LES CAHIERS DU CONSEIL

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M OBILITÉS : N UMÉRO 7 - J ANVIER 2003 conseil général des Ponts et Chaussées LE TEMPS DES CONTROVERSES DU CONSEIL LES CAHIERS DU CONSEIL

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MOBILITÉS :

N U M É R O 7 - J A N V I E R 2 0 0 3

conseil général des Ponts et Chaussées

LE TEMPS DES CONTROVERSES

DU CONSEILLES CAHIERS

DU CONSEIL

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M O B I L I T É S : L E T E M P S D E S C O N T R O V E R S E S - J A N V I E R 2 0 0 3

PréfaceJEAN-PIERRE GIBLIN

Mobilités et modes de vie JEAN-PIERRE GIBLIN

Famille, travail et mobilitésFRANÇOIS ASCHER

Mobilité et économieJACQUES THEYS

L’automobilisme : entre autonomie et dépendanceJEAN-PIERRE ORFEUIL

Temps et vitesseJEAN-PIERRE GIBLIN, MARIE-HÉLÈNE MASSOT, FRANÇOIS ASCHER, MARC WIEL

Justes coûts et juste prix de la mobilitéFRANÇOIS ASCHER, YVES CROZET, JOËL MAURICE, VINCENT PIRON

Quelle ville voulons-nous ?FRANÇOIS ASCHER, JEAN FRÉBAULT, BERNARD REICHEN

Peut-on et doit-on “découpler” la croissance économique et la mobilité des biens ?JACQUES THEYS, LOUIS DEFLINE, DOMINIQUE BIDOU

Qu’attendre de la technologie ?JEAN-PIERRE GIBLIN, GÉRARD GASTAUT, YVES MARTIN, CLAUDE ARNAUD

La mobilité “phénomène social global”?GEORGES MERCADAL

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Sommaire

POINTS DE VUE

ET CONTROVERSES

FAITS ET DÉTERMINANTS

POUR CONCLURE...

Couverture :• Autoroute A7 à Montpellier – Photo : ASF• Tramway de Bobigny – Photo : DREIF /Gobry• Gare TGV et aéroport de Lyon St Exupéry

Photo : aéroport de Lyon St Exupéry /E. Saillet• Evry préfecture – Photo : METLTM/SIC /G. Crossay• Expérimentation de guide interactif dans le métro à

Lyon – Photo : P.-E. Rastouin /France Telecom

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F A I T S E T D É T E R M I N A N T S

P O I N T S D E V U E

E T C O N T R O V E R S E S

P O U R C O N C L U R E . . .

Pour les spécialistes des transports, le terme de mobilité renvoie à la connaissance des pratiques et de la productiondes déplacements (nombre, fréquence, longueur, durée). Mais le sens premier de la mobilité désigne l’aptitude à

se mouvoir, à se déplacer. Ne dit-on pas d’une personne âgée ou handicapée qu’elle a perdu sa mobilité ?

“Mobilité-aptitude” nécessaire et désirée, facteur d’autonomie, de liberté, d’échange entre les hommes et critère essentieldu bien-être et du progrès économique, ou bien “mobilité-entropie”, menace planétaire, dissipatrice d’énergie et de temps,source de nuisances et de pathologies, facteur d’éclatement urbain et de déstructuration de la vie sociale : tels sont les termesextrêmes de la controverse à l’origine de ce cahier. En termes de politique publique, la controverse oppose les tenants dela satisfaction de la demande, voire de son anticipation, à ceux de sa régulation par la limitation volontaire de l’offre.

Nous n’avons pas la prétention de trancher ce débat d’ailleurs fort ancien puisque, sous des formes sans cesse renouvelées,il a accompagné toute l’histoire des transports. En revanche, nous avons pensé utile d’améliorer notre connaissance surles déterminants de la mobilité – qu’ils se rattachent aux modes de vie, aux pratiques sociales, aux liens familiaux, auxstratégies résidentielles, au fonctionnement du marché du travail et de l’économie – et au-delà, de mieux comprendrepourquoi, où et comment tel type de mobilité se développe, se transforme et pose ou pourrait poser problème.

Cette compréhension est à nos yeux une condition nécessaire pour définir les voies et moyens d’une mobilité durable,pour mettre en place des outils de régulation pertinents et efficaces. Faire la part de ce qui apparente la mobilité à uneproduction et une consommation comme les autres, régies par les lois de l’économie classique (offre, demande et prix),voir au contraire ce qui l’en distingue parce qu’elle fait système avec nos sociétés et qu’elle participe de phénomènes sociauxet économiques à des échelles multiples : telle a été aussi notre ambition afin de mieux éclairer la controverse.

Les matériaux de ce cahier proviennent pour l’essentiel d’un séminaire qui s’est déroulé en mars et avril 2002 organisépar le CGPC et la Drast. Qu’il me soit permis de remercier très vivement tous les participants et particulièrement lesintervenants pour ce qu’ils nous ont apporté. La première partie de ce cahier, consacrée aux “faits et déterminants” dela mobilité, rassemble les principaux enseignements du séminaire. Une deuxième partie, intitulée “points de vue etcontroverses”, identifie quatre thématiques essentielles de politiques publiques. Notre souci a été de rechercher uneréelle diversité de points de vue et la plus grande liberté dans leur expression pour poser enfin le principe de la mobilitécomme “phénomène social global”.

JEAN-PIERRE GIBLIN

PRÉSIDENT DE LA SECTION “AFFAIRES SCIENTIFIQUES ET TECHNIQUES” AU CGPC

Préface

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Les transformations qui ont marqué les mobilités sont à la mesure des évolutions sociales, économiqueset culturelles.Centre commercial Coty la nuit – Photo : ville du Havre/Erik Levilly

JEAN-PIERRE GIBLIN

PRÉSIDENT DE LA SECTION “AFFAIRES

SCIENTIFIQUES ET TECHNIQUES” AU CGPC

mobilité, contrainte ouoisie, est le reflet et landition nécessaireactivités professionnelles privées, de choixsidentiels, de pratiquesciales, de relationsmiliales, etc., bref desodes de vie dans leurversité mais aussi dansur évolution générale quicompagne celle de laciété toute entière.

la mobilité, c’est-à-dire flux de personnes et de

archandises, fait débat,st à cause de ses effetsternes réels ou redoutési concernent aujourd’huissi bien le local (pollution,uit, éclatement duodèle urbain) que leobal (effet de serre, célération des restructu-tions de la production et la distribution).

texte qui suit est pourssentiel tiré deserventions1 de Zakiïdi, Jean Viard, Jean-erre Orfeuil, Danielandelbaum, Tristannhaïm, Alain Bourdin etorges Amar, lors du

minaire organisé par leGPC sur le thèmeMobilité : valeurs etntroverses”.

Mobilités et modes de vie

MOBILITÉS ET SOCIÉTÉ CONTEMPORAINE : DU LOCALAU GLOBAL

À l’échelle planétaire, l’ère de la mondialisation estmarquée, comme le souligne Zaki Laïdi, par la simulta-néité de l’information, le primat du temps sur l’espace. Lecapital circule plus vite que le travail et les échanges de

1. Zaki Laïdi, chargé de RechercheCNRS au centre d’Etudes et deRecherches internationales (Ceri).

Jean Viard, directeur de RechercheCNRS au centre d'Etudes de la Viepolitiques française (Cevipof).

Jean-Pierre Orfeuil, professeur àl’Université Paris XII.

Daniel Mandelbaum, présidentdirecteur général de Tourista.

Tristan Benhaïm, directeur associéde Sociovision Cofremca.

Alain Bourdin, directeur dulaboratoire Théorie des mutationsurbaines, CNRS – professeur àl’institut français d’Urbanisme,Université de Paris VIII.

Georges Amar, ancien responsablede la mission “innovation dans lesservices” – RATP.

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biens explosent dans des marchés ouverts. Les groupessociaux qui participent et vivent cette évolution écono-mique peuvent parfaitement la conjuguer avec un désir delocalisme, de renforcement de postures identitaires (géogra-phiques, culturelles, religieuses). Ils expérimentent entrele local et le global une “oscillation” autant physiquequ’intellectuelle. Malgré la technologie et la formidablefacilité de (télé)communication qu’elle permet, la néces-sité du face à face n’a pas disparu. Comme le remarqueZaki Laïdi, la confiance abstraite (comme la transactionélectronique) n’a pas remplacé la confiance concrète, cellede la connaissance personnelle qui suppose la rencontre.À l’échelle de ce que Jean Viard appelle les territoires deproximité (de la commune à la région), l’activité humainedans nos sociétés a cessé d’être dominée par le travail ; oril n’y a pas encore si longtemps, celui-ci structurait complè-tement la mobilité. Dans la société du temps libre, lesrepères spatio-temporels sont profondément transformés.

TEMPS LIBRE, TEMPS CONTRAINT, TEMPS PERDU

Pour Jean Viard, l’allongement de la vie et la croissancede la population inactive, la réduction du temps de travail,avant même les 35 h, nous ont fait entrer progressive-ment dans une société du temps libre, dans laquelle les indi-vidus veulent avoir et ont de fait pour la plupart, unemaîtrise de leur temps sans précédent. Statistiquement, surla durée d’une vie, le travail n’occupe plus que 11% de

la “vie éveillée” contre 50% il y a un siècle. Le temps librepourrait bien s’avérer un puissant réorganisateur territo-rial et social : nouvelles pratiques (multi)territoriales, surd’autres espaces, à des moments différents, nouvellesexigences en matière d’habitat, développement des rela-tions sociales hors parentèle et travail.

De nos jours, les activités qui relèvent de la sphère privéedéterminent les déplacements autant que celles liées autravail. Même si, pour les actifs, l’activité professionnellestructure encore très fortement les rythmes quotidienscomme le rappelle Jean-Pierre Orfeuil, elle est de moins enmoins répétitive, c’est-à-dire de moins en moins associée àun lieu de travail fixe, 5 jours sur 5, selon un horaire

Le territoire vécu n’est plus celui des déplacements domicile-travailayant servi à dimensionner nos systèmes de transports urbains.Gare RER La Plaine St Denis Stade de France – Photo : DREIF/Bruno Gauthier

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immuable. Des déplacements professionnels,pour beaucoup associés au développement desservices et par nature variables et plus dispersésdans l’espace, remplacent aujourd’hui les tradi-tionnels mouvements pendulaires. Pour unemajorité de personnes, le “territoire vécu”n’est plus celui des déplacements domicile-travail ayant servi à concevoir et dimensionnernos systèmes de transports urbains. Corréla-tivement avec la montée des déplacementsprivés et notamment ceux des inactifs, lesproblèmes de transports “sortent de la ville”.Pour Jean-Pierre Orfeuil, ils risquent biendemain de se situer dans ce qu’il est encoreconvenu d’appeler l’interurbain.

L’impact de la réduction du temps de travail est encoredifficile à apprécier. La flexibilité dans l’organisation dutravail est susceptible d’amplifier les phénomènes d’étale-ment des pointes déjà constatés. Les pratiques d’allongementdes week-ends risquent de se développer fortement ; maisils n’entraîneront pas nécessairement une croissance immé-diate des déplacements puisqu’ils s’opèrent à budgetconstant, voire décroissant, des ménages. S’il y a mobilitésupplémentaire, elle serait préférentiellement locale ourégionale dans des “territoires de proximité”. Pour lesmoins fortunés, on pourrait assister à des changementsd’activités plus centrées autour du domicile : temps plusimportant consacré à la famille, aux activités et relationssociales, au sport, bricolage, jardinage, étalement des achats,etc. Pour certains, cela peut entraîner un usage plus fréquentd’une résidence secondaire encourageant ainsi une “biré-

sidentialité”. Pour d’autres encore, davantage de tempsconsacré aux loisirs urbains, en particulier culturels.

Concernant l’impact du temps libre sur les pratiques devacances et de voyage, beaucoup d’évolutions contradic-toires et d’incertitudes apparaissent. En effet, on constateactuellement une stabilité (autour de 25%) du taux de nondépart en vacances, principalement dans les ménagesdisposant de moins de 1500 € par mois, un fléchissementdu nombre de voyages à l’étranger surtout à l’intérieur del’Europe (“Plus on fait l’Europe, moins on la visite endehors du travail”) ; mais en même temps ceux qui ensont exclus (par leurs moyens financiers) expriment aussile désir de pouvoir y accéder, ce qui représente un poten-tiel considérable. Si les questions de sécurité ont pu jouerun rôle dans la période récente, le trend de croissance dutransport aérien paraît cependant très fort.

Le rapport au temps est-il en train d’évoluer? Est-il variableselon les individus et les situations? Y a-t-il un clivage entreles lents et les rapides (Zaki Laïdi) ou bien sommes-nous entrain de passer d’une société où bouger était l’objectif à unesociété où l’on souhaite plutôt prendre son temps dans larecherche hédoniste de plaisir et d’harmonie vitale, dansune sorte d’éloge de la lenteur (Tristan Benhaïm)? La reven-dication d’un temps continu de la ville, dans les plus jeunesgénérations, est-elle liée à une certaine forme de rejet dutemps contraint ou est-ce l’indice que notre société ne s’in-téresse qu’au temps présent? La demande de services asso-ciés aux transports correspond-elle à une demande socialede valoriser le temps de transport, le déplacement pourqu’il ne soit pas seulement du temps perdu? (Georges Amar).

Mobilités et modes de vie

On voyage plus loin et plus souvent.ate-forme de Roissy – Photo : DGAC/Véronique Paul

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Évolution de la mobilité

Les évolutions retracées ci-dessous résultent des deux dernières enquêtesnationales transports de 1981-1982 et 1993-1994 réalisées avec l’Insee. Il paraîturgent de réaliser une nouvelle enquête, mais tout laisse penser que lestendances constatées sont durables.

Une forte croissance liée à la portée des déplacementsEntre 1982 et 1994, la mobilité des Français (en kms parcourus et parpersonne) s’est accrue de 74%, soit 4 à 5% par an.L’allongement considérable des déplacements mécanisés (+38%) est le facteurprincipal de cette croissance.70 % de la mobilité supplémentaire (toutes distances confondues) a étéproduite sur la route, les 30% restant se faisant en avion notamment pourles voyages internationaux

On voyage plus loin et plus souvent94% des déplacements nouveaux sont à moins de 25 kms. Ils ne représen-tent que 23 % de l’accroissement des kms parcourus et sont effectués enautomobile à plus de 95%.À l’opposé, les déplacements à plus de 500 kms, moins nombreux, couvrent31% de cette croissance. Leur nombre a doublé en douze ans. Cette mobi-lité est assurée par l’avion et le TGV mais un quart pourtant est effectué parla route.

Les inactifs sont de plus en plus mobiles85% des déplacements nouveaux à moins de 25 kms sont le fait d’inactifs.Ils représentent 62% des kms supplémentaires.

Les déplacements privés augmentent, les rythmes de vie évoluent23% seulement des kms supplémentaires (toutes distances confondues) ont unmotif professionnel, dont moins de 3% s’effectuent vers un lieu de travail fixe.Sur les 77% de kms supplémentaires, parcourus pour motifs privés, les troisquarts ne correspondent pas à des déplacements obligés.Par ailleurs, les rythmes de la vie quotidienne se désynchronisent : les modesde vie s’individualisent, l’économie des services transforme le travail, la demandesociale pousse vers une ville ouverte 24 h sur 24, 7 jours sur 7. Il en va de mêmedes rythmes hebdomadaires ou annuels avec le phénomène de double rési-dence, l’allongement des week-ends, le fractionnement des congés annuels.

Moins de pointes, moins d’heures creusesLa demande de mobilité s’étale dans le temps : on constate ainsi des surchargesimportantes du métro et des RER après 19 h ou le week-end ; le TGV connaîtune affluence nouvelle le jeudi soir. À l’inverse, l’étalement des pointes de circu-lation limite les phénomènes de congestion et contribue à une utilisationplus efficace des infrastructures. Les pronostics de saturation périodique ouoccasionnelle du réseau autoroutier deviennent hasardeux.

Croissance des vitesses et stabilité des budgets-tempsLa relation au territoire a été transformée par l’accessibilité qu’offrent les différentsmodes de transport. L’augmentation des vitesses moyennes des déplacements à courtedistance (+34% entre 82 et 94) accompagne la modification de l’urbanisation etde la “matrice” des déplacements quotidiens, surtout périurbains. Malgré cetaccroissement, on constate une stabilité du “budget-temps quotidien” des personnes,alors que les budgets-temps consacrés aux déplacements plus occasionnels (àmoyenne et longue distances) augmentent en même temps que la mobilité.

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Justes coûts et juste prix de la mobilité

L’APTITUDE À LA MOBILITÉ, UNE NÉCESSITÉ?

L’autonomisation croissante des individus est bien unedes tendances de l’évolution de la société. Plusieurs facteursexpliquent ce changement à commencer par l’évolution desstructures familiales (notamment la dispersion des réseauxfamiliaux), l’émancipation de la femme et tout particu-lièrement son accès sur le marché du travail selon unmodèle majoritairement “paritaire” pour reprendre l’ex-pression de Jean Viard (la femme travaille à plein tempscontrairement à beaucoup de pays voisins : 67% de tempspartiel aux Pays-Bas, 56% au Royaume-Uni). S’ajoute àcela l’impossibilité d’optimiser le lieu du domicile parrapport à deux lieux de travail, eux-mêmes moins stables

dans le temps et souvent facteur d’al-longement des déplacements quand ilsne conduisent pas au phénomène dedouble résidence. L’autonomie setraduit aussi par un affaiblissement desappartenances sociales (succès de l’as-censeur social ou perte de valeur de lasolidarité ?). On préfère des lienssociaux faiblement contraignants(Alain Bourdin) à l’appartenance stricteà des groupes sociaux, familiaux oude voisinage qui limiterait cette auto-nomie.

L’aptitude à la mobilité est la conditionde l’autonomie des individus et de l’émer-gence d’une “société du temps libre auto-nome”. Certains disent, non sans raison,

qu’elle en est aussi la cause. Elle constitue un “choix émer-gent dans l’organisation des modes de vie”, une sorte de“choix culturel” très lié à notre système de consommation.Elle est aussi le corollaire du développement du consumé-risme. Jean-Pierre Orfeuil estime tout d’abord que l’aptitudeà la mobilité est nécessaire pour gérer, dans l’espace et dansle temps, des réseaux relationnels et des systèmes decontraintes très complexes au niveau du groupe ou de l’in-dividu et pour arbitrer en permanence entre l’argent, letemps, la distance. Ensuite elle est une “ressource gratuite”exploitée par les acteurs économiques que sont lesemployeurs, les propriétaires fonciers et les promoteurs, lesprofessionnels de la distribution, des loisirs et du tourisme.Enfin cette aptitude permet aux responsables politiques derésoudre des problèmes “de rang supérieur” importantscomme par exemple d’élargir l’offre foncière, de disposerd’une offre de logements pour des catégories modestes, demoderniser l’appareil commercial et développer la concur-rence.

L’aptitude à la mobilité n’est vraiment satisfaite que sielle assure une autonomie réelle aux individus. Le succèsdu transport individuel, malgré la dépendance engendrée,réside largement par sa flexibilité, dans la réponse apportéeà la dispersion spatio-temporelle sans cesse plus grande desmises en relation à opérer. Comme dans tout systèmeinteractif, il l’encourage aussi. ■

e succès du transport individuel réside dans la réponse apportée à la dispersionpatio-temporelle toujours plus grande.hoto : DDE 69/Jean-Loup Métrat

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M O B I L I T É S : L E T E M P S D E S C O N T R O V E R S E S

La vie sociale se localise de moins en moins à l’échelle duquartier, voire de la commune. Ces territoires ne perdent paspour autant toute importance, mais leurs fonctions sociales,pratiques et symboliques évoluent très sensiblement. On yfait moins de choses, l’on y vit peut-être moins, mais pourune bonne partie de la population, c’est là qu’on a choiside vivre. Grâce au développement des moyens de trans-

La mobilité résidentielle est fortement corrélée avec les diverses étapes des cycles de vie.St Quentin en Yvelines – Guyancourt – Quartier Europe – Photo : MELTM/SIC/Gérard Crossay

FRANÇOIS ASCHER

PROFESSEUR À L’INSTITUT FRANÇAIS

D’URBANISME - UNIVERSITÉ PARIS VIII

texte est pour l’essentielé des interventions1 detherine Bonvalet, d’Alainurdin, d’Alain Coffineau, Benoit Filippi, lors duminaire organisé par le

GPC sur le thème de laMobilité : valeurs etntroverses”.

met en évidence laatation des territoirese aux performances desoyens de transports.ors que le cadre bâti desles reste encore untème classique d’espacesblics et d’îlots, cetteolution semble favoriseralement une dilatation la vie quotidienne à unehelle métropolitaine.

venue une composantesentielle de notre sociétéoderne, la mobiliténtensifie sous l’effetautres transformations notre société quebissent les structuresmographiques, lesodes de vie familiaux, lesuctures professionnellesmme les rapports auavail et à l’emploi.

Famille, travail et mobilités

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1. Catherine Bonvalet, directrice deRecherche à l’Ined.

Alain Coffineau, directeur associéGroupe BPI.

Benoît Filippi, directeur d’Atemha(Atelier d’études des marchés del’habitat) et directeur des étudeset méthodes statistiques à l’Olap(Observatoire des loyers de l’agglo-mération parisienne).

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port et de télécommunication, et sous la pression de dyna-miques sociales profondes comme l’exigence d’autonomiecroissante des individus, les citadins choisissent dans lalimite de leurs moyens économiques, les lieux de leur viequotidienne, de leur habitat, de leur travail, de leurs appro-visionnements, de l’éducation, des loisirs, etc.

FAMILLES ET MOBILITÉS : LA FAMILLE SE DILATE,LES TERRITOIRES AUSSI…

L’augmentation de la durée de vie de la population

La mobilité résidentielle est fortement corrélée avec lesdiverses étapes des cycles de vie. Les personnes âgéesbougent moins : les plus de soixante ans regroupent 20,6%de la population en 2001 (contre 16% en 1950), tandis

que les plus de soixante-quinze ans en représen-tent 7,4% (contre 3,6% en 1950). En revanche,les jeunes déménagent beaucoup et plus des deuxtiers des ménages de moins de trente-cinq anschangent de logement au moins une fois tous lesquatre ans. Le cap des trente-cinq ans franchi, lamobilité diminue ou change de nature, lesménages se stabilisent ou se séparent. Mais ilimporte de souligner qu’à âges et conditions delogement identiques, les ménages des années 90ont été aussi mobiles que ceux des années 80. Lesdéplacements quotidiens croissent, mais ne sesubstituent pas à la mobilité résidentielle, aucontraire ils s’y ajoutent.

La démographie et les structures familiales évoluent beau-coup, entraînant des changements considérables dans lesmodes d’habitat et dans les pratiques urbaines. Ainsil’augmentation de la durée de vie se traduit mécanique-ment par une croissance du nombre de logements quechaque individu habite tout au long de son existence. Enrégion Ile-de-France au début des années 80, à quarante-cinq ans, un individu avait occupé en moyenne trois loge-ments depuis le départ du domicile parental. Les enquêtesactuelles de l’Ined montrent que ce nombre a sensible-ment augmenté.

La complexité des familles et la multi-résidentialité

Le report de la décohabitation juvénile et l’entrée égale-ment plus tardive et plus progressive du jeune adultedans une cohabitation maritale complexifient la vie fami-liale. Pendant toute cette période, le jeune adulte asouvent plusieurs résidences, ce qui engendre des dépla-cements plus variés. Ainsi, un nouveau type de mobilitélié au développement de la pluri-résidence, semble devenirun phénomène très significatif. Les individus vivent deplus en plus dans une sorte de "système résidentiel"composé de plusieurs logements. C’est souvent le casdes enfants issus de familles recomposées, qui ont, quandles moyens économiques de leurs parents le permettent,une chambre chez chacun d’entre eux. Ces enfants sedéplacent d’un logement à l’autre, le week-end ou enalternance d’une semaine ou d’un mois à l’autre. Lenombre de familles recomposées augmentant (l’indica-teur de divortialité a quadruplé en trente ans), l’impor-

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Famille, travail et mobilités

a pluri-résidence est un nouveau type de mobilité très significatifhez le jeune adulte.culté de Cergy-Pontoise – Photo : METLTM/SIC/Gérard Crossay

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tance de ce phénomène croît rapidement. Par ailleursbon nombre de séparations maritales s’accompagne deremariages, de nouvelles installations résidentielles, etd’une certaine stimulation de la natalité : les couplesrecomposés désirent fréquemment avoir un enfantensemble ; cela contribue à maintenir un taux de fécon-dité assez élevé mais plus tardif.La multi-résidence est aussi une solution plus ou moinstemporaire pour des couples dont l’un des conjointstravaille dans une autre région que celle du lieu d’habitatprincipal du ménage. Ce phénomène, en nette progression,touche des milieux socioprofessionnels assez divers, qu’ils’agisse des travailleurs se déplaçant pour le compte de leurentreprise sur des périodes longues, ou de personnes àhauts revenus ou à modes de vie professionnelle très spéci-fiques, qui peuvent par exemple utiliser le TGV commemoyen de transport entre leurs divers lieux d’habitat.Enfin le développement d’un habitat multi-résidentielconcerne des ménages qui disposent d’une résidence secon-daire (on en compte en France plus de 2,6 millions répu-tées offrir 13 millions de lits). Un certain nombre d’entreeux utilisent plus fréquemment et plus longtemps ces rési-dences, voire inversent le statut de celles-ci en y passantplus de temps que dans leur résidence principale officielle.L’importance de l’usage des télécommunications dans lavie quotidienne comme la réduction du temps de travail,favorisent bien évidemment cette évolution. Toutefois,les télécommunications ne se substituent pas simplementà des déplacements, mais elles participent à la constitutiond’un nouveau système de localisations et de mobilités,qui se traduit parfois par des déplacements moinsfréquents, mais souvent plus lointains.

