L'Enfant Precoce Mode Ou Realite
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7/31/2019 L'Enfant Precoce Mode Ou Realite
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ralitspdiatriques # 160_Mai 2011
Mises au point interactives
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Lenfant prcoce : mode ou ralit ?
Au-del du phnomne de mode, cesttoute la question de la place de lenfant besoins spcifiques qui transparat danslinquitude familiale. Et ce dautantplus que la dfinition de la prcocit nefait pas lunanimit.
[ Des enfants indfinissables ?
Il existe plusieurs appellations pourdsigner les enfants prcoces. Le motgifteda t adopt aux Etats-Unis dansles annes 1920 et il reste dun usage
rpandu dans le monde anglo-saxon. Ila t traduit en franais par surdoudans les annes 1970. Ce mot dsigneun enfant dont lefficience intellec-tuelle value par des tests est sup-
rieure celle obtenue par la majoritdes enfants de son ge. Certains lont
jug gnant parce quil ferait tat dunesupriorit (un don) et quil produiraitune confusion avec les enfants prodi-ges. Ils ont prfr mettre en avant laprcocit intellectuelle, do le sigleEIP pour enfant intellectuellementprcoce.
Nous avons toujours critiqu cetteappellation. En effet, rien ne garantitque, linstar de lavance staturale, les
autres enfants le rattraperont un jour,ni qu lge adulte, ces individus con-serveront des capacits suprieures
la normale. Dautres ont alors proposde parler denfant Haut Potentiel(HP). Les Qubcois ont cherch viter toute connotation en inventantun nologisme : douance. En pra-tique, on peut dire aussi bien dou,surdou, prcoce ou haut potentiel
[1].
[ Lenfant HP en dlicatesseavec lcole, le paradoxede la prcocitBeaucoup denfants HP sont de bonslves, voire brillants. Mais pas tous, et
le rapport particulier et passionnel quelenfant dou entretient avec lcole estun paradoxe lorigine de nombreuxmalentendus.
Lchec scolaire tel quil est dfini parlEducation Nationale (sortie du sys-tme scolaire sans diplme ni quali-
fication) reste rare dans les cohortesdenfants HP, et certainement en dessousdu chiffre retenu en population gnrale(150 000 enfants, soit 21 % des classesdge). Les difficults sont, en revanche,
frquentes, avec un tiers denfants HautPotentiel qui natteindront pas le lyce.
On retrouve plusieurs causes, souventintriques. Certaines sont spcifiquesparce quelles proviennent des carac-tristiques cognitives des enfants HP ;dautres sont lies des rponses inadap-tes de lentourage. Surtout lorsque
lavance intellectuelle a t longtempsmasque par des comorbidits, elles-mmes passes inaperues car compen-ses par le Haut Potentiel. Enfin, des
troubles psychoaffectifs peuvent inter-venir seuls ou venir perturber dautrescauses qui les ont prcds.
1. Des stratgies dapprentissage
particulires
Les causes lies aux spcificits du pro-fil cognitif des enfants HP sont mainte-nant bien connues. De solides travaux
confirment laugmentation du sommeil
La prcocit se dfinit comme
une avance intellectuelle, illus-tre par un Quotient Intellectuel
(QI) suprieur 130. Surmdiatise,elle intrigue, fascine et participe lin-flation des demandes de consultationsen psychiatrie de lenfant. Avec unequestion rcurrente : Les difficults
scolaires ou relationnelles de monenfant sont-elles dues une ventuelle
prcocit ?.
Le concept de prcocit est aujourdhuiencore remis en cause par certainsprofessionnels de lenfance. Pourtant,
lobservation clinique confirmelexistence de particularits, cognitiveset affectives, qui donnent lenfant pr-coce un profil spcial, qui peut large-ment influer sur le dveloppement desa personnalit.
O.REVOL
Service de Psychiatrie de lEnfant,Hpital Neurologique, LYON.
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Certains enfants Haut Potentielarrivent cependant composer avec ces
particularits cognitives, en particulierlorsquils trouvent dans leur enseignantla bienveillance et lempathie indispen-sables leur motivation. A linverse, lesentiment dincomprhension, voire
lantipathie, risquent de brouiller plusencore le rapport aux apprentissages.
