LES COMPRESSIONS BUDGÉTAIRES ET L’AVENIR DES UNIVERSITÉS · cement des nouvelles clientèles,...

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LES COMPRESSIONS BUDGÉTAIRES ET L’AVENIR DES UNIVERSITÉS Recommandation au ministre de l’Éducation novembre 1981

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LES COMPRESSIONS BUDGÉTAIRES ET L’AVENIR DES UNIVERSITÉS

Recommandation au ministre de l’Éducation novembre 1981

Recommandation adoptée à la 256° réuniondu Conseil supérieur de éducationle 27novembre 1981

ISBN 2-550-04929-2Dépôt légal: quatrième trimestre 1981Bibliothèque nationale du Québec

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Les compressions budgétaireset l’avenir des universités

Recommandation au ministre de l’Éducation,adoptée à la 256e réunion du Conseil,novembre 1981

Introduction

Le Conseil supérieur de l’éducation et saCommission de l’enseignement supérieur ont jusqu’ici orienté leurs réflexions et leurs travaux surles besoins exprimés par la population en matièred’accès aux études supérieures ou de perfectionnement et sur les actions entreprises par les universités pour répondre à ces besoins. C’est pourquoi les interventions du Conseil, ces dernièresannées, ont porté sur l’émergence d’attentes nouvelles, à la fois précises, impératives, et de plusen plus diversifiées qui découlent notamment del’augmentation rapide des clientèles et qui sollicitent l’université à assumer des fonctions multiples. Le Conseil et sa commission ont aussi ttaitéde l’aspect social du rôle des universités, desméthodes d’action pédagogique, des paramètresde la formation initiale et de la formation fondamentale et ont proposé quelques orientations.

Le dynamisme des universités, leurs possibilitésd’innovation et d’adaptation aux changementsdoivent pouvoir compter sur des ressources financières adéquates. Les efforts déployés par le gouvernement du Québec, au cours des dernièresdécennies, pour allouer à l’enseignement supérieur une part suffisante des budgets publics ontpermis l’établissement et la progression d’un réseau d’institutions en vue d’offrir les biens et lesservices que requiert le développement de la collectivité québécoise.

L’inflation galopante des coûts et le taux decroissance des dépenses par rapport au budgetglobal affecté à l’éducation et par rapport aurevenu national appellent l’exercice par les pouvoirs publics d’un contrôle plus strict sur le volume et l’utilisation des ressources allouées auxdiverses institutions d’enseignement. Les

compressions budgétaires imposées aux universités pour 1981-1982 et les règles de financementannoncées pour les trois prochaines années visentsans doute à introduire plus de rationalisationdans le développement des activités universitaires; mais, à cause de leur ampleur et dc larapidité avec laquelle elles sont appliquées, ellesrisquent de compromettre la portée des effortscollectifs consentis pour favoriser I’ac~ès aux études universitaires et la poursuite d’objectifs éducatifs, culturels et sociaux qui ne peuvent quebénéficier à l’ensemble de la société.

Dans une telle conjoncture, le Conseil ne peutignorer les répercussions des dernières compressions budgétaires annoncées par le ministre del’Education sur les activités de formation et derecherche à l’université et sur de récents projetsmis de l’avant pour répondre à de nouveauxbesoins. II ne lui appartient pas de proposer unnouveau système de financement des institutionsd’enseignement supérieur ni d’évaluer le taux de« rentabilité » des dépenses engagées ou des actions entreprises. A l’heure des choix difficiles etdes jugements de valeur ~ui s’imposent, il croitdevoir situer le problème au niveau des paramètres qui présideront à l’allocation des ressources.Ces paramètres devront favoriser l’accès aux études supérieures et permettre la réorientation etl’innovation des activités de formation et de recherche qui répondent davantage aux besoins descitoyens.

1. L’université et son financement

Le système d’allocation des ressources aux universités repose sur une méthode de calcul appelée« méthode historique ». Elle consiste essentiellement, pour une année donnée, à faire la sommedes dépenses admissibles à la subvention de l’année précédente et à l’indexer selon un taux annueld’accroissement des coûts. Ce nouveau montantest ajusté en tenant compte de la variation desclientèles. On déduit ensuite les revenus admis-

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sibles, essentiellement les frais de scolarité. Lemontant ainsi obtenu devient la subvention defonctionnement à accorder à chaque université.En outre, d’autres sommes sont ajoutées pourrépondre à des cas particuliers;

Appliqué depuis 1971-1972; ce système a prévalusans modifications importantes jusqu’en 1978.C’est alors qu’un changement majeur est intervenu, à savoir une réduction substantielle du financement des nouvelles clientèles, si bien qu’en1981-1982, celles-ci ne sont plus subventionnéesqu’à un faible pourcentage.

