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 Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne : (pour faire suite au Mendiant ingrat et à Mon journal) (7e éd.) Léon Bloy  Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

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Quatre ans de captivitéà Cochons-sur-Marne :

(pour faire suite auMendiant ingrat et àMon journal) (7e éd.)

Léon Bloy 

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

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Bloy, Léon (1846-1917). Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne : (pour faire suite au Mendiant ingrat et à Mon journal) (7e éd.) Léon Bloy. 1935.

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Quatre ans

de Captivitéà Cochons-sur-Marne

~poup FAIRE SUITE AU Mendiant Ingrat ET A Mon  J ournal

1 1

190~-1904AVEC UN AUTOGRAPHE DE L'AUTEUR R  

MERCVRE DE FRANCE

XXVt, RVE DE CONDÉ, XXVI

LÉON BLOY

e e

Léon Bloy est une gargouille

de cathédrale qui vomit les

eaux du ciel sur les bons et

sur les méchants.

JULES BARBEY D'AUEEVtLI.Y<

SEPTIÈME ÉDITION

PARIS

MCMXXXV

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11 1

Quatre ans de CaptivitéA Cochons-sur-Marne

II

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DU MBM ~M'EM

LE RÉVÉLATEUR DU GLOBE (Christophe Colomb et sa Béatification

future). Préface de J. Bar be y d 'A ur evi ll y (épuisé).P ROP OS D'UN ENTREP RENEUR DE DÉMOLITIONS (Stock).

LE PAL, pamphlet hebdomadaire (les 4 numéros  parus) (Stock).

LE DÉSESPÉRÉ, roman.

CHRISTOPHE C OL OM B DEV ANT LES TAUREAUX (epm~e).

LA CHEVALIÈRE DE LA MO RT (Marie-Antoinette).

LE SALUT PAR LE S J U IF S.

SUEUR DE SANG (1870-1871).

LÉON BLOY DEVANT LES COCHONS, suivi de LAMENTATIONS DE L'ÉPÉB

et de JE M'ACCUSE.

HISTOIRES DÉSOBLIGEANTES (Crès).LA FEMME PAUVRE, ép is od e c on tem po rai n.LE MENDIANT INGRAT (Journal de Léon Bloy), 2 vol.

LE FILS DE Louis xv i, po rt rai t de Louis XVn.

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS.

L ES DERNIÈRES COLONNES DE L'ÉGLISE (Coppée. Le R. P. JttdtU.

Brunetfëre. Huysmans. Bourget, etc.).

MON JOURNAL (Dix-sept mois en Danemark), suite du Mendiant

Ingrat (2 vol.).

QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ A COCHONS-SUR-MARNE, suite du Mendiant

Ingrat et de Mon Journal ( 2 v ol .) .

BELLUAIRES ET PORCHERS (Stock).L'ÉPOPÉE BYZANTINE ET G. SCHLUMBERGER   (ëptTttë).LA RÉSURRECTION DE VILLIERS DE L'ISLE-ADAM (épuisé).PAGES CHOISIES (1S84-1905).

CELLE QUI PLEURE (Notre-Dame de la Salette), avec gravure.

L'INVENDABLE, suite du Mendiant Ingrat, de Mon Journal et de

Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne.

LE SANG DU PAUVRE.

LE VIEUX DE LA MONTAGNE, STiite du Mendiant Ingrat, de Mon Jour-

nal, de Quatre ans de captuttfé d Cocnon~ur~Mcu'ne et de

Mnuenda&te. Deux gravures.VIE DE MÉLANiE, Bergère de la Salette, écrite  par  eUe-même. In-

troduction  par  Léon Bloy. Portrait de Mélanie.

L'AME DE NAPOLÉON.

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS (Nouvelle série).

SUR LA TOMBE DE HUYSMANS (Laquerrière).LE PÈLERIN DE

L'ABSOLU,suite du

Mendiant Ingrat,de Mon Joli-

nal, de Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne, de t'Jn-

vendable et du Vieux de la Montagne.JEANNE D'ARC ET L'ALLEMAGNE.

A U S EU IL DE L'APOCALYPSE, suite du Pèlerin de l'Absolu.

CONSTANTINOPLE ET BYZANCE.

HISTOIRES DÉSOBLIGEANTES.

DANS LES TÉNÈBRE S.

LE SYMBOLISME DE L'APPARITION, 1879-1880.

LA PORTE DES HU MBL ES , 1 91 5- 191 7, suite d'Att Seuil de l'Apocalypse,

Tous droits réservés.

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ler. A Rachilde en réponse à son article sur  

l'Exégèse des Lieux Communs (Voir  31  juillet)

Chère amie, j'espère que me trouverez un  peu mufle

d'avoir laissé votre article sans remerciement. Cela

me mettrait à l'aise  pour  vous avouer  que cet article

m'a fait de la  peine. J'avais tant compté sur vous

Songez donc Il n'y a  plus que vous aujourd'hui pour 

 parler  de ce que je fais et  justement l'jE~M~èM paraîtêtre le plus fermé, le plus inaccessible et le plus

inexpugnable de mes ouvrages, décidément.

Que s'est-il donc  passé? dites-le moi. Vous aviez si

 bien commencé ce malheureux article et vous me

 jetiez à la tête du  public avec une si aimable imper-tinence « Quel chef-d'œuvre déconcertant que ce nou-

veau livre de Léon Bloy, disiez-vous dès la  première

ligne, et quel beau rêve il a fait d'arracher la langue à

tous les  bourgeois » Ah 1 vous étiez bien  partie et

Septembre

IQ02

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ6

deux ou trois douzaines de maniaques, sur votre  parole,allaient m'acheter.

Soudain vous déchirez votre  papier, songeant

que la richesse ne fait  pas le bonheur, que je n'ai

 besoin de  personne, qu'on n'est  pas sur la terre

 pour  s'amuser, etc., enfin que « Rien n'est éternel ».

Car vous l'avez écrit, celui-là, à la quatrième avant-

dernière ligne de votre article. Je l'avais oublié ou

négligé, moi, comme  j'en avais oublié ou négligé tant

d'autres, pour que mon livre n'eût  pas les inconvénients

d'un Bottin.

Monstrueusement vous écrivez  pour plaire à qui g

 pas à vous-même, je pense que « Bloy est beau-

coup plus près de Ravachol, que de J ésus ». Autant

dire, sauf  respect, que je dîne  plus volontiers d'un

étron que d'une  poularde truffée. C'est affligeant.

Enfin, ma  pauvre Rachilde, convenez-en, pour  une

raison que je ne devine  pas, vous avez inventé le truc

lamentable de faire semblant d'avoir à  peine feuilleté

mon infortuné  bouquin, surtout de n'en avoir    pas lu

la  préface.

Tant  pis vous êtes-vous écriée, Bloy pensera

qu'à force de lire  professionnellement des inepties ou

des saletés, je suis déprimée au  point de ne  plus

 pouvoir  discerner un livre généreux et fort et d'être

sans courage pour   en  parler  comme il faudrait.

Alors, ô Rachilde, cette fois, je suis tout à fait

vaincu. J'ai eu, un instant, la velléité de vous écrire

ces choses comme une réponse à  publier  dans le

Mercure; mais la dégoûtation de me faire à moi-même

de la réclame

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A COCHONS-SUR-MARNE 7

2. Je tâche de décourager  un  pauvre de se

saigner pour   moi, en lui disant que ma déli-

vrance coûterait environ 50.000 francs, si on vou-

lait vraiment me délivrer, ayant le  pouvoir  de le

faire.

3. Lecture du merveilleux  poème de ce

triple bourgeois de Thiers, dont la sagesse borgneet  piedbote ne  parvient pas à détruire la magnifi-cence de  Napoléon.

4. Relu les vieilles lettres de d'Aurevilly,d'un enfantillage si triste  pour  moi, mais qui in-

téresseront peut-être beaucoup

degens.Une habitante nous honore de sa visite. Je vois

une laideron mécanique, disant des sottises  pré-vues d'une manière sèche et coupante; une mal-

heureuse créature sans éducation ni intelligence,venue très-visiblement  pour  faire de l'effet, peut-être  pour  m'éblouir et qui ne pense qu'à elle seule.

Il est impossible de manquer  plus complètementde tact, de simplicité, de lumière et d'être  plus

antipathique.Dès les  premières minutes, elle a cru devoir me

 parler  de la Femme  pauvre que Jeanne lui avait

 prêtée, et dont elle dit avoir lu la  première partie.C'est gentil, très-gentil, mais c'est sérieux,

très-sérieux, a-t-elle  prononcé. Au surplus, elle

me  promet son  jugement, quand elle aura fini.

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QUATRE ANS DE C AP TIVITÉ8

Jeanne lui ayant parlé de Sueur de .SaM~. Oh

les récits militaires, c'est trop aride, a-t-elle ré-

pondu.L'énormité de cette sottise commençant à me

suffoquer, j'ai pris la fuite. Je  pense qu'elle a dû

me mépriser  fort de goûter  si  peu sa  présence.

6. L'histoire de  Napoléon m'enivre. Par 

elle, notre situation affreuse est rendue tolé-

rable.

L'affreux Vignoble, l'ancien curé de Ceux-d'En-

Haut, a un successeur  digne de lui. Visiteur fré-

quent de sa vieille église que j'aime, et ne connais-

sant que de vue le nouveau pasteur, je me persuade

que ce serait la chose la  plus simple de lui em-

 prunter  cinq  francs à rendre le lendemain, devant

faire une course utile à Paris, demain matin, et

n'ayant pas même l'argent du voyage.Je n'ai  pas tardé à savoir  que rien n'est simple

avec les curés. On faisait le chemin de croix.

Quel chemin de croix Ces méditations d'une sen-

timentalité de séminaire où Marie est nommée« pauvre mère sont haïssables au-delà de toute

expression. Puis, quelle rage ils ont, tous ces

 prêtres, de dire toujours en français des  prières,telles que le Pater, l'Ave, les Litanies, etc. Que

 pourraient faire de  plus des  protestants?

Après cet exercice de  piété, je vais résolument

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trouver le curé à la sacristie et  je reçois l'une des

belles mortifications de ma vie Dès qu'il a compris

que je lui demande un service d'argent, sa figure,'d'abord bienveillante, change. Il n'y a  plus devant

moiqu'un

masqued'hypocrisie

et d'avarice et me

voilà forcé, malgré mes  protestations, de subir 

une élégie pleine d'aigreur  sur la  pauvreté sacer-

dotale. Il me  parle des indigents de sa  paroisse

qu'il faut d'abord secourir et de l'infidélité certaine

des  prétendus emprunteurs, etc. Impossible de

faire comprendre que je demande le service le

 plus banal et  pour vingt-quatre heures seulement.

J'ai beau faire, il veut que je sois un mendiant et

 j'opère ma retraite, inondé d'ignominie. Je n'ai

 pas de chance à Ceux-d'en-Haut, décidément. Ce

serviteur de Dieu se nomme Toudou.

7. Ma visiteuse d'il y a trois  jours, a chargé

quelqu'un de me faire tenir son appréciation de

la Femme  pauvre. Voicice très-précieux jugement

 promis: Ce monsieur est comme moi, il n'est

 pas fait pour vivre

à Cochons! Maintena'ntje n'ai plus le droit de me  plaindre d'être  privé de sa-

laire.

9. Consulat et Empire. Malgré l'auteur, cette

histoire est  pour  moi si vivante que je souffre

réellement de l'abandon du  projet de descente en

Angleterre, comme  j'ai souffert précédemment de

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l'évacuation de l'Egypte. Autre  peine. Comment

exprimer, dans le sens du symbolisme en histoire,

la grandeur  absolument unique de  Napoléon? C'est

décourageant.Alfred de Vigny, dont  je relisais tout à l'heure

le Dialogue inconnu, n'y a rien compris, rien de

rien.

10. Rachilde répond à ma lettre du i". Il

 paraît que c'est un « bon chanoine (?) qui lui a

fourni le mot « plus près de Ravachol que de

Jésus ». Joli, le chanoine. Appartient-il à la col-

légiale de Priape ou à celle de Bacchus ?

La  publication des lettres de Barbey d'Aure-villy à moi est décidée. La personne que le  pauvre

Barbey, aux trois quarts détruit, institua sa lé-

gataire daigne y consentir, mais à condition quetout ce qui ne sera  pas le texte même du mort

soit soumis à son examen. Le recueil paraîtra donc

sans  préface ni commentaires. On aurait  pu avoir 

un livre, on aura de la raclure de tiroir. ~ima-

riorem morteMM/Mr~K,

a dit Salomon.

li. J'arrive enfin à la campagne de 1805,

après cette catastrophe horrible de l'abandon forcé

du  projet de descente en Angleterre.

Aujourd'hui même on apprend que les généraux boers qui avaient capitulé, comptant sur  la bonne

foi anglaise, ont été abominablement roulés.

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Juste salaire de leur  stupidité. Ces calvinistes

offraient quelque intérêt, les armes à la main.

Maintenant, c'est fini. Il ne reste  plus que des hé-

rétiques imbéciles à qui Dieu n'a  pas voulu don-

ner la gloire de démolir la maquerelle des na-

tions.

12. La campagne de 1805 me  prive de toute

énergie pour m'occuper  avantageusement de quoi

que ce soit.

On  peut être un imbécile et  pratiquer  tout de

même l'imparfait du subjonctif, cela s'est vu. Mais

la haine de l'imparfait du subjonctif  ne  peut exis-

ter  que dans le cœur d'un imbécile.

15. Le Matin  publie une lettre inouïe du car-

dinal Rampolla. « II a été résolu, dit cette lettre,à  propos d'un refus d'audience, que le Saint-Père

ne dirait rien, et la simple sagesse exige qu'il ne

dise rien à  personne, ni même fasse un acte qui

 pourrait avoir des commentaires inopportuns. »

Le Pape se désintéresse de la chrétienté La

« prudence »,

la «sagesse M exigent qu'il

sacrifie

son troupeau. Du moins ses domestiques lui

donnent cette attitude.

Question. Pourquoi un homme ne  peut-il pasdire sans ridicule Je. suis un  penseur, alors qu'il

inspire du respect et même de l'admiration en di-

sant Je suis un libre-penseur?

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ12

16. Étonnement de ne  pas trouver en la

 bataille d'Austerlitz, le foudroyant chef-d'œuvre de

stratégie que j'avais rêvé. Il est vrai que le narra-

teur est un misérable. Cependant il avait  paru

éblouissant, tout de même, dans le récit de Ma-

rengo.

18. Je rôde autour de cette Prusse abjecte et

redoutable de 1805 et 1806, que Napoléon aurait

détruite si Dieu n'avait  pas eu besoin qu'elle durât

 pour  l'humiliation de la France.

Je ne me lasse  pas d'admirer la  précision et la

fidélité de mon ami Vallette, directeur du Me?*-

cure de France, l'un des rares hommes tout à faitsûrs que j'aie rencontrés.

20. Jeanne a inutilement attendu une  petitecouturière qui venait le samedi, depuis deux ou

trois mois. La dernière fois, elle nous avait fort

dégoûtés par  le déploiementd'une douleur  sublime.

Ayant enterré sa grand'mère, huit  jours aupara-

vant, elle avait décidé de nous étonner du fastede sa  piété filiale et nous avait servi, toute la

 journée, une larmoyante gueule, affectant, pour 

que la beauté de son cœur fut indiscutable, de

montrer  la  pire humeur aux  pauvres enfants gla-

cées du givre de cette affliction. Qu'elle dispa-raisse à  jamais 1

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A COCHONS-SUR-MARNE 13

21. Consulat et Empire. Iéna. Une chose me

frappe qui pourrait être la matière d'une belle

 page. C'est la solitude inouïe de  Napoléon. Sans

doute il fut secondé  par  ses lieutenants, parfois

d'une manière admirable; des fonctionnaires for-

més par lui le servirent avec dévouement et

intelligence. Mais qui aurait  pu, dans tout l'uni-

vers, être le compagnon de ce  prodigieux Rê-

veur ?

22. Rien n'arrive que la tristesse. Je suis

indigné de la médiocrité de ma vie, aussi mécon-

tent que possible de moi-même. La sainteté est à

une distance infinie et semble reculer   toujours.Puis, la misère du corps,'de ce corps, compagnon

 jusqu'ici robuste et  jeune, d'une âme consumée et

douloureuse. Je deviens tout à coup très-vieux.

Eylau. A  propos du  projet de temple en l'hon-

neur  de la grande armée, qui est devenu l'église

de la Madeleine, médiocrité, incompréhension

totale de  Napoléon en art. Voir les  premières

pages du livre XXVI de Thiers.

23. Mon  jésuite m'envoie une  petite photo-

graphie de l'inimaginable et terrifiant crucifix

vénéré à Uden, dans une chapelle de Croisiers et

dont  j'apprends aujourd'hui l'existence. L'histoire

de ce crucifix miraculeux est inouïe et l'image'qui

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est sous mes yeux, quoique insuffisante, est abso-

lument terrible. Me voilà hanté. Cette vision me

 poursuit jusque dans les lieux  profonds de mon

âme où  j'ai rarement l'occasion de pénétrer. Je dis

à l'envoyeur  l'effet  produit sur  moi  par  cette.

image « Elle fera  peut-être de moi un saint. Lavue continuelle des catholiques de Cochons-sur-

Marne ne suffisait  pas. Le dégoût peut accélérer une

fuite salutaire, mais la vomissure est un mauvais

tremplin pour   sauter dans le Paradis. »

25. Paiement douloureux de nos contribu-

tions. Je ne me  prive pas d'exprimer  au  percep-

teur mes sentiments vrais. Gracieuse assimilationde son guichet à un trou de latrines où l'on me

forcerait de  jeter le  pain de mes enfants devenu

ainsi le  pain de Trouillot, l'apéritif  de Pelletan ou

le  pantalon de l'abbé Combes!

Entrepris avec désespoir  la lecture d'un recueil

manuscrit de vers libres soumis à mon examen.

C'est navrant. Le vers libre est, à mes yeux, l'une

des pires aberrations modernes, l'une de cellesqui proclament avec des éclats de fanfare, l'affai-

 blissement de la Raison. Remplacer  le mystèretout à fait surnaturel du Rythme et du Nombre

 par  des alinéas et des signes de  ponctuation, ce

n'est pas seulement de la sottise, c'est de la  per-versité.

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A COCHONS-SUR-MARNE 1&

29. Saint Michel. Mort de Zola. La nou-

velle de cet heureux événement est apportée,

avant toute information des  journaux, par  une

voisine qui se trouvait aux environs de la  porche-

rie. Nous sommes saisis de cette idée que l'auteur 

des Quatre Évangiles dont  j'annonçais, il y a

deux ans, la très-salé fin, est crevé le  jour même

de saint Michel, et dès le matin..9~!7M; virtute,

in infernum detrude. (Voir  le  post-scriptum de J e

M'accuse H ) Le sacrilège goujat n'a  pu torcher son

quatrième évangile. QnELon'CN en avait assez.

30. A l'auteurdes  poésies manuscrites men-

tionnées un  peu plus haut

Il y aurait un moyen de noas entendre qui serait

de ne  pas parler  art. Je suis un traditionnel, un homme

d'autrefois. J'ai besoin de l'Autorité, c'est-à-dire de

l'Obéissance et'de la Discipline en toutes choses

Besoin absolu. Vous vous appuyez à tort sur  moi. J'ai

fait des  poèmes en  prose, mais non  pas des vers tibres.

Cela  jamais. Je deviens dangereux quand on m'en

 parle.

J'ai lu, autant

que je pouvais,

votre manuscrit.

Eh bien, puisque vous insistez, voici Il y a dans la

 plupart de ces  pièces et surtout dans celles qui vous

tiennent le  plus au cœur, non seulement l'adoptiond'une forme horriblement défectueuse, mais, hélas

~'absence de style et d'originalité; pis que cela, le

manque absolu de  pensée, de conception centrale et

génératrice. Le morceau que vous m'avez tant recom-

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ16

mandé est navrant. Mais quand vous touchez aux

choses religieuses, c'est une misère à faire  pleurer.Une chose, d'ailleurs, que vous ignorez éperdûment,

c'est que l'art n'est  pas mon but, mais seulement un

instrument dont  j'ai appris à me servir comme d'une

épéeou d'un canon et

que je suis, avanttout et

 plus quetout, une âme religieuse. Je donnerais tous les artistes

du monde et tous les chefs-d'œuvre de l'art  pour l'Oraison <~oM!:K!c~e dite  par  un mendiant au bord

d'un fossé. Savez-vous seulement ce que c'est que cette

Oraison? Non, n'est-ce  pas? Alors que pouvez-vous

comprendre à un homme qui n'a écrit que pour  en  pa-

raphraser  les syllabes et qui pense continuellement à

la mort? P

Ily a,

en cemoment,

rue deBruxelles,

une « cha-

rogne infâme » qui ne sera chantée  par  aucun  poète,habitacle déserté d'une très-sale âme qui sait, depuis

vingt-quatre heures, à quoi s'en tenir sur l'Oraison

dominicale.

Les  journaux confirment la bonne nouvelle.

D'après un reportage, le Crétin des Pyrénées aurait

crevé dans sa littérature. On l'aurait ramassé dans

les excréments. Dans le Matin, dithyrambe desfrères Margueritte, littérateurs à quatre pattes,

comme les Rosny ou les Goncourt. Il y est  parlé

du « chemin » de Zola qui fut un « calvaire ».

Dans le même  journal, interview de Huysmans

déclarant que Zola a été « un brave homme M

Dans la Libre Parole, interview du même Huys-

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A COCHONS-SUR-MARNE 17

mans, .d'une lâcheté incroyable dépassée seule-

ment  par Coppée, disant que « la mort  purifie ».Au résumé, l'excrément surabonde en cette

mort. Crevailles scatologiques. L'Écho de Paris

explique que M"" Zola qui survit à son mari

considéré comme ayant vécu « doit son salut

au fait qu'elle a  pu arriver   jusqu'à son cabinet

de toilette ». Émile, moins béni, n'a  pu se  préci-

 piter  assez rapidement vers les latrines.

Jeanne ayant eu l'occasion de voir les reli-

gieuses de Saint-Joseph, en a été bien reçue, mais

on lui a fait subir une sorte d'interrogatoire ten-

dant à connaître nos ressources, mes gains d'écri-

vain, la contenance approximative de nos  pots dechambre, etc. Vous mettez de côté, n'est-ce

 pas, madame? a dit une-des Mères. Tout cela

accompagné d'une inintelligence miraculeuse. On

veut que je sois une sorte de commerçant. Aprèsune lutte ridicule, Jeanne est revenue écœurée.

Octobre

1" Suitedessaletés.L'~M?W6réclamelePanthéon.LaZ~reParolequine cessederécla-

2

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18 QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ

mer  l'égoût, publie une image allemande repré-sentant Zola en saint Michel, habillé de fer, tenant

à la main une épée sur la lame de laquelle est

écrit imbécilement le mot Vérité et terrassant une

sorte de dragon wagnérien en  papier  mâché. A

la marge « Vive Zola, le vengeur MA Vallette à  propos des Lettres de Barbey d'Au-

revilly. Réponse à la  proposition d'une note  pré-liminaire explicative et devant être contrôlée

Privé de liberté, quelles explications pourrais-jeoffrir? A cinquante-six ans le  putanat est sans avenir,

vraiment, sans  profit et sans excuse.

2. Que font les Anges Gardiens dont c'est

aujourd'hui la fête? On annonce Jt<~es Barbey

d'Aurevilly, sa Vie, son ÛEMurc, par  EugèneGrêlé (!"?) 1 vol. in-8.. Ce  bouquin aurait été

fait sur les documents les  plus sérieux. Rien n'y

manquerait. La  preuve, c'est que je n'ai  pas été

consulté, bien que j'aie vécu dans l'intimité de

d'Aurevilly, de 1867 à 1889. N'est-il  pas admi-

rable que cette  publication, évidemment inspirée

 par  la légataire, œuvre d'un de ses  petits amis,

et toute à sa gloire, j'imagine, soit annoncée

 juste au moment oü  je vais avoir besoin et soif  

d'une revanche?

3. La  publication par  le Mercure de F~Mce

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A COCHONS-SUR-MARNE 19

d'un de mes  premiers essais littéraires la Mé-

duse-Astruc, sorte de  poème fou à  propos d'un

 buste de' Barbey d'Aurevilly, est bizarre. Elle me

donne l'air d'un écrivain mort et enterré dont on

aurait gratté les vieux tiroirs.

Le  boulanger, ce matin, m'a  parlé de ma noteavec une éloquence intérieure, comme, autrefois,les  premiers chrétiens parlaient du royaume de

Dieu.

On raconte l'immense et  panique horreur de

Zola  pour  la mort. Il  paraît que ce maudit était

 jeté, quelquefois, hors de son lit  parla pensée de

la mort, en  proie aune épouvante indicible.

4.. Idée d'une étude sur   Barbey d'Aurevillyà  propos de ce Grelé dont l'existence me fut révé-

lée avant-hier. Je dis « existence M parce que la

langue est  pauvre.

5. Mot du  poète de l'Ensorcelé sur  Zola à

 propos de Po~-BoM!c et des dîners de Médan

Ah! qu~il a donc tort de manger! vous voyez

le résultat.

Rappelé dans l'Écho de Paris par  Octave Uzanne,

le  jour même des funérailles du Crétin.

6. Article de Joergensen sur Zola dans le

Vort Land (Notre pays), grand journal de Co-

 penhague. Cet article, intitulé ironiquement Un

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ20

Afa?' et  pensé fort médiocrement, est une es-

pèce de tour de force.  J oergensen a réussi à

écrire  plus de trois cents lignes sans me nommer 

une seule fois. Comment a-t-il  pu faire? Il avait

mon livre Je m'accuse. ouvert devant lui  pour la circonstance et il y puisait à chaque instant.

Parmi les morts, il nomme Barbey d'Aurevilly et

Villiers de l'Isle Adam, catholiques l'un et l'autre,

dont les deux noms invoquent le mien avec des

cris désespérés. Parmi les vivants ou les suppo-sés vivants, il nomme Anatole France et Remy de

Gourmont, deux ennemis déclarés de Notre Sei-

gneur  Jésus-Christ. Ceux-là sont les virtuoses de

langue, les SEULS qu'il veuille connaitre. Quelleforce il lui a fallu  pour  résister à ce  point aux

injonctions impérieuses de sa conscience! Joer-

gensen, que j'ai cru « un homme envoyé de Dieu o

(voir  Mon Journal, p. 156 et suiv.), est donc un

 journaliste comme les autres et, me croyant mort,

sans doute, il  jette, lui aussi, sur mon cercueil, sa

 poignée de terre scandinave. Quelle honte! Moi

qui l'aimais comme un frère et qui l'ai fait con-naître en France, en parlant de son œuvre comme

nul n'en parlera jamais! Ah! rien ne, m'aura été

épargné! Il sait  pourtant combien  je suis aban-

donné et combien les contemporains sont injustesà mon égard! 11 le sait mieux que personne en

Danemark, et le livre qu'il avait sous les yeux en

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A COCHONS-SUR-MARNE 31

écrivant cet article, il m'a dit que c'était unchef-

d œuvre. Comment a-t-il  pu s'y prendre pour   ne

 pas écrire mon nom et  pourquoi? Les voilà donc,

ces catholiques scandinaves!

7. René Martineau met à ma disposition le

livre du Grelé dans lequel il n'est  pas parlé de

moi, dit-il, sinon à la fin où on me mentionne ra-

 pidement comme un « ami commun qui a été

chercher  un  prêtre, démarche, au surplus, sans

importance. Notre vie est le  prix surnaturel d'un combat

furieux de chaque jour. J'ai voulu suivre Jésus et

voilà qu'il me sème dans le désert, in terra deserta,i~UM et !M~M(MN.

8. On dira ce qu'on voudra, je ne  peux pas

 prendre mon  parti d'avoir  des amis ou admira-

teurs vivant dans l'abondance. J'avais à  peine dix

ans, lorsque je lus, dans un  pauvre livre de distri-

 bution de  prix, une histoire intitulée naïvement

Le Fils sensible. Il faut croire qu'il y avait, dansce récit enfantin, une vertu divine, car le souve-

nir m'en a accompagné toute ma vie. Il s'agissait

simplement d'un  petit garçon pleurant au collègedevant un bon repas et refusant de manger  en se

rappelant la très-pauvre table de ses  parents.

Après quarante-cinq  ans, je pleure encore, moi le

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ22

vieux ~<:M!e'<<N7'e, en me rappelant cette chose

si humble et si lointaine.

9. Nous vidons les  pauvres tirelires des en-

fants  pour passer  la  journée.

10. Rien n~arrive qu'un temps très-doux,

quasi printanier, qui semble narguer notre peine.Je meurs de chagrin.

11. Est-ce possible que durant toute ma vie

terrestre, je n'obtienne  jamais un  peu de  justice?

12. CoMSM/a< et Empire. J'arrive à la grande

insurrection d'Espagne. La cause de ce soulève-ment de tout un  peuple, l'acte de Bayonne, si ver-

tueusement blâmé  par  Thiers et, sans doute, à

cause de cela, digne de louanges, est à étudier, au

moins dans ses conséquences qui ont épouvantéle monde. Cette guerre d'Espagne ayant été le

commencement de la chute, n'est-il  pas infiniment

à  présumer que c'est là qu'il faut chercher  la clef 

du mystère de cette inimaginable Préfiguration?

13. Trouvé dans Thiers une belle  page sur 

la capitulation de Baylen. C'est donc une espèce de

 prodige. Fallait-il que ce médiocre eût la gloiremilitaire de l'Empire au fond du cœur Je copie

M. de Villoutreys, revenu auprès de son général

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A COCHONS-SUR-MARNE 2~

en chef, est chargé d'aller  sur  la route d'Andujar  à la

la rencontre du général Castanos  pour  faire ratifier la

trêve consentie  par  ses lieutenants. L'infortuné géné-ral Dupont, jusque-là si brillant, si heureux, rentre

dans sa tente, accablé de  peines morales qui le rendent

 presque

insensible aux  peinesphysiques

de deux bles-

sures douloureuses. Ainsi va la fortune, à la guerrecomme dans la  politique, comme  partout en ce monde,

monde agité, théâtre changeant, où le bonheur et le

malheur  s'enchaînent, se succèdent, s'effacent, ne lais-

sant après une longue suite de sensations opposées

que néant et misère 1

Trois ans auparavant, sur  les bords du Danube, ce

même général Dupont arrivant à  perte d'haleine au

secours du maréchal Mortier, le sauvait à Diernstein.

Mais autres temps, autres lieux, autre esprit

C'était en décembre, et au nord c'étaient de vieux

soldats  pleins de santé et de vigueur, excités  par  un

climat rigoureux au lieu d'être abattus  par  un

climat énervant, habitués à toutes les vicissitudes de

la guerre, exaltés  par  l'honneur, n'hésitant  jamaisentre mourir et se rendre. Ceux-là, si leur    positiondevenait mauvaise un moment, on avait le temps d'ac-

courir  à leur aide et de les sauver. Et

 puisla fortune

souriait encore et réparait tout  personne n'arrivait

tard, personne ne se trompait, ou bien, si l'un se

trompait, l'autre corrigeait sa faute. Ici, dans cette

Espagne où l'on était si mal entré, on étaitjeune, faible,

malade, accablé  par  ce climat, nouveau à la souf-

france. On commençait à n'être  plus heureux et si l'un

se trompait, l'autre aggravait sa faute. Dupont était

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ24

venu au secours de Mortier à Diernstein Vedel n'al-

lait venir  au secours de Dupont que lorsqu'il ne serait

 plus temps.

16. Entrepris la lecture du Grelé. C'est un

livre ridiculeet,

autantque j'en peux juger par les  premières pages, le livre d'un ennemi. -La per-

sonne qui l'a inspiré et qui n'est certainement  pasune idiote, aurait donc été et continuerait d'être

une ennemie de d'Aurevilly et même la  plus dan-

gereuse. Assertion toute simple qui semblera

excessive.

17. Lu toute la  journée le Grelé dont la sot-

tise m'intéresse, mais  je continue à  penser  qu'il ya autre chose que de la sottise. Je fais cette re-

marque, une fois de  plus, que jamais d'Aurevillyne me  parlait de sa  jeunesse, sinon d'une manière

extrêmement vague. Il ne remontait  pas plushaut que 1840, n'avouait rien au-delà. Il eût été

au-dessus de son courage de dire qu'il avait été

un  jeune homme en 1825. Quel âge a-t-il mainte-

nant, là-bas, dans le Gouffre?

20. Campagne nationaliste, livre inepte à

 prétentions apologétiques de ce Jules Soury, dis-

ciple de Renan, qui trouva, il y a vingt-cinq  ans,

 je crois, le secret d'aller   plus loin que son maître

dans la vilenie de  pensée et dans le blasphème,

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A COCHONS-SUR-MARNE 25

étant un de ces Exclus en faveur de qui la moindre

velléité de  pardon semble à  jamais impossible. Il

 paraît que celui-là, de même que Coppée ou Huys-

mans, est devenu, lui aussi, une colonne de

~E'</t'Me.

22. Messes de sept heures et de huit heures.

Ce n'est  pas aujourd'hui seulement que nous re-

marquons la différence de ces deux messes.

D'abord il y a une grâce certaine, inhérente à la

 première, à la messe de l'aube, en quelque pays

que ce soit. Puis, à Cochons, c'est la seule où

 puissent être rencontrées trois ou quatre personnes

qui prient. La messe de huit heures est dite  pour le troupeau de M. le Doyen, c'est-à-dire  pour  les

dames qui veulent bien honorer  l'église de leur 

 présence.Ces  pieuses servantes du d émon créent néces-

sairement une atmosphère dangereuse que j'aisentie plusieurs fois et dont Jeanne a  beaucoup

souffert. J'y résiste mieux, ayant l'âme  plus forte

que les âmes réunies de ces misérables créaturesqui ne  peuvent m'infliger  leur ascendant.

24. J'arrive à la fin du Grelé dont l'inexacti-

tude, la sottise et la  perfidie augmentent, bien

entendu, à mesure que la conclusion approche,c'est-à-dire lorsque l'inspiratrice entre en scène.

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26. Patronage de la Sainte Vierge. Des

quatre pauvres que nous sommes, trois ont reçuDieu ce matin, leur Dieu vivant. Jeanne est ma-

lade. Qui consulter  dans ce  pays d'imbéciles et

comment lui donner la nourriture dont elle aurait

 besoin ?

27. Il y a, en haut de Cochons, un fantôme

qui aurait fait  peur  à Edgar  Poe. Une vieille de

théâtre, autrefois sautante ou gueulante, mais

ayant attrapé la richesse, réside continuellement

dans je ne sais quelle caverne au fond d'un  parcoù nul ne  pénètre. A l'entour un groupe de mai-

sons inhabitées  par  la volonté formelle de cetteruine qui les acheta tout exprès pour que l'incu-

rie et les météores en fissent des ruines comme

elle, des ruines impitoyables qui puent et qui font

horreur. La  propriétaire avait besoin de silence,

craignant peut-être que le moindre bruit ne ré-

veillât certains souvenirs. Ne  pouvant obtenir ce

silence ni des oiseaux ni du tonnerre, elle a tâché

de le réaliser ainsi. Les miséreux ou les vagabondssans toit qui passent devant ces demeures fermées

et mortes que dévorent les quatre saisons, doivent

avoir des  pensées ou des sentiments qu'enregistreavec attention le  plus effrayant des Anges.

29. Dans une heure d'enthousiasme  pour son mari, Jeanne écrit une notice très-belle qui

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A COCHONS-SUR-MARNE 27

me fait le  plus grand honneur. [Elle a~etë  publiée,

quelques mois  plus tard, dans le VII1° volume de

l'album Mariani. Je tiens à la reproduire ici,

n'imaginant pas un écrivain capable de mieux

faire.]

Léon Bloy

JC&ÉPAR SA FEMME

Par ces temps d'américanisme, de féminisme, de

snobisme à outrance, où tout se fait  par groupe ou  par 

troupeau, il serait  peut-être bon de se reposer  la vue

en contemplant une  peinture des Primitifs qui existe,

vivante au milieu de nous, au fond d'un sublime gre-nier où seuls  pénètrent le soleil et le son des cloches.

Un homme, d'une cinquantaine d'années, « la tête

 blanchie  par  l'écume des cataractes de la Turpitude

contemporaine », subsiste comme il  peut, hors dumonde, hors de la société des hommes, par  sa volonté

et  par  la volonté de cette société qui n'aime  plus l'Art.

Cet homme est un solitaire contemporain des Van Eyck 

et des Cimabue. C'est un a dorateur de la Croix et un

habitant du Rêve.

Il se nomme LÉON BLOY.

Investi d'une magnificence d'imagination tout à fait

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ28

unique, il ne cesse de verser ses images, tantôt

farouches, tantôt naïves et délicieuses, dans ses livres

toujours renaissants au moment où on le croit vaincu,

toujours édités, parce qu'il existe un groupe de  plus en

 plus nombreux qui les veut toujours enfouis dans le

silence de la

 presseinfâme; et remontant,

quand

même

et toujours, à la surface de la littérature contempo-

raine, comme une épave sublime d'un vieux corsaire

qu'on voudrait couler à fond, mais dont le capitaine a

le don de marcher sur les eaux.

Voilà, en quelques traits, cet homme d'un autre

'emps, cet écrivain de  premier  ordre qui ne vous lais-

sera  jamais sans réponse par   une intuition toute

 prophétique si vous vous avisez de lui demander 

conseil.

Lisez la Femme  pauvre, son oeuvre de maturité,

lisez ensuite le .DMMp~e', livre qui le rendit célèbre, il

y a quinze ans, et comparez la suavité douloureuse de la

 première avec l'ouragan du second. Vous trouverez le

même homme, fort  parce qu'il aime, que ce soit dans

la tempête pour  sauver son âme, ou bien dans la  paix

 pour  sauver celle des autres.

Quand votre esprit, secoué  par  les émotions de ces

lectures, désire se

reposer sans descendre des hau-

teurs, prenez alors son Salut par  les Juifs, écrit  pour une élite de  penseurs avec tout son art et qui vous

force à vous mettre à genoux. D'une main ferme et

tranquille, l'esprit dans les cieux et le cœur en feu, i!

 plie la Parole à sa volonté et vous imprime sa  pensée

qui veut l'action dans le calme, la guerre dans la  paix.l'adoration sous la cuirasse.

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A COCHONS-SUR-MARNE 29

Mais de l'avoir  entendu lire ses œuvres vraiment ins-

 pirées, seuls les quelques amis qui lui restèrent fidèles

s'en souviendront La voix sonore, mais souple, à qui

la grande âme qui la soutient  prête des accents inouïs

d'amour  ou de colère, ne  pourrait être oubliée, une fois

connue. L'intensité duregard

sous les deux plis gravesde son front se fond en tendresse infinie quand un ami

lui  parle. On sent que l'écrivain et l'artiste, quelque

grands qu'ils soient, ne donneront rien au-dessus de

l'Amitié forte et tendre qui sait faire des sacrifices  jus-

qu'à se dépouiller  de tout, jusqu'à porter  avec  joie le

manteau d'ignominie que lui  jetèrent tous ceux qui

dirigent et détiennent aujourd'hui l'opinion, manteau

fait de calomnie, de mensonge, d'envie, de haine  pour le Beau. Celui

quiavait tout donné fut

appeléun men-

diant!

LÉON BLOY demeure. On a voulu le tuer    par  le

silence, l'arme la  plus lâche et la  plus meurtrière

contre un écrivain. Pourquoi ? Parce qu'il n'est  pas

comme les autres; parce qu'il a eu horreur   de vendre

sa  pensée parce qu'il. a  pris au sérieux le Christia-

nisme.

Sans le vouloir  on lui a facilité sa vie qui ne  peutavoir  lieu

quedans la solitude. C'est là seulement

qu'iltrouve l'eau vive de la  prière et c'est là qu'il désire

qu'on le laisse. Age d'argent qui est le nôtre, il fallait

ton cadre abject autour  de cette image d'un solitaire

 pleurant d'Amour  qui te hait  parce que tu as volé la

Gloire

Voulez-vous connaître les  paroles de réprobation

que LÉON BLOY  profère contre le monde, c'est-à-dire

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ30

contre le Bourgeois, qui est le roi de l'argent, et l 'en-

nemi du Beau? Ouvrez alors son Exégèse des Lieux

Communs et vous  passerez de gais moments en voyantavec quelle justice et quelle bonhomie on exécute votre

voisin.

La variété estun des traits

les  plus remarquablesde l'œuvre de LÉON BLOY. Sa  place est, de ce fait,

tout indiquée dans quelque grand journal dont il

ferait le succès, car la source de son génie est intaris-

sable et tandis que, l'un après l'autre, nos soi-disant

grands hommes défaillent ou s'épuisent, lui reste

debout, maître de sa  pensée, tantôt tragique comme

dans ses souvenirs de la guerre de 1870, Sueur de

Sang, tantôt amusante et satirique comme dans ses

Histoires désobligeantes.Son AfeM~MïM~ ingrat nous initie enfin à sa vie de

tous les  jours, vie de douleur et de  joie qu'il partage

avec les siens et qu'il n'a  pas craint de raconter. Nous

engageons tous ceux qui ne trouvent  pas de quoi se

nourrir dans la littérature qu'on leur  sert aujourd'hui,

à frapper  à la  porte de ce méconnu qui les invite à

l'accompagner  à travers son existence exceptionnelle

dans ce livre fait de soleil et de larmes.

 J eanne LEON BLOY, née Molbech.

Thiers. Prise de Madrid. Me voilà débarrassé

du  préjugé d'enfance de l'héroïsme des espa-

gnols contre  Napoléon. Le grand homme les mé-

 prisait comme une lâche et infâme canaille et il

avait raison, exception faite  pour  Saragosse. Mais

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que penser  d'un héroïsme qui a besoin de mu-

railles ?

30. Voici deux  bourgeois, l'homme 'et la

femme, ayant passé ensemble un demi-siècle, sans

avoir  jamais dit autre chose que des lieux com-

muns, sans s'être  jamais rien dit. Si Dieu vou-

lait qu'ils s'aperçussent tout à coup dans la

Lumière, ils ne se reconnaîtraient pas.

31. Les  journaux racontent que le roi de

Portugal, en visite à Paris, ces  jours derniers, a

fait l'ignoble Combes grand-croix de l'Ordre du

C/Mt~/ i

 Novembre

1* Fête de tous les Saints. Je demande,

une fois de  plus, l'indépendance pour   être en étatde faire mon œuvre qui est de combattre l'espritdu. siècle, de l'accabler  terriblement, pour  l'hon-

neur de Dieu et la gloire de tous ses Saints.

Véronique nous répète un mot étonnant de sa

maîtresse, parlant d'une petite fille de treize ans

qui n'a pas encore fait sa première communion.

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ32

« En général, dit cette religieuse, il vaut mieux

la faire le  plus tard  possible. » Faut-il donc

attendre le lit de mort? Nous expliquons à notre

enfant l'ignorance épaisse et l'inconcevable manquede foi supposé par  une telle  parole.

Mercure de France. Article très-médiocre de

Remy de Gourmont sur Grelé dont il se borne à

transcrire les affirmations et les idées. Autre article

de Quillard comparant Zola à Socrate! Le Mer-

cure ne cesse  pas d'être  jeune. La moitié du

numéro est remplie par   une enquête sur  l'in-

fluence allemande à  propos d'un discours de Guil-

laume. Ennui effroyable. Tout le monde a été

consulté, excepté moi, bien entendu.

2. Jour des Morts. Les conséquences du mal

qu'on a fait retournent continuellement à leur  

source, tourment des damnés et des âmes du

Purgatoire, à moins qu'on n'ait interrompu le

courant et coupé le câble en devenant un saint.

Les esprits n'ont  pas de lieu. Cependant on

 peut

dire que certaines âmes sont enfermées dans

un certain lieu, le Purgatoire, par   exemple. Mais

il faut entendre cela au spirituel, à savoir  que

certaines choses indispensables leur sont cachées.

Leur  ignorance constitue leur  captivité.

4. Encore une lettre recommandée ne con-

tenant aucun envoi d'argent et  j'ai donné au fac-

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A COCHONS-SUR-MARNE 33

teur  quelques-uns de nos derniers sous Je vais

 prier mon correspondant, lorsqu'il sesentirapousséà m'écrire  par  lettre recommandée, de m'avertir 

quelques jours à l'avance, pour que je ne sois  pas

trop saisi.

5. On me  prête un livre étonnant Politesse

et convenances ecclésiastiques, par  l'abbé Branche-

reau, une autorité, où il est enseigné comment les

 prêtres doivent se tenir à table et ailleurs, code en

323 articles. [Voici quelques-unes de mes notes

 prises au cours de la lecture qui a duré  plusieurs

semaines.] ]

Sanctum Canibus

Saint Paul « /iMMM< pyo/ëMtOM de s'accommoder à

toutes les exigences. » Page 10. Les  personnes qui font

 profession de lire les Épitres de cet Apôtre auraient  pucroire le contraire. Voir le célèbre Nolite conformari

huic M'eM~o. Rom., XII.

Idéal du  prêtre poli. P. 10.

u Nul ne dira que l'honnête homme qui paie ses

dettes fait un acte de  politesse ». P. 12.

Selon ce docteur  extraordinaire, « l'acte de résister à

la tentation n'a rien de commun avec la Liiarité w. P. 13.

n 3

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QUATRE ANS DE CAPTI VI TÉ34

Juste le contraire de ce qui se lit au commun des con-

fesseurs non  pontifes QMt potuit ~ns~'e~t et non est

<f<!M~yes~MX, etc.

Et cette  prodigieuse maxime, à la même  page « La

 politesse est un extra, la charité est le strict néces-

saire ».Il voit dans la liturgie « un code  parfait de  politesse ».

P. 20.

Pour ce qui est de la PERFECTION, elle consiste à « se

mettre à. l'unisson des autres hommes, quant aux

mœurs et aux habitudes et à faire les mêmes choses de

la même manière, sous  peine de singularité ». P. 29.

Tout le  passage est à lire.

C'est exactement comme si on disait que le comble

de la celsitude  pour  une montagne est de n e  pas dépas-ser d'un cheveu le crottin des ruminants de la  plus basse plaine.

Celui qui pourrait mesurer la. haine du monde ecclé-

siastique pour   la singularité, depuis deux ou trois

cents ans, saurait, comme les anges, pourquoi il n'ya  plus de Saints dans l'Église.

Recommandation de « changer  de bas tous les  jours,

quand on  pue des  pieds ». P. 31.

« Surtout pas de  parfums ». P. 35.« Quand vous  prenez du tabac en compagnie, n en

offrez  pas ». P. 47.

« Faites en sorte, en  prenant votre tabac, surtout

quand vous êtes en  plein air, de n'en  pas faire voler 

dans les yeux de vos voisins ». P. 48.

« Les  priseurs feront bien de renouveler  souvent

leurs mouchoirs ». P. 49.

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A COCHONS-SUR-MARNE 35

« L'action de se moucher. Guide du  jeune prêtre').

P. 49.

« Le vêtement est ce qu'il y a de  plus apparent dans

la  personne n P. 51.

« La matière des vêtements du  prêtre ne doit  pas

être riche et  précieuse. Elle peut MÊME être  pauvre, pourvu cependant qu'elle ne soit  pas grossière ». P. 54.

Traduction Jésus  peut naître dans une étable. Il le

 peut à la rigueur, à condition que les  bourgeois de

Bethléem qui ont refusé l'hospitalité à ses  parents n'en

soient  pas mécontents ni scandalisés, à condition sur-

tout qu'il n'y ait aucune intention satirique ou allégo-

rique de la  part du bœuf et de l'âne qui sont des ani-

maux très-grossiers.

