Les contreforts de l'Himalaya : voyage de la Société de...

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« Les contreforts de l'Himalaya» Voyage de la Société de Géographie Inde du Nord 1er au 18 mars 2007 par Jacqueline et Yves BOULVERT Présentation par Michel DAGNAUD Ce voyage en Inde du nord-ouest nous a fait parcourir une région montagneuse pré-himalayenne à partir d'Amritsar, capitale des Sikhs et à seulement 60 km de Lahore, capitale du Pendjab pakistanais. C'est une région rustique qui jouxte le Cachemire entre 1000 et 2000 m avec la chaîne au nord à 6000 ou 7000 m qui barre les accès vers le Tibet et la Chine sauf par quelques cols à 5000 m. C'est une région peu fréquentée par les touristes européens depuis que les vice- rois anglais ne viennent plus s'y rafraîchir pendant l'été comme à Dalhousie et Shimla, capitale de l'Himachal Pradesh et du Pendjab. Par contre les indiens viennent s'y ressourcer et aussi voir les temples hindous, restés relativement intacts, qui illustrent leurs mythes et croyances. Les boudhistes tibétains affluent à Dharamsala. Les routes sont étroites, souvent en travaux et plus ou moins vertigineuses et dangereuses. Il faut de bons chauffeurs de 4x4 ! (Merci à Koré Voyages et à son agence indienne). La montagne est habitée et même cultivée avec des terrasses. Mais ce n'est rien à côté des foules qu'on a pu obs- erver entre Delhi avec ses banlieues surpeuplées et Agra dans la plai- ne du Gange et de la Yamouna. Un grand merci aussi à Jacqueline Boulvert pour le compte-ren- du détaillé qu,elle nous a offert. Après la séance photo déjà passée, nous organiserons sans doute en septembre une séance de films préparés par Jeannine Renucci et Joëlle Robert. Ce voyage en Inde du nord-ouest nous a fait parcourir une région montagneuse pré-himalayenne à partir d'Amritsar, capitale des Sikhs et à seulement 60 km de Lahore, capitale du Pendjab pakistanais. C'est une région rustique qui jouxte le Cachemire entre 1000 et 2000 m avec la chaîne au nord à 6000 ou 7000 m qui barre les accès vers le Tibet et la Chine sauf par quelques cols à 5000 m. C'est une région peu fréquentée par les touristes européens depuis que les vice-rois anglais ne viennent plus s'y rafraîchir pendant l'été 89 -----------

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« Les contreforts de l'Himalaya»Voyage de la Société de Géographie

Inde du Nord1er au 18 mars 2007

par Jacqueline et Yves BOULVERT

Présentation par Michel DAGNAUDCe voyage en Inde du nord-ouest nous a fait parcourir une région

montagneuse pré-himalayenne à partir d'Amritsar, capitale des Sikhset à seulement 60 km de Lahore, capitale du Pendjab pakistanais.C'est une région rustique qui jouxte le Cachemire entre 1000 et2000 m avec la chaîne au nord à 6000 ou 7000 m qui barre les accèsvers le Tibet et la Chine sauf par quelques cols à 5000 m. C'est unerégion peu fréquentée par les touristes européens depuis que les vice­rois anglais ne viennent plus s'y rafraîchir pendant l'été comme àDalhousie et Shimla, capitale de l'Himachal Pradesh et du Pendjab.Par contre les indiens viennent s'y ressourcer et aussi voir les templeshindous, restés relativement intacts, qui illustrent leurs mythes etcroyances. Les boudhistes tibétains affluent à Dharamsala. Les routessont étroites, souvent en travaux et plus ou moins vertigineuses etdangereuses. Il faut de bons chauffeurs de 4x4 ! (Merci à Koré Voyageset à son agence indienne). La montagne est habitée et même cultivéeavec des terrasses. Mais ce n'est rien à côté des foules qu'on a pu obs­erver entre Delhi avec ses banlieues surpeuplées et Agra dans la plai­ne du Gange et de la Yamouna.

