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CENTRE DE RESSOURCES POLITIQUE DE LA VILLE EN ESSONNE

Maison Dép3ltcmentale de l'Habitat Boulevard de !'Ecoute-S'il-l'lcu!

91000 EVRY Tél. : 01.64.97.00.32 Fax: 01.64.97.00.33

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LES CONOITIONS OE VIE OES FEMMES fT OES JEUNES FILLES

OANS LES QUARTIERS EN POLmQUE OE LA VILLE

, Evry CI Ris-Orc::mgis CI Les Ulis CI Vigneux-sur-Seine

Recherche-action Novembre 2003 - juin 2004

Erella DUVAL, sociologue

Briac CHAUVEL, ethnologue

Anne OLIVIER, sociologue

chargés de /' étude

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Les conditions de vie des femmes et des jeunes filles dans les Quartiers en politique de la ville

«Les lieux dits "difficiles" sont d'abord difficiles

à décrire et à penser. C'est pourquoi il faut

substituer aux images simplistes et unilatérales

une représentation complexe et multiple,

fondée sur l'expression des mêmes réalités

dans des discours différents, parfois

inconciliables, abandonner le point de vue

unique, central, dominant, bref quasi divin,

auquel se situe volontiers l'observateur au profit

de la pluralité des perspectives correspondant

à la pluralité des points de vue coexistants

et parfois directement concurrents.»

Pierre Bourdieu,LctMisère du monde, 1993.

Centre de Ressources Politique de la Ville en Essonne

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Ce document est le résultat d'un travail réalisé avec différents groupes :

Génération Femmes Évry Œil du Cyclone Ris-Orangis Groupe de parole de la MPT des Amonts - Les Ulis

Les conditions de vie des femmes et des jeunes filles dans les Quartiers en politique de la vlUe

Avec ces trois groupes nous avons avancé dans la compréhension des obstacles rencontrés par les femmes et les jeunes filles dans les quartiers en politique de la ville, nous avons analysé les réponses apportées par ces groupes et élaboré ensemble de nouvelles propositions d'intervention.

Nous ont également apporté leurs témoignages et leurs analyses:

" Les jeunes filles en réussite scolaire " Les associations Permis de Vivre la Ville et Génération 2 " L'association la Voix des Jeunes d'Évry " La médiatrice de Ris-Orangis " Les responsables de l'intégration et de la vie étudiante

à la mairie d'Évry "Le responsable de l'observatoire de l'université d'Évry .. Les professionnels de l'emploi aux Ulis .. Les femmes du cours d'Alpha du centre social de Vigneux-sur-Seine

Nous REMERCIONS toutes ces personnes pour ce travail de coproduction.

Nous REMERCIONS ÉGALEMENT les membres du comité de pilotage qui ont suivi le déroulement de cette étude.

Cette étude a été financée par:

Le Centre de Ressources en Politique de la Ville en Essonne La Délégation départementale aux droits des femmes et à l'égalité La Préfecture de l'Essonne - Mission Ville

Centre de Ressources POlitique de la Ville en Essonne

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les conditions de vie des femmes et des jeunes filles dans les quartiers en politique de la ville

Directrice de la publication: Évelyne Bouzzine, directrice du Centre de Ressources Politique de la Ville en Essonne

Rédaction: Erella DUVAL Briac CHAUVEL Anne OLIVIER

Conception-réalisation: Édire

Photos © Joss Dray Les photos ont été aimablement prêtées par l'association Permis de Vivre la Ville.

Le Centre de Ressources Politique de la Ville en Essonne est une association financée par: • Le conseil général de l'Essonne • La préfecture de l'Essonne • La préfecture de région Île-de-France • La délégation interministérielle à la Ville • Le Fonds d'action et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations • La Caisse des dépôts et consignations • La direction départementale de la Jeunesse et des Sports de l'Essonne • La mission départementale aux Droits des femmes et à l'Égalité de l'Essonne

ISBN: en cours.

Tous droits réservés © Centre de Ressources Politique de la Ville en Essonne, Évry, 2004.

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INTRODUCTION

PREMIÈRE PARTIE " Si on veut que les femmes soient bien intég1'ées, pas soumises il faut qu'elles travaillent. "

L'ACCES A L'EMPLOI DES FEMMES

les conditions de vie des femmes et des jeunes fiUes dans les quartiers en politique de !a ville

9

DES QUARTIERS EN POLITIQUE DE LA VILLE •................... 13

les motivations ...................................... 14

La principale motivation : augmenter le niveau de vie de la famille

Entretenir les rapports avec le pays d'origine Etre indépendante et exister

les freins il l'accès il l'emploi des femmes des quartiers en politique de la ville . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16

Le manque de formation et de qualification professionnelle

Un marché de l'emploi peu favorable : les emplois réservés

Les discriminations

L'accès aux droits Régularisation de situation Accès au droit du travail

Les contraintes familiales la négociation avec le mari Les enfants et les tâches domestiques

les ressources . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21

Alphabétisation et formation professionnelle Alphabétisation La formation professionnelle qualifiante.

L'aide à l'insertion professionnelle L'ANPE Missions locales, associations et dispositifs institutionnels Les échanges de savoirs et de pratiques

La garde des enfants pendant les cours d'alpha : une initiative intéressante

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Les conditions de vie des femmes et des jeunes fiUes dans les quartiers en politique de la ville

DEUXIÈME PARTIE « C'est rare de voir des jeunes de cité réussir cl l'école! »

LES PARCOURS SCOLAIRES DES JEUNES FILLES DES QUARTIERS ..................... 25

les obstacles il la réussite scolaire des jeunes filles. . .......... 26

Dans la famille

La pression exercée par le quartier sur les bons élèves

la disqualification des parents au sein des établissements scolaires et ses conséquences sur la scolarité des enfants des quartiers en politique de la ville ....................... 27

L'école reproductrice d'inégalités Les modes d'orientation des jeunes des quartiers Le choix d'une filière, d'un métier Les discriminations à l'embauche comme source de démotivation

La violence institutionnelle: des sanctions et des exclusions inadaptées

École et exercice de la parentalité

La méconnaissance des codes de l'éducation nationale

les ressources . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 31

L'investissement familial

Le changement d'établissement

La relation avec un "adulte significatif»

La médiation scolaire Difficultés et limites de la médiation scolaire Les effets positifs de la médiation

TROISIÈME PARTIE « je me suis rendu compte que ICl population énûgrée est toujours stigmatisée, il a toujours

fallu me dévoile!; dévoiler une pClrt cie ma vie privée pourfaire tomber les préjugés»

LA RECONNAISSANCE DES FEMMES IMMIGRÉES DES QUARTIERS ............................ 37

les freins il la reconnaissance des femmes en quartier politique de la ville .......................... 38

L'habitat dans les quartiers: un obstacle à l'intégration

Affronter les préjugés

Affirmer son rôle de mère

Pour les jeunes filles : une identité hybride difficile à penser et à assumer

Quand le mari fait obstacle à l'intégration de sa femme

Le sentiment de déclassement et de dévalorisation

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Les conditions de vie des femmes et des jeunes filles dans les Quartiers en politique de la ville

Des éléments d'analyse ................................ 42

Cultures et identités des migrants et de leurs enfants: des entités réifiées, naturalisées et dévalorisées

Une injonction paradoxale: des jeunes sommés de s'intégrer et assignés à leurs origines supposées

Une recomposition identitaire et culturelle périlleuse

les ressources . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 45

Les ressources linguistiques

Le rôle de la communauté intermédiaire

Les activités artistiques

Le projet familial

Les espaces de reconnaissance identitaire et culturelle

QUATRIÈME PARTIE «Il faut aller dans le droit chemin, il jàut pas zigzaguer»

DES MODES DE CONTRÔLE SOCIAL ET DE LA RÉPUTATION DES JEUNES FILLES DES QUARTIERS .................... 49

Trois systèmes de contraintes qui s'exercent particulièrement sur les jeunes filles .................................... 50

Le contrôle des relations sociales et des sorties

Les relations amoureuses et le choix du conjoint

Le contrôle social des tenues vestimentaires

L'affectation aux tâches domestiques

« Elles ne veulent pas ressembler il maman)) la relation mère-fille .................................. 57

les stratégies des femmes et des jeunes filles face il des systèmes normatifs contraignants ................ 60

CINQUIÈME PARTIE

PRÉCONISATIONS .................................... 63

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Les conditions de vie des femmes et des jeunes filles dans les Quartiers en politique de la ville

INTRODUCTION

Cette recherche-action a été initiée à la demande de la préfecture de l'Essonne, du Centre de Ressources Politique de la Ville en Essonne, de la Délégation départementale aux droits des femmes et à l'égalité.

Les objectifs généraux de la recherche-action étaient:

- d'identifier clans les quartiers en contrat de ville les besoins relatifs à l'évolution cles rôles et des relations de genre ; - de donner de la visibilité à des projets portés par les femmes et les jeunes filles; - de contribuer à la production cie savoirs nouveaux et au renouvellement des straté­gies d'acteurs (objectif propre à la démarche de recherche-action).

Méthode et déroulement de la recherche-action

La recherche a débuté au mois cIe novembre 2003 et s'est achevée par une restitution à l'ensemble des participants en juin 2004.

La recherche-action est un choix méthodo­logique qui permet d'organiser un rapport constamment renouvelé entre le savoir et l'action. C'est une méthode de recherche qui se situe à mi-chemin entre le pragmatisme de terrain et l'analyse théorique. L'action, les pra­tiques et les discours émanant du terrain sont à la base de la production de connaissance. La co-production de savoir permet aux acteurs de terrain d'interroger les pratiques, de les faire évoluer.

Nous avons rencontré au cours de cette étude quasi exclusivement des femmes étran­gères (Afrique du Nord, Afrique subsaha­rienne et Turquie), venues en France par les

mesures de regroupement familial plus ou moins récemment. Les jeunes filles de ces quartiers rencontrées dans le cadre de la réus­site scolaire sont nées en France de parents ümnigrés. Les jeunes rencontrées à Ris-Orangis ont aussi chacune au moins un parent immigré.

L'absence de «femmes autochtones» dans les groupes peut s'expliquer de différentes façons (habitat provisoire, moments du par­cours résidentiel, volonté de se distinguer des femmes étrangères, femmes appartenant au quart-monde en situation de grande fragilité psychologique). Les raisons de leur invisibi­lité restent à explorer.

De ce fait, les résultats de la recherche appréhendent fortement la question de l'itlté­gration.

2 Le travail avec les groupes

L'association Génération Femmes à Évry

@ Six séances de travail avec les média­trices salariées. @ Un entretien de groupe avec les respon­sables des médiatrices et un membre clu bmeau de l'association.

La méthodologie de la recherche-action a pu être vraiment mise en œuvre avec les médiatrices de l'association Génération Femmes à Évry.

Avec ce groupe, rencontré six fois, nous avons pu analyser les difficultés rencontrées par les femmes et les jeunes filles, évaluer les actions mises en œuvre et initier cie nouvelles actions au regard des analyses produites. L'attention a essentiellement porté sur l'exer­cice de la parentaHté dans le cadre des échanges avec les établissements scolaires.

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Les conditions de vÎe des femmes et des jeunes filles dans les quartiers en politique de la ville

L'enjeu pour les femmes étant considérable, puisque cette relation à l'école est l'une des rares, parfois la seule relation existant avec la société d'accueil et que la réussite scolaire des filles est garante cie leur liberté.

Outils utilisés: -la photo langage «Choisissez cieux pho­tos parmi les quarante qui vous sont pré­sentées (photos cie femmes clans différentes situations) qui vous permettent cI'évoquer la femme» ; -les fiches de recueil d'expérience (annexe 1); - un diagnostic à mi-parcours synthétisant les trois premières séances.

L'Œil du Cyclone il Ris-Orangis

@ Un entretien individuel avec Vanda Gautier, responsable du projet à la MJC. @ Un entretien collectif avec les interve­nants théâtre portant sur l'origine du pro­jet et l'écriture des textes. !!I Cinq séances de travail avec douze jeunes (les plus anciens dans le projet). o La représentation théâtrale.

L'Œil du Cyclone n'a pas eu le loisir d'anti­ciper notre venue et avait déjà un emploi du temps très chargé. Si bien que nous avons pu suivre les actions en cours, mais l'analyse n'a pas permis d'initier de nouvelles actions. Le travail a été mené avec un groupe d'une dou­zaine de jeunes, garçons et filles, plus particu­lièrement sur les relations cie genre, puisque c'est le thème de leur spectacle.

Outils utilisés: -le test des choix alternatifs: présentation d'une liste de phrases abordant les rela­tions clu genre «Choisissez parmi les phrases suivantes, deux phrases qui vous semblent vraies et deux qui vous semblent fausses, que vous soyez d'accord ou non

avec ce qu'elles expriment. Vous pouvez rajouter une ou deux phrases que vous ne retrouvez pas dans la liste» (annexe 2) ; - élaboration d'un «tableau de réputation» qui cumule les types de comportements et d'attitudes susceptibles de conférer une mauvaise ou une bonne réputation aux filles et aux garçons dans différents contextes d'interactions sociales (clans la famille, dans le quartier, à l'école).

Les Ulis

Nous avons rencontré un groupe d'une dizaine de femmes qui a été constitué pour les besoins de la recherche par la médiatrice de la MPT des Amonts, Mme A. Larad.

!!I Quatre séances de travail avec le groupe. !!I Un entretien individuel avec la médiatrice. o Un entretien collectif avec les acteurs cie l'emploi de la ville (mission locale, PLIE, service emploi de la ville). !!I Une réunion de travail avec la MPT (directeur, animatrice, médiatrice et chef de projet ville).

Le groupe de parole des Ulis a été constitué pour l'occasion. Il n'était pas assez structuré pour engager des actions. La préoccupation première cie ces femmes était de trouver un emploi. Le groupe a échangé sur des expé­riences vécues touchant principalement à la formation et à l'emploi, mais aussi aux rela­tions de genre et aux difficultés d'intégration. Nous avons eu quatre réunions. Du fait de ces rencontres périodiques des femmes ont entamé certaines démarches, les discussions au sein du groupe leur apportant des éléments de compréhension et leur permettant de déve­lopper de nouvelles stratégies d'acteurs.

Outils utilisés: -la photo langage sur la femme; -la carte des lieux connus et identifiés sur

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le territoire sur la base du récit du parcours depuis l'arrivée en France.

Vigneux-sur-Seine

Enfin, nous n'avons identifié aucun groupe sur Vigneux (quatrième site retenu), suscep­tible de s'engager sur ces thématiques.

En l'absence de groupe clairement identi­fié, nous avons assisté à trois cours d'alphabé­tisation dispensés au Centre social. En accord avec la formatrice, nous avons pu interroger les femmes sur les raisons de leur présence à ces cours et sur leurs difficultés quant à l'ac­cès à l'emploi.

@ Trois entretiens de groupe auprès de trois groupes cie femmes qui suivaient cles cours cI'alphabétisation à Vigneux. Les élé­ments apportés relevaient en grancle par­tie de la thématique de l'emploi.

Par la suite, nous avons été mis en contact avec M. R., élu cie la ville et iclentifié comme connaissant bien le terrain. Avec lui, nous avons réalisé trois entretiens individuels auprès de femmes (parcours, contraintes subies et ressources mobilisées).

Les entretiens individuels réalisés Il était convenu que nous aborderions le thème de la réussite scolaire des jeunes filles par le biais d'entretiens individuels.

@Unentretienavec MmeTavenatat,sel'vice vie étudiante de la ville d'Évry. @ Neuf entretiens individuels.

En avançant sur le travail de terrain, nous avons été amenés à rencontrer d'autres per­sonnes identifiées comme « personnes res­sources»,

III Un entretien avec Marcella Perez (asso­ciation Permis de Vivre la Ville, Bois Sauvage-Évry).

Les condilions de vie des femmes et des îeunes filles dans les Quartiers en politique de ta ville

III Observation d'une séance de soutien sco­laire réalisée par cette même association. III Un entretien avec Mme Durmaz (asso­ciation La Voix des Jeunes, Évry). III Observation d'une réunion organisée par un établissement scolaire en clirection des parents d'origine étrangère. III Un entretien avec A1sséta Cisse (associa­tion Génération II - Citoyenneté - Inté­gration). III Un entretien avec Mme Mounirattinam, mécliatrice à Ris-Orangis auprès des familles incliennes. III Un entretien avcc Maryse Fontaine (service Intégration cie la ville d'Évry). iii Participation à un clébat organisé par l'as­sociation Ni putes ni soumises aux Ulis.

Ces clémarches relevaient davantage de la micro-étude. Nous avons réalisé des entre­tiens qualitatifs.

Les résultats cie la recherche sont évi­demment à mettre en relation avec le péri­mètre de l'étude et le temps qui lui a été consacré. Il n'est pas possible cie généraliser certaines conclusions. Bien des aspects du tableau ainsi dressé demanderaient à être affinés. Toutefois, l'expérience des acteurs de terrain nous renseigne sur les ressources qui sont opérationnelles et qui peuvent être précieuses pour ces femmes et ces jeunes filles qui vivent clans les quartiers en poli­tique de la ville.

La méthode utilisée (principalement des entretiens de groupe) n'a pas permis:

- de comprendre en profondeur les rela­tions de genre au sein du couple, questions qui relèvent de l'intime; - d'appréhender les spécificités de femmes de courants migratoires plus récents occupant pourtant une place croissante dans les quartiers : femmes turques et kurdes, femmes indiennes et sri­lankaises;

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les conditions de vie des femmes et des jeunes filles dans les quartiers en politique de la ville

- de travailler la question des femmes dnvisibles» : celles qui n'ont pas d'adresse dans les villes, qui sont hébergées, celles qui n'ont pas de papiers;

- de rencontrer des «femmes autochtones» qui sont peu représentées dans les asso­ciations ou groupes locaux.

Renlarque : Dans le corps du texte les propos rapportés sont en italique.

Fiche technique de la recherche-action

Intitulé Recherche-action sur les conditions de vie des femmes et des jeunes filles dans les quartiers en politique de la ville.

Zones géographiques Évry (91) Ris-Orangis (91) Les Ulis (91) Vigneux (91)

Période De novembre 2003 à juin 2004.

Modalités Enquête de terrain essentiellement auprès de femmes et de jeunes filles vivant dans les quartiers en politique de la ville et mobilisant des ressources indivi­duelles et collectives pour faire face aux difficultés rencontrées dans leur vie quotidienne.

Suivi de l'avancement de l'étude par un groupe de pilotage constitué de repré­sentants des principales institutions concernées.

Méthodes - suivi de groupes dans le cadre de la recherche-action - entretiens individuels semi-directifs - entretiens collectifs - observation

Principes Respect de l'anonymat et du volontariat. Restitution des résultats de l'étude à l'ensemble des personnes interviewées.

Échantillonnage Ne sont pris en compte que les personnes ayant soit participé à un groupe, soit été interviewées. Soit: 7 personnes ressources, 25 jeunes dont 4 garçons, 54 femmes. Soit un total de 86 personnes.

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© Joss Dray· Permis de Vivre la Ville

PARTIE 1

"Si on veut que les femmes soient bien intégrées, pas soumises,

il faut qu'elles travaillent.»

.. '" L'ACCES A L'EMPLOI

DES FEMMES DES QUARTIERS EN POLITIQUE DE LA VILLE

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Les conditions de vie des femmes et des jeunes filles dans les quartiers en politique de la ville

Les felll11les que nous avons rencontrées vivent ou travaillent dans les quartiers définis comme prioritaires, selon les critères d'exclu­

sion soelo-économique retenus par la Politique de la Ville dans le département de l'Essonne.

r:analyse du discours des femmes, qui se sont exprinlées dans les diverses séances organisées sur le thème de l'emploi, nous informe sur les raisons qui les poussent à rechercher un travail, sur les freins, les diftlcultés et les contraintes qu'elles ren­contrent dans la recherche ou J'exercice d'un emploi, sur les stratégies individuelles et collec­tives qu'elles déploient, sur les ressources institu­tionnelles qui leur sont proposées.

1. les motivations

1.1. La principale motivation: augmenter le niveau de vie de la famille

La précarité économique touche de plus en plus d'habitants des quartiers en politique de la ville. Les hommes, qui sont le plus souvent arrivés en France avant leurs épouses, sont de moins en 1110ins en Illesure d'assurer un revenu décent pour des familles souvent plus nombreuses que la moyenne nationale.

Certains sont usés par un parcours profession~ nel dans des secteurs d'activité qui nécessitent des efforts physiques (bâtiment, industrie), parfois tou­chés par des incapacités de travail totales ou par­tielles. D'autres sont au chômage ou exercent des emplois faiblement rémunérés.

Enrayer cette situation de précarité financière apparaît dans les entretiens comme la principale motivation des femmes en recherche d'emploi:

Il Y a beaucoup d'bommes qui ont des diffi­cultés à travaillet; JI a beaucoup d'hommes au chômage et les femmes acceptent de faire le ménage, ganter les enfants ... , et puis l'homme a compris qu'il faut maintenant être deux à tra­vail/el; la question matérielle joue beaucoup.

On veut travailler parce que le salaire du mari, le Smic, ça suffit pas. Il n)' Cl pas d'aide pOU1·lesfemmes.

Il est d'autant plus important de tt'availler pour les femmes migmntes puisqu'une part des revenus du foyer est octroyé aux membres de la famille res­tés au pays d'origine, comme une part est destinée aux retours temporaires au pays (vacances, événe­ment familial exceptionnel, cérémonies, etc.).

1.2. Entretenir les rapports avec le pays d'origine

Parfois le salaire du mari pourrait suffire pour la famille proche, mais s'avère insuffisant pour la tlunille élargie restée au pays.

Chez nous, les Africains, on Cl les familles dans nos pays, ce que le mari gagne ça sujfit pas pour les deux familles là-has.

Ainsi, certaines situations relatées montrent que, si les femmes veulent assurer des conditions de vie décentes à leurs enfants, elles doivent aller travailler, puisqu'une partie du revenu du mari est systélnatiquenlent envoyé à la fatnille,

Même si la femme ne travaille jlas pendant }Jlus de vingt cms, l'!Jomme ne doit pas dire à sa fe111me «sors, travaille et tu vas ln'ctiden), Ça ne se fait }Jas, donc l'bomme il va se débrouiller POUl' amener l'argent, mais l'argent c'est aussi }Jour les parents restés en Afrique, c'est ça qui fait le problème.

Elle se bat en faisant des petits commerces pour subvenir al/X besoins des enfants. Les femmes en Afi'ique c'est comme ça et en France aussi, même si elles n'ont pas de papiers, elles vont travailler illégalement pour avoir quelque chose.

La volonté est forte cl'aider sa famille restée au pays, cle lui montrer que l'on réussit, que l'immi­gration avait un sens, en tennes d'ascension sociale notamment. Les femmes souhaitent en outre rever­ser elles-mêmes une partie cIe leurs revenus à leur famille restée au pays, d'autant plus lorsque le mari n'est pas tenu cl'envoyer son argent à sa belle­famille.

Oui, en fait c'est une motivation pour tra­vailler non seulement pour exister en tant que femme et puis par rapport à l'immigration parce que si cette femme-là est là en Fmnce, ça

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reflète une image au niveau de son village, de sa propre fratrie, de sa mère, aider un frère cl rentrer ici en France, ça amène tout ça, on peut envoyer la maman cl La Mecque, acbeter des cboses, toutes lespmblématiques que l'on CI c'est le pmblème d'argent.

Le l'apport avec le pays d'origine est souvent lié

à des questions d'honneur. L'immigration impose un devoir de réussite, un soutien financier à la famille l'estée au pays et plus globalement une par­ticipation au développement du pays d'origine. Il en va de l'honneur de la famille dans son ensemble de répondre à ces exigences.

Il faut qu'ils montrent au pays (iVIali) qu'ils ont trouvé une place aussi et qu'ils envoient de l'argent, donc l'homme et la femme font leur carrière.

Certaines situations relatées montrent à quel point il est difflcile de déroger à cet engagement. Certaines familles ont totalement interrompu leurs relations avec le pays d'origine faute de ne pouvoir le tenir. En attendant de retrouver une meilleure situation fInancière, eUes prétèrent disparaître, se faire oublier.

Évidemment l'argent est également nécessaire tout simplement pour payer les retours au pays d'oligine. Entretenir le l'apport au pays d'origine est important pour l'ensemble de la famille (pour ceux qui sont restés au pays, comme pour ceux qui ont migré et pour leurs enfants). Ces retours offrent la possibilité de préserver la cohésion familiale. Plusieurs femmes ont exprimé l'importance des retours pour leurs enfants, ont souligné la nécessité d'entretenir les contacts falniliaux, de transmettre les valeurs et l'histoire familiale.

- Ya des exemples de Jèmmes qui s'en sortent et qui du coup peuvent partir cbez elle. /VIoi ma mère elle me disait, tu n'atTives pas cl rentrer et ben faztf que tu tmvailles, c'est normal. - Parce que quand les femmes ne travaillaient pas c'était surtout les hommes qui rentraient au pays? - Non, ils ne rentmient pas beaucoup. Et main­tenant que les femmes tmvaillent les familles peuvent rentrer tous les ans et ça c'est impol'-

Les conditions de vie des femmes et des jeunes filles dans les quartiers en politique de la ville

tant que les enfants puissent voir comment ça se passe au pays.

Des jeunes filles racontent de manière récur­rente conl1nent j après un pl'enlier séjour dans leur pays d'origine, elles ont réussi à mieux comprendre leurs parents, tuais aussi à relnettre en cause des préceptes éducatifs. En effet, en situation d'émigra­tion, il arrive que des principes éducatifs devierulent plus stricts que ce qu'ils sont dans le pays d'origine.

La condition de la femme en Turquie avance beaucoup plus que pour les femmes ici ca!' c'est la communauté qui jJèse. Ce n'est pas évident de sorti1; de se rebellel:

Ici, quand les gens rentrent en France, ils sont l'entrés avec leurs idées mais au pays, ça change! Et ça ne change pas ici dans la téte des gens, saufpour ceux qui retournent très souvent et qui peuvent dire aux autres que ça a cbangé.

Les fel111nes inlmigrées que nous avons rencon­trées sont toutes confrontées à une relation au pays d'origine déterminée par leurs moycns finan­ciers: devoir d'envoyer de l'argent par mandat, d'exposer une certaine réussite, cie payer les voyages aux pays, etc.

1.3. Être indépendante et exister

Travaille1; c'est acquérir une indépendance financière et sociale. Ça permet d'existe!:

Je suis très contente de voir l'évolution parce que je vois plein de femmes qui veulent tm­vaille/;faire des formations et s'occuper de leurs enfants, t1'Ouver des activités POUl' leurs enfants

Cette indépendance souhaitée répond à une évidente volonté de s'intégrer. Les femmes ont bien saisi que le travail permet des relations sociales clif­férentes et élargies, des rencontl'es inédites. Elles savent que c'est un levier important poUl' connaître la société dans laquelle elles évoluent. Elles com­prennent au fur et à mesure que les enfants gran­dissent comhien la maîtrise des codes sociaux et culturels de la société est importante dans la rela­tion qu'elles pounont entretenir avec eux.