« Selon M. de la Motte, évêque d'Amiens, une déchi-rure au vêtement est moins répréhensible qu'une tache. »

P. 55.

« Il y a dans la Vie des Saints certains détails qu'iln'est  pas toujours expédient d'imiter. » P. 57. Tu

 parles! diront en chœur les séminaristes du vingtième

siècle.

« Ne  pas se moucher ni baver sur son rabat. »

P. 68. r

« La grande tenue est de rigueur quand on va chezles riches. » P. 74. Quand on va chez les  pauvres, la

chie-en-lit, sans être de rigueur, est tout-à-fait conve-

nable.

« Que jamais, sous aucun  prétexte, la cuisine ne serve

de salle à manger. » P. 77. En temps de  persécution

sanglante seulement, il sera  permis de manger  dans

les lieux.

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ36

« C'est une impolitesse de faire entrer   par  la cuisine,

les visiteurs honorables », P. 77, c'est-à-dire, le maire,

le notaire, l'huissier, le  percepteur, le  brigadier  de

gendarmerie, le conducteur des  ponts et chaussées et

les négociants ou capitalistes prépondérants.« En fait d'ameublement, la

règle la plus sage

est de

faire comme tout le monde. P. 78.

« II ne convient  pas qu'un prêtre ait un ameublement

tellement  pauvre qu'il ne se distingue en rien de la

dernière classe du  peuple. » P. 79. C'est une questionde savoir si le mobilier de saint Siméon Stylite con-

viendrait à un vicaire de Sainte-Clotilde ou si l'abbé

Olmer, curé de Saint-Laurent à Paris et youtre fameux,

 pourrait échanger  avec avantage son mobilier  contre

celui de saint Alexis,qui

vécut trente-quatre ans avec

les cochons.

« Pas de curiosités artistiques ». P. 80. Il doit yavoir  quelques exceptions. Il y a certainement des curés

de canton qui collectionnent des timbres on des cartes

 postales. J 'ai entendu  parler  d'un humble desservant

qui étonna son diocèse  par  des grenouilles empaillées

qu'on voyait combattre, l'épée à la main, sur sa che-

minée. Un misionnaire subjugué, considérant la multi-

tude infinie de ces batraciens, aux environs du

 pres- by stère, lui a conseillé dernièrement le siège de

Port-Arthur. Enfin des  personnes, dont  je pourrais être

l'ami intime, ont connu un doyen qui travaille, depuis

trente-cinq  ans, au naufrage de la Méduse ou au Juge-

ment dernier  de Michel-Ange, en bouchons de liège.Curiosités artistiques, si on veut, mais ordonnées  par la  patience et tempérées par  la chasteté.

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A COCHONS-SUR-MARNE 37

« A table, il ne faut  pas de couverts en étain o. P. 82.

Mais on s'arrange très-bien de convives en plomb,

comme dans les romans de Huysmans, depuis sa con-

version.

« Ce qui se voit dans les salons du monde, n'est pas

obligatoire dans un « Salon de  presbytère » ??? P. 83.« Signalons certains mouvements  bruyants que la

 politesse prescrit de comprimer  ou de modérer o. P. 100.

Le motmouvementsest d'une  pudeur ecclésiastique tout

à fait exquise.« La chasse interdite aux  prêtres et la  pêche non

interdite H??? P. 109.

« Les  jeux de c artes tolérés )'!H P. 110. Excepté,

 j'imagine, en cas de transparence.

« Restons médecins des âmes et laissons la  profes-sion de médecins des corps à ceux qui en  portent le

nom ». P. 118. Knfoncé saint Marc. Le dernier  chapitrede cet évangéliste est raturé  par  Branchereau. Quantà saint Pierre de qui l'ombre seule guérissait, il eût dû

être soigneusement écarté du ministère.

« Il est inconvenant de s'arrêter   à la fenêtre ou à la

 porte d'une maison  pour  s'entretenir avec les  personnes

qui sont à l'intérieur. Le  peuple le fait, un homme de la

 bonne société ne se le  permet jamais ». P. 121. Fort bien, mais quand on est soi-même à l'intérieur, peut-onse flatter  d'appartenir  encore à la bonne société, si on

interpelle les passants? Les premiers apôtres quin appartenaient certainement  pas à la bonne société,

nous ont laissé sur ce  point trop peu de lumière.

Visites. « Ne  pas se  présenter avant que les dames

aient fait leur toilette ». P. 153. Il serait  peu convenable,

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ38

onen conviendra, d'assister  à une séance du  pédicureei,il est assez difficile de se représenter  un ecclésias-

tique, même éloquent, chez une dame en train de se

faire onduler, etc.

Pourquoi cet ouvrage s'adresse-t-il aux  prêtres,

 puisque l'auteur  ne semble  jamais les distinguer  desautres hommes? La supériorité infinie du Sacerdoce

n'est  pas même aperçue. Ah! que nous en sommes

loin

« Ne mettez  pas votre chapeau par   terre ni ~My le lit

c~'MMe dame n. P. 188. tl  paraît que sur un autre lit ça

n'aurait  pas les mêmes inconvénients.

« Quand on reçoit une visite, il n'est  pas poli d'offrir 

le siège sur  lequel on est assis soi-même ni celui

sur  lequel est assis un autre visiteur » P. 170. Tironsl'échelle et venons au chapitre des repas.

« Ne vous asseyez pas trop loin de la t able ». P. 179.

« A table, comme ailleurs, toujours l'ordre de <~Ht<e,

un curé de village, parexemple, devant  passer  après un

sous-préfet ou un maire de canton, comme étant moins

digne a. P. ~00. Quelle serait la place du dixième lépreuxde l'Évangile, et où mettrait-on ces mendiants infirmes

de la Parabole que le  père de famille envoie chercher 

dans les rues  pour  les contraindre à  prendre part à sonfestin?

Ah Seigneur, tous ces usages mondains, toutes ces

règles, toute cette étiquette du Démon  proposés, recom-

mandés à des  prêtres de Jésus-Christ

« Les ecclésiastiques sont dispensés, en ~e~t~'<t?, de

donner le bras aux dames  pour passer  dans la salle à

manger  o. P. 201.

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A COCHONS-SUR-MARNE 39

Parmi les formules variées de refus de tel ou tel

 plat, l'auteur oublie celle-ci Merci, madame, jesuis  plein Ou si on accepte Permettez-moi, aupa-

ravant, de déboucler ma sous-ventrière.

Voici encore une bien excellente recommandation

« Al'égard

desdomestiques,

nesoyez pas impoli, maisévitez d'être respectueux ». P. 210.

Le jeu. « Un  prêtre ne doit  pas tricher « P. 232. On

excepte naturellement les  prêtres grecs.« Dettes de  jeu, dettes d'honneur ». P. 233. C'est-à-

dire que si un curé ayant de l'honneur vient à  perdreau  jeu une somme destinée aux  pauvres, les  pauvresdevront se taper, l'honneur  l'exige.

« 11 n'est  pas convenable qu'un prêtre donne le bras

à unautre homme

»,P.

235, même, j'imagine,si

cetautre homme a besoin de ce secours.

A cheval. « La  place d'honneur est à droite. Si,

cependant, en vous tenant à gauche, vous deviez incom-

moder  votre supérieur placé à droite, en lui envoyant

de la  poussière, changez de côté avec lui ». P. 237. Si

c'était un inférieur, il n'y aurait aucun inconvénient à

lui envoyer  de la  poussière, de la crotte ou même des

excréments.

«Ne  pas visiter un musée où on serait exposé à ren-

contrer  quelque indécence ». P. 238. Ce qu'on est con-

venu de nommer l'Art n'ayant absolument aucun inté-

rêt, ou si on aime mieux, le goût des images peintesou taillées, trouvant très-amplement à se satisfaire

dans les  boutiques de la rue Saint-Sulpice, quel pour-rait bien être le mobile d'une exploration dans un

musée, sinon le besoin de voir des indécences? En ce cas

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ40

il serait mieux qu'un ecclésiastique se contentât, chez

lui, d'un album de  photographies captivantes.« Soyons amis de la vérité, mais ne soyons pas inci-

vils ». P. 24i. En d'autres termes, il y a des circons-

tances où il faut savoir mentir   carrément.

« Éviter avec soin tout ce qui porterait le cachet de

la singularité ou de l'originalité ». P. 274. Voir, plus

haut, la citation de la  page 29.

« Un des avantages les  plus appréciables qu'offre à

un  jeune ecclésiastique le séjour  dans un château, c'est

de  pouvoir acquérir, mieux que dans tout autre milieu,

la s cience et la  pratique du savoir-vivre ». P . 322. La

conclusion s'offre d'elle-même. Il est trop évident quela fréquentation des  pauvres est tout ce qu'il y a de  plus

dangereux pour   un adolescent qui est appelé à boire le

Sang de Jésus-Christ sur son autel.

Prononciation. L'auteur  enseigne qu'il faut dire ~Mos-

sieu, taba, estoma, almana, por. P. 362.

 N'aime  pas les liaisons. Veut qu'on dise un discour  

intéressant, un rappor  exact ». P. 365.

« Ne  pas dire gifle ni  blaguer, etc. ». P. 380.

« En général, ne risquons aucune expression figuréeou  proverbiale sans être assurés qu'elle est admise

dans la bonne société. Pourtant ce serait  pousser troploin la délicatesse que d'exclure de la conversation les

mots porc, gueule, vomir, etc. ». P. 382. Il oublie de

dire si le mot de Cambronne est admis dans la bonne

société ou seulement dans la mauvaise.

Défiance extrême de l'imparfait du subjonctif. P. 3S3.

Et  puis, zut J'en ai tout à fait assez de ce cuistre

immense.

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A COCHONS-SUR-MARNE 41

Ipse Spiritus postulat pro KO&M~eMM~!&!Minenarra-

 bilibus. On demande des Prêtres.

6. Nous  pensons que le Mépris serait le  phar-

maque sûr, l'électuaire vrai  pour  la santé de

l'âme et du corps. Mais il faut entendre le mépriscomplet, le mépris des autres, le mépris de soi-

même, enfin et surtout le mépris du mépris quirend libre.

Le Péché est la  porte du ciel. Felix c:<)a.

7. Il  pleut dans notre église. Des torrents

d'eau s'échappent de la voûte en certains endroits.

Est-ce la faute du doyen que tout le monde accuse

d'avarice et qui emploierait trop peu d'ouvriersaux réparations ? Serait-ce que l'église est irrépa-rable ?

Mécontentement. Voici quelques jours ou

quelques semaines que la mère Marie, l'ex-jolie

femme, surveillante générale de l'école Saint-

Joseph, semble avoir   pris Véronique en aversion,

la grondant pour   une minute ou deux de retard

dont la  pauvre petite est bien innocente, puisquece retard est causé par  la nécessité où nous sommes

de combiner  difncilement toutes les minutes  pour 

ne  pas manquer  la messe. Mais la messe n'est rien

 pour  cette religieuse qui doit nous mépriser  beau-

coup d'y tenir et de n'être pas dans le commerce.

On sait que nous n'avons  pas de bonne, ce qui

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QUATRE ANS DE CAPTIVITE42

 paraît sans doute le dernier   degré de l'abjection.

8. Je suis à  jeun, mais le  papier  boit; on fait

ce qu'on peut.

J'ai, aujourd'hui, des raisons  pour  croire que

la  jolie femme ancienne est une de ces religieusesqui ont besoin qu'on tape dessus.

 Négligé Politesse  pour  lire Wagram.

9. Article d'un Pierre Gay dans le Salut

 public de Lyon. Il est dit que j'égale au moins

Ezéchiel ou Jérémie, ce qui ne m'empêche pas

d'être un « malin e et même un «  parfait bour-

geois

» 11!

11. Étonnante obstination de Thiers à tou-

 jours parler de la Fortune, à toujours écrire le mot

Fortune à la  place du Nom de Dieu, comme s'il

l'adorait véritablement.

13. Encore la Martinique. A-t-on remarqué

que les récentes et célèbres catastrophes par   le feu

sont arrivées en mai. Opéra comique, 25 mai

Bazar de Charité, 4 mai; Saint-Pierre Martinique,

8 mai et Ascension.

16. Ma  journée se  passe à lire successivement

Politesse et la Campagne de Soult en Portugal.

C'est  peut-être la même chose dans l'Infini.

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A COCHONS-SUR-MARNE 43

C'est avec une  jolie amertume que nous  pensonsà la Sainte-Catherine, dans quelques jours. A cette

occasion, nous serons tapés infailliblement et

d'une main ferme. Les sœurs ont institué le truc

 profitable de régaler  les  petites filles moyennant

une rétribution de 2 francs  par  tête  pour  le

déjeuner, de 5 francs  pour  les deux repas, ce

qui fait, vu le  peu qui suffit à des enfants, et leur 

nombre, un bénéfice de  beaucoup plus de la moitié.

Aucun moyen d'échapper, les  pauvres petites quine marcheraient  pas devant être taxées d'igno-minie.

17. Ily

alongtemps que

nous n'avions aussi

rudement souffert dansnos âmes. C'est cette étreinte

si connue de nous, cette suffocation, cette agonieintérieure qui ne  permet pas l'espérance. Avoir 

eu cela si souvent et sans en mourir, comment est-

ce  possible? Nous souffrons  pour quelqu'un, me

dit Jeanne.

Bataille de Tatavera. Quelle histoire déchirante

que cette guerre d'Espagne et quelle « affliction

d'esprit » que cetémiettement du colosse!

20. Les fidèles n'ont  pas besoin de lumière.

Telle est évidemment la  pensée de notre doyen,au  propre comme au figuré. La neige ayant obscurci

le vitrage d'une  petite chapelle où se disent les

messes de semaine, les ténèbres seraient com-

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ44

 plètes sans les deux  bougies de l'autel. Il y a des

 becs de gaz, mais, par  eeoMO?M!C, le doyen ne veut

 pas qu'on les allume. Impossible de suivre les

 prières liturgiques, ce qui est  profondément indif-

férent à ce vénérable  pasteur. Il les lit déjà pénible-

ment, lui, parce qu'il ne  peut pas s'en dispenser,mais les fidèles n'ont rien à y voir et n 'ont que

faire de prier  avec l'Église. Dans le trouble et

l'indignation, je demande à Jésus d'avoir   pitié de

son prêtre.Je deviens  populaire dans le diocèse. On m'ap-

 prend que les  prêtres ou séminaristes de Meaux

me lisent avec plus ou moins de satisfaction.

22. Note monstrueuse du couvent, 88 francs

 pour  le trimestre devant finir le 1~ janvier. Elles

sont joliment pressées, les misérables On a eu le

toupet de nous augmenter. Il y a, dans le relevé,

13 francs de « fournitures » injustifiables. Déjànous avons donné 3 francs  pour  le déjeuner  de

sainte Catherine. On demande encore  pour  une tom-

 bola, pour  une  photographie d'ensemble, etc., etc.

Ces commerçantes me saturent de dégoût. Basse-

ment elles ont calculé, sans doute, qu'étant pauvres,

nous devions être accablés, et que notre piétéconnue nous conseillerait la résignation. En quoi

elles se trompent.

23. Consulat et Empire. Le Divorce En cette

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A COCHONS-SUR-MARNE 45

occasion où  Napoléon voulait se donner un héritier,

il me semble qu'il a surtout engendré le Bourgeois

moderne.

25. Sainte Catherine et notre situation ac-

tuelle. Il me faudrait 20.000 francs, mais  je rece-vrais 0 fr. 50 avec des larmes de  joie.

26. Matinée terrible, aggravée affreusement

 par l'indignation. Les enfants nous ont donné des

détails sur les divertissements d'hier, au couvent.

On a  joué deux  pièces. Dans la  première, une

 petite fille envoie d'une fenêtre des baisers à son

cousin! Dans la seconde, d'un caractère  plus relevé

et, par conséquent, d'une niaiserie  plus intense, on

est à Lyon, au temps des Martyrs. Sainte Blandine

et saint Pothin! sont représentés, ce dernier par

unejeune dinde affublée d'une barbe d'uneMM~e//

et donnant sa bénédiction aux Martyrs Véroniquenous dit qu'à ce moment l'assistance a éclaté de

rire. Donc voilà un Pontife Martyr, c'est-à-dire

 Notre Seigneur  Jésus-Christ Lui-même, livré  par 

des religieuses à la risée des petites canailles

 bourgeoises, des  petites salopes futures dont elles

flattent la vilenie en aggravant leur  sottise. Qua);~ (j

on est des chrétiens, père et mère d'enfants chré-

tiens, c'est à  pleurer  de honte et de douleur.

27. Thiers Blocus continental. Ignorance,

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ46

ineptie et mauvaise foi, en ce qui regarde les affaires

de l'Église.

29. A deux  prêtres amis qui rêvèrent, un

instant, d'intéresser  à moi Paul Bourget =

.Vous ignorez donc que, depuis vingt ans, je suis

l'ennemi de ce  personnage et qu'il a toujours et métho-

diquement écopé dans mes livres ou mes articles, à

 propos de n'importe quoi. Le  plus célèbre de mes

livres, le Désespéré, est s urtout contre Paul Bourget.

J'ajoute que je ne le lâcherai  jamais. Ileo~MKMtMe main-

tenant, dites-vous. Cette horreur   manquait. Aggrava-tion effroyable qui me le ferait détester  un  peu plus si

c'était possible.

« Un brave homme », avez-vous écrit.

Ah si vous saviez Il y a rudement longtemps que jele connais, que je sais sa médiocrité infernale, sa vile-

nie de cœur, sa cupidité, son avarice, sa souplessed'échine à l'égard des  puissants et sa dureté envers les

faibles ou les inférieurs. Il d evient aujourd'hui, me

dit-on, une colonne de l'Eglise, une des dernières avec

Coppée, Brunetière, Huysmans et quelques autres. Ah

le dernier  coup et le  plus mortel qui pouvait être  portéà

l'Église,c'est assurément la conversion des littéra-

teurs.

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A COCHONS-SUR-MARNE 47

Décembre

1. Lettre d'un ami persuadé que tout va très-

 bien et qui me félicite. Je ne sais rien de plusamer  que l'ironie de ces félicitations à des gens

qui souffrent, au moment où ils souffrent le  plus.

3. Je commence à ne  plus pouvoir  faire un  passans  passer  sous l'œil d'un créancier.

Idée d'un livre qui s'appellerait Le Pauvre

Maître. Protagoniste, Jules Barbey d'Aurevilly.

[Je me décide, après deux ans, à  publierla pagede début la seule qui existe  parce qu'elleéclaire un  peu deux ou trois coins obscurs. Le

livre aurait  pu être important,l'auteurétantde ceux

qui ont le besoin de dire tout ce qu'ils savent et

tout ce qu'ils pensent. Il y a renoncé  par  crainte

de faire trop de  plaisir  à certains démons, peut-êtreaussi  pour  ne  pas se déchirer le cœur  à lui-même.

Consulter  à ce sujet le Mendiant ingrat, pages 420

à 424].Introduction inachevée du Pauvre Afaz~e, avec

cette épigraphe « Flammeum ~a~tMM atque VER-

SATILEM, Barbey d'Aurevilly en  personne. »

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ48

La  pire infortune  pour  un grand homme, c'est l'ad-

miration des imbéciles. Il vient de se  publier  un  pesantvolume intitulé JULES BARBEY D'A~nEVtLLY, sa Vie et

MM Œ?Mwe, par  un monsieur  Eugène Grelé, avec une

 préface de M. Jules Levallois (?) Dans cette  besogne

 juvénile

d'un

 pionautochtone,

renseigné par  

une

vieille demoiselle cosmopolite, ce que j'ai trouvé de

 plus agréable, c'est la  préface de M. Jules Levallois,

laquelle est absente. Si le reste n'était que stupide, on

 pourrait s'entendre. Je ne hais  pas les simples idiots

qui me consolèrent souvent des gens d'esprit, mais  je

cogne volontiers sur les roublards et les venimeux. Or  

le souci du monsieur  Grelé  paraît avoir été de faire de

Barbey d'Aurevilly un grotesque et même quelquechose de

 plus.Dieu sait que j'avais renoncé au  projet ancien d'un

livre sur   d'Aurevilly. Ayant été, vingt-deux ans, l'in-

time de ce mort et demeuré le seul capable de  parler 

de lui avec compétence, il me  plaisait que le noble

artiste qui eut de si belles heures de fierté, redevînt,

en allant à l'Éternité bienheureuse, par  le chemin des

tourments du Purgatoire, l'Inconnu grandiose qu'il

était, il y a cinq  cents ans.

Mais puis-je

voir les pourceaux

de la vanité ou les

macaques à tête aplatie et à courte queue de la littéra-

ture de complaisance, déposer   leurs crottes sur son

tombeau ?P

Je compte sur  vous, me disait-il, pour  me faire

respecter  quand je serai mort.

Barbey d'Aurevilly n'a que moi  pour  le défendre. Si

 je ne  parlais pas, on ne verrait  plus la fin des  profana-

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A COCHONS-SUR-MARNE 49

tiens et des âneries. Ah  je n'oublie  pas que je parlerai

 pour  un  petit nombre et que l'ignorance des choses

littéraires est universelle de  plus en  plus. Qui sait, par 

exemple, que M. Doumic est un sot et que M. Ledrain

en est un autre? Moi-même, c'est tout au  plus si  je le

sais, ayanttout le mal du monde à retenir  

ces nomsde

cuistres qui m'échappent continuellement.

Combien de fois, lorsqu'on croyait être  jeune encore,

l'auteur  de l'Ensorcelée ne m'a-t-il  pas dit Mon cher 

Bloy, vous êtes le seul à qui je voudrais confier   la

 publication de mes œuvres, quand je ne serai  plus!Une  personne a su m'alléger  de cet héritage. Barbey

d'Aurevilly n'était  pas une forteresse difficile à  prendre,surtout à quatre-vingts ans.

 J 'ai eu mieux que cela. N'est-ce  pas à moi que,quelques semaines avant sa mort, il demanda de lui

amener un  prêtre pour  l'y préparer, me disant, le mal-

heureux, qu'il ne savait  pas un autre homme à quis'adresser   pour  un tel service. Le connaissant bien,

 j'eus le bonheur  de lui trouver   presque aussitôt le

 prêtre qui lui convenait. C'était un très-humble fran-

ciscain, un confesseur  d'indigents et d'illettrés. Je savais

que le mourant, n'ayant jamais habitué son vieil esto-

mac aux crapauds de la  pénitence, eût été dégoûté jus-qu'au désespoir par   un ecclésiastique distingué. Le

Grelé qui a cru écrire ce qu'il croit être la vie de son

 personnage, a mentionné du moins cette circonstance,

 pour  lui, d'ailleurs, si accessoire à la dernière

 page de sa massacrante  biographie. J'y suis nommé, à

cette  page, pour l'unique fois et mystérieusement qua-lifié d'ami commun.

II

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ50

Ayant donc, une fois de  plus, renoncé, provisoi-rement du moins, à décourager  les assassins des

morts, je pense que quelques-unes de mes notes

sur le livre qui vient d'être honoré d'une mention

ne seront  pas jugées sans intérêt. Les voici toutes

 brutes, telles qu'elles furent écrites comme

celles sur le cuistre Branchereau au courant

d'une lecture qui me dégoûtait. On sait le mot

charmant d'Eugénie de Guérin sur  d'Aurevilly« Un beau palais dans lequel il y a un labyrinthe.Le Minotaure fourvoyé dans ce labyrinthe, assuré-

ment ne relève  pas du glaive de Thésée. Le grandstatuaire à qui le  présent ouvrage est dédié m'a

dit souvent qu'il y a des gens, bien  plus nombreux

qu'on ne  pense, dont la vocation est de solliciter 

constamment des coups de  pied au derrière et quimeurent de consomption quand ça leur  manque.Le Grelé me  paraît appartenir à cet escadron.]

« Ante Porcos »

L' Antigone n du vieux Barbey. C'est, je crois,

Séverine qui a inventé ça. Pauvre Maître, déguisé en

Œdipe aveugle et conduit chez les éditeurs ou les mar-

chands -d'autographes par   une demoiselle quadras~é-

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A COCHONS-SUR-MARNE 51

naire. Et dire qu'aucun homme n'a  pu avoir, plus que

d'Aurevilly, la  préoccupation et la crainte du ridi-

cule

a La sœur  de charité du génie o, disait le tendre

Coppée, parlant de la même  personne. C'est étonnant

comme ce poète

est douépour 

écrire des phrases

dont

tous les mots, sans exception, sont inexacts. <S'œMr de

e~M't<~ d'un côté, génie de l'autre, c'est le comble de

la stupidité ou de la démence. C'est surtout le comble

du lieu commua adopté par  le gâtisme.« A défaut de talent, avoue Grelé, j'y ai mis toute

mon âme. » Toute l'âme de G relé Il doit rester de la

 place. Grelé représente la  postérité. P. 8.

Hanotaux et une douzaine de  personnages de cette

importance, presquetous

 présentés par  moi,dont il

n'est  jamais dit un mot. P. 10.

Ancêtre de d'Aurevilly protestant et  par conséquent« brave homme ». P. 15.

« Le bas de laine des Barbey ». P. 17.

« Les meilleures choses n'ont qu'un temps ». P. 17.

On  peut croire que les  pires ont deux temps et même

trois, comme la valse.

Haine basse de Grelé  pour  la noblesse à  propos de

celle de d'Aurevilly qu'il juge ridicule. Les réflexionssur la savonnette à vilains sont d'un beau goujatisme.

Lyrisme adjectival. « La surexcitation fébrile d'un

enthousiasme contagieux qui devenait malsain à force

d'être violent ». P. 29.

« Il a (le jeune Barbey) plus d'inclination vers cette

sorte de  paganisme latent, de naturalisme imma-

nent. ». P. 32.

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ52

« Le joli nom de d'Aurevilly, cette appellation gra-(lieuse )'. P. 61.

« 11 se r enfermait dans sa tour d'ivoire ». P. 62.

Quand sera-t-ôn délivré de ce cliché sacrilège?« Tristesses et désespoirs byroniens de d'Aurevilly,

Cequi

ne meurtpas,

l'Amour impossible,

etc. ». P. 94.

Mon dégoût extrême de tout cela.

Pourquoi d'Aurevilly n'est-il  pas devenu un démo-

crate ? Déballage des idées généreuses du Grelé.

« Sa vanité, sa seule déesse dorénavant)'. P. 104.

Incrédulité de d'Aurevilly. P. 109-111.

Attitude comique du Grelé racontant une crise de

mélancolie de d'Aurevilly, crise dont il ne fut  pasle témoin et dont on n'est  pas bien sûr. Cet historien

ressemble à un infirmier  plein

de sollicitude offrant

sans cesse le  pot de chambre ou la tisane.

Grelé  parle de l'Ironie de d'Aurevilly qui le « carac-

tériserait ». P. 122. Faux et bête.

Barbey d'Aurevilly passe ses  journées « à babiller,

à s'habiller et à se déshabiller ». P. 1 23. Platitude et

 perfidie.

Rappel complaisant de cet « ancêtre dont le Bien-

Aimé fut le père et le  parrain ». P. 129. Quand on a été

cocufié ou bâtardé par 

unsimple particulier,

c'est une

honte énorme. Quand cela vient d'un roi, c'est un sou-

venir infiniment honorable qui se conserve dans les

 papiers de famille. Le  pauvre Barbey qui ne fut étran-

ger  à aucune vanité, m'a  parlé quelquefois, en  piaffantde gloire, d'une bisaïeule qui lui aurait transmis, de la

sorte, le sang abominable des Bourbons. Grêlé se

vautre dans cette ordure.

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A COCHONS-SUR-MARNE 53

Trait de style de notre Grelé « Les nuages de la

rêverie et la solide  plate-forme de la t erre » P. 126.

« La  presse me dégoûte ». Ce mot de d'Aurevillysemble à Grelé l'effet de la mauvaise humeur d'un

malade. P. 128. Ce n'est  pas lui qu'on dégoûterait faci-

lement. Il a un excellent estomac.

Grelé sait mieux que d'Aurevilly ce que c'est que la

comédie. P. 142.

Barbey d'Aurevilly marchand de chasubles. Le grandartiste avait espéré, une minute, gagner, de cette

manière, un  peu d'argent. Il ne m'en  parla jamais et

 j'ignore les détails. Mais comment aurait-il  pu ne  pasêtre odieusement roulé? La chose était assez bien

cachée. Il a fallu le flair de chercheur   de truffes  parti-

culier  à MM. Anatole France et Jules Lemaître pour 

que cette misère fût connue. Grelé naturellement très-

emballé  pour  les vilenies, nomme ces deux  person-

nages « nos  plus fins critiques ». P. 179.

Vie mondaine de Barbey d'Aurevilly. « On ne  peutdébiter sans cesse des sornettes dans les salons ou les

 boudoirs ». P. 180. Ce ton, de la  part d'un Grelé,

est inouï.

Encore les chasubles. Joie du Grelé se représentantla vente effective et

matérielle, par l'admirable

écrivain,de ces ornements d'église. Se déroule-t-il assez, le sale

reptile P. 187.

Son indignation à la  pensée que d'Aurevilly traite

avec mépris des cuistres tels que Jules Simon, Vache-

rot, Saisset. P. 193.

Barbey d'Aurevilly ne savait  pas se faire aimer  de la

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ54

foule, il s'y prenait mal. On ne le lui envoie  pas dire.

P.199.

Les ouvriers de 1 848 ne trouvèrent  pas en d'Aure-

villy l' « âme sœur » dont ils avaient besoin.

D'Aurevilly ayant, à une époque, désiré de fuir le

monde, de s'enfermer dans un couvent, le sage Grelé pense qu'il lui aurait fallu un couvent comme certains

d'avant la Révolution où on faisait la noce tout le temps.P.216.

Grelé, le  juste Grelé rejette la doctrine antilibérale

de d'Aurevilly, applaudissant au Coup d'État. P. 222.

Il ne supporte pas le Credo en matière de critique.P.233.

Il nomme Baudelaire le « fantasque poète. » P. 2~0.

Unique mot heureux de Grelé à  propos de Trébu-tien qui se ruinait en éditions de son ami d'Aurevilly:« Son amitié seule a besoin de faire fortune ». P. 24i.

II a d û voler à quelqu'un ce très-modeste  bijou.Idées imbéciles du même à l'occasion d'un  projet de

mariage de d'Aurevilly. C'est  juste le contraire de ce

qu'il dit ou  plutôt de ce qu'une certaine  personne lui

fait dire si sottement d'ailleurs. P. 26i.

Grelé ne  pardonne pas à d'Aurevilly de vouloir  « ra-

mener le monde en arrière, etc. ». P. 282.Le nom de B. d'A., ne figurant pas dans l'édition de

Maurice de Guérin, exactement, comme le mien ne

figure pas dans la Vie de Grelé.

Longue note  perfide sur les QManM<e Médaillons

de l'Académie. P. 299. 'Pourquoi voudrait-on que ce

monsieur  désobligeât les autres messieurs de son es-

 pèce qui sont arrivés ?P

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A COCHONS-SUR-MARNE 55

Le triple crétin Grelé expliquant le Doigt de la Pro-

vidence à  propos du Prêtre marié. P. 308.

Toujours ce mot ridicule d' « individualiste », pour caractériser  l'indépendance de d'Aurevilly

Ignorance de Grelé. Il ne dit  pas un mot du  journalLe Dix

Décembre,en 1869 et 1870. La

 jupe quile do-

cumente n'en a  jamais entendu  parler.« Quand il retourne à Paris, au  printemps de 1873.

il n'apporte plus à sa tâche de  journaliste les ardeurs

guerrières d'autrefois. Ses facultés critiques s'affinent

et s assouplissent. Il cultive la belle fleur  qui, jamais,

 jusque-là, n'avait germé dans son <î)Ke la vertu de

tolérance et de charité. » Page 347.

Le mot de TOLÉRANCE est évidemment le seul que

 puisse comprendre Grelé.« Il est vrai qu'un vieillard de soixante-cinq  ans ne

saurait, de bonne foi, partager  l'intolérance d'un néo-

 phyte. A quoi autrement servirait l'épreuve de l'âge? »

P. 348.

Vous en reviendrez disait à un séminariste  pleind'enthousiasme un vieux  prêtre infâme.

« Devenu vieux, il est toujours indépendant, mais

il comprend mieux que l'indépendance de tout écrivain

a des limites et que cette rare vertu ne doit'  pas seconfondre avec l'esprit d'intransigeance n. P. 356. Sans

doute, il n'y aurait  plus de bordel  possible.« Après la mort de Léon (son frère), il se terre dans

sa modeste chambre. 7Z /'M!'< le monde ». P. 358.

Pendant douze ans, à  partir  de cette époque, 13 no-

vembre 1876, j'ai vu le contraire, tous les jours.

Inexactitudes énormes. P. 363.

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QUATRE ANS DE CAPTI VITÉ56

Toujours « l'individualiste d'Aurevilly, ses muni-

tions de bataille, ses coups de mousquet, sa canar-

dière, son panache rutilant, ses fusillades bien nour-

ries, etc. Quel style de  pion

Le  panache de d'Aurevilly « ralliant » des individus

qui n'ont  jamais fichu le  pied chez lui. P. 370.« Sa Germaine, il la pare comme une épousée prête

à recevoir  l'anneau nuptial de la faveur  publique ».

P. 374. Cette  phrase seule mérite le  prix Monthyon.« Renan, le suave iconoclaste de la vie d e Jésus ».

P.388.

Grelé, en bon  bourgeois, nomme la vie « la loterie

universelle '). P. 391.

« Barbey d'Aurevilly, dit-il, voulait mourir la plume

à la mam H P. 392.Tel est l'idiot qui fut chargé d'écrire l'histoire d'un

des  plus grands écrivains chrétiens du dernier siècle.

6. La mort d'un chrétien n'est qu'un immense

acte d'humilité. JEANDE.

Lu un article sans lumière ni chaleur de Lucien

Descaves sur les cloches. J'apprends ainsi que

l'ignoble Combes, qui semble réellement un  pos-

sédé, vient de  prescrire par  circulaire une enquêtefort étrange. Le jean-foutre voudrait recueillir  les

 plaintes des habitants qu'empêchent de dormir les

cloches des églises oudes communautés religieuses.

L'interdiction administrative des cloches L'In-

t~a<tOK au <;oya~€

Si nous ne vivions  pas dans des  pensées d'une

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A COCHONS-SUR-MARNE 57

 beauté accablante, écrit Jeanne à une amie, où en

serions-nous ? Que Dieu ait  pitié de ceux qui mangentet qui se chauffent

Pourvu que nous  possédions la Vie éternelle, qu'im-

 porte le reste, à nous qui voudrions suivre Jésus-Christ

dans sonignominie?.

7. Thiers. Andalousie et Torrès Védras.

Quelle pitié de voir   Napoléon gâcher  ainsi sa  puis-sance 1

 Nous parlions de la boussole dont l'aiguille ai-

mantée cherche continuellement le Nord, c'est-à-

dire l'Ennemi, le Démon. Ainsi le veut la Chute,

car  il faut voir là une figure de l'Homme crucifié.

Tourné vers le Nord, il lui suffit d'étendre les bras

 pour  toucher l'Orient de la main droite et l'Occi-

dent de la main gauche.

9. Admirable corrélation dès événements ou

des incidents de cette vie, lesquels ne  peuvent être

vus que successivement, hélas et qui révèleraient

tellement les desseins de Dieu, si on  pouvait les

fixer simultanément dans la Lumière C'est commeles lettres de l'alphabet qui ne sont rien isolément

mais qui, rapprochées par l'intelligence, ont le

 pouvoir  de donner la vie ou la mort.

Voilà  beaucoup d'années que Jésus me force, à

coups de fouet, de marcher devant lui sur les

eaux. La Vérité qui est Lui-même a. besoin de

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ58

Saints, de Martyrs, elle n'a  pas du tout besoin

d'écrivains. Je le confesse, j'ai souvent espéré, à

cause d'une certaine  puissance de  parole, de traî-

ner vers Dieu des multitudes. Que s'est-il réalisé

de ce rêve? Quelques âmes seulement, quelques

 pauvres et chères âmes conquises. Mais n'est-ce

 pas immense et qui peut dire combien c'est im-

mense ?. Sois  patient et doux envers toi-même.

Il est infiniment  probable que Dieu ne fera rien de

ce que tu rêves. Il fera mieux.

Thiers. Toujours Masséna en Portugal. Lugubreet terrible histoire.

13. Simon le Cyrénéen aide Jésus à  porter sa Croix. Les chrétiens modernes mettent leurs

croix sur le dos de Jésus.

Lu le  panégyrique de sainte Thérèse  par  Bos-

suet. Il y a de beaux endroits, mais quelle fin dé-

testable « Abandonner les richesses, macérer le

corps? Non, je ne vous dis pas, chrétiens, que vous

abandonniez vos richesses, nique vous macériez

vos corps par  de longues mortifications. etc. »C'est  juste le niveau de notre doyen. Le christia-

nisme est bon  pour  les goujats. Il est vrai queBossuet  prêchait devant la cour de Louis XIV, tan-

dis que notre doyen s'adresse à la basse-cour  de

M. Ménier. C'est  probablement la même chose. On

va au diable avec de telles  paroles qui sont une

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A COCHONS-SUR-MARNE 59

dérision du christianisme, et si on est Bossuet, on

devient schismatique à cinquante-cinq  ans.

Thiers. Fuentès d'Onoro. Depuis Tilsitt et l'évé-

vement de Bayonne, je subis l'angoisse, toujours

croissante, d'assister  au  plus monstrueux gaspil-

lage de force, de beauté, de grandeur  qu'il y ait

 jamais eu.

Quel homme fut aveuglé aussi manifestement

que Napoléon? L'inconcevable inertie de cet An-

nibal disponible pourtant après Wagram

demeurant obstinément à Paris, alors que sa  pré-

sence eût été si  profitable en Portugal, en est une

 preuve stupéfiante.

17. Après un grand nombre de  jours d'une

misère atroce dont le détail ne peut pas être ra-

conté, nous recevons enfin une réponse d'assassin.

Un homme riche, naguère mon ami et même un

 peu mon obligé, se déclare dans l'impossibilité

absolue de faire quoi que ce soit et  proteste de son

dévouement. Je sens le  petit soufQe de la mort.

i8. J'ai eu  beaucoup d'amis qui ont  passédans ma vie comme on  passe dans une rue obscure

et dangereuse et qui se sont éloignés pour  ne  ja-

mais revenir.

19. Le septuagénaire facteur  qui nous des-

sert déclare d'une voix apologétique et sépulcrale,

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ60

à  propos de l'éventualité de la mort dont il est

 parlé, j'ignore pourquoi, qu'il n'a rien à se repro-

cher. Dieu nous  préserve de contredire cet homme

admirable 1

Thiers. Le Concile. C'est ici surtout que devait

se déployer  le vieux  parapluie voltairien. « La

Sainteté n'est  pas toujours la Sagesse. » Tout le

chapitre est ramassé dans cette sentence, comme

un  paquet d'excréments est enlevé d'un seul coupdans une vaste  pelle à merde. En ai-je assez en-

tendu parler, dans mon enfance et ma jeunesse, de

cette sagesse des  bourgeois 1

Dire de quelqu'un, fût-ce d'un  personnage

illustre « On n'est  pas plus bête ') est certaine-ment un acte de malveillance. Pourquoi le con-

traire « On n'est  pas moins bête paraît-il encore

 plus désobligeant?

20. Un trait caractéristique du  bourgeois est

la  peur  de toute détermination héroïque chez les

autres, aussi bien que chez lui-même.

A un  prêtre

Dites au « bon  pauvre qui a donné les 10 francs

que je l'ai mis avec vous dans mon cœur  et qu'il me

verra, un  jour, parmi les mendiants, aux pieds de son

Juge.

22. La  place que j'occupe dans le Plan caché

est telle que je ne  peux être secouru, même

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A COCHONS-SUR-MARNE 61

dans l'ordre matériel, que par  ceux qui m'aiment

surnaturellement. Ceux qui m'aiment naturelle-

ment ne  peuvent RIEN.

Un  pauvre existe qui se dépouillerait volontiers

d'une manière complète et se ferait cracher à la

tigure, si cela pouvait me délivrer. Celui-là  peut

quelque chose, très-certainement.

23. Admirable histoire touchant le mercan-

tilisme incomparable de la dévotion à saint An-

toine. Une neuvaine de messes est commandée à

un curé qu'on informe vaguement d'un avantage

temporel à obtenir. Le dixième  jour, la dévote

vient pour  une messe d'actions de grâces que lesaint, paraît-il, a rudement gagnée. Un  parent,

dit-elle, dont  je devais hériter  est crevé hier, justeau moment où finissait la dernière messe.

25. Noël. Grand'messe très-pénible à cause

de ce vieil âne de doyen qui ne  peut se dispenser de brailler  une demi-heure. Il ferait mieux d'éco-

nomiser ses  paroles et de  prodiguer  un  peu le

charbon. Jamais son église n'est chauffée. Je

rentre glacé jusqu'au centre de l'âme et  jusqu'à la

moelle des os.

26. Deus Caritas. Texte à l'usage exclusif et

constant de ceux qui haïssent Dieu de tout leur  

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QUATRE ANS DE CAPTIV!TË62

Elie est  jolie, la nouvelle école exégétique, en

ce qui regarde l'interprétation ou seulement la lec-

ture des Textes Saints. Il y a des  prêtres qui

 pensent, au mépris du Concile de Trente, qu'il y a

mieux que la Vulgate. J'en connais un que la queue

du chien de Tobie empêche de dormir.

27. Chemin de croix au couvent. Parlons-en,

il en vaut la  peine. La méditation, la  paroissialeet fétide méditation en français, était lue  par  la

mère Marie, la vieille  jolie femme qui fait depuis

quinze ou vingt ans, le décor et la retape du  pen-

sionnat, personne pleine de sucre dont c'est la

spécialité d'être  parfaite en toutes choses. Bien que

 passablement habitué aux  putasseries du  phari-

saïsme, la manière de lire de cette farceuse

m'étonna. C'était une voix divine, une de ces voix

d'ange, tour à tour brisées  par  l'émotion et révigo-rées  par  de saints élans. Elle vous avait une ma-

nière d'exhaler  le « doux Jésus » qui rappelait

invinciblement, quelque effroyable que cela  pa-

raisse le « maman! » des  prostituées. Aussitôtaprès, l'Oraison dominicale et la Salutation angé-

lique, toujours en français, étaient grognées, si

 j'ose dire, par  la voix de femme de ménage de la

supérieure. Cela quatorze fois de suite. Rude

épreuve pour   ma  piété. L'événement de la Marti-

nique a  pu être la conséquence d'un chemin Q<*

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A COCHONS-SUR-MARNE 63

croix de cette sorte, exécuté par  des religieuses du

même institut.

28. -Rien, et voici le joyeux Jour de l'an. Si Dieu

 permettait que cette détresse continuât quelques

 jours seulement, nous ne  pourrions plus cacher notre indigence, et, dans cette ville infâme, ce se-

rait la mort.

29. Agonie. Plus que jamais, ce monde nous

 paraît hideux. Les commerçants, les religieuses,la  plupart des  prêtres sont réellement des ennemis

de Dieu. Une maison comme le couvent Saint-

Joseph, par exemple, avec toute sa devanture de

 piété et sa culture  professionnelle des innocences,

est certainement un habitacle des démons. Si une

circonstance telle que la divulgation de notre

misère venait à écailler le vernis de bienveillance

ou de  politesse que l'intérêt le  plus bas a étendu

sur toutes ces faces, leur  aspect deviendrait, ins-

tantanément, épouvantable.

30. J'avais  porté la lampe dans un coinobscur. Tout à coup, à cette lumière, j'aperçois,sur une tablette, un  petit tas de sous déposés là

et complètement oubliés. Il y a 35 centimes.

C'est comme si Jésus me disait C'est tout ce que

 je peux, en ce moment. Patience et courage Ne

i:e mets  pas en colère contre moi. Je suis crucifié.

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ64

A celui  pour  qui Dieu est mort

Vous me dites, et ce n'est  pas la  première fois

Que de changements depuis deux ans Je ne sais

guère ce que vous entendez  par  ces mots. Mais voici

ce que je sais bien. En matière de religion, ce

qu'on ne /at< pas absolument, on ne le {ait absolu-

ment  pas, et il est à craindre qu'on ne le fasse  jamais.Un chrétien qui communierait trois cents fois  par  an,

mais qui, DÉLIBÉRÉMENT, ne communierait  pas tous les

 jours, serait avec tous les « bons chrétiens », c'est-à-

dire avec tous ces bons amis des démons tièdes qui« font leur salut a et qui, dans les siècles des siècles,

ne s'approcheront pas de Dieu. Les prêtres qui disent

.autre chose sont des Judas, ou des crétins homi-

cides. Je ne me suis interrompu d'obéir à Hérode et

d'égorger  les Innocents que le  jour où  j'ai décidé de

communier  tous les  jours. Jusque-là, j'ai été exacte-

ment un salaud et un idiot lamentable.

Cela, non  pas dans mon imagination d'écrivain, mais

dans la réalité substantielle. Prière d'y faire attention.

Le  jour où vous ferez ce que vous avez le devoir 

de faire, sous  peine de mort, non seulement  pour vous,

mais pour  les ~d<res, ce

 jour-là

vous verrez, vous

entendrez, vous comprendrez, vous sentirez, vous  pleu-rerez et vous  pourrez. Alors vous me délivrerez, s'il est

temps encore de me délivrer. Je vous l'ai dit. Mais

le  pouvoir  ne vous en sera certainement  pas donné

-auparavant. On a tant souffert que je suis sans

forces. Je n e  peux vous offrir    pour  vos étrennes que-cet autographe. 11 y a des cadeaux  plus banals.

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A COCHONS-SUR-MARNE 65

31. COMMENT DIEU TRAITE SES AMIS.

Ideo ecce ego mitto ad vos  prophetas, et sa-

 pientes, et « ~o'ï~a~ )', et ex illis occidetis, et cy?<c!

figetis, et ex eis flagellabitis !M. synagogis ves-

tris et  persequemini de civitate in civitatem.

Matth. XXIII, 34.

Est-ce tout, Seigneur? Non, il est ajouté quecela durera  jusqu'à ce que vienne, sur les hypo-crites et les maudits, tout le sang qui a été répandusur terre. Mais ce flux, cette marée montante est

d'une mer infinie dont les lames se sont retirées

au fond du Cœur de Marie et dont le reflux est

incalculable. En attendant, les amis de Jésus

souffrent comme ils  peuvent, avec la  patience

qu'ils trouvent. Autant que cela est  permis, on les

tue, on les crucifie, on les flagelle, on les  persé-

cute et la consolation qu'ils obtiennent, je vais

vous la dire. C'est celle des damnés qui n'ont

d'antre rafraichissement dans le gouffre de leurs

tortures que la vision des épouvantables faces des

démons. Les amis de Jésus voient autour d'eux les

chrétiens modernes et c'est ainsi qu'ils peuventconcevoir l'enfer. Tel est notre cas à Cochons-

sur-Marne.

Jésus a dit « Mon  joug est suave et mon far-

deau léger. H On est bien forcé de supposer  un

sens mystérieux, car  il est clair  qu'au sens di-

°S

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QUATRE ANS DE CAPTI VI TÉ66

rect, rien n'est  plus terrible que ce  joug ni  plus

écrasant que ce fardeau.

Avant tout et surtout, Jésus est l'Abandonné.

