Embauche d’un aspirant compagnon (vers 1830) Un apprenti ...
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Plan :
Introduction : Qu’est-ce que l’enseignement technique ?
1. Fin XVIIIe siècle – 1860 : le temps des initiatives locales.
a) Les écoles du Gouvernement.
b) Les cours du soir.
c) Les écoles professionnelles.
d) A la marge de l’enseignement technique : les écoles primaires supérieures.
2. 1860-1945 : la construction d’un ordre d’enseignement.
a) La commission de l’enseignement professionnel de 1864
b) Victor Duruy et l’enseignement secondaire spécial
c) Le renouveau des cours du soir : l’exemple de la SEPR
d) L’action de la IIIe République : les lois de 1880 et 1893
e) La « crise de l’apprentissage » et les cours professionnels obligatoires
f) La loi Astier et l’entre-deux-guerres
g) L’enseignement technique et la guerre
Novembre des Canuts – Faire savoir et Savoir-faire – instruction, formation, apprentissage
Conférence
L’enseignement technique en France et à Lyon (1830 – 1940) par G. Bodé
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L’enseignement technique en France et à Lyon (1830 – 1940)Samedi 24 novembre 2012
Mairie du 4ème arrondissement de Lyon – Salle du Conseil
Par Gérard Bodé, Docteur en Histoire et chargé de
recherche au Service d’Histoire de l’Education
3. De 1945 à aujourd’hui : l’intégration dans un système éducatif unifié.
a) « L’âge d’or » des années 1950
b) La réforme Berthoin et l’intégration dans le second degré
c) Le retour de l’apprentissage, 1971
4. Questionnements contemporains et problèmes anciens.
a) La dimension internationale
b) La dimension locale
c) La dimension de l’établissement.
Conclusion
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Introduction : Qu’est-ce que l’enseignement technique ?
L’expression « enseignement technique » n’est plus guère utilisée depuis une vingtaine
d’années. Elle a été remplacée par celles d’« enseignement professionnel » ou d’« enseignements
technologiques » qui ont été imposées par l’administration de l’Education nationale au cours des
années 1970-1980, tout comme l’expression « enseignement technique » avait été imposée en 1864
par la Commission de l’enseignement professionnel réunie à la demande de Napoléon III. En 1867
dans le premier projet de loi visant à l’institutionnaliser, cet enseignement est défini ainsi :
« L’enseignement technique a pour objet la pratique des arts utiles et l’application des
connaissances scientifiques et artistiques aux diverses branches de l’agriculture, de l’industrie et du
commerce ». Il précise « l’objet de cet enseignement : l’application raisonnée, mais l’application et
non la théorie pure, des connaissances scientifiques et artistiques constitue seule l’enseignement
technique, et c’est cette application à l’industrie, à l’agriculture et au commerce qui en particularise
l’objet ». Le préambule du projet de loi signale aussi que l’épithète de technique a été préférée à
celles de professionnel ou d’industriel qui avaient donné lieu à des débats trop confus.
Un peu plus de 50 ans plus tard, la loi Astier du 25 juillet 1919 donne une nouvelle définition
de l’enseignement technique : « L’enseignement technique, industriel et commercial, a pour objet,
sans préjudice d’un complément d’enseignement général, l’étude théorique et pratique des sciences
et des arts ou métiers en vue de l’industrie ou du commerce »
L’actuel Code de l’éducation distingue « les formations technologiques du second degré [qui]
ont pour objet de dispenser une formation générale de haut niveau ; elles incluent l'acquisition de
connaissances et de compétences techniques et professionnelles. Elles sont principalement
organisées en vue de préparer ceux qui les suivent à la poursuite de formations ultérieures. Elles
peuvent leur permettre l'accès direct à la vie active » et « les formations professionnelles du second
degré [qui] associent à la formation générale un haut niveau de connaissances techniques
spécialisées. Principalement organisées en vue de l'exercice d'un métier, elles peuvent permettre de
poursuivre une formation ultérieure ».
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Ces trois définitions notent l’évolution institutionnelle de cet enseignement : au début (en
1867), il devait surtout être pratique, ne comporter qu’une part réduite de théorie, se concentrer sur
l’application des sciences et des arts à l’agriculture, à l’industrie et au commerce ». En 1919,
l’agriculture a disparu ; elle dispose désormais de son propre enseignement, l’enseignement
agricole. La théorie a réintégré l’enseignement et elle est associée à la pratique. De plus, on
mentionne la nécessité de prodiguer un « complément d’enseignement général ». Aujourd’hui, cet
enseignement est intégré dans l’enseignement du second degré dont il compose deux filière, une
filière généraliste dite technologique qui prodigue un enseignement de haut niveau qui ne doit pas
obligatoirement déboucher sur un métier et une filière professionnelle – qui correspond en fait à
l’ancien enseignement technique – qui vise à l’exercice d’un métier tout en permettant la poursuite
d’études.
Cet enseignement a donc connu une évolution significative. Avant d’en résumer l’histoire, je
pense qu’il est utile d’en dégager certaines caractéristiques, mais aussi de mettre en évidence
certaines ambiguïtés qui subsistent encore de nos jours.
Le premier point à noter, c’est que cet enseignement se définit par ses objectifs et non par son
contenu comme c’est le cas pour les enseignements primaire, secondaire et supérieur. En 1934,
Hippolyte Luc, Directeur général de l’Enseignement technique signalait dans un article rédigé pour
une encyclopédie de l’éducation que l’enseignement général était désintéressé et prodiguait des
cours dont la seule finalité était d’enrichir nos connaissances et notre esprit. Par opposition,
l’enseignement technique poursuivait un but pratique, à savoir donner un travail à ses élèves. Cette
distinction, que l’on retrouve dans de nombreux textes, n’est pas entièrement vraie. D’une part, dès
le XIXe siècle, certaines facultés, à savoir celles droit, de médecine et de théologie, avaient un but
visiblement professionnel. D’autre part, jusque vers la fin des années 1930, les enfants suivaient les
écoles en fonction du rang social de leurs parents. Pour résumer, aux classes populaires, l’école
primaire, aux élites, l’enseignement secondaire qui comprenait des « petites classes » d’instruction
primaire. A cette époque, l’enseignement technique était une continuation de l’enseignement
primaire et l’enseignement supérieur une poursuite de l’enseignement secondaire. Toutes les
politiques de démocratisation de l’enseignement qui se développent après la Seconde Guerre
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mondiale consisteront notamment à détruire ces distinctions sociales. C’est ce qui explique le
rattachement de l’enseignement technique au second degré à partir de 1960.
On peut aussi s’interroger sur la dénomination de cet enseignement : pourquoi technique
plutôt que professionnel ? Sans doute parce que professionnel était trop large et trop vague. Dans la
mesure où elles forment à des métiers, les facultés de droit et de médecine, les écoles normales
d’instituteurs, les séminaires de formation des curés étaient aussi des écoles professionnelles. Or,
l’enseignement technique vise uniquement les métiers du commerce et de l’industrie. Ainsi ni les
architectes, ni les sages-femmes, ni les professeurs ne sont concernés par cet enseignement. Si par
la suite, dans les années 1970 et 1980, le terme de professionnel est réapparu c’est en partie pour
distinguer les deux filières de cet enseignement, mais aussi parce que la palette des métiers avait
profondément changé. Certaines formations qui sont actuellement sanctionnées par un CAP, un
baccalauréat professionnel ou un BTS n’auraient pas été rattachées à l’enseignement technique à la
fin du XIXe siècle.
Une autre question a longtemps était posée : pourquoi avoir créé l’enseignement technique ?
Sous l’Ancien régime, la formation des artisans s’effectuait sur le tas auprès d’un maître, dans son
atelier, par la transmission de savoir-faire, de gestes, de tours de main, etc. C’est que ce qu’on
appelait l’imitatio, l’imitation. Nul besoin de connaissances théoriques trop poussées, il suffisait de
reproduire les manipulations propres à chaque profession. Avec la Révolution industrielle du
XVIIIe siècle, avec l’arrivée de machines de plus en plus perfectionnées et susceptibles de faire le
travail à la place de l’homme, surtout à partir de la Seconde révolution industrielle des années 1890,
l’apprentissage traditionnel ne suffisait plus. Des connaissances scientifiques théoriques devenaient
nécessaires pour comprendre les machines et les manœuvrer. C’est ce que les textes cités ci-dessus
appellent « l’application des connaissances scientifiques et artistiques ».
Mais quel enseignement technique faut-il donner et à qui ? Dans les faits, la mécanisation et
la division du travail va modifier en profondeur le marché du travail. A la place de l’artisan actif,
maitrisant sa tâche de la première à la dernière étape, on va progressivement voir apparaître dans les
grandes entreprises des ouvriers spécialisés dans une tâche répétitive ne demandant aucune
qualification bien précise. Deux thèses en apparence contradictoires s’affrontent sur cette question.
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Chez les uns, les mutations du marché du travail ont conduit à une dévalorisation ouvrière ; ce n’est
plus un artisan fier de son art, mais une pièce interchangeable d’un dispositif complexe. Chez les
autres, l’arrivée des machines nécessite au contraire des compétences accrues non seulement pour
les utiliser, mais aussi pour les entretenir et les réparer. On voit ainsi se développer un corps de
contremaîtres et de chefs d’ateliers disposant de connaissances théoriques suffisantes et de la
capacité pratique nécessaire. Dans la hiérarchie des grandes entreprises, ils se situeront en position
intermédiaire entre les patrons et les ouvriers de base. Or, c’est surtout à eux que s’adressera
l’enseignement technique. Les patrons et directeurs sont formés dans des écoles techniques
supérieures ; les ouvriers ne disposent d’aucune formation. La question de leur formation fera
l’objet d’un débat long et passionné qui n’est peut-être pas toujours terminé.
Une autre question longtemps débattue est celle de la localisation de cette formation. La
commission de 1864-1865 que j’ai déjà évoquée avait trouvé deux formules pour définir les
solutions possibles, à savoir « l’école à l’atelier » ou « l’atelier à l’école ». L’école à l’atelier
désigne l’installation, au sein même des entreprises, d’un centre de formation c’est-à-dire de cours
du soir ou de jour ou encore de véritables écoles professionnelles. Certains entrepreneurs vont s’y
atteler : les Schneider au Creusot, les familles du textile mulhousien au cours du XIXe siècle, ou
encore Renault et Peugeot dans l’entre-deux-guerres. Mais cette solution ne fonctionne que pour les
grandes entreprises. Les petits patrons – ce qu’on appellerait les PME aujourd’hui – ne peuvent pas
se le payer.
La seconde solution, l’atelier à l’école, consiste à fonder des écoles professionnelles de plein
exercice que l’on doterait de l’équipement et du personnel nécessaires pour assurer cette formation.
Mais ces écoles se heurtent à de nombreuses réticences. La plupart des patrons – y compris ceux qui
pourraient le faire – refusent longtemps de créer des écoles dans leurs usines. Ils réclament donc
l’ouverture d’écoles professionnelles et se tournent vers l’Etat et les autorités locales. Mais en
même temps, ils refusent d’abandonner ces écoles au contrôle de l’Etat. Ils peupleront ainsi les
conseils de surveillance de ces écoles pour veiller à leurs intérêts.