On peutp1'Ouver que l'on existe en trouvant du tl'Clvail !

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Les conditions de vie des femmes et des jeunes filles dans les quartiers en politique de la ville

En même temps, en tant que garantes de la translnission culturelle, elles tiennent à aSSUlner certains rôles sexués qu'elles considèrent comme «traditionnels)} (soins et éducation des enfants, tâches domestiques).

Si la femme elle sort, elle travaille, le mari après il peut être Fer «ma femme elle sort, elle travaille, elle m'aide", mais il faut aussi garder ses racines, ses relations avec son entourage, celui du mari, lafamille qu'elle connaît.

En quelque sorte, les enfants sont porteurs des valeurs fondées sur des représentations de la modernité occidentale. Par ces représentations, ils acculent leur mère à négocier un passage de la « tradition» à la {( modernité», Le travail pennet cette négociation.

Les femmes au foye/; c'est triste de voir des femmes qui sont là, par exemjJle les Magbré­bines qui restent à la maison et qui se conten­tent des allocations fatniliales, moi ça me cboque. Y a des femmes françaises qui sont au foye/; mais elles le décident et avant ça elles avaient une situation. Moi je trouve qu'on n'est pas là seulement pour s'occuper des enfants, si on veut bien s'en occuper d'ailleurs, il faut qu'onfasse des cboses qui nous intéressent.

y a des femmes qui sont obligées jJar leur mari et yen a qui ne sont pas obligées, mais elles ne travaillent jJas. Moi je sais que ma mère, elle fait quelque cbose qui lui pledt et c'est mieux, je l'aime plus connne ça, si j'avais une mère qui restait à la maison, je ne sais pas si je l'aurais aimé, enfin, je l'aimerais quand même, mais elle est indépendante en travaillant. Moi je crois qu'il faut essC/yer de tmvaille/:

Ibut ce que je sais c'est que, quand ils sont venus, ils ont habité li 11'[, que ma 111ère, cotnlne elle a jamais été à l'école, elle savait pas parler le français, comme elle était jamais sortie de sa cambrousse algérienne, et bab, elle connaissait jJas ... Elle savait pas ce que c'était de sortir et de parler avec les gens et de faire connaissance avec eux. Et comme elle ,wait des préjugés SUI'

les Français elle a toujours eu peur d'eu,x .. elle connaissait que mon père ", au lieu de s'impo­ser et de di1'e «moi j'ai envie de tmvaillel; j'ai

envie de sortir", elle l'écoutait. Illtti disait "bon, je ramène l'argent à la maison". Illtt; a jamais dit «travaille pas (" mais il voulait pas trop, tu vois, il venait d'épouser une jeune vierge, il vou­lait pas qu'elle sorte. Mais bon je suis sûre qu'elle se serait un petit peu imposée, et bab il l'aurait laissée.

2. les freins il "accès il l'emploi des femmes des quartiers en politique de la ville

2.1. Le manque de formation et de qualification professionnelle

Parnli les fenl111es que nous avons rencontrées, beaucoup sont arrivées par les mesures de regrou­pement familial. Les années de présence en France sont variables et les niveaux de qualification acquis dans les pays d'origine le sont également.

je cbercbe un travail par l'Anpe. Mon pro­blème c'est de ne pas avoir assez de niveau intellectuel. je fais beaucoup de fautes pour écrire. je ne connais JJC/s les entreprises: le tm­vail que l'on fait dedems.je fais des stages pra­tiques soit restauration, ménage, garde d'enfants ... un. CDI à temps complet c'est pas du tout facile de trouver cela (elle est en formation d'aide à domicile).

La contrainte principale résulte du niveau de français. Le taux de chômage a des répercussions sur les exigences des employeurs. Même pour des emplois peu qualifiés et précaires, des niveaux de français parlé et écrit de plus en plus élevés sont exigés.

Il faut un peu d'écrit. Ils ont demandé des gens qui ont le permis. Même l'aide à domicile il faut un niveau secrétal·iat. Pour femme de ménage, on fait un test de matb. Même contrô­leur à la RATp' même gardien, il faut le bac. Ça devient grave ( Ça vous décourage. On dit «on peut quand même écrire la liste des courses en arabe 1»,

On mesure dans ce propos combien ces exi­gences sont perçues aussi C01UfllC une invalidation

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des compétences des femmes ce qui conduit sou­vent au décol1ragenlent.

Je voulais travailler à l'h6tel, mais ils m'ont dit que je ne pattais pas assez bien français

Pour trouver un emploi, on nous demande d'avoir déjà une expérience professionnelle ce qu'on n'a pas, c'est normaljJarce qu'avant on n'était }Jas ici. C'est }Jour cela que l'on doit com­mencer par le mén age.

Plus que du découragement, certaines situations révèlent une intériorisation de cette dévalorisation. Certaines femmes ne remettent pas en question cette situation, d'autres revendiquent le droit à l'emploi et se battent pour répondre aux exigences du marché.

L'état actuel du marché du travail exclut ces femmes peu qualifiées, ne possédant pas de véhi­cule et ayant des enfants en bas âge. Les profession­nels de l'emploi rencontrés disent leurs difficultés croissantes à orienter les femmes vers des emplois qui se raréfient et exigent de plus en plus de quali­fications. La corrél~tion entre crise économique et exigences des employeurs est évidente, ces fcnunes sont les premières touchées par la crise de l'emploi.

2.2. Un marché de l'emploi peu favorable: les emplois réservés

C'est facile de trouver un petit boulot précaire avec peu d'heures et très mal rémunéré.

Pour trouver du travail, il faut avoir de la chance.

Les emplois accessibles aux femmes immi­grées, habitantes des quartiers en politique de la ville, sont précaires et peu diversifiés. La liste ci­dessous correspond aux emplois les plus exercés parmi les femmes rencontrées.

@ Le ménage clans les hôtels, les entreprises: horaires décalés, travaille soir et le week-end. @ L'aide à domicile des personnes âgées: caté­gorie d'emploi dont l'obtention se complique car les exigences s'accroissent (parler, lire et

écrire le français correctement, posséder le permis de conduire).

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@ Les emplois municipaux: surveillante de cantine scolaire) anitnatrice des tClnps d' ac­cueil périscolaires. Beaucoup de femmes se tournent vers leur municipalité pour obtenir un enlploi 111ais, bien que les Inairies se sou­cient de réserver certains emplois à ces femmes, l'offre demeure inférieure à la demande. De plus, ce sont des emplois à temps partiel. @ Médiatrice socioculturelle: le dispositif des adultes-relais a ouvert à certaines femmes la possibilité d'accéder à des métiers plus grati­fiants. Leur connaissance de la société fran­çaise, des quartiers en politique de la ville, des pays d'origine fortement représentés sur ces territoires est valotisée ct utilisée pour assu­mer des fonctions de médiation. Les institu­tions reconnaissent l'importance du rôle qu'elles peuvent jouer. Devenir adulte-relais leur permet en outre de suivre des formations qualifiantes et de transformer certaines quali­tés sociales en compétences professionnelles. Un bémol à apporter à ce type d'emploi est qu'il s'agit encore d'emplois précaires (contrats aidés, à durée déterminée, générale­ment rémunérés au Slnic)jn'offrant pas ou peu d'avancée de carrière.

Il est intéressant de noter que, lorsque l'on intermge les femmes sur les métiers qu'elles sou­haiteraient exercer en dehors de toute contrainte, la liste qu'elles élaborent n'est pas différente. Ce fait reflète leur méconnaissance du marché de l'emploi dans son ensemble, la rigidité de la divi­sion sexuée du travail, a fortiori dans les emplois peu qualifiés, l'intériorisation de l'incompétence qui leur est régulièrement renvoyée lors de lems recherches d'emploi qui provoque des processus d'auto-disqualification et cl'auto-limitation.

Dans l'ensemble, les emplois proposés à ces femmes correspondent à une extension des com­pétences acquises dans l'accomplissement des tâches domestiques: le soin des enfants et l'aide à la personne, l'entretien de la maison. Même la médiation (dispositif des femmes relais) renvoie inconsciemment ou non à l'idée l'épandue que les femmes ont plus cle préclispositions à la gestion des conflits, à la construction du lien social.

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les conditions de vie des femmes et des jeunes filles dans !es quartiers en politique de !a ville

iVioi j'ai remarqué quelque chose pour les femmes elles sont toujours plus dans les car­rières féminines, c'est quand même le r6le dévolu à la mère qui se prolonge.

Ces emplois féminisés ne permettent pas les rencontres mL'Ctes hors de la sphère familiale. La plupart des emplois occupés par ces femmes sont à la tuarge) s'inscrivent dans le mouveluent (d'ex­

ternalisation» de certaines tâches qui ne semhlent pas faire partie du cœur des métiers. Celles ci sont ainsi placées sous la responsabilité d'entreprises sous-traitantes. Qu'il s'agisse du personnel de ménage des hôtels, des hôpitaux ou de la restaura­tion, le recours à la sous~traitance est marginalisant pour les personnels, exclus en partie du secteur d'activité dans lequel ils travaillent, souvent privés de la protection des collectifs de travail élargis (comités d'entreprise, syndicats, etc.). La distance sociale ainsi étahlie peut compromettre les possi­bilités de relations et d'évolution professionnelles.

De plus, on s'aperçoit que dans de nombreux cas, les employeurs de ces entreprises de sous·trai­tance recrutent dans le cercle des relations de leurs employées ce qui limite les échanges inter­culturels et les rencontres. En ce sens, le monde du travail auquel elles ont accès ne joue pas son rôle intégrateur.

2.3. Les discriminations

Dans les entretiens, les récits portant sur les dis­criminations subies sont récurrents. Il apparaît clairel11ent que les discrimintltions s j exercent avant tout sur l'origine culturelle ou nationale supposée, et en outre sur la stigmatisation du lieu de résidence.

Oui, ce qui est important, moi je pense qu'il y a beaucoup de discriminations dans le tra­vail et moi je l'ai senti quand je suis allée cher­cber du travail. Parce qu'ils me posaient des questions si je suis tunisienne ou italienne et beaucoup de femmes viennent me voir pour me dire ça .' «quand on est d'm'tgine étrangère, on n'a pas le même cboi:x". Et quand on est jeune, ils ont beaucoup de problèmes. Y a un jeune qui travaillait à carrefour qui a démis­sionné quand il a vu le salaire d'un collègue à

lut, Français, qui fait le même travail mais qui a 3000 FR de plus jJm' mois. Moi si j'étais restée en Tunisie, je n'aurais jamais eu besoin de faire des ménages, /' aurais eu un poste différent.lvloi làfe gagne le SMIC; le minimum et rien d'autre et st je reste c'est parce que fe sais que je ne peu:x pas trouver mieux, c'est la vérité.

Moi j'ai fait une formation avec des femmes et les .Prançaises elles ont trouvé un travail, mais les JVfagbrébines, elles n'ont pas trouvé ou difficilement.

Moi ce que je crelins, c'est la discrimination pou,· le houlot. Concrètement,je sais parce qu'ils disent que les femmes, quand elles vont cber­cher du boulot, par leur nom, par leur adresse ....

Les parents étaient dans le bain et mainte, nant, on va rajouter les enfants immigrés dans le même bain. Ça ne va pas motiver les enfants àfaire des études parce qu'avec bac+5, tu n'as rien! Ou gan!ien ou travailler dans la sécurité. Si tu as 5 ou 6 frères qui voient ça, ils ne vont jamais être motivés à aller cl l'école.

De toute façon, les enfants immigrés, dans la tête de leurs parents, ils sont tous orientés vers le LEP, donc déjà la discrimination est là. Si un en.frl11t immigré cherche un travail en alternance tu ne trouves rien sauf si tu as le bras long.

Même les jeunes filles maintenant, des fois quand elles jJarlent, elles ont de la baine, elles sont agressives, elles sont en colère; on voulait quelque chose qu'on n'a pas eu alors qu'on le mérite, cl cause de la jJeau, du nom, du qUal'tia On s'ajJjJelle Mamadou, Fatou, on habite aux Pyramides, Chantier du Coq ou Tarterêts, déjà c'est fini, mais une fois que tu changes le nom, j'ai déjà fait l'expérience ...

Ma fille, elle voulait faire un BTS, pour le stage, le patron il a dit" Mademoiselle, e:xcusez­moi, vous êtes belle, mais mes clients n'aiment pas les gens de couleur".

Les discrin1inatiol1s sont ressenties et vécues douloureusement par les femmes des quartiers tuais tout se passe C01111ue si elles avaient intério­risé ce fait au point de ne plus vraiment le ressen·

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tir COlnnle une véritable injustice. En revanche, les discrînlinations raciales ou territoriales qui s' exer~ cent sur leurs enfants sont insupportables, sources d'angoisse et de colère. Les enfants nés en France ou arrivés très jeunes sont porteurs du projet fami­lial de réussite, d'ascension sociale, qui donne son sens à l'émigration. D'autant plus parce que les mères ont vécu cette exclusion, l'exclusion de leurs enfants clu marché du travail et de la société en général apparaît comme un rappel du rejet dont elles ont fait l'objet, comme une fatalité difficile­ment surmontable.

2.4. L'accès aux droits

2.4.1. Régularisation de situation Le problème que j'ai c'est les papiers. j'ai un avocat,j'ai contacté des associations,j'etifait un recours mais rien. je n'ai plus de famille en Algérie.je suis bloquée pour la formation, jJour tt'Ouver du travail .. J'ai cherché une formation payante.

De nombreux l'édts relatent les difficultés liées à la régularisation. Les situations sont diverses tnais régularisation et accès à l'emploi ou à la formation son,t souvent insérés dans un cercle vicieux: pas d'emploi sans papiers, pas de papiers sans emploi.

2.4.2. Accès au droit du travail Elle a eu un contrat avec la mairie d'Orscl)J, un CDD. Elle a posé un congé pour aller au pays voir son mari qu'elle n'a pas vu depuis plus d'un an. Elle a demandé un CD!, elle en avait besoin. La chef a dit "tu travailles bien, tu es gentille, il n)1 a pas de pt'Oblème mais il jélUt voir le maire". La maire a dit 3 semaines après, on verra. Elle n'a rien eu. Elle a Cl/Tété.

Ensuite, travail en CES pendant 2 ans mal­heureusement, [j'ai eu des] problèmes de santé, le dos, grave. j'ai cherché mais un tmvaillége/; on ne trouve pas. Quandj'ai eu l'accident la jJer­sonne n'a ]Jas témoigné [c'était en faisant du ménage, elle mngeait du matériel très lourd, la responsable était nerveuse, elle a poussé l'appa­/'Cil dans sa direction ce qui l'a faite tomber et a provoqué des douleurs au dos].Après l'accident, qui n'a pas été considéré comme un accident du

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travail, j'ai continué les stages et les remplace­mentsj'en ai marre de rester cl la maison. (. .. .) Je suis allée chez le médecin qui a dit "c'est un accident du travail!"

Les conditions de travail sont souvent pénibles dans les emplois occupés par ces femmes. La crainte de perdre son emploi, la méconnaissance du droit du travail, une tnauvaise visibilité des res~ sources juridiques placent les femmes dans des situations d'exploitation et de soumission. Payer à la tâche, exiger de la flexibilité, enchaîner des CDD à répétition, ignorer l'accident de travail sont des pratiques répandues, notamment pour ces femmes déjà fragilisées par la précarité économique et sociale. Leurs discours révèlent fréquemment une méconnaissance du droit en général.

2.5. Les contraintes familiales

2.5.1. la négociatiotl avec le mari La méthode propre à la rechel'che action n'a pas permis de saisir empiriquement les rapports hommes/femmes dans la sphère privée. La rela­tion de couple, la pression des maris sont des sujets dont on ne parle pas facilement dans le cacl!-e d'entretiens collectifs. Néanmoins, cer­taines femmes ont abordé ce point pour elles­mêmes ou pour d'autres.

Pour une formation de FLE, son mari ne veut pas qu'elle laisse les enfants cl la cantine.

Peut être qu'il y a des problèmes qui se ]Jasent pour l'intég1'Cltion des femmes en France, pal' exemple il y a des femmes que les maris ne laissent pas sorti,; C'est une coutume ils disent,' "la femme ne doit pas sorti,; ne doit pas tm­vailler" donc ils essaient de garder les coutumes de leUl'pays

Il veut payer cl Set femme méme si elle Cl son salaire, il veut que c'est lui qui s'occupe d'elle c'est POUl' ça qu'elle se contente de l'ester cl la maison au lieu de travailler

Moi dans mon entourage maintenant, je vois plus d'hommes qui veulent que la femme elle s'en sorte, qu'elle travaille.

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La pression du mari sur sa femme afin qu'elle n'aille pas travailler est souvent attribuée aux hommes originaires d'Afrique du Nord et justifiée dans leurs discours par la «coutume}). La fanlille constitue l'un des piliers sur lesquels les popula­tions immigt'ées fondent leurs discours normatifs. On observe souvent une tendance à surenchérir sur les règles morales et les valeurs dites traditionnelles ou famlliales concernant les fenmles. Une certaine crispation émane de nombreux discours.

La peur que sa femme le quitte parce qu'elle aurait acquis une indépendance sociale et finan­cière par le travail est la justification la plus souvent évoquée pour expliquer les réticences ou les refus des maris. L1 crainte qu'elle devietme comme une «femme française" (une femme qui revendique son indépendance, exige un partage des tâches domes­tiques, peut fréquenter d'autres hommes, peut divorcer) plongent parfois les hommes dans une angoisse de perte de contrôle et de pouvoir.

Je pense que le malaise c'est que l'homme maghrébin il a toujours peul' de perdre sa femme, qu'elle aille de l'autm côté, qu'elle parte dans la société française et qu'elle ftisse n'im­porte quoi, mais même les femmes françaises qui ont des principes, elles ne vont pas n'im­porte où. Ce qu'ils ont toujours dans la tête c'est que si la femme elle s'intègm vraiment elle va trouver un autre bomme et me laisser tomber.

Certains maris invoquent l'éducation des enfants et les tâches domestiques qui incombent aux femmes pour justifier leurs réticences ou leur refus:

Un ami de mon mari qui ne veut pas que sa femme elle travaille parce que toute la vie de la maison est décalée. Elle oublie d'aller cbercber les enfants à l'école, ils ne mangent plus au bons boraires et tout, elle n'arrive pas à s'organiser et lC/femme n'a pas pu lui montrer qu'elle peut tra­vailler et en même temps s'organiser, ça joue beaucoup, C.') les enfants surtout c'est impor­tant et c'est pour la femme.

Les charges familiales constituent un argument de taille et aucune des adultes rencontrées n'a remis en question le fait que ce rôle leur incombe exdusivenlent.

C'est finalement souvent la précarité financière qui pousse ces femmes à négocier avec leurs maris quelques arrangements. La répartition du salaire est patiois au cœur de cette négociation.

Si tu travailles, tu donnes ton salaire. Autrement tu restes à la maison .... La mentalité cbez l'bomme arabe ça n'a pas cbangé.

On ne peut pas généralise!: Au début, l'bomme voulait que sa femme reste li la mai­son pour S'occujJer des enfants et autre, mais on ne peut pas généraliser et maintenant les bommes, vu des fois les situations, ils veulent que les femmes travaillent, mais son argent, c'est li elle. C'est le problème qui se pose, le ftlit qu'il ne partage pas l'argent de sa femme, ça peut être une cause qui ne veuille pas que sa femme travaille, vous voyez, donc on ne peut pas dire que [,bomme veut que la femme soit une maman à la maison qui ne peut pas tra­vaille,; souvent ça peut être un problème parce que [,bomme il ne touclle pas l'argent, ou bien on va dire qu'il ne veut pas travaille!: Je crois que c'est valable pour les familles musulmanes

dès que j'ai eu mon deuxième, j'ai babité au:x Ulis et dès que mon bébé il a commencé cl ma/'­cl.1el;je me suis dit et ben maintenant il faut que je sOl·te, que je trouve un travail et c'est mon mari qui m'a beaucoup poussée pour aller vers le monde du travail

La contrainte exercée par les lnaris est relativi­sée par les femmes elle-mêmes. Elles ont parfois des jugements radicaux sur les femmes qui ne tra­vaillent pas.

Yen Cl, elles disent que c'est leur me",i alors qu'enfait c'est elles qui ne veulent pas aller tra­vailler ! Elles ont pris l'babitude de rester cbez elles et elles n'ont pas envie de sortit· pour aller travaillel; alors elles disent «c'est le malù, c'est plus facile.

Il n'est en effet pas évident pour une femme qui est restée à la maison plusieurs années pour s'occu­per de ses enfants de se lancer sur le marché du tra­vail sans qualification et sans expérieuce

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professionnelle. Dans ces cas là, évoquer le mari per­met de se décharger d'une responsabilité et de conserver une apparence et une image cie soi posi­tive. Le refus de travailler de certaines femmes est fréquemment perçu par celles qui travaillent ou le souhaitent comme une attitude rétrograde.

2.5.2. Les enfants et les tâches domestiques Il JI a aussi des femmes qui ont des enJànts parce que la plupart des femmes essaient d'ac­coucher chaque année pour avoir des enfants, ça ça va les empêcher de travaille/; de sortir de s'intégre/; et donc elles restent la plupart du temps enfermées dans la maison.

Quand tous les enJànts sont scolarisés, ça devient possible de travaillet:

j'aimerais retravailler quand mes jumeaux seront au CP.

On ne cherche pas, on a suffisamment de tra­vail à la maison avec les enfants, les courses, la cuisine, etc.

LafO/mation mais le problème j'ai 4 enfants, un bébé de un an . Ils ont adapté les heures ( pour une formation de FLE),mais mon mari ne veut pas que je laisse les enfants à la cantine

Rappelons que les contraintes liées aux enfants et à l'inégale répartition des tâches domestiques ne sont pas propres aux femmes cles quartiers poli­tique de la ville et sont subies par une majorité de femmes en France.

Une enquête dite «emploi du temps" est menée en France depuis 1967 par l'INSEE : elle vise à décrire toutes les activités accomplies par les per­sonnes interrogées au cours d'une journée. «La der­nière version de cette enquête (1998) montre notamment que l'essentiel des tâches domestiques (vaisselle, courses, Inénages, lessives, soins fllatériels aux enfants) repose toujours à 80% sur les femmes.

Une autre enquête a été récemment menée pour la Dares et le service des droits des femmes et de l'égalité. Elle visait à quantü1er le temps dit parental, c'est-à-dire celui qui est consacré aux enfants, grands ou petits, qu'il s'agisse d'activités faites pour eux ou avec eux. Cette enquête a, elle

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aussi, mis en évidence que le tel11pS parental assumé par les femmes est deux fois plus élevé que celui des hommes.* Ce qu'il faut souligner pour les femmes des quartiers, c'est qu'elles sont en moyenne plus souvent mères de familles nom­breuses, ce qui accroit d'autant plus l'investisse­ment dans les tâches ménagères.

3. les ressources

Les ressources que nous présentons ici sont prin­cipalenlent issues du travail que nous avons mené avec le groupe de parole de la MPT des Amonts aux Ulis. Il réunissait cles femmes, d'origines étrangères préoccupées par leur insertion profes­sionnelle. Elles avaient pour la plupart été ins­crites dans une formation/alphabétisation et/ou des formations proposées par le CIDF "Synergie» intitulées «lever les freins »,

De ce fait, les femmes étaient en mesure d'iden­tifier clairement leurs besoins et de portel" un avis critique sur ce qui leur est déjà proposé.

3.1. Alphabétisation et formation professionnelle

3.1.1. Alphabétisation Les femmes qui arrivent par les mesures de regroupement familial ces dernières années reçoivent obligatoirement une formation en fran­çais d'un minimum de 25 heures. Pour les femmes qui sont là depuis plus longtemps, elles ont fré­quenté assidûment ou sporadiquement un cours

d'alphabétisation. Toutes reconnaissent l'utilité clu cours d'alpha

pour différentes misons: améliorer son niveau de français, sortir de chez soi, faire des rencontres, communiquer avec l'école, le médecin, mieux connaître son environnement. Elles disent gagner en autonomie grâce à ces cours.

En revanche, en terme d'adaptation cie l'offre de formation en vue d'une insertion profession­nelle, quelques critiques sont formulées. La princi­pale critique porte sur l'absence de suivi individualisé et le manque d'adaptation des forma­tions au niveau déjà acquis. En effet, plusieurs femmes ont l'impression de ne pas progresser

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depuis 3 ans qu'elles suivent des cours d'alpha. On observe une certaine confusion entre une

première alphabétisation qui consiste à apprendre il parler, lire et écrire et un apprentissage plus poussé du français en vue d'une meiIIeure sociali~ sation. Les femmes ont des difficultés il trouver des cours adaptés il leur niveau et ont parfois l'impres­sion de perdre leur temps.

Une grande proportion de cours d'alpha est dis­pensée par des bénévoles au sein d'associations. Les femmes passent souvent d'un cours à un autre, d'un formateur à un autre et déplorent l'absence de lien, de cohérence dans la progression, de concertation et d'articulation des dispositifs qui leur sont proposés.

3.1.2. Laformaticm professionnelle qualifiante. En dehors des médiatrices socioculturelles qui ont été envoyées en formation durant leur contrat de travail afin d'alnéliorer leur connaissance des publics et leurs outils de communication avec les familles, et d'analyser leurs pratiques, les autres femmes que nous avons rencontrées déplorent l'absence de formation qualifiante. En eflet,les per­sonnes en charge de l'insertion professionnelle que nous avons rencontrées s'accordent sur le fait que les crédits de formation sont avant tout dirigés vers la fonnation continue, c'est~à-dire en direction de publics déjà salariés.

Comme nous l'avons dit plus haut, les femmes des quartiers se retrouvent principalement employées dans trois grandes catégories d'emplois. Les métiers d'aide il la personne, les métiers de l'en­tretien et ceux de la médiation. De nombreuses femmes n'ont d'ailleurs pas d'autres horizons que ceux là, ne sachant Inênle pas que d'autres voies sont possibles.

La formation qualifiante pour des métiers moins répandus permettrait d'élargir le champ des possibles et d'offrir de nouvelles possibilités cI'in­sertion professionnelle.

3.2. L'aide à l'insertion professionnelle

3.2.1. L'ANPE L'ANPE a parfois été présentée comme une res­source mais le plus souvent, comme un obstacle supplémentaire.

Je me suis inscrite à l'ANPE et comme f avais

moins de 25 cms, f ai profité de toutes les for­mations et les stages rémunérés pa,' la mission locale.j'ai fait au début une formation dans la restauration, parce qu'au début, je voulais faire bôtesse d'accueil mais comme ils 11 'avaient pas de place, ils m'ont mis dans la restauration, fai t1'Clvaillé dans les chambres et tout et après en même temps, j'ai fait des beures de ménage pour aider mon mari qui était étudiant, donc je travaillais, je faisais la formation et je m'occu­pais d'enfants.

