Leibniz Monadologie

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  • Gottfried Wilhelm Leibniz

    La Monadologie

    (1840 posthume)

    Source : Les classiques de sciences sociales

    P h i l o S o p h i e

    j a n v i e r 2 0 1 1

    http://classiques.uqac.ca/classiques/Leibniz/La_Monadologie/La_Monadologie.htmlhttp://www.ac-grenoble.fr/PhiloSophie/http://www.ac-grenoble.fr/PhiloSophie/
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    Table des matires

    Avant-propos par Daniel Banda .................................... 3

    Notice sur la monadologie (historique et analyse) ....... 5

    La monadologie ............................................................ 12

    propos de cette dition lectronique ........................ 37

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    Avant-propos par Daniel Banda1

    La Monadologie, crite en franais par Leibniz en 1714, est publie aprs sa mort dans une traduction en allemand par Khler (1721). Loriginal (en franais) est publi par Erdmann en 1840.

    En 1881, mile Boutroux publie La Monadologie daprs les trois manuscrits (C. Delagrave, 1881, 231 pages). Luvre de Leibniz est accompagne dune Vie de Leibnitz , dune Philosophie de Leibnitz , dune Notice sur la Monadologie et d claircissements dE. Boutroux. Elle est suivie dextraits duvres de Leib-niz ainsi que dune Note sur les principes de la mca-nique dans Descartes et dans Leibnitz par Henri Poinca-r.

    Nous reproduisons ici La Monadologie (pages 141 192 de ldition dE. Boutroux), prcde de la Notice sur la Monadologie (pages 135 140), et sans les notes ( claircissements ) de Boutroux.

    Nous avons saisi et scann ces pages partir de ldition encore publie par la Librairie Delagrave, Paris, en 1978 : La Monadologie, dition annote, et prcde

    1 Professeur de philosophie en Seine-Saint-Denis et charg de cours d'esthtique Paris-I Sorbonne.

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    dune exposition du systme de Leibnitz par mile Bou-troux.

    Nous avons eu le souci de reproduire exactement le texte de ldition Delagrave, limage du respect dE. Bou-troux pour les manuscrits quil a consults : Nous avons respect, non pas lorthographe qui na videmment au-cune importance, mais la ponctuation de Leibnitz dont les particularits, vrai dire, tiennent principalement aux habitudes allemandes. Nous avons mme maintenu le plus souvent les majuscules du manuscrit, la suppression desquelles Leibnitz ne consentait pas volontiers, comme en font foi ses corrections sur les copies. Et, de fait, ces majuscules ne sont pas simplement, comme dans lcriture allemande ordinaire, la marque dun substantif : elles in-diquent visiblement dans la pense de lauteur un mot important. Cest ainsi quil crit : Monade, Perception, Apptition, tandis quil ne met pas de majuscules aux substantifs de la langue commune (Avant-propos, p. III).

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    Notice sur la monadologie (historique et analyse)

    Par mile Boutroux

    La Monadologie est un rsum de lensemble de la philosophie de Leibnitz. Elle fut compose en franais par Leibnitz, en 1714, pendant son dernier sjour Vienne, pour le prince Eugne de Savoie, prince minent par sa haute culture scientifique autant que par ses qualits de politique. Celui-ci enferma louvrage dans une cassette comme un trsor dun prix inestimable, et en accorda tout au plus la vue aux personnes dsireuses de le connatre. Il garde votre ouvrage, crivait Leibnitz le comte de Bonneval, ami du prince, comme les prtres de Naples gardent le sang de saint Janvier. Il me le fait baiser, puis il le renferme dans sa cassette2.

    La Monadologie ne fut pas publie du vivant de Leib-nitz. Khler la traduisit en allemand et Hansche, de Leip-zig, la traduisit en latin. Cette traduction parut dans les Acta eruditorum de 1721 sous le titre Principia philoso-phi seu theses in gratiam principis Eugenii conscript3. Elle figure dans ldition Dutens. Loriginal franais a t

    2 V. Guhrauer, G. W. Fr. v Leibnitz, t. II, p. 286.

    3 V. Kuno Fischer, Gesch. d. n. Phil., vol. II, p. 298, 2e dit.

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    publi pour la premire fois en 1840 par Erdmann, dans son dition des uvres philosophiques.

    Cet ouvrage, comme lindique le titre latin, est une s-rie de thses rsumant les principaux points de la philoso-phie de Leibnitz. Il ne peut servir dintroduction ltude de la philosophie de Leibnitz. Il suppose au contraire un lecteur dj vers dans cette philosophie ; et un tel lec-teur il enseigne le point o il faut se placer pour voir lensemble sous son vrai jour et dans son harmonie.

    Donner un rsum de ce rsum est videmment une entreprise illgitime : aussi nous bornerons-nous indi-quer le cadre et les grandes divisions de louvrage, dga-ger la disposition systmatique que dissimule plus ou moins la division de louvrage en thses numrotes.

    Le monde est une diversit et une harmonie. Pour le voir tel quil est, il faut la fois en discerner les dtails et en saisir lunit. Pour obtenir cette double connaissance, il faut russir se placer au point de vue suprme, un point de vue aussi voisin que possible du point de vue de Dieu lui-mme. La Monadologie dtermine ce point de vue, et nous donne une esquisse du monde tel quil appa-rat lobservateur qui sy trouve plac.

    On y peut distinguer trois parties : 1 les Monades ou lments des choses (du 1 au 36), 2 Dieu (du 37 au 48), 3 le monde conu dans sa cause qui est Dieu (du 49 au 90).

    Ainsi la marche est dabord ascendante, allant des cratures Dieu, puis descendante, allant de Dieu aux

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    cratures. On peut encore dire que la philosophie de Leib-nitz est dabord rgressive, puis progressive.

    I. MONADES. Les monades peuvent tre consid-res : 1 quant leur nature ( 1-17) 2 quant leurs de-grs de perfection ( 18-36).

    1. Leur nature. La nature des monades peut tre d-termine, dabord au point de vue externe, puis au point de vue interne.

    Au point de vue externe la monade est simple, inten-due, sans figure, indivisible, incapable de commencer ou de finir naturellement, incapable dtre modifie dans son intrieur par quelque autre crature ( 1-7).