Ils se méfient surtout de la conception de l’enseignement technique développée par les
pouvoirs publics. Pour un chef d’entreprise, le jeune sortant de l’école doit être « immédiatement
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utilisable », comme le dira une circulaire de 1893. Ceci signifie que la formation donnée dans les
écoles doit être le plus proche possible de leur poste de travail. C’est pour cette raison aussi qu’ils
demandent que la formation des écoles soit adaptée aux besoins locaux.
L’Etat – et surtout pour le ministère de l’Instruction publique – est plus favorable à une
formation polyvalente. Car que faire quand un ouvrier se trouve au chômage et que sa qualification
est trop spécialisée ? Il risque d’avoir du mal à retrouver un emploi. L’Etat est donc plus favorable à
une formation large par catégories de métiers, de façon à ce que l’ouvrier puisse s’adapter à un
nouveau poste si besoin.
Paradoxalement, les patrons et les syndicats ouvriers sont d’accord sur un point, leur méfiance
de la formation professionnelle impulsée par les pouvoirs publics. A partir de 1892, divers syndicats
ouvrent leurs propres cours du soir au sein des bourses de travail. Ce qu’ils reprochent aux écoles
publiques, c’est de former des jeunes prétentieux dont la tête est bourrée de théories et qui remettent
en cause l’autorité et le savoir-faire des anciens.
A partir de là, syndicats ouvriers et patrons critiquent les programmes d’enseignement des
écoles professionnelles. Ce programme comprend trois parties : un enseignement théorique général
(français, mathématiques, histoire géographie), un enseignement théorique technique (tenue de
livres, sciences appliquées aux métiers, technologie) et enfin un enseignement pratique. Ce dernier
s’effectue dans des ateliers. Or ces ateliers sont systématiquement critiqués. L’opinion des patrons
et des syndicats, c’est que rien ne remplace le lieu de travail pour bien apprendre son métier car les
ateliers des écoles sont des lieux fictifs qui imitent les lieux de production mais qui ne sont pas des
lieux de production. Si l’élève se trompe ce n’est pas grave, il recommencera. Mais dans l’usine ce
n’est pas possible. Cet argument sera repris plus tard, en 1926, par Edmond Labbé, Directeur de
l’enseignement technique pour défendre les écoles : pour lui, cela permet justement au jeune de se
former, de se tromper sans que son erreur soit catastrophique.
On reprochera aussi souvent aux ateliers d’être vétustes, d’utiliser de vieilles machines
dépassées qui ne sont plus employées depuis longtemps dans les entreprises. A ce sujet, j’ai fait une
petite enquête dans plusieurs établissements dont les archives avaient été bien conservées comme
l’actuel lycée Etienne-Mimard de Saint-Etienne ou l’école professionnelle Hippolyte-Fontaine de
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Dijon. Or, s’il faut en croire les archives, ce reproche n’est pas fondé. Les machines fonctionnant
dans ces écoles sont les mêmes que celles utilisées dans les usines. Le seul reproche qui pourrait
être fait aux écoles, c’est qu’elles ne sont pas toujours renouvelées à temps car elles coûtent cher.
C’est d’ailleurs pour cela que fut instaurée en 1925 une taxe d’apprentissage.
L’histoire de l’enseignement technique reste encore assez mal connue, en dépit des travaux
effectués depuis une vingtaine d’années. La plupart des recherches sur l’histoire de l’éducation
portent sur l’école primaire, l’enseignement secondaire, les universités et les grandes écoles. Cette
situation n’est pas fortuite. Elle traduit certainement un réel déficit d’image et de mémoire. Déficit
d’image car, jusqu’à nos jours, cet enseignement paraît peu prestigieux et reste encore vécu par de
nombreux parents d’élèves comme un échec. On pense généralement que n’accèdent aux filières
technique et professionnelle que ceux qui ne sont pas capables de suivre des études générales et de
continuer leur formation dans l’enseignement supérieur. Il suffit pourtant d’observer les critères de
sélection dans les IUT ou les réussites des baccalauréats professionnels pour constater que la réalité
est sans doute plus complexe. Déficit de mémoire, comme si son relatif discrédit décourageait la
recherche historique. Pourtant, connaître son passé, s’inscrire dans une tradition peuvent aussi
correspondre à une reconnaissance, à une valorisation de son métier.
Pourtant cette histoire est au moins aussi ancienne que celle de l’enseignement primaire.
D’ailleurs, leur cheminement a longtemps été parallèle. Tous deux existaient de façon diffuse entre
la fin du Moyen Age et la Révolution française. Tous deux ont fait l’objet d’intenses débats
théoriques à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Tous deux, enfin, ont été institutionnalisés
au cours du XIXe siècle et dans ce processus leurs destinées ont souvent été étroitement liées.
Je me propose donc de dresser ici un tableau de cette histoire. Ce tableau concerne toute la
France et non pas la seule ville de Lyon. Néanmoins, chaque fois que je le pourrai je choisirai des
exemples de l’enseignement technique lyonnais. Je diviserai cette histoire en trois périodes, la
première allant de la fin du XVIIIe siècle à 1860, la seconde 1860 à 1945 et la dernière de 1945 à
nos jours. J’ai surtout travaillé sur les deux premières périodes et je serai donc plus rapide pour la
dernière. Dans un premier temps, je n’avais d’ailleurs pas prévu d’en parler, mais ce serait peut-être
dommage de s’arrêter en 1945. L’histoire de cet enseignement est très compliquée. J’ai essayé de la
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synthétiser autant que possible. Cela n’a pas été facile et il y aura certainement beaucoup de points
qui ne seront pas abordés.
Si nous avons le temps, et si vous n’êtes pas assommés par mon discours, je pourrai peut-être
évoqué, en fin d’exposé, trois aspects qui me paraissent intéressants, à savoir la dimension
internationale, la dimension locale et la dimension de l’établissement.
1. Fin XVIIIe siècle - 1860 : le temps des acteurs locaux.
La première période se caractérise par l’extrême discrétion de l’État, quel que soit le régime
en place. L’État se contente, d’une part de fonder un certain nombre d’écoles pour former des
agents pour ses propres besoins, d’autre part, de veiller au respect de la législation et de la
réglementation, très maigres d’ailleurs, et enfin, d’encourager la création d’écoles d’enseignement
technique en distribuant des objets (manuels scolaires, moules en plâtre pour les cours de dessin) ou
des subventions. De ce fait, l’enseignement technique se développe surtout grâce aux acteurs
locaux, soit privés (individus isolés, associations, chefs d’entreprises), soit publics (municipalités,
quelquefois les conseils généraux), sous l’œil vigilant de l’État. Ce mode de fonctionnement
entraîne une forte hétérogénéité des structures qui cherchent à s’adapter aux besoins particuliers de
chaque territoire. En dépit de cette dispersion, il est néanmoins possible de déceler plusieurs vagues
de créations.
a) Les écoles du Gouvernement
En premier, on citera les écoles fondées par l’État, qu’il s’agisse des écoles militaires de
l’Ancien régime (écoles d’artillerie, écoles du génie) créées à partir du règne de Louis XIV ou
encore des écoles techniques civiles du règne de Louis XV (école des ponts et chaussées, école des
mines de Paris). Cette politique est poursuivie sans rupture évidente sous la Révolution (école
polytechnique, conservatoire des arts et métiers) et sous le Premier Empire (écoles pratiques des
mines, écoles d’arts et métiers de Compiègne/Châlons-sur-Marne et de Beaupréau/Angers). Par la
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suite, ce maigre réseau d’écoles nationales est complété par quelques rares créations : écoles d’arts
et métiers d’Aix-en-Provence et de Cluny, écoles des mineurs de Saint- Étienne, Alès et Douai.
Quelques écoles de même finalité, quoique privées leur emboîtent le pays : Ecole centrale des arts
et manufactures, Ecole centrale lyonnaise. On trouve ici toutes les futures grandes écoles, ce qui fait
dire aux historiens que l’enseignement technique a été créé par le haut. Ce n’est pas faux, mais il
faut cependant noter que le conservatoire des arts et métiers, les écoles des mines de Saint-Étienne,
Alès et Douai et les écoles des arts et métiers sont, lors de leur création, destinés à former des
ouvriers et des contremaîtres. Il faut encore noter que ces établissements sont les premières écoles
nationales fondées en France, tous ordres d’enseignement confondus.
b) Les cours du soir
Une seconde vague de créations intervient sous la Restauration et la Monarchie de Juillet avec
l’émergence des cours industriels pour ouvriers. Le premier est ouvert en 1819 au conservatoire des
arts et métiers par le baron Dupin qui se fera le propagateur de ce type d’enseignement avec l’appui
de l’État. D’autres apparaissent dans l’Est de la France (Mulhouse, Metz, Strasbourg, Nancy), dans
le Midi (Marseille), sur la façade atlantique (Saint-Brieuc, Nantes, La Rochelle, Bordeaux), certains
s’inspirant de l’initiative de Dupin (Saint-Brieuc, Nancy ou La Rochelle), d’autres émanant
d’initiatives locales (Mulhouse, Metz). Avec la Révolution de Juillet, de nouveaux cours sont
ouverts à Paris par l’Association polytechnique formée de jeunes polytechniciens soucieux de
diffuser leur savoir auprès des ouvriers selon une vision philanthropique socialisante ; en 1848,
l’Association philotechnique, formée par des dissidents de l’Association polytechnique poursuit le
mouvement. Ces deux associations propagent les cours en ouvrant des filiales à travers toutes la
France.
La grande période de ces cours se situe entre 1825 et 1845. Par la suite, certains se
transforment en écoles primaires supérieures (Nancy) ou en écoles professionnelles municipales
(Strasbourg, Metz). Certains ne connaissent qu’une durée éphémère (La Rochelle qui n’est attestée
que pour la seule année 1828, Saint-Brieuc créé en 1819, s’interrompt tout de suite pour être récréé
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en 1821, puis disparaît à partir de 1828), d’autres, en revanche ont une longévité étonnante : celui
de Tulle, créé en 1828, fonctionne toujours sous la forme d’un CFA.
Ces cours constituent, en quelque sorte, un enseignement par alternance avant la lettre. Ils
accueillent des apprentis et des ouvriers qui suivent, le soir après le travail, des enseignements
théoriques susceptibles de les aider dans leur pratique professionnelle quotidienne. Ils sont donnés
par des enseignants bénévoles, suivis par des élèves volontaires, soutenus par les pouvoirs publics
(préfet, mairie), acceptés par les employeurs. Ils s’adressent essentiellement au monde des artisans
urbains. Pour l’histoire de l’enseignement technique, leur importance est considérable car ils
apparaissent comme la première forme largement diffusée d’un enseignement à caractère
professionnel.
c) Les écoles professionnelles
On voit aussi apparaîtra durant cette période des écoles isolées fondées par des individus
(comme l’école Pigier créée à Paris en 1852), des chefs d’entreprise (comme les Schneider au
Creusot) ou encore des communes, comme l’école La Martinière de Lyon.
Tous les Lyonnais connaissent l’école La Martinière. Elle est née à la suite d’un legs du major
général Martin pour l’ouverture d’une école « pour instruire un certain nombre d’enfants des deux
sexes » dans les arts mécaniques. L’enseignement comprenait des matières générales (écriture,
grammaire, morale) et quelques matières techniques (dessin, chimie). L’école devait former des
employés et des chefs d’entreprises pour l’industrie et le commerce. Dans les faits, jusque vers
1860, elle offre surtout des débouchés pour le commerce. Elle ne disposait pas d’ateliers mais
effectuait néanmoins quelques manipulations de teinture pour soie ou des cours sur des métiers à
tisser.
