuper de tout, et désireux d’autre partde remercier ses frères pour leur participation à laguerre contre les Géants, il décida de partager aveceux l’empire du monde. De l’univers, il fit troisparts, d’ailleurs inégalesþ; la première, la plusimportante, se composait du ciel et de la terreþ; laseconde, de la merþ; et la troisième, des enfers qui,à cette époque, étaient encore vides, puisquel’homme n’avait pas été créé. L’attribution des troislots se fit par un tirage au sort, vraisemblablementtruqué par Jupiter. C’est à lui qu’échurent le ciel etla terre, cependant que Neptune recevait l’empiredes mers et Pluton l’empire des morts. Ainsi, mal-gré le principe déclaré d’égalité entre les trois pou-voirs, Jupiter conservait en fait une indiscutableprééminence. Pour mieux la marquer, il installa sa

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résidence et son trône sur l’Olympe, tandis queNeptune et Pluton se construisaient leurs palais, lepremier au fond de l’océan et le second sous laterre.

Les trois frères avaient des caractères et desgoûts fort différents, qui se manifestèrent d’aborddans la manière dont ils organisèrent leur existence.

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Jupiter politicien

La personnalité de Jupiter ressemblait, sous denombreux aspects, à celle des grands politiciens denotre époque. Il aimait par-dessus tout les contactshumains ou plutôt, dans son cas, les contacts divins.Il se plaisait aux combinaisons et aux intrigues, àcondition d’en tirer tous les fils. Malgré sa statureimposante, ses sourcils épais qu’il fronçait parfoisd’une manière menaçante et sa voix tonnante qui,dans ses moments de colère, faisait trembler sonentourage, il se laissait facilement influencer, sur-tout par les déesses et plus tard par les femmes. Carc’était ce qu’on appellerait aujourd’hui «þun hommeà femmesþ». Un chapitre entier de ce livre serad’ailleurs consacré bientôt à ses aventures féminines.

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Le seul aspect par lequel il se différenciait des poli-ticiens modernes était son aversion pour le men-songe. Non seulement il avait pour principe de nejamais mentir lui-même, sauf pour dissimuler à sonépouse ses infidélités conjugales, mais encore, commele dit Homère, «þil ne venait jamais en aide à ceuxqui mentent ou qui violent leurs sermentsþ».

Son premier souci, après être devenu le maître del’Olympe, fut de se trouver une épouse. Comptetenu de son rang, il ne pouvait envisager de se marieravec une déesse de deuxième ordre, et son choix se

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limitait donc aux trois déesses à part entière quiexistaient à l’époque, c’est-à-dire ses propres sœurs.Il choisit la plus belle des trois, Junon, et, commenous le verrons plus loin, eut souvent l’occasion parla suite de s’en mordre les doigts. Mais laissons-lepour l’instant savourer les premiers moments deson triomphe et de sa gloire. Assis dans son trôned’or, il tient d’une main un sceptre, insigne de sonautorité, et de l’autre, la foudre, instrument de sapuissanceþ; à ses pieds, son animal favori, l’aigle quilui a sauvé la vie, repose les yeux mi-clos. Rien netrouble encore l’atmosphère lumineuse, parfuméeet paisible de l’Olympe.

Neptune, gentleman-farmer

Neptune était d’un tempérament moins sociable

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que son frère. Aux contacts avec les dieux, il préfé-rait ceux avec la nature. Comme certains gentlemen-farmers d’Angleterre ou d’Andalousie, il avait troispassions dominantesþ: la mer, dont il soulevait etapaisait à son gré les tempêtes à l’aide de son tri-dent, les chevaux rapides et les taureaux puissants.C’est à regret que, de temps à autre, il quittait sademeure du fond de l’océan pour se rendre à uneréunion ou à un banquet sur l’Olympe. Il avaitchoisi pour épouse une déesse marine, Amphitrite,qui partageait son goût pour la vie de plein air. Il

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avait tout, semble-t-il, pour être heureux, et pour-tant le Destin, qui est plus fort que les dieux eux-mêmes, allait lui causer bientôt, par l’intermédiairede ses propres enfants, de nombreux soucis et decruels chagrins.