Ceux qui l'aiment doivent être des abandonnés,

mais des abandonnés comme lui, des Dieux aban-

donnés 1 Voilà le supplice qui n'a  pas de nom.

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i<)o3

J'affirme nettement que le monde

catholique moderne est un monderéprouvé, damné, rejeté absolu-

ment, irrémédiablement, un monde

infùme dont le Seigneur  Jésus a

soupé de la façon la plus complète,un miroir  d'ignominie où il ne peut

pas se regarder sans avoir peur,comme à Gethsemani.

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Janvier 3. Je suis enfermé dans les ténèbres où

 j'entends pleurer  et saigner  ceux que j'aime,

 presque sans les voir.

4. On souffre à table. Question, dès ce qua-trième  jour du nouvel an Dieu veut-il nos

 peaux ?René Martineau chargé par  moi, en Octobre,

d'informer  Joergensen de mes sentiments au sujetde son incroyable article du Vort Land, me transmet

enfin la réponse. Il ne voulait  pas empêcher  le

 public danois de lire son article en me nommant.

Ainsi se trouvent confirmés les  pires soupçons.Johannes Joergensen que je croyais un homme

du plus admirable caractère (Voir  Mon Journal,

 p. 156 et suiv.), est simplement un  journaliste. Il

explique mes  plaintes par  une extrême « vanité de

littérateur et un « désir furieux de notoriété ».

La notoriété à Copenhague Le  pauvre poète a tel-

lement roulé dans l'escalier  qu'il en est à ne  pas

comprendre qu'ayant essayé de lui élever le cœur,

 je suis désolé de le voir   si bas.

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ70

 Nos  pauvres enfants demandent du  pain avant

de s'endormir.

5. Comment est-il possible, ô Marie quevous résistiez à tant de larm?s ? Si mes fillettes

 bien-aimées me  priaient à genoux et en  pleurant,

 je serais bien incapable de leur résister.

Voici une chose aussi étonnante que (loulou-

reuse. Véronique a composé, on  peut le dire, sur 

des  paroles insignifiantes trouvées dans un re-

cueil enfantin, une mélodie d'une tristesse, d'une

force de tristesse incroyable et Madeleine, ravie,chante cela toute la  journée. Je ne  puis dire ce

que j'éprouve. Ma Véronique aurait-elle reçu cette particulière infusion de l'Esprit-Saint qui est le

génie de la musique ?

6. Épiphanie. A sept heures du soir on

agonisait. Jeanne et les enfants souffrant de la

FAIM, j'ai couru chez le charcutier  qui a consenti

à me faire encore crédit de quelques morceaux.

Jamais, même en 95, nous n'avons été aussi bas.

8. Le secours arrive. Avant de continuer ce

 journal terrible et  puisqu'il nous est donné de

respirer  un instant, je veux dire une chose quime remplit le cœur et qui restera ici comme un

témoignage pour  être lu avec émotion, dans

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A COCHONS-SUR-MARNE 71

quelque dix ans, par  mes  petites filles bien-ai-

mées.

Les  pauvres enfants ont eu faim, c'est sûr, et

leurs  plaintes auraient  pu être  pour  nous une

occasion de désespoir. Or, les chéries, par  l'eS'et

d'une intelligence et d'une résignation fort au-

dessus de leur   âge, n'ont fait entendre aucune

 plainte, se bornant à demander souvent du  pain,

le seul aliment qu'il y eût à la maison, le bou-

langer  ne nous ayant pas retiré son crédit.

Que Dieu les bénisse éternellement comme  jeles bénis

11. Thiers. Continué la lecture douloureusede 1812. Ce qui atténue la  peine, c'est de  penser 

que Napoléon a été, sinon le  père, du moins

l'oncle à héritage du Bourgeois contemporain et

qu'il faut voir  en lui, décidément, un imbécile du

 plus foudroyant génie.

12. Moscou, la Bérésina. Tout devient in-

sensé, désespérant.

13. Il me faudrait bien d'autres lectures

 pour  me former une idée  personnelle de cette

guerre atroce. Thiers condamne  Napoléon d'une

manière absolue et son blâme semble  plausible.Mais il se nomme Thiers et, par conséquent, doit

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ72

se tromper. En Espagne et surtout en Portugalil y a une faute sans excuse, je crois. C'est l'ab-

sence de  Napoléon. Mais il était  présent en Russie,

ayant à subir  et d'autres avec lui, un châtiment

 prodigieux. D'ailleurs l'Histoire est, par  essence,

insupposable. Des événements autres que ceux

accomplis ne  peuvent même  pas être imaginés

sans sottise ou sans folie.  Napoléon sans la Béré-

sina ou Waterloo serait une figure sans yeux, un

monstre indicible. Puis, la beauté incomparable

de la bataille de Borodino, par  exemple, quel

triomphe l'égalerait?

i4. Entrepris la lecture de la Cathédrale, deHuysmans. Répugnante, mais nécessaire. Qui di-

rait la vérité sur  Huysmans converti, si je ne la

disais  pas ?A propos de cet homme, lu dans l'Écho de

Paris un article sur   l'Académie Goncourt dont

Huysmans est  président. Je savais déjà que les

dix académiciens ont chacun une rente de six

millefrancs,

mais j'ignorais qu'il y

a un prixannuel de cinq  mille, destiné à encourager  les

écrivains de talent  jeunes et  pauvres, c'est-à-dire

ne me ressemblant  pas. Ce sera amusant de voir  

fonctionner cette mécanique.

15. Continué la Ca~~a/e. Rien ne  peut

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A COCHONS-SUR-MARNE 73

égaler  l'inintelligence et l'ânerie somptueuse de

ce livre, si ce n'est la bassesse de cœur, le manqueabsolu de générosité qui caractérise l'auteur.

Le corbeau du saint Ermite que l'Église honore

en ce  jour nous a visités. Nous vivons encore.

16. Parlé de Huysmans à un  prêtre qui l'a

un  peu connu. Je lui dis ce que je pense de cet

académicien qui m'a traité avec tant d'injusticeet qui traitera  peut-être Dieu de même, quand sa

fantaisie de catholicisme aura  passé.

17. Encore Huysmans et son livre. Si  je

n'avais  pas à  parler  de lui, utilement, un  peu plustard, nul ,emploi de mon temps ne  pourrait être

 plus bête.

18. La Cathédrale a-t-elle été lue en entier 

 par  une seule  personne? Je ne crois  pas qu'il

existe en France, un seul ouvrage prétendu litté-

raire dont l'ennui soit  plus étouffant.

19. Achevé, avec un grand soupir! 488  pagessans rencontrer une idée, c'est atterrant. Ah 1

son succès s'explique Mais  je pense qu'on l'achète

 par  mode, par  snobisme, pour  ne  pas le lire. Il

faut être, comme moi, un galérien de la critique

 pour  avaler  ça.

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ74

En manière de réconfort, je reprends Thiers

dont la médiocrité consigne du moins des événe-

ments grandioses ou terribles. Commencé le

XV" volume, l'Espagne en 1812, Wellington, Sala-

manque, l'étonnante désunion des chefs et la

mauvaise volonté homicide de quelques-uns, en-fin et surtout, l'agonie, à cette autre extrémité de

l'Europe, des sublimes soldats que Napoléon n'avait

 pas condamnés à l'effroyable extermination de la

campagne de Russie.

20. Fini de corriger les épreuves des

Lettres de Barbey <f.~M~ Léon Bloy. Ennui

et tristesse de ce rappel d'un temps misérable,sans la ressource de se remonter le cœur    par  des

notes ou des commentaires. Quelques-unes de ces

lettres, parmi les dernières, sont très-bonnes,

très-généreuses et me vengeront de  beaucoup de

calomnies et d'humiliations.

Le  pauvre Barbey valait mieux alors que vers

la fin de sa vie, me semble-t-il. Si le Désespéréavait

 parudix ans

plustôt, en 1877,

jecrois

qu'ilaurait fait quelque chose d'important pour   ce

livre malheureux, dont le sort eût  pu être ainsi

fort changé. A cette époque, il ne connaissait  pas

Antigone et il allait depuis moins longtemps

chez les Juifs affreux qui ont avili, tant qu'ils ont

 pu, sa vieillesse

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A COCHONS-SUR-MARNE 75

Continue Thiers. Misérables aspects de  Napo-léon au retour  de Russie. Son manque de gran-deur  morale, à ce qu'il semble. Et  pourtant quelleforce il a fallu à ce foudroyé pour   ne  pas déses-

 pérer 

23. Hier, j'avais lu, dans l'Écho de Paris,

l'interview d'une centenaire italienne, vivant aux

environs de Rome, laquelle aurait tenu dans ses

 bras Léon XIII enfant, il y a  plus de quatre-vingt-

dix ans, et qu'on allait voir en  pèlerinage à cause

de cela. Cette ruine avait  peu de chose à dire

Cependant on  parlait d'un long entretien qu'elle

aurait eu, ces derniers temps, avec le Pape, entre-tien mystérieux au sujet duquel elle observait une

singulière discrétion.

Or, j'apprends qu'hier  matin, au moment  peut-

être où  je lisais l'interview, cette vieille est

morte, brûlée vive  par  accident.

Interrompu la Campagne de Saxe  pour  com-

mencer  la sainte Lydwine de Huysmans.

24-. Sainte Lydwine. Huysmans porté, par  son sujet, en Hollande; restitué ainsi  pour  un  peude temps, à ses origines, a fait un  peu mieux.

Mais quelle misère et que de misères Que dire,

 par exemple, des dix  pages sur l'armée des saints,

à l'époque, avec emploi de toute la  phraséologie

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ76

technique de l'art militaire ? C'est de quoi donner 

aux  plus pauvres l'illusion et l'orgueil de la

richesse.

25. Tristesse, une fois de  plus sentie, du

Dimanche. C'est ce  jour-là, surtout, que Dieu est

méprisé et c'est ce  jour-là, surtout, que nous sen-

tons notre solitude.

26. Achevé la Sainte Lydwine. Une vie de

saint, l'histoire étudiée à fond, d'un saint, devrait

être bienfaisante à l'âme, donner de la  joie, de

l'enthousiasme  pour  Dieu. Celle-ci ne donne que

lassitude et dégoût.Ah que ne suis-je, moi aussi, colonne de l'Eglise

de mon état, colonne d'argent!

28. Sommation avec frais du  percepteur. Çame change des Bulletins de la Grande Armée.

J'apprends que l'ignoble apostat Combes, pros-

cripteur  des congrégations, a inexplicablement

déclaré à la tribune, je ne sais quels sentiments ou

quelles vues spiritualistes, ce qui a déterminé

aussitôt une tempête parmi les sectaires enragés

qui lui avaient donné leur confiance. Est-ce quecelui-là aussi va devenir une colonne de l'Eglise? '1

Une colonne de merde!

La lecture de Huysmans m'a tant déprimé que

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A COCHONS-SUR-MARNE 77

 je reprends Thiers. Lutzen. Le grandiose est fini

depuis Moscou. En 1813, 1814 et 1815, on sent

le froid de ces trois ou quatre cent mille cadavres

de soldats héroïques, absurdement sacrifiés en

Russie et en Espagne, et qu'il fallut remplacer 

 par  des enfants.  Napoléon ne paraît pas s'en être

 jamais repenti.

29. Bautzen. L'amertume de cette histoire

est en harmonie avec ma tristesse excessive.

Prière du soir à l'église, dite en français par  un

vicaire .qui parle du nez. Ce  parti pris, dans toutes

les  paroisses, de dire obstinément en français des

 prières quetout le monde sait en

latin,me

 paraîtsimplement diabolique.

30. Un ami m'a  parlé de ma  pauvreté.Plût à Dieu, lui ai-je dit, que je fusse  paM~'e/ Je

serais, alors, compagnon des  bergers adorateurs.

Mais je suis indigent, absolument indigent, vivant

du miracle seul, faisant des dettes en comptant

sur Dieu  pour  les  payer, en un mot  pratiquant ce

que tous les honnêtes gens nommeraient l'escro-

querie, l'abus de confiance en Dieu. Et cela

dure depuis des années et on ne se doute de rien

et  je n'ai  pas encore été  pincé.

3i. En attendant l'effet d'une démarche af-

freuse, je me t raîne sur   Thiers, traînerie de déses-

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ78

 péré. Vers le soir, j'ai l'assurance de  pouvoir 

respirer  deux ou trois  jours. Ensuite Dieu se dé-

chaînera peut-être.Je sais un misérable homme qui s'inMige pour 

l'argent des tourments divins et qui va  peut-être

mourir  dans vingt-quatre heures, ayant tout em-

 poisonné.

Février 

l". Ce qui nous

afflige

le  plus, c'est la suc-

cession, la loi du Temps. Etant des ressemblances

de Dieu, participant à la Nature divine, Dieux

nous-mêmes, nous avons le besoin de voir   tout, de

sentir  tout, simultanément. La chute, c'est d'être

tombés de l'Éternité.

3. Couvent de Saint-Joseph. Cours de poli-tesse. Véronique nous dit avoir  reçu cette instruc-

tion Quand une  personne éternue, il ne faut pas lui dire Dieu vous bénisse C'était bon autre-

fois. Aujourd'hui, ça ne se dit  plus Faut-il dire

« La  jambe » ou « Ta gueule ?

5. Voici ce que m'a donné Jeanne

« Tout le  peuple Juif se lèvera  pour  faire un

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A COCHONS-SUR-MARNE ,79

Chemin de croix sanglant. Ses ennemis se  jette-ront sur  lui, à chaque station, pour  l'écraser là où

il aura humilié Jésus. »

6~ Article inédit

Mystère de Noël

Je venais de lire coup sur  coup la Cathédrale et

Sainte Lydwine de Huysmans. Je n'en  pouvais plus.

Cette littérature de tribulation qui a toujours l'air d'avoir été tirée à la lumière ainsi qu'un ténia, avec des

 précautions de  pharmacien, m'avait déprimé complè-tement. L'écolier de Médan, auteur de  plusieurs petites

impuretés préalables à sa conversion, que j'eus tant

de  peine à décrasser, il y a environ quinze ans, et qui,

récemment, a découvert le Catholicisme  pour  en devenir 

aussitôt une des colonnes, m'avait accablé en vingt-

cinq  mille lignes, de ses « épithètes rares », si labo-

rieusement extirpées de divers lexiques en vue denotifier sur des objets où les  petits enfants sont

tous docteurs de coquebines et centenaires appré-ciations.

Ce fut au milieu de cette détresse qu'un bon facteur 

m'apporta le Mystère de Noël de Jacques Debout.

(Gabriel Beauchesne, éditeur, Paris). Je me hâte

d'avouer un  premier  mouvement très-hostile à cette

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ80

 brochure, en laquelle je voulais voir une de ces homi-

cides excogitations de calotins  par  quoi on imbécillise

la  jeunesse dans les cercles ou institutions catho-

liques.

Bientôt, pourtant, je me ravisai. Ce Jacques Debout

un  pseudonyme évidemment n'était  pas un in-

connu  pour  moi. J'avais lu de lui un roman dont  jen'avais  pas aimé toutes les idées, mais qui m'avait

 paru généreux et d'une langue robuste. 11 fallait voir.

Avant d'aller    plus loin, je dois avertir   que jen'aime  pas la forme du théâtre, en quelque genre que

ce soit. Je la  juge anti-littéraire  jusqu'à déplorer, par  

exemple, que Shakespeare n'ait  pas fait l'histoire de

l'Angleterre en  poème épique au lieu de la faire en

drames. Au  point de vue de la morale chrétienne, je

 pense avec Bossuet, qui suivait en cela les Pères et

la Tradition, que le théâtre est essentiellement mau-

vais, absolument indéfendable. On voit  par  là ce qu'ilest  possible d'espérer  de moi, quand il s'agit d'une

 pièce quelconque destinée à être représentée sur une

scène  par  des jeunes gens prétendus chrétiens. Diver-

tissement dont les Jésuites  passent pour  être les inven-

teurs et qui se  pratique à  peu près partout, depuis

que la foi est morte et enterrée. Mais si la  pièce sup-

 posée quelconque a la  prétention d'être un de ces

Mystères comme les entendaitle moyen âge, oh alors,

 je me cabre tout à fait.

Dans une fête qu'il y eût, l'an  passé, en un couvent

de Cochons-sur-Marne, on a vu, sous forme de mys-

tère, la chienlit impardonnable d'un  J oseph vendu  par ses frères que jouaient des filles de  boutiquiers ou de

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A COCHONS-SUR-MARNE 81

ronds-de-cuir, l'une d'elles ayant été costumée en

 patriarche J acob et affublée inimaginablement d'une

 barbe! cela se  passait dans le voisinage du Saint

Sacrement chez d es religieuses qui ne se croient  pas

désagréables à Dieu.

Un autre  jour, dans la même maison, les mêmes

artistes offrirent le spectacle non moins inouï des

Martyrs de Lyon. 11 y avait, cette fois, un saint Pothin,

 barbu, lui aussi, mitre en tête et crosse en main, don-

nant aux Témoins de Jésus-Christ la bénédiction épis-

eopf~e La salle se tordit à l'apparition de ce  pon-

tife. Je le répète, cela se  passait dans une maison où

on est  persuadé qu'on croit en Dieu.

Assurément le ridicule de ces manigances est  per-

ceptible, même  pour  des détaillants de chef-lieu de

canton. Mais l'ignominie parfaite et la sacrilège hor-

reur  de telles mascarades où l'enfance est  profanée,

qui donc  pourrait s'en douter seulement  parmi les

 bestiaux du commerce, les aumailles  puantes et inco-

mestibles du comptoir?

Voilà, n'est-ce  pas? des  préliminaires étranges à un

article sur ce  pauvre ~ys~re de Noël dont  j'ai décidé

de  parler. Je lui dois bien ça, puisqu'il qu'il m'a con-

solé, un  jour de tristesse. Après ce qui vient d'être

dit, l'éloge que j'en voudrais faire ne semble  pas très-

facile. Mais, d'abord, je n'ai considéré  jusqu'ici que

les âneries ordinaires et le Mystère de Noël est, au

contraire, une chose touchante et belle. Ensuite  je me

 persuade, comme  je peux, que cette  pièce ne  pourrait

 jamais être représentée au naturel dans aucune école

ou  pensionnat chrétiens. En effet une troupe d'acteurs

n 6

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QUATRE ANS DE CAPTI VI TÉ82

des deux sexes étant impossible dans ces endroits. ïl

faudrait nécessairement, ou des filles  pour  jouer saint

Joseph, les Bergers, les Rois Mages, ou un garçon

 pour jouer Marie –monstruosités intolérables. Reste

le merveilleux expédient des marionnettes.

Dieu me  préserve d'oublier le Mystère de la Nativitéde Maurice Bouchor, au  petit théâtre des Marionnettes

de la galerie Vivienne, en  janvier 91, les rôles étant

lus, derrière la coulisse, par  Jean Richepin, Raoul

Ponchon et deux autres. Oui, de véritables marionnettes

grandes comme des e nfants de dix ans, défectueuses

et  pauvres comme les figures taillées des humbles

calvaires.

« Rien ne surpasse, écrivais-je, quelques jours plus

tard, la douceur de ce  poème où des rôles importantssont tenus  par  le Bœuf  et l'Ane, après que l'archangeGabriel leur a départi le langage humain. L'allégresseinfiniment humble de ces animaux sans  péché quin'en  peuvent plus de savoir  que Jésus va naître, est

 pénétrante comme la lumière. L'âme vaseuse du spec-tateur en est clarifiée. Ce qui tombe alors, c'est la

 pluie des Lys, des grands lys pâles, éclatants et silen-

cieux, de l'Adoration la  plus pure. La suavité de cet

instant n'est  pas exprïmable. Un effluve de réconcilia-tion et d'amour  qu'on croirait eucharistique, émane

 positivement de ces bêtes en carton, charitables et

rudimentaires, qui dialoguent saintement  par  la voix

émue des invisibles récitateurs. »

Le Mystère de Jacques Debout est digne de ces

marionnettes et c'est l'élog& le  plus affectueux, le  plus

 profond. Puisse-t-il obtenir, un  jour, cette interpréta-

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A COCHONS-SUR-MARNE 83

tion, la seule qui lui convienne Cet humble  poème est

 beau  par  la forme, plus beau,  par  l'accent, son auteur 

étant de ces monstres qui aiment réellement les

 pauvres et que le Pauvre tout brûlant de gloire visite

amoureusement. Il est, peut-être, le dernier ou l'avant-

dernier  ami de ces pauvres, de plus en plus détestésdans une Société qui va devenir tout à fait sans Dieu.

Beaucoup de gens que son ~t~re ferait  pleurer 

sont  précisément des dévorateurs de  pauvres. On

connaît l'anthropophagie des sentimentaux.

J'ai eu faim et vous ne m'avez  pas donné à manger 

dira le Juge. Pardon, Seigneur, lui répondront-ils,

nous avions saigné un pauvre, ce  jour-là, et nous

l'avions accommodé  pour  vous faire honneur. II ne

tenait qu'à vous de  prendre part à notre festin.Jacques Debout a une autre manière de lire l'Évan-

gile. Il a la manière des Saints qui est i rrésistible et

 je n'ai  pas mieux à dire de cette brochure  presque

enfantine qui m'a  pris le cœur.

Lecture excessivement amère de la Campagne

de Saxe, côté des désastres. Cette ruine du plus

grand des hommes est intolérable.

Il

y

a des

 jours

où on croirait Dieu brûlant de

fureur contre ceux qui l'aiment. Deus noster   ignis

consumens est. Rebr., xn, 29.

9. Lu la terrible bataille de Wachau, près de

Leipsick. En voyant le calme impassible de  Napo-

léon, avant, pendant et après ces boucheries im-

menses, sa gaité même, quelquefois, au milieu

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QUATRE ANS DE CAPTI VI TÉ84

des  plus effroyables catastrophes et son absence,

au moins apparente, de tout remords, à Sainte-

Hélène, je me suis rappelé ce troublant détail,vrai ou faux, donné dans  je ne sais quel mémoire.

 Napoléon ayant été ausculté, un  jour, le médecin

découvrit que le battement de son cœur était a~o-/Z</K6M<imperceptible.

Une chose, dans Thiers, m'est douce. Sa haine

furieuse et constante  pour  Bernadotte.

il. Achevé la Campagne épouvantable de

Saxe. Napoléon ramené au Rhin. Convulsions

énormes de sa  puissance. La bataille de Leipsick,

à elle seule, a coûté la vie à 120.000 hommes.

Pourquoi cette lecture m'est-elle si  pénible ? Le

mot de  patriotisme, à la distance d'un siècle, ne si-

gnifie pas grand chose. La vérité, je crois, c'est

que je ne  prends pas mon  parti des forces perdues,ce qui est, à un  point de vue transcendant,

l'une des formes les  plus affligeantes de l'injustice.En 1814, Napoléon s'est efforcé de sauver la

France avec quelques dizaines de milliers d' hommesdont la  plupart étaient des enfants, ayant perdu inu-

tilement, en Espagne d'abord, puis en Russie, enfin

dans les forteresses d'Allemagne, à  peu près cinq cent mille soldats des meilleures troupes qu'il yeût au monde. Les anges gardiens de la France

ont dû sangloter.

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A COCHONS-SUR-MARNE 85

Appris la naissance d'un  petit luthérien, une

âme de  plus pour  la médiocrité infernale, sauf 

miracle. Je rêve, avec une grande douceur, d'un

homme de Dieu, d'un  prophète investi de sa  puis-

sance, qui frapperait d'ïM/ecoMc~e les nations hé-

rétiques en attendant leur   abjuration ou leur  extermination. EGEO GLORiA DEt (Rom., m, 23).

12. Question. Pourquoi Dieu n'a-t-il eu be-

soin de  personne pour  créer  le monde? Il est bien

sûr  que Dieu a créé le monde tout seul, de sa

 propre Main, et c'est une chose à laquelle on ne

 pense pas assez. Dieu n'avait  pas de serviteurs

 pour  créer toutes choses à sa  place, etc. Mais

lorsqu'il voulut « réformer la dignité de la subs-

tance humaine », comme il est dit au sacrement

de la messe, il ne  pouvait ni naître, ni mourir  

tout seul il ne  pouvait, le tout-puissant, ni se

souffleter, ni se cracher à la figure, ni se flageller,ni se crucifier lui-même. Il lui fallut bien se faire

servir et la  plus horrible canaille  pouvait seule

être appelée à collaborer ainsi à la Rédemption.

Les bourreaux de Jésus-Christ ne seraient-ils

 pas, en cette manière, les véritables ouvriers de la

onzième heure?

13. Commencé l'énorme volume XV11I' de

Thiers: 1814. Les branches du grand arbre tombent

les unes sur les autres. C'est toujours la même peine

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QUATRE ANS DE CAPTIY:T-É86

 pour  moi qui suis tellement le contemporain des

hommes de 1814. Ce misérable historien, ce sen-

tencieux raccommodeur de vieux  parapluies, me

montre tout de même de si grandes choses Oh i

les deux discours de Napoléon, le  premier  au Corps

législatif  (p. 179) et le s econd au Sénat (p. 182)! 1Le  premier  surtout!

Quand, pour  la  première fois, je rencontrai

Léon Bloy et que je demandai Qui est cet

homme? on me répondit Un mendiant. Je

sentis alors que c'était le destin. Six mois après,nous étions mariés. JEANNE.

14. Cematin,

on lisaitici,

en l'honneur  de

saint Séverin, la messe  pro a~a~M~ où il est

dit Ce~My~MHï accipiet. Là-dessus, sainte Cathe-

rine de Sienne que nous étudions, affirme que le

nombre cent est du Saint-Esprit. Un moment nous

 pensons que toutes les choses divines grondentautour  de nous.

Un Jésuite m'affirme qu'il y a des saints dans

son Ordre, des saints contemporains, mais cachés.

Réponse Est-il  possible de cacher  un incendie?

15. On m'a  persuadé d'écrire à une Mère

Mercédès, religieuse illustre et  puissante qu'on

suppose capable de changer  ma vie, si elle voulait,

st dont on me  parle depuis un mois. J'écris à cette

religieuse une lettre ~ue je la défie bien d'oublier.

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A COCHONS-SUR-MARNE 87

Entre autres choses « Je voudrais achever mon

oeuvre. Je demande cela comme un enfant  pieuxdemande qu'on Ini  permette d'achever  sa  prièreavant de dormir. Je demande cela et rien de

plus. »

Exurge, quare obdormis, .Po?mMe?'dit la liturgiede ce  jour, dimanche de Sexagésime. Jeanne me

rappelle l'étonnante chose que voici. En 95, dans

cette maison affreuse du Petit-Montrouge où nous

avons été si malheureux, Véronique se remettant

à  peine d'une maladie qui avait failli la tuer, si

 peu de temps après la mort de son frère André,

dit, un matin, à sa mère, en lui montrant le cru-

cifix Maman, dis-lui donc de se réveiller  Or,c'était le matin de Sexagésime.

16. Géographie élémentaire. Qu'est-ce queCochons-sur-Marne ? C'est un trou plein de ver-

mine.

17. Lettre de la Mère Mercédès à un des

amis qui m'ont décidé à lui écrire. «Elle sent  par-

faitement qu'elle a le devoir   d'agir  et comprend

qu'avec un tomme tel que moi, il faut aller  jus-

qu'au bout. » Telles sont ses expressions. Pro-

messe formelle, si  je ne me trompe.Thiers. Arrivé à Montmirail, j'entreprends une

relecture parallèle d'Henry Houssaye. Fatigue de

 passer  continuellement d'une  parole vivante à une

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ88

 parole morte, d'un Lucifer  à un fabricant de

chandelles 1

18. Commencé les Dernières Colonnes de

l'Église. Il est temps que la vérité soit dite. On se

moque un  peu trop de Jésus-Christ.

19. Parlé de Bossuet à un  prêtre ami. Nous

opposons ce grand évêque à Fénélon qui voulait

que le directeur donnât au  pénitent ses  propressentiments ou  pensées, au lieu de se se borner à

le mettre en garde contre les déviations et les

écarts. Je  précise en faisant observer  que le di-

recteur doit être un tacticien et non  pas un stratège,ce rôle devant être abandonné à l'Esprit-Saint. A

ce  propos, j'exprime l'idée, si ancienne chez moi,

que la mort de Dieu, pour  le résultat que nous

voyons, après dix-neuf  siècles, est insupportablela raison, ce qui semble être approuvé sans res-

triction  par  le confabulateur. Il convient que le

ministère du  prêtre, dans notre société livrée au

démonde

l'impiétéou au démon de la

bêtise,est presque toujours en vain, occasion d'une tris-

tesse extrême. Nous  parlons aussi de quelques

dévotions imbéciles, propagées depuis quelque

temps, la dévotion à saint Expédit, par   exemple,

 pour  obtenir  d'être exaucé avec promptitude! Ce

saint martyr, dont l'existence  paraît incertaine,

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A COCHONS-SUR-MARNE 89

est représenté avec une croix sur   laquelle on lit

Hodie (aujourd'hui) et foulant du  pied un cor-

 beau qui crie Cras! (demain). Il se fait autour 

de cette dévotion exceptionnellement cocasse un

commerce important de médailles, images, ex-

voto, statuettes, etc,

20. Une âme que Dieu assiège avec toute sa

 puissance! Imaginez quelque chose de  plus beau! 1

21. Dernières Colonnes, chapitre Huysmans.Plus  j'y regarde et  plus je méprise le catholicisme

figé et si  profitable de ce confident des diction-

naires.

23. Lundi gras. A deux  prêtres qui se sou-

viennent de la Passion de Jésus-Christ

Chers amis, Je  profite de ces  jours où Jésus est si

 particulièrement torturé  pour  vous supplier  de vous

souvenir  de moi devant son Corps exposé. Vous savez

l'espérance qui m'a été donnée. Il me semble que je

suis un peu plus

malheureuxqu'avant,

à cause de ma

crainte d'une déception nouvelle après tant d'autres.

Puis il y a la longueur  des délais. Il faut avoir enduré

le supplice de la roue, appliqué par   des bourreaux som-

nolents dans une solitude léthargique, pour  savoir ce

que les délais et surtout les délais inconnus peuventfaire

souffrira un malheureux qui aurait besoin d'être secouru

ou expédié à l'instapt même. Ah! le bienfait ne suffit

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ90

 pas. 11 faut qu'il ne'vienne  pas trop tard, et il y a lieu de

craindre qu'amorce d'être désiré dans les tourments, il

ne finisse  par perdre sa saveur et son efficacité. Cette

dernière observation  peut n'être  pas applicable au cas

 présent, mais  j'en suis, tout de même, obsédé. Vous

savez ce que disait souvent mon vieil ami Ernest Helo,qui a tant souffert  par  le désir et  par  la  prière inexau-

~ée On voudrait voir la main de Dieu et c'est la

 promptitude seule qui montre cette Main.

Vous connaissez nos aimables enfants. Imaginez

quelque chose de  plus déchirant que d'entendre ces

 petites bourrèles innocentes nous demander ce qui leur 

serait nécessaire ou très-utile et que nous ne  pouvonsleur donner. Nous wons en déjà cette énorme  peine

qui menace de revenir. Puis, tout le reste que voussavez bien. Les créanciers anciens ou nouveaux, les

fournisseurs impatients -et aboyants, la recherche quo-tidienne des expédients et la difficulté  presque insur-

montable  pour  un écrivain  plongé dans un tel enfer, de

se recueillir, de se récupérer  suffisamment. Où est le

galérien qui voudrait d'une existence  pareille et com-

ment la pourrais-je supporter, si je n'avais  pas, chaque

matin, le Corps de Notre Sauveur   crucifié? Ce matin,

 je sentais le  premier  souffle, si délicieux, du  printempset cette caresse me  pénétrait de mélancolie. Je son-

geais à une  petite maison très-humble, avec un  jardinoù mes  pauvres fillettes  pourraient courir  et  jouer pen-dant que je travaillerais en  paix. Tout cela dans -votre

voisinage, ô mes chers amis! Et, en même temps, jeme disais que c'était un vain et douloureux rêve, queces choses, pourtant faciles, n'étaient  pas pou rmoi.

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A <;OCHONS-SDR-MARNE 91

Consolez-moi, si vous le pouvez, mais surtout  priez

 pour  moi, priez comme des Princes du Sang de Dieu

que vous avez l'honneur  d'être.

P.-S. Je m'occupe, comme je peux, des D~~mére~

Colonnes de l'Église, livre que personne, excepté moi,

ne songe à écrire et que le succès des apôtres de came-

lote rend, chaque jour, plus nécessaire.

24. Mardi gras. Jeanne revenant de l'église:

Rappelant à Jésus notre dénûment extrême, jelui disais Donnez-moi ce qu'il y a dans votre

Main, ouvrez votre Main. Alors, il a ouvert SA

MAtN, et  j'ai vu qu'Elle était  percée!

Je n'ai rien trouvé de  plus beau thez aucunécrivain mystique.

1814. Thiers et Houssaye. Cette histoire m'est

décidément une agonie. D'un bout~ l'autre, il n'ya que des fautes ou des crimes. Augereau, Mar-

mont, Ney, Soult, Napoléon lui-même qui ne

 pense qu'à Paris, au lieu de marcher résolument

sur ses  places et de rappeler  de là les garnisons

formidables d'Anvers et de Hambourg, ce qui l'eûtmis à la tête de 150.000 hommes de bonnes troupes;tout le monde se trompe ou défaille d'une façon hor-

ribl~et la misérable France est mangée. Napoléon,hélas qui aurait  pu agir  en  poète casse-cou et qui

eût ainsi tout sauvé, semble avoir été hébété  par le désir   bourgeois de régner  à n'importe quel

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ92

 prix, de régner  à Paris même au lieu de régner sur le monde, en se disant que, désormais, le quar-tier  général de  Napoléon serait la capitale de la

France.

28. Pas de réponse de la Mère Mercédès.Elle est trop occupée, dit-on. Quand Dieu vien-

dra, sans doute qu'il trouvera ses serviteurs trop

occupés pour  le recevoir. In propria venit. Sait-

elle qui je suis, cette femme qui semble vouloir 

ne me donner  que de l'espérance et qui n'a  peut-être  pas encore remué un doigt pour  me venir en

aide? Elle est avertie, pourtant, et  j'imagine que

sa négligence n'attirera  pas de très-abondantes bénédictions sur ses oeuvres. Mais essayez de faire

comprendre n'importe quoi à une religieuse quicroit qu'elle fait quelque chose 1

Mars

1" Autrefois, il y a  plus de vingt ans, lorsque

 je n'écrivais  pas encore, ce  premier  jour de mars

était attendu  par  moi avec une impatience amou-

reuse. Rien que d'y penser, mon vieux cœur  tres-

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A COCHONS-SUR-MARNE 93

saille. Depuis, j'ai été si cruellement abandonné

 par  Celui qu'on nomme le « Gardien du Trésor des

cieux H et qui fut le  premier, le  plus impitoyablede mes lâcheurs, que toute cette gloire de mon

 passé tombe en ruines et que je sens une sorte

d'égarement douloureux à voir  venir, une fois de

 plus, le terrible mois de ce Patriarche effrayant à

qui j'ai donné tout ce qu'un homme  peut donner,

sans recevoir autre chose que des tourments.

Cette Mère Mercédès Dès le  premier  jour, j'ai

compté sur  elle comme on compte sur  un homme.

Elle attend peut-être que je sois mort, pour  agir.On l'étonnerait en lui disant que les amis qui la

sollicitent  pour  moi lui font le  plus grand hon-neur. Ah! les catholiques modernes et leurs exé-

crables œuvres!

Jésus fait  passer  sa Croix de ses épaules sur 

les nôtres et de nos épaules sur  les siennes, en

sorte qu'on pleure toujours de douleur ou de com-

 passion.

2. Capitulation de Paris. Admirable constancede  Napoléon. Sa supériorité infinie sur  tous les

contemporains en qui je vois l'éternelle canaille

déchaînée contre les enfants de Jupiter.

3. A quelqu'un qui m'a envoyé une imageridicule

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ94

La Sainte Monique d'Ary Scheffer est tout à fait

digne de ce  peintre. C'est une toile  protestante et sen-

timentale, ce que j'appelle de la  peinture de latrines.

Votre incertitude sur ce point prouve que vous ne

m'avez  jamais lu.

4. Lorsque j'attends de l'argent, il m'arrive

ordinairement des choses telles que ceci Un bul-

letin d'abonnement à la Nouvelle Revue c~E~yp~,feuille consacrée au « relèvement intellectuel et

artistique du  public égyptien ». Le Directeur, un

nommé Braun qui parle de son « apostolat », me

 paraît avoir un fier culot.

On me dit que le retard de la Mère Mercédès est

explicable par  l'énorme encombrement de ses

affaires. Elle organise des ventes de charité et

autres cochonneries du même genre. C'est elle,

 peut-être, qui relève le  public égyptien.

5. « Je m'abandonne à vous, Marie, en vous

 priant de m'abandonner  à Jésus, pour qu'il s'aban-

donne à moi. » JEANNE.

7. Pleurer, c'est vivre. Anniversaire du cruel

 jour  à Rendebanen. (Voir  Mon  journal, p. 350.)

8. Reçu l'Oblat de Huysmans qui vient de

 paraître. C& nouveau bouquin de 448  pages est

suivi d'une  page de réclame  pour  chacun de:

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A COCHONS-SUR-MARNE 95

 précédents. J~. suppose que Huysmans en est

l'auteur. A  propos de Sainte Lydwine, il est dit

qu'il. est le  plus grand écrivain chrétien depuis

 plusieurs siècles., C'est évidemment son opinion.

Qui sait? Il est  peut-être consulté avec respect par 

la  personne qui a dans sa main le  pain de mafemme et de mes enfants.

A la messe, le doyen annonce  pour  3 heures

un Te Deum en l'honneur du vingt-cinquièmeanniversaire du couronnement de Léon XIII. Reste

à savoir si ce Te Deum retentira dans le c iel. L'ora-

teur nous avertit qu'il faut louer Dieu pour  la

longueur  de ce  pontificat glorieux combien glo-

rieux Qui pourrait le dire?et

demander sa prolongation indéfinie. J'aurais cru  plutôt qu'ilétait urgent de demander le contraire.

11. Rêve. Je me voyais soldat dans  je ne

sais quelle guerre, mais séparé de mon régiment,isolé et décidé à vendre ma vie très-cher, car 

c'était une espèce de guerre diabolique et sans

merci. L'ennemi paraissant, je

me battais avec

une énergie surhumaine. Après avoir   beaucoup

massacré, j'étais enfermé dans une  prison, atten-

dant la mort, je ne sais quelle terrible mort. Mais

 je me recommandais à Marie. Aussitôt, je pouvaism'évader sans le moindre effort, j'ouvrais les  portes

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QUATRE ANS DE CAPTI VITÉ96

avec une extrême facilité et  je revenais  pieds nus,

l'âme baignée de délices.

On me répète que la Mère Mercédès a été  priseen un très-mauvais moment. Je m'en doutais. Si

elle avait un atome de sainteté, elle se serait dit

que je lui étais envoyé, peut-être,pour  /<MMr, etelle aurait tout lâché  pour  moi. N'étant  pas une

sainte, mais seulement une sainte femme, elle ne

fichera rien, c'est fort  probable.

18. Je demande à Marie si elle a Elle

aussi des œM~yey qui l'empêchent de m'écouter,

de me délivrer comme  je l'en supplie avec larmes,

depuisdes années.

14. La Mercédès vuf~  par  un ami qui s'est

dérangé avec héroïsme. Il est reçu par  elle comme

un lavement et n'obtient que deux mots galopés

qui prouvent que je s'tis très-cuit. Je livre cette

 pharisienne à Celui qui ne  pardonne pas.

Voici mes  pensées sur Fontainebleau. Lorsque

 Ney, Oudinot et les autres voulurent faire la loi à

 Napoléon, le forcer insolemment à abdiquer,

malgré le bon vouloir  et le dévouement absolu de

l'armée; quel spectacle inouï, quel coup prodi-

gieux si le grand homme, appelant sa garde, avait

fait arrêter et fusiller sur l'heure une demi-dou-

zaine de ses maréchaux Quel ascendant terrib'b

sur  ses vieux soldats qui ne  parlaient que de

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A COCHONS-SUR-MARNE 97

trahison! Quelle inquiétude pour   le tsar   et ses

médiocres alliés Quel retour  possible de la for-

tune

16. Sermon quelconque sur  Jeanne d'Arc,

dont la Cause en Béatification va être  jugée. Il ya de hautes et magnifiques choses à dire de Jeanne

d'Arc, mais  personne ne s'en avise et, d'ailleurs,

qui pourrait les entendre? Jeanne d'Arc préfigurede l'Esprit-Saint, comme Christophe Colomb, mais

d'une manière plus précise, puisqu'elle est femme,

quoi de plus inintelligible pour   les sentimentaux

qui l'avilissent de leur admiration? Ayant, autre-

fois, beaucoup travaillé, etcombien en vain!  pour la Cause de Christophe Colomb, j'avoue que jesuis sans enthousiasme  pour  celle-ci qui n'inté-

resse la Congrégation des Rites que parce qu'elleest une affaire d'or. Il n'y a guère que les cui-

rassés à tourelles qui coûtent  plus cher  que les

 procès en béatification.

17. Autre discours sur   Jeanne d'Arc  par  l'abbé

Galette, prêtre d'argent et tombeur  de messes déjà.Y~mmé. Tisane de lieux communs.

13. Thiers. Lu la  première Restauration avec

horreur. Tous ces maréchaux, généraux et fonc-

tionnaires qui ont tout reçu de  Napoléon et qui se

traînent aux  pieds du cochon mis en sa  place

!I 7

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QUATRE ANS DE C AP TIVITÉ98

19. La maîtresse de Véronique disait, ces

 jours-ci, aux  petites boutiquières de sa classe que,sans doute, il serait bien de fermer le dimanche,

mais qu'il n'y a  pas de mal à ouvrir    jusqu'à midi.

En voilà des religieuses qui se fichent un  peu de

la Salette! Elles verront ce que cela leur  rappor-tera. La Chambre a voté hier la fermeture de

toutes les congrégations enseignantes.

20. Deux  prêtres avares, rien que pour  ce

trou de  paroisse

21. Je  prie comme un blessé qui demande à

 boire à sa mère absente.

22. Difficulté ancienne déjà: Non sumus an-

cï/~s /M, dit saint Paul. Écce ancilla Domini, dit

Marie. Tout ce que je trouve, c'est que Marie serait

ancilla  jusqu'à l'avènement du Paraclet et libera,

aussitôt après. Cela, bien entendu, est  pour  les

exégètes purs. Mais tout de même, je crois que ce

n'est  pas très-fort.

Maria Immaculata Conceptio, ~M~ sursum esJerusalem, mater  nostra, da nobis ~?~MMï tuam

HODIE.

Sermon du  prédicateur  de Caréné sur l'Amour 

de Dieu. Ce prédicateur  venu de loin, j'imagine,

est, exceptionnellement, un  prêtre sans remontoir,

une sorte de  prêtre en vie et  paraît avoir  quelque

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A COCHONS-SUR-MARNE 99

considération pour les  pauvres, ce qui déplait fort.

Faiblement inspiré, aujourd'hui, c'est l'amour de

Dieu à la  portée des épicières et des épouses d'em-

 ployés qu'il nous  propose. Une corvée, croirait-on.

Un moment il a  parlé de l'Amour  de Dieu compa-

tible avec le commerce Les murs n'ont  pas reculé,fort heureusement. Alors  jen'ai plus écouté quemon rêve. Rêve d'un livre qui serait une série de

sermons sur chacun des Évangiles du carême,mais des sermons aux  petits bourgeois, et terribles,

où cette canaille serait fouaillée comme les chiens.

Carême nullement ~ya~Me, sans doute, mais où

les  prédicateurs de bonne volonté trouveraient

 peut-être quelques idées. J'étais singulièrementsecouru par  le voisinage, ayant la sensation d'être

entouré d'animaux immondes. L'infirmité des  pré-dicateurs est de ne plus oser dire la vérité «Vous

autres impies, vous autres hypocrites », etc. « Mes

chers frères et sœurs, nous sommes tous des

morts, et nous  puons effroyablement », etc., etc.

Décidément le Grand Carême du Père Marchenoir 

ne manquerait pas d'intérêt.En un endroit, le  prédicateur  a rappelé la

 parole forte « Qui non odit patrem suum, etc. 1en la faisant suivre d'une interprétation de sémi-

naire, alors qu'il eût été si facile de l'éclairer   par le texte de saint Jean: « Vos ex patre diabolo estis. »

Quelle misère

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QUATRE ANS DE C AP TIVITÉ100

Il y a, au seuil de l'Église, n'assistant  jamais à

aucun office, un misérable homme, dont le  pro-

 priétaire vient de faire enlever  la  porte et la fenêtre

 pour  une dette de quelques francs. Naturellement

ce propriétaire est riche. C'est un tueur de  pauvres

très-âgé qui va  probablement mourir  demain. Je pense que le Doyen lui confiera un  passe-partoutdu Paradis. IL FAUT BIEN QUE LES PROPRIÉTAIRES

MANGENT nous a expliqué une  boutiquière de

génie. Raccourci de toute la sagesse humaine.

23. Me sera-t-il  jamais donné d'écrire sur  

 Napoléon le livre que j'ai si souvent rêvé? C'est à

 peine probable, l'huile de ma lampe étant déjà

 presque épuisée. Et  j'ai plusieurs autres livres à

faire. Il me semble, cependant, que j'ai reçu

quelque lumière sur  ce PyecM~eMy et cela depuis

longtemps. Mais il faudrait, avant tout, que je fusse

délivré de ma  prison actuelle et jamais prison ne

me  parut aussi fortement cadenassée.

24. Visite d'un salaud porteur de contraintes,

m'apportant un commandement qui n'est ni deDieu ni de l'Eglise. 1 fr. 60 pour  le torche-cul.

25. Annonciation. Voilà bientôt deux mille

ans que vous saignez sur  moi, ô Jésus et  je suis

tout ruisselant de votre Sang. Regardez-moi et

ayez pitié de vous-même.

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A COCHONS-SUR-MARNE 101

La férie (4° après Ls~c) est d'une douceur indi-

cible. Vidisti eum et qui loquitur  tecum ipse est.

Voir  Jésus! Parler  avec lui, mon Dieu! Cet aveugle-

né est évidemment moi-même.

26. Jeanne a aperçu, hier, à l'église, unevieille dame qu'elle savait malade. Ce matin, elle

apprend la mort de cette  personne qui n'a pu être

à l'église hier ni même avant-hier, puisqu'alorselle était morte ou agonisante. Voilà donc une âme

qui lui demande des  prières. J'ai  pensé souvent que bien des gens qu'on aperçoit, ici et là, sont réelle-

ment des morts, des morts exhalant une odeur de

fosse, ayantdes habitudes de cadavre. Combien

sont-ils de vivants au Ministère ou au Parlement ?7

Un des inconvénients les moins observés du suf-

frage universel, c'est de contraindre des citoyensen  putréfaction à sortir de leurs sépulcres pour  

élire ou  pour  être élus. Le Président de la Répu-

 blique est  probablement une charogne.Lu  passionnément le Retour de l'Me d'Elbe, dans

Thiers, tentative douloureuse de réparer l'irrépa-

rable, poème unique dans l'histoire du monde.

Remarqué que Napoléon marchant sur  Grenoble et

nullement assuré, jusque là, de son succès a  passé,

 par  Corps, au  pied de la Salette. Il doit y avoir là

quelque chose à dire.

