Lecture de Lucien Sève (l'homme) Jean-Pierre Dussaud, blog

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23/06/13 Lectur e de Luci en Sève | Jean-Pi err e Dussaud, bl og sortirdelaconfusion.w ordpr ess.com/2009/07/26/l ectur e- de-luci en-sev e/ 1/59 Jean-Pierre Dussaud, blog Lecture de Lucien Sève Publié le 26 juille t, 2009 par Jean-Pierre Duss aud Lucien Sève : « « L’homme » ? ». ’homme, c’e st d’abord l’indivi du biol ogique, avec les réa ctions i nstincti ves ou réflexes absolus, avec les réactions acquises ou réflexes conditionnés qui permettent une meilleure adaptation au milieu, avec ême la création de nouveaux comportements comme celui d’utiliser une branche existant dans le champ visuel pour attraper un fruit. Mais l’homme, c’est principalement un être social qui d’une part s’approprie les formes historiques d’individualité présentes dans le monde humain, qui les incorpore, souvent avec une aide pédag ogique, et d’autre part mani feste une activi té sociale qui change le monde humain. L’appropriation du monde humain par l’individu constitue des fonctions psychiques supérieure s qui réorganisent les données psyc hiques primaires. En ce sens l’indivi du humai n est plus un être social qu’un être biologi que. Si l’esse nce d’ une chose e st ce qui l a produit, l’esse nce de l’homme, ce qui expli que son développe ment, est l ’ens emble des rapports soc iaux, non une natu re, des dons , des capac it és ou des aptit udes innées. a biologie n’explique pas suffisamment comment les activités de l’individu sont incorporées. a psyc hologie sociale ou l a psych ologie des foul es ou la psychologie collective n’ont pas l e droit d’attribuer un psychisme à une autre entité qu’un individu humain. Elles se contentent souvent d’analyser certaines attitudes, certains rô les propres à l’individu et qui manifestent des modèles culturels, mais elles ne parlent pas des activités de production de l’individu. La sociologie met rarement en valeur ces formes historiques d’individualité si importantes pour le développement individuel, comment se f orment l es fonctions psychiques s upérieures, alors que le marxism e parle de produc ti on et de reproduction du travailleur. Dans la famille, à l’école, dans le domaine de la culture et de la politique, dans le travail conc ret producteur de valeurs d’us a  ge, les formes historiques d’individual it é forment l es indi vidus directement selon des finalités prédéterminées, avec plus ou moins d’efficacité, mais il y a aussi des rapports d’ar gent, de pouvoir et des classes , ain si que le travail abstrait producteur de valeurs d’échange, qui sous-tendent les premières et qui forment donc l’individu indirectement. ntre la biologie et la sociologie, il y a place pour une psychologie étudiant la personnalité, comme individu faisant des choses dans la vie sociale, ayant des activités de production et de création comme des activités de loisirs, et non comme individu biologique comparable aux singes supérieurs. La  perso nnali té est construite par la biographie et l a pers onnali té construit la biographie. L’engage ment  poli ti que pe ut consti tuer un renvers ement de la personnalit é. L’indignat ion de notre personnalité dans notre expérience biographique de la société capitaliste peut conduire au militantisme, c’est-à-dire à une bifurcation de notre biographie.

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Lecture de Lucien Sève

Publié le 26 juillet, 2009 par Jean-Pierre DussaudLucien Sève : « « L’homme » ? ».

’homme, c’est d’abord l’individu biologique, avec les réactions instinctives ou réflexes absolus, avec les

réactions acquises ou réflexes conditionnés qui permettent une meilleure adaptation au milieu, avecême la création de nouveaux comportements comme celui d’utiliser une branche existant dans le

champ visuel pour attraper un fruit. Mais l’homme, c’est principalement un être social qui d’une parts’approprie les formes historiques d’individualité présentes dans le monde humain, qui les incorpore,souvent avec une aide pédagogique, et d’autre part manifeste une activité sociale qui change le mondehumain. L’appropriation du monde humain par l’individu constitue des fonctions psychiquessupérieures qui réorganisent les données psychiques primaires. En ce sens l’individu humain est plus unêtre social qu’un être biologique.

Si l’essence d’une chose est ce qui la produit, l’essence de l’homme, ce qui explique son développement,est l’ensemble des rapports sociaux, non une nature, des dons, des capacités ou des aptitudes innées.

a biologie n’explique pas suffisamment comment les activités de l’individu sont incorporées.

a psychologie sociale ou la psychologie des foules ou la psychologie collective n’ont pas le droitd’attribuer un psychisme à une autre entité qu’un individu humain. Elles se contentent souventd’analyser certaines attitudes, certains rô les propres à l’individu et qui manifestent des modèlesculturels, mais elles ne parlent pas des activités de production de l’individu. La sociologie met rarementen valeur ces formes historiques d’individualité si importantes pour le développement individuel,

comment se forment les fonctions psychiques supérieures, alors que le marxisme parle de production etde reproduction du travailleur. Dans la famille, à l’école, dans le domaine de la culture et de la politique,dans le travail concret producteur de valeurs d’usa ge, les formes historiques d’individualité forment lesindividus directement selon des finalités prédéterminées, avec plus ou moins d’efficacité, mais il y aaussi des rapports d’argent, de pouvoir et des classes, ainsi que le travail abstrait producteur de valeursd’échange, qui sous-tendent les premières et qui forment donc l’individu indirectement.

ntre la biologie et la sociologie, il y a place pour une psychologie étudiant la personnalité, commeindividu faisant des choses dans la vie sociale, ayant des activités de production et de création comme

des activités de loisirs, et non comme individu biologique comparable aux singes supérieurs. La personnalité est construite par la biographie et la personnalité construit la biographie. L’engagement politique peut constituer un renversement de la personnalité. L’indignation de notre personnalité dansnotre expérience biographique de la société capitaliste peut conduire au militantisme, c’est-à-dire à unebifurcation de notre biographie.

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Concrètement, la biographie est un emploi du temps. Dans notre emploi du temps, il y a des momentsde création de capacités nouvelles et des moments d’util isation des capacités déjà en place, il y a des

oments où le but et le motif de l’activité coïncident et des moments où ce n’est pas le cas. Selon lesbiographies, la part de chaque moment est différente. Il y a plus de temps de formation chez les jeunes etchez les retraités il y a plus d’activités libres.

e processus d’identification à un modèle ou à des valeurs comporte une part active d’appropriation.

’aliénation est d’abord un processus qui se passe dans les rapports sociaux, consistant enl’appropriation par une petite minorité du monde humain. L’aliénation n’ampute pas un soi-disant potentiel inné de l’individu, elle ferme les portes, elle diminue les possibilités de développement del’individu qui ne trouve pas les formes historiques d’individualité suffisantes à son développement, puisque ces formes sont appropriées par une minorité, non disponibles pour tous. Une des seules façonsde commencer à sortir de l’aliénation du système capitaliste est l’engagement dans une activité créatrice,

ais avec la conscience que seul le changement du système capitaliste pourrait mettre fin à l’aliénationet que notre propre désaliénation est incomplète et ne peut être qu’incomplète tant que le systèmecapitaliste est en place.

ans la personnalité, il faut faire la part du renversement possible dans les déterminations del’intérieur de l’individu par l’extérieur du monde humain, du postérieur de la biographie par l’antérieur, par la prime enfance, du supérieur de la personnalité par l’inférieur des acquis. La détermination devientautonomie.

a retraite, au sens de retraiter, de réorganiser de manière créative, est la troisième vie à laquelle lasociété capitaliste ne prépare pas, parce que pour elle, les retraités, les malades, les handicapés, leschômeurs, les sans-papiers, les jeunes en formation, tant qu’ils ne sont pas rentables, qu’ils n’apportent

 pas de profit, doivent être réduits, voire euthanasiés de manière douce, par la restriction des crédits auxservices publics et aux hôpitaux publics, par la mise en cause de la retraite par répartition et de lasécurité sociale, par une politique culturelle, en particulier à travers les médias, orientant l’activité librevers la dépolitisation, le jeu pour le jeu, la fiction sans signification existentielle, le vivre chez soiétriqué. La troisième vie, considérée par les criminels en costume comme une charge, victime du racismede l’âge sous les termes de vieux, vieillards, seniors, troisième âge, objet d’une sollicitude hypocrite detype charitable, doit être une vie d’activité créative et sociale et non une vie de rabougrissement, desclérose et autres maladies d’Alzheimer dans lesquelles les entraîne la politique actuelle de la vieillesse.