La transformation de la composition et de la structuredes ménages

Le développement de ménages composés d’une seulepersonne se traduit à la fois par de nouveaux besoins enlogement et par de nouvelles pratiques de déplacement.Actuellement, ces ménages constituent presque le tiers desménages (31%) contre un sur cinq en 1962 (19,6%). Cetteforte augmentation est liée non seulement au gain d’espé-rance de vie et à l’augmentation du nombre de veufs et deveuves, mais également au développement du célibat voireà l’émergence de nouveaux couples non cohabitants. Les

L’évolution de la famille ne traduit en rien sa fin mais plutôt sa capacité à se transformer, à s’adapterpour fournir une base à toutes sortes de solidarités.Les Chamards – Dreux – Architectes : Loïc Josse et Patricia Martineaux – Photo : METLTM/SIC/B. Suard

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couples “classiques” avec enfants ne représentent plus que32% des ménages en 1999 contre 46% en 1962 : cecirelativise bien des raisonnements tant sur les critères des loca-lisations résidentielles que sur les mobilités quotidiennes.Mais cette évolution n’exprime en rien la fin de la famille.Elle traduit plutôt la capacité de celle-ci à résister, à setransformer, à s’adapter aux grandes évolutions sociétaleset au désir d’autonomie des individus comme à fournirune base pour toutes sortes de solidarités. Pour CatherineBonvalet, la famille évolue vers une forme de “famille -entourage”, qu’elle définit à partir des trois critères : les affi-nités (faire partie des parents désignés comme proches), lafréquence des contacts (au moins une fois par semaine), l’en-traide (avoir cité ce parent proche comme ayant été aidéou comme l’ayant aidé). Ainsi, 47% des personnes inter-viewées dans l’enquête "Proches et parents" de l’Ined font

partie d’une famille-entourage. Si on ajoute le critèregéographique de la résidence dans une même commune ouune commune limitrophe, on obtient un pourcentage de30%. C’est ce qu’elle appelle la famille-entourage locale.Cette famille diversifiée, recomposée et élargie, vit à l’échellede territoires de plus en plus vastes. La proximité entre lafemme jeune mariée et sa mère reste une composante impor-tante dans ce système résidentiel familial. La proximité se jouedonc moins dans une quasi-contiguïté familiale à l’échelledu quartier. En effet, d’après l’enquête de l’Ined, 14% despersonnes interrogées habitent aujourd’hui le même quar-tier qu’au moins un membre de leur famille, 30% dans lamême commune et plus de la moitié (51%) dans la mêmecommune ou dans une commune limitrophe. De fait, vivredans la commune ou le quartier dans lequel demeurent unou plusieurs parents, c’est aussi s’inscrire dans un espace rela-tionnel qui facilite le recours aux ressources familiales et àtoutes sortes d’entraides (la famille restant la première pour-voyeuse de soins aux personnes âgées et handicapées). Maisla famille est aujourd’hui plus nombreuse et ses réseauxplus complexes et plus étendus. Par exemple, beaucoup dejeunes adultes ont en plus de leurs parents, quatre à huitbeaux-parents (conjoints et conjointes de leurs parents, plusparents et beaux-parents de leur conjoint ou de leurconjointe). À cela s’ajoute des demis frères et sœurs et desfaux frères et sœurs (enfants du conjoint de leur parentdivorcé). Dans ce contexte, la relation des individus à leurfamille se modifie profondément : “auparavant l’individu étaitau service du groupe et devait respecter ses règles ; mainte-nant c’est la famille qui paraît être au service de l’individu,le but de ce groupe étant avant tout d’assurer l’épanouisse-ment individuel” (Catherine Bonvalet).

Famille, travail et mobilités

Les quatre socio-types des acheteurs d’un logement (selon Hervé Jobbé-Duval, directeur général adjoint de Nexity)

• Les “lotissés” veulent d’abord posséder une maison individuelle et sont prêts à accepter des migrations quotidiennes très longues.

• Les “rurbains”cherchent un cadre néo-rural et privilégient le contexte.• Les “urbains raisonnés” prennent en compte les équipements, les services et les temps de

déplacement lors de leur choix.• Les “urbains assumés” font le choix de la ville, de la densité, des distances courtes.

Par ailleurs, la construction neuve n’alimente directement que 4 à 8% de l’offre des logements dispo-nibles dans une agglomération. Mais par les effets de chaîne, elle a trois à quatre fois plus de conséquenceset peut donc jouer sur un peu moins de 30%. (Benoît Filippi, observatoire du Logement – Olap)

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TRAVAIL ET MOBILITÉS

La mobilité professionnelle par changement d’établissementou d’entreprise est en augmentation dans la plupart descatégories socioprofessionnelles. Près de 40% des actifsont changé d’emploi au cours des cinq dernières années.Cette mobilité est toutefois très variable selon les profes-sions et surtout selon les âges : le taux annuel de chan-gement d’établissement ou d’entreprise était de 29% pourles hommes entre 1980 et 1985 et il est passé à 35,4%entre 1988 et 1993 avec 81% pour les 20-24 ans, 62%pour les 25-29 ans et 50% pour les 30-34 ans. Au coursde la même période, ce taux est en moyenne de 24,5% à33,6% pour les femmes.

Les marchés du travail et la flexibilité de l’emploi

Cette mobilité est pour partie subie, pour partie volontaire.Certains la trouvent excessive, pour des raisons humaineset sociales, d’autres la trouvent encore insuffisante dupoint de vue de l’efficacité économique. En revanche, lessalariés réagissent de manière très différente. Selon AlainCoffineau (Cabinet BPI-consultants), il faut distinguertrois catégories.• La première catégorie se compose de gens plutôt peuqualifiés (ouvriers et employés) ou âgés qui ont du mal àenvisager de déménager et surtout de quitter leur régionpour trouver un nouvel emploi. Dans certains cas, ilsoptent pour le chômage (temporaire ou définitif), pour laretraite ou la préretraite, plutôt que pour la mobilité rési-dentielle. La propriété de leur logement et le faible coût

éventuel de celui-ci sur le marché immobilier constituentun facteur d’immobilisme supplémentaire.• La seconde catégorie accepte voire même joue la mobilitérésidentielle pour favoriser soit une promotion, un meilleuremploi, soit une reconversion. En pleine expansion selon lesprofessionnels des ressources humaines, cette catégorie estconstituée de personnes plus qualifiées et plus jeunes.• La troisième catégorie est composée surtout de profes-sionnels très qualifiés, souvent cadres dirigeants de grandesentreprises ou grands consultants : ce groupe, soumis à unetrès forte mobilité dans le cadre du travail, finit par décon-necter le lieu d’habitat de la vie professionnelle. Il fauttoutefois que la résidence soit proche d’un nœud decommunication.

Soumis à une très forte mobilité, certains cadres dirigeants déconnectent le lieu d’habitat de la vie professionnelle surtoutsi leur résidence est proche d’un nœud de communication.1re classe TGV – Photo : SNCF/CAV/Michel Urtado

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Famille, travail et mobilités

La mobilité résidentielle

“Les raisons liées au logement l’emportent dans le cas des distances les plus courtes, les raisons professionnelles, danscelui des plus longues. En ce qui concerne les migrations intercommunales, alors que le logement constitue une moti-vation importante indépendamment de l’âge, les raisons professionnelles sont peu invoquées par les plus de 45 ans,âge au-delà duquel le cadre de vie s’affirme comme motif prépondérant.

Pour les chefs de ménage, être propriétaire ou locataire d’un logement public (plutôt que locataire d’un logement privé),être d’origine étrangère, sont autant de facteurs allant de pair avec une mobilité intercommunale plus faible, alorsque le statut d’occupation du logement exerce encore son influence sur ce type de déménagement. Enfin, mobilité profes-sionnelle et mobilité résidentielle intercommunale vont de pair. L’interaction entre ces deux processus s’expliquerait,en grande partie, par souci de minimiser les déplacements entre lieu de résidence et lieu de travail.”

Raisons avancées par les ménages ayant déménagé à leur changement de logement

(Laurent Gobillon, Emploi, logement et mobilité résidentielle, Économie et Statistiques, n° 349-350, 2001-9/10)

Raison du déménagement en %

Un nouvel emploi pour l’un des membres de la famille

Une autre raison liée à l’emploi (se rapprocher du lieu de travail)

Une raison liée au logement

Une autre raison (meilleur environnement, rapprochement familial, etc.)

Valeurs manquantes

Ensemble

Déménagements intracommunaux

0

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20

0

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Migrations intercommunales

9

23

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Migrations interdépartementales

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Modes de vie et travail

L’évolution des modes de vie, du statut des femmes et desrelations intra-familiales a un fort impact sur les attitudesdes individus face à une double mobilité emploi-logement.Ainsi, le développement du travail féminin salarié, l’élé-vation de sa qualification et l’accroissement de sa contri-bution aux ressources du ménage, compliquent les mobilitésspatio-professionnelles. Des entreprises se sont spéciali-sées dans la recherche d’emplois pour les conjoints etconjointes lors d’une mobilité professionnelle de l’un desmembres du couple; elles ajoutent cette prestation à d’autresservices, comme la recherche d’un logement et d’écolespour les enfants. Cette évolution de l’emploi féminincontribue aussi à favoriser les zones où existent des marchésdu travail importants et où les déplacements sont aisés.

La réduction et la réorganisation des temps de travailpourraient également avoir de fortes implications sur lesmobilités quotidiennes, voire sur les localisations des loge-ments et des emplois. En effet, la possibilité de regrouperle temps de travail individuel, éventuellement en passantà la journée continue (qui ne concerne pour l’instant que70% des actifs de province) ouvre, pour de nombreuxménages, les possibilités du choix de leur logement commede leur emploi. Ne faisant quotidiennement plus qu’unaller-retour domicile-travail au lieu de deux (et cela éven-tuellement sur quatre jours seulement), les ménages voientse dilater leur bassin d’habitat et de travail. À cela s’ajoutela dispersion des horaires de travail ; celle-ci crée une sortede faible “densité temporelle” qui se cumule avec la faibledensité spatiale du périurbain et désavantage les modes de

transports collectifs (comme l’a montré le passage aux35 heures, il y a une dizaine d’années, chez Volkswagendans la ville de Wolfsburg).

UNE VIE DE TOUTES LES MOBILITÉS, MAIS AUSSI DETOUTES SORTES D’ANCRAGES

Les multiples mobilités familiales et professionnelles quimarquent l’évolution de notre société, impliquent toutessortes de mobilités quotidiennes. Elles se traduisent par denouveaux comportements ou de nouvelles stratégies delocalisation des résidences et des emplois, pour les ménagescomme pour les entreprises. Mais dans ce monde où toutsemble se mettre à bouger, où de plus en plus ce sont lesindividus qui font les familles voire même les entreprises,de nouvelles aspirations émergent. En effet, selon AlainBourdin (institut français d’Urbanisme) “les individusveulent être certes plus libres, mais si possible “libresensemble” (cf. l’ouvrage de François de Singly qui portece titre), plus mobiles mais si possible avec des basesarrière et des ancrages, plus disponibles mais si possiblesans risque, plus urbains mais si possible avec la maîtrisede leur environnement proche”. Il ne s’agit pas là de para-doxes, mais d’une complexité nouvelle largement liée auxpossibilités de mouvement, de changement, de choix quela société moderne se donne, mais qu’elle répartit malheu-reusement encore de façon bien trop inégalitaire. ■

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Dans les schémas actuels de transport en flux tendus et en “juste à temps”, le mode routier, par sa souplesseet sa compétitivité, occupe une place de choix tant à l’amont qu’à l’aval du processus de production.Photo : Escota/Yannick Collet

JACQUES THEYS

RESPONSABLE DU CENTRE DE PROSPECTIVE ET

DE VEILLE SCIENTIFIQUE À LA DRAST1

passant de la mobilités personnes à celle desens, des modes de viex relations à l’économie, change radicalement derspective : “en matière

évolution des trafics dearchandises, ce ne sonts des tendances qu’ilporte de repérer, maiss dépendances2”.

mbrication entre lanamique des systèmesoductifs et celle duansport de marchandisest si étroite quemprendre et prévoir laobilité des biens conduitexplorer la quasi totalités dimensions duangement économique,puis la mondialisationqu’aux pratiquesuvelles densommation, sansblier la conjoncture, à

quelle les transports dearchandises sontaucoup plus sensiblese les transports dersonnes3.

Mobilité et économie

Seules quelques-unes de ces relations (portant sur l’inter-nationalisation des échanges, les effets des nouvelles tech-nologies et l’organisation de la logistique et des systèmesproductifs) ont pu être abordées au cours de ce séminaireet laissent à penser que le transport de marchandises(surtout routier) devrait connaître en Europe des taux decroissance voisins ou supérieurs au PIB, malgré des tensionsfortes sur les coûts.

1. Drast : direction de la Rechercheet des Affaires scientifiques ettechniques.

2. Source : Alain Bonnafous – “Lestransports, mobilité et recomposition”,in Techniques, Territoires et Sociétés- n° 33 (“France 2015 - quels enjeuxpour le territoire français” Centrede Prospective – Drast - METL -1997).

3. Les transports de marchandisessont très sensibles aux fluctuationséconomiques : ils croissent beaucoupplus vite que l’économie en périodede croissance (2 à 3%) mais régressentplus fortement que la production encas de récession.

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MONDIALISATION ET INTÉGRATION EUROPÉENNE :DES DYNAMIQUES ENCORE SANS EFFETS

Comme le rappelle Pierre Veltz, directeur de l’ENPC, lamondialisation n’est pas un phénomène nouveau puis-qu’elle caractérisait déjà très largement les économiesd’avant 1914, et qu’il a fallu attendre la fin des années 70,voire 80, pour retrouver des niveaux de commerce inter-national équivalents, en pourcentage du PNB à cettepériode. En revanche, la nature des échanges est diffé-rente : contrairement à la théorie “ricardienne” des “avan-tages comparatifs”4, les échanges internationaux sont deplus en plus des échanges intra-branches, même pour unepart importante intra-entreprises. Ils reposent plutôt surune différenciation dans la qualité des produits et modesde production que sur des facteurs classiques d’accès auxressources, de coûts ou de productivité.

Si le commerce mondial a effectivement connu une crois-sance sans précédent entre 1985 et 1995, l’explicationréside dans ce qui a constitué la véritable rupture dumilieu des années 80 : une intégration beaucoup plusforte qu’auparavant des systèmes productifs et des marchésde consommation à l’intérieur de la “triade” (Amériquedu nord, Europe, Asie du sud-est/Japon); elle-même renduepossible par la conjonction exceptionnelle de la globali-sation des marchés des capitaux, de l’émergence desnouvelles technologies de l’information, de la dérégulation,et de la formation des grands blocs économiques (Alena,Grand marché européen, etc.). Les investissements directs

à l’étranger ont explosé, passant en quinzeans de quelques 50 milliards de dollars à1000-1200 milliards. Ils n’ont plus eupour objet de financer des infrastructuresdans les pays neufs (Russie, Argentine,etc.), mais de permettre aux entreprisesd’être présentes et compétitives sur tousles marchés développés. Et cela va dansle sens d’une certaine homogénéisationdes espaces économiques qui n’exclutd’ailleurs pas de profondes inégalités àl’échelle des “micro-territoires”. Ce nesont pas les différences de coût du travailou les avantages comparatifs qui consti-tuent le moteur essentiel des échangescommerciaux, mais bien plutôt les dyna-miques respectives de la demande et de lacroissance à l’intérieur d’un vaste espaceéconomique mondial ou européen de plusen plus indifférencié. Ainsi, la réduction des différentielsde coût liés aux processus de mondialisation ou d’inté-gration européenne ne se traduira pas nécessairement, àterme, par une réduction des échanges, contrairement àce qu’affirment certains experts. Ces constats valent pour l’Europe. Par rapport aux États-Unis, elle se singularise par un “profil de mobilité” trèsspécifique : une très faible mobilité des personnes (avec une“élasticité” par rapport aux différences de salaires 35 foisplus faible en Grande-Bretagne qu’aux États-Unis!); ensuiteune forte mobilité des capitaux; et enfin une faible spécia-

4. Qui devrait se traduire par unespécialisation croissante des pays etun développement du commerceinter-branches.

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L’ère de la mondialisation est marquée par la simulta-néité de l’information, le primat du temps sur l’espace.Photo : Agence Stratis

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lisation sectorielle nationale et un commerceintra-branches ou intra-firmes élevé. Naturel-lement, le fait que les entreprises gèrent désor-mais des réseaux fortement internationalisésd’usines et de fournisseurs a d’importantesrépercussions sur la mobilité des marchan-dises. Mais les impacts actuels de l’interna-tionalisation ne doivent pas être surestimés. Aucontraire celle-ci est encore loin d’avoir épuisétous ses effets, notamment en Europe.

Il y a une persistance, voire une renaissancedes effets de proximité. À l’échelle mondialecomme en Europe, la part du commerce avecles pays adjacents est plutôt en croissance. Par

ailleurs, la baisse extrêmement forte du coût relatif destransports joue finalement un rôle beaucoup moindredans l’augmentation du commerce mondial que la répar-tition des poids en PIB des différentes régions écono-miques ou des pays. Enfin, les effets de frontière continuent,notamment en Europe, à limiter considérablement l’in-tensité des échanges par rapport à ce qu’ils devraient êtrethéoriquement dans un espace homogène, tels que décritsdans les modèles gravitaires5. Ils réduisent aujourd’huid’un facteur 14 les échanges “théoriques” de marchandisesà l’intérieur de l’Europe, alors qu’ils étaient encore del’ordre de 30 il y a vingt ans6. À travers ces deux chiffres,on mesure à la fois les effets considérables que l’intégra-tion européenne a eu, mais aussi l’importance des margesfutures de progression pour une intensification deséchanges – et donc des transports – à l’intérieur d’unmarché désormais élargi à vingt-cinq pays.

LES NOUVELLES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION :DES IMPACTS IMPORTANTS... LÀ OÙ ON NE LESATTEND PAS

Peut-on attendre des nouvelles technologies de l’informa-tion et de la communication (NTIC) qu’elles infléchissentles tendances précédentes? Effectivement, affirme LaurentGille7, elles vont avoir un impact considérable sur la mobi-lité des biens comme des personnes, mais pas nécessaire-ment dans le sens, généralement évoqué, d’une substitutionentre télécommunication et transport.Les chiffres et les analyses confirment ce qu’avançaient déjàcertains travaux de prospective8 : il y a plutôt complé-mentarité que substitution entre les nouvelles technologiesde l’information et les transports. En effet, les situationsd’arbitrage réel des consommateurs entre l’une et l’autrede ces “fonctions” sont peu nombreuses. Même au niveaudu budget des ménages, les baisses de prix ont jusqu’àprésent permis d’éviter d’avoir à choisir entre ces deuxpostes de consommation9. Si certaines substitutions peuventêtre envisagées à plus long terme, celles-ci seront beaucoupplus liées à des évolutions structurelles qu’à des choixvolontaires. Par exemple, la téléconférence sera vraisem-blablement favorisée par la globalisation des grandesentreprises. Pour l’instant son marché reste encore trèslimité : de l’ordre de quelques pour cent de celui des télé-communications d’entreprise. Ce chiffre est aussi celuique l’on retrouve pour le télétravail ou le commerce élec-tronique (1 % de commerce de détail). Dans ces deuxderniers cas, comme d’ailleurs dans celui de la téléconfé-rence, l’usage des NTIC a plutôt pour conséquence demodifier la structure ou l’organisation des déplacements

Dans un modèle gravitaire, leshanges sont plus ou moins pro-

ortionnels aux poids économiquess zones qui échangent et inverse-ent proportionnels à la distanceométrique.

Voir les travaux menés parhierry Mayer au Cerap.

Laurent Gille est responsable dupartement économie-gestion-iences sociales humaines à l’écoletionale des Télécommunications.

Gérard Claisse : Transports etécommunications. Les ambiguïtés l’ubiquité, PUL, 1982.

Dans les pays du Sud, envanche, c’est l’absence d’infra-uctures et de services de transportsrformants qui a favorisé l’usages nouvelles technologies denformation.

Mobilité et économie

omplémentarité entre les NTIC et les transports.xpérimentation de guide interactif dans le métro, Lyon hoto : Pierre-Emmanuel Rastouin/France Telecom.

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que de les réduire10. Cela ne signifie pas que l’émergencede ces NTIC n’a pas eu, ou n’aura pas de conséquencessur l’évolution des transports. Historiquement, ces deuxactivités sont très liées et leur imbrication va sans douteêtre un des déterminants majeur de l’organisation de lamobilité dans les décennies à venir.

Le développement récent de la logistique est également liéà l’intégration des NTIC ; mais celles-ci vont entraîner detelles reconfigurations dans les activités économiques etles métiers que c’est tout “l’environnement économique”des transports qui risque d’être bouleversé. Elles condui-ront ainsi progressivement à substituer à une logique deproduction de biens – dominée par les “producteurs” – unelogique d’accès à des services et des fonctions (“habiter”,“se déplacer”, etc.) dominée par les consommateurs etles opérateurs de services intégrés. L’enjeu sera de plusen plus d’accéder à des fonctions; et cet accès sera possiblesoit dans l’espace physique (par le déplacement), soit dansles espaces virtuels (sur la “toile”). La question de lamobilité se posera donc de manière croissante par rapportà cette hybridation des accès (réels ou virtuels) aux fonc-tions ou aux services, avec vraisemblablement un couplageextrêmement fort entre les deux. Ceci va entraîner simul-tanément une transformation très profonde de l’intermé-diation (et de son rôle) et des mandateurs. Jusqu’à présentl’intermédiaire était essentiellement mandaté par un four-nisseur pour écouler sa marchandise. On devrait évoluervers une intermédiation mandatée par le consommateurou le client, avec une relation “client” de plus en plusforte et vers le développement d’opérateurs de servicesintégrés capables de chercher les produits, ou vers des

associations de services suscep-tibles de satisfaire les demandes“fonctionnelles”, sans cesse élar-gies, de leurs “mandateurs consom-mateurs” (voir l’exemple “d’Allociné”). À l’évidence, ce sera unenouvelle révolution pour les trans-ports avec une certaine remise encause de l’organisation verticaledes chaînes de production-distri-bution.

LES PERFORMANCES DU TRANSPORT ROUTIER ETSES LIMITES

La mondialisation et la révolution des techniques d’infor-mation n’ont pas été et ne seront pas les seuls défis auxquelsvont devoir répondre les acteurs du transport de marchan-dises. La hausse des revenus, la spécialisation, la recherchepar les consommateurs de produits de plus en plus diversi-fiés et “sûrs”, l’ouverture des frontières, etc. mais aussil’amélioration des infrastructures ont fortement accru lesexigences tant quantitatives que qualitatives en matière defret. Au moins en Europe, constate Louis Defline, présidentde Gefco, l’expérience a montré que les transports routiersétaient les mieux capables de s’adapter à ces exigences. Maisla question de leurs performances futures mérite d’être posée.Depuis trente ans, le transport de marchandises a augmentéen moyenne 10 % plus vite que la croissance du PIB àl’échelle européenne, et une fois et demi plus rapidement au

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10. Le télétravail conduit à la fois àréduire la fréquence des déplace-ments et à allonger les distances.

Les NTIC permettront l’accès à des services et des fonctions dominé par lesconsommateurs et les opérateurs de services intégrés.Surfer dans sa cuisine sur les pages Voilà – Photo : Pierre-François Grosjean/France Telecom.

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Mobilité et économie

cours des années 90. Cette accélération récente est surtoutle fait du transport routier (1,7 fois la croissance du PIBdepuis 1970, deux fois depuis 1990) et, à un moindre degréau fret maritime, le transport ferré étant lui en régression. Si le transport routier représente aujourd’hui 85% du freteuropéen en valeur et plus de 40% en tonnes-kilomètres,c’est parce que la route est un mode de transport sensible-ment plus performant que les autres sur presque tous lescritères : à la fois en terme de rapidité (60 km/h au lieu de15 à 20 pour le chemin de fer !), de fiabilité (98%, commele maritime, contre 50% pour le transport ferré, etc.), decoût, de contribution aux budgets publics, de flexibilité.Secteur presque entièrement privé (1 million d’entreprisesen Europe), le transport routier a su s’affirmer depuis trenteans, surtout après la dérégulation du milieu des années 80,comme la solution la plus performante pour faire face auxproblèmes de mobilité des marchandises en Europe. Maisl’extension des zones de congestion (couloir rhodanien,grandes vallées alpines ou pyrénéennes, traversée des agglo-mérations, etc.), la forte montée du mécontentement descitoyens, la perception croissante des risques de pollutionet d’insécurité, le poids, dans certains pays, de la fiscalité,l’alourdissement des réglementations techniques et sociales,la hausse du prix du pétrole constituent autant de problèmespréoccupants. Tout cela se traduit en tous cas depuis 1999par une hausse des coûts, dont on peut penser qu’elle eststructurelle à long terme, avec des prévisions d’augmenta-tion de l’ordre de 3 à 4% d’ici 201011.Les propositions du Livre blanc européen de novembre 2001,qui visent à rééquilibrer le partage modal du fret au profit duchemin de fer et des transports fluviaux ou maritimes,semblent peu réalistes : les investissements à réaliser dans

cette perspective représentent 500 milliards d’euros, soitdeux fois le budget annuel de la France et près de vingt foiscelui des transports de l’Union européenne. L’hypothèse la plusprobable est donc celle d’un doublement à l’horizon 2010 dunombre de camions et d’une répartition modale inchangée.Faute, pour les pouvoirs publics, d’avoir su à temps faireles investissements ou prendre les mesures nécessaires,faute aussi d’une politique coordonnée du rail à l’échelleeuropéenne, le risque est donc grand que la régulationfuture, entre offre et demande de transport, se fasse par lesprix – et que la baisse de performance du fret devienne fina-lement un frein à la croissance économique. La questionde la non durabilité à long terme du système de transportest une hypothèse qu’il faut pouvoir envisager. Elle se posedéjà en France avec les pertes financières de la SNCF, duSernam, de Geodis, de Geopost, le blocage d’Eurotunnelou du tunnel du Mont-Blanc, le déclin des ports et despavillons français tant maritimes que routiers…

VERS UNE AUTORÉGULATION DE LA MOBILITÉ PARLES ENTREPRISES? LES NOUVELLES FONCTIONS DELA LOGISTIQUE

Si un certain scepticisme s’exprime sur l’efficacité de l’ac-tion publique à l’échelle européenne12, la question resteouverte d’une possible “autorégulation” des flux demarchandises par les entreprises elles-mêmes. Les coûtsde transport et de logistique représentent en effet une partnon négligeable du coût des produits (7 à 10 %). Leurhausse éventuelle pourrait amener à remettre partielle-

2. Le commissaire européen auxansports, Mme de Palacio,envisage pas une véritableterconnexion des réseaux ferrésropéen avant 2010.

1. Il faut rappeler que depuis leilieu des années 80 les coûts duansport routier ont, au contraire,issé de 25 % grâce à des gains deoductivité de l’ordre de 3 % par.

e fret maritime se place juste après le transport routierors que le transport ferré est en régression.

hotos : SNCF/CAV/Jean-Marc Fabbroort autonome du Havre

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ment en cause les arbitrages qui, depuis quinze ans, ontconduit à privilégier une spécialisation de plus en pluspoussée des usines, une réduction des stocks et une gestionen flux tendus de la chaîne de production-distribution.L’exemple de Yoplait, exposé par Gérard Serre, directeur dela logistique, illustre l’importance de l’enjeu dans un secteurde grande consommation et producteur de produits frais13.En vingt ans, tout le système de production-distribution del’entreprise a été bouleversé, plaçant la logistique dans uneposition beaucoup plus stratégique. En 1980, Yoplait fabri-quait une vingtaine de produits dans une quinzaine d’usines– à peu près une par région à l’échelle française. Ces établis-sements alimentaient une centaine de dépôts (un par dépar-tement) autour desquels gravitait une noria de petitestournées de livraison fournissant directement environ 70000points de vente. Toute l’organisation était régionale, avec desstocks importants et des formes de distributions relativementroutinières, donc prévisibles. Vingt ans plus tard, le“paysage” s’est totalement transformé. On est passé d’unevingtaine à plusieurs centaines de références de produit, cequi a conduit à spécialiser les usines (dont le nombre s’estpar ailleurs réduit) à l’échelle européenne. Les dépôts dépar-tementaux ont disparu et ont été remplacés par quatreplate-formes qui n’alimentent plus que quelques centainesd’entrepôts (370) eux-mêmes liés à la grande distributionou à la restauration collective (1100 hypermarchés, 14000supermarchés). La logistique mise en place par l’entreprisedoit permettre à la fois de répondre aux exigences croissantesdes consommateurs et de la grande distribution (fiabilité,flexibilité), de minimiser les coûts de stockage et de trans-port et de fournir aux unités de production l’informationnécessaire pour s’adapter à la demande. Il n’y a plus de

stock ni dans les usines, ni dans les plate-formes, ni dans lesentrepôts, ni dans les grandes surfaces. Le délai maximum(pour 90% des tonnages livrés) entre les commandes jour-nalières des magasins et la livraison est de 24 heures. Cesystème, très contraint, ne peut fonctionner que grâce à lasophistication croissante des technologies de l’informationet de la communication, et le recours à des moyens de trans-port fiables et flexibles. Compte tenu de la géographie et del’organisation du fret ferroviaire en Europe, ces exigencesfavorisent le transport routier14.Mais ce système a des limites : il est vulnérable soit aux aléas,soit à une hausse des coûts des transports. Un scénario faitau sein de l’entreprise montre que si, dans la situation actuelle,la solution optimale était de réduire encore le nombre deplate-formes (pour passer de 4 à 2), un doublement du prixdes transports rendrait préférable le stockage dans un nombreplus important de plate-formes et une certaine remise encause da la spécialisation des usines à l’échelle européenne.Ce retour à une certaine forme de régionalisation n’estcependant pas la seule alternative : on peut aussi imaginerune plus grande “mutualisation” ou gestion en commundes plate-formes, des entrepôts et des camions, ou despratiques de distribution moins exigeantes, intégrant unminimum de stockage. Dans tous les cas, l’adaptationnécessaire sera longue et n’aura de chance de se produireque si des signaux clairs sont adressés aux industriels etacteurs concernés. Cela suppose plus de transparence dansles coûts, et une plus grande prévisibilité à long terme despolitiques publiques et de tarification à l’échelle de toutel’Europe. Le défi est considérable et concerne finalementl’ensemble de l’appareil industriel et de la distributioncomme de l’organisation du fret. ■

13.Yoplait est le second producteurmondial de produits laitiers frais.