27. Suite du silence de la sainte Mère Mer-

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QUATRE ANS DE C AP TIVITÉM2

cédès. Quelqu'un qui la connaît m'apprendqu'elleest unie à Dieu d'une manière qui ne lui permet pasde  penser  à la canaille.

28. Un ami que beaucoup d'ennemis ap-

 prouveront. m'écrit que mes soufr~uces doivent

être expliquées par  la Justice de Jieu qui me

 punit de ma méchanceté. A propos des Dernières

Colonnes ~e 7'.É~M<? dont il sait le dessein, cet ami

déplore que je sois toujours le même «  jeunehomme impétueux et incapable de  pardon quin'a  pu vieillir, depuis le Désespéré.

29. Notre  prédicateur qui improvise trop,

 parlant de la famille et du divorce, s'était embar-

qué dans une  phrase où la femme accomplissaitdes actes. Là, s'apercevant qu'il était sur le  pointde dire un mot  peu convenable, il s'arrêtait quelquessecondes et finissait  par  se  jeter sur le  premier mot venu. Alors la femme accomplissait des actes

d'agriculture! En l'écoutant, je songeais à ce

 prédicateur effrayant qui serait une sorte de  pro- phète, annonçant le divorce de Jésus-Christ et de

son Église. Mais qui pourrait comprendre?

30. Sur la terre nous voyons l'Invisible  par le Visible. Après la mort. nous verrons le Visible

 par  l'Invisible. JEANNE

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A COCHONS-SUR-MARNE 103

31. Paris me devient insupportable. Quand

on y est sans amis et qu'on a renoncé à la vie

sensuelle, que faire au milieu des  bicyclettes, des

automobiles, des tramways électriques, dans des

rues partout défoncées ou barrées à cause des

travaux du métropolitain. Qu'est devenue l'aimableville d'il.y a quarante ans?

Avril

2. La  plus discrète mention de la  prière pour les morts, sans aucune tentative d'apostolat, suffit

 pour  exciter  l'indignation la  plus vive chez les

 protestants luthériens. Nous venons d'en faire, une

fois de plus, l'expérience. Cette  pratique est, à

leurs yeux, un insoutenable  blasphème. En effet,

tous les luthériens, sans exception, ne quittant ce

mondeque pour  entrer,

aussitôtaprès,

en Para-

dis, quelle insolence de croire qu'ils peuvent avoir 

 besoin de secours  pour y pénétrer  J'ai remarquésouvent la férocité latente sous là  prétendue dou-

ceur de ces hérétiques.

3 A Henry Houssaye

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ104

Voulez-vous me faire envoyer  par  votre éditeur  lesdeux volumes  publiés de 1815, lesquels me.sont indis-

 pensables pour  un travail d'exégèse historique sur 

 Napoléon, entrepris, il y a déjà plusieurs années? Ayantlu deux fois et fort attentivement 1814, je vois en vous

l'historien le plus excellent de cet Homme unique dont

 je voudrais montrer la  place dans l'Ordre invisiblele seul qui soit. Or, j'ai l'honneur d'être  pauvre et

l'honneur   plus grand de mendier. Si vous savez mon

nom, chose fort incertaine, il est  probable que vous le

savez seulement  par  mes ennemis, multitude équitableet fière, que je n'ai jamais entrepris de dénombrer.

Cela m'encourage. Veuillez.

4. Fort péniblement, j'écris quelques lignessur la manière d'envisager  l'histoire des saints, à

 propos de Huysmans. Énorme difficulté d'intéres-

ser  à cela les intellectuels. Difficulté  plus grandeencore de discerner ou d'apercevoir  un Huysmans

quelconque dans le voisinage de sainte Lydwine.Consulté saint Augustin sur la résurrection de

Lazare dans son Traité de saint Jean, en vue de

me  prévaloir  de son autorité contre Huysmans quia  parlé ridiculement de ce miracle. Je ne trouve

rien. Toujours l'exégèse morale, comme dans la

 plupart des Pères. L'autre exégèse n'est aperçue

que chez quelques visionnaires et encore si fai-

 blement 1. Cette science, telle que je l'ai conçue

ou inventée, partant de ce point que l'Écriture

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A COCHONS-SUR-MARNE 105

c'est-à-dire la Vulgate n'est que l'Autobio-

graphie divine, peut et doit se définir l'iLLUMi-

 NATION, lieu d'embarquement de tout enseignement

théologique et mystique.Thiers. L'acte additionnel. Tristesse et misère.

Déchéance du'  plus grand des hommes se rac-crochant à un Benjamin Constant  pour régner encore un  peu, au lieu de disparaître nèrement

sur ceci L'empire du monde ou rien!

6. Lundi Saint. Notre  prédicateur qui n'a

 pas honte d'aimer vraiment les  pauvres et quifinira  par  le  payer  cher, parlait, ce matin, de la

Sainte Famille errante à Bethléem et, dans un

 beau mouvement, il a montré le Sauveur   exposéà naître dans la rue. Malheureusement il n'a  pasfait l'application immédiate qu'il aurait fallu, sans

doute  parce qu'il n'y a  pas pensé. Quelle est

celle de vous, Mesdames, qui n'aurait  pas agicomme les femmes de Bethléem? N'avaient-elles

 pas raison mille fois de repousser  des  pauvres et

des vagabonds? etc. Ah! le beau discours à faire,

si on avait assez d'énergie et de précision pour ne laisser à ces pharisiennes aucune  porte pour fuir. Quand viendra l'homme de Dieu qui se ser-

vira de la Parole comme d'un marteau?

Réponse de Henry Houssaye. Il dit me connaître

par mes livres mieux que par   mes ennemis et.

m'envoie ~/j

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ106

7. Mardi Saint. L'Ave ~M- JM~o~MM des

Juifs répercute l'Ave gratia plena. Ce mot ave si

 plein de mystère, cet anagramme d'Éva, mutans

E~ nomen, est ainsi, au commencement et à la

fin de la Rédemption. Je voulais en  parler  au  pré-

dicateur, pensant que cette idée  pourrait lui ser-

vir   pour  son sermon sur la Passion. Je ne l'ai  pasrencontré. Je lui aurais  parlé aussi de saint Josephd'Arimathie. J'ai connu un abbé très-humble qui

 pensait que les  prêtres obtiendraient des grâces

très-particulières s'ils étaient dévots à ce saint quifut le  premier  reponens hostiam super  corporel.

8.Lu,

cesoir,

aucafé,

une sorte de conte où

Richepin imite misérablement les Diaboliques,

nommant, d'ailleurs, d'Aurevilly. Voilà donc toute

la trace laissée dans les âmes  par  le  pauvre grandécrivain. Toujours les DM~o/MM/ J'espère pour  moi un  plus consolant  bagage.

10. Vendredi Saint. Essai d'explication du

verset 15, chapitre V de saint Matthieu. La Lu-

mière est Jésus et le Boisseau est la Loi, la mesure.Jésus doit être mis sur le candélabre, c'est-à-dire

sur la Croix où il doit luire sans mesure, être aimé

hors de mesure.

 Notre  petite Véronique écrit avec  beaucoup de

netteté et d'expression un rêve qu'elle a eu. Elle

se voyait à la suite de Jésus et devenait témoin de

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A COCHONS-SUR-MARNE 107

la troisième chute et du secours donné par Simon

de Cyrène. « Il me semblait que j'étais une vierge »,

dit-elle avec une délicieuse innocence, voulant

exprimer  une forme de la sainteté.

Achevé le dix-neuvième et avant-dernier  volume

de Thiers. Impression forte. L'auteur, si souvent

misérable, insiste, comme s'il avait une âme, sur 

la tristesse de  Napoléon, tombé de si haut. La

 page 628 m'a  paru belle. De Porto-Ferrajoà Paris,

triomphe, parce qu'il était en  présence des fautes

des Bourbons. Mais à Paris même, difficultés,

amertume, sombres pressentiments, parce qu'alors

il se trouva en  présence de ses  propres fautes.

13. Rencontré une victime de M"" Frusquin,la  propriétaire cocasse dont  je reçus une si déli-

cieuse visite, le 10 juin -i90d. Le locataire infortuné

me raconte la  jolie existence qui lui est faite  par  la

 propriote s'efforçant de le retenir dans sa maison

qu'il a résolu de fuir et n'essayant pas même de

lui cacher] es pauvres ficelles dont elle entreprend

de le ligotter. Cette  personne, heureusementrésistible, suit à Paris, les cours de littérature

molle expectorés en Sorbonne  par  le crétin distin-

gué qui a nom Deschamps, J'ai eu un ami dans le

 purin naturaliste qui aurait appelé ça « siroter le

tuyau de descente des éviers ». Elle va là, dit-on,

régulièrement, avec ses deux girafes de filles, les

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ108

deux créatures les plus laides les plus sotte-

ment laides qui se  puissent voir. Ignorant

qu'elle est elle-même une indigente à faire  pleu-

rer, elle voudrait qu'on fît travailler les  pauvresà coups de fouet et qu'on noyât dans l'égout,

comme des rats empoisonnés, ceux dont il n'est

 plus possible de rien extraire. Cette écolière de

Gaston est, d'ailleurs, une chrétienne pieuse et

 probablement, une Dame de la Providence, asso-

ciation d'amour   patronée par  notre doyen.

16. Lettre du Général des Chartreux à notre

canaille de  premier  ministre qu'il assigne à com-

 paraître devant Dieu

Là, plus de chantages, plus d'artifices d'élo-

quence, plus d'effets de tribune, ni de manœuvres par-

lementaires plus de faux documents ni de majorité

complaisante; mais un  juge calme, juste et  puissant et

une sentence sans appel contre laquelle ni vous ni moi,ne  pourrons élever de protestation A bientôt, monsieur 

le Président du Conseil. Je ne suis  plus jeune et vous

avez un  pied dans la tombe. Préparez-vous, car la con-

frontation que je vous annonce vous réserve des émo-tions inattendues.

i7. Un Schwarz, éditeur et directeur   de

l'Assiette au Beurre, me demande ma collabora-

tion. Pourquoi pas? Léon Bloy à l'Assiette au

Beurre!

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A COCHONS-SUR-MARNE 109

Waterloo. Quand j'écrirai sur Napoléon, je dirai

mon étrange angoisse toutes les fois qu'il est  parléde Waterloo, par n'importe qui et l'impossibilité,

 pour  moi éternelle, de consentir à ce désastre. Il

y a les fautes ou les crimes de  Napoléon, oui.

Mais il y a bien autre chose et  je sens, au  plus

 profond lieu de mon âme, que jamais, en aucun

 jour, une aussi énorme injustice ne fût accomplie.

21. Article livré aujourd'hui à Schwarz [et

 publié dans l'Assiette au Beurre, le 16 mai, sous

ce titre Journalistes. J

L'Aristocratie des Maquereaux

Des  personnes singulièrement avisées viennent me

relancer dans un malpropre canton  pour  me demander 

ce que je pense du Journalisme. Je l'ai  beaucoup dit

déjà et  beaucoup écrit. J'y ai même gagné une  jolie

réputation et, si  j'ose dire, une  joyeuse existence.

« L'esprit français, écrivais-je, en 85, dans le  premier numéro de mon infortuné Pal qui dura si  peu de  jours,

l'esprit français, en cette fin de siècle, rappelle invinci-

 blement l'effroyable Charogne de Baudelaire et les  jour-

nalistes sont sa vermine. Ils se  pressent, innombrables,

sur  ce cadavre sans sépulture et  précipitent sa  putré-faction qui est à empoisonner  l'univers. »

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QUATRE ANS DE C AP TIVITÉ110

Cette image d'une exactitude à faire gueuler, je l'ai

ressassée vingt ans, avec une fidélité  plus grande

chaque jour, et une amertume qui n'a  pas cessé d'aug-menter   jusqu'à devenir  quelque chose qui est sans

nom.

Une femme de beaucoup d'esprit pourquoi ne la

nommerais-je pas? Marie Krysinska, me disait, il n'ya  pas longtemps, qu'elle voyait en moi l'homme quis'est le  plus amusé, voulant exprimer  qu'elle n'imagi-nait aucun  prince qui se fût autant  payé ses contempo-rains. Vous y avez mis le  prix, ajoutait-elle, c'est

certain, mais comme vous avez dû  jouir! Elle avait

raison, j'ai joui à en crever, littéralement.

Par  malheur, cela commence à s'user. A force d'avi-

lissement,les

 journalistes sont devenus si étrangers àtout sentiment d'honneur  qu'il est absolument impos-

sible, désormais, de leur  faire comprendre qu'on les

vomit et qu'après les avoir  vomis, on les réavale avec

fureur   pour  les déféquer. La corporation est logée à

cet étage d'ignominie où la conscience ne discerne  plusce que c'est que d'être un salaud.

Ah!  je sais bien que ça ne reluisait  pas déjà trop, ce

 joli monde, il y a trente ou quarante ans, c'est-à-dire

avant l'Affaire Dreyfus, avant Panama et Boulanger,avant la guerre franco-allemande, surtout, mais, tout

de même, il y avait alors des moyens de se déshonorer.

Il était  possible encore d'être un  jean-foutre et de  pas-ser   pour  une canaille. Aujourd'hui, c'est exactement le

contraire. Tant mieux si cela nous mène au désirable

chambardement de la fin. Le  jour où il n'y aura  plus

moyen de faire une bonne action ou une œuvre d'art

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A COCHONS-SUR-MARNE 111

sans risquer  le  bagne ou tout au moins le  pilori, il est

clair  que le monde sera gouverné par   des  journalistes

et que le Déluge de Merde sera sur   le  point de com-

mencer. Il y a des moments où il me semble que nous

y sommes déjà.C'est difficile,

pourtant, d'accepter qu'il

en soit ainsi 1

Quand on est assez vieux  pour  avoir vécu à une époque

où il était  possible de rencontrer dans les bureaux de

rédaction autre chose que des crapules, il est dur d'être

le témoin d'une  pareille dégoûtation et la solitude

complète paraît un sacré délice.

Je ne  parle pas, cela va sans dire, du  journalismeexclusivement  politique dont la sottise et l'aridité in-

fernales sont au-dessus de mes forces. Je n'ai en vue

quele

 journalismelittéraire on soi-disant tel, instauré,

il y a cinquante ans, par  feu Villemessant, pour  la dé-

lectation des officiers de cavalerie et des employés de

diverses administrations.

Ce Villemessant, autrefois célèbre et maintenant

inconnu, était un de ces hommes en v iande comme on

en rencontre en allant aux abattoirs. Il fut  pour quelquechose dans les massacres  piaculaires de l'année affreuse,

ayant exalté, comme  pas un, la frivolité française. Je

sais fort bienque personne, aujourd'hui,

n'est plus

en

état de comprendre que l'éventrement, l'incendie, la

grillade, la canonnade, la fusillade et la mitraillade sont

les suites nécessaires et  prosodiques de la rigolade.

Mais l'Expérience, dieu de fer adoré des hommes, pro-

nonce qu'il en est ainsi. Rochefort a été lancé  par  ce

Barnum, cela ne dit-il  pas tout?

A cette époque, cependant, je le répète, l'invasion

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ112

allemande, la botte germanique n'ayant pas encore nivelé

tous les derrières, il y eut, même  parmi les farceurs,

une certaine tenue littéraire, un besoin appréciable de

n'être  pas uniquement des imbéciles gardés par   des

cochons. Ce temps est loin.

Pour  être  juste, il convient d'ajouter que tout ne

croula  pas immédiatement après la Colonne. Dix ans

 plus tard, on trouve encore, çà et là, quelques individus

lavés dont les mains, les  pieds, la conscience même

ont l'air  d'être  propres. Il n'est  pas absolument impos-

sible, en 1880, de lire des articles de critique et  jusqu'àdes nouvelles ou des romans qui n'aient  pas été écrits

dans des bordels  par  des enfonceurs de suppositoires.Il y avait encore Barbey d'Aurevilly et deux ou trois

autres qui voulaient, quand même, avec  plus ou moins

de discernement ou de vieillesse, l'art et la  justice.Mais Gil Blas venait de naître et le règne des  porcs

s'inaugura. Alors, ce fut tout à fait fini. Chacun  peutvoir où nous en sommes. La littérature du cul et le

 journalisme du cul sont exclusivement demandés. Le

texte même disparaît pour   faire  place à l'illustration

des viandes. On n'ose  pas tout à fait encore l'obscénité

 précise tirant l'œil avec des vermillons et des carmins,

mais il s'en faut d'un si  petit poil qu'on peut bien dire

que la chose est accomplie. Au surplus, le brûlant lycéenou le  petit employé privés de femmes  peuvent se sou-

lager, moyennant un sou, à l a 6 e ou 8"  page des grands

 journaux. A ce  point de vue, les rubriques A~M':a~M et

Petite correspondance laissent  peu à désirer. Je recom-

manderais les « dames du monde ayant eu des revers

et donnant des leçons de langue ». Il y a aussi le

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A COCHONS-SUR-MARNE 113

 proxénétisme à  peine voilé des offres de location et

des ventes de toute espèce. Enfin, c'est une illécébra-

<tOM de tout repos, quasi chaste, économique et sans

avaries. Je connais un nationaliste érotomane, con-

verti  par  le dégoût, qui a  pris en telle horreur  cette

idiote et frénétique oblation des  parties sexuelles qu"tne cesse de s'en indigner  dans une feuille de vigne

transparente qui a besoin de la vertu  pour  les élec-

tions.

Vous  pensez ce que devient l'autre littérature et quel

 peut être le  joli destin d'un écrivain amoureux de la«a

Justice autant que de la Beauté, perdu dans cette forêt

américaine de la réclame et du  putanat. Quand on a le

malheur  énorme d'être cet écrivain, le comble du

désastre est évidemment de se tourner, avec un œil

implorant, vers les mangeurs d'évacuations qui dé<

tiennent la  publicité.Si on a des millions ramassés dans le  purin de

Louis XVIII ou l'incestueuse gonorrhée du duc Decazes

et qu'on ait été /b!'rë', comme le  prétendu comte Robert

de Montesquiou, dans des cabinets de  poésie, on  peut

encore, avec des vers en fils de viande extraits, au  prix

d'un labeur  immense, du fondement de ses auteurs,

éblouir  assez une multitude  préalablement régalée.Mais un  poète pauvre, un historien  pauvre, un roman-

cier  pauvre, eût-il le génie de trois cents Titans,

comment voulez-vous qu'il se fasse écouter?

Ainsi donc le cul et la galette, tel est le diptyque du

 journalisme contemporain. Les grands artistes indi-

gents ou dégoûtés, s'il s'en trouve encore, n'ont  plus

qu'à crever  de faim, à moins qu'il ne leur  arrive un

il 8

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ114

 beau désespoir qui les  porte à massacrer, ce qui leur 

ferait de la notoriété en cour d'assises.

 J e ne voulais nommer   personne et, jusqu'à présent,

 je ne crois  pas avoir  désigné un seul contemporain

ayant un semblant de vie organique. Mais, franchement,

il m'est impossible de ne  pas y aller de mon voyage en

faveur du célèbre Félicien Tagueule, auteur d'une

chose fameuse intitulée  je ne sais comment. J'entrevis

le  personnage au Chat  Noir, il y a vingt ans. La der-

nière fois qu'il me fut  parlé de lui, je crois qu'il était

employé, la nuit, au gratin. D'où vient, aujourd'hui, le

mistral furibond, le simoun, le sirocco de réclame qui

enveloppent cet imbécile notoire, ce crétin fangeux quine sera jamais dépassé? Ce n'est certainement  pas avec

la qualité de sa marchandise qu'il a  pu débaucher la

 presse et fixer  les automobiles de l'inattention. Un

critique, sans doute important, dont le nom  peu con-

venable ressemble à un <ïMatt/ disait de ce merdeux

que son livre eût été « le chef-d'œuvre de Balzac, si

Balzac avait  pu l'écrire. Je demande un histo-

rien espagnol autant que possible de la conquêtede cet ablatif.

Et maintenant, que veut-on que j'ajoute à ça? J'ai dit,

combien de fois l'abus épouvantable de la  parole, du

vestige infiniment  profané de la Parole. Si  j'avais la

niaiserie de répéter, qui pourrait comprendre?

L'intelligence moderne, soûle des ordures de son

orgueil, dégringole au travers de l'Escalier des Géants

du Crétinisme et le Cloaque Maxime ouvre sa gueuleà la dernière marche de cet escalier.

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A COCHONS-SUR-MARNE 115

22. A mon  jésuite qui semble tenir    beaucoup

à ce que je ne méprise pas son Institut

Assurément vous avez droit à une réponse sur les

Jésuites. Après ce qui s'est  passé, il serait bien diffi-

cileque j'eusse

de la défiance ou dumépris.

Je ne puisavoir  qu'une grande tendresse  pour quelques-uns tels

que vous et une  pitié immense  pour  tous les autres.

Il vous arrive, m'écrivez-vous, de «faire d'impor-,tantes aumônes afin d'obliger  le Seigneur  à se décla-

rer   pour  vous ». Hélas! n'est-il  pas trop tard? En ce

qui me concerne, si votre Compagnie avait fait, il y a

quinze ans, ce que les Assomptionnistes, si bien infor-

més  pourtant, ne voulurent  pas faire, si vos  pères, con-

sidérantque l'Église

était sans soldats, avaient décidé

de m'armer  complètement, employant à cet usageune faible  partie des ressources dont l'institut disposait

alors, qui peut savoir la Bénédiction qu'il y aurait eu

sur cet acte de  justice ?P

A cette époque, celle du Désespéré, je me sentais fort

comme Bonaparte à Marengo, capable de gagner  toutes

les batailles. Un courant irrésistible  pouvait être déter-

miné par   moi.  N'ayant pas à lutter, chaque jour, contre

la famine et toutes les horreurs de lamisère,

assuré de

l'appui matériel et moral d'un Ordre  puissant, quelle

n'eût  pas été ma force ? Songez que le  pauvre Huysmans

est devenu une espèce de chef   d'école, d'oracle  plu-

tôt, agissant avec certitude sur    beaucoup d'âmes

Huysmans!Au lieu de cela, j'aurai été, par  l'incurie mons-

trueuse de tous les catholiques sans exception,. une

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QUATRE ANS DE C AP TIVITÉ116

grande force  perdue, juste le contraire de ce que Dieu

voulait, je pense. Vous savez ces choses, mon cher  

Paul, et vous comprenez qu'il me soit impossible d'y

 penser, sans une excessive amertume.

Les catholiques, réguliers ou séculiers, peuvent se

direqu'ils

ont bien mérité cequi

leur arrive et ce

qui leur  arrivera encore. Remarquez que je suis un

exemple parmi beaucoup d'autres. « Personne ne bouge,

dites-vous, on tient à rester dans la légalité. » En 1880,

 je l'ai dit souvent, deux ou trois cents hommes

armés, rangés sur le trottoir de la rue de Sèvres, de-

vant la maison de vos  pères et déterminés à se faire

tuer  et tuer, auraient été u n obstacle insurmontable

à l'exécution des décrets. Jamais le faible gouverne-

ment de laRépublique

n'aurait osérisquer 

cela.

Mon ancien camarade, Hanotaux, devenu depuis une

si blafarde canaille, maisqui n'était alors qu'un petitlar- bin de Gambetta, m'en fit l'aveu. Comme je lui exposaisl'idée claire ci-dessus énoncée Sans doute, me dit-

il, vous avez raison, mais on est bien tranquille. On

sait si bien qu'on peut tout se  permettre avec vos ca-

tholiques

Que dire des catholiques de i902, commandés  par 

lesde Mun

et les Gayraud? Si uneseule âme

guerrières'était montrée, il y a quelques mois, toute la Bretagnese levait, donnantl'exemple à toutes les  provinces res-

tées chétiennes. Le ministère infâme était  perdu. Loin

d'agir, on a  parlé, comme en 80, de légalité et la tra-

d ition de dix-neuf siècles a abouti à quelques protesta-

tions scatologiques..Dieu voulait cela, sans doute, pour  faire éclater  su

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A COCHONS-SUR-MARNE 117

gloire dans quelque miracle indicible, car la France de

sa Mère ne  peut pas périr. Il est le Maître et il  peut en-

voyer  Quelqu'un demain matin ou demain soir.

Consulté sur le dessin, je réponds ceci

La Tradition universelle et la Raison disent

que l'étude de la figure humaine doit être au début

de tout enseignement du dessin. Si on ne sait  pasfaire un œil ou un nez, on ne saura  jamais faire

un  paysage, ni une fleur, ni rien. Au contraire,

quand on sait dessiner  la figure humaine, on sait

tout dessiner. Pourquoi? Simplement parce que le

Fils de Dieu, in quo omnia constant, a incarné la

Figure Humaine.

La sœur   portière a dit à Jeanne avec des airs

mystérieux qu'on me  priait de ne  plus venir à la

messe du couvent, que désormais on tiendra la

 porte fermée  pour  ne donner aucune  prise aux

persécuteurs. Qu'espèrent ces religieuses misé-

rables d'une si honteuse  prudence ? On a ce qu'on

mérite, encore une fois.

24. Lu, en grande partie, le dernier et si pénible volume de Thiers.  Napoléon ne me  paraîtà aucune époque de sa vie  plus grand qu'alors.

 Napoléon résigné, une seconde fois, à  perdre l'em-

 pire du monde comme une chose de nulle valeur,

trop résigné. Mais quelle immense et magnifiquesatiété des hommes et des choses, en cet être

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ118

inexplicable qui ne connaissait  pas Dieu et qui

mourut, dit-on, sans le connaître! Quelle pitié

que ces intrigues ignobles qui fourmillent autour 

de lui, avant même qu'il soit vaincu Quelle igno-minie que tous ces domestiques ingrats et im-

mondes grouillant à la suite de Fouché, sans

savoir, non  plus que leur  chef, pourquoi ils

grouillent et embarrassés des résultats de leur  

trahison avant même qu'elle soit consommée.

L'histoire de  Napoléon c'est la Face de Dieu dans

les ténèbres.

28. Autre article  pour  l'Assiette au Beurre

[publié le 9 mai sous ce titre bête CoMMMo?M/].

Jésus-Christ aux Colonies

Est descendu aux en fers.STMBOLBDMAPOTMS.

Un des hommes les  plus sots de notre temps et, peut-

être, de tous les

temps,mon vieux camarade

Hanotaux,admirateur  d'Abdul-Hamid et de Paul Bourget, servi-

teur indégoûtable de tous les puissants souteneurs

ou empereurs dont on  peut ramasser les crottes;académicien d'autre  part et homme d'État disponible,a  publié récemment une assez  joyeuse rigolade sous ce

titre Le Choix <fMKe carrière. Dieu me  préserve d'une

analyse de ce biberon Je n'ambitionne  pas assez l'Ins-

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A COCHONS-SUR-MARNE 119

titut  pour  embêter  mes contemporains de cette ma-

nière. J'en ai une autre qui est autrement récom-

 pensée.

Mais, ayant à écrire  je ne sais quoi sur les colonies

et le génie colonisateur de notre affable  patrie, il m'eût

été difficile de ne  pas penser  immédiatement à Gabriel,

qui en a si souvent parlé depuis qu'il a vu crever  dans

la gloire son ancien  patron de la Tunisie et du Tonkin,

celui qui avait une si belle gueule de maître d'hôtel ou

de rinceur  de lupanar. Rappelez-vous son enthou-

siasme  pour l'Algérie, où son voyage précéda de si

 peu de mois celui de Loubet. Ce furent quelques jours

agréables. Deux fois  par  semaine, le J ournal s'incen-

diait de la  prose de ce voyageur. Par  lui, nous apprîmesenfin

que

le temps passé ne revient  plus, qu'il ne faut

 pas mettre tous ses œufs dans un même  panier, ni

attacher ses chiens avec des saucisses; que le comble

de l'aveuglement est de  prendre des vessies  pour  des

lanternes; qu'il n'y a  pas de fumée sans feu, que l'oisi-

veté est la mère de tous les vices, qu'il faut savoir mé-

nager  la chèvre et le chou et qu'il est bon d'avoir à son

arc  plusieurs cordes de  pendu. Enfin, cet homme  poli-

tique, cet écrivain si original, ne nous chuchota-t-il

 pas

son intime secret, à savoir 

qu'on

ne

 prend pas

les

mouches avec du vinaigre et que les cordonniers sont

souvent les  plus mal chaussés.

De ce  pinacle intellectuel, que de vues inespérées,

que d'enseignements, que de conseils Par l ui seul, en-

core une fois, tout le monde a  pu savoir  l'irrépréhen-sible beauté de nos institutions coloniales, la candeur 

liliale de nos fonctionnaires et leur   probité de  pa-

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ120

triarches avant le Déluge, la  joie sans mélange des

indigènes de toute couleur  soumis à la tutélaire domi-

nation de la République et l'avenir   paradisiaque de

leurs  patelins.Mais laissons ce domestique dont  je n'ai  parlé qu'en

songeant à la dérision atroce et imperturbablementrenouvelée de la  plus homicide réclame. C'est avec le

même télescope que le Paradis terrestre avait déjà été

découvert au Soudan  par  feu Zola, un  peu avant qu'ilexhalât son âme généreuse dans les excréments de ses

chiens. Le sujet est grave au delà de ce qui peut être

exprimé.« Grande Dame, dit Christophe Colomb à Isabelle,

dans l'Atlantide de Verdaguer, donnez-moi des navires

et, l'heure venue, je vous les rendrai avec un monde àla remorque. » Il les obtint, ces  petits navires dont on

aurait  pu garder  les débris comme d'impayables tré-

sors, leur bois étant le  plus précieux qu'il y eût sur  

terre, après celui de la Croix du Christ et  pour  la

même raison. Il les obtint, comme on sait, après dix-

huit années de supplication dans toutes les contrées

de l'Europe et ce fut la mort qu'il apporta au monde

indien, dans ses mains ineffablement  paternelles.On lui

changeason œuvre dès le

 premier  jour. On fitdes ténèbres avec sa lumière et quelles ténèbres! On

se soûla du sang de ses innombrables fils et ce qui res-

tait de ce sang, ce dont les chacals du  pillage et les

chiens du vomissement ne voulaient  plus, on le re-

cueillit dans le creux des mains, dans des pelles de mi-

neurs, dans des écopes de bateliers, dans les coupes de

la débauche, dans les deux  plateaux de la  justice pros-

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A COCHONS-SUR-MARNE 121

tituée, dans les calices mêmes des saints autels et on

l'en éclaboussa de la tête aux  pieds On contraignitcette Colombe amoureuse à  piétiner, ainsi qu'un cor-

 beau, dans le  pourrissoir  des assassinés. L'orgie des

avares et des sanguinaires enveloppa la montagne de

son sourcilleux esprit comme d'un tourbillon de tem-

 pête, et ce fut la solitude la  plus inouïe sur cet amon-

cellement de douleurs

Christophe Colomb avait demandé qu'aucun Espa-

gnol ne  put aborder aux terres nouvelles, à moins qu'il

ne fût certainement chrétien, alléguant le but véritable

de cette entreprise, qui était « l'accroissement 'et la

,gloire de la religion chrétienne n. On vida  pour  lui les

 prisons et les galères. Ce furent des escrocs, des  par-

 jures, des faussaires, des voleurs, des  proxénètes et des

assassins qu'on chargea de  porter  aux Indes l'exemple

des vertus chrétiennes. Lui-même fut accusé de tous

les crimes et la hideuse crapule qu'on lui envoyait fut

admise à témoigner  contre cet angélique Pasteur  quivoulait défendre son troupeau, dont le  principal forfait

avait été d'attenter  à la liberté du  pillage et de l'égor-

gement.Il fut enfin dépossédé, exproprié de sa mission et,

 pendant plusieurs années, put assister, lié et impuis-

sant, à la destruction de son œuvre. Ses illégitimes et

cupides successeurs remplacèrent aussitôt la Paternité

 par l'Ergastule et l'évangélisation pacifique par  le cruel

système des yep~r<:M!:eM<os, qui fut l'arrêt de mort de

ces  peuples infortunés.

Telle fut l'aurore des colonisations européennes dans

les temps modernes. Rien de changé depuis quatre

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ122

siècles. L'unique différence fort appréciable, il est

vrai c'est qu'à l'époque précise de la découverte du

 Nouveau-Monde, il y eut un homme, grand comme les

Anges, immolé  par la multitude des canailles et qu'aus-

sitôt après lui, il n'y a  plus eu que des canailles.

Ah! l'évangélisation des sauvages, la dilatation et

l'accroissement en eux de l'Église, choses voulues si

 passionnément par  le Christophore, que nous en

sommes loin 1 Pas même un semblant d'équité rudi-

mentaire, pas un tressaillement de  pitié seulement

humaine pour  ces malheureux. C'est à trembler  de la

tête aux  pieds de se dire que les belles races améri-

caines, du Chili au nord du Mexique, représentées par 

 plusieurs vingtaines de millions d'Indiens, ont été

entièrement exterminées, en moins d'un siècle, par leurs conquérants d'Espagne. Ça, c'est l'idéal qui ne

 pourra jamais être imité, même  par l'Angleterre, si

colonisatrice, pourtant.Il y a des moments où ce qui se  passe est à faire

vomir  les volcans. On l'a vu, à la Martinique, l'année

dernière. Seulement le  progrès de la science empêche

de comprendre et les horreurs ne s'arrêtent  pas une

seule minute. Pour ne  parler  que des colonies fran-

çaises, quelle clameur, si les victimes  pouvaient crier!

Quels rugissements, venus d'Algérie et de Tunisie,

favorisées, à cette heure, de la carcasse du Président

de notre aimable République Quels sanglots de Mada-

gascar  et de la Nouvelle-Calédonie, de la Cochinchine

et du Tonkin

Pour  si  peu qu'on soit dans la tradition apostolique

de Christophe Colomb, où est le moyen d'offrir autre

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A COCHONS-SUR-MARNE 123

chose qu'une volée de mitraille aux équarrisseurs d'in-

digènes, incapables, en France, de saigner  le moindre

cochon, mais qui, devenus magistrats ou sergents-

majors dans les districts fort lointains, écartèlent tran-

quillement des hommes, les dépècent, les grillent

vivants, les donnent en  pâture aux fourmis rouges,

leur  infligent des tourments qui n'ont  pas de nom, pour 

les  punir  d'avoir hésité à livrer  leurs femmes ou l eurs

derniers sous!

Et cela, c'est archi-banal, connu de tout le monde

et les démons qui font cela sont de fort honnêtes gens

qu'on décore de la Légion d'honneur et qui n'ont  pasmême besoin d'hypocrisie. Revenus avec d'aimables

 profits, quelquefois avec une grosse fortune, accompa-

gnés d'une longue rigole de sang noir  qui coule der-

rière eux ou à côté d'eux, dans l'Invisible éternelle-

ment ils ont écrasé tout au  plus quelques punaisesdans de mauvais gîtes, comme il arrive à tout conqué-

rant, et les belles mamans, éblouies, leur  mijoteront

des vierges.J'ai devant moi des documents, c'est-à-dire tels ou

tels cas. On  pourrait en réunir des millions. L'histoire

de nos colonies, surtout dans l'Extrême-Orient, n'est

que douleur, férocité sans mesure et indicible turpi-

tude. J'ai su des histoires à faire sangloter  les  pierres.Mais l'exemple suffit de ce  pauvre brave homme quiavait entrepris la défense de quelques villages Moïs,

effroyablement opprimés par   les administrateurs. Son

compte fut bientôt réglé. Le voyant sans appui, sans

 patronage d'aucune sorte, on lui tendit les simples

 pièges où se prennent infailliblement les généreux. On

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ124

l'amena cemme  par  la main à des violences taxées de

rébellion et voilà vingt ans qu'il agonise dans un  bagne,

si toutefois il vit encore. Je  parlerai un  jour avec  plus

de force et de  précision de ce naïf  qui croyait aux lois.

C'est un article de foi que Jésus, après son dernier 

soupir, est descendu aux enfers  pour  en ramener les

âmes douloureuses qui ne  pouvaient être délivrées que

 par  lui. Toute chose divine étant  perpétuelle, c'est donc

toujours la même espérance unique pour   la même dé-

solation infinie. Mais elle est vraiment unique et c'est

là, surtout, je veux dire aux colonies, qu'il n'y a rien

à espérer  des hommes.

Les rapports officiels ou les discours de  banquets sont

des masques sur des mufles d'épouvante et on  peut

dire avec certitude et sans documents que la condition

des autochtones incivilisés dans tous les  pays conquis

est le dernier  degré de la misère humaine  pouvant être

vue sur terre. C'est l'image stricte de l'Enfer, autant

qu'il est  possible d'imaginer  cet Empire du Désespoir.

Tout chrétien  partant pour  les colonies emporte né-

cessairement avec lui l'empreinte chrétienne. Qu'il

le veuille ou non, qu'il le sache ou qu'il l'ignore, il a

sur  lui le Christ Rédempteur, le Christ qui saigne

 pour  les misérables, le Christ Jésus qui meurt, qui des-

cend aux enfers, qui ressuscite et qui juge-vivants et

morts. Il est, ce chrétien, lui aussi, et quoi qu'il fasse,

un Christophore, comme Colomb, mais un Christo-

 phore à tête de Méduse, un Christophore d'horreur, de

hurlements, de bras tordus, et son Christ a été, à moi-

tié chemin, annexé  par  les démons.

Le bon jeune homme élevé par  les bons Pères, et

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A COCHONS-SUR-MARNE 125

rempli de saintes intentions, embrasse  pieusement sa

mère et ses  jeunes sœurs, avant d'aller aux contrées

lointaines, où il lui sera  permis de souiller et de tortu-

rer les  plus pauvres images de Dieu.

C'est ainsi que se continue l'œuvre de la douce

Colombe du xve siècle et c'est comme cela que le Sau-veur du monde est  porté aux colonies.

Mai

8. Jeanne revient, exaspérée, du mois de

Marie, ayant été condamnée à entendre la lecture

d'une méditation intolérable. On dirait que les

curés s'ingénient à chasser de l'église leurs  parois-

siens. Sur cette impression, elle écrit au Doyen

Ayant été empêchée d'aller au mois de Marie jusqu'ici,

 je viens d'y assister ce soir. J e vous soumets très-hum-

 blement mes réflexions, sûre que vous n'y serez  pas in-différent. Pourquoi ne  pas choisir une lecture vivante,

vibrante, à la place de ces terribles méditations dont

l'ennui épouvantable chasse  je le sais -lesgens de

 bonne volonté de .votre ég)ise?Vous nous avez habi-

tués, monsieur le Doyen, à des discours si chaleureux.

 J e vous en  prie, ayez pitié de votre troupeau et déli-

vrez-le de ce quart d'heure dont l'ennui tue les  plus

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ126

ferventes résolutions. Je ne  puis me résigner  à m'em-

 bêter   jusqu'à ce  point. Il est impossible que vous né

sentiez  pas le même ennui. Alors, pourquoi l'infligez-vous à vos  paroissiens?

12. A un condamné à mort

11 ne sera  pas dit que je n'aurai  pas eu un mot de

remerciement  pour  les heures si  précieuses que vous

m'avez données hier. Dieu me montre ainsi, de tempsen temps, sa miséricorde, surtout depuis quelques mois

et, de  plus en  plus, comme si un désert était franchi,

un désert immense qu'il m'aurait fallu traverser  lente-

ment avec d'excessives douleurs. Nous devions nous

rencontrer hier,

en vertu d'un décretdivin,

fort anté-

rieur à la création des  jours. Car  il en est ainsi de

toutes choses, le hasard, dieu des imbéciles, n'existant

 pas. Nous devions nous rencontrer hier   seulement, pour la  première fois. Cela  pour  des raisons certainement

admirables, en vue d'un accomplissement inconnu,dont l'espérance enivre les Cieux.

Il ne faudra  pas moins que l'éternité  pour  admirer la

 beauté absolue, indicible des choses que nous ne fai--

sonspas nous-mêmes,

et vous savezque

nous ne faisons

 jamais notre destin. Voilà bien des années que je suis

le spectateur pantelant de ma  propre vie, comme  jeserais le spectateur  d'une tragédie surnaturelle. Étant

aussi lâche que tous mes frères, je me suis  plaint de

n'être  pas confortablement assis. Je m'en  plains encore

et c'est une grande pitié, je le sais, de ne  pas mieux

reconnaître le don de Dieu. ~t scires Donum Det/ dit

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A COCHONS-SUR-MARNE 127

Jésus, à la Samaritaine. Ah oui, si on savait, décidé-

ment, qu'il n'y a  pas de petites choses et combien tout

ce qui se  passe est grand, ce serait à mourir de ravis-

sement.

Songes-tu, pauvre Marchenoir, que lorsque tu  pro-

nonces le nom de Jésus, tout fléchit le genou, au ciel,sur  la terre et dans les enfers, et que c'est l'Esprit-

Saint qui a dit cela? Lorsque tu accomplis un acte bon

ou mauvais, rappelle-toi qu'il y a des âmes sans nombre,

des âmes de vivants ou des âmes de  prétendus morts

qui correspondent mystérieusement à la tienne toute

ta  parenté spirituelle qui ne te sera visible que dans la

Lumière âmes d'esclaves ou d'empereurs ayant puanimer  des corps, il y a cinq  mille ans, ou les animant,

à cette heure, lesquelles ont un besoin infini de toi. Sidonc ton acte est mauvais, cette multitude est refou-

lée si ton acte est bon, tu la r amènes comme  par  la

main. La catastrophe de la Martinique, par exemple,a  pu être déterminée  par  un refus d'obéissance, ou une

transgression vénielle dont se rendra coupable, dans

un demi-siècle, une misérable créature éternellement

designée pour   lancer ainsi l'étincelle au fond de ce

gouffre. Et il se  peut tout aussi bien que tel sauvage

de la Tasmasie ou de l'Angola qui s'abstint d'une atro-cité au siècle dernier, ait déterminé la crise heureuse

qui sauvera, je ne sais quand, tel moribond dans un

hôpital de Londres. Lorsque les lieutenants exaspé-

rés, de Grouchy, le  pressaient avec fureur  d'aller au

secours de  Napoléon, je me représente fort bien des

millions de bras invisibles retenant cet imbécile devenu,

un instant, le  pivot du monde. Tout cela, c'est ce qu'on

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ128

nomme la Communion des Saints, l'article neuvième

du Symbole, la Solidarité de toutes les créatures, de

tous les mondes et de tous les temps, l'Infini

Donc, il n'est  pas possible que nous nous soyonsrencontrés en vain, et cet événement voulu et  préparé

depuis toujourspour  un certain

 point,

adorablement

calculé, du temps et de l'espace, est, sans aucun doute,

important au-delà de ce que nous  pourrions imaginer.

De notre conversation très-décousue, ainsi qu'elledevait l'être entre deux  pèlerins se rencontrant au fond

d'une caverne dangereuse, j'ai gardé cette impression

que vous êtes de ceux dont les Trois Personnes ont

faim et soif et qu'Elles réclament avec impatience.Alors voyez quelle bénédiction  pour  moi d'être devenu,

ne fût-ce que pour   si  peu d'heures, l'ami d'un homme

dont Dieu ne  peut plus se  passer  t.

14. Une  personne qui connaît la Mère Mer-

cédès m'apprend que cette religieuse, complète-

ment sécularisée, vit dans un appartement somp-

tueux et sort vêtue avec faste. Je suis informé, en

outre, ce dont  j'avais après cela  peu de

 besoin, qu'elle ne tient  jamais ses  promesses.

15. Je lis, dans les  journaux, que ma vieille

 prophétie du chambardement universel de l'Eglise

 paraît sur  le  point de s'accomplir. Déjà, ces  jours

derniers, l'église d'Aubervilliers a été profanée en

pleine cérémonie, envahie  par  des crapules aux

ordres de Charbonnel et de Tailhade. Les assis-

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A COCHONS-SUR-MARNE 129

tants, femmes et enfants, pour  la  plupart, ont été

roués de coups, et le curé battu lui-même, ayanttenté une  protestation, a été puni, presque aussi-

tôt, de la  perte de son traitement. On annonce queces scènes vont se produire par   toute la France.

On ne se cache  plus de vouloir  la destruction duchristianisme et, comme les catholiques sont troplâches  pour  résister, il est  probable qu'on réussira.

17. Grand'messe très-solennelle. Suivant un

usage créé, je crois, par  notre doyen, un dimanche,

tous les ans, vers cette époque, est donné au Sou-

venir  français (sic), forme  patoise ou briarde signi-fiant

qu'on priera pour la France toute

seule,à

l'exclusion de la Suisse et de la Belgique, pour  les

vivants et les morts français. L'église est remplie

de drapeaux et de fanfares et me voilà très-ëmbêté.

Le curé de Ceux-d'En-Haut, braille un discours

 pompier  fait de tous les lieux communs patrio-

tiques. L'unique réalité dans tout cela, c'est la

messe à laquelle, j'imagine, personne ne  pense.

18. A la Mère Mercédès

Très-révérende Mère, J'apprends que vous avez le

 projet de venir à Cochons-sur-Marne et de me voir  par cette occasion. Je vous prie de ne donner aucune suite à

la seconde partie de ce projet. Votre vue me serait ex-

trêmement  pénible. Est-il nécessaire de vous dire

pourquoi? J i 9

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QUATRE ANS DE C AP TIVITÉ130

Vous m'avez fait  beaucoup de mal, infiniment  plus,

 peut-être, que vous ne  pouvez le comprendre ou le

croire, etj'en ai confié le secret Dieu en lui demandant

 justice.

Que vous ayez laissé sans réponse ma lettre du

15février, soit.

Le plus grand

écrivain dumonde,s'il est indigent, n'a droit à rien, je le sais, pas même

aux  plus rudimentaires égards, et les  personnes douées,

comme vous, d'une intelligence exceptionnelle, savent

que je ne suis  pas le  plus grand écrivain du monde.

Mais décevoir le Pauvre, lui  promettre la délivrance

et Me ~)<M la lui donner, l'enivrer de  joie pour  RIEN,

au risque de le  jeter, bientôt après, dans le désespoir,est-il  possible d'imaginer  un acte  plus méchant, une

 pluscruelle

injustice ? Se moquer  du Pauvre, c'estmarcher  sur  le Cœur de Notre Seigneur  Jésus-Christ,

savez-vous cela ?P

Ah qu'il vous eût été facile de ne rien  promettreVous n'aviez qu'à vous dérober, comme tant d'autres.

Mais  promettre et  promettre jusque là, et tellement en

vain, à un tel malheureux et en de telles circonstances 1

C'est épouvantableJe vous  prie donc de ne  pas chercher à me voir, à

moinsque

ce ne soit pour 

vous humilier. Il serait au-

dessus de mes forces de rester   calme. D'ailleurs, nous

allons mourir, l'un et l'autre, demain ou après-demain,et c'est le Père des Pauvres qui nous  jugera.

Agréez, très-Révérende Mère, l'assurance de ma

compassion respectueuse.

19. II y a ici quelqu'un pour qui la Mère

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A COCHONS-SUR-MARNE 131

Mercédès est une sainte quand même. Vive Cam-

 bronne

20. A mon grand étonnement quelques ca-

tholiques ont l'air de se réveiller. On me. dit que

 plusieurs voyous de Charbonnel ont été assommés.

21. Pas de réponse de la sainte Mère Mer-

cédès. Quelqu'un me disait « Si je recevais une

telle lettre, à l'instant même  je quitterais tout et

me  précipiterais vers celui que j'aurais offensé

 pour  lui demander   pardon. » Eh bien, ce n'est

 pas ça du tout. C'est, au contraire, cette admirable

religieuse en corset de satin qui est offensée et

tout le monde catholique, tout le Bazar de Charité,

en sa  personne.