Un grand merci aussi à Jacqueline Boulvert pour le compte-ren­du détaillé qu,elle nous a offert. Après la séance photo déjà passée,nous organiserons sans doute en septembre une séance de filmspréparés par Jeannine Renucci et Joëlle Robert.

Ce voyage en Inde du nord-ouest nous a fait parcourir unerégion montagneuse pré-himalayenne à partir d'Amritsar, capitaledes Sikhs et à seulement 60 km de Lahore, capitale du Pendjabpakistanais. C'est une région rustique qui jouxte le Cachemire entre1000 et 2000 m avec la chaîne au nord à 6000 ou 7000 m qui barreles accès vers le Tibet et la Chine sauf par quelques cols à 5000 m.C'est une région peu fréquentée par les touristes européens depuisque les vice-rois anglais ne viennent plus s'y rafraîchir pendant l'été

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comme à Dalhousie et Shimla, capitale de l'Himachal Pradesh et duPendjab. Par contre les indiens viennent s'y ressourcer et aussi voirles temples hindous, restés relativement intacts, qui illustrent leursmythes et croyances. Les boudhistes tibétains affluent àDharamsala. Les routes sont étroites, souvent en travaux et plus oumoins vertigineuses et dangereuses. Il faut de bons chauffeurs de4x4 (Merci à Koré Voyages et à son agence indienne). La montagneest habitée et même cultivée avec des terrasses. Mais ce n'est rienà côté des foules qu'on a pu observer entre Delhi avec ses banlieuessurpeuplées et Agra dans la plaine du Gange et de la Yamouna.

Un grand merci aussi à Jacqueline Boulvert pour le compte-ren­du détaillé qu'elle nous a offert. Après la séance photo déjà passée,nous organiserons sans doute en septembre une séance de filmspréparés par Jeannine Renucci et Joëlle Robert.

La Société de Géographie a organisé récemment un voyage enInde du Nord, du 1er au 18 mars 2007, entre hiver et printemps,période de l'année qui nous a valu de voir les contreforts des mon­tagnes encore enneigés et les premières fleurs sur les arbres frui­tiers des vallées himalayennes. Voyage hors des sentiers battus,dans une Inde traditionnelle, au fond de vallées « du bout du mon­de » fermées par la barrière himalayenne, lieux isolés où coexistentpourtant plusieurs ethnies, religions et cultures.

Ce voyage atypique, encadré par deux visites exceptionnelles: leTemple d'or d'Amritsar et le Taj Mahal d'Agra, nous a permis dedécouvrir le contexte physique et la beauté naturelle des marcheshimalayennes, d'approcher les lieux saints de trois grandes religions:sikh, hindoue et bouddhiste, et de revisiter le passé britannique de cesrégions de montagne à l'aune du temps présent. Ajoutons à cesgrands centres d'intérêt, la visite de Chandigarh issu d'une nécessité- celle de créer une capitale pour les états nouvellement constituésaprès la partition, et du grand projet architectural de Le Corbusier.

Notre périple de dix-sept jours s'est effectué dans une régiongéographiquement variée aussi bien physiquement qu'humaine­ment. Les contrastes, en effet, sont accusés entre l'état indien mon­tagneux de l'Himachal Pradesh, le « pays des neiges », et le pied­mont de l'ancien Pendjab ou pays des cinq rivières, désormais cou­pé en deux depuis la scission de l'Inde et du Pakistan et partagéadministrativement entre Pendjab, Haryana et Uttar Pradesh. Cesecteur absolument plat correspond au couloir indo-gangétique. Lathéorie des plaques a révélé que l'Himalaya est constitué d'une sériede gigantesques bourrelets résultant des chocs de suture entre le

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bouclier indien du Dekkan qui remonte vers le nord, et le bouclierasiatique sibérien sous lequel il s'enfonce.

Plusieurs alignements parallèles sont orientés dans ce secteurW-NW à E-SE. Ce sont d'abord les chaînons modestes des Siwalikque nous avons vus au nord de Chandigarh, puis une série d'aligne­ments puissants: le Mahabharat Lek. Un « moyen pays", moins éle­vé, avec des bassins orientés dans la direction générale de l'ensem­ble, est dominé par la barrière du grand Himalaya qui atteint ses alti­tudes les plus élevées au Népal.