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d) A la marge de l’enseignement technique : les écoles primaires supérieures
La vague de création suivante résulte de la loi Guizot du 28 juin 1833 qui à côté des écoles
primaires élémentaires, organise un nouvel enseignement, l’enseignement primaire supérieur.
Guizot destinait ces écoles à ce qu’il appelait « les classes moyennes », à savoir toute cette couche
de la société urbaine qui n’appartenait pas encore au monde des notables mais qui était déjà sortie
des classes populaires et dont l’activité économique était liée au commerce et à l’industrie. Cette
classe moyenne ne tirait aucun fruit de l’enseignement classique des collèges royaux ou municipaux
fondé sur les lettres et le latin. Le ministre auquel on prête le mot d’ordre « Enrichissez-vous ! »
était parfaitement conscient de la nécessité d’accorder un enseignement adapté aux besoins de cette
classe moyenne si utile pour l’économie nationale ; il n’était cependant pas prêt à l’intégrer dans
l’enseignement secondaire destiné aux élites de la culture et de l’argent. Ce pas ne sera franchi
qu’en 1864 avec la création de l’enseignement secondaire spécial par Victor Duruy.
Les écoles primaires supérieures, comme plus tard les écoles secondaires spéciales, ne sont
pas à proprement parler des écoles professionnelles. Elles ne délivrent aucun enseignement de type
industriel ou commercial. Elles accordent simplement une place plus importante aux sciences
appliquées, à des notions de droit et d’économie, au dessin. En revanche, elles font table rase des
humanités classiques et tentent de donner un caractère concret aux enseignements généraux
(français, histoire géographie ou sciences naturelles). Par le biais d’activités extrascolaires telles
que les visites d’usine, elles établissent un contact avec le monde du travail.
Oubliée par loi Falloux de 1850, cette première génération d’écoles primaires supérieures a
longtemps été négligée. Nombreuses ont cependant été les écoles subsistant jusqu’à la Troisième
République. Beaucoup d’autres ont été transformées sous le Second Empire en écoles industrielles
ou en écoles professionnelles. Leur instauration a aussi obligé diverses communes, sous la pression
de l’État, à structurer leur organisation scolaire, à y intégrer des écoles à caractère professionnels,
soit par transformation des cours du soir, soit par création de sections professionnelles dans les
écoles de dessin, soit par création de véritables écoles professionnelles.
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De toutes les écoles fondées durant cette période, les plus importantes seront les écoles d’arts-
et-métiers car elles vont imposer le modèle de l’école d’enseignement technique à la française. Elles
sont en effet dotées, dès leur création en 1806, de quatre ateliers de bois et de fer dans lesquels les
élèves s’exercent à tour de rôle et où ils construisent des machines. C’est le modèle de « l’atelier à
l’école » que l’on retrouvera par la suite dans de nombreux établissements.
2. De 1860 à 1945 : la construction d’un nouvel ordre d’enseignement.
L’exposition universelle de Londres de l’année 1862 apparaît comme un déclencheur pour le
développement de l’enseignement technique. Les Français qui en reviennent, que ce soient des
représentants de l’Etat, des chefs d’entreprises et même des délégués ouvriers, ont pris conscience
du retard de la France sur l’Angleterre. En effet, comme la France vient de signer un traité de libre-
échange avec l’Angleterre, ils craignent les effets de la concurrence et cherchent à creuser ce retard.
L’une des solutions préconisées est la formation des ouvriers.
a) La Commission de l’enseignement professionnel
En 1862-1863, Napoléon III convoque une commission de l’enseignement professionnel
réunissant des membres du ministère de l’Instruction publique et du ministère du Commerce, des
représentants du monde industriel et des directeurs d’écoles techniques. C’est cette commission qui
va inventer l’expression « enseignement technique » et en donner une première définition. Certains
souhaitent instaurer une « Université du travail » parallèle à l’Université impériale créée par
Napoléon Ier en 1802. Il est même question d’établir un baccalauréat technique. Comme Victor
Duruy dans sa circulaire sur l’enseignement secondaire spécial, la commission distingue également
trois niveaux de formation requérant trois catégories d’écoles propres, à savoir en bas, les ouvriers,
au centre, les contremaîtres et ce qu’on appellerait aujourd’hui les techniciens, et au haut de
l’échelle, les ingénieurs et les cadres. Mais la commission décide finalement … de ne rien décider.
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Elle maintient le statu quo, se contente de créer un conseil supérieur de l’enseignement technique et
de préparer une loi qui ne sera pas votée à cause de la guerre franco-allemande.
b) Victor Duruy et l’enseignement secondaire spécial
En 1863, le ministre de l’Instruction publique, Victor Duruy préconise la création d’un
nouveau type d’établissements appelés écoles secondaires spéciales qui devaient constituer une
véritable filière secondaire non classique, donc relevant de l’autorité de l’État et non de
l’administration communale. Cette initiative connaît un réel succès et les écoles se multiplient,
mais, pour des raisons budgétaires – déjà - elles sont implantées au sein des lycées impériaux et se
transformeront peu à peu en section scientifique de l’enseignement classique, situation qui est
officialisée par la loi Leygues de 1901.
c) Le renouveau des cours du soir : l’exemple de la SEPR
Les cours du soir formés durant les années 1830-1840 n’ont pas tous été des créations
durables, comme nous l’avons vu. Néanmoins, les plus importants, comme les Association
polytechnique et philotechnique se sont développés durant le Second Empire et les débuts de la
Troisième République en offrant des formations qui n’étaient pas assurées ailleurs.
On constate, à partir des années 1860, un renouveau de ce type de cours. L’exemple le plus
connu, et celui qui connaît le plus grand succès, est la Société d’Enseignement Professionnel du
Rhône, la SEPR, créée en 1864 à l’initiative du marchand de soie Arlès Dufour. Dès l’année 1864,
neuf cours masculins sont ouverts en chimie, mathématiques appliquées, pratique des chantiers,
dessin d’ornement, grammaire, arithmétique commerciale, tenue des livres et droit commercial. A
l’origine, ils s’adressaient uniquement aux jeunes gens ouvriers des ateliers ferroviaires d’Oullins et
employés du Crédit lyonnais. Par la suite, l’offre de cours se diversifie considérablement. Des cours
féminins sont également ouverts pour les ouvrières tisseuses, raccommodeuses de tulle, couturières
de la Croix-Rousse. La progression est rapide. En 1864, 1359 élèves sont inscrits ; en 1874, ils
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seront 2405, en 1884 4579, finalement en 1964, un siècle après leur création ils enregistrent 18726
élèves. Les cours font des émules puisque dès 1866 le département de la Loire crée sa propre
Société d’enseignement professionnel, qui connaîtra moins de succès. A l’origine, la SEPR
organisait des cours dans des lieux très variés. Aujourd’hui, elle est regroupée dans des locaux de la
rue Rochaix. En 2014, elle fêtera son 150ème anniversaire qui donnera lieu à l’organisation d’un
colloque et à la publication d’un livre.
d) Les écoles d’apprentissage
Le Second Empire connaît une dernière vague de créations d’écoles d’origine diverses ;
certaines sont des transformations de structures antérieures, d’autres sont l’œuvre de philanthropes
isolés (comme l’école industrielle de Toulon), d’autres émanent de sociétés industrielles fondés par
des chefs d’entreprises (comme à Mulhouse, Reims ou Elbeuf), d’autres encore sont des fondations
municipales comme au Havre et à Rouen. Ce qui caractérise un certain nombre de ces écoles, c’est
leur volonté de se rapprocher de l’univers réel du travail. Elles prennent une nouvelle dénomination
et se font appeler « écoles d’apprentissage » ; suivant le modèle des écoles d’arts et métiers, elles
installent des ateliers dans leurs locaux et prétendent initier les élèves aux véritables tâches
productives.
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e) L’action de la IIIe République : les lois de 1880 et 1893
C’est la Troisième République qui mettra en place le premier réseau public d’écoles
d’enseignement technique. La loi du 11 décembre 1880 portant création des écoles manuelles
d’apprentissage s’inscrit dans un contexte de rénovation des institutions scolaires. Les Républicains,
qui entre 1875 et 1879, ont obtenu la majorité à la Chambre des députés, étaient persuadés que
l’Allemagne devait en grande partie sa victoire au travail de ses instituteurs, c’est-à-dire à ses
institutions scolaires. Aussi, mettent-ils en œuvre, entre 1880 et 1886, toute une série de décisions
pour rénover l’appareil scolaire français : les lois Ferry de 1881 et 1882 et la loi Goblet de 1886 sur
l’enseignement primaire, la loi Camille Sée sur l’enseignement secondaire féminin en 1880, les
décrets de 1885 sur les Universités et la loi de 1880 sur l’enseignement technique.
Cette loi et ses décrets d’application prévoient deux types d’écoles, les unes sous la tutelle du
ministère du Commerce et de l’Industrie, les autres sous celle de l’Instruction publique, toutes les
deux étant gérées en commun par les deux ministères : c’est ce qu’on appelle le système du
condominium. En réalité, très peu d’écoles prendront le titre d’écoles manuelles d’apprentissage. La
loi fixe simplement un cadre permettant l’ouverture d’écoles publiques, municipales ou
départementales, subventionnées par l’État en vue de délivrer un enseignement professionnel. Elle
marque donc une prise de position très nette de l’État en faveur du développement d’un
enseignement technique public et constitue ainsi un véritable tournant dans la politique scolaire.
D’autre part, elle révèle très clairement l’existence de deux visions de l’enseignement
professionnel portées l’une par le ministère de l’Instruction publique et l’autre par le ministère du
Commerce et de l’Industrie, deux visions qui, au terme d’un processus presque séculaire, aboutiront
à la scission de l’enseignement technique en deux filières, à savoir les enseignements
technologiques et l’enseignement professionnel actuels. Pour l’Instruction publique, il ne suffit pas
de former de bons professionnels, il faut aussi former des hommes et des citoyens. L’enseignement
technique ne doit donc pas négliger l’enseignement général, il doit dispenser une culture spécifique,
ce qu’on appellera dans les années 1920, une culture technique. Dans le même ordre d’idées, la
formation professionnelle ne doit pas être trop spécialisée. Elle doit plutôt être polyvalente pour
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permettre aux élèves de s’adapter à l’évolution des techniques, aux mutations économiques et aux
bouleversements du marché du travail.
Le ministère du Commerce et de l’Industrie, soutenu aussi bien par les milieux patronaux que
par une partie des mouvements ouvriers – pour des raisons divergentes – se montre plus réservé à
l’égard de la culture générale. Il considère que les élèves des écoles techniques, qui sortent de
l’école primaire, disposent déjà d’un bagage suffisant et qu’il est inutile de les encombrer de
notions qui non seulement ne leur seront d’aucune utilité mais qui, de plus, risquent de donner
naissance à des prétentions irréalistes et à les détourner de leur chemin. Cette vision préconise
également un enseignement plus spécialisé apte à former des ouvriers « immédiatement
utilisables » (selon la formule de l’époque) pour des métiers bien précis.
Cette divergence de conception aboutit à un véritable conflit entre les deux ministères qui
profite d’abord au ministère du Commerce et de l’Industrie en attendant que tout l’enseignement
technique soit rattaché à l’Instruction publique en 1920. Toujours est-il qu’à partir de la loi de 1880,
un premier réseau d’écoles se met en place : les écoles nationales professionnelles entre 1881 et
1887, les écoles pratiques de commerce et d’industrie à partir de 1892, puis les cours professionnels
obligatoires qui seront au cœur du débat à partir de 1900.
