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Les derniers jours de Moïse

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DU MÊME AUTEUR

À Bible ouverte, vol. 1 ; vol. 2 Et Dieu créa Ève ; vol. 3Moi, le gardien de mon frère ? ; vol. 4 Jacob, Rachel, Léaet les autres : vol. 5 Un Messie nommé Joseph ; vol. 6, LeTestament de Moïse, avec Josy Eisenberg, Albin Michel,1981-1993.

La Pensée juive, vol. 1 Du désert au désir ; vol. 2 De l’étatpolitique à l’éclat politique ; vol. 3 Espaces de l’oubli etmémoires du temps ; vol. 4 Messianités, éclipse politique etéclosions apocalyptiques, Le Livre de Poche, 1987-1996.

La Lumière dans la pensée juive, Berg International, 1988.Les Temps du partage, vol. 1 Des fêtes juives de Pessah à

Tich’a Be’ab ; vol. 2 Les Fêtes juives de Roch Hachana àPourim, Albin Michel, 1993.

La Mystique du Talmud, Berg International, 1994.Cahiers du Groupe d’études spirituelles comparées, n° 2,

Images et Valeurs, avec Antoine Faivre et Jean-JacquesWunenburger, Archè, 1994.

Sophia et l’âme du monde, Dervy, 1997.En vérité, je vous le dis : une lecture juive des Évangiles,

Éditions n° 1, 1999.Judas et Jésus : une liaison dangereuse, Éditions n° 1, 2001.Puits de guerre, sources de paix. Affrontements monothéistes,

Le Seuil, 2003.L’Univers hébraïque, Du monde païen à l’humanisme

biblique, Albin Michel, 2003.Mourir… et après ? Questions de vie, avec Daniel Margue-

rat, Denis Müller, Michel Cornu, Youri Volokhine et al.,

Labor et Fides, 2004.

(Suite en fin d’ouvrage)

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Armand Abécassis

Les derniers jours de Moïse

Flammarion

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© Flammarion, 2015.ISBN : 978-2-0813-6043-3

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À mes maîtres,Rabbi Éléazar Moyal,Rabbi Yaakob Édery,

Rabbi Yehouda Ashkenazi.

À mon épouse pour son « aide face à moi »,À mes enfants

pour leur patience et leur compréhension,À mes petits-enfants

pour le bonheur qu’ils me donnent.

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« Plus jamais ne s’est levé en Israël un prophète commeMoïse, lui que le Seigneur connaissait face à face. »

Deutéronome, XXXIV, 10.

« Souvenez-vous de la Loi de Moïse mon serviteurà qui j’ai donné sur l’Horeb des prescriptions et dessentences pour tout Israël. »

MALACHIE, III, 22.

« […] Prophète centenaire, environné d’honneur,Moïse était parti pour trouver le Seigneur…

Et six cent mille Hébreux, courbés dans la poussière,À l’ombre du parfum par le soleil doré,Chantèrent d’une voix le cantique sacré ;Et les fils de Levi, s’élevant de la foule,Tels qu’un bois de cyprès sur le sable qui roule,Du peuple avec la harpe accompagnant les voix,Dirigeaient vers le ciel l’hymne du Roi des Rois.Et, debout devant Dieu, Moïse ayant pris place,Dans le nuage obscur lui parlait face à face. »

VIGNY Alfred de, Moïse.

« Le texte biblique est plus grand que toutes lesélucubrations auxquelles il a donné naissance. »

BUBER Martin, Moïse.

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AVANT-PROPOS

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Lire un texte n’est pas seulement en reconnaîtreles lettres et en déchiffrer les mots grâce au diction-naire et aux règles grammaticales. C’est comprendrequ’aucun auteur ne réussit à confier au langage ouà l’écriture, sur du parchemin ou du papier, le cou-rant existentiel qui l’anime. En effet, l’univers dupsychisme constitué de sensations, d’images, d’affectset d’idées est fait, d’une part, d’une substance diffé-rente du réel en soi et, d’autre part, de l’univers dulangage. Il ne présente pas au sujet humain le réelcomme tel dans une coïncidence et une symbioseillusoires. Il ne le « présente pas » mais le « re-présente »,le traduit dans le corps, dans la vie affective, dansl’imagination et dans la raison. Il le figure, l’évoque,le conçoit et, en un mot, l’interprète.