23. Le temps est devenu très-chaud et ma

tristesse est grande à voir nos  pauvres enfants

souffrir  dans cet appartement misérable au lieu de

courir  sous les arbres et  parmi les fleurs. Pour  

quoi n'obtenons-nous  pas notre grâce? Pourquoi

de si humbles vœux ne se réalisent-ils  pas?

24. Il avait été  parlé d'un  projet d'invasion

de notre église par  les crapules de Charbonnel et

du cyclope des urinoirs. Mais les misérables déjàrossés à Paris et autres lieux se découragent.

De René Martineau

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ132

Voici une anecdote que vous ne manquerez pas d'ap-

 précier  et d'utiliser  à l'occasion.

M~' Renou, archevêque de Tours, en tournée de

confirmation dans les environs, fut invité à dîner  

dans un châteaudes bords du Cher, il y a une huitaine

de  jours. 11 était reçu par  un très-jeune ménage.S'adressant à la maîtresse du logis, il lui dit en

substance

Maintenant, Madame, que vous voilà châtelaine,

 je vais vous indiquer  vos devoirs de chrétienne. Il

faut d'abord visiter tous les pauvres et tous les

malades.

La dame l'interrompant aussitôt

Monseigneur, dit-elle, j'ai peur  des microbes 1

L'évêque se contenta de  pâlir  et de hausser  lesépaules. Quant aux autres témoins, ils trouvèrent

cela très-drôle.

25. Travaillé  passionnément à un article sur  

Jehan Rictus, Le dernier Poète catholique. Article

qui pourrait être un acte de charité en même temps

que de  justice. Notre Seigneur  sait bien que j'aisurtout en vue l'âme de ce  pauvre poète.

Folie furieuse de l'automobilisme. On avait

organisé une course de Paris à Madrid et c'était

un délire depuis plusieurs jours. De Paris donc à

l'extrémité du territoire français, la route de l'Es-

 pagne était gardée par   des régiments. La vie

nationale était interrompue pour   l'amusement des

millionnaires. On leur avait fabriqué des machines

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A COCHONS-SUR-MARNE 133

allant à des vitesses inouïes, très-supérieures à

celles des trains les plus rapides. Le résultat facile

à  prévoir  a été l'écrasement, l'assassinat  pur  et

simple d'une dizaine de  personnes. Quelques-unsdes malfaiteurs eux-mêmes ont été blessés, en trop

 petit nombre, hélas!

Cette chose moderne  paraît démoniaque, de

 plus en  plus. Se représente-t-on l'horreur de ces

deux ou trois cents voitures hideuses lancées

comme des boulets et triturant, chacune à son

tour, d'un bout de l'horizon à l'autre, les mêmes

lambeaux sanglants! Il y a des consolations. Une

de ces voitures a  pris feu et le chauffeur  a été heu-

reusement carbonisé.

29. Achevé l'article sur Rictus. Je ne  pense

 pas qu'aucun travail de ce genre m'ait plus coûté

et  je ne crois  pas non  plus avoir   jamais rien écrit

avec un  plus grand élan de cœur.

8 h. 40 du matin, train des employés. Ces gens quise connaissent tous, arrivent, invariablement, un

 petit sac ou un  petit panier  de  provisions à lamain pour  leur  déjeuner au bureau. Ils se serrent

la main et, du commencement de l'année à la titi,

échangent les mêmes  plaisanteries de saison, les

mêmes calembours, les mêmes lieux communs

dans lesquels on les ensevelira, après qu'ils auront

fait semblant de mourir.

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ134

31. Une  personne que j'ai fameusement

envie de gifler  me  parle des œuvres de bienfai-

sance  pratiquées par  les chrétiens riches. J'en

arrive à ne plus pouvoir  penser  à ces maudits

sans être bouleversé.

Juin

2. Article inédit

La Revanche de l'Infâme

/tr<MCM ~'7n/'dtM.

VûLTAïM.

Il fallait une époque où  personne n'a  plus rien à

faire et ne sait absolument  plus où aller, pour  que se

déchaînât la folie furieuse de la vitesse. Expliquera

qui pourracette anomalie.

Mais voici un homme, dix mille hommes riches

n'ayant aucun besoin de gagner  leur  vie, ni surtout

aucun désir  d'accomplir  quelque chose de  propre,vulnérables seulement à l'aiguillon de l'imbécile vanité

des sports et qui risquent passionnément leurs car-

casses  pour  arriver  n'importe où, deux heures  plust6t que le rapide. A supposer quel'un d'eux eût un !?<

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A COCHONS-SUR-MARNE 135

ret quelconque, un intérêt véritable à se trouver le

 plus promptement possible, en un lieu déterminé,

assurément celui-là quitterait sur-le-champ son auto-

mobile, pour  sauter dans le  premier  train. Et ce

serait, au cours de sa vie, un trait de lumière bien,

inutile.Ab les cochons les cochons 1 les cochons Crevez-

vous les uns les autres, dit l'évangile du vingtièmesiècle. Enfin  plusieurs y ont laissé leurs  peaux, ce qui

est  peu intéressant, mais tous ensemble ont écrasé

six ou huit  personnes. Assassinats collectifs, pour 

lesquels nul de ces riches ne sera  poursuivi. En un

 pays de  progrès industriel et soi-disant scientifiqueoù il est entendu que chacun doit se résigner patrio-

tiquement à être émietté sous le sabot des bisonsmigrateurs, il serait grotesque de vouloir  que n'im-

 porte qui fût responsable de n'importe quoi.« La v érité est en marche o, disait le Crétin des

Pyrénées. C'est le même truc. Un enfant qui se tord

dans l'agonie ou qui n'a même  pas le temps de se

tordre, des  parents au désespoir, des familles en

deuil, des orphelins, des veuves hurlant de douleur et

les bras au ciel, qu'est-ce que cela, quand il s'agit de

faire triompher  le « pneu continental a ou la « voitureMercedes )) ? (L'écrasante voiture Mercédès!) Car nous

sommes dans le commerce et les affaires sont les

affaires.

Et  puis, n'est-ce  pas ? du moment que M*°* du Gast

n'y a été d 'aucun morceau de sa viande à  peinture, de

cette carne si chère au  prince de Sagan et que notre

ami Rodolphe Darzens n'a  pas écopé, il est bien sûi

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QUATRE ANS DE C AP TIVITÉ136

qu'on peut s'en battre la  paupière. Le  pilon est fait

 pour  les  pauvres, chacun sait ça.

J'ose dire même qu'il y a une évidente fermetc

d'âme, un indiscutable estomac à rouler sur   des tripes

humaines, en traversant comme l'éclair les bois et

leschamps qui n'obtiennentjamais

unregard. Songez

qu'une petite canaille de rien du tout, un filsde  paysan,un saute-ruisseau de rural notaire, tamponné pour   la

vie, aux environs de Versailles ou de Châteaudun,

 par  la  première voiture, a  pu être trituré, malaxé

successivement  parles 254 autres voitures quifaisaientdu cent ou du centcinquanteà l'heure, dans la direction

de Madrid. Les fleurs de la belle  propriétaire mangeusede  pauvres ont dû contracter un certain fumet qui n'a

pas été,sans

doute, pour très-peudans les dilata-

tions voluptueuses de sa  personne. Car le riche ne

s'amuse, ne  jouit vraiment que lorsqu'il écrase. Cela,

c'est d'expérience humaine et soixante fois séculaire.

Il faut être bête comme un cycliste ou un automobi-

liste  pour  en douter.

L'avenir  est, d'ailleurs, celui-ci Tout individu  prisen flagrant délit de lecture, de compréhension, d'ima-

gination ou de  pensée sera jugé dangereux et  proba- blement

grillagécomme un animal féroce.

Quandle

o'étinisme arrive à ce  point de  parler, comme on fait

au Journal, des « hardis  pilotes qui ont consacré leur  

vie au triomphe de la locomotion mécanique a et « dont

l'automobile est la vie », comment l'anthropophagie la

 plus déchaînée ne deviendrait-elle  pas une loi?

« Oh si tu avais vu le  pauvre Marcel inanimé sur  

le bord de la route 1 » Combien en avait-il assassiné

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A COCHONS-SUR-MARNE 137

déjà le  pauvre Marcel ? « L'épreuve à laquelle j'ai pris

 part a été une bataille où il y a des blessés et des

morts », nous dit le même Rodolphe. Si on était  plus

 jeune, ce léger  fusain d'un Wagram d'idiots ou de

meurtriers déments serait à bondir en gueulant jus-

qu'au fond du ciel. Au temps où le christianisme n'était pas défunt et où il y avait encore en France un quel-

conque sentiment d'honneur, les guerriers de cette

sorte eussent été branchés avec  promptitude et leurs

entrailles  jetées aux chiens. L'un de ces goitreux mal-

faisants a été carbonisé. C'est toujours ça. « On admi-

rait les Afo~ », dit encore Darzens foudroyé par une attaque d'inconscience. Les voitures dites « de

course », hideuses dès leur  création, ne sont-elles  pas

devenues funèbres et, si  j'ose dire, de  pompes funèbres,ayant pris, décidément, la forme des bières et d es cor-

 billards ?

Il est évident que tout automobiliste ambitieux est

un assassin avec préméditation, puisque un tel sport

implique, à son escient et à  peu près nécessairement,

le massacre de toute créature animée qui pourra se

rencontrer sur son chemin. Cela est formel, absolu,

indiscutable et l'avachissement inouï des contemporains

est seul capable d'expliquer l'ignoble patience quiencourage ce meurtrier.

11 y a deux ans, me trouvant dans un  pays mortel-

lement affligé d'automobilisme, je conseillai aux cul-

tivateurs exaspérés de saluer  aupassage les automobiles

avec des  pompes à merde. J'allai même  jusqu'à préco-

niser l'obstacle devant et l'obstacle derrière, dans les

bouts de route isolés, puis la destruction des machines

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ138

a coup de merlin, sans  préjudice d'une capilotade cons-

ciencieuse  pourlestouristes exaltés, mâles ou femelles.

Mais tout le monde gueule et  personne ne marche.

C'est la couardise, la  pusillanimité universelles.

Jamais on ne s'est tant fichu des  pauvres, c'est sûr,

mais jamais

les

 pauvres

ne l'ont tant

 permis.

Cela les

flatte, semble-t-il, d'être écrasés  par  des machines qui

ont coûté  jusqu'à cent mille francs. Il se dit et il s'im-

 prime que l'industrie des automobiles occupe un

nombre incalculable d'ouvriers, qu'elle en occupera

demain le double ou le triple, ce qui donne lieu d'espé-

rer  qu'à la fin elle occupera tous les ouvriers sans

exception. Les deux tiers de la  population de la France

et des colonies fabriqueront exclusivement des auto-

mobiles innombrables au

moyen desquelles

ils seront

écrasés quotidiennement et studieusementparle dernier 

tiers. Il est  possible que tel soit le  joli destin. Ce serait

la levée en masse  pour  la bonne guerre du  parfait

abrutissement français. Il y a dix ans à  peine, la  bicy-

clette semblait avoir atteint d'un bond ce résultat. Per-

sonne déjà, ne lisait  plus rien. Mais l'automobile est

un instrument de  progrès à tout casser, à tout enfon-

cer, à tout écraser.

Sans doute la culture des

champs

est abandonnée

et il se  pourrait assurément qu'on crevât de faim en

allant  plus vite. J'ignore s'il y a là une difficulté inex-

tricable et ce n'est  pas à moi qu'il appartient de la

débrouiller. Toutefois cette circonstance ne change

-ien au fait indéniable de l'idiotification d'un  peuple qui

~t le  premier  de la terre. Ceci est autrement grave que

Lécrasement éventuel des individus ou des multitudes.

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A COCHONS-SUR-MARNE 139

Qu'un milliardaire infect enrichi  par  les  plus crimi-

nelles spéculations et gavé de la substance des

misérables, vienne à s'aplatir  bêtement et ignoblementcontre un arbre ou contre un mur, désormais impuri-

fiable, en accomplissant, au mépris de la vie des autres,

un balourd exploit de vitesse, deux cent  journaux, lelendemain, lui décerneront le martyre et glorifieronten cette charogne une victime du devoir et de la

PENSÉE Ne dirait-on  pas un faire  part du décès de la

Raison humaine.

Il y eut, autrefois, la sélection merveilleuse du Sanget de l'Ame qui s'est nommée l'aristocratie des vertus.

Il y a, aujourd'hui, la sélection de l'argent qui.produitnaturellement l'aristocratie des imbéciles et des assas-

sins, représentée par   les 285 automobiles de Paris-Madrid.

3. Tristesse énorme. Par la  permission de

Dieu, je souffre, pour  la millième fois, cette  peine

de croire que je suis  perdu.

Lu ~o~5 d'Henry Houssaye qui ne me console

guère. Rien n'est  plus triste que cette fin des ma-

gnificences. Napoléon et la France m'ont semblé

moins déchus dans Thiers que dans Houssaye.

Cela tient sans doute à la supériorité de documen-

tation de ce dernier.

Fatigué de cette lecture, je retombe aux mains

de l'ennemi.

4. Lu dans diverses feuilles:

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ140

Les Phonogrammes de S. S. le Pape Léon XIII.

S. S. le Pape Léon XIII a daigné choisir les Phono-

graphes X. afin que sa  parole soit gravée à jamais pour le bonheur des ndèles. Le Souverain Pontife a  prononcédans deux Phonographes la prière de l'Ave Maria etla

.B~c<t'OH solennelle donnée, le 3 mars, à Rome, àl'occasion de son Jubilé. Les deux  phonogrammes de

S. S. sont en vente. l'Ave Maria, 10 francs, la B~-

diction, 12 francs. Voir nos catalogues.

6. Bon voilà que je rêve du doyen, main-

tenant. Dans mon sommeil, j'ai vu ce pasteur, ce

curé aux œuvres sans nombre. Le  pauvre homme

venait de fonder l'œuvre des « Voisines » Evidem-

ment, c'est stupide, mais, dans le mirage du rêve,

c'était si  plausible et c'était un tel diamant de

ridicule!

Lu ~~5. Appris ceci dont Thiers, je crois, ne

dit rien.  Napoléon, au retour de l'île d'Elbe, aurait

 pu déchaîner les  passions de 93, assoupies seule-

ment, et devenir  ainsi un roi  jacobin très-redou-

table.

7. Renouvellement solennel de la  premièrecommunion de Véronique. Elle a remis sa robe

 blanche de l'année dernière et  je m'attendris à

l'église, la voyant de loin et lui trouvant une granderessemblance avec ma mère. Je savais que cette

ressemblance existait, mais  je ne J'ai sentie qu'au

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A COCHONS-SUR-MARNE 141

 jourd'hui. Où est-elle, en ce moment, ma dou-

loureuse mère et quel secours  peut-elle donner  à

son  pauvre vieil enfant ?

L'Occident, revue d'art, parle de l'Oblat. Huys-mans est dit l' « unique écrivain religieux )).

Comme c'est aujourd'hui, la Trinité, troisièmemesse avec troisième discours du doyen, ne cessant

de  parler  de leurs  parents à des enfants dont quel-

ques-uns, probablement, n'ont ni  père ni mère.

Je renonce aux vêpres où il doit y avoir  un

quatrième discours du doyen. Jeanne revient

épouvantée. Cet âne furieux a vociféré trois quarts

d'heure, se déchaînant de  plus en  plus, jusqu'àdevenir une sorte

d'énergumène,mettant au défi

ses auditeurs, leur   jetant presque le gant et triom-

 phant de leur  silence, enfin se déclarant déterminé

à parler jusqu'à extinction de voix. Ce sermon quia étonné le canton, s'explique charitablement  par 

l'hypothèse d'un excellent et  préalable déjeûner.Le doyen est gras et il  porte bien la viande.

8. Lettres de direction du Révérend Père

Judas (Didon). Vanité de gymnaste et sentimen-

talité confinant à la luxure.

9. Au directeur   d'une revue que j'imagine

 prospère [et qui a cessé, depuis plusieurs mois,

d'exister]

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ142

Je ne sais vos sentiments à mon égard. Consen-

tiriez-vous à  publier  une étude critique de moi sur  

Husymans? Ce travail  pouvant avoir douze cents lignes,est  poussé très-à fond, véhément  peut-être, quelque-

fois, mais sans violence injurieuse. J'ai voulu  protester,au nom du catholicisme absolu et intégral, contre tous

les genres de bondieuseries, contempteur  au même

degré du sucre de  pomme de la rue Saint-Sulpice et

du sucre de betterave hollandaise de J.-K. Huysmans.

12. PRIÈRE D'INSÉRER 

Lettres de J . Barbey d'Aurevilly à Léon Bloy, avec

un  portrait et une lettre autographe de J . Barbey

d'Aurevilly.Société du Mercure de France.

On sait que Léon Bloy a été, plus de vingt ans, le

familier  de Barbey d'Aurevilly.Ces Lettres de Barbey d'Aurevilly à Léon Bloy

offrent, par conséquent, le double intérêt qui s'attache

à l'auteur des Diaboliques et à l'auteur  compliqué du

Désespéré, du Mendiant ingrat, et de l'Exégèse des

Lieux Communs.

Ces lettres vont de 1872 à 1878. Quelques-unes,

extrêmement curieuses, se rapportent aux débuts lit-

téraires de Léon Bloy qui déplore que les héritiers de

son vieil ami, en lui  permettant de  publier  cette collec-

tion, lui aient interdit tout commentaire et toute  pré-face. Ses souvenirs et documents d'histoire littéraire

iront donc  plus âprement à un autre livre  pour 

lequel il n'aura besoin d'aucune autorisation, et où

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A COCHONS-SUR-MARNE 143~

Barbey d'Aurevilly sera raconté  par le seul écrivain en-

core vivant qui l'ait bien connu.

Les Lettres de Barbey d'Aurevilly à Léon Bloy sont

 précédées d'un très-beau  portrait du grand écrivain

sur son lit de mort.

17. Article sur le célèbre tableau de Félix

Jenewein, La Matinée du Vendredi Saint dont  j'ai

reçu de Moravie une belle lithographie en couleurs.

[Article publié par   le ~MercM~'e de France, 1" sep-tembre 1903. Félix Jenewein vient de mourir  

subitement, le 5 janvier  dernier, foudroyé par  la

 joie d'être élu à l'Académie des Arts de Vienne

Janvier  1905.J J

La Matinée du Vendredi-Saint

Dopoledne Velkého Pàtku Jest odsouzen, bude

ukrizovan.

~.M~e meridiem ~f:as VI in Parasceve Damnatus

est, crMC!e<Mr.Telle est l'inscription ou  plutôt la subscription de

cette œuvre qui a fortement agité des âmes. Ce n'est

 pas une chose d'hier. C'est un tableau qui fut assez

remarqué, en 1895, à l'exposition de Vienne, pour queson auteur devînt aussitôt célèbre dans son pays

tchèque lequel s'honore, d'ailleurs, de l'avoir laissé

crever de faim très-longtemps, par respect pour   l'Évan-

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ144

gile qui me veut  pas que les  prophètes soient honorés

dans leur    patrie.Peut-on dire, cependant, qu'il ait été  prophète,

celui-là? Suffit-il d'avoir l'âme ouverte à tous les

soudes comme la caverne, redoutablement habitée,

d'un mont dangereux? En ce cas, c'est bien d'un  pro-

 phète qu'il s'agit ici. <<Il est condamné, il sera cru-

cifié. a Félix Jenewein a entendu cette rumeur énorme

dont fut secouée la terre, comme si un Titan, l'ayantsaisie à deux mains, eût entrepris avec rage de l'arra-

cher  de ses gonds, et il a voulu la faire entendre aux

autres  pour qu'ils en tremblassent à leur  tour. Car   les

 peintres ont le  pouvoir  de faire entendre  par  les yeux.Les Prophètes sont des gens qui se souviennent de

l'avenir. Placés  juste au centre, l'avenir  est devant

eux et derrière eux, à leur  droite et à leur  gauche. Le

temps n'existant  pas en soi, non  plus que l'espace, tout

ce qui appartient au sensible est identique dans

l'Absolu.

II faut lire le témoignage de la non  pareille Anne-

Catherine Emmerich qui eut, au commencement du

siècle dernier, le  privilège d'être témoin oculaire et auri-

culaire de la Douloureuse Passion.

Un  peu après le récit de la condamnation de Jésus.

rappelant la  plus terrible  parole que les hommes aient

 proférée< Toutes les fois, raconte cette  prophétesse du  passé,

qu'en méditant sur la douloureuse Passion de Notre

Seigneur, j'entends cet effroyable cri des Juifs « Queson sang retombe sur nous et sur nos enfants! M l'effet

de cette malédiction solennelle m'est montré et rendu

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A COCHONS-SUR-MARNE 145

sensible  par  de merveilleuses et terribles images. Il me

semble voir au-dessus du  peuple qui crie, un ciel

sombre, couvert de nuages sanglants, d'où  partentcomme des verges. et des glaives de feu. C'est comme

si cette malédiction pénétrait jusqu'à la moelle de leurs

os et atteignait jusqu'aux enfants dans le sein de leurs

mères. Tout le  peuple me  paraît enveloppé de ténèbres

leur cri sort de leur bouche comme un trait de feu

sombre qui revient sur eux. »

Je ne sais si Félix Jenowein a lu la visionnaire de

Dulmen qui est, sans contredit, ce qu'on peut lire de

 plus grand, mais il est sûr   que, de manière ou d'autre,

quelque chose est entré en lui de l'Épouvante divine

du Vendredi Saint.

Son tableau n'est  pas compliqué. Marie est debout,

au centre, sur le  premier plan. Elle a reçu le coup sans

tomber, quoi qu'en dise la sainte, parce qu'elle ne  peut

 pas tomber, parce que la Mère des vivants ne  peut pastomber. Qui soutiendrait le ciel bleu ou le ciel sombre

si celle-là tombait? Cette guerrière soutient le ciel sur  

la  pointe de la lance qui a  percé le flanc de Jésus,

comme les Gaulois  prétendaient faireavec leurs  piquets.Mais surtout elle est, en vérité, la Mère des vivants et

c'est  pour  cela que l'Évangile la montre debout au  pied

de la Croix, regardant un spectacle à tuer   des lions.

Elle est donc debout, les mains  jointes sur ce Ventre

fameux que les chrétiens nomment chaque jour, et quia  porté le Salut du monde. La tète est renversée dou-

cement, mais les yeux à moitié clos ne quittent pascette terre où le Fils de l'Homme va mourir.

L'épouvantable peine assiège comme une multitude

11 10

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ146

armée cette Tour de David, cette Tour d'ivoire qu'on

ne  peut pas prendre et qui souffre. Il faudra qu'il n'y

ait  plus d'hommes  pour qu'on voie la fin d'une telle

agonie. Elle a beau avoir   triomphé; Elle a beau être

morte, un certain  jour, ou seulement s'être endormie,

car on ne sait pas;

Elle a beau avoir été enlevée au

ciel d'où elle règne sans  partage, un  peu au-dessous

de Dieu; Elle a beau être honorée et  presque adorée,

depuis bientôt deux mille ans, sur  des autels d'or, dans

des cathédrales de diamant que les anges mêmes, inha-

 biles à la souffrance, n'auraient  pu bâtir  tant qu'il yaura un  pauvre, l'immaculée se tiendra debout, la  poi-trine  pleine de  poignards.

Cela sous l'auréole, dans la dérision sublime du

manteau d'azur que l'iconographie

chrétienne a tou-

 jours prêté à Marie, oubliant qu'elle est surtout la Fon-

taine douloureuse ou prennent leur source tous les

fleuves du Désir   inexaucé, de l'Amour  éperdu, des

Larmes de sang, de la Pitié qui donne la mort, de

l'Expiation qu'on ne  peut pas fuir, de l'Horreur  et de

la Terreur  qui coulent à travers le genre humain comme

des Danubes.

La sentimentalité veut à toute force que la ViergeMère soit une idole de miel dans

l'azur,au milieu des

fleurs. Us sont trois ou quatre cent mille démons  pour cacher les créneaux et les m eurtrières de cette Cita-

delle de la Compassion. On veut ignorer  qu'Elle est,

avant tout et après tout, la résidente, la stagiaire in-

déracinable du Golgotha qu'elle a les  pieds dans le

Sang de son Fils, que ses yeux et son visage sont en

sang et que son manteau, eut-il été d'un bleu translu-

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A COCHONS-SUR-MARNE 147

cide avant les tourments, est éclaboussé du sang de la

Flagellation, du sang de la Couronne d'Épines, du

sang des Clous, du sang de la Lance, de tout le  jaillis-sement écarlate qu'Elle recevait en  plein quand fut cé-

lébrée la grand'messe de la Rédemption.Onrefuse absolument de

comprendre qu'ilest

impos-sible à une telle Mère de ne  pas avoir  toujours à l'es-

 prit les gestes atroces des bourreaux d'un tel Enfant,leurs  physionomies de  possédés, leurs irrémissibles

injures.Allez dire à ce troupeau de renégats qu'on nomme

les catholiques modernes que toutes les fois que la

douceur nous est  procurée d'une catastrophe incen-

die d'un bazar achalandé  par  des martyres en robes de

gala,dont

les mendiantsn'ont

aucune idée et que ne paierait pas le Suaire de Notre Seigneur  Jésus-Christ;

éruption inespérée d'un bon vieux volcan que Sodome

et Gomorrhe croyaient endormi et qui éteint d'un

souffle trente mille vies; collisions de trains ou de

navires, cyclones ou tremblements de terre, sans  pré-

 judice des massacres gracieux qui ont été, jusqu'ici,la résultante historique et inéluctable de toute exacer-

 bation sentimentale; essayez donc de leur   faire

entendre, à ces contempteurs de la Justice, que c'estla « Vierge clémente qui se  promène ainsi dans son

royaume, en attendant l'effrayant Jour de sa  plénièremanifestation. 31aledictio Matris eradicat fundamenta.

Pourquoi voudrait-on qu'elle épargnât quelqu'un,

Celle qui a immolé son  propre Enfant? Car  les consen-

tements de Marie sont les instruments de la Passion

de Jésus-Christ, non  pas d'une manière symbolique ou

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ148

métaphorique, mais en une façon substantielle et ce

n'est  pas autrement que les  plus saints docteurs l'ont

entendu. « Marie monte au Calvaire avec calme, a dit

le P. Faber, pour  aider à égorger  son cher fils de

Béthléem. »

Saint Jeanqui l'accompagne

est tombé àgenouxderrière elle, les mains crispées au-dessus du cœur. Et

il reste là figé, sans force ni lumière. Ephèse est loin,

Pathmos est  plus loin et le « Fils du Tonnerre » est

actuellement un foudroyé. Plus tard, quand le « Miroir 

de  justice » des Litanies lui aura brûlé les yeux et

après qu'il aura  passé par  l'huile bouillante de Domitien,

il aura quelque chose à écrire  pour que le monde claquedes dents  jusqu'à la' consommation des siècles. Mais

aujourd'hui,Vendredi

Saint,il a l'air tout à fait anéanti.

Et le tableau entier est autour de ces deux ~tres

comme un ouragan. Il y a une demi-douzaine de  per-

sonnages et on a la sensation d'une multitude. La

 puissance du  peintre fait ce mirage. C'est la multitude

enragée et si terriblement  prophétique sur  elle-même,

racontée  par  Anne-Catherine, dix-neuf siècles après

l'Évangile. Les Hébreux, sauvés autrefois de la Mer 

Rouge et impatients dy rentrer, vocifèrent  pour qu'onouvre les écluses du

Sangadorable.

A gauche, un soldat  parabolique, anachronique, syn-

thétique, indéfinissable, une sorted'aventurier du car-

nage tenant à la fois du  prétorien, du cataphractaire et

du  brigand calabrais, assis sur une borne verte de  peur 

etles  jambes goujatement campées l'une sur  l'autre, ri-

cane en regardant la Rose mystique décolorée, l'Étoile

dm matin dans sa  pâleur.

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A COCHONS-SUR-MARNE 149

A quelque distance, un  prêtre gras, suggère on ne

sait quelle diabolique méchanceté à un youtre squalidevenu dePolognepourassisterau Crucifiement. A droite

une saturnale de l'an mil ou de l'an quarante un.

homme nu, horriblement coiffé d'une espèce de casquede

coléoptèremonstrueux

garnid'antennes

quile fait

ressembler à un démon et  porté sur les bras de deux

autres chenapans masqués, élève au-dessus de ta

foule, comme un labarum, une dérision de crucifix,torchon sale roulé, ficelé et suspendu à une traverse

en haut d'un manche à balai, figuram crMez/MCt in

 baculo quo ~err~Mr, m'écrit un explicateur  masca-

rade sacrilège qui réjouit infiniment la  populace.Cet admirable tableau que son auteur  ne croit  pas

allégoriqueest extrêmement

étrange. J'yai trouvé

 par exemple, ceci qui n'est rencontrable, je crois, nulle  part.Les canailles, ivres d'allégresse et riant, comme oa

dit, ? se' tenir les côtes, ont le geste uniforme de se

croiser les mains sur le dos, paumes en l'air, figurantainsi des captifs enchaînés invisiblement. Qui  potest

capere, capiat.

19. Loué un nouveau gîte. Nos fillettes au-

ront enfin des arbres et un  jardin.Petite discussion théologique avec un  prêtre au

sujet de la Grâce sanctifiante et de la non-vatcur  

absolue, selon lui, des bonnes œuvres accomplies

hors de l'état de grâce. Mon contradicteur est un

théologien rigoureux, un  prêtre du règne de Jésus.

Je suis du règne du Saint-Esprit. Je  plaide philo-

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ150

sophiquement pour   la  pérennité de l'acte humain

et théologiquement pour   le droit de grâce du

Législateur. On ne s'entend  pas et  je cède volon-

tiers, n'étant  pas, d'ailleurs, outillé  pour  la con-

troverse.

21. Parole remarquable de la mère Marie,

l'ancienne jolie femme: « Monsieur  Bloy, un homme

si modeste » Je ne savais  pas avoir mérité cette

louange. Personne, jusqu'à ce  jour, ne s'en était

avisé. Aurais-je donc, à mon insu, mis le feu à ce

grenier ?

22. Oh! le

 prêtre,

l'affreux prêtre qui ne

donne rien à  personne et qui, ayant hérité d'une

fortune  pour l'appliquer  à de bonnes œuvres, l'em-

 ploie uniquement à des trafics usuraires et vit en

 paix dans le mépris épouvanté d'un diocèse J'ima-

gine, cependant, que la  plupart de ses confrères

doivent l'envier en secret.

Revu notre nouvelle demeure. Assurément nous

 pourrons y être heureux, si Dieu nous donne le

nécessaire. Mais quel nettoyage ne faudra-t-il  pas?La saleté de la maison dépasse toute rhétoriqueet l'occupante actuelle, une veuve à faire reculer 

les saints autels, est un  prodige de crotte et de

vermine.

24. Nativité de saint Jean-Raptiste. Il m'est

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A COCHONS-SUR-MARNE 151

montré ceci Toutes les fois qu'on dit le Magnificat,saint Jean « exulte )' au sein de sa mère.

On m'assure que je scandalise Cochons-sur-

Marne. Plusieurs épouses de Jésus ont horreur 

d'un monsieur  connu  pour  n'écrire que des sale-

tés et qui communie tous les  jours.

25. 1815. Waterloo. Même impression pénible.

Toujours les combinaisons du Dieu de la guerre,avortant  par  l'infirmité ou la perfidie de ses lieu-

tenants. Ayant à écrire sur    Napoléon, je voudrais

 pouvoir  montrer   parfaitement cette misère des

contemporains du  plus grand des hommes, quieussent dû, à défaut de compréhension supérieure,être des héros de dévouement et d'obéissance, des

héros d'admiration, ce qu'étaient les  pauvressoldats et ce que ne furent  pas les chefs. Il me

semble qu'il y aurait là des choses à écrire, d'une

 beauté à  percer  le cœur de Dieu, comme la lance.

26. Carte d'Henry Houssaye « Tous mes

remerciements. Ces Lettres valaient bien qu'on

les  publiât. J'ai été heureux d'y voir revivre leterrible et doux Barbey d'Aurevilly. »

27. U faut tout quitter, il faut quitter  le

lendemain. JEANNE.

Je voudrais en finir, c'est trop doulou-

reux. Quelle incertitude bizarre au cœur  del'homme,

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QUATRE ANS DE CAPTIVEE i~152

quel besoin  plus étrange encore d'incertitude ou

 plutôt quel pressentiment admirable que rien n'est

définitif en ce monde! J'ai beau savoir  cette cruelle

série de désastres, il m'est impossible de ne  pas

espérer, à chaque instant, qu'ils M'<M'~ero~  pas.

Je veux me  persuader  qu'à Ligny, d'Erlon obéiraà son empereur, que Ney lui obéira aux Quatre-

Bras, retrouvant sa résolution d'autrefois, que

Grouchy enfin daignera écouter, à Wavre, ses

officiers et ses soldats. Quoi que je fasse, les

malheurs affreux et si injustes, en apparence, de

cette guerre, me surprennent toujours. Si tout

le monde s'était trompé, cependant! Si la bataille

de Waterloo durait encore!

28. A Jehan Rictus

Mon article sur vous ne sera  jamais modiHé ni atté-

nué. Je l'ai écrit en conscience et je n'y veux rien chan-

ger. Seulement, quand je le  publierai envolume, je serai

forcé de faire -en note de bas de  pages une réserve

d'ailleurs très-fraternelle et très-douce. Quelque large

que je puisse être et quelle que soit ma volonté d'entrer 

dans l'esprit de votre vagabond merveilleux, je ne dois

;)as épouser  ni  paraître approuver  la manière

effroyable pour  moi dont vous  parlez de l'Amour  de

Madeleine, page 115; amour de Montmartre ou de

Montparnasse très-différent de la dilection infiniment

 pure et surnaturelle de l'Évangile. li y a des choses aux-

quelles on ne doit pas toucher.

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A COCHONS-SUR-MARNE 153

29. A un artiste qui me fait l'honneur de me

 préférer  à tous ses contemporains

Je suis heureux que les Lettres de Barbey d'Aure-

villy vous aient intéressé. il ne m'a  pas été  permis de

faire une  préface ni des commentaires et  j'en suis na-

vré.

Ce qui me ravit, c'est votre appétit pour  le Salut par 

les Jui fs qui est incontestablement le meilleur de mes

livres et celui dont  personne, jamais, ne me  parle. Je

vous confie, comme à un très-vieux et très-sûr   ami,

cette  peine qui est, au fond de ma vie, tout à fait au

fond de ma vie, une grande amertume.

Vous m'aviez écrit, en septembre 1900, une lettre quin'avait déplu. Oh combien! J'ai horreur des  prophètes

ou des visionnaires quine changent pas les eaux en sanget qui ne ressuscitent  pas les morts. Mais vous aimez

le Salut par  les Jui fs, vous accomplissez cet acte de

 justice de recueillir dans la  poussière et les ténèbres,

le  pauvre livre méprisé. Alors vous êtes vraiment mon.

frère et vraiment l'ami de Dieu. « Celui qui aime la

grandeur  et qui aime l'abandonné, quand il  passera à

côté de l'abandonné, reconnaîtra la grandeur, si la

grandeur  est là. » Cette  parole magnifique est d'Ernest

Hello qui fut un abandonné.

Il n'y a  pour  moi qu'une manière de concevoir   le

le  péché contre le Saint-Esprit, le péché tyr~MM'MtMe.

C'est le manque d'aMtuMr, crime effroyable, très-exacte-

ment délimité  par  saint Paul, 1 Cor., XIII. Tout ce

qu'on peut dire ou écrire, hors cela, c'est exactement

de la couillonnade. Les catholiques modernes qui sont

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QUATRE ANS DE C AP TIVITÉ154

au-dessous de tout et qui ont mérité tous les supplices,

 pratiquent ce péché en désobéissant au  précepteformel de communier  chaque jour, en rejetant le

« panem quotidianum supersubstantialem », encouragésen cela  par  des  prêtres homicides. J'espère écrire ce

qu'il faudraen

tempsutile. Dieu

ne me laissera  pasqu'ilfaudra en

tempsutile. Dieu ne me

laissera  pasmourir de faim et de désespoir.P.-S. Vous dites quelaVulgate parle au futur. Vous

n'y êtes pas du tout. La Vulgate c'est le Saint-Esprit,sans  passé ni futur. Le temps n'existe  pas.

30. Envoyé à mon  jésuite l'article sur Rictus

 publié par  le Mercure et devant former le dernier  

chapitre des Dernières Colonnes de l'Église. Expli-

cation en raccourci et  parabolique « Christus evo-

mens Phariseos, ccenat libenter  apud MjfMM  prin-

cipempziblicanorum.» Ajouté: « Besogne peu facile,

ce nouveau livre, et singulièrement nauséeuse. Je

vous assure qu'il ne fait  pas bon s'attarder sur du

Coppée, ou du Brunetière, surtout quand on est

 jacens ad januam divitis, ulceribus  plenus, egensmicis et nullis canibus ulcera lingentibus. »

Waterloo, page 3i4. Un guide Joseph

Bourgeois, foirant de  peur  dans son nom. Il disait,

quand on lui demandait comment était l'empereur:« Son visage aurait été un cadran d'horloge qu'onn'aurait  pas osé y regarder  l'heure. »

Sermon du doyen sur   je ne sais quoi. Il affirme

que son auditoire est une assemblée de saints,

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A COCHONS-SUR-MARNE 155

dilectis Dei, vocatis sanctis. J'étais le saint le  plus

rapproche de lui, quand il faisait ce beau discours

et  je crois que ma  présence a dû le gêner.

Juillet

3. Le doyen livré, ce soir, à une sorte de

gâtisme véhément, nous offre quelque chose comme

l'oraison funèbre d'un individu qu'il ne nomme

 pas, mais qui était riche. Cela dit à demi-voix avec

une expression de  piété et de respect infinis. Ce

riche donc était dévoré du désir de rendre service,

au point qu'il en est mort. Aucune explication,

aucun détail de cette mort qui n'a  pas dû être moins

curieuse qu'édifiante. Ce martyr  ambitionnait, nous

est-il révélé, d'être « membre du Conseil muni-

cipal et du Conseil général, pour   être mieux en

état de rendre service », ce qui nous fait entrevoir 

un  joli mufle.

4. Je crie vers Marie comme un désespéré.

5. Dimanche du Précieux Sang. Je demande

que ce Sang soit changé pour  moi en .4rye~, con-

formément à l'exégèse.

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ156

C'est la fête de Cochons. Joie ignoble de cette

foule. Quand les bourgeois se réjouissent, c'est la

même chose que lorsqu'ils ont peur. Ils ressemblent

à des démons.

6. Quand plaira-t-il à Dieu de m'arracher  ducœur les épines qui me torturent?

7. Relu la Bonne Souffrance en vue des

Dernières Colonnes. Suavité des âneries de Coppée.« Je me déplais moins qu'autrefois », dit-il. Quelle

 belle épigraphe! J'espère du  plaisir pour  ceux quime liront et  pour  moi-même.

8. Nous sommes excessivement malheureux,le chagrin m'écrase et ce n'est  pas la lecture de

ce  pharisien gâteux qui pourrait me consoler.

10. Parlant à un  prêtre de la mort  prochainede Léon XIII, je déclare, une fois de  plus, avoir 

toujours vu en ce  pontife un obstacle à Dieu. Il

refuse de me suivre, disant que Léon XIII a étéadmirable  pour  les ouvriers, mérite bien inconnu

de tous les ouvriers de l'univers. Quand un  prêtreest excellent, on trouve ça chez lui.

ii. Un citoyen de Nimes est venu me voir.

On  parle de la campagne antireligieuse dans les

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A COCHONS-SUR-MARNE 157

 provinces et du rôle épouvantable de Charbonnel,

en train de devenir  une sorte de potentat par les

loges et agissant au moyen de son infâme  journal

 jusque sur le ministère, avec une autorité qui n'a

 pas de nom.

13. Chaleur horrible. Pour me rafraîchir, lu

une centaine de  pages de l'Étape de Bourget, tou-

 jours en vue des Dernières Colonnes où cet ami

d'Hanotaux a naturellement sa  place. L'académi-

cien des dames est si médiocre qu'il échappe même

au ridicule. Sa sottise est inconsistante et insaisis-

sable.

14. Le docteur  X. est un médecin attentif,

mais  pluvieux. C'est un de ceux qui disent « Je

suis si  pressé que je n'ai  jamais le temps de lire, »

et qui parlent, une demi-heure, de l'alliance franco-

russe ou de l'incompétence en hydrostatique du

 brigadier  de gendarmerie, chez chacun de leurs

clients.

15. Il y a certainement de bons  prêtres quidéplorent l'inertie de Léon XIII dans les affaires

d'Arménie et dans la  persécution actuelle. Ils

 blâment en gémissant la condescendance de ce

 pontife recevant des Taxil et des Brunetière, mais

sans comprendre que son horrible.politique est un

crime du même genre, plus grand encore. Telle

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ158

est la misère du Clergé contemporain, et il n'ya  pas de remède. Une bonne  paraphrase de la

Bulle Unam Sanctam de Boniface VIII, en col-

laboration avec l'Esprit-Saint, quelle gifle lumi-

neuse

16. Continué l'Étape. Ah! que j'ai eu raison

de nommer  Bourget l' « Eunuque M C'est inouï

d'impuissance. Cœur  châtré, intelligence figée,cristallisée. Il n'est  pas même ennuyeux avec force.

Une sorte d'intérêt soutient son misérable livre

qu'on dirait saupoudré avec de la raclure de roman-

feuilleton.

18. Quel esprit sacerdotal, celui qui consiste

à faire  passer  les âmes après les œuvres

i9. Léon XIII est en agonie et voici l'Introït

de ce dimanche, introït qui doit dominer toute la

semaine Omnes gentes, plaudite manibus ~'M&~c Deo in voce exultationis. Q~oMï~M Dominus

e.rce~sM~ TERRiBins. ?

20. EnvoidesLettres: « Amon ami Alexandre

Roy, vainqueur  de Tyr  etvaincu de Babylone. C'est

à Barbey d'Aurevilly qu'il faudrait demander  une

dédicace  pour  ce livre dont je ne suis  pas l'auteur 

et qui aurait pu être si remarquable sans la sottise

d'une femme qui avait malheureusement le  pou-

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A COCHONS-SUR-MARNE 159

voir de s'opposer  à mon  projet d'une  préface et

d'un commentaire que, seul au monde, je pouvaisécrire. »

21. Léon XIII est mort, hier, à quatre heures

de l'après-midi. H y a  plus de vingt ans que j'at-tends son successeur.

22. Travaillé au chapitre Bourget (Dernières

Colonnes) avec un  peu d'énergie et  passablementde dégoût. Cet auteur est un des contemporains

que j'ai le  plus rendus. Il est si bas et si bête que

 je ne sais  pas ce qui l'emporte.

24. Je vis comme une brute en compagnie

de Bourget. Heureusement le chapitre est fini ce

soir.

26. Pour   engourdir  mes  peines dans le plus beau de tous les rêves, lecture du  Napoléon de

 Norvins dont les sublimes illustrations par  Raffet

ont tant exalté ma triste enfance.

27. Découpé dans un journal:

Rome, 26 juillet. La Voce della Verita  publie le

texte du document sur  parchemin déposé dans la bière

du Pape. Ce document rédigé par  le Père jésuite de

Angelis, est une  biographie de Léon XIII, accompa-

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ160

gnée de quelques allusions à la malice des temps. ïl

conclut eu disant que Léon XIII fut un  pape auquel

aucun autre  peut-être ne  pourra jamais être comparé

 pour  la bonté d'âme, la grandeur  de l'intelligence, l'in-

tégrité de la vie, la sainteté des mœurs et  pour  l'ardeur 

qu'il

mit à consacrer toute son existence et toutes ses

forces au service de l'Église et du Christ.

Eh bien, je réclame avec véhémence  pour  mon

 patron saint Léon-le-Grand et  pour  un assez grand

nombre d'autres, parmi lesquels le  pape martyr,

saint Martin 1"r, qui préféra une mort horrible et

les outrages de tout un monde à la complicité de

sophisme et d'hérésie qu'on lui  proposait.

29. J'ai la chance de connaître un  prêtre

 pieux et intelligent. Cependant je me sens seul

auprès de lui. Il appartient à la génération sacer-

dotale formée  par  Léon XIII. Je suis un catholique

du Syllabus et de Boniface VIII. A quelque dis-

tance du Dogme strict, impossible de se rencontrer.

31. A Albin Michel, éditeur 

Jehan Rictus me dit que vous êtes exceptionnelle-

ment outillé  pour  un lancement. Vous seriez donc

l'homme que je cherche depuis tant d'années. Ne

l'ayant pas rencontré  jusqu'ici, je suis devenu uiie

~espèce de « vieux maître fort connu du monde litté-

raire et fort inconnu du grand public.

Aujourd'hui s'ouvre le Conclave. J'ai formé le  projet

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A COCHONS-SUR-MARNE 161

d'une brochure courte  pouvant être lue en une heure,

où serait  présenté* substantiellement le rôle  présumabledu Pape futur. Cela dans la forme littéraire qu'on me

connaît et qui réjouit ou exaspère tant de gens. Cin-

quante ou soixante  pages me suffiront. Cela vous con-

vient-il ? Je me mettrais au travail aussitôtaprès

votre

acceptation formelle.

Août

l". L'énorme tourment dontj'ai tantvu souf-

frir le  pauvre Hello, il y a  plus de vingt ans, celui

de /t'~p  pas ea~MC~ et de  paraître prier  en vain,

est devenu mon tourment. Il me semble que jen'obtiens  plus rien et que la chose qui m'est,chaque

 jour, plus nécessaire, est  précisément celle quim'est refusée avec le  plus de fermeté. Décourage-ment affreux, larmes très-amères en me rappelantles anciens  jours, certains ineffables  jours d'autre-

fois.2. Remarqué l'étonnante  prière liturgique

à la messe de saint Alphonse de Liguori Sacer-

dos magnus qui in vita sua ~M~M/M'~ domum et in

diebus suis corroboravit templum, quasi Ignis

e/~M/y~M~ et thus ARDENs iN IGNE. Mots qui paraissenttout à fait surnaturels quand on  pense que le

it 11

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ162

Conclave est actuellement rëuni  pour  l'élection du

Pape I&Nis ARDENS De telles choses  passent

devant moi comme des éclairs, m'avertissant queDieu est là, toujours là, et que je suis, toujours

aussi, la même épave désolée dans un torrent.

A Jehan Rictus

Je n'espère pas grand chose de votre éditeur. Je

connais trop l'ignorance de ces gens, leur bêtise

 prompte et surtout la fripouille ambiante consultée  par eux. Vous savez ce qu'il y a à dire de moi littéraire-

ment. Pour ce qui est de mes croyances, de mes doc-

trines, ne craignez pas de me séparer  violemment des

autres

catholiques,

non

pas quant

au fond, bien

entendu, mais de t oute autre manière. En un mot,

affirmez, gueulez même que je suis un catholique, c'est

vrai, mais un catholique non embêtant, parce que jesuis un catholique ABSOLU. Ce serait l'originalité de

ma brochure. Une  pétition de théocratie d'après le

Syllabus et Boniface VIII, le grand Pape de la fin du

XIIIe siècle, en ce temps d'imbéciles et de capons, ça ne

serait  pas banal. Vous direz Bloy fera ce qu'il a fait

tant defois,

il dira les choses les plus

révoltantes pour 

l'esprit moderne, les  plus incompatibles avec l'automo-

 bile et la télégraphie sans fil. Il invoquera, pour  les

dire, les arcanes les moins  pénétrés de la  philosophietraditionnelle et de la théologie, mais tout cela dans

une forme telle que les commis-voyageurs et les came-

lots eux-mêmes comprendront ou croiront com-

 prendre. Etc.