1. 1. Notre activité individuelle se réalise dans des formes imposées par des rapports

matériels qui, selon leur construction, laissent plus ou moins de liberté à notredéveloppement. Ne pas s’intéresser seulement aux réalités supra individuelles, ce n’estpas tomber dans le psychologisme, le subjectivisme ou l’individualisme et abandonnerl’objectivité, la clairvoyance politique et la solidarité, dans la mesure où on considère lepsychique comme activité matérielle, acte se réalisant dans le monde social selon desformes imposées par les rapports matériels de base, et non simplement commeconduite, comportement, subjectivité purement interne, état mental, courant deconscience, pulsions instinctives, dans la mesure où il ne s’agit pas de chosifier et classerles individus en fonctions impersonnelles naturalisées pour mieux les adapter. Il s’agit

de comprendre l’originalité des dynamiques de vie et des biographies et ainsi d’aider aulibre déploiement de chacun en enchâssant la psychologie dans l’économie.

 

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Les hommes ne sont pas libres arbitres de leurs forces productives, car toute force productive est leproduit d’une activité antérieure. Il se forme une connexité dans l’histoire. L’histoire sociale estl’histoire du développement individuel des hommes. Leurs rapports matériels, base de tous leursrapports, sont les formes dans lesquelles leur activité matérielle et individuelle se réalise.

La société communiste est celle du libre développement des individus, le libre développement dechacun étant la condition du libre développement de tous. Le développement des capacités du genre

Homme finit par coïncider avec le développement de l’individu singulier.L’histoire de nos univers sociaux, celle des réalités supra individuelles et même impersonnelles, celledes forces productives, des modes de production, des appareils d’État, des luttes de classe, desrapports de force, celle de la conquête du pouvoir, de la dictature du prolétariat, celle de lasocialisation des moyens de production et des échanges, est aussi celle de nos vies en ce qu’elles ontde personnel. Le matérialisme historique est à la fois historique et biographique.

Cette considération pour la vie subjective ne fait pas sombrer la conception objective de l’histoiredans le psychologisme. Elle ne fait pas sombrer la clairvoyance politique dans le subjectivisme. Elle

ne fait pas sombrer la solidarité prolétarienne dans l’individualisme. Le psychique ne renvoie pas àune subjectivité purement interne, à des états mentaux, des courants de conscience, des pulsionsinstinctives, mais à des activités matérielles qui ne sont pas que des « comportements » ou des «conduites » mais des actes qui ont à se réaliser dans le monde social, selon des formes imposées parles rapports matériels de base.

Il ne s’agit pas de décrire et classer les individus chosifiés en fonctions impersonnelles avec commehorizon conscient ou non leur adaptation à l’ordre social existant, mais de comprendre lesdynamiques originales de leur vie, leur biographie, pour aider à leur plus libre déploiement dans un

monde en transmutation, d’enchâsser la psychologie dans l’économie.1. 2. Le capitaliste et l’ouvrier, comme caractères sociaux remplissant des fonctions,

comme figures de classe, c’est-à-dire figures globales des individus dans leur activitééconomique, sont des personnifications, des incarnations respectivement du capital etdu travail, des porteurs et des créatures, des produits des rapports et des intérêts declasse. Il n’y a pas de capital sans capitalistes et sans ouvriers, ces deux figures étantnécessaires au capitalisme, la première comme s’appropriant les moyens de productionet la deuxième comme incorporant la force de travail, mais une même personne peutêtre capitaliste puis ouvrier ou inversement. La partie du travail qui concerne la

croissante création de richesses revient au capitaliste, autrement dit le travail objectivéde l’ouvrier est l’objectivité d’une subjectivité opposée à la sienne, la propriété d’unevolonté opposée à la sienne.

Les agents principaux du mode de production capitaliste ne sont que des incarnations, despersonnifications du capital et du travail, des caractères sociaux déterminés que le procès social deproduction imprime aux individus, des produits de ces rapports de production.

Les fonctions que remplit le capitaliste ne sont, accomplies avec conscience et volonté, que desfonctions du capital, cette valeur qui se valorise en suçant le sang du travail vivant. Le capitalistefonctionne comme capital personnifié, capital-personne.

L’ouvrier fonctionne comme travail personnifié, qui lui appartient pour ce qui est de la peine et dumal à se donner, mais revient au capitaliste pour ce qui est de la croissante création de richesses.

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La preuve que l’histoire sociale et l’histoire individuelle sont les deux faces du même développementhumain est que la figure globale des individus dans leur activité économique, leur figure de classe,est la forme personnifiée des rapports essentiels de la formation sociale où se déploie cette activitééconomique. Le capitaliste est porteur de rapports de classes et d’intérêts déterminés, créature de cesrapports. Il n’est capitaliste qu’en accomplissant les fonctions du capital prescrites par les formes quele capital implique. Le capital peut se séparer de tel capitaliste. Il peut passer à un autre capitaliste, leprécédent cessant d’être capitaliste. Mais le capital n’est pas séparable du capitaliste qui en tant que

tel fait face au travail.

Le procès de valorisation du capital produit des capitalistes et des travailleurs salariés et passeulement des choses.

Le travail objectivé est posé comme non-objectivité du travailleur, objectivité d’une subjectivitéopposée à lui, propriété d’une volonté qui lui est étrangère. Le capital est nécessairement uncapitaliste, il ne peut se passer des capitalistes. Le concept de capital pose que les conditionsobjectives du travail acquièrent face au travail une personnalité, qu’elles sont posées commepropriété d’une personnalité étrangère au travailleur.

La figure globale du capitaliste n’est pas le produit mécanique et passif des rapports matériels, carelle est essentielle au capital du fait du caractère privé de l’appropriation. La forme personnifiée del’ouvrier est aussi essentielle au travail des salariés puisque la force de travail existe dans le corps destravailleurs.

Si les rapports objectifs s’imposent aux biographies des individus, ces individus impriment à leurtour aux rapports sociaux les contraintes de leurs expressions diverses.

1. 3. La figure globale du capitaliste évolue historiquement complétant l’avarice, la pulsiond’enrichissement et d’accumulation, la stigmatisation de la consommation individuelledu gestionnaire par le désir de jouissance, le crédit par le gaspillage, le luxe, l’étalage derichesse, la dilapidation du noceur, d’où la prise de conscience de l’accumulation commerenoncement à la jouissance de la consommation. La figure globale de l’adolescenceapparaît avec le capitalisme, l’interdiction du travail des enfants, la scolarité gratuite etobligatoire, la reconnaissance des droits de l’enfant, mais elle rentre en contradictionavec la production de l’homme accéléré, tandis que la sortie de l’adolescence est renduedifficile par le chômage de masse. La figure globale de la femme exploitée, aliénée,humiliée, maltraitée, proie et servante, évolue radicalement avec sa salarisation, quand

elle prend conscience que, comme l’homme, sa force de travail peut s’échanger contrede l’argent.

Chaque parvenu capitaliste commence par deux passions, l’avarice et la pulsion d’enrichissement,permettant à la masse d’argent accumulé d’atteindre le niveau où elle peut fonctionner commecapital. Le capitaliste classique stigmatise la consommation individuelle comme un péché contre safonction et contre l’accumulation.

Ensuite, avec le tentant monde de la jouissance et avec la spéculation et le crédit qui ouvrent denouvelles sources d’enrichissement, un degré conventionnel de gaspillage et d’étalage de richesse,source de crédit, devient nécessaire, le luxe entrant dans les frais de reproduction du capital.

 

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Entrent en conflit les pulsions d’accumulation et celles de jouissance. C’est le conflit entre legestionnaire qui accumule et le noceur qui dilapide les. Le capitaliste modernisé a la capacité de voirdans l’accumulation un renoncement à son désir de jouissance.

Les logiques biographiques, internes, peuvent donc être d’origine externe, induites dans lessubjectivités à partir de l’objectivité évolutive des formes sociales. Ne sont pas seulement concernéesles figures globales de classe. Il y a des figures globales qui passent pour naturelles et qui en fait sont

sociales.L’adolescence est ainsi une construction historico-sociale, avec l’interdiction du travail des enfants, lascolarité obligatoire et gratuite, la reconnaissance des droits, dans un contexte il est vrai devenantmoins favorable, avec un capitalisme qui pousse la production d’hommes accélérés, le temps del’adolescence ne trouvant guère place, et avec un chômage de masse qui rend difficile la sortie del’adolescence.

Le sexe et le genre, les rapports entre les sexes, la famille sont des constructions sociales.