14. La situation est très différenteaux Etats-Unis où le chemin de ferreprésente encore près de 40 % destonnes kilomètres transportées et oùl’organisation de la distribution restetrès régionale. Dans les années 90,Yoplait s’est associé à Crénofroid,filiale de la SNCF, mais cette dernièrea arrêté ses activités dans le domainedu transport frigorifique.

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Les résultats des enquêtes d’opinion suscitent des inter-rogations qui mettent en cause l’honnêteté des ques-tionnements ou le caractère inducteur de la formulationdes questions. On observera que les sondages du Gart1 etdu CCFA2 véhiculent des images très différentes des atti-tudes envers l’automobile. En revanche, d’autres approches de l’opinion renvoient indiscutablement à une

L’usage de la voiture est aujourd’hui dominant et croissant.Grand Lyon – Photo : Communauté urbaine de Lyon/Jacques Léone

JEAN-PIERRE ORFEUIL

PROFESSEUR À L’UNIVERSITÉ PARIS XII,RESPONSABLE DU DEA TRANSPORT

(PARIS XII – ENPC)

s enquêtes de mobilité,mme l’expérienceotidienne de chaqueadin, révèlent laoissance apparemmentexorable des usages deutomobile.

s enquêtes d’opinionfrent quant à ellesmage de citoyenstentifs à leurvironnement, à laalité de la vie urbaine etnsibles à l’excessiveession de l’automobiler la ville.

vons-nous en concluree nous mesurons mal lesoses? Que nous sommescohérents? Ou devons-us prendre appui sur cesntradictions apparentesur tenter d’appréhender autre ordre detionalité où les rapportstre acteurs seraientntégrés dans l’analyse?

L’automobilisme : entre autonomie et dépendance

1. Gart : groupement des autoritésresponsables des transports.

2. CCFA : comité des constructeursfrançais de l’automobile.

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réelle insatisfaction à l’égard de la pression automobilesur la ville et, plus généralement, sur l’environnement. Onl’a vu avec :• le PDU3 de Lyon, lorsque la population s’est exprimée enfaveur d’un schéma plus régulateur à l’égard de la voiture;• le grand débat organisé dans le cadre de la préparationde la loi SRU4, y compris dans des villes moyennes où onaurait pu penser que l’automobile était mieux acceptée ;• le maintien d’un “intéressement” significatif à l’égard dela pollution ;• et enfin de façon plus indirecte, à travers le fait que lesoutien public à la mobilité automobile est devenu poli-tiquement incorrect pour la plupart des élus, à l’exception(notable) de ceux qui sont élus au suffrage indirect (Sénat,conseils généraux).Des progrès sont sans doute à accomplir dans les enquêtesd’opinion, mais il faut se résoudre à admettre qu’ellesexpriment une part de vérité à construire. Trois pistespeuvent alors être explorées.

MISE EN CAUSE DE L’AUTOMOBILE OU DE LATOLÉRANCE À L’INCIVILITÉ ?

Les critiques portées sur l’automobile renvoient auxnuisances générées par la technique (bruit, pollution), àdes nuisances plus qualitatives (altération des paysages etdes espaces publics) et aux comportements gênants ou àrisques d’une partie des automobilistes (stationnementgênant, refus de priorité aux passages pour piétons, vitesses

excessives, etc.). Pour les premières, l’opinion reconnaît lesefforts des constructeurs. Mais il n’en va pas de même pourles autres. L’automobile reste un vecteur majeur d’incivilitésouvent peu sanctionné. En raison du nombre d’automo-bilistes, les conséquences de cette incivilité, – de l’inconfortet des “petites misères” aux drames de la route, en passantpar des comportements de protection comme l’accompa-gnement des enfants à l’école “par sécurité” – sont ressen-ties par tous, y compris par de nombreux automobilistes,même si seule une minorité de conducteurs pose vraimentproblème. L’énervement à l’égard de quelques-uns peut setransformer rapidement en accusation des pouvoirs publics(surtout lorsqu’un drame intervient) et en une demanderéelle d’action. C’est moins l’automobile qu’une tolérancetrès éloignée du zéro qui pose problème.

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3. PDU : plan de déplacements urbains.

4. Loi SRU : loi solidarité et renou-vellement urbains.

Les critiques portées sur l’automobile renvoient aux nuisances générées : bruit, pollution,altération des paysages, etc.Photo : DDE 69/Jean-Loup Métrat

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DES RÉPONSES SÉLECTIVES AUX BESOINSD’UNE MINORITÉ ?

D’apparence technique, cette seconde piste renvoie à laconstruction des indicateurs. Dans les enquêtes d’opi-nion, dans les votes lors de consultations informelles,comme pour le PDU de Lyon, et dans la sphère politique,chacun, qu’il roule beaucoup ou peu, pèse d’un mêmepoids. Un homme, une voix : c’est le principe démocra-tique. Il n’en va pas de même pour le niveau global decirculation (plus de la moitié des circulations est produitepar moins d’un quart des personnes), comme pour l’éva-

luation économique desinfrastructures, où chacunpèse en proportion de sonkilométrage. Il n’est alorspas déraisonnable d’ima-giner que les 3/4 des indi-vidus qui roulent le moinsestiment qu’il y aurait beau-coup moins de problème, etpeu d’obligation à déve-lopper sans cesse le réseausi chacun se comportaitcomme eux. En outre, lesentiment que “plus on enfait, plus il y aura de circu-lations” est largementpartagé et rejoint les débatsd’experts sur les traficsinduits et la spirale de l’ex-tension urbaine.

LA DÉPENDANCE EN PASSE DE SUPPLANTERL’AUTONOMIE ?

La troisième piste va plus loin. Elle remet en cause l’idée queles aspirations sont révélées par les comportements de“consommation”, d’autant plus que, dans les cadres quoti-diens, la demande de déplacements est une demande dérivée.Les aspirations premières consistent à mener sa vie, à allerau travail, à faire ses courses, à se distraire aisément, et cen’est que parce que seule l’automobile permet de le faire entoute liberté qu’elle est utilisée aussi intensément. En fait, l’au-tomobile est moins utilisée pour ses vertus propres que pource qu’elle permet : elle est choisie faute d’alternative voiremême parfois à contrecœur en raison du coût qu’elle occa-sionne. Selon les sondages du CCFA, l’automobile est beau-coup plus associée à la “facilité de la vie au quotidien”qu’au plaisir, à la liberté ou à la vitesse. Il y a en fait deuxdimensions dans ce diagnostic : l’une modale et l’autre rela-tive à l’organisation spatiale et à la répartition des activitéssur le territoire. Les travaux sur les potentiels de transfertsmodaux, dont le plus abouti est l’étude Pari 21 sur la zonedense francilienne, accréditent, dans la situation actuelle etdans cette zone pourtant bien desservie par les transportspublics, que seule une faible part des déplacements en auto-mobile pourrait raisonnablement être réalisée dans d’autresmodes. Comme l’opinion perçoit à juste titre l’impossibilitéde satisfaire l’augmentation des flux routiers dans de bonnesconditions (ni pour les automobilistes, ni pour l’environne-ment), elle privilégie très logiquement l’amélioration d’al-ternatives à l’automobile, rejoignant ainsi le changementde paradigme prôné par les experts britanniques, à savoirpasser de predict and provide à predict and prevent.

L’automobilisme : entre autonomie et dépendance

automobile reste un vecteur majeur d’incivilité souvent peu sanctionné.ampagne 2002 (sécurité en ville) – DSCR

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L’organisation des espaces nous invite à aller encore plusloin : la demande de mobilité n’existe pas en soi. Il s’agitplus d’une demande d’accessibilité commode auxressources, dont l’archétype extrême est porté par l’imagedu village urbain. Les politiques suivies depuis plus detrente ans ont privilégié la mobilité et sa composanteautomobile pour résoudre des problèmes d’ordre supérieur,comme par exemple :• la maison sur catalogue (mais sur un terrain lointain) pouralléger les aides publiques au logement, répondre auxtensions inflationnistes des marchés immobiliers, et trans-former les Français remuants en propriétaires conservateurs;• les hypermarchés pour moderniser un secteur et maîtriserl’inflation ;• les campus universitaires par fascination du modèleaméricain, pour choisir les populations dignes des centreset tenir les étudiants à l’extérieur, etc.Les enjeux de ces choix sont aujourd’hui moins prégnantset les solutions adoptées moins en phase avec des aspira-tions plus qualitatives : le modèle est plus en crise politiqueet culturelle (le domaine des représentations) qu’écono-mique (le domaine des comportements “au jour le jour”).L’opinion serait passée d’une adoption joyeuse de l’auto-mobile, objet d’autonomie d’autant plus valorisé que nosparents ou nos grands parents n’en avaient pas toujoursbénéficié, à un sentiment de dépendance, résultant du faitque tous les acteurs du jeu urbain se sont organisés sur l’hy-pothèse que nous viendrons à eux en voiture. La questionde l’automobile devient alors celle du modèle urbain.C’est pourquoi de nombreux pays européens, dotés d’unetrès longue tradition d’écoute des citoyens, se sont engagésdans les années 90 dans des politiques de renouvellement

urbain tendant à privilégier la densité et la mixité surl’étalement et le zonage, l’accessibilité sur la mobilité, lafonction sociale d’espace public de certaines voiries sur leurfonction technique circulatoire : le credo germanique de“ville à portée de main” en constitue l’archétype extrême.La France a suivi le mouvement avec des lois sectorielles,comme la loi Raffarin sur le grand commerce et plusrécemment encore avec la loi SRU. Il est sans doute sainpour la démocratie qu’un certain état de l’opinion setraduise en orientation au niveau le plus symbolique dupouvoir. ■

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Les politiques de renouvellement urbain tendent à privilégier l’accessibilité sur la mobilité, la fonction socialed’espace public.Place de la République à Lyon – Photo : Communauté urbaine de Lyon/Jacques Léone

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...Concernant les déplacements à courte et moyennedistances, y compris à l’intérieur des agglomérations,leurs temps de parcours de porte à porte, sauf excep-tion, sont plus courts en voiture qu’en transportcollectif. Mais pour des raisons de confort ou de sécu-rité, beaucoup préfèrent l’automobile même lors-qu’elle est moins rapide. D’où l’idée d’agir sur la vitesse

JEAN-PIERRE GIBLIN (introduction)PRÉSIDENT DE LA SECTION “AFFAIRES

SCIENTIFIQUES ET TECHNIQUES” AU CGPC

MARIE-HÉLÈNE MASSOT

DIRECTRICE DE RECHERCHE À L’INRETS

FRANÇOIS ASCHER

PROFESSEUR À L’INSTITUT FRANÇAIS

D’URBANISME - UNIVERSITÉ PARIS VIII

MARC WIEL

URBANISTE

storiquement, leveloppement de laobilité kilométrique estroitement liée auxrformances des modes transports. C’est laesse moyenne desplacements qui s’estcrue et avec elle leurngueur plus que leurmbre.r ailleurs, la stabilité desdgets-temps peutxpliquer par une

variance dans le rapporttre temps d’activité etmps de transportcessaire à leur exercice. conséquence, l’échangetre temps de transportsatisfaction résidentielle

est pas totalementvert.

ne nouvelleartographie de laesse” est apparue dans agglomérations avec lafusion de l’automobilela réalisation deuvelles infrastructuresutières toutrticulièrement lescades urbaines :croissement des vitesses périphérie, amélioration l’accessibilité deuveaux territoires,pact sur l’étalementbain et la mobilité...

Temps et vitesse

Plus intenses et plus fréquentes, les mobilités deviennent aussi plus diffuses au point que les notions d’heurede pointe ou d’heure creuse perdent de leur pertinence.Photo : DSCR/François Cépas

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pour réguler le phénomène et ralentir ainsi la croissancede la mobilité kilométrique tout en ayant l’objectifd’améliorer l’accessibilité.Faut-il revenir sur certaines conceptions de la voirieurbaine : dissocier les fonctions de transit et d’échangesinternes là où c’est encore possible, préférer desmaillages de boulevards urbains à des réseaux de voirierapide, mettre en place des politiques d’exploitationvisant à modérer la vitesse?Doit-on accepter un certain niveau de congestion avecun renforcement des mesures de “discrimination posi-tive” pour les transports publics de surface? Si ces poli-tiques concernent de préférence les zones denses(centrales), comment éviter qu’elles ne stimulent encoreplus les localisations périurbaines et la mobilité péri-phérique?Une offre nouvelle de transports collectifs rapide (TER,tram-train) à l’échelle des “régions urbaines” peut-elle constituer une réponse aux nouvelles relations auterritoire et une alternative sérieuse au transport indi-viduel?Faut-il enfin revoir la place accordée aux gains detemps dans les évaluations des projets et des politiquesde transport compte tenu de l’évolution de notrerapport au temps, de la stabilité des budgets-temps detransport et du développement du temps libre? ■

VITESSE ET RÉGULATION DE L’USAGE DE LA VOITUREEN ZONE URBAINE (par Marie-Hélène Massot)

Au cours des trente dernières années, les politiques de trans-port se sont focalisées en priorité sur le dimensionnementd’infrastructures routières rapides, suburbaines et radialeset sur celui de transports ferrés (métro, RER, tramway). Lavitesse de déplacement, qui participe aux conditions de lamobilité facilitée, a été placée plus ou moins explicitementau cœur des politiques de transport. Il est admis aujourd’huiqu’elles ont favorisé l’étalement urbain des hommes et desactivités.

Vitesse et temps : des atouts puissants d’organisation dela mobilité

Les conditions de la mobilité ont dédensifié l’agencementurbain avec pour résultat des transformations profondesdans l’usage des modes : celui de la marche et des deux-rouesrégresse fortement, celui des transports publics est globa-lement stable et celui de l’automobile progresse. L’usagede la voiture est aujourd’hui dominant et croissant. Sousl’effet direct de l’évolution du partage modal et celui plusindirect de l’augmentation de liaisons suburbaines réali-sées en voiture, la vitesse moyenne de la mobilité localeindividuelle a augmenté (+ 35% entre 1982 et 1994).Ces faits indiscutables montrent que les progrès de vitesseofferts ont été intégrés par les citadins dans leurs stratégiesde localisation et dans leurs pratiques de mobilité. La vitesse

Les politiques de transport se sont focaliséessur le dimensionnement d’infrastructuresroutières rapides qui ont favorisé l’étalementurbain des hommes et des activités.Fil d’Ariane à Toulouse – Photo : STC ville de Toulouse

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de déplacement régit et organiseles pratiques sociales d’une grandemajorité d’individus ; elle légitimele mode le plus rapide, au moinspour ceux qui ont le choix. Si nouscernons encore mal comment lagestion des programmes d’activitésindividuels, construite sur des arbi-trages préalables réalisés en termesde mobilité et de localisation rési-dentielle, dépend de la vitesse dedéplacement (suivant les contextes,les activités et les acteurs), le fait estmajeur.En effet, il est établi que 92% desconducteurs se déplaçant, un jour

donné, en zone dense francilienne (Paris et petite couronne)n’auraient pas pu réaliser leurs activités dans les lieux oùils les ont réalisées autrement qu’en automobile à moinsde consacrer plus de temps à se déplacer. Dans l’espacedense francilien où les conditions d’utilisation de la voituresont les plus difficiles de France et la concurrence modaleplus ouverte, la vitesse et le temps sont des atouts puissantsd’organisation de la mobilité. La confrontation avec lesrésultats établis sur le Grand Lyon permet de nuancerquelque peu la prégnance du rôle de la vitesse dans lechoix pour la voiture et l’organisation de la mobilité :dans cette zone, beaucoup moins peuplée que la régionparisienne et où les usages de la voiture sont en propor-tion plus importants, 84 % des conducteurs n’auraientpas pu réaliser, autrement qu’en voiture, l’ensemble deleurs activités quotidiennes à vitesse inchangée.

Vitesse de déplacement et rigidité du report modal

Le défi de vitesse et de flexibilité d’usage dans le temps etdans l’espace que pose la voiture aux politiques est a prioritrès élevé. De fait, la “résistance” de la mobilité des conduc-teurs au report modal est incontestablement très forte1. Toutes choses égales par ailleurs et sous les hypothèsessuivantes – augmentation de 25 % des temps de trans-ports individuels par jour, renforcement de la performancedes transports collectifs (extension de 44% de l’offre parcréation de rocades en tramway, prolongement des lignesferrées assorti d’une augmentation de 35% de la vitesse desautobus dont la fréquence est par ailleurs alignée à4 minutes) et obligation de se rabattre sur le transportcollectif en vélo ou en voiture chaque fois que cela estpertinent en temps pour les individus. On estime que 75%du trafic automobile actuel de la zone dense franciliennesubsisterait… Encore faudrait-il que l’espace libéré par lavoiture n’induise pas de trafic automobile supplémentaire,ce que les faits contredisent.

La lente “croissance” des potentiels de réduction du traficautomobile tient non seulement à la vitesse très élevée de lamobilité des conducteurs automobiles, mais aussi aux carac-téristiques de leur mobilité plus diversifiée dans l’espace. Ellerésulte aussi des effets réels mais limités des améliorationsde l’offre de transport collectif (voire très restreints au regardde leurs financements) sur les potentiels de réduction du traficautomobile, alors même qu’ils sont démultipliés par uneaugmentation (de 25%) des temps individuels alloués autransport : de fait, 75% des potentiels sont présents à offrede transport collectif constante. La forte extension des

Temps et vitesse

Cette résistance de la croissancet mesurée dans une démarche quiamine les potentiels de transfertr la marche, le vélo et le transportllectif des déplacements réalisés voiture dans la zone parisienne unur donné en 1991. Marie-Hélèneassot et alii (2002) Les potentiels report modal dans la zone dense

ancilienne, in RTS à paraître.

es offres de transports publics rapides ne permettent pas de satisfaire la complexitépatio-temporelle de la mobilité associée à l’usage de la voiture.

amway de Strasbourg – Photo : DDE 67/Daniel Fromholtz

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réseaux de transport public rapide, simulée et proposéedans le cadre des contrats de plan franciliens à horizon2010, n’a aucun effet sur le potentiel actuel de réduction del’usage de la voiture dans cette zone. Conçues dans unelogique radio-concentrique favorisant l’accès à Paris deterritoires de plus en plus éloignés du centre où sont anti-cipées les plus fortes croissances de la population, ces offresne permettent pas de satisfaire la complexité spatio-tempo-relle de la mobilité associée à l’usage de l’automobile. En fait,l’efficacité des modes alternatifs sur la réduction du traficautomobile, bien que limitée, n’est réelle que dans le cadred’une modération de la vitesse de la voiture, vecteur d’unemise en cohérence des performances relatives des modes.

Vitesse de déplacement et marges de manœuvre individuelles

Si modérer la vitesse de progression de l’automobile appa-raît comme un levier important de régulation de son usage,voire de loin le plus efficace des leviers simulés selon lemodèle comportemental de demande Matisse2, cette pers-pective est très rarement mobilisée par le politique. Une desraisons invoquées pour ne pas toucher à la vitesse est l’at-teinte à l’efficacité économique qu’elle sous-tend par réduc-tion de la mobilité et donc des interactions sociales qu’elleimplique. Le modèle Matisse vérifie le fait : à une modéra-tion de 33% de la vitesse automobile est associée une réduc-tion nette de 9% de la circulation tous modes confondus.De ce résultat, il ne faudrait pas conclure que les marges demanœuvre à la disposition des individus n’existent pas. Àbudget-temps de transport journalier, offre de transport

collectif et mobilité individuelle constants, la réduction potentielle dutrafic est de 4% pour la zone denseparisienne et de 6% pour le GrandLyon (Massot, 2002). À offre constante et mobilité données, tolérerune croissance du budget-temps de25% de chaque conducteur concernépermet de doubler ce potentiel(respectivement 9% et 13%). Danscette dernière hypothèse, plus de lamoitié des conducteurs franciliens neverraient pas leur temps de déplace-ment augmenter, l’autre moitié subis-sant une hausse moyenne de cestemps de quelque 10% (moins de 10 minutes) par jour.Ces potentiels seraient mobilisables à faible coût individuelet collectif à condition de contraindre quelque peu l’usagede la voiture : les potentiels se montrent en outre sensiblesà une offre de transport collectif routière renforcée enfréquence et en vitesse.Mais au-delà de ces marges de manœuvre individuellesdont beaucoup d’élus se contenteraient, le défi majeur dela vitesse automobile reste lié, à coût constant de l’usage del’automobile, aux formes urbaines (au sens extensif duconcept)3 auxquelles elle a donné naissance, générant lacroissance du trafic automobile et la rigidité du reportmodal. Le potentiel de dé-densification des hommes et desactivités permis par la vitesse automobile est encore fort. Enraison de la faible efficacité des modes alternatifs, la régu-lation de la croissance du trafic est aujourd’hui laissée à laseule vertu des “congestions” récurrentes sur les infra-

2. Dans le cadre du modèle dedemande Matisse, Morellet (2002)simule en effet les effets sur les traficsd’une croissance très conséquentede l’offre de transport collectif, d’uneréduction de 50 % des tarifs dutransport collectif, de l’instaurationd’un péage pour circuler dans Pariset d’une modération de la vitessedes voitures de 33 %.

3. Définies tout autant par leurmorphologie que par les densitéshumaines, le degré de spécialisationfonctionnelle et sociale des différentsespaces qui les constituent.

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La régulation de la croissance du trafic est laissée à la seule vertu descongestions récurrentes sur les routes.Boulevard périphérique Porte de Bagnolet – Photo : DREIF/Gobry

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structures routières qui à leur tour engendrent de nouveauxbesoins d’infrastructures et des délocalisations d’activités.Les enjeux socio-économiques sont suffisamment forts entermes de dépendance à la voiture et de coûts publics pourque la maîtrise de la vitesse de l’automobile et le renché-rissement de son coût d’usage soient pris en compte etanalysés non seulement dans leurs effets à court terme surla régulation du trafic actuel et sur l’optimisation de lacapacité /sécurité des infrastructures mais aussi à long termesur les ré-agencements urbains qu’ils peuvent produire.L’hypothèse à vérifier est celle d’une réversibilité dans letemps des effets de la vitesse et des coûts de l’usage de lavoiture sur les stratégies de localisation des hommes et desactivités et la re-densification des formes urbaines dans lecadre de projets urbains permettant ce ré-agencement (poli-tiques de l’habitat et des transports collectifs, maîtrise desmarchés fonciers et immobiliers). ■

Références

Marie-Hélène Massot et alii (2002) : Les potentiels de report

modal dans la zone dense francilienne, in RTS à paraître.

Marie-Hélène Massot et alii : Pari 21, Étude de faisabilité d’un

système de transport radicalement différent pour la zone

dense francilienne, rapport Inrets n° 243, Les collections de

l’Inrets.

Olivier Morellet (2002) : Effets de différentes mesures de poli-

tique de transport visant à orienter la demande dans une région

de type Ile-de-France, Note de travail Inrets, 23 pages.

DE LA SOCIÉTÉ À TOUTE VITESSE, À UNE SOCIÉTÉDE TOUTES LES VITESSES (par François Ascher)

La vitesse est au cœur du capitalisme : plus le capital tournevite, plus le taux de profit annuel est élevé. Aussi, dansnotre société où l’économie joue un rôle croissant, la pres-sion à aller de plus en plus vite en toutes choses s’exerce deplus en plus fortement, tant dans la sphère de la productionque dans celle de la consommation. Peut-être le désir devitesse est-il également un élément essentiel de l’hommemoderne, soucieux de maîtriser son existence et d’opti-miser sa vie? Toujours est-il que nous sommes dans unesociété du “toujours plus vite”.

Une société du “toujours plus vite”

Cette pression à se dépêcher, à accélérer, à faire le plus dechoses possible dans un minimum de temps rend souventla vie insupportable. Même si le travail à la chaîne décritpar Chaplin dans Les Temps Modernes a pratiquementdisparu dans les pays développés, en revanche, le rythmede la vie quotidienne de larges couches de la population estsouvent devenu effréné. Le temps de la consommationdevient à la limite plus stressant pour certaines couchessociales que celui de la production. De tout cela se dégageune forte envie de pouvoir ralentir toutes choses. Le mouve-ment des “slowfoods” illustre de façon amusante et sympa-thique cette envie de prendre le temps. Il y a quelquesannées, Paul Virilio avait évoqué l’émergence d’une nouvellescience de la vitesse, la “dromologie”. Paul Sansot, quantà lui, a écrit récemment un petit ouvrage à succès intitulé“Éloge de la lenteur”.

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J’ai le sentiment qu’il faut resituer l’actualité du thème dela vitesse dans ce cadre plus général. Mais s’agissant de lavitesse des déplacements, d’autres facteurs contribuentégalement à la mettre sur l’agenda. Tout d’abord, il y a lasensibilité croissante à l’insécurité routière. On sait que lavitesse est une des causes majeures des accidents graves etil est effectivement temps que l’on prenne enfin des mesuresplus radicales pour imposer le respect de ses limitations. Ensecond lieu, les écologistes se sont saisis du thème de lavitesse dans le cadre de leur lutte contre l’automobile. Seloneux, en réduisant la vitesse de circulation des automobiles,on encouragerait l’usage d’autres modes de transports,moins polluants. Enfin, il existe un certain nombre d’ur-banistes qui souhaitent lutter contre la périurbanisation etla ville étale et qui pensent que la limitation des vitesses dedéplacement pourrait favoriser le retour à une urbanisationplus classique, compacte et dense.