Le sombre Pluton

Le troisième frère, Pluton, était dépressif, taci-turne et misanthrope. Sa mélancolie naturellen’avait fait que s’accentuer depuis le jour où il étaitdevenu le maître des enfers et était allé s’installerdans sa sombre demeure. Pendant longtemps,personne ne le vit, d’une part parce qu’il quittaitpeu son séjour souterrain, d’autre part parce que,dans les rares occasions où il le quittait, il portait uncasque qui avait la propriété de le rendre invisible.

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Les habitants de l’Olympe avaient donc fini parl’oublier presque complètement, lorsqu’un jour Jupiterle vit apparaître devant lui, sans son casque. Avecbrusquerie, Pluton déclara à son frère que, malgréson goût pour la solitude, il s’ennuyait aux enferset avait résolu de se marier. «þAvec quiþ?þ» luidemanda Jupiter. «þAvec Proserpineþ», réponditPluton. Proserpine était la fille de Cérès, l’une destrois sœurs de Jupiter. Et qui était son père, medemanderez-vousþ? C’était Jupiter lui-même, quin’avait pas craint de commettre sa première infidélité

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conjugale avec sa propre sœur et belle-sœur. De cetteliaison doublement coupable était née Proserpine.En guise de cadeau, Jupiter, qui toute sa vie devaitse montrer généreux envers ses maîtresses, avaitoffert à Cérès le royaume des prés et des champs,c’est-à-dire la responsabilité d’y faire pousserl’herbe, les fleurs et les plantes. Depuis, Proserpineavait grandi et était devenue une belle déesse. Elle etsa mère s’adoraient et ne se quittaient pas. C’est surelle que Pluton avait jeté son dévolu.

Se doutant que Proserpine serait peu disposée àquitter sa mère et le séjour radieux de l’Olympepour aller s’enterrer au royaume des morts en com-pagnie d’un lugubre mari, Pluton venait demanderà Jupiter de l’aider à enlever de force la jeune déesse.Le maître de l’Olympe ne savait pas dire nonþ; ilpromit son concours.

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Le guet-apens eut lieu quelques jours plus tard.Proserpine se promenait avec sa mère, Cérès, dansun pré fleuri. Elle aperçut, non loin d’elle, une fleurd’une espèce inconnue. C’était un narcisse, queJupiter avait créé pour l’occasion. Quittant sa mère,Proserpine se dirigea vers la fleur pour la cueillir.Pluton, que son casque rendait invisible, se saisitalors d’elle et, par une crevasse qui s’ouvrit soudaindans le sol, l’entraîna au fond des enfers. Cérèsn’avait rien vu, elle avait seulement entendu sa fillepousser un cri de frayeur. Désespérée, elle se mit à

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chercher partout Proserpine, mais en vain. Se dou-tant que Jupiter en savait plus sur cette disparitionqu’il ne voulait bien le dire, elle usa alors du chantageþ:

—þTant que je n’aurai pas retrouvé ma fille, luidit-elle, je cesserai de faire pousser la végétation.

Les fleurs se fanèrent, l’herbe se dessécha, lesanimaux dépérirent, et Jupiter finit par céderþ: ildemanda à Pluton de restituer Proserpine à samère.

—þImpossible, répondit Pluton. Il existe unerègle selon laquelle toute personne qui s’est alimen-tée, aussi peu que ce soit, pendant son séjour auxenfers doit y demeurerþ; or Proserpine, à peine arri-vée chez moi, a croqué un pépin de grenade.

Jupiter réunit alors Cérès et Pluton et leurproposa un accord transactionnel auquel, aprèsquelques difficultés, ils donnèrent leur consente-

mentþ: Proserpine passerait quatre mois par anaux enfers, en compagnie de Pluton, et le reste del’année sur l’Olympe, avec sa mère. Cérès restacependant inflexible sur un pointþ: pendant toute ladurée de l’absence annuelle de sa fille, nulle végéta-tion ne pousserait plus désormais sur la terre. L’hivervenait d’être institué.
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LA CRÉATION DE L’HOMME

L’étourderie d’Épiméthée

près s’être partagé le monde avec ses deuxfrères, Jupiter se proposa d’organiser la vieanimale sur la terre en différenciant claire-

ment les espèces et en donnant à chacune d’ellesdes caractéristiques particulières et des moyens de

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survie. Il demanda au plus compétent de sescollaborateurs, Prométhée, de s’en occuper. MaisProméthée, qui préférait sans doute se consacrer àses travaux de recherche fondamentale et à sesréflexions philosophiques et morales, se déchargeaà son tour de cette tâche sur son frère Épiméthée.