Contrairement aux Alpes et même aux Montagnes Rocheusesoù de longues vallées ont pu s'ouvrir, le relief himalayen apparaîtcompartimenté avec des vallées fermées où les habitants ont vécutrès longtemps isolés, comme l'étaient, pendant huit mois de l'année,ceux du village de Malana à 3300 mètres d'altitude, au-dessus de lavallée de la Parvati, tributaire de la Béas. Aucune route ne remontela vallée moyenne de la Sutlej (ou Satluj - entre Bilaspur et Luhri),incisée dans d'étroites gorges. Celle de la Béas, longue vallée gla­ciaire en auge, en amont de Kullu, présente en aval un tracé enbaïonnette avec plusieurs coudes à angle droit, lors de son franchis­sement transversal par cluses de la chaîne, à l'est de Mandi. Cemodelé heurté, qui longtemps a constitué un obstacle aux communi­cations, a pour contrepartie de présenter l'intérêt d'offrir des sitespropices à de vastes aménagements hydroélectriques indispensa­bles au développement économique du pays, tel le barrage dePandoh à l'entrée des gorges de la Béas,

La lithologie est variée et contrastée. Le grès dans la masseduquel sont sculptés les temples monolithiques de Masroor quenous avons visités, s'oppose, dans l'avant-fosse himalayenne, à desmolasses avec argiles à blocaux, très sensibles à l'érosion ravinan­te, ces matériaux détritiques donnant des modelés ruiniformes oubadlands. La surrection himalayenne, accompagnée de tremble­ments de terre, est toujours active. L:instabilité du substrat jointe auxprécipitations et variations thermiques explique la difficulté de main­tenir en bon état le réseau routier dans ces régions himalayennes.Maintes fois, nous avons vu des routes en réfection. Le socle deszones plissées est constitué, quant à lui, de gneiss et schistes pro­térozoïques à côté de complexes d'ophiolites et de flysch.

La mousson d'été qui remonte progressivement le long duGange ne touche le seuil indo-gangétique qu'à la fin du mois de juin.Toutefois, la région bénéficie, toute l'année, de l'apport des rivièreshimalayennes qui permettent une irrigation bénéfique. Les monta­gnes en effet arrêtent, en hiver, les pluies venant de l'ouest, commenous avons pu le constater sous forme de chutes de neige fraîche à

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Manali et de pluies pénétrantes à Simla et à Mandi.Les contrastes climatiques se retrouvent dans la végétation. Les

ligneux sont quasiment absents dans la plaine indo-gangétiqueréservée aux cultures irriguées : riz paddy, blé et céréales, oléagi­neux. Les collines pré-himalayennes, quant à elles, sont couvertesd'une végétation relativement sèche : agaves, quelques euphorbes,maigres palmiers dattiers (Phoenix dactylifera), kapokiers (Bombaxcostatum). Dans les bas-fonds, poussent bananiers et bambous. Surles pentes des reliefs plus accentués et au fur et à mesure qu'aug­mente l'altitude, apparaissent des margousiers ou neems(Azadirachta indica), des rhododendrons arborés, puis de majes­tueuses forêts de pins et de cèdres déodars (Cedrus deodara) , arbreemblématique de l'Himachal Pradesh.

Ce milieu physique exceptionnel a servi de cadre à des lieuxsacrés où - et cela n'a pas été le moindre de nos étonnements,ccexistent trois grandes religions : hindoue, bouddhiste et sikh. Ainsiavons-nous visité Manikaran, dans la vallée de la Parvati. Bourgadeà 1737 mètres d'altitude où cohabitent hindouisme et sikhisme. Deuxtemples hindous dont le premier est consacré à Rama et à Shiva,sont construits sur des sources d'eau chaude. Le temple sikh, enaval, Gurudwara1 Shri Guru Nanak Dev Ji, lui aussi doté de bassinsd'ablution naturels, se signale par ses oriflammes multicolores et sonrevêtement de marbre éblouissant. La ville de Mandi, à 750 mètresd'altitude, sur les rives de la Béas, s'enorgueillit, elle aussi, de nom­breux temples hindous aussi bien anciens que modernes et d'un vas­te temple sikh. Temples du XVlème siècle : Triloknath dédié à Shiva,Parvati et Nandi, Ekadash Rudra, Bhutnath, à l'angle de la place cen­trale de la ville, temples modernes, tel celui dédié à Kali, déesse de ladestruction, blanc, repeint de frais, en activité, et parfaitement entrete­nu. Sur la même berge de la Béas, un énorme temple sikh, égalementblanc. On y conserve, outre le Livre saint des Sikhs, le lit, le « sitâf »,

