Les comptes du CE et la responsabilité des élus · Concernant la gestion des CE, la...

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Les Cahiers Lamy du CE n° 100 - Janvier 2011 27 Éclairage par Yannick Lechevalier, expert-comptable, commissaire aux comptes et Xavier Huault- Dupuy, expert-comptable, commissaire aux comptes Les comptes du CE et la responsabilité des élus Concernant la gestion des CE, la responsabilité des élus peut être engagée collectivement ou individuellement. L’expert-comptable, en charge d’une mission contractuelle, doit informer les élus et le bureau du CE des risques attachés à leurs fonctions. Le compte rendu de gestion « À la fin de chaque année, le comité d’entreprise fait un compte rendu détaillé de sa gestion financière » (C. trav., art. R. 2323-37). Aucune forme de présentation n’est imposée, seul le montant des ressources et des dépenses des budgets, fonctionnement et ASC, doit être indiqué. Cependant les textes ont été rédigés afin de garantir la bonne utilisation des subventions. Le CE reçoit un mandat de bonne gestion des fonds et doit rendre des comptes sur leur utilisation. Il s’agit d’une obligation du CE en tant que personne morale garante de la bonne gestion des fonds ; cette obligation étant ensuite déléguée aux différents responsables élus au bureau ou aux responsables de commissions. Il est primordial pour les élus et surtout pour les membres du bureau de mettre en place l’organisation comptable sus- ceptible de limiter leur responsabilité. La seule comptabilité de trésorerie n’est pas le meilleur outil d’information et de limitation des risques et ne constitue pas la meilleure garantie des élus car elle n’est pas exhaustive. Il est donc recommandé d’arrêter les comptes du CE en « engagements », ce qui permettra d’intégrer les reliquats de subventions, de provi- sionner les dépenses dues et les produits restant à encaisser. Les comptes en fin de mandat Le comité sortant doit rendre compte de sa gestion et remettre « tous les documents concernant l’administration et l’activité du comité » aux nouveaux élus (C. trav., art. R. 2323-38). Il est important pour les nouveaux élus de ne pas valider les comptes du CE sans en avoir une connaissance approfondie. À notre avis, le « quitus des comptes » ne doit être donné par le nouveau CE qu’après analyse des documents, voire même un audit des comptes et des engagements repris par la LE CONTRÔLE DES COMPTES DU CE Les comptes annuels du CE L’obligation de séparer les budgets Une séparation doit être respectée entre l’utilisation de la subvention de fonctionnement et celle des Activités Sociales et Culturelles (ASC) (C. trav., art. R. 2323-37). Il ne peut y avoir de compensation entre ces budgets. Le CE doit donc établir deux comptabilités distinctes. Concernant la subvention de fonctionnement, la Cour de cassation indique qu’elle « est destinée à assurer les frais de secrétariat, les frais de fonctionnement à dominante économique et technologique propres au comité d’entre- prise et à lui permettre (…) de se faire assister d’un expert comptable en vue de l’examen des comptes annuels ainsi que de financer la formation économique de ses membres » (Cass. crim., 16 oct. 1997, n° 96-86.231). Quant au budget des ASC, il doit être destiné aux activités sociales et culturelles. Toutefois, les CE imputent parfois sur leur budget de fonc- tionnement des dépenses de cadeaux de « communication » ou des frais de gestion liés à des activités sociales. À notre avis, ces dépenses doivent figurer dans le budget des ASC. Cependant, face à cette obligation, les élus posent régulière- ment cette question : quel est le risque juridique ? En cas d’intention délibérée et de véritable détournement, une confusion des budgets pourrait être jugée comme un abus de confiance et/ou un délit d’entrave de la part des élus. Il s’agit d’infractions passibles de sanctions pénales. Des sanctions civiles visant individuellement les membres de CE pourraient être envisageables pour mauvaise gestion (Cass. soc., 12 févr. 2003, n° 00-19.341). ●●●

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Écla

irage

par

Yannick Lechevalier,expert-comptable, commissaire aux comptes

et

Xavier Huault-Dupuy,expert-comptable, commissaire aux comptes

Les comptes du CE et la responsabilité des élusConcernant la gestion des CE, la responsabilité des élus peut être engagée collectivement ou individuellement. L’expert-comptable, en charge d’une mission contractuelle, doit informer les élus et le bureau du CE des risques attachés à leurs fonctions.