Épiméthée, dont le nom signifieþ: «þcelui quiréfléchit trop tardþ», était aussi étourdi et désor-donné que Prométhée était réfléchi et méthodique.Sans aucun plan d’ensemble, il se mit donc à distri-buer, au gré de ses impulsions et de sa fantaisie, les

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organes anatomiques et les facultés vitales dont ildisposait. Il donna aux poissons des écailles, desnageoires et des ouïes pour leur permettre de vivresous l’eauþ; aux oiseaux, des ailes et des plumespour leur permettre de volerþ; il donna le courageaux lions, la ruse aux renards, la prudence aux ser-pents, la sobriété aux dromadaires, la vitesse auxzèbres, aux gazelles et aux lièvresþ; il donna un cuirsolide aux rhinocéros et aux crocodiles, une four-rure épaisse aux ours, une vue perçante aux lynx, etle don du camouflage aux caméléons.

Lorsqu’il eut épuisé son stock d’organes et defacultés, il s’aperçut qu’il restait encore une espèce àlaquelle il n’avait rien donnéþ; c’était celle deshommes. Comment les malheureux pourraient-ils,sans nageoires et sans ailes, sans crocs et sans griffes,sans cuir et sans fourrure, se protéger contre les agres-

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sions de la nature et se procurer leur subsistanceþ?Penaud, Épiméthée fit part à son frère de son

oubli. Prométhée, pris de pitié et d’affection pour lamisérable espèce humaine, résolut de la protéger. Ilalla dérober une parcelle du feu divin, en allumantune torche au soleil, et en fit cadeau aux hommes,leur donnant ainsi le moyen de se protéger du froid,de faire cuire des aliments, de se forger des armes,des outils et, plus tard, des machines.

Dans un mouvement de générosité, il fit plusencoreþ: il rassembla tous les maux susceptibles

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d’accabler les hommes – la maladie, le chagrin, lahaine, l’envie, la colère, la jalousie, le mensonge – etles enferma dans une boîte qu’il remit à Épiméthéeen lui recommandant de ne jamais l’ouvrir. Enfin,pour plus de sûreté, il enseigna aux hommes à seconcilier, par des sacrifices, les bonnes grâces desdieux. À cette occasion, il joua à Jupiter un tour quecelui-ci ne devait pas lui pardonner.

Ayant réuni les premiers hommes pour leurapprendre à faire une offrande aux dieux, il leurdonna pour instruction de tuer un bœuf bien graset de partager ses dépouilles en deux lotsþ: le pre-mier serait composé des parties les moins comestiblesde l’animal, telles que les os, les cornes, le cœur oul’estomac, et le second des meilleurs morceaux. Il fitensuite emballer le premier lot d’une manière appé-tissante en le couvrant d’une couche de graisse

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blanche et parfumée, alors que le second lot étaitenveloppé grossièrement dans la peau sanguino-lente du bœuf. Invité à faire son choix entre lesdeux lots, Jupiter, se comportant à cette occasioncomme une ménagère dans un supermarché, selaissa influencer par l’emballage et choisit le mau-vais lot parce qu’il était bien présenté. En ouvrantle paquet, il s’aperçut, mais trop tard, de son erreur.

S’appuyant sur ce précédent, les hommes del’Antiquité purent désormais, en toute tranquillitéd’esprit, offrir aux dieux, en sacrifice, les morceaux

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dont ils ne voulaient pas pour eux-mêmes. MaisJupiter, humilié, avait juré de se venger, surProméthée d’abord et sur les hommes ensuite.

Le châtiment de Prométhée

Oublieux des services éminents que Prométhée luiavait rendus au cours de la guerre contre les Titanset de la révolte des Géants, Jupiter s’empara de lui etl’enchaîna au sommet du mont Caucase. Là, deuxfois par jour, un aigle allait dévorer un morceau dufoie de Prométhée. Après quelques jours de ce sup-plice, Jupiter rendit visite à Prométhée.