et le fusil du dernier gourou mort en 1982. Autre lieu sacré :Rewalsar, fief tibétain et lieu de pèlerinage pour les Bouddhistes. Onrapporte que c'est d'ici que partit le maître Padmasambhava pourporter le message du Bouddha au Tibet. Lieu sacré bouddhiste cer­tes, mais non exclusif: un gurudwara sikh et des temples hindouis­tes ont aussi droit de cité à Rewalsar. Un lac repose dans un berceaude collines, au centre de la ville. Il tient lieu de stupa pour les pèle­rins bouddhistes qui pratiquent la circumambulation, mais il est éga­Iement considéré comme sacré par les Hindouistes et les Sikhs. Belexemple de tolérance religieuse !

1 - Gurudwara : temple.2 - Le sitâr est un luth à manche long doté de touches métalliques et d 'une caisse de réso­nance/aile de courge séchée.

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Photo nO} . Amritsar - Temple d'or (02-03-2007) (Photo Joëlle Robert)

Photo nO] : Vallée de la Beas et harrage Pandoh (Himachal Pradesh) (03-03-2007)(Photo Joëlle Robert)

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Photo na] : Dharamsala - Moines tibétains (OS-O]-2007) (Photo Joëlle Roher!)

Photo n 0 4 Masroor Temples (Vlll' siècle) (06-03-2007) (Photo Michel Dagnaud)

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Photo nOS: Temple Vaidyanatha de Baijnath (Shiva et Nandi)(07-03-2007) (Photo Michel Dagnaud)

Photo n06 .. Rewalsar - Lieu sacré libétain (l J-03-2(07) (Pholo Joëlle Rober!)

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Photo n07 . Simla - Manifestation pro- Tibétaine (/2-03-2007) (Photo Michel Dagnaud)

Photo nOS Taj-iv/ahal (17-03-2007) (Pholo Joëll!' Ro/Jer!)

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L.:intérêt de notre voyage était évidemment de nous conduire àDharamsala, lieu mondialement connu depuis qu'il sert de retraite auDalaï Lama. Ce n'est pas sans émotion que nous avons découvert MacLeodganj, le quartier des Tibétains en exil, et pu assister à une confé­rence du Dalaï Lama en personne s'adressant à une impressionnanteassemblée de jeunes de toutes nationalités. Le temple est modernemais il vaut par toute la charge symbolique qu'il représente. N'est-il pasle centre de la résistance du Dalaï Lama? Plusieurs salles de réunionet de prière. Statues du panthéon bouddhique, tangkas et oriflammesbrodées, livres tibétains enfermés dans leur enveloppe de tissu, offran­des diverses. Autre pôle d'intérêt: l'artisanat tibétain dont la visite duNorbulingka3

, centre initié par le Dalaï Lama pour conserver les traditionsartistiques de son pays, nous a donné une idée: tangkas, sculptures surbois4

, menuiserie et travail du bois, peintures, vêtements, technique del'appliqué. Travail artisanal minutieux qui nécessite un long apprentissa­ge : six ans pour maîtriser l'art du dessin et l'utilisation de pigments natu­rels à base de plantes, cinq ans pour la technique de l'appliqué, six anspour l'art de la sculpture sur bois, plus encore pour le façonnage du cui­vre dont est fait le visage de Bouddha.