Les femmes jeunes ont pu trouver dans l'ANPE une véritable ressource cotlune en ténloignent les propos qui précèdent. En revanche de nombreux discours font état de contraintes émanant directe­ment cIe l'ANPE comme la convocation à des entre­tiens, les difficultés des formulaires pour prouver qu'elles recherchent un emploLAinsi les femmes perçoivent l'ANPE comme un organisme chargé de contrôler leur recherche effective d'emploi plutôt que de les aider à en trouver un,

L'ANPE, ça nous complique la vie, des fois ils nous envoient des lettres humiliantes.

Ils fI' «ANPE,,; jJ1'oposent des stages, ils me disent toujours «c'est le mois prochain» plutôt que de dire non, je leur ai dit «tu me prends }lour un jouet, comme un ballon ? Tu me tournes, tu nIe tournes ... »

Pour pouvoir prétendre à des formations, il est nécessaire d'être inscrits au chômage depuis un certain nombre de mois et par ailleurs l'ANPE exerce des pressions sur les femmes si elles ne trouvent pas rapidement du travail. Les dispositifs de formation peuvent dans certains cas enfermer les femmes dans la précarité ; perte de droits, réduction cie l'accès aux formations.

3.2.2. Missions locales, associations et dispositifs institutimmels Les missions locales, les associations d'aide à J'in­sertion professionnelle et les dispositifs institu­tionnels en direction de ces femmes peuvent représenter de véritables ressources puisqu'ils

"" D. Méda ,{ Le temps des femmes. Pour un nouveau partage des rôles ~ Flammarion Essais. Paris 2001.

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s'appuient soit sur une connaissance des besoins de ce public soit sur un suivi individuel.

Quelques femmes parmi celles que nous avons rencontrées ont suivi une forlnation intitulée «

lever les freins» proposée par le CIDF Essonne en partenariat avec le PLIE des 7 communes et l'UFR des Ulis. Organisée en 7 ateliers, cette formation proposait aux femmes de se situer SUl' le marché du travail en terme de centres d'intérêts et de com· pétences acquises, de leur présenter les entre· prises locales, de leur fournil' des repères juridiques et ce afin de finaliser leur parcours pro· fessionnel.

Ce type de formation, ciblée sur un public représente une véritable ressource mais les femmes disent leurs difl1cultés à y participer lors­qu'elles gardent leurs enfants et souhaiteraient qu'elle soit suivie d'un accompagnement plus individualisé afin d'aboutir effectivement à l'inser· tion professionnelle.

Les médiatrices socioculturelles déploient un véritable travail d'accompagnement individuel à la recherche d'emploi.

Il nous semble, au regard des propos qui ont pu être tenus que les femmes des quartiers en poli· tique de la ville ont essentiellement besoin d'être accompagnées individuellement ou en petit groupe. Le fait de visualiser des lieux, d'identifier et de prendre contact avec des personnes, tout ce qui contribue à humaniser les ressources poten· tielles permet de gagner la confiance nécessaire à toute insertion professionnelle. En effet, de nom· breuses felumes sont inactives depuis leur arrivée en France, elles ont peu de contacts extérieurs, des relations peu diversifiées et elles sont en demande avant tout cie connaître et de comprendre leur environnelnent.

A titre d'exemple, quelques femmes nous ont raconté comment la visite de la ville et des princi· paux organismes, la présentation de leurs interlo· cuteurs potentiels et de leurs fonctions avait simplifié les contacts. Elles ont eu plus cie facilité à les solliciter du fait qu'un contact personnel avait déjà été établi. Les associations locales jouent ici un rôle fondamental.

Par ailleurs, les femmes expriment parfois la volonté de créer leur propre activité économique

Les conditions de vie des femmes et des jeunes filles dans les Quartiers en politique de la ville

mais le chemin leur pamît long et difficile".Ici encore, elles se tournent spontanément vers les associations qu' cUes connaissent.

C'est une association pourplacer desfemmes dans des métiers où il JI a peu d'hommes. Après ils t'aident aussi à créer ton entreprise.

3.2.3. Les échanges de savoirs et de pratiques je cberche un travail dans la vente, on m'a jJas demandé deformation, j'ai rendez·vous le 15.Il faut savoir communique/; parle/:je vais, quand je vois une affiche je dépose le CV (dClns la gale· rie de Carrefour avec en plus une lettre de moti­vation) mais ils ne t'écrivent jamais. Pmfois ils demandent une expérience en France, moi j'ai une expérience ClU Mame.

Des fois c'est bien de rentrer par l'inté1'im, des fois Clprès ils t'embauclJent et après tu le marques dans ton Cv, c'est bien,je suis allée une journée en intérim dans la restauration. Si le patron voit que tu rapportes de l'a1-gent, il te gan/e.

Au cours des séances du groupe de parole constitué aux Ulis pour les besoins de la recherche·action, les participantes ont pu prendre conscience de l'utilité de mconter ses démarches vers l'emploi et de les confronter aux expériences des autres.

3.3. La garde des enfants pendant les cours d'alpha: une initiative intéressante.

L'association Génération Femmes d'Evry propose aux femmes qui suivent des cours d'alphabétisa· tion cie laisser leurs enfants gratuitement à la halte garderie située juste à côté de leur local. Malgré la résistance de certaines femmes qui refusent cie laisser leur enfant soit parce qu'il est trop petit, soit parce que le mari refuse, les cours d'alpha sont plus calmes plus efficaces en terme d'ap· prentissage.

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© Joss Dray· Permis de Vivre la Ville

PARTIE 2

« C'est rare de voir des jeunes de cité l'éussir à l'école 1 »

LES PARCOURS SCOLAIRES DES JEUNES FILLES DES QUARTIERS

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Les conditions de vie des femmes et des jeunes filles dans les Quartiers en politique de la ville

Pour traiter du thème de la scolarité des jeunes filles, nous avons mené 9 entretiens individuels auprès de jeunes filles, Toutes

sont issues de familles migrantes, Nos entretiens ont permis de recueillir les éléments probants du parcours scolaire de ces jeunes fIlles:

" trajectoires scolaires, • choix des orientations, " obstacles rencontrés et ressources mobili­sées.

Par ailleurs, dans tous les autres groupes de femmes que nous avons suivis lors de cette recherche-action, de nombreux propos se rappor­tent il l'école,

Le rapport entre les parents des quartiers en poli­tique de la ville et l'école est souvent tendu, Les pro­pos de ce chapitre seront pourtant à nuancer car il existe une grande disparité selon les établissements scolaires, Les tensions fortement exprimées sont essentiellement focalisées SUl' ce qui apparaît comme cieux problèmes majeurs: l'orientation (sur cles filières courtes, parfois perçues sans débouchés professionnels) et l'exclusion (à la suite d'un conseil de discipline ou lorsque le jeune a atteint 16 ans),

1. les obstacles à la réussite scolaire des jeunes filles

1.1. Dans la famille

Généralement les parents des filles rencontrées les soutiennent dans leurs scolarité, 1nais ils rencon~ trent des difficultés pour les aider concrètement :

@ certains parents considèrent que leur niveau de français est insuftlsant pour aider correctement leurs enfants, @ dans certaines familles, l'exiguïté des loge­ments ne permet pas d'installer un ou des bureaux pour que les enfants effectuent leurs devoirs scolaires @ des médiatrices nous rappellent que, dans cer­taines régions d'origine des parents, l'éducation sco­laire est complètement déléguée aux institutions,

Mes parents ne savent pas lire et écrire.je tra­vaillais avec des copines, ou toute seule,

Les parents m'ont dit «comment on peut aider nos enfants sans savoir ni lire ni écrire ?»

J'ai vu que les appartements étaient petits pou,­plusieurs familles, [. .. ] j'ai dit au.x parents «les enfants qui rentrent de l'école ont des devoirs" , Les parents ne comprenaient pas, pour eu.x dès que l'enfant quitte l'école, le garçon peut aller jouer dehors et la fille peut aider la maman. Ils ont besoin d'un petit coin pour faire leurs devoirs et ça vous n'avez pas besoin de savoir lire et écrire pour le mettre en place,

Les jeunes filles évoquent l'importance des tâches ménagères qui parfois l'Clèguent au second plan les devoirs scolai1'Cs, Les mères de famille nombreuse et qui parfois travaillent avec des horaires décalés ont besoin de leur(s) filleCs) pOU1' les seconder,

Je connais d'autres échecs scolaires, parce que les filles doivent s'occuper des j,-ères et sœurs, faire il mcmgel; des fois tout en même temps,

Au début on avait de grosses difficultés cl l'école.' quand on rentrait cl la maison, parce qu'on est desfilles c'était pas d'abord les devoirs.' c'était d'abord «y'a ça il faire .. , ménage, manger pour les petits", Ca perturbait notre scolarité .. ,

À cela s'ajoute parfois l'interdiction des sorties qui a pour conséquence de transformer le temps scolaire en un temps de loisir puisqu'il devient le seul espace de liberté possible,

On n'avait pas le droit de sortir alors on rat­trapait ça sur l'école, [. .. ] Pour moi avant, l'école c'était jJarce que l'on m'empêchait de sortir et le seul 1110yen de rencontrer Ines copines, de parler avec elles c'était l'école,

Après)' a des familles où les filles elles doi­vent jàil'e le ménage et ne pas sortit; mais ça c'est une Clutm histoire, D'ailleurs les filles si on leur dit trop ce qu'il faut faire et qu'on les empêche de sortir et ben quand elles vont cl récole, c'est leur seullnOlnent de liberté et elles font tout ce qu'elles ne peuvent pas faire ailleurs, c'est-cl-dire jJas le travail d'école,

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Certaines jeunes filles soulignent le fait que, dans leur famille, la réussite scolaire et profession­nelle des garçons est plus importante que celle des filles, leurs parents considérant que le mariage est la seule voie d'avenir souhaitable (voir à ce propos le chapitre sur le contrôle social)

J'en connais aussi beaucoup qui n'ont pas fait d'études supérieures alors qu'elles ont vécu ici soit parce qu'elles sont mariées jeunes, elles voulaient pas faire d'études, ou bien elles avaient des difficultés au niveau des études donc elles ont arrêté.

Dans notre cité t'arrêtes l'école, il y a des musulmans, dans deux ans ils te trouvent un mariJe connais des filles ... y'en a qui savent pas quoi faire. Une copine dans ma classe (15 ans) elle avait des bons résultats. En Turquie (cet été), ils l'ont mariée, maintenant elle a des mau­vaises notes, les Profs savent pas pourquoi. Le mari est venu, ils sont chez les parents de la fille. Elle savait pas, elle croyait qu'elle partait en vacances.

Les chiffres conununiqués par l'université d'É­vry posent à ce titre question. L'université a 230 étudiants issus des cIeux quartiers en politique de la ville, Bois sauvage et Pyramide, dont 84 jeunes tilles. 96 sont des jeunes de nationalité étrangères, dont 23 jeunes filles. La nationalité la plus repré· sentée est la nationalité marocaine: 5 étudiantes et 34 étudiants. Ensuite la nationalité sénégalaise représente 13 étudiants dont 6 jeunes filles,c'est-à­dire un rapport équilibré entre les genres.

1.2. La pression exercée par le quartier sur les bons élèves

Les jeunes filles ont témoigné de la pression exer­cée par les autres jeunes sur les élèves qui réus­sissent.

Le quartier c'est une zone diffïcile. Quand on a une bonne note on nous critique de lèche-prof! Il faut se dépassel; se dire je ne suis pas là jJour eux. Des fois ça déstabilise. Dans une bande d'amies, si jJlusieurs arrêtent, c'est difficile de continue ...

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2. la disqualification des parents au sein des établissements scolaires et ses conséquences sur la scolarité des enfants des quartiers en politique de la ville

Avec Génération Felnmes, nous avons choisi d'aborder les questions relatives à l'exercice de la parentalité et l'action de l'association en ce sens. Très vite, l'objet s'est circonscrit à la difficulté d'ètre parent face à l'institution scolaire. D'abord parce que la majorité des demandes de soutien des familles et plus particulièrement des mères qui s'adressent à Génération Femmes se rapporte à des difficultés scolaires des enfants.

Ensuite, parce qu'une importante part du tra· vail des médiatrices de l'association s'inscrit dans le cadre de l'école: la médiation scolaire.

De par leur présence dans les établissements, elles peuvent observer les pratiques de l'institu­tion et surtout la place que celle-ci rése1-ve aux parents.

Ainsi, elles sont en mesure de tenir un discours critique sur les dysfonctionnements de l'école par rapport aux problématiques singulières des enfants des quartiers en politique de la ville.

2.1. L'école, reproductrice d'inégalités

2.1.1. Les modes d'orientation des jeunes des quartiers Les personnes rencontrées ont régulièrement évoqué des pratiques discriminatoires el1matière d'orientation. Nous avons nous-mêmes dans le cadre de l'étude assisté à une réunion organisée pour des parents d'origines étrangères et constaté qu'en matière d'orientation n'étaient présentées que les filières courtes comme si un baccalauréat et des études supérieures étaient inconcevables pour des enfants de parents étran­gers. Et cela à tel point qu'une mère a pris la parole ( dans sa propre langue) pour dire: «Il ne faut pas que les enseignants disent que ce sont des enfants arriérés, en fait ils n'ont pas le soutien des parents, les enfants peuvent être très intelli­gents! »

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les conditions de vie des femmes et des jeunes filles dans les Quartiers en politique de la ville

Les parents ont ainsi le sentiment qu'une forte pression sociale s'exerce sur eux pour qu'ils choi­sissent des filières courtes.

C'est vrai qu'ici dans les familles, y a pas beaucoup de jeunes qui 1'éussissent leurs études très loin. Moi j'ai entendu des familles qui disent: ici en France, ils veulent que nos enfants ils ramassent les poubelles.

L'influence des Profs qui disent à l'enfant: vas-y, fais ça, tu ne pourras pas aller plus loin. Mais les parents ils disent c'est pas votre affaire, laissez moi faire avec mon enfant, il ne va pas faire ça ,je sais que mon enfant il a des possibi­lités. Mais les parents qui n'mT/vent pas cl s'ex­primer comme ça, que vont devenir tous ces enfants? f . .] Des fois on présente l'orientation aux parents et il n J' a même pas une autre pro­position!

2.1.2. Le choix d'unefilière, d'un métim' Ces problèmes d'orientation sont également liés à une méconnaissance cles filières et des choix pro­fessionnels possibles. Il semble que les modes d'in­formation de ces jeunes, tant par la famille que par les établissements scolaires, demeurent insuffi­sants. Les conseillers d'orientation ne sont cités dans aucun entretien.

Aussi,si l'idée d'obtenir un/des diplômes semble acquise pour les jeunes mies que nous avons inter­viewées, la finalité des diplômes, à savoir le métier escompté, est beaucoup plus floue et les trajec­toires scolaires sont souvent sinueuses. Le champs des orientations possibles semble extrêmement res­treint, «bricolé» à partir de bribes d'informations obtenues à travers des discussions informelles avec des professeurs ou d'autres élèves. Les métiers et les filières choisis ou proposés reflètent les représenta­tions dominantes de la division sexuelle du travail. Il s'agit beaucoup de métiers qui évoquent de près ou de loin les attl'ibuts de la femme au foyer: ensei­gneluent/éducation, restauration, soin et aide aux pe1'sonnes, secrétariat, couture ...

Moi j'ai envie de faire des études, aller dans une école, enfin je ne sais pas vraiment, pour­quoi pas un BTS.

Récemment j'ai fait un stage en lycée profes­sionnel et il n 'y avait que des classes de filles! En BEP secrétariat, par exemple, il 11 Y avait que des classes de filles. Il y avait aussi un bac prêt cl

porter et il n 'y avait également que des classes defilles!

Le BEP c'est en juin. f . .] Je souhaite fai1'e jllu­sieurs formations, professeur des écoles.j'espère réussir il faut que je m'en donne les moyens [ .. ]. Le BEP est souvent dévalorisé, beaucoup veu· lent la voie géllérale ... Les profs ne soutiennent pas. L'avantage du BEP c'est que c'est toujours possible de récupérer la voie générale.

Au début je voulais faire de la vente .j'ai fait le programme BEP vente en un an, cela ne me motivait pas, ce que l'on voyait en cou'rs et même au magasin, cela ne m'intéressait pas.

2.1,3. Les discriminations à l'embauche comme source de démotivation La discrimination à l'emploi est une préoccupa­tion majeure et engendre des sentiments d'in­quiétude sur l'avenir professionnel des filles. J:amertume des parents est perceptible dans les entretiens.

Les parents étaient dans le bain (de la dis­crimination) et maintenant 011 va rajouter les enfi:mts immigrés dans le même bain, mais on ne va pasfaire l'amalgame et ça ne va pas moti­ver les enfants cl faire des études parce qu'avec un bac + 5 tu n'as rien: gardien ou travailleur dans la sécurité. Si tu Cl cinq ou six f1'ères qui voient ça, ils ne vont jamais être motivés cl aller cl l'école /

Beaucoup de jeunes filles doutent de leur pos­sibilité de trouver un emploi qui corresponde au niveau de qualification obtenu. De nombreux jeunes subissent ces discriminations dès leur pre­mière année au lycée professionnel, lorsqu'il s'agit de trouver un lieu de stage. Nous avous nous­Inêlnes assisté à plusieurs reprises à la négation de ces discriminations par des enseignants en lycée professionnel (<<As tu vraiment cherché? Etais tu bien habillé? T'es tu correctement présenté? »)

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2.2. La violence institutionnelle: des sanctions et des exclusions inadaptées

Les récits des jeunes filles et des médiatrices sou­lignent la rigidité de l'institution scolaire face aux élèves qui présentent des problèmes de compor­tement. La façon dont sont le plus souvent déci­dées ct organisées les sanctions font l'objet de très nombreux récits. Les récits des conseils de discipline font légion: les parents n'ont pas la parole et doivent écouter, ilupuissants, les 111ltl­

tiples reproches assénés à leur enfant. Par ailleurs, de façon générale, les parents sont convoqués lorsque leurs enfants posent problème à l'établis­senlcnL

Les parents sont Inanitiés à l'école. Desfois la principale refuse que j'accompagne les parents au conseil de discipline parce qu'elle sait qu'elle ne va pas monopoliser la parole devant moi.

Ce qui me révolte elles ( les mères) se font massacrer par une équipe parce qu'elles sont venues toutes seules!

Vous s<tuez qu'il y a un problème dans la famille.[. . .] Et maintenant l'enfant est exclu, on l'a mis jusqu'où il faut prendre trois ou quatre correspondances ... Vous pensez que cela ne va pas augmenter les problèmes ça? Alors que l'en­fant il babitait tout juste à deux minutes du col­lège et puis il a été exclu comme ça sans savoir et puis on sait ce qui se passe dans sa famille, l'enfant aussi a des problèmes: il souffre. [. . .] Et puis là maintenant, on l'a mis jusque là-bas! Vous croyez qu'il va aller à l'école?

2.3. École et exercice de la parentalité

Les parents immigrés et l'institution scolaire entretiennent mutuellement un rapport tendu fait de ruptures, d'incompréhension et de ran­cœur. Les propos recueillis à ce sujet relatent souvent un rapport de soumission à l'école, une posture d'infériorité intériorisée par les parents, entretenue inconsciemment par l'institution scolaire. De nOlnbreux parents ont eux-tnêtnes peu fréquenté l'école, certains ne savent ni lire, ni écrire,

j;institution scolaire convoque les parents lors-

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qu'elle se trouve en situation d'échec ou d'impuis­sance face à un enfant. Les Inédiatrices décrivent des échanges difficiles, souvent l'cu constructifs puisque de part et d'autre, on se renvoie régulière­ment la responsabilité : les parents considérant qu'ils ne peuvent pas agir sur leurs entlll1ts lorsque ceux-ci sont sous la responsabilité de l'institution scolaire, les enseignants considérant que c'est la faillite éducative des parents qui est à l'origine cles difficultés scolaires des enfants. Du point cIe vue des médiatrices, les demandes de l'institution prennent fréquemment la forme d'ultimatum.

Si l'institution scolaire est souvent abordée cie façon critique, c'est en raison de ce rapport tendu avec les parents, rapport construit sur la disqualü1-cation des modes éducatifs des parents ou sur l'idée de leur impuissance.

Ce rapport semble vécu lors des conseils de clis­cipline dans ce qu'il a de plus ritualisé et de plus humiliant. Les représentants de l'établissement SOl1t n01nbreux face aux parents, ceux ci maîtri­sent parfois malle vocabulaire utilisé. Cette situa­tion de communication déséquilibrée n'est pas propice à asseoir une coopération éducative entre parents et enseignants autour de l'enfant.

Moi, la demière fois,j'ai participé à un conseil de discipline, mais je participais à un Mbuna! et c'est quelque fois pire 1)Ul~'qll 'en réalité, un parent qui est là, quelqu'un qui l'accompagne, mais 1)e1' sonne n'a la parole, y a que les Profs qui ont la parole, qui sortent une dizaine de rapports et quand 5 ou 6 profs se mettent à noyer un enfant, c'est vite fait. Le Père a jïni lmr dire "ça suffit /», il avait les larmes au:x yeux. Il a fallu qu'on explique cl la principale qu'" il ne dit pas ça pour vous engueuler mais parce qu'i/ne peut plus le supporter» et elle a été obligée de s'excusel; c'était pas son objectif, oui, mais elle lui a fait quand même mal, 01' c'est pas ça que nous voulons.

Les parents sont peu associés à l'orientation scolaire de leurs enfants, nous avons pu noter à tra­vers les récits qui nous ont été faits et par l'obser­vation que nous avons tnenée d'une réunion parents/enseignants à quel point il existe couram­ment un déterminisme social et culturel dans l'orientation des enfants de parents étrangers et cela dès le plus jeune âge. Nous avons ainsi constaté que les parents n'étaient pas mis au cou-

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les conditions de vie des femmes et des jeunes filles dans les quartiers en politique de la ville

rant de leurs droits (par exemple la possibilité de refuser un passage en SECPA en fin de CM2).

Ce rapport difficile à vivre pour les parents, père et mère confondus, peut conduire à des situa­tions d'évitelnent, quoique les mères rencontrées ont bien souligné que poU!' ne pas être mal vues il faille aller aux convocations. Et cela quel que soit - c'est nous qui soulignons - le sentiment de honte, de désarroi ou de révolte.

Parfois les parents sont invités à rencontrer les enseignants dans un cadre plus informel ou plus festif. Mais lorsque les mères sont invitées à prépa­rer de la cuisine" typique); (petit déjeuner, repas dans l'école".), cela ne participe·t-il pas également à la reproduction de la domination sociale, cultu· relIe et de genre qui assigne la femme à la cuisine de son pays 1

La seule cbose les collèges ou l'école élémen­taire en général, ils acceptent que les parents viennent pour faire l'accompagnement à la patinoire, pour la sortie". ça ils aiment beau· coup. Quand il s'agit de jàire à manger pour un petit truc, ils aiment bien que les parents vien· nent participel; parce qu'ils aiment bien les plats des différents pays".

Par ailleurs, lorsque les parents sont invités à des réunions d'information sur le fonctionnement de l'école, ils sont placés en position de réceptacle de l'explication des normes scolaires sans qu'un quelconque avis ou récit de leur part ne soit solli· cité. Ces réunions sont insuffisantes pour pel'· mettre réellement aux parents de comprendre les rouages de l'institution, le rôle des différents pro· fessionnels, les droits et devoirs de chacun.

2.4. La méconnaissance des codes de l'éducation nationale

Les institutions scolaires ont des fonctionne· ments très opaques poUl' les parents, surtout lorsque ceux·ci n'ont pas été eux mêmes scolari· sés, ou qu'ils Inaîtrisent tuaI le français.

La PlupCl1·t du temps les femmes sont pas ou peu scolcl/'isées. Elles ne connaissent pas le sys·

tème éducatif. Que peuvent·elles apporter cl leurs enfants si on ne les sensibilise jlas à la question? Il faut {eur donner une place dans le système éducatif Les enfants apprennent vite, dépassent vite leurs parents.

Beaucoup de questions concernent l'école,' comment l'école fonctionne". Les femmes ne savent pas si elles jJeuvent parler aux ense;­gncmts. En Inde les parents n'ont pas le droit de dépasser le portail des écoles. Ici cela génère de l'incomprébension " les maitl'esses ne compren­nent pas, les autres mamans accompagnent jus· qu'à la porte de la classe""

Parfois l'opacité existe aussi pOUl' les jeunes qui n'identitlent pas les critères cie notation. Cela ins· tille un cloute sur l'existence de règles générales s'appliquant sans distinction à tous les élèves.

j'avais des notes correctes et ils ne m'ont pas rattmpé à l'oml.En plus avec ce qu'il s'est passé: je suis CIllée au mttre/page, j'ai pClssée mes deu,,< matières et je pensais que j'avais assuré et on m'avait dit que j'avais mon bac en attendant nIes résultats et après on m'annonce, la pionne, que la prof elle a baissé ma note pour la passer cl quelqu'un d'autre, alors voilà quoi.

Cette méconnaissance cles cocles est également liée à la place réservée aux parents.

Dans les établissements il y a une barrière. Il y a une supériorité des responsables et pour y accé· der c'est pas facile. Je dis pas »c'est du racisme». Il y a une barrière entre les familles et l'école, pas cI'échanges, y compris avec les familles françaises.

Dans l'étude réalisée pal' l'association La Voix des Jeunes auprès cie 62 familles (essentiellement des fClll1nes) là la question «connaissez vous le sys~ tème d'éducation 1», 26 familles répondent peu ou très peu, 21 répondent non, 15 oui. Et à la question «quels sont vos liens avec l'école 1»,45 répondent: si problème ou convocation.

La place faite aux parents au sein des établisse· ments scolaires révèlent des injonctions à sens unique. On demande aux parents qu'ils suivent de près la scolarité de leur enfant, filais en retour,

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aucun intérêt n'est manifesté sur les modes d'exer~ cice de la parentalité.

En ce qui concerne précisément les mères, il faut noter que la relation à l'école est parfois le seul contact avec la société. Dans ce contexte, l'école joue lm rôle important clans le sentiment d'être intégrée.

3. les ressources

3.1. L'investissement familial

Lorsque les jeunes filles reucontrées s'expriment SUI' les raisons cle leur réussite scolaire, elles notent l'importance du soutien familiaL

Bien souvent les discours révèlent une croyance encore forte clans l'école comme moyen d' accécler à une ascension sociale. Offrir à ses eufants des pos­sibilités supérieures à celles que l'on a reçues justi­fient souvent la pérennité de la présence en France.