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A COCHONS-SUR-MARNE 163

Pour ce qui est de la galette, vous verrez ce qui peutêtre tiré du monsieur. Mais  je ne veux  pas que vous

vous embêtiez  pour  moi, mon ami. Ce serait me rendre

complice de l'iniquité des  plus odieux mufles. Nous

sommes, l'un et l'autre, des  pasteurs. Notre rôle est de

tondre et non  pas d'être tondus. Il est vrai que notretroupeau est tellement devenu de cochons qu'il ne peut

 plus être question de tondre, mais seulement d'égor-

ger. Si donc vous saignez une de nos bêtes, réservez

ma part.

3. Pour la belle fête de l'Invention des re-

liques de saint Étienne, Protomartyr, messe de

l'abbé Galette, prêtre bafouillard, bredouillard,

ventrouillard, tireliard, Colin-Maillard et corbil-

lard. Je ne  puis que lutter contre le dégoût et

l'horreur. Si  j'avais l'infortune de me trouver en

un lieu où il n'y aurait que ce seul  prêtre, jeserais forcé de renoncer à toute  pratique.

Réponse d'Albin Michel. Refus formel, sans re-

tour   possible. Règle. Quand un homme écrit

« J'ai le regret de vous informer  », on  peut être

sûr  qu'il n'y a rien à faire et que l'information estaussi mensongère que le regret.

4. Ce Galette a un frère idiot. Qu'il en ait

soin. C'est ce qu'il possède de  plus précieux. On

les appelle des innocents dans mon  pays. Quand

il crèvera au milieu de son argent et  parmi ses

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ16i

sacrilèges, cet)-'  pauvre créature  parlera peut-être

 pour  lui.

Appris, ce soir, l'élection du  patriarche de

Venise qui a  pris le nom de Pie X. Cette nouvellf  

m'attriste, loin de me réjouir  et même  je tombe

uans le noir. J'avais tant désiré un événement

extraordinaire C'est toujours la même chose Un

Italien et un vieillard

5., J'entre à l'église pour   en sortir   aussitôt,

le sacrilège Galette disant la messe. Toute la  jour-

née, je garde ce crottin sur le cœur.

8. A Raoul  Narsy

J'ai lu dans l'Occident qui m'est envoyé régulière-

ment, j'ignore par  qui et  pourquoi, quelques lignes de

vous, exprimant un degré de sympathie. Mais, dans

ces lignes qui sont en ce moment sous mes yeux, vous

disiez « Un J.-J. Rousseau », me comparant avec

cruauté à ce fils d'Onan, à ce masturbateur infâme des

autres et de lui-même vous me dites «  pessimiste <)

moil'optimiste

fameux sanségal

nicompagnon,

incorrigible et  perpétuellement roulé Notre époque

n'étant  pas précisément une époque de  penseurs, très-

 peu ont compris que Marchenoir est un « désespéré M

 philosophique et nullement un désespéré théologique.

En d'autres mots, il n'attend rien des hommes, m~is il

attend TOUT de Dieu.

Vous m'appelez aussi « découragé", oubliant que je

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A COCHONS-SUR-MARNE 165

combats encore, et plus que jamais, à cinquante-sept

ans, abandonné de tous, criblé de blessures horribles

et torturé  par  la misère.

Enfin vous dites que « je proclame ma défaite »,alors que c'est exactement le contraire qui pourrait

expliquer  ma vie. A supposer que je m'estimassevaincu ce qui n'est  pas je n'en conviendrais

 jamais, sinon ironiquement. Est-ce donc si difficile de

me comprendre? 2

[J'ai cité cette lettre dont l'intérêt est médiocre,

uniquement parce que le destinataire  paraît être

un catholique de bonne volonté. Si ceux-là me

 jugent ainsi, que dois-je attendre des autres ?j

9. Quand on est incapable de grands crimes,

on est incapable de sainteté. Cette vérité de M. de

La Palisse, dépasse les moyens d'un  professeur  de

 philosophie religieuse venu de fort loin  pour  nous

instruire.

10. A Georges Rémond qui semble nous

avoir  complètement abandonnés. Je le félicite

 pour  sa traduction d'une « Vie de Nicolas Pous-sin », d'italien en français, adaptation curieuse que

vient de  publier  l'Occident. Je lui dis qu'ayant si

rarement obtenu la  justice, je croirais mériter ce

traitement si  je la refusais aux autres.

ii. Commencement d'exécution de PariSt

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QUATRE ANS DE CAPTIVITE166

condamné depuis longtemps à  périr par  le feu.

Vaste incendie du Métropolitain, au lieu dit les

CoM~oKK~/ Les  journaux annoncent la trouvaille

de 85 morts. Cela  pour  le début du  pontificat de

Ignis ardens.

12. Quelle blessure mortelle semble avoir 

reçue la Raison! Toujours la même chose! Tous

sont persuadés qu'un mauvais arbre  peut donner 

de bons fruits.

21 Scandale énorme. Un homme de mau-

vaise vie et riche vient de crever. Funérailles de

 première classe avec un déploiement de faste

inouï Tout le monde court à l'église pour  voir  ça.

Amertume de penser  qu'avec une  partie de l'ar-

gent répandu vaniteusement sur cette charogne,

nous pourrions être délivrés

Ce qui m'est raconté de la cérémonie me donne

le regret d'être resté chez moi. Il  paraît que cela

ressemblait à une solennité des démons. A cha-

cun des quatre coins du somptueux catafalque, il

y avait, pour  l'étonnement ou l'épouvante, une

énorme lampe donnant une flamme verte. Cela

faisait comme une délimitation fantastique du

décédé, au milieu d'un torrent de luminaires. Un

orchestre savant venu de Paris  jouait avec auto-

rité tout ce qui lui  plaisait, et sur tout cela, mêlée

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A COCHONS-SUR-MARNE 167

à l'encens et au suint des bêtes, flottait une

étrange et  pénétrante odeur de moisissure.

Il n'a manqué que la terrible  péripétie racontée

dans l'histoire de saint Bruno et  peinte par 

Lesueur, le mort se dressant  pour  dire à la foule

« Je suis un damné » Quelle eût été la conte-nance de notre doyen qui refusait, il y a quelques

mois, la sépulture chrétienne à une indigente

 pour  cause de concubinage et qui tolère aujour-

d'hui, avecjoie sans doute, ces effrayantes obsèquesde concubin évaluées à une quinzaine de milliers

de francs?.

22. Je  pense à saint Bernard dont c'étaitla fête avant-hier  et  je dis à la Sainte Vierge quele célèbre Memorare de son grand ami me devient,

chaque jour, plus difficile. Non esse <K«~MMï a

M?CM~o quemquam, dit cette  prière. Hélas il ya moi. Il y a si longtemps que je vous supplie de

me délivrer! Puis  je songe à toutes les autres

 prières liturgiques ou non liturgiques et je me dis

que chacun des mots  prononcés par  nous en  priantest  pour toujours, que nous retrouverons leur mul-

titude à l'heure de la. mort et  plus loin quel'heure de la mort.

24. Ce soir, sensation de faire notre dernier 

repas.

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ168

30. Saint Fiacre (Voir  même date 1901).Discours du doyen aux  jardiniers. Jésus ingé-~i'~M.r  (!) au  point d'imaginer  cette coMjoa~cMOH<' Pater meus agricola est ». Mon  père est jardinier!Son  jardin, c'est notre âme, « Ao~M~ conclusus ». Je

renonce à exprimer  ce que m'inspire rimbéciiiik-de cette homélie.

Septembre

2. A un  pauvre qui va mourir 

Je ne  peux pas encourager  ma femme à vous

écrire. Vous l'avez si complètement déçue Elle a cette

impression étrange et lugubre d'avoir tendu la main à

un homme qui se noyait, d'avoir cru le sauver et de

s'être vue rebutée  par  cet homme qui préférait la mort.

Vous vous étonnez d'avoir été cru protestant. C'est bien

simple. Vous repoussez la confession et vous dites que

vous ne croyez pas tous les dogmes enseignés par  

l'Église. Si ce n'est  pas là du  protestantisme, je renonce

à savoir  le sens des mots.

6. A  propos des Iconoclastes, parlé de l'im-

 portance énorme et tout à fait mystérieuse des

images. Idée à développer  Dieu a fait l'homme

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A COCIIONS-SUR-MARNE 16g

à son image et il l'a fait de terre. Dans le Deuté-

ronome, chapitre iv, il défend expressément à son

 peuple de l'imiter en cela.

8. On  prépare notre nouveau gîte. Une

équipe d'ouvriers travaille à la désinfection des

murs et des  parquets, depuis trois jours. Ces

hommes, habitués  pourtant, s'étonnent d'une si-

non  pareille ordure. Mais la maison n'est rien au-

 près de l'habitante, veuve méphitique d'un  pauvrediable de vieil officier  qui vient de mourir. Cette

 personne, vraiment effrayante, ressemble à une

ville d'Asie grouillante et  pestilentielle, où s'éta-

leraient toutes les immondices et toutes les ver-mines. C'est vrai qu'on lave, qu'on décrasse,

qu'on décrotte, qu'on écume, qu'on boucane-

l'habitation tout de même  je deviens grave e!t

songeant qu'elle va devenir la nôtre. Puis il y a

cette épine de torture, cette  pointe cruelle qui est

le sentiment de ma  parfaite impuissance, de notre

dénûment absolu. Si la misère actuelle se  pro-

longeait, non seulement nous ne  pourrions pas profiter  de ce logement, mais nous ne  pourrionsmême  plus vivre.

9. -Ma nouvelle  propriétaire, bourgeoise d'une

laideur  classique, m'informe que l'officière  puante

qui va être remplacée par   nous est une soulard~

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QUATRE ANS DE C AP TIVITÉ170

considérée, une ivrognesse régionale, une zéla-

trice de la  plus ancienne Pologne. Naturelle-

ment.

11. Départ soudain d'un  jeune homme à qui

nous avons donné l'hospitalité deux mois. Il nousquitte, presque sans un mot, nous écrasant de son

dédain. Ayant, à force d'énergie, attrapé vingt ans,

cet athlète avait rêvé généreusement de me faire

 profiter  de son expérience, en me donnant des le-

çons de littérature et de  piété. Mal récompensé de

son effort, il s'en va rempli d'une grande satiété

des hommes.

[Jen'ai

 pasvoulu

 parler  davantagede ce

 pauvreenfant dont la sottise et l'orgueil nous ont fait

souffrir  soixante  jours. Il se croit appelé au sacer-

doce.] ]

12. Tous les  journaux sont remplis de Renan

et de la fête d'inauguration de sa statue à Tré-

guier. Le très-bas domestique des Loges, le sale

renégat persécuteur  Émile Combes, le  père du

million des Chartreux, ira demain  prononcer  un

discours en l'honneur du célèbre  jean-foutre, con-

tempteur  de la démocratie. Six mille soldats ont

été mobilisés  pour  encadrer  l'orateur, menacé de

gifles, ou, tout au moins, de torrents de merde.

14. J'espérais que l'inauguration de la statue

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A COCHONS-SUR-MARNE 171

de Judas aurait été l'occasion de quelque conflit

sanglant. Tout au moins les Bretons auraient dû

fermer  hermétiquement leurs maisons et leurs

 boutiques, et ne vendre ni un morceau de  pain,ni un verre de vin. Interdit absolu, deuil com-

 plet. Mais nous sommes au xx° siècle. Tout devaitêtre et a été médiocre. Tout le déplaisir  du bandit

et de ses compagnons leur est venu du ciel. Il a

 plu sans interruption. Fange sous les  pieds et dans

les cœurs.

Jeanne a été insultée, ce matin, par  une bour-

geoise à qui elle ne doit rien, mais qui hait, d'ins-

tinct, les gens de notre sorte. Quelle joie diabo-

lique, dans cette ville infâme, si on nous voyait périr Spes M?Mcs/

17. Quelqu'un a essayé de voir les yeux du

misérable Galette. Impossible.

Misère atroce, heureusement et miraculeuse-

ment inconnue.

18. Je connais un  prêtre, d'ailleurs excel-

lent, du diocèse de Tarbes qui croit, inexplicable-ment comme tant d'autres prêtres modernes

qu'un mauvais arbre peut faire de bons fruits.Je lui ai vu dans les mains une traduction  pro-

testante de la Bible qu'il juge supérieure, plus

 près du Texte que la Vulgate. Quand on aime

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ172

l'Église c'est à  pleurer. Cet abbé a trop d'esprit

Quand les Colonnes paraîtront je lui en adresse-

rai un exemplaire avec ces mots « D'un dévot

à la Vulgate qui demande qu'on le crucifie en

latin. »

23-29. Le désordre déménagement est

dans mon âme. Depuis notre mariage, c'est le

douzième dont deux en Danemark.

30. Saint Jérôme. En  présence de l'école

exégétique moderne, je sens pour  saint Jérôme et

sa Vulgate l'amour le  plus tendre. Je le vois seul

comme  je suis seul. Je suis  peut-être son uniqueami.

Octobre

2. SS. Anges Gardiens. Je parle à mon angegardien, à ce compagnon invisible qui fût, un

demi-siècle, témoin de tous mes tourments et quidoit avoir  grande pitié.

Le greffier  de la Justice de paix m'avise d'une

réclamation de 25 francs formulée  par  une salopeà qui je ne les dois pas.

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A COCHONS-SUR-MARNE 173

3. Je pense toujours à mon livre sur   l'ar-

gent, projeté, il y a si longtemps. Quel chapitre à

écrire sur les  propriétaire&, empochant ce qu'onleur donne avec un désintéressement affreux de

l'angoisse de leurs locataires angoisse pouvantaller neuf   fois sur  

dix, jusqu'à l'agonie!Jevois cette

Madame Corbillard, vieille équarrisseuse aux dents

 jaunes, qui nous a loué et qui veut être  payée

d'avance, comme tous ces maudits; je la vois tou-

 jours du même geste par   lequel on gave les oies,

faisant glisser  méthodiquement dans une longue

 bourse aux mailles d'argent, les malheureuses

 pièces de monnaie qui étaient comme du sang tiré

de mes veines, qui représentaient, pour   tant de

 jours la vie de mes  pauvres enfants, argent pré-cieux et exécrable dont elle n'avait même  pas

 besoin, et que je voyait disparaitre en ayant peineà réprimer  un sanglot. Et ce sacrifice énorme, il

faudra le renouveler  dans trois mois.

5. Nous subsistons de la fin de notre pauvre

crédit exténué.

6. J'apprends que le doyen a  profité d'une

maladie grave du sacristain pour  le priver  de son

emploi, sous  prétexte que le pauvre homme, père

de famille, buvait parfois un  petit verre, sans que

cela nuisît à son service où il excellait. Rosserie

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ171

t nouvelle qui complèterait ce  pharisien, s'il avait

 besoin d'être complété.

8. Sur le chemin de l'église. Moi. Plus

nous irons vers Dieu, plus nous serons unis,

c'est-à-dire rapprochés. Les êtres humains ne sont pas parallèles mais convergents et Dieu est leur  

foyer. Chaque âme est un rayon de la Divinité

d'où elle est  partie comme d'un soleil et qui doit,

un  jour, la résorber.

JEANNE. Et sanabitur anima mea, est-il dit à

la communion. Nous sommes des malades, mais

Marie est notre hospice Salus !'yt/:nMo?'M?M. La

guérison,dans cet

hospice,c'est la sainteté.

De telles  pensées nous font supporter  l'horrible

vie de ce monde.

La mesure paraît comble. Agonie de tristesse.

J'entreprends de travailler, mais il n'y a qu'un en-

crier  pour  tout le monde. Complication ridicule

et énorme.

10. Les façons des riches sont à faire vomir 

Celui qui garde les cochons dans la Parabole.

11. A Vienne, en Autriche, Mirbeau inter-

viewé déclare que Napoléon ne fut qu'un idiot.

A Clermond-Ferrand, Combes inaugurant (en-

core) une statue de Vercingétorix, lance à la face

de ce Gaulois qu'il n'y eut  jamais d'aussi aimable

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A COCHONS-SUR-MARNE 175

gouvernement que le sien (celui de Combes,

naturellement).

13. Paris. L'Assiette au Beurre me demande

un article sur le Sultan. Infamie et ignominie de

cette  boutique où ne se voient que des  physiono-mies abjectes.

Exploit d'huissier me citant à la  justice de  paix,

vendredi, pour  m'y « entendre condamner  » à

payer 25 francs à la salope et aux dépens.Coût 4 fr. 45.

Mon horreur   physique pour  cette sorte de  papiers

est, je pense, un trait de nature. Leur   aspect seul

me déséquilibre, me désespère.

14. Dédicace des Colonnes à René Martineau,« tourangeau in venté  par  Dieu  pour  donner un  peu

de ragoût à cette  province dessalée dont les cochons

de l'enfant  prodigue commençaient à ne  plus vou-

loir ».

15. Autre envoi à un  prêtre .Oor~meM~Ms

somniator.Inouï. Les Rédemptoristes du boulevard de Mé-

nilmontant, devant être expulsés, se sont fait

 photographier  des  palmes en mains!

Angustia creberrima. Le cœur dans l'étau.

17. Messe de huit heures. Le doyen a imaginé

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ176

de faire dire le rosaire à haute voix, en même

temps que le célébrant dit la messe, en sorte qu'ilest également impossible de suivre l'une et l'autre.

Résultat voulu  par  le diable et  procuré par  dix

mille  prêtres chaque jour.

Au Juge de  paix

Il est certain que mes ennemis littéraires qui sont

'très-nombreux se seraient infiniment réjouis hier, à

votre audience, de ma très-parfaite humiliation.

Exténué  par cinq  heures d'attente, debout et dans

l'atmosphère que vous savez, déprimé à en mourir,

 par  la fatigue, le chagrin et le dégoût, lorsque mon

-tour arriva enfin, il est tout à fait indiscutable que

 j'avais perdu tout ressort et que je n'étais  plus en état

de me défendre. De me voir   à la barre en une telle

compagnie, sous l'œil d'un  public ignoble, je me suis

~ru  plongé dans un gouffre d'ordures et vous m'avez

vu  presque sans  parole, ce qui, partout ailleurs, eût

étonné bien des gens. Je me voyais si totalement dé-

sarmé 1 Quelle apparence qu'un homme de ma sorte

ayant à discuter avec une telle souillasse, ne soit  pasidiotifié et  paralysé du  premier coup. Quant à faire la

 preuve par  témoins, lorsqu'il s'agit de choses qui se

sont  passées sans témoins et sous le couvert unique de

la bonne foi, est-ce  possible? En  pareil cas, un hon-

nête homme est fatalement et indubitablement roulé.

Il y aurait une ressource, pourtant. L'intuition du

 bon  juge, tout au moins l'induction raisonnable et cer-

tainement équitable tirée  par  lui de l a moralité connue

des  personnes. Mais il  paraît que cela ne se fait  pas.

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A COCHONS-SUR-MARNE 177

Je l'ai senti au moment même où je comparaissais et

 j'ai perdu aussitôt toute espérance.J'ai donc l'honneur de vous informer  que, renonçant

à mon droit, je consens à verser, moi très-pauvre écri-

vain, à Mme de J. la somme que je ne lui dois pas et

qui serait très-proHtable à mes chères petites filles

dépouillées par   cette  puante.J'opérerai ce versement, en même temps que celui

des frais iniques de  papier  timbré, avec un  profondsentiment d'indignation et d'horreur.

i9. Employé dans mon jardin potager, qui

a furieusement besoin d'être labouré, un très-

 pauvre homme autrefois jardinier, maintenant

infirme et vivant à peu près

d'aumônes au seuil

de l'église. Rude besogne pour   ce malheureux, car 

le jardin, assez grand et livré à la  plus honteuse

incurie, ressemble  plus à un dépotoir. Mais il

y mettra le temps et ce sera, je pense, une manière

assez honorable de partager  ce que Dieu nous

donne avec un de ses amis.

2i. Forcé dem'exécuter, je

vais chez legref-der de la Justice de paix qui me  présente une carte

 payer  de 34 francs sans délai, sans possibilité

de couper  en deux la somme, Si je ne peux pas

 payer, cela recommencera. Telle est la  justice. Je

 paie.Et ce  polisson de  juge à figure de hareng samr~

Il 12

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ17S

qui n'a pas daigné répondre à la lettre que je lui

ai fait l'insigne honneur de lui écrire Je reviens

le cœur  crispé, songeant à cette truie qui va se

soûler du sang rose des petits enfants de Béthléem.

Il est clair  que Jésus veut, en sa qualité de Pon-

tife, m'éprouver comme les

ingénieurs éprouventun  pont, c'est-à-dire en mettant sur  moi les  pluslourds fardeaux.

23. Article pour  l'Assiette au Beurre [publié

le 31 octobre 1903.1

Trente ans d'assassinats

Le sultan actuel Abdul-Hamid II, frère puîné du

sultan Mourad et neveu du sultan Abdul-Aziz, est le

deuxième fils du sultan Abdul-Medjid. Petit-fils de

Mahmoud le Réformateur, il est le 34e Padischah de

la famille d'Osman et le 28° depuis la prise de Cons-

tantinople.

Ainsi donc, à partir  du 29 mai 1~53, jour de la prisede Constantinople par   Mahomet II, il y a eu, en même

temps que 28 sultans, 50  papes, 16 rois dits très-chré-

tiens, en ne  parlant pas d'une dizaine d'empereursou de présidents de la République soi-disant fran-

çaise 15 rois ou reines catholiques d'Espagne, à peu

 près autant de majestés très.ndèles en Portugal,

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A COCHONS-SUR-MARNE 179

 parmi lesquelles un Emmanuel dit le Fortunéqui parut,un moment, sur le  point de renouveler  Alexandre; un

quarteron d'empereurs d'Allemagne un non moindre

lot de monarques anglais, polonais ou scandinaves et

 je ne sais combien de subalternes  potentats. Augusteracaille

 prétenduechrétienne.

A supposer que cette magnifique Prostituée de

l'Orient et de l'Occident, qui se nomme Constantinople,

depuis bientôt seize cents ans, eût été surprise comme

une  pucelle par  l'effroyable brute ottomane, les chré-

tiens et leurs monarques auraient eu le temps, en

quatre siècles et demi, de désinfecter l'Occident.

Certes, il y eut de magnifiques efforts.  Nicopolis,

Lépante et Vienne; sont  parmi les fresques sublimes de

l'héroïsme chrétien. Mais àquoi

bon? Il aurait fallu la

volonté unanime, la coalition  permanente, obstinée, in-

décourageable, de toutes les  puissances, et c'est la

honte, indicible de l'Europe, que la vermine de Maho-

met soit toujours sur  les  parties sexuelles du monde

civilisé.

Je dis. les parties sexuelles. « Venter  meus intremuit

ad tactum e/tM H, est-il soupiré dans le cantique. Quand

on touche à Constantinople, le, monde frémit de la tête

aux

 pieds.Voici ce que j'écrivais, le 14 mars 1897, environ le

temps des horreurs crétoises à Henry de Groux que

 je croyais intelligent et qui l'était en effet, m'ayant si

somptueusement lâché quatre ans  plus tard

« Ne vous emballez  pas trop sur  les Grecs. Il n'y

a pas au monde un  peuple moins intéressant et tout le

 bruit qu'on fait autour d'eux n'est qu'une vile blague.

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QUATRE ANS DE C AP TIVITÉ180

Je refuse absolument de compatir  à ces schismatiques,habitants d'une terre vouée depuis trois mille ans à

tous les démons et dont les ancêtres au moyen âge ont

fait rater toutes les Croisades. Leur histoire n'est

qu'une traînée de  pourriture et de sang.

« L'attitude actuelle de l'Europe est  parfaitement in-fâme, sans doute, mais ne voyez-vous pas que tout ce

 potin grec est surtout en vue de faire oublier l'Arménie

dont l'épouvantable massacre n'a ému aucun de nos

chevaleresques étudiants qui parlent aujourd'hui, de se

faire tuer   pour  la Grèce et qui seraient fort e mbêtés si

on les  prenait au mot?

« Pourtant savez-vous ce que c'est que l'Arménie ?7

C'est le  pays le  plus mystérieux du monde, le lieu

choisi  pour  la Réconciliation. C'est là que le Déluge prit fin et que recommença la Multiplication humaine.

« Depuis une dizaine de siècles au moins, il n'y a

 jamais eu qu'une question d'Orient, question à tripleface et à triple tour  Extermination ou du moins

expulsion des musulmans, extermination des Grecs et

conquête du Saint Sépulcre. Tout le reste est idiotie

ou mensonge.« Mais que penser  de ce Léon XIII qui fait de la  poli-

tique pendant qu'on coupe en morceaux deux ou troiscent mille chrétiens d'Arménie: Ah il faut avoir  une

foi robuste. »

Après les Arméniens et les Crétois, c'est enfin et tout

naturellement le tour des Bulgares. Il n'y a  pas de  plusvieux compte, l'Histoire étant une réitération sempi-~rneDe. Toujours la Bulgarie depuis mille ans. Pour 

ijyzuncc, grecque, latine ou turque, chrétienne ou inti-

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A COCHONS-SUR-MARNE 181

dèle, c'est la séculaire angoisse. Au commencement du

x!" siècle, à la veille des Croisades, il y eut un homme

efîrayant parmi les épouvantables. C'était un empereur 

 byzantin, un Basileus couleur de sang, un capitaine

inouï, à la manière d'Annibal. Lui aussi avait  jurél'extermination d'un

 peuple, mais, plusheureux

qu'Annibal, il y parvint. La Bulgarie étant alors un

empire dangereux pour Constantinople, il décida qu'il

n'y aurait  plus de Bulgarie ni même de Bulgares. Pen-

dant quarante ans, il ne se débotta  pas, il ne descendit

 pas de son cheval et quand il se coucha  pour  mourir, cette

nation n'existait  plus. On le nomme Basile Il, Tueur de

Bulgares. Je ne connais  pas une épopée plus terrible.

Écoutez ceci. Il arriva qu'un jour, traînant après lui

quinzemille

 prisonniers quil'embarrassaient dans sa

marche, il  partagea ces malheureux en compagnies de

cent hommes, leur  fit crever  à tous les deux yeux, à

l'exception d'un seul  par chaque centaine, auquel il ne

fit arracher  qu'un œil, afin qu'il servit de guide à ses

camarades. Il les renvoya en cet état à leur   roi, qui

tomba évanoui d'horreur et ne reprit ses sens qu'avec

un battement de cœur   si violent qu'il en mourut au

 bout de deux  jours. Il faut lire cette histoire dans

Gustave Schlumberger.Essayez maintenant de mettre Abdul-Hamid à côté

de ça Ayant entrevu l'homme de guerre du xt° siècle,

tâchez de vous représenter  cet abominable maniaque,

toujours tremblant  pour  sa carne ignoble et immolant

à sa vieille chiasse des  peuples entiers.

Tu verras de chameaux un grossier  conducteur,

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QUATRE ANS DE CAP TIVITÉ182

à écrit Voltaire  parlant de Mahomet. Je ne cite  jamaisle  patriarche des imbéciles, mais cette inversion me

 paraît avoir  quelque chose de foudroyant quand je con-

sidère le sale marchand de cacahouettes si léché parles Hanotaux et les Delcassé.

Un de ses historiens, Pierre Quillard, fait observer 

que le sultan, quel que soit son nom, est toujours et

nécessairement un  personnage sans aucune hérédité

intellectuelle, en qualité de fils d'esclave, la loi même

interdisant au souverain toute alliance avec une femme

.de condition moyenne, avec la fille d'un fonctionnaire,

 par exemple

On conçoit aisément les résultats de c ette odieuse

constitution monarchique. Abdul-Hamid est indiscuta-

 blement ce qu'on peut imaginer  de  plus réussi dans

l'exécrable et le monstrueux. L'imagination se décou-

.rage et succombe devant cet idiot atroce qui n'a de

 pensée que pour   la conservation ou la  protection de sa

carcasse et qui semble ne connaître d'autres joies queles massacres ou les supplices. On connaît les épou-vantables égorgements d'Arménie, mais il y avait eu

les massacres des Arabes dans l'Yemen, les massacres

des Druses au Liban, les massacres en Asie des Kurdes,des Lazes, des Tcherkesses ou des Albanais en Europe,toutes les fois qu'il ne s'en était  pas servi comme d'exé-

cuteurs. Il avait massacré, près de Mossul, des Yezidis

 parfaitement innoffensifs. M avait massacré des Hellènes

en Crète et en Épire. Il avait massacré en Macé-

doine des Bulgares, des Serbes et des Valaques. Il

avait massacré des milliers de Turcs  par les noyadesdans le Bosphore, l'étranglement dans les  prisons, la

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A COCHONS-SUR-MARNE 183

suppression en terre d'exil. Geôlier et  probablementassassin de son  propre frère, le Sultan Mourad, il se

fit envoyer  à Yildiz comme un Objet d'art, la tête

coupée de Midhat-Pacha, à qui il devait son élévation

au  pouvoir.Tout cela ne lui suffit  pas cependant, car cela se

 passe à distance. H lui faut la vue du sang, l'ouïe des

sanglots et des hurlements de désespoir, le spectacledélicieux des convulsions et des agonies. Il a donc des

 bourreaux  privilégiés qui travaillent sous ses yeux,dans son  palais. Amateur  éclairé, il leur  donne des

conseils et s'honore d'avoir inventé lui-même quelquestortures.

On a ce qu'on mérite, même quand on est Turc.

Plût à Dieu que ce scélérat  pût exterminer  tout son

empire! Mais l'inertie de l'Europe complice d'un tel

assassin et luipermettant d'égorger jusqu'à des  peuples

européens, c'est un spectacle d'ignominie à dessécher 

la langue d'un  prophète

Quand Abdul-Hamid crèvera, ce qui ne saurait tar-

der, on verra s'affliger  les Hanotaux et toute la servile

crapule des diplomaties. Ils iront à Byzance dans leurs

culottes, et, pour que le deuil soit tout à fait magnifique,on leur fera  peut-être comme aux chevaux du cortègede Soliman, lesquels furent vus répandant des larmes,

 parce qu'on leur  avait soufflé dans les narines  je ne sais

quelle poudre lacrymatoire.`

24. Mise en vente des Dernières Colonnes de

/'Ey/MC.

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ181

25. A un autre bienfaiteur 

Monsieur, j'ai reçu les 40 francs que vous aviez con-

fiés à un homme extraordinaire qui me fait l'honneur 

de m'aimer  au  point de mendier   pour  moi. J e ne sais

 pas toutes ses démarches. Il a été chez vous, soit. H

 paraît même que c'est  bougrement difficile d'être reçudans votre maison, quand on n'est  pas académicien. Il

savait  par  moi que je ne suis  pas un inconnu  pour 

vous, il vous voyait riche, trouvant de telles consignesà votre  porte et il voulait espérer quand même.

C'est vrai que je suis en danger  une fois de  plusmais  je n'aurais  pas osé cela. Me sachant très-pauvre,la gent littéraire a décidé que j'étais un mendiant et

 j'ai fait de cette injure honorable un  panache pour  le

 plus fier de mes livres. En réalité, je n'ai  jamais su

mendier. Ma voix n'est bonne que pour l'imprécation

ou l'hosanna. Quand on a lu dix de mes  pages on est

fixé.

Vous avez donné 40 francs. A v otre  place, ne  pou-vant ou ne voulant  pas faire ce qu'il fallait, je n'aurais

rien fait du tout. Pourquoi humilier un artiste qui

souffre, non sans noblesse ? Si  j'avais voulu, comme

tant d'autres que vous connaissez fort bien, je ne serais

 pas un  pauvre. On sait cela dans le monde des lettres,

mais nul ne le dit. Le livre que je vous ai envoyé me

sauvera  peut-être. Quelques personnes croient à un

humble succès. Dieu le veuille! L'injustice énorme que

 j'endure et dont  pâtissent deux innocentes, me semble-

rait oubliable si  j'obtenais seulement un  peu de ce quim'est dû. La vie est si courte et si vaine 1

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A COCHONS-SUR-MARNE 185

Envoyez-moi votre troisième volume quand il  paraî-tra. Le nom seul de Napoléon me brise d'amour comme

si c'était le Nom de Dieu et  je parlerai de votre œuvre

autrement que les autres, c'est  probable. Seulement ne

m'infligez pas d'humiliations. J'ai déjà tant à souffrir, si

vous saviez

26. A  propos d'une femme de ménage aussi

rosse que toutes'les autres II n'y a  plus de ser-

viteurs dans une société qui ne reconnaît  plus Dieu

 pour maître.

27. Appris la mort de Rollinat dans une

maisonde fous.

Safemme,

encore plus étrange

que lui, était morte enragée, dit-on. Quelleaffreuse

fin d'un artiste qui m'impressionna si  profondé-

ment au début de ma vie littéraire Jamais la

folie et la mort ne furent invoquées ainsi. Son art

était une sorte de  blasphème chronique. Sa  poésie

appelait sa musique et les deux ensemble faisaient

aussitôt venir le diable. Je me souviens d'un mois

 passé chez lui, dans le Berrynoir, aux bords de la

Creuse, en 1882. L' « éminent » Haraucourt, quinous a rudement lâchés depuis, était notre com-

 pagnon et ne doit pas avoir oublié cette villégia-

ture, sa mémoire fût-elle aussi médiocre que son

talent ou que son cœur. J'ai essayé de décrire,

dans la Femme pauvre, ce sinistre endroit.

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ186

30. Une dédicace liturgique des Colonnes

« A l'abbé Victor Charbonnel. Ecce ~ace7'~o«</MS

qui in e~!e6!M suis (/Mp~c!< Deo, et inventus est

nequam, et in tempore z7'acMM< factus est ana-

<Ae~s. M [Sans réponse.] J

31. Vu, à l'église notre doyen qui s'approche

 plein de sourires, pour  me remercier de l 'exem-

 plaire que je lui ai fait expédier  avec cette dédi-

cace « De la brebis galeuse au bon  pasteur. » Je

 proteste contre la « brebis galeuse », me dit-il,

mais il ne  proteste pas contre le « bon  pasteur. »

 Novembre

1. Toussaint. Je  prie la Sainte Vierge et les

Saints de me délivrer de la vue des autres qui me

souille et me désespère. Note copieuse du  boulanger. Tout cela est loin

de la Vie éternelle.

3. Attente continuelle et angoisse. Nous

devons, à l'heure actuelle, plus de 800 francs, et

quelques-uns de nos créanciers deviennent me-

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A COCHONS-SUR-MARNE 187

naçants. Je me cramponne à mon  pauvre livre qui

croulera  peut-être avec moi. J'essaie de me  per-suader  que la fin de mon vieux tourment est

 proche et que mes Colonnes en  pourraient être

l'occasion. On ne sait  plus comment vivre.

4. La visite  prochaine du doyen m'est

annoncée. Ce gros pasteur, impressionné par  mon

livre d'agneau, se décide enSn à mettre les  piedschez nous, après trois ans.

5. Un épicier  dont le nom est ridicule m'en-

voie un relevé inexact, insolemment inexact. En

vain, je lui fais obserser, je lui  prouve même

que je suis roulé de 20 francs. Sa comptabilitéest infaillible. Je sens, comme  pour  l'officière crot-

tée de l'autre mois, que je suis vaincu d'avance et

qu'il faudra, pour  avoir  la  paix la  justice de

 paix que je me laisse, encore une fois, dé-

 pouiller. Rien à faire. Les livres de commerce

font foi en  justice! Je vomis dans un abîme.

6. J'affirme nettement que le monde catho-lique moderne est un monde réprouvé, damné,

rejeté absolument, irrémédiablement, un monde

infâme dont le Seigneur  Jésus a ~OMp~ de la façon

la  plus complète, un miroir  d'ignominie où il ne

 peut pas se regarder  sans avoir   peur, comme u

Gethsemani.

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ188

Un Sacamer, quincailler  et marchand de char-

 bons, à qui je dois ilO francs, avait été  prié de ne

 pas m'infliger  une échéance commerciale. Ce  jeuneet brillant époux de i'ainée des filles Dépendeur 

m'a fait  porter  une lettre d'un style abject, disant

qu'il va « tirer  sur moi ». Jeanne ayant essayé delui  persuader  de n'en rien faire et de m'attendre, a

trouvé un très-beau muûe qui refuse avec inso-

lence. Je décide d'accepter  la traite. Ignorant,

comme je suis, des immondices de la  procédure,tout essai de résistance à ces voyous, serait inutile

et me coûterait horriblement cher.

8. Un tchèque sublime du nom de JosefFlo-rian qui me  propage tant qu'il peut, en Moravie,

et qui m'écrit des lettres  beaucoup plus précieuses

que le diamant, exprime cette idée simple que

 j'aurais besoin d'un '< traducteur dans les cieux ».

10. Visite enfin du doyen accompagné d'un

missionnaire, comme s'il venait chez des sau-

vages de l'Océanie. Ce doyen miséricordieux etgras, n'a  pas cru  pouvoir, en conscience, me  pri-ver   plus longtemps de cette faveur. Mais il est

visiblement venu avec crainte et c'est  pour  cela

qu'il s'est fait accompagner. Séance grotesque. Je

n'ai  jamais vu un homme  plus mal a l'aise, plus

impuissant à sortir  d'embarras. Il n'a  pu trouver 

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A COCHONS-SUR-MARNE 189

un mot, un semblant de mot sur mon livre quiétait  pourtant le  prétexte de sa visite. « J'ai tenu

à le lire entièrement avant de venir », m'a-t-il

dit, car  il appartient à la multitude qui croit sa-

voir  lire. Rien de  plus, sinon quelques lieux com-

muns extrêmement vagues sur   je ne sais quoi.Sérieux comme un mulet qu'on chargerait de

reliques fort  pesantes, j'ai pu être convenable,éviter  toute  parole fâcheuse. D'ailleurs l'inintelli-

gence extraordinaire de ce visiteur, infiniment

dépaysé, chez nous, me faisait pitié. Il est  partiau bout d'une demi-heure.

11. Autre effet des Colonnes. Mon  jésuitem'écrit que sa conscience lui fait un devoir de se

~arc?' de moi, la manière dont  je parle de

LéonXin lui  paraissant inacceptable.J'avais  pensé à une réclame dans les Semaines

re/t~ïeM~. Idée qui ne vaut rien, cette  publicité

étant la  plus fermée de toutes et les directeurs des

Semaines religieuses étant presque toujours des

imbéciles inexpugnables.

12. Lourdes, volume d'un  jeune (?) occul-

tiste, Grillot de Givry (?) qui écrit le Xrist, cite

du grec et de l'hébreu et se dit « une colonnette

oubliée ». La vie est courte. L'épigraphe, néan-

moins, me rend attentif. CoM~rcya~to~M a~;M-

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ190

?'!<m appellavit Maria. Certaines  phrases, çà et

là me semblent avoir  une marque supérieure.

Entrepris la lecture de ce livre qui paraît être

uniquement à la gloire de Marie.

De Jeanne

Si Dieu ne donne que peu, c'est qu'il lui est impos-

sible de donner  plus, pour  des raisons qui nous sont

cachées. Cela me fait penser  à notre  pauvre jardinier,le mendiant du seuil de l'église que nous ne  pouvons

 payer  en ce moment, qui souffre à cause de nous, mais

qui serait injuste s'il nous accusait. Et je suis saisie

d'une immense  pitié pour  Dieu, d'une  pitié mystérieuseet surnaturelle.

13. Continué la lecture d'hier. Désenchan-

tement. L'occultiste se retrouve avec tout l'orgueil

 particulier  à ces gens et le  pédantisme incroyabledont ils drapent leur néant. 11 se nomme « l'initié

d'Hermès, lemystériarque des antiques croyances ».

Je n'ai décidément rien à faire avec un tel homme.

15. Une vieille femme de ménage que nous

avions cru un trésor  envoyé de Dieu, se soûle.Tout ce qui arrive est  préférable à ce qui aurait

 pu arriver.

17. L'épicier  au nom ridicule, dont il est

 parte plus haut, refuse dénnitivemeHt et commi-

n~toirement de modifier  son addition. Une fois de

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A COCHONS-SUR-MARNE 191

 plus, cet imbécile entreprend de me prouver,

 par  ses livres que son compte est exact. Je lui

ai déjà répondu « Je lirai vos livres quand vous

aurez lu les miens. » Mais il ne goûte pas le con-

seil.

Il est dit et même écrit, je crois, que les livres

des commerçants « font foi en  justice ». Pour-

quoi ? C'est ce qu'on ne saura  jamais. J'ai déjà

exprimé cette idée. Qui empêche un épicier  d'ins-

crire ce qui lui  plaît sur son livre, puis de mettre

sur  ses factures de fantastiques reports et, si on

réclame, de répondre Vous avez  perdu une ou

plusieurs factures intercalaires. Voici mon livre

qui prouve que je vous ai fait les livraisons quevous niez avoir  reçues ?

Il est bien certain que les livres d'un commer-

çant me condamneraient toujours, étant  beaucoup

 plus dignes de foi que la Bible. Un doute ex-

 primé sur leur exactitude m'attirerait la colère de

tous les  juges.Continué tout de même la lecture de Lourdes,

ce livre étrange reçu le 12. J'ai  beaucoup de  peineà comprendre ce que peut être l'auteur dont le

talent est indéniable et qui m'intéresse  beaucoup,

lorsqu'il musèle son occultisme.

18. A l'épicier, au nom ridicule

Monsieur, je vous expédie par  mandat  postal la

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QUATRE ANS DE C ArTIVITË192

somme de i28 fr. 30 dont vous voudrez bien m'envoyer 

quittance pour  solde de tout compte. Mon temps est  pré-cieux et  je ne veux  pas le  perdre en réclamations ou

contestations inutiles. Vos livres ne sont rien  pour moi et vous savez parfaitement que j'ai raison de me

 plaindre. J'aime mieux  payer  ce que je ne dois pas quede discuter  avec un épicier  sur une ignoble question

d'argent. Je vous conseille seulement de soigner  un

 peu plus votre comptabilité. Tout le monde ne serait

 pas aussi accommodant que moi.

Trois heures  plus tard, arrivée de l'épicière,

m'apportant la quittance et le châtiment. Mon-

sieur, me dit-elle, les épiciers valent bien les

écrivains 1

J'ai reçu ce coup terrible avec l'humilité conve-

nable. J'ai même été forcé de reconnaître, en sa-

luant  jusqu'à terre cette Némésis, que les épiciersvalent  beaucoup plus, ce qui a  paru « lui en

 boucher  un coin », comme dit avec tant d'auto-

rité mon vieux camarade Alphonse.

19. Prospectus dont  je m'avoue l'auteur,

envoyé par   le Mercure à un grand nombre d'ec-

clésiastiques

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A COCHONS-SUR-MARNE 193

Les Dernières Colonnes de FEgMse

COPPÉE, LE RËVERMB PERE JUDAS, BRUNETtÈRB, HOYSMANS, BOnMM,BTC.

LE DERNIER POÈTE CATHOLIQCB

Par LÉON BLOY

On sait que la conversion de Huysmans est un des

ouvrages de LEON BLOY, le seul qui ait eu un  peu de

succès. Le célèbre  pamphlétaire catholique ayant été

l'instrument visible de ce changement extraordinaire,

rien n'est  plus curieux que de voir  aujourd'hui le disciple

iugé par   le maître.

Par la même occasion, LÉON BLOY  juge quelques

autres écrivains acquis à l'Église depuis peu de temps etdont le zèle de convertis lui  paraît un  peu encombrant.

Quand on connaît la  puissance et l'originalité de

l'auteur de La Chevalière de la Mort (Marie-Antoi-

nette), et du Fils de Louis .ZP7, l'annonce d'une

 pareille œuvre suffit  pour  exciter au  plus haut  point la

curiosité en ce temps de crise religieuse.

20. A Jeanne me  parlant de la correspon-

dance qu'elle trouve  parfois entre les mouvementsde son âme et la liturgie La Liturgie est si

surnaturelle que c'est tout simple de dire qu'elle

existe réellement en nous, qu'elle est imprimée

en nous comme une suite du sacrement de Bap-

tême et du sacrement de Confirmation. Idée in-

croyablement féconde.

11 13

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QUATRE ANS DE C AP TIVITÉ194

21. Parié d'un abbé Loisy qui paraît avoir 

 pris la tête  parmi ceux qui font la guerre à la Vul-

gate et à saint Jérôme. C'est la pente moderne et

les meilleurs sont sur cette  pente. Négation pureet simple du Texte sacré. Jamais la foi n'a couru

un  plus grand danger. Au sujet du fruit de l'arbre

défendu que cette école  juge mythique, je dis

que ce fruit, cette  pomme n'est  pas plus un m?/</t<?

que /'E~oece eucharistique, et que, l'Esprit-Saintaffirmant ce fruit, on doit y croire comme à une

réalité visible et sensible, au centre d'un tourbil-

lon de mystères.Le chrétien qui communie sous les espèces

consacrées mange la Vie mystère. Adam etEve mangèrent la Mort sous l'espèce du fruit

défendu. Autre mystère certainement identique.

22. A Grillot de Givry

Monsieur, je ne sais rien dé vous, votre nom même

m'était inconnu et  j'ai reçu votre livre avec une défiance

extrême. Déjà peu satisfait de mes contemporains, de

mes contemporains catholiques surtout dont l'idiotieet la tacheté peuvent étonner les  plus fermes imbéciles

 j'étais rebuté, en outre, par  la formule occultiste qu'ilm'est à  peu près impossible de digérer. L'épigraphe,

cependant, m'a décidé à vous lire. Disciple de Grignionde Montfort et l'un des derniers tenants de l'Absolu

catholique, j'ai cessé alors de voir ce qui, dans votre

oeuvre, pouvait me  paraître onéreux ou difficile, et

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A COCHONS-SUR-MARNE 195

vous avez certainement ajouté à ma vision  personnellede la Gloire. Un chrétien donnant aujourd'hui, à Marie,

ce qui lui est dû, c'est le  plus étonnant de tous les

miracles.

J'espère, monsieur, que vous ne serez pas indifférent

à ce suffrage d'un vieil écrivain renié de tous ceux qu'ilavait peut-être la mission d'instruire, abandonné par tous les odieux fidèles dont le devoir eût été de lui

assurer son  pain et qui travaille depuis vingt ans, pour le Règne de Dieu et  pour  sa  justice, en agonisant de

misère.

[Sans réponse. Déclarer  qu'on est  pauvre, secret

de  pétrifier. Méduse devait être  pauvre. J'ai su,

 par Péladan,

que

le

méprisdes

 pauvresest un des

arcanes de l'Occultisme.]

24. Invitation  pour  le 30. Ce sera la grandeCulbute. On  pourrait amener  du monde.

25. Mot amusant d'Eugène Grasset sur 

Huysmans,à propos des Colonnes: « Je trouve ses

livres indigestes depuis qu'il a renoncé aux épices. »

La  privation de vin et la  peine m'exténuent.

Une personne m'apporte un franc, une autre deux

francs. C'est comme si Jésus en croix laissait

tomber trois gouttes de son sang.

28. « Les Anges sont des miroirs volon-

taires ». MARIE D'AGREDA.

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QUATRE ANS DE C AF TIVITK  196

29. J'ai des amis que ma  persistante misère

embarrasse et dont la finesse consiste à  paraître

 persuadés que tout s'arrange, à la minute  précise

où commence le râle de l'agonie. Quand l'an-

goisse est énorme, on voudrait

 presque

im-

 pression tout à fait étrange un désastre afin de

 pouvoir  leur dire « Voyez combien votre sécu-

rité était cruelle »Il

A un ami  passionné qui vient tous les dix-huit

mois

Je veux croire que vous finirez  parvenir, un  jour  ou

l'autre, et même  je consens à recevoir votre  jeune

 peintre. Seulement. (je dis seulement) à une condition.