    Au point de vue interne, la monade est doue de per-ception ou reprsentation dune multiplicit dans lunit, et dapptition ou tendance passer de perceptions moins distinctes des perceptions plus distinctes. Elle est ainsi comme un automate incorporel ( 8-17).

    2. Leurs degrs de perfection. Les monades compor-tent des degrs de perfection, dtermins par le caractre plus ou moins distinct de leurs perceptions. Les princi-paux sont les suivants :

    1 La monade ou entlchie pure et simple, possdant la perception et lapptit dans le sens gnral, sans la m-moire. Telle est la vie des plantes ( 18-24).

    2 La monade doue de mmoire, ou me, telle quelle existe chez les animaux. Ces tres sont capables de cons-cutions empiriques qui imitent la raison, mais ils ne peu-vent slever jusqua la raison elle-mme ( 25-28).

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    3 La monade doue de raison ou connaissance des v-rits ternelles, et, par suite, doue daperception ou de conscience. Une telle monade sappelle esprit, et nous est donne dans lhomme ( 29-30). Nos raisonnements, ou oprations de notre raison, sont fonds sur les deux grands principes de la contradiction et de la raison suffi-sante, lesquels sappliquent concurremment aux deux sortes de vrits auxquelles se ramnent toutes les vrits possibles, savoir les vrits de raisonnement et les vrits de fait ( 31-36).

    II. DIEU. La doctrine relative Dieu peut se diviser en deux parties : 1e son existence 37-45,2e sa nature 46-48.

    1. Son existence. Elle se dmontre en partant de la thorie des deux principes de la raison et des deux sortes de vrits. Cette dmonstration est double : a posteriori et a priori.

    A posteriori, un Dieu est ncessaire comme raison suf-fisante du contingent, lequel ne porte pas en soi son expli-cation dernire ( 37-42).

    A priori, 1 un Dieu est ncessaire comme source des essences ou possibilits, ou bien des vrits ternelles, en tant quil y a en elles une ralit ( 43-44) ; 2 Dieu existe ncessairement, sil est possible, cest--dire si la dfini-tion de Dieu nimplique pas contradiction ( 45).

    2. Sa nature. En tant que source des vrits ternelles, Dieu nagit point par sa volont ainsi que lont cru les Car-tsiens, mais par son seul entendement. En tant que source des vrits contingentes, au contraire. Dieu agit par

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    sa volont, laquelle se rgle, selon une ncessit, non go-mtrique, mais morale, sur le principe de la convenance ou du choix du meilleur ( 46).

    Les monades cres naissent par des fulgurations con-tinuelles de la Divinit ( 46-47).

    En Dieu sont la puissance, la connaissance et la volon-t, rpondant aux trois lments de la monade : le sujet ou la base, la perception, et lapptition ( 48).

    III. LE MONDE CONU DANS SA CAUSE. La doctrine progressive du monde peut tre divise en deux parties : 1 la nature du monde en gnral, cest--dire lharmonie universelle et loptimisme ( 49-60) ; 2 la constitution et la hirarchie des tres crs ( 61-90).

    1. Lharmonie universelle et loptimisme. Une crature est dite agir, une autre ptir, en tant que lune a des per-ceptions distinctes, et lautre des perceptions confuses correspondantes, cest--dire en tant que lune contient de quoi rendre raison a priori de ce qui se passe dans lautre. Cette influence des choses les unes sur les autres est, dans les substances simples, tout idale. Elle consiste dans une prordination divine. Or Dieu a, ds lorigine, rgl toutes les monades sans exception de manire qu chaque per-ception distincte de lune delles correspondent, en toutes les autres, des perceptions confuses, et rciproquement, de telle sorte que chaque monade soit reprsentative de tout lunivers, son point de vue ( 49-52).

    Il y a une infinit dunivers possibles, et il nen peut exister quun. Le choix de Dieu a t dtermin, selon le principe du meilleur, par la comparaison des perfections

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    quenveloppaient de toute ternit, avant le fiat divin lui-mme, les divers possibles. Dieu a choisi infailliblement le meilleur monde possible. Lexcellence de ce monde con-siste dans le plus de varit possible, avec le plus grand ordre ( 56-60).

    2. La hirarchie des tres. On peut distinguer cet gard : 1 les lments des tres crs en gnral ; 2 les degrs principaux de ces tres.

    1 Les lments ncessaires de tout tre cr sont : un corps compos, et une monade centrale ou entlchie.

    Les composs sont analogues aux simples : ils imitent linfluence rciproque tout idale des monades au moyen de linfluence mcanique, de telle sorte que tout change-ment survenu dans un corps est accompagn dun chan-gement contraire quivalent dans tous les autres corps. Tout corps se ressent ainsi de tout ce qui se fait dans lunivers. Et cest en reprsentant plus distinctement le corps qui lui est affect particulirement, que lentlchie ou me reprsente tout lunivers. Ainsi point dme sans corps dans la nature ( 61-62).

    2 Considrs an point de vue de leur degr de perfec-tion les tres crs forment comme trois mondes superpo-ss : le monde des vivants, le monde des animaux, et le monde des esprits.

    Les simples vivants ont dj des corps organiques, cest--dire des corps o, poussant la division linfini, on rencontrera toujours de la varit et de la convenance. Tout est plein de vivants, il ny a rien de mort dans la na-ture.

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    Dans les animaux, la naissance et la mort ne sont quun dveloppement et un enveloppement. Lunion de lme et du corps consiste en ce que chacun deux suit les lois qui lui sont propres, savoir, lme la loi des causes finales, le corps celles des causes efficientes, et en ce quils se rencontrent, en vertu de lharmonie prtablie par Dieu entre le rgne des causes efficientes et le rgne des causes finales. Cest le systme de lharmonie prtablie, cons-quence naturelle des principes mmes de la mcanique, exactement dtermins ( 63-81).