Vitesse : le respect des règles routières

Le respect des règles routières induit le contrôle et la répres-sion des délits et des crimes commis par ceux qui ne lesrespectent pas. Il est d’ailleurs un élément clef dans ce quele président de la République qualifie de grande cause natio-nale. La délinquance routière est en effet bien plus large quetoutes les autres délinquances (des millions d’infractions sontcommises chaque jour) et bien plus coûteuse en vies et enargent que la petite délinquance qui semble tant mobiliserles hommes politiques aujourd’hui. Il est probable qu’ilfaille une réforme constitutionnelle et des textes législatifsassez importants pour que les pouvoirs publics françaispuissent prendre les mesures qui s’imposent (comme par

exemple le contrôle et la sanction automatiques des excèsde vitesse) et qui sont déjà mises en œuvre dans de nombreuxautres pays démocratiques.

La thématique écologique

Ralentir les autos pour favoriser les modes “alternatifs” et“doux” me semble en revanche assez dangereux. Maisencourager l’usage des transports collectifs dans les zonestrès denses et l’usage du vélo dans certains types de quar-tiers est nécessaire. Or, les mesures qui visent à pénaliserglobalement l’usage de l’automobile risquent d’avoir desconséquences néfastes dans d’autres domaines, voire deseffets écologiques pervers. En effet, souvent en Europe, etnotamment en France, une grande partie des utilisateursd’automobiles sont des usagers captifs : ces ménages souventmodestes habitent dans des zones périurbaines peu denseset n’ont pas d’autres moyens de déplacement. Ralentirglobalement la vitesse des automobiles, entraver sa mobi-lité, ne gênerait bien sûr pas les couches moyennes supé-rieures qui vivent et travaillent à Paris et dans les trèsgrandes villes. En revanche, cela risquerait d’avoir desconséquences douloureuses pour une grande partie de lapopulation : c’est le tort de nombreux PDU que de n’avoirpas pris en compte les temps de transports.De plus, la diminution globale des vitesses dans les zonesurbaines pourrait avoir des effets pervers, c’est-à-dire inversesà ceux escomptés officiellement. En effet, la réduction desvitesses de déplacement et en particulier des relations centres-périphérie, la multiplication des “zones tranquilles” (limi-tées à 30 km/h) sans création parallèle d’“axes rouges” (devoies rapides) risquerait d’induire un regain d’urbanisation

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Prendre des mesures radicales pour imposer desrègles de sécurité routière.Photo : DSCR/François Cépas

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périphérique et une spécialisation fonctionnelle croissante desespaces : les quartiers résidentiels se fermeraient au transitet donc aux activités qui engendrent des flux avec l’extérieur.Rappelons-nous que les premiers centres commerciaux péri-phériques sont apparus en 1923 à Los Angeles le jour où lamunicipalité, voulant protéger les deux compagnies défici-taires de transports collectifs, a interdit le stationnementautomobile en centre-ville. Enfin, s’agissant du bilan écolo-gique des ménages, il n’est pas sûr que les ménages qui habi-tent dans une maison individuelle périurbaine et qui passentbon nombre de week-ends dans leur jardin, rejettent plus decarbone dans l’atmosphère que les urbains “denses” quipartent en week-end, aussi souvent que possible et de plusen plus loin. La réponse à cette question mériterait desétudes plus approfondies que ce dont nous disposons aujour-d’hui.

La thématique urbanistique

La thématique urbanistique est une variante de la théma-tique écologique. Moins politico-idéologique, elle s’inscritdans un mouvement qui touche la plupart des pays ancien-nement urbanisés et industrialisés et prend divers noms :urban regeneration aux États-Unis, urban Renaissance auRoyaume-Uni (suite au rapport du même nom de RichardRodgers), renouvellement urbain en France. Elle vise àessayer d’utiliser ou de réutiliser au maximum les terrainsdéjà urbanisés (friches, délaissés, dents creuses), à favoriserdes constructions plus denses, des quartiers multifonction-nels, une ville compacte, et à limiter les constructions demaisons individuelles en périphérie des villes. Pour ce faire,certains urbanistes comme Marc Wiel proposent entre autre

de limiter les vitesses de déplacement. Leur raisonnement,notamment pour les grandes agglomérations, consiste àdire que la limitation des vitesses pourrait inciter les acteurslocaux en général, les ménages et les entreprises en particulier,à faire en sorte que se rapprochent le logement, l’emploi, lecommerce, les loisirs et l’éducation pour une bonne partiede la population. Ils font l’hypothèse que les acteurs cher-cheraient à conserver les mêmes temps de transport, inver-sant la fameuse conjecture de Zahavi. Celle-ci avait constatéque lorsque la vitesse de déplacement augmentait, les gensallaient de plus en plus loin et conservaient le même tempsde transport. L’hypothèse de Marc Wiel suppose la réver-sibilité de ce phénomène. Personnellement, je n’y crois pasdu tout. Je doute qu’il soit possible de revenir en arrière, defaire accepter à de larges couches de la population active(autres que les “bobos”, les étudiants et les retraités plutôtintellos) le “retour” dans des appartements plus petits et sansjardin. Je doute également que l’on puisse rétrécir sensi-blement l’étendue du marché du travail car cela supposeraitde fait une inversion du processus de division techniquequi est une des caractéristiques majeures du développementéconomique moderne. Enfin, je pense que des mesures dece type produiraient des effets sur les prix fonciers en valo-risant encore plus qu’aujourd’hui les zones les plus acces-sibles et les plus centrales. Cela ne veut pas dire que tout leprojet de renouvellement urbain soit illusoire et qu’il nefaut pas explorer d’autres modèles de trafic que ceux qui ontété promus jusqu’à aujourd’hui par les ingénieurs des trans-ports. Les modèles de percolation et la notion de connecti-vité moyenne sont certainement des pistes à explorer. Ilspourraient dans certains cas éviter d’appliquer des modèlesqui tendent à allonger les parcours des automobilistes pour

es lieux et les temps de mobilité sont des temps urbainsu’il faut traiter avec tous les égards architecturaux etaysagers.ouverture de l’A86 – Photo : DDE 93/Service communication

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les faire accéder aux voies rapides. Les ingénieurs des trans-ports et les urbanistes devraient avoir plus conscience queles déplacements ne sont pas simplement des moyens pouraller le plus vite possible d’un endroit à un autre, que les lieuxet les temps de la mobilité sont des temps urbains à partentière et qu’il faut les traiter comme tels, avec tous leségards architecturaux et paysagers qui s’imposent pour enfaire des moments agréables, plaisants.

Comment améliorer l’urbanisme contemporain?

La thématique de la réduction des vitesses des déplacementsurbains en général, et de celle des automobiles en parti-culier, n’est pas une bonne porte d’entrée pour améliorerl’urbanisme contemporain. Mais l’action sur les vitessespeut dans certains cas être un outil utile. En effet, pourlutter contre la délinquance et la criminalité routières, ilfaut imposer tout d’abord le respect des règles qui la limi-tent. Il faut ensuite concevoir des villes qui rendent compa-tibles et, si possible, complémentaires les vitesses de diversmodes de transport. Il faut également explorer les solu-tions alternatives aux grandes voies autoroutières urbainesqui n’allongeraient pas les temps de déplacements descitadins, mais au contraire limiteraient les distances parcou-rues et les rejets en carbone dans l’atmosphère. Il fautpromouvoir un urbanisme qui prenne en compte toutesles vitesses des villes contemporaines, réelles et virtuelles,et qui raisonne donc en termes temporels et spatiaux. Lacarte de la ville réelle des citadins (que reflètent d’unecertaine manière les courbes isochrones) s’écarte en effetde plus en plus de la carte géographique et des représen-tations classiques que les urbanistes se font des villes.

Enfin, les espaces-temps des déplacements devraient êtreconsidérés comme des pleins et non comme des vides,comme des moments et des lieux d’urbanité et pas seule-ment comme des transports qui permettent de se rendred’un point à un autre. Peut-être même deviendront-ilstellement agréables que l’on aura envie d’y passer plus detemps, quitte à aller moins vite… ■

MODULER LES VITESSES EN VILLE : UN ENJEU ÀPLUSIEURS DIMENSIONS (par Marc Wiel)

La mobilité facilite l’expression de multiples interactionssociales qui constituent la matière de la vie sociale et écono-mique. Mais la disposition dans l’espace des ménages, desentreprises, tout comme les télécommunications, la facili-tent aussi.

La ville est la réalisation d’interactions fréquentes

Les villes, par nature, agglomèrent ceux qui ont un besoinfréquent de se rencontrer. Le jeu des marchés urbains(foncier, immobilier, de l’emploi et des services) contribueà organiser la ville pour permettre aux entreprises et auxménages d’optimiser un grand nombre d’interactions entenant compte du coût de la mobilité qu’elles exigentpréalablement. C’est la raison pour laquelle faciliter lamobilité en multipliant des infrastructures plus rapides etsous-tarifer l’usage de la voiture accroissent le trafic et enmême temps dédensifie l’agencement urbain. Le coûtpublic de la mobilité croît alors sans induire d’avantage

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La vitesse fait le trafic et suscite un agencement urbainresponsable de l’étirement des flux.St Quentin en Yvelynes – Photo : METLTM/SIC/P. Champagne

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déterminant dans l’expression des interactions socialesmais en accumulant par contre de nombreux inconvé-nients sociaux et environnementaux4.Ville et mobilité font donc système. La conséquence estque “la vitesse fait le trafic” car elle a suscité un agencementurbain responsable de l’étirement des flux. Elle a une respon-sabilité centrale, dont les acteurs ne sont pas toujours trèsconscients car elle a également d’autres causes, dans latransformation des formes urbaines. Il aurait fallu, depuistrente ans, ne pas multiplier les voiries urbaines rapidesgratuites mais développer un réseau intermédiaire (entre leréseau rapide et la desserte locale), réservant ainsi les voiesrapides, devenues payantes, aux trajets interurbains moinsfréquents. Le propre de l’urbain est la réalisation d’inter-actions fréquentes. Si le réseau de voirie urbaine est moinsrapide, l’agencement urbain s’adaptera à cette contrainteprogressivement et sous certaines conditions à réunir : celapermettra aux modes alternatifs de conserver et même dedévelopper leur aptitude à concurrencer la voiture. Celle-ci pourra continuer à jouer un rôle encore fort précieux maiselle n’aura pas la quasi exclusivité qu’elle est en train deconquérir dans beaucoup d’endroit, rendant ainsi les cita-dins dépendants d’elle. Le maintien des modes alternatifssera de toute façon indispensable à une minorité mais pourqu’il se fasse à un coût public non prohibitif un autre urba-nisme devient nécessaire.

Renouveler la politique de la voirie pour asseoir unnouvel urbanisme

Cet “autre urbanisme” devra être global c’est-à-dire pluri-institutionnel pour pouvoir prétendre articuler transversa-

lement diverses compétences et tenir compte des impacts desunes sur les autres. Sa mise en œuvre exigera une autrepolitique de la voirie. Les voiries rapides sont tropnombreuses et le réseau intermédiaire trop incomplet ettrop peu lisible. Les voies interurbaines devront donc êtremises à péage et celles qui resteront gratuites seront progres-sivement transformées en boulevard urbain. Dans l’inter-valle, on peut imaginer en cas de congestion de les doter d’unsystème de contrôle d’accès réservant leur fréquentation(pour partie et à certaines heures) à des utilisateurs priori-taires (transports collectifs, certains professionnels, véhiculesau remplissage suffisant etc.) comme cela se répand danscertains pays. Ceci vaudra surtout pour les grandes agglo-mérations et je ne saurai dire ici précisément (c’est un sujetde recherche) à partir de quelle taille d’agglomération cettepolitique sera assez efficace pour être encore justifiée.Pour mettre à niveau le réseau intermédiaire, il faudraréaliser de nombreuses et coûteuses opérations de recom-position urbaine dont ce ne sera évidemment pas la fina-lité exclusive. Elles seront l’occasion de hisser la mixitésociale et la polyfonctionnalité comme le recommande laloi SRU (qui semble croire qu’il suffit d’en décider pourqu’il en soit ainsi ?) et également d’organiser l’ouverturedu marché foncier à l’urbanisation. Ce thème d’actiond’une nouvelle politique de la voirie pour asseoir unnouvel urbanisme devrait devenir une des priorités desfuturs schémas de cohérence territoriale (SCOT) et desfuturs plans de déplacements urbains (PDU). Dans lesplus grandes agglomérations, il devient inutilement coûteuxet socialement désastreux de vouloir sauvegarder l’unitédu marché de l’emploi et de l’habitat. Nous nous y sommesépuisés en vain. En revanche, il faut impérativement main-

Temps et vitesse

La ville et l’automobile Ed.escartes et Cie Wiel, 2002.

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tenir une accessibilité suffisante aux services métropolitainspour tout le territoire sous l’influence de la métropole etéventuellement sur un territoire plus vaste. C’est d’ailleursl’objectif des infrastructures dites interurbaines. En fait,il convient de remédier à la confusion entre les systèmesde déplacements urbains et interurbains. Les articuler nesignifie pas les concevoir suivant un continuum des niveauxde service qui efface la distinction de leurs rôles. Unegrande agglomération ne s’organise pas comme une villemoyenne mais comme plusieurs villes moyennes (contiguësou non), sinon nous perdons la maîtrise de la spécialisa-tion sociale et fonctionnelle et la reconquérir réclamera denouveaux investissements publics, ce qui finira par devenircomplètement contre-productif.

Développer les réseaux intermédiaires pour réguler lademande de mobilité

Cela ne signifie pas, du moins à terme, se résigner, commeactuellement, à une régulation de la demande en tolérantun certain niveau de congestion. Plutôt que de parler decongestion, il faudrait parler d’irrégularité de l’écoulementdes flux et de faible fiabilité des prévisions de durée detrajet. Ces dysfonctionnements n’apparaissent que lorsquedensités (anciennes) et vitesses (nouvelles) ne sont pluscompatibles entre elles. L’erreur que nous répétons depuisplusieurs décennies a été de croire que le marché des dépla-cements avait une relative autonomie alors que les équilibresurbains ne se construisent que dans les marchés fonciers,immobiliers, de l’emploi et des services, dont le fonction-nement dépend des conditions de la mobilité. Fixer cesconditions ne relèvera donc pas exclusivement de la satis-

faction de besoins de déplacements mais de la nature deséquilibres urbains recherchés. La modération de la vitessesera la clef de la régularité des flux et de la prévisibilité destemps de trajet (et de bien d’autres avantages) à juste titrerevendiquées. C’est dans ce nouveau cadre que l’intérêt ounon de telle ou telle technologie (tram-train ou autre chose)devra être examiné. D’ailleurs l’actuelle répartition desmaîtrises d’ouvrage des infrastructures de voirie entre lesinstitutions n’est pas favorable à l’orientation ici proposée.L’État et surtout les départements, par leurs investissementsexcessifs en voiries rapides, ont permis aux intercommu-nalités (centrales ou périphériques) de se convaincre qu’iln’y avait plus d’urgence à développer le réseau intermé-diaire (que c’était aux investisseurs de le financer). Pourtant,ce réseau est essentiel à l’ouverture du marché foncier, à lalisibilité de la ville (qui participe de l’accessibilité) et à lamodération du trafic. En région parisienne, le fait que cesintercommunalités soient quasiment absentes a rendu d’au-tant plus catastrophique le dogme de l’État de la priorité àl’illusoire, et à un certain stade, inutile, unité du marché del’emploi. Il ne faudrait pas que la région répète mainte-nant les erreurs de l’État. Le reste de l’Europe a des métro-poles d’une autre configuration que celle de la régionparisienne sans s’en porter plus mal.Les méthodes d’évaluations des infrastructures se sontenfermées dans le champ de l’analyse des déplacements desusagers qui privilégie la mesure des temps supposés dura-blement gagnés, au lieu de s’intéresser d’abord à la satis-faction des interactions sociales. Non seulement caduques,ces méthodes sont devenues nuisibles dans leurs effets.L’investissement méthodologique pour évaluer autrementn’est pas fait et donc reste à faire. ■

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Réguler la demande de mobilité, c’est aussi tenircompte des équilibres urbains et s’intéresser àla satisfaction des interactions sociales desdéplacements.Cergy-Pontoise – Photo : METLTM/SIC/P. Champagne

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...Ne devrait-on pas encourager les générateurs detrafic (en particulier les entreprises) à réduire lesmobilités qu’ils engendrent, quitte à modifier enprofondeur le versement transport qui tend à lesdéresponsabiliser par rapport aux déplacements?Quelles leçons sont à tirer des expériences et desrecherches récentes sur les péages autoroutiers eturbains (de zone urbaine centrale, droits de circula-tion, stationnement, etc.) ? Les technologies de l’in-

A-t-on les moyens d’évaluer les externalités des décisions en matière de transports et de circulation ?Photo : ASF

FRANÇOIS ASCHER (introduction)PROFESSEUR À L’INSTITUT FRANÇAIS

D’URBANISME - UNIVERSITÉ PARIS VIII

YVES CROZET

PROFESSEUR À L’UNIVERSITÉ LYON IIDIRECTEUR DU LET

JOËL MAURICE

PROFESSEUR À L’ENPC ET MEMBRE DU CONSEIL

D’ANALYSE ÉCONOMIQUE

VINCENT PIRON

DIRECTEUR DE LA STRATÉGIE ET DU

DÉVELOPPEMENT – VINCI CONCESSIONS

mobilité fait débat danssociété pour de multiplessons. Dans quelle

esure les économistesuvent-ils aujourd’huiporter des éclairages às débats et fournir desints d’appui pourlaboration des décisionsbliques sur les questionsvantes?t-on les moyensévaluer les externalités,sitives et négatives, descisions en matière de

ansports et de circulation,x diverses échellesropéenne, nationale,gionales et urbaines?ue peut-on conclure àrtir des travaux effectués la matière ?

uels sont aujourd’hui problèmes majeurs?

uelles solutionséressantes ont étépérimentéescemment? uelles mesures envisagerur réduire les sous-rifications des diversodes de transports, etns quelles perspectives?

ue retenir des politiquesenées dans divers pays?rtaines formes actuelles financement des trans-rts n’ont-elles pas des

fets pervers ?...

Justes coûts et juste prix de la mobilité

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formation et de la communication ouvrent-elles denouvelles perspectives en la matière?La consultation, le débat, la recherche d’alternatives,la contre-expertise prennent une importance crois-sante dans la construction des décisions publiques,notamment en matière de transports. Quel peut êtrele rôle des économistes dans cette dynamique ?Quelles expériences intéressantes mériteraient d’êtreétudiées de plus près ? ■

POUR UNE VISION DÉNIAISÉE DE LA TARIFICATIONDE LA MOBILITÉ (par Yves Crozet)

“Les pendules sont faites pour dire l’heure, les prix sontfaits pour dire les coûts !” Prolongeons cette formule,attribuée à Maurice Allais, pour éclairer ce que pourraitêtre une première approche économique de la mobilité :“en matière de tarification des déplacements, il est grandtemps de remettre les pendules à l’heure !”.

Un constat de sous-tarification généralisée

Qu’il s’agisse des déplacements urbains ou interurbains,des transports de personnes ou de marchandises, des modesroutier, ferroviaire, aérien ou fluvial, il est évident que defortes distorsions existent entre les coûts et les prix. Voiciquelques exemples. En zone urbaine, les déplacements en

voiture particulière necouvrent pas les coûtsexternes et les transportsen commun sont trèslargement subventionnés.Même diagnostic pour letransport interurbain demarchandises où la routeet le rail sont entrés, delongue date, dans un cerclevicieux de sous-tarificationaussi néfaste pour la santédes entreprises du secteurque pour les financespubliques (subventions aufret ferroviaire, détaxationdu gazole, etc.). Il en va de même pour la voie d’eau. Onpourrait continuer, pour les transports interurbains, avec lanon taxation du kérosène, le subventionnement généreuxdu transport ferroviaire de voyageurs ou encore la gratuitédes routes en zone rurale, là où un trafic relativement faibleempêche la couverture des coûts par les diverses taxes préle-vées sur l’automobile (TIPP, cartes grises, etc.).

Face à ce constat de sous-tarification généralisée, émergenttrois types de réponse que l’on peut classer sur une échelled’intégration croissante du raisonnement économique.• La première réponse concerne les “contribuablesanonymes” et se caractérise par l’ignorance de la notiond’effet externe, positif ou négatif1. Pour ces contribuables,

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1. Vous les avez entendus se plaindre,dans des spots publicitaires, que noustravaillons six mois par an pourl’Etat. Comme si l’Etat n’était qu’unparasite. Négligeant les effets externespositifs de l’action de ce dernier, ilsoublient les effets externes négatifsdes transports, sauf lorsqu’ils passentdans leur jardin!

Le subventionnement du transport ferroviaires de voyageurs ne couvre pas lescoûts externes.Eole. Chenay-Gagny – Photo : SNCF/CAV/Sylvain Cambon

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la sous-tarification n’existe pas puisque les péages et lesmultiples taxes sur l’automobile ne sont qu’une atteinteau droit à la mobilité.• La seconde repose sur une argumentation plus élaborée.Celle-ci consiste à douter de la possibilité d’imputer descoûts externes dont l’évaluation conduit à des résultatssouvent divergents. Or, comme l’a fait remarquer MarcelBoiteux, si le défaut de consensus doit conduire à l’at-tentisme, cela revient à donner aux coûts externes unevaleur nulle. Même si les valeurs choisies sont discutableset doivent être ajustées régulièrement2 sur la base detravaux scientifiques, on dispose d’ores et déjà de basessolides pour affecter aux transports leurs coûts externes.• Enfin, s’appuyant sur ce raisonnement de bon sens, leséconomistes préconisent d’imputer à chaque mode et àchaque type de déplacement les coûts externes engendrés,tout en tenant compte des différences spatio-temporelles.Mais ils oublient de signaler que le fruit de leur calculdonne une place très importante aux coûts de conges-tion. Or l’imputation de ces derniers peut se faire de deuxfaçons radicalement différentes.- La première, initiée par Jules Dupuit, relie étroitementdifférenciation de la tarification et financement de nouvellescapacités. Cette tradition française s’est révélée très effi-cace pour le développement du réseau autoroutier et doitle devenir pour le réseau ferré notamment pour le fret. Maiselle n’est pas transposable en zone urbaine où l’objectifn’est pas de développer l’infrastructure routière.- La seconde, qui inspire la DG Tren de l’Union euro-péenne et ses Livres blancs successifs, veut faire payer lacongestion pour limiter le trafic, sans accroître les capa-cités de la voirie. Or ce type de péage de rente provoque

des effets distributifs majeurs, c’est-à-dire un transfertnet de surplus, très significatif, de l’ensemble des usagersà la collectivité. En d’autres termes, il s’agit plus d’unimpôt que d’un prix et c’est la raison pour laquelle lesexemples concrets de mise en œuvre d’un péage de conges-tion sont extrêmement rares3.

Les conditions de pertinence du péage de congestion

En promouvant sans discernement le péage de conges-tion comme un moyen de réduire la congestion et d’ac-croître les vitesses en zone urbaine, les économistes fontfausse route. Tout système de tarification qui se présenteseulement comme un péage de rente ne fera que renforcerles “contribuables anonymes”, par ailleurs électeurs! Poursortir de cette impasse, le raisonnement économique doitfranchir une nouvelle étape que l’on peut résumer ainsi :“les prix ne sont pas seulement faits pour dire les coûts,ils doivent aussi indiquer les priorités que se donne lacollectivité”. Dans le domaine de la mobilité, un systèmede prix est avant tout un signal global qui vise à orienterla demande tout en procédant à des péréquations4. Munisde cette vision déniaisée de la relation entre coûts et prix,ces derniers peuvent être fixés en tenant compte des coûtsrelatifs et des objectifs recherchés. Souvent nombreux, ilsengendrent diverses solutions.

L’idée de faire varier les prix en fonction de la congestionpeut être recommandée dans le cas des redevances aéro-portuaires en heure de pointe, comme cela est déjà pratiquépar RFF sur le réseau ferroviaire. Dans une perspective de

Justes coûts et juste prix de la mobilité

Pourquoi le marché fictif desternalités devrait-il arriveremblée aux valeurs justes alors

ue la plupart des marchés concrets,commencer par le si crucial marchénancier ne font que tâtonner,uvent à des années lumières de que sont les “fondamentaux”mme l’ont appris à leurs dépens lestits actionnaires de quelquesands groupes !

Pour lui donner une cautionientifique, le futur péage urbainns l’hypercentre de Londres estésenté par ses promoteurs comme

n péage de congestion. Or ce péage zone est non modulé dans le tempsa une vocation redistributive. Sonceptabilité est liée à deux élémentsés : les résidents ne paieront que0% du prix, très élevé, de 5 livresr jour ; les fruits du péage seront

rgement versés à l’amélioration desansports en commun.

Il suffit pour s’en convaincre degarder ce que fait un supermarchéec ses prix d’appel et ses ventes àix coûtant. L’important n’est pas

adéquation au coût de tel ou telix mais sa capacité à attirer un

ux de clients.

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tarification globale de la circulation des poids lourds, un telsystème devrait rapidement être mis à l’étude pour le trans-port routier de marchandises. Dans les trois cas, la modu-lation horaire de la tarification peut conduire, ici ou là, àdes investissements de capacité. Mais il importe de souli-gner qu’elle est possible car la demande a une capacitéd’adaptation (non captivité) et que les hausses sur certainesplages sont compensées par des tarifs bas sur d’autres5.

En revanche, ces deux conditions ne sont pas rempliespour la mobilité quotidienne en zone urbaine. Aussi, unemeilleure tarification ne peut passer par le pseudo coupde baguette magique que représenterait la tarification dela congestion. En Europe, au grand dam des économistesqui y voient la menace d’une perte sociale, on observe unaccroissement progressif des deux termes principaux ducoût généralisé de la mobilité en automobile :• une augmentation du temps de déplacement due à uneréduction progressive des vitesses en zone urbaine ;• un accroissement du prix de la mobilité par la hausse desprix du stationnement, la réduction du nombre de placesgratuites de parking et, à terme, la mise en place devignettes urbaines, dont les recettes seront en partie affec-tées aux transports en commun, ces derniers restantsubventionnés sans pour autant devenir gratuits pouréviter tout risque de dégradation accélérée6.

Distinguer technique tarifaire et objectifs de la tarification

Tout cela ne conduira pas à une tarification reflétantexplicitement les coûts mais à un système tarifaire qui, sans

supprimer les subventions et autres péréquations, donneraaux usagers des infrastructures deux signaux forts :• l’un sur la nécessité de payer plus lorsqu’il s’agit dedévelopper des infrastructures nouvelles pour maintenirla qualité de service (autoroutes, aéroports, lignes TGV,lignes ferroviaires fret, etc.) et lorsque les coûts externessont importants (transport aérien, transport routier demarchandises, voitures particulières en zone urbaine, etc.) ;• l’autre sur la volonté de substituer les transports encommun et les modes autogènes à la voiture particulièrelà où la massification des flux est possible, notamment enzone urbaine.Ces deux signaux peuvent être transmis par des systèmesde péage qui, en zone urbaine, prendront plutôt la forme

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5. On peut ici faire le parallèle avec lesecteur de l’électricité. Les fortes varia-tions de prix en période de pointe nesont appliquées qu’aux clients qui ontla possibilité de réduire momentané-ment et fortement leur consomma-tion (tarif “effacement”). Ces mêmesclients bénéficient en échange d’unprix beaucoup plus bas en périodecreuse Pour les autres, la modulationest plus faible en intensité (tarif jouret tarif nuit) et ne pénalise pas laconsommation en heure de pointe.