—þTa souffrance, lui dit-il, peut se prolonger éter-nellement, puisque tu es immortel. Je suis prêtcependant à te faire grâce, si tu me dis où tu ascaché les maux et les souffrances de l’humanité,

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que je voudrais bien répandre sur elle.—þJamais, répondit Prométhée, donnant ainsi

aux hommes le premier exemple de révolte contrel’injustice et de résistance à la tyrannie.

Malgré diverses intercessions en faveur deProméthée, Jupiter, pour une fois, se montrainflexible. À son épouse, Junon, qui lui reprochaitson attitude, il répondit même, joignant ainsi l’iro-nie à la cruautéþ:

—þPlutôt que de t’apitoyer sur le sort de Prométhée,tu ferais mieux de plaindre mon malheureux aigle,condamné à manger du foie à tous ses repas.

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Pandore

N’ayant pu arracher à Prométhée le secret del’endroit où se trouvaient enfermés les maux del’humanité, Jupiter décida d’inventer un fléaunouveau, capable à lui seul de les remplacer tous.Cet instrument de la vengeance divine, ce fut lafemme. Il faut vous dire en effet – et si je nel’avais pas fait jusqu’ici, c’était pour vous ména-ger une surprise – que la race humaine ne secomposait initialement que d’individus mâles.Cette heureuse période fut désignée par lesAnciens sous le nom d’âge d’or. Elle prit fin lejour où Jupiter, aidé de ses frères et sœurs, ainsique de quelques divinités nouvelles dont nousparlerons plus loin, fabriqua le prototype de la

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femme. Il le dota de multiples attraits physiqueset d’un petit défaut moral qui, il l’espérait bien,servirait de détonateur à d’immenses catastrophes.Ce petit défaut, c’était la curiosité. Satisfait de sonœuvre, Jupiter appela la première femme Pandore,ce qui signifie «þcelle qui a tous les donsþ», etl’envoya sur la terre.

La première personne qu’elle y rencontra futÉpiméthée l’étourdi qui, depuis la condamnationde son frère Prométhée, vivait parmi les hommes.Épiméthée fut ébloui par la beauté de Pandore et

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par son air doux, chaste et candide. Il l’invita àpartager sa demeure et son lit. Le lendemain,appelé hors de chez lui par quelque affaireurgente, il laissa Pandore seule dans la maison,qu’elle se mit aussitôt à fouiller de fond encomble. Elle ne tarda pas à tomber sur la grosseboîte que Prométhée avait confiée à son frère etdans laquelle étaient enfermés les maux del’humanité. Les mots inscrits sur la boîte, Àn’ouvrir sous aucun prétexte, éveillèrent sa curio-sité. «þÉpiméthée n’en saura rienþ», pensa-t-elle,et elle souleva le couvercle. Comme un ouragan,la haine et l’envie, le crime et le remords, la jalou-sie et l’angoisse, tous les péchés capitaux ettoutes les maladies du corps et de l’âme s’échap-pèrent de la boîte et se répandirent sur la terre.

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Lorsque Épiméthée revint, il ne put que cons-tater, avec consternation, que la boîte étaitouverte et vide. Pourtant, non, elle n’était pascomplètement vide. Tout au fond, dans un coin,il aperçut une autre boîte beaucoup plus petite.Elle était enveloppée dans un papier sur lequelÉpiméthée put lireþ: À ouvrir en cas d’accident.

Dans cette petite boîte, prévoyant le pire,Prométhée avait placé le seul antidote possible àtous les poisons de l’existence humaine, le remèdeuniversel à tous les maux, le baume capable d’atté-

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nuer toutes les souffrances. D’une main tremblante,Épiméthée ouvrit la petite boîte. Il en vit sortirl’Espérance.

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LES AMOURS DE JUPITER

n créant la femme, Jupiter avait pour pre-mier but de troubler le bonheur des hommes.Mais il avait sans doute aussi l’arrière-pensée

de procurer des débouchés plus larges à ses propresardeurs amoureuses que les déesses de l’Olympe nesuffisaient déjà plus à satisfaire. De fait, dans la listedes aventures galantes de Jupiter, on trouve au

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moins autant de femmes que de déesses.