Autre lieu de pèlerinage, vénéré par des milliers de Sikhs, le tem­ple sacré d'Amritsar5 que nous avons visité au début de notre voyage.Amritsar, ville de plus d'un million d'habitants, à 60 kilomètres seule­ment de Lahore ! Capitale religieuse des Sikhs6

• Le sikkhisme futfondé au début du XVlème siècle par le guru? Nanak (1469-1538). Ilconçut un système syncrétique mêlant Islam et Hindouisme et prô­nant l'unité de Dieu. Lui succédèrent dix gurus qui approfondirentpuis figèrent sa doctrine.

Le Temple d'or, ainsi appelé parce qu'il a été recouvert dans sapartie supérieure de feuilles d'or (dont on dit qu'elles sont plutôt en cui­vre), est érigé sur un soubassement de marbre au milieu du vaste bas­sin d'ablutions. Une porte richement décorée, Darshan Deorhi, et unpont de marbre blanc donnent accès au temple proprement dit, HariMandir, lieu saint par excellence. A l'intérieur, beaucoup d'incrustationsde pierres (nacre, cornaline, lapis-lazuli) ; arabesques et motifs florauxse mêlent. A l'étage, riche décoration également. Un puits de lumièreouvre sur le Livre, posé sur un précieux coussin de soie, Granth Sahib,3 - Norbulingka est le nom du palais d'été du Dalaï Lama à Lhassa, au Tibet.4 - On travaille le teck, le cèdre déodar et le santal.S - Amritsar: « bassin d'immortalité » ou « d'ambroisie ». Ce nom purement indo-euro­péen est à rapprocher de l'épithète homérique grecque X/-l/3poroç : « immortel» formé surla racine i.-e. *mer- : « mourir» (skI'. mriyate, lat. morior, mortuus, arménien mard : mor­tel. A/-l{3p0aLX : « nourriture des Immortels ».6 - Sikh : disciple, vient du sanscrit: « sisya » : élève, celui qui doit être enseigné.7 - « Guru (Gourou) : ce mot d'origine sanskrite, dont le sens premier est « lourd », désignetous les ainés, notamment les parents et les professeurs dans toutes les disciplines, et nerenvoie pas exclusivement à un maitre spirituel» p.51 in Haag Pascale & Ripert Blandine,2006 - L'Inde, Le cavalier bleu éd., coll. Idées reçues, 122 p.

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livre sacré ou Adigranth, « livre fondamental », pieux réceptacle desenseignements des dix gourous sikhs qui ont établi les fondements decette religion singulière. De l'aube au coucher du soleil, les templessikhs résonnent des prières et enseignements du livre, pieusementpsalmodiés. Mélopée prenante qui ne laisse pas insensible.

Le temple a quatre portes correspondant aux quatre points car­dinaux, manière symbolique de prouver le refus des castes et l'ou­verture à tous sans discrimination.

Ajoutons qu'au temple sikh d'Amritsar, sont associées les duresreprésailles ordonnées par Indira Gandhi le 4 juin 1984 contre le chefsikh Bhindranwale et ses partisans retranchés dans l'enceinte du lieusaint. Trois jours de combats meurtriers, ressentis par la populationsikh comme un sacrilège et qu'lndira Gandhi paiera de sa vie8

Ce voyage insolite, à défaut de grandes fêtes religieuses hin­doues, nous a cependant fait mesurer la profondeur de la foi populai­re dans de vieux temples toujours vénérés, tels celui de LakshmiNarayan9

, à Chamba, ensemble remarquable de six sikharas en pier­res dédiés à Shiva et à Vishnou, dont le plus ancien date du Vlllèmesiècle, le temple de Hadimba à Manali, étonnante construction enbois qui, si nous n'étions pas dans le nord de l'Inde, trouverait aisé­ment sa place en Norvège ou en Pologne, ou le Vaidyanatha deBaijnath, petit temple émouvant dédié à Shiva. Erigé en 804, il estl'un des plus anciens sanctuaires shivaïtes de l'Inde. Outre les attri­buts cultuels habituels - lingam et yoni, taureau Nandi devant le sanc­tuaire, sikkhara classique -, ce qui fait son intérêt, c'est la ferveur desfidèles qui s'y pressent, et la foi du charbonnier des croyants qui vien­nent confier leurs vœux à l'oreille de Nandi. Lieu vivant animé par letambour des musiciens, la cloche des donateurs, et la mélopéeenvoûtante diffusée par haut-parleur: « Om Nam Shiva lO ». Pour ajou­ter à la séduction de cette enclave de spiritualité, la présence de labarrière himalayenne, aux sommets couronnés de neige.