Les femmes salariées, exploitées, aliénées, maltraitées prennent conscience que leur force de travailpeut s’échanger tout comme celle des hommes contre la forme universelle de la richesse sociale,l’argent, et que leurs problèmes de féminité se trouvent dans leur relation avec la masculinité, queleurs problèmes de femmes, proies et servantes, a toujours été un problème d’hommes, que leuressence supposée naturelle ou surnaturelle recouvre un rapport productif.

Les figures de l’individualité humaine sont en entier produites et donc muables.

1. 4. L’argent est non seulement mesure des valeurs, moyen de circulation, il est lereprésentant universel de la richesse, il permet de tout acheter, et même s’il n’exprime

rien de l’individu qui l’obtient, il est source d’omnipotence, si bien qu’il est l’objetd’une pulsion, d’une soif, d’une convoitise, d’une aspiration psychique et d’un désirdistincts de ceux qui poussent vers la thésaurisation de richesses particulières. Il est nonseulement objet d’enrichissement mais objet d’un désir dévorant de type addictif etinconscient, d’une passion, d’une frénésie d’enrichissement, d’une quête pratiquepermettant de rendre tout désir assouvissable, d’une frénésie abstraite de jouissanceuniverselle, puisque l’argent contient la possibilité de toutes les jouissances. Lanouveauté sociale de l’argent transforme le psychisme et en particulier le travail quin’est plus fabrication d’un objet particulier en relation avec les besoins de l’individu,

mais accélération et universalisation d’une activité productive sans limite et imposée del’extérieur à l’individu.

L’argent n’est pas seulement un objet mais l’objet même de la frénésie d’enrichissement, l’infernalesoif de l’or. Cette frénésie d’enrichissement, cette soif de l’or est une forme de pulsion distincte decelles qui poussent vers des richesses particulières comme les habits, les armes, les bijoux, lesfemmes, le vin. L’argent n’est pas seulement mesure des valeurs, moyen de circulation, il estreprésentant matériel universel de la richesse. L’argent est non seulement objet d’enrichissementmais source de la frénésie d’enrichissement, qui n’est pas naturelle mais historique.

La frénésie de jouissance sous sa forme universelle et l’avarice sont deux formes du désir d’argent. Lafrénésie abstraite de jouissance présuppose un objet qui contienne la possibilité de toutes lesouissances. Il y a donc une genèse sociale de la pulsion et de son corollaire, le désir en tant que

convoitise d’objet. Structure de l’objet et structure du désir sont en connivence.

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S’approprier une richesse concrète particulière suppose un développement de l’individualité. Larichesse en moutons suppose le développement de l’individu en tant que berger.

L’appropriation concrète rencontre les bornes de l’individualité concrète. Même Don Juan ne peutposséder toutes les femmes.

La possession de l’argent est possession de ce qui est sans individualité, non développement d’un

aspect de l’individu. L’argent peut tout acheter parce qu’il n’est rien, un rien synonymed’omnipotence.

La relation de l’argent à l’individu est contingente tout en lui conférant la domination universelle surla société et le monde des jouissances et des travaux. La possession par l’individu de l’argent luiconfère, indépendamment de son individualité, la possession de tout. Le désir devient dévorant,frénésie, addiction. La passion du thésauriseur relève non seulement du désir convoitise mais dudésir souhait inconscient.

Cependant le refus de l’analyse marxienne méconnaît le caractère d’activité faisant quelque chose

dans le monde réel, lequel comporte aussi des dimensions imaginaires, du psychisme. Activitéinterne, le psychique est concerné par les logiques externes comme celle de la forme argent.

La catégorie de forme est spécification purement phénoménale et plus ou moins fortuite des choses,ou au contraire structuration essentielle qui les informe avec nécessité.

Le déplacement d’objet d’un désir peut être considéré au premier abord comme un changementseulement formel, mais ce changement de forme peut bousculer le désir en son fond. Lesurgissement de l’argent comme objet de désir constitue une nouveauté sociale et psychique, avec undésir convoitise qui n’est pas seulement aspiration psychique mais aussi quête pratique d’une réalité

rendant tout désir assouvissable.

Quand le travail n’a plus pour but un produit particulier, en rapport particulier avec les besoinsparticuliers de l’individu mais de l’argent, la disposition de l’individu au travail n’a plus de limite,d’où une accélération et une universalisation de l’activité productive. Dans l’argent, l’individu nes’objective pas selon sa déterminité naturelle, il s’objective selon une détermination sociale, unrapport, qui lui est extérieur.

1. 5. Les représentations sont souvent illusoires. On ne voit pas que la valeur d’échange

d’un bien tient au temps de travail qui a été mis pour le fabriquer. On croit que lesalaire paye tout le travail fourni. On ressent le stock des forces productives comme unepuissance étrangère et dominatrice alors qu’il constitue la forme objective dessubjectivités. À chaque génération, les individus doivent s’approprier une partie de cestock, stock constitué par la suite des générations antérieures.

Les représentations ne peuvent être considérées à partir du seul sujet individuel, avec un réalismenaïf des propriétés de l’objet social représenté, imputant les dimensions illusoires de la représentationaux seuls individus psychiques, voire tenant ces illusions comme preuve de l’indépassablesubjectivité du connaître. Chaque formation sociale produit des représentations objectives d’elle-

même où les rapports réels peuvent être travestis en apparence immédiate bien différente, voireopposés.

 

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Ainsi la valeur d’échange des biens semble inhérente à leur nature physique, le temps de travailsocial qui en constitue la vraie substance se dérobant au regard, d’où le caractère fétiche de lamarchandise.

Ainsi l’évidence est que le salaire paye tout le travail fourni.

La grande industrie à l’ère informationnelle impose la reconnaissance du travail varié, du

développement le plus grand possible des aptitudes diverses du travailleur, remplaçant l’individumorcelé, porte douleur d’une fonction productive de détail, par l’individu intégral donnant, dans desfonctions alternées, un libre essor à la diversité de ses capacités, même si l’appel à un investissementresponsable des salariés est contrecarré. Les forces productives constituant de plus en plus unetotalité dans le cadre d’échanges universels, elles ne peuvent être maîtrisées par les travailleurs quepar une appropriation présentant un caractère universel, ce qui exige le développement d’unetotalité des capacités dans les individus eux-mêmes, un développement universel des individus.

Le développement sans limite des capacités des individus s’explique par le fait que ces capacitésn’existent pas seulement comme activités subjectives des individus mais aussi sous la forme

objectalisée de forces productives, outillages et machineries accumulant des savoir-faire,connaissances scientifiques et procédures technologiques cristallisant les démarches intellectuelles, cequi constitue un stock extra organique. Ce stock est approprié à chaque génération par les individusde manière toujours singulière. Les individus forment ainsi leurs capacités personnelles.

Le travail objectif devient le corps de plus en plus puissant du travail subjectif, vivant, mais dans lecapitalisme ces conditions accumulées de l’activité sociale acquièrent une autonomie de plus en plusgigantesque et se présentent face au travail comme puissance étrangère et dominatrice de plus enplus forte, l’objectivation étant alors aussi aliénation.

1. 6. L’approche de la personnalité et du psychisme peut se faire avec des métaphoresspatiales, avec les termes topographiques ou topologiques de niveau ou de couche, deprofondeur ou de surface, d’instance et de système. Mais il faut aussi laisser la place à ladimension temporelle de toute activité, de toute biographie. Il faut s’intéresser àl’emploi du temps, à l’économie du temps. Si l’on gagne du temps pour produire du blé,on aura plus de temps pour la production intellectuelle ou pour le temps libre, c’est-à-dire le temps de plein développement de l’individu, développement qui agit en retoursur l’efficacité des forces productives. On calculera le temps de la formation, celui dutravail social, celui des transports, celui des tâches domestiques, celui du repos, celui des

loisirs et celui du sommeil. Dans le travail social, on opposera qualitativement sonaspect concret de production de valeurs d’usage et de services et son aspect abstrait depure dépense de force de travail génératrice de plus-value. La prépondérancetemporelle du travail abstrait conduit à l’incohérence de l’emploi du temps, à lastagnation des activités et des capacités, aux drames de l’usage de soi, à la fêlure de lavie.

Les approches de la personnalité et de la psyché sont représentés en termes spatiaux, avec unegenèse reproduisant une formation de type topographique ou géologique, genèse partant des

couches comportementales archaïques du réflexe jusqu’au niveau de l’intelligence abstraite, enpassant par la formation des habitudes et des régulations affectives, avec la typologie de lapsychologie différentielle marquant le statique emplacement de chacun, avec la psyché représentéeen topique renvoyant à l’idée de système ou d’instance.