    Enfin au-dessus des animaux il y a les esprits, miroirs, non plus seulement, de lunivers, mais de Dieu mme, et capables dentrer dans une manire de socit avec lui. Lassemblage de tous les esprits forme la cit de Dieu, cest--dire un monde moral o le bien et le mal reoivent leur juste rcompense et leur juste chtiment, et o les bons aiment Dieu de ce pur amour vritable qui consiste jouir de la flicit de ce quon aime. Et ce monde moral ou rgne de la grce est en harmonie avec le monde naturel ou rgne de la nature, Dieu architecte contentant en tout Dieu lgislateur : de telle sorte que les choses conduisent la grce par les voies mmes de la nature ( 84-90).

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    La monadologie

    (1714)

    Principia philosophi seu theses in gratiam principis Eu-genii conscript

    1. La Monade, dont nous parlerons ici, nest autre chose quune substance simple, qui entre dans les compo-ss ; simple, cest--dire sans parties (Thod., 104).

    2. Et il faut quil y ait des substances simples, puisquil y a des composs ; car le compos nest autre chose quun amas ou aggregatum des simples.

    3. Or l, o il ny a point de parties, il ny a ni tendue, ni figure, ni divisibilit possible. Et ces Monades sont les vritables Atomes de la Nature et en un mot les lments des choses.

    4. Il ny a aussi point de dissolution craindre, et il ny a aucune manire concevable par laquelle une substance simple puisse prir naturellement ( 89).

    4 [Note dE. Boutroux :] Nous donnons (comme a dj fait Erdmann, mais non sans quelques inexactitudes) les renvois la Thodice, que lon lit, crits de la main de Leibnitz, dans la marge de la premire copie de la Monadologie.

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    5. Par la mme raison il ny a en aucune par laquelle une substance simple puisse commencer naturellement, puisquelle ne saurait tre forme par composition.

    6. Ainsi on peut dire, que les Monades ne sauraient commencer, ni finir, que tout dun coup, cest--dire, elles ne sauraient commencer que par cration et finir que par annihilation ; au lieu, que ce qui est compos, commence ou finit par parties.

    7. Il ny a pas moyen aussi dexpliquer, comment une Monade puisse tre altre ou change dans son intrieur par quelque autre crature ; puisquon ny saurait rien transposer, ni concevoir en elle aucun mouvement interne, qui puisse tre excit, dirig, augment ou diminu l de-dans ; comme cela se peut dans les composs, o il y a des changements entre les parties. Les Monades nont point de fentres, par lesquelles quelque chose y puisse entrer ou sortir. Les accidents ne sauraient se dtacher, ni se pro-mener hors des substances, comme faisaient autrefois les espces sensibles des Scolastiques. Ainsi ni substance, ni accident peut entrer de dehors dans une Monade.

    8. Cependant il faut que les Monades aient quelques qualits, autrement ce ne seraient pas mme des tres. Et si les substances simples ne diffraient point par leurs qualits ; il ny aurait pas moyen de sapercevoir daucun changement dans les choses ; puisque ce qui est dans le compos ne peut venir que des ingrdients simples ; et les Monades tant sans qualits, seraient indistinguables lune de lautre, puisque aussi bien elles ne diffrent point en quantit : et par consquent le plein tant suppos, chaque lieu ne recevrait toujours, dans le mouvement, que

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    lquivalent de ce quil avait eu, et un tat des choses serait indiscernable de lautre.

    9. Il faut mme, que chaque Monade soit diffrente de chaque autre. Car il ny a jamais dans la nature deux tres, qui soient parfaitement lun comme lautre et o il ne soit possible de trouver une diffrence interne, ou fonde sur une dnomination intrinsque.

    10. Je prends aussi pour accord que tout tre cr est sujet au changement, et par consquent la Monade cre aussi, et mme que ce changement est continuel dans cha-cune.

    11. Il sensuit de ce que nous venons de dire, que les changements naturels des Monades viennent dun prin-cipe interne, puisquune cause externe ne saurait influer dans son intrieur ( 396, 900).

    12. Mais il faut aussi quoutre le principe du change-ment il y ait un dtail de ce qui change, qui fasse pour ainsi dire la spcification et la varit des substances simples.

    13. Ce dtail doit envelopper une multitude dans lunit ou dans le simple. Car tout changement naturel se faisant par degrs, quelque chose change et quelque chose reste ; et par consquent il faut que dans la substance simple il y ait une pluralit daffections et de rapports, quoiquil ny en ait point de parties.

    14. Ltat passager, qui enveloppe et reprsente une multitude dans lunit ou dans la substance simple, nest autre chose que ce quon appelle la Perception, quon doit

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    distinguer de laperception ou de la conscience, comme il paratra dans la suite. Et cest en quoi les Cartsiens ont fort manqu, ayant compt pour rien les perceptions, dont on ne saperoit pas. Cest aussi ce qui les a fait croire que les seuls esprits taient des Monades et quil ny avait point dAmes des Btes ni dautres Entlchies ; et quils ont confondu avec le vulgaire un long tourdissement avec une mort la rigueur, ce qui les a fait encore donner dans le prjug scolastique des mes entirement spares, et a mme confirm les esprits mal tourns dans lopinion de la mortalit des mes.

    15. Laction du principe interne qui fait le changement ou le passage dune perception une autre, peut tre appe-l Apptition : il est vrai que lapptit ne saurait toujours parvenir entirement toute la perception, o il tend, mais il en obtient toujours quelque chose, et parvient des perceptions nouvelles.

    16. Nous exprimentons nous-mmes une multitude dans la substance simple, lorsque nous trouvons que la moindre pense dont nous nous apercevons, enveloppe une varit dans lobjet. Ainsi tous ceux qui reconnaissent que lme est une substance simple, doivent reconnatre cette multitude dans la Monade ; et Monsieur Bayle ne devait point y trouver de la difficult, comme il a fait dans son Dictionnaire article Rorarius.

