Les aphasies - neurologies.fr · 244 Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160...

22
Les aphasies Coordonné par Catherine Thomas-Antérion (Lyon) Introduction : Réviser nos classiques anatomo-cliniques, distinguer les principaux niveaux de traitement linguistique � � � � � � � � � � � � � � � p� 242 Catherine Thomas-Antérion (Lyon) 1 Les tableaux sémiologiques d’aphasie : aphasies de Broca, de Wernicke, de conduction, transcorticales, et autres aphasies��� � � � � � � � � � � � � � p� 244 Aurélie Richard-Mornas (Saint-étienne) 2 Sémiologie des troubles du langage : des tableaux le plus souvent hétérogènes��� � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � p� 248 Anne Peillon (Bron) 3 Exploration des troubles du langage : évaluer les dimensions linguistique, neuropsychologique et pragmatique � � � � � � � � � � � � � � p� 257 Sandrine Basaglia-Pappas (Saint-étienne) Glossaire � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � p� 261 © amathieu - fotolia « Un trouble du langage secondaire à une atteinte des réseaux neuronaux de l’hémisphère dominant. » DOSSIER

Transcript of Les aphasies - neurologies.fr · 244 Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160...

Page 1: Les aphasies - neurologies.fr · 244 Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160 L’aphasie de Broca Encore appelée aphasie motrice ou aphasie d’expression, elle

Les aphasiesCoordonné par Catherine Thomas-Antérion (Lyon)

Introduction : Réviser nos classiques anatomo-cliniques, distinguer

les principaux niveaux de traitement linguistique � � � � � � � � � � � � � � � p� 242

Catherine Thomas-Antérion (Lyon)

1 Les tableaux sémiologiques d’aphasie : aphasies de Broca, de Wernicke,

de conduction, transcorticales, et autres aphasies��� � � � � � � � � � � � � � p� 244

Aurélie Richard-Mornas (Saint-étienne)

2 Sémiologie des troubles du langage : des tableaux le plus souvent

hétérogènes��� � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � p� 248

Anne Peillon (Bron)

3 Exploration des troubles du langage : évaluer les dimensions

linguistique, neuropsychologique et pragmatique � � � � � � � � � � � � � � p� 257

Sandrine Basaglia-Pappas (Saint-étienne)

Glossaire � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � � p� 261

© a

mat

hie

u -

foto

lia

« Un trouble du langage secondaire à une atteinte des réseaux neuronaux de l’hémisphère dominant. »

dossier

Page 2: Les aphasies - neurologies.fr · 244 Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160 L’aphasie de Broca Encore appelée aphasie motrice ou aphasie d’expression, elle

242 Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160

Mais pourquoi diable un dossier sur l’aphasie ?

D’une part, il nous a semblé bon de réviser nos clas-siques anatomo-cliniques et de revoir les tableaux sémiologiques d’aphasie, tant ces symptômes se rencontrent au quotidien en neurologie. Les neurologues, notamment en charge des patients vas-culaires, doivent ainsi pouvoir repérer ou avoir le réflexe de rechercher des symptômes dans les AVC concernant les régions d’intérêt les plus classiques : régions pré- et rétro-rolandiques (le plus souvent à gauche) et sous-corticales.

D’autre part, il apparaît nécessaire lorsqu’on est neurologue, ces révisions faites, de savoir distinguer les principaux niveaux de traitement linguistique : phonétique, phonologique, lexical, sémantique, syntaxique, discursif avec des notions issues de la psychologie cognitive contemporaine. L’examen neuropsychologique fait partie intégrante de l’exa-men neurologique. Cela permet alors de mieux repé-rer des difficultés (notamment lorsqu’elles sont sub-tiles), de comprendre le(s) niveau(x) de traitement perturbés, de lire les comptes-rendus des orthopho-nistes et de pouvoir reprendre avec les patients et leurs proches l’explication des déficits et les possibi-lités de les compenser.

En préambule, il convient de rappeler qu’il a fallu at-tendre les philosophes et les scientifiques des Lumières pour localiser le langage dans le cerveau. Historique-ment, la localisation du langage dans l’hémisphère gauche - bien qu’elle soit attribuée à Paul Broca (1824-1880) - reste pour certains sujet de contro-verse, et cette découverte pourrait revenir à Marc Dax (1770-1837) [1]. Franz Joseph Gall (1758-1828) s’inscrivit dans la démarche anatomo-clinique en dé-veloppant la phrénologie qui, bien qu’une imposture lui permit par l’observation de proposer que la mé-moire des mots, était localisée à l’avant du cerveau, hypothèse confirmée par les observations neuropa-thologiques de Jean-Baptiste Bouillaud (1796–1881). Les ouvrages ou articles cliniques du XXe siècle de Théodule Ribot, de Théodore Alajouanine, d’Henri Hécaen, de François Lhermitte (notam-ment un livre à la couverture cartonnée jaune) ou d’Alexandre Luria dorment dans les bibliothèques neurologiques et méritent encore d’être lus, tandis que les données les plus récentes issues de l’image-rie fonctionnelle - dont les principaux apports sont la connaissance des réseaux neuronaux impliqués simultanément et non seulement en cascade et la compréhension des mécanismes de compensation (recrutement de régions plus postérieures et bilaté-rales) - doivent être assimilées. n

Réviser nos classiques anatomo-cliniques, distinguer

les principaux niveaux de traitement linguistique���

InTRoduCTIonCatherine Thomas-Antérion

dossier

Page 3: Les aphasies - neurologies.fr · 244 Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160 L’aphasie de Broca Encore appelée aphasie motrice ou aphasie d’expression, elle

Au sommaire de ce dossier...

L’aphasie est définie comme un trouble du langage secondaire à une atteinte des réseaux neuronaux de l’hémis-phère dominant, le plus souvent l’hémisphère gauche, impliqués dans les différentes étapes de traitement du langage.

Selon les terminologies classiques, trois formes d’aphasies - aphasie de Broca, aphasie de Wernicke et aphasie de conduction - ont pour caractéristiques communes des difficultés de répétition. Elles s’opposent en cela aux aphasies transcorticales dans lesquelles cette capacité est préservée.

La linguistique et la neuropsychologie permettent de développer une approche interprétative de la sémiolo-gie, favorisant ainsi la démarche d’évaluation et de remédiation. L’approche pragmatique et l’apport des sciences sociales, ainsi que les nouvelles technologies de neuro-imagerie fonctionnelle font également partie intégrante de l’étude du langage.

L’évaluation de l’aphasie comprend l’étude des capacités de langage et de communication. S’il convient d’avoir étudié quantitativement - à l’aide d’épreuves normées - et qualitativement les capacités d’expression, de compré-hension, de répétition etc. -, il faut bien comprendre que les résultats aux différentes épreuves orthophoniques sont analysés transversalement afin de rechercher avec précision le(s) niveau(x) de fonctionnement altérés.

En fin de dossier, un glossaire permettant d’utiliser les termes sémiologiques et linguistiques de base à bon escient est proposé.

Mots-clés : Aphasie de Broca, Aphasie de conduction, Aphasie de

Wernicke, Aphasie transcorticale, Langage, Communication,

Expression, Compréhension, Répétition, Paraphasie,

dysarthrie, Lexique, Phonétique, Phonologie, Syntaxe,

Sémantique, discours, Bilan orthophonique

Correspondance :

Dr Catherine Thomas-Antérion

• Laboratoire d’Etude des Mécanismes Cognitifs EA3082

Université Lyon 2

• Plein ciel,

75 rue Bataille

69008 Lyon

E-mail : [email protected]

1. Manning L, Thomas-Antérion C. Marc Dax and the discovery of the lateralisation of language in the left cerebral hemisphere. Rev Neurol 2011 ; 167 : 868-72.

2. Gil R. Abrégé de neuropsychologie, 5e édition. Paris : Masson, 2010.

3. Mazaux JM, Pradat-Diehl P, Brun V, Sauzeon H. Aphasies et aphasiques. Paris : Masson, 2007.

4. Chomel-Guillaume S, Leloup G, Bernard I et al. Les Aphasies : évaluation et rééducation. Paris : Masson, 2010.

5. Ducarne B. Test pour l’examen de l’aphasie. Paris : ECPA, 1989.

6. Mazaux JM, Orgogozo JM. Boston Diagnostic Aphasia Examination - HDAE - échelle française. Paris : ESP, 1981.

7. Nespoulous JL, Lecours AR, Lafond D et al. Protocole Montréal-Tou-louse d’examen linguistique de l’aphasie. Isbergues : Ortho-édition, 1986.

8. Gatignol P. De l’intérêt de l’évaluation assistée par ordinateur au bilan informatisé d’aphasie : BIA. Isbergues : Ortho-édition.

9. De Partz MP, Bilocq S, De Wilde V et al. Lexis : test pour le diagnostic des troubles lexicaux chez l’aphasique. Marseille : Solal, 2001.

10. Bachy-Langedock N. Batterie d’examen des troubles de la dénomi-nation. Bruxelles : Editest, 1988.

11. Darrigand B, Mazaux JM. Echelle de communication verbale de Bordeaux ou ECV. Isbergues : Ortho Edition, 2000.

12. Delacourt A, Rousseaux M. Elaboration d’une nouvelle évaluation de la communication, le TLC. Glossa, 2000 ; 72 : 20-29.

13. Joanette Y, Ska B, Côté H. Protocole Montréal d’Evaluation de la Communication (Protocole MEC). Isbergues : Ortho Edition, 2004.

14. Ferré P, Joanette Y. Protocole Montréal d’Evaluation de la Commu-nication de Poche (Protocole MEC-P). Isbergues : Ortho Edition, 2011.

15. Rondal, J.A. Evaluation du langage : langage oral. In : Rondal A, Seron X, Eds. Troubles du langage : bases théoriques, diagnostic et rééducation. Belgique : Mardaga, 2003 : 375-412.

16. Deloche G, Hannequin D. Test de dénomination orale d’images, DO 80, ECPA, Paris. 1997.

17. Gatignol et Marin-Curtoud. Batterie Informatisée du Manque du Mot (BIMM). 2008.

18. Hammelrath C. Test de dénomination des verbes lexicaux en images : DVL38. Isbergues : Ortho Edition.

19. Cardebat D, Doyon B, Puel M et al. Evocation lexicale formelle et sémantique chez des sujets normaux : performances et dynamiques de production en fonction du sexe, de l’âge et du niveau d’étude. Acta Neurologica Belgica 1990 ; 90 : 207-17.

BiBliographie

Les AphAsies

Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160 243

Page 4: Les aphasies - neurologies.fr · 244 Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160 L’aphasie de Broca Encore appelée aphasie motrice ou aphasie d’expression, elle

244 Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160

L’aphasie de BrocaEncore appelée aphasie motrice ou aphasie d’expression, elle présente deux traits sémiolo-giques majeurs : • le discours est non fluent ;• les productions sont caractérisées par des troubles articulatoires.