Junon

Junon fut la première compagne et la seuleépouse légitime de Jupiter, dont elle était aussi lasœur. Elle lui donna trois enfants, qui furent desdivinités de première grandeur et dont je parleraibientôt. Par sa naissance et son mariage, elle était lapremière des déessesþ; mais elle était aussi la plusantipathique d’entre elles. Grande et belle, mais

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d’une beauté froide, pareille à celle d’une statue demarbre, elle était vaniteuse, susceptible et acariâtre.Elle se croyait supérieure à tout le monde, disait dumal de toutes les déesses et de toutes les femmes,ne cessait de faire des reproches à son mari et luicachait ses bouteilles de nectar lorsqu’elle trouvaitqu’il buvait trop. Surtout, lorsqu’à tort ou à raisonelle soupçonnait une femme ou une déesse d’avoirune liaison avec Jupiter, elle la poursuivait d’unehaine implacable jusqu’à ce qu’elle en eût tiré ven-geance. Or, il faut bien le dire, les occasions d’êtrejalouse ne lui manquèrent pas.

Léda

Un jour, Jupiter se mit en tête de faire la conquêted’une jeune reine, nommée Léda, femme du roi de

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Sparte, Tyndare. Il ne savait comment s’approcherd’elle sans l’effaroucher, car elle était d’un natureltimide. Ayant observé qu’elle aimait se promenerau bord d’un lac où nageaient de beaux cygnes, etqu’elle paraissait avoir pour ces volatiles une prédi-lection particulière, Jupiter se changea lui-même encygne et ordonna à son aigle de faire semblant dele pourchasser dans les airs, au-dessus du lac quelongeait Léda. Émue par les cris déchirants du fauxcygne, Léda lui offrit la protection de ses bras. Dèsqu’il fut dans la place, Jupiter reprit sa forme

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humaine, ou plutôt divine, et profita sans vergognede la situation. Mise au courant de cette aventurepar quelque mauvaise langue, Junon, qui n’osaits’en prendre à son mari dont elle craignait lesfoudres, se vengea sur l’infortunée Léda en mettantdans son ventre, par une opération surnaturelle,deux œufs si gros que, lorsque Léda les mit aumonde, elle en mourut.

De l’un de ces œufs sortirent deux sœurs jumelles,Hélène et Clytemnestre, et de l’autre, deux frèresjumeaux, Castor et Pollux. Par une bizarrerie géné-tique dont il ne faut pas me demander l’explication,trois de ces quatre enfants étaient mortels, et unseul, Pollux, immortel. Nous aurons plus d’uneoccasion de reparler d’eux.

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Écho

Il arrivait aussi que Junon vît ses vengeances seretourner contre elle. Un jour, elle apprit qu’unejeune nymphe, nommée Écho, avait eu avec Jupiterune aventure amoureuse. Pour la punir, faute depouvoir la tuer (car Écho était immortelle), elledécida de la priver presque complètement del’usage de la parole en ne lui permettant, pour toutdiscours, que de répéter la dernière syllabe desphrases qui lui étaient adressées. C’est ainsi que siquelqu’un disait à Échoþ: «þM’entends-tuþ?þ» Écho

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ne pouvait que répondreþ: «þTu, tu, tu…þ», ouencoreþ: «þÉcho, es-tu làþ? Là, là, là…þ» Cette per-verse invention ne tarda pas à retomber sur le nezde son auteur.

À quelque temps de là, un jour qu’elle cherchaitpartout Jupiter, le soupçonnant de courir encore lejupon, Junon rencontre Écho. Elle lui demandeþ:

—þSais-tu où est Jupiterþ?—þTer, ter, ter…, ne peut que répondre Écho.—þJe me doute bien qu’il est sur terre, reprend

Junon, mais je veux savoir avec qui se trouve cetépoux infâme.

—þFâme, fâme, fâme…, répond Écho.—þBien sûr qu’il est avec une femme, s’irrite

Junon, mais je veux que tu me dises son nom.—þNon, non, non…, répond Écho.

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—þQuoiþ! je suis trompée, bafouée et, toi, tu teréjouisþ?