Les écoles nationales professionnelles, qui seront transformées en lycées techniques d’État en
1960 et sont donc les ancêtres des actuels lycées techniques régionaux, sont d’abord marquées par
un échec retentissant. Établissements nationaux, ils recrutent sur tout le pays et, devant l’affluence
des candidats, instaurent des concours d’entrée reposant surtout sur la culture générale et les
connaissances théoriques. Dotées dès le départ d’ateliers inspirés des écoles d’arts et métiers et où
les élèves passent les deux tiers de leur temps d’enseignement, elles élèvent progressivement leur
niveau et ouvrent des sections spéciales pour la préparation des concours d’entrée aux arts et
métiers. Elles perdent ainsi leur caractère d’école professionnelle stricto sensu pour entrer dans une
logique de passage vers des écoles de niveau supérieur. De ce fait, elles sont rapidement l’objet de
critiques acerbes de la part des entrepreneurs, ce qui amène le ministère du Commerce à les
abandonner. Jusqu’en 1914, seules quatre écoles de ce type fonctionnent. Il faudra attendre l’Entre
deux guerres, dans un contexte nouveau, pour que ces écoles, avec une structure et des finalités
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nouvelles puissent se développer et pour qu’elles soient aussi ouvertes aux jeunes filles. Elles ne
réussiront cependant jamais à se débarrasser de leur caractère élitiste et, en 1960, au moment de leur
transformation en lycées techniques, il n’en existe que 30 dans tout le pays.
Les écoles pratiques de commerce et d’industrie sont créées en 1892 et rattachées tout de suite
au ministère du Commerce et de l’Industrie. Il s’agit d’écoles communales ou départementales dont
le personnel enseignant est payé par l’État. Leur enseignement, à la fois théorique et pratique,
général et professionnel, est donné dans deux sections, une commerciale et une industrielle. Les
études sont sanctionnées par un diplôme spécifique, le certificat d’études pratiques industrielles ou
commerciales, transformé en 1934 en brevet d’études industrielles (BEI) ou commerciales (BEC).
Chargées de former des ouvriers « immédiatement utilisables », elles cherchent à éviter les travers
des écoles nationales professionnelles et mettent en œuvre un programme pratique défini par un
conseil de perfectionnement en fonction des besoins locaux. Dotées aussi d’ateliers bien équipés,
elles connaissent un succès rapide. Entre 1892 et 1941, au moment de leur transformation en
collèges techniques, elles passent de 12 à 122. En dépit de ce succès, elles sont néanmoins très
rapidement critiquées car, trop peu nombreuses, elles n’accueillent pas assez d’élèves et sont
accusées de former des ouvriers d’élite difficiles à intégrer dans les entreprises car jugés trop
prétentieux. Les entrepreneurs leur reprochent également d’être coupées de la production,
l’apprentissage dans leurs ateliers protégés ne reflétant guère la dure réalité du travail. De plus, en
raison du niveau jugé trop élevé de leur enseignement général, elles n’attirent pas les apprentis
ayant quitté précocement l’enseignement primaire.
f) La « crise de l’apprentissage » et les cours professionnels obligatoires
Aussi voit-on, autour de l’année 1900 l’émergence d’un débat passionné sur la « crise de
l’apprentissage ». Les écoles techniques ne répondent pas aux attentes des entrepreneurs. Elles sont
boudées par les apprentis qui ne veulent pas d’une formation scolarisée. Mais, en même temps
l’apprentissage traditionnel n’attire plus personne et les artisans urbains, à Paris notamment, se
plaignent de l’absence de candidats. Dans une enquête lancée en 1901 par l’Office du travail, deux
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tiers des réponses se montrent favorables à l’instauration de cours professionnels obligatoires pour
tous les apprentis de moins de 18 ans. De tels cours existent déjà dans certaines municipalités,
lointains avatars des cours du soir de la Restauration ou dans certaines entreprises industrielles
comme les Aciéries de Villerupt en Meurthe-et-Moselle, ou encore dans diverses Bourses du Travail
où ils sont organisés par les syndicats. Mais, le débat se focalise sur l’expérience allemande des
cours de perfectionnement qui proposent, sous l’égide des toutes nouvelles chambres de métiers
fondées en 1898 dans le Reich, une formation obligatoire en alternance sanctionnée par un diplôme,
soumise au contrôle des corps de métiers sous la tutelle des municipalités. Le débat amène le
ministre de l’Instruction publique, Dubief, à préparer en 1905 un projet de loi sur l’enseignement
technique, dont le rapporteur est Placide Astier, et qui prévoyait l’instauration de ces cours, loi qui
ne sera votée, après de longues polémiques, qu’en 1919.
A la veille de la Première Guerre mondiale, un véritable réseau d’écoles d’enseignement
technique a bien été constitué. A côté des écoles déjà citées, on peut encore signaler les écoles de
commerce organisées par les chambres de commerce, les écoles professionnelles de la ville de
Paris, les sections techniques instaurées par le ministère de l’Instruction publique dans les écoles
primaires supérieures réorganisées et fortement développées à partir de 1878 ou encore les diverses
écoles d’enseignement supérieur que la réforme des universités entreprise par Louis Liard a permis
de créer. Pourtant, le débat, sur la « crise de l’apprentissage » le révèle bien, malgré cette politique
volontariste, le public touché par ces écoles est très faible. Selon une enquête du ministère du
Travail de l’année 1906, sur environ 800.000 apprentis, masculins et féminins, susceptibles d’être
formés, seuls 87.000 suivent un enseignement professionnel dans les écoles ou les cours techniques.
C’est-à-dire que prêt de 90 % du public potentiel ne bénéficie d’aucune formation, aussi minime
soit-elle.
f) La loi Astier et l’entre-deux-guerres
Dès les années 1900, une implication progressive de l’Etat dans la construction de
l’enseignement technique était perceptible. De nouvelles écoles nationales professionnelles sont
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projetées, une extension du réseau des écoles pratiques de commerce et d’industrie est envisagée,
l’adoption de la loi sur l’enseignement technique semble imminente. Le conflit retarde cette
évolution mais ne la brise pas. Le 25 juillet 1919 la loi Astier est promulguée et dote désormais
l’enseignement technique d’une véritable charte dont l’article 47 instaure les cours professionnels
obligatoires. En 1920, la Direction de l’enseignement technique est définitivement rattachée au
ministère de l’Instruction publique mais dépend d’un sous-secrétariat d’État spécifique et autonome
de l’administration centrale du ministère ; en 1922, l’orientation scolaire est mise en place ; en
1923, des chambres de métiers sur le modèle allemand sont chargées d’organiser l’artisanat ; en
1925, la loi de finances crée une taxe d’apprentissage pour financer les écoles et cours
d’enseignement technique et, en 1928, le contrat d’apprentissage écrit est rendu obligatoire et
comprend une clause sur la fréquentation des cours professionnels. Institutionnellement,
l’enseignement technique devient un quatrième ordre d’enseignement, à côté du primaire, du
secondaire et du supérieur jusqu’à la réforme Berthoin de 1959.
Cette indépendance apparaît cependant assez vite comme un leurre. A plusieurs reprises, le
sous-secrétariat est supprimé pendant des périodes assez longues. Progressivement, par diverses
mesures financières et administratives, l’autonomie de la Direction de l’enseignement technique est
rognée : dès 1926, son budget est intégré dans celui du ministère, des concours de bourses
communs sont organisés pour les élèves du technique et ceux du primaire, les recteurs et les
inspecteurs d’académie obtiennent des pouvoirs de contrôle sur les écoles d’enseignement. De plus,
l’enseignement technique participe au débat sur l’école unique lancé par les Compagnons de
l’Université en 1919. Le projet de Jean Zay, en 1937, intègre clairement cet enseignement dans le
second degré comme le feront, par la suite, tous les projets de réforme de l’enseignement de la
Quatrième République. On pourrait considérer a priori qu’il ne s’agit là que d’épiphénomènes
d’ordre administratif, sans grande conséquence sur le devenir de cet enseignement. En réalité, le
rattachement à l’Instruction publique est mal vu par les industriels dont les représentants
commencent à déserter les conseils de perfectionnement des écoles et à moins s’investir dans la
formation professionnelle. L’instauration de la taxe d’apprentissage, notamment, les irrite
profondément. Les instances patronales, tout comme les syndicats ouvriers d’ailleurs, se sentaient
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mieux compris par le ministère du Commerce et de l’Industrie et soupçonnent, pas toujours à tort
d’ailleurs, le ministère de l’Instruction publique (transformé en ministère de l’Education nationale
en 1932) à préconiser la scolarisation de tous les apprentissages aux dépens d’autres modes de
formation.
Néanmoins de 1919 à 1932, l’enseignement technique connaît une grande extension. Les
effectifs doublent pratiquement et la progression est surtout forte chez les filles. De nombreuses
petites écoles privées préparant aux métiers du tertiaire apparaissent sur tout le territoire national.
Elles profitent notamment aux filles en les préparant aux emplois de bureau. Un nouveau type
d’établissement, les écoles de métiers, est créé. La Direction de l’enseignement technique tente avec
de sérieuses difficultés cependant de développer les cours professionnels obligatoires. Elle essaie
enfin d’introduire une certaine cohérence et une hiérarchie dans les divers types d’écoles dans un
plan de rénovation qui ne sera jamais appliqué ;
Cette période s’achève avec la crise économique et la montée du chômage. Entre 1932 et
1939, l’enseignement technique est utilisé comme un moyen de lutte contre la crise. Dès 1932, des
mesures pour le reclassement professionnel des chômeurs prévoient la mise en place de centres
délivrant un enseignement allégé pour permettre aux élèves d’être formés plus rapidement. De son
côté, le ministère du Travail ouvre en 1935 des centres de réinsertion professionnelle des chômeurs.
En 1937, plusieurs textes réglementaires (la loi Walter-Paulin, le décret sur les ateliers-écoles)
remettent l’apprentissage au goût du jour. Surtout, on constate un fort développement de
l’orientation professionnelle obligatoire par un décret-loi de 1938. Pour éviter que de nombreux
jeunes ne perdent de temps en essayant d’apprendre un métier pour lequel ils ne sont pas faits, des
tests sur leurs capacités et leurs chances de réussite deviennent systématiques.
g) L’enseignement technique et la guerre
De 1939 à 1944, les années de guerre voient l’émergence, pour des raisons conjoncturelles,
d’une nouvelle structure, les centres d’apprentissage. Ces centres ont été créés en septembre 1939
par Daladier comme centres de formation professionnelle accélérée. Ils devaient former en six mois
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L’enseignement technique en France et à Lyon (1830 – 1940) par G. Bodé
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des ouvriers nécessaires à l’industrie de guerre. Après le défaite de 1940, ils sont maintenus et
développés sous des noms divers par le régime de Vichy. Ils servent à la fois à occuper les jeunes
durant cette période difficile et à les endoctriner dans les valeurs de la Révolution nationale. Vichy
se lance aussi dans une réforme des institutions scolaires avec l’objectif de revenir aux valeurs
traditionnelles de la société française qui avaient été sapées par la politique du Front populaire.