Les dépenses de fonctionnement des universitéssont, pour la plus grande partie, assumées grâceaux subventions de l’Etat. Ainsi, le gouvernementdu Québec accorde aux universités, pour les seules fins de leur fonctionnement en 1981-1982,820 millions de dollars auxquels s’ajoutent d’autres revenus. L’importance de cette somme traduitde façon éloquente l’effort considérable soutenupar le Québec pour développer son réseau universitaire. Cependant, ce montant de 820 millions sesitue en deçà de ce qu’aurait été la somme dessubventions si on avait reconduit la méthode decalcul utilisée jusqu’ici et si on avait maintenul’indexation au coût réel. En effet, la progressionnormale, incluant l’indexation conséquente auxdispositions des conventions collectives, aurait dûpermettre de compter sur un montant total d’environ 900 millions de dollars pour l’en~emble duréseau. Or, le gouvernement accorde un accroissement de 6,9% par rapport à l’an dernier, ce quiporte la subvention à 820 millions: d’où le manque à gagner ou « la coupure » de l’ordre de 80millions de dollars. L’ampleur de cette compression est fort lourde de conséquences. Qu’adviendra-t-il aux établissements universitaires s’ils accusent, comme cela se dessine, des déficits, parsurcroît considérables?

I. Entre O et 4% d’augmentation, les nouvelles clientèles sont subventionnées à 25%; jusqu’à 8%, elles lesont à 50%; si l’augmentation est supérieure à 8%,elles sont financées à 75%.

En termes de politique.de développement universitaire, le faible financement des nouvelles clientèles, entre autres, signifie-t-il que, pour le ministère de l’Education, l’enseignement supérieur apresque atteint sa vitesse de croisière? De toutefaçon, cette mesure de « décélération » a ouvertune brèche importante dans le plan de financement universitaire, pénalisant surtout les jeunesuniversités en expansion et des groupes de clientèles, tels les jeunes de milieu économiquementfaible et les adultes, pour lesquels les portes del’université venaient tout juste de s’ouvrir ous’ouvraient davantage.

Les montants déjà mentionnés sont, en chiffresabsolus, très importants mais ils ne disent pastout. C’est pourquoi on tente de les mettre enrapport tantôt avec le budget global du gouvernement, tantôt avec ce qu’ils étaient il y a dix ouquinze ans, ou encore avec le produit intérieurbrut. On peut aussi, comme l’a fait le ministèrede l’Education, établir des indices de comparaisonavec l’Ontario ou avec tout autre Etat pour mesurer l’effort financier relatif du Québec en vued’assurer le développement de ses universités. Ladémarche comporte un certain intérêt: elle peutaider à situer mais non pas à juger, étant donnéqu’elle néglige, entre autres, les caractéristiquespropres du réseau universitaire québécois et desinstitutions qui le composent.

Sans dénier toute signification à ce type d’analyse, on doit rester très conscient du caractèreapproximatif d’une semblable opération car on nepeut évaluer à leur juste mesure, dans des contextes peu comparables, tous les facteurs de différenciation entre les situations observées, tels le tauxd’augmentation annuelle de la population étudiante, l’insuffisance des biens et des services offertsà la clientèle... Il semble plus pertinent et plussignificatif de faire ressortir ce que traduisent lesdonnées numériques en termes de politique gouvernementale, car ce sont des indicateurs précieuxde la volonté de poursuivre certaines finalités,certains objectifs, ou d’y renoncer, de développercertains secteurs d’activités inscrits comme prioritaires jusqu’ici ou d’en réduire l’importance.

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2. Pourquoi subventionne-t-onles universités?

Traditionnellement garantes d’un savoir et d’uneculture que leur ésotérisme mettait à l’abri desinterventions séculières, les universités du 2OEsiècle et les universitaires sont de plus en plusassociés aux processus de planification et de développement mis en place par les gouvernementsmodernes. Ces derniers, sachant bien que l’avenird’une collectivité est orienté d’abord par son développement social, économique, culturel etscientifique, en ont tiré les conclusions qui s’imposent quant aux moyens à prendre pour permettre ce développement et le favoriser. De fait, lesuniversités québécoises ont joué un rôle importantdans l’essor et le progrès qu’a connus le Québecdepuis le début des années 60. Dans la mesure oùl’on souhaite des emplois plus nombreux et plusintéressants, une technologie plus avancée etmoins déshumanisante, une médecine plus alerte,des loisirs plus et mieux organisés, des cadrescompétents dans les entreprises, les politiques quisoutiennent ces mesures doivent prendre appui surles fonctions qu’assument actuellement les institutions universitaires. Celles-ci contribuent pourune part non négligeable à la « rentabilité socioéconomique », sans pour autant renier la dimension gratuite de leur démarche vers l’accès ausavoir.