Les difficultés sont surtout révé-lées dans le discours spontané. La réduction du discours est toutefois variable selon les patients, l’expres-sion peut par exemple être limitée à une stéréotypie comme chez le célèbre patient de Broca qui ne pro-duisait qu’une syllabe « tan ». L’élo-cution est souvent dysprosodique, dans certains cas cette modifica-tion évoque un “accent” étranger.

Les transformations phonétiques sont au premier plan, masquant des paraphasies phonémiques qui deviennent plus nettes au cours de la récupération. La répétition

est anormale, mais meilleure que l’expression spontanée ; les diffi-cultés principales concernent la répétition des mots ou phrases dont l’expression spontanée est déjà la

Cortex moteur primaire

Circonvolutionsupramarginale

Circonvolutionangulaire

Aire de Wernicke

Aire de Broca

Aire primitive auditive

Figure 1 - aires de Broca et Wernicke. Face latérale.

1 Les tableaux sémiologiques d’aphasie

Aphasies de Broca, de Wernicke, de conduction, transcorticales, et autres aphasies...

n Les aphasies recouvrent des situations pathologiques et des expressions sémiologiques

variées. Les descriptions princeps de Broca, puis de Wernicke, ont insisté respectivement sur

les troubles de l’expression et de la compréhension du langage, ainsi que sur l’implication

de lésions de l’hémisphère gauche, antérieures (prérolandiques) dans l’aphasie de Broca et

postérieures (rétrorolandiques) dans l’aphasie de Wernicke. On peut également opposer ces

deux groupes d’aphasie en non fluentes et fluentes. Selon les terminologies classiques, trois

formes d’aphasies (aphasie de Broca, aphasie de Wernicke et aphasie de conduction) ont pour

caractéristiques communes des difficultés de répétition. Elles s’opposent en cela aux aphasies

transcorticales dans lesquelles cette capacité est préservée [2].� Aurélie Richard-Mornas*

*Unité de Neuropsychologie-CM2R, Service de Neurologie, CHU Nord, Saint-Etienne

dossier

Page 5: Les aphasies - neurologies.fr · 244 Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160 L’aphasie de Broca Encore appelée aphasie motrice ou aphasie d’expression, elle

Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160 245

trouble sensitif, hémianopsie latérale homonyme. Les lésions responsables de cette aphasie concernent les parties posté-rieures des 1res et 2es circonvolu-tions temporales, ainsi que les gyri angulaire (aire 39 de Brod-mann) et supramarginal (aire 40) de l’hémisphère gauche (Fig.

1 et 2).

• L’aphasie de Wernicke en bref

• Expression : - Discours abondant, logorrhéique - Paraphasies phonémiques, sémantiques et verbales - Dans le langage spontané, en dénomination et en répétition, jargon - Anosognosie du trouble

• Compréhension Massivement atteinte

L’aphasie de conductionElle est caractérisée par un discours fluent et par de nom-breuses paraphasies phoné-miques que le patient, conscient de ses troubles, essaye de corri-ger. Une répétition très pertur-bée contraste avec une compré-hension correcte. Le graphisme est préservé mais les troubles de l’expression écrite sont constants et domi-nés par les paragraphies phoné-miques.

Les troubles neurologiques associés à l’aphasie de conduc-tion sont souvent peu marqués : trouble sensitif, amputation du champ visuel. Le plus souvent, la lésion est responsable d’une interruption du faisceau arqué, qui relie le cortex temporoparié-tal au cortex de la 3e circonvolu-

plus perturbée. Le langage “auto-matique” (énumérer les mois de l’année, les jours de la semaine) est également meilleur. La compré-hension orale est variable, mais tou-jours supérieure à l’expression orale spontanée. Les difficultés portent surtout sur les structures gramma-ticales et syntaxiques complexes, les mots grammaticaux, les messages complexes, surtout lorsqu’un cer-tain nombre d’informations sont déterminées dans une séquence ordonnée (par exemple toucher successivement différentes parties du corps). La lecture à haute voix et la compréhension écrite sont mau-vaises. Là encore, les performances sont meilleures pour les mots isolés que pour les phrases, et la difficulté s’aggrave avec le degré de complexi-té syntaxique.

Les troubles neurologiques asso-ciés à l’aphasie de Broca com-portent fréquemment une hémi-plégie sensitivo-motrice droite, une apraxie idéomotrice de la main gauche et une apraxie bucco- faciale. Les lésions responsables de cette aphasie concernent classi-quement le pied de la 3e circonvolu-tion frontale gauche et les régions voisines (aires de Brodmann 44 et 45) (Fig. 1 et 2).

• L’aphasie de Broca en bref

• Expression : - Réduction quantitative (manque du mot) et qualitative (lenteur d’élocution, mutisme) du langage - Production de stéréotypies - Dissociation automatico-volontaire - Troubles syntaxiques : agrammatisme

• Compréhension : Troubles variables

L’aphasie de WernickeEncore appelée “aphasie senso-rielle”, elle est caractérisée par un discours fluent et parfois lo-gorrhéique, l’absence de troubles de l’articulation, la production de nombreuses paraphasies et d’importantes perturbations de la compréhension. Dans de nom-breux cas, la lecture et l’écriture sont aussi perturbées (paragra-phies). Il existe différentes formes d’aphasies de Wernicke : pour certaines, les troubles de la com-préhension orale prédominent, pour d’autres, les troubles du langage écrit. L’anosognosie fréquemment as-sociée à ce syndrome, au moins au début, majore les troubles et explique en partie la logorrhée et l’absence d’auto-corrections chez ces patients.

Les troubles neurologiques, associés à l’aphasie de Wernicke sont souvent peu marqués :

Figure 2 - Face latérale (haut) et médiale

(bas) des aires de Brodmann.

lEs aphasiEs

Page 6: Les aphasies - neurologies.fr · 244 Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160 L’aphasie de Broca Encore appelée aphasie motrice ou aphasie d’expression, elle

246 Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160

diennes. L’expression spontanée est limitée à quelques syllabes ou mots. Le langage automatique, s’il est ini-tié par l’examinateur, est préservé.

Les déficits neurologiques asso-ciés sont variables avec parfois une hémiplégie droite prédominant au membre inférieur et une apraxie idéomotrice. Les lésions responsables de cette aphasie peuvent atteindre le cor-tex prémoteur, en particulier l’aire motrice supplémentaire mais aussi le cortex préfrontal de l’hémisphère gauche.

La récupération est généralement bonne.

• L’aphasie transcorticale motrice en bref

• Expression : - Aspontanéité verbale, manque d’initiation verbale - Evocation déficiente (difficulté pour débuter un récit) - Répétition, dénomination bonne

• Compréhension : Normale

L’aphasie transcorticaLe sensorieLLe Elle est caractérisée par un dis-cours fluent et bien articulé, émaillé de nombreuses para-phasies sémantiques, verbales formelles et plus rarement pho-némiques. La dyssyntaxie contribue à l’in-cohérence du discours. La répétition est correcte et les phénomènes d’écholalie fré-quents. Aucun trouble articulatoire, et le langage automatique est par-fait. En revanche, la compréhension du langage parlé est médiocre. Les troubles du langage écrit sont proches de ceux décrits dans l’aphasie de Wernicke.

Les déficits neurologiques as-sociés sont inconstants ; les troubles sensitifs et les ampu-tations du champ visuel sont les plus fréquents. La localisation des lésions cé-rébrales responsables de cette aphasie n’est pas univoque ; il s’agit généralement de régions voisines de l’aire de Wernicke.

Sillon central(ou scissure de Rolando)

Faisceauarqué

Aire de WernickeSillon latéral(ou scissure de Sylvius)

Aire deBroca

Figure 3 - Le faisceau arqué.

tion frontale (l’aire de Wernicke à l’aire de Broca) (Fig. 3).

• L’aphasie de conduction en bref

• Expression :- Manque du mot- Périphrases, conduites

d’approche phonémique- Répétition impossible (boucle

audio phonatoire mal utilisée)• Compréhension :

Peu altérée

L’aphasie gLoBaLeElle se traduit par une altération massive de l’ensemble des capa-cités de langage : expression orale nulle ou très réduite, compréhen-sion nulle ou réduite à des ordres simples, expression écrite limitée à des traits ou des boucles.Une hémiplégie droite avec troubles sensitifs et troubles du champ visuel est fréquente.

Les lésions sont très souvent des in-farctus ou des hémorragies étendus fronto-temporo-pariétaux gauches.

Les aphasies transcorticaLesElles se distinguent des précédentes par la préservation des capacités de répétition. Cela témoigne de l’inté-grité du support anatomique de la boucle audio-phonatoire : aire de Wernicke-faisceau arqué-aire de Broca.

L’aphasie transcorticaLe motriceTrès voisine de l’aphasie dyna-mique décrite par Luria, c’est une aphasie peu fluente avec un manque d’incitation et une réduction du langage. Les patients présentent également un “adynamisme” dans l’ensemble de leurs activités quoti-

dossier

Page 7: Les aphasies - neurologies.fr · 244 Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160 L’aphasie de Broca Encore appelée aphasie motrice ou aphasie d’expression, elle

• L’aphasie transcorticale sensorielle en bref• Expression :- Répétition intègre, écholalie- Phrases hésitantes et incom-

plètes en langage spontané, manque du mot

- Paraphasies verbales et sémantiques

• Compréhension : Orale et écrite perturbée

L’aphasie amnésiqueAppelée aussi aphasie ano-mique, elle se caractérise par un manque du mot très prononcé et isolé. La fluence, la prosodie, la syn-taxe, l’articulation sont au contraire conservées. Le patient utilise des périphrases ou des mots “passe-partout”

pour pallier le manque du mot.Cette aphasie peut résulter de lésions diverses.

Les aphasies sous-corticaLesLorsqu’une lésion est limitée à une structure sous-corticale de l’hémisphère gauche (thalamus, noyaux gris centraux...), elle peut entraîner une aphasie. Une perte de l’activation normalement exercée depuis les structures sous-corticales vers le cortex est le plus souvent invoquée.

