LES

BALADINS

DE

LUG DUNUM

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Imprimé en France

JACKIE VALABRÈGUE-LANDREAUX

LES

BALADINS

DE

LUG DUNUM

PRESSES DE L ' É C H I Q U I E R

J E DÉDIE CE L I V R E AUX RIVAGES DE N O T R E

N O R M A N D I E , S U R L E S Q U E L S U N J O U R OU

L ' A U T R E , T O U T L ' I N S O L I T E DU M O N D E E S T V E N U S ' É C H O U E R . . . L A B A L E I N E DE J O N A S

( L U C - S U R - M E R ) , L ' A L A B A M A OU B I E N U N V O I L I E R DES T E M P S DE M I C H E L C A B I E U

( E P A V E DES B L A I N V I L L A I S ) , E T A TOUS L E S BALADINS P R É S E N T S OU D I S P A R U S DONT L E S

OMBRES H A N T E N T E N C O R E CES L I E U X .

E N F I N A TOUS CEUX QUI M ' O N T AIDÉE A F A I R E REVIVRE LA L É G E N D E .

INTRODUCTION

En ces jours d'amitié franco-allemande, il vient de nous être dit qu'il ne fallait plus haïr, mais pardonner. Sur les lèvres des enfants, il nous faut dessiner le mot « aimer ».

Je me demande en vertu de quoi je m'insurge. Après tout, depuis que le monde est monde il en est ainsi ! Le désir ou le non-désir d'un individu est peu de chose. Qu'importe ! Faites la guerre ! Cessez le feu ! Après la nuit vient le jour. Si nous n'y sommes pas préparés, tant pis.

Maintenant priez pour eux... Oui pour eux qui étaient tenus dans l'ignorance. Ils n'ont pas eu de chance, un point c'est tout. L'essentiel n'était-il pas de vivre, de survivre pour faire ce qu'on nous demanderait plus tard ?

Moi je veux bien. Je veux bien tout ce que les hommes ont décidé, pourvu toutefois qu'ils ne nous demandent plus d'haïr encore, de combat- tre ceux qu'il nous faut aimer aujourd'hui.

Pour nos parents qui pleurent des êtres chers, je considère tout amour impossible. Qu'ils soient seulement bénis s'ils arrivent à pardonner.

Pour nous qui n'avions qu'une dizaine d'an- nées pendant la dernière guerre mondiale, nous ne comprenons plus très bien.

Cependant pour nos enfants, notre passé est incompatible avec leur présent, le futur leur ap- partient. Tant mieux, à chacun son fardeau ! Qu'ils restent dans l'ignorance de ce que nous avons connu, et que cet amour universel dont tous parlent prenne solidement racine en eux.

Tout passe si vite dans l'existence, que réelle- ment nous ne prenons conscience du présent que lorsque celui-ci est devenu du passé.

Ce qui est incroyable, c'est ce sentiment d'ad- miration mêlé d'une once de pitié pour tous les souvenirs qui ne nous touchent guère. J 'ai relu dernièrement le carnet de guerre de mon père, pilote de chasse en 1914 : avec quelle intensité il a été écrit et a dû être vécu ! De tout cela, ne reste que l'incomplète compréhension que nous ressentons pour la guerre des tranchées. Pour nos enfants, il en sera de même de notre Histoire.

Tout paraît fort simple, mais en réalité le seul fait de survivre, de s'adapter les uns aux autres, est une des choses les plus difficiles qui soient. L'amitié, l'amour, les enfants, les parents, com- prendre et donner à chacun sa part d'amour ou d'excuses sont des problèmes. Aimer, en un mot, qui que ce soit ou quoi que ce soit est une faculté spontanée mais délicate. Et c'est la complexité de tout cela qui fait de nous un être humain.

Cependant à personne il n'a été demandé d'ou-

blier. D'ailleurs l'oubli est une faculté que l'hom- me ne possède pas. Du moins pas totalement.

Les marches allemandes de 1940 se mêlent aux chants des Libérateurs, aux complaintes des par- tisans, au chant des oiseaux de mer. Il semble parfois que ma tête va éclater sous l'écho de ces souvenirs qui ne cadrent plus avec le présent. Une crampe me paralyse, je sens une nausée qui monte et j 'ai envie de vomir. Mais après la cruauté que représentèrent pour nous ces mar- ches, le bien-être vient m'envahir à nouveau, et je me souviens des notes de Tannhaüser qui fu- rent mêlées à ce récit.