Notre voyage par ailleurs, et ce n'était pas une curiosité mineure,nous a permis de découvrir in situ l'Inde de Rudyard Kipling, celle desvilles de garnison autrefois britanniques comme Patankhotl1

, terminusde chemin de fer et ville de cantonnement au rôle stratégique entre lePakistan et la Cachemire, et celle des stations climatiques installées parles Anglais au XIXème siècle12

: Dalhousie, au pied du Pir Panjal Range

8 - Elle fut assassinée par ses gardes sikhs le 3 octobre 1984.9 - « Narayan » signifie: « seigneur », Lakshmi est la déesse de la pro5périté. Son nomsignifie « richesses ».10 - « Om » ou « Aum » est une résonance nasale ouverte, un son primordial qui met enbranle les énergies profondes du soi .. « Nam» : nom.11 - Pathankote est mentionnée sous celle orthographe dans « l'Arrestation du lieutenantGolighty », nouvelle des « Simples contes des Montagnes» de R. Kipling. Le héros de la nou­velle « officier et gentleman » y est arrêté par erreur.12 - Au XIX"'" siècle, Les Britanniques aménagèrent 80 stations d'altitude en Inde.

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enneigé, Dharamsala dominé par la splendide chaîne des Dhauladhar,Manali, à 1826 mètres d'altitude, devenu aujourd'hui un lieu de villégia­ture pour la clientèle indienne aisée, et surtout Simla, à 2200 mètresd'altitude, capitale de l'Himachal Pradesh. La ville est auréolée de sonpassé de résidence d'été des vice-rois des Indes du temps de la coloni­sation. Station d'altitude où les Britanniques venaient se refaire une san­té et passer des vacances intermédiaires, à une époque où les séjoursd'expatriation duraient cinq ans. Mais, selon Rudyard Kipling, assezméchante langue dans ses « Simples Contes de la montagne» 13 et dans« Sous les déodars »14, Simla15 était aussi le parfait microcosme d'unepetite société fermée sur elle-même16

, creuset et vivier de médisanceset de conduites hypocrites ou conventionnelles : « Simla est unendroit singulier, aux usages spéciaux ; il faut y avoir passé aumoins dix saisons pour avoir le droit de porter un jugement ... »17,

« Simla, où toutes intrigues ont leur origine, et beaucoup leur dénoue­ment funeste »18. Sur le Mali, de belles demeures ex-coloniales. Vers l'estpar la Christ Church (1844) décorée par Lockwood Kipling, père de l'é­crivain. On imagine le café « Peliti» 19, où se retrouvait la bonne sociétéanglaise, ou « The Queen »20, magasin de mode très fréquenté par lesfemmes d'officiers. Scandai Point rappelle une histoire d'amour entreune jeune fille anglaise et un prince indien21

• L:hôtel de ville néo-gothique,la poste sont des constructions coloniales. De l'esplanade du Mali, la vue