On conviendra facilement que l’accession declientèles de plus en plus nombreuses ajoute auxresponsabilités de l’université en matière de formation professionnelle et de promotion collective.Depuis quelques décennies, de nouveauxconcepts, comme ceux de société éducative etd’éducation permanente, tendent à confirmer lafonction sociale de l’université, à en diversifier età en étendre le rôle traditionnellement reconnu.Des citoyens jadis exclus ou non intéressés sontdésormais inscrits à des programmes à la préparation desquels ils ont eux-mêmes participé. L’université a acquis ainsi une « rentabilité socioéconomique », en devenant l’un des promoteursles plus importants de ce mouvement d’ensemblequi rejoint le développement de la personne et laformation du citoyen. Pour les Etats modernes,

tout spécialement en Occident, subventionner lesuniversités, c’est entre autres favoriser l’éducationdes adultes et le recyclage des professionnels,c’est avant tout se donner des garanties pourl’avenir.

Depuis les années 60. le Québec vit intensémentcette double aventure de l’université à vocationsocio-économique et à vocation socio-éducative.Cependant, compte tenu de la situation préalabledu système universitaire québécois avant 1960, legouvernement a dû investir davantage pour colmater des brèches historiques dans le développement de l’enseignement supérieur. C’est ainsi quel’Etat québécois tient depuis vingt ans le pari del’université moderne, tout en maintenant deuxobjectifs prioritaires: l’accessibilité et le rattrapage.

L’accessibilité vise d’abord le retard accusé de lascolarisation. En même temps qu’on tente dehausser le pourcentage de détenteurs d’un diplôme universitaire, on s’efforce de supprimer lesobstacles historiques qui freinaient le développement de l’enseignement supérieur: barrièresd’âge, barrières géographiques, barrières économiques et sociales. Autant le Conseil se refuse àvoir dans l’accessibilité une panacée, autant iltient à en rappeler et à en faire valoir le principemême, d’autant que l’université commence à peine à offrir des services aux travailleurs, auxfemmes, mix personnes plus âgées, qui n’espéraient plus cette ouverture.

Le rattrapage s’est manifesté au Québec à deuxniveaux. Un système universitaire aussi peu modeme que celui des années 50 a dû d’abord misersur le rattrapage absolu: mettre à jour les collections de volumes, créer et moderniser les laboratoires d’enseignement et de recherche, loger lesclientèles nouvelles, remplacer les équipementspérimés, adopter la technologie de pointe. Il n’endemeure pas moins que- s’impose un rattrapagecontinu, c’est-à-dire un rattrapage qui permetteen tout temps la poursuite et le développement dusavoir. Ce rattrapage systémique et systématiquemet à profit les infrastructures et les équipements:il sollicite plus encore l’évolution des mentalités,au rythme de la croissance présente des techni

ques et des connaissances, au rythme d’apparitiondes nouveaux champs du savoir et de la pratiqueprofessionnelles. A défaut d’y pourvoir, on risquede compromettre la portée de tous les autresefforts et de replonger le secteur universitairedans une médiocre marginalité.

Il n’est sans doute pas inutile de rappeler icil’importance du développement de l’enseignementsupérieur. Une juste perception de l’histoire de ladeuxième moitié de ce siècle fait rapidement saisir la véritable nécessité du développement universitaire et ce, particulièrement depuis les quinzedernières années alors que la société québécoise afait un formidable bond en avant. Sans l’apport etsans le soutien de l’université, elle aussi en voiede modernisation, on peut se demander si cedéveloppement socio-économique aurait été aussiimportant. A la fois plongée dans la réalité dumilieu et capable de recul par rapport à celui-ci.l’université forme les spécialistes d’aujourd’hui etceux de demain. Elle doit donc prévoir l’évolution: et pour préparer l’avenir, elle doit en avoirla possibilité et les moyens. Il lui importe d’adapter ses programmes et d’en développer de nouveaux. de remettre en question les pratiques et lesactivités périmées; mais il lui faut bénéficier desconditions favorables à cette dynamique du développement et de l’innovation. Si. par contre, lesconditions sont telles qu’elles ne préservent queles acquis, sans ouverture sur de nouveaux développements. c’est une société qui aliène son avenir.

Bref, le Conseil constate que si. depuis vingt ans.les dirigeants québécois ont oeuvré pour accueillirà l’université de nouvelles clientèles, ont mobiliséles ressources nécessaires et les ont réparties parla voie des subventions directes et par l’attributionaux étudiants d’un nombre de plus en plus élevéde prêts et de bourses d’études, s’ils ont pris lesmoyens les plus indiqués pour sortir l’universitéet la collectivité d’un sous-développement devenuintolérable, c’est qu’ils ont compris — et maintesfois affirmé d’ailleurs — l’importance culturelle.sociale et économique d’un enseignement supérieur de qualité, en constante adaptation pourmieux servir les citoyens dans une société enmutation rapide. Cette orientation lixme et gdnéreuse doit être maintenue.