Selon la localisation des lésions sous-corticales, les tableaux cli-niques sont variés et peuvent correspondre à la typologie clas-sique des aphasies. Toutefois, certains tableaux aphasiques ne s’intègrent pas aux classifications usuelles. Ces

mots-clés : aphasie de Broca, aphasie de

Wernicke, aphasie de conduction,

aphasies transcorticales, aphasie

amnésique, aphasies sous-corticales,

Langage, Lecture, ecriture

lEs aphasiEs

Bulletin d’abonnement à Neurologies

A nous retourner accompagné de votre règlement à : expressions santé

2, rue de la Roquette – Passage du Cheval Blanc, Cour de Mai - 75011 Paris

Tél. : 01 49 29 29 29 - Fax. : 01 49 29 29 19 - E-mail : [email protected]

4 Je m’abonne pour 10 numérosq abonnement 75 € TTC (au lieu de 90 E prix au numéro)

q institutions 80 € TTCq etudiants 50 € TTC

(joindre photocopie de la carte d’étudiant)

Frais de port (étranger et dom tom)

q + 13 E par avion pour les DOM-TOM et l’UE

q + 23 E par avion pour l’étranger autre que l’UE

q Pr q Dr q M. q Mme q Mlle Nom : .....................................................................................................................Prénom : ...............................................................................................................Adresse d’expédition : ........................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................Code postal : .......................... Ville : ..............................................................Tél. : _ _ . _ _ . _ _ . _ _ . _ _ ; Fax : _ _ . _ _ . _ _ . _ _ . _ _mail : ......................................................................................................................

règlementq Chèque à l’ordre d’Expressions Santéq Carte bancaire N° : Expire le : Cryptogramme : (bloc de 3 chiffre au dos de votre carte)

Signature obligatoire e

• déductible de vos frais professionnels dans son intégralité• pris en charge par le budget formation continue des salariés

L’abonnement à la revue Neurologies vous permet de bénéficier d’un accès illimité et gratuit à l’intégralité des sites d’Expressions Santé :

neurologies.fr diabeteetobesite.org geriatries.org cardinale.fr onko.fr rhumatos.fr ophtalmologies.org

Application neurologies pour iphone

NEU

RO 1

60

www.neurologies.fr • www.neuroaccess.fr

présentations sont caractérisées par une aspontanéité verbale, une hypophonie, des paraphasies verbales et une incohérence du discours. A ces symptômes apha-siques s’ajoutent des troubles de la mémoire verbale.

De nombreux travaux confir-ment l’implication des struc-tures sous-corticales dans les aspects les plus élaborés du lan-gage, notamment l’organisation du discours. n

Page 8: Les aphasies - neurologies.fr · 244 Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160 L’aphasie de Broca Encore appelée aphasie motrice ou aphasie d’expression, elle

248 Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160

L’aphasie, définie comme une atteinte du langage acquise dans les suites

d’une lésion cérébrale, recouvre une grande variété clinique, que cliniciens, chercheurs, neurolo-gues ou linguistes ont cherché depuis longtemps à classifier et définir à partir d’une sémiologie riche [3]. Ainsi, les manifestations cliniques observées ont-elles été décrites puis regroupées en syn-dromes, mis en relation avec les localisations cérébrales des lésions. Cette classification qui, dans un premier temps, a opposé une apha-sie “en réduction” - motrice, de pro-duction - décrite par Paul Broca, à celle décrite par Karl Wernicke - sensorielle, de compréhension - s’est progressivement enrichie d’autres tableaux (conduction, transcorticale, sous-corticale...), s’appuyant sur une corrélation entre localisation cérébrale de la lésion et manifestations linguis-tiques. Paul Broca a donc initié une ap-proche anatomo-clinique qui a

marqué durablement l’aphasiolo-gie, bien que, très tôt, la notion de zones cérébrales d’association ait été aussi avancée.L’opposition non fluent/fluent est aussi fréquemment utilisée et fait référence à une représen-tation proche de l’opposition Broca-Wernicke, mais sur la base de la production linguistique du sujet, et non d’une localisation cérébrale.Si ces classifications permettent de garder entre membres d’une communauté scientifique un lan-gage commun, elles ne présentent plus grand intérêt pour l’approche clinique. En effet, les tableaux “purs”, tels que décrits dans la littérature, sont rares, la réalité clinique place le plus souvent les thérapeutes devant des tableaux hétérogènes et difficiles à classer, dont les manifestations vont évo-luer au cours du temps. Par ail-leurs, elles ne permettent pas de définir un programme thérapeu-tique puisqu’elles font référence à des symptômes, faits linguistiques observables qui constituent les manifestations de surface d’un trouble, et non aux atteintes des

processus cognitifs ou neurolin-guistiques à l’origine de ce trouble, c’est-à-dire la structure profonde. Le clinicien manque alors d’indi-cations sur la fonction altérée à l’origine du trouble en vue d’une démarche thérapeutique.La linguistique et la neuropsy-chologie ont permis de dévelop-per une approche interprétative de la sémiologie, favorisant ainsi la démarche d’évaluation et de remé-diation. Parallèlement, l’approche prag-matique et l’apport des sciences sociales guident le clinicien dans une démarche fonctionnelle et écologique, considérant les as-pects de la communication et des interactions.Les nouvelles technologies de neuro-imagerie fonctionnelle analysent l’activité cérébrale lors d’une stimulation langagière, observent l’activation de réseaux interconnectés, et confirment l’in-térêt des modèles connexionnistes qui développent des modèles basés sur la simultanéité des activations.Les recherches menées en neuro-logie, psychologie et linguistique

2 Sémiologie des troubles du langage

Des tableaux le plus souvent hétérogènes...

n L’aphasie recouvre une grande variété clinique. Les recherches menées en neurologie,

psychologie et linguistique permettent d’analyser la richesse sémiologique des manifesta-

tions linguistiques relevées lors d’un bilan de langage standardisé, cette analyse se faisant

selon les niveaux de traitement linguistique : phonétique, phonologique, lexical, sémantique,

syntaxique, discursif.� Anne Peillon*

*Service de Neuropsychologie, Hôpital Neurologique, GHE, Bron

dossier

Page 9: Les aphasies - neurologies.fr · 244 Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160 L’aphasie de Broca Encore appelée aphasie motrice ou aphasie d’expression, elle

Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160 249

permettent d’analyser la richesse sémiologique des manifestations linguistiques relevées lors d’un bilan de langage standardisé.Cette analyse se fait selon les niveaux de traitement linguis-tique : phonétique, phonolo-gique, lexical, sémantique, syntaxique, discursif, et le thé-rapeute, à partir d’une démarche hypothético-déductive, cherche à définir le niveau cognitif altéré. L’atteinte peut être isolée ou glo-bale, touchant plusieurs niveaux de traitement, prédominant ou non sur un des systèmes analysés. Les modèles développés en neuro-psychologie cognitive permettent, grâce à une démarche interpréta-tive, de confronter les résultats des tests de langage entre eux, et à par-tir de manifestations observées, c’est-à-dire de transformations langagières en production ou d’er-reurs sur les tâches de compréhen-sion, de formuler une hypothèse sur le niveau cognitif perturbé en référence aux modèles théoriques de la neuropsychologie cognitive. Cette approche guide l’évaluation, mais aussi la démarche thérapeu-tique de l’orthophoniste dont l’ob-jectif sera de restaurer ou de com-penser la fonction altérée.

LeS niveaux d’anaLySe du LangageL’aphasie peut donc être définie comme un trouble du langage secondaire à une atteinte des réseaux neuronaux de l’hémis-phère dominant - le plus souvent l’hémisphère gauche - impliqués dans les différentes étapes de trai-tement du langage.Les troubles de la voix (dyspho-nie), et de la parole (dysarthrie) trouble de la réalisation motrice de l’articulation, n’entrent pas dans cette définition, mais peuvent par-fois exister dans certains tableaux

aphasiques. Ces perturbations se manifestent indépendamment d’une atteinte cognitive. Les troubles de la parole, conséquence de déficits complexes pouvant tou-cher l’articulation, la coordination de la respiration, les résonateurs, vont entrainer une atteinte plus ou moins sévère de l’intelligibilité, ou dans les cas les moins sévères, une production articulée inhabi-tuelle.

La sémiologie clinique de l’aphasie décrit des atteintes pouvant por-ter sur :• la programmation des schèmes articulatoires (niveau praxique) ;• la production et/ou la réception de la forme sonore des mots (pho-nologie) ;• le traitement du sens des mots, en production et/ou réception (sémantique) ;• le traitement de la phrase en production et/ou compréhension (syntaxe).

Les difficultés, les transforma-tions, peuvent se manifester sur les quatre versants du langage, compréhension et expression, oral et écrit, à des degrés divers, ou altérer de façon isolée un de ces versants. Ces manifestations sont recueillies au cours d’un bilan orthophonique standardisé, com-portant des épreuves variées, éta-

lonnées, corrélées entre elles, dont l’analyse va permettre de poser une hypothèse sur le niveau de traitement altéré.

LeS troubLeS de L’expreSSion oraLe Ils font l’objet d’une littérature abondante en raison, d’une part, de la richesse de la sémiologie et, d’autre part, de la fréquence et de la significativité de leurs manifes-tations. Ce sont les premiers qui seront mis en évidence lors d’une évaluation, et qui seront relevés par le patient lui-même et son en-tourage.

Les troubLes arthriques (Tab. 1, Vignette 1)

Ils correspondent à une difficulté de programmation des schèmes moteurs articulatoires, sans atteinte des organes effec-teurs, fréquemment associée à une apraxie bucco-faciale, et se manifestent par des dévia-tions phonétiques entraînant une modification du phonème. Ces transformations sont non systématiques et peuvent céder à la dissociation automatico-vo-lontaire. Le patient produit des phonèmes qui n’appartiennent pas forcément au système phono-logique de la langue, et sont diffi-cilement transcriptibles.

tableau 1 - distinguer dysarthrie et anarthrie.

dysarthrie anarthrie

• Trouble moteur de la réalisation de la parole

• Pas de déficit langagier associé• Stabilité des transformations • Atteinte le plus souvent non

corticale • Dysphagie possible• Formes variées selon niveau

d‘atteinte

• Trouble de programmation des schèmes articulatoires (praxique)

• Apraxie bucco-faciale fréquente • Déficit langagier associé • Peut céder à la dissociation

automatico-volontaire • Atteinte corticale unilatérale• Formes variées : du mutisme

à la dysprosodie

les aphasies

Page 10: Les aphasies - neurologies.fr · 244 Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160 L’aphasie de Broca Encore appelée aphasie motrice ou aphasie d’expression, elle

250 Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160

Les transformations vont géné-ralement dans le sens d’une sim-plification (par exemple groupes consonantiques complexes) et d’une réduction. Dans les tableaux les plus sévères, il peut exister une tendance à persévérer sur un schème arti-culatoire, et un risque de stéréo-typie, production articulée répé-tée, non informative, incontrôlée et envahissante (syllabe, mot, segment de phrase), empêchant toute autre production volon-taire. Les formes les plus légères dé-crivent une dysprosodie (ou pseudo-accent étranger) cor-respondant à une difficulté de programmation de certaines ca-ractéristiques du phonème (lon-gueur, transition...). Le trouble arthrique, dont les manifestations varient en fonc-tion de la gravité, a connu des appellations diverses : anarthrie, aphémie, désintégration phoné-tique, apraxie de la parole.Il se manifeste dans des tableaux d’aphasie non fluente, lié à une lésion corticale antérieure, il est à différencier de la dysarthrie, trouble moteur, permanent et uniforme, caractérisé par une certaine stabilité dans la pro-duction, sans atteinte langagière associée, qui affecte des niveaux périphériques de la motricité ar-ticulatoire, lié à une lésion géné-ralement non corticale (voies py-ramidales et extrapyramidales, cervelet, tronc cérébral...).