Cette relation entre le psychisme et le réel est au

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cœur de l’interprétation telle qu’elle s’inscrit dans latradition juive et dans le mode de lecture que lesmaîtres juifs instaurent entre eux et le texte biblique.

On devrait s’étonner de la pérennité du peuplejuif malgré ses exils, sa dispersion parmi les nations,

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les souffrances et les haines qui s’acharnent sur lui.On est en droit de se demander quel est le secretgrâce auquel il traverse les temps et les espaces depuisprès de trente-cinq siècles. Ce secret est évident : c’estun livre qu’il appelle Torah et qu’on désigne habi-tuellement par le terme de Bible, transcription dugrec biblia (pluriel de biblion) qui signifie docu-ments, lettres ou livres. Ce terme désignait à l’originele papyrus égyptien utilisé pour l’écriture, qu’on rou-lait et déroulait pour le lire. Le mot hébreu Torahrenvoie, quant à lui, à un recueil de Lois, à un ensei-gnement, à une visée, à une direction et finalementà un projet proposé au lecteur pour qu’il le prenneen charge et pour qu’il l’accomplisse.

Lire la Torah, ses récits et ses Lois, c’est les inter-préter, c’est-à-dire en chercher des significations.Les auteurs de ces textes narratifs et prescriptifs, ontvu disparaître de grandes civilisations et de grandescultures comme celles de l’Égypte, de la Babylonie, del’Assyrie, de la Perse, de la Grèce et de Rome, au seindesquelles ils vécurent heureux ou malheureux. Ils ontbeaucoup reçu d’elles et leur ont beaucoup donné. Lepeuple juif est toujours là, construisant son identitédans sa relation aux textes de la Torah qui est sa véri-table patrie. C’est à son mode de compréhension, desa lecture des événements et des récits composés à leursujet ainsi que des Lois rassemblées dans ce Livre, qu’ilfaut faire appel pour percer la raison de sa durée au

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milieu des nations. Toute lecture est interprétationpuisque l’oral a précédé l’écrit et la parole son inscrip-tion sur le parchemin. Le Livre est déjà lui-même uneinterprétation car il se présente comme un messageénoncé en un langage destiné aux hommes.

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Ses auteurs y ont déposé leur propre vision desévénements et les enseignements qu’ils ont reçus. Ilsles ont interprétés à leur tour avant de les trans-mettre. Ce ne sont pas des historiens au sens contem-porain du mot mais des témoins. L’historien réfléchitsur sa méthode de recherche et sur les principes quila fondent. Il cherche à lui donner un caractèreobjectif, sans parfaitement y arriver. Il veut ressusci-ter le passé mais il ne fait que le reconstruire en inter-prétant les documents laissés. Il sait bien que laréalité humaine est complexe, en perpétuel devenir,et qu’elle n’est soumise à aucune loi qui la détermi-nerait rigoureusement. La discipline historique resteune connaissance approchée, mais cette inexactituden’ôte rien à la valeur de l’esprit historique fait dedoutes, de critiques et d’interprétations plus qued’explications. La preuve en est les diverses philoso-phies élaborées par les historiens pour déterminer lelien qui relie les événements, les périodes et les sièclesentre eux. De même, le mode de lecture juive de laTorah est composé de raison, d’imagination etd’affectivité ; il ouvre aux enjeux historiques fonda-mentaux, concerne l’existence humaine entière et lesens à lui donner. Il est certes une méthode de lec-ture mais pas seulement, car il est aussi une anthro-pologie, une vision de l’histoire et du monde. Il estrégi à la fois par la logique symbolique et par lalogique conceptuelle : elles se combinent l’une avec

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l’autre pour constituer ce que les maîtres juifs appel-lent Midrash d’un radical DRCH qui signifie l’« enquêteinfinie ». C’est par la voie de cette méthode spéci-fique d’interprétation que le judaïsme s’est constituéet institué, c’est-à-dire par le renouvellement qui

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n’affecte pas son identité toujours en mouvementet toujours ouverte. On ne peut le confondre avecl’explication, le commentaire, l’exégèse, ni mêmeavec la théologie. Ces modes de lecture sont tou-jours à la recherche du sens caché dans le texte,dans l’événement ou dans la Loi prescrite, commeun trésor au cœur de la forêt qu’il faut apprendreà chercher et à trouver. Le Midrash, quant à lui,exclut toute possibilité d’atteindre tout sens ultime.Ce qui se présente au lecteur biblique c’est la forêtdes mots, des phrases, des textes, des Lois et desrécits.