3. Quelques problèmes

À l’instar de multiples intervenants, le Conseil estfrappé par l’aspect brutal et imprévu des compressions actuellement en vigueur et des coupuresrécurrentes déjà annoncées dans les subventionsaux universités. Ces réductions budgétaires s’appliquent avec la même rigueur à tous les établissements, indépendamment de leurs obligations et deleur situation financière particulière. Leur impacts’avérera d’autant plus grave que les universitésont toujours reçu tardivement confirmation descrédits alloués et n’ont jamais pu procéder à unevéritable planification financière. Elles saventmaintenant ce que les ponctions budgétaires leurenlèveront dans les trois années à venir. Le ministère de l’Education évalue à 3,1% sur les massessalariales et à 6,0% sur les autres dépenses endollars constants de 1981-1982 la compressionpratiquée l’an prochain; de plus, le Conseil dutrésor propose, pour l’ensemble du gouvernementet des organismes des réseaux, des compressionsde 2% sur les masses salariales et de 3% sur lesautres dépenses à chacune des années suivantesjusqu’en 19851.

On comprend fort bien la volonté politique deréduire la croissance des dépenses publiques.Mais au-delà des conséquences immédiates desréductions établies, dont certaines sont trop dramatiques et ne peuvent être relativisées, on relèvedes incohérences qui choquent, tels l’appel à l’innovation et le congédiement d’effectifs aptes àmieux l’assurer, ou encore un financement desnouvelles clientèles si réduit qu’il ne permet pasaux universités de les accueillir et de les servir.Les universités ne peuvent « vivre avec » cesincohérences à l’heure où s’imposent des choixcruciaux qui auront des conséquences très lourdessur le développement collectif. Ces incohérences,si elles se maintenaient, hypothéqueraient lourdement l’avenir du Québec.

2. Lettre du Bureau du sous-ministre en date duI ~cptembre 1981. envoyée aux recteurs des

tIfli%i.’i ‘Ités.

3.1 L’effet des compressions

La croissance des ressources financières des universités sera désormais notablement réduite etaucun budget déficitaire ne sera toléré. Parmi lesconséquences prévisibles de cet état de fait, certaines sont plus néfastes pour l’utilisateur ou lecitoyen. Par ordre de « visibilité croissante », onpeut en sérier les répercussions à trois niveaux.• Les incidences les plus graves sans doute,parce que les effets seront durables, sont causéespar l’inévitable mise en veilleuse de projets porteurs d’avenir, qui touchent l’acquisition decompétences plus encore que les équipements etles programmes. Le rythme de développement etde « production » des universités est relativementlent de sorte qu’on ne pourra mesurer avant plusieurs années les répercussions de I ‘austérité actuelle et faire le bilan de l’opération « compressions ». Pensons particulièrement aux domainesen émergence comme l’informatique, pensons à latechnologie de pointe indispensable à la scienceaéronautique, pensons à la formation des scientifiques: ce sont des secteurs qui exigent des investissements considérables, étalés sur plusieurs années et qui seront bientôt d’importance vitale pourle Québec.

• Le rattrapage au niveau de la scolarisationsera freiné en même temps que l’accessibilité desétudes supérieures. Aucune illusion n’est ici permise: les règles de financement en vigueur vontà l’encontre du principe même de l’accessibilitéen taxant trop lourdement l’arrivée de nouvelles clientèles à l’université et le recyclage professionnel. Si, depuis quelques années, les clientèles additionnelles sont subventionnées de façonmarginale, les compressions actuelles et celles quisont appréhendées aggravent la situation en favotisant le contingentement et la sélection plus quel’accessibilité. Or, dans les faits, la scolarisationdes francophones accuse un retard important’! Ilen est de même pour l’accès des femmes auxétudes graduées: par exemple, seulement 14%d’entre elles accèdent au doctorat. En outre, lesstatistiques relatives à la production de diplômessupérieurs et particulièrement de doctorats nousrévèlent que les universités francophones du Qué

bec n’ont décerné que 10% des doctorats auCanada.• Si l’avenir semble compromis, le présent même risque d’être bloqué. Il est prévisible que lesclientèles les plus touchées seront celles doncl’accession à l’université est plus récente. Lesefforts déployés depuis dix ans pour favorisercertaines classes de citoyens seront gravementcompromis. On le voit bien, ce ne sont passeulement les universités ou les universitaires quisont menacés mais les citoyens eux-mêmes. Pourtant, les aspirations et les besoins légitimes desdifférents groupes de la société ne peuvent êtreéludés, ni l’identification des fonctions socialesde l’université et leur traduction en activités et eninterventions concrètes, pour le bénéfice de lacollectivité.