2. Les causes lies lenvironnement
Elles proviennent dattitudes qui netiennent pas compte des besoins spci-
fiques de ces enfants, ou de la tentation
des jeunes surdous de se conformeraux attentes pdagogiques globales[4]. Certaines ractions des ensei-gnants dcouragent ou contrecarrentlinvestissement scolaire de ces enfants :refus dinterroger un enfant qui a rponse
tout, stigmatisation des points faiblescomme lcriture par exemple.
Lenfant prcoce peut perdre intrt pourtoute forme dapprentissage. Il peut aussise rebeller ou, linverse, se forcer sa-tisfaire les exigences de lenseignant par
du conformisme. Cela peut aller jusquune suradaptation, ce que Terrassieravait appel un effet Pygmalion nga-tif. Lenfant HP se contente de satisfairela demande en mettant lcart ses com-ptences et ses talents.
Cette attitude peut se gnraliser et enva-hir toutes les relations sociales. Cela peutaussi conduire un conflit ouvert avec
ver la rponse. Ce fonctionnement resteacceptable tant quil reste dans le pri-
maire. Mais ds le secondaire lenfant HPpeut tre pnalis lorsquon lui demandedexpliquer comment il procde.
La difficult ou le refus expliquer agaceet provoque une dprciation du tra-vail scolaire de la part des enseignants.Survient alors une preuve de force qui
aggrave la situation et peut conduire lchec scolaire. Llve du secondairepeut finir par manquer de temps dautantquune lenteur de lcriture persiste. Ilsenclenche un cercle vicieux si lenfant
perd toute motivation tudier.
l Lopposition
Lopposition apparat volontiers dsquil est question de tches rptitivescomme recopier, apprendre par cur.Le point dachoppement surgit lorsquil
est question dapprendre des rgles ou,de faon plus gnrale, lorsquune tchelaisse une impression dinutilit parlabsence de crativit.
En outre, la frquence des difficultsgraphomotrices conduit viter lcrit et
une mauvaise orthographe qui pnaliselenfant dans toutes les matires.
En rsum, on peut opposer de faonschmatique un enfant au dveloppe-ment intellectuel moyen que nous quali-fions denfant scolaire et un enfant
Haut Potentiel (tableau I).
paradoxal [2], la suractivation du cortexprfrontal lors des tches satures en
facteur g, ainsi quune meilleure trans-mission inter-hmisphrique [3].
Dune faon gnrale, les enfants HPprfrent un traitement global et simul-tan de linformation. Il en rsulte unetrs grande rapidit de la pense qui nemanque pas de surprendre un entouragenon averti. Lenfant Haut Potentiel faitintervenir des rseaux neuronaux plus
tendus et active des zones corticalessupplmentaires (pense en arbo-rescence). Il a volontiers recours sa
mmoire pisodique, ce qui le conduit faire des analogies avec dautres situ-ations dj connues. Tout cela finit pardonner ses rponses un aspect intui-
tif qui fascine, mais aussi dsaronneson interlocuteur, et surtout ouvre lavoie vers des difficults scolaires bienconnues : ennui, absence de mthodedapprentissage, vitement de leffort etrejet des tches routinires et opposition.
l Lennui
Lenfant HP peut ressentir de lennui dsla maternelle lorsque lenseignement luiparat inadapt. Il comprend avant les
autres, dcroche vite, ce qui peut susciterun manque dintrt ou mme conduire une sorte de phobie scolaire.
Ce dsintrt peut finir par induire destroubles de lattention, de linstabilitpsychomotrice et des troubles anxieux.
Le propre de ces manifestations est dedisparatre ds que lenfant rentre chezlui, ou lorsque lenseignement satisfait
son profil cognitif particulier.
l Labsence de mthode
Labsence de mthode est la consquencedune capacit comprendre trs vite,
fournir des rponses exactes sans tra-vail de rflexion. Le surdou peut fairelconomie de lapprentissage dunemthode parce quil na pas besoin defaire une analyse squentielle pour trou-
Enfant scolaire
l Aime apprendre
l Mmorise bien
l Apprcie la clart
l Connat la rponse
l Est intress
l Est rceptif
l Copie volontiers
l A de bonnes ides
l Aime lcole
Enfant HP
lVeut savoir
l Devine vite
l Complexifie
l Pose les questions
l Est trs curieux
l Est impliqu
l Prfre crer
l A des ides riches
l Subit lcole
Tableau I.
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laquelle il pense avoir t cr. Une sen-tinelle. Equipe dune intuition quasi
magique, inne, qui le prvient avanttout le monde des dangers, et loblige intervenir sans cesse pour en viter lesconsquences.