Les troubLes Lexico-sémantiques (Tab. 2)

❚ L’anomieSouvent appelée “manque du mot”, elle constitue le symp-tôme commun à tous les tableaux d’aphasie. Elle se révèle dans le dis-cours spontané ou lors de tâches

Vignette 1

Troubles arthriques/dysarthrie

Madame V., 58 ans, secrétaire de mairie, a présenté un AVC isché-mique sylvien superficiel gauche.

Le bilan orthophonique met en évidence une expression spontanée réduite, un manque du mot important, un agrammatisme et des dé-formations sur les phonèmes en production orale. La compréhension lexicale et contextuelle est bien préservée, il existe quelques difficul-tés sur les phrases longues et de structure syntaxique complexe (MT 86 : 33/38). On note une légère asymétrie faciale et une petite perte de tonus labial dues à une hémiparésie faciale droite centrale.

Les déformations portant sur la production des phonèmes amènent à établir un diagnostic différentiel entre dysarthrie (trouble de réali-sation motrice) et trouble arthrique (trouble de programmation des schèmes articulatoires).

La question est résolue par l’observation et l’analyse des différents signes cliniques : les mouvements bucco-faciaux ne sont pas réali-sés sur ordre ; en imitation la patiente peut tirer la langue, gonfler les joues, mais ne peut souffler. Par contre, elle peut éteindre une bougie en soufflant dessus, et elle soupire à plusieurs reprises, pro-duisant ainsi de façon automatique le geste de souffler. De nom-breuses déformations sont relevées sur les phonèmes, certains étant fréquemment altérés mais de façon non systématique. L’hémiparé-sie faciale ne permet pas d’expliquer les déformations car il n’existe pas de fuite d’air labiale, ni de perte de tonicité linguale. De plus, la présence de troubles langagiers associés, une apraxie bucco-faciale, l’instabilité des productions et la dissociation automatico-volontaire confirment le trouble praxique.

Ce tableau est typique d’une aphasie non fluente, avec troubles arthriques et apraxie bucco-linguo-faciale. Ainsi, l’expression de Madame V., notamment lorsqu’elle est fatiguée, comporte tellement de transformations arthriques que les productions sont difficilement reconnaissables. Un travail sur la programmation des schèmes arti-culatoires est réalisé en rééducation orthophonique. Les déviations phonétiques sont nombreuses et ce travail demande une grande concentration à la patiente.

Un jour, lors de la toilette matinale, un soignant éternue et Madame V. dit spontanément et distinctement « A vos souhaits ! », ce qui surprend ce soignant habitué à une expression orale très déformée. C’est une manifestation typique de la dissociation automatico-vo-lontaire en spontané qui existe souvent dans les aphasies anté-rieures. Cette préservation d’automatismes verbaux est évaluée lors du bilan (production de séries automatiques : chiffres, jours de la semaine, mois de l’année) et utilisée lors de la prise en charge orthophonique pour faciliter la production de schèmes articulatoires variés.

dossier

Page 11: Les aphasies - neurologies.fr · 244 Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160 L’aphasie de Broca Encore appelée aphasie motrice ou aphasie d’expression, elle

Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160 251

contraintes, telles les fluences verbales imposées, ou l’épreuve de dénomination, se manifeste par une absence de production ou un temps de latence élevé, des transformations de type parapha-sie, et peut parfois être compensée par des gestes, des mimiques, des paraphrases ou des circonlocu-tions. L’observation et l’analyse de ces productions (qui constituent des manifestations de surface) per-mettent de déterminer la nature du déficit cognitif (structure pro-fonde) à l’origine des transforma-tions linguistiques : trouble du trai-tement phonologique (forme des mots), difficulté d’accès à l’étiquette lexicale, aux représentations sé-mantiques (sens du mot) ou altéra-tion de ces représentations.

❚Les troubles phonologiquesUn trouble phonologique peut cor-respondre à une atteinte du pattern phonologique ou à une difficulté d’accès à cette représentation, voire à une difficulté de maintien de cette forme sonore en mémoire à court terme. Lorsque le pattern lui-même est atteint, le trouble peut se mani-fester par des paraphasies phoné-miques ou phonologiques (canapé ➟� /kaponé/, intelligent ➟ /lita-jan/), voire des néologismes (arro-soir ➟� /boverli/), des absences de réponse ou la production de mots proches de sens lorsque le patient a conscience de ses erreurs et peut contrôler sa production. Le sujet rencontre une difficulté dans le choix et l’ordonnancement des phonèmes de la langue, pour la pro-duction du mot. Plusieurs facteurs vont entrer en jeu : la fréquence du mot, sa longueur et sa complexité phonologique. Ces difficultés seront particuliè-rement mises en évidence dans des tâches qui nécessiteront une transposition : répétition ou lec-

ture à haute voix, les réponses à ces épreuves fournissant des indi-cations précieuses sur le niveau de traitement altéré. Parfois, seul l’accès aux représentations pho-nologiques est perturbé, mani-festation appelée communément manque du mot, (ou « mot sur le bout de la langue » bien connu chez le sujet sain lorsque le trouble est a minima), l’effet de fréquence est alors important, l’ébauche orale fa-cilitant la production, la répétition est alors préservée. Les difficultés liées à la boucle phonologique et au maintien en mémoire à court terme de la forme phonologique seront mises en évidence en par-ticulier par un effet de longueur et de lexicalité (mots mieux répétés que non-mots).

❚ Le trouble sémantique Il correspond à une difficulté à traiter le sens des mots. Généra-lement, chez le sujet aphasique, il s’agit le plus souvent d’une dif-ficulté à accéder aux représen-tations sémantiques plutôt que d’une réelle détérioration des propriétés qui définissent l’objet,

comme cela est le cas dans cer-taines pathologies dégénéra-tives (démence sémantique par exemple). Ce niveau est probablement le plus difficile à analyser, tant le traitement sémantique est un processus complexe. En effet, si l’on s’en tient à l’observation des transformations réalisées par le patient, la production d’une pa-raphasie sémantique (âne pour cheval par exemple) ne révèle pas nécessairement un déficit séman-tique sous-jacent et ne suffit pas à affirmer que le sujet a perdu la ca-pacité à activer les propriétés qui différencient ces deux objets. L’in-vestigation de ce niveau de traite-ment nécessite donc de comparer des épreuves variées, dans des modalités différentes (expres-sion et compréhension, orale et écrite) en référence à un modèle cognitif de traitement lexical. Les caractéristiques du mot, et donc les outils qui vont les éva-luer, sont importants à prendre en compte : fréquence, concrétude, classe catégorielle, classe gram-maticale, etc.

• Erreur visuelle (pomme ⇒ ballon)

• Périphrase (couteau ⇒ ça sert à couper)

• Mots-valises (machin, truc)

• Paraphasie verbale (un mot de la langue)

• sans lien de sens (bougie ⇒ cible)

• paraphasie sémantique = avec lien de sens (bougie ⇒ ampoule,

raisin ⇒ pomme)

• paraphasie visuo-sémantique (guitare ⇒ violon)

• paraphasie verbale morphologique = forme proche

(constitution ⇒ consultation)

• Paraphasie morphémique (râpe ⇒ râpoir, dentiste ⇒ denteur,

étagère/étage)

• Paraphasie phonémique ou phonologique (dinosaure ⇒ /nidorose/)

• néologisme (bougie ⇒ /kadène/)

Combinaison possible de transformations successives : guitare ⇒ /vilion/

(sémantique ⇒ violon, puis phonologique)

Tableau 2 - Les types de paraphasie.

les aphasies

Page 12: Les aphasies - neurologies.fr · 244 Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160 L’aphasie de Broca Encore appelée aphasie motrice ou aphasie d’expression, elle

252 Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160

Les troubLes morpho-syntaxiques (Tab. 3)

Classiquement, deux types de perturbations du traitement de la phrase sont décrits, en relation avec les tableaux d’aphasie : • non fluente : l’agrammatisme ;• et fluente : la dyssyntaxie.

Les travaux récents remettent en question cette distinction qui ne prend en compte que la manifes-tation linguistique observée, et non l’interprétation des proces-sus cognitifs mis en jeu. Cepen-dant, cette classification reste pertinente pour la description des troubles observés, qui peuvent se manifester en expression orale et écrite, ainsi qu’en compréhension.

❚ L’agrammatisme Il correspond à une expression en réduction, avec diminution de la fluence verbale, privilégiant la production de mots porteurs de sens (les noms et, dans une moindre mesure, les verbes) au détriment de mots fonctionnels et de marqueurs grammaticaux (pré-positions, pronoms, déterminants, conjonctions, marqueurs de temps et de personne sur les verbes...). Les règles de construction de la phrase ne sont pas respectées, et le sujet aura tendance à privilé-gier des structures syntaxiques simples et courtes. Ce déficit se re-trouvera en compréhension, où le patient agrammatique s’appuiera sur les éléments sémantiquement porteurs de la phrase et pourra présenter des difficultés sur des formes complexes (relatives, pas-sives, phrases enchâssées, etc.).

❚ La dyssyntaxie Elle se manifeste lors de discours fluents, et se caractérise par une production de mots et de mar-queurs grammaticaux nombreux, mais dont l’emploi est souvent

inapproprié (difficulté de choix) ou l’emplacement dans la phrase inadapté (ordre des mots). Cette difficulté d’organisation syn-taxique, utilisation anarchique des règles de construction de la phrase, est fréquemment associée à un trouble lexical, phonologique ou sémantique, et peut aboutir à un jargon, discours dont l’infor-mativité est faible. L’anosognosie (conscience alté-rée du trouble) vient souvent aggraver le tableau, le patient n’étant pas conscient des erreurs produites, il ne limite pas sa pro-duction et ne tient pas ou peu compte des interventions de son interlocuteur. En compréhension, ces mêmes difficultés se manifes-teront par une mauvaise interpré-tation des mots grammaticaux et des désinences verbales, ou par un traitement erroné de l’ordre des mots de la phrase.

Les troubLes discursifsSouvent moins bien décrits dans la littérature, et moins typiques de l’aphasie, les difficultés touchant

le discours font néanmoins partie des troubles qui apparaissent dans les tableaux d’aphasie lorsque celle-ci récupère, ou est d’emblée de forme peu sévère. Les pertur-bations lexicales et syntaxiques peuvent masquer des dysfonc-tionnements plus fins comme par exemple le traitement des infé-rences, la hiérarchisation des informations, la structuration du récit, la concision du dis-cours. Ce niveau de traitement implique des fonctions cognitives mul-tiples : attention, mémoire de travail, fonctions exécutives, et leur évaluation est complexe. Ces troubles peuvent néanmoins per-turber sensiblement l’activité lan-gagière de patients et les situations de conversation et d’échanges.