Le rôle du Conseil n’est pas de pratiquer desavantes simulations mathématiques pour planifierl’avenir financier des universités. Tout au plussouhaite-t-il faire remarquer que les mécanismesde « lutte pour la vie » qui auront cours dans lesinstitutions en période de compressions budgétaires et d’inflation croissante limiteront l’accès desgroupes de citoyens peu organisés et encore peuprésents à l’université, et les pénaliseront pourlongtemps en freinant la progression du niveauéducatif et culturel de la population adulte.

Depuis vingt ans, la demande sociale de formation post-secondaire et de formation permanenten’a cessé de croître. Si le gouvernement a acceptéde répondre qualitativement à cette demande et demiser sur le développement et l’éduction au Québec, ce choix lui commande de consentir, et ce àlong terme, un ensemble de moyens financiers etinstitutionnels adéquats. On peut dès lors inférerque le financement constitue l’un des éléments

3 Le taux brut de fréquentation universitaire (le nombre d’étudiants équivalents temps complet par rapport au nombre total de personnes âgées de 18-29ans) pour l’année 1978-1979 est de 6,69% chez lesfrancophones alors qu’il est dc 11,32% chez lesanglophones.

déterminants d’une politique globale des universités. D’où la nécessité devenue urgence dedéfinir clairement les orientations fondamentaleset les missions des institutions d’enseignementsupérieur.

3.2 Un malaise plus profond

Les compressions budgétaires font ressortir lesdéfauts du système de financement des universités: si elles rendent perceptibles les lacunes graves qui lui sont inhérentes, elles mettent surtouten évidence certaines incohérences plus fâcheusesencore, tant de la part du gouvernement que desadministrations universitaires. Elles fournissentl’occasion de faire un retour sur d’autres politiques gouvernementales dont les résultats auraientbesoin aujourd’hui d’êtres mieux mesurés: onpense en particulier à l’aide financière aux étudiants et à certaines déductions fiscales qui revêtent un caractère régressif. Le Conseil veut ensouligner la portée dans le seul espoir de contribuer à éclairer les enjeux de la présente opérationet à dégager les conditions qui permettraient d’assurer la qualité et le progrès de l’enseignementsupérieur dans la période difficile qui l’attend.

Du côté de l’État, il faudrait d’abord clarifier lediscours: il y va de la transparence même dugouvernement. Il apparaît qu’il sera désormaisimpossible de réduire le « gras » des universités.Quant à l’accessibilité, il serait trop facile decontinuer à en affirmer sans réserve le principe eten même temps d’en restreindre financièrement laportée par une série de ponctions budgétairesannuelles. A cet égard, on ne peut décemmentutiliser les comparaisons avec l’Ontario — souventdiscutables au plan méthodologique — pour justifier un ralentissement du rattrapage de la scolarisation. Le retard des francophones québécois,quant à leur niveau de scolarisation par rapport àcelui des anglophones, importe davantage.

L’absence d’une politique des universités se faitcruellement sentir, surtout au moment où s’éloignent de plus en plus les années d’une croissancequasi irrépressible qui tenait lieu de défi collectif,d’objectif et de politique. Il devient dangereuxmaintenant que les mesures de financement se

substituent à une véritable politique ou la préviennent et en conditionnent l’orientation. On risqueici d’en arriver à ne plus voir clairement commentune politique, fondée sur les finalités pertinentes àl’université et traduites en des objectifs bien circonscrits à réaliser dans un ensemble cohérentd’activités de formation, se distingue nettementd’une action qui s’ajuste simplement aux ressources allouées.

Quant aux universités, elles ont vécu la dernièredécennie sous le signe de la croissance. Stimuléespar une conjoncture favorable et par les modesmêmes de financement, elles ont eu tendance àassimiler croissance qualitative à croissance quantitative. Sensibles à la libre dynamique du développement et encouragées par le système proportionnel de financement, certaines universités ont,depuis quelques années, ouvert une pléthore denouveaux programmes, sans trop songer à fermerceux qui devenaient périmés, ou du moins à lesréorienter en fonction de nouveaux besoins. Lesuniversités ont donc un sérieux problème de métabolisme à résoudre.