13 - « Plain tales from the hills !! : 40 nouvelles qui constituent le premier volume de prosepublié par Kipling, pam en janvier 1888 à Calcutta et à Londres.14 - Kipling Rudyard, 1925 - Sous les déodars, traduit par Théo Varlet, Paris, Nelson éd.15 - « Pendant plusieurs étés, en 1883, puis régulièrement de 1885 à 1888, Kipling fait desséjours à Simla, soit à titre professionnel, comme envoyé spécial de la Civil and MilitaryGazette, soit - ce fut le cas en 1886 et 1887 - parce qu'il y prend un congé ... Simla est à l'é­poque une ville paradoxale cumulant pendant plusieurs mois les fonctions de station climatiqueet de capitale administrative de l'empire des Indes, dans un isolement géographique surpre­nant ... La saison y amène chaque année, d'avril à octobre, une population anglo-indienneessentiellement bourgeoise, suffisamment nombreuse pour recréer certaines conditions de la vieurbaine, mais assez réduite pour maintenir une sorte d'intimité, presque villageoise, excluantl'anonymat ... ii p.1354 in Kipling œuvres, La Pléiade, Gallimard, 1988, 1831 p.16 - « La double vocation d'une station soumise aux migrations saisonnières, une populationen fait déracinée, dont les séjours à Simla, subordonnés aux caprices de l'administration, sontdes épisodes passagers dans une carrière coloniale eUe-même transitoire, la cohabitation paci­fique de deux civilisations étroitement mêlées, du moins dans l'espace quotidien, une vie socia­le et culturelle que la topographie locale, jointe à l'indigence des moyens de communication,condamnent pratiquement à l'autarcie, tout cela compose un paysage humain original, un ter­rain d'observation privilégié pour !'éthologue ou le sociologue, et en l'occurrence pour le cor­respondant de la Civil and Military Gazette, dont les talents et les ambitions littéraires commen­cent à s'affirmer ii p.1354 in Kipling œuvres, La Pléiade, Gallimard, 1988, 1831 p.17 - p.8 in Kipling Rudvard, 1925 - Sous les déodars : «Au bord du précipice ii

18 - p.41 in Kipling Rudyard, 1925 - Sous les déodars :« Véducation d'Otis Yeere ii

19 - Pl 385 in Kipling Rudyard - Simples contes des montagnes, op. cité: Peliti étaitdepuis 1878 le principal café de Simla (crée par le« chevalier !! Peliti) et un lieu de ren­contre très fréquenté par les Anglo-Indiens. 11 était situé sur le Mali, artère principale tra­versant la ville d'ouest en est. La façade de Peliti est encore reconnaissable aujourd 'hui.20 - p. la et 1 385 in Kipling Rudvard - Simples contes des montagnes, op. cité : « TheQueen ii, principal magasin d'habillement, sur le Mali, près de l'hôtel de ville.21 - La première nouvelle de Simples contes des montagnes, Lispeth, raconte l'amour mal­heureux d'une jeune paysanne pahari pour un Anglais.

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sur les montagnes doit être superbe mais lors de notre séjour, lapluie brouille les contours. Il faut dire qu'à Simla, les précipita­tions dépassent 1600 mm pour seulement 650 mm à Delhi. Latempérature moyenne annuelle y est de 12°522 ! R. Kipling notaitdéjà qu'il fallait à Simla faire un tour à la hâte « entre une aver­se et un brouillard »23.

Dernière originalité de ce voyage composite : la ville deChandigarh dont on a dit parfois qu'elle n'a pas 1'« Indian flavour »,

ville-phare de l'architecture contemporaine, réalisation deLe Corbusier chargé de relever le double défi de créer une nouvellecapitale d'Etat, et de transplanter un concept urbanistique occidentalen terre indienne. Projet conçu et réalisé sur plus de dix ans, entre1951 et 1962. D'emblée, ce qui frappe, c'est l'impression d'espace.La nature est partout présente et une ceinture verte entoure la ville.Quadrillage en secteurs délimités par de vastes avenues aérées etombragées. Impression ambivalente: Chandigarh est la réalisationd'un rêve architectural, chance exceptionnelle accordée à LeCorbusier, comme la construction de Dacca attribuée à Louis Kahn,ou celle de Brasilia à Niemeyer, mais Chandigarh est l'image inver­sée d'une ville indienne traditionnelle : espace versus promiscuité,silence versus bruit, lignes droites versus lignes sinueuses, artèresrectilignes versus dédale de ruelles, etc.