Le compte rendu de gestion« À la fi n de chaque année, le comité d’entreprise fait un compte rendu détaillé de sa gestion fi nancière » (C. trav., art. R. 2323-37).Aucune forme de présentation n’est imposée, seul le montant des ressources et des dépenses des budgets, fonctionnement et ASC, doit être indiqué.Cependant les textes ont été rédigés afi n de garantir la bonne utilisation des subventions. Le CE reçoit un mandat de bonne gestion des fonds et doit rendre des comptes sur leur utilisation.Il s’agit d’une obligation du CE en tant que personne morale garante de la bonne gestion des fonds ; cette obligation étant ensuite déléguée aux différents responsables élus au bureau ou aux responsables de commissions.Il est primordial pour les élus et surtout pour les membres du bureau de mettre en place l’organisation comptable sus-ceptible de limiter leur responsabilité. La seule comptabilité de trésorerie n’est pas le meilleur outil d’information et de limitation des risques et ne constitue pas la meilleure garantie des élus car elle n’est pas exhaustive. Il est donc recommandé d’arrêter les comptes du CE en « engagements », ce qui permettra d’intégrer les reliquats de subventions, de provi-sionner les dépenses dues et les produits restant à encaisser.

Les comptes en fi n de mandatLe comité sortant doit rendre compte de sa gestion et remettre « tous les documents concernant l’administration et l’activité du comité » aux nouveaux élus (C. trav., art. R. 2323-38).Il est important pour les nouveaux élus de ne pas valider les comptes du CE sans en avoir une connaissance approfondie. À notre avis, le « quitus des comptes » ne doit être donné par le nouveau CE qu’après analyse des documents, voire même un audit des comptes et des engagements repris par la

LE CONTRÔLE DES COMPTES DU CE

Les comptes annuels du CE

L’obligation de séparer les budgetsUne séparation doit être respectée entre l’utilisation de la subvention de fonctionnement et celle des Activités Sociales et Culturelles (ASC) (C. trav., art. R. 2323-37). Il ne peut y avoir de compensation entre ces budgets. Le CE doit donc établir deux comptabilités distinctes.Concernant la subvention de fonctionnement, la Cour de cassation indique qu’elle « est destinée à assurer les frais de secrétariat, les frais de fonctionnement à dominante économique et technologique propres au comité d’entre-prise et à lui permettre (…) de se faire assister d’un expert comptable en vue de l’examen des comptes annuels ainsi que de fi nancer la formation économique de ses membres » (Cass. crim., 16 oct. 1997, n° 96-86.231). Quant au budget des ASC, il doit être destiné aux activités sociales et culturelles.Toutefois, les CE imputent parfois sur leur budget de fonc-tionnement des dépenses de cadeaux de « communication » ou des frais de gestion liés à des activités sociales. À notre avis, ces dépenses doivent fi gurer dans le budget des ASC.Cependant, face à cette obligation, les élus posent régulière-ment cette question : quel est le risque juridique ?En cas d’intention délibérée et de véritable détournement, une confusion des budgets pourrait être jugée comme un abus de confi ance et/ou un délit d’entrave de la part des élus. Il s’agit d’infractions passibles de sanctions pénales. Des sanctions civiles visant individuellement les membres de CE pourraient être envisageables pour mauvaise gestion (Cass. soc., 12 févr. 2003, n° 00-19.341). ●●●

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Un trésorier élu dont la fonction ne serait pas clairement énoncée dans un règlement intérieur pourrait voir sa res-ponsabilité réduite au détriment de celle des autres élus. Les membres du CE doivent donc déléguer très précisément leurs pouvoirs dans le cadre du RI (trésorier, responsables de com-missions…). Les élus pourront ainsi voir leur mise en cause personnelle limitée au défaut de contrôle et de surveillance.Enfi n, le silence des élus, alors même que les comptes n’ont pas été présentés, peut entraîner la mise en cause de tous les membres dès lors qu’ils n’auraient pas exigé eux-mêmes le respect des obligations légales.