Je pense à Dieudonné-le-Fol, à l'Alabama, à Lug-le-Corbeau, à ces noms qui ne sont pas ins- crits dans l'Histoire mais dans notre histoire.

Dans ce récit qui n'est qu'une transposition de la guerre réelle, et qui trouve enfin sa place au- jourd'hui, je décris tout le caractère d'un homme que les uns appelaient le Fol, et que nous appe- lions notre ami. A-t-il existé ? existe-t-il encore ?

pos ce que chacun de nous pense parfois.

Les Japonais pensent encore qu'un seul geste de la main suffirait à changer le monde. Mainte- nant que le présent d'hier est devenu le passé d'aujourd'hui, je le crois aussi, car un seul geste de la main secourable et bonne de Dieudonné a changé notre univers d'enfant.

Ceci n'est pas une histoire d'amour telle qu'on la conçoit. Avant de devenir amoureux, il faut apprendre à aimer. Malgré la véracité de Michel

Cabieu, de l 'étymologie du nom de Lion sur mer, Lug Dunum, de l'histoire de l 'Alabama, le reste n'est pas de l 'histoire pure, mais une transposi- tion, où passé et présent se retrouvent.

Si Dieudonné était encore p a r m i nous, il re- p r end ra i t son bâton, son tambour, et Lug-le-cor- beau sur l 'épaule, côte à côte avec nous sur la longue route qu'on nous demande de prendre, il d i ra i t :

— Tout est bien, petits, tout est bien.

Même si de ses yeux morts, s 'échappaient deux grosses larmes.

Ainsi par le ra ien t les baladins de la bataille de Normandie .

PREMIERE PARTIE

COMPAGNONS DU FER

« Il descendra d'en Haut le fer, dans lequel il y a un mal terrible et aussi des avantages pour les hommes. »

(CORAN - Sourate du fer.)

PROLOGUE

Octobre 1965. — Il y a cent ans, prenait fin la Guerre de Sécession dans le pays des ancêtres de Douce. Il ya vingt et un ans, commençait la bataille de Normandie dans ce pays qui est le sien désor- mais.

Aujourd'hui, Douce est revenue à Lug Dunum.

Elle longe le cimetière militaire américain. Sur les dalles de marbre blanc ressortent ces lettres : Free

from fear... Freedom from fear. Trois mots pour dire qu'ils sont ici, couchés sous un gazon que nos pieds foulent, heureux dans leur Foi. Qu'ils ne regrettent rien ! Insensé, mais cela console. D'in- terminables files de croix blanches ont poussé dans les champs. Les saisons sont leurs seules compa- gnes. Le silence n'est déchiré que par la sonnerie des morts et le chuintement des gens qui passent, qui comprennent ou qui ne comprennent pas, mais qui s'empressent de quitter ces lieux où ils ressen- tent trop l'inutilité de la guerre et qui vont retrou- ver dans un égoïste soulagement la vie qui les ap- pelle à l'extérieur.

Le drapeau des Etats-Unis fouette le ciel lourd et bas de ses cinquante étoiles. Un corbeau vole autour, disgracieux et laid. Laid comme se montre ce pays plat. Mais Douce contemple, parque qu'elle l'aime.

Où êtes-vous amis et ennemis d'autrefois ? Jim, Smithy, Peter Dan ? l'un couché peut-être ici, « un- known » ? les autres sont-ils revenus au pays ?

Et Dieter le soldat allemand au visage enfantin, qui avait quitté l'adolescence pour venir rejoindre les hommes ici ? Aujourd'h'ui il doit dormir quel- que part, un peu plus loin, sur cette terre de France.

Mais le regard de Douce suit le vol lourd du cor- beau. Es-tu Lug ? Le silence seul lui répond.

Enfin et par-dessus tout, où es-tu Dieudonné ? Dans ce monde où nous n'avions que la guerre, tu avais créé pour nous un univers où il n'y avait plus de haine. Toi et nos rêves d'enfants nous avaient permis de découvrir Lug Dunum et sa fabuleuse histoire.

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