Il arrive que cette anxit prenne laforme de Troubles Obsessionnels etCompulsifs (TOC), ultime tentative decontrle dune vie psychique trop bouil-lonnante. Il est clair que ces pensesanxieuses sont dautant plus frquentesque lenfant sennuie lcole.
La frquence de ces troubles incite fairepratiquer un test psychomtrique chezun enfant intelligent mais inquiet, lequestionner sur lexistence de soucis oude gestes qui lui paraissent stupides.
On parle de cascade affective lorsquelempathie et lintuition sentremlent, etdeviennent toutes deux sources danxit(tableau II). En fin de course, lenfantHP peut ressentir une grande lassitude,un vritable dsenchantement (A quoibon grandir, travailler, se marier?),
qui confine au spleen, dcrit dans la lit-trature du XIXe sicle, mais aussi danscertains romans rcents. Nous avons pro-
pos le terme daquaboniste pour cesenfants qui semblent puiss par leurscraintes, effrays par leurs intuitions etdmotivs par leur avenir.
Je mappelle Paloma, jai douze ans,
jhabite au 7 rue de Grenelle dans un
appartement de riches. Depuis trs
Lanalyse psychomtrique peut aideren montrant un profil spcifique : nette
russite aux preuves sollicitant lalogique et labstraction (similitudes,cubes, comprhension) et chec relatifaux preuves ncessitant lattention(code, arithmtique, mmoire des chif-
fres, symboles). Cette dcouverte peutconduire prescrire un mdicamentstimulant lattention, associ aux con-seils spcifiques pour les enfants HP.
Ces constatations plaident pour unevaluation globale, clinique et psycho-
mtrique de tout enfant apparemment
intelligent en dlicatesse avec lcole.Sans oublier que les enfants surdousont galement un fonctionnement affec-tif particulier
4. Les causes psychologiques :
la cascade affective
Lintelligence est anxiogne. Plusieursraisons ont t avances. La penseen arborescence et la fulgurance sontcertainement responsables dun excsdempathie (sentir ce que lautre res-
sent) qui transforme lenfant HP envritable ponge motions. En prisedirecte avec le psychisme des autres,lenfant prcoce est souvent dbordpar des sentiments qui entravent sa pen-se. On voque de plus leffet loupe,gnr par un fonctionnement cognitif
qui amplifie toutes les sensations etamne lenfant exagrer les risques etles dangers. Extralucide et hyperintuitif,il redoute alors sans cesse la survenue decatastrophes (familiales, gopolitiques,cologiques), dautant plus inqui-
tantes que ses craintes se sont parfoisdj rvles exactes.
Enfin, la perception de ses comptencescontraint lenfant rsoudre les prob-lmes des autres, surtout sil a t lepremier les identifier (Jai reu undon, un avantage sans avoir rien fait
pour mriter a, alors jai lobligationmorale de men servir). Sans doute sesent-il oblig de remplir la mission pour
lcole si les parents supportent mal ce
renoncement. Et aggraver ainsi les dys-
fonctionnements psychologiques pr-existants, eux-mmes sources de freinaux apprentissages. Surtout sil en existedj dautres
3. Le problme des comorbidits
Les difficults s'aggravent lorsque coex-istent une prcocit et des troubles spci-fiques des apprentissages (dyslexie,dysphasie, dyscalculie, dysorthogra-phie), ou une prcocit et un dficitdattention.
Cette comorbidit complique et retardele diagnostic de prcocit comme celuide trouble spcifique des apprentissages.Les enfants dys et prcoces dsempa-rent doublement les enseignants, surtoutsi leurs deux facettes cognitives sont
ignores. Ils donnent l'impression d'tremoyens quand la prcocit masque ladyslexie, et inversement.
Ne comprenant pas pourquoi ilssennuient ainsi doublement lcole
(cest trop dur et trop facile), ils ont unsentiment dinadaptation qui les conduitparfois un niveau bien en dessous deleur potentiel ; la rvlation de ce profilcognitif hybride amne toujours un apai-sement inestimable.
Lenfant HP peut tre aussi atteint dun
dficit de lattention sans ou avec hyper-activit (TDAH). Ce syndrome masque lehaut potentiel intellectuel et aggrave lesdifficults dapprentissage.