LeS troubLeS de coMPréhEnsion oraLESi les troubles expressifs sont les plus manifestes dans la sémiologie aphasique, les difficultés de com-préhension, parfois plus discrètes,

tableau 3 - distinguer agrammatisme et dyssyntaxie.

agrammatisme dyssyntaxie

• Diminution de la fluence • Lexique disponible réduit• Structures syntaxiques simplifiées • Prédominance des substantifs

(> verbes) • Omission/substitution mots

fonctionnels • Réduction/absence des marqueurs

grammaticaux • Réduction expansions verbe et nom• Absence/rareté de relatives, formes

syntaxiques complexes• Difficulté construction et ordonnan-

cement des éléments de la phrase

• Substitutions de monèmes fonctionnels

• Utilisation anarchique des règles morpho-syntaxiques

• Erreurs de morphèmes grammaticaux• Erreurs dans le choix des auxiliaires• Erreurs de classe grammaticale• Dérivations morphologiques• Accords en genre et en nombre• Ordre de la phrase non respecté

Exemple : « anniversaire… fille… beaucoup… après souffler bougies… pfff… content… moi larme, larme… content ma fille. »

Exemple : « je suis vendu ma voiture, il était beaucoup de distance ... de le travail fatigaire… c’est la plus long qu’il fait. »

dossier

Page 13: Les aphasies - neurologies.fr · 244 Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160 L’aphasie de Broca Encore appelée aphasie motrice ou aphasie d’expression, elle

Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160 253

constituent une perturbation importante dans la communica-tion du sujet. Elles sont souvent minimisées par le patient ou son entourage et nécessitent une ana-lyse fine.L’opposition classiquement décrite entre aphasie fluente et non fluente associe une compréhension altérée pour les patients présentant une atteinte postérieure, par opposi-tion à une compréhension préser-vée pour les sujets ayant une lésion antérieure. Cette dichotomie n’est pas si marquée dans la réalité clinique. Il est important, d’une part, de bien cerner la notion de compréhension et, d’autre part, de s’appuyer sur une observation fine des manifestations linguistiques pour mettre en évidence les dys-fonctionnements dans le traite-ment de l’information verbale par le patient.Il s’agira de différencier une compréhension “en contexte” (Vignette 2) qui fait intervenir de nombreux éléments non verbaux (mimiques, gestes, intonation, situation...), et pour laquelle les compétences du sujet aphasique peuvent être assez bien préser-vées, de la compréhension pure-ment linguistique : traitement des sons de la langue, de la forme des mots (phonologie), de leur sens (sémantique) et de la phrase. Les difficultés observées en com-préhension vont être analysées selon les mêmes niveaux de trai-tement qu’en production. Elles seront souvent associées à des transformations de même type sur le versant expressif.

Les troubLes du traitement des représentations phonético-phonoLogiquesCe premier niveau consiste en un décodage des sons du langage. Il peut être altéré, entravant ainsi la discrimination des sons de la

langue, les phonèmes, et ne per-mettant pas au sujet l’accès à la reconnaissance de la forme sonore du mot. Le sujet sera dans l’incapa-cité de différencier deux mots de forme proche (chapeau/chameau) ou de dire si une forme entendue est un mot de la langue ou non (/chalo/).Ce trouble peut, dans certains cas, contraster avec un accès pré-servé de la forme orthographique du mot, le sujet ne pouvant com-prendre un mot produit orale-ment par l’examinateur, alors qu’il accède parfaitement au sens du

mot écrit, prouvant ainsi l’intégri-té de ses capacités de traitement sémantique.

Les troubLes du traitement des représentations sémantiquesAlors que leurs capacités de traite-ment phonologique (forme sonore du mot) sont bien préservées, comme peuvent en témoigner cer-taines épreuves (discrimination de formes proches...), certains sujets vont présenter des difficultés à accéder aux propriétés sémantiques des objets, en particulier des traits

Vignette 2

Compréhension “en contexte”/troubles de la compré-hension orale

Monsieur C., 66 ans, chauffeur de taxi retraité, a présenté un AVC ischémique sylvien profond gauche.

Le bilan de langage, réalisé par l’orthophoniste, montre une aphasie fluente, avec de nombreuses paraphasies phonologiques, et des troubles de la compréhension des phrases complexes relevés lors d’une épreuve contrainte (score au MT 86 : 25/38, erreurs portant sur les propositions relatives, clivées sujet « c’est le garçon qui porte le chien », clivées objet « c’est le garçon que le chien regarde », relative enchâssée « l’homme qui porte un chapeau embrasse la femme »).

Il est donc conseillé à l’équipe soignante et à la famille de produire des phrases courtes afin de faciliter la compréhension. L’entou-rage semble surpris par ces remarques : en effet, son épouse n’a pas constaté ces difficultés et assure que son mari « comprend tout ». Lorsqu’elle arrive dans sa chambre, elle lui parle du temps, lui demande s’il a besoin de quelque chose, fait un petit résumé de sa journée, lui parle de ses amis, de son chien. Elle lui demande ce qu’elle doit faire dans le potager… M. C. « participe » effectivement à l’échange, acquiesce, produit de nombreuses mimiques et commente par des propositions (« Ah ben si tu veux », « Comment ça se fait ? », etc.). Si l’on observe les échanges entre les deux époux, on constate, de la part de l’épouse, une utilisation importante de la mimogestua-lité, de l’intonation, la référence à un contexte commun, l’utilisation d’un lexique fréquent et de nombreuses questions fermées (réponse en oui/non). Il existe donc de sa part une adaptation inconsciente aux difficultés de son mari, une compensation par du non-verbal, et une compréhension globale de la situation, mais qui ne permet pas d’envisager des échanges plus complexes (type argumentatif, négociation, etc.).

les aphasies

Page 14: Les aphasies - neurologies.fr · 244 Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160 L’aphasie de Broca Encore appelée aphasie motrice ou aphasie d’expression, elle

254 Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160

distinctifs qui vont opposer des représentations proches de sens (couteau/scie, zèbre/cheval...) ou, plus rarement, présenter une altération de ces représentations elles-mêmes.

Les épreuves proposées devront déterminer s’il s’agit d’un défaut d’accès ou d’une atteinte des re-présentations. Pour cela, les ma-nifestations observées dans des tâches de compréhension seront comparées aux épreuves proposées en expression, et complétées par des épreuves visant à délimiter les champs sémantiques perturbés, toujours en référence à un modèle cognitif de traitement lexical.

Les troubLes de La compréhension syntaxique Les difficultés de compréhension de la phrase peuvent coexister avec des troubles de compréhen-sion lexicale ou se manifester alors que celle-ci est préservée ou res-taurée. Plusieurs causes peuvent en être à l’origine : mauvais trai-tement des mots fonctionnels ou flexions verbales, atteinte des règles de structuration syntaxique et/ou de la mise en relation des éléments de la phrase, difficul-tés de mémoire de travail, etc. Le patient peut alors présenter des difficultés à traiter des structures particulières : formes réversibles (l’homme regarde la femme/la femme regarde l’homme), rela-tives, passives, etc.

Lorsque le traitement lexical est préservé, le patient s’appuiera sur les éléments sémantiques de la phrase pour accéder au sens, faisant ainsi illusion en situation. Il sera alors particulièrement en difficulté lorsque les phrases com-porteront peu de mots chargés de sens (noms, verbes...).

LeS troubLeS du LangagE écriT Les perturbations de traitement du langage écrit peuvent coexister avec les troubles du langage oral ou se manifester de façon isolée, sur le versant compréhension et/ou production. Une description clas-sique, s’appuyant sur une corréla-tion anatomo-clinique, a permis d’établir des tableaux en relation avec les syndromes aphasiques classiques. Depuis une quaran-taine d’années, l’approche cogni-tiviste a permis de mieux décrire les niveaux de traitement altérés, en s’appuyant sur les modèles des processus cognitifs établis chez le sujet normal.

La LectureEn ce qui concerne la lecture, une distinction est établie entre des dyslexies périphériques liées à une héminégligence ou à un déficit attentionnel, et les dyslexies cen-trales mettant en jeu des méca-nismes de traitement cognitifs différents.

Les dyslexies centrales se caracté-risent par des troubles intervenant sur les voies de la lecture. Plusieurs types sont décrits ; nous retien-drons, dans un souci de simplifi-cation, les trois formes principales.

❚ La dyslexie de surfaceCertains patients perdent la capa-cité à reconnaître des mots globa-lement, mais peuvent appliquer une règle de correspondance entre la lettre et le son (correspondance graphème/phonème), ce qui leur permet de lire des mots connus ou inconnus (non-mots ou logatomes) pourvu qu’ils soient “réguliers” : vélo, particularité, /rikapé/, alors que les mots “irréguliers” (ne res-pectant pas la règle de correspon-dance lettre/son) seront lus avec une régularisation (femme�➟/

fèm/, banc ➟ banque). On parlera alors d’atteinte de la voie lexicale.

❚ La dyslexie phonologiqueA l’inverse, la dyslexie phonolo-gique ne permet pas au sujet de lire par association des lettres, mais la reconnaissance globale du mot étant préservée, le sujet peut lire les mots connus. Cependant il sera en difficulté pour lire les mots nou-veaux ou les non-mots (/rikapé/). Ce trouble correspond à une at-teinte de la voie phonologique.

❚ La dyslexie profondeCes deux difficultés peuvent être combinées dans la dyslexie pro-fonde qui associe un déficit impor-tant d’assemblage (voie phonolo-gique) et, à moindre importance, de reconnaissance globale du mot (voie lexicale).Ces troubles vont se manifester particulièrement lors de la lecture à haute voix, entraînant des pro-ductions de type paralexie pho-nologique ou sémantique, des cir-conlocutions, des pauses... L’accès au sens peut être perturbé selon des modalités comparables à celles décrites à l’oral.

L’écriture Parallèlement aux difficultés de traitement décrites sur le versant de la lecture, le même type de manifestation peut apparaître en écriture. On décrit alors des tableaux :• d’agraphie lexicale, préservant la capacité à écrire des mots ré-guliers ou des non-mots, mais altérant l’orthographe des mots irréguliers (erreurs plausibles phonologiquement : femme ➟ /fame/, fusil ➟ /fuzi/) ;• d’agraphie phonologique, les sujets ne pouvant produire que des mots connus, mais pas de mots nouveaux ou de logatomes ;• ou d’agraphie profonde, associant

dossier

Page 15: Les aphasies - neurologies.fr · 244 Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160 L’aphasie de Broca Encore appelée aphasie motrice ou aphasie d’expression, elle

Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160 255

une atteinte de la voie phonolo-gique et partiellement de la voie lexicale.