La réussite scolaire des enfunts, garçons et filles fait généralement partie des aspirations des parents. Parfais cette réussite est partie intégrante du projet migratoire. Dans ce cadre il arrive que les filles se sentent redevables de leurs parents, des efforts consentis dans l'exil.

l'VIoi je leut· dis que j'ai travaillé dur en FI'ance et je ne voulais pas que mes enfants ils vivent avec le minimum. [. . .] j'ai travaillé dU!; j'ai fait tout ce que j'ai pu pour qu'ils réussis­sent et je leur dis "de votre c6té il faut me don­ner quelque chose »), C'est comlne un accord entre moi et mes enfants et jusque-là ça se passe bien.

Un moment j'ai voulu tout lâcbe!: Mon père comptait beaucoup sur moi. Ils se sont sacrifiés pour nous, ils sont venus en France. Ca m'a poussée. Mes parents me connaissent, si ils se désintéressent de moi...

Pour les jeunes filles la réussite scolaire est fré­quelllinent évoquée COlnlne une voie vers la liberté, une façon d'échapper aussi au mariage jeune et parfois arrangé.

Malgré les difficultés, les pareuts persistent à

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croire en l'école. À titre d'exemple, il est remar­quable de constater que 80% des parents viennent au collège des Pyramides pour prendre en main propre le bulletin de leurs enfants.

3.2. Le changement d'établissement

Dans certains cas le changement d'établissement peut être une occasion pour les élèves de se sous­traire au contrôle social du quartier et de réinves­tir leur scolarité. Pour autant il ne faut pas que, sur le plan financier et géographique, le déplacement ne devienne un obstacle trop important.

Patfois c'est mieux que l'enfant aille a.illeurs. Il peut avoir l'impression que c'est toujours lui qui est accusé. On dit ,cils ont des problèmes dans cette famille» .[..} Si l'enfant reste, il n'y a pas de progrès possible.

j'ai été renvoyée alors ils m'ont envoyée à Draveil, [. .. ] Je prends le train jusqu'à Juvisy et puis le bus jusqu'à Draveil. Même si c'est loin je me dis aussi que c'est le prix à payer parce que je suis assez contente de ce que je fais là-bas parce que vaut mieux être loin et réussir que tout près ... parce que là-bas on connaît per­sonne. On n'a pas de copines avec qui on a grandi depuis qu'on est toute petite. J'ai des copines d'accord mais c'est des copines de classe. NIai quand je vais là bas c'est quand il faut [...}. C'est assez bien d'être dans un collège où il n)I a pas tes vraies vmis amies, jJarce que cela. te pet' met plus de travail/et; de te concentrer en fait. [. .. ] ÀJuvisy c'est la réputation des études et tout. En fait c'est l'ambiance, comment c'est calme, Il n'y Cl pas d'embroutlles, on ne me connaît pas trop, c'est pas des gens avec qui j'ai grandi.

3.3. La relation avec un «adulte significatif»

Les jeunes filles rencontrées évoquent soit un soutien parental fort, soit la rencontre avec une personne significative, un professeur, une per­sonne d'une association d'aide aux devoirs par exemple, qui va soutenir la scolarité, s'y intéres­ser, donner des clés pour intervenir sur les orien­tations, informer des métiers et filières possibles.

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Les conditions de vie des femmes et des jeunes fliles dans les quartiers en politique de la vllle

Le français est ma matière préférée r".].

C'était ICI plus âgée de mes profs.je la respectais plus, comme une seconde maman.je ne voulais pas la décevoi1:".

ilJon parcours scolaire? Depuis le début? Bah comme tout le monde, trois ans de mater­nelle, bab ça [la, j'ai pas redoublé, j'étais pas une .. ..f'avais pas trop de difficultés, machin, nOl' mal,parce que desfois les petits même en mater­nelle ils les font redoubler quand ils ont trop de problèmes pourparler ou quoi, mais non, après pareil, cinq ans de primaire, c'était très bien, je me débrouillais, pareil j'ai jamais eu trop de dif­ficultés mais je me faisais aider par une asso­ciation qui s'appelle Dessine-moi un mouton, une dame qui m'a suivi depuis le CEl jusqu'en 6' je crois, elle venait le mercredi elle m'aidait cl ji:lire mes devoirs. [. . .] Au collège,je tripais mais j'essayais toujours d'avoir des assez bonnes notes, je travail/ais pas trop non plus mais .res­sayais, en même temps, comme cl l'école j'avais eu bab , la dame là, qui m'aidait, L., là, elle tn'aidait bien, elle avait réussi à nze nzotiver pour avoir des bonnes notes.

Je voulais faire un DEUG, le professorat en 4" surtout grâce à une de mes proj; cela m'a motivé en fait [. . .]. J'avais des supers bonnes notes ette me suis dis c'est ce que je vais faire.

3.4. La médiation scolaire

3.4.1, Difficultés et limites de la médiation scolaire tes analyses qui suivent proviennent cles séances de travail avec l'association Génération Femlnes d'Évry.

Historiquement, lorsque l'Éducation nationale a dû prendre en compte les difficultés sociales et culturelles cie nombreux élèves habitant cles quar­tiers dits «sensibles}\ cela a relnis en question son mocle de fonctionnement : relation et ouverture aux parents cI'élèves, dispositifs d'insertion, pécla­gogie, organisation ... C'est ce mouvement qui a permis l'émergence cie ce nouveau métier cie mécliation scolaire. Il s'agissait, à l'origine, cie servir cie passeur entre deux moncles différents, incon­nus l'un cie l'autre, et de permettre l'émet'gence cI'une compréhension mutuelle.

À l'origine, l'association Génération Femmes a été créée pOUl' venir en aide aux enfants d'origine étrangère rencontrant des difficultés scolaires et familiales. Une cles premières missions a été cie sen­sibiliser le personnel cie l'institution scolaire aux différences culturelles par l'organisation de stages de formation. En parallèle, les mécliatrices scolaires ont alors été embauchées pour accompagner les familles dans leur rôle de parent et dans leur rela­tion à l'institution scolaire.

L'idée de départ reposait sur la demancle et l'adhésion des familles ou cles élèves en difficulté.

Or, l'évolution actuelle de ce métier est tout autre. Aujourd'hui, les médiatrices décrivent le plus souvent un InOUVClnent inverse, à savoir que ce sont généralement les chefs cl' établissement ou les équipes pédagogiques qui demandent aux média­trices d'intervenir dans les familles lorsqu'une situation clevient critique. Elles analysent cette situation comme une dérive de leur fonction consistant à leur demander d'être le vecteur d'une communication à sens unique: des établissements vers les familles. Selon elles, il s'agit de plus en plus de faire comprendre et accepter le fonctionnement de l'école aux familles. On pourrait à ce sujet parler de phénomène de mise en conformité des parents.

La médiation scolaire est un dispositif peu ou pas institutionnalisé, bénéficiant d'une faible reconnaissance au sein de l'Éducation nationale. Chaque dispositif se négocie donc au cas par cas dms le cadre de conventions Signées avec l'asso­ciation, La tnédiation scolaire fonctionne de façon fort différente selon les établissements.

Sa pertinence dépend en partie de la volonté des chefs d'établissement. Comme ces respon­sables, les enseignants et le personnel sont fré­quemment amenés à changer; le principe de la médiation, ses l110dalités de ll1ise en œuvre sont à {( regagner» chaque année.

Selon les établissements et les projets éducatifs mis en place, la collaboration des médiatrices est diversement sollicitée. Elles peuvent être associées à des projets de lutte contre l'échec scolaire (par exemple, le stage "Être élève au collège Jean­Lurçat" destiné à des élèves de sixième présentant des difficultés de comportement à l'école).

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Si le principal joue le jeu, c'est-à-dire que quand il y a une convention signée avec l'asso­ciation dans le cadre de la médiation scolaire, si jamais il JI a un souci avec une famille quelle qu'elle soit, il va s'adresser en priorité à la médiatrice qui est dans sa structure.

En revanche, il arrive que pendant plusieurs années le courant ne passe pas avec un luêlne chef d'établissement !

Depuis cinq ans on ne connaît pratiquement personne, apparemment tout va très bien ... Moi je ne conuais personne!

Ou a passé une année dans ce collège jJou,' savoir où nous mettre. On avait la volonté de tra­vailler dans ce collège parce que les élèves sont les mêmes que ceux qu'on retrouve dans la rue. r .. ] l'Hais ou n'a pas d'endroit où se mettre au col­lège. Il fallait qu'on aille en salle des profs dans l'espoir de rencontrer un Prof qui nous jJarle. Finalement, on nous a donné un petit local à c6té des infbmières et là on était isolés sauf ceux qui allaient voir les infirmières. Les enfmus nous disaient «qu'est ce que vous faites ici ,?".

Dans certains établisselnents, les nlédiatrices ont le sentiment d'être prévenues trop tard lors­qu'il semble que la décision d'exclusion soit deve­nue inéluctable. Elles sont alors placées dans une situation d'impuissance qui, outre le fait de ne pas pouvoir exercer pleinement leur métier, leur fait prendre le risque de perdre leur légitimité vis·à-vis des parents.

Aujourd'hui, le principal objectif formulé par les médiatrices est d'intervenir beaucoup plus tôt, dès qu'un ou une élève rencontre des difficultés, afin d'éviter les exclusions et d'effectuer un réel travail de prévention.

Nous-mêmes, ça nous fait mal d'aller dans la famille jJarce qu'il n JI a jJas de solution. Là on ne peut rien faire.

j'aurais voulu qu'on nous le dise avant, comme ça j'aurai pu pat'ler avec l'enfant, mats on nous ajJpelle quand c'est trop tard, quand ils ont pris une décision [d'exclusion}.

Les conditions de vie des femmes et des jeunes filles dans les quartiers en politique de la ville

Outre un travail en amont des exclusions et en prévention de l'échec scolaire,les médiatrices iden­tifient la nécessité d'aider les parents dans leurs relations avec les enseignants et l'administration.

Nous en tant qu'association, nous voulons [. .. ] aider les parents à miel/.x connaître l'école, cl aller à l'école sans être convoqués, à avoir envie d'aller à l'école pour rencontrer les profes­seurs et que l'école ait envie de voir les parents non pas pour les bumilie,; leu,' dire que lem' éducation a échoué, que l'enftmt est un vaurien.

Il Y a là une relation de pouvoir déséquilibrée que les médiatrices voudraient rééquilibrer. Alors que de nombreux établissements multiplient les modes de communication pour informer ou tan­cer ces familles, les parents, eux, restent muets. D'après les médiatrices, on ne leur offre pas les moyens de s'associer pleinement à certaines déci­sions telles que l'orientation de leurs enfants. S'il arrive que ce soit du fait d'une méconnaissance des fonctionnements de l'Éducation nationale, il se trouve aussi que leur avis est rarement sollicité. La médiation peut avoir pour objet de redonner voix et pouvoir aux parents.

Il faut laisser les parents s'exprime.: Si tu n'as jJas forcé la communication tu n'as rien.

Les institutions ont du mal à reconnaître les compétences propres au métier de la médiation (connaissance des institutions, des droits, capacité à mener un entretien, à analyser des difficultés cul· turelles ou sociales, etc.)

La place, le statut, la reconnaissance de leur métier sont subordonnés au bon vouloir, à la com­préhension de quelques personnes (chefs, d' éta­blissement, CPE, professeurs) et aux capacités individuelles des médiatrices de présenter leur métiel; de négocier des modalités de travail conve­nables. Dans certains cas la tâche s'avère ardue.

Le métier de médiateur est un métier récent dont les missions et les compétences sont large­nIent 111éconnues, et patfois inc01nprises.

À travers les entretiens, il ressort que les média­trices sont parfois sollicitées par l'institution clans un rôle de «traductrices ». La médiation est utilisée par l'institution clans un sens unique. L'école

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Les conditions de vie des femmes et des jeunes fiUes dans les quartiers en politique de la vl!!e

demande aux médiatrices d'expliquer aux parents le fonctionnement et les attentes des établisse, ments mais n'attend pas en retour une meilleure connaissance de ces familles.

Ces sollicitations reposent SUI' l'idée que le fon, dement de leur statut de médiatrice repose plus sur la proximité culturelle et/ou sociale qu'elles seraient censées avoir avec les parents que sur les compétences propres à la médiation.

Quelles que soient les difficultés rencontrées dans l'exercice de ce métier, les effets de la média, tion scolaire sont très précieux pour les élèves, leurs parents et les établissements,

3.4.2, les effets positifs de la médiation La médiation entretient le lien, prévient les rup, tures.Au cours même de cette recherche-action les associations ont développé des outils et des dénlarches visant à généraliser ce qui fonctionne bien dans certains établissements. Elles partici­pent de plus en plus aux réunions, sont présentes lors de la remise des bulletins scolaires aux familles, ont mis en place un cahier de liaison, organisé des temps de rencontres au sein des éta, blissements (petits déjeuners), des réunions pour les parents sur l'orientation, etc.

Elles s'aménagent de plus en plus ce qu'elles décrivent elles-mêmes comme des «espaces de l'en, contre avec des échanges équilibrés" pour consti, tuer un rapport positif entre l'école et les parents.

L'expérience des petits déjeuners au sein des établissements a rencontré un vif succès de part et d'autre. Elle a permis de construire un nouveau contexte de rencontre favorisant le dialogue entre les parents et les enseignants des établissements. Dégagé des enjeux personnels, ce temps a pu être un temps d'échange convivial où des demandes ont été formulées par les parents. Ainsi, au collège des Pyramides, les parents ont demandé spontané, ment à visiter l'établissement.

Les parents ont demandé d'aller visiter les salles, la CIO. Ils ont visité le collège parce que l'on disait "le collège des Pyramides ... ". Ils voyaient d'autres cboses quoi ... Quand les parents sont venus, c'était différent: là-bas c'était propre et puis l'accueil était cbaleurel/x, la principale était plaisante ...

Les pCi1Ymts qui disent "oui, on entend qu'aux Pyramides la cantine on nous dit que c'est sale, la cuisine .. ," [. . .] Le papa il a dit qu'il était très très content du fait que l'accueil est bien cba­leUl'eux, que c'est très propre là-bas et ce que l'on nous a dit en debors de ça, ce n'était pas vrai. Donc c'est bien de venir voit' comme ça la réalité, que nos enfants mangent bien et que lei

cantine c'est vraiment t,'ès propre. Ça fait du bien, ça vaut le coup: il a pris sa jmt1'née pour assister à ce petit déjeune!:

Les médiatrices utilisent aussi ce type d'événe, ment organisé régulièrement pOlir nouer le contact avec les parents et leur permettre de créer des liens entre eux.

Cela nous permet, nous déjà les médiatTices, de connaître les parents, de tisser le lien et de cbanger surtout: il y avait deux parents tout seuls, magbrébins, il JI a eu un papa africain. Ça c'est le dernier petit déjeuner parce qu'on l'a fait quatre fois, Ces trois,là commencent à se parler déjà et commencent à parler à des per­sonnes conune nous dans la cuisine: quJest~ce que l'on fait là-bas? Entre-temps, nous sommes venues les servir et leur dire qui nous sommes, pourquoi nous sommes là et le jàit qu'ils soient là aussi, c'est que cela peut cbangel' un joute Et ce qui était bien aussi là: la principale Cl été dans la cuisine avec nous.

D'autres projets voient le jour, parfois en parte, nariat avec d'autres associations ou institutions.

Le jJrojet « Coup de jJouce" pour réussir le passage de l'école maternelle cl l'école primaire, l'objectif est que la famille s'implique. C'est un projet autour du conte que la mairie sous­tmite. Les familles viennent li,'e avec les enjànts, elles ent,'ent dans l'école.

On a repris ça au collège des Tarterêts et au collège Galilée (Évry) et ça s'appelle «Pause tbé jJarents ». Les parents ont commencé petit à petit à dialogue!: On fait trois gmndes réunions, à l'an·tvée, au milieu de l'année et cl la jïn pour l'orientation.

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Certains projets visent à prévenir l'échec sco­laire et surtout l'exclusion. Les médiatrices nouent ainsi quantité de contacts, développent des compétences et consolident leurs modes d'in­tervention.

Pm' exemple, cl Paul-Éluard, on ne fait pas de conseil de discipline. Nous on a dit que l'on est prêtes cl tI'Clvailier avec V01.tS. On afait un projet: quand un enfant commence cl dévier, dites-le­nous. On a appelé notre projet" Commission conciliation". On va convoquer l'enfant en informant les parents avec son professeur prin­cipal et le prof avec lequel il a eu le plus de pro-

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blèmes. On invite le délégué de la classe, sans les parents, le principal adjoint et le CPE. On va essayer de comprendre ce qui se passe ...

On participe beaucoup sur la parentalité, les conseils de quartier ... On a notre mot à dire, on tra­vaille beaucoup avec la cOlumunauté africaine sur la parentalité, les difficultés d'intégration ... On tra­vaille aussi avec la DASS.

Le travail en réseau, l'échange de pratiques sont pour les médiatrices essentiels pour créer et déve­lopper des outils pertinents dans un domaine aussi complexe que l'échec scolaire.

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© Joss Dray· Permis de Vivre la Ville

PARTIE 3

«Je me suis rendue compte que la population émigrée est toujours stigmatisée, il a toujours

fallu me dévoiler, dévoiler une part de ma vie privée pour faire tomber les préjugés»

LA RECONNAISSANCE DES FEM ES /1'

IMMIGREES DES QUARTIERS

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Les conditions de vie des femmes et des jeunes filles dans les Quartiers en politique de la ville

Les femmes et les jeunes filles que nous avons rencontrées au cours de cette 1'echerche­action sont investies dans un projet associatif

et/ou personnel. Qu'il s'agisse des médiatrices (Évq, Ris-Orangis), des femmes réunies en groupes de parole (Les Ulis), de femmes suivant des cours d'alphabétisation (Vigneux) ou de jeunes filles scolarisées, toutes témoignent de la graude difficulté, pour elles et a fOl'tiol'i pour les felnnles habitant ces quartiers) d'accéder à une place reconnue.

L'invisibilité des femmes migrantes dans de nombœux espaces publics est générale. Dans les représentations collectives, si l'image de l'homme migrant est associée à l'emploi, celle des femmes est réduite à la sphère domestique où elle reste confinée. Pourtant beaucoup de ces femmes tra­vaillent, s'investissent dans l'espace public et aspi­rent à être entendues et reconnues. Ces femmes ont des trajectoires singulières (elles sont issues de milieux socioculturels extrêmement variés), dont elles veulent témoigner, afin d'une part de sortir des discours généralisateurs et réducteurs sur les «cultures d'origine» des migrants et d'autre part de valoriser leurs cultures et leurs expériences.

Aujourd'hui elles n'ont qu'un accès limité à de nombreuses scènes sociales. Sans cesse refoulées dans la sphère privée ou communautaire, elles pei­nent à être entendues, à élargir leurs relations. Les quartiers ne sont pas des lieux de mixité sociale, l'accès aux cours d'alphabétisation est long et (Iif­ficHe (les listes d'attente avoisinent les 150 per­sonnes en moyenne sur les 4 sites de l'étude), les emplois accessibles aux femmes sont souvent pré­caires avec des modes de recrutement sexués et ethnicisés. Le rapport aux institutions (ANPE, Édu­cation nationale, préfecture) institutions éduca­tives, etc.) s'établit principalement sur le mode de l'injonction et de la culpabilisation.

À ces difficultés de reconnaissance rencont1'ées dans le domaine public viennent s'ajouter les diffi­cultés à être entendues dans la sphère familiale. De nombreuses femmes décrivent des obstacles lin­guistiques et culturels au sein même de l'univers tàmilial qui les laissent désemparées, notamment lorsque les enfants atteignent l'adolescence. Ces

multiples assignations à des rôles minorés et à des positions inférieures génèrent de la souffrance et une grande lassitude.

Les espaces collectifs de rencontre, de parole, d'élaboration de projets représentent pour elles des ressources précieuses pour infléchir ces situa­tions,

1. les freins il la reconnaissance des femmes en quartier politique de la ville

1.1 . L'habitat dans les quartiers: un obstacle à l'intégration

I:intégration des femmes immigrées est en partie hypothéquée par les conditions de logement dans ces quartiers multicultmels où la confronta­tiou à des femmes de toutes origines rend com­plexes les rapports sociaux. Ces espaces sont souvent décrits comme des lieux de relégation cumulant les difficultés socio-économiques et les incompréhensions culturelles. Ces femmes peu­vent alors être poussées il adopter une posture de repli sur l'univers clos de la famille. Parfois cet enfermement conduit à la dépression,

Ces femmes, elles travaillent en Afrique depuis 3 ou 4 heU1'(!s du matin dans les cbamps et elles ne sont pas dans un état dépressif, mais elles quittent te village où elles travaillaient ensemble, elles se retrouvent ici, seules, dans un bâtiment fermé. Au Mali, les appartements ne sont pas faits comme ça, ils sont ouverts SUl' une grande COUI' ou les femmes peuvent se retrouvel: Là elles se retrouvent dans un bâtiment ou elles voient des Chinois, des Al'abes et elles vont ren­tmr dans un état dépressif. [. .. ] Par exemple cette dame qui quitte le Mali où son mari rentre le midi, là elle va se retrouver avec son mari qui quitte le domicile à 4 lJeures du matin, elle va tourner dans son appartement, avec sa télé et son magnétoscope, mettm des cassettes de leur pays, elle va tourner la tête, elle va voir une ilIalienne, même si elle est du même pays, elle se méfie pal'ce qu'elle n'est pas du même village.

[. .. ] J'ai bien étudié POUl' comprendre les

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femmes avant d'intervenir et je me suis aperçu qu'elles étaient plongées dans la déprime, mais les hommes n'avaient pas ce problème-là, parce qu'ils ont un boulot, des relations, alOl~' que les femmes, au llJali, elles avaient un bout de te,'re et leur indépendance alors qu'ici elles deman­dent ci, elles demandent çà à leur mari.

Pendant quinze ans, j'ai habité ce qum'tier vraiment hOl'rible, cloisonné, que des personnes en difficulté, les mamans s'enferment. !ln')! a rien, pas d'échanges, les disputes autour des enfants sont les seuls échanges. Je n'ai jJCls d'amis à Viry, pas de contact, c'est sinist,'e. On va faire sa vie ailleurs. Ivlaman ne parle pas bien ... le voisin est sénégalais ... tous les conflits sont ramenés auracÎsme, L'appartenance etb­nique pour expliquer tout, Il y a eu une réunion de participation des habitants, on a commencé à parler quand tout a été ramené à des bistoires d'origine!

Toutefois, lorsque des personnes originaires des mêlnes régions se retrouvent sur un quartier, c'est pour les femmes un levier d'intégration, une ressource pour sortir de l'isolement et pour poser les premiers jalons d'une compréhension de ce nouvel envÎrollnelnent. En outre, cette commu~ nauté internlédiaire offre une sécurité identitaire et économique,

1.2 . Mfronter les préjugés

La culture dOlninante construit un systèlue de représentations des immigrés fondé sur des sté­réotypes et des marqueurs différentiels visibles. Les femmes que nous avons rencontrées ont ainsi évoqué un quotidien lourd de suspicion dans lequel elles doivent sans cesse se justifier.Ainsi, par exemple, la suspicion de maltraitance des enfants, le présupposé de l'analphabétisme des parents, les doutes sur la légitimité des liens de parenté, sur les dates de naissance des enfants, etc. Les demandes de justifications ou de preuves sont fréquentes:

j'ai le problème de ma sœur de Il ans. Ma sœur ne parle pasfIY/nçais, elle s'est blessée avec un stylo. La maitresse demande si c'est sa tante qui lui a fait ça. [..,J La directrice a porté plainte

Les conditions de vie des femmes et des jeunes filles dans les quartiers en politique de !a ville

[..,J Depuis que je suis ici j'ai pas de problème avec mes enfants. Pourquoi ma sœur aU'Ylit peur? Cest parce qu'elle pm'le pas fmnçais : elle sait pas explique!: On l'a placée à Brétigny le soil: On a dit je lui donnais pas à manger!

Globalement lorsque les parents immigrés sont sollicités par les institutions, que ce soit par l'école, la police ou la justice, c'est généralement pour remettre en question leurs principes éducatifs, pour leur signifier que cela va mal et qu'ils n'ont pas fait ce qu'ils auraient dû faire. Les institutions leur demandent de manière récurrente d'adopter de {{nOllVeaux cOll1portelnents» et derrière ces injonctions se faufilent inévitablement une disqua­lification implicite ou explicite de leur culture.

Se bricolent alors parfois des repères complè, tement déconnectés de ce que peuvent penser, vouloir ou pouvoir faire ces parents, car ces repères sont déterminés par des incompréhen­sions et des malentendus. Ces injonctions sont par­fois accompagnées de diverses menaces et autres mesures coercitives (d'exclusion, de condamna­tion, de placement, de suspension d'allocations familiales, etc.) qui laissent les parents désorientés, dans la peur et l'incertitude. Rappelons que ces populations sont en situation de précarité socio­économique. Les mères sont les premières interlo, cutrices des institutions : certaines fenllues rencontrées lors de cette étude semblent sans cesse en train d'élaborer des systèmes de justifica­tion, elles ont développé des modes de relation défensifs ayant intégré l'idée que, si elles sont inter­pellées par une institution, c'est sans doute que quelque chose ne va pas et qu'elles vont prioritai­rement être mises en cause. Si la femme/la mère veut rester en contact avec la société française) l'accumulation des stéréotypes l'accule à dévelop­per sans cesse des arguments ou des attitudes visant à éviter la suspicion et de ne pas «prêter le flanc» aux préjugés,

Je me suis rendu compte que la pOjlulation émigrée est toujours stigmatisée, il ct toujours fallu me dévoile/; dévoiler une pC/rt de ma vie privée pour faire tomber les préjugés

La répétition de ces situations provoque de l'humiliation et du découragement Certaines peu-

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vent en venir à redouter pour elles ou pour leurs enfants le contact avec des «Français}}.

De plus, le sens commun tend régulièrement à ethnicîser les questions sociales : les problèmes rencontrés sont souvent S01111nairelnent analysés comme résultant de certains «obstacles culturels», de pratiques «archaïques» irrémédiablement atta­chées aux «cultures d'origine») alors que ce qui est en jeu relève en fait de profondes diftîcultés socio­économiques dans un contexte de migration (pré­carité économique, difficulté d'accès à un logement décent, etc.).

Parallèlement, la rareté ou l'absence d'espaces de rencontres génère aussi de la part des immigrés un rapport fantasmé à la société française.

Aujourd'hui dans la confection il y a des Asiatiques, des Africains, il n'y a pas de contact avec des Français. Ils [les familles turques} ont peUl; c'est à la limite des préjugés: ils voient les Français laxistes 1

1.3 MÎrrmer son rôle de mère

Dans la famille, la femme doit surmonter plu­sieurs obstacles afin d'affirmer son autorité de mère et d'épouse. Le décalage culturel et linguis­tique qui peut se creuser entre la mère et ses enfants rend la fonction éducative probléma­tique, surtout lorsque ceux-ci atteignent l'adoles­cence.