    17. On est oblig dailleurs de confesser que la Percep-tion et ce qui en dpend, est inexplicable par des raisons mcaniques, cest--dire par les figures et par les mouve-ments. Et feignant quil y ait une Machine, dont la struc-ture fasse penser, sentir, avoir perception ; on pourra la

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    concevoir agrandie en conservant les mmes proportions, en sorte quon y puisse entrer, comme dans un moulin. Et cela pos, on ne trouvera en la visitant au dedans, que des pices, qui poussent les unes les autres, et jamais de quoi expliquer une perception. Ainsi cest dans la substance simple, et non dans le compos, ou dans la machine quil la faut chercher. Aussi ny a-t-il que cela quon puisse trouver dans la substance simple, cest--dire, les percep-tions et leurs changements. Cest en cela seul aussi que peuvent consister toutes les Actions internes des subs-tances simples (Prf. ***, 2 b5)

    18. On pourrait donner le nom dEntlchies toutes les substances simples, ou Monades cres, car elles ont en elles une certaine perfection (chousi to entels), il y a une suffisance (autarkeia) qui les rend sources de leurs actions internes et pour ainsi dire des automates incorporels ( 87).

    19. Si nous voulons appeler me tout ce qui a percep-tions et apptits dans le sens gnral, que je viens dexpliquer ; toutes les substances simples ou Monades cres pourraient tre appeles Ames ; mais, comme le sentiment est quelque chose de plus quune simple percep-tion, je consens que le nom gnral de Monades et dEntlchies suffise aux substances simples qui nauront que cela ; et quon appelle Ames seulement celles dont la perception est plus distincte et accompagne de mmoire.

    5 Voy. d. Erdm, p. 474 a.

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    20. Car nous exprimentons en nous-mmes un tat, o nous ne nous souvenons de rien et navons aucune per-ception distingue ; comme lorsque nous tombons en d-faillance, ou quand nous sommes accabls dun profond sommeil sans aucun songe. Dans cet tat lme ne diffre point sensiblement dune simple Monade ; mais comme cet tat nest point durable, et quelle sen tire, elle est quelque chose de plus ( 64).

    21. Et il ne sensuit point qualors la substance simple soit sans aucune perception. Cela ne se peut pas mme par les raisons susdites ; car elle ne saurait prir, elle ne sau-rait aussi subsister sans quelque affection qui nest autre chose que sa perception : mais quand il y a une grande multitude de petites perceptions, o il ny a rien de distin-gu, on est tourdi ; comme quand on tourne continuelle-ment dun mme sens plusieurs fois de suite, o il vient un vertige qui peut nous faire vanouir et qui ne nous laisse rien distinguer. Et la mort peut donner cet tat pour un temps aux animaux.

    22. Et comme tout prsent tat dune substance simple est naturellement une suite de son tat prcdent, telle-ment que le prsent y est gros de lavenir ( 360) ;

    23. Donc, puisque rveill de ltourdissement on saperoit de ses perceptions, il faut bien quon en ait eu immdiatement auparavant, quoiquon ne sen soit point aperu ; car une perception ne saurait venir naturellement que dune autre perception, comme un mouvement ne peut venir naturellement que dun mouvement ( 401-403).

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    24. Lon voit par l que si nous navions rien de distin-gu et pour ainsi dire de relev, et dun plus haut got dans nos perceptions, nous serions toujours dans ltourdissement. Et cest ltat des Monades toutes nues.

    25. Aussi voyons-nous que la Nature a donn des per-ceptions releves aux animaux, par les soins quelle a pris de leur fournir des organes, qui ramassent plusieurs rayons de lumire ou plusieurs ondulations de lair, pour les faire avoir plus defficace par leur union. Il y a quelque chose dapprochant dans lodeur, dans le got et dans lattouchement, et peut-tre dans quantit dautres sens, qui nous sont inconnus. Et jexpliquerai tantt, comment ce qui se passe dans lme reprsente ce qui se fait dans les organes.

    26. La mmoire fournit une espce de conscution aux mes, qui imite la raison, mais qui en doit tre distingue. Cest que nous voyons que les animaux, ayant la percep-tion de quelque chose qui les frappe et dont ils ont eu per-ception semblable auparavant, sattendent par la reprsen-tation de leur mmoire ce qui y a t joint dans cette perception prcdente et sont ports des sentiments semblables ceux quils avaient pris alors. Par exemple : quand on montre le bton aux chiens, ils se souviennent de la douleur quil leur a cause et crient et fuient (Pr-lim.6, 65)

    6 Cest--dire : Discours de la conformit de la Foi avec la Raison.

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    27. Et limagination forte qui les frappe et meut, vient ou de la grandeur ou de la multitude des perceptions pr-cdentes. Car souvent une impression forte fait tout dun coup leffet dune longue habitude ou de beaucoup de per-ceptions mdiocres ritres.

    28. Les hommes agissent comme les btes, en tant que les conscutions de leurs perceptions ne se font que par le principe de la mmoire ; ressemblant aux mdecins empi-riques, qui ont une simple pratique sans thorie ; et nous ne sommes quempiriques dans les trois quarts de nos actions. Par exemple, quand on sattend quil y aura jour demain, on agit en empirique, parce que cela sest toujours fait ainsi, jusquici. Il ny a que lastronome qui le juge par raison.

    29. Mais la connaissance des vrits ncessaires et ternelles est ce qui nous distingue des simples animaux et nous fait avoir la Raison et les sciences ; en nous levant la connaissance de nous-mmes et de Dieu. Et cest ce quon appelle en nous me raisonnable, ou Esprit.

    30. Cest aussi par la connaissance des vrits nces-saires et par leurs abstractions que nous sommes levs aux actes rflexifs, qui nous font penser ce qui sappelle moi et considrer que ceci ou cela est en nous : et cest ainsi quen pensant nous, nous pensons ltre, la Substance, au simple et au compos, limmatriel et Dieu mme ; en concevant que ce qui est born en nous, est en lui sans bornes. Et ces actes rflexifs fournissent les

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    objets principaux de nos raisonnements (Thod., Prf. *, 4, a7)

    31. Nos raisonnements sont fonds sur deux grands principes, celui de la contradiction en vertu duquel nous jugeons faux ce qui en enveloppe, et vrai ce qui est oppos ou contradictoire au faux ( 44, 196).

    32. Et celui de la raison suffisante, en vertu duquel nous considrons quaucun fait ne saurait se trouver vrai, ou existant, aucune nonciation vritable, sans quil y ait une raison suffisante pourquoi il en soit ainsi et non pas autrement. Quoique ces raisons le plus souvent ne puis-sent point nous tre connues ( 44, 196).