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Sans renoncer aux métaphores spatiales, il faut laisser place à cette dimension de toute activité etdonc de toute biographie qu’est la temporalité. Il faut s’intéresser à l’emploi du temps commerapport chronologique entre les diverses activités, à l’économie du temps. C’est ainsi que le tempsgagné pour produire du blé profite aux productions intellectuelles. L’individu soucieux dedéveloppement, d’activités, de jouissance épargne son temps. Une épargne du temps de travailpermet une augmentation du temps libre, c’est-à-dire du temps de plein développement del’individu, développement qui agit en retour comme la plus grande des forces productives sur la

force productive du travail.

Si la marchandise a le double caractère de valeur d’usage et de valeur d’échange, le travail possèdelui aussi ce double caractère de travail concret, productif de valeurs d’usage ou de services, et detravail abstrait, pure dépense de force de travail génératrice de valeur, donc de plus-value ousurvaleur, si bien que les temps de vie d’une biographie se différencient et s’opposent, mettant envaleur la dimension qualitative temporelle de l’activité, repérant les rapports producteurs essentielsd’une personnalité en voie d’évolution biographique, sans pour autant négliger la dimensionquantitative de la temporalité, le budget temps, c’est-à-dire la comptabilité empirique préalable des

temps consacrés à la formation, au travail social, aux transports, aux tâches domestiques, au repos etaux loisirs, au sommeil. La dialectique des aspects concrets et abstraits du travail social induit lacohérence ou l’incohérence de l’emploi du temps, la dynamique ou la stagnation des activités et descapacités, les joies et les drames de l’usage de soi, l’unité apparente et la fêlure d’une vie, la logiquede la biographie.

1. 7. Sous le capitalisme, les individus sont plus libres à l’intérieur de certaines conditions.Ils n’ont plus de lien de dépendance personnelle. Il n’y a plus de dépendance du sang,de la culture ou de la communauté. Ils ont l’impression d’être des personnes, les lienspersonnels étant conçus comme des rapports entre personnes. Ils ont l’impression de

pouvoir choisir leur vie, de bénéficier du droit de jouir en toute tranquillité de lacontingence des conditions d’existence. Ces conditions d’existence sont ressentiescomme externes et naturelles, seuls quelques individus pouvant les abolir. La libertéhumaine est libre concurrence, c’est-à-dire liberté sous la domination du capital,complet assujettissement à des conditions dites naturelles, toutes-puissantes,indépendantes des individus faisant de l’individu un être tribal, un animal de troupeau,capable seulement d’échanges avec ses congénères, la communauté se dressant face à luien puissance objective.

La condition humaine n’est plus une donnée naturelle mais un produit historique.Le capitalisme supprime les liens de dépendance de type féodal et introduit la contingence desconditions d’existence, chacun pouvant en principe choisir lui-même ce que sera sa vie, la libertépersonnelle étant identifiable au droit de pouvoir jouir en toute tranquillité de la contingence àl’intérieur de certaines conditions.

Dans la représentation, les individus sont plus libres, en fait ils sont beaucoup plus subordonnés àune puissance objective.

Le hasard dissimule la rude nécessité des lois du marché et de ses aliénations.Les liens de dépendance personnelle, les différences de sang, de cultures sont rompus, les lienspersonnels apparaissant comme des rapports entre personnes.

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Les individus semblent indépendants, en fait ils sont équivalents, indifférents les uns aux autres. Ilssemblent se rencontrer librement et procéder à des échanges dans le cadre de cette liberté, mais alorson traite les conditions d’existence dans lesquelles les individus entrent en contact comme desrapports externes naturels que les individus d’une classe ne peuvent surmonter en masse sans lesabolir, seuls quelques individus pouvant en venir à bout.

La libre concurrence comme ultime développement de la liberté humaine est libre développement

sur la base bornée de la domination du capital. Ce genre de liberté individuelle est donc la pluscomplète suppression d’une telle liberté. Elle est à la fois liberté et complet assujettissement del’individualité aux conditions sociales dites « naturelles », invariant naturel, prenant la forme dechoses toutes-puissantes, indépendants des individus, alors que l’association des producteurs mettraitles conditions du libre développement des individus sous contrôle.

L’être humain est être générique, être tribal, animal de troupeau. L’échange est le facteur essentield’individuation. L’individu se détache de la communauté, la communauté se détache de lui jusqu’àse dresser en face de lui comme puissance objective.

1. 8. Pour l’humanisme théorique, il ne faut pas faire des activités de l’individu humaindes entités indépendantes. Le droit est une création de l’homme. La liberté est unecréation de l’homme. Ce n’est pas la raison qui pense, c’est l’homme qui pense. Laraison est une création de l’homme, c’est-à-dire le sujet de la raison est l’homme.L’essence de l’homme est tout ce que crée l’homme, c’est-à-dire le genre humain commetransformation de l’espèce humaine. Si l’essence humaine n’est pas dans l’intériorité oula sensibilité de l’individu humain mais dans le genre humain, ce genre humain est,pour l’humanisme théorique, d’un type particulier, qui renvoie aux individus qui sontautour de moi et qui entretiennent avec moi des relations d’amitié et d’amour, et

comme ces individus n’agissent pas réellement, les relations interindividuelles et letype de communauté qu’elles établissent manifestent une essence humaine àconsistance psychologique naturelle comprenant ces entités psychiques naturelles quesont la raison, la volonté, le coeur. Dans cette conception, l’essence du genre est l’essencede l’individu, une essence naturelle. Par conséquent, les lois de population sontnaturelles. Contre cet humanisme théorique, il faut affirmer que l’homme ne peutexister sans la société. L’homme est l’ensemble des hommes historiques, produits d’uneformation sociale, d’une classe, d’une culture déterminées. L’homme dont parlel’humanisme théorique est l’homme bourgeois propriétaire, calculateur rationnel

maximisant ses gains, qui considère le tort fait à autrui dans l’exploitation de l’hommepar l’homme comme utile, dans la nature de l’homme, qui considère qu’il faut serrer lavis aux chômeurs et aux travailleurs parce que l’être humain est naturellementparesseux, qui considère qu’il faut développer la concurrence car l’homme estnaturellement guerrier, qui considère qu’il faut creuser les inégalités car l’homme estgénétiquement inégal, qui considère qu’il faut juger sévèrement, punir, criminaliser,emprisonner, puisque l’homme est libre et responsable, qui considère qu’il faut faire laguerre au Mal, puisque l’homme aime le Bien.

Marx rend visible la production du genre humain par lui-même, en entendant par genre humain la

transformée historique de l’espèce humaine.

L’activité économique produit non seulement des choses mais des hommes.

 

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Le mot « homme » désigne trois choses, l’être humain individuel, l’espèce biologique dont il est unexemplaire et le genre historique dont il est membre.

Comme équivalent en extension à « humanité », « homme » connote en compréhension ce qu’estl’essence humaine, l’humanitas de l’homme, l’ensemble des propres de l’homme qui l’élève au-dessus de l’animal, ce qu’étudie l’anthropologie.

« Homme » est à la fois concept de base de l’anthropologie et individu concret.L’humanisme théorique considère l’homme comme créateur du monde. L’homme est l’existence dela liberté, l’existence du droit. D’activités qui sont nôtres, il ne faut pas faire des entitésindépendantes. L’homme est sujet de la raison. Ce n’est pas la raison qui pense, c’est l’homme quipense.

L’homme peut-être dans un tel humanisme plus que l’individu, simple exemplaire de l’espèce, maisl’être générique, membre du genre humain. Le genre humain devient objet de l’activité de l’homme.L’essence humaine est non dans la conscience de soi, dans la sensibilité, mais dans la communauté.

La raison ne peut se développer que là où l’homme parle avec l’homme.Le genre humain renvoie aux individus qui existent hors de moi et qui entretiennent des relationsd’amour et d’amitié idéalisées, non à des individus qui agissent réellement. La relationinterpersonnelle manifeste une essence humaine de consistance psychologique, comprenant laraison, la volonté, le coeur. L’essence du genre est l’essence de l’individu. L’essence humaine est unenature.

Il y aurait des lois de population naturelles avec des croissances géométriques.

En fait, contre cet humanisme théorique, il faut affirmer que l’homme est le monde de l’homme,qu’il est l’État, la société. Il ne peut exister en dehors de la réalité historico-sociale, exempt desdéterminations qui en résultent. L’être humain est toujours celui d’une époque historique, d’uneformation sociale et d’une appartenance sociale.

Les lois de population sont historiques, variables avec les sociétés.

L’homme est un pseudo concept, une mauvaise abstraction. Il faut dire « les hommes historiques ».

« L’homme », avec sa raison, son coeur, sa bonne volonté est l’homme bourgeois propriétaire,

calculateur rationnel en quête de maximisation de ses gains.