Ainsi, en 1941, la réforme Carcopino transforme les écoles pratiques de commerce et d’industrie en
collèges techniques et les écoles primaires supérieures en collège moderne. L’objectif de Vichy était
de protéger les élites traditionnelles en empêchant les enfants des classes populaires de fréquenter
les lycées, d’où la création de ces structures. De ce fait, le régime de Pétain, ouvre sans le vouloir la
voie d’une démocratisation de l’enseignement en généralisant la scolarisation prolongée de
nombreux élèves qui seraient sans doute sortis de l’école.
3. De 1945 à aujourd’hui : l’enseignement technique dans un système éducatif unifié
A partir de 1945, l’enseignement français subit des réformes profondes. Le plan Langevin-
Wallon de 1947, et les multiples projets qui lui succèdent jusqu’en 1959, veulent instaurer la
démocratisation de l’enseignement, c’est-à-dire permettre au plus grand nombre d’accéder à l’école
et ne plus laisser l’origine sociale des élèves décider de leur cursus scolaire. Dans tous ces plans,
l’enseignement technique est intégré dans l’enseignement du second degré dont elle doit constituer
une ou plusieurs filières. Les débats sont longs car les structures politiques de la Quatrième
République alourdissent les processus de prise de décision. Il faudra attendre l’arrivée de Charles de
Gaulle au pouvoir en 1959 pour que la réforme aboutisse enfin.
a) « L’âge d’or » des années 1950
En attendant la réforme, l’enseignement technique vit, au cours de ces années 1950, un
véritable « âge d’or ». De 1944 à 1949, il est réformé en profondeur car l’arrivée des centres de
formation professionnelle, rebaptisés centres d’apprentissage modifie complètement les structures
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L’enseignement technique en France et à Lyon (1830 – 1940) par G. Bodé
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et les dimensions de cet enseignement. En effet, en 1944, ce sont plus de 900 centres qui sont
rattachés à l’enseignement technique. Leurs élèves sont nettement plus nombreux que ceux de
toutes les écoles techniques réunies. Ces centres obtiennent un statut en 1949. Pour former leur
personnel, on crée aussi des nouvelles écoles normales, les ENNA, ou écoles normales nationales
d’apprentissage. Il n’y en aura que cinq ; l’une d’entre elle est installée à Lyon. Mais de ce fait,
l’enseignement technique se scinde en deux, avec d’une part l’enseignement professionnel dispensé
dans les centres d’apprentissage, et d’autre part l’enseignement technique délivré dans les écoles
nationales professionnelles et les collèges techniques dont les élèves peuvent aspirer à préparer les
arts et métiers ou à passer la nouvelle mention technologique ajoutée au baccalauréat en 1946.
Néanmoins, avec ces deux branches concurrentes, l’enseignement technique constitue une
véritable filière pour les élèves sortis de l’école primaire. Cette époque est aussi caractérisée par le
poids croissant de l’État. Au sortir de la guerre, il existe un véritable consensus à ce sujet. C’est
sans doute à cette époque précise que le pouvoir central s’impose définitivement comme
l’interlocuteur majeur. Le processus était en cours depuis 1920 avec le transfert au ministère de
l’Instruction publique, ministère entièrement dévolu à l’enseignement à la différence du ministère
du Commerce et de l’Industrie. La politique interventionniste contre le chômage, l’action du Front
populaire intervenant directement dans le champ économique et en reliant l’école l’entreprise, puis
le régime de Vichy avaient imposé l’omniprésence de l’action de l’État. Des mesures telles que le
monopole de la délivrance des diplômes affirmée en 1941 ont un caractère symboliques. La
Libération, puis la Quatrième République ne renient pas cette évolution. Et cette tendance est
soutenue, en ces années 1944-1952 par un réel consensus sur la scolarisation des apprentissages.
Tous les partenaires, les syndicats, les chefs d’entreprises, les enseignants, ainsi que l’ensemble des
partis politiques, considèrent que l’État doit prendre entièrement en charge la formation
professionnelle et que celle-ci devra, de préférence, s’effectuer à l’école.
La seconde caractéristique de cette période, c’est l’achèvement de l’édification de
l’enseignement technique. Au cours des siècles précédents, un enseignement technique supérieur,
puis un enseignement technique intermédiaire avaient été mis en place. L’enseignement technique
élémentaire, à savoir la formation des ouvriers, n’avait toujours pas trouvé de solution satisfaisante.
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Avec les cours Astier puis, à partir de 1939, avec les centres d’apprentissage, ce niveau est
désormais organisé. Certes, les cours Astier ne donnent pas les résultats escomptés. Ils permettent
néanmoins à nombreux apprentis d’acquérir une formation professionnelle et un diplôme, le
certificat d’aptitude professionnelle, créé en 1919 par la loi Astier en remplacement de l’ancien
certificat de capacité professionnelle datant de 1911. Les centres d’apprentissage, création
conjoncturelle dans le contexte de l’effort de guerre, sont devenus après 1944 un réseau dense et
complet où, en trois années, des métiers industriels ou commerciaux étaient appris et dont les élèves
sortaient avec un diplôme monnayable sur le marché du travail. La création et le développement de
la formation permanente et de la formation continue (qui relève du ministère du Travail) complètent
ces structures. En 1958, l’enseignement technique est bien une filière complète, de la formation de
l’ouvrier à celle de l’ingénieur qui s’offre à tous ceux, issus du primaire, qui souhaitent s’engager
dans le monde du travail en dehors des études classiques.
Autre caractéristique de l’époque qui sera reprise dans les années 1980, l’enseignement
technique devient un instrument de la politique économique et surtout de la politique de l’emploi.
Qu’il s’agisse de la crise des années 1930, de la période de guerre ou de la période de la
reconstruction, l’enseignement technique n’est plus simplement appelé à former des jeunes mais
aussi à en garantir l’insertion professionnelle. La création de centres de rééducation pour chômeurs
en 1935, la politique de développement des centres d’apprentissage sous Vichy, la récupération des
cours Astier par les personnels risquant d’être licenciés, la prise en compte de la formation
professionnelle dans les plans quinquennaux en sont autant de démonstrations.
Dernière caractéristique enfin, c’est la scission de cet enseignement en deux branches. Il faut
en chercher la cause principale dans l’instauration d’un enseignement technique élémentaire. Les
écoles pratiques de commerce et d’industrie, devenues collèges techniques en 1941, et les écoles
nationales professionnelles s’orientent de plus en plus vers la formation des techniciens et des
cadres moyens du commerce et de l’industrie. Elles abandonnent la formation industrielle et
commerciale des ouvriers qualifiés et spécialisés et des employés de base aux centres
d’apprentissage. Quand l’État crée des écoles normales nationales d’apprentissage chargées de
former les enseignants de ces centres, quand il instaure un statut particulier pour ses personnels
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avec un diplôme de recrutement spécifique qui deviendra le CAPET en 1959, il consomme la
scission. Les écoles nationales professionnelles et les collèges techniques dont la scolarité est
prolongée et pour lesquels de nouveaux diplômes sont créés (section Technique du baccalauréat,
brevet de technicien) débouchent de plus en plus vers des études supérieures, même si, en 1958,
cette évolution n’est pas achevée et qu’elles restent encore des écoles de qualification
professionnelles. Elles ressemblent de plus en plus aux écoles primaires supérieures de Guizot ou
aux écoles secondaires spéciales de Duruy, à savoir des établissements chargés de dispenser une
culture technique plus que de former concrètement à des métiers.
b) La réforme Berthoin et l’intégration dans le second degré
En 1959, le décret du 6 janvier portant réforme de l’enseignement donne naissance au
système éducatif cohérent dans lequel nous vivons toujours. Avec la réforme Berthoin,
l’enseignement technique et professionnel est intégré dans ce système éducatif où les anciens ordres
d’enseignement parallèles et cloisonnés sont remplacés par des degrés successifs et interdépendants.
A l’issue du premier degré, un cycle d’observation doit déterminer les aptitudes des élèves et les
répartir entre les cinq « filières » du cycle terminal, dont l’enseignement technique long pour la
formation des techniciens (4 ou 5 ans dans les lycées techniques, sanctionné par des brevets),
l’enseignement technique court pour celle des professionnels qualifiés (3 ans en CET sanctionnés
par le CAP) et l’enseignement terminal pour les élèves souhaitant entrer en apprentissage à l’issue
de la scolarité obligatoire qu’une ordonnance du même jour avait fixé à 16 ans..
Par son intégration dans ce système, l’enseignement technique participe au phénomène de
« démocratisation » de l’enseignement. La scolarité obligatoire à 16 ans, qui entre en vigueur à
partir de 1969, bénéficie surtout aux collèges d’enseignement technique (CET, nouveau nom des
anciens centres d’apprentissage) qui connaissent une croissance rapide en accueillant des enfants de
14 à 16 ans qui auparavant entraient en apprentissage. Mais, par un effet pervers de la massification
de l’enseignement, l’enseignement technique court se transforme en voie de relégation. Pour
répondre aux besoins d’une économie florissante et aux mutations des métiers et du marché du
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travail, le ministre Christian Fouchet complète le système éducatif par une réforme d’envergure en
1963-1966 : le palier d’orientation est fixé à la fin de la 3e, un nouveau diplôme, le BEP, est créé
pour des élèves ayant bénéficié d’une meilleure scolarité ; l’enseignement technique long est
sanctionné par un baccalauréat de technicien ; un enseignement technique supérieur court voit le
jour avec les IUT ; la formation professionnelle post-scolaire est homogénéisée. En une décennie, la
France s’est ainsi dotée d’un système de formation professionnelle original reposant quasi
exclusivement sur la scolarisation des apprentissages. L’enseignement technique et professionnel a
connu la mutation la plus importante de son histoire.
c) Le retour de l’apprentissage.
Mais à partir de 1971, cette solution est remise en cause : une relance de la voie de
l’apprentissage est esquissée et des solutions en faveur des élèves en difficultés sont mises en place
au moment où la réforme Haby achève la construction du système éducatif et valorise un
enseignement « technologique » définitivement intégré dans le second cycle alors que la
détérioration du climat économique semble indiquer les limites de la formation à l’école.
Au cours des années 1980 et 1990, la crise économique, source d’un chômage durable et de
difficultés d’insertion professionnelle des jeunes, surtout des moins formés, provoque une forte
demande d‘école émanant à la fois des parents d’élèves qui voient dans un diplôme scolaire le
meilleur passeport vers l’emploi et des chefs d’entreprise à la recherche de personnel polyvalent
disposant d’un bon niveau d’études et capable de s’adapter aux mutations technologiques et
économiques de plus en plus rapides. Conjugué au phénomène démographique de « l’explosion
scolaire » qui avait touché les collèges au cours des années 1960 et 1970, cette conjoncture
transforme le lycée, jusque là réservé à une certaine élite sociale et culturelle, en établissement de
masse. C’est dans ce contexte que Jean-Pierre Chevènement énonce son objectif de 80 % d’une
classe d’âge au niveau du baccalauréat, transformé en 1989 en 100 % au niveau CAP-BEP.
L’enseignement professionnel, désormais donné dans des LEP, puis dans des LP, donc hissé au
même niveau que les filières générale et technologique avec la création du baccalauréat
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professionnel en 1985, s’inscrit largement dans ce mouvement, même s’il demeure encore minoré.