    33. Il y a aussi deux sortes de vrits, celles de Raison-nement et celle de Fait. Les vrits de Raisonnement sont ncessaires et leur oppos est impossible, et celles de Fait sont contingentes et leur oppos est possible. Quand une vrit est ncessaire, on en peut trouver la raison par lanalyse, la rsolvant en ides et en vrits plus simples, jusqu ce quon vienne aux primitives ( 170, 174, 189, 280-282, 367. Abrg object. 3).

    34. Cest ainsi que chez les Mathmaticiens, les tho-rmes de spculation et les canons de pratique sont r-duits par lanalyse aux Dfinitions, Axiomes et Demandes.

    35. Et il y a enfin des ides simples dont on ne saurait donner la dfinition ; il y a aussi des axiomes et demandes, ou en un mot, des principes primitifs, qui ne sauraient

    7 Edit. Erdm., p. 469 a.

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    tre prouvs et nen ont point besoin aussi ; et ce sont les nonciations identiques, dont loppos contient une con-tradiction expresse ( 36, 37, 44, 45, 49, 52, 121-122, 337, 340-344).

    36. Mais la raison suffisante se doit trouver aussi dans les vrits contingentes ou de fait, cest--dire, dans la suite des choses rpandues par lunivers des cratures ; o la rsolution en raisons particulires pourrait aller un dtail sans bornes, cause de la varit immense des choses de la Nature et de la division des corps linfini. Il y a une infinit de figures et de mouvements prsents et passs qui entrent dans la cause efficiente de mon criture prsente ; et il y a une infinit de petites inclinations et dispositions de mon me, prsentes et passes, qui entrent dans la cause finale.

    37. Et comme tout ce dtail nenveloppe que dautres contingents antrieurs ou plus dtaills, dont chacun a encore besoin dune analyse semblable pour en rendre raison, on nen est pas plus avanc : et il faut que la raison suffisante ou dernire soit hors de la suite ou sries de ce dtail des contingences, quelquinfini quil pourrait tre.

    38. Et cest ainsi que la dernire raison des choses doit tre dans une substance ncessaire, dans laquelle le dtail des changements ne soit quminemment, comme dans la source : et cest ce que nous appelons Dieu ( 7).

    39. Or cette substance tant une raison suffisante de tout ce dtail, lequel aussi est li par tout ; il ny a quun Dieu, et ce Dieu suffit.

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    40. On peut juger aussi que cette substance suprme qui est unique, universelle et ncessaire, nayant rien hors delle qui en soit indpendant, et tant une suite simple de ltre possible ; doit tre incapable de limites et contenir tout autant de ralit quil est possible.

    41. Do il sensuit que Dieu est absolument parfait ; la perfection ntant autre chose que la grandeur de la ralit positive prise prcisment, en mettant part les limites ou bornes dans les choses qui en ont. Et l, o il ny a point de bornes, cest--dire, en Dieu, la perfection est absolument infinie ( 22, Prf. *, 4 a8).

    42. Il sensuit aussi que les cratures ont leurs perfec-tions de linfluence de Dieu, mais quelles ont leurs imper-fections de leur nature propre, incapable dtre sans bornes. Car cest en cela quelles sont distingues de Dieu. Cette imperfection originale des cratures se remarque dans linertie naturelle des corps ( 20, 27-30, 153, 167, 377 et suiv.).

    43. Il est vrai aussi quen Dieu est non seulement la source des existences, mais encore celles des essences, en tant que relles, ou de ce quil y a de rel dans la possibili-t. Cest parce que lentendement de Dieu est la rgion des vrits ternelles, ou des ides dont elles dpendent, et que sans lui il ny aurait rien de rel dans les possibilits, et non seulement rien dexistant, mais encore rien de pos-sible ( 20).

    8.d. Erdm., p. 469 a.

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    44. Car il faut bien que sil y a une ralit dans les es-sences ou possibilits, ou bien dans les vrits ternelles, cette ralit soit fonde en quelque chose dexistant et dactuel ; et par consquent dans lexistence de ltre n-cessaire, dans lequel lessence renferme lexistence, ou dans lequel il suffit dtre possible pour tre actuel ( 184-189, 335).

    45. Ainsi Dieu seul (ou ltre ncessaire) a ce privilge quil faut quil existe sil est possible. Et comme rien ne peut empcher la possibilit de ce qui nenferme aucunes bornes, aucune ngation, et par consquent, aucune con-tradiction, cela seul suffit pour connatre lexistence de Dieu a priori. Nous lavons prouve aussi par la ralit des vrits ternelles. Mais nous venons de la prouver aussi a posteriori puisque des tres contingents existent, lesquels ne sauraient avoir leur raison dernire ou suffisante que dans ltre ncessaire, qui a la raison de son existence en lui-mme.

    46. Cependant il ne faut point simaginer avec quelques-uns, que les vrits ternelles, tant dpendantes de Dieu, sont arbitraires et dpendent de sa volont, comme Descartes parat lavoir pris et puis M. Poiret. Cela nest vritable que des vrits contingentes, dont le prin-cipe est la convenance ou le choix du meilleur ; au lieu que les vrits ncessaires dpendent uniquement de son en-tendement, et en sont lobjet interne ( 180-184, 185, 335, 351, 380).

    47. Ainsi Dieu seul est lunit primitive, ou la subs-tance simple originaire, dont toutes les Monades cres ou drivatives sont des productions et naissent, pour ainsi

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    dire, par des Fulgurations continuelles de la Divinit de moment en moment, bornes par la rceptivit de la cra-ture, laquelle il est essentiel dtre limite ( 382-391, 398, 395).

    48. Il y a en Dieu la Puissance, qui est la source de tout, puis la Connaissance qui contient le dtail des ides, et enfin la Volont, qui fait les changements ou produc-tions selon le principe du meilleur ( 7,149-150). Et cest ce qui rpond ce qui, dans les monades cres, fait le sujet ou la base, la facult perceptive et la facult apptitive. Mais en Dieu ces attributs sont absolument infinis ou par-faits ; et dans les Monades cres ou dans les entlchies (ou perfectihabies, comme Hermolas Barbarus traduisait ce mot) ce nen sont que des imitations, mesure quil y a de la perfection ( 87).