Le fait de tirer profit du tort que je fais à autrui, qui constitue « l’utile » de l’exploitation de l’hommepar l’homme serait dans la nature humaine.

On a un homme libre, isolé, immuable, incarnation individuelle d’une nature humaine penséecomme ensemble de traits psychologiques constants. Cet homme serait naturellement paresseux,c’est pour cela qu’il faut serrer la vis aux chômeurs. Cet homme serait naturellement un guerrier,c’est pour cela qu’il faut la concurrence. Cet homme serait inégal congénitalement, c’est source pourcela qu’il faut creuser les inégalités. Cet homme serait libre, c’est-à-dire pleinement responsable, c’estpour cela qu’il faut remplir les prisons. Cet homme aimerait le Bien, c’est pour cela qu’il faut faire laguerre au Mal.

1. 9. L’abstraction d’entendement fait abstraction des différences essentielles résultant de

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la singularité de l’époque, isole et fixe des traits communs à partir de ce réel singulier,changeant, continu. Certains imputent au réel la généralité, la fixité et les limites de ceconcept d’entendement, comme s’il disait la vérité de la chose. On comprendrait lemonde en le rangeant sous des rubriques abstraites et en enchaînant des concepts,comme si le réel était le résultat de la pensée. La nécessité des choses serait la nécessitéde la pensée. L’essence d’une chose, l’universel et le nécessaire qui lui permettent depersévérer à travers les circonstances, serait une idéalité inhérente à la chose, une

idéalité qui fait ce que la chose est, à moins qu’elle ne soit la raison de la chose, commesi elle était l’explication de la chose. Pour les nominalistes, il n’y a ni généralité, ninécessité, il n’y a que du particulier et du contingent, comme s’il pouvait y avoir de lasingularité sans universalité, du contingent sans nécessité, comme si le renoncement augénéral ne se confrontait pas aux régularités déterministes. Il n’y a donc pas d’essencepour cette capitulation. Pour les réductionnistes et les idéalistes intérioristes del’essence, il y a de l’essentiel, de l’universalité et de la nécessité dans la chose, maisseulement dans les composants internes de cette chose qui seuls rendent compte despropriétés de la chose, comme si on pouvait réduire une forme développée à ses

constituants internes. En plus, pour eux, tout ce qui est extérieur ne peut êtrequ’inessentiel. Dans cet enfermement, l’essence n’est considérée que comme une entitéabstraite, une appellation métaphysique. En fait, ce qui est essentiel à la chose ne peutêtre compris ni seulement par le dedans ni seulement par le dehors, mais par l’étude del’imbrication entre le dedans et le dehors. L’innéisme de la raison a été critiqué parl’empirisme pour qui les idées viennent de l’expérience. Il faut aller plus loin et dire quetoute forme humaine, toute individualité humaine est produite par l’expériencehistorique. L’essence d’une chose, qui fait ce que cette chose est, ne peut être comprisequ’à partir des rapports qui ont produit cette chose. Cette essence de la chose renvoieen dehors de la chose, dans le monde d’où la chose provient, ce qui n’empêche pas cetteessence de s’intérioriser dans la chose. Cette essence n’est donc pas invariante maishistorique, ce qui n’exclut pas sa durable stationnarité relative. L’essence humaine ou lasubstance de l’homme est l’ensemble des rapports sociaux, pas seulement les relationsinterpersonnelles ou intersubjectives, mais surtout les rapports entre les hommes et lesrapports des hommes avec la nature.

L’abstraction d’entendement isole et fixe des traits communs, nous épargnant ainsi la répétition.C’est cette sorte d’abstraction qui est utilisée quand on considère l’homme d’un point de vuephysiologique par opposition à l’animal. En se servant d’un tel concept, il ne faut pas oublier que sa

généralité, sa fixité, ses limites sont l’effet de choix à partir d’un réel singulier, changeant, continu. Ilne faut pas imputer sans précaution au réel la généralité, la fixité, les limites du conceptd’entendement, comme si ce concept disait la vérité de la chose, comme si on comprenait le mondeen le rangeant sous des rubriques abstraites et en enchaînant des concepts. Le réel est alors le résultatde la pensée.

Il faut donc éviter la mauvaise abstraction de l’homme qui fait abstraction des différences essentiellesrésultant de la singularité de l’époque, de la formation sociale, de la classe, de la culture.

Les choses ont de l’universel et du nécessaire, c’est-à-dire de l’essence, puisqu’elles persévèrent à

travers la variété des circonstances.

 

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Pour certains, la nécessité des choses est la nécessité du concept. L’essence est une idéalité inhérente àla chose, idéalité faisant ce que la chose est, à moins qu’elle ne soit la raison des choses, ce quiconstitue une pseudo explication verbale.

Pour d’autres, les nominalistes, il n’y a dans les choses que du singulier et du contingent et il n’y adonc pas d’essence. Les nominalistes renoncent à chercher une essence. C’est une capitulation.

En fait, singulier et universel, contingent et nécessaire sont des couples de contraire. Il n’y a pas desingularité sans universalité. Il n’y a pas de contingence sans nécessité. Comme il n’y a pas d’animalne relevant d’aucune espèce. Le renoncement au général est confronté aux régularités déterministes.

Pour d’autres, les réductionnistes, il y a de l’essentiel dans les choses, mais un essentiel qui est toutsauf une essence. Les réductionnistes cherchent l’essence dans les composants internes de la chose.C’est un enfermement. Si le vivant est le lieu de processus non dépourvus d’universalité et denécessité, « la vie » n’existe pas. Ce n’est qu’une entité abstraite, une appellation métaphysique.N’existe que les constituants internes du vivant, qui rendraient compte des propriétés récurrentes duvivant.

Or, les constituants de l’eau, l’hydrogène et l’oxygène, sont combustibles et compressibles, ce quel’eau n’est pas. Vouloir réduire les formes développées de l’humanité aux individus biologiques estune impasse.

En fait, l’essence n’est pas une entité originaire, une idée, une forme, une nature, une essentialitéinterne à la chose même, tout ce qui est externe à la chose ne saurant être que contingenceinessentielle. Ce que sont essentiellement les choses n’est pas saisissable par le seul dedans commel’affirme l’idéalisme intérioriste de l’essence, ni par le seul dehors mais par l’étude des rapportsdialectiques entre dedans et dehors, pas seulement interaction mais imbrication dynamique.

L’essence humaine comme abstraction inhérente à l’individu pris à part n’existe pas. L’innéisme dela raison était critiqué par la valorisation sensualiste de l’expérience, mais il faut aller au-delà de cetempirisme qui donne l’expérience comme source unique de nos idées en disant que l’expérience estsource de notre individualité, que toute forme humaine est production historiquement relative. C’estl’externalité de l’interne. L’essence, consistance propre de la réalité considérée, est ce qui fait qu’unechose est ce qu’elle est. Elle est comprise sur la base des rapports fondamentaux à partir desquels ellese produit. Elle renvoie en dehors d’elle au monde d’où elle provient, ce qui ne l’empêche pas des’intérioriser dans la chose même. Elle n’est pas invariante, mais historique, ce qui n’exclut pas la

durable stationnarité relative.Elle n’a pas en elle-même la forme des singuliers dont elle est l’essence, mais elle peut à l’occasion seconcrétiser en des universaux singuliers à leur ressemblance. Ainsi l’essence humaine n’a pas laforme humaine, elle n’est rien d’individuel, de biologique, de psychologique. On peut rendre comptede l’individuel à partir du non individuel, du biologique à partir du non biologique et dupsychologique à partir du non psychologique.

L’essence n’a pas la simplicité de l’idée mais toute l’accidentalité du factuel, où niche aussi dunécessaire.

L’ensemble des rapports producteurs de la chose est la réalité explicative des propres de la chose.L’essence humaine est l’ensemble des rapports sociaux, rapports relevant de l’objectivité sociale, desforces productives, rapports au sens étroit des hommes entre eux, mais aussi rapports au sens large

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incluant les rapports avec la nature, non simplement relations interpersonnelles ou intersubjectivescomme le service rendu ou l’amitié portée. La somme de forces de production, de capitaux, deformes de commerce social que chaque individu et chaque génération trouve comme un donnéconstitue la base explicative réelle de l’essence ou de la substance de l’homme. Cet ensemble desrapports sociaux n’est pas le conditionnant externe, le cadre factuel d’une humanitas enracinée dansune identité génétique ou dans une originalité psychique, il est l’humanité comme genrehistoriquement objectivé en monde de l’homme, l’essence humaine comme ensemble des rapports

producteurs de l’humanitas.