Le principe de ce que la Torah appelle « Révéla-tion », c’est-à-dire mise à disposition des hommes dela Parole absolue, signifie d’abord qu’aucun lecteurdu texte ne peut prétendre penser, imaginer ou res-sentir l’expérience que l’auteur a cherché à y déposer,d’autant plus qu’il s’agit de Dieu. En d’autres termes,le sens absolu est impossible, sans quoi le lecteur com-munierait avec l’esprit divin en croyant l’atteindre etse diviniserait. Mais l’homme est une créature mar-quée par la finitude : là où il se trouve, l’absolu nepeut résider. Il ne peut qu’interpréter, c’est-à-dire nonpas chercher le sens mais une signification valablepour lui dans sa situation propre au sein de sa sociétéet de son temps.

Il procède d’abord à une première lecture limitéeà la compréhension des mots et à leur combinaison

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avec les autres mots.La seconde lecture dépasse ce fondamentalisme ;

elle vise ce que l’auteur a voulu dire dans cette pre-mière expression. La lecture se fait dialogue intellec-tuel avec l’auteur.

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La troisième lecture est celle où est cherchée unesignification au mode d’expression de l’auteur enposant la question : en quel sens a-t-il dit ce qu’ilavait à dire à sa manière alors qu’il pouvait le direautrement ? L’œuvre est alors à considérer plus quel’auteur. Il s’agit ici de se séparer de celui-ci et d’exa-miner ce à quoi le texte ouvre par lui-même. Cemonde du texte est sollicité par l’interprète quiconstruit son identité en relation avec lui, en sachantqu’il ne peut le réduire à ce qu’il en retire. Sa res-ponsabilité est engagée davantage, car il enrichit letexte de significations auxquelles son auteur n’avaitpas pensé. L’interprétation acquiert ainsi la pleineliberté et donc la pleine responsabilité face aux consé-quences physiques, psychologiques, sociales, écono-miques et politiques qu’elle entraînerait. Elle concernel’existence humaine entière et le sens à lui donner.C’est l’éthique qui oriente et juge cette libertéd’interprétation en lui donnant son sens humainauthentique.

Le récit biblique de la naissance de Moïse peutservir d’exemple à cette approche midrashique.

Moïse naît au sein de la tribu de Lévi, immigréeen Égypte, au XIVe siècle avant l’ère courante.

Les Hébreux sont soumis par le Pharaon àl’oppression égyptienne, à l’esclavage, aux corvées etaux travaux forcés. Ils construisent deux villes entre-

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pôts dans le delta du Nil où ils habitent : Pi-Thomet Pi-Ramsès. Angoissé par leur puissance et par leurdémographie galopante, le Pharaon fait jeter aufleuve leurs nouveau-nés de sexe masculin. Unefemme hébreue nommée Yokhebed, épouse d’Amram,

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chef de la tribu, accouche d’un enfant à six mois degrossesse et le garde pendant trois mois.

Elle est ensuite obligée de le déposer au bord del’un des canaux du Nil, après l’avoir placé dans uneboîte de papyrus enduite de bitume et de poix.Myriam, la sœur du bébé, ne le quitte pas des yeuxet reste attentive à ce qui peut advenir de son petitfrère. Mais elle sait que la fille du Pharaon descendrégulièrement au fleuve avec ses servantes et qu’elleaurait peut-être de la compassion pour le bébé. Cetespoir se réalise : la fille du Pharaon aperçoit la boîteet envoie une de ses servantes la prendre. Elle ydécouvre le bébé qui pleure ; elle sait qu’il est hébreuet qu’il est victime de la cruauté du Pharaon et deson décret de demi-génocide. Elle prend pitié de luiet n’a pas le cœur à le rejeter dans le fleuve, s’oppo-sant ainsi à la barbarie de son père. Myriam accourt ;elle profite de la réaction de la fille du Pharaon etde ses suivantes, et lui propose de lui chercherune femme hébreue pour allaiter l’enfant. La nour-rice choisie est évidemment la mère de l’enfant ! Laconscience morale, le cœur chaleureux et le respectdont témoigne la fille du Pharaon, alors qu’elle n’estpas hébreue, pousseront les rabbins, plus tard, à luidonner le nom de Bitya, « fille de Dieu ». Celle-ciadopte le bébé, l’impose à la Cour, le nomme Moïse,car, dit-elle : « Je l’ai retiré de l’eau. » Elle l’instruitet l’éduque à la cour royale où il demeure pendant

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quarante ans. Le futur libérateur des Hébreux, quiles conduira hors de l’Égypte et leur donnera leurconstitution au pied du mont Sinaï, est un princeégyptien, de père et de mère hébreux, sauvé de lamort administrée par un autocrate grâce à une prin-

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cesse égyptienne qui a le courage de s’opposer à laloi inhumaine de son prestigieux pays.