—þOui, oui, oui…

Argus

Pour pouvoir mieux surveiller son mari volage,Junon eut alors l’idée d’avoir recours aux servicesd’un espion, nommé Argus. Il était particulière-ment efficace, car il possédait cent yeuxþ; mêmelorsqu’il dormait, il en gardait toujours cinquanteouverts. Aucun mouvement de Jupiter n’échappait

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donc à Argus, qui en avertissait aussitôt Junon.Pour se débarrasser de cette surveillance impor-tune, Jupiter eut l’idée de demander à Argus de luiéplucher des oignons pour faire une omelette.Comme chacun sait, rien ne fait autant pleurer qued’éplucher des oignons. Les cent yeux de l’espion semirent à déverser un véritable torrent de larmes,dans lequel le pauvre Argus se noya. Désespérée parsa perte, Junon transforma le corps d’Argus en unpaon, sur la queue duquel elle plaça les cent yeuxdu défunt. La prochaine fois que vous verrez unpaon faire la roue, vous constaterez que les yeuxd’Argus y sont toujours. Depuis ce jour, les paonsdevinrent les animaux favoris de Junon, qui pritl’habitude de se déplacer dans un char traîné parquatre d’entre eux. Quant à Jupiter, il put se livrerplus facilement à ses escapades. Deux d’entre elles

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méritent encore d’être citées, car les enfants qui enfurent les fruits devaient jouer, dans l’histoire del’humanité, un rôle éminent.

Sémélé et Bacchus

Pour séduire les mortelles, Jupiter n’hésitait pasà revêtir les formes les plus diverses, se métamor-phosant parfois en cygne, parfois en taureau, par-fois même en pluie. Dans le cas de Sémélé, unejeune princesse thébaine, il se contenta d’abord deprendre une forme humaine.

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Cependant, comme Sémélé lui résistait, il finitpar lui révéler sa véritable identité. Sémélé cédaalors à ses avances. Mais, poussée par l’irrésistiblecuriosité des filles de Pandore, elle brûlait de savoirde quoi avait vraiment l’air le maître de l’Olympe.

—þPromets-moi de me faire un petit plaisir, dit-elle une nuit à Jupiter.

Imprudemment, Jupiter promit.—þMontre-toi à moi dans toute la splendeur de

ton apparence divine, lui demanda-t-elle alors.Jupiter savait qu’aucun mortel ne pouvait sup-

porter une pareille vision, mais il avait pour prin-cipe de toujours tenir ses promesses.

—þTu l’auras voulu, dit-il tristement, et il repritsa forme divine. Aussitôt, Sémélé s’embrasa commeune torche. Elle n’eut que le temps, avant d’expirer,de crier à Jupiterþ:

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—þSauve ton enfant que je porte en moiþ!Jupiter retira prestement du ventre de Sémélé le

fœtus de quelques semaines qui s’y trouvait et, nesachant qu’en faire, l’introduisit dans sa propre cuisse.Quelques mois plus tard, au terme d’une gestationsans histoire, Bacchus sortait de la cuisse de Jupiter.

Parce qu’il était le fils d’une mortelle, Bacchusn’aurait dû être normalement qu’un demi-dieu oumême un simple héros. Mais, parce qu’il l’avait lui-même porté et enfanté, Jupiter décida d’en faire undieu à part entière.

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Lorsqu’il fut grand, Bacchus, qui, du fait sansdoute de son ascendance maternelle, éprouvaitune tendresse particulière pour l’espèce humaine,voulut lui rendre un service éminent. Avant lui,Prométhée avait donné aux hommes l’Espérance,qui permet de mieux supporter les douleurs phy-siques et morales. Ce n’était déjà pas mal, surtoutsi, comme l’affirment certains philosophes pessi-mistes, la réduction de la souffrance est le projetle plus ambitieux que puissent, avec quelque réa-lisme, s’assigner les hommes. Mais Bacchusn’avait lu ni Schopenhauer ni Freud, et il voulaitfaire mieux que Prométhée en offrant aux hommesune source inépuisable de plaisirs, de gaieté et defêtes. Il leur fit don du vin. Il consacra plusieursannées de sa vie à propager sur toute la terre laculture de la vigne et le culte du vin. Il allait de

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pays en pays, à la tête d’un groupe de faunes, dedryades et de bacchantes. Deux compagnons, tousdeux immortels, ne le quittaient pas. Le premier,Silène, était un vieillard bedonnant, rubicond etaviné. Il fallait deux assistants pour le soutenir surson âne. Le second, Pan, était comme les faunes,velu et cornu avec des pieds de chèvre. Il ne ces-sait de poursuivre les nymphes, mais sa laideurextrême les faisait s’enfuir devant lui, saisies depeur «þpaniqueþ». Il se consolait en buvant du vinet en jouant d’une flûte à cinq tubes qu’il avait

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inventée. Du haut de l’Olympe, Jupiter regardaitsouvent avec indulgence et amusement le joyeuxcortège conduit par Bacchus, et se sentait alorsenclin à partager la tendresse de son fils pour leshommes.