1. 10. Le matérialisme pratique ne réduit pas les pratiques à leur seule dimension idéelle,comme si la raison ou l’esprit était seul productifs, ni à leur seule dimension sensiblepassive, comme si tout objet était objet donné à l’intuition et non objet produit parl’activité humaine. Il s’intéresse aux pratiques qui font quelque chose dans le monderéel, les activités pratiquement critiques, c’est-à-dire les activités à dimension cognitiveétablissant la vérité de certaines affirmations, les activités effectives, c’est-à-dire lesactivités à dimension productive, les activités productrices du monde humain, et enfin

les activités à dimension politique débouchant directement sur la tâche de transformerle monde. Il ne faut pas que la praxis exclut le faire, dénoncé comme activité impure,relevant de la technique et de la science mais aussi de l’aliénation pour la productiond’objets, avec un but qui est extérieur au faire, pour ne retenir que l’agir relevant del’action morale et de la participation politique, exigeant les vertus supérieures de lasagesse et de la prudence, trouvant sa fin en lui-même, activité pure sans substratmatériel et sans résultat matériel, subjectivité pure, c’est-à-dire sans objectivité.

Le matérialisme peut être repensé en termes d’activité, perspective reprise à l’idéalisme objectif pourqui l’activité est la vie de l’esprit, pour qui la raison est productive. Cette perspective est alors

convertie en théorie de la pratique.

Quand on n’a pas à travailler pour vivre, à se battre pour ses revendications, à déployer une activitépolitique, à faire socialement quelque chose, l’essence de l’homme peut relever de l’être indéterminé,non d’un agir situé.

Mais cette essence peut aussi relever d’un matérialisme subjectif de la sensibilité avant tout réceptive,ne saisissant la réalité que sous la forme de « l’objet » donné à « l’intuition » et non comme produitd’une activité humaine, alors que l’activité humaine est non seulement sensible mais aussi pratique.

L’idéalisme ne connaît pas l’activité effective, pratiquement critique, débouchant directement sur latâche de transformer le monde.

Le matérialisme pratique passe au concret des pratiques non réduites à leur seule dimension idéelleni à leur seule dimension sensible passive, des pratiques qui font quelque chose dans le monde réel.

La praxis peut avoir une dimension cognitive. La pratique est critère de vérité de la pensée, preuveque l’idée est de ce monde.

La pratique peut avoir une dimension productive. La pratique est l’activité humaine sensible

productrice du monde humain, nature humanisée incluse, dimension constitutive de la vie sociale.

La pratique peut avoir une dimension politique. La pratique est la transformation des circonstanceshistoriques où prendra naissance l’humanité sociale par delà la société civile bourgeoise.

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Mais la praxis peut s’opposer à la poiésis, et alors elle exclut la création objectale, l’activitéproductive, devenant une activité s’élevant au-dessus des quotidiennetés de la production matérielle,ce qui nous éloigne de l’autoproduction de l’humanité qui est à la fois création de quelque choserelevant d’une habileté technique trouvant son but hors d’elle-même, « faire » de l’artisan ou del’esclave relevant d’une technique ou d’une science et de l’aliénation, action de bien agir moralementou action de participer à la vie politique, relevant d’une raison pratique ne visant pas à la productiond’un objet, trouvant sa fin en elle-même, « agir » relevant des facultés hautes de la prudence et de la

sagesse dans un contexte de liberté.

Beaucoup de nos faire sont en même temps des agir, tous nos agir sont des faire. L’agir libre estsouvent contrarié. Le faire est souvent captif mais pas complètement.

La praxis risque de devenir un agir découplé du faire, exonéré de l’attache productive, sansobjectivité chosale, une pure activité, caractérisée par sa subjectivité radicale, par la subjectiveexpérience vécue, une activité non déterminée par des choses extérieures à nous, activité pure, libre,absolue qui n’est rien d’autre qu’activité, ramenant l’illusion de la pensée pure, activité opposée àl’activité impure qui a un substrat matériel et un résultat matériel, activité vue avec répugnance, etdont le produit est méprisable, une action n’ayant rien à voir avec l’apparition d’un objet, unesubjectivité d’où toute objectivité est exclue.

1. 11. Selon une démarche subjectiviste, on pourrait dire que les hommes se distinguentdes animaux par le travail. Mais le travail n’apparaît qu’avec des rapports marchandsdéveloppés, et dans les sociétés de classe certaines classes ne travaillent pas, si bienqu’est à l’ordre du jour l’abolition du travail sous sa forme aliénée actuelle. En fait, ilfaut étudier le processus historique de cet ensemble d’activités de la productionmatérielle des moyens de vivre, des moyens de subsistance par lequel la différence

entre l’homme et l’animal se construit. Le travail de l’homme est alors très particulierparce que son résultat existe à son début dans la représentation du travailleur, lamodification de l’objet de travail étant exactement celle qui était voulue par letravailleur, et parce que sa réalisation exige une attention soutenue, une volontétellement constante qu’elle ne peut que se référer à une logique lourde de rapportssociaux. Dans l’humanité, il y a une histoire sociale des modes de vie, mais aussi unehistoire du développement individuel, avec de nouvelles capacités individuelles et avecune plus grande puissance opératoire des activités, grâce aux moyens de travail quiassurent une médiation entre le travailleur et l’objet travaillé, qui constituent des

organes ajoutés au corps du travailleur, des instruments au service de sa volonté visantun but. Ces médiateurs matériels ou symboliques, outillages, équipements, institutions,langages, usages, savoirs, imaginaires, normes se perfectionnent, se multiplient, sestockent, s’accumulent en monde humain pour resservir à des activités nouvelles, leurmode d’être au repos, activité morte, n’étant qu’une apparence. L’activité potentiellecondensée est prête à devenir actuelle si un individu s’en saisit. L’objet médiateur a lapropriété d’induire chez moi la même activité que l’activité qui a produit cet objet. Cesobjets médiateurs sont à la fois des produits de l’activité psychique et desreproducteurs d’activité psychique. Ils sont une forme chose de l’activité psychique, dupsychique objectivisé, même s’il n’y a pas dans l’objet de représentation subjectalisée

du but, l’objet étant énigme, sous forme de témoignage, indice, document, monument,le but y apparaissant comme oeuvre, structure, figure, mode opératoire. Chaque êtrehumain ne peut s’approprier qu’une partie de ce monde humain.

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L’anthropologie n’a pas à élucider le propre de l’homme mais celui de l’humanité concrètementconsidérée en son développement historique.

On peut distinguer les hommes des animaux par la conscience, par la religion, par le langage, selonune démarche subjectiviste consistant à décider quelle caractéristique fait la différence.

En fait, il faut étudier le processus historique objectif par lequel cette différence s’instaure, et en

l’occurence il s’agit de cet ensemble évolutif socialement structuré d’activités qu’est la productionmatérielle des moyens de vivre, ensemble produisant la vie des hommes et ce qu’ils vont être soustous les rapports. Tout tient à la production des moyens de subsistance.

Les formulations « le travail crée l’homme » ou « le travail est l’essence de l’homme » sont ambigus,même si le travail est la désignation abrégée des activités productives et si « l’homme » etl’appellation de l’espèce Homo sapiens. En effet :

« Le travail en général » n’est pas né avec l’homme, puisqu’il est le résultat des rapports marchandsdéveloppés.

Le travail n’est pas l’essence de l’homme, puisque, dans les sociétés de classes, le travail des uns faitvivre des classes d’humains qui ne travaillent pas.

Le travail dans les sociétés de classes étant exploitation, il faut non libérer le travail mais en finir aveclui, le supprimer, c’est-à-dire le dépouiller des formes aliénées qui font justement le travail au sensactuel du terme.

Prendre « le travail » pour équivalent des activités productives, c’est risquer la psychologisation, avecun individu en dehors des rapports au sein desquels il s’active, un individu achevé recevant

l’impulsion de « la société », l’expérience individuelle s’inscrivant dans le génome. C’est risquer desous-estimer les activités productives au profit des rapports sociaux, conduisant au volontarismed’une lutte de classe seule moteur de l’histoire.

Les hommes sont les seuls à avoir une histoire sociale, avec un développement des modes de vie, etils sont les seuls à avoir une histoire du développement individuel, avec le surgissement de nouvellescapacités individuelles à condition génétique invariante, ainsi les formes de l’intelligencemathématique, et avec la progression qualitative de la puissance opératoire des activités. En effet, iln’y a pas que le travailleur et l’objet fabriqué, il y a le moyen de travail qui est un ensemble de

choses que le travailleur insère entre son objet de travail et lui, ensemble qui lui sert de guide dansson action sur l’objet. Le travailleur utilise les propriétés des choses pour les faire agir comme moyende pouvoir sur d’autres choses conformément au but que le travailleur se fixe. D’objectal, le moyende travail devient subjectal, organe que le travailleur ajoute à son propre corps, en tantqu’instrument de sa volonté visant un but. Le travailleur agrandit ainsi sa conformation naturelle.