    49. La crature est dite agir au-dehors en tant quelle a de la perfection, et ptir dune autre, en tant quelle est imparfaite. Ainsi lon attribue laction la Monade, en tant quelle a des perceptions distinctes, et la passion en tant quelle en a de confuses ( 32, 66, 386).

    50. Et une crature est plus parfaite quune autre, en ce quon trouve en elle ce qui sert rendre raison a priori de ce qui se passe dans lautre, et cest par l quon dit quelle agit sur lautre.

    51. Mais dans les substances simples ce nest quune influence idale dune monade sur lautre, qui ne peut avoir son effet que par lintervention de Dieu, en tant que dans les ides de Dieu une monade demande avec raison, que Dieu en rglant les autres ds le commencement des choses, ait gard elle. Car puisquune Monade cre ne

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    saurait avoir une influence physique sur lintrieur de lautre, ce nest que par ce moyen que lune peut avoir de la dpendance de lautre ( 9, 54, 65-66, 201. Abrg object. 3).

    52. Et cest par l, quentre les cratures les actions et passions sont mutuelles. Car Dieu comparant deux subs-tances simples, trouve en chacune des raisons, qui lobligent y accommoder lautre ; et par consquent ce qui est actif certains gards, est passif suivant un autre point de considration : actif en tant, que ce quon connat distinctement en lui, sert rendre raison de ce qui se passe dans un autre ; et passif en tant que la raison de ce qui se passe en lui, se trouve dans ce qui se connat dis-tinctement dans un autre ( 66).

    53. Or, comme il y a une infinit dunivers possibles dans les Ides de Dieu et quil nen peut exister quun seul, il faut quil y ait une raison suffisante du choix de Dieu, qui le dtermine lun plutt qu lautre ( 8, 10, 44, 173, 196 et s., 225, 414-416).

    54. Et cette raison ne peut se trouver que dans la con-venance, ou dans les degrs de perfection, que ces mondes contiennent ; chaque possible ayant droit de prtendre lexistence mesure de la perfection quil enveloppe ( 74, 167, 350, 201, 130, 352, 345 et s., 354).

    55. Et cest ce qui est la cause de lexistence du meil-leur, que la sagesse fait connatre Dieu, que sa bont le fait choisir, et que sa puissance le fait produire ( 8,7, 80, 84, 119, 204, 206, 208. Abrg object. 1, object. 8).

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    56. Or cette liaison ou cet accommodement de toutes les choses cres chacune et de chacune toutes les autres, fait que chaque substance simple a des rapports qui expriment toutes les autres, et quelle est par cons-quent un miroir vivant perptuel de lunivers ( 130,360).

    57. Et, comme une mme ville regarde de diffrents cts parat tout autre, et est comme multiplie perspecti-vement ; il arrive de mme, que par la multitude infinie des substances simples, il y a comme autant de diffrents univers, qui ne sont pourtant que les perspectives dun seul selon les diffrents points de vue de chaque Monade.

    58. Et cest le moyen dobtenir autant de varit quil est possible, mais avec le plus grand ordre, qui se puisse, cest--dire, cest le moyen dobtenir autant de perfection quil se peut ( 120, 124, 241 sqq., 214, 243, 275).

    59. Aussi nest-ce que cette hypothse (que jose dire dmontre) qui relve comme il faut la grandeur de Dieu : cest ce que Monsieur Bayle reconnut, lorsque dans son Dictionnaire (article Rorarius) il y fit des objections, o mme il fut tent de croire, que je donnais trop Dieu, et plus quil nest possible. Mais il ne put allguer aucune raison, pourquoi cette harmonie universelle, qui fait que toute substance exprime exactement toutes les autres par les rapports quelle y a, ft impossible.

    60. On voit dailleurs dans ce que je viens de rapporter, les raisons a priori pourquoi les choses ne sauraient aller autrement. Parce que Dieu en rglant le tout a eu gard chaque partie, et particulirement chaque monade, dont la nature tant reprsentative, rien ne la saurait borner ne reprsenter quune partie des choses ; quoiquil soit vrai

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    que cette reprsentation nest que confuse dans le dtail de tout lunivers, et ne peut tre distincte que dans une petite partie des choses, cest--dire dans celles qui sont ou les plus prochaines, ou les plus grandes par rapport chacune des Monades ; autrement chaque monade serait une Divi-nit. Ce nest pas dans lobjet, mais dans la modification de la connaissance de lobjet, que les monades sont bornes. Elles vont toutes confusment linfini, au tout ; mais elles sont limites et distingues par les degrs des perceptions distinctes.

    61. Et les composs symbolisent en cela avec les simples. Car, comme tout est plein, ce qui rend toute la matire lie, et comme dans le plein tout mouvement fait quelque effet sur les corps distants, mesure de la dis-tance, de sorte que chaque corps est affect non seulement par ceux qui le touchent, et se ressent en quelque faon de tout ce qui leur arrive, mais aussi par leur moyen se res-sent encore de ceux qui touchent les premiers, dont il est touch immdiatement : il sensuit, que cette communica-tion va quelque distance que ce soit. Et par consquent tout corps se ressent de tout ce qui se fait dans lunivers ; tellement que celui qui voit tout, pourrait lire dans chacun ce qui se fait partout et mme ce qui sest fait ou se fera ; en remarquant dans le prsent ce qui est loign, tant se-lon les temps que selon les lieux : sumpnoia panta9, disait Hippocrate. Mais une me ne peut lire en elle-mme que

    9 [] La mme citation dHippocrate se retrouve dans lAvant-propos des Nouveaux Essais, d. Erdm., p. 197 b, ainsi traduite par Leibnitz : tout est conspirant .

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    ce qui y est reprsent distinctement, elle ne saurait dve-lopper tout dun coup tous ses replis, car ils vont linfini.

    62. Ainsi quoique chaque monade cre reprsente tout lunivers, elle reprsente plus distinctement le corps qui lui est affect particulirement et dont elle fait lentlchie : et comme ce corps exprime tout lunivers par la connexion de toute la matire dans le plein, lme repr-sente aussi tout lunivers en reprsentant ce corps, qui lui appartient dune manire particulire ( 400).