Les erreurs vont apparaître en spontané, en dénomination écrite et en dictée.Une atteinte des processus péri-phériques peut perturber la pro-duction de la lettre isolée, par perte de la représentation abstraite de la forme de la lettre, ou une atteinte praxique.

dEs aPProchEs coMPLéMEnTairEs

approche cognitive L’émergence de ce courant dans les années 1970 a permis de construire une démarche thérapeutique en référence à des modèles de trai-tement de l’information établis chez le sujet normal. Ces modèles permettent de guider l’évaluation en établissant les niveaux de trai-tement altérés et préservés, de construire une thérapie en défi-nissant des objectifs en référence aux niveaux déficitaires, et de choisir les outils thérapeutiques adaptés. Les thérapies cognitives nécessitent une analyse fine des troubles, et une évaluation en post-thérapie pour juger de son efficacité.

approche pragmatiqueLa description de la sémiologie aphasique s’est construite grâce à des outils d’analyse issus de la linguistique et plus récemment, les apports de la psychologie cogni-tive ; la démarche thérapeutique tire un bénéfice évident de ces approches complémentaires. Cependant, le clinicien observe fréquemment une dissociation entre les capacités du sujet éva-luées lors de bilans standardisés selon les niveaux de structuration

linguistique (phonétique, phono-logie, sémantique, syntaxe), et ses compétences communicatives en situation de vie quotidienne. Ces situations font appel à des capa-cités souvent préservées chez les personnes aphasiques, qu’elles sont capables de mobiliser pour assurer une certaine fonctionna-lité des échanges. Selon Audrey Holland, « les aphasiques commu-niquent mieux qu’ils ne parlent », ceux-ci s’appuyant sur une uti-lisation du non-verbal (gestes, mimiques, intonation, etc.). Dans la démarche de réhabilita-tion sociale du sujet aphasique, la prise en compte du handicap généré par l’aphasie et des diffi-cultés à communiquer en vie quo-tidienne est tout aussi importante que le travail de restauration des déficits linguistiques.L’objectif, que ce soit pour le patient, son entourage, ou le thé-rapeute, est de favoriser la capacité à communiquer du sujet, l’efficacité de l’échange, plutôt que le respect d’une norme langagière ; la trans-mission d’une information est alors privilégiée par rapport à la qualité de production de l’énoncé.Les aspects verbaux et non-ver-baux du message sont complémen-taires, et l’accent est mis sur les compétences du sujet et non sur ses déficits.

aspects psychosociauxCette approche de la commu-nication plus globale du patient aphasique amène logiquement à prendre en compte ses inter-locuteurs, et les habitudes com-municatives du sujet et de son entourage. L’aphasie n’est plus considérée seulement comme un trouble linguistique impactant le patient cérébrolésé, mais comme une perturbation d’un système de communication dans lequel évo-luent le patient aphasique et son

entourage. Il faut alors non seule-ment considérer le sujet aphasique, mais prendre en compte ses par-tenaires privilégiés, et les inter- actions qui s’établissent. Il existe un impact direct de l’aphasie sur l’environnement du patient, nécessitant que l’étude se porte sur la dynamique conver-sationnelle, les stratégies mises en place entre les interlocuteurs, et l’adaptation de l’entourage à la communication. L’analyse conversationnelle, menée à partir de vidéos réali-sées au domicile du patient lors d’un échange naturel avec son partenaire privilégié de conver-sation, permet d’étudier les comportements de chacun des partenaires, et d’identifier les stratégies favorisant l’efficacité de la communication.L’impact de l’aphasie n’est pas que langagier, il est social et psychologique, entraînant une réduction quantitative et qua-litative des relations sociales et familiales, avec un risque pour le patient de diminution de ses activités, de repli sur soi, de frus-tration, de souffrance psychique, de perte de l’estime de soi. Les personnes aphasiques expriment fréquemment un sentiment d’in-compétence, de dévalorisation, et une perte de plaisir et d’envie à établir ou maintenir des relations sociales. L’aidant naturel exprime lui aussi une souffrance liée au surme-nage, au stress, à la diminution des échanges et à la réduction des relations sociales.Les réactions dépressives se ma-nifestent souvent dans les mois et années qui suivent l’aphasie, témoignant d’un deuil douloureux et difficile de « la vie d’avant ». Les difficultés langagières rendent encore plus difficile l’expression de cette souffrance psychique.

les aphasies

Page 16: Les aphasies - neurologies.fr · 244 Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160 L’aphasie de Broca Encore appelée aphasie motrice ou aphasie d’expression, elle

256 Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160

La prise en charge des patients aphasiques est donc multiple : • linguistique bien sûr,• mais aussi sociale et psychologique, • en associant l’aidant comme par-tenaire privilégié de la démarche de rééducation et réadaptation.

démarche thérapeutique Au vu de la complexité de la sémio-logie aphasique, et de la multitude de facteurs qui entrent en jeu, la question de la prise en charge des patients aphasiques ne peut avoir une réponse unique. Les procédés mis en place viseront de façon complémentaire, la res-tauration, la réorganisation et/ou la compensation du ou des déficits [4].

Le type et le degré de sévérité du déficit, la nature et l’efficacité des mécanismes préservés, le moment de la prise en charge, l’implica-tion du patient et de l’entourage, ses besoins et ses attentes, sont autant de facteurs qui vont déter-miner d’une part les objectifs de la prise en charge et d’autre part les moyens et les types de thérapie proposés. Plusieurs courants théoriques

structurent la démarche théra-peutique, offrant aux orthopho-nistes des outils d’évaluation et de remédiation complémentaires. La prise en charge orthopho-nique est principalement indi-viduelle, mais les thérapies de groupe peuvent être indiquées en complément ou à certaines étapes de la rééducation.Certains profils aphasiques, prin-cipalement en début de prise en charge, avec des atteintes portant sur des processus cognitifs bien identifiés, se prêtent particuliè-rement bien à des thérapies co-gnitives visant à restaurer une fonction altérée. Ces thérapies pro-posent un entraînement soutenu, élaboré à l’issue d’un bilan rigou-reux, réalisé en référence à un modèle de traitement cognitif normal, soumis à évaluation pré- et post-thérapie, afin d’évaluer l’effet de cet entraînement et sa généra-lisation aux items non-entraînés. Des thérapies se situant plutôt dans un courant behavioriste, qui s’appuient sur un conditionne-ment opérant, ont aussi fait leurs preuves dans certains tableaux de réduction sévère de l’expression orale.

L’efficacité de la communication, comme objectif fonctionnel de la thérapie, privilégie une approche pragmatique et propose des thé-rapies qui vont permettre au sujet de développer les capacités préser-vées en favorisant l’utilisation de canaux non verbaux. La mise en situation du sujet dans des situa-tions proches de la vie quotidienne permet un meilleur transfert des compétences communicatives, le développement de stratégies pal-liatives, et favorise l’adaptation réciproque du sujet aphasique et de son environnement.Enfin, la prise en compte de l’entourage et l’implication des aidants dans le processus de communication sont des facteurs essentiels pour optimiser l’effica-cité de la prise en charge. n

mots-clés : aphasie, sémiologie, Praxie, Phonologie, 

sémantique, syntaxe, Langage, 

Expression, Troubles arthriques, 

dysarthrie, Troubles lexico-sémantiques, 

Fluence verbale, anomie, Troubles 

morpho-syntaxiques, Troubles discursifs, 

Troubles de la compréhension, Lecture, 

dyslexie, Ecriture, agraphie

dossier

renseignements et inscriptions : Expressions Santé • 2, rue de la Roquette, Passage du Cheval Blanc, Cour de Mai - 75011 Paris

Tél. : 01 49 29 29 29 - Fax : 01 49 29 29 19 - E-mail : [email protected]

Retenez vos dates :

16, 17 et 18 décembre 

2013Palais des Congrès, Porte Maillot, Paris

15es RENCONTRESDE NEUROLOGIES

15es RENCONTRESDE NEUROLOGIES

15es RENCONTRESDE NEUROLOGIES

Page 17: Les aphasies - neurologies.fr · 244 Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160 L’aphasie de Broca Encore appelée aphasie motrice ou aphasie d’expression, elle

Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160 257

QuelQues règles généralesL’évaluation du langage du sujet aphasique doit être rigoureuse. Suite à la passation, il convient d’établir une cotation quantita-tive, avec des scores, mais aussi qualitative, en analysant le type d’erreurs, en mettant en évidence les modes de facilitation… L’exa-minateur, face à ces données re-cueillies, doit être prudent quant à leur interprétation. Celui-ci ne peut se contenter de dire que le patient échoue à une épreuve de désignation par exemple, sans se préoccuper de déterminer si cet échec est en lien avec le déficit de la fonction linguistique testée ou du canal sensoriel utilisé pour évaluer cette fonction. Ainsi, l’exa-minateur doit s’interroger face à un échec et mettre en évidence un éventuel déficit de perception visuelle, auditive, d’un trouble de compréhension.

La plupart des épreuves sont nor-malisées et se réfèrent à un modèle théorique. En effet, la description symptomatologique est mise en relation avec un modèle psycho-linguistique afin d’identifier la nature du déficit sous-jacent. Plu-sieurs modèles théoriques existent, comme le modèle de Hillis et Ca-ramazza, ou encore des modèles plus spécifiques de production du langage oral comme le modèle connexionniste de Dell ou le mo-dèle sériel de Levelt. L’examinateur se doit de les connaître afin de réali-ser une interprétation cognitive des résultats obtenus la plus rigoureuse possible.Enfin, il est primordial de garder à l’esprit que les résultats aux diffé-rentes épreuves seront mis en rela-tion à partir d’une analyse trans-versale, dans un but de recherche du niveau de fonctionnement alté-ré. Il ne s’agit donc pas de considé-rer les déficits de compréhension, de répétition… de façon isolée mais de faire des liens entre les résultats aux différentes épreuves.