6. Les économistes n’ont pas toujoursraison, mais ils méritent d’être écoutésquand ils rappellent que la gratuitéest source de gaspillage comme lemontrent les exemples des villes quiont essayé ce principe pour lestransports en commun.

Tout système de tarification qui se présente seulement comme un péage de rente ne fera querenforcer “les contribuables anonymes”, par ailleurs électeurs !Le Sancy (autoroute A89) – Photo : ASF

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pas qu’une question technique. Elle relève de prioritéspolitiques dont l’objectif n’est pas seulement l’optimisa-tion du système de transport. ■

UNE MOBILITÉ ÉQUITABLE À DES COÛTS SOCIAUXADAPTÉS (par Joël Maurice)

La mobilité constitue du point de vue économique unequestion substantielle. Non seulement parce que, empi-riquement, le poids des transports est loin d’être négligeabledans les statistiques économiques nationales ou mondialesrelatives au PIB, aux dépenses courantes, aux investisse-ments publics et privés, à l’emploi, aux échanges exté-rieurs, etc. Mais aussi parce que, fondamentalement, lamobilité est un élément indispensable aux activités deproduction, de consommation et plus largement à la vieen société, qu’il s’agisse de rassembler les inputs sur les lieuxde leur transformation, d’acheminer les outputs vers leslieux de leur commercialisation, ou de permettre le dépla-cement des personnes, entre leur domicile et leurs lieux detravail et pour tout autre motif de participation à la viesociale, d’achats, de loisirs, de tourisme, etc. En termes dethéorie du bien-être, une plus grande mobilité étend ladiversité des choix possibles et, partant, le degré de satis-faction pouvant être atteint. En termes de justice sociale,la liberté d’aller et venir est un “bien premier” dont l’accèsdoit être ouvert à chacun dans des conditions équitables.La mobilité est donc hautement justiciable de la doublepréoccupation de l’analyse économique : la recherche del’efficacité et celle de l’équité.

d’une vignette de circulation et d’un coûtaccru du stationnement, à laquelle serontassociées des mesures réglementaires desti-nées à limiter le trafic. Mais d’autres solu-tions, assises sur le principe des permisnégociables, sont possibles. La distribu-tion, ou la vente, en quantités limitées, d’uncertain nombre de “droits à circuler” esttout à fait envisageable dans certaines zonessensibles comme les centres villes ou lestunnels franchissant les Alpes ou les Pyré-nées.

En fait, deux dimensions existent dans latarification de la mobilité. L’une, technique,consiste à opter pour le meilleur type detarification (gratuité, péage de financement,péage de congestion, péage de zone, etc.).Mais ce choix résulte des objectifs straté-giques recherchés et exige de s’interroger surl’opportunité de développer ou non denouvelles infrastructures. Ainsi, on peut sedemander, dans les grandes aggloméra-tions, où commence l’urbain ? À partir de

quelle distance du centre ville doit-on abandonner unepolitique de péage de zone et de réduction de la vitesse desvoitures particulières pour lui substituer par exemple unpéage de financement ? Une autre façon, symétrique, deposer cette question est de savoir si on souhaite vraimenttraiter le périurbain comme une zone où il est nécessairede développer les infrastructures routières. Ainsi, au-delàdes questions de coût, la tarification de la mobilité n’est

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La liberté d’aller et venir est un bien dont l’accès doitêtre ouvert à tous dans des conditions équitables.Photo : Communauté urbaine de Lyon/Jacques Léone

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La recherche de l’efficacité

Cette recherche suppose la prise en compte des coûtssociaux complets, à l’horizon inter-temporel. Cette exigencea inspiré les deux rapports confiés par le Commissariatgénéral du Plan à Marcel Boiteux, intitulés respective-ment “Transports : pour un meilleur choix des investis-sements” (1994) et “Transports : choix des investissementset coût des nuisances” (2001)7. Il y est affirmé que lecalcul coûts-avantages doit incorporer la valorisationmonétaire des effets externes positifs et négatifs danstoute la mesure permise par l’état de l’art. Le rapportBoiteux II, tout en recommandant de poursuivre les évalua-tions, préconise des valeurs relatives à l’effet de serre, à lapollution de l’air par les transports, au bruit, aux accidentsde personnes, au temps passé en transports et aux phéno-mènes de congestion. En revanche, il ne fournit pas d’es-timation des effets externes positifs, dont l’existence estdécelée par diverses études8 et qui peuvent provenir derendements croissants ou d’effets de réseau.

La recherche de l’équité

Cette préoccupation d’équité est sous-jacente aux objec-tifs de développement équilibré du territoire ou aux dispo-sitifs de péréquation. Elle a sa place dans les réflexions surles effets redistributifs liés, par exemple, au stationne-ment payant ou à l’instauration éventuelle de péagesurbains. Dans une perspective rawlsienne9, elle devraitaussi motiver des dispositions visant à assurer aux plusdémunis un droit à la mobilité qui leur est indispensable

pour accéder au marché du travail ou pour participer àla vie sociale. Par ailleurs, la mise en œuvre d’une stratégiede développement durable soulève la question de savoirsi le taux d’actualisation, fixé depuis 1986 à 8% par ansur la base de projections à moyen-long terme, est appro-prié pour éclairer les choix publics à très long terme.D’un point de vue économique, le domaine des trans-ports est en outre l’un de ceux où se posent avec le plusde force la question des investissements irréversibles et celledes effets structurants, la réalisation d’infrastructuresinduisant des localisations d’entreprises ou de logements(avec des implications sensibles en termes de rente foncière).Les efforts pour intégrer ces effets de long terme, au regardtant de l’efficacité que de l’équité, n’ont pas pour lemoment abouti à des méthodes incontestables.

Implications de situations sous-optimales

Il est fréquent que l’utilité socio-économique des projets detransport soit évaluée en supposant que la localisation desdifférents agents économiques reste figée. Or une telleapproche n’altère pas l’évaluation si la tarification des trans-ports est “optimale” c’est-à-dire qu’elle internalise toutes lesexternalités (y compris les coûts de congestion). Mais elleinduit des biais non-négligeables si les tarifs des transportss’écartent sensiblement de leur valeur “optimale”10.

Le retour à une tarification plus proche de l’optimum, enprincipe souhaitable du point de vue de l’efficacité, doitcependant tenir compte de plusieurs difficultés. Toutd’abord, les asymétries d’information font que les valeurs

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7. Le deuxième rapport Boiteux(2001) a fait l’objet d’un avis déli-béré du CGPC le 24 octobre 2001.Il est consultable sur le site Internetdu ministère de l’Equipement :www.equipement.gouv.fr/rapportset avis.

8. Voir Quinet E, 1998, “Principesd’économie des transports”, Econo-mica.

9. John Rawls, “Théorie de la justice :la justice comme équité” (1971).

10. Voir les travaux de Bernard A.L.(1998) “Comment faire du calculéconomique en milieu urbain ?”,miméo.

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optimales ne peuvent être approchées qu’avec une marged’incertitude. Ensuite les localisations sont des choix à longterme (on pourrait en la matière faire l’analogie avec desmodèles à génération de capital utilisés pour représenterl’appareil de production) et les coûts des mutations sontélevés, pour les entreprises comme pour les ménages.Enfin les effets redistributifs provoqués par les varia-tions tarifaires ne sauraient être ignorés. Sur ce dernierpoint, comme toujours lorsqu’il s’agit de rechercher l’op-timum socio-économique, toute action sur le volet tari-faire devrait aller de pair avec une action sur le volettransferts.

Créer un espace démocratique pour construire la décision

Pour toutes ces raisons, le processus de décision doitémerger d’un espace démocratique s’appuyant sur undébat public articulé avec l’élaboration progressive d’unbilan socio-économique. L’avis précité du CGPC décrit untel processus en deux étapes : d’abord un débat publiccouplé à une estimation socio-économique préliminaireapprochée ; cette phase amont doit permettre de discuterles finalités du projet, d’identifier les groupes affectés etleurs réactions, de susciter des variantes ; ensuite unephase aval permettant d’affiner l’évaluation socio-écono-mique quantifiable et les autres éléments non quanti-fiables, “pour que le décideur final puisse arbitrer entreles considérations de tous ordres, qu’elles soient tech-niques, environnementales, sociales, budgétaires, foncières,de sécurité ou d’aménagement du territoire”.Cette brève référence aux fondamentaux de l’analyse

économique suggère une orientation générale : rechercherla mobilité la plus efficace possible et la plus équitable-ment répartie, dans le respect des contraintes environ-nementales et intergénérationnelles ; cela devrait justifierun effort considérable de recherche (efficacité des moyensde transports, organisation des systèmes de transport,etc.) avec de fortes incitations publiques (nationales,européennes, internationales) motivées par les nombreusesinsuffisances du marché concurrentiel en la matière. ■

TRANSPORTS : LES ENJEUX POLITIQUES DE LACONNAISSANCE ET DE LA MESURE (par Vincent Piron)

Le transport fait partie de la chaîne de production maisn’est pas lui-même un bien de consommation final : ilconstitue une consommation intermédiaire.Le voyageur (ou le chargeur) compare l’intérêt (le surpluséconomique ou social) qu’il accorde à l’activité au coûtqu’induit le déplacement (dépense monétaire ressentie,temps passé, fatigue, incertitude sur les temps). Les coûtsde transport ressentis par le voyageur (ou le chargeur)influent sur son comportement, sur sa décision de sedéplacer, sur sa destination, sur l’heure du déplacementet sur le choix de son moyen de transport. Il en va demême pour le transport de marchandises. L’enjeu prin-cipal consiste à bien connaître la demande actuelle etmieux évaluer la demande future. Les nouveaux moyenstechnologiques rendent possible une amélioration de l’ap-plication de la théorie du surplus économique (voir figurespages 41 et 42).

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Les données de base : connaître la réalité

85% des Français se trouvent en zone urbaine. Les kilo-mètres parcourus sont concentrés sur les grands axes (1%du réseau et 25% des km parcourus, ou 4% du réseau et45% des km parcourus), le reste étant un réseau de capil-laires qui irriguent le territoire. Dans les grandes agglo-mérations, le trafic routier est important (35% du totalparcouru en France). La grandeur pertinente pour larépartition voiture particulière / transports collectifs enville est la densité d’activité humaine (population + emploispar hectare). Le trajet moyen des poids lourds sur auto-route est de 100 km alors que le trajet moyen du fretferroviaire est de 500 km. On observe que le corps sociala été astucieux : chaque déplacement utilise déjà le modele plus pertinent, ce qui réduit les transferts modaux envi-sageables (3% à 5% en explorant toutes les idées et enforçant les tarifications).

Les incertitudes du calcul économique actuel

Les calculs économiques appliqués aux transports nesont pas encore très fiables. Deux exemples : il y a cinqans, la Commission européenne croyait que le coût de lacongestion routière était de 2 % du PIB en Europe etaujourd’hui, elle l’estime à moins de 0,2%; elle annonceque le montant des investissements à réaliser d’ici 2010est de 400 milliards €, dont la majorité en projets ferro-viaires, et ajoute 100 milliards € pour les pays candi-dats. Or le pouvoir d’investissement des États (membreset candidats) est de l’ordre de 20 milliards € par an seule-

ment, et ira en baissant. Aussi sommes-nous déjà certainsque les besoins d’infrastructures de transport présentésdans le Livre blanc ne seront pas satisfaits. Ce type d’in-cohérence économique est grave.

Il ne faut pas confondre bonheur, PIB et mobilité

Les besoins de transports croissent depuis toujours. Le faut-il vraiment? Peut-on évaluer économiquement la mobilitéet ses effets ?

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La demande de déplacement (trafic) varie en fonction du coût généralisé. A partir des mesuresobjectives faites sur une concession en service depuis dix ans, il est possible de visualiser sur ungraphique les principales grandeurs économiques de l’ouvrage en fonction de la politique tarifaire.Tunnel Prado-Carénage à Marseille - Graphique réalisé par V. Piron

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Dans la mesure du PIB, les déplacements induisent del’activité, des échanges : du positif. Mais nombre de dépla-cements ne sont pas souhaités. Par exemple, les villes malconçues créent des déplacements inutiles, qui devraient êtrecomptés négativement dans le PIB. Les industries spécia-lisées à l’extrême engendrent des flux de marchandisessans doute optimaux pour les industriels mais pas forcé-ment du point de vue économique global. Il se crée desbassins de vie orientés sur une industrie (automobile àDetroit, aéronautique à Toulouse, financière à Londres)

et dans lesquels on trouve une opti-misation entre les coûts de trans-ports et un aménagement duterritoire harmonieux. Mais cen’est pas toujours le cas et, à notreconnaissance, aucun calcul ne saitdifférentier les transports utiles destransports évitables.

Dans le domaine urbain, la notionde “densité de services” est impli-cite dans les prix de l’immobilier,mais n’a pas encore été formaliséeet mesurée de façon “économique”.Si la densité d’activité humaine estune première approche, il luimanque encore la description des

services. La réponse à cette question se situe probablementdans l’approche fractale des modèles urbains. Une ville sestructure avec des réseaux de transports primaires, secon-daires et tertiaires, avec l’idée sous-jacente que plus lestrajets sont lointains, plus le motif de déplacement est rare,

et plus le consentement à payer est élevé. Un calcul quimettrait en évidence la réduction de la demande de dépla-cements grâce à une répartition judicieuse (aidée éven-tuellement par des fonds publics) de l’offre de service enséparant les services de proximité immédiate, de proxi-mité moyenne et de grande distance donnerait un guidepratique aux décideurs d’emplois de fonds publics.

Péage et politique tarifaire

Ce point est crucial. Les prix des transports ne sont pasdéterminés par le marché mais sont totalement dépen-dants des décisions de la puissance publique. En France,le prix du carburant se compose de plus de 80% d’impôts ;pour le transport ferroviaire en zone interurbaine, lesaides publiques à l’exploitation sont de l’ordre de 50%du chiffre d’affaires (et constituent 18% de l’impôt sur lerevenu). En zones urbaines, elles atteignent 65%, sansmême prendre en compte l’amortissement des investisse-ments. Autrement dit, la forme des villes et la nature deleurs réseaux de transports dépendent totalement desdécisions publiques et la connaissance des modèles etéquations économiques est indispensable. Il en va demême pour la répartition de la population dans le pays etbientôt dans l’ensemble de l’Europe.

Si l’on veut comprendre les processus de décisions et lesinteractions entre les décisions individuelles de déplace-ments, les coûts de transport et les décisions budgétairesde la puissance publique, il faut considérer quatre coûtstotalement différents :

Justes coûts et juste prix de la mobilité

e graphique simule la variation de l’usage du tunnel Prado-arénage en fonction de la tarification. Avec des tarifs faibles,s ressources du péage ne permettent pas de lever le finan-

ement pour la construction. Avec des tarifs élevés, le surplusour la collectivité se réduit et les risques politiquesacceptabilité augmentent (courbe “amertume”). Il estsentiel de pouvoir quantifier ces paramètres de façon fiable.hoix de la tarification et paramètres principaux - Graphique alisé par V. Piron

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• le coût ressenti par le voyageur, qui est le coût monétaireTTC marginal d’utilisation des transports. Il le constateen achetant sa carte orange, en passant à la pompe ou enpayant le péage ;• le coût généralisé, qui est le coût ressenti augmenté desévaluations monétaires du temps passé, de l’inconfort, del’incertitude des temps et de l’amortissement du véhicule ;• le coût monétaire (= budgétaire) pour la collectivité,qui est égal au coût payé par les contribuables sous formed’impôts et affecté par les élus au système de transport ;• le coût généralisé pour la collectivité.Ce dernier coût comprend les dépenses de fonctionne-ment des systèmes de transport hors charges d’investis-sement, les charges d’investissement routier et de transportpublic, le coût des externalités négatives et le coût dutemps de transport.

Pour la valeur du temps, il ne faut pas confondre la valeurtutélaire que la puissance publique attribue à une personneet son consentement individuel à payer pour gagner dutemps : il peut y avoir un rapport de 1 à 10 entre les deux.Nous avions suggéré que le consentement à payer était égalau “budget libre”, c’est-à-dire au budget restant aprèspayement des dépenses vitales (logement, nourriture,habillement, transports, impôts) divisé par le “tempslibre”, temps restant après avoir décompté les tempscontraints (sommeil, travail, repas et transports). Autre-ment dit, le consentement à payer est de “l’achat de tempscontraint” pour disposer de plus de “temps libre”. Pourles populations pauvres, le consentement à payer est quasinul, ce qui rejoint les approches de Rawls et McFadden.Trois remarques s’imposent :

• Avec les valeurs dont on dispose aujourd’hui, les coûtsgénéralisés sont de l’ordre des coûts monétaires, sinonsupérieurs : une erreur méthodologique sur les externalitésnégatives change complètement les calculs de rentabilité desprojets. Si l’on améliore la connaissance des externalitésnégatives (en les augmentant) sans améliorer celle desexternalités positives (surplus économique et social), on vadroit à un immobilisme complet et définitif du système detransport.• Les décisions individuelles des voyageurs se prennent surle coût ressenti. Si celui-ci est très différent du coût pourla collectivité (et c’est presque toujours le cas), leurs déci-sions individuelles engendrent des dépenses monétairespour la collectivité à un niveau que personne ne contrôle.En fait, le coût ressenti est presque toujours largement infé-rieur au coût réel pour la collectivité. D’où un fort risque

Les prix des transports ne sont pas déterminés par le marché, mais sont totalement dépendants des décisions dela puissance publique.Tunnel Prado-Carénage à Marseille – Photo : Groupe Vinci/Claude Cieutat

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d’abus de consommation de transport, par rapport à unestricte logique économique. Dans certains cas, la distor-sion atteint un rapport de 1 à 20 (voir l’étude RATP surles coûts de 1993).•Le concept d’équité est très présent dans la tarification.Le concept “d’amertume” que nous avons développé avecClaude Abraham et Yves Crozet propose des critères d’ac-ceptabilité. Ainsi dans le cas d’un ouvrage à péage en zoneurbaine, la tarification optimale pour l’agglomération estinférieure à celle qui est optimale pour le concessionnaire :cela justifie les subventions prélevées sur le surplus écono-mique pour couvrir la différence. Sur autoroute, une tari-fication plus fine devrait induire un supplément de recettessans créer de réactions sociales négatives.

Financement : long terme ou court terme

• Il n’y a pas de correspondance systématique entre lepossible financièrement et l’intelligent économiquementLorsqu’il existe un processus légal pour lever de la detteou prélever de l’argent sur le contribuable (ou l’usager) etl’injecter dans une structure “constructeur” (administra-tion ou société publique ou structure spécifique de typeconcessionnaire), les projets se réalisent. Cela ne signifiepas qu’ils sont utiles, mais simplement qu’ils ont étéfinancés. C’était un des grands avantages du système auto-routier français pour développer le réseau mais son grandinconvénient était qu’un ouvrage finançable quoiqueéconomiquement inutile pouvait être construit. Aujour-d’hui, ce type de financement est moins fréquent et obli-gera les décideurs à améliorer leur raisonnementpolitico-économique.

• La contrainte de la dette des collectivités publiquesaggrave la situationLa contrainte de la dette est un élément crucial aujourd’hui.Quand l’État fait un calcul dit “économique” avec untaux d’actualisation de 8%, c’est bien en théorie, mais tota-lement inapplicable, à cause de la contrainte externe dela dette, qui est limitée à un certain montant (ou pour-centage du PIB). Du coup, la collectivité ne peut plusfinancer grand-chose, quel que soit le taux de rentabilitécorrespondant. En fait, l’État aujourd’hui présente untaux d’actualisation révélé par ses décisions largementsupérieur à 20%, recherchant plutôt des rentabilités pure-ment financières et à court terme que des rentabilitéséconomiques provenant de projets structurants.

Justes coûts et juste prix de la mobilité

En zone urbaine, il est plus logique de taxer les voitures immobiles que de taxer les déplacements.Photo : Certu/Michel Guicherd

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• Le secteur privé est devenu l’acteur à long terme quel’État n’est plusA contrario, le secteur privé qui demande 12% de TRI etpeut lever de la dette à long terme à 6%, présente des coûtsde financement de l’ordre de 9 %. Le secteur privé estdonc devenu l’investisseur à long terme. Bien entendu, ilfaut que les ouvrages soient financièrement rentables.Mais si les ouvrages demandent des subventions, et si lescollectivités ne peuvent plus en fournir, même le secteurprivé ne peut pas agir.

En conclusion

Le coût global des transports est mal connu, et les tarifi-cations trop faibles ou trop simples, sauf dans le domaineaérien. Un renchérissement est inévitable et ralentira lacroissance de la demande de déplacements que nousconnaissons aujourd’hui pour l’ajuster au “possible finan-cièrement”.En zone urbaine, la régulation peut se faire par le péage destationnement et non par des systèmes compliqués depéage de zone. Taxer les voitures immobiles est plus logiqueque de taxer les déplacements. Le laisser faire et la régu-lation spontanée par l’embouteillage sont certainement laplus mauvaise des solutions. Sur autoroute, le montantdes péages acquittés pourrait évoluer avec une tarifica-tion plus fine ; il ne pourrait pas cependant être augmentéfortement sans une décision concernant la tarification desvoies structurantes gratuites. Le transport ferroviaire inter-urbain est un sujet complexe, dont le coût “révélé” prouveque la dimension sociale est considérable.

Les nouvelles technologies permettront la taxation au kilo-mètre parcouru quelle que soit la surface sur laquelle roulele véhicule (route, autoroute, rue). Les recettes supplé-mentaires serviront à intervenir dans le domaine urbain,et peut-être dans le ferroviaire transfrontalier. Mais atten-tion à ne pas gaspiller pour des principes idéologiquesrigides le surplus recueilli : la compétition des nouveauxÉtats européens sera de plus en plus rude. Le juste coût del’environnement doit être payé, mais pas plus. Enfin, siles économistes pouvaient accroître leurs efforts pourmieux appréhender le transport dans la finalité complètedu déplacement, et tester les modèles sur des opérationsréelles, ils ajusteraient leurs calculs et gagneraient auprèsdes décideurs la crédibilité qu’ils méritent. ■

Sur autoroute, le montant des péages acquittés pourrait évoluer avec une tarification plus fine.Le Pont Vasco De Gama sur le Tage (Portugal) – Photo : Groupe Vinci/Francis Vigouroux

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FRANÇOIS ASCHER (introduction)PROFESSEUR À L’INSTITUT FRANÇAIS

D’URBANISME - UNIVERSITÉ PARIS VIII

JEAN FRÉBAULT

PRÉSIDENT DE LA SECTION

“AFFAIRES D’AMÉNAGEMENT ET

D’ENVIRONNEMENT” AU CGPC

BERNARD REICHEN

ARCHITECTE-URBANISTE

ne des raisons essen-lles de l’”invention” et développement desles, est que la concentra-n de richesses humainesmatérielles en un mêmeu accroît les rformances d’une sociéténs de multiples domainese la sécurité à l’économie, passant par le religieuxle politique). Cettencentration des richessesns les villes est toujoursée de paire avec le déve-ppement des transports.ais aujourd’hui, la crois-nce des mobilités poses problèmes nouveaux,

ordre environnemental,banistique, économique,litique et social, quiulèvent de multiplesestions.ut-on imaginer de nou-lles formes de mobilitésde nouveaux typesnfrastructures de trans-rts, qui permettraient deeux concilier les intérêtsuvent divergents, voiretagoniques des diverspes d’habitants et d’ac-urs d’une ville (entre lessidents d’un territoire etux qui y sont de passage,tre les habitants desriphéries et ceux quient au centre-ville)?...

Quelles villes voulons-nous ?

...Depuis quelques années un peu partout en Europe,des politiques s’efforcent de promouvoir une urba-nisation plus “durable”, de limiter les processus d’éta-lement urbain et de concentrer autant que possibleles constructions urbaines nouvelles dans les zonesdéjà urbanisées (“la ville sur la ville”, le “renouvelle-

Parler de mobilités, c’est tôt ou tard en venir à un autre débat : celui de la ville elle-même et de son devenir.Couverture de l’autoroute A86 à St Denis – Photo : DDE93/Service communication

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ment urbain”, “the Urban Renaissance”, la “régéné-ration” des villes et la priorité aux brownfields, etc.)?Est-il possible d’en tirer des enseignements?Quelles sont à l’intérieur des villes, comme à leurspériphéries, les implications foncières, en termes dedisponibilités et de prix des terrains, des enjeux envi-ronnementaux et de l’évolution des conditions dedéplacement?Le nouveau contexte des politiques urbaines, quitente de concilier les exigences d’environnement etcelles des transports, suscite-t-il de nouvelles concep-tions d’urbanisme, de traitement des densités et desréponses plus adaptées aux exigences d’équipementset de services publics ? ■

L’URBANISME PEUT-IL CONTRIBUER À UNE MOBILITÉURBAINE DURABLE? (par Jean Frébault)

La vocation première des villes est d’intensifier leséchanges et la connexion des activités humaines. Ce quiest en cause dans le débat sur la mobilité urbaine, cen’est pas la facilitation accrue de se déplacer, mais satraduction par un usage toujours croissant de l’automo-bile combiné avec un allongement des distances de dépla-cement, avec les impacts connus en matière de nuisancesenvironnementales et d’effet de serre, de consommationd’espace, de coupure ou difficile insertion des infra-structures.

Agir en même temps sur l’urbanisme et les politiquesde déplacements

La transformation de l’espace induite par l’accélération desdéplacements et les nouvelles infrastructures (structureétalée des agglomérations, dispersion de l’habitat et desactivités en périphérie) encourage ce processus en mêmetemps qu’elle en aggrave les conséquences. Elle rend plusdifficile, fonctionnellement et économiquement, le déve-loppement d’une offre attractive de transports en commun.La concurrence accrue entre territoires élargit l’univers dechoix, mais tend à spécialiser l’espace, à diminuer la mixitéfonctionnelle ou sociale, et contribue à l’allongement desdistances. Elle facilite aussi les processus de ségrégationet la déqualification de certainsquartiers centraux ou périphé-riques.

Agir en même temps sur l’urba-nisme et les politiques de dépla-cements est donc à l’ordre dujour, la nécessité d’une penséeintégratrice ayant été perdue devue dans l’action publique. Lamaîtrise de la place de l’auto-mobile dans les villes est au cœurdu débat, dans un contexte oùles préoccupations environne-mentales et celles de développe-ment durable prennent une

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Le vélo en zone urbaine : une alternative à l’automobile.Photo : Communauté urbaine de Lyon/Jacques Léone

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importance accrue en Europe et au niveau planétaire (confé-rences de Rio, Kyoto, Johannesburg).