    63. Le corps appartenant une Monade, qui en est lentlchie ou lme, constitue avec lentlchie ce quon peut appeler un vivant, et avec lme ce quon appelle un animal. Or ce corps dun vivant ou dun animal est tou-jours organique ; car toute Monade tant un miroir de lunivers sa mode, et lunivers tant rgl dans un ordre parfait, il faut quil y ait aussi un ordre dans le reprsen-tant, cest--dire dans les perceptions de lme, et par con-squent dans le corps, suivant lequel lunivers y est repr-sent ( 403).

    64. Ainsi chaque corps organique dun vivant est une espce de machine divine, ou dun automate naturel, qui surpasse infiniment tous les automates artificiels. Parce quune machine faite par lart de lhomme, nest pas ma-chine dans chacune de ses parties. Par exemple : la dent dune roue de laiton a des parties ou fragments qui ne nous sont plus quelque chose dartificiel et nont plus rien, qui marque de la machine par rapport lusage, o la roue tait destine. Mais les machines de la nature, cest--dire les corps vivants, sont encore machines dans leurs moindres parties, jusqu linfini. Cest ce qui fait la diff-

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    rence entre la Nature et lArt, cest--dire entre lart Divin et le ntre ( 134, 146, 194, 483).

    65. Et lauteur de la nature a pu pratiquer cet artifice divin et infiniment merveilleux, parce que chaque portion de la matire nest pas seulement divisible linfini comme les anciens ont reconnu, mais encore sous-divise actuel-lement sans fin, chaque partie en parties, dont chacune a quelque mouvement propre, autrement il serait impos-sible, que chaque portion de la matire pt exprimer tout lunivers (Prlim. [Disc. d. l. conform.], 70. Thod., 195).

    66. Par o lon voit quil y a un monde de cratures, de vivants, danimaux, dentlchies, dmes dans la moindre partie de la matire.

    67. Chaque portion de la matire peut tre conue, comme un jardin plein de plantes, et comme un tang plein de poissons. Mais chaque rameau de la plante, chaque membre de lanimal, chaque goutte de ses hu-meurs est encore un tel jardin, ou un tel tang.

    68. Et quoique la terre et lair intercepts entre les plantes du jardin, ou leau intercepte entre les poissons de ltang, ne soit point plante, ni poisson ; ils en contien-nent pourtant encore, mais le plus souvent dune subtilit nous imperceptible.

    69. Ainsi il ny a rien dinculte, de strile, de mort dans lunivers, point de chaos, point de confusion quen appa-rence ; peu prs comme il en paratrait dans un tang une distance dans laquelle on verrait un mouvement con-fus et grouillement, pour ainsi dire, de poissons de ltang,

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    sans discerner les poissons mmes (Prf. ***, 5, b ****, 610).

    70. On voit par l, que chaque corps vivant a une ent-lchie dominante qui est lme dans lanimal ; mais les membres de ce corps vivant sont pleins dautres vivants, plantes, animaux, dont chacun a encore son entlchie, ou son me dominante.

    71. Mais il ne faut point simaginer avec quelques-uns, qui avaient mal pris ma pense, que chaque me a une masse ou portion de la matire propre ou affecte elle pour toujours, et quelle possde par consquent dautres vivants infrieurs, destins toujours son service. Car tous les corps sont dans un flux perptuel comme des rivires ; et des parties y entrent et en sortent continuellement.

    72. Ainsi lme ne change de corps que peu peu et par degrs, de sorte quelle nest jamais dpouille tout dun coup de tous ses organes ; et il y a souvent mtamorphose dans les animaux, mais jamais mtempsychose ni trans-migration des Ames : il ny a pas non plus des Ames tout fait spares, ni de gnies sans corps. Dieu seul en est d-tach entirement ( 90,124).

    73. Cest ce qui fait aussi quil ny a jamais ni gnra-tion entire, ni mort parfaite prise la rigueur, consistant dans la sparation de lme. Et ce que nous appelons G-nrations sont des dveloppements et des accroisse-ments ; comme ce que nous appelons morts, sont des en-veloppements et des diminutions.

    10 d. Erdm., p. 475 b; p. 477 b.

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    74. Les philosophes ont t fort embarrasss sur lorigine des formes, entlchies, ou Ames ; mais au-jourdhui, lorsquon sest aperu, par des recherches exactes faites sur les plantes, les insectes et les animaux, que les corps organiques de la nature ne sont jamais pro-duits dun chaos ou dune putrfaction ; mais toujours par les semences, dans lesquelles il y avait sans doute quelque prformation ; on a jug, que non seulement le corps or-ganique y tait dj avant la conception, mais encore une me dans ce corps, et en un mot lanimal mme ; et que par le moyen de la conception cet animal a t seulement dispos une grande transformation pour devenir un animal dune autre espce. On voit mme quelque chose dapprochant hors de la gnration, comme lorsque les vers deviennent mouches, et que les chenilles deviennent papillons ( 86,89, Prf. ***, 5, b et pages suivantes11, 90, 187-188, 403, 86, 397).

    75. Les animaux, dont quelques-uns sont levs au de-gr des plus grands animaux par le moyen de la concep-tion, peuvent tre appels spermatiques ; mais ceux dentre eux qui demeurent dans leur espce, cest--dire la plupart, naissent, se multiplient et sont dtruits comme les grands animaux, et il ny a quun petit nombre dlus, qui passe un plus grand thtre.

    76. Mais ce ntait que la moiti de la vrit : jai donc jug que si lanimal ne commence jamais naturellement, il ne finit pas naturellement non plus ; et que non seulement il ny aura point de gnration, mais encore point de des-

    11 dit. Erdm., p. 475 b.

  • 32

    truction entire, ni mort prise la rigueur. Et ces raison-nements faits a posteriori et tirs des expriences saccordent parfaitement avec mes principes dduits a priori comme ci- dessus ( 90).

    77. Ainsi on peut dire que non seulement lme (miroir dun univers indestructible) est indestructible, mais en-core lanimal mme, quoique sa machine prisse souvent en partie, et quitte ou prenne des dpouilles organiques.