Vous m'écrivez que cet adolescent a lu «  par  hasard n,

l'Exégèse des Lieux Communs, mais qu'il n'a lu que ce

seul ouvrage de moi. Or, pour  être reçu dans ma mai-

son, il faut avoir lu au moins QUATRE de mes livres,

 parmi lesquels le  jM&Mpë'~ë' et la Femme  pauvre. Je me

dois à moi-même d'exiger  cela des inconnus quidésirent me voir, ne voulant  pas, à mon âge et n'étant

 pas même devenu académicien, être visité comme un

animal dangereux. J'exige, en outre, que mes livres

n'aient  pas été lus par  hasard. Ces  points accordés,vous  pouvez exécuter la manœuvre. Je serai « accueil-

lant », si  je vis encore, ce qui n'est  pas tout à fait cer-

tain.

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A COCHONS-SUR-MARNE 197

Décembre

l". Le Sacamer  déjà dit  prétend m'avoir 

fait  présenter  la traite hier, ce qui est faux.

Ce couillon de ratepennade », comme dit

Rabelais, avait combiné avec un huissier fort

merdeux cette  petite rosserie de me faire des frais,

en oubliant de me  présenter  leur sale papier. Par 

 bonheur, je m'en suis souvenu à temps et j'ai été

 payer  ma traite chez l'homme aux exploits, non

sans avoir comblé le Sacamer   de l'expression de

mes sentiments, ce qui l'exaspère, à en  juger 

 par  des hurlements entendus après que j'ai refermé

sa  porte. J'espérais en vain que, s'élançant der-

rière moi, il viendrait moissonner  quelques gilles

sur  le trottoir. Je ne m'en serais pas montré

avare, j'aurais même  pu ajouter  quelques coups de

 pieds au cul, mais encore fallait-il qu'il me lesdemandât.

2. Lire lesAvertissements de Bossuet, par  un

froid horrible, en buvant de l'eau glacée, je re-

commande ça aux  personnes qui voudraient pra.

tiquer  la chasteté.

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QUATRE ANS DE C AP TIVITÉ198

Dieu veut toujours être impénétrable, et il l'est

 plus que jamais, quand il semble dire à ses amis

désolés Regardez-moi.

4.  Neige abondante sur notre misère. La

douleur est une grâce que nous n'avons pas mé-

ritée, me dit Jeanne.

7. A André Martineau, un très-jenne enfant

qui, entendant parler  de notre misère, a exigé queses  parents nous envoyassent les quelques francs

qu'il possède

Mon cher    petit ami, Tu es le bienfaiteur  de LéonBloy. C'est une chose que tu ne  peux pas encore très-

 bien comprendre. Mais si, regardant cette lettre, tu la

relis dans vingt ans, lorsque le  pauvre Léon Bloy sera

sous la terre, tu  pleureras de  pitié en songeant à la vie

terrestre de cet écrivain si malheureux. En même

temps tu  pleureras de  joie en te souvenant que le  pou-voir te fut donné de le consoler   quelques heures.

Une personne qui me veut du bien répand que

 je suis un ivrogne.

8. A  propos d'une facture de librairie dont le

 paiement est exigé avec insolence. Jeanne me fait

remarquer que la fin de l'année est une époqueressemblant à un As/Mt. Tous les chiens, gueules

ouvertes, se  précipitent.

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A COCHONS-SUR-MARNE 199

40. Huitième anniversaire de la mort de

notre petit Pierre. Nous n'avons pas de souvenir 

 plus douloureux. J'implore la  protection de cet

innocent devenu notre Benoni dans les cieux.

Conférence à Paris, rue du Bourg-Tibourg,

chez des très-pauvres qui m'aiment. C'est unhumble cercle d'ouvriers chrétiens et cela se

nomme l'Espérance. Petite catacombe moderne

sans un  propriétaire. Nul n'est moins conférencier  

que moi. Je m'en tire comme je peux avec des

lectures. L'assistance décidée à admirer tout ce

qu'il me  plaira de lui faire entendre, s'en contente.

Mais je ne  puis m'admirer  moi-même, quoi que jefasse. Voici la péroraison du bavardage annoncé

sous ce titre.

Le Peuple de Dieu au vingtième siècle

Et le Peuple de Dieu? me demandez-vous. Ne

vous l'ai-je pas montré ? Autrefois, il y a plus de trois

milleans,

lePeuple

deDieu,

c'était le peuple

hébreu.

Les miracles ne lui manquaient pas. Jéhovah le con-

duisait par  la main au milieu des flots et dans le désert,

 pour  l'étonnement et l'extermination des autres  peuples.

Depuis Jésus-Christ, le  peuple de Dieu, c'est chacun

de nous, c'est moi, c'est vous, le menuisier, vous, le ser-

rurier, vous, l'employé de  bureau, le vidangeur  ou le

 poète. C'est tout ce qui est pauvre, tout ce qui souffre,

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ200

tout ce qui est humilié profondément. C'est un immense

troupeau dans la solitude, une multitude infinie de

cœurs tristes à la recherche du Paradis. Il y en a qui

gagnent tout  juste leur   pain, qui n'ont  jamais une

heure  pour  la culture de leurs âmes et qui finissent  par 

yrenoncer.

D'ailleurs, qui pourrait les instruire, les guider, les

encourager? Le clergé insuffisant quant au nombre est,

 presque toujours, d'une médiocrité épouvantable. Pour 

ce qui est des Léon Bloy, quand il s'en trouve, on les

étrangle, on les étouffe si bien qu'il est impossible de

les connaître et qu'il n'y a  pas moyen de les entendre.

Alors quoi? il ne reste  plus que les  patrons ou les  pro-

 priétaires. Franchement ce n'est  pas assez.

Pourtant,cela

existe,les âmes Vous avez été ache-

tés, payés d'un grand prix, disait saint Paul..)e crois

 bien il n'a  pas fallu moins que le Sang de Dieu Ce sont

là des choses que nous ne  pouvons pas comprendre.Mais ce que nous comprenons très-bien, c'est que

rien au monde ou dans les enfers ne serait capable de

 payer  nos âmes. « Je suis fils de l'homme et de

la femme, à ce qu'on m'a r~t. Cela m'étonne. Je

croyais être davantage! » Ce mot a été écrit  par  un

 poètetout à fait moderne

qui fut aussimalheureux

que possible. Pascal est brûlant de gloire pour   J.-

 bien moindres  paroles.

Des saints ont affirmé que si, parla permission divine,

une âme  pouvait être vue telle qu'elle est, on mourrait

à l'instant, comme si on était  jeté dans un brasier  ou

dans un volcan. Oui l'âme de n'importe qui, l'âme d'un

nuissier, l'âme d'un concierge nous consumeraient.

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A COCHONS-SUR-MARNE 201

Ah Seigneur que voilà un triste  peuple de Dieu un

étrange et inconcevable  peuple de Dieu Une  proces-sion  perpétuelle et universelle, un torrent de flambeaux

 plus incandescents que les étoiles et qui ne se con-

naissent  pas eux-mêmes Sirius, Aldébaran, Altaïr ou

cet effrayant astre de la Constellation d'Hercule sur  

qui notre soleil se  précipite avec une vitesse accélérée

de  plusieurs milliers de lieues  par  seconde de tels

astres, dis-je, absolument couverts de ténèbres, insoup-

çonnables, mais certains, puisqu'ils ont coûté tout le

Sang de Jésus-Christ c'est de quoi se compose le

Peuple de Dieu. Des fournaises grandes comme les

mondes, mais invisibles et ne se sachant  pas des

fournaises.

C'est un monstre  pour  la  pensée, c'est à mourir d'admiration de se dire, par exemple, que voici un

 pauvre expéditionnaire de dix-huit à vingt-cinq  ans, un

très-pauvre bougre d'employé qui gratte un  papier d'administration  pour copier  des âneries ou d es saletés,

qui continuera ainsi  jusqu'à la mort, sans espérance et

s'abrutissant de  plus en  plus, et dont l'âme, cependant,a coûté la vie au Fils de Dieu! Dites-vous, après cela,

que ce malheureux est encore un aristocrate, une

espèce de talon rouge oud'Œil de bœuf, en comparai-~n des autres esclaves. Songez qu'il y en a des cen-

) ;<ines de millions d'autres qui ne savent même  pas queDieu existe, et qu'onassomme du matin au soir. Est-ce

,i ceux-là que Jésus-Christ a dit Quittez tout, vendez

tout, renoncez à tout et suivez-moi? Sans doute,

 puisque personne n'est exclus de la  prédication évan-

gélique. Seulement cette multitude  peut répondre:

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ202

-Nous n'avons rien à quitter, rien à vendre M, ne pos-

sédant rien, pas même nos corps ni nos âmes, nous ne

savons à quoi renoncer. Nous ne refusons  pas de vous

suivre, mais nous sommes des désolés, des centaines

de millions de désolés dans les ténèbres Si nous tâton-

nons à droite, est-ce votre Cœur, ô Jésus est-ce la

Plaie de votre côté ? Si nous tâtonnons à gauche, est-

ce le Diable qui va nous  prendre par  la main ?. Consi-

dérez, s'il vous  plaît, ô Seigneur, qu'il n'y a  jamais eu

de Dieu qui ait eu un  plus lamentable  peuple.Mes chers amis, nous disons cela ou nous ne le

disons pas, mais il est sûr   que nos entrailles le crient,

sinon  pour  nous mêmes, du moins  pour  nos frères

complètement déshérités.

Le service de Dieu est rude. Leshypocrites

seuls

vous dirontle contraire. Il m'a coûté, à moi, vingt ans

de tortures, l'ignominie parfaite et la mort de deux de

mes enfants tués sous mes yeux par  la  plus féroce

misère. Cependantje neveux  pas me  plaindre. La souf-

france est une grâce infiniment  précieuse dont tout le

monde n'est  pas jugé digne. Tant  pis pour  moi si  jesuis trop lâche  pour  demander du supplément.

Je suis venu  pour  vous dire que nous sommes tous

ensemble des misérables extrêmementintéressants,

 puisque nous sommes le Peuple de Dieu, n'étant  pasdes  propriétaires. Mais ce langage ne  peut convenir 

qu'à des âmes et  j'ai naturellement supposé les vôtres.

Vos âmes Ah  je songe toujours à ces invisibles four-

naises Interrogez le premier   bourgeois venu. 11 vous

dira que le sérieux de la vie c'est de se remplir  les

tripes. Ace compte, je n'ai  jamais été sérieux et  je dé-

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A COCHONS-SUR-MARNE 203

clare que je ne sais  pas parler  à la viande. Vous venez

d'en faire l'expérience.

13. Existence atroce,amertumeépouvantable.

Quelle disposition pour  accueillir la Liturgie de ce

Troisième Dimanche de l'Avent Gaudete; iterumdico G'<KM~6. Le Doyen, dont la sottise devient

galopante, semble poussé à chasser  les fidèles de son

église.I) ne  permetplus de choisir  sa  place.Par  son

ordre, les chaires sont ficelées ensemble, de façon

qu'il est impossible d'en emporter  une et de

s'isoler, fût-ce  pour échapper  à la  puanteur  d'un

groupe. Il faudra désormais être  parqué à sa fan-

taisie et  payer  ferme. Il a eu le toupet de  parler de ça en chaire. C'est une honte  pour  l'autorité

ecclésiastique de confier une  paroisse impor-

tante à un prêtre si complètement dénué d'intel-

ligence et de bonté.

14. Je lâche Bossuet sur le F° ~e~M~?M~

à cette crapule de Jurieu. Cette controverse où

s'affirme l'impunité terrestre et de droit divin desrois me donne la nausée. A la distance de  plusde deux siècles, cette  pédagogie venue de l'autre

côté du gouffre de la Révolution, et, lorsque tous

les  peuples se tordent, agonisants, sur les seuils de

l'Esprit-Saint, est bien  plus qu'étrange.Je suis, d'ailleurs, aussi mal disposé que pos-

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QUATRE ANS DE C AP TIVITÉ204

sible pour  bienvenir cette vieillerie. L'idée seule

que, dans quinze jours, il me faudra verser à ma

 propriétaire, qui n'en a aucun besoin, une somme

trouvée (?) au prix de quelles humiliations 1 et re-

 présentant notre subsistance pendant un mois,cette idée infernale me

prépare peuau

respect pour  les puissants salauds de ce monde.

15. On recommence à ne plus pouvoir  nour.

rir  les enfants. Affranchissement d'une lettre

nécessaire, 30 centimes, une saignée en pleinecarotide, un flot de sang 1

16. Je pense beaucoup à nos petits morts,

à <: la maison. qui chante », le beau et doulou-reux conte de Jeanne, je demande du secours à

ces innocents et je pleure.

17. Si Dieu continue à cacher  sa Main, ce

mémorandum deviendra tout de suite le journalde bord du Radeau de la Méduse.

19. Impression très-pénible causée par  lachute de l'un des grand arbres du voisinage.Dévastation qui nous afflige et nous dégoûte déjàde notre nouvelle demeure. Hier   matin, nous

avions eu le cœur serré en voyant étendus par terre toute une rangée de ces magnifiques peu-

 pliers qui nous avaient attirés ici et dont le bruis-

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A COCHONS-SUR-MARNE 205

sement nous donnait l'illusion du voisinage d'une

forêt. Nous en aurions  pleuré.Mais aujourd'hui, voyant et entendant tomber 

l'un d'eux, j'ai senti une tristesse extrême, une

satiété immense de ce monde. Les sauvages ont

une crainte obscure des forces naturelles, deselementa mundi, comme disaient les anciens, qui

 peut les détourner de détruire une belle chose.

Mais le  bourgeois, brute supérieure, est incapablede cette crainte. La beauté de la Face de Dieu ne

vaut  pas pour  lui l'effigie de Louis-Philippe ou de

 Napoléon III sur une  pièce de cent sous. La mère

des abatteurs de nos  pauvres arbres, une bouti-

quière illustre, donnait, il y a quelques jours, lavraie réponse Si ce n'était  pas nous, ce serait

d'autres disait-elle avec une grande noblesse

d'expression. Si Judas revendait son Maître,

quinze deniers, autant en  profiter. Pourquoilaisser  échapper  une affaire ?

Ce soir, le terrible facteur a  jeté dans notre

 boîte une longue lettre d'un crétin grec, d'un idiot

d'Athènesqui

veut bien me faire desréprimandes

historiqueset me donner le conseil de revenirà la rai-

son en lâchant une religion d'imposture. C'est mon

article surAbdul-Hamid qui a déchaîné ce  patriote

hellène, ce descendant des guerriers de Marathon.

20. Beau rêve, cette nuit. J'étais dans Paris,

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QUATRE ANS DE C AP TIVITÉ206

 j'entrais, je ne sais comment, à la Sainte-Cha-

 pelle. Une Sainte-Chapelle de songe qui devenait

aussitôt la Maison de Marie. Non  pas la Maison

humble de  Nazareth, mais la Maison splendide,la Maison glorieuse. Je ne  peux exprimer  la sen-

sation de chaleur   et de santé surnaturelle que j'éprouvais. C'est le mystère impénétrable des

songes. Impossible également d'expliquer  ce fait

que je fus chargé d'alimenter  un brasier très-doux

qui chauffait toute la maison. De temps en tempsune grille d'or se levait et  je poussais au milieu

des flammes de grandes branches, semblables à

celles de nos  pauvres arbres abattus. Ces branches

se pliaient

facilement et volontiers pour  entrer dans la fournaise. Je me suis réveillé sua-

vement, préparé à recevoir la  joie ou la douleur 

qu'il plairait à Dieu de me donner.

21. Un  peu de travail et de lecture, mais

avec quel buisson d'épines autour du cœur!

22. Lu ceci que l'Académie Goncourt a dé-cerné un  prix de cinq  mille francs au meilleur  

livre. Ils sont au moins trois dans ce groupe,

Huysmans, Descaves et Mirbeau, qui savent quece  prix ne me sera  jamais dû et que je meurs de

misère très-justement. Enfin que Dieu les comble

de bénédictions, le Dieu Emmanuel qui va naître

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A COCHONS-SUR-MARNE 207

dans deux  jours, et qu'il ait  pitié du vieil âne et

du vieux bœuf  que je réunis en ma  personne!

23. Froid horrible à l'église par  la volonté

de notre  pasteur  qui préfère un lucre ignoble à

son devoir. Il fait des quêtes pour  le chauffage et

il ne chauffe jamais. Danger  pour  les rares fidèles

et mise en fuite des infidèles, sans  parler  du

scandale. Ces choses-là se retrouvent au lit de

mort.

24. Au café du Commerce. Note rapide.Un individu quelconque vient d'entrer. Presque

aussitôt arrive un autre individu exactement sem- blable au  premier. Puis un troisième, puis un

quatrième, puis dix, vingt, cinquante, cinq   cents,

on ne sait combien. Le café est rempli, à éclater,

de gens qui sont le même absolument, qui sont

un seul. Et voilà le commencement de la fin des

cafés, le commencement de la fin du monde

Effrayante image venue de Danemark dans un

album de Noël ./M/e Roser. C'est une adorationluthérienne de l'Enfant Jésus  par  des pharisiens

Scandinaves que le  peintre a voulu faire touchants

et bien  plus vénérables que les saints catho-

liques. Quelques-uns sont à genoux, mains jointes,

anjects indiciblement. Mais cela n'est rien. Il y a

Marie, une Marie monstrueuse, imaginée par  je

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QUATRE ANS DE C AP TIVITÉ208

ne sais quels sales damnés. L'artiste, fort habile, a

dépensé tout son art à représenter  une Mère de

Jésus vulgaire, hideuse de vulgarité. La laideur 

ignoble de cette figure est calculée  pour  combler 

de  joie les cœurs  protestants. Sur ses genoux, uu

enfant dont on ne voit  pas le visage et qui paraithydrocéphale.

A garder pour   le déshonneur du  protestan-tisme. J'écris au-dessous Noël luthérien. ADO-

RAT10N DES MAUVAIS BERGERS.

25. Noël. Même aujourd'hui, le doyen ne

chauffe  pas. A la grand'messe, j'étais glacé jus-

qu'aux os et il m'a fallu endurer trois quarts

d'heure, le  bavardage du vieil avare. Il a dit,il y a quelques jours, à son malheureux sacristain,

 père de six enfants, et  payé sordidement « Je

n'aime  pas les employés besoigneux. »

L'avarice étant une  passion qui croît avec

l'âge, c'est effrayant de  penser  à la fin de ce

prêtre.

26. Un brave homme qui croît m'avoir  lu,m'offre ses conseils. Il me montre la bonne voie

qui consiste à être doux et à ressembler  aux

autres catholiques dont il est manifeste que Dieu

fait ses délices.

27. Un jeunemonsieur du nom terriblement

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A COCHONS-SUR-MARNE 209

Ir  14

genevois de Morerod et se disant  peintre, nous est

 présenté comme « admirateur  M par  un vieil

ami à moitié sauvage. Accueil aussi bon que le

 permettent les circonstances. Ne  pouvant ni le

régaler, ni le gratifier  d'aucune sportule, je lui

 parle avec douceur et lui donne deux de meslivres. [Jamais je ne l'ai revu.]

31. Dans le Mercure, longue supplique de

Peladan au Pape «  pour  la réforme des canons en

matière de divorce ». L'indissolubilité l'embête.

Sophisme commun à tous les hérétiques la Cha-

rité appelée au secours de la passion. Joséphin

était plus amusant quand il était Sar  et qu'il pro-menait la  princesse Paule dans tous les bordels

de Paris.

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1904La Douleur est une grâce que

nous n'avons pas méritée.

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Janvier 

i". J'apprends avec satisfaction l'incendie

du Théâtre Iroquois, à Chicago. Cette consolante

incinération de  propriétaires me fait  penser, une

fois de  plus, à l'incendie de Paris, tant de fois

 prédit.

2. Autrefois, il y avait le délire des gran-

deurs, aujourd'hui, c'est le délire de la  petitesse.

Pourquoi quitterions-nous Cochons-sur-

Marne ? me dit Jeanne. Ici, au moins, nous sommes

connus, on nous méprise. Ailleurs, il serait  peut-être difficile de retrouver  ça.

4. Visite à notre propriétaire qui refuse,

en

 paiement du terme, une valeur  très-bonne offerte

 par  le Mercure, avance gracieuse sur Mon Journal

qui sera  publié au  printemps. Elle dit que l'ac-

ceptation d'une valeur  l'exposerait à  perdre son

 privilège de  propriétaire, en la mettant sur   le

même  pied que tel ou tel autre créancier. En

d'autres mots, elle n'aurait  plus la ressource de

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ214

faire vendre nos meubles à vil  prix, ce qui doit

être  pour  les créatures de son espèce, une  joie

divine, surtout lorsqu'il y a un artiste et des  petitsenfants à faire souffrir. Contente et fière de cette

 parole qui déshonorerait un hc~nête galérien, elle ¡

consent à m'attendre un mois.Mot  plus consolant d'une autre vieille que

Jeanne utilise pour  la couture et qui est venue ce

matin, passablement soûle. Je ne sais à quel pro-

 pos elle m'a dit « n'avoir rien à se reprocher  ».

Comme je la félicitais en l'enviant, à cause du

mauvais état de ma conscience qui ne me donne

 pas le droit de me rendre à moi-même ce témoi-

gnage permanent, je me suis attiré cette répliqueforte Monsieur, c'est, sans doute, parce quevous avez de l'instruction!

5. Pas de nouvelles de Dieu.

7. « La communion n'est  pas en  perma-

nence. » Réponse de notre cher  doyen à une

demande qu'on peut deviner. La charité non  plusn'est pas en  permanence, lui répliquerait-on vo-

lontiers. L'inconscience inouïe d'une telle  parole

ranime en moi le vieux désir   d'un roman d'ob-

servation qui s'intitulerait Coc~07~-sM?'-MarMC,

chef-lieu de eaM<o~. J'y peindrais le doyen sous

les traits d'un saint opérant quelques miracles et

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A COCHONS-SUR-MARNE 215

accomplissant juste le contraire des actes ridicules

 bu révoltants qu'on connaît ici.

8. L'onéreuse nécessité de faire de l'argentavec du  papier  me force à recourir  aux talents

d'un ex-huissier  révoqué pour   je ne sais quellesturpitudes et qui fait de l'escompte pour  sèches

ses larmes. Cet excellent homme se trompe tou-

 jours en rendant la monnaie. Avec des clients

comme moi, ça ne rate  pas.Parlant de n'importe quoi, il s'agissait de  je ne

sais quels actes que nous disions devoir être

accomplis. Soudain Madeleine nous met sous les

yeuxson

 petit paroissienouvert à la

 pagedes

actes de foi, d'espérance et de charité, en nous

disant Voilà!

10. Au doyen

Vous avez pu remarquer, depuis trois ans, quenous sommes des chrétiens, ma femme et moi, et vous

avez compris que nous allons à l'église dans l'espé-rance d'y trouver la  paix. Dès lors, comment  pourriez-vous approuver  les  personnes pieuses qui sans aucune

 provocation, sans l'ombre d'un  prétexte, nous injurientdans votre église? C'est ce qui vient d'arriver  aujour-d'hui, pour  la seconde fois.

Ma femme assistant à la grand'messe, avec notre

 plus jeune fillette, a été horriblement injuriée par  une dame R. que j'ai aperçue une seule fois et que

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QUATRE ANS DE C AP TIVITÉ216

son extrême vulgarité nous faisait  prendre pour une bonne. Ma femme était dans l'alignement parfaitet ne  pouvait en aucune façon gêner  cette  bourgeoise

qui avait, d'ailleurs, plusieurs chaises vides devant

elle. 11 faut croire que l'aimable créature était ivre ou

 possédée,car elle n'a cessé de se

 plaindrescandaleu-

sement et même de s'agiter  avec fureur en  proférantdes cris et des injures, sans qu'il y eût moyen d'es-

 pérer  une accalmie au  prix de n'importe quelle con-

cession.

Vous savez qu'une femme bien élevée est sans défense

en  pareil cas. Une  prière très-douce de se souvenir 

'qu'on était en  présence du Saint Sacrement n'a servi

qu'à exaspérer  la mégère. Il est même inouï que vous

ne voussoyez aperçu

de rien.

Telle est donc la situation. Le scandale  peut se

renouveler. Supposant que vous êtes le maître dans

votre église, je me  persuade que vous voudrez et

que vous  pourrez vous opposer  à une continuation de

ce désordre.

Ce soir nous avons renoncé à envoyer  cette

lettre, sûrs que le doyen nous donnerait tort.

il. II n'y a  pas que les huissiers et les

s compteurs. Ayant reçu des religieuses à qui

.tous devons 40 francs une réclamation insolente

et comminatoire, la femme de ménage envoyée

revient avec un reçu de 44 francs, les 4 francs de

surplus pour  fournitures absolument illusoires, et

une lettre hypocrite où il est  parlé de nos « chères

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A COCHONS-SUR-MARNE 217

enfants ». Ah! qu'on a raison d'expulser  ces

chiennes et combien Dieu sait ce qu'il permet 1

Mort du  peintre-sculpteur  Gérôme. Matière à

copie pour  une huitaine. Mort subite. Un des der-

niers actes de cet artiste contestable qui fut traité

 par  le Monde avec tant de douceur, a été de dire,à  propos de moi qui ne lui demandais rien, qu'ilétait décidé, à l'avenir, à ne  plus rien donner  à

 personne.

12. On me reparle de la Mère Mercédès quecertains croient très-avancée dans la vie surnatu-

relle. Il  paraît que cette sainte Thérèse de contre-

 bande ou de contre-marque se  juge appelée, dès leventre de sa mère, à la  plus éclatante auréole,

déclarant que la  pénitence n'est  pas sa voie, qu'illui faut la  joie et la gloire de la Résurrection et

que les Souffrances de Jésus-Christ l'intéressent

 peu. Ne  pourrais-tu donc  pas veiller une heure

avec moi? dit le Sauveur  en agonie. Je ne dors

 pas, mon cher  Maître, vous le voyez bien. Je  jouisdevant votre Face couverte de sang et les  petitesâmes que vous m'avez données à instruire baisent

mes  pieds avec un très-grand respect. C'est ainsi

que je vous suis unie. Vous souffrez l'opprobre et

les tortures  pour  que je sois dans les délices et jen'ai  pas mieux à faire que de le vouloir. Pour ce

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ218

qui est des pauvres qui sont vos douloureux

membres, n'est-il  pasjuste qu'ils paient pour   votre

Élue et qu'a-t-elle à faire des lamentations ou sup-

 plications de ces sauvages qui ne connaissent  pasvotre splendeur?

13. Je demande à Dieu de me faire grâceau moins des centimes, de ne  pas exiger  tout de

son  pauvre débiteur, de me donner enfin un  peude  joie, de sécurité.

i4. Rien ne m'est  plus nécessaire que le

vin. En conséquence mon marchand refuse, avec

un panacheet des

étoiles,de me

continuer  soncrédit. Je ne me lasse  pas d'admirer le  pouvoir 

que tous ces larbins ont de marcher tour   à tour 

sur deux pieds ou à quatre pattes, selon qu'ilssubodorent la richesse ou la  pauvreté.

15. Lettre de mon  jésuite, longue et bizarre

mais extrêmement conforme aux traditions de son

Institut. 11s'afflige

de « ne pouvoir  plus

me

suivre », à cause de certaines audaces, dans le

Salut par les Juifs, par  exemple, et de mon défaut t

d'estinie  pour  les catholiques modernes que jeconnais mal. Enfin, et c 'est ici que je, crois sur-

 prendre la main de ses supérieurs, il insinue quesi  je consentais à me transformer au  point de con-

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A COCHONS-SUR-MARNE 219

cevoir de l'affection  pour  ces gens-là, on me déli-

vrerait. Tiens tiens tiens 1

Un certain abbé Purgatoire, élève de l'abbé

Loisy,ne comprend pas qu'il importe à la foi que

Moïse soit cru l'auteur du Pentateuque. Que com-

 prend-il alors? C'est  pourtant vrai qu'il y a deshommes supérieurs qui arrivent à la fin d'une vie

très-longue sans avoir   jamais rien compris.

Réponse à mon  jésuite

Je ne demande  pas qu'on me suive «  jusqu'au bout x ni même  pendant une heure. Je me borne à

demander un  peu de  justice. Vous me  parlez des

catholiques « dont  je n'ai  pas su tirer   parti » et à qui

 je pourrais encore « faire un bien énorme ». Ce bienvous savez que je l'ai ardemment désiré et que je n'ai

 jamais pu l'accomplir. Aujourd'hui, que pourrais-jefaire ? J'ai la tare inexpiable de  passer pour  un écrivain

de génie. Donc  je meurs de misère. Vous m'entendez

 bien. C'est au  point que si, par  miracle, certains ca-

tholiques s'avisaient de moi, enfin, c'est à  peine s'ils

n'arriveraient  pas trop tard. Le  boulanger  à qui jedois  beaucoup peut, demain, me refuser  son  pain. Je

sais que, dans vos communautés, chaque religieux est pauvre individuellement, mais il n'a que le souci de

son âme et la charge d'aucune vie humaine ne  pèse

sur  lui. Dites-moi, croyez-vous qu'il y en ait  beaucoupde ceux-là qui puissent, je ne dis  pas comprendre,

mais entrevoir  seulement l'énorme catastrophe expri-

mée  par  ces simple mots Le refus du boulanger?.

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QUATRE ANS DE C AP TIVITÉ220

16. Dans sa lettre, mon jésuite me disait in-

cidemment qu'Ernest Hello  paraissait bien  peu de

chose, quand on lisait saint Thomas. Rapproche-ment cuistre et insensé. Autant comparer  une

table somptueuse et un grain de blé, en oubliant

que le grain de blé  peut devenir le Corps de Jésus-Christ. Et c'est là mon Juge

17. Numéro de l'Assiette au Beurre, illustré

 par  Géo Dupuis, c'est-à-dire notre Dupuis de Mont-

rouge, mon calviniste converti. Il fait maintenant

de la caricature anticléricale et ce fascicule de l'As-

siette est exactement immonde.

19. Je me reproche de n'avoir   jamais dit un

mot de l'ancienne église abbatiale de Saint Furcy.Il y aurait à faire tout un travail d'archéologie et

d'histoire sur cette ruine  profanée horriblement.

Transformé en un garno tout à fait infâme, ce  bap-

tistère de la Brie ressemble à une maison de  passe

 pour  les vagabonds. Ce lieu où le Sacrifice a été

offert  pendant des siècles est une écurie et lesvieilles pierres qui furent les a mies des saints, qui

 protégèrent contre le f roid ou la chaleur des géné-

rations de  pauvres, sont devenues des  parois de

 bastringues ou de  pissotières. Je  passe le  plus

rarement que je peux devant cette façade humiliée

et vénérable qui meurt de noblesse dans les or-

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A COCHONS-SUR-MARNE 221

dures, qui est certainement 1 unique belle chose

du  pays et que personne, jamais, ne regarde.

20. Lettre d'un groupe de  jeunes infirmes,

se disant « Étudiants catholiques de Gand et me

 proposant un questionnaire stupide pour   la rédac-tion d'un almanach. Je  pourrais les renvoyer  à

Cambronne.

23. Lettre nouvelle et fort misérable de mon

 jésuite. Suite des leçons et des conseils. Je mécon-

nais les bonnes qualités des catholiques et on voit

en gémissant qu'il est trop tard  pour  me remettre

dans le bon chemin.

Réponse

Il est cruel de  proposer  des énigmes à un homme qui

meurt, surtout après lui avoir donné une lueur d'es-

 poir. S'il est impossible d'obtenir  mieux, je demande

au moins le silence. Quel plus humble salaire  pour  un

ouvrier  qui a  porté le  poids du  jour et  payé pour 

quelques-uns dont vous êtes certainement?

24. A l'envoyeur  d'une centaine de francs

Je ne veux  pas vous infliger  la banalité d'un remer-

ciement. On sait que je vis d'aumônes et je n'en ai  pas

honte, ayant devant moi une rangée de quinze volumes

environ qui m'eussent assuré l'aisance et même beau-

coup plus que l'aisance, si  je les avais écrits  pour 

 p'mrc aux hommes. Quoique éloigné que vous soyez

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ222

de moi  par  vos sentiments et vos  pensées, je ne crois

 pas que vous  puissiez mépriser  cela.

Lu les  premiers feuilletons d'un roman Le

Monde des Vivants, publié parla Quinzaine, œuvre

d'un  jeune écrivain, Jacques Debout, dont  j'ai eu

l'occasion de  parler (voir  6 février  1903). C'est unfranc et généreux vin, mais un  peu vert et qui a

 besoin de la bouteille. Il y a de très-belles  parties.L'auteur   pourrait bien écrire, un  jour, un chef-

d'œuvre, mais il lui reste à dompter  complètement

l'adjectif, à casser  les reins à l'adverbe et au  par-

ticipe, à se débarrasser tout à fait du chiendent

de l'imagerie pieuse, peut-être aussi de certains

lieux communs, non d'expression, mais de  pensée.La marque de l'écrivain, c'est le mot en éclair   et

on le rencontre ici fort souvent.

[Le Monde des Vivants vient de  paraître en

volume, à la librairie Beauchesne. Février, 1905.]

25. Pour me réchauffer, travaillé à Mon Jour-

nal. Récit de notre captivité en Danemark. Quel

souvenir  d'agonie et combien semblable à tousmes autres souvenirs 1

29. Détresse complète. J'étais seul avec Ma-

deleine. Je me suis mis dans l'ombre près du poêle

 pour  pleurer. Madeleine comprenant que je souf-

frais, est venue se mettre sur mes genoux et mp

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A COCHONS-SUR-MARNE 223

caresser avec tendresse. Que Dieu la bénisse éter-

nellement

30. Toujours préoccupé d'un  projet de ro-

man que j'intitulerais avec modestie Cochons-

sur-Marne, une idée gracieuse et fraîche s'offre à

moi. Il y a lieu de  présumer  vu la durée de

l'occupation prussienne, en 1870 et 1871, et con-

sidérant le sens  pratique dont s'honore à si  justetitre la classe  bourgeoise que la  plupart des ci-

toyens actuels de ce chef-lieu du canton ont été

fabriqués avec de la semence allemande. Quel trait

de lumière!

Lu dans les Épilogues de Remy de Gourmont« Saint Paul n'est rien autre chose  pour  moi qu'unécrivain médiocre et frivole.- La  parole de Dieu

n'est tolérable, comme celle de Scribe, qu'en mu-

sique. » Effroyable misère de cette intelligence et

 plus effroyable état de cette âme Et dire que cela

est acquis! Quand j'ai connu ce malheureux,en 1893, il aurait eu horreur d'écrire cela. C'est vrai

qu'alors.

31. Ce dimanche de Septuagésime est l'aube

de la Rédemption et commence  par  un gémisse-ment douloureux. L'Évangile est celui des ouvriers

de la onzième heure. Il semblerait que c'est ce

dimanche lui-mêmequi est signifié par  ces ouvriers

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ224

en sorte qu'il doit être  payé, honoré autant queles autres dimanches  jusqu'à Pâques, étant ainsi,

à la fois, le  premier  et le dernier, puisque c'est

 par  lui qu'on commence. Idée  plus ou moins claire

dont  je tirerai ce que je pourrai, un  peu plus

tard.

Février 

2. Chandeleur. A un malheureux qui va

mourir sans sacrements

C'est aujourd'hui la Chandeleur, c'est-à-dire la

fête de ce saint vieillard qui avait la  promesse de ne pasmourir  avant d'avoir vu le Christ et qui, tout en larmes,

reçut enfin, dans ses bras, le petit enfant qui était la

Lumière du monde. Cher  ami, si vous vouliez, vous le

recevriez aussi et votre consolation serait infinie. Ayez

 pitié de vous-même, ayez pitié de nous, ayez pitié de

Jésua-Christqai est à votre  porte et qui vous implore.

3. Étonné d'entendre une messe qui n'est

 pas de requiem et qui a cependant l'épître et

l'évangile des défunts, j'interroge des  prêtres quine savent rien et ne comprennent pas plus quemoi. Vérification faite, j'apprends que saint Odi-

lon, abbé de Cluny, au mie siècle, dont la fête est

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A COCHONS-SUR-MARNE 225

marquée aujourd'hui, dans l'0r</o de ce diocèse,

a institué la fête de la Commémoration des D~/M~

(2 novembre), ce qui fait de lui un  personnage tout

à fait extraordinaire et  je m'étonne, une fois de

 plus, de l'ignorance ecclésiastique.

Dans mon ignorance laïque, je n'ai  pu que

suivre la messe de saint Blaise, en  priant cet apo-

tropéen, cet auxiliateur, ce  patron de mon choix, de

 payer  mon  boulanger, mon  propriétaire et tout le

reste, si Dieu veut.

A Frédéric Masson, académicien fraîchement

élu:

Je ne suis  peut-être pas un inconnu  pour  vous. Il y a

quelque vingt ans que je pratique le métier   peu récom-

 pensé d'écrivain errant, de batteur d'estrade littéraire

sans compagnon. J'y ai gagné ce que tant d'autres ont

cherché en vain une légende. J'ai ma légende, comme

 Napoléon et quelques scélérats. C'est ce qui m'enhar-

dit  jusqu'à vous écrire.

Je voudrais finir  ma vie  par  un livre sur   Napoléon..l'ai ce grand homme dans le sang au  point qu'il m'est

difficile d'entendre  parler  de lui, sans  perdre ou rattra-

 per  quelque chose de mon équilibre. Or   je ne  peux me

 procurer  les ouvrages indispensables, tels que les

vôtres, que par   les  pratiques de la mendicité, l'indi-

gence étant une suite naturelle de mon choix.

Voulez-vous donc, cher  monsieur, me faire envoyezceux de vos livres où il est traité de  Napoléon et de sa

famille? Je sais  parfaitement ce que je vous demande.

il 15

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ226

Je n'ignore pas que ce genre de requête est particu-lièrement désagréable à un auteur  qui ne  peut pas tou-

 jours donner  ses livres avec une extrême facilité. Oui,

monsieur, j'ai l'expérience de cet ennui. Cependant

 j'ose vous l'infliger parce que je suis très-pauvre, en

vérité, et aussi parce que j'ai quelque

chose à dire de

 Napoléon, même après vous. Sorte de couronnement

d'une existence littéraire qui a été  plutôt doulou-

reuse.

[Sans réponse. Ilya legoujatisme académique.]

4. Le  pauvre sacristain me dit ses  peines.Ce malheureux est opprimé odieusement  par  le

doyen qui, non content de surmener un  père de

cinq  enfants, qu'il rémunère honteusement, faitencore des difficultés  pour  le règlement de ses

misérables gages.Une tristesse épouvantable tombe sur moi. La

vieille Corbillard, notre  propriétaire jaune envoie

son domestique avec une lettre. La gueuse exige

qu'on la  paie tout de suite, sinon elle donnera

congé. Incapable de me contenir, même en  pré-

sence de cet homme, je me suis exprimé siviolemment que j'en ai  perdu l'équilibre pour  la

 journée. Je répondrai demain à votre macaque.

5. A la Corbillard

Votre lettre est une énigme de l'espèce la  plus désa-

gréable. Je n'arrive  pas à comprendre que, du  premier 

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À COCHONS-SUR-MARNE 227

coup etsans ~o< connu, vous me traitiez comme un

vagabond et un malfaiteur. Ce  procédé est tellement

inouï qu'il ne me  parait explicable que par  l'effet d'une

calomnie accueillie avec une singulière complaisance.

Lorsque vous refusâtes l'excellente valeur   que jevous

offrais, ilfut entendu

quevous m'attendriez en

février. La bonne foi, d'une  part et la bienveillance, de

l'autre, étant supposées, comme cela se  passe entre

honnêtes gens, je me  préparais à vous régler  en effet

dans le cours de ce mois qui commence à  peine. Com-

ment aurais-je pu prévoir  une déclaration de guerre?C'est renversant.

Si vous ne  pouvez supporter  notre  présence dans

votre maison, nous nous en irons d'autant  plus volon-

tiersque

lenettoyage

de cette demeure infectée a été

aussi mal fait que possible. Déjà nous sommes envahis

!par  des milliers de  puces restées, j'imagine, dans les

fentes des  parquets. Nous avons même vu des  punaises.

Que sera-ce en été? Je  pense, madame, que vous ne

devriez  pas, en conscience, louer à d'autres  personnesvotre maison avant de l'avoir fait renouveler de fond

en comble. Au  prix de 700 francs on a droit à un

logement habitable. C'est une question d'ë~M!~ rudi-

mentaire.

Il y en a une autre. Il m'a fallu  payer  40  journées de

 jardinier à 2 francs  pour  le défrichement et la mise

en état de culture du  potager  qui n'était, vous le savez,

qu'un amas d'ordures. Si  je ne dois  pas profiter  de cette

dépense, il serait  juste de m'en tenir   compte.

Enfin  je vous  présenterai quelques factures  pour 

diverses réparations qui, de votre  propre aveu, ne

devaient  pas être à ma charge.

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QUATRE ANS DE C AP TIVITÉ228

[On verra  plus loin la noble réponse de cette

vieillarde à qui j'avais été assez sot pour  envoyer les Colonnes, comme  j'aurais envoyé une lanterne

magique à une taupe. Celle-là est  peut-être une

amie de  jeunesse de Coppée.]

Le crédit nous est refusé, ici et là. On dirait

qu'il y a quelqu'un qui nous démolit  partout.

6. Déjà nous manquions de vin, de viande

et de charbon. Voici que nous n'avons  plus d'eau.

La  propriote répond à une femme de ménage,

messagère de nos  plaintes, par  un mensonge et

une insolence. Nouvelle lettre

Madame, je suis affligé de voir  une  personne de votreâge manquer de bonne foi. Vous savez  parfaitement quela  pompe de la cuisine était en mauvais état, puisquevous avez, trois ou quatre fois, envoyé un ouvrier  quinous a déclaré qu'elle ne valait rien et que vous cher-

chiez simplement à faire une économie aux dépens de

vos locataires. J'attends toujours une réponse à la lettre

que je vous ai fait  porter hier. Je comprends que vous

ayez de la répugnance à garder  dans votre maison des

gens intellectuels et bien élevés, mais encore faudrait-ilun peu de droiture et de justice.

Déprimé par   les  privations et m'efforçant quandmême de travailler, je sentais autour du cœur,cette griffe atroce que je connais et qui donnerait

 bientôt la mort, lorsqu'une nouvelle rosserie de

l'équarrisseuse est venue ajouter  à ma détresse déjà

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A COCHONS-SUR-MARNE 229

excessive. Cette chienne enragée veut être  payéeavant lundi soir, sinon elle fera des frais. Agoni-sant de chagrin, étranglé par  l'indignation, jevais chez un  personnage déjà rencontré, l'huis-

sier  Br. en qui j'avais eu la surprise incroyable

de trouver  un lecteur de mes livres et un ami. Ils'intéresse à ma situation, promet de voir  l'objetet ne désespère pas d'obtenir un délai.

7. Sexagésime. Après un  pesant sommeil

de gens exténués, nous nous traînons à l'église.

Exsurge, quare obdormis, DoM:me? N'est-ce pas

 pour  nous que parle la Liturgie? Quel souvenir!

C'est,ce même

 jour,en

1895, lorsquenous étions

si épouvantablement malheureux, que Véroniquemalade disait à sa mère en baisant le crucifix

Le  petit Jésus dort sur sa croix, il faut le réveil-

ler! Ces  jours de mort vont-ils revenir? (Voir l'année dernière, 15 février.)

Mon ami l'huissier a tenu  parole et réussi. Je

ne serai  pas étranglé immédiatement. On m'atten-

dra  jusqu'à la fin du mois, mais on veut que je

 parte en avril. Quant au dommage qui résulte  pour nous du mauvais état de la maison, rien à faire. 11

faut trouver le moyen de fuir  ce  pays maudit.

8. Impossible de dormir dans cette villa aux

 puces. Il est bien clair   que nous ne  pourrions pas

y vivre cet été. Quelquechose même deplusfuueste

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ230

et de  plus dangereux que la vermine  pourrait bien avoir été laissé ici  par  nos  prédécesseurs.

Les  journaux disent la guerre russo-japonaiseimminente. Danger peut-être pour   le monde entier.

Commencement, si Dieu veut, des  plus grandes

choses.Un ami, aussi malheureux que nous, est venu

souffrir une heure, dans notre maison. Chaquetrait de son visage, m'a dit Jeanne, songeant à

cette  physionomie ravagée, est une  promesse de

Béatitude.

9. Journée terrible! Le manque de vin et

d'une alimentation fortifiante, la menace du

manque de charbon, la certitude humaine de ne

 pouvoir  nourrir nos enfants demain, l'impossibi-lité de continuer à vivre ici et l'impossibilité de

fuir, l'abandon apparent de tout le monde et l'évi-

dente hostilité de tant de gens; enfin et surtout,cette attente infiniment douloureuse d'un libéra-

teur  qui ne vient  jamais; tout cela ensemble nous

met à deux  pas du désespoir. Pendant que nousroidissons nos volontés, notre maison est secouée

 par  la tempête et le ciel est triste comme la mort

sans Dieu. Pour   qui donc spuffrons-nous ainsi?

Et  j'ai pu travailler, faire des livres dans ces tor-

tures Cela sera dit au Jugement dernier.

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A COCHONS-SUR-MARNE 231

10. Commencement de la guerre russo-

 japonaise. Les lois mystérieuses veulent qu'envertu de la solidarité universelle, il y ait un lien

entre cet événement colossal et notre destinée

humble et douloureuse. Quel est ce lien?

Des  journalistes d'antichambre ou d'écurie ont

 publié que M* Lebaudy, la milliardaire connue,s'avisant chrétiennement de l'iniquité de ses

richesses, a décidé de restituer, en comblant les

 pauvres. Je la connais, cette charité-là! Phari-

saïsme à faire bondir  les collines! Quelques braves

ecclésiastiques lui ont écrit  pour  moi. Je  parietout ce qu'on voudra qu'ils ne réussiront  pas même

à lui faire tenir une lettre.[J'ai gagné, naturellement. Mais l'eût-elle reçue,

comment voudrait-on que cette femme qui s'oc-

cupe de  politique nationaliste, pour plaire à Dieu,

s'occupât de moi? Elle a assez à faire de beurrer 

les maquereaux de la Bonne Presse.]

13. C'est effrayant d'être riche. Même quandon veut faire le

bien,comme on le

 prétendde cette

Lebaudy, on est forcé de se rendre invisible

comme les démons.

Congé régulier  de mon équarrisseuse, avec cette

clause « Si vous restez  jusqu'au 15 avril, ce sera

quinze jours que vous voudrez bien me  payer  en

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ232

 plus des trois mois en cours. Oui, ma chatte,

on te le  paiera, ton garno 1

14. A un moribond

Vivez-vous encore ? Pouvez-vous me lire, pouvez-vous

m'écrire ou me faire écrire? Avez-vous donné à votre

âme désolée la consolation dont elle avait besoin? Nous

avons souffert  pour  vous  jusqu'à nous sentir en agonie.

Je dis pour   vous, parce que, dès la nouvelle de votre

danger, nous avons tout offert, tout donné  pour que la

douceur  de Jésus-Christ vous fût acquise. Et nous avons

été si  profondément, si terriblement malheureux, ces

derniers jours, que nous espérons pour vous! A ce

 prix-là, il nous semble que quelque chose de vraiment

 précieux a dû être vraiment payé.