Le baccalauréat professionnel marque aussi l’aboutissement d’une réflexion sur l’alternance
amorcée depuis 1971. En cette période de chômage endémique, l’entreprise, pourvoyeuse
d’emplois, est réhabilitée. L’obsession du « modèle allemand » de formation professionnelle,
considéré comme plus efficace que le système scolarisé français, entraîne aussi une renaissance de
l’apprentissage qui reste néanmoins limité aux professions artisanales et ne touche guère les
secteurs économiques de pointe.
L’arrivée de la gauche en 1981 se traduit également par un changement de politique par la
remise en cause du dogme de l’égalitarisme. Soucieux de « donner le plus à ceux qui ont le moins »,
Alain Savary innove avec les zones d’éducation prioritaires. Par ailleurs, avec les lois de
décentralisation l’État délègue une partie de ses pouvoirs aux collectivités locales et concède une
plus grande autonomie aux établissements.
Avec les mesures de décentralisation, un rapport nouveau entre un État, jusque là
omniprésent, et des collectivités territoriales aux possibilités fort restreintes doit s’instaurer. Le
processus n’est pas encore achevé. Au cours des dernières années, le mouvement de dévolution des
compétences régaliennes vers les régions et les départements, notamment en matière de formation
professionnelle, constitue certainement un formidable défi. Défi aussi que les conséquences de la
construction européenne et de l’harmonisation des diplômes car la France, en dépit de la
revalorisation de l’apprentissage, avec son système de formation scolarisée fait un peu figure
d’exception.
4. Questionnements contemporains, problèmes anciens.
Dans la seconde partie de cet exposé, sont évoquées trois dimensions auxquelles les
contemporains sont très sensibles mais qui, quelle que soit l’originalité des débats actuels, tirent
nécessairement leurs sources du passé.
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L’enseignement technique en France et à Lyon (1830 – 1940) par G. Bodé
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c) La dimension internationale
L’époque actuelle, avec l’approfondissement de l’unification européenne, l’harmonisation des
institutions et, depuis peu, les défis lancés par le processus de mondialisation économique constitue
certainement une période spécifique de l’histoire. Les modifications qu’elle entraîne touchent
chacune des activités des Etats et le système éducatif n’y échappe pas. La multiplication des
instances supra ou plurinationales, le développement des études comparatives et l’évaluation
permanente des systèmes éducatifs nationaux à l’échelle du continent ont obligé les décideurs à
porter un regard de plus en plus attentif vers nos voisins. Les difficultés économiques récurrentes et
la pérennisation du chômage amènent notamment les politiques à étudier les solutions et les
pratiques étrangères. D’où la recherche de nouveaux modèles. En fonction des sensibilités et des
contingences du moment, il est fait référence au modèle américain des écoles de management, au
modèle japonais de la formation des ouvriers ou encore au modèle allemand de formation par
alternance. Cela ne signifie cependant pas qu’aux époques antérieures les contacts aient été
inexistants. Même si chaque État développe ses propres institutions scolaires en fonction de ses
traditions et de ses structures sociales et politiques, il ne s’est jamais coupé de son environnement
international, y compris durant les périodes où il vivait le plus replié sur lui-même.
Dans le domaine de l’enseignement technique et professionnel, ces échanges ont existé dès les
débuts. On voit ainsi le baron Charles Dupin effectuer en 1818-1819 un voyage de vingt mois en
France afin d’y étudier les installations militaires, les réseaux de communication et l’économie
industrielle, voyage au cours duquel il aura l’occasion d’examiner le fonctionnement des cours
industriels de Glasgow. Il en conclut que la puissance économique de la France provenait en partie
de sa capacité à former les classes industrielles et à son système d’éducation publique et gratuite.
Aussi, quand on lui confia, le 25 novembre 1819, la chaire de mécanique du conservatoire des arts
et métiers y créa-t-il un enseignement du soir ouvert à tous. Il n’aura de cesse d’obtenir l’appui du
ministre de l’Intérieur, alors en charge de l’éducation, pour l’envoi d’une circulaire et d’un opuscule
en novembre 1826 pour la création de tels cours dans toute la France.
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Par la suite, d’autres voyages de ce genre furent organisés. Certains étaient tout à fait officiels.
Ainsi, la commission de l’enseignement technique de 1864-1865 lança-t-elle une enquête dans les
principaux pays européens en même temps que dans les divers départements français avec pour
objectif de fournir un tableau aussi complet que possible de la formation professionnelle. Ces
voyages de formation touchent aussi le secteur privé. Ainsi, en 1909, en plein débat sur la crise de
l’apprentissage, la chambre de commerce de Paris lance une grande enquête sur l’enseignement
professionnel en Europe centrale (France, Hongrie, Bohème, Bavière, Suisse) ainsi qu’en France
afin d’y chercher les raisons expliquant le retard français.
Une autre façon de se confronter aux enseignements en vigueur à l’étranger se présentait dans
les grandes expositions. J’ai déjà évoqué l’exposition du Travail de Londres en 1862 qui est à
l’origine de la commission de 1864-1865. En 1900, en revanche, l’exposition universelle de Paris
offre l’occasion à la France de présenter son nouvel enseignement technique. Une grande enquête
réalisée expressément pour cette manifestation est publiée en quatre volumes. Par la suite, un
congrès international de l’enseignement technique est organisé à partir de l’Entre-deux-guerres,
comme celui de Charleroi en 1926. Chaque pays y envoie des élèves en délégation et présente, dans
diverses sections, l’organisation de ses écoles. Le congrès donne aussi lieu à des communications
scientifiques et à des publications.
A aucun moment donc, l’enseignement technique français ne s’est trouvé isolé. De multiples
échanges ont eu lieu, que ce soit à titre officiel ou à titre privé. Il en est résulté un certain nombre de
constats.
Le premier, c’est l’affirmation quasi constante d’un retard français. C’était le cas avec Dupin
en 1818, avec la commission de 1863, avec l’enquête de 1909. On retrouvera ce motif par la suite
sous la plume d’Edouard Herriot en 1926 ou dans les divers projets de loi présentés entre 1944 et
1959 ou encore plus récemment sous le ministère Chevènement. L’affirmation de ce retard peut
s’appliquer aux structures (en 1818 ou 1909), elle peut s’appliquer à certaines questions
particulières (le manque de techniciens ou d’ingénieurs comme le déplorait aussi bien le rapport
Langevin-Wallon en 1947 que le premier ministre Edith Cresson en 1983).
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Le second constant, c’est le recours à des modèles étrangers : modèle anglais chez Dupin,
modèle allemand en 1909, modèle américain ou soviétique en 1944, modèle japonais en 1987. La
tentation consiste alors à importer ce qui semble si bien fonctionner à l’étranger. La circulaire sur
les cours du soir de 1826, les articles de la loi Astier sur les cours professionnels obligatoires en
1919 en offrent une illustration. Pourtant, on remarque d’une part que souvent ce que l’on tente
d’importer existe déjà sous une certaine forme et que d’autre part il n’est pas possible de l’importer
tel quel parce que la structure politique et sociale du pays ne s’y prête pas. Ainsi, les cours du soir
de 1826 fonctionnaient déjà depuis la fin du XVIIIe siècle, sans doute pas de la même manière qu’à
Glasgow, mais sous une forme qui s’en rapprochait. De même, les cours de perfectionnement
allemands avaient leur équivalent en France. C’est un peu comme si le prestige de l’étranger
garantissait une meilleure réussite. En revanche, ce qui faisait l’originalité – et la réussite – des
expériences étrangères ne peut être importé. Les Fortbildungsschulen allemandes ne doivent pas
leur succès à leur structure scolaire par alternance mais à leur intégration dans une organisation
sociale où ils sont pris en charge par un corps constitué, le Handwerk, l’artisanat, directement issu
des anciennes corporations et agissant comme corps intermédiaire entre le pouvoir central et les
ouvriers et artisans. Créer en France des cours professionnels obligatoires, ouvrir des chambres de
métiers auxquelles on essaie de confier le rôle de leurs homologues allemands n’a pas de sens dans
un pays où les corporations ont été supprimées en 1791 et où l’État refuse de déléguer la moindre
parcelle de son autorité à un quelconque corps intermédiaire.
Le dernier constat, c’est que la situation française n’est pas originale. Ainsi, entre 1820 et
1840, on constate que certains états allemands (Grand duché de Bade, Royaume de Wurtemberg,
Royaume de Bavière) s’essaient à imiter le modèle français de formation polytechnicienne.
L’France du XIXe siècle imite complètement les structures françaises en créant son propre
conservatoire des arts et métiers et les écoles qui l’entourent. La consultation des archives
allemandes, notamment prussiennes, du XIXe siècle m’a aussi permis de trouver des rapports
catastrophiques sur la situation de l’enseignement technique allemand et à inviter à imiter le
Danemark, la Suède ou … la France.
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Nous n’en sommes certes plus là de nos jours. Mais, il serait peut-être quelquefois utile d’y
penser avant de jeter le bébé avec son bain pour aller se servir dans le magasin du voisin. Qu’on le
veuille ou non, notre enseignement, s’est construit au sein d’une organisation sociale et politique
propre, avec ses incohérences, mais aussi avec sa pertinence. Il a pu s’avérer utile de reprendre des
idées ailleurs. Il n’a pas toujours été simple de les adapter. Le relatif échec des cours professionnels
obligatoires dans l’Entre-deux-guerres semble bien démontrer que la France n’était pas l’France.
b) La dimension locale
La révolution institutionnelle que constitue la décentralisation a permis de mettre en lumière
le rôle des acteurs locaux. Mais elle occulte aussi le fait qu’avant les lois de 1983-1986, à des
degrés divers selon les périodes, les acteurs locaux jouissaient bien d’un réel pouvoir décisionnaire
en dépit d’un centralisme très poussé. Face à la constance de l’action de l’État, quelles qu’en soient
les évolutions à court terme, le terrain local apparaît comme celui de l’hétérogénéité. La variété est
déjà inscrite dans les structures socio-économiques particulières de chaque région. Les besoins de
qualification professionnelle ne sont pas identiques dans le bassin industriel du nord de la France,
sur la côte varoise dominée par l’arsenal de Toulon ou dans les campagnes corréziennes.
Dans une certaine mesure, le pouvoir central en a d’ailleurs tenu compte. Ainsi, les écoles
pratiques de commerce et d’industrie créées en 1892 disposaient d’un double programme, un
programme théorique général pour lequel le ministère fixait un cadre assez précis et un programme
pratique établi par le conseil de perfectionnement des écoles en fonction des besoins locaux. On
voit très bien ces conseils, où la représentation des acteurs de la vie économique locale est forte,
déterminer les programmes des écoles, tout au moins jusqu’en 1920, c’est-à-dire jusqu’au
rattachement de l’enseignement technique au ministère de l’Instruction publique, rattachement qui
brisa en quelque sorte la relation de confiance qui existait entre l’administration et l’entreprise.
Par la suite, dans les années 1950 par exemple, alors que l’autorité de l’État est prédominante,
le rapport avec le terrain local est maintenu pour l’organisation d’une partie des programmes. Les
centres d’apprentissage disposaient de la possibilité de passer des conventions avec des industriels
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locaux en vue d’organiser une partie de la formation pratique. Non seulement ces industriels
fournissaient des agents pour délivrer un enseignement dans les locaux de l’école mais accueillaient
aussi des élèves en stage pour un temps déterminé, stage sanctionné par un certificat. De même, les
conseils d’administration des centres d’apprentissage, tels que les prévoit le décret du 21 avril 1953
comprennent, sur 21 membres, « 14 représentants des employeurs, des salariés dans les professions
enseignées au centre d’apprentissage ou susceptibles de l’être ».