Plusieurs femmes ont attribué leurs difficultés de dialogue avec leurs enfants à ce décalage lin­guistique. Parfois, la langue maternelle n'est plus parlée au foyer en réponse aux injonctions de tra­vailleurs sociaux ou d'enseignants (<<C'est nüeux que vous parliez français à vos enfants»). Lorsque les enfants grandissent et que les sujets de discus­sion s'étoffent, les mères qui parlent un français approximatif racontent comment elles ne parvien­nent plus à comprendre leurs propres enfants, ni à dialoguer avec eux, ni à se faire entendre. Ce déca­lage linguistique et culturel, qui s'opère alors au sein même des familles, peut nuire à l'image des parents et à leur autorité aux yeux de leurs enfants. Les propos des jeuues filles sur leurs parents en témoignent :

[. . .; Ma mère, elle m'a jamais parlé. Pas parce qu'elle voulait pas ou qu'elle m'aimait pas mais parce qu'elle ne sait pas parlel; ma mère. [. . .; Elle a jamais eu de contact avec les gens ; le seul contact qu'elle a eu, c'est avec ses voisines arabes avec lesquelles elle commérait, bah elles savent pas parlel; elles savent juste commérel: Commérer c'est pas parlel: Pour eux comme ça toujou/'s été dans la tradition (le mariage an'Clngé), enfin, eux ils ne se posaient pas trop de questions, franchement, tu sais ça me fait chier un peu de dire ça, mais elle est bête, enfin elle est pas bête, tu vois mais c'est leur tradition, elle a jamais connu autre chose donc ça la choque pas.

C'est vrai que les parents ils sont pas toUjoUl'S dans la rue, ils ont pas la même mentalité qu'on a aujourd'hui, ils sont pas du tout comme nous, ils voient pas du tout ce qu'if se passe.

Finalement je ne vais jJas vous menti/; il y a des filles, elles ne sortent presque jamais, sur­tout les Maghrébines et encore moins le soù: Il y a des patrmts, même des Africains de l'Ouest, ils n'ont rien compris, leurs filles elles ne sortent pas. Ils rentrent dans leur mentalité de pays mais une mentalité un peu bizarre. Parce que nos pat'ents ils garderont tOUjOUl's leur menta­lité parce que sinon, ils ne sont plus eux-mêmes, on s'intègre, mais on ne s'assimile pas, mais enfin, il faut composer quoi.

Mais le fait que les parents ne s'intègrent pas aussi à vivre en Fmnce, peut-être qu'ils l'estent éloignés du système scolaire ou de ce qui se passe au niveau de la politique en France. C'est un frein aussi pour eux, pour comprendre leurs propres enfants. Parce que les enfants disent" mais qu'est ce que tu en sais? Tu ne comjJrends rien de toute façon 1. Ils disent souvent cela aussi « tu ne connais rien à la vie!»,

Moi je trouve aussi que, quand tu as décidé de rester dans un pays étrange/; il faut absolu­ment appl'endre la langue, moi quand je vois des enftlllts qui ont le même âge que moi et qui sont obligés de tmduÎ1'e à leurs pat'ents, par exemple à l'école, moi je dis non,faut avait' un minimum

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de bases quand on est dans un jJay,~ c'est un mininzum, Sans cOl1ununicatton, )l'a rien.

La transmission de l'histoire et de la culture familiale, déjà compromises car en grande partie invalidées et stigmatisées, est un peu plus fragilisée par l'écueil linguistique qui entrave la communi­cation dans la famille.

En outre la transmission passe éviden1tnent par l'usage de la langue maternelle à la maison et par des séjours dans le pays d'origine, séjours au cours desquels il est important que les enfants puissent échanger avec leurs grands-parents, oncles, tantes, cousins, cousines. Faute de moyens financiers suf­fisants, des familles ne peuvent plus retourner régulièrement «au pays,},

Ces difficultés relevées dans le discours des jeunes filles se retrouvent dans les préoccupations des mères.Ainsi dans une enquête réalisée par t'as· sociation La Voix des Jeunes" auprès de 62 familles turques, 28 mères dbent rencontrer des problèmes de COllll11Unication avec leurs enfants ; il semble que ce soit particulièrement au moment de l'ado­lescence que ces problèmes apparaissent.

1.4 Pour les jeunes nUes: une identité hybride difncile à penser et à assumer

La langue est le vecteur cle la transmission cultu­relie: raconter sa trajectoire d'immigration, expli­quer sa façon de vivre, ses visions du 111onde, des valeurs héritées du passé, de l'histoire, du pays des parents sont des repères pour les enfants. Que ceux ci viennent à manquer, à être tus ou jan1ais explicités et l'enfant risque de se perdre entre les silences des parents et les stéréotypes projetés par la société cl 'accueil, de rencontrer des diffi­cultés à construire une représentation positive de sa famille et de lui-même, à assumer une identité hybride, composée de la culture familiale et du vécu et de la socialisation en France.

Il faut jJarler des relations parents/enfants. Surtout il y a un vide culturel et moral. On dit des enfants entre deux cultures, enfants dans le vide je dirais. S'il y avait des rejJères, la balance serait égalitaire. Là il Y a un décalage: dans le vide!

La question se pose de façon aiguë à l'adoles-

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cence, notamment pour les jeunes filles confron­tées à des om'es identitaires et à des repères CUltll­reis multiples parfois difficiles à combiner. Les lnères j qui sont les preuüères confrontées aux questionnements cles adolescentes, peinent à se situer entre les cultures urbaines contemporaines multiformes et leurs cultures cI'origine, dont l'ex­pression et la transmission, modelées par leurs propres trajectoires, peuvent prendre des formes diverses (par exemple, jeunesse en zone rurale, luariage coutun1Ïer, éluigration très jeune, etc.). Mères et filles s'accordent pour dire que ces sujets ne sont que peu ou pas abordés clans la famille.

Ici le jJroblème c'est quand les enfants sont des ados, lorsqu'il y Cl conflit sur tout ce qui est interdit, les opjJositions. Les enfants ils sont entre deux cultures [. . .}. Moi, le problème, c'est que ma fille elle voulait sortit· à l'âge de 15 ans et elle ne comprenait jJas jJourquoi elle n'avait jJas le droit. lVIais moi en Jïn de comjJte je n'ai jJas eu beaucoup de problèmes, jJarce que je connais la société. Je sais me défendre. Pel!' contre les femmes qui ne connaissent jJas dehors, elles ne savent jJas quoi ,'épandre. [..}.Moi j'ai remarqué que clans les familles où lesfemmes ne sortent jJas c'est là qu'il yale jJlus de problèmes avec les jeunes

1via cousine en AJi'ique elle a une seule cul­ture en face d'elle, tandis que moi j'en ai jJlu­sieurs!

Au collège, au lycée, c'est jJlutôt la relation entre ce qui se }Jasse dans la famille et ce qui se jJasse à l'école ... enJïn il.1' a toujours un truc... c'est jJas la même chose ce que l'on a comme éducation cl lct maison et ce que l'on reçoit cl l'école.

Des jeunes Hiles peuvent également, à l'instar de leurs mères confinées au sein du foyer, éprou­ver des difficultés à construire leurs représenta­tions du monde extérieur en dehors des temps scolaires. Lorsque l'attribution des tâches ména­gères et les interdictions de sortir entt'avent leur connaissance de la société, elles ont des difficultés à se situer, à effectuet' des choix autonomes:

Ma mère elle disait toujours «je n'ai jJas peur

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de toi,j'ai peur des autre ».

"Oui mais t'as peut" des autres".lVJais je lui dis «il faut bien que je vive, que je vois le monde qui m'entoure, que je me Jàsse une idée. Il faut bien que je fasse des erreurs pOUt' me ji:lire mes propres opinions, et il faut bien que je vois des obstacles aussi, si je les vois pas, si tu m'em­pêches de les voir: la vie elle est pas rose». C'est important aussi ça, je pense de confronter la Jllle à la réalité. Qu'elle voit par elle-même, de pas rester toujours dans la famille ...

1.5 Quand le mari fait obstacle à l'intégration de sa femme

Certaines femmes n'ont pas évoqué de résis­tances de leur 1nari à leur intégration) certaines ont même souligné le fait que, de plus en plus, l'homme incite son épouse à sol"tir, à apprendre le français, à trouver un emploi. D'autres n'ont pas cette chance:

Rester à la maison c'est comme une prison. C'est l'huissier qui m'a réveillée, qui a ouvert la porte. Mon mari avait dit que j'ouvre pas la porte. Je pmtais pas français: cela voulait dire que je n'existais pas. C'est l'huissier avec la police qui m'a ouvert la porte [il m'a dit] "ilji:mt sortir méme pour acbeter des bonbons aux enfants. Sortir pour discute/; voir des gens» [. . .] C'est dUI; j'ai pas de famille, j'ai personne.

I:homme, du fait de sa présence le plus souvent antérieure sur le sol français, maîtrise davantage l'environnement social et linguistique. Les dis­cours portant sur les craintes du mari lors de l'ar­rivée de son épouse et des difficultés de celle-ci pour s'adapter à ce nouvel environnement soüt récurrents :

Je pense que le malaise c'est que 1'!Jomme magbrébin il a toujours peur de perdre sa femme, qu'elle aille de l'autre côté, qu'elle parte dans la société f,ymçaise et qu'elle fasse n'im­porte quoi.

C'est quand la femme arrive, il n'y a pas eu heaucoup de temps pour se connaître, donc quand tu mTives ici avec ton mari, lui, il a son

monde.!l a ses amis, sa famille, son tmvait, donc la place. Moi je pense: ce 11 'est jJas facile.!l ji:mt se battre pour prendre la place à côté de son mal·i. Moi j'ai vécu cela. Au début c'était dur parce qu'il y avait beaucoup de cousins, beaucoup de copains à lalac [. . .] et moi quand je suis arrivée pour prendre ma place ce n'était pas évident.

1.6 Le sentiment de déclassement et de dévalorisation

Certaines femmes font état de la perte d'un statut social généré par la situation d'immigration: qu'il s'agisse de la perte d'un statut professionnel reconnu dans le pays de départ (par exemple, pour celles qui détenaient un petit commerce ou exerçaient lin métier renommé) ou d'un dOlllou­!"eux sentiment de déclassement au sein de la hié­rarchie sociale.

11;10i si j'étais restée en Tunisie, je n'aurais jamais eu besoin de faire des ménages. j'aurais eu un poste différent. Moi là je gagne le smic, le n'linünunl- et-rien d'autre et, sije reste ; c'est jJarce que je sais que je ne peux pas trouver mieux.

Moi je connais l'bôtel, j'ai commencé par là, mais je n'avais pas de jOrce. Heureusement que je savais lire et écrire. On m'a donné buit suites, j'ai essayé de lefaire, mais c'était pas mon truc. EnAfrique,je l'avais jamais fait, mais j'ai essayé parce que je ne voulais pas dépendre des autres, parce que de ma vie je n'ai jamais fait un bou­lot comme ça. On avait des bonnes en Afrique ...

Au début c'était une bonte pour moi de devoir laver les assiettes.

2. Des éléments d'analyse

2.1 Cultures et identités des migrants et de leurs enfants: des entités réifiées, naturalisées et dévalorisées

Les cultures d'o1"igine sont pour une large part nléconnues) caricaturées et disqualifiées dans le pays d'accueil où la culture dominante véhicule quantité de stéréotypes négatifs SUl' les cultures

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«arabes» ou «africaines») itnplicitement ou explici­tement considérées comme rétrogrades, archaïques, par opposition à une modernité quille serait l'apanage que des sociétés occidentales post­industrielles. Dans les discoms publics dominants, dans l'inconscient collectif des sociétés occiden­tales, dans le sens commun, les cultures des pays d'origine des migrants sont considérées comme des entités naturalisées, figées dans des traditions que l'on croit volontiers ancestrales, comme si seul l'Occident pouvait créer clu mouvement et du pro­grès. Les débats sur le voile ont illustré récemment la persistance des représentations stéréotypées et stigmatisantes cie ces cultures, leur réification et leur réduction à quelques emblèmes et pratiques culturelles visibles, souvent interprétées de fl1anière univoque au lnieux COll1nle des lnanières d'être exotiques (souvent cantonnées à des domaines restreints et rassurants : les spécialités culinaires, la musique, etc.), au pire comme des signifiants d'un archaïsme qu'on leur impute.

La prodigieuse diversité culturelle qui existe dans ces quartiers est rarenlent connue de ceux qui n'y habitent pas ou qui n'y travaillent pas. La diversité sociale et ethnique interne aux pays d'origine est largement méconnue. tes cultures d'origine des migrants sont incessamment globali­sées, continentalisées (peu importent les clistinc­tions ethniques et linguistiques, les classes sociales, les origines géographiques, la confession religieuse, etc.). Les discours généralisateurs por­tant sur (,l'ls1an1 de France» ou «la culture africaine» illustrent ce phénomène. Les enfants de migrants qui ne connaissent pas leur pays d'origine, leurs parents installés depuis longtemps et qui n'ont pas les moyens de retourner au pays peuvent eux­mêmes se réapproprier ces discours généralisa­teurs et intérioriser, dans le lnênle l110UVelnent, les stéréotypes et les stigmates sur lesquels ils repo­sent (qu'il s'agisse d'un processus d'intériorisation ou de retournement du stigmate imposé).

Les migrants, ll1inoritaires, sont classés par les membres du groupe majoritaire selon un système de représentation propre à ces derniers. Ce phé­nomène d'attribution catégorielle, bien connu en sociologie des relations inter-ethniques, contribue à «fabriquer" des groupes d'appartenance décon­nectés du groupe de référence réel des migrants ou

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de leurs enfants. Nacira Guénif Souilamas analyse la violence symbolique de ce phénomène de catégo­risation, même dans l'emploi de termes politique­luent corrects : « Pour le sens commun~ le 1110t

"maghrébin" semble désigner une chose simple : les habitants de la région septentrionale de l'Afrique, le Maghreb. Par extension, il désigne les immigrés originaires de cette même région [ ... ]. Par extension encore, il désigne aussi les descendants de ces immigrés bien qu'ils soient souvent nés en France et y aient été en majorité socialisés. [ ... ]. Ce vocable familier à nos oreilles dit comment ils sont désignés et non pas comment ils se nomment. [ ... ]. Les immigrés d'autres origines ne sont pas en reste et sont pèle-mêle renvoyés à des catégories fourre­tout: Africains, Asiatiques, 1\lrcs [ ... J. Certaines fusionnent sur une base continentale ou géogra~ phique des individus originaires de sociétés très différentes. Dans le cas des Africains, c'est sur une base" raciale" que sont confondus tous les Noirs, allant jusqu'à leur adjoindre les Français des Antilles [ ... J.Avec une désarmante facilité, la diversité des autres est réduite à quelques figures imposées.,,'

2.2 Une injonction paradoxale, des jeunes sommés de s'intégrer et assignés à leurs origines supposées

Pour les jeunes nés en France, ce paradoxe est récurrent: d'une main, la société leur enjoint de se fondre dans le creuset français, d'adopter un comportement, une culture de citoyen français lambda, d'abandonner les marqueurs identitaires visibles et, dans le tnênle telnps, ils sont sans cesse symboliquement tenus à distance, renvoyés à leurs différences, assignés à leurs origines suppo­sées du fait de leurs caractéristiques physiques ou de leur patronyme. Ces injonctions paradoxales les renvoient fondamentalement à une impossibi­lité cie faire reconnaître clans de nombreuses interactions sociales la singularité de leurs recom­positions identitaires ou culturelles individuelles, nécessairement hybrides, entre la culture fami­liale et le vécu et la socialisation en France.

2.3 Une recomposition identitaire et culturelle périlleuse

Dans ce contexte ambigu cie déni et de stigmati­sation des cultures d'origine des migrants, la

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recomposition identitaire et culturelle s'avère périlleuse. En effet, le processus d'acculturation, entendu en tant «qu'échanges culturels se pro· duisant lorsque des groupes d'individus de cul­tures différentes entrent en contact»', implique des espaces de rencontre, des zones de contact avec les autres cultures, notamment avec celles de la société d'accueil, permettant des formes de négociation interctùturelle. C'est dans cet espace de contact que s'élaborent de nouvelles défini­tions de l'autre et de soi-même. Les migrants vont non seulement redéfinir et réinterpréter des élé­ments de leur culture en jeu dans la relation - cela peut être lié au statut individuel, au genre, à la façon d'être parent, à la profession, à la famille -, mais ils vont également exercer une influence sur les autochtones, les membres des différentes microsociétés qui composent le groupe majori­taire, et aussi sur les autres groupes de migrants. Tous seront amenés à se re-définir les uns par rapport aux autres. Lorsque les rapports entre ces groupes s'inscrivent dans une relation égalitaire, équilibrée, d'échanges réciproques, d'égale dignité 1'Cconnue aux différentes cultures en pré­sence, ce processus d'acculturation nous semble bénéfique et enrichissant pour les membres des différents groupes considérés et pour les rela­tions qu'ils entretiennent entre eux.

Or, dans le contexte I11igratoire français, «des rapports de domination investissent les groupes dominants d'un pouvoir de sélection [et de caté­gorisation] qui conditionne l'émergence des fOl'mes culturelles considérées comme propres aux groupes dominés et provoque entre autres choses, chez ces derniers, l'hypertrophie [ou la saillance] de certains traits valorisés par l'idéologie dominante. [En même temps ces mpports de domi­nation] entraînent l'altération d'autres éléments du fond culturel des groupes infériorisés [-des traits culturels dévalorisés-], et amènent leurs membres à déguiser - donc à transformer - cer­taines de leurs traditions afin de contourner les interdits ou d'échapper aux stigmatisations que les donlinants font peser sur elles 0 Il)) !

Ajoutons que d'autres combinaisons peuvent

1. Nacira Guénif Souilamas,Des beflJ'ettes, Pluriel sociologie, Hachette littératures, 2000, p33

résulter de ces l'apports de dOlninatioll, à savoir l'hypertrophie des traits culturels dévalorisés, dans des processus d'affirmation identitaire radicale, ou l'abandon de pratiques culturelles ne faisant l'ob­jet ni d'une valorisation ni d'un rejet, mais qui ne peuvent être transmises dans le pays d'accueil.

De plus, le groupe dominant se perçoit, dans son ethnocentrisme, comme figure de l'universel: sa légitimité coule de source sans qu'il soit néces­saire de justifier quoi que ce soit, contrairement aux groupes fllÎnoritaires dOininés à qui l'on demande régulièrement de justifier leurs traits cul­turels considérés COl1llne «singuliers)}, voire de les abandonner ou de les rendre invisibles s'ils sont perçus COmllle une Iuenace (pour la « culture fran~ çaise», pour la République, pour la laïcité, pour l'unité du pays, c'est selon).

Ces divers processus de refoulement de la diversité culturelle peuvent engendrer pour les migrants comme pour leurs enfants, nous le répé­tons, des formes d'intériorisation des stigmates, des formes d'intériorisation de la dévalorisation de la culture d'origine des parents, mais également des formes de rejet de traits culturels catégorisés comme «typiquement français» et des formes de crispation identitaire sur des traits culturels consi­dérés comme des «valeurs ancestrales»), alors qu'ils ne sont en fait que des traits hypertrophiés ou saillants en contexte migratoire, du fait lnêl11e que ces relations intercultllrelles s'inscrivent dans un rapport de domination. L'abandon de certains repères, sans que pour autant de nouveaux soient appropriés pour ces migrants, peut être profondé­ment angoissant et déstructurant, particulièrement pour les femmes qui sont peu en contact avec des femmes françaises.

On peut alors parier de phénomènes de décul­turation, d'aliénation culturelle qui provoquent des tensions identitaires parfois douloureuses pour les migrants et plus encore pour leurs enfants, souvent contraints de se définir par le dilemme (<<tu te sens Français ou Sénégalais») ou par le double rejet (<< quand on va au bled, on nous considère conUlle des Français! ici, on nous consi-

2. Michct Giraud, in Pluriel recherches, cahier n" 3,1995, p 19

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dère comme des Ambes »),alors que leurs identités sont constituées de multiples composantes.

11 faut rappeler que les conditions dans les­quelles peuvent s'élaborer et s'exprimer des iden­tités multiples dans une société plurielle ne dépendent pas uniquement des «efforts d'adapta­tion»)- des groupes allogènes lninoritaires, ll1ais reposent tout autant sur les capacités intégratives de la société d'accueil que sm ses facultés à s'as­sumer en tant que société pluri-cultmelle.

3. les ressources

3.1 Les ressources linguistiques

Certaines femmes ont appris le français avec leurs enfants.

Les cours d'alphabétisation sont demandés et suivis, tnais demeurent en nOll1bre insuffisant,

Les femmes qui veulent atteindre un bon niveau en français parlé et écrit afin de faciliter leur accès à l'emploi souhaitent des cours davan­tage professionnalisés

Avec notamment des parcours individualisés con11ne ceux qui S011t organisés à Ulis FOflnation

Ressources (UFR). La garde des enfants est un obs­tacle pour beaucoup d'entre elles, notamment lorsque celle-ci est payante.

Une formule qui apparemment rencontre beau­coup de succès sont les coms qui ont lieu dans les établissements scolaires de leurs enfants avec des enseignants. Outre l'apprentissage de la langue, cela leur permet d'établit un l'apport positif avec l'éta­blissement scolaire ; ceci est largement plébiscité au point qu'un groupe de parents tmcs des Tarteréts voulait rédiger une pétition dans ce sens adressée à la mairie (un cours de ce type existait l'année der­niète à l'école primaire, il avait lieu en fin d'après­midi). Les cours du Greta au collège Paul-Éluard à Évry ont également de très bons échos: la formation intensive accueille les personnes toute la journée) celles-ci déjeunent le midi à la cantine de l'établis­sement et développent une meilleure compréhen­sion clu fonctionnement de l'institution.

1.opcit.p20

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3.2. Le rôle de la communauté intermédiaire

L~ communauté intermédiaire joue un rôle important, notamment dans l'accueil des primo­arrivants. Elle permet à la fois de soutenir l'ap­prentissage de la langue et d'apporter cles éléments de compréhension du fonctionnement cie la société d'accueil. En outre, cet espace fami­lial et communautaire est un endroit où la légiti­mité cie l'identité culturelle est préservée ce qui permet d'aborder plus seœinement les renonce­ments et les remaniements identitaires et cultu­rels dans un contexte migratoire.

Je veuxfaire quelque chose, je ne veux pas res­ter à la maison. Mon mari habitait en France :je l'ai épousé et je suis venue. C'est difficile de ren­contrer des gens. Heureusement il y a la famille, je pense qu'ils pourront m'aida D'abord pout'la langue: comprendre et me faire comprendt'e !

3.3 Les activités artistiques

Les activités artistiques - dans le cadre cie la recherche-action, le théâtre, le l'al', la clanse, la musique, le chant - sont des ressources essen­tielles pour les jeunes filles que nous avons ren­contrées, pour plusieurs raisons.

Beaucoup cl' entre elles ont (Ht utiliser leur pra­tique artistique, en partie pour établir un dialogue avec leurs parents en particulier et les adultes en général:

Avec les parents, ça passe bien, parce qu'ils n'ont pas conscience de ce qui se passe dans la rue, les parents restent chez eux. Ils voient à tra­vers le spectacle ce qui se passe. (L'Œil du Cyclone).

On chante pour tous, même les personnes âgées, les parents, on voulait que tout le monde comprenne ce qu'on dit parce qu'aujourd'hui c'est assez rare d'écou.ter un groupe de rap setns se dire "qu'est ce qu'il dit», quelquefois j'écoute avec ma mère et elle me dit "je comprends pas là,je connais pas ce mot» et après je suis obligée de lui expliquer (Permis de Vivre la Ville).

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y avait des femmes voilées au deuxième rang qui ont vu le spectacle: «Super message, super spectacle ". Même le mari d'une d'entre elles est venu nous voir et a trouvé ça très bien. (L'Œil du Cyclone)

Elles sont décdtes comme des activités valori­santes, qui font la fierté des parents et des jeunes:

ilion Père il a ahné, il rn'a accordé une autre chance { .. ] Ca les touche ... " (rŒil du Cyclone).

Ya même une prof de fnmçais, elle m'a dit qu'elle aimerait bien écouter ce qu'on fait.je lui ai passé un CD, elle m'a même dit «c'est le pre­nlier groupe de rap où je comprends tout de A à Z". Voilà, le français il sert beaucoup. Et on est fier de ça parce que c'est rare de voir des jeunes de cité réussir à l'école. C'est essentiel ... (Permis de Vivre la Ville)

Cette valorisation peut redonner confiance aux jeunes filles dans leur parcours scolaire, cl'autant plus quand l'enseignement scolaire est directe­ment exploité pour la pnltique artistique:

Parce que c'est vrai, quand on écrit, l'école ... c'est important: exemple, pour dire «maison" y a plusieurs mots: appartement, pavillon ... et nous, quand on én'it, On écrit dans un langage de jeunes, ça veut dire un langage, c'est assez violent quand même et en fait grâce à l'école on a appris d'autres mots, à rentrer d'autres mots qui avaient la même signification mais moins vulgaires enC01'e : comme ça les gens quand ils noUs entendent cbante/; ils nous comprennent. Depuis, j'ai de bien meilleurs résultats, en même pas un mois, même les profs ils en reviennent pas «vous avez cbangé conzme ça". (Permis de Vivre la Ville)

Écrire une cbanson sans comprendre le fran­çais, sans comprendre l'école, ça sert à rien du tout, parce que y Cl des rappeul's, quand on entend leurs textes, on comprend rien du tout et maintenant nous on s'est servi de l'école pour écrire des textes pour que les gens comprennent les mots. {,.] Donc on prend un mot qui veut dire la même cbose [que dans le langage des jeunes] mais bien con-ectement, qu'on nous apprend à

l'école et on essaie de le mettre pour que tout le monde comprenne. À cbaque fois qu'on fait un concert, même nous on est un peu choqué parce que pourquoi les gens ils viennent nous voir nous et pas les autres, parce que dans 110S textes y a pas de vulgarité et que tout le monde com­prend, c'est pour ça que l'école c'est un point essentiel surtout le français, ça nous sert beClu­coup. (Permis de Vivre la Ville)

tes jeunes filles que nOlis avons rencontrées utilisent également lem pratique artistique pOlit dénoncer certaines contraintes qui s)exercent Sur elles, certains comportements sexistes des gar­çons, et p01l1' re-négocier les relations cie genre dans les quartiers ou dans le groupe de pairs:

Au début, c'était tlès tl'ès très dijficile entre nous, malgré qu'on avait le même âge, On avait un appartement au Bois sauvage que la mairie nous avait prêté, on répétait dedans et y avait toujours des tensions entm les filles et les garçons, ça veut dire qu'ils voulaient pas qu'on toucbe à leur projet, c'était à eux, «cIJanter c'était pas pour les filles, il était bars de question " ... et, à cbaque fois qu'on se parlait, c'était soit pour se traiter soit jlour se vanner mais c'était jamais un mot genti~ jamais ça sortait de notre boucbe [. . .] Et ils nous ont dit d'CI11'êter et nous on n'a pas lâcbé l'affail'C, on leur a dit non, une fois on a osé leur répondre, on leur CI tenu tête, on leu1' CI tenu tête on leur a dit non c'est ça qu'on veut faiJ'C, on continue, on n'a pas voulu les écoute/: (, .. )

On a commencé à cIJanter sur les mariages forcés, après sur les femmes voilées en Afgbcmistan, SUI' les jeunes de cité et, après plu­sieurs réunions où on avait des débats, on nous demandait jJourquoi vous écrivez ces textes? Fst­ce que c'est bien? Est ce que c'est pas bien? { .. ].