Selon le même pôle de référence vraisemblablement, plusieurs d’entre elles ont augmenté, defaçon marquante, le nombre total de cadres et deprofessionnels autres que ceux voués directementà l’enseignement et à la recherche4. Bien quedifficilement évaluable par rapport à l’accomplissement des missions fondamentales de l’université, on peut interroger l’efficience de ce personnel,compte tenu de l’effort financier qui lui estconsenti. Quand on songe au pourcentage desbudgets consacrés à la rémunération du personnel,

4. 1911-1972 1978-1979

Cadres (autres fonctions) 460 452Professionnels(autres fonctions) I 202 2 1 13

Total. I 662 2 565

Source: Rapport CMS 1978-1979, Direction générale de l’enseignement supérieur, avnl1981.

on ne saurait procéder à une révision rationnelleet approfondie de la gestion sans une évaluationde l’apport de tous ceux qui oeuvrent à un titre ouà un autre dans les universités à la vie même descommunautés universitaires et à l’accomplissement des fonctions premières de l’université. Enoutre, depuis quelques années, la politique derémunération des personnels des universités s’aligne de plus en plus sur les résultats de la négociation menée par l’Etat dans les secteurs public etparapublic. On conviendra aisément que les masses salariales ainsi dégagées ne sont pas sans effetsur les budgets universitaires d’autant que les tauxd’indexation accordés par I ‘Etat aux universitésne correspondent pas à ceux qui s’appliquent àces masses salariales.

C’est donc sur l’ensemble des questions d’allocation et de gestion des ressources que le gouvernement et les universités doivent s’interroger et lapopulation est en droit d’attendre d’eux une telleanalyse critique. L’évaluation ne se fera pas sansdifficulté car elle doit être à la fois d’ordre qualitatif et d’ordre quantitatif, prenant appui sur unobjectif d’excellence et tenant compte égalementdes bénéficiaires externes et de la collectivité àdesservir.

Enfin, un malaise profond subsiste en ce qui atrait à l’épineuse question de l’équité des coûts dela formation universitaire. La démocratisation del’enseignement supérieur, avons-nous dit, n’estpas encore acquise et pourtant, si l’on en croit lesconclusions d’études récentes, les groupes socioéconomiques les moins présents à l’univesitécontribuent proportionnellement plus que les autres — par leurs impôts au maintien de ce niveaud’enseignement. De plus, les mesures fiscales etle régime d’aide financière ne favorisent pas toujours ceux qui en auraient le plus besoin; cela estparticulièrement le cas des déductions fiscales.Aussi, avant d’arrêter toute décision concernantles frais de scolarité, le gouvernement devraitexaminer le problème dans son ensemble et faireen sorte que les politiques qu’il arrêtera soientéquitables au plan social.

Le malaise qu’accentue la situation présentecommande une plus grande lucidité et soulève des

interrogations auxquelles l’ambiguïté des discoursactuels n’apporte pas de réponse satisfaisante• Croit-on encore à l’accessibilité? Est-on prêt à

en assumer le coût?• Comment s’y prendra-t-on pour accueillir les

plus démunis de notre société, jeunes et adultes?

• Comment les universités pourront-elles supporter des compressions budgétaires de l’ordre decelles proposées jusqu’à maintenant? Qu’adviendra-t-il des déficits anticipés?

• Le manque à gagner n’est-il pas en partie imputable aux politiques de rémunération qui s’appliquent à l’ensemble des organismes publics etparapublics?

• Quel type d’université veut-on? Et à quel prix?

Conclusion

Le ministère de l’Éducation, les agents des milieux universitaires et les représentants des organismes et groupements intéressés, doivent convenir des principes qui régiront l’enseignement supérieur au Québec, en conformité avec la spécificité de son rôle et des fonctions qui lui sontreconnues. C’est dans cette perspective que lesdroits et obligations respectifs du gouvernement etdes institutions devront être précisés, particulièrement pour éviter le double piège d’une inféodation des universités au pouvoir politique et d’uneliberté d’enseignement plus corporatiste que fondée intellectuellement.

Le Conseil est d’avis que s’impose une politiquedes universités qui résultera d’une véritableconcertation entre le gouvernement, les universités et les différents groupes intéressés à la missionqu’elles doivent remplir dans une société soucieuse de son développement éducatif, culturel, socialet économique. Cette politique devra assumer laconjoncture difficile sans y être asservie, garantiraux institutions J’autonomie et la souplesse nécessaires à l’exercice de leurs responsabilités enmatière de formation et à la poursuite d’objectifssociaux prioritaires; elle devra proposer des ré-

ponses aux questions importantes qui nous sontposées — comme collectivité — et prévoir les effets àlong terme des options prises maintenant. Réaliste. prospective et même visionnaire, s’il se peut,elle contribuera à la réalisation du projet de développement global des universités sur lequel lescitoyens fondent de si grands espoirs.

Recommandations

I. Que le ministère de l’Éducation, en concertation avec les agents des milieux universitaires(étudiants, professeurs, administrateurs), définisse une politique de l’enseignement supérieur qui repose sur des orientations claires etqui s’appuie sur des moyens pertinents.