Avant tout, une anamnèse est in-dispensable. En effet, l’examinateur doit recueillir un grand nombre d’informations concernant le pa-tient. Elles concernent : les données générales (l’âge de survenue des troubles, la latéralisation manuelle, le niveau de scolarisation, le niveau de pratique de la langue écrite), les troubles associés à l’aphasie, le terrain psychoaffectif… Il s’agit en quelque sorte d’un entretien diri-gé.Il existe divers outils d’évaluation (Tab. 1). Certains vont permettre une approche globale, qui a pour but de réaliser un bilan général, global des troubles phasiques, et d’autres auront une approche spécifique. D’autres outils permettent d’éva-luer les déficits de manière analy-tique ou de manière fonctionnelle en évaluant le handicap. Il est im-portant de ne pas changer d’outil d’évaluation tout au long du suivi du patient pour valider longitudinale-ment les progrès et stagnations.Ainsi après un entretien dirigé et un examen clinique approfondi,

3 exploration des troubles du langage

Evaluer les dimensions linguistique, neuropsychologique et pragmatique

n Afin de pointer les troubles phasiques, une évaluation approfondie est nécessaire. Les outils

sont nombreux et concernent plusieurs dimensions (linguistique, neuropsychologique et prag-

matique). Une distinction peut être réalisée entre l’évaluation du langage, qui met en exergue

les déficits linguistiques, et l’évaluation de la communication, qui cherche à mettre en évi-

dence un éventuel handicap pour communiquer.� Sandrine Basaglia-Pappas*

*Unité de Neuropsychologie-CM2R, Service de Neurologie, CHU Nord, Saint-Etienne

les aphasies

Page 18: Les aphasies - neurologies.fr · 244 Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160 L’aphasie de Broca Encore appelée aphasie motrice ou aphasie d’expression, elle

258 Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160

les capacités linguistiques peuvent être explorées. Cette évaluation porte sur deux principales fonc-tions : l’expression et la compré-hension, sur le versant oral et le versant écrit pour chacune. Reprenons chaque fonction.

evaluation de l’expression orale

Le Langage spontané ou conversationneLLe langage spontané est « le lan-gage produit par un sujet en si-tuation naturelle (ou quasi natu-relle) » [15]. Il permet l’observation de l’ensemble des composantes du langage. Pour cette épreuve, l’examinateur induit souvent des questions pour guider le patient et l’amener à converser : on parle ainsi de langage provoqué. L’exa-minateur peut ainsi évaluer les capacités à communiquer. En cas de mutisme, il peut voir s’il existe un langage non verbal, si le patient produit des mimiques… Il évalue aussi l’informativité, les capacités d’accès au lexique, les structures syntaxiques, la cohérence du dis-cours (pensée, raisonnement).

• Quels outils utiliser ?Par exemple des batteries générales, comme le BDae ou le MT86, proposent une épreuve de langage spontané. Une analyse, quantitative mais aussi qualitative, peut être réalisée.

❚ Le discours narratif Il permet de contrôler les réponses du sujet, et de ce fait suscite moins un discours naturel et varié, ainsi qu’une syntaxe et une morpholo-gie complexes. Le discours narratif est apprécié à partir de la descrip-tion de scènes imagées. Cette narration suscitera un langage moins naturel que pour l’épreuve

lontaire (évocation des chiffres, des jours de la semaine, des mois de l’année, des nombres de 1 à 20, l’alphabet, une chanson ou encore la complétion de phrases et de proverbes). Cette épreuve permet de voir s’il existe une dis-sociation automatico-volontaire, fréquente dans les aphasies anté-rieures.

• Quels outils utiliser ?Cette épreuve existe dans les tests généraux d’évaluation de l’aphasie.

❚ Les épreuves de dénomination d’images Elles explorent l’accès lexical. Peuvent être représentés des objets, des symboles, des formes géométriques, des couleurs, des nombres ou des actions. Les items sont proposés en fonction de cri-tères de fréquence.

• Quels outils utiliser ?• Dans la batterie BDae, par exemple, deux planches pro-posent des items de dénomina-

du langage spontané. Une analyse concernant le lexique et la syntaxe sera réalisée. L’examinateur véri-fie également si le discours produit respecte la cohérence du récit et si le patient a accès aux inférences.Les productions sont aussi analy-sées sur les plans phonétique, pho-nologique ou sémantique.

• Quels outils utiliser ?Par exemple, l’image de la scène “le voleur de biscuits” du BDae, et celle du “hold-up” du MT 86 sont très souvent utilisées. Cette image scénique permet notam-ment de mettre en évidence des troubles perceptifs, une hémia-nopsie latérale homonyme ou une héminégligence : le patient ne décrit qu’une partie de la scène. La batterie Bia propose également une scène. Le patient dispose de deux minutes pour la décrire avec le maximum de détails.

❚ Les automatismes verbaux Ils correspondent à la produc-tion de séries pour produire du langage sans déclenchement vo-

les batteries générales, standardisées, d’évaluation de l’aphasie

•Examendel’aphasiedeDucarne[5]

•BostonDiagnosticAphasiaExamination:BDAE-HDAE[6]

•ProtocoleMontréal-Touloused’examenlinguistiquedel’aphasie:

MT86[7]

•BatterieBIA,informatisée[8]

outils spécifiques élaborés dans le cadre théorique de la neuropsychologie

cognitive

•Testpourlediagnosticdestroubleslexicauxchezl’aphasique

ouLexis[9]

•Batteried’examendestroublesdeladénominationouExa-Dé[10]

outils d’évaluation de la communication

•EchelledecommunicationverbaledeBordeaux(ECVB)[11]

•TestLilloisdeCommunication(TLC)deRousseaux[12]

•ProtocoleMontréald’EvaluationdelaCommunication

(ProtocoleMEC[13]etMECdepoche[14])

tableau 1 - les outils d’évaluation

Dossier

Page 19: Les aphasies - neurologies.fr · 244 Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160 L’aphasie de Broca Encore appelée aphasie motrice ou aphasie d’expression, elle

Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160 259

tion. L’examinateur peut réaliser une évaluation quantitative avec mesure du temps, une évalua-tion qualitative avec étude des transformations (paraphasies phonémiques, sémantiques, verbales...).Cette batterie propose égale-ment une dénomination par le contexte. Un échec à cette épreuve ne suffit pas pour dire que le patient présente des dif-ficultés pour accéder au lexique puisque cette épreuve fait inter-venir la compréhension lexicale et syntaxique.

• Dans la batterie MT86, une épreuve de dénomination de substantifs et de verbes est proposée. Plusieurs opposi-tions sont proposées : termes génériques, catégoriels (outils, meubles) ; parties d’un tout (manteau, boutons), manipu-lable versus non manipulable (échelle/village).

• Dans la batterie Bia, plusieurs épreuves sont proposées : sur entrée visuelle (substantifs et verbes), sur entrée auditive et sur entrée tactile.

• Des épreuves permettant d’évaluer de manière spéci-fique la dénomination com-prennent davantage d’items. Il existe ainsi un meilleur contrôle des variables et des données sur les performances de la popula-tion normale.

• le test de dénomination orale d’images : Do80 [16]Il s’agit d’un outil pratique, adap-té pour les besoins de la clinique, qui permet de situer rapidement les performances d’un sujet par rapport à un seuil de normalité établi suivant l’âge et le niveau socio-culturel (NSC).

• le test pour le diagnostic des troubles lexicaux chez le patient aphasique : leXisLes objectifs du LEXIS sont de quantifier les troubles de la déno-mination et de la compréhension de mots concrets (normes par épreuve selon l’âge et le NSC) et diagnostiquer d’éventuels troubles lexico-sémantiques. Cette batterie comprend trois tests utilisant des stimuli iden-tiques : un test de dénomination, un test de désignation et un test d’appariement sémantique d’images. Le but est de com-parer les différents traitements d’un même matériel. Ainsi, on peut comparer les possibilités de dénomination, de compréhen-sion et de traitement sémantique.

• la Batterie informatisée du manque du mot : BiMM [17]Cette batterie informatisée propose une dénomination de substantifs, de verbes et de sons.

• le test de dénomination des verbes lexicaux en images : DVl38 [18].

• la batterie d’examen de la dénomination : exa Dé Cette batterie détaillée, rigou-reusement construite, convient bien aux tableaux cliniques avec troubles de la dénomination prédominants ou isolés. Elle comprend 10 épreuves (296 mots au total) visant à évaluer les différentes variables en jeu dans l’activité de dénomination d’images. Il s’agit d’une épreuve générale croisant les critères lon-gueur et fréquence, testant le rôle de l’affixation et de la composi-tion, l’efficacité des aides et le rôle de la latence. L’examinateur peut établir des profils d’erreurs selon les variables étudiées et selon le champ sémantique.

les aphasies

L’évocation LexicaLeLes épreuves de disponibi-lité lexicale (encore appelée fluence verbale) sans support visuel consistent à faire évoquer des items lexicaux suivant une contrainte sémantique ou for-melle (intervention des fonctions exécutives) en un temps limité. L’examinateur observe la straté-gie du patient : y a-t-il une orga-nisation du système sémantique (fluence catégorielle) ou une orga-nisation lexicale (fluence alphabé-tique) ?

• Quels outils utiliser ?• les fluences de Cardebat, les plus utilisées [19] : pour l’évoca-tion catégorielle, l’examinateur peut proposer les animaux, les fruits et les meubles. Pour les fluences formelles, il peut propo-ser les lettres /p/, /r/ ou /v/. Des normes existent, en fonction de l’âge et du niveau d’études.• Dans la batterie Bia, l’épreuve comprend deux fluences caté-gorielles : celle des animaux, catégorie la plus fréquente et la plus riche en éléments, et celle des meubles, qui est moins fréquente et plus réduite. Deux fluences littérales sont également demandées : l’une avec la lettre « m » et l’autre avec la lettre « v ». Le patient dispose d’une minute pour chaque fluence pour donner le plus de mots possible. La prise en compte de productions persé-vératrices par le patient est notée.

❚ La répétitionDes épreuves de répétition de mots, de logatomes et de phrases peuvent être proposées. On parle de transposition audio-phona-toire : on reste dans le même code, avec un input oral et un output oral. Cette épreuve est intéressante pour faire un diagnostic entre

Page 20: Les aphasies - neurologies.fr · 244 Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160 L’aphasie de Broca Encore appelée aphasie motrice ou aphasie d’expression, elle

260 Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160

• Pour la compréhension syntaxique et morphologique (batteries générales), le sujet apparie une phrase produite par l’examinateur avec une image. Les phrases sélectionnées mettent en jeu un traitement plus ou moins complexe. L’intégrité lexico-sémantique et l’intégrité des procédés syntaxiques sont ainsi vérifiées.

• Enfin, des épreuves étudient :- la compréhension de texte (batteries générales), avec une évaluation de la compréhension globale d’un texte, de détails ainsi que la compréhension plus implicite ;- la logique et le raisonnement (BDae) : cette épreuve fait inter-venir le contexte et des connais-sances encyclopédiques ; elle fait référence aux connaissances du sujet et à sa capacité à raisonner ; - l’implicite (Gestion de l’impli-cite, MeC, MeC-p, Critique d’histoires absurdes du Test pour l’examen de l’aphasie) : ces épreuves permettent d’éva-luer les troubles fins, fréquents chez les patients cérébrolésés droits ou présentant un syndrome dysexécutif.

Exemples :Une épreuve de logique et rai-sonnement (BDae) : « Est-ce que deux kilos de farine pèsent plus lourd qu’un seul ? Est-ce qu’un kilo de farine pèse plus lourd que deux ? ».Une critique d’histoire absurde : « Les pieds de Jean sont si grands qu’il doit passer son pan-talon par la tête ».

évaluation de l’expression écriteIl est important de connaître le niveau antérieur du patient avant

❚ La lecture à haute voix Cette épreuve donne des infor-mations sur le mécanisme de transposition et de transcodage. Elle concerne des mots isolés, des non-mots, des phrases et textes.

• Quels outils utiliser ?Cette épreuve existe dans les batteries générales.