Au début ils [les gal'çons] avaient des mau­vaises tbéories SUI' les cbansons qu'on faisait, sur les mariages forcés, eux, la premièl'C cbose [qu'ils ont dit] c'est «mais non, les gens ils vont croire que c'est [à nous] qu'on va [vous] marier forcées 1" lit ils nous avaient dit« stop, vous arrê­tez là tout de suite, c'est fini» [. .. ].

Et carrément des fois dans la cité ils nous regardaient pas, ils nous disaient plus bonjour

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et une fois quand ils nous ont vues chanter ils ont regardé et maintenant ils nous encouragent à continuel: Et même une de lem's chansons pré­férées c'est sur la mixité, on parle des filles et des garçons mélangés, ça à chaque fois qu'on est quelque part, [ils disent] «c'est quand que vous la chantez 1"

Ils sont méme solidaires parce qu'à chaque fois ... Par exemple on a été au festival interna­tional de Créteil, ils sont venus, ils nous ont encouragées, ils étaient là, et jamais on les avait entendu dire ça mais là ils reganlaient les gens et ils disaient «c'est les filles de notre quartiel: C'est elles, elles habitent juste cl côté de chez nous, elles font ça"et maintenant depuis ils ont confiance et voilà ils aiment bien ce qu'on fait et ils nous poussent. Mais au départ c'était pas comme ça. (Permis de Vivre la Ville)

Justement ouais ici [à la MJC, à L'Œil du Cyclone], si on s'habille bien, les garçons ils diront «ah t'es jolie comme ça", ici c'est pas «t'es bonne", Sylvain souvent il me dit «oh, t'es belle habillée comme çcv,.justement, c'est dijférent ça fait plaisir (L'Œil du Cyclone)

Non mais c'est vrai qu'en méme temps dans la pièce les garçons ils sontpeut-être unpeu trop mal représentés parce qu'il y a quand même une caricature des garçons quand même assez auch, en même temps c'est vrai que c'est peut être le seul moyen de faire passer le message quoi [ . .j faut aussi faire comprendre aux gens que y a des mecs comme ça quoi. Ils sont jJas tous comme ça, c'est qu'il JI Cl des mecs comme ça, donc faut arrêter quoi. Si on vous dit c'est pas bien, c'est pas bien, alors faut se défendre quoi, (L'Œil du Cyclone)

Enfin, lorsque cet investissement dans des pra· tiques artistiques est reconnu, qu'il peut sortir du cadre de la cité, il permet aux jeunes filles de déve, lopper de nouvelles relations sociales et peut éga, lement contribuer à redorer la réputation du qt1articl' :

On a quand même eu jJlein plein plein de propositions par plein d'associations qui nous

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ont dit «c'est vachement bien ce que vous faites, c'est magnifique et tout ça" { . .} même j'ai répondu à des questio1ls à un journaliste, pour le magasine Elle, (Permis de Vivre la Ville)

- C'est quand on a rencontl'é les filles de Ni putes ni soumises, quand on a joué (à Dourdan) on a vu qu'en fait notl'e message, parce qu'elles étaient toutes en pleurs en fait, tout le monde était en pleurs - et on a eu beaucoup de réactions - on a vu que notre message il passait quoi - que ça touchait beaucoup de monde et après il y a une des filles de Ni putes ni sou­mise qui a voulu euh contÎnuer cl nous voit· et tout et euh à partir de ce moment là on a commencé cl en parler et on s'est dit qu'on allait monter "si t'es uni on est OP,,'. (L'Œil du Cyclone)

C'était une réunion avec le mait'e,je me sou­viens il nous avait dit de cIJômage va augmen­ter ça va être très dm; faut vous bouger maintenant." parce qu'on nous a fait com' prendre que la chanson c'était un 10isi1; c'est comme la jJatinoire : si ça marche pas, faut assurer un diplôme. On en a pris conscience. (Pamis de Vivre la Ville)

Et c'est ça moi que j'aime pas [dans les faits divers], je pense que c'est à cause de ce qu'on écrit souvent dans les journaux ou ce qu'on dit à la télé que les choses elles se dégradent parce que par exemple : quand le Canal lit dans Le Parisien que Pyramide Cl fait tel ou tel truc, ils veulent faù'e deux fois mieux, ou pb'e, plutôt. Tandis que s'ils écrivent quelque chose de bien, ils vont se dÙ'e "bah nous on va essayer de faire autant qu'eux" pour Cl1'1'iver à ça et à ça et cl ça ... et moi je pense que c'est ça qu'il faudrait faire, au lieu des faits divers jJarce que ça les encou1'C/ge cl faire pire. (Permis de Vivre la Ville)

3.4 Le projet familial

Lorsque les parents ont le projet de s'installer définitivement en France, ils mettent en place une organisation qui ü,dUte l'intégration.

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les conditionS de vie des femmes et des jeunes filles dans les Quartiers en politique de la ville

L'intégration apparaît bien alors comme un pro­cessus dans lequel l'immigré va mobiliser des res­sources locales pour s'insérer dans la société d'accueil.

Les enfants (des Sri Lankais) s'adaptent à cause de la guerre, alors que les Indiens ont l'idée de retourner au pays.

Mes parents m'ont inscrite dans un centre de loisirs pour que je me fasse des amis et que j'ap­prenne le français.

3.5 Les espaces de reconnaissance identitaire et cultnrelle

Ces espaces sont le plus souvent créées par les associations ou à l'occasion d'événelnents initiés par les collectivités publiques, les institutions. Majoritairement lorsqu'il s'agit de ces derniers, ce sont les femmes déjà «visibles» qui en profitent. Ainsi les Inédiatrices sont souvent invitées à témoigner pour l'ensemble de la population de leur quartier ou pour leur communauté entendue au sens large (Afrique subsaharienne,Afrique du Nord, etc.)

1: ensemble des femmes que nous avons ren­contrées souffrent d'un manque de reconnais­sance.Aussi, elles sont demandeuses d'espaces où elles puissent exprimer leur culture, raconter leur région d'origine. Ainsi, le récit nous a été fait de la possibilité pour une mère d'aller commenter un diaporama de son pays dans la classe de ses enfants. Une action comme celle ci est présentée comme un mode fort de re-légitimation de la cul­ture d'origine et une des rares opportunités offertes pOUl' pouvoir décrire, expliquer. Des Inoments COllllne celui~ci - rarissitnes - présentent un espace où peuvent être expliqués sereinement des représentations et des comportements qui deviennent alors des repères pour les enfants, les enseignants et pour la mère qui explique. Rappelons que «l'entre soi» familial ou commu­nautaire ne nécessite pas de formuler ces explica­tions puisque tout «coule de source». C'est essentiellement la situation d'altérité qui pro-

1. Groupe monté par quelques jeunes de l'Œil du Cyclone, et adhé­rant au mouvement Ni putes ni soumises.

voque la réflexion, la formulation de repèœs, la possibilité de se comparer, de se re-découvrir, d'élaborer ensemble de meilleurs modes de com­préhension.

Je ne savais pas que j'étais Kurde en Turquie.' c'était mal vu. C'était flou Turcs, Kunles ... En 1987, des Kurdes ont été gazés, je ne compre­nais pas, mes parents avaient une autre vie en France. [. .. ] lvles parents ont fuit la Turquie parce qu'ils ne pouvaient pas mettre en avant leur identité. j'utilisais très bien mon identité [kurde] avec la culture d'accueil. Cela m'Cl1Y'an­geait .' les l'ures ont une image plus ou moins ambiguë, j'utilisais plutôt cette identité-là (kurde).j'ai acquis mon identité jJar la lecture en français (a fait de nombreuses recbercbes pour présenter en classe des exposés sur les Ku·rdes). La France c'était ['eldorado, j'avais une confiance totale.

Tu sais B. qui aime tellement faire voir les cassettes de son pays, elle nous app01'te les films de sa famille, des mariages et, en même temps, c'est l'occasion pour elle de nous montrer qu'elle sait faire certaines spécialités, donc elle venait aussi pour ça. Quand elle vient ce n'est pas seulement pour lire ou écrire jJarce qu'elle ne comprend rien. ... ça fait des années qu'elle vient pour autre cbose.

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© Joss Dray· Permis de Vivre la Ville

PARTIE 4

"Il faut aller dans le droit chemin, il faut pas zigzaguer».

-.

DES MODES DE CONTROLE u

SOCIAL ET DE LA REPUT: ION DES JEUNES FILLES

DES QUARTIERS

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Les conditions de vie des femmes et des jeunes filles dans les Quartiers en politique de la ville

Les analyses qui suivent sont issues du travail que nous avons mené avec VŒil du Cyclone à Ris-Orangis et des discours des jeunes filles

que nous avons rencontrées en entretiens indivi­duels.

Dans les entretiens individuels, les jeunes filles soulignent fréquemment les normes de comporte­ment prescrites et les interdits qui participent à la construction cie leur réputation.

Il Jàut aller dans le droit chemin, il faut pas zigzaguet;faut pas sortil: Les filles, ça sort pas, les filles ça se marie, une fille ça doit rester vierge jusqu'à son mariage, une fille ça doit pasfumel; une fille ça ... enfin, c'est tout ça quoi.

Pour être bien vue, déjà, Jàut pas découche1; pas fumel; bien écouter ses parents, toujours être avec eux, ne sortir qu'avec eux et lafamille, avoir deux, trois copines. Pas sortil; il ftmdrait que je sois une bonne musulmane, en ftlit, et surtout, SUIe

tout, bien écouter son père et sa mère surtout. Il faut que quand on me voit, on me voit avec mes parents, faut qu'on soit tous ensemble, comme dans les deux autres familles, en fttit; chez les A et les B. Toujours entre elL':, toujours entre mêmes ftunilles, ils connaissent que eux, ils sont qu'entre eux, et voilà. Il jàudrait que je sois comme ça.

Avec les jeunes du groupe de VŒil du Cyclone, nous avons commencé par parler des relations de genre telles qu'ils les vivaient, puis nous avons organisé un groupe de travail sur le thème de la réputation des jeunes filles des cités. Ce travail a intégré l'élaboration d'un «tableau de réputation» qui cumule les types de comportements et d'atti­tudes susceptibles de conférer une mauvaise ou une bonne réputation aux filles et aux garçons dans différents contextes d'interactions sociales (dans la famille, dans le quartier, à l'école). Le groupe était constitué de seize adolescents qui participent depuis plusieurs années à ce projet théâtral (15-18 ans, 12 filles, 4 garçons).

Le tableau de la page suivante récapitule les résultats:

1. Trois systèmes de contraintes qui s'exercent particulièrement sur les jeunes filles

Parmi lcs multiples normes de comportement énoncées dans les entretiens individuels et dans la série d'entretiens collectifs, il est possible de distinguer trois ensembles normatifs récurrents qui apparaissent, pour la majorité des jeunes filles interrogées, comme des systèmes de contraintes qui s'exercent spécifiquement sur elles:

<!Ile contrôle des relations sociales et des 501-­

ties, CI l'affectation aux tâches domestiques, <!Ile contrôle social des tenues vestimentaires.

Dans ce contexte, différents modcs de contrôle social' se juxtaposent : injonctions parentales, attentes de la famille élal"gie, de la communauté, du voisinage, la réputation de «fille facile», l'intimida­tion par les garçons, etc. Ce contrôle s'exel"ce plus ou moins fortement en fonction des situations individuelles.

1.1. Le contrôle des relations sociales et des sorties

Le contrôle des l"elations sociales est la contrainte qui s'exerce le plus SUl" les jeunes filles : ainsi, dans le tableau de la page pl"écédente, à propos de la bonne réputation des filles dans la famille, dix­huit propositions concernent les relations contre trois propositions seulement SUl" les tenues vesti­

mentaires. Les récits des jeunes filles convergent SUl" le fait

qu'au sein de nombl"euses familles, leurs sorties et relations extra-familiales et extra-scolaires font l'objet d'une surveillance plus pointue que celles de leUl"S fl"ères :

Par exemple, moi j'ai des grands f,-ères, et eux, quand ils /"entrent à la maison, ils ont le cboix soit de faire leurs devoirs, soit de sortil; on leur impose pas de faire des cboses [. . .]. Il pose son sac et il sort, tandis que nous, les filles, tnêtne si on veut faire nos devoirs, la nUl1nan elle va dire "d'abord ilfaut que tufasses ça» [les tâcbes domestiques].

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Qu'est ce qui fait qu'une fille a bonne réputation?

Qu'est ce qui fait qu'une fille a mauvaise réputation?

Qu'est ce qui fait qu'un garçon a bonne réputation'

Qu'est ce qui fait qu'un garçon a mauvaise réputation?

Qu'est ce qui fait la bonne réputation des filles et des garçons?

Qu'est ce qui fait la mauvaise réputation des filles et des garçons?

TOTAL

Dans ta famille Dans ton quartier

44 propositions 19 propositions .. Sorties et relations .. Sorties et relations sociales limitées (18) sociales limitées (12) .. Tâches domestiques .. Présence dans et familiales (9) la famille (4) .. Scolarité sérieuse (6) .. Tenues vestimentaires .. Ne pas fumer ne pas (3) boire (3)

.. Tenues vestimentaires convenables (3)

32 propositions 25 propositions .. Sorties nombreuses .. Sorties nombreuses et «mauvaises et «mauvaises fréquentations" (18) fréquentations» (15) .. Tenues .. Tenues vestimentaires "provocantes" (5) « provocantes» (7) .. fumer, boire, .. Adopte des «mauvaises manières» comportements (4) masculins (3)

5 propositions isolées 12 propositions .. se faire respecter (3) .. ne pas montrer ses sentiments envers les filles (3) .«faire des conneries» (2) .. tenue vestimentaire (2)

4 propositions isolées

6 propositions isolées 10 propositions .. se faire respecter (3) .. ne pas chercher des "problèmes" (3)

10 propositions 6 propositions isolées isolées

97 propositions 76 propositions

les conditions de vie des femmes et des jeunes filles dans les Quartiers en politique de la ville

À l'école, du point À l'école, du point Total de vue des élèves de vue des adultes

(profs, CPE, assistants d'éducation, etc,)

63

8 propositions 65 @«mauvaises fréquentations» (6) .. tenues «provocantes» (2)

9 propositions 3 propositions: 29 .. chahuter profs respecter la discipline et camarades scolaire de classe (7) .. tenue vestimentaire à la mode (2)

3 propositions: 7 respect de la discipline scolaire

9 propositions 23 propositions 48 .. faire partie .. respect de la d'un groupe (4) discipline scolaire (11) .. répondre aux profs .. bons résultats (4) (2) .. travail régulier (4) .. 2 propositions isolées

7 propositions 16 propositions 39 .. dèche-prof" (4) .. refus discipline .. trop bons résultats scolaire (8) (2) .. pas de travail (3)

@tenues «inadaptées» (2)

36 propositions 42 propositions 251

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Les conditions de vie des femmes et des jeunes fiUes dans les Quartiers en politique de la ville

Moi personnellement si je rentre à minuit, une heure, mes parents ils ne diront rien, Pal' contre, ma petite sœut; si elle fait pareil, c'est mort, (un adolescent),

Les jeunes filles [sont} protégées une à deux fois plus que les garçons, Une fille, depuis l'école primaire, si elle sort plus de deu,,, beures de la maison, le père ou la mère se pose la question: «où se trouve la fille ?",

~Francbenlent, n'loi, ça nz'est arrivé que lues parents ils appellent la police pane que j'étais arrivée en retard, ils m'ont cbercbée partout!

C'est aussi le père qui veut garder sa fille à la maison pour contrôlel: Ma cousine et mes cou· sins, donc ses petits Ji'ères, un Cl 14 ans, il sort comme il veut alors que ma cousine quand elle veut so/'t#; on lui demande avec qui, où"'

Lorsque les filles sortent, ce qui est quand même fréquent, les relations mixtes, quelles qu'elles soient, sont marquées du sceau de la sus· picion, La majorité des adolescentes rencontrées déclarent que, dans leur quartier, l'évitement des garçons est préférable,

Bab ouais les familles elles parlent entre elles, elles vont dire «bab tiens j'ai vu ton enfant là ou là", je sais pas, il suffit qu'il y ait une famille qui voit lajme d'une amie et qui la voit avec un garçon, bab ils vont le dire" bab tiens j'ai vu tafille avec un garçon" et après ça parle, ça pat'le, ça parle,

On a rajouté une pbrase : "Une fille faisant partie d'une bande de garçons dans un quar· tier est mal considérée Elle est souvent considé· rée comme une fille facile, une "racaille" ",

- Moi,je trouve que ce n'est pas parce qu'une fille traîne avec des garçons qu'elle est une fille facile, - Oui, enfin elle a plus de cbance qu'on dise des trucs SUl' elle que si elle traîne qu'avec des filles,

L Le contrôle social, c'est l'ensemble des moyeJls symboliques et matériels dont dispose une société l'OUI' s'assurer la relative conformité de ses membres à des règles prescrites el sanctionnées

- Moi,je ne suis pas d'accord avec ça mais la réalité est comme ça. - Ouais, les gens qui parleront, ils diront que c'est une grosse pute qui traîne qu'avec des gars, c'est pas dalls le gmupe qu'on va parler d'elle, c'est dans l'entourage, et en plus, c'est le télépbone arabe, ça se déforme, - Une fille qui traîne qu'avec des garçons, vous êtes d'accord avec moi que les gars ils vont se dire y a moyen d'y allel:

Ben je prends un exemple, la religion musul· mane, une fille qui sort avec un garçon, ça ne le fait pas, Ben les parents, c'est pas qu'ils sont tel· lement cl fond dans la religion, mais ils suivent ce qu'elle dit en gms, et ils veulent transmettre ça cl leur enftmt et ils savent pertinemment que sortir avec un garçon ce n'est pas bien, tu vas avoir des t'elations amoureuses avant le mariage, c'est pas bien non plus, c'est peutcêtre aussi une peur de montrer à leurs jJarents qu'ils ne font pas ce qu'ils ont dit ou ce qu'ils ontIait eux-Inêmes,

De fait,les suspicions qui s'expriment à l'égard des filles contraignent autant les garçons puis· qu'dles empêchent la mixité, Mais, pour les gal" çons qui dérogent à la règle, les qualificatifs sont beaucoup moins humiliants, Il semble que le «quartien> surveille cie plus près les filles et que la réputation de la f.lmille entière peut dépendre de l'attitude cie sa tille,

Les jeunes ont donc des difficultés à entretenir des relations sociales mixtes, L'homosociabilité peut entraîner des crispations, Danid Wetzer·Lang décrit et analyse ce phénomène de crispation viri· liste :«Dans les quartiers, on assiste sans doute à un problème de "crispation viriliste", La virilité, comme attribut cie tous les hommes, en tant que représentants individuels et collectifs du groupe des dominants, peut conduire en effet à des "sur· signes" de virilité, lorsque l'homme se sent menacé clans sa virilité [chômage]", La domination mascu· line peut ainsi être amplifiée par ces "sursignes" qui se traduisent pal' un sexiSlue particulièretuent marqué çontre les femmes et contre les hommes efféminés, [",],,, Notons ici que le sexisme n'est pas propre aux quartiers populaires' ; néanmoins,

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la mixité fait l'objet de divers évitements, car toute relation mixte peut être connotée sexuellement et susceptible d'engendrer des l'Umeurs de filles faciles.

La fréquentation d'adolescents issus d'autres milieux socioculturels (que la différence soit envi­sagée en termes de nationalité, de «race)" de re1i~ gion, de culture) tllÎt également l'objet de diverses réticences, à plus forte raison lorsqu'il s'agit de relations mixtes.

En effet, le contrôle des relations s'étend parfois aux relations électives (amies/copines), les parents demandant à leurs filles de fréquenter des jeunes issues de leur communauté.

Ils [les parents turcs] jJensent que les Français permettent aux enfants de sortir quand ils veulent, de porter ce qu'ils veulent, de sortir avec des garçons ...

Pane qu'ils sont en France et qu'ils voient que les filles d'ici elles vivent différemment, ils ont trop peur que je sois influencée ou, .. Bab ouais, !nais en mêrne telnjJs, c'est un risque, quoi,

Lorsqu'il s'agit des relations amoureuses, les choses se compliquent d'autant plus,

1.2. Les relations amoureuses et le choix du conjoint

Les relations amoureuses sont décrites générale­ment comme tabous dans le quartier, Dans les entretiens, le tabou est justifié brièvement par des préceptes culturels et religieux.

Dans certaines familles, les relations sexuelles prénuptiales sont interdites, Les récits des adoles­centes invoquent encore des justifications reli­gieuses, ou dites ({culturelles».

Pour la fille, c'est vrai que la virginité c'est t,'ès important".

On a rajouté une pbrase :" Une fille qui CI eu des rapports avant le mariage est considérée comme une fille sale ".

" En fait ça dépend de la religion de la pel' sonne, si elle a beaucoup d'importance,

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" 11>10i personnellement dans notre cas les musulmans, la religion elle a beaucoup d'importance, même trop, alors une fille quand elle a un rapport sexuel aVec un gm' çon avant le mariage, c'est fini, elle n·a jJlus de rapports avec les parents, surtout le père. " En fait c'est pas que la religion musuZ­nUlne.

" Oui, JI en a cl cause de la religion y en a qui peuvent aller jusqu'cl la rupture,je connais des personnes comme ça.

Le contrôle social qui s'exerce sur le territoire fonctionne également un peu comme clans les vil­lages ou les microsociétés, Une relation amoureuse vécue dans le quartier est donc exposée aux com­mentaires, aux critiques, aux fantaslnes et fabula­tions, La fille qui s'expose ainsi peut hériter de tous les qualificatifs possibles de la fille facile, tandis que le garçon sera au pire victime de quelques railleries,

La relation amoureuse est souvent cachée à la famille:

Ça dépend aussi de la religion ou l'origine culturelle. Ben disons que par rappol-t cl la famille y en a qui ne veulent pas forcément se montrer avec leur copine ou leur copain, pour le respect quoi, ça poulTait être mal vu,

· Ben enfin quand même on voit souvent des Noirs avec des Blancbes et d'ailleurs ça ln' énerve. · Pourquoi ? " Ouais y a des Blancbes elles veulent tou­jours sortir qu'avec des Noirs. · Oui mais si les filles elles sortent avec un gars c'est pas forcément qu'elles sont attirées par lui physiquement, moi je trouve pas que les filles elles sortent qu'avec des Noirs, mais c'est vrai que j'ai des copains qui me disent pourquoi vous sortez toujours avec des Noirs, c'est la mode, tu ne peux pas t'ester avec des Blancs? l"j. · Même les filles, quand par exemple on voit

1. "Si 11,9% des chômeuses sont effectivement battnes par kir conjoint, 8,7% des femmes cadres le sont également~, in Femmes Rebelles, Le Monde dijJlomatique, mai 2003, p. 6.

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une Blanche sortir avec un Noir et ben les filles noires regardent mal, parce qu'elles sont jalouses, c'est leur propriété. - Un jour y a un monsieul; un Zaïrois, illne parlait comme ça et il me dit tu as un copain, je lui dit oui, il me demande si c'est un Blanc, je lui dis oui et il me dit "pourquoi nos jeunes sœurs africaines sortent avec des Blancs ?», je lui dis ben y a pas de jJropriété, on ne doit !Jas ajJpartenir à telle religion, à telle personne.

Dans ces conditions, le choL'i{ du ({ petit copain», du compagnon, du fiancé et a fortiori du futur conjoint, est parfois décrit comme singulièrement restreint, tandis que d'autres témoignages décrivent des unions mixtes qui font l'objet de diverses négo­ciations, Dans certains cas, il s'agit de savoir COlUpo­

sel' avec les différents interdits culturels et religieux qui s'exercent souvent au sein des familles,

Ouais, par rapport à un mec qui sort avec une fille qu'est pas de la même religion ]Jar exemple, et bah je sais pas pourquoi ça dérange, mais ça dérange. Ben moi le fait de pas pouvoir sortir avec quelqu'un d'une autre religion, moi, ça me gêne. Le fait de sortir avec quelqu'un qui n'est pas de la même religion, et que ça dérange, et hen moi ça me gêne, vous avez compris ce que je veux dire?

En fait ce qui est bizClITe, c'est que nous nos parents c'est un couple mixte, ma grand-mère ne voulait pas qu'ils se marient, ils l'ont fait quand même mais maintenant mon père je crois qu'il ne voudrait pas que je me marie avec un Renoi ... c'est ça qui est bizarre.

Moi, ma grande sœU1; elle est avec an Antillais et elle a demandé deuxfois à ma mère si elle peut l'épouser et ma mère elle a dit non, même s'il est gentil. Parce que ma mère elle le connaît comme ayant été avec plusieurs femmes, il a déjà deux enfants à côté donc elle ne veut pas POUl' ça aussi. Et j'ai aussi ma sœur qui est avec un Tunisien, mon père il est d'ac­cord, mais il aurait préféré avec un ivlamcain, mais mon frère lui, il est avec une Sénégalaise et ils ont un enfant. Enfin moi mes parents c'est

Mamcain surtout parce que mon père quand il a su que sa fille était avec un Tunisien il a dit oui, mais il a dit cl ma mère qu'il aurait préféré que ça soit avec un Mamcain.

Une fille qui se mt:l1'ie avec un homme qui n'est pas de religion musulmane, ça pose un pmblème. Y a une fille qui s'est mariée l'année dernière avec un Français et elle est partie de sa famille. Dans la religion, l'homme Cl le dmit de se lnarier avec une non musultnane tnais il faut qu'elle ait une religion.

Maisje pense qu'il y a aussi des familles fran­çaises qui ont peul' que lem' fille se marie avec un étrange/: Dans l'Islam, c'est pas un racisme, jJa/'ce que l'bomme il peut amener sa femme à devenir musulmane, mais je pense que c'est parce que c'est dur quand on n'a pas la même culture, déjà le mariage c'est dU1; mais là, c'est pas facile. Moi mon frère il s'est marié avec une Française, mais ils souffrent tous les deux, c'est pas la même cultu/Y!, il faut que l'un il s'adapte cl l'autre.

Certaines situations peuvent même conduire les familles à arranger des mariages pour échapper à

une mixité culturelle perçue comme dangereuse.

Il Y a la peur et la méjtt:mce dans les quartiers vis-à-vis des autres familles. Ce qui est proposé ClUX enfants: le repli communautaÎ1Y! : «Je n'au­torise pas mon enfant à s'épanouir ici, à se construire un avenir ici, je fais tout pou/' qu'ils se m-arient avec une cousine, un cousin en Turquie».