Ce qui différencie les époques économiques n’est pas ce qu’on y produit mais comment on le fait,avec quels moyens de travail. La puissance du travail progresse à la mesure des progrès del’outillage et des signes. Comme activité médiatisée, le travail progresse en fonction de lacumulativité historique des moyens médiateurs.

Un propre du travail humain est que son résultat existe à son début dans la représentation dutravailleur. Celui-ci ne réalise pas seulement un changement de forme de la réalité naturelle, il yréalise en même temps son propre but. Ce but assigne l’agir et le vouloir de manière non sporadique,ce qui exige une attention soutenue pendant toute la durée du travail, ce qui implique un temps long

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marqué par l’anticipation idéelle, le projet de la volonté, la durable attention de la mise en oeuvre,temps long renvoyant non à un jeu avec un vouloir isolé mais à des rapports sociaux, leur logiquelourde.

Au temps long de l’activité humaine laborieuse poursuivant un but répond le fait que l’outil s’inscritdans une production suivie de moyens de travail donnant lieu à stockage récurrent, réemploisystématique, amélioration assidue, accumulation historique. L’activité humaine se caractérise par la

production sociale cumulative de ces médiateurs, multiplicateurs indéfinis de sa puissance, moyensde production au sens large, production matérielle et spirituelle, échanges, communication.

Dans le procès de travail, l’activité provoque, grâce au moyen de travail, une modification de l’objetqui était le résultat visé au départ.

Le procès s’éteint dans le produit, valeur d’usage appropriée à des besoins.

Ce qui apparaissait du côté du travailleur dans la forme de la mobilité apparaît du côté du produitcomme propriété en repos, dans la forme de l’être. Cette aptitude à la mobilité n’attend qu’une

occasion de se rallumer dans une activité. Objectifs, les médiateurs et leurs produits subsistent au-delà des activités subjectives qui les ont engendrés, resservent pour des activités nouvelles où ils seperfectionnent, se multiplient, amorçant la constitution cumulative du monde humain, monded’objectivations physiques, outillages, paysages, rapports, équipements, institutions, et monded’objectivations symboliques, langages, usages, savoirs, imaginaires, normes.

L’individu s’approprie ce monde en développant en lui les capacités correspondantes à traversd’essentiels rapports avec ceux qui possèdent ce monde.

Les activités de ce monde humain constituent la vivante dimension subjectale de ce monde.

L’homme est une immense évolution biologique dont les effets presqu’immuables sont stockés àl’intérieur ne nos génomes, mais sur ce socle l’homme est le genre humain d’aujourd’hui, unehistoire socio-psychique dont les acquis sont cumulés à l’extérieur de nos organismes, dans unmonde humain gigantesque, émancipé des contraintes de l’inscription dans un génome pour sepérenniser. Ces acquis excèdent ce qu’un individu pris à part est en mesure de s’en approprier.

L’activité humaine existe sous deux formes opposées bien qu’ayant un fond identique, l’unesubjectale, vivante, mobile, activité du sujet humain individuel, l’autre morte, en repos, mode d’être,objectivement produite par l’activité des sujets individuels. Le travail passe continuellement de la

forme de la mobilité à celle de l’être, de la forme du mouvement à celle de l’objectalité. Dans laproduction, la personne s’objectivise et dans la personne, la chose se subjectivise. Il y a donc desobjets qui sont à la fois des produits et des reproducteurs d’activité psychique. Il y a une forme chosede l’activité psychique. Les outils et les signes sont du psychique objectivisé.

Le psychisme n’est pas forcément conscience, il n’a pas la seule forme consciente.

De même, le psychisme n’a pas la seule forme subjectale dynamique, il peut avoir une formeobjective.

Quand je consulte ma montre, que je repère une adresse sur un plan, que je suis une recette decuisine, que je lis un journal, que je médite sur un compte, que j’écoute un CD, que je joue à un jeuélectronique, avec ce que ces gestes suscitent au-dedans de moi-même, mon positionnement dans letemps et l’espace, la structuration de mon activité, mon appréciation du contexte, un travailintellectuel, une jouissance esthétique, un investissement ludique, il y a un mode d’être qui

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caractérise les créations des activités psychiques et qui a la propriété de faire retour à la formedynamique subjectale en induisant chez moi des activités psychiques du même ordre que celles quiont produit ce mode d’être.

Les concrétions de notre agir psychique mettant en jeu les médiateurs des outils et des signes sont,sous leur superficielle inertie, de l’activité potentielle condensée prête à redevenir actuelle chezl’individu qui s’en saisit.

Plus la médiatisation outillée et signifiante est poussée, plus affleure l’activité subjectale dansl’objectivisation.

Les êtres naturels ont à l’intérieur leur principe de production. Les choses artificielles ont à l’extérieurleur principe de production.

La finalité est présente sous forme chosale comme figure, structure, mode opératoire, non commesimple effet mais comme oeuvre tendant à un résultat prédécidé.

Si l’objet est activité psychique humaine objectalisée, il n’y a pas dans l’objet de représentationsubjectalisée du but. L’objet est témoignage, indice, monument, document, mais d’abord énigme. Ily a une présence absence de l’activité psychique dans son produit.

Le psychisme médiatisé est psychisme au sens strict, activité subjectale d’un organisme individuel, etpsychisme au sens large, activité subjectale-objectale du genre humain.

Le monde de l’homme sans les hommes, c’est un cimetière muet, mais susceptible de redevenirparlant. Les hommes sans le monde de l’homme, c’est Homo sapiens à ses origines.

1. 12. Le petit d’homme n’a pas seulement à compléter par apprentissage des capacitésdonnées, à spécifier ses fonctions psychiques naturelles par l’apprentissage du milieu, àconditionner au dehors des fonctions qui sont nées au-dedans, à s’adapter au milieu, àlaisser faire la maturation ou à s’acculturer auprès de ses congénères, selon uneinteraction répétitive à l’identique. Il doit s’approprier biographiquement parapprentissage des fonctions qui lui sont extérieures, et comme la distance est grandeentre les acquis cumulés du monde humain et l’activité spontanée de l’enfant, il lui fautl’aide active d’adultes, à travers des pilotages pédagogiques. La biographie de l’adulterenvoie à la réalité de son existence, réalité aux structures temporelles complexes régies

par les logiques et contradictions du monde humain qui se réfractent dans lestrajectoires de vie individuelle, dans les choix de vie voulus ou subis. Chaque existencecommence par une période de développement appropriatif de contenu et de duréevariables, susceptible de se ranimer tout au long de la vie. La pluralité d’aspects dumonde humain et la pluralité des rapports que l’individu noue avec ce monde crée desregistres d’individuation, le registre des premières expériences et investissementsd’ordre affectif et symbolique, le registre de la personnalité biographique où secondense ce que l’individu fait de sa vie ce que la vie fait de lui, le registre de lapersonne éthico juridique, où l’individu dépend d’un ordre civilisé de la personne. Lagenèse précoce des dispositions à nouer des relations détermine la richesse de l’esprit.

L’infinie singularité psychique de chacun est surdéterminée par des rapports qu’unemajorité d’individus ne peut pour le moment s’approprier et qui les dominent. Lesrapports de production, formes formantes, par exemple le système du salariatcapitaliste, produisent des formes historiques d’individualité, formes formées, en

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l’occurence le prolétaire et le capitaliste, qui sont autre chose que des reproductionsmicrocosmiques du social puisqu’elles suivent les contraintes biologiques généralescomme la contrainte d’être sexué, la contrainte de parcourir un cycle fini d’âges de vie,mais aussi les contraintes de l’affectivité et de la mémoire. Il n’y a pas de psychologiesociale ou de psychologie des foules, la psychologie ne peut être qu’individuelle. Lemonde humain est sans subjectivité, mais il a une influence sur les subjectivités. Parexemple le système du salariat capitaliste appliqué aux femmes fait prendre conscience

à ces dernières de ce que leur travail peut s’échanger contre de l’argent, comme pour leshommes. On peut distinguer les formes d’individuation directes qui prennent à tâchede former les individus selon des finalités générales préalables, dispositifs plus oumoins opératoires à travers la geste familiale, le cursus scolaire, la conjonctureculturelle, la séquence politique, et les formes d’individuation indirecte qui sous-tendent les premières et ne sont pas ressenties comme formes d’individuation, rapportsd’argent, rapports de pouvoir, rapports de classes. Les formes d’individuation ne sontpas nécessitantes au même degré dans la mesure où elles passent par l’appropriationdes individus. Le travail producteur de valeurs d’usage est une forme d’individuation

directe qui produit le travailleur et le travail abstrait est une forme d’individuationindirecte qui produit le travailleur aliéné. Il ne faut pas exagérer la liberté de choix del’individu face à la division technique du travail, à la division du champ politique enpartis, face à la division du champ moral ou à celle du champ esthétique, car il y a deslogiques de champ, il y a une part de prédestination biographique. Mais il ne faut pasréduire l’individu à un support passif de rapports structurels, le capitaliste a le choixentre l’abstinence et la dépense, le prolétaire a le choix entre l’observance et lacontestation du contrat salarial. L’individu est acteur pouvant transformer ces rapportsstructurels, pouvant transformer les formes d’individuation.