évaluation de la compréhension oraleDes épreuves de désignation d’images à partir d’une produc-tion verbale énoncée par l’exa-minateur sont proposées. Cette désignation s’effectue en situa-tion de choix multiples. Ces épreuves utilisent le support visuel et nécessitent donc la pré-servation des fonctions visuo-perceptives. D’autres épreuves font appel à une réponse ges-tuelle et requièrent des praxies gestuelles intactes comme pour les épreuves d’exécution d’ordres simples et complexes.

• Quels outils utiliser ?• Certaines épreuves étudient la compréhension contex-tuelle, d’autres proposent des exécutions d’ordres, avec et sans objet, plus ou moins com-plexes (batteries générales, 3 papiers de pierre Marie).

• Pour la compréhension lexi-cale (batteries générales), des épreuves d’association sont pro-posées : il s’agit d’apparier un mot entendu (par exemple : /bouton/), avec sa représentation picturale. Des distracteurs sont introduits : phonémique (bouton/mouton), sémantique (bouton/fermeture éclair), visuel (bouton/roue).

Dossier

les différents types de tableaux d’aphasie, c’est-à-dire pour tes-ter les capacités de transposi-tion audio-phonatoire, à savoir le traitement de l’information linguistique, le transcodage d’un schème audio-phonatoire en un schème phonétique, l’encodage phonologique (enchaînement des différents phonèmes), l’intégrité du feedback auditif et les tâtonne-ments et les conduites d’approche.

• Quels outils utiliser ?Toutes les batteries générales proposent des épreuves de répétition.

❚ Le langage élaboréAvec des définitions de mots, de proverbes, des antonymes, des synonymes, la construction de phrases à partir de 2 ou 3 mots, l’examinateur peut avoir des ren-seignements sur les processus descriptifs, explicatifs ou argu-mentatifs produits par le sujet, ou encore des renseignements sur sa fluence, la richesse et la perti-nence du lexique utilisé, la syn-taxe, la capacité à porter un juge-ment et argumenter, à organiser une suite logique, la capacité d’abstraction. Ces épreuves sont également intéressantes pour les patients qui n’ont pas de troubles du langage visibles (pas de distor-sions grammaticales, syntaxiques notées, absence de troubles ar-thriques, assez bonne compré-hension). Elles sont notamment proposées pour les patients pré-sentant des troubles dysexécutifs.

• Quels outils utiliser ?La batterie Test pour l’examen de l’aphasie de Ducarne, le Test de langage elaboré (Tle) [19] et la Bia proposent cette épreuve.

Page 21: Les aphasies - neurologies.fr · 244 Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160 L’aphasie de Broca Encore appelée aphasie motrice ou aphasie d’expression, elle

Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160 261

Mots-clés : aphasie, Bilan orthophonique,

Batteries de tests, neuropsychologie,

langage, Fluence verbale, expression

orale, expression écrite,

compréhension.

• copie (lettres, mots, phrases…) ;• dictée (mots, phrases, non-mots…) ; on parle de transco-dage auditivo-graphique. Ces épreuves existent dans les batteries générales (MT86, BDae).

évaluation de la compréhension écriteTout comme pour la compré-hension orale, des épreuves de correspondance mot/image ou phrase/image sont proposées. Il existe également des épreuves de complètement de phrases écrites : on propose un mot pour finir la phrase, ou des exécutions d’ordres écrits.

• Quels outils utiliser ?Ces épreuves existent dans les batteries générales (MT86, BDae).

l’épisode neurologique pour éva-luer l’écrit (expression ou compré-hension) par rapport à ce niveau. L’expression écrite est parfois dif-ficile à évaluer. En effet, un patient droitier peut présenter une hémi-plégie droite. Des lettres mobiles peuvent alors être proposées. Il est important de tenir compte des troubles associés : moteurs, praxiques, visuels, en lien avec l’organisation spatiale (agraphie) ou une héminégligence.

• Quels outils utiliser ?Plusieurs épreuves existent : • écriture spontanée de l’état civil : nom, prénom, adresse ;• dénomination écrite (pour vérifier la préservation du lexique orthographique). Il existe par-fois une dissociation, avec un manque du mot plus important à l’oral qu’à l’écrit. On utilise le même matériel qu’à l’oral ;

en conclusion L’examen du langage par l’ortho-phoniste doit être aussi complet que possible pour pouvoir faire une analyse transversale. En pra-tique clinique de première ligne chacun de ces niveaux doit être ba-layé par le clinicien afin de repérer des symptômes. n

les aphasies

Termes sémiologiques

a•Agrammatisme : manifestation décrite dans les tableaux d’aphasie non fluente. Erreurs de construc-tion grammaticale des phrases par réduction, simplification ou dispari-tion d’éléments syntaxiques, mots fonctionnels (déterminants, préposi-tions, pronoms, auxiliaires, conjonc-tions...) et utilisation privilégiée des morphèmes lexicaux porteurs de sens (noms, adjectifs). •Anarthrie : trouble variable de la programmation motrice des schèmes articulatoires, en l’absence de trouble moteur ou sensoriel, qui peut s’accompagner d’une dissocia-tion automatico-volontaire. Le plus souvent, les productions n’appar-tiennent pas au système phonolo-

gique de la langue, et sont diffici-lement transcriptibles. La parole paraît laborieuse. Ce trouble est connu sous d’autres appellations : désintégration phonétique, trouble arthrique, apraxie de la parole. Il est fréquemment associé à une apraxie bucco-faciale. •Anosognosie : absence de conscience du trouble, peut se manifester sur un déficit langagier, moteur, visuel.• Apraxie bucco-faciale : difficulté, voire impossibilité, à effectuer des mouvements bucco-linguaux-fa-ciaux sur ordre oral ou (dans les cas les plus graves) sur imitation, alors que ces mouvements sont parfaitement exécutés lors d’activi-tés automatiques, en l’absence de trouble moteur ou sensoriel élémen-taire. L’apraxie bucco-faciale est

fréquemment associée à un trouble de programmation articulatoire (anarthrie ou apraxie de la parole).

c•  Circonlocution : production verbale qui permet d’évoquer des propriétés sémantiques d’un item, lorsque le sujet ne peut évoquer le nom (« couteau : ce qui sert à couper la viande »).

d• Dysarthrie : trouble de la réa-lisation motrice de la parole, lié à un mauvais fonctionnement des groupes musculaires responsables de la production, impactant l’articu-lation, la respiration, la phonation, les systèmes de résonnance, la pro-sodie. Le trouble est stable, décrit

Glossaire

Page 22: Les aphasies - neurologies.fr · 244 Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160 L’aphasie de Broca Encore appelée aphasie motrice ou aphasie d’expression, elle

262 Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160

Dossier

comme permanent et uniforme, ne cédant pas à la dissociation auto-matico-volontaire.• Dysprosodie : modification de la mélodie du discours. Elle peut être la manifestation la moins sévère d’un trouble arthrique et prendre la forme d’un pseudo-accent.•  Dyssyntaxie : trouble de construction syntaxique se mani-festant dans les tableaux d’apha-sie fluente, avec l’emploi de mor-phèmes grammaticaux nombreux mais inadaptés (erreurs de nombre, de genre, prépositions, conjonc-tions…) et une difficulté dans l’orga-nisation des unités de la phrase.

e• Echolalie : production en écho des paroles prononcées par l’inter-locuteur, avec ou sans modification de la prosodie.

j• Jargon : discours fluide, avec de nombreuses déviations lexicales et syntaxiques, rendant le discours incompréhensible. Les transforma-tions lexicales sont phonologiques et/ou sémantiques. La prosodie est respectée. L’anosognosie, souvent associée, ne permet pas au patient de limiter sa production.

l• Logorrhée : production langa-gière accrue (“diarrhée verbale”) ir-répressible, fréquemment observée dans certaines aphasies fluentes.

m• Mutisme : suspension totale du langage oral.

p• Palilalie : production parasite correspondant à une répétition in-volontaire d’un ou plusieurs mots ou syllabes de la phrase. •  Paragraphie : transforma-tion à l’écrit qui correspond à la

paraphasie à l’oral. • Paralexie : transformation en lec-ture à haute voix, qui correspond à la paraphasie à l’oral.• Paraphasie : production ver-bale ne correspondant pas au mot attendu. Elle peut aboutir à un mot de la langue (paraphasie verbale), avoir un lien de sens (paraphasie sémantique) ou non, ou comporter une transformation sur la forme du mot (paraphasie phonémique, pho-nologique, morphémique) celui-ci restant reconnaissable. Lorsque le mot n’est pas reconnaissable (ou quand il y a moins de 50 % des pho-nèmes identiques à la cible) on parle de néologisme.• Persévération verbale : répétition d’un même mot produit une première fois de façon adaptée et qui réappa-raît de manière inadéquate, souvent de façon envahissante et incontrôlée. De la même façon qu’il existe des persévérations au niveau verbal, on observe des persévérations ges-tuelles ou idéatoires (sur une idée).

s• Stéréotypie : production répé-tée systématique et automatique des mêmes phonèmes, mots, syntagmes, significatifs ou non, à chaque tentative d’expression, émise de façon involontaire et in-contrôlée par le sujet, et qui enva-hit toute son expression, inhibant toute autre tentative de production. Cette manifestation s’observe dans les aphasies non-fluentes, géné-ralement associée à un trouble de programmation articulatoire (trouble arthrique) et un manque du mot. Termes linguistiques

g• Graphème : la plus petite unité du système graphique qui permet de transcrire les phonèmes. Il peut être composé d’une ou plusieurs lettres (o/au/eau).

l• Logatome : suite de phonèmes n’aboutissant pas à un mot de la langue mais respectant la phono-logie et les règles de construction de celle-ci (« nuronli »).

m• Morphème : la plus petite unité linguistique ayant une forme et un sens, qui peut être libre (« fleur ») ou lié (« -iste », morphème indi-quant une profession), c’est-à-dire n’existant que attaché à un autre morphème (« fleuriste »). Les mor-phèmes peuvent être lexicaux ou grammaticaux (« -ont » marque de la troisième personne du pluriel = morphème grammatical). De nombreuses transformations por-tant sur le mot peuvent toucher les morphèmes, aboutissant à des para-phasies morphémiques (denteur) et/ou des transformations syntaxiques (« je mangeons »).

p• Phonème : la plus petite unité distinctive de la chaîne parlée, dont le changement avec une autre unité permet de modifier le sens (p et b : « poule/boule »).• Phonétique : étude des sons utili-sés dans la communication verbale.• Phonologie : étude des sons d’une langue (les phonèmes) et de leur combinaison dans la chaîne parlée. • Pragmatique : branche de la linguistique qui s’intéresse aux aspects généraux de la communi-cation : le langage, mais aussi les gestes, les mimiques, les regards, le contexte, les actes de langage, l’implicite et tous les éléments qui participent aux échanges.

s• Sémantique : étude du sens, de la signification des mots.