Le gouvernement du Québec a énoncé despolitiques d’ensemble en matière sociale, économique, culturelle et scientifique. Du côtééducatif, L’école québécoise, pour les niveauxprimaire et secondaire, Les collèges pour leniveau collégial tracent des orientations pourl’avenir. L’enseignement supérieur, pour sapart, et malgré les conclusions d’une vastecommission d’étude, ne dispose, encore aujourd’hui. pour tout éclairage, que d’intentionsambiguês: il faut en faire lecture à travers lecasse-tête budgétaire dont on ne sait trop s’ilest « conjoncturel » ou « structurant ». La société québécoise, compte tenu de ses besoins etde l’effort qu’elle consent au financement del’enseignement supérieur, est en droit deconnaître les orientations qui seront prises pource niveau d’enseignement. C’est au nom de latransparence des intentions, de la cohérencedes moyens et de la pertinence des actions quecette politique est réclamée.

2. Que les conséquences des compressions budgétaires appliquées à l’enseignement supérieursoient évaluées au préalable en tenant compteen particulier de leur impact social, économique. culturel et scientifique.

L’ enseignement supérieur es! très /ortenu n!

éducation. Il saute aux yeux que ces compressions n’ont pas été décrétées sur la base d’analyses rigoureuses des objectifs à poursuivre.des besoins à combler et de l’impact à moyenet à long terme sur le développement de lasociété québécoise. Il est tout à fait légitimed’attendre du gouvernement québécois qu • ilfasse connaître de quelle façon il concilie lesobjectifs de développement culturel, scient~fique et économique énoncés dans ses politiquesrécentes, avec les restrictions budgétaires actuelles. La présence d’un secteur universitairedéveloppé constitue un précieux atout danstoute société moderne en quête d’un mieux-êtrecollectjf. Que l’on songe, par exemple, à lacontribution qu’apportent les universités enformant des ressources humaines spécialiséeset compétentes ou encore au rôle moteur jouépar la recherche universitaire dans le développement de technologies nouvelles. Pour semaintenir à l’avant-garde du progrès scientifique et technologique et pour assurer les bénefices concrets de son action auprès de la collectivité, le milieu universitaire doit participer àla détermination des priorités de développement que le gouvernement énoncera. La difficulté pour les universités de se développer etd’ innover génère un affaiblissement de la soc’iété. C’est pourquoi un sérieux examen del’impact des décisions prises et de celles qui leseront s’impose, et ce, à tous les intervenants.

3. Que la politique de l’enseignement supérieurétablisse une répartition adéquate des responsabilités entre le ministère de l’Education. lesorganismes consultatifs et les universités et ce.en respectant l’autonomie des établissements eten réaffirmant la décentralisation des pouvoirs.

À défaut d’un partage clair des responsabilitésqui soit coqtorme aux grands principes d’autonomie et de décentralisation, et surtout enl’absence d’un mode explicite de l’exercice deces responsabilités (mécanis,nes de consultation et de concertation), ce sont les interventions gou i’ernenientales et ministérielles qui dé—tem’nunc n! en substance les règles du /eu. Lesatelie,;s çur h~v r,nii’ersitckç convoqués par letouché par les compressions l~ud~gc’tcumes en

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Ministre et le contexte budgétaire actuelcontiennent de bons enseignements à cet égard.Dans le cadre des ateliers, les agents universitaires n’ont pas été invités à intervenir sur lepartage des responsabilités, du moins si ons’en tient aux questions contenues dans lestextes ministériels. Or, ce qui sert en quelquesorte de préambule aux questions soumises à laconsultation contient des dispositions qui accroissent le contrôle sur les universités. Dansle second cas, que le gouvernement décide deralentir la croissance de ses dépenses, c’est deson ressort. Là où le bât blesse, c’est lorsquela décision budgétaire devient l’outil ultime deplanification avec tout ce qu’ elle comported’incertitude, d’irrationnel et d’imprévisible.Le plus grave, ce ne sont pas les coupuresbudgétaires elles-mêmes, c’est le fait qu’ ellesinterviennent sans qu’aucune concertation entre l’ensemble du réseau universitaire et leMinistère n’ ait permis de « discerner I’ essentiel ».

4. Que le ministère de l’Éducation, en concertation avec les universités, détermine les objectifs et les priorités d’ensemble de l’enseignement supérieur, compte tenu des ressourceshumaines et financières allouées ainsi que desbesoins nationaux et régionaux.

Précipitées par l’annonce de compressionsbudgétaires importantes, les décisions de cesser ou de ralentir certains services sont priseset continueront éventuellement de l’être, sanségard paîfois à des besoins prioritaires et àdes objectifs préalablement jugés essentiels.Seule une étroite concertation des principauxagents permettrait de rationaliser les choix enfonction d’objectifs sur lesquels on se seraitd’abord entendu et en fonction d’un ordre depriorités. Et si, pour des impératifs économiques, on devait différer la poursuite de certainsobjectifs ou encore sacrifier certains typesd’interventions, de programmes ou de services,les décisions seraient plus cohérentes, plusconséquentes et socialement plus justes. Ensomme, une pièce-maîtressefait défaut et il estimpérieux de la mettre en place: c’est une

entente sur les orientations, les objectifs et lesaxes de développement de l’enseignement supérieur au Québec, une identification des priorités en matière de clientèles scolaires et desprospectives à moyen et à long terme.