Telle est l’histoire rapportée dans la Bible, de lanaissance et de l’adoption par l’Égypte de l’HébreuMoïse. Elle suppose bien sûr qu’au temps des Ramsèsdes Hébreux habitaient en Égypte, dans la région dudelta du Nil. Elle affirme l’existence de ce Prophèteexceptionnel, relate le récit de son origine et de sanaissance et souligne qu’il était un Hébreu parfaite-ment intégré à la culture égyptienne jusqu’à parvenirà une grande place à la cour royale.

Or, Israël Finkelstein a écrit à ce sujet :

« Nous n’avons pas la moindre trace, pas un seulmot, mentionnant la présence d’Israélites en Égypte :pas une seule inscription monumentale sur les mursdes temples, pas une seule inscription funéraire, pasun seul papyrus. L’absence d’Israël est totale, que cesoit comme ennemi potentiel de l’Égypte, ou commepeuple asservi 1. »

Historiens et archéologues s’accordent à montrerla nature mythologique des récits bibliques qui serapportent à l’Égypte. Ils montrent, par exemple,qu’une légende babylonienne et assyrienne racontecomment Sargon, roi sémite d’Akkad, qui régna surla Mésopotamie au XXIIIe siècle avant l’ère courante,

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fut enfanté en secret et placé par sa mère dans unecorbeille en roseaux sur les rives de l’Euphrate. Il en

1. Israël Finkelstein et Neil Asher Silberman, La Bible dévoi-lée. Les Nouvelles Révélations de l’archéologie, Bayard, 2002.

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fut de même pour la naissance d’Horus, enfant d’Isiset d’Osiris, qui fut caché dans un marécage par samère. Ces savants ajoutent que les crocodiles quiinfestaient le Nil auraient tôt fait d’emporter la cor-beille où se trouvait le bébé ainsi que la servante quiétait allée la prendre. Pierre Bordreuil et FrançoiseBriquel-Chatonnet notent également :

« On peut se demander comment le meurtre desenfants mâles aurait permis à moyen terme de renou-veler l’abondante main-d’œuvre corvéable qui étaitnécessaire à la réalisation de grands travaux 1. »

Voltaire déjà, avant ces historiens et archéologues,avait exprimé ses doutes sur la réalité historique deMoïse. Il a écrit :

« Est-ce bien vrai qu’il y ait eu un Moïse ? Si unhomme qui commandait à la nature entière eût existéchez les Égyptiens, de si prodigieux événementsn’auraient-ils pas fait la partie principale de l’histoirede l’Égypte 2 ? »

Et puis, rappelons la thèse reprise par SigmundFreud selon laquelle le monothéisme serait uneinvention égyptienne. Moïse serait un haut dignitaireégyptien ou un prêtre qui décida de libérer une tribusémite sévèrement opprimée par le Pharaon et de lui

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imposer la pratique égyptienne de la circoncision. Il

1. Pierre Bordreuil et Françoise Briquel-Chatonnet, Le Tempsde la Bible, Fayard, 2000.

2. Voltaire, Dictionnaire philosophique, « Moïse ».

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ajoute que les anciens esclaves libérés finirent par tuerleur libérateur et s’allier à d’autres tribus sémites dupays de Madian, qui adoraient le Dieu Yahweh. L’undes prêtres médianites, appelé aussi Moïse, hérita desexploits du Moïse égyptien assassiné. C’est en s’aidantde cet exemple que Freud a illustré sa thèse généraleselon laquelle toute religion et toute civilisation s’enra-cinent dans un meurtre accompli au moment de leurfondation. Des auteurs anciens comme Manéthon,Apion, Strabon ou Celse croyaient aussi que Moïse étaitégyptien. Goethe pensait également que Moïse avaitété assassiné par son disciple Josué qui était impatientde le remplacer.