Pour autant, un renversement de tendance ne paraît pasaisé à obtenir. En France, les tendances des années 901

restent toujours à un accroissement de la part de l’auto-mobile dans les déplacements urbains, même si danscertaines agglomérations, la part de marché des trans-ports en commun s’est stabilisée voire un peu redresséegrâce à de nouveaux transports en site propre (tramways,métros, etc.). Même s’il s’est ralenti, l’étalement urbain sepoursuit malgré une nouvelle impulsion donnée aux opéra-tions de renouvellement urbain dans la ville existante(friches, terrains mutables, requalification de quartiersdifficiles). Ces opérations sont complexes, lourdes à meneret exigeantes en matière de concertation. Par ailleurs, onne peut ignorer les réalités du marché et l’attente d’unepartie de la population française d’un habitat plus prochede la nature et d’une demande persistante pour l’habitatindividuel. L’objectif ne serait-il pas de bien structurer lesterritoires périurbains tout en luttant contre les effets lesplus pernicieux de l’étalement urbain ? Y a-t-il d’autresvoies possibles pour l’action publique ?

Du côté des autres pays européens

Un regard comparatif sur d’autres pays européens2 apportequelques éclairages utiles. Il met plus particulièrement enévidence des différences avec les villes d’Europe du Nord.• Une étude comparative récente entre 57 aggloméra-tions de 6 pays européens (le projet “Sesame”) montre des

différences importantes dans l’utilisation des modes dedéplacement. L’usage de la voiture peut aller du simpleau double (35% à Berne ou Barcelone, 70% à Leicester).Les villes françaises comptent parmi celles où le recoursà la voiture est le plus important (pouvant dépasser65 %). Selon les villes, les modes alternatifs seront lestransports publics (plutôt sur les moyennes et longuesdistances), ou bien le vélo et la marche à pied (pour lescourtes distances). Des villes où le taux de possession dela voiture est équivalent à celui des villes françaisespeuvent avoir une fréquentation des transports collectifsdeux à trois fois plus élevée. On peut donc penser qu’ily a des marges de manœuvres.

• La comparaison des contextes urbains, comme l’analysedes mesures prises, révèle une combinaison de facteursexplicatifs concernant à la fois les déplacements et l’ur-banisme : qualité de l’offre de transports publics (y comprisen périphérie), actions en faveur du vélo, des piétons,conception des voiries urbaines, modération du traficautomobile, politique de stationnement, et aussi l’orga-nisation urbaine. Pour les formes urbaines, la densitécomme la taille des agglomérations sont bien des facteursfavorables à l’usage des transports en commun. Les densitésplus élevées diminuent la dépendance à l’automobile3,4. Lamixité urbaine favorise les déplacements sur plus courtedistance ainsi que les modes alternatifs à la voiture. Àl’inverse, la dispersion des emplois dans l’agglomérationincite à l’usage de l’automobile. Certaines villes combinantpolitiques globales de déplacements et planification urbainesont souvent citées en exemple : Amsterdam, Berne, Frei-burg, Karlsruhe, Zurich.

Quelles villes voulons-nous?

Certu. La mobilité urbaine enance : les années 90. Collections

u certu 2002

CEMT. Urban travel : implemen-tion of policies for sustainable deve-pment. Enquête auprès de 167glomérations des pays de la CEMTde l’OCDE. Octobre 2001

a part des transports en commun s’est stabilisée, voiren peu redressée grâce à de nouveaux transports en siteropre.amway de Bobigny – Photo : DREIF/Gobry

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• En matière d’urbanisme, quelques comparaisonsconcrètes peuvent être faites même s’il faut se garder degénéralisations systématiques.Sur le développement périurbain, il y a bien une sorte “d’ex-ception française” : en Allemagne, en Grande-Bretagne,aux Pays-Bas, on ne voit pas, à la même échelle, ces nappesd’habitat dispersé, ni ce développement des grands pôlescommerciaux périphériques. Les limites des villes sont plusfranches, l’encadrement par la planification urbaine estplus net qu’en France. Ainsi en Allemagne, les extensionsurbaines ne sont autorisées que si l’on ne dispose plus defriches, de terrains urbanisables ou mutables dans le tissuurbain existant. La rénovation urbaine et la reconquêtedes friches font partie des politiques prioritaires souvent plusactives qu’en France : le vaste programme de requalifica-tion de la Ruhr (Emscher Park), l’“urban regeneration” àGlasgow ou Birmingham, etc. se caractérisent par des objec-tifs ambitieux (importance des démolitions de logementsobsolètes, innovations architecturales, dimensions cultu-relle et écologique fortes) et par une mobilisation significativede l’investissement privé à côté des crédits publics.Sur l’emploi, on pourrait aussi évoquer la politique “ABC”d’aménagement du territoire aux Pays-Bas, qui incite à laconcentration des activités économiques autour des nœudsde transports en commun.

• Cela ne signifie pas qu’il n’y a plus d’extensions urbainespériphériques. Mais les opérations d’urbanisme semblentrépondre à un niveau d’exigence encore peu répandu enFrance, pour ce qui concerne les densités minimales (indi-viduel groupé, petit collectif), la prise en compte de l’en-vironnement, du paysage et du contact avec la nature.

Prenons l’exemple de Freiburg : réputée plus avancée qued’autres villes allemandes, celle-ci mène une politique dedéveloppement durable à l’échelle de toute la cité. Lesextensions périphériques en cours (quartiers de Riesel-feld et Vauban, 5000 à 10000 habitants) ont été conçuesaprès concertation intense avec les futurs habitants. Parmiles exigences urbanistiques et environnementales rete-nues, on citera une densité minimale (petits collectifs R+2à R+4), une trame verte très dense y compris en cœurd’îlots, très végétalisés (participation des habitants à l’en-tretien des plantations), la desserte par tramway au cœurdu quartier, une place discrète laissée à la voiture (modé-ration du trafic, priorités aux autres usages de l’espace

3. Certu, Cete NP et partenaires euro-péens. Liens entre formes urbaineset pratiques de mobilité : les résul-tats du projet Sesame (Allemagne,Espagne, France, Pays-Bas, RoyaumeUni, Suisse). Collections du Certu,juin 1999.

4. Vincent Fouchier. La planificationurbaine peut-elle conduire à uneamabilité durable ? La Jaune et laRouge 1997.

Freiburg : de grandes exigences urbanistique et environnementale qui laissent une place discrète à la voiture.Photos : Jean Frébault (président de la 5e section du CGPC)

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public, notamment pour les enfants), le recours systéma-tique aux énergies renouvelables, la qualité de l’architec-ture et des ambiances urbaines et de nombreux commerces,équipements et services.

Ces pistes d’action sont-elles transposables à la France?

Sans doute pas à l’identique et ce pour des raisons histo-riques, géographiques et culturelles. Mais on peut penserque ces pistes d’actions ouvrent des perspectives pour

agir autrement et accréditer l’idée qu’il n’y a pas un seulmodèle de mobilité urbaine, mais plusieurs scénarios alter-natifs possibles pour l’action publique. Quelques pistes detravail méritent d’être plus fortement explorées.

• Mettre en avant la diversité et la liberté des choix. Plutôtque de formuler des objectifs de type “tout ou rien”, nefaudrait-il pas offrir au maximum d’habitants la possibi-lité de choisir entre automobile et transports en commun,diversifier l’offre d’habitat en complétant la palette entrecollectifs denses et individuels dispersés ? Dans un docu-ment récent de la FNAU sur le développement territo-rial5, l’un des objectifs proposé est “d’organiser et demaîtriser l’extension urbaine en évitant d’accroître laproportion de ménages dépendant de l’automobile et enménageant une diversité sociale et générationnelle danschaque partie de la ville” : cela suppose de combiner entreelles une série d’actions.

• Agir sur un seul levier ne suffit pas. Vouloir régler la ques-tion de l’étalement urbain par la seule planification urbaineapparaîtra comme une démarche contraignante et proba-blement peu efficace. Il faut en même temps proposer uneoffre urbaine alternative et réellement attractive en 1re ouen 2e couronne, conciliant les aspirations de nombreuxhabitants pour un contact avec la nature, avec une densitéminimale (individuel groupé, petits collectifs, combinésavec des espaces très arborés) et une bonne desserte partransports collectifs.

• Agir sur les densités n’est pas incompatible avec desformes urbaines douces, respectueuses de l’environne-

Quelles villes voulons-nous?

FNAU. Vers une approche renou-lée du développement territorial

our les agglomérations françaises.ptembre 2000.

Freiburg a misé sur la qualité de l’offre de transports publics.Photo : Jean Frébault (président de la 5e section du CGPC)

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ment naturel ou urbain existant mais les exemples sontencore trop rares en France. Une nouvelle pédagogie està développer sur la densité urbaine, trop souvent assi-milée, en France, à un urbanisme de tours et de barres, ouà un paysage urbain minéral. Les documents locaux d’ur-banisme, parfois trop dissuasifs de ce point de vue (COS6

trop faibles, parcelles sous-occupées ou exigences exces-sives sur leur taille minimale) seraient à remettre en cause.

• Combiner un ensemble d’actions publiques est donc indis-pensable : planification urbaine maîtrisant effectivementl’extension du périurbain à l’échelle intercommunale; projetsurbains favorisant la diversité et la mixité, l’urbanité, laqualité du paysage et des espaces publics, les valeurs d’usagepour les habitants plutôt que les gestes architecturaux ;relance des politiques foncières (besoin d’une offre alternativeen zone urbaine, notamment autour des lignes de trans-ports en site propre, de foncier disponible à un coût raison-nable pour les classes moyennes) et de la politique locale dulogement; politique de transports publics attractifs à l’échellede l’ensemble de l’aire urbaine (et pas seulement en zonecentrale) et coordonnée avec les urbanisations nouvelles, limi-tation de la vitesse automobile, maîtrise du stationnement,parkings d’échange en périphérie, politiques tarifaires.

Le défi est lourd dans un pays où la tradition repose surune fragmentation des politiques publiques tant au niveaude l’État que des autorités locales. Les lois récentes auto-risent quelques avancées, mais la création de véritablesinstances de coordination des politiques de déplacementet d’urbanisme devrait être mise à l’ordre du jour dans lesagglomérations.

• Restructurer les territoires urbains existants concerneaussi le périurbain discontinu et peu dense. Ces espacesmobilisent insuffisamment les urbanistes et les aménageurs :organiser le polycentrisme, créer des lieux de vie et d’ani-mation urbaine, concentrer les activités autour des lignesde transports collectifs, densifier les secteurs les plus lâches(avec précaution et respect de l’existant), y compris dans l’ha-bitat individuel qui peut trouver d’autres formes d’attrac-tivité que le recours aux grandes parcelles7.

• Appuyer les démarches citoyennes. À l’exemple decertains pays voisins, le développement de la concertationet de l’adhésion des habitants à certaines valeurs collec-tives est aussi un moteur de l’évolution des politiquespubliques, de même que l’association des futurs habitants(ou de panels de citoyens) à la conception de nouveauxquartiers. On citera aussi en France l’exemple des “plansde mobilité” lancés par des administrations (DDE, AOTU8,etc.) ou des sociétés privées, qui développent une pédagogieauprès des salariés, favorisant le co-voiturage, incitant àl’usage professionnel du vélo et des transports publics.

Agissons avec pédagogie, volontarisme et pragmatismesur ces différents fronts, sans perdre de vue qu’il s’agit d’an-ticiper l’avenir, car ce qui est en jeu c’est bien la qualitéde vie des générations futures. ■

6. COS : coefficient d’occupation dusol.

7. Marc Wiel. La transition urbaine.1999.

8. AOTU : autorité organisatrice destransports urbains.

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Quelles villes voulons-nous?

Polycentrisme urbain et mobilité

Dans une recherche consacrée aux logiques spatiales des entreprises ausein de l’agglomération lyonnaise, Anne Aguiléra (chargée de Rechercheà l’Inrets) confirme la mise en place d’une organisation polycentriquedes localisations. Le centre parvient toutefois à conserver un rôledominant, grâce en large partie à une spécialisation dans les activitéstertiaires et notamment les services aux entreprises. Elle souligne égale-ment que les pôles périphériques demeurent de petite taille par rapportau centre.

Une majorité des établissements s'installe en effet à proximité desinfrastructures routières et dans des zones d'activités réalisées à l'ini-tiative de collectivités locales.

L'accessibilité à une gare TGV ou la présence de transports collectifsne semble pas jouer de rôle significatif sur les choix intra-urbains. Enrevanche, la facilité des contacts avec la clientèle, les ressources logis-tiques et les possibilités de stationnement influent significativement tantsur les implantations nouvelles que sur les délocalisations.

Anne Aguilera souligne également la dissociation croissante entre le lieud'habitat et le lieu d'emploi. La population est plus déconcentrée quel'emploi, change de plus en plus de commune pour aller travailler etutilise pour cela de plus en plus l'automobile. Il existe toutefois des diffé-rences significatives entre les grandes agglomérations urbaines.

Aguilera A., 2002, “Services aux entreprises, centralité et multipolarisation. Le cas deLyon”, Revue d’économie régionale et urbaine, à paraître.

V E R S U N U R B A N I S M E D E L A M O B I L I T É(par Bernard Reichen)

Nous sommes actuellement dans un moment très parti-culier de l’histoire des villes européennes où les modesde vie et d’organisation de la société évoluent plus rapi-dement que l’espace. C’est une situation inversée parrapport aux années 60 où une pensée idéologique de l’es-pace a pu être projetée en fonction d’un modèle de sociétéqui s’est avéré très vite dépassé.

Penser la ville contemporaine

Comment projeter dans l’avenir le principe d’une cultureurbaine basée sur la qualité du lien social ? Une ruptureapparaît entre “ceux qui ont le choix” de la mobilité,imaginée sous toutes ses formes, et ceux qui ne l’ont pas.Sur ce critère, les caractéristiques de la ville de demaindépendront largement de notre capacité à traiter rapide-ment la question des grands ensembles. Mais quels outilset moyens allons-nous mettre en œuvre pour intervenir surla ville à une nouvelle échelle, celle des aires métropoli-taines ? Ces deux questions préalables doivent se conju-guer dans un projet politique à la fois social et structurelnécessaire à la mise en œuvre d’un “urbanisme de choix”accessible au plus grand nombre.

La mobilité est devenue le maître mot des modes de viecontemporains : mobilité physique tout d’abord, maisaussi mentale, toutes les deux accompagnant le mouvementd’individualisation des sociétés urbaines. Chacun, chaque

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jour en utilisant une offre diversifiée de moyens de trans-ports et de moyens technologiques, se compose une “ville”faite de déplacements, de choix et de pratiques person-nalisées. Cette évolution des pratiques est en décalage parrapport aux espaces qui composent la ville actuelle. Cedécalage justifie la distinction entre lieux et non lieuxtelle que l’a défini l’anthropologue Marc Augé. Mais lanotion de non-lieu n’est pas pour autant le signe d’uneabsence de qualité spatiale ou architecturale, au contraire :le monde des transports en particulier réalise de grosefforts pour donner ses lettres de noblesse par l’architec-

ture à l’inter-modalité. Dans un même temps, certainslieux, notamment les lieux “magiques” les plus exposésà la surconsommation touristique, deviennent par unautre effet de la mobilité des simulacres d’eux-mêmes.Dans cet univers incertain, la production d’objets archi-tecturaux est le maillon le plus “réactif” de l’action urbaine.L’architecture a pu ainsi pendant un temps s’approprier,dans le discours mais aussi dans les actes, les dépouillesde la pensée urbaine. Mais cette production, même si ellepropose des signes nouveaux et intéressants, ne constituepas pour autant une évolution urbaine majeure. Elle peut

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Depuis quelques années, on s’efforce de promouvoir un urbanisme durable.Café des images à Hérouville St clair – Architectes et urbanistes : Reichen et Robert

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Quelles villes voulons-nous?

même contribuer à masquer un mal français : le syndromedes logiques sectorielles qui retarde une véritable réflexionsur la ville contemporaine. Si ce mode de pensée et deproduction s’est facilement accommodé d’un système basésur l’intervention publique et un principe de répartitiondes stocks, qu’en est-il dans un monde de flux qui dominemaintenant les principes économiques ? Nous pouvons àce sujet méditer sur “l’économie parallèle” que représen-tent les crédits d’Etat “non consommés”, faute de savoirétablir un lien clair entre un objectif de projet, un finan-cement et une procédure.

Dans l’univers désenchanté des pesanteurs administra-tives apparaît pourtant un fait nouveau : l’émergenced’une “société du prétexte”, phénomène capable par sesexpressions les plus diverses, de modifier considérablementles contours du projet urbain. Créer “l’événement” estdevenu une composante essentielle de la vie urbaine. Cen’est pas une notion nouvelle : la fête, les jeux ou les célé-brations ont de tout temps rythmé la vie publique etcontribué à la production de l’espace public ou même del’architecture monumentale. Mais ce qui est nouveau parcontre c’est la place prise par ce phénomène qui s’installeentre des actions éphémères et souvent immatérielles et l’ac-tion urbaine elle-même lente et continue par nature.L’individuation de la société valorise le présent et déplacele champ de l’urgence. Aussi pour les politiques, refixerdes buts, des échéances et des rythmes même si c’est aminima, est une façon de redonner du sens à l’actionpublique. Cette évolution marque sans doute les prémissesde ce que pourrait être un “urbanisme de la mobilité”appliqué à la ville européenne.

Cette idée du prétexte recouvre des réalités fort diverses

La première et la plus naturelle concerne sans doute laplace donnée à l’architecture dans l’action urbaine. Il y ade toute évidence “un avant et un après Bilbao”. Commentla puissance ancienne du système Guggenheim associée àune initiative locale et à la signature d’un architecte, FrankGhery, a-t-elle pu produire les bases d’un “musée mondial”?Au point de faire passer au second plan une situation poli-tique pour le moins négative et de dynamiser un projeturbain considérable qui va totalement transformer une villeet sa région. Il faudra bien sûr se garder de la tentationd’essaimer des “petits Bilbao” en n’en retenant que le prin-cipe d’une architecture signée et emblématique ou en assi-milant ce projet à un “grand projet” public. La faillite ducentre américain à Paris, projet privé réalisé par le mêmearchitecte selon des objectifs mal cernés et un cadre régle-mentaire sans doute inadapté peut être utile à méditer.

L’évolution des Jeux Olympiques est aussi très instructive.Barcelone, il y moins de dix ans, a donné sa dimensionurbaine au projet olympique à un moment essentiel de lamodernisation de la ville qui anticipait sur la transfor-mation du pays tout entier. Ce symbole fort du nouveaurôle tenu par l’institution olympique s’est ensuite déplacévers des valeurs environnementales et politiques en s’adap-tant aux évolutions de la société. Sydney a assumé cepassage, Athènes et Pékin se préparent à leur manière àprolonger cette ambition universelle.

Dans le même temps, le fait de figurer dans le derniercarré des villes candidates est devenu un projet en soi. Il

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implique une anticipation sur la réalité de l’événementen mettant en œuvre une série d’engagements et d’actionspour un projet urbain “multi-critères” recouvrant tous lesparamètres de la vie de la cité. De fait, l’institution olym-pique devient de fait le promoteur d’une nouvelle pratiqueet même d’une nouvelle morale urbaine.

Pour l’échéance de 2004, la palme revient encore à Barce-lone. La capitale catalane a inventé “une olympiade cultu-relle”, manifestation inscrite elle-même dans le processusde création d’un nouveau quartier. L’ouverture de la “diago-nale” sur la mer devient le support à une exposition d’ar-chitecture faisant appel aux grandes signatures mondiales.Intégrer le “lendemain de la fête” est devenu une nécessitéde l’urbanisme événementiel. Rechercher un principe derécurrence de l’événement devient une finalité pour main-

tenir une dynamique urbaine. Il ne s’agit plus seulementd’un prétexte mais d’un mode de professionnalisation del’action urbaine, les savoir-faire particuliers développésétant ensuite exploités dans de nouveaux concepts.

Les heurs et malheurs des expositions internationalesrécentes montrent aussi a contrario la difficulté de posi-tionnement de ce type de manifestations dans un envi-ronnement concurrentiel, quand elles ne sont pas ancréesdans une réalité ou une tradition locale. C’est peut-être làque s’opère une césure entre un “produit” trop connu etun peu convenu, et un véritable projet.

L’événement est-il une fin en soi, un levier pour une actionou une donnée pérenne?

C’est dans ces questions que se situe la nature “urbaine”de ce type d’actions.Le succès de “Paris Plage” illustre la façon dont une mani-festation populaire et médiatisée a pu faire accepter unprincipe de limitation de la circulation automobile décriéun an auparavant. Quel est maintenant l’avenir du projet?S’agit-il d’un événement festif, de l’amorce d’une réflexionsur “l’espace partagé” ou le projet prépare-t-il une trans-formation profonde du plan de circulation parisien ?

Une autre dimension urbaine d’un événement est contenuedans la capacité “d’agencement” de différents types d’ac-tions. Un exemple intéressant concerne la “parade de ladanse” développée à Lyon depuis quelques années. Lesuccès instantané de cette manifestation qui mobilise des

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ESL’événement peut devenir une finalité pour créer une nouvelle dynamique

urbaine.“Paris Plage”, été 2002 – Photo : DREIF/Bruno Gauthier

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milliers de bénévoles peut être relié à deux réalités objec-tives : la Biennale de la Danse tout d’abord, manifestationancienne matérialisée par une Maison de la danse devenueun haut lieu culturel de la ville et ensuite la remarquablemodernisation des espaces publics de la ville. Il ne s’agitplus seulement d’une manifestation nouvelle mais d’unecapacité à relier trois projets de nature différente pourcomposer un ensemble cohérent intégrant les divers para-mètres d’une culture urbaine contemporaine.

Dans une vision dynamique du projet, unautre paramètre apparaît : celui de “déclen-cheur” qui va permettre l’action, la mettre enlumière et lui donner son sens. Une dyna-mique créée par une action de modernisa-tion appliquée à un champ limité, peut ainsidevenir le moteur d’une démarche urbainecomme l’installation d’un nouveau tramway,ou encore la mise en place d’une politique deloisirs urbains ou l’installation d’un nouvelhôpital. Nous sommes alors devant une inver-sion de proposition. L’urbanisation n’est plusle moteur d’un développement urbain, aucontraire elle devient une action induite parune dynamique sectorisée. Cette nouveauté

oblige l’urbanisme à se situer dans un mouvement et nonplus dans les certitudes d’un modèle de ville. Cela conduitles villes dans une vision préventive à réfléchir en termesde stratégie de l’espace, et cela sera encore plus vrai quandil faudra intervenir à des échelles intercommunales. Cettedémarche impose un véritable changement de comporte-ment pour aborder des projets ouverts ayant pour premierobjectif de valoriser une intelligence du territoire en iden-

tifiant un ensemble d’invariants et de lignes de forcesreconnus par tous. Mais ils devront dans un même tempsêtre réceptifs aux opportunités et s’appuyer sur des prin-cipes nouveaux d’appropriation par la population.

L’action menée dans la Ruhr dans une durée limitée, dixans, par l’IBA, est sans doute un prototype dans cettedémarche à la fois territoriale, dans sa dimension envi-ronnementale, localisée par une mosaïque de 90 actions“urbano-architecturales” et culturelles sous la forme d’un“festival” permanent.• Assumer la complexité et simplifier l’action en inventantde nouveaux principes d’agencement des actions urbaines.• Relier des temporalités couvrant un champ large del’urgence au long terme selon de nouveaux principes decohérence.• Rétablir une réactivité dans l’action pour permettre lamise en œuvre de véritables contrats d’objectifs.• Intégrer l’événement comme action autonome mais aussicomme moyen pour les habitants de s’approprier un projetd’une autre nature.Dans un tel contexte, nous ne traitons plus des sites maisdes situations, nous ne gérons plus de stocks mais desflux, nous n’agissons plus seulement sur l’espace mais surle temps. Le prétexte peut alors être seulement un prétexte,mais aussi la façon pour une population comme pour sesreprésentants de faire un pas de côté et de se réappro-prier l’espace urbain d’une façon plus légère et forcémentplus mobile. Est-ce le signe d’éclosion d’une nouvelleculture urbaine ? C’est en tout cas une hypothèse quimérite d’être approfondie en termes de méthode maisaussi de métier au moment d’aborder la 2e génération dela ville hors les murs. ■

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Quelles villes voulons-nous?

urbanisation peut devenir une “action induite” par une dynamique sectori-e afin d’aborder des projets ouverts pour valoriser “l’intelligence du territoire”.entre des technologies de l’environnement à Oberhausen – Architectes etbanistes : Reichen et Robert

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JACQUES THEYS (introduction)RESPONSABLE DU CENTRE DE PROSPECTIVE

ET DE VEILLE SCIENTIFIQUE À LA DRAST

LOUIS DEFLINE

PRÉSIDENT DIRECTEUR GÉNÉRAL

DU GROUPE GEFCO

DOMINIQUE BIDOU

COORDONNATEUR DE LA SOUS-SECTION

“ENVIRONNEMENT” AU CGPC

n ne peut comprendre évolutions du systèmeoductif depuis trente ansns comprendre simultané-ent ce qui s’est passé dansdomaine des transports inversement. Ces deuxnamiques sont en effetlement imbriquées, sioitement “couplées”,’elles sont indissociables.pourtant cette articula-n, cette imbrication, estement pensée, rarementplicitée que ce soit par économistes ou par lesécialistes du transport. n sait le rôle qu’a pu jouerur l’organisation et la

odernisation de l’appareiloductif le développements infrastructures, la flexi-ité et la fiabilité du trans-rt routier, le faible coûtatif des transports, performances croissantes la logistique.

n connaît, inversement,mpact qu’ont pu avoir surdemande de mobilité, laobalisation économique,construction du grandarché européen, l’évolu-n vers des productions àrtes valeurs ajoutées, laxibilité et la spécialisations chaînes de production,juste à temps et la réorga-ation du commerce...

Peut-on et doit-on “découpler” la croissance économique et la mobilité des biens?

...Et pourtant quand on interroge les économistes, lesingénieurs ou les entreprises sur les grands enjeux futursde l’évolution du système productif, la question de lamobilité n’est presque jamais évoquée. De leur côté lesspécialistes des transports considèrent souvent les évolu-tions du système productif comme des donnéesauxquelles il faut s’adapter – comme une “boite noire”.On trouve parfois les mêmes coupures au sein des entre-

La richesse économique participe directement au développement du transport.Photo : Photodisc P

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Peut-on et doit-on “découpler” la croissance économique et la mobilité des biens?

prises entre les responsables de la stratégie et ceux de lalogistique. Si l’on peut parler d’un certain “découplage”entre transport et économie, c’est donc d’abord d’uncertain découplage culturel décisionnel. Cette difficultéà penser simultanément l’évolution des systèmes produc-tifs et celle de la mobilité a naturellement des consé-quences, avec, par exemple – au niveau microéconomique– une prise en compte souvent biaisée des coûts liés auxtransports dans le calcul des entreprises; et au niveau“macro”, la difficulté à anticiper certaines évolutionstelles que la multiplication par quatre en vingt ans dutrafic routier de marchandises à travers les Alpes (depuis1980). Paradoxalement c’est probablement en réduisantce “découplage” culturel que l’on pourra aborder laquestion posée en 2001 par le Livre blanc européen surles transports d’un éventuel “découplage” réel entre lacroissance économique et celle du transport de marchan-dises et en particulier du transport routier. Ce décou-plage est-il souhaitable et réalisable? C’est la question àlaquelle répondent les deux articles suivants. ■

LA CROISSANCE DU TRANSPORT DE MARCHANDISESFAVORISE-T-ELLE LA CROISSANCE ÉCONOMIQUE?(par Louis Defline)

Une question au cœur d’un débat de société

Cette problématique a été lancée par la Commission euro-péenne lors de la publication de son Livre Blanc sur la poli-tique des transports1 : il est nécessaire et possible de dissocierla croissance des transports de marchandises de celle de

l’économie. Les auteurs de cet ouvrage considèrent que lasociété demande toujours plus de mobilité, mais que l’opi-nion publique en supporte de moins en moins les risques.Le besoin de mobilité des marchandises devrait, selon laCommission, évoluer moins vite d’ici 2010 que la crois-sance du PIB. La raison évoquée est simple et tellementévidente qu’il n’est pas utile de la justifier : la part de l’in-dustrie dans le PIB devient minoritaire et celle des servicesprédominante, étant sous-entendu que les services nenécessitent que peu, voire pas de transport de marchan-dises. Selon les auteurs, les risques redoutés par l’opinionpublique sont ceux de la route et plus particulièrement ceuxde la congestion, de la pollution et de l’insécurité. Laréponse à cette crainte passe par un transfert de trafic demarchandises vers le rail et la mer.