5. Que le ministère de l’Éducation, après consultation auprès des agents compétents et prévuspar la loi, modifie la politique de financementdes universités.

La méthode actuelle d’allocation des ressources financières et les règles budgétaires qui endécoulent contiennent des dispositions tellesqu’ en période d’austérité, elles risquent decompromettre l’accessibilité de l’enseignementsupérieur. L’implantation relativement récentedes universités périphériques a permis de répondre à des besoins régionaux, en matièred’enseignement universitaire, qui étaient restésjusque là sans réponse. De façon plus générale, que ce soit à Montréal ou en région, lesefforts d’ouverture envers de nouvelles clientèles sont brimés par ces règles budgétaires.Celles-ci laissent peu de place au développement là où c’est nécessaire. Il y aura donc lieude revoir l’ensemble de la politique et despriorités et d’en faire l’objet d’une véritableconcertation entre tous les agents concernés.

6. Que le gouvernement du Québec établisse unrégime de soutien financier et de partage descoûts de la formation supérieure qui soit pluséquitable.

En plus de la politique de subventions desuniversités, il existe d’autres mesures qui contribuent au financement direct ou indirect de laformation supérieure. Par financement direct,on pense, par exemple, aux revenus tirés dessubventions à la recherche, des commandites.des droits de scolarité, de la vente de services.Par financement indirect, on entend le soutienaccordé aux étudiants par le biais de l’aidefinancière et de déductions fiscales. C’ est l’ensemble de la question qu’il convient de revoirdans la perspective d’une plus 8rande justice etd’une meilleure accessibilité. A la lumière des

CONSEIL SUPÉRIEURDE L’ÉDUCATION

Président Claude DUCHARME Claude ROCHONClaude BENJAMIN Directeur des Travailleurs-Unis Secrétaire général de la

de rautomobile Commission scolaire régionaleVice-président Montréal CarignanLucien ROSSAERTSecrétaire général et directeur Joan FITzPATRICK Tracydes services aux étudiants à la Conseillère pour les milieux Jeannine SA VOIECommission scolaire Richelieu- défavorisés â la Commission des Professeur au Département deValley écoles protestantes du Grand français à l’Université duMont-Saint-Hilaire Montréal Québec à Trois-Rivières

Montréal Trois-RivièresMembres Henri GERVAIS Marcel TRAHANJules BÉLANGER Technicien en laboratoire de Juge au Tribunal de laProfesseur de français au photographie à Radio-Canada Jeunesse, district decollège de Gaspé Brossard MontréalGaspé Peter KRAUSE MontréalRaymond BERNIER Directeur du personnel de la Moniqtie VÉZINA-PARENTGérant des ventes et responsable Commission scolaire Lakeshore Présidente de la Fédérationde la mise en marché du Groupe Pointe-Claire des caisses populaires DesjardinsSamson Fernande LANDRy du Bas-Saint-LaurentBeauport Professeur à l’école RimouskiChristiane BÉRUBÉ-GAGNÉ Notre-Dame-du-Sacré-CoeurPrésidente de l’Association Saint-Paul-de-Joliette Membres d’officeféminine d’éducation et d’action Alain LARAMÉE Patricia CROSSLEYsociale Chargéde cours en communication Présidente du Comité protestantRimouski à l’Université du Québec ~ Lucien BEAUCHAMPRobert BURNS Montréal et â l’Université de Président du Comité catholiqueProfesseur de philosophie au Montréal Membres adjointscollège John Abbott Montréal Jacques GIRARDMontréal Rosaire MORIN Sous-ministre de l’ÉducationMax CHANCY Directeur du Conseil d’expansion Richard BROSSEAUProfesseur de philosophie au économique Sous-ministre associécollège Édouard-Montpetit Montréal

Ernest R. SPILLERLongueuil Jocelyne P01 RIER-BOILEAU Sous-ministre associéHélène CHÉNIER Présidente d’un comité de parentsDirectrice de l’école à la Commission scolaire Secrétaire conjointÉmile-Nelligan à la CECM régionale de Chambly Raymond PARÉMontréal Longueil

Michel CHOKRON Anne ROBINSONProfesseur à l’École des hautes Professeur de droit civilétudes commerciales à l’Université LavaIMontréal île d’orléans

Édité par la Direction des communications du Conseil supérieur de l’éducation 50-224