La reconnaissance du TDAH est dli-cate chez des enfants HP qui prsen-
tent des symptmes vocateurs commelimpulsivit, linstabilit motrice,car ceux-ci peuvent aussi provenir delennui. On ne peut poser un doublediagnostic que si les symptmes sontretrouvs dans toutes les situations(maison, cole et loisirs) et sils sont
davantage prsents pendant les cours oulorsque lenfant nest pas assez stimul. Tableau II.
La cascade affectiveRevol, 2010
Empathie (souffrir avec)
Intuition (6e sens)
Anxit (vigilance permanente)
Dpression (dsenchantement)
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En somme, les enfants HP,phnomnes de mode ou
victimes de la ralit ?
Une chose est certaine : des grandsinventeurs aux hrones de romans duXXIe sicle, en passant par les auteursromantiques, les enfants prcoces ont
toujours exist. Si la plupart dentre euxvont bien, certains expriment plus oumoins bruyamment leur dsenchante-ment. A linstar du Petit Prince quidplore que les grandes personnes necomprennent jamais rien toutes seulesou dHarry Potter qui a d attendre son
arrive dans une cole de sorciers pourenfin se sentir compris, certains enfantsHP (Hors Programme ?) rclamentjuste le respect de leur diffrence, etattendent que lcole prenne en compteleur crativit.
Un vu ralisable, sans doute, commele rapporte Albert Camus, qui fut sansdoute un enfant surdou avant de deve-nir prix Nobel de littrature. Dans unmanuscrit inachev, retrouv aprssa mort tragique, Camus avait rdig
lbauche dune autobiographie, dontun des chapitres est consacr lcole.Le rcit de la rencontre entre un lveexceptionnel et un instituteur capable
de rpondre sa manire dapprendrenous permet de conclure sur une note
optimiste :
Non lcole ne leur fournissait passeulement une vasion de la vie de
famille. Dans la classe de M. Germain du
moins, elle nourrissait en eux une faim
plus essentielle encore lenfant qu
lhomme et qui est la faim de la dcou-
verte. Dans beaucoup dautres classes,
on leur apprenait sans doute beaucoup
de choses, mais un peu comme on gave
les oies. On leur prsentait une nourriture
toute faite en les priant de vouloir bien
lavaler. Dans la classe de M. Germain,pour la premire fois, ils sentaient quils
existaient et quils taient lobjet de la
plus haute considration : on les jugeait
dignes de dcouvrir le monde.
Bibliographie
01. Bleandonu G, Revol O. Les enfants intel-lectuellement prcoces. EMC Psychiatrie,2006 : 127.
02. GRuBaR JC, duyme m, Cote S. La prcocitintellectuelle : de la mythologie la gn-tique. Lige : Mardaga ; 1997.
03. luBaRt T. (sous la dir.) Enfants exception-nels : Prcocit intellectuelle, haut poten-tiel et talents, Paris, Bral, 2006.
04. teRRassieR JC. Les enfants surdous ou laprcocit embarrassante. Paris : ESF ; 1999.
Pour en savoir plus
01. Bleandonu G. Les enfants intellectuelle-
ment prcoces. Que sais-je ?. PUF, 2004.02. Camus A. Le premier Homme. Gallimard
Folio, 2000.03. GaRdneR H. Les intelligences multiples : La
thorie qui bouleverse nos ides reues.Ed. Retz, 2008.
04. lautRey J. Etude de la recherche sur la pr-cocit intellectuelle. Psychol Fr, 2004 ; 49.
05. Revol O. Mme pas grave, lchec scolaire,a se soigne Ed. JC Latts, 2006
06. Revol o, louis J, FouRneRet P. Lenfant pr-coce : signes particuliers. NeuropsychiatrEnf Adolesc, 2004 ; 52 : 148-153.
07. Revol o, FouRneRet P. Les troubles du com-portement de lenfant prcoce. Revue duPraticien, 2006, 56 : 402-403.
08. Revol O. Jai un ado mais je me soigne. Ed.JC Latts, 2010.09. Revol o, Bleandonu G. Prcocit, talents et
troubles dapprentissage. In : Approcheneuropsychologique des troubles dap-prentissage. Ed. Masson, 2010.
10. Revol o, Bleandonu G. Les consultations la pradolescence. Revue du Praticien,2011 (sous presse).
11. toRdJman S. (sous la direction de) Enfantssurdous en diffcult. Rennes : PressesUniversitaires de Rennes ; 2005.
L'auteur a dclar ne pas avoir de conflit d'intrtconcernant les donnes publies dans cet article.