On peut certes continuer à dénigrer le textebiblique pour montrer qu’il n’est finalement produitque par l’imagination et par des interprétations datantde plusieurs siècles, postérieures aux événements rap-portés et dans la mesure où ils ont existé. Mais oncourt, par là même, le risque de discréditer l’inspi-ration du texte. Emploie-t-on la méthode historico-critique positiviste pour obstruer la source de ces récitset arrêter le courant vital qui l’anime ? Cherche-t-onà déprécier l’originalité du peuple qui reçoit quoti-diennement les livres de la Torah pour construire sonidentité par leur interprétation ? Que nous apprendle Midrash sur le récit biblique de la naissance deMoïse que nous avons résumé ?

Il nous fait réfléchir à l’injustice et à la barbarie

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du pouvoir politique totalitaire. Un puissant souve-rain au pouvoir divin opprime les Hébreux, les sou-met aux corvées et à l’esclavage et va jusqu’à mettreen danger son économie qui repose sur l’asservisse-ment, en décidant un demi-génocide.

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Nous apprenons qu’une double résistance s’orga-nise contre ce diktat. D’une part, un couple de laseule tribu de Lévi parmi les autres tribus persécutéess’oppose à la tyrannie en donnant naissance à unenfant alors qu’il sait que cet enfant sera précipitédans le Nil comme tous les autres enfants hébreuxmâles ; d’autre part, parmi le peuple qui opprime lesHébreux se trouvent des résistants sur lesquels onpeut compter et qu’on peut même solliciter indirec-tement comme le fait Myriam, la sœur du bébé. Laprincesse égyptienne reconnaît la souffrance del’enfant hébreu, juge que cette souffrance est gratuiteet injuste, décide de le sauver avec ses suivantes com-plices, s’oppose à la décision de son père et ressentmême de la compassion pour la victime innocente.Elle, l’Égyptienne, appelle l’enfant Moïse et c’est cenom donné par une étrangère au libérateur desHébreux qui est gardé dans la Torah. Dieu Lui-même l’appellera par ce nom qui porte les qualitésde la princesse égyptienne : la générosité et le soucides opprimés.

On peut légitimement critiquer l’expression litté-rale dans laquelle est coulé et fixé ce message datéet localisé. Les événements sur lesquels il s’appuienous échappent : nous ne pouvons pas les connaîtred’une manière objective totale, ni les revivre telsqu’ils se sont déroulés. En effet, seuls des récits nousen parlent, c’est-à-dire des significations que les

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Hébreux leur accordaient. Telle est la véritable objec-tivité historique qui ne peut, quant à elle, rendrecontemporain le passé, à cause de l’éloignement tem-porel. Elle est plus précisément la connaissance dessignifications existentielles que les Hébreux ont

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accordées, dans leur pensée et dans leur vécu, auxévénements traversés. Les textes qu’ils nous ont lais-sés en gardent le témoignage précieux qu’il faut pré-server jusque dans ses termes car ils se présententcomme des fenêtres ouvrant sur leur âme, sur leurpsychisme et sur leurs espérances. Ils parlent pour-tant, de manière particulière, des enjeux humainsuniversels et éternels, car l’universalité ne se réalisedans l’histoire humaine que par la voie de la parti-cularité. Nous le voyons dans le récit de la naissancede Moïse où nous lisons les problématiques du pou-voir, de la raison d’État, de la violence, de la res-ponsabilité, du courage, de la résistance active et del’espérance. L’une des leçons de ce récit est précisé-ment la collaboration entre certaines personnes parmile peuple asservi et des citoyens égyptiens opposés àla tyrannie et à l’injustice : c’est de cette complicitéqu’a surgi le libérateur. La Torah, comme Livre,donne au peuple juif son identité grâce au retourqu’il y fait et à sa lecture qui l’ouvre au changement,aux variations, et même aux mutations qui lui per-mettent de traverser l’histoire et de corriger sa tra-jectoire. Sa victoire sur le temps et sur les causes deson érosion est constituée de recommencements etde créativités, de retours au texte, de sollicitations etde réappropriations. S’enquérir de la nouveauté enrestant soi-même, c’est ce que signifient les deux qua-lificatifs principaux associés au nom de Moïse, maître

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et serviteur. En tant que serviteur de la Transcen-dance, il répond à Son appel d’aller libérer sonpeuple esclave en Égypte et de le conduire au Sinaïoù il reçoit sa constitution, la Torah. En tant quemaître, il la transmet aux Hébreux en l’interprétant

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No d’édition : L.01ELIN000395.N001Dépôt légal : avril 2015