La seule différence entre ces deux écoles, c’est que dans le premier cas, les écoles pratiques
de commerce et d’industrie, le programme local était entièrement et totalement confectionné sur
place par le personnel enseignant et les autres membres du conseil de perfectionnement sur la base
du canevas général prévu par la loi. Le ministère de tutelle n’intervenait que pour donner son
accord. Dans les centres d’apprentissage, le conseil d’administration ne participe plus à la
confection des programmes ; il doit simplement veiller à son application. Il peut envoyer des
suggestions par la voie hiérarchique, mais son action s’arrête là. Les programmes sont fixés au
niveau national par le ministère de l’Éducation nationale.
Évoquer l’emprise du pouvoir local dans l’enseignement technique consiste à déterminer
quelles sont les catégories d’acteurs qui, à des degrés divers, contribuent à le développer. Il y a
d’abord les personnalités isolées qui décident d’ouvrir un établissement d’enseignement technique,
comme Loritz à Nancy en 1844, le docteur Guépin à Nantes en 1873, Bignon à Longwy en 1863, ou
Blanqui à Paris en 1821. Les motifs de ces fondations sont analogues à celles des créations
d’institutions d’enseignement secondaire. Il y a aussi les politiciens locaux qui profitent de leur
destin national pour irriguer leur département d’origine où ils puisent la source de leur pouvoir et
leur base électorale, comme ce fut le cas pour Charles Spinasse ou Henri Queuille dans la Corrèze.
A côté de ces personnalités, le terrain est également occupé par des associations, telle que la
Société des arts et lettres et d’archéologie de Metz qui inaugure ses premiers cours en 1825,
l’Association polytechnique de Paris en 1830 ou l’Association philotechnique en 1848, la SEPR en
1864 déjà citées. Il est à noter que ces fondations sont sensibles aux influences « parisiennes ». Les
premières créations des années 1815-1820 sont marquées par l’expérience du préfet de la Seine, les
cours du baron Dupin au conservatoire des arts et métiers et à l’action de la Société d’instruction
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élémentaire fondée en 1815. Les cours messins doivent aussi beaucoup à la solidarité
polytechnicienne qui unit les enseignants issus de l’École d’application du génie et de l’artillerie et
le baron Dupin. A défaut d’incitation gouvernementale, on remarque donc ici l’attraction parisienne.
Mais le phénomène n’est pas à sens unique. Ainsi la circulaire du ministre de l’Intérieur de 1826 en
faveur du développement de cours du soir s’appuyait sur les créations provinciales.
A partir du Second Empire, on voit apparaître des associations qui se fixent comme objectif le
développement de l’enseignement professionnel. La plus connue est sans doute la « Société
d’enseignement professionnel du Rhône. Des associations organisées sur le plan national mais
disposant d’antennes locales peuvent également être citées comme par exemple, l’AFDET,
Association française pour le développement de l’enseignement technique, fondée en 1902 et qui
reste toujours très active
Les industriels représentent un cas particulier. L’historiographie française n’a pas toujours été
tendre avec eux. Ils ont longtemps été considérés comme des organes de résistance uniquement
soucieux de l’accroissement de leurs bénéfices. On a aussi longtemps pensé, qu’à la différence des
patrons allemands par exemple, les industriels français refusaient de s’investir dans la formation
professionnelle, qu’ils se contentaient d’en réclamer l’organisation par les pouvoirs publics, qu’ils
s’abstenaient d’y participer financièrement mais exigeaient de la contrôler. On connaissait certes
quelques cas qui contredisaient cette image négative comme le directeur de l’Usine de métallurgie
de Graffenstaden, ou celui des Chantiers navals de La Ciotat, qui avaient instauré précocement des
écoles d’apprentissage au sein de leur établissement. Ils se situent en-dehors de toute préoccupation
nationale ou pédagogique et agissent en fonction d’une logique économique individuelle. Leur
objectif est de former le personnel dont ils ont besoin. Plus célèbre encore, le cas de la famille
Schneider au Creusot. Il est vrai que, par ailleurs, certains industriels, et non des moindres, ne se
sont investis dans la formation professionnelle qu’à contrecoeur. Le cas de la famille De Wendel, en
Lorraine, en fournit un exemple révélateur. Jusque vers 1930, ils sont hostiles à toute formation
professionnelle au sein de leur entreprise et n’assuraient qu’une participation minimale aux actions
impulsées par l’État ou par les collectivités locales. La crise économique amena un changement de
politique, les cours professionnels obligatoires et les écoles de perfectionnement soutenus par l’État
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leur permettant de mieux gérer leur personnel et d’en régler les flux en fonction du marché de
l’emploi. Ce n’est finalement qu’au lendemain de la Seconde guerre mondiale qu’ils mettront en
œuvre une politique cohérente et complète de formation au sein d’une organisation régionale. Ils
ouvrent un véritable réseau local de centres d’apprentissages privés et d’écoles ménagères qui
fonctionneront jusque dans les années 1960, date où ils seront repris par le ministère de l’Éduction
nationale et transformés en CET publics.
Les recherches historiques de ces dernières années ont montré que bien plus de chefs
d’entreprise qu’on ne l’a soupçonné s’étaient investis dans la formation. Certains étaient connus de
longue date comme les Mulhousiens, regroupés au sein de la Société industrielle de Mulhouse,
fondée en 1826 et qui, à partir du Second Empire ouvre de réelles écoles d’enseignement technique
dans ses usines. Dans le même ordre, on peut encore citer la Société industrielle de Saint-Quentin et
de l’Aisne ou la Société industrielle d’Elbeuf en Seine-Maritime qui allient des considérations
d’ordre financier et productif à des préoccupations d’ordre philanthropique. Dans l’Entre-deux-
guerres, les industries automobiles, comme Renault, Peugeot ou Berliet fondent leurs propres
écoles, souvent avec la participation des municipalités, quelle que soit la couleur politique du
conseil municipal. La juxtaposition d’intérêts communs tels que le maintien de l’emploi ont permis
de trouver des accords satisfaisant pour l’entreprise, les communes et les syndicats.
Toujours dans la sphère économique, on voit apparaître à partir des années 1890-1900, des
cours et écoles fondées par les organisations syndicales, comme dans la Somme, à Dijon, à Saint-
Etienne, à Bordeaux ou à Toulon. Ces structures demeurent néanmoins difficiles à cerner. Le
contenu réel des enseignements reste souvent flou. En 1904, le rapport du ministère du Travail
rédigé par Cohendy en recensait 408 pour toute la France sur un total de 4223 cours professionnels,
soit à peine 9,6 %. Dans la plupart des cas, ces cours n’ont d’ailleurs pu survivre que grâce au
soutien actif des mairies. C’est notamment le cas à Saint-Étienne et Amiens où l’on constate que
chaque querelle entre la bourse du travail qui héberge ces cours et le conseil municipal menace la
survie financière des cours.
Ce dernier exemple montre clairement que, sur le terrain local, si l’on excepte les grandes
entreprises, les principaux acteurs demeurent néanmoins les acteurs publics. Il y a d’abord le
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département qui peut être amené à subventionner des écoles et des cours, voire à développer une
politique personnelle. Mais, jusqu’aux lois de décentralisation, l’acteur essentiel reste la commune.
Il y a pour cela des raisons objectives : elle dispose d’un réservoir potentiel d’élèves suffisant et de
moyens financiers pour construire des bâtiments. Pour toutes ces raisons, on pourrait s’attendre à ce
que la commune ait profité des périodes de faible présence de l’État, comme par exemple avant
1880, pour développer une politique éducative personnelle. Or, les études sur Nantes, Mulhouse,
Metz, Nancy et Strasbourg laissent apparaître une situation plus contrastée.
De ces diverses villes, seule Mulhouse a précocement développé un enseignement communal,
non seulement primaire, mais aussi à vocation professionnelle, dès 1831 donc avant la loi Guizot.
Mais elle doit à la présence d’un patronat dynamique et entreprenant fortement représenté dans les
institutions communales. Les autres communes ont abandonné l’enseignement aux mains d’agents
privés, les Frères des écoles chrétiennes pour l’enseignement primaire, les sociétés savantes ou
philanthropiques pour les cours professionnels. Et c’est finalement l’État, avec la loi Guizot de
1833, notamment par ses dispositions relatives aux écoles primaires supérieures, qui va obliger les
communes à structurer tout leur enseignement. C’est très clair à Metz où entre 1835 et 1850 une
structure à trois étages (enseignement primaire, enseignement primaire supérieur, enseignement
spécial comprenant une école industrielle) est mise en place.
C’est moins évident à Nantes où l’on constate que la municipalité se focalise sur l’école
primaire supérieure et l’enseignement de type professionnel et scientifique tout en continuant ses
pratiques antérieures pour l’enseignement primaire. Il faut donc être prudent quand on évoque les
rapports entre l’État et les collectivités locales. L’État n’apparaît pas toujours comme un étouffoir
empêchant l’éclosion d’initiatives locales au nom d’une certaine homogénéité de fonctionnement.
La période 1833-1850, puis celle de 1880-1900, montrent plutôt que dans de nombreux cas, face à
une timidité excessive, reposant souvent il est vrai sur des contraintes d’ordre financier, c’est
finalement l’action de l’État qui a servi de déclencheur.
La situation nantaise, mais aussi celles de Rouen, de Nancy ou de Metz, démontrent aussi
qu’il n’existe pas toujours de véritable politique municipale en faveur de l’enseignement en général
et de l’enseignement technique en particulier mais que les objectifs des municipalités étaient plutôt
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fortement tributaires des rivalités locales intercommunales, notamment quand il s’agissait de
développer un enseignement supérieur qui, aux yeux des édiles locaux, paraissait bien plus
prestigieux que la création d’écoles professionnelles ou de cours pour ouvriers. Les débats
entourant la réforme Fortoul de 1854 avec la création de nouvelles facultés des sciences et
l’instauration d’écoles préparatoires à l’enseignement supérieur des sciences et des lettres mettent à
jour ces rivalités entre Nantes et Rennes, Rouen et Caen, Nancy et Metz, etc. Les exemples
pourraient être multipliés. L’enseignement, et notamment l’enseignement supérieur, y compris
technique, n’est plus l’objet ici d’une politique éducative cohérente mais le révélateur de conflits
locaux permanents. Ce qui est en cause ici, c’est la prééminence de la commune au niveau régional
qui peut être affichée, entre autres, par l’existence d’enseignement supérieur.
En fait, les politiques municipales se mesurent le mieux sous leurs aspects financiers.
L’enseignement ne constitue que l’un postes budgétaires de la commune. L’ouverture d’une école,
la construction de nouveaux bâtiments, les traitements des enseignants coûtent cher pour une ville.
Aussi, quand l’État prend à sa charge le traitement des enseignants du primaire et du technique
après 1880, quand il participe aux frais d’installation et aux travaux d’entretien, il fournit aux
communes une vaste marge de manœuvre. Le développement des écoles techniques municipales
après 1880 doit sans doute beaucoup plus à ces transformations financières qu’à l’élaboration d’une
réglementation plus précise. Le cas de la ville de Saint-Étienne est très éclairant pour cela. A partir
de 1880, c’est la conjonction d’une politique nationale volontariste et l’arrivée d’un conseil
municipal républicain, donc proche de la représentation majoritaire à la Chambre des députés, qui a
permis la mise en œuvre d’un plan de développement de l’enseignement technique local.