Maintenant, mon ami, j'ai une dernière chose à vous

demander. Vous me la donnerez, si Dieu y consent.

Vous savez qu'il n'y a  pas, à  proprement parler, de

mort. « Vita mutatur, nontollitur  », dit la Liturgie.

Quand donc votre vie aura été changée et que vous

serez enfin dans la Lumière, je vous adjure, parle Dieu

vivant et avec sa Permission sainte, de vous manifester 

à moi. J'ai un désir immense de savoir ce que veut de

moi mon Créateur  et mon Sauveur et si  je suis ou non

dans sa voie.Je sais que cela  peut se demander humble-

ment et qu'il y a  beaucoup d'exemples de  pareilles com-

munications.

Après votre départ, vos amis  prieront pour  vous. Nos

 prières seront une suite de notre correspondance ter-

restre. Elles vousprofiteront sans doute et, je l'espère,

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A COCHONS-SUR-MARNE 233

attireront sur  moi, en  particulier, la grâce exception-nelle que je demande avec larmes. A Dieu

[27 août 1904. Cette nuit  j'ai vu en rêve un

vieil homme  près de mourir. Comme tout arrive,

dans les rêves, le  plus simplement du monde, cevieillard est devenu, pour  mourir, un tout  petitenfant qui s'est éteint sous nos yeux, en nous

 pénétrant de douceur et d'amour divin. J'ai tout

oublié, sinon que cela était une sensation du

Paradis. Quelques heures après, nouvelle de la

mort du vieux bibliothécaire Alexandre Roy, des-

tinataire de la lettre qui précède.]

18. Temps horrible de neige fondue. Je

pense à notre  propriétaire qui serait si  joyeuse de

mettre nos enfants dans la rue.

19. Un me dit que les Co~o/me.; ont fait ici

des ravages. Une  boutiquière riche et vieille

qui a des  jugements sur  la littérature et  pra-

tique, dit-ou, l'imparfait du subjonctif, n'avale

 pas mon .R<eM(/ Père J udas, s'indignant, avec plusieurs autres dévotes éclairées, que la commu-

nion fréquente soit  permise à un homme si  peucharitable. Cette marquise du comptoir  éblouit le

 pauvre doyen qui voit en elle une Maintenon et

qui la consulte  probablement avec le respectsacerdotal qui se doit aux  piles d'écus

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ234

L'idée me vient d'une  bourgeoise pieuse de roman

ou de conte, laquelle aurait une dévotion exaltée

 pour  Judas, parce qu'il fut  prêtre et même évêque,ne  parvenant pas à le distinguer  de l'apôtre saint

Jude.

21. Bavardage torrentiel du doyen qui, non

content de lire le mandement de l'évêque dont  j'aila chance de ne  pas saisir un mot, parle, avant et

après, interminablement. J'ai  pu attraper quelquechose au commencement. A  propos de  je ne sais

quoi, il a tonné et fulminé contre ceux qui, ayantun  pouvoir quelconque, en abusent  pour opprimer leurs subordonnés. Ce  pharisien est effrayant.

Lorsqu'il est enfin descendu de sa chaire, aprèsavoir   beaucoup gueulé, j'ai pu admirer, une fois

de  plus, la  justice de Dieu dans l'abjection de

cette face de  prêtre sot, vaniteux et impitoyable,vêtu de la robe canonicale et  portant au creux de

l'estomac, très-ostensiblement, la croix qu'il met

avec tant de satisfaction sur le dos des autres. Il

est temps de fuir. C'en est trop.

22. J'ai vu en rêve une multitude de  per-sonnes venues de loin tout exprès pour  nous se-

courir  et qui remplissaient notre maison. C'étaient

des morts.

Parvuli  petierunt panem et non erat qui /?'aK-

geret eis.

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A COCHONS-SUR-MARNE 235

23. Pourquoi les  prêtres reçoivent-ils tant

de clairvoyance pour  refuser et si peu de lumière

 pour  donner? Autre question. Si un curé gras ou

maigre décide que le sacrement de baptême ne

sera administré que tel  jour, faudra-t-il que le

vicaire, par  obéissance, refuse la Régénération à

un enfant mourant? JEANNE L'obéissance

devient le tombeau de l'amour, quand l'amour 

n'est  pas le berceau de l'obéissance.

24. Réclamations sur réclamations. Vie ter-

rible Et cet instinct de férocité des  bourgeois quiles fait se  précipiter  tous ensemble sur un mal-

heureux qui succombe, comme des chiens à lacurée. Travaillé  pourtant, il le faut bien. Le  piremaiheur c'est d'avoir   besoin des hommes on est

aussitôt crucifié à la gauche de Jésus-Christ.

25. Saint Matthias. Je me tords en  pleurantaux  pieds de l'Apôtre du Saint-Esprit et de la Vie

éternelle. Puisque les autres ne me répondent

 pas, vous du moins, répondez-moi 1

26. Par-dessus tout le reste, peine physiqued'un  jeûne forcé, mais très-complet, qu'il faut

rendre quadragésimal et méritoire par l'accepta-tion. Nous en sommes tout hébétés. Heureuse-

ment les enfants ne souffrent  pas encore. Pourquoi

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QUATRE ANS DE C AP TIVITÉ236

Dieu traite-t-il avec tant de rigueur  les  pauvres

qui l'aiment?

28. Dans ma détresse, je m'étais adresse aux

Reille, racaille  parlementaire peu douée, mais

catholiques suprêmes qui ont des esclaves sous

terre, comme les catholiques belges. Je me croyaissûr d'obtenir au moins un coup de main, étant

recommandé  par  deux ou trois morts et me sup-

 posant appuyé par  J'avocat Joseph Menard, fami-

lier de la maison qui fut autrefois mon ami. C'est

un  prêtre qui a fait la démarche. Impossible de

voir  ces drôles. Joseph Menard, seul visible dans

l'antichambre, a congédié, avec l'insolence d'undomestique, le messager  dont il aurait dû res-

pecter au moins le caractère.

Cet avocat Joseph Menard, ambitieux sans

génie, également promis aux suffrages et aux

coups de  pied dans le cul, possède un vieux

tableau qui m'appartient. Je l'avais, un  jourd'anarchie, confié à un de ses frères. Celui-là, le

 plus intéressant et le moins vertueux, étant mortquelque temps après, Joseph trouva  plus expé-dient de s'adjuger  l'objet que de me le rendre,

estimant, d'ailleurs, très-providentielle cette occa-

sion de. récupérer une demi-douzaine de  pièces decent sous. Car  c'est ainsi que je suis le Mendiant

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A COCHONS-SUR-MARNE 237

Ingrat. Il n'y a rien de  plus coûteux qxo cette

sinécure.

J'ai  pensé souvent, surtout quand je voyais mes

 petits enfants à l'agonie, à ce  pauvre tableau sub-

tilisé  par  :<M ennemi des JUIFS, lequel tableau a

 peut-être une grande valeur et serait  pour  moiune telle ressource! J'ajoute que cet antisémite

 profita de l'occasion  pour  s'annexer  quelques

 papiers du Léon Bloy que je suis, confiés au même

défunt et vainement réclamés depuis vingt ans.

L'avocat Joseph Menard, refuge, abri, toiture et

garnison de la veuve et de l'orphelin, est un des

derniers confidents de la divine miséricorde. Je le

récompenserai, celui-là, il  peut y compter!Mais quelle folie d'avoir, une seule minute,

espéré quoi que ce fût de ces maudits qui repré-sentent le monde catholique le  plus bas, le monde

catholique des Pères de l'Assomption, lesquels ont

une règle leur  défendant de faire /'aM?Mdne (Voir le Mendiant Ingrat, p. 395.)

Mars

i" On s'est arrêté de souffrir   hier. Selon

l'expression de Jeanne, il semble que, depuis

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QUATRE ANS DE C AP TIVITÉ238

trois jours, depuis la visite d'un  pauvre char-

 bonnier venu pour  nous réclamer, lui aussi, de

l'argent, et qui n'en obtenant  pas, nous laissa tout

de même deux sacs de charbon, on ait cru

sentir un gond qui tournait enfin, le gond de la

 bonne  porte qui n'avait pas voulu s'ouvrir   jusque-là. Dieu fera ce qu'il voudra, nous.n'avons pas

 peur  de lui ni des hommes.

2. Une vieille milliardaire qui ne veut rien

faire, alléguant ses charges, conseille la Société

des gens de lettres! le b ureau de bienfaisance!! l

enfin. M. Loubet! 1

3. Il est une  joie que je n'ai  jamais connue,celle de n'avoir   pas de chiens à mes trousses, de

ne plus sentir derrière moi des gueules hurlantes

et dévorantes et de m'arrêter  enfin en sécurité,ne fût-ce qu'une heure, pour  boire à la fontaine de

Dieu.

Ayant pu réglermon équarrisseuse, l'un des clercs

de mon ami l'huissier   chargé de cette opération

dégoûtante, m'apporte la quittance et un mes-

sage. La sangsue prétend que je lui suis rede-

vable des  portes et fenêtres. Je réponds à ce clerc

qu'il aurait dû lui demander si  je n'avais  pasaussi le devoir de coucher avec elle.

4. Une autre  propriote, moins hermétique-

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A COCHONS-SUR-MARNE 239

ment bouchée à la vie intellectuelle, puisqu'elle

 prend des leçons de littérature de Gaston Des-

champs, M~ Frusquin, née Visible, déjà honorée

de mon suffrage, est scandalisée d'un sermon où il

a été  parlé respectueusement des  pauvres. Quel-

qu'un dont la  patience est courte objectant que larichesse est condamnée dans l'Évangile Alors,

dit-elle, l'Évangile est exagéré.Dans l'Autorité, réplique de Marc Sangnier  à

Paul de Cassagnac lui disant « Vos intentions

sont bonnes, votre œuvre est mauvaise, puisquevous êtes républicain. » Malgré la réplique, j'ail'ennui de  penser  comme Cassagnac. Je ne crois

 pas qu'il y ait une œuvre  plus vaine que le S'OM.Seulement Sangnier, malgré des idées fausses,

va, tout de même, vers les  pauvres. Je suis donc

avec lui et  je veux le lui faire savoir..

Envoi de la Femme  pauvre « Marc Sangnier,

qu'avez-vous à faire de ce vieux cadavre de Cassa-

gnac, lorsque vient à vous le vivant qui signe ces

 pages? »

Lejour

oùSangnier 

lâchera les pauvres, je

retournerai au vieux cadavre.

7. On me raconte qu'un doyen d'un diocèse

de Mandchourie avait donné, le  jour de l'an,

5 francs au sacristain et 5 francs au suisse. Lar-

gesse étonnante. Mais les  pauvres diables ne tar-

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ240

dèrent  pas à découvru' que les deux  pièces étaient

fausses. Plainte au doyen de Mandchourie dont

voici la réponse évangélique « On me les a fait

 passer, il faut bien que je les fasse  passer  à mon

tour. »

8. Entendu au café du Commerce Ave/.

vous lu Quo vadis? Oui, mais  je ne  peux pasen lire  beaucoup à la fois, c'est trop a~o?'6<

trop profond. Ça demande une attention trop sou-

tenue.

11. Retour   d'une femme de ménage expulsée. Nous voulons espérer 

que

cette soularde attirera

un  peu de miséricorde sur notre demeure. Noua

l'avions remplacée par  la vertu même qu'il a

fallu lancer  dehors, avant-hier.

Copié pour l'imprimeur  l'importante lettre au

mathématicien qu'on peut lire dans ~on J ournal,

 p. 260. C'est un de mes meilleurs endroits. Le

destinataire qui a disparu si soudainement de ma

vie, en 1899, et qui est devenu  pour  moi un fan-

tôme, n'aura été que l'occasion de  parlera d'autres.

13. Un beau et doux soleil de L~arc et, pour nous l'attente continuelle, l'attente de Dieu, l'at-

tente des Saints, l'attente d'un secours, d'un gîte

aimable, d'un commencement de délivrance.

 Nous apprenons que le vieux  jardinier men-

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A COCHONS-SUR-MARNE 241

diant que nous avons fait travailler   par  charité et

qui nous a coûté environ 80 francs, dit  beaucoupde mal de nous et que le curé, heureux de ces

calomnies, les  propage. Ce mendiant n'est-il  passon frère, et ne sont-ils  pas, l'un et l'autre, les

semblables de la Corbillard et de toute la racailled'ici? 2

15. Paris. Mon  premier  voyage en métro.

Travail gigantesque, j'y consens, et même non

dénué d'une certaine beauté souterraine; mais

 bruit infernal, danger  certain, mort  probableet quelle mort! toutes les fois qu'on descend

dans ces catacombes. Impression de la fin dessources, de la fin des bois frissonnants, des aubes

et des crépuscules dans les  prairies du Paradis.

Impression de la fin de l'âme humaine! 1

16. On m'apprend que le  peintre Georges

Rouault, élève de Gustave Moreau, s'est  passionné

 pour  moi. Ayant trouvé chez son maître la Femme

 pauvre, jadis envoyée, avec ces mots « A Gus-tave Moreau, pour  le venger  de M. Folantin »,

ce livre l'a mordu au cœur, blessé incurablement.

Je tremble de  penser  à la  punition de ce malheu-

reux.

Un  jeune homme qui fut notre hôte, l'été der-

nier, pendant denx mois, répond à mon envoi des

II 16

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QUATRE ANS DE C AP TIVITÉ242

Co~~M. Le  pâ.uvre garçon est uniquement pleinde lui-même et ne s'en aperçoit pas. S'en aper-cevra-t"il  jamais? Il demande  pardon d'abord, ou

 plutôt il écrit les formules qui lui semblent

 bonnes  pour exprimer  cela et, aussitôt, il se met à

faire de l'esprit.

17. Autre histoire du doyen de Mandchourie.

En  janvier, trois infortunés croque-morts sont

venus lui demander  leurs étrennes. Réponse« J'ai décidé qu'à l'avenir   je ne donnerai  plusd'étrennes qu'au mois de  juillet. »

20. « Cesgens-là

doivent partout

» Telest,sur  nous, le chant du scalp des honnêtes gens de

ce  pays.

23. Recherche énormément pénible d'un lo-

gement à Paris où nous voulons vivre désormais.

Trouvé enfin un appartement environné d'arbres

qui nous contenterait, sans une concierge extraor-

dinaire qui roucoule en  poitrinant, avec une di-

gnité de vieille  pintade qui se croit encore de la

devanture.

Retour  triste. J'ai froid et  je vois noir. Je  penseà Jésus-Christ forcé de  payer  son terme. Le Verbe

de Dieu aurait un  propriétaire!

24. Georges Rouault a embarqué, non  pour 

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A COCHONS-SUR-MARNE 243

Cythère, mais  pour  mon île déserte et sombre, son

ami et camarade, Georges Desvallières, autre

élève de Gustave Moreau, et les voilà tous deux

cherchant des subsides, levant des deniers  pour mon élargissement. Je dois ces deux cœurs à

Auguste Marguillier, l'aimable secrétaire de la Ga-

zette des Beaux-Arts, lequel me fut toujourssi favorable malgré les inconvénients de mon

~y~a~/M~. Je lui dis combien il est glorieux

 pour  moi que ces braves gens se dérangent ainsi

 pour  venir m'aider à casser des  pierres sur les

routes départementales et les chemins vicinaux,

dans ma vieillesse.

27. Dimanche des Rameaux. Impression à

la messe, ce matin. Un  petit enfant criait. Alors

 j'ai eu comme la vision d'un lac de tristesse et

de ténèbres au-dessus duquel flottait un silence

énorme. Et ce silence était rompu tout à coup par  le cri solitaire de ce  petit enfant, le seul être qui

 pût se faire entendre  parmi les désespérés éter-

nels gisant en ce lieu. Car c'était une vision très- particulière de l'enfer.

Discours du doyen. Papillons attrapés au vol

Je suis très-content d'être curé. Je trouve la

vie très-bonne. Le ciment de la  prière vaut

mieux que le ciment de Portland. Etc.

28. Plein de bonne volonté, je voulais

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QUATRE ANS DE C AP TIVITÉ244

écouter  attentivement une instruction. Le  prédi-

cateur  qui n'est  pourtant pas le doyen, se met à

 parler  de « l'affaire du salut », expression sacris-

tine et  boutiquière à laquelle il  paraît tenir. Je

m'endors. S'il  parlait de la SAINTETÉ, je serais

réveillé comme un cheval  par  la trompette.

29. Dernière lettre à mon  jésuite

Mon cher  Paul, je ne songeais guère à vous écrire,

me bornant à  penser  à vous tristement, depuis le  jouroù vous m'avez déclaré votre volonté de vous « sépa-rer a de moi. Voulez-vous me  permettre de vous

avouer, sans amertume ni récrimination, que ~'e n'ai

 pas compris, habitué que je suis à consulter, en touteschoses, votre infaillible  patron et fermement déterminé

à ne  pas être  plus sage que lui. Or votre lettre impli-

quait une telle rature, une si totale confiscation ou

abolition du chapitre xii de la  première aux Corin-

thiens (divisiones gratiarum, divisiones MMMM<)'a<tCMM<M,divisiones operationum ad utilitatem), que j'ai senti

que vous étiez tout à fait  perdu pour  moi. Vous croyez

maintenant, au mépris de saintPaul, que tous les chré-

tiens doivent être  jetés dans le même moule. Je ne mesuis donc  pas trompé sur  les Jésuites, hélas Et nous

ne  pouvons plus nous comprendre. Adieu donc, mon

cher Paul. Si  je meurs avant vous, comme il est  pro-

 bable, souvenez-vous quelquefois du  pauvre écrivain qun'était  pas jésuite, mais qui vous a tout de même

donné à Jésus-Christ.

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A COCHONS-SUR-MARNE 245

Avril

l". Deux choses contradictoires en appa-rence et pourtant certaines, observées chez la

Corbillard. Cette harpie est vexée de perdre des

locataires et, d'autre  part, elle aurait tant voulu

nous faire souffrir! La méchanceté et l'avarice se

mordent en hurlant au fond de ses vieilles tripes.On ne

 peut pasêtre

 plus propriétaire.

2. Je  pense qu'il y a des injustices dont

Dieu a besoin  pour équilibrer  je ne sais quoi,comme les négociants jettent des poids dans le

 plateau de la marchandise  pour  en vérifier la

 pesanteur.

3. Réponse de mon  jésuite qui ne se résigne

 pas à me  perdre, mais qui aggrave tout en me

disant, à  peu près, que je suis un hérétique,

exactement, que « certaines de mes assertions

sont destructrices du dogme C'est la  page 129 du

.Sa/M~pa~ les Juifs qu'il n'avale  pas. '< Est-ce une

assimilation métaphorique ou une affirmation

absolue?» Tel son cercle de Popilius. Comment

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ246

lui expliquer que ce n'est ni l'une ni l'autre?

Comment faire entrer dans un cerveau  plein de

formules que la difficulté cesse et que le cercle

est rompu, aussitôt qu'on rapproche de cette redou-

table  page 129 la  prière liturgique du Samedi

Saint Z.MC:/e! m~Mam, qui nescit occasM~ï? Lestrès-rares chrétiens qui font encore usage de leur 

raison  peuvent remarquer qu'il ne s'agit pas, ici

ou là, de métaphore, non  plus que d'affirmation

rigoureuse dans le sens de la doctrine révélée,mais simplement de constater  le mystère, la PRÉ-

SENCE e~M mystère, au scandale des imbécites ou

des théotogiens pédants qui prétendent que tout

est éclairci.

4. Lundi de Pâques. Lorsque viennent les

gloires de Pâques, l'âme est saisie d'une tristesse

 particulière qui peut se traduire ainsi « Je suis

avec Jésus dans sa Résurrection, n'ayant pas été

avec lui dans sa Mort. Je n 'ai  pas souffert avec lui,

mon carême a été une dérision. C'est donc sans

aucun droit que je me réjouis avec les Saints et ceserait à mourir de honte sans l'incompréhensiblePitié divine. »

6. Je connais un  prêtre vraiment  pieux que

 j'aime et qui m'embarrasse  jusqu'au malaise. Il

y a en lui un besoin de contradiction, surtout en

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A COCHONS-SUR-MARNE 247

matière d'exégèse et même de liturgie, qui me

 paralyse. Il me  parlait aujourd'hui du Pape, ratu-

rant des noms de saints reconnus ou supposés

apocryphes ou inexistants, quoique vénérés par toute

l'Église, depuisles siècles. L'idée

quele

Canon de la Messe  pourrait être remanié ne le

trouble  pas. Moi, j'y découvre un  principe de

désespoir.

8. C'est Mon J ournal, enfin achevé, qui va

 payer  mon déménagement. Travail énorme enlevé

en  peu de semaines, malgré tout, et dont  je viens

d'écrire les dernières

lignes.

Dieu voudra-t-il enfin

que je vive de mon travail comme les autres

ouvriers? grâce que je demande avec larmes,

depuis si longtemps! 1

i2. Déménagement, évasion, délivrance.

Aucun autre incident que la présentation par   le

domestique de l'odieuse Corbillard d'une note

 j<e 32 fr. 20  pour portes et fenêtres et loyer  du 1"'

.u 12 avril! Cette somme, dans les circonstances,

ast juste autant qu'une pinte de mon sang. Bien

entendu, il ne me sera  jamais tenu compte de la

somme plus forte que m'a coûté le  jardin reçu à

t état de dépotoir  et transformé, non  plus que de

certaines réparations à la charge de la  proprié-aire dont le remboursement est totalement oublié

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QUATRE ANS DE CAPTIV:TÉ248

 par  cette honnête femme. Talonné  par  la vermine

que le renouveau fait éclore en cette maison, je

 paie ce que je ne dois  pas pour  fuir   plus vite,

mais  je tiens à conserver cette note, monument

d'ignominie e< d'iniquité bourgeotAoo.

La mi~a.ble, dont la mort est vraisemblable-ment  peu éloignée, s'en ira ainsi vers Dieu, le

pain de mes  pauvres enfants dans sa vieille

gueule 1

Montmartre, février  1905.

FIN

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iMS NOMS cmÉS DANS CET OUVRÂûb

A

Abdul-Hamid.Paul Adam.

Marie d'Agréda.Saint Alphonse de Liguori.Général André.

Père de Angelis.Maréchal Augereau.Saint Augustin.

B

M"° B., milliardaire calviniste

Honoré de Balzac.

Jules Barbey d'Aurevilly.Saint Barnabé.

Maurice Barres.

Saint Barthélémy.Basile Il, tueur de BulgaresCharles Baudelaire.

Cardinal de Bausset.

lernadotte.

Saint Bernard.

Liste alphabétique

Bismarck.

Boniface VIII.Jean de Bonnefon.

Bossuet.Maurice Bouchor.

M"" Boucicaut.

Général Boulanger.Paul Bourget, eunuque.Abbé Branchereau, autorité.

Braun, directeur de la Nou-velle Revue d'Egypte.

Ferdinand Brunetière.

C

Cambronne.

Paul de Cassagnac.Edouard Champion.Abbé Charbonnel.Saint Christophe.

Christophe Colomb.

Emile Combes.

Benjamin Constant.

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ250

François Coppée.M'"° Corbillard, propriétaire à

Cochons-sur-Marne.

D

Danval,pharmacien réhabilité.

Rodolphe Darzens.Jacques Debout.

Général Delarey.Demolins.

Lucien Descaves.

Gaston Deschamps.

Georges Desvallières.

Dieuleveut.

Doumic.

Le Doyen, Curé de Cochons-

sur-Marne.

Dreyfus.Edouard Drumont.

Dubut de Laforest.

Général Dupont.M. Dupont, le saint homme

de Tours.

E

Anne-Catherine Emmerich.

Général d'Erlon.

F

Père Faber.

Jules Favre.

Fénéion.

Paul Ferniot.

Saint Fiacre.

 J osef Florian.

Henry Fouquier.

Saint François de Sales.

Anatole France.

Otto Friedrichs, historien de

Louis XVII.

M"" Frusquin, née Visible,

 propriétaire à Cochons-sur-

Marne.

&

Abbé Galette.

M""= du Gast.

Pierre Gay.Abbé Gayraud.

Géo, dessinateur.

Eugène Gilbert.

De Goncourt.

Eugène Grasset.

Eugène Grêlé.

Grillot de Givry.

Remy de Gourmont.

Maréchal Grouchy.

Henry de Groux.

Maurice de Guérin.

Eugénie de Guérin.

Guillaume le,.

H

Gabriel Hanotaux.

Edmond Haraucourt.

Ernest Hello.

Henry Houssaye.M. Hue, missionnaire, auteur 

du Voyage en TariarM.

Victor Hugo.

J.-K. Huysmans.

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A COCHONS-SUR-MARNE 251

I

Saint Ignace.Isabelle la Catholique.

Mère Isidore, supérieure de

Saint-Josepb de Cluny, à

Cochons-sur-Marne.

 J

Religieuses de Saint-Joseph. J eanne d'Arc.

Félix Jenewein.

Saint Jérome.

Johannès Jœrgensen.Révérend Père  J udas (Didon).

Marie Krysinska.

L

M"' Lebandy.

Lebeau, historien du Bas-

Empire.Le Bison, propriétaire à Ceux-

d'En-Haut.

 J ulien Leclercq.

Eugène Ledrain.Jules Lemaitre.

Saint Léon-Ie-Grand.

Léon XIII.

Abbé Loisy. J an Lorentowicz.

Loubet.

Louis XVII NaundorfT.

Louis XVIII.

M

Joseph de Maistre.

Frères Margueritte.

Auguste Marguillier.Maréchal Marmont.

Mère Marie, religieuse de Saint-

Joseph.Saint Martin  pape et mar-

tyr.René Martineau.

André Martineau.

Maréchal Masséna.

Louis Ménard, poète.

Joseph Menard, avocat.

Menier  (du chocolat)..

.Mère Mercédès, religieuse dés-

affectée.

Michaud, historien des Croi-

sades.

Albin Michel, éditeur.

Michelet.

Père Millériot, jésuite.Octave Mirbeau.

Montaigne.Comte Robert de Mon tesquidu.Gustave Moreau.

Charles Morice.

Comte de Mun.

 N

Napoléon. Naundorff Louis XVII.

Raoul Narsy.Saint Philippe de Néri.

Maréchal  Ney.Le Tsar Nicolas H.

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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ252

 Nobel.

 Norvins, historien de Napo-

léon.

D'N., médecin à Cochons.

0

Georges Ohnet.Ollendorff, éditeur  médiocre.

Maréchal Oudinot.

Prince Alexandre Ourousof.

P

Saint Paul.

Péladan.

Camille Pelletan.

Charles-Louis Phi~ppe.

Edmond Picard.

S. S. Pie X.

Edgard Poe.

Un poète belge et sa com-

 pagne.Raout Ponchon.

 Nicolas Poussin.

Abbé Purgatoire.

QQuellien, dit le Barde.

Pierre Quillard.

Rachilde.

Raffet.

ardinal Rampolla.

Gabriel Randon (Jehan Ric-

tus).

!i."vachnL

Saint ltaymond Nonnxt.

Paul Redonnel.

Georges Rémond.

Ernest Renan.

Ms'' Renou, archevêqueTours.

 J ean Richepin.Henri Rochefort.

Maurice Rollinat.

RoselLy de Lorgues.

Rosny.Edmond Rostand.

Rothschild.

Georges Rouauit.

J.-J. Rousseau.

Atexandre Roy, bibliothécaire.

Royer-Collard.

S

oitcamer, quincailler-mar-chand de charbons à Co-

chons-sur-Marne.

Prince de Sagan.Marc Sangnier.

Ary Scheffer.

GustaveSehiumberger,

autf~. t,

de l'Epopée Byzantine.Père Schmœger.Schwarz.

Scribe.

Séverine.

Maréchal Soult.

Jules Soury.

Sully-Prudhomme.

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A COCHONS-SUR-MARNE 253

T

Laurent Taithade, cyclope.Léo Taxil, colonne brisée.

Thiers.

Abbé Toudou, curé de Ceux-

d'En-Haut, successeur  de

l'abbé Vignoble.Marius Tournadre.

Trouduc, milliardaire.

Trouillot.

M"" Tuparle, propriétaire à

Ceux-d'En-Bas veuve de

Tuparle, bienfaiteur.

TT

Octave Uzanne.

Alfred Vallette.

Vercingétorix.

Verdaguer.Jules Verne.Sainte Véronique.

Abbé Vignoble, curé de Ceuxd'En-Haut.

Victoria, salope.Alfred de Vigny.Villemessant.Villiers de l'I~te-Adam.

Wellington.Wel ls.

Z

Emile Zola

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TABLE DES MATIÈRES

1902 5

Heureuse mort de Zola 15

Léon Bloy jugé par  sa femme 27

« Sanctum canibus D 33

<:Anteporcos~ 50

Comment Dieu traite ses amis 65

1903 67

Mystère de Noël. 79

Aristocratie des Maquereaux 109

Jésus-Christ aux Colonies 118

Lettre à un condamné à mort 126

La Revanche de l'Infâme 134

La Matinée du Vendredi Saint 143

 Trente ans d'assassinats 178

Les Dernières Colonnes de l'Eglise 193

Le Peuple de Dieu au xx. siècle 199

1904 211

Evasion 247

Liste alphabétique des noms cités 249

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POITIERS IMP. MARC TEXIBB

9-10-35

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En~of franco ~u ca~togue J~t~e 5ur JemanJe

'MOGROU-RADENEZ,)!,RtJEOP~.E\'nH.&.)'3

Albert Samain

Le Chariot d'Or  M »

Contes 12

Des Lettres MAux Flancs du Vase. 12 »

Au J ardin de l'Infante. 12 »Œuvres choisies 15 »

Polyphème 3 »

César Santelli

Georges Duhamel 7,50

Cécile SauvageŒupres: Tandis que la

 Terre tourne. L'Ame en bourgeon. Mélancolie~ Fu-mées. Le Vallon. Prime-vères. Fragments. Penséeset extraits de lettres. 25

George Soutié de Morant

Précis de la vraie acupunc-ture chinoise. 15 »

Anthologie de l 'amour chi-nois 15

Essai sur   la littérature chi-noise 12 »

Oswald Spengler 

Années décisives 15 »

Laurent TailhadePoèmes aristophanesques 12Poèmes élëgiaques 12 s

Marc Twain

Le Capitaine Tempête H 5 »Contes choisis 15 5 »

Exploits de Tom Sawyer.. t~ »»Le Legs de 30.000 dollars 15Un Pari de Milliardaires 12Les Peterkins 15 »Plus fort que Sherlock. 12 »Le Prétendant américain 15

G. Vanwelkenhuyzen

Huysmans et la Belgique 12 »

Emile VerhaerenLes Ailes rouges de la

Guerre 12 »A la Vie qui s'éloigne 12 eLes Blés mouvants 12 »Choix de Poèmes 12 oLes Déb&cles (manuscrit en

facsimilé). 230 »Deux Drames. 12Les Flammes Hautes 12 »Les. Forces tumultueuses 12 xHélène de Sparte. Les Aubes 12 »Les Heures du Soir précé-

dées des Heures claires etdes Heures d'Après-Midi 12 »

Impressions, I, II, III, 3 v. a 13 »

La Multiple splendeur  12 »Poèmes 12 »

Poèmes, nouvelle série 12.Poèmes, troisième série 12Les Rythmes souverains 12 »foute la Finnrh'c, 3 vol, à 12 »Les Villes tentaculaires, pré-

cédées des Campagneshallucinées 12 »

Les Visages de la Vie. 12 »

Paut Vertaine

Rimbaud, raconté par  PaulVerlaine. 12* s

Villiers de l'Isle-Adam

Œufres complètes en 11 oo![tmet.'I. L'Eve future. 25

II. ContCS cruels 25III. Tribulat Bonhomet,

suivi de Nouveaux Contescruels 25

IV. Axël 25V. L'Amour  suprême.

AMdyssériiM

VI. Histoires insolites 25 tVII. La Révolte. L'Evasion.

Le Nouveau Monde 25VIII. Morgane. Bien 25

IX. Isis.t. MX. Premières poésies 25

XI. Propos s d'Au-delà.Chez les Passants. Pages

 posthumes. M

H.-G. Wells

L'Amour et M. Lewisham 15 tAnne Véronique 12

Anticipations 12 tLa Burlesque Equipée du

Cycliste. 12 >

La Découverte de l 'Avenir  et l e Grand Etat 12 s

Douze Histoires et un Rêve 12Effrois et Fantasmagorirs 12La Guerre dans les airs,

2 vol. à 12 fr. 24 »La Guerre des Mondes. 15

L'Histoire de M. Polly 15 t

Une Histoire des Temps àvenir 15

L'Ile du Docteur Moreau 12 »La Machine à explorer le

Temps. 15 s

La Merveilleuse Visite 15

MissWaters. 12

Le Pays des Aveugles 12 »

Le~ Pirates de la mer 12 »Pitce aux Géants. 15 »

Le < Premiers Hommes dansta Lune. 15

Quand le Dormeur  s'éveil-lera 15 »

Au Temps de la Comète 12 »

Une Utopie moderne. 12 »

Edward West'ermarck 

Histoire du Mariage 1~ 24 »Histoire du Mariage II. 24 »

Walt Whitman

Feuilles d'herbe, 2 vol. 30 »

Pages de J ournal 15

Oscar  Wilde

Ballade de la Geôle de Rea-

ding 12 »De Profundis 15 s

Willy et Colette \Yi!)y

Claudine en, ménage 15 »

XXX

L'Eglise catholique en France 12 >

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t. Poésies 25 s

H. Po<~tM. 25 s

III. Moralités légendaires.. M »

IV. Lettres 1(1881-1882).. 25 s

V. Lettres: II (1883-1887) 25

VI. En Allemagne: Berlin,

laCouretiaVille.25 s

Paul Léautaud'

Passe-Temps15

Lc'tis Le Cardonnel

C armina S acra 12 s

De l'une à l'autre Aurore 12 s

Poèmes. 12 s

Charles van LerbergheLa Chanson d'Eve 12 s

Prince de LignePlus belles pages. 15 &

Maurice Maeterlinck Le Trésor   des Humbles 15 »

Dr  René Martial

La Race française 24 s

Henry Massoui

La leçon de Mussolini. 15 »

Albert Mockel

Verhaeren,poète de l'énergie 12 ».

 J ean Moréas

Choix de Poèmes M s

Contes de la Vieille France 12 a

Esquisses et Souvenirs 12 r

Iphigénie 12 s

Poèmes et Sylves 12 »

Premières Poésies 12 s

Réilexions sur  quelquesPoètes. 12 s

Les Stances 12 »

Variations sur la Vie et les

Livres M s

Frédéric Nietzsche

Ainsi parlait Zarathoustra 18 s

Aurore. 15 sConsidérations inactueltes, 1 12 »

Considérations inactuelles, II 12 !<Le Crépuscule des Idoles 12 »Ecee Homo, suivi de Poésies 12 s

Le Gai Savoir. 12 s

La Généalogie de la Morale 12 »

Humain 'trop Humain (lre

 partie), 2 vol. à 12 fr. 24 s

Œuvres posthumes, in-8. 24 »

Paees choisies. 12 s

L'Origine de ta Tragédie 12 »

Par delà le Bien et le Mal M »

La~ Volonté de Puissance, 2

vol. à 12 fr. 24 s

Le Voyageur et son Ombre

(Humain, trop Humain, II'

partie), 2 vol. à 12 fr. 24 s

Antoine Orliac7.0 Cathédrale Symboliste:

I. Délivrance du Rêve. 15 »

Louis PergaudDe Goupil à Margot. 12 »

La Guerre des Boutons 15 »

La Revanche dn Corbeau 12 »

LeRomnndeMiraut. M »

Les Rustiques. M »

La Vie des Bêtes. 15 »

Rachilde

.L'Animale M »

Contes et Nouvelles 15

Dans le Puits 12 t.

Le Dessous 15 a

L'Heure Sexuelle. 15Les Hors Nature. ML'Imitation de la Mort. 15La J ongleuse. 15 aLeMeneurdeLouves. 15 a

Portraits d'Hommes 12 a

La Sanglante Ironie. 15 aSon Printemps M aThéâtre. 15 tLa Tour d'Amour   12 x

Henri deRégnierL'AItana,2vol.&15fr. 30 a

Les Amants singuliers. 12 s

L'Amphisbène 12 aLes Bonheurs perdus 12 aLe Bon Plaisir. M aLa Canne de J aspe M aLa Cité des Eaux. 12 aCouleur  du Temps. 12 aDe Mon Temps. 12 sLa Double Maîtresse, 2 vol. 24

L'Escapade M a

Esquisses Vénitiennes 9 s

Figures et Caractères 12 aLa Flambée. 15 aFlamma tenax 12Histoires

incertaines 12 aL'Illusion héroïque de TitoBassi. M a

Les Jeux Rustiques et Di-

vins. M a

Lettres diverses et curieuses 12 &Lui ou les Femmes et

l'Amour  12aLe Mariage de Minuit. M f 

Les Médailles d'Argile. 12 a1914-1916. 5 aLe Miroir des Heures 12 aNos Rencontres 12 aLe Passé vivant. 15 aLa Pécheresse 15 aLa Peur de l'amour 15 aLe Plateau de

laque15 a

Poèmes, 1887-1892. 15 sPortraits et Souvenirs 12 aPremiers Poèmes 12 aProses datées 15 aLes Rencontres de M. de

Bréot 15 aRomaine Mirmault 15 aLa Sandale aHée 12 sLes Scrupules de Sganarelle 12 a

Sujets et Paysages 15 aLes Vacances d'un Jeune

Homme sage 15 s

Vestigia Fiammaa 15 a

Le Voyage d'amour. 12 a

.A-rthur  Rimbaud

Les Illuminations 6Œuvres complètes 25 a

Poésies 10 <Une Saison on Enfer 5 s

Vers de Collège 10 s

 J .-H. Rosny ainé

Les Compagnons de l 'Uni-vers 15 a

LcsXipéhuz 6 M

André Rouvayrc

Singulier. 15 0

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Les Chevaux de Diomède 12- a

Un C~eur virginal IX a

Couleurs 12 1>

La Culture des Idées. 15 a

Dialogues des Amateurs sur

les choses du temps 15

Divertissements. 12

Epilogues, 4 vol. & 15 a

Esthétique de la Languefrançaise 15

Histoires magiques 15 a

Le Latin mystique, in-8. 24 1>

Lettres à l'Amazone 15 a

Lettres intimes à l'Ama-

zone 15 aLettres d'un Satyre 12 s

Lettres à Sixtine 12 a

Lilith suivi de Théodat 12 a

Le Livre des Masques 15

Le ? Livre de& Masques 15

Nouveaux Dialogues des

Amateurs. 15 1>

Une Nuit au Luxembourg 12 1>

Pages choisies 15 a

D'un Pays lointain lj a

Le Pèlerin du Silence 12 a

Pendant la Guerre 12 a

Pendant l'Orage 12 a

Physique de l'Amour  15 a

Le Problème du Style. 15

 promenades Littéraires (1" à7' série), 7 volumes à. 15 1>

Prom. Philosophiques (1" à

3' série), 3 volumes & 15

Sixtine 15

Le Songe d'une Femme 12 a

Frank  HarrisLa Vie et les Confessions

d'Oscar  Wilde, 2 vol. 30

Havelock EllisAmour et Vertu. 20 »

L'Art de l'Amour. La Sciencede la Procréation 20 s

Caracteres sexuels physiques. 20Caractères sexuels psychiques 20 »

La Déroute des maladiesvénériennes. 20 »

L'Education sexuelle 20 a

L'Eonisme 20 »

L'Etat psychique pendantla grossesse. La Mère etl'Enfant. 20 a

L'Evaluation de l'amour.La Chasteté. L'abstinencesexuelle 20

aLa Femme dans la Société 20 »

L'Impulsion sexuelle 20

L'Inversion sexuelle 20 »Le Mariage 20 »Le Mécanisme des déviations

sexuelles. 20 1>

L'Ondinisme. 20 aLa Prostitution 20La Pudeur. La Périodicité

sexuelle. L'Auto-érotisme 20 »La Sélection sexuelle. 20 »Le Symbolisme érotique 20 »

Lafcadio HearnChita. 12 »Contes Jes Tropiques 12 DEn glanant dans les champs

de Beuddha 15 »

Esquisses Martiniquaises 12Etudes bouddhistes et Rêve-

ries exotiques. 15

Fantômes de Chine 12 s

Feuilles éparses de littéra-tures étranges. 15 a

Le J apon M aAu J apon spectrat 15 sKotto 12 s

Kwaidan 15

Lettres J aponaises 12 sLa Lumière vient de l'Orient 15

Pèlerinages J aponais. 12Le Roman de la vole tactée 12

Un Voyage d'Eté aux Tropi-ques. 12

Voyage au Pays des Dieux 12Youma 12 y

Jean J acobyLe Secret de Jeanne d'Arc,

Pucelle d'Orléans 15 s

Francis J ammes

L'Antigyde. 12Choix de Poèmes 12 sClairières dans le Ciel 12Cloches pour deux Mariages 12De l'Angelus de l'Aube 15Le Deuil des Primevères 12L'Ecoiebuissonnière. 15Feuilles dans le vent 15 sLes Géorgiques chrétiennes 12

 J anot-Poète. 12Leçons poétiques 12 sLivre des Quatrains, 4 voi. & 5 aMa Fille Bernadette 15 »Ma France poétique 15 >Monsieur  le Curé d'Ozeron 15

Pipe, chien. Le Rêve fran-ciscain. Iles 12 a

Le Poète Rustique 16 sLes Robinsons basques 12Le Roman du Lièvre 15 sLe Rosaire au Soleil 12Le Tombeau de La Fontaine 12Trente-six Femmes 12 »Le Triomphe de la Vie 12La Vierge et les Sonnets 12

Rudyard KiplingActions et Réactions 15Les Bâtisseurs de Ponts 15« Capitaines Courageux 15 »Le Chat Maltais. 15 »Contes Choisis 15 »Du Cran 1 12L'Histoire des Gadsby 12L'Homme qui voulut être roi 15 »Kim,2vol.al5fr. SOLettres du J apon M sLe Livre de la J ungle 15Le Second Livre de la Jungle 15 »Mais ceci est une autre his-

toire. 15 sLa  plus belle Histoire du

Monde. 15Le Retour d'Imray 15 »Sa Majesté le Roi 15Simples Contes de la Mon-

tagne. 12 »StaHty et Cte. 15Sur- le'Mur  de la Ville 15 1

 J ules LaforgueMélanges posthumes 15Moralités légendaires. 15 tPoésies,2vol.&12ir. 24 zŒuMrM complètes (6 volu-

mes  parus), in-Sécu:

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MERCVRE DE FRANCEAniante

Gabriel d'AnnunMo, Saint

Jean du Fascisme. 12 »

Charles Baudelaire

Œuvres en collaboration 20

Vers latins. 10 :t

Ad. van Bever et Paul Léautaud

Poètesd aujourd'hui,

3 vol.

in-16 à 15 fr. 45

Léon BloyL'Ame de  Napoléon 12 a

Au Seuil de l'Apocalypse 15 a

Celle qui pleure 15 a

La Chevalière de la Mort 12 a

Dans les Ténèbres. 12 a

Les Dernières Colonnes de

l'Eglise. 12 a

Le Désespéré 18 a

Exégèse des Lieux Com-

muns, 1 et II, chaq. série.. 15 a

La Femme Pauvre 15 a

Le F ils de Louis XVI 12 aHistoires désobligeantes. 12 a

L'Invendable12 s

Jeanne d'Arc et l'Allemagne 12 aMéditations d'un solitaire 12 a

Le Mendiant ingrat, 2 vol. 24 aMon Journal, 2 vol. 24 s

Pages choisies 15 a

Le Pèlerin de l'Absolu 15 sLa Porte des Humbles. 15 a

Quatre ans de captivité à

Cochons-sur-Marne, 2 vol. 24 aSueur  de Sang 12 a

Le Vieux de la Montagne 12 a

Gabriel BrunetUne femme se cherche. 15 &

Paul Chaponnière

~La

Vie joyeùse de Piron.. 12 &

 J ohn Charpentier  ·

 Napoléon et les Hommes de

Lettres. 12 s

Faut Ctaude)

12 »

Art poétique. 12 s

Connaissance de l'Est 15TIn~-e. 1 à IV, chaque vol. 15 a

ColetteLa Retraite sentimentale 15 n

Sept Dialogues de Bêtes 12 a

Henry Dérieux

La Poésie française contem-

 poraine 1885-1935. 15.~ n

W. Drabovitch

Fragilité de la liberté et sé-

duction des Dictatures. 12 a

André Dubois La Chartre

a Vie de Casanova. 12 s

Georges Duhamel

Civilisation. 15 nLe Club des Lyonnais 12 &Le Combat. 12 n

onfession de Minuit. 15 aDeux Hommes 15 a

égies 9Entretiens dans le'tumulte 15 n

EXTRAIT DU CATALOGUE DU

Géog. cordiale de l'Europe 15Les Hommes abandonnes 15 e

Le Jardin des Bêtes sauvages 15 »

 J ournal de Salavin 15 »La Journée des Aveux etc. 1z »

Lettres au Patagon 12 &La Lumière 7,50Le Notaire du Havre 12 »

La Nuitd'orage

15 tPaul Claudel 15La Pierre dTIoreb 15 aLes Plaisirs et les J eux 15 »Les Poètes et la Poésie 15 »La Possession du Monde 15 .aLe Prince J affar 15 a

Querelles de Famille 12 »

Remarques sur les Mémoires

Imaginaires 5 tScènes de la Vie future 12 »Les Sept dernières plaies 15 »Tel qu'en lui-même 12 »

Vie des Martyrs, 1914-1916 12Le Voyage de Moscou 15 »Vue de la Terre promise.. 15 »

Fernand FleuretDe Gilles de Rais à Apolli-naire 12

De Ronsard à Baudelaire.. 45 »

Yves FlorenneLe Hameau de. l a Solitude. 15 »Le Visage nu 15 »

André Fontainas

Crépuscules 12Les Etangs noirs 12 :1>Histoire de la Peinture fran-

çaise (xrx° et xx* siècles). 15 »La Nef  désemparée 12L'Indécis 12La Via d'Edgar  A. Poe 15 a

Frédéric IlPlus belles  pages. Introduc-

tion et Notes de Ch. A.Cantacuzène 15 ))

G6rard-Gai))yLes véhémences de Louise

Colet 12 »

Edouard GancheFrédéric Chopin 15

Dans le Souvenir de F. Cho-

 pin 15 »

Voyages avec F. Chopin. 20 »

Souffrances de F. Chopin.. 20 »

André GideL'Immoraliste 15 »

Nouveaux Prétextes 15 r

Oscar Wilde 5 sLa Porte étroite 12 »Prétextes 15 »

Maxime Gorki

L'Angoisse 12L'Annonciateur de la Tem-

 pête 12 t.

Les Déchus 15 aLes Vagabonds 15 tVarenka Olessova 1~ »

Remy de Gourmont

Le Chemin de velours 15 a

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7/14/2019 Léon Bloy - Quatre ans de captivité à Cochons-Sur-Marne.pdf

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1902

Heureuse mort de Zola

Léon Bloy jugé par sa femme

"Sanctum canibus D

"Ante porcos"

Comment Dieu traite ses amis

1903

Mystère de Noël

Aristocratie des Maquereaux

Jésus-Christ aux Colonies

Lettre à un condamné à mort

La Revanche de l'Infâme

La Matinée du Vendredi Saint

Trente ans d'assassinatsLes Dernières Colonnes de l'Eglise