C'est un mec qui disait "ouais ma sœur elle se 1nariera avec un Rebeu», Parce il est d'origine algérien il dit "elle se mariera avec un Rebeu, parce qu'il y a pas question qu'elle se marie avec un Français ou un Renoλ, ou n'ilnjJorte quoi alors je lui ai dit "mais c'est à ta sœur de choisir», il dit «non»,

Les récits portant sur les mariages arrangés font légion.

Parfois, le mariage contraint est la conséquence de promesses faites au sein de la famille de donner

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sa fille à tel et tel cousin. Cette promesse est liée à des jeux d'alliance entre familles mais aussi à ,des raisons éconotniques. Le mariage avec un hOlllnle

du pays d'origine permet de le faire venir en France et pal' conséquent de lui permettre d'aug­menter son niveau de vie et celui de sa famille l'es­tée au pays. Un certain nombre d'études mettent en évidence une augmentation du nombre de mariages arrangés depuis que le regroupement familial est pratiquement la seule voie légale d'im­migration. I.e fait que dans certaines régions du monde, par exemple le Moyen Atlas au Maroc, l'ar­gent qui provient de l'émigration soit vital, parti­cipe à la pression exercée sur les jeunes filles. JI faut donc prendre en compte le contexte écono­mique et juridique pour comprendre ces mariages.

Les adolescentes relatent le mariage contraint de leurs proches du quartier, camarades de classe, récits de mariage au pays d'origine, de jeunes filles qui apprennent là-bas qu'elles étaient "promises» :

Au Mali, ouais, c'était une fille qui a été pro­mise, c'était son père, dès qu'elle est née, elle a été pmmise, comme c'était sa première fille, à son frère il a dit "écoute vOilà,je te donnerai ma première fille» et voilà, il y a un an, elle est arri­vée au bled, ils l'ont un peu forcée à accepter les fiançailles et comme une dingue, comme une te­bê, - etfai Ji:tit la même - , elle a voulu y J'etour­nerpendant les vacances de dêcembre, là, et elle a été tncl1'iée.

Elle a été une fois où elle a tout appris ce qui s'était jJassé, elle a été obligée de dire oui, pour les papiers, pour pouvoir J'everul; elle a dû coopérer pour pas être bloquée, et je sais pas, elle avait trop conjïance, comme une conne, ils lui ont dit tu retournes en décembre, elle a dit oui, elle voulait, parce que c'est son pays, et elle aimait bien, mais quand elle est revenue, elle était trautnatisée, et nioi, la tnênze.

Ben moi, je vois des filles de mon quartier d'avant,je les vois elles sont déjà mariées alors qu'il y a deux ans, on faisait des conneries ensemble et maintenant elles sont mariées parce que leur parents les ont promises, fmn­cbement je trouve ça aberrant.

les conditions de vie des femmes et des jeunes filles dans les quartiers en politique de !a ville

Les mariages forcés sont pal'fois relatés en tennes de punition, venant sanctionner des rup­tures scolaires ou des comportements qui inquiè­tent les parents.

Si une fille elle commence à partil- en zigzag, c'est sûr que son père il va vouloir la mariel:

En fait, ce qu'il s'est passé c'est qu'il y a un soir où j'ai fait le mur et ils s'en sont rendus compte. C'est vmi que je vivais déjà ma petite vie,jefaisais un peu tout, mais tout en cachette. Quand ifs se sont aperçus ce soir là que j'avais Ji:tit le mm; ils ont pris une décision, ils ont décidé comme ça, qu'ils allaient me marier avant que ce soit la catastrojJbe, avant que ... Je me rappelle, j'avais smjJris une conversation, j'étais rentrée et j'avais sU11Jris une conversa­tion où ils disaient «( oui, 1nais qui voudra d'elle? Faut vraiment pas qu'on laisse le temps passel; nin-nin-nin, sinon elle va faire pire, déjà qu'elle a fait le mm; si ça se trouve elle est déjà plus vierge, donc on va la marier4 .. ]'

Dans notre cité, t'arrêtes l'école, il y a des musulmans, dans deux ans ils te trouvent un lnari,

Les conséquences de ces mariages forcés - qu'ils aboutissent ou non - sont lourdes: sortie du sys­tème scolaire, 1'llpture familiale, placement des jeunes filles dans des institutions éducatives, trau­matisme des jeunes filles mariées contre leur gré.

Je connais des jïlles ... Yen a qui savent pas quoiji:tire ... Une copine, dans ma classe (15 ans) elle avait des bons résultats. En Turquie (cet été) ils l'ont mariée. Maintenant, elle a des mauvaises notes, les profs savent pas pourquoi. Le mari est venu, ils sont cbez les parents de la jllle. Elle savait pas, elle croyait qu'elle pClrtait en vacances.

Et pourquoi elle Cl de mauvaises notes? Son père a dit "c'est ton mari qui va tra­

vailler et rapporter de l'argent». POl/1' eux une femme ça ne rapporte pas d'argent. Quand elle aura 16 ans elle va arrêter [l'école].

Pour lesfamilles africaines, j'arrive des fois à faire annuler le mariage forcé et que la fille revienne à la maison alors que pourlesfemmes

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Les conditions de vie des femmes et des jeunes filles dans les quartiers en politique de la vil!e

maghrébines ça n'est pas possible, si le mariage est annulé, la fille ne rentre pas à la maison, elle va aller dans des institutions,

J'ai été choquée de voir que mes parents ils étaient comme ça, en fait, Parce qu'ils m'avaient tellement donné d'amou1; tellement de,,, ils avaient tellement voulu que je sois une fille ins­t,'uite et tout ça que pour moi, euh, l'idée de me marier elle était bannie, cette idée-là, c'était mort d'avance, je disais à tout le monde «mes parents, ils sont pas comme ça",

Les jeunes filles sont souvent contraintes dans le choix de leur conjoint à différents degrés : de l'union préférentielle négociée au mariage forcé,

1.3. Le contrôle social des tenues vesthnentaÏTes

Le contrôle social qui s'exerce sur les tenues ves­timentaires fonctionne un peu comme celui qui s'exerce sUl' les relations de genre, La tenue vesti­mentaire est bien sûr très codée mais, pour les filles, ce code renvoie encore à des qualificatifs d'ordre sexuel.

Les tenues vestimentaires peuvent être consi~ dérées comme aguichantes (décolletés, jupes, habits <iscnés}»)

Une fille habillée avec des vêtements assez courts est considérée comme une fille facile, C'est vrai, parce que même moi quand je vois une fille habillée assez court, je dirais c'est une fille facile parce qu'elle se montre alors elle cherche quelque chose alors que ce n'est pas obligatoire­ment ça ; mais même nous, les filles, on pense ça,

Moi je trouve que les filles elies n'ont pas les mêmes droits, elles n'ont pas le droit de sorti!; de s'habiller comme elles veulent (,,]. Tu mets une jupe très courte, ton père il va te dire "va te changer tout de suite",

Moi, pas avec une jupe, mais avec un petit haut décolleté, moi ça m'est déjà arrivé de le retirer parce que je n'ai pas envie d'être embê­tée ou d'être mal vue, donc je me change.je me

dis ça fait trop bien et comme c'est trop trop bien et ben je vais l'enlevel:

Bah, m'habiller comme Je veux, je dis pas comme une extravagante ou quoi mais)' a des choses que je voudmis mettre que je peux pas mettre,

Ouais moi je suis pas d'accord avec ça, qu'une fille, mais si c'est en êté ou n'imjJorte quand, il suffit qu'elle soit seule et il suffit qu'elle ait, je sais pas même pas une mini-jupe, une jupe qui va jusque-là, avec un petit débar­dem; soit on se fait embête,; soit c'est des phmses euh ... agressives.

En général, la manière de passer inaperçue est liée à une tenue vestitllentaire <<lleutre)" «a­sexuée »,Mais certains discours révèlent parfois des injonctions paradoxales pour des adolescentes par les garçons du même àge du type «montre toi/cache toÏ».

Bab c'était mardi de quatre à cinq on est resté un peu entre nous dehors en tnlÎn de discuter et en ftdt y a une fille qui êtait assise et qui parlait avec un garçon et on était trois filles et le gCl1'S il était tout seul, et elle lui a fetmé sa bouche, elle lui a dit «vous maintenant les garçons si on voit pas le string qui dépasse du pantalon, où si on est pas", si on s'habille pas serré, pour vous, vous nous regardez même pas, quoi mais quand on s'habille comme ça, vous nous tmitez de putes et quand on s'habille correctement vous nous trai­tez de putes alors dites moi ce que vous voulez, comment il ft/ut qu'on s'habille,,,

Par exemple, y a ell une présentation cl la mairie, elles ont cbanté, les frères ont trouvé qu'elles étaient pas habillées assez féminines, c'est, c'était à devenir schizophrène! Le truc" il fallait pas qu'elles montrent leurs formes, dOllc ça fait des filles qui sont habillées un peu jog­ging, puis tout d'un coup, tiens", elles sont pas assez fénzinines ! Donc, elles sont un peu ballot­tées entre", c'est comme l'histoire du foulard, aujourd'hui c'est bien de mettre le foulard, y Cl

quelque temjJs c'était pas bien, "comment ça va se gérer?

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lvloi j'attends de voi/: .. j'espère ne pas les voit; d'ailleurs, apjHl1'Ctitl'e ... mais JI a des modes, des tendances ...

Cette ambiguïté des garçons adolescents pro­vient de leur propre difficulté à se situer entre deux systèmes normatifs divergents. Entre l'atti­rance pour la fille «sexy» telle qu'elle apparaît dans les médias et des représentations de la fille respec­table véhiculée dans les familles.

1.4. L'affectation aux tâches domestiques

Les jeunes filles interrogées remettent d'autant plus en question leur affectation aux tâches domestiques que ces dernières sont inégalement réparties entre les genres.

On a choisi la phmse «une Jïlle doit aider à

la maison alors que les garçons ne font rien", ça on est d'accord, parce que c'est la vérité. Nous on doit faire le ménage, faire la vaisselle avant de sortir alors que le garçon il ne fait "ien du tout. Ça a encore un rapport avec la culture. La fille c'est elle qui devient maman et qui doit savoir faire toutes les tâches

Phrase 19 «mle ftlle doit aider à la maison alors que les garçons ne font rien", ça je suis tout à fait d'acconl et ça me tue, ça m'énerve.

.. Oui, mais ça ça ne changera pas, ça restera comme ça. .. Non, ça dépendra de nous, à nous de don· ner une autre éducation.

Pm' exemPle, mon oncle à chaque fois, il dit à ma cousine fait ci fait ça, moi quand je suis chez eux je ne dis rien parce que ça a toujours été comme ça et je ne peux ,-ien changer cl la place de SOn père, mais ma cousine, des fois, elle n'en peut plus parce qu'elle en avait marre de faire tout pour ses frères. Les seuls moments de répit c'est quand elle est avec ses copines.

Ouais mais faut dire que dans toutes les familles, la mère, c'est tout le temps les femmes qui travaillent. Mon frère, jamais tu le verras débarrasser la ta ble

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D'autres insistent sur la contrainte que les tâches domestiques font peser sur leur possibilité de réussite scolaire. Le temps manque pour le tra­vail scolaire et la privation de sortie peut aussi conduire à investir l'école comme le lieu du diver­tissement.

Au début on [moi et mes copines] avait de grosses difficultés cl l'école; quand on rentntit à la maison, jJarce qu'on est des filles, c'était pas d'abord aux devoirs, c'était d'abord y'a ça cl faire ... ménage, manger pour les petits, ça jJer­turbait notre scolarité ... On n'avait pas le droit de sortir alors on rattrapait ça sur l'école.

Je connais d'autres échecs scolaires jJane que les filles doivent s'occuper des frères et sœurs, faire li m.anget; des fois tout en 1nême temps.

Les jeunes filles sont ainsi cantonnées plus faci­lement à la maison. La reproduction des rôles de genre est nlaintcnue en apparence, ou du moins c'est la volonté des hommes: aux femmes les affaires domestiques, la sphère du privé et aux hommes les re1~tions sociales, la sphère publique.

2. « Elles ne veulent pas ressembler il maman li la relation mère/fille

Dans la plupart des récits individuels, des jeunes filles nées en France de parents migrants parlent de leur mère. Les mères immigrées elles-mêmes relatent leur parcours migratoire et leur arrivée en France (originaires de l'Afrique de l'Ouest, de l'Afrique centrale, du Maghreb, de Turquie ou clu sous-continent indien). Il ressort que les femmes qui ont des relations sociales limitées sont généra­lement des migrantes provenant de zones rurales, ne parlant pas ou peu le français et non diplômées.

C'est avec ces nlères, peu en contact avec la société française, que les jeunes filles rencontrent le plus de difficultés surtout au moment cie l'ado­lescence.

Ces femmes proviennent d'un milieu où les nonnes, les repères sont très différents des quaI'-

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Les conditions de vie des femmes et des jeunes filles dans les Quartiers en politique de !a ville

tiers en politique de la ville. La «société française» qu'elles découvrent par le biais de ces quartiers est une société multiculturelle marginalisée. La forte dimension pluriculturelle de ces quartiers ajoutée à la précarité sociale rendent l'adaptation com­plexe et diversifiée, car elle touche à l'éducation, à la culture héritée, aux croyances profondes, à l'in­time, aux hahitus. Il fam découvrir de nouveaux systèmes culturels et sociaux qui remettent néces­sairement en cause les repères hérités de leur enfance.

Les jeunes filles se comparent souvent à lems mères. Les positions qu'elle adoptent face au contrôle social peuvent remettre en question celui qui s'exerce sur leur 111ère, situation peu confor­tahle. La relation à la mère peut donc représenter tout à la fois une ressource et une contrainte sup­plémentaire.

Lorsque la mère n'a pas développé de contact avec la société, l'écart se creuse avec sa fille entraî­nant parfois des ruptures dans la communication et un rejet. Par exemple, pour une mère qui a peu accès à des sources de gratification, le mariage arrangé de sa fille peut lui apporter une l'econ­naissance au sein de la conllnunauté,

Quand la jeune fille se positionne en réaction par rapport au modèle maternel, c'est une position difficile à tenir car culpabilisante, mais c'est dans certains cas une ressource, lorsque le dialogue est encore possible.

Dans tnon entourage, quand je vois une femme bien intég1'ée dans la société, à l'aise et tout qui sait ce qui se passe, JI a pas beaucoup de problèmes avec ses gosses, JI a pas beaucoup de problèmes de délinquance dans la famille. Plus la femme est enfermée, plus elle reste chez elle, elle ne sait pas ce qui se passe, comment ça se passe au lycée ou au collège, elle ne sait pas comment répondre à ses enfants surtout quand ils sont ados où c'est jJClsfacile et ben là, on Cl un problème dans la famille.

['.J Oui, si elle reste à l'intérieur et les enftmts à l'extériem; il n'y Cl pas de contacts, elle ne connaît rien, elle ne peut pas discuter avec ses enfants sur ce qui se passe et en jJlus ils peuvent te raconter n'importe quoi, en plus les enfants ils savent jJlein de cboses, donc la mère elle se

sent diminuée par rapport aux enfants et ça c'est pas bien, c'est là où on perd notre rôle de parent et ou l'enfant prend le dessus. Faut tra­vailler sur la femme parce que je pense que la mère elle porte beaucoup.

Pour autant,l'isolelnent de la 11lère, son fi1anque de maîtrise de la langue française rendent la tîlle d'autant plus indispensable. Elle va régler les pro­blèmes administratifs et être le lien avec l'exté­deu!'.

Dans ce cadre il est difficile à la jeune fille de s'extraire clu giron familial sans laisser ses parents démunis.

Il,faut que les filles arrivent à ne plus culpa­biliser {.J. Les parents se reposent beaucoup plus sur les filles {.J, elle on l'appelle pour régler les problèmes.

La mère a peu de contacts, elle compte sur sa fille. Elle a pris volontiers des cours d'alphabéti­sation, elle a dû arrêter parce qu'il n 'y avait plus de place. Avec l'émigration, les rôles chan­gent, elle dit à sa fille «tu es ma Jïlle, ma copine, ma sceU1; mon mari... H. Sa fille dit qu'elle a un /Jeu créé la situation, , sa mère aime bien que des gens, les amis de ses enftl1lts viennent, elle est très demandeuse ...

Parce qu'elle aime sa maman, elle ne veut pas mettre sa maman entre elle et son papa. Parce que c'est elle qui accomjJagne sa maman à l'hôpital, c'est elle qui fait les papiers admi­nistrcttifs, c'est elle qui fait tout.

Si elles n'ont jJas réussi à l'école, dans le cercle communautaire ce n'est pas évident de dire j'ai choisi un autre chemin .. .Il JI Cl beau­coup plus de contrôle des jeunes filles. Elles sont en tension avec leurs mères qui font tout pour qu'elles restent. Les mères disent avoir réussi et qu'est ce qu'elles ont réussi : c'est l'enfermement de leurs fille!

Peu de nos jeunes interlocutrices savaient les raisons de la migration familiale. De plus, les mères racontent peu leur vie au pays d'origine. Ces rup­tures dans la transmission n'aident pas les filles

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Ils m'ont pas expliqué comment ils sont venus, tout ce que je sats c'est que quand ils sont venus ils ont hahité ct M" que ma mère, comme elle a jamais été ct l'école, elle savait pas parler le français, comme elle était jamais sortie de sa cambrousse algérienne, et bah, elle connaissait pas", elle savait pas ce que c'était de sortir et de parler avec les gens et de faire connaissance avec eLL'I; et comme elle avait des préjugés sur les Français elle a toujours eu peur d'eux, elle connaissait que mon père et au lieu de s'impo­ser et de dire moi j'ai envie de travaillel; j'ai envie de sorti1; elle l'écoutait, Il lui disait «han, je ramène l'argent cl la maison", il lui a jamais dit" travaille pas! ni11rnin-nin" mais il voulait pas trop, tu vois, il venait d'épouser une jeune vierge, il voulait pas qu'elle sorte, Mais bon je suis sûre qu'elle se serait un petit peu imposée, et bah il l'aurait laissée,

je leur raconte cette histoire pour qu'elles comprennent que leurs mamans, il faut imaglC

ner leurs histoires, des fois elles n'ont connu que votre père et comment voulez-vous qu'elles com­prennent votre attitude maintenant? VéL poser la question à ta mère, quand elle était jeune comment c'était,

Une femme musulmane a grandi comme ça, avec sa mère, elle fait pareil avec sa fille,

Ce que j'aimerais bien", ce que j'aimerais bien ce serait de remonter le temps, faire que 'I-na 1nère, jJarce que .. , ouais, faire que InCl 1nère

ait été cl l'école, qu'elle sache parler français, qu'elle soit bien instruite et tout ça, qu'elle sache pat'lel; quoi, Qu'elle comprenne, parce que ma mère elle est béte, enfin elle est bête, mais parce qu'elle Cl pas été à l'école, clonc elle peut pas vraiment réfléchir là-dessus, je ferais que mon père il soit un peu plus ouvert, c'est-ct-dire qu'il reste", c'est bizewre,,, parce que ça change­rait tout sur la vie d'aujourd'lJui, ça ferait que ma mère elle serait plus attentive, Plus compré­hensive, qu'elle saurait me parlel; qu'elle saumit me conseille/: Mon père c'est pareil, tu vois, il serait moins obtus, moins fermé, il comprendrait plein de choses et ça aurait aussi changé leur éducation sur moi, parce qu'il m'aurait pas

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interdit plein de choses quand j'étais petite, il m'aurait donné beaucoup ]Jlus de liberté, il m'aurait aidé à la maison, ils aumient pas eu besoin d'avoi!' recours cl l'association Dessine moi un mouton pour me faire aider par une dame de l'extérieU/; ils m'aumient aidé cl faire mes devoirs, Et, voilà, et j'aurais voulu que ma mère elle ait une jeunesse parce que comme ça elle aurait compris ce que moi je vis maintenant, Parce que mon père, cette jeunesse, je suis sûre qu'il l'a eu, mon père euh .. .je sais tl'ès bien, enfin, il est comme tout le monde, il est comme tous les garçons,j'aurais... voilà, eL qu'est ce que j'aurais jJu changer aussi? ouais, iL, me comprel1dn;lient, tout ce que je veux, c'est que mes parents ils me comjJrennent, ça changerait plein de choses,

L'analyse des discours révèle que le contrôle social qui s'exerce sur les jeunes filles dans la sphère privée, est comparable à celui qui s'exerce sur les mères et est justifié par l'héritage des (icontraintes traditionnelles»,

Ici, quand les gens rentrent en France, ils sont rentrés avec leurs idées,

Dans Un pays africain [si une femme est trop dénudée], on aura des regards, des jugements par rapport à la religion, mais aussi cl la cou­tume, parce qu'on n'est pas obligé de se couvrir la tête }Jar exemple, mais on est obligé de s'ba­biller de manière décente pour ne pas provoquer les hommes, parce que pour eux, ça jJrovoque,

Cbez nous, les femmes elles jJarlent pas comme ça avec les hommes voyez.

Il )' a des femmes qui veulent continuer à vivre comme là bas (en Inde), c'est le mari qui s'occupe de tout, lafemme s'occupe de la maison

L'expression des contraintes traditionnelles révèle des constantes:

-la virginité avant le mariage, -les tenues vestimentaires et attitudes conformes aux comportements socialement achnis) -l'évitement des hommes extérieurs à la fiunille,

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- l'homosociabilité et l'endosociabilité favori­sées, - l'assignation à des rôles et des fonctions spé­cifiques aux femmes.

Les propos sont souvent globalisants: un «chez nous» qui reflètent une forte intériorisation des stéréotypes issus de la société d'accueil et/ou une intériorisation des stigmates par les parents des cités,

En même temps, des distinctions internes sont souvent répétées et on observe une tendance, pour les populations présentes depuis plus long­temps à relativiser des contraintes héritées des cul­tures d'origine et à reporter sur les autres cultures (plus récentes en France) des stigmates qui pèsent sur les immigrés en général.

Pour les femmes, c'est essentiellement les maris qui exercent le contrôle. Ils peuvent avoir tendance à le renforcer, puisqu'ils se sentent les seuls garants d'un contrôle qui pouvait être porté par la société dans son ensemble dans leur pays d'origine.

En contexte migratoire, l'extérieur est parfois perçu comme dangereux.

Pa1:tois le mari Cl peur que la femme apprenne trop ses droits et se révolte contre le mari.

Par exemple il y a des femmes que les maris ne laissent pas sortir c'est une coutume ils disent la femme ne doit pas sOl-til; ne doit lXIS travailler donc ils essaient de garder les cou­tumes de leurs pays.

3. le!; stratégies des femmes et des jeunes filles face à des systèmes normatifs contraignants

Dans les quartiers décrits par nos interlocutrices, différents systèmes normatifs coexistent.

Il faut rappeler la diversité culturelle des familles habitant ces quartiers. Les jeunes filles ont à se posi­tionner dans des contextes sociaux régis par des systèmes normatifs différents (culture familiale, confession œligieuse, normes du groupe de pairs

du quartier, des camarades de classe, etc.) décrits bien souvent dans leurs discours comme des règles naturelles et immuables (on compte de nombreux propos globalisants sur la «culture d'origine», la « religion», la «loi du quartien} j la {< culture française}») etc.). Les normes sociales régulant les comporte­ments féminins sont par conséquent hautement variables, et les différents systèmes normatifs tan­tôt convergents, tantôt divergents. Il faut noter éga­Iement que ces différents systèmes normatifs sont en mutation, du fait de leurs interactions.

Les divergences peuvent provoquer de pro­fondes tensions dans certaines situations indivi­duelles comme elles peuvent faire l'objet de diverses recompositions et négociations intercul­turelles.

Bab c'est bizarre, parce que depuis toute petite, si, j'ai pratiqué, la prière, je me suis jcnnais vraitnent sentie appelée, on va dire, n'lais j'ai toujours, je me suis toujours dit «un joUI; je la ferai", «ttn jour je serais une bonne musul­mane", parce que, quoiqu'on puisse dire, c'est un truc, quand t'as été baignée dedans, t'es toute petite, moi j'ai baigné dedans depuis que je suis toute petite, mes parents je les ai vus faire la prière tous les jours, 5 fois parjoUl; plusieurs fois par jour je les entendais dire un invocation, et depuis que t'es toute petite tes lXl1'ents ils te met­tent ça dans le aâne, donc tJI crois, t'y cJ'Oi,~ moi je peux te dire que j'y crois dur comme fel; et je peux te dire que quand je fais, quand je vis à côté ma vie, bab y Cl desfois oùj'ai des remords, où je me dis, fnmcbement je culpabilise un truc de ouf et je me prends la tête, et faut pas croire, mais on y pense, on JI pense et on se dit, ouais bab je suis dans le mauvais cbemin et un jourje m- JI remettrais, quoi, tnêlne si voilà, je suis contente de vivre ma vie, quoi, tu sais je suis pas vraiment libérée parce que j'V pense et je me dis «bab, je jàls mal « et, tu sais, le poids de la reli­gion, c'est super important, parce que tu sais, clans le truc, tu vas en enfer si t'agis mal, et cle vivre en te disant «je vais cramer en enjer"

Jvloi je suis pour la bonne intégration, parce que moi je suis pour les mCÎnes. Quand on s'in­tègre, c'est pas pour ça qu'on perd ses mcines et son éducation de base. Quand la femme elle sait

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s'intégre/; son intégration apporte du bien à toute sa famille, même au mari, je pense que ça ne cause pas beaucoup de problèmes. [. . .] Donc si la femme elle sait se comporte/; je pense ques­tion habit et tout, les hommes ils laissent leurs femmes sorti!:

À l'intersection de ces systèmes normatifs, se dégagent des règles normatives convergentes rela­tives aux relations sociales, aux attitudes sociale~ ment admises pour les femmes, aux fonctions qu'elles doivent assumer dans la sphère domes­tique et familiale, à leurs tenues vestimentaires.

Les différents systèmes normatifs en interac­tion ayant tous des fondelnents patriarcaux, il n'est pas étonnant qu'ils convergent dans les fonctions et les rôles attribués aux femmes.

La réputation des jeunes filles des quartiers est un système syncrétique qui s'élabore à partir des düférentes normes culturelles en présence et qui «tient» ensemble les membres de la famille, de la cOffilnunauté intenuédiaire, du quartier.

Dans ce contexte, un certain nombre de normes sont remises en question par une propor­tion considérable des femmes et des jeunes filles et clairement identifiées comme des contraintes s'exerçant exclusivement sur elles, quelle que soit leur culture d'origine (contrôle social des relations et des sorties, affectation aux tâches domestiques, contrôle social des tenues vestimentaires).

Dans les enu'etiens, l'exercice du contrôle social est prioritairement imputé aux «autres)) : les parents, la famille élargie, «la comnlunauté)}, la rtuneur, la <doi du quartier)), les grands frères, les garçons, les autres cOlnll1unautés, etc.