    78. Ces principes mont donn moyen dexpliquer na-turellement lunion ou bien la conformit de lme et du corps organique. Lme suit ses propres lois et le corps aussi les siennes ; et ils se rencontrent en vertu de lharmonie prtablie entre toutes les substances, puisquelles sont toutes les reprsentations dun mme univers (Prf. ***, 612, 340, 352, 353, 358).

    79. Les mes agissent selon les lois des causes finales par apptitions, fins et moyens. Les corps agissent selon les lois des causes efficientes ou des mouvements. Et les deux rgnes, celui des causes efficientes et celui des causes finales sont harmoniques entre eux.

    80. Descartes a reconnu, que les mes ne peuvent point donner de la force aux corps, parce quil y a toujours la mme quantit de force dans la matire. Cependant il a cru que lme pouvait changer la direction des corps. Mais cest parce quon na point su de son temps la loi de la na-ture, qui porte encore la conservation de la mme direc-tion totale dans la matire. Sil lavait remarque, il serait

    12 Edit. Erdm., p. 476 a.

  • 33

    tomb dans mon Systme de lHarmonie prtablie (Prf. **** 13, 22, 59, 60, 61, 62, 66, 345-346 sqq., 354-355).

    81. Ce Systme fait que les corps agissent comme si (par impossible) il ny avait point dAmes ; et que les Ames agissent, comme sil ny avait point de corps ; et que tous deux agissent comme si lun influait sur lautre.

    82. Quant aux Esprits ou Ames raisonnables, quoique je trouve quil y a dans le fond la mme chose dans tous les vivants et animaux, comme nous venons de dire (savoir que lanimal et lme ne commencent quavec le monde, et ne finissent pas non plus que le monde), il y a pourtant cela de particulier dans les Animaux raisonnables, que leurs petits Animaux spermatiques, tant quils ne sont que cela, ont seulement des mes ordinaires ou sensitives ; mais ds que ceux qui sont lus, pour ainsi dire, parvien-nent par une actuelle conception la nature humaine, leurs mes sensitives sont leves au degr de la raison et la prrogative des Esprits ( 91, 397).

    83. Entre autres diffrences quil y a entre les Ames ordinaires et les Esprits, dont jen ai dj marqu une par-tie, il y a encore celle-ci : que les mes en gnral sont des miroirs vivants ou images de lunivers des cratures ; mais que les esprits sont encore des images de la Divinit mme, ou de lAuteur mme de la nature : capables de connatre le systme de lunivers et den imiter quelque chose par des chantillons architectoniques ; chaque esprit

    13 dit. Erdm., p. 477 a.

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    tant comme une petite divinit dans son dpartement ( 147).

    84. Cest ce qui fait que les Esprits sont capables dentrer dans une manire de Socit avec Dieu, et quil est leur gard, non seulement ce quun inventeur est sa Machine (comme Dieu lest par rapport aux autres cra-tures) mais encore ce quun Prince est ses sujets, et mme un pre ses enfants.

    85. Do il est ais de conclure, que lassemblage de tous les Esprits doit composer la Cit de Dieu, cest--dire le plus parfait tat qui soit possible sous le plus parfait des Monarques ( 146. Abrg object.).

    86. Cette Cit de Dieu, cette Monarchie vritablement universelle est un Monde Moral, dans le monde Naturel, et ce quil y a de plus lev et de plus divin dans les ouvrages de Dieu : et cest en lui que consiste vritablement la gloire de Dieu, puisquil ny en aurait point, si sa grandeur et sa bont ntaient pas connues et admires par les esprits, cest aussi par rapport cette Cit divine quil a propre-ment de la Bont, au lieu que sa sagesse et sa puissance se montrent partout.

    87. Comme nous avons tabli ci-dessus une Harmonie parfaite entre deux Rgnes naturels, lun des causes Effi-cientes, lautre des Finales, nous devons remarquer ici encore une autre harmonie entre le rgne Physique de la Nature et le rgne Moral de la Grce, cest--dire, entre Dieu considr comme Architecte de la Machine de lunivers, et Dieu considr comme Monarque de la Cit divine des Esprits ( 62, 74, 118, 248, 112, 130, 247).

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    88. Cette Harmonie fait que les choses conduisent la Grce par les voies mmes de la Nature, et que ce globe par exemple doit tre dtruit et rpar par les voies natu-relles dans les moments que le demande le gouvernement des Esprits ; pour le chtiment des uns, et la rcompense des autres ( 18 sqq., 110, 244-245, 340).

    89. On peut dire encore, que Dieu comme Architecte contente en tout Dieu, comme lgislateur ; et quainsi les pchs doivent porter leur peine avec eux par lordre de la nature ; et en vertu mme de la structure mcanique des choses ; et que de mme les belles actions sattireront leurs rcompenses par des voies machinales par rapport aux corps ; quoique cela ne puisse et ne doive pas arriver tou-jours sur-le-champ.

    90. Enfin sous ce gouvernement parfait il ny aurait point de bonne Action sans rcompense, point de mau-vaise sans chtiment : et tout doit russir au bien des bons ; cest--dire de ceux qui ne sont point des mcon-tents dans ce grand tat, qui se fient la Providence, aprs avoir fait leur devoir, et qui aiment et imitent, comme il faut, lAuteur de tout bien, se plaisant dans la considra-tion de ses perfections suivant la nature du pur amour vritable, qui fait prendre plaisir la flicit de ce quon aime. Cest ce qui fait travailler les personnes sages et ver-tueuses tout ce qui parat conforme la volont divine prsomptive, ou antcdente ; et se contenter cependant de ce que Dieu fait arriver effectivement par sa volont secrte, consquente et dcisive ; en reconnaissant, que si nous pouvions entendre assez lordre de lunivers, nous trouverions quil surpasse tous les souhaits des plus sages, et quil est impossible de le rendre meilleur quil est ; non

  • 36

    seulement pour le tout en gnral, mais encore pour nous-mmes en particulier, si nous sommes attachs, comme il faut lAuteur du tout, non seulement comme lArchitecte et la cause efficiente de notre tre, mais en-core comme notre Matre et la cause finale qui doit faire tout le but de notre volont, et peut seul faire notre bonheur (Prf. *, 4 a b14. 278. Prf. *, 4 b15).

    FIN

    14 dit. Erdm., p. 469.

    15 dit. Erdm., p. 469 b.

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