Le dynamisme des transports, un facteur important dela croissance européenne depuis 1970

Selon Eurostat, la croissance du PIB depuis 1970 s’estélevée en moyenne à 2,4%/an et celle du transport demarchandises à 2,7%/an. Ce différentiel de croissanceentre la route et le PIB s’est accentué pour les trentedernières années en passant de 1,1 PIB à 1,5 PIB pour lesdix dernières années ! La tendance n’est pas orientée versla décroissance comme le pense la Commission qui retientpour les dix années à venir un différentiel de 0,9 PIB. Quelles sont les raisons d’un tel grand écart entre les faitset les vœux?• La première réside dans la compréhension de la crois-sance économique : le PIB mesure la valeur ajoutée

Commission des Communautésropéennes D9 Tren Unité B1 du

2 septembre 2001 Livre Blanc “Laolitique européenne des transports’horizon 2010 : l’heure du choix”.

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marchande produite par le pays et celle-ci se traduit parde la consommation de biens et de services pour les parti-culiers comme pour les entreprises, que ces dernièressoient du domaine industriel ou tertiaire. Lorsque larichesse du pays augmente, la consommation de biens,notamment physiques, donc à transporter, augmente.• La seconde est liée à la consommation des particuliers :un plus grand choix de produits leur est offert à la fois parla mondialisation de l’offre, l’élargissement des variantesd’un même produit et l’accélération de leur renouvellement.Les exemples des produits électroniques ou d’ameublementsont à cet égard très illustratifs.• La troisième repose sur la profonde transformation desentreprises industrielles. L’accroissement de leur producti-vité fait baisser leur poids dans le PIB sans restreindre pourautant le volume des produits vendus. Lorsqu’elles exter-nalisent certaines productions dans les pays à bas coûts de

main d’œuvre, elles engendrent un accroissement des besoinsde transport. Lorsqu’elles délocalisent toute leur production,elles augmentent encore leurs trafics. Et lorsqu’elles cessentleurs activités, les besoins des consommateurs s’oriententvers l’importation et donc des besoins de transport inter-national puis domestique. L’évolution de l’industrie auto-mobile permet de bien comprendre ces mécanismes.

L’origine de ce dynamisme : le transport routier

Le transport routier est celui dont la croissance est la plusforte et la plus rapide. Pourquoi ? Faut-il le craindre ? Cemode de transport est plébiscité par les acteurs écono-miques (particuliers et entreprises) car il est efficace (rapide,fiable, peu coûteux) et que ses performances ne cessent des’améliorer (progrès des véhicules et des infrastructures).Il est pourtant redouté par l’opinion publique qui luiattribue toutes sortes de maux : congestion des routes,émissions polluantes, nombre d’accidents. Là encore les

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Les évolutions des différents modes de transport

1970 – 2000 1990 – 2000Route 1,7 PIB 2 PIBMer 1,3 PIB 1,6 PIBFer 0,75 PIB 0,6 PIB

Les chiffres d’Eurostat mentionnés dans ce tableau montrent les évolu-

tions de croissance très différentes entre les modes de transport.

Dissocier la croissance des transports de marchandises de celle del’économie : une question au cœur d’un débat de société.Photo : Gefco

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faits démontrent que les performances depuis trente ansn’ont jamais cessé de s’améliorer dans ces trois domainesgrâce aux investissements (infrastructures et véhicules).La voie maritime a réussi à croître et à améliorer sa crois-sance. Cela est peu connu. Les origines en sont le déve-loppement du commerce international (importation etexportation) qui à 90%, passe par les ports. Le cabotagele long des côtes se développe plus lentement, mais pour-rait constituer une voie prometteuse.Le mode ferroviaire n’a pas su saisir l’opportunité des“Trente glorieuses”. Les raisons sont à la fois connues (parles initiés) et méconnues (par le plus grand nombre). Cemode constitue presque le reflet négatif de la route. Dansle domaine du fret, il est de plus en plus rejeté par les entre-prises du fait de son inefficacité (lent, non fiable, coûteux)et de ses performances qui ne cessent de se détériorer(stagnation technologique des locomotives et wagons,insuffisance des infrastructures). Beaucoup rêvent de

transfert massif de la route au rail : ce rêve ne s’est jamaisréalisé au cours des trente dernières années malgré lesnombreux programmes politiques de relance. Pourquoi ?Ce mode n’est pas compétitif avec la route, sauf pour desnavettes transportant de grands volumes sur de longuesdistances avec une régularité de métronome à l’allercomme au retour.

La politique de transport retenue par la Commissioneuropéenne : un frein au développement économique

La mise en œuvre de ces orientations devrait, pour la réali-sation du réseau d’infrastructures transeuropéen, coûter500 milliards d’euros. La Commission remarque toutefoisqu’il faudrait vingt ans de financement par les budgets desquinze États membres pour atteindre le résultat souhaité. Ellenote également que le rythme actuel de réalisation desgrandes infrastructures n’est pas compatible avec le délai de2010. Les orientations butent ainsi sur une triple difficulté :la performance opérationnelle du rail ne rejoindra pas cellede la route, le délai de réalisation du réseau ferré souhaitésera trop long, le coût est trop élevé pour être financé.

Par ailleurs, la tendance de croissance des trafics routierset maritimes est sous-estimée parce que la Commission afait l’hypothèse d’un découplage mobilité-économie : 0,9au lieu de 1,1 depuis trente ans ou 1,5 depuis dix ans. Ensupposant, pour les raisons indiquées ci-dessus, que ledynamisme des transports continue à tirer la croissanceéconomique, le transport routier doublerait de volumed’ici 2010 et le trafic maritime augmenterait de moitié.

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Peut-on et doit-on “découpler” la croissance économique et la mobilité des biens?

Les propositions du Livre blanc

Dans le domaine des marchandises, elles peuvent se résumer dans les quelques chiffres suivants (base en tonnes x km, croissance PIB de 3%/an, croissance transport à 0,9 PIB) :

Partage modal en% Croissance en %1998 2010 1998-2010

Tendance Commission Tendance Commission

Route 44 47 44 50 38Mer 41 40 41 35 40Fer 8 7 8 13 38

a voie maritime a amélioré sa croissance : 90% duommerce international passe par les ports.hoto : Photodisc

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Mais il est clair que si les États devaient investir massive-ment dans le mode ferroviaire, ils ne pourraient pas, dansle cadre de budgets décroissants, investir les montantsnécessaires dans les infrastructures routières et maritimes.Le risque alors existe que la politique proposée par laCommission freine la croissance des transports routier etmaritime et par suite la croissance économique.

La croissance du transport indissociable de la croissanceéconomique

L’observation et l’expérience conduisent à penser que ledéveloppement du système de transport d’un pays (infra-structures et opérations) participe directement à la créa-tion de richesse économique. Quelques exemples peuventaider à s’en convaincre : l’extension économique de larégion Ile-de-France de son centre vers sa périphérie a étérendue possible par les progrès de la route, tant au niveaudes infrastructures qu’à celui des véhicules. L’améliorationde la compétitivité de l’industrie automobile française apu se réaliser grâce à la délocalisation d’une partie desapprovisionnements dans les pays d’Europe centrale ou duMaghreb grâce à la rapidité et à l’efficacité du transportroutier. Le développement du modèle français de grandedistribution s’est fait grâce à la souplesse, l’exactitude etsurtout la rapidité du transport routier, capable de trans-porter, par exemple, des produits frais sur l’ensemble duterritoire national en 24 heures.La richesse économique à son tour participe directement audéveloppement du transport, comme cela a été rappelé plushaut. Certes, il faut s’attendre en Europe à une croissance

économique dite de renouvellement (de 2 à 3%), mais il fautaussi compter sur le développement de l’Europe centrale etle regain de dynamisme économique qu’elle entraînera ausein de la nouvelle Union européenne. Il faut aussi espérerque l’Europe saura profiter des opportunités offertes par lespays en rapide développement, tels la Chine, pour accélérerson commerce international et contribuer à la poursuitede sa croissance à niveau élevé. ■

LA QUESTION DU DÉCOUPLAGE : PERFORMANCE ETTRANSPORTS DE MARCHANDISES (par DominiqueBidou)

Toutes les analyses sur le changement climatique pointentdeux postes sensibles : les transports et les bâtiments“tertiaires”. Ces postes ne sont pas les plus lourds, mais ilscroissent rapidement, sans que l’on ne voie clairementcomment maîtriser ce phénomène.

Rompre avec les pratiques actuelles : une absolue nécessité

Concernant le transport de marchandises, la crainte estgrande de voir la croissance économique affectée par d’éven-tuelles restrictions. Pourtant, des exemples favorables exis-tent, comme l’illustre la société Les 3 Suisses qui a réduitson budget transport de 15% à la suite d’une action déter-minée de lutte contre ses émissions de CO2, sans pourautant freiner son activité. Le “double dividende” est ici bienengrangé. Il n’y a pas de fatalité dans ce domaine.

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Dès 1995, un rapport du CGPC2 mettaiten évidence la nécessité d’une rupture detendance : “Le rapport introductif audébat parlementaire sur la politique destransports de septembre 1993 posait déjàla question : “ne faut-il pas reconnaîtrela nécessité d’une maîtrise de la mobilité,comme a été reconnue dans le passé lanécessité d’une maîtrise de l’énergie? Qu’ils’agisse de ses taux de croissance, de ladérive de sa structure modale, de ses effetssur la pollution de l’air, locale et planétaire,de ses autres effets nocifs, notre systèmeactuel de transports ne paraît pas pouvoir

participer d’un développement durable à très long terme.Une rupture par rapport aux tendances actuelles est néces-saire dans les quinze années qui viennent pour préparerun avenir différent”.

La maîtrise des transports est conciliable avec la crois-sance de l’entreprise

C’est bien sûr dans la recherche de l’efficacité du systèmequ’il faut chercher comment sortir “par le haut” de lacontradiction qui pourrait apparaître entre croissance de l’ac-tivité et maîtrise des transports. Groupage, meilleur remplis-sage de camions ou de wagons, choix du meilleur mode aucoup par coup, sont des pistes de solution, qui se combi-nent parfois entre elles. La capacité d’anticipation, le stoc-kage intermédiaire quand il est possible, le recours à destechniques performantes pour les changements de mode

de transport, constituent autant d’atouts à exploiter. Desétudes lancées par diverses grandes sociétés et des associa-tions professionnelles comme “Entreprises pour l’Envi-ronnement” semblent montrer que des marges de manœuvreexistent. Encore faut-il que la nécessité de cet effort soit inté-grée dans les politiques des entreprises, car c’est souvent dansles stratégies d’implantation et de répartition des unités deproduction, dans les critères de choix des fournisseurs et dessous-traitants, dans le conditionnement des produits, quedes économies de transport se font jour. On ne trouve guèrede solution à la question du découplage sans rentrer dansle fonctionnement même de l’entreprise.Motiver les acteurs est donc la première condition à remplir.Politique tarifaire, risque de congestion, ouverture de capa-cités nouvelles sur des modes peu polluants (type Logi-seine) peuvent être des leviers positifs ou négatifs, pouramener les chargeurs à chercher des solutions performantes.Il faut également favoriser le développement de profes-sionnels indépendants de logistique, notamment pour lespetites entreprises qui adoptent toujours le même mode, lecamion, par souci de simplicité. Le découplage nécessite l’in-troduction de souplesse et d’adaptabilité, ce qui ne s’im-provise pas et fait appel à des compétences professionnelles,que l’on doit pouvoir trouver dans des sociétés de service.

Cas particulier du commerce de détail : les marges demanœuvre existent aussi

Un point particulier à examiner est la distribution auprèsdes ménages. Le bilan transport des choix entre type decommerce est très contrasté, selon qu’il s’agit d’un commerce

Jean-Paul Lacaze, Pierre Chas-nde, Michel Dresch, Jean-Pierreéchaud Le développement durable les métiers de l’Équipement,pport du CGPC, juin 1995.

e transport routier est plébiscité par les acteurs conomiques pour sa flexibilité et sa rapidité.hoto : DDE67/Daniel Fromholtz

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de proximité en centre ville ou d’hypermarchés en péri-phérie, avec de surcroît l’émergence du e-commerce et deslivraisons qu’il entraîne.Les gains sur le volume de transports ne sont plus ici liésaux stratégies d’entreprises, mais à l’aménagement des villeset à l’urbanisme commercial, avec d’un côté l’inertie quicaractérise ces phénomènes, mais aussi les possibilités réellesd’intervention des collectivités publiques.Dans les deux approches, transports de marchandises surlongue distance et approvisionnement des ménages, on voitdonc apparaître l’existence de marges de manœuvre. Le défipeut être relevé, mais seulement avec une détermination àla hauteur de l’enjeu. Il n’y a bien entendu pas de réponsetoute faite, mais des orientations qui, si elles sont tenuesdans la durée, peuvent progressivement écarter la courbe dela croissance économique de celle du volume de transport.Dans tous les cas, on constate que l’analyse s’opère àpartir du générateur de trafic, entreprise, unité de produc-

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tion, commerce, et par suite du service à offrir pour sonbon fonctionnement. C’est une vision intégrée qu’il fautpromouvoir, en optimisant le système production-trans-port-distribution-consommation, et non en se focalisantsur la seule activité “transports”. Les instruments d’unetelle approche sont encore embryonnaires, les structuresdes collectivités publiques et des entreprises n’ont paspour la plupart pris la mesure des changements d’orga-nisation nécessaires. Le défi du découplage n’a pas desens si on l’isole de changements plus profonds que notresociété devra adopter en ce début du XXIe siècle, dans laperspective d’un “développement durable”. ■

Commerce de détail : trois scenarii

L’hypermarché de périphérie. Il reçoit ses marchandises par gros camions et les particuliers vontse fournir en voiture. 200 ménages consomment en moyenne 251 litres de carburants (kilo équi-valent pétrole précisément), rejettent 773 kg de CO2, et 29 kg de polluants, et font le bruit de 200voitures.Le supermaché de proximité. Les ménages se fournissent à pied dans un commerce de proximité,lui-même livré en camion de taille moyenne. La consommation d’énergie tombe à 4 litres decarburant, le CO2 émis à 12,6 kg, les polluants à 0,3 kg, et le bruit à celui de moins de 10 voitures.La livraison à domicile. Elle se situe entre les deux premiers : 19 litres pour la consommation d’énergie,60 kg de CO2 et 2,2 kg de polluants, et du bruit équivalent à celui d’environ 35 voitures.Pour le même service rendu, ces trois scénarii illustrent la grande diversité des impacts sur l’envi-ronnement. Le rendement environnemental peut passer de 1 à 80 dans les cas les plus tranchés.Une vraie marge de manœuvre à exploiter.

Source : Alain Morcheoine, Ademe, 1997

Le défi est d’optimiser le système production-transport-distribution-consommation.Marché des Capucins (Marseille) – Photo : METLTM/SIC/G. Crossay

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L’évolution technologique devrait répondre aux préoccupations sociétales : pollution, énergie, effet de serre,sécurité, etc.Le trolleybus-autobus-Cristallis dispose d’une motorisation hybride électrique – Photo : Irisbus

JEAN-PIERRE GIBLIN (introduction)PRÉSIDENT DE LA SECTION “AFFAIRES

SCIENTIFIQUES ET TECHNIQUES” AU CGPC

GÉRARD GASTAUT

CHARGÉ DE MISSION AU CGPC

YVES MARTIN

ANCIEN PRÉSIDENT DE LA SECTION TECHNIQUE

DU CONSEIL GÉNÉRAL DES MINES

CLAUDE ARNAUD

DIRECTEUR DE LA RECHERCHE ET

DE L’INNOVATION – CGEA-CONNEX

GROUPE VIVENDI ENVIRONNEMENT

ns la sensibilité écolo-que, une certaine frilositéste sur la capacité de la

chnologie à répondre aufi de la mobilité durable eta au nom de deux argu-

ents : le risque d’unemobilisation sur des ac-ns de réduction de la

obilité, la crainte d’effetsebond”, une moindrensommation unitairequant d’être annihilée pare mobilité supplémentaire contrebalancée par uneurse à la puissance com-ercialement payante. s progrès accomplis enatière de pollution localeiterait à l’optimisme quantx capacités de la technolo-

e, mais le défi du CO2 estontestablement plusficile. Des progrès substan-ls sont en cours pour leshicules propres avec l’en-gement volontaire desnstructeurs (140 g/km de

O2 en 2008 susceptibleêtre porté prochainement120 g/km en 2012 etendu aux véhicules utili-res). ’horizon 2020-2030, queut-on attendre de l’amé-ration des moteurs ther-ques, des carburants et demergence de véhiculesbrides? Un objectif derdre de 90 g de CO2/km-il envisageable?...

Qu’attendre de la technologie ?

... Les consommations unitaires des véhicules lourdsn’ont pas baissé depuis dix ans. Les poids lourds nedevraient-ils pas faire prioritairement l’objet de recherches technologiques de solutions alternatives?Qu’attendre enfin de solutions plus novatrices, commela pile à combustible (et le tout électrique), quirenvoient inévitablement à la question de l’énergie

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primaire utilisée et tout particulièrement à l’avenir dela filière nucléaire?Quel progrès espérer sur les consommations unitairespar passager x km dans le transport aérien, enjeumajeur compte tenu de ses perspectives de croissanceet de sa dépendance totale du pétrole?L’outil réglementaire ne doit-il pas être utilisé pouraccélérer ces évolutions et pousser vers des solutionsnouvelles que le marché très concurrentiel des maté-riels de transports ne fera pas apparaître seul? Comptetenu de la puissance des industries automobile etaéronautique européennes ne peut-on pas escompterun effet de diffusion rapide à l’échelle mondiale detelles “normes”?Les nouvelles technologies de l’information et de lacommunication (NTIC) pénètrent toutes activités :travail, commerce, loisirs et culture, etc. Les formesmodernes du télétravail de l’e-commerce sont-ellesporteuses de changements en modifiant la nature, lalocalisation et la temporalité des déplacements voireleur volume total ? Les NTIC jouent un rôle croissantà bord des véhicules et pour assister les conducteurset voyageurs dans leurs déplacements. Peuvent-ellescontribuer à la rendre plus sûre, plus apaisée et doncmoins énergétivore et plus confortable aussi ?Comment mobiliser les NTIC au service d’une mobi-lité durable? Quelles politiques publiques mettre enplace ? ■

LA TECHNOLOGIE AU SERVICE DE LA MOBILITÉDURABLE (par Gérard Gastaut)

La mobilité des personnes et des biens est une condition dudéveloppement de valeurs individuelles et collectives posi-tives. La croissance économique, le développement social,la mobilité professionnelle et personnelle font partie dumême cercle vertueux des sociétés modernes. De plus, si lechoix leur en est donné, la grande majorité des personnesprivilégient la mobilité individuelle, ressentie comme uneforme supérieure de mobilité, notamment par la libertéqu’elle offre. Mais le succès écrasant de l’automobile et dutransport routier qui en résulte semble porter en lui mêmeses limites.

Construire une mobilité durable ?

Les limites en cause sont au niveau local, l’insécurité routière,la congestion, les pollutions de l’environnement, l’exclusiond’une partie de la population et au niveau global, lesressources en hydrocarbures et les émissions de gaz à effetde serre. La réponse à ces défis est la recherche d’un ou demodèles de mobilité durable. C’est grâce à une combi-naison de moyens et d’actions que la technologie pourradévelopper un tel modèle. La technologie seule ne peutprétendre apporter la solution. A contrario, elle apporterasa quote-part supérieure à beaucoup de prévisions : lestendances continues de l’innovation sont prévisibles, maispas les ruptures.

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Énergie et motorisation

La solution actuelle (moteurs essence et diesel) a su vaincrel’obstacle de la pollution locale : il reste à généraliser lesdispositifs anti-particules et les pièges à NOx ; l’effet surles parcs se fera au rythme des renouvellements. Cettechaîne fait maintenant face au défi de ses consommationsd’hydrocarbures.• La première question est celle des réserves. Personnene connaît la situation réelle des réserves de pétrole : il suffitde se rappeler les prédictions du “Club de Rome”! De plus,les possibilités de liquéfaction du gaz naturel et d’incor-

poration de biocarburants permettront de conserver uncarburant liquide à haute densité énergétique pendantlongtemps.• La seconde question, celle des émissions de gaz carbo-nique, est le vrai défi auquel l’automobile et le transportroutier doivent faire face. Citons quelques chiffres : enEurope, en 2008, la voiture neuve moyenne émettra2,1 tonnes de CO2 par an (140 g /km x 14000 km/an)soit un coût social marginal par an de 8 à 30 € selon quel’on retient, pour la tonne annelle de CO2 économisée, leprix actuel de marché (3 à 5 €) ou le prix projeté par lesexperts (10 à 20 €). Sur la durée de vie moyenne d’uneautomobile, on parle donc de 100 à 400 € par véhicule,soit moins de 1 à 3% du prix de vente du véhicule.

Des progrès technologiques continus ?

Les progrès technologiques vont permettre d’atteindreces niveaux d’efficacité énergétique : grâce notammentaux possibilités d’hybridation douce, ce chiffre devraitdescendre à 120 grammes de CO2 par kilomètre. Au-delàde 2012-2015, des progrès incrémentaux seront peut-êtreencore possibles en combinant les performances desmoteurs et des carburants, en développant les hybridationset en allégeant les véhicules. Mais on approche du rende-ment thermodynamique. Seul un saut technologiquecomme les piles à combustibles, avec vraisemblablementune hybridation, contribuera aux progrès ultérieurs : celaimpliquera une filière H2 (avec quelle source d’énergieprimaire ?) dans des coûts automobiles. Enfin, on ne peutexclure des découvertes encore plus de rupture comme les

Qu’attendre de la technologie?

Qu’attendre de solutions plus nova-trices comme la pile à combustible.Principe de fonctionnement de la pile àcombustible – Photo : PSA Peugeot-Citroën

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dispositifs de séquestration ou de fixation directe ou indi-recte du carbone. L’annonce d’une rareté future et satraduction dans des dispositifs de contrainte (règlements)ou, mieux, de marché (prix) sont les meilleures incita-tions pour l’expression de la créativité humaine. ■

RÉDUIRE LA MOBILITÉ OU AMÉLIORER L’EFFICACITÉTECHNOLOGIQUE (par Yves Martin)

Pour répondre à cette question, il est indispensable de nepas sous-estimer l’ampleur du défi qui nous est lancé.Stabiliser la concentration en gaz carbonique de l’atmo-sphère suppose une division par deux de nos émissionsmalgré le doublement de la population et l’augmentationdes niveaux de vie, notamment dans les pays en déve-loppement : à Kyoto a été prévue une baisse de 5% desémissions des pays industrialisés entre 1990 et 2010, mais,sur la même période, les émissions des autres pays augmen-teront légitimement d’une quantité 6 fois plus importanteen volume. À la fin de ce siècle, il n’y aura plus de pétrole,et d’ici là les ressources résiduelles se concentreront auMoyen-Orient (les 2/3 déjà aujourd’hui) avec toutes lesincertitudes que cela comporte.

Réduire la demande de mobilité

Sauf généralisation, pour les véhicules terrestres, de lasolution “électricité + fusion nucléaire”, nous n’échap-perons pas à la nécessité d’une réduction de la mobilité,

drastique à long terme, mais qui ne peut être que progres-sive compte tenu de l’inertie des systèmes en cause (urba-nisme, aménagement du territoire, organisation de laproduction). Tout doit être fait pour améliorer l’efficacitéénergétique des véhicules à combustibles fossiles, mais ilfaut avant tout éviter que l’espoir de ce progrès techniquene soit un prétexte pour ne pas engager sans délai laréduction de la mobilité. Mais il est très inquiétant deconstater que nous attendons tout de la technologie etn’avons encore rien fait d’efficace pour agir sur la mobi-lité, alors même que ce serait vraisemblablement moinsimpopulaire que ne le craignent les politiques (à conditiond’être bien expliqué par les fonctionnaires) : la taxe surles carburants n’a pas augmenté, notamment sur le gazole,et le projet d’une loi qui rendrait possible le péage urbainn’est toujours pas écrit.

Faire coïncider l’intérêt des constructeurs et l’intérêt collectif

L’amélioration de l’efficacité énergétique passe non seule-ment par la technique mais aussi par une politiquecommerciale qui devrait être centrée sur l’offre de véhi-cules plus petits, moins lourds, moins puissants, dotés demoins d’équipements énergivores. Il ne faut pas demander aux constructeurs d’automobilesde jouer contre leur intérêt. Il appartient aux pouvoirspublics de mettre en place un dispositif qui intéresse cesconstructeurs à réduire aussi vite que possible la consom-mation spécifique moyenne des véhicules mis en circula-tion en Europe. Une baisse ambitieuse et progressive dela consommation moyenne devrait être programmée sur

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vingt ans ; chaque année tout constructeur ou importateurse verrait attribuer gratuitement des permis égaux aunombre de véhicules vendus par lui multiplié par laconsommation spécifique retenue et un marché de permisserait instauré. Les plus performants en la matière, qui fontdes véhicules plus efficaces au plan énergétique et (ou) quicherchent à vendre de plus petits modèles, seraient écono-miquement récompensés. Pour éviter un blocage du dispo-sitif, si la moyenne objectif fixée n’est pas réalisable,l’Union européenne vendrait des permis complémentairesà un prix élevé, dont la croissance serait programmée survingt ans. Ce dispositif n’a rien à voir avec l’engagementvolontaire de l’Acea1 qui n’est qu’une entente entre constructeurs pour freiner les velléités réglementaires del’administration communautaire.

Les constructeurs auraient intérêt à l’organisation d’un jeu,sans à-coup et sans perturbation de concurrence, quistimulerait leur innovation pour intégrer, sous forme devaleur ajoutée supplémentaire dans leurs produits, lesexternalités environnementales des transports que notresociété devra bien payer de toute façon.

La réglementation est un moyen efficace de généraliser unetechnologie performante, mais elle ne sait pas susciter unprogrès technique aussi vigoureux que possible. Il lui esttrès difficile d’exercer une action sur la politique commer-ciale. Ses discontinuités inévitables dans le temps sontperturbatrices pour l’industrie. On peut certes récom-penser un constructeur en fixant une règle fondée sur laperformance qu’il vient d’obtenir, mais l’avantage corres-pondant peut être si important qu’il suscite des combats

de retardement efficaces (cf. l’attitude de la France sur lepot catalytique). Mais on ne peut fixer une performancetrès stimulante à vingt ans, qui anticipe sur l’état desconnaissances, sans prendre le risque de décrédibiliserl’approche réglementaire si l’on doit repousser l’échéanceou abaisser la barre.