Des fols tu as des mecs qui disent" t'as jJas le droit de faire ça c'est marqué dans le Coran, ils inventent des trucs quoi. "

Si après, quand ça [la rumeur] revient ml.'\: oreilles des parents, ils jJeuvent se dire, «oula, si on dit que ma Jïlle elle sort trop, c'est qu'elle com­mence à avoir mauvaise réputation, qu'est ce qui se passe ?" Bt après remettre les points sur les i.

Je lui ai dit attention les grands frères ils sont pas là que poU!' dire «rentre ou fais pas ci fais pas ça", ils savent quand même ce qu'il se passe dans la rue, ils savent comment eux déjà ils se com-

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jJortent et ils veulent pas que les gens se compor­tent mal ou fasse n'importe quoi avec leu,' petite sœU!; en fait c'est comme si ils te jJrotégeaient parce que les parents c'est vrai que les parents ils sont pas toujours dans la rue, ils ont pas la même mentalité qu'on a aujourd'bui, ils sont pas du tout comme nous, ils voient pas du tout ce qu'il se jJasse, donc c'est plus le gmnd frère qui sait ce

qui se jJasse dans la rue c'est lui qui est là POU1' nous gulcler mals à la maison c'est les parents, l'éducation c'est les parents, mais c'est vmi que nos grands frères ils jouent un point essentiel.

En réalité, tous les acteurs participent à la repro­duction et à la transformation de ces modes de contrôle social, les filles et les femmes elles-mêmes.

Même moi quand je vois une fille babillée assez court, je dirais c'est une fille facile parce qu'elle se montre alors elle chercbe quelque cbose alors que ce n'est pas obligatoirement ça ; mals même nous, les filles, on pense ça.

- On essaye de défendre que, quand on est habillé trop bien, c'est pas parce qu'on est pute, mais si toi, quand tu te regardes dans la glace, tu te clis que ça fait pute et ben on n'est pas Satti

de l'auberge.

Elles sont bloquées elles-mêmes. Je vous dis fmncbement, la femme quand elle n'est jJas blo­quée elle-même, je pense que le mari, c'est pas un problème, moi, je suis convaincue de ça.

N'oublions pas que cbaque femme, cbaque jeune fille a des degrés d'adbésion ou de mjet divers face à ces systèmes normatifs.

Si l'on parle d'émancipation elles feront comme ma mè1'e qui clit en colère "mais qu'est ce qu'elles veulent de Plus?"

Je connais N, quoi, elle a mon âge, on se connaît depuis qu'on est toute petite, et en gmn­dissant moi j'ai cboisi d'alle,; enfin de connaître, enfin de tmîner avec mes ... enfin les autres, quoi, les Françaises, et elle, elle a choisi de rester avec ses sœurs ... et voilà, donc on s'est .... Quand il 112 'est arrivé toutes ces choses [sanctions des parents!, elle, elle était d'accord

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les conditions de vie des femmes et des jeunes filles dans les Quartiers en politique de la ville

avec ce qu'il m'arrivait, Dans sa tête, c'était "bien fait" , c'était "il faut que ça lui arrive pour qu'elle comprenne qu'elle est dans le mau­vais chemin" et je me suis éloigné [d'elle].

Face à ces diverses contraintes et à ces diffé­rents modes de contrôle social, les femmes et les jeunes filles qne nous avons rencontrées dévelop­pent des stratégies diverses,

Le contournement est une stratégie qui peut se déployer si les femmes disposent d'une relative liberté de déplacement, Cette stratégie repose aussi sur la faculté individuelle à compartimenter son identité Cà savoir la capacité à se conformer à des systèmes normatifs différents en fonction des contextes), Par exemple, de nombreuses jeunes filles évitent les garçons du quartier et vont entre­tenir des relations mixtes ailleurs, ce qui leur per­met cl' entretenir une bonne réputation au sein de la famille et du quartier et d'adopter un tout autre comportement dans d'autres contextes,

- Non mais je connais personne dans mon quartie/; enfin eux ils me connaissent, mais moi je les connais pas, je les calcule pas, - C'est une protection de connaître personne dans le quartier? - Ouais, c'est bien ça, - De calculer personne, ouais c'est une pro-tection - Comme ça, ils peuvent se faire des films comme ils veulent, Comme ça tu les connais pas, même si ils parlent t'en as rien à foutm, tu les connais pas

Je les fréquente Plus [les jeunes de sa ,'ési­dence], et je préfère même tirer un trait sur tous les gens qui habitent là-bas parce que c'est tous un petit peu la même mentalité, pm'ce que c'est un peu toutes des commères, voilà, même les garçons, c'est .. voilà, (]Jour eux,je suis] da mau­vaise fille" et, non, non, je connais tout le monde mais je parle cl personne,

Le contournement peut prendre aussi la forme du mensonge, de la cachntterie ou du détourne­ment,

{ .. .} kloi, ma mère quand je suis allée en

boîte, je ne lui ai pas dit,j'ai dit que j'allais chez une copine,

y en a des relations amoureuses, mais pas dans leur qum'tie,; c'est caché,

L'affrontement est la stratégie qui est utilisée lorsque les négociations sont impossibles, quand les différentes normes qui contraignent l'individu lui semblent incompatibles, quand l'individu considère que le contournement et la comparti­mentation nuisent à son intégrité et mettent en danger son identité,

Dans les sociétés pluriculturelles, le désir de conformité d'un individu à un système normatif particulier C qu'il soit celui du groupe majoritaire ou d'une minorité) peut devenir tellement saillant qu'il implique nécessairement un rejet des autres systèmes normatifs considérés dès lors comme concurrents.

L'affrontement peut certes engeudrer des rup­uu'es familiales temporaires ou définitives ou des stratégies de repli identitaire reposant sur un rejet affirmé des normes et valeurs de la société d'ac­cueil, En revanche, en bousculant les normes impo­sées, il participe également au changement culturel et engendre cie nouvelles formes de négo­ciation inter-culturelles,

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© Joss Dray· Permis de Vivre la Ville

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Les conditions de vie des femmes et des jeunes filles dans les quartiers en politique de la ville

Soutenir l'accès il l'emploi

Validation des acquis d'expérience

Les femmes que nous avons rencontrées ont des compétences qu'elles ont acquises soit dans leur pays d'origine, soit en France (qu'i! s'agisse d'ac­tivités déclarées ou non, dans le secteur de l'aide aux personnes, par exemple, ou dans le secteur associatif, en tant que salariées ou en tant que bénévoles). Le développement des dispositifs de validation des acquis de l'expérience et des bilans de compétence nous semble par­ticulièrement important pour ces femmes. La reconnaissance de compétences réelles mais non sanctionnées par un diplôme ou une experlence professionnelle nous semble incontournable pour redonner à ces femmes la confiance nécessaire pour développer un projet professionnel.

Développer et coordonner l'offre d'alphabétisation

I:offre d'alphabétisation et d'apprentissage du français est bien en deçà des demandes, tant en termes quantitatifs que qualitatifs. Une offre plus diversifiée est souhaitée. Elle devrait prendre en compte les différents besoins : socialisation, apprentissage du français, per.rectionncment et professionnalisation.

Pouvoir suivre une fonnation adaptée au niveau de français et bénéficier d'un suivi individualisé sont pour les femmes rencontrées deux véritables ressources en vue d'une insertion professionnelle. Mais]' offre de formation en français est souvent trop homogène et le suivi individualisé demeure rare et plutôt réservée aux femmes qui travaillent déjà.

Proposer des formations qualifiantes

Les femmes sont très demandeuses de formations qualifiantes, ce qui répond à une attente du mar­ché du travai!, notamment dans des secteurs défi­citaires en main d'œuvre (par exemple, aide aux personnes, transport, restauration, bâtitncnt).

Aujourd'hui, sur le département, les formations qualifiantes ouvertes à ces fe111Ines sont très rares et en constante diminution. Elles impliquent sou­vent des déplacements (par exemple, pour les femmes cles Ulis qui doivent se rendre à Evry). Un organisme d'accompagnement vers l'emploi tel que Ulis Formation Ressources nous a fait part de son incapacité à proposer une professionnalisa· tion à l'issue des cours d'alphabétisation.

Élargir l'éventail de choix des métiers

Dans le contexte d'un moncle du travail de plus en plus spécialisé et cloisonné, 80 % des tra­vailleurs pauvres sont des femmes, 80 % des sala­riés à temps partiel sont des femmes. Les femmes des quartiers en politique de la ville sont orien­tées de manière préférentielle vers des emplois précaires, à temps incomplet, dans des filières féminisées. Il nous semble indispensable cl' élargir l'éventail du choix des métiers, notamment dans certains secteurs traditionnellement plus mascu­lins ou dans lesquels les lemmes sont rares.

Multiplier des rencontres au cours des­quelles des femmes déjà embauchées dans ces secteurs puissent témoigner, répondre aux questions des femmes en l'echerche d'emploi afin d'élargir le champ des pos­sibles et de susciter de nouvelles vocations nous apparaît comme une ressource à exploiter lal'gement. D'aborcl parce que c'est principalement la division sexuée du travail qui fige les relations cie genre et cantonne souvcnt les femmes aux rôles secondaircs, aux tâches subal­ternes, aux bas salaires et participe ainsi à la repro~ <luction de la domination masculine. Ensuite parce que certaines expériences d'accès des felU­mes dans des secteurs masculinisés se sont l'évélées particulièrement fécondes (clans le domaine cie la sécurité, par exemple).

Par ailleurs de nombreuses femmes sont inté­ressées par la création de micro-entreprises, 220 femmes se sont ainsi rendues à une réunion organisée sur ce thème à Évry. Mais ces démarches de création d'entreprise sont éminemment com­plexes pour ces femmes et il n'existe pas de forme juridique satisfaisante pour l'entrepreneuriat col-

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lectif De notre point de vue, des démarches qui peuveut pour une part s'inscrire dans l'éco­nomie solidaire mériteraient un accompa­gnement politique et institutionnel plus important.

Faciliter l'accès au droit du travail

De nombreuses violations graves du droit du tra­vail nous ont été relatées, à partir des situations vécues par les fenunes : fiches de paie falsifiées (pas de verSClnent des cotisations sociales), salaires payés à la tâche (huit heures travaillées quoti­diennement pour trois heures payées), accidents du travail non déclarés en tant que tels, discrimi­nations à l'embauche, inégalités salariales, etc.

Tous les dispositifs susceptibles d'infor­mer ces femmes de leurs droits et des recours possibles en cas d'infraction au droit du travail doivent être mis en oeuvre. Des efforts particuliers doivent être déployés en direction des femmes qui ne savent pas ou peu lire.

Lutter contre la discrimination à l'embauche

I:existence de ces discriminations n'est plus à prouver. La récente étude menée par l'Obser­vatoire des cHscritninations de l'université Paris 1 pour une société de travail temporaire (envoi de faux CV pour des offres de chargés de clientèle, un seul critère étant modifié à chaque fois) sou­ligne les critères faisant l'objet de fortes discrimi­nations, notamtuent le sexe, le patronynlc, le lieu de résidence. Dans les entretiens que nous avons réalisés, les sentiments d'humiliation et d'injus­tice sont prégnants. Ces discriminations fai­sant souvent l'objet de dénégations, il est nécessaire que les institutions qui se sont déjà engagées dans la reconnaissance et la dénonciation de ces discritninations pour­suivent ce processus et encouragent les autres institutions dans ce mouvement (l'ins­titution scolaire, par exemple, demeure relative­ment muette à ce sujet).

Les conditions de vie des femmes et des jeunes filles dans !es Quartiers en politique de la ville

Si le récent plan local de lutte contre les discriminations à l'embauche (le plan de lutte contre les discriminations d'accès à l'emploi des habitants des quartiers prioritaires de Corbeil­Essonnes et de la communauté cl'agglomération d'Évry Centre Essonne) peut soutenir les jeunes filles diplômées issues de ces quar­tiers, d'autres actions sont à itnaginer pour soutenir les femmes plus âgées, mOÎlls qua­lifiées. La formation-action et la journée d'infor­mation et de réflexion proposées récemment par le Centre de Ressources Politique de la Ville en Essonne ont permis à différents acteurs institu­tionnels et associatifs du département de partager un constat et de mutualiser les différentes métho­des de lutte contre les discriminations.

Dans ce domaine, il nous semble que tout dis­positif reposant sur un accompagnement Îlldividualisé peut être fécond (tutorats, patTai­nages, suivis individualisés) tant pour les deman­deuses d'emploi que pour les entreprises. Le recours au CV aveugle nous paraît particulière­ment intéressant car il replace au coeur de l'em­bauche la seule question digne d'être posée par un employeur, à savoir celle de la com­pétence.

Plus largement, les discriminations se fonclent sur des stéréotypes péjoratifs, des stigmates, des fantasmes attachés à nos systèmes de représenta­tions de l'altérité. À notre sens, toute opération de lutte contre les discriminations ne peut faiœ l'éco­nomie d'une réflexion en profondeur sur ces représentations de l'altérité, sur les processus cie catégorisation ethnique des groupes de migrant et d'ethnicisation des rapports sociaux. Si la lutte contre les discriminations dispose aujour­d'hui d'un arsenal juridique pour sanction­ner ces pratiques condamnables, nous pensons qu'il est tout aussi nécessaire de déployet· un programme pédagogique ambi­tieux afin de déconstruire le système de représentations de l'altérité sur lequel les discrinlinations reposent.

En conclusion, des groupes d'échange d'expériences autour de la question de l'em­ploi et des formations peuvent être vecteurs d'information sur les métiers, sur les droits

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du travail et relayer les dispositifs de lutte contre les discri1ninations.

Rappelons aussi que ces femmes sont pour la plupart en situation de grande précarité écono­mique, il importe donc de rémunérer les for­mations, de faciliter notamment par la gratuité la garde des ent,mts, y compris pendant les groupes d'échanges d'expériences, Sans ces différentes mesures, les femmes les plus précaires seront de fait dans l'impossibilité d'y participer,

Favoriser la réussite scolaire et développer les relations avec l'école

Développer l'offre de soutien et d'entraide scolaire

De nombreux parents ne sont pas en mesure d'ai­der les enfants pour les devoirs, Des associations soutiennent les enfants dans leur scolarité, Elles peuvent également apporter aux parents un éclai­rage à la fois dans la compréhension des codes de l'Éducation nationale et dans les orientations, et pour cela travailler en synergie avec les média­trices scolaires, Nous avons vu que, à l'occa­sion de ces temps d'aide aux devoirs, les enfants peuvent nouer une relation privilé. giée avec un adulte significatif, ce qui est Wle ressource en matière de réussite scolaire. Ajoutons également que ces espaces, qu'ils soient au sein des établissements ou à l'extérieur, sont des lieux de mixité et de relations intergénét'ationnelles, ce dont manquent beaucoup les jeunes.

Accroître et renforcer les dispositifs de médiation scolaire

Le tf'avail de médiation scolaire est compliqué et demande beaucoup de temps, Les médiatrices veulent intervenir en amont des échecs et des exclusions et aider à construire un rap-

port positif entre l'école et les parents. Elles doivent pour cela favoriser des temps de rencontre parents/institutions dégagés des enjeux individuels. Elles peuvent aussi contri­buer à rééquilibrer les pouvoirs en apportant aux parents des éléments de connaissance, en créant des liens entre les parents, en organisant des espaces où les parents - et particulièrement les mères - peuvent émettre un point de vue, Elles effectuent aussi un travail d'élucidation sur les incompréhensions lllutuelles qui résultent des relations interculturelles,

Au vu des enjeux et de la nécessité de multi­plier les liens entre les établissement et les familles et cI'accroître la capacité des parents à intervenir dans la scolarité de leurs enfants, il paraît essentiel de soutenir et de renforcer les dispositifs de média­tion scolaire,

Ouvrir l'école aux parents

Au-delà de la médiation scolaire, il semble impor­tant de renforcer toutes les actions qui peuvent permettre d'ouvrir les établissemcnts scolaires aux parents, Ainsi, les expériences cie cours d'al­phabétisation et les formations organisées pour eux au sein cie l'Éclucation nationale sont inté­ressantes, Par ailleurs, tout dispositif suscep­tible de permettre aux parents de transmettre leurs savoirs et leurs expé­riences à l'école (langue maternelle, histoire clu pays cl' origine, parcours migratoire, modes cl' édu­cation, culture du pays cI'origine) participerait à leur reconnaissance,

Lors de la restitution orale cie la recherche­action auprès cles groupes concernés, nous avons abordé le problème de l'absence cie rept-ésentants cles parents cI'élèves clans les établissements sco­laires situés en ZEP, Dans ce contexte, certains conseils de classe et conseils de discipline ont lieu en l'absence d'tIU membre incontournable de la communauté éducative et les délégués des élèves ne «font pas le poids" face aux chefs d' établisse­ment et aux enseignants, Les femmes présentes lors de la restitution ont souligné la nécessité d'encourager davantage la représentation des parents d'élèves de ces quartiers afin de leur permettre d'exercer un véritable

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.contre-pouvoir» (selon leurs termes) face aux représentants de l'institution scolaire.

Accompagner les exclusions et les sanctions

Les exclusions sont au cœur des préoccupations des parent~ ; lorsque le jeune a 16 ans, il est très difficile de trouver un lieu où il puisse continuer ses études.Après quelques années d'interruption, les jeunes peuvent aussi souhaiter reprendre des études. Or les familles sont très démunies pour trouver des solutions dans ces situations. Les femmes soulignent l'intérêt que représentent des dispositifs du type école de la deuxiéme chance ou classe passerelle.

Les jeunes qui s'orientent vers des f01'mations en alternance peuvent également hénéficier d'un accompagnement pour trouver un patron (cet accompagnement peut prendre la forme d'un par­rainage, d'un tutorat, etc). En effet, faute de terrain de stage, les jeunes peuvent être contraints d'arrê­ter leurs études.

Présenter davantage les orientations et les f'illères

Pour permettre d'élargir les choix professionnels des jeunes filles et permettre aux parents de se repérer dans le laby"inthe des ftlières ,il existe un besoin important de développer des rencontres ou des manifestations de type carrefour des métiers, journées portes ouvertes des écoles et des universités. Il nous semble également intéres­sant d'inviter dans les établissements de jeunes professionnels susceptibles de raconter leurs par­cours singuliers, des voies les plus « classiques}) aux cheminements les plus sinueux, afin d'élargir le champ des possibles.

Organiser des groupes sur les échanges de pratiques et les analyses d'expérience

Certains établissements mettent en place des démarches intéressantes, par exemple un disposi­tif (les « cOllunissions de conciliation)} initiées par

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Génération Femmes), dont l'objectif est d'éviter les conseils de discipline. Il est important que ces initiatives soit identifiées, évaluées, communiquées, que des rencontres interéta­blissements sur des thématiques différentes puis­sent être organisées.

Développer l'accès aux pratiques artistiques, la pédagogie par projet et les interventions en milieu scolaire

Les pratiques artistiques, les projets élaborés en classe - outre le fait que ce soient des moyens de valoriser les jeunes à la marge des matières scolaires habituelles - sont aussi des vecteurs de constl'Uction identitaire qui peuvent prendre appui sur la connaissance et la reconnaissance des cultures des familles de migrants. Le projet "Art Ethno" proposé depuis plusieurs années par l'Agence culturelle et technique de l'Essonne (Acte 91) est particulièrement fécond. Ce projet participe à la reconnaissance de la diversité cul­turelle, à la reconnaissance des parents et peut constituer une base de travail sur les liens inter­générationnels. Les mères peuvent étre sollicitées pour témoigner, accompagner de tels projets.

Favoriser l'intégration des femmes dans une société pluriculturelle

Donner la parole aux femmes, favoriser les espaces d'expression

Il faut sortir de la communication à sens unique avec les femmes, faite cl'injonctions et de conseils, et respecter le droit des ces femmes à l'expression d'une pensée personnelle.

Les femmes des quartiers en politique de la ville sont souvent les destinataires de nombreux dispo­sitifs. Parfois, les associations ou services sociaux s'accaparent ce public et s'expriment à sa place. L'intégration de ces femmes ne passera que par un accès beaucoup plus large à des lieux d'expression dans l'espace public. Cela contribuera aussi à la cohésion sociale, le lien

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social pouvant être pensé comme un lien de parole.

Une expérience comme celle menée à Évry - montage d'un documentaire sur les femmes avec les femmes, documentaire présenté ensuite au Festival de femmes de Créteil - est une bonne illus­tration des actions qui peuvent être menées en la tuatièl'e.

Favoriser la connaissance réciproque des cultures

Il s'agit de soutenir la formation du person­nel des institutions (ANPE, Éducation natio­nale, PMI, etc.) à la sociologie des relations Interculturelles, Il paraît important que ces pro­fessionnels identifient les enjeux de l'intégration des populations étrangères et cernent le rôle joué par les institutions dans le processus d'intégra­tion notamment des femmes immigrées.

Dans ce domaine, il nous semble important de développer toutes les formes possibles de média­tion interculturelle (les formations en ethnopsy­chologie et en ethnopsychiatrie, par exemple, sont souvent cl 'un grand recours pour les travailleurs sociaux) et, parmi elles, mobiliser la vulgarisation des savoirs et des méthodes ethnographiques et anthropologiques afin de f.tvoriser la connaissance réciproque des cultures humaines et de faire reconnaître leur égale dignité,

Enf'l1l, cette étude a mis en évidence des thématiques qui nous sembleraient intéres­santes à approfondir : • Comment se passe la rencontre des femmes primo-arrivantes avec les PMI, sachant que pour nombre d'entre elles c'est le premier et le seul contact avec la société d'accueil ? • Quels sont les enjeux liés à cette relation? • Sur quels sujets se fondent les échanges? @ Est-ce que cet espace fonctionne comme un espace de transition? @ Quelles sont les questions soulevées par la situa­tion d'interculturalité ?

Ces questionnements peuvent s'appliquer à d'atlt1'es administrations ou associations en charge de l'accueil des étranger (SSAE, ONU, etc.).

Que peut-on dire des spécificités des modes d'adaptation des femmes issues de courants migra­toires plus récents: les femmes turques, kurdes, les femmes indiennes ( Pondichéq) et sri-lankaises, les Roumaines, etc" ? Ces femmes sont très peu connues par les associations et institutions locales. Au plan national, peu d'études ont été réalisées à ce jour sur leurs conditions de vie en France.

Une étude portant spécifiquement sur les dif­férents modes de recomposition iclentitaire et cul­turelle des jeunes des quartiers s'avérerait intéressante pour mieux saisir leurs conséquences sur les relations de genre.

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Mauvaise femme

les conditions de vie des femmes et des jeunes filles dans les quartiers en politique de la viHe

Les mauvaises femmes n'écoutent jamais l'avis de personne,

Vont où bon leur semble,

Rient aux éclats

Et crient à tue-tête,

Les mauvaises femmes sèment la pagaille

Les mauvaises femmes se lèvent tard,

Se couchent tard,

Et quand tout le monde va à droite, elles vont à gauche.

Elles embrassent qui leur plaît,

Bourrent de coups de pied qui leur déplaît,

Ne respectent aucune règle.

Les gens leur crachent au visage,

Les gens leur pissent dans le dos,

Les gens les fuient,

Les gens bien, les gens comme il faut.

Les mauvaises femmes foncent droit devant,

Elles ne craignent pas la tempête avant d'affronter l'océan.

J'ai terriblement envie d'être une mauvaise femme.

Taslima Nasreen, 2003

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Notes personnelles

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Quelles carrières professionnelles se cons­truisent les femmes des quartiers prioritaires en politique de la ville? Quelles difficultés rencon­trent:.elles pour accéder àLjn emploi stable?

Comment se struct4re~tJesj"e1ations entre les adolesce,ntsde1l9se~ré~3:éC;;?P1~ent les jeunes filles des banliel.les>~'~icJ1~~~?tnt-elles des espaces de négOciati9he~;~'~Cfi~ll;lation face aux attentes parndoXaleSd(~JelJ~~~.lfil'~'ide leurs parents, de leurs enseignant~,de$açteurs de terrain?

Comment les femmes migrantes parvien­nent-elles à composer des espaces de recon­naissance clans une société qui peine à assumer véritablement sa dimension multicultllrelle ?

Quels modes de contrôle social et quelles contraintes s'exercent spécifiquement sur les femmes cles quartiers populaires? Quelles stra­tégies individuelles et collectives déploient­elles pour s'en affranchir?

Toutes ces.quest1ons ont surgi des groupes de femmes imPliquées clans la recherche-action

i.men,ée conjointement par cieux cabinets --i.d'~tl.lcles, Tessiture .et Integr'action, et des

·a.cieursde terrain, Génération Femmes, La !l;taii!~!1;p()ùrtousdeSAmonts,r:Œil du CyClone, Pe~~sti<.lYivre la· Ville,. La Voix des Jeunes, GéJ1~tat~oRII,~pal'tir d'objectifs commlillS :

~ d9!1;J1et(l'f!pa.~,?le anx intéressées et en assu­mer l:oüte~!Ë«,itJxl?liell.~iOllS;

• constM:!lr~'~J1~Spi'eederéflexion pour que celles qùité~t4el1t'~W7ti'y<lillent dans les quar­tiers prioritairesplli$$eÎJtté,l110igner de leurs parcours respectifs'?' .

• émettre des hypothl~ses,c:()l1l.fr()nt:el'Jel,/.tis.~ cie vue, formuler desfifop:O!.Sjt~Qjl1'> •. cl'.~~

• sortir d'une Io,glqlue d.e'ViC1:lh dissimuler les in(~galit<~s S'JClo;e~C(m les inégalités de genre, en s'iJt1t(~t~~ss sources sur lesquelles des quartiers, en décrivant les stt'até$t~ déploient face aux contraint!es.Cli.œ"qt~l s'exercent sur elles.

Le rapport fmal cie cette re(:hetclle,:tÇ1;ii conçu comme un dialogue., cussions collectives et des .el1ltPetl\;ftl~:lt cluels. Quatre thèmes ma!je~lr.s 011W';I1l'to

l'emploi des fenunes des q~:~~~~~N:~~~~~~~'1ssr;. de reconnaissance de ces fi scolaires des jeunes filles, le contl,ôl!eS.oci;u.:q s'exerce spécifiquement sur elles dans dif(€-.····· rents contextes d'interactions sociales ..

Les résultats de cette étude viennent modi­fier ou invalider les représentations victimi­santes des femmes et des jeunes filles qui vivent dans ces quartiers.

Ils soulignent l'importance et la pluralité des ressources construites et mobilisées par ces femmes.

Ils laissent aussi entrevoir combien l'intégra­tion sociale, économique et culturelle des femmes est liée à des politiques et à cles dyna­miques locales .

Tarif aclhérent : 10 euros Tarif nOI1 aclhérent : 40 euros

FIL INFO DOC

E-mail: cr.vi

Tél.: 0164970607 [email protected]

Pour nous écrire Centre de Ressources Politique de la Ville en Essonne

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