Actions en responsabilitéEn matière de responsabilité, il faut distinguer la responsabilité civile de la responsabilité pénale. La responsabilité pénale sanctionne les atteintes à l’ordre social, la responsabilité civile a pour objet de réparer un préjudice par l’octroi de dommages et intérêts.La responsabilité pénale ne peut être engagée que pour des infractions défi nies par la loi alors que la responsabilité civile peut être engagée lorsque l’on cause par sa faute un dommage à autrui.La responsabilité civile est notamment engagée en cas de mélange des budgets. Les juges ont par exemple ordonné l’annulation de la délibération par laquelle le CE avait voté l’inscription de sommes « pour la défense de l’emploi » dans le budget des ASC alors qu’elles auraient dues être affectées au budget de fonctionnement (Cass. soc., 12 févr. 2003, n° 00-19.341).Les cas de responsabilité pénale les plus fréquemment rete-nus résultent du détournement de fonds qui constituera le délit pénal d’abus de confi ance et /ou le délit d’entrave au fonctionnement du CE. Ces faits concernent des fonds mis à disposition du CE et détournés de leur objet initial ; il peut s’agir de détournement de sommes d’argent ou de biens destinés aux salariés (Cass. crim., 16 oct. 1997, n° 96-86.231 ; Cass. crim., 10 mai 2005, n° 04-84.118). Le non-respect du principe de séparation du budget de fonctionnement de celui des ASC peut également constituer un délit d’entrave (Cass. crim., 4 nov. 1988, n° 87-91.705) et/ou un abus de confi ance.L’infraction de complicité peut également être relevée dès lors que les responsables du bureau et principalement le secrétaire ont eu connaissance des faits alors même qu’ils ne sont ni auteurs, ni bénéfi ciaires.Dans la gestion quotidienne des CE, les exemples les plus cou-rants que les experts-comptables rencontrent sont les suivants :– recettes en espèces détournées ;– règlements de fournisseurs à des prix au-delà des prix du marché ;– recettes de distributeurs inexistantes ;– revente de bons d’achats et bons cadeaux.

Seul le CE peut agir au pénal et porter plainte car il subit un préjudice. Le salarié de l’entreprise ou le membre élu

nouvelle équipe. Toutefois, si le nouveau CE accorde son aval à l’ancien CE, il ne se rendra pas complice si des irrégularités pénales sont découvertes par la suite.

À NOTERIl n’y pas d’obligation pour le nouveau CE d’accorder un quitus des comptes de l’ancien CE.

Affi chage des comptes

Le compte rendu de gestion doit faire l’objet d’un affi chage qui permet d’informer les salariés sur la gestion des fonds (C. trav., art. R. 2323-37).L’affi chage doit être réalisé sur les panneaux réservés aux communications syndicales, à défaut sur les panneaux d’in-formation propres au CE.

LE CAS DE LA DÉLÉGATION DE GESTION

De nombreux CE ont une politique de délégation des œuvres sociales au travers de structures diverses :– associations sportives et culturelles ;– commissions budgétairement autonomes ;– comités interentreprises ;– associations interentreprises…Les élus décident annuellement de dotations à ces orga-nismes en s’exonérant généralement de tout contrôle. Cette situation n’est pas sans conséquence sur leur responsabilité. Les risques sont importants dès lors que ces structures :– peuvent disparaître sans garantie pour le CE de revoir les fonds ;– ne permettent pas de valider la bonne utilisation des fonds ;– peuvent engager le CE au-delà de ses capacités.Quelle que soit la structure concernée, le CE doit la contrôler par la nomination d’au moins la moitié des membres représentant le CE dans les organes de direction ou au conseil d’administration (C. trav., art. R. 2323-24).Nous conseillons au bureau du CE d’annexer les comptes de ces organismes aux siens, attestant du contrôle indirect de la gestion des œuvres sociales.En cas de défaut de contrôle et d’utilisation non conforme à leur objet des fonds versés aux structures, les élus ou le bureau du CE s’exposeraient à des poursuites civiles voire pénales.

LA RESPONSABILITÉ DES ÉLUS

Les élus responsables

Hormis les rares cas de responsabilité du CE en tant que personne morale, les mises en cause en matière civile relè-vent généralement des membres du bureau.Le règlement intérieur (RI) du CE est important car il défi nit les fonctions et offi cialise les responsabilités individuelles.

ÉclairageLes comptes du CE et la responsabilité des élus

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La taxe sur la valeur ajoutée

Le CE est soumis au régime applicable aux organismes à but non lucratif sauf concernant certaines particularités (ex : régime des cantines ou mises à disposition par l’employeur de biens ou de personnes). Les CE sont exonérés de TVA dès lors que leur activité est non lucrative.Le caractère désintéressé de la gestion auquel sont subordon-nées ces exonérations doit remplir les conditions suivantes :– gestion et administration à titre bénévole par des personnes n’ayant elles-mêmes, ou par personnes interposées, aucun intérêt direct ou indirect dans les résultats de l’exploitation ;– non distribution directe ou indirecte de bénéfi ces, sous quelle que forme que ce soit, par l’organisme ;– impossibilité, pour les membres de l’organisme et leurs ayants droit, d’être déclarés attributaires d’une part quelconque de l’actif (sous réserve du droit de reprise des apports).Le CE remplit en principe ces conditions et ses activités sont pour la plupart exonérées. Lorsqu’elles ne le sont pas, elles sont soumises à la TVA.Les cantines d’entreprise sont soumises de plein droit à la TVA (CE, 27 mars 2000, n° 204227). Toutefois, lorsqu’il est fait appel à une entreprise de restauration, le prestataire extérieur peut appliquer le taux réduit de TVA sous certaines conditions.Enfi n, le Code général des impôts prévoit l’exonération de certaines prestations de service effectuées à prix coûtant sous certaines conditions.Les mises à disposition faites au profi t de CE sont neutres et n’affectent ni le prorata, ni le montant de la taxe sur les salaires de l’entreprise.