Alcmène et Hercule

Mais l’essentiel de sa tendresse, il le réservait auxfemmes. Au cours de ses fréquentes visites àSémélé, dans la ville de Thèbes où elle habitait, ilavait remarqué une fort jolie femme appelée Alcmène.Et la malheureuse Sémélé était à peine morte queJupiter disposait déjà ses batteries pour faire laconquête d’Alcmène. Celle-ci était la femme d’ungénéral thébain, nommé Amphitryon, que sonmétier obligeait souvent à quitter son domicile. Il le

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faisait sans inquiétude, car il savait sa femme d’unefidélité exemplaire.

Jupiter le savait aussi. C’est pourquoi, profitantd’une absence d’Amphitryon, c’est sous les proprestraits de celui-ci que Jupiter se présenta à Alcmène.Elle fut un peu surprise de voir celui qu’elle prenait(ou qu’elle affectait de prendre) pour son mari ren-trer plus tôt que prévu, et elle lui fit un accueild’une particulière tendresse. Quelques mois plustard, elle accouchait de deux garçons. L’un d’euxétait le fils du vrai Amphitryon, et fut prénommé

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Iphiclès. L’autre était le fils de Jupiter et allait bien-tôt remplir le monde du bruit de ses exploits. Onl’appela Hercule.

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APOLLON ET DIANE, LES ARCHERS DIVINS

pollon et Diane étaient les deux enfantsjumeaux nés d’une brève liaison de Jupiteravec une déesse de second ordre, Latone.

Au moment d’accoucher, celle-ci, craignant lacolère de Junon, était allée se cacher dans la minus-cule île grecque de Délos, où Apollon et Dianevirent le jour. Ils grandirent ensemble, unis par une

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tendre affection qui ne devait jamais se démentir,et par leur goût commun pour le tir à l’arc, où ilsexcellaient tous les deux. Ils étaient pourtant fortdifférents l’un de l’autre.

Le dieu du soleil

Apollon, aux traits purs et à la chevelure dorée,était le plus beau des dieux grecs. Il était le patronde la poésie, de la musique et des arts, ainsi que dela médecine qui, à l’époque, était considérée comme

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un art plutôt que comme une science, ce qui nel’empêchait pas de tuer les malades aussi sûrementqu’aujourd’hui. Mais il était surtout le dieu dusoleil. Tous les matins, ponctuellement, il attelait lechar du soleil à quatre chevaux divins et fougueuxet lui faisait parcourir dans le ciel sa trajectoire quo-tidienne. Tous les matins, dis-je, sauf une fois, où ilcommit une coupable imprudence qui mérite d’êtreracontée pour l’édification des pères trop faibles etdes enfants trop téméraires.

Phaéton

Apollon avait plusieurs fils. L’un d’entre eux,nommé Phaéton, était ce que l’on appelle un «þfils àpapaþ». Très fier de ses origines, il ne cessait de s’envanter auprès de ses camarades et de faire étalage

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des trop nombreux cadeaux que lui faisait constam-ment son père. Surtout, il parlait du char du soleilavec autant de fatuité que le fils d’un millionnairepourrait parler de la Rolls Royce de son papa.

—þTu serais bien incapable de le conduire, luidirent un jour ses amis.

Piqué au vif, Phaéton alla trouver son père, lecajola, lui servit une coupe de nectar bien frais etlui dit enfinþ:

—þPapa, je voudrais te demander une petitefaveur.

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—þPar le fleuve sacré du Styx, répondit Apollon,je te l’accorde d’avance.