En conclusion, le progrès technique, s’il est efficacementencouragé, peut nous donner un peu de temps pour promou-voir les changements de comportement nécessaires : c’estbeaucoup, à condition de ne pas gaspiller ce répit. ■

LA TECHNOLOGIE DANS LA MAÎTRISE DE LA MOBILITÉ(par Claude Arnaud)

La question centrale concerne d’abord la maîtrise de lamobilité, mais quelle mobilité? C’est bien là la difficulté. Eneffet, le transport de personnes varie selon la distance et lenombre de personnes à transporter. Voilà pourquoi l’au-tomobile tient une position si forte : elle est le seul systèmecapable de transporter beaucoup de personnes sur desdistances variées et son engouement a poussé les pouvoirspublics à construire depuis près de cent ans des réseaux d’in-frastructures très importants.

Mais intéressons-nous plus particulièrement aux transportsterrestres sur distances urbaines ou interurbaines. Si l’on veutdurablement réduire l’effet de serre et la pollution, peut-onattendre un progrès significatif de la technologie sans réduirela mobilité ou faut-il au contraire restreindre la mobilité?

Qu’attendre de la technologie?

Acea : association des construc-urs européens d’automobiles.

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En raisonnant par l’absurde, il est évident qu’une mobiliténulle entraîne de fait une pollution limitée à celles engen-drées par les activités domestiques. Mais à ces questions,quelles réponses apporter?

Le volet énergétique

• La chaîne énergétique actuelle travaille sur trois éléments(le carburant, le moteur, le traitement après combustion) quiont tous les trois progressé sensiblement depuis dix ans etqui connaîtront d’autres progrès dans le futur. Par ailleurs,les réserves mondiales d’hydrocarbures et de gaz donnentune visibilité d’environ cent ans, et chaque année depuis vingtans, on a trouvé plus de pétrole ou de gaz que consommédans l’année. Le carburant progressera dans sa qualité sansdoute au même rythme qui a permis de réduire le plomb oule souffre. La compétition entre les trois énergies majeures(pétrole, gaz et électricité) est une assurance de progrès, àcondition de mettre une dose de régulation pour éviter tropd’entente ou de cartellisation et de maîtriser les effetsexternes tels que le traitement des déchets (notammentnucléaires) et l’effet de serre.

• La motorisation a connu des progrès considérables (rende-ment, souplesse) qui se poursuivront. Toutefois, pour lesmoteurs thermiques, il semble que l’on soit très proche dela limite du rendement de Carnot.

Cependant, malgré les progrès, la consommation unitaire atendance à augmenter du fait des “auxiliaires” (assistances,climatisation) très énergivores. Le concept du combiné très

répandu en installation fixe pour les bâtiments par exemple(chaleur, force ou cogénérations) devra être transposé auxvéhicules pour compenser ces augmentations.

• Le traitement des gaz est réussi pour les particules maisdoit encore progresser sur le CO et surtout sur les Nox.Les techniques de traitement des Nox sont connues pourle fixe mais peu ou pas adaptées au mobile.

Globalement des progrès sont encore possibles, maislimités, pour la chaîne énergétique classique (Carnot ouautre) : d’où la nécessité de transférer du fixe au mobileune part des savoir-faire d’efficacité énergétique pourgagner des points de rendement.

Principe d’un filtre à particules – Schéma réalisé par Connex-Eurolum

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• L’électricité. Le moteur électrique s’imposera commemoteur de traction car il bénéficie par construction de troisatouts (couple, souplesse, rendement) supérieurs au moteurà explosion. Reste alors la fabrication de l’électricité.

La pile à combustible est sans doute prometteuse, et làencore la transposition fixe-mobile est indispensable maispas facile. En terme de rendement pollution, rien n’a vrai-ment été démontré sur la génération de CO2 dans le cyclede transformation d’éthanol en hydrogène. Ce problèmese retrouve pour le raffinage pétrolier : faut-il produire enfixe et donc distribuer (cas du pétrole et demain des gazliquéfiés) ou produire en embarqué ? Cela va exiger plusde connaissances sur l’économie de la pile d’une part,d’autre part une modélisation sur la pollution comparée,concentrée (fabrication en fixe) ou dispersée (fabricationembarquée). Mais cette question est géopolitique, d’où ladifficulté de prévision voire de prédiction.

Quel devenir pour la batterie? les progrès annoncés depuisvingt ans n’ont pas été tenus : l’industrialisation dessystèmes polymères ne s’est pas (encore !) faite et le gapentre les différentes technologies (en terme de poids, puis-sance d’énergie embarquée) plomb, lithium-ion, ion-poly-mères, etc. n’est pas suffisant pour avoir un effetd’entraînement. En clair, passer du prototype au marchéne se fait pas. Il faut baisser le coût industriel d’un facteur10 voire 100 pour les batteries et dans le même tempsproduire des véhicules électriques moins chers que leurshomologues thermiques. Aux deux fronts industriels,s’ajoute un front plus redoutable encore, celui de l’habi-tude du comportement du consommateur.

• L’hydrogène. Cette quatrième énergie, sera sans doutecelle qui se substituera aux hydrocarbures car on sait la fabri-quer : le couple hydrogène-électricité sera probablementle carburant de la deuxième moitié du XXIe siècle.

Cette énergie sera sans doute celle qui se substituera auxhydrocarbures. Si l’hydrogène est connu et utilisé depuislongtemps comme gaz industriel, son utilisation communesource d’énergie (primaire) est très récente et en grandepartie liée au développement de la pile à combustible.Son succès commercial et industriel sera très dépendantde la pile et de sa maîtrise technologique.

C’est le couple hydrogène-électricité qui sera sans doutela 4e énergie dans les vingt à trente prochaines années.

• Les biocarburants. L’énergie “bio” connue depuis long-temps, n’existe dans le transport que marginalement, voireencore à titre expérimental. Les carburants et substitutionà base de Diester (estérification d’huile de colza) et ETBE(Ethyl Tertio Butyl Ether - ETBE additif pour l’essence) nesont répandus que dans les zones agricoles par manque demaîtrise des filières de stockage et de distribution. L’effica-cité énergétique restera en ligne avec les hydrocarbures clas-siques. Le rendement énergétique entre la source naturellequ’est le soleil et le produit final tel que le Diester fabriquéà partir d’huile de colza est extrêmement faible (< 1%). Ilexiste donc une marge de progrès considérable dans lafilière bio pour devenir peut-être une énergie de substitution.Si l’hydrogène et le bio deviennent bien les énergies dufutur, elles le devront à la fois à la technique et à la logis-tique de distribution.

Qu’attendre de la technologie?

IGBT : Insulated Gate Bipoleransistor – Système électronique delotage de puissance.

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Le volet systèmes d’informations

Les nouvelles technologies de l’information (NTIC) main-tenant, très répandues, ne sont plus très nouvelles. Ellesont montré qu’elles pouvaient assurer un continuum entreles personnes. En communication, le phénomène de rupture(de charge) n’est pas identique à celui des transports oudéplacements physiques : c’est l’atout maître de la commu-nication. Considérons là encore qu’il y aura des progrèsau rythme de la loi de Moore sur l’efficacité des systèmesde télécommunications.

• L’électronique pour des applications de pilotage. Onpeut raisonnablement espérer des progrès puisque la mêmeloi de Moore s’applique à tous les types de composants.Les systèmes d’électronique de puissance comme les IGBT2

ont déjà permis le développement du système TGV. Leurdiminution en volume-poids et l’augmentation de leurfiabilité vont autoriser des systèmes de régulation de super-condensateurs permettant une autonomie intéressantepour des systèmes lourds de transport tels que les tram-ways et light-rails.

La technologie électronique pénètre donc toute la chaîneénergétique et améliore très sensiblement le rendementglobal par l’effet de récupération. Ainsi, les systèmes stopand go pour l’automobile permettront de couper le moteurthermique à l’arrêt et de fonctionner sur l’électricité oude récupérer l’énergie de freinage. Ce qui fonctionne,depuis longtemps, sur le moteur électrique va s’appli-quer sur le couple moteur thermique-moteur électrique.En clair, le marché va générer une bonne dose d’hybri-

dation certes encore imparfaite et éloignée de la théorie,mais avec une amélioration certaine.

Ce satisfecit est facile puisque les technologies énergétiqueset informatiques vont tellement progresser que la voituresera plus sûre, moins consommatrice et émettrice et quel’information et la régulation permettront de fluidifier letrafic. En revanche, la technologie n’a pas envahi ledomaine de l’économique et du comportemental.

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Les systèmes intelligents de transport auront des effets sur la mobilité.Fonctionnement du Telepay – Schéma réalisé par Connex-Eurolum

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Quelques pistes sur l’économique et le comportemental

Ces deux disciplines relèvent de raisonnements moins carté-siens pour lesquels l’expérimentation est beaucoup plusdifficile.• L’économique. Le dégonflement de la bulle Internet esthélas la preuve qu’un modèle économique non durci n’a

aucune chance de réussir et que nous ne sommes pas prêtsà tout sous prétexte de modernité, voire de mode. L’éco-nomie de nos pays industriels reste basée sur la loi del’offre et de la demande pour le marché et sur les servicesd’intérêt général pour les financements fiscalisés d’équi-pements publics (mutualisation du coût).

Dans le cas de la mobilité, on n’est plus tout à fait dansl’offre et la demande ; si la demande de mobilitéaugmente, l’offre peut atteindre une limite (physique,ex : la congestion) et si on mutualise totalement la mobi-lité, on risque de la restreindre et par là de limiter laliberté de mouvement. À partir de deux modèles clas-siques, il faut sans doute travailler sur un nouveau modèlequi serait une sorte de modèle de “marché souscontrainte”.

• Le comportemental. La question est bien celle de ladifférence entre ce que l’on pense ou ressent individuel-lement et la façon dont on agit collectivement. Dans nossciences “molles”, on sait plus facilement observer descomportements, parfois les expliquer, mais certainementpas les prévoir. La prise de conscience du phénomèneenvironnemental se fait sentir dans nos civilisations occi-dentales, mais n’entraîne pas (encore) de modification ducomportement. La régulation “naturelle” de la mobilitépar nos propres excès (pollution et congestion) ne se ferapas ou insuffisamment. Tout simplement parce que nousne sommes pas tous touchés au même moment ou aumême lieu et l’effet de nos excès se mesure sur dix ouvingt ans. Or, on a toujours le sentiment que demain serameilleur, donc pourquoi changer !

Qu’attendre de la technologie?

Un axe essentiel des progrès de la technologie :la sécuritéSystème anti-collision – Photo : Renault communication/Hubert Vincent

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Traiter la pollution, être informé en continu, améliorer lasécurité, sont du domaine du possible mais on ne saurapas se limiter sans une dose de régulation par l’autorité.

Qu’apportera la technologie dans ce “marché souscontrainte” ?

Si la régulation naturelle, c’est-à-dire la limitation de nospropres excès n’est pas suffisante, la technologie est uncomplément remarquable à “l’autorité”. Voyons quelquesexemples.Le péage autoroutier créé pour financer les infrastructuresdevient un régulateur et force l’automobiliste à une certainediscipline. Le télépéage le rend plus souple, gomme lacontrainte de l’arrêt aux barrières et augmente finalementson acceptation par l’usager. Son dérivé, le péage urbain, amontré son efficacité dans certains cas (peu nombreux) :Singapour en est la meilleure illustration, tout comme letunnel Prado-Carenage à Marseille. À cet égard, l’obser-vation du péage au centre de Londres sera très intéressante.Dans le transport public, la tarification unifiée facilite l’in-termodalité et la technologie de la carte sans contact ensimplifie l’usage; elle augmente la connaissance de la clien-tèle, donc permet de rapprocher la demande de l’offre.Les systèmes automatic cruise control (ACC) de régula-tion de vitesse automobile et le balisage par capteurs au solvont incontestablement discipliner les conducteurs, agirpeu à peu sur leur comportement et faire ainsi diminuersensiblement l’accidentologie. Leur généralisation est sansdoute probable à dix ou quinze ans y compris sur lesmodèles de bas de gamme.

La technologie est bien un formidable accélérateur deprogrès. En faisant évoluer nos comportements rapide-ment, sans recourir à “trop d’autorité”, elle est un outilconvoitée par les politiques. ■

Le télépéage atténue l’aspect contraignant de l’arrêt.Photo : ASF

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Le temps libre a montré les liens étroits qu’il a avec la mobilité.Gare de Lyon (Paris) – Photo : SNCF/CAV/Sylvain Cambon

GEORGES MERCADAL

ANCIEN VICE-PRÉSIDENT DU CGPCVICE-PRÉSIDENT DE LA COMMISSION NATIONALE

DU DÉBAT PUBLIC

mobilité phénomènecial global ? Quoi de plusident après la lecture desntributions de ce cahier, la mobilité intervientns les modes de vie, dansproduction et latribution, dans le choix la profession, dansvolution de la famille,ns les loisirs, etc. ? concept dehénomène social global”eçu de la part desciologues une définition.urvicth a ainsi qualifié lesénomènes sociaux quiglobaient le palierperficiel (fait de ce qui seit et se touche) jusqu’auxliers les plus profondsits d’attitudes, de

entalités, d’héritageslturels, de valeurs enssant par plusieursliers intermédiairestamment celui desganisations). nfronter la mobilité à ce

odèle, nous aide-t-il àeux la situer et à trouver moyens de lutter contre effets négatifs de sonveloppement?

La mobilité “phénomène social global ?”

LA MOBILITÉ, PALIER COMMUN DE PLUSIEURSPHÉNOMÈNES SOCIAUX GLOBAUX

En des termes à peine différents, Jean-Pierre Orfeuil constatecette omniprésence de la mobilité, en affirmant : “la mobi-lité est solution pour toute une série de problèmes de rangsupérieur”. Et les diverses contributions du séminaire, lemontrent également.

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Que l’on songe d’abord à l’aménagement du territoire.On veut faire des réseaux de villes pour atteindre la massecritique nécessaire au développement économique sanspour autant concentrer les populations sur les chefs-lieuxde région ou de département. Ceci amène à répartir les équi-pements publics, les fonctions de production, l’habitatentre des villes différentes, bien reliées entre-elles : massecritique sans concentration, l’accroissement de la mobilitéest la solution de l’équation. Mais on veut également déve-lopper la façade Atlantique, les métropoles d’équilibre,etc. : l’aménagement du territoire, depuis cinquante ans,est fondé sur la mobilité comme solution au problème dedéveloppement plus équilibré des territoires par la mise enréseau. D’ailleurs c’est la seule solution à avoir été utiliséeen permanence au long de ces décennies, alors que primes,zones industrielles et autres mesures n’ont eu qu’un temps.Que l’on songe ensuite à la famille et à son évolution telleque Catherine Bonvalet l’a décrite. L’indépendance entreles générations adultes, la reconnaissance d’autonomieplus importante des enfants par les parents et l’émancipationtant économique que de mobilité de la femme, entraînentà la fois une transformation de l’habitat et des modes d’ha-biter. Dans l’un et l’autre cas, c’est par l’accroissement dela mobilité que ces évolutions coexistent avec “des liensintergénérationnels qui ne sont pas nécessairement plusforts ou moins forts que par le passé. Ils sont simplementdifférents et pluriels”. Cet accroissement de mobilité permeten effet la multiplication des lieux d’habitat, notammentchez les jeunes, mais aussi des femmes seules avec enfant(s),des personnes âgées qui revendiquent un statut de couple

tout en conservant de façondurable deux logements. Ellepermet également de satisfaireune demande de service adresséeà la famille proche, voire à desrelations de proximité, tout enmaintenant une protection duprivé par rapport à l’extérieur.

On pourrait citer beaucoupd’autres cas, notamment celui dela progression continue du tempslibre, dont Jean Viard a montré lesliens étroits qu’il a avec la mobi-lité et son accroissement. Termi-nons en évoquant, dans le mondede la production et de la distri-bution l’exemple “du yaourt” :le transport rapide est une solution aux deux tendancesprofondes, durables mais contradictoires que sont l’exten-sion des aires de vente et de la diversification des produitsd’un côté, la concentration des moyens de production del’autre.

L’occupation de l’espace, la famille, l’utilisation du tempslibre, la production et la distribution, sont autant de phéno-mènes sociaux globaux. Dans chacun d’eux, la mobilité estl’un des paliers en profondeur : celui de l’organisation duphénomène dans l’espace. La puissance publique, lesménages, les entreprises l’utilisent pour résoudre des contra-

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Parce qu’elles conditionnent l’accès à l’emploi, aux loisirs…, les mobilités contribuentaussi à renouveler les débats autour des inégalités et de la crise du lien social.Photo : Photodisc

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dictions qui se situent à hauteur du palier des idées et desvaleurs collectives : le développement économique, l’équi-libre des territoires, le lien familial, l’ascension socialeindividuelle, etc. Ce que Jean-Pierre Orfeuil appelle desproblèmes de rang supérieur. Mais de l’un à l’autre, lamobilité additionne les besoins de routes, de trains, d’avions,et cumule le dégagement de CO2 dans l’atmosphère.

LA MOBILITÉ, PHÉNOMÈNE SOCIAL GLOBAL?

Il est moins clair que la mobilité soit elle-même un phéno-mène social global. Elle ne fait pas le bonheur; le lien à pres-sion faible est aussi un lien à support faible ; elle n’est pasun long fleuve tranquille : fuir l’appartenance et la dépen-dance sociale amène à des complexités de vie quotidienneinsoupçonnées ; elle n’abolit pas les inégalités, elle en créeplutôt ; elle n’est pas la fin des conflits, ni ceux d’intérêtsdivergents, ni ceux de cultures différentes. Les discussionsdu séminaire l’ont bien montré : nulle part la mobilitén’apparaît comme une valeur en soi. Il lui manque aumoins le palier le plus profond du fait social pour pouvoiry être assimilé. Mais la mobilité est impliquée tant auniveau superficiel des faits qu’au niveau plus profond desattitudes collectives dans un phénomène social global quel’on peut appeler la modernité. Elle y joue un rôle fonda-mental.

L’analyse d’Alain Bourdin est explicite et peut être résuméeainsi : notre système de consommation implique le choix.Nos modes de vie sont complètement organisés autour du

choix qui n’est pas une affaire de haut niveau de consom-mation. Le choix est un phénomène collectif. Il est bien unevaleur fondamentale de la société moderne. Or le choiximplique la mobilité comme élément qui permet au choixde se réaliser, et comme attitude collective de prédisposi-tion aux changements.Cette valorisation du choix est inséparable de l’aspirationà toujours plus d’individualisation et d’autonomie, elle enest le mode de concrétisation quotidien. Aspiration à l’in-dividualisation et à l’autonomie, société du choix, sociétéde la mobilité, voilà un enchaînement que le séminairedémonte à l’envi, et dont il révèle l’inéluctabilité.Celui-ci est consolidé par les formes de sociabilités quisont privilégiées aujourd’hui par les sociétés développéesavec lesquelles il s’accorde tout particulièrement. Ellessont à l’opposé de celles du village : l’individu rejette toutce qui fait peser sur lui une pression sociale trop forte, etrefuse de s’engager dans des structures contraignantes.Pour autant il recherche le lien social, surtout volontaireet à contrainte faible : il préfère l’acte de générosité à l’en-gagement de cotisation récurrent, comme en témoigne lesuccès du téléthon et de diverses formes de l’humanitaire.

Or dans le champ des attitudes collectives, sociabilité àcontrainte faible (donc versatilité du rapport social) etpropension au changement (donc mobilité) vont de paireet se nourrissent l’une l’autre.

Se développe et se consolide ainsi un phénomène social total,sur la base des valeurs de la modernité, dont la mobilitéest l’un des moteurs. Car le fait social n’est pas statique :ses paliers sont dans un rapport dialectique d’implication

La mobilité “phénomène social global ?”

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et de renforcement réciproque. Chaque fois que la techniqueet l’enrichissement de la société globale permettent d’allerplus loin dans les mêmes rythmes temporels, elles élargis-sent l’univers de choix et renforcent le désir d’autonomie.Chaque fois que ce désir s’accroît alors que l’attachementaux valeurs sociales, la famille, l’enracinement, le lien, etc.restent forts, la propension à la mobilité augmente. Et sile système technique et économique qui produit la mobi-lité répond à cette nouvelle demande, alors la confiance enla mobilité comme solution aux problèmes de rang supé-rieur augmente !

QUELLES CONSÉQUENCES POUR L’ACTION PUBLIQUE?

Cet engrenage si étroit de la mobilité sur la modernité, lesrelations multiples qu’il engendre entre la mobilité et touteune série d’autres phénomènes expliquent amplement qu’ilsoit aujourd’hui difficile sinon impossible de discuter serei-nement et rationnellement du sujet. Le premier mérite dece cahier est de constater que nous en sommes au tempsdes controverses, c’est-à-dire de la confrontation d’intui-tions, d’opinions, ce qui est naturel, vu la complexité desphénomènes en jeu. C’est au prix de la poursuite sereinede ces controverses que l’on parviendra à diffuser et àapprofondir la connaissance des effets de la mobilité surl’environnement chez les uns et celle de ses implicationssociétales chez les autres.

Pour autant les conséquences du développement expo-nentiel de la mobilité sont là, et l’on ne peut attendre pour

agir. Alors comment? C’est le deuxième enseignement dece cahier qui insiste sur le fait que toute action simplistepar contrainte autoritaire directe sur la mobilité seraitinefficace, voire même illusoire. Inefficace parce qu’elleengendrerait des coûts diffus et imprévisibles sur les compor-tements, mais certainement très importants. Illusoire carla leçon des actions superficielles sur les phénomènessociaux profonds est qu’elles créent des stratégies decontournement ou de compensation et des effets pervers.

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L’intermodalité est une réponse durable à la maîtrise de la mobilité.Gare TGV et aéroport de Lyon-St Exupéry – Photo : aéroport de Lyon-St Exupéry/E. Saillet

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Or la réalité quotidienne montre qu’on ne peut se passerde croissance économique et que celle-ci n’est pas cheznous si robuste qu’on puisse la malmener en bridant unevariable dont on vient de constater qu’elle est aussi essen-tielle dans les progrès de productivité que dans l’évolu-tion de la consommation, les deux principaux moteurs dela croissance. Il faut donc agir autrement et il est possiblede le faire : voilà, la troisième leçon à retenir. L’action doitse fonder sur deux principes : d’abord agir simultanémentsur tous les paliers en profondeur du phénomène afin de

déclencher une autre cohérence et construire un autreengrenage. Ensuite agir à chaque palier en favorisant lesparamètres alternatifs ou substituables à ceux qui figu-rent dans l’engrenage de la mobilité, plutôt que decontraindre autoritairement ces derniers.

Pour sortir des abstractions, tentons trois suggestions àtrois niveaux de profondeurs.• Au niveau des comportements de mobilité, favoriser lesvaleurs concurrentes ou alternatives de la vitesse et dugain de temps. L’industrie automobile les a d’ores et déjàdécouvertes : sécurité, confort, maîtrise du voyage ou dutransport. La puissance publique les a aidées avec succès,en finançant des recherches dans ce sens. Les construc-teurs automobiles également par l’engagement volontairepris au niveau européen. Pour aller plus loin, il faut envi-sager une stratégie de coopération entre le monde deproduction de la mobilité et la puissance publique, l’unmaniant le marketing l’autre la réglementation pour accé-lérer l’apparition de la voiture propre, de la voiture intel-ligente, de la logistique, de l’intermodalité, etc. Beaucoupd’exemples montrent que la combinaison d’une actionréglementaire de la part de l’État et d’un effort de recherchede la part de l’industrie est encore plus payante. Le filtreà particule en est une illustration récente. Le non-déve-loppement de la communication entre le véhicule et l’in-frastructure par les nouvelles technologies, alors qu’on laprône depuis bientôt deux décennies, en est le contre-exemple. Cette action pourrait être confiée à un dispositifassociant ces partenaires, auquel serait donné en parti-culier un pouvoir et des moyens pour développer lesapplications des technologies de l’information et de la

La mobilité “phénomène social global ?”

Il faut envisager une stratégie de coopération entre le monde de production de la mobilité et la puissance publique.Site de Mulhouse, parc des Peugeot 206 – Photo : PSA Peugeot-Citroën

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M O B I L I T É S : L E T E M P S D E S C O N T R O V E R S E S

communication, vecteur commun de progrès de la sécuritédu confort et de la maîtrise.

• Au niveau des structures organisationnelles, notam-ment spatiales, qui induisent et servent la mobilité : agirsur des solutions collectives pour leur donner l’attraitconcurrentiel qui leur fait défaut par rapport aux solutionsindividuelles. Le collectif qui importe ici est celui de la rési-dence, des modes de transport et des espaces publics. Lesvaleurs sur lesquelles il faut jouer pour gagner sontconnues : il s’agit avant tout de la qualité des équipe-ments et des aménagements, mais aussi de la qualité duservice notamment pour l’accès, l’accueil et l’individuali-sation des prestations (du transport à la demande auxsièges réglables en passant par l’accueil des handicapés, despoussettes et des caddys, etc.). Ce collectif coûte beau-coup plus cher. Mais transport, logement, espace public dequalité et de proximité sont aussi les bases d’un renou-vellement urbain capable de recréer le lien social. Il y a doncmatière à promouvoir les projets locaux qui combinent lesobjectifs de mixité sociale et de maîtrise de la mobilité. Celapourrait se faire par un programme transversal dans lecadre de la LOLF1.

• Au niveau des attitudes et des valeurs, opposer à lasociété du développement incontrôlé de l’individualisa-tion par le choix et la consommation, celle de la maîtrise,de l’équilibre et de la précaution. Là encore cette vision etles connaissances sur lesquelles elle s’appuie existent dansla société : il s’agit de les faire s’exprimer, démontrer leurvaleur et les propager. La concertation et le débat publicpeuvent en être l’instrument privilégié.

En effet, ces derniers sontaccordés aux formes de sociabi-lité modernes, ne requérantaucun engagement long etcontraignant. Ils constituent untravail “de soi à soi” de la sociétésouvent mieux accepté quela démagogie des autoritéspubliques. En outre, ils offrentune mise en scène aux contro-verses inhérentes à la double posi-tion de la mobilité dans lesphénomènes sociaux globaux lesplus modernes et dans les cohé-rences environnementales plané-taires les plus critiques.

Dès lors quelle meilleure méthode imaginer pour faireévoluer les valeurs et les attitudes?C’est bien le fond de la question : la mobilité elle-même n’estpas une valeur alors que l’individualisation et l’autonomieen sont. Tant que celles-ci se traduiront par toujours plusde consommation et toujours plus de choix, elles requer-ront plus de mobilité. C’est en les plaçant face à d’autresvaleurs, comme la maîtrise et la solidarité, et d’autresmodes de vie que celui du couple infernal choix-consom-mation /activité, c’est en prenant le temps de comprendre,d’apprécier, de goûter, de vivre ensemble, que l’on conso-lidera durablement une autre logique, celle d’un autrerapport au temps, celle d’une nouvelle modernité. ■

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1. LOLF : loi organique relative auxlois de finances.

La concertation : une dynamique pour relever les enjeux de la société civile autourdes mobilités.Forum sur les déplacements urbains – Photo : Lille métropole communauté urbaine/M. Lerouge

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