La taxe sur les salairesElle est due par les employeurs non soumis à la TVA sur la totalité de leurs activités. Le CE ne bénéfi cie pas de l’abatte-ment accordé aux associations loi 1901, aux syndicats, aux fondations reconnues d’utilité publique, aux congrégations. En revanche, pour son activité de cantine, le CE comme les autres organismes sans but lucratif, est exempté de la taxe sur les salaires à raison des rémunérations versées à son personnel.

Les autres taxesLes CE sont exonérés de taxe d’apprentissage.

Les élus doivent s’assurer du respect de leurs obligations concernant la gestion et les comptes du CE. Dans le cadre de la défi nition des fonctions et de la répartition des responsabi-lités, un règlement intérieur doit être établi et des procédures mises en places (contrôle des signatures, séparation des fonctions, bons à payer…). Quels que soient les actes réalisés par les élus et notamment par les membres du bureau, ceux-ci ne peuvent se désen-gager de leur responsabilité directe.Un inventaire précis des risques et la mise en œuvre de contrôles par les élus seront en mesure de réduire sensible-ment les conséquences des actes accomplis. ■

peut dénoncer les faits auprès du Procureur de la Répu-blique qui décidera de poursuivre les auteurs supposés de l’infraction.Au civil, le membre du CE et l’employeur en tant que pré-sident du CE peuvent agir, ceux-ci ayant un intérêt légitime.Concernant le salarié, son intérêt à agir semble moins évi-dent concernant le budget de fonctionnement, à l’inverse du budget social. Les juges ont considéré que « le détour-nement partiel de la subvention de fonctionnement du comité d’entreprise, versée par l’employeur, ne porte pas directement préjudice aux salariés » (Cass. crim., 16 oct. 1997, n° 96-86.231).

LES COMPTES DU CE ET L’URSSAF

La responsabilité des élus peut être mise en cause indirec-tement lors des contrôles de l’Urssaf.Les procédures de contrôle sont diligentées à l’encontre de l’entreprise, les services de contrôle exigeant lors de leur visite la remise des comptes du CE ainsi que les pièces justifi catives. Les agents de l’Urssaf ne s’adressent donc qu’à l’employeur et ne peuvent exiger de rencontrer le secrétaire ou le trésorier pour examiner directement les comptes du CE (Cass. soc., 24 nov. 1994, n° 92-20.508). C’est l’employeur qui seul répond aux observations du contrôleur, les responsables du CE devant être infor-més du contrôle en cours et des réponses apportées par l’entreprise. Les conséquences pécuniaires de ces contrôles peuvent se solder par d’importants redressements suscep-tibles de mettre en cause la gestion du CE. S’ils peuvent être imputables au manque d’information des responsables du CE, cela ne les exonèrent pas de leur responsabilité.En cas de redressement, l’employeur est seul responsable du paiement des cotisations et des majorations de retard afférentes. Mais il peut demander au CE le remboursement de celles-ci lorsque le comité aura été seul à l’origine de la prestation (Cass. soc., 11 mai 1988, n° 85-18.557) et si la prestation fournie ne fi gure pas dans le Code du travail, lequel fi xe une liste des ASC (Cass. soc., 13 mai 1993, n° 91-14.362 ; C. trav., art. R. 2323-20).

Le manquement de l’employeur qui ne communi-querait pas d’information au CE, alors qu’il serait concerné par le redressement, devrait l’exonérer de toute conséquence pécuniaire.

NOTRE POINT DE VUE

LES OBLIGATIONS FISCALES DU CE

Le CE est soumis à certaines taxes ; la non exécution de ces obligations déclaratives peut entraîner la responsabilité des membres du bureau et, en premier lieu, celle du secrétaire.

jean
Texte tapé à la machine
Ordre des experts-comptables région Paris Ile-de-France, www.oec-paris.fr / espace non marchand • Tél : 01 55 04 31 27