Il me semble que l’histoire de cet enseignement sur deux siècles, quelle que soit le contexte
institutionnel et politique du moment et compte tenu de la structure politique nationale, à savoir
celle d’un État centralisé, démontre qu’une politique locale ne peut réussir qu’avec la coopération
de tous les partenaires. Sans l’appui de l’État, sans la dynamique que les décisions nationales
peuvent créer, les partenaires locaux, qu’il s’agisse des municipalités, des chefs d’entreprises, des
représentants syndicaux ou encore des personnels enseignants, la mise en œuvre d’une politique
locale n’est pas possible. C’est ce qui distingue la France d’états fédéraux comme l’France ou la
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Suisse. En contrepartie, sans l’action des partenaires locaux, les impulsions nationales sont vouées à
l’échec. Il faut un minimum d’adhésion de la part des acteurs locaux, soit qu’ils servent de relais
actifs pour mettre en œuvre une politique nationale, soit qu’ils l’impulsent dans un cadre fixé par
l’État. La décentralisation actuelle modifie néanmoins les données et exige la création de nouveaux
rapports entre pouvoir central et pouvoirs locaux. Il n’est peut-être pas inutile d’inclure dans cette
réflexion la connaissance du passé.
c) La dimension de l’établissement
La cellule de base de tout enseignement demeure l’établissement scolaire, seul lieu où
enseignants et apprenants se rencontrent, où les programmes, les principes pédagogiques et les
politiques éducatives doivent être appliquées, où les progrès des élèves sont évalués. Depuis
quelques années, l’établissement, et le rôle du chef d’établissement sont aussi l’objet de l’attention
et des réflexions des décideurs. Cette nouvelle focalisation contemporaine sur l’établissement a
permis aux historiens de prendre conscience d’un véritable déficit de la recherche. En effet,
l’examen des politiques nationales, voire locales, ne s’intéressait généralement à l’établissement
que de façon très superficielle et le négligeait en tant qu’entité autonome. Perçu uniquement comme
un simple maillon d’un ensemble beaucoup plus complexe dont il ne ferait qu’appliquer les
décisions, il n’apparaissait que dans des études monographiques plus ou moins hagiographiques et
commémoratives qui, quant à elles, oubliaient de mettre en lumière le lien existant entre cette
cellule et l’appareil scolaire local et national. Les recherches historiques les plus récentes, quand
elles acceptent de prendre en compte la dimension de l’établissement, s’interrogent plutôt, en raison
des spécificités d’un enseignement technique en prise directe avec le marché de l’emploi, sur des
questions telle que l’adéquation entre la formation et l’offre de travail, la certification et la
qualification ou encore sur l’évolution de l’offre et de la demande scolaire. Dans ce cas, les
solutions propres trouvées par chaque établissement en particulier ne sont que rarement analysées
en tant que telles mais comme des éléments statistiques et comparatifs pour dégager des grandes
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tendances. Or, les parents d’élèves qui déploient des trésors d’imagination pour envoyer leurs
rejetons dans les établissements qu’ils jugent les meilleurs savent que chaque école est différente.
En effet, si l’on change de perspective, une école peut aussi apparaître comme une petite
entreprise avec ses cohortes d’élèves, son personnel, ses bâtiments à entretenir, ses produits qu’elle
vend et le chef d’établissement se transforme en gestionnaire autant qu’en pédagogue et qu’en
enseignant. Obligé d’assurer la survie économique de son école, qu’elle soit publique ou privée, il
doit attirer, d’autant que la concurrence est rude et que le client est volatile. Il n’est pas impossible,
dans ce contexte, que le directeur puisse être plus sensible aux demandes sociales qu’aux
programmes officiels.
Pour essayer de discerner les éventuelles stratégies d’établissements et les éléments qui les
déterminent, on peut utiliser une petite étude comparative sur diverses écoles d’enseignement
technique de la Troisième République. Le premier facteur déterminant du choix d’un établissement
par les parents d’élèves était sa capacité d’hébergement, c’est-à-dire la présence d’un internat. Les
écoles techniques, moins nombreuses que les écoles primaires ou secondaires, sont susceptibles
d’attirer des élèves extérieurs à la localité. Dans ce cas, l’absence d’internat est donc préjudiciable à
leur développement. En 1888, par exemple, l’école primaire supérieure professionnelle de Dijon
perd 40 élèves en raison de l’absence d’un internat, élèves qui vont s’inscrire dans des écoles
concurrentes du secteur privé. Dès l’ouverture d’un internat, en 1891, l’école non seulement
récupère les élèves perdus mais accroît aussi ses effectifs. Mais cet internat doit aussi être géré au
plus juste. Il faut éviter d’exiger des prix de pension exorbitants. C’est à la fois une question
économique (il faut garder les élèves) et une question d’idéologie (il faut rester accessible aux
classes laborieuses comme le signale une délibération du conseil municipal de 1921 qui abaisse le
prix).
Un autre facteur déterminant pour l’attractivité d’une école est son offre scolaire. Il faut des
programmes adaptés aux besoins locaux, qui permettent de trouver des débouchés (cette question
est essentielle lors de la crise économique) donc qui préparent bien l’élève à la vie active. On voit
ainsi à Nantes, entre 1860 et 1880, les deux écoles techniques, à savoir l’école primaire supérieure
municipale et l’école privée Livet rivaliser pour coller le plus prêt à la fois aux programmes
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officiels et aux désirs des parents. Ainsi quand l’école Livet se concentre sur un enseignement
théorique, l’école primaire supérieure multiplie ses ateliers de forge et de mécanique. Livet réagit
après la création de certificat de marine marchande en ouvrant une section maritime.
A Nancy, une rude concurrence oppose l’école primaire supérieure et l’école Loritz qui
devient école professionnelle de l’Est en 1877. Loritz ouvre ses premiers ateliers de serrurerie et
menuiserie dès 1847, ce qui en fait un précurseur non seulement à Nancy mais aussi en France. De
plus, elle dispose d’un internat. En 1864, elle utilise l’introduction de l’enseignement secondaire
spécial pour élargir son offre et concurrencer le lycée. Elle propose alors un enseignement général,
un enseignement scientifique et une préparation aux métiers du commerce. Entre 1877 et 1890, elle
construit de vastes ateliers, ce qui lui permet d’attirer les candidats au concours d’entrée pour les
arts et métiers mais aussi de préparer ses élèves aux conditions de la production industrielle. Après
son aménagement dans ses nouveaux locaux en 1875, l’école primaire supérieure tente de réagir en
ouvrant ses propres ateliers. Elle ne réussit cependant pas à concurrencer Loritz et perd des élèves.
Aussi se réoriente-t-elle résolument vers l’enseignement industriel à partir de 1889 en proposant un
cursus de 3 ans dans 2 sections industrielle et commerciale qui attirent les deux tiers des élèves.
On pourrait multiplier les exemples. Ce qu’il faut en retenir, c’est d’abord que les chefs
d’établissement sont obligés de mettre en œuvre des stratégies agressives pour conserver les élèves
et survivre. Pour cela, ils doivent anticiper les évolutions. L’ouverture d’atelier dès 1847 a fait le
succès de Loritz. Le directeur avait su saisir le débouché offert par le concours d’entrée aux écoles
des arts et métiers, qui disposent d’ateliers depuis leur création en 1806. La présence de ces ateliers
permet aussi, outre la préparation aux concours, de prodiguer un enseignement pratique nouveau
échappant aux duretés de la vie professionnelle réelle. C’est-à-dire que le chef d’établissement ne
doit pas seulement être attentif à l’évolution locale mais aussi à l’évolution nationale de
l’enseignement technique. C’est aussi ce que fait Livet en ouvrant sa section maritime.
D’autre part, les stratégies couronnées de succès sont celles qui diversifient l’offre et qui
proposent à la fois un enseignement général de type primaire supérieur ou secondaire spécial,
comprenant à la fois des sections élitistes pour accéder aux écoles d’arts et métiers et une formation
industrielle ou artisanale accessible aux futurs contremaîtres, ouvriers ou artisans. Or, le
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développement de cette offre ne résulte pas directement de la politique officielle, ni même des
politiques locales mais de la perception individuelle du marché scolaire par les chefs
d’établissements. A Nancy, la rivalité entre les cours industriels municipaux et ceux ouverts au sein
du collège royal tourne à l’avantage de ces derniers en raison d’une meilleure perception des
aspirations des familles. Les cours municipaux du soir ne visaient qu’une couche particulière de la
population (apprentis et ouvriers déjà engagés dans le monde du travail) ; ceux du collège drainaient
un public bien plus large (public traditionnel des élèves des couches bourgeoises attirées par
l’enseignement humaniste, mais aussi des nouvelles classes laborieuses de la moyenne bourgeoisie
du commerce et de l’industrie ; public composé à la fois d’élèves n’ayant jamais travaillé mais aussi
d’apprentis et d’ouvriers qui fréquentaient les cours du soir). Si les structures officiellement
imposées par l’État (par exemple ici pour Nancy, l’ouverture d’une école primaire supérieure
annexée à un collège royal dispensant également de cours industriels du soir) pouvaient aider
l’établissement à attirer de nouvelles catégories d’élèves, c’est néanmoins la stratégie mise en
œuvre, au sein de ces nouvelles structures, et la bonne perception du milieu local qui font la
différence entre le succès ou l’échec.
De nos jours, les stratégies d’établissement sont sans doute plus simples à établir en raison des
contraintes fortes qui régissent les écoles et de l’existence de programmes et de réglementations
homogènes. C’est sur la qualité de l’enseignement, mesurable par la réussite aux examens, par
l’insertion réussie dans la vie professionnelle que se positionnent les parents d’élèves. On retrouve
ici des comportements similaires à ceux adoptés pour l’entrée au lycée général ou dans les classes
préparatoires. Pour les lycées professionnels, l’offre des stages en entreprises peut apparaître
comme un élément déterminant de l’attractivité de l’établissement. Même si le contexte est
différent, même si les structures institutionnelles paraissent plus solides, certains comportements
demeurent cependant toujours d’actualité d’autant que le processus d’autonomisation des
établissements, amorcé en 1993, va sans doute accorder davantage d’espace de liberté aux écoles.
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Conclusion
Avec ce tableau – qui malgré les apparences, est trop rapide et trop schématique – de l’histoire
de ces enseignements, j’ai souhaité montrer qu’elle s’inscrivait dans une tradition ancienne, aussi
ancienne que celle de l’enseignement primaire et qu’elle ne méritait pas l’oubli et la
méconnaissance qui l’affectent. Dans un monde de plus en plus complexe, où le poids des décisions
économiques s’accentue, le devenir de nos enfants dépend beaucoup de choix de plus en plus
précoces. L’enseignement technique et professionnel a subi au cours de ces quarante dernières
années des mutations considérables pour coller à ces évolutions tout en restant imprégnée de son
passé et de nouveaux défis se présentent à l’horizon. Je ne crois pas aux leçons de l’histoire, mais je
pense que l’analyse du passé, qui révèle parfois d’étranges analogies, peut certainement enrichir le
débat sur l’avenir.
Je vous remercie pour votre attention.
Gérard BodéEcole normale supérieure de Lyon
UMR LARHRAEquipe Histoire de l’Education
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