Pour revenir vers une Inde plus « touristique », notre programmeproposait la visite de Delhi et d'Agra. A Delhi: tombe d'Humayun (morten 1556), mosquée du Vendredi, Jama Masjid (1650-1656), en pleincœur du vieux Bazar, la plus grande mosquée de l'Inde et l'une desplus belles, Raj Ghat ou Mémorial de Gandhi, Qutb Minar, l'une desmerveilles de Delhi, le minaret à cinq étages, construit en 1199, à unmoment où la ville était sous la coupe de princes afghans et autre mer­veille, les piliers de la mosquée Quwwat-ul-Islam Masjid, la plusancienne mosquée subsistant en Inde (1193). A Agra, naturellement,le Fort Rouge, étonnant témoignage du faste moghol, et bien sûr, le TajMahal, lieu mondialement connu. Inutile de décrire le Mausolée qui semire dans les bassins du jardin et dans la Yamuna : 22 ans de cons­truction (1631-1653),20000 ouvriers : architectes, tailleurs de pierres,marbriers, ornemanistes, sculpteurs, incrustateurs, ciseleurs, etc.Projet inouï pour honorer la mémoire de l'épouse aimée, MumtazMahal, morte en 1631. Que faut-il en dire, si ce n'est, comme le dironttous les visiteurs, que ce sont des lieux uniques, connus de tous,maintes fois décrits, vus et revus en photos, films, posters, et pourtanttoujours fascinants, créateurs d'émotions et inoubliables. C'est que ces

22 - Les températures s'échelonnent de 4° en hiver à 20G en été.23 - pAl) in Kipling Rudyard, ]1)25 - Sous les déodars .' ({ L:éducation d'Otis Yeerc »

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lieux sont beaux, toujours différents selon les heures et la lumière,associés à un imaginaire tout droit sorti des « Mille et une Nuits ". Partde rêve qui fait écho en nous.

Voyage insolite et parfois déroutant, encadré par deux merveilles,le Temple d'or d'Amritsar et le Taj Mahal d'Agra, qui nous ont projetésdans l'Inde fantasmée, celle qui fait partie de tous les imaginaires.L.:lnde réelle, quant à elle, nous l'avons découverte avec ses contra­dictions, ses fragilités, mais aussi ses beautés naturelles, sa spirituali­té et ses potentialités humaines. Dans cette « démocratie au pays descastes" selon la définition de Christophe JaffreloF4, la modernitéessaie de se superposer à une société qui ne l'est pas. Ce passaged'une société à une autre ne se fait pas sans souffrances, comme lenote un des interlocuteurs de VS. Naipaul: « Pour preuves toutes lesfrustrations de la vie indienne moderne. Elles ressemblaient à cellesdu visiteur: la difficulté de voyager, que ce soit par l'avion, le train oula route ; les rues surpeuplées et dangereuses de la ville ; les fuméestoxiques ; les problèmes soulevés par des choses toutes simples, lescomplications rencontrées pour organiser les détails matériels de lavie quotidienne... ,,25. Problèmes qui n'entament pas le capital de fas­cination qu'exerce ce grand pays sur beaucoup de voyageurs. « Lindenous arrache hors de nous-mêmes... Une provocation incessante duregard et de la pensée ,,26.

Remerciements à Madame Renucci et à Monsieur Schaefer qui ontbien voulu apporter leurs suggestions et corrections.

La Société de Géographie sortira cet été 2007 une plaquette­souvenir de 64 pages en hommage à notre sociétaire décédé en2004, le grand saharien Edmond Bernus qui fut aussi lauréat denotre Société en 1977 et en 1999 avec deux fois le Prix HenriDuveyrier pour ses ouvrages :« Les IIlabakan (Niger) "et« LesTouaregs, un peuple du désert ". Cette publication étant inclusedans l'abonnement 2007, nos sociétaires la recevront automati­quement. Cette plaquette-souvenir a été préparée par notre amiJacob Oliel, à qui nous devons déjà celles sur Théodore Monod etJean Dubief et regroupe des textes d'une dizaine de collègues surla vie et l'œuvre d'Edmond Bernus.

24 - L Inde contemporaine, de 1950 à nos jours, sous la direction de Christophe Jaffrelot,Fayard, Paris, 1996, 742 p.25 - p. 192-193 in Naipaul Vs., 1990 - LInde, un million de révoltes, Plon éd., traduit parBéatrice Vierne, 1992,585 p.26 - p. 14, J Cl. Carrière, op. cité.

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Boulvert J., Boulvert Yves. (2007).

Les contreforts de l'Himalaya : voyage de la Société de

Géographie : Inde du Nord, 1er au 18 mars 2007.

La Géographie, 1525, p. 89-102 ISSN 1627-4911