Les serments prononcés au nom de Styx étaient,pour les dieux grecs, absolument sacrés. Celui quiles violait s’exposait à être banni de l’Olympe etcondamné à une peine de trois à six mois d’inter-diction de séjour assortie de privation de nectar etd’ambroisie, peine pouvant être aggravée en cas derécidive. Phaéton le savait bien, et c’est donc entoute tranquillité qu’il formula alors sa demandeþ:

—þPrête-moi le char du soleil et laisse-moi leconduire pendant une journée.

Apollon tenta de dissuader son fils en lui faisantvaloir que les fougueux chevaux n’obéissaient qu’àlui-même, qu’il serait donc très difficile à Phaétonde respecter scrupuleusement la trajectoire et l’horaireque devait suivre le soleil, et qu’il y avait même des

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risques d’accidents graves, pour lesquels il n’étaitpas assuré. Rien n’y fit, Apollon dut s’exécuter.

Le lendemain, à l’aube, Phaéton prend les rênes,et l’attelage s’élance. Dès qu’ils sentent que ce n’estpas leur maître habituel qui les conduit, les chevauxs’emballent et, en quelques minutes, entraînent lechar au zénith, c’est-à-dire à l’endroit où il n’auraitdû arriver qu’à midi. Sur terre, c’est la stupeur et ledésordre. Alors que les ménagères s’apprêtaient àpréparer le petit déjeuner, leurs maris réclamentdéjà le repas de midi. Les écoliers, qui venaient à

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peine d’entrer en classe, exigent d’en sortir. Quantaux agriculteurs, ils s’étonnent de n’avoir même paspu tracer un sillon pendant toute la matinée. À cemoment, reprenant un peu le contrôle des chevaux,Phaéton les force à rebrousser chemin et l’on voit,pour la première et dernière fois de l’histoire, lesoleil se déplacer d’ouest en est. Les dieux, affolés,pressent Jupiter d’intervenir pour faire cesser cescandale. Mais le maître de l’Olympe, jugeant queles questions solaires n’entrent pas dans ses attribu-tions, hésite encore à punir son petit-fils. Phaéton,cependant, décide de frapper un grand coupþ: pourque ses petits camarades puissent le voir de plusprès aux commandes de son bolide, il force les che-vaux à se rapprocher de la terre et entreprend unvol en rase-mottes. Sur son passage, le soleil brûle

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les récoltes et les maisons, fait fondre les glaces desbanquises, dessèche les rivières et noircit, pour tou-jours, la peau des habitants de l’Afrique.

Cette fois, c’en est trop. Jupiter foudroie l’impru-dent Phaéton, cependant qu’Apollon reprend préci-pitamment les commandes du char en folie.

Midas

Attristé par la disparition tragique de son fils,Apollon chercha une consolation dans la musique.Se consacrant avec passion à la pratique de la lyre,

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un instrument analogue à la guitare et très priséchez les Grecs, il ne tarda pas à en devenir unremarquable virtuose. La modestie n’étant pas sonfort, il se considéra dès lors, non sans raison,comme le meilleur joueur de lyre de tous les payset de tous les temps.

Une occasion s’offre bientôt de faire admirer sontalentþ: un concours international de musique estorganisé, dans une ville de Grèce, par le roi de cetteville, un certain Midas. Ne doutant pas un instantd’en être le vainqueur, Apollon s’y présente sous undéguisement et sous un faux nom. Lorsque arriveson tour, il joue sur sa lyre une sonate de sa compo-sition avec un tel talent que l’auditoire, subjugué,l’acclame. Mais c’était le roi Midas qui présidait leconcours et qui décernait les prix. Or il avait, parmiles concurrents, un protégé nommé Marsyas, à qui

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il avait promis d’avance de donner le premier prix.Il faut dire que ce Marsyas n’était pas, lui non plus,dépourvu de talent musical, et qu’en outre il était leseul à posséder un instrument tout à fait nouveau àl’époque, une flûte en or qu’il avait un jour mys-térieusement trouvée dans un champ. Certes, iln’était pas un virtuose de la force d’Apollon, mais ilavait l’avantage d’être ami intime du roi Midas,juge-arbitre du concours. Contre toute justice,Midas déclare donc qu’Apollon (qu’il n’a évidem-ment pas reconnu) a fait quelques fausses notes, et

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Dépôt légalþ: août 2010N°þd’éditionþ: L.01EJEN000450.N001

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