Le génome comme inducteur des capacités de l’espèce est relayé par une réalité externe. L’espèce setransmue en genre humain. C’est l’excentration sociale de l’essence humaine, l’humanitas du petitd’homme étant à peu près toute entière à l’extérieur de son organisme, si bien que le petit d’hommen’a pas seulement à compléter par apprentissage des capacités données ou à s’acculturer auprès deses congénères, il a à devenir homme en construisant à partir du monde humain les fonctionspsychiques humaines. Le processus phylogénétique, biologique et archéosocial, de formation dugenre humain a comme corollaire ontogénétique le devenir homme individuel, l’hominisationindividuelle. Dès que l’individu humain accède au psychique objectivisé, un gigantesque champd’apprentissage s’ouvre à lui, l’emploi des signes et des outils, la maîtrise des usages et des rapports,

des savoirs et des imaginaires.

Si toute activité psychique passe par ses effecteurs neurobiologiques, rien ne peut y être comprisautrement qu’à partir du psychisme historico-socialement accumulé au-dehors des organismes, lemonde humain, de son une appropriation biographique singulière en chacun. Il ne s’agit pas dematuration de fonctions psychiques naturelles spécifiées par des apprentissages du milieu, defonctions naissant du dedans et se conditionnant au-dehors. Dans le psychisme socialementobjectivisé se manifestent des fonctions historico-sociales. L’apprentissage suscite au-dedansl’appropriation des fonctions externalisées. Ce n’est ni une maturation naturelle, ni une adaptationau milieu, ni une interaction répétitive à l’identique.

Comme la distance est énorme entre les acquis cumulés du monde humain et l’activité spontanée del’enfant, celui-ci ne peut franchir les seuils nécessaires à leur appropriation fonctionnelle sans l’aideactive d’adultes, où l’interpsychique des relations sociales se transmue en intrapsychique dans le

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développement individuel.

Le psychisme est ainsi doublement social, par sa cumulation externe en monde humain, par sonappropriation interne à travers les pilotages pédagogiques.

Se forment à partir du dehors des fonctions qui n’expriment pas un donné neurobiologiquepréalable mais s’y impriment.

Le petit d’homme doit s’hominiser. L’homme n’a pas un cycle de vie mais une biographie quirenvoie à la réalité en acte de son existence, réalité aux structures temporelles complexes régies parles logiques et contradictions du monde humain qui se réfractent dans cette trajectoire de viepersonnelle. Chaque existence commence par une période de développement appropriatif decontenu et de durée variables, susceptible de se ranimer tout au long de la vie selon les exigences biographiques.

Les innombrables choix de vie tout autant subis que voulus font que l’être humain est un individupas seulement biologique, du fait de sa singularité génétique, mais historico-social.

La pluralité d’aspects du monde humain comme la pluralité des sortes de rapport qu’entretient aveclui l’individu est créatrice de registres d’individuation, celui du sujet psychique structuré par lespremiers investissements et expériences d’ordre affectif et symbolique, celui de la personnalité biographique où se condense ce que l’individu fait de sa vie et ce que sa vie fait de lui, celui de lapersonne éthico juridique en tant que sociétaire d’un ordre civilisé de la personne. Doncfoisonnement de formes du côté de l’individualité, mais aussi du côté des logiques fonctionnelles etévolutives de ces formes d’individualité. Il n’y a pas seulement des formations sociales avec leurlogique d’évolution historique, il y a des formations individuelles avec leurs évolutions propres.

La richesse de l’esprit humain dépend de la richesse de ses relations réelles, régie en chacun par lesdispositions subjectales qu’il a à les nouer, ce qui renvoie à la genèse précoce de telles dispositions.

L’infinie singularité psychique de chacun n’exclut pas la surdétermination massive des rapportssociaux dont la généralité s’impose à tous, modulant à l’échelle statistique les développementspersonnels. Ainsi la majorité des hommes passe son temps à travailler sans pouvoir s’approprier lesformes élevées du monde humain, les créations collectives, les systèmes technologiques, les pouvoirspolitiques, les représentations sociales, l’accumulation financière, dont ils sont les auteurs et qui secomportent comme d’impersonnelles puissances étrangères qui les surplombent et les écrasent, ce

qui dessine la tâche de ressaisir par tous ensemble ces productions dans des rapports libérésd’entraves, permettant le libre développement de tous les individus.

Les formes historiques d’individualité sont les rapports sociaux au sein desquels les hommes seproduisent, les rapports sociaux comme rapports de production des hommes. L’individualitépsychique est autre chose qu’une reproduction microcosmique du tout social, puisqu’elle suit lescontraintes biologiques générales comme la contrainte d’être sexué ou la contrainte de parcourir uncycle fini d’âges de vie, puisqu’elle est une dotation génétique singulière avec les manifestationssubjectales de l’affectivité ou de la mémoire. Mais l’individu porte les marques de la formation et del’histoire sociale qui sont les siennes, plus exactement son individualité psychique se constitue à

travers l’appropriation originale en chaque biographie personnelle de cette formation et de cettehistoire.

 

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Au premier abord, les formes d’individualité sont les formes formées, les figures d’individualitépropres à une formation sociale à une époque donnée, ainsi le capitaliste et le prolétaire,personnifications du capital et du travail, ainsi l’individu sans attache du monde marchand, ainsi lesfigures spécifiées comme les âges de la vie ou les genres sexués, ou les figures particularisées commele syndicaliste, jusqu’à l’inépuisable singularité personnelle sécrétée par les biographies, portant lamarque du monde historico-social, avec la variété des modes d’appropriation, des formesd’activation et des logiques de vie que ce monde comporte.

Ce sont des formes qu’est vouée à prendre l’activité individuelle dans ce monde donné, puisqu’ellessont des dérivées des formes formantes que constituent les rapports sociaux à partir desquels lesindividus prennent forme. Le prolétaire est une figure d’individualité, le système du salariatcapitaliste est la matrice productrice de cette figure, une forme historique d’individuation qui n’estpas qu’un modèle comportemental, ce serait une réduction psychologiste, qui n’a pas la formehumaine, qui n’a pas de forme psychique.

Le psychique au sens strict n’existe que dans les individus. Le psychisme n’a de forme subjectale quedans les individus. Il n’y a pas de sentiments sociaux, sinon des sentiments individuels naissant desituations sociales, l’objet de la psychologie sociale ou de la psychologie des foules ne pouvant êtreque la psychologie de l’individu singulier.

Mais les modes du psychisme prennent source dans les réalités désubjectalisées dont est tissé lemonde humain, où les activités humaines se sont déposées en psychique objectivisé. Le système dusalariat capitaliste n’est par lui-même rien de psychique, mais il implique par l’intermédiaire del’argent un processus de portée psychique, par exemple le passage des femmes au travail salariérendant palpable que leur temps de travail équivaut à de l’argent, tout comme celui des hommes.

On peut distinguer les formes d’individuation directes, les institutions, activités, idéalités quiprennent à tâche de former les individus selon des finalités générales préalables, les formesfamiliales, religieuses, scolaires, culturelles, juridiques, politiques, dispositifs plus ou moinsopératoires dans les biographies, à travers la geste familiale, le cursus scolaire, la conjonctureculturelle, la séquence politique. Ces formes directes sont sous-tendues en profondeur par lesrapports déterminants de la formation sociale, rapports d’argent, rapports de classe, rapports depouvoir, qui sont les formes formantes des formes d’individuation directe, les formesd’individuations indirectes qui ne sont pas perçues comme ayant un rapport avec la subjectivitépsychique, alors qu’elles en sont les sources ultimes.

Le travail concret producteur de valeur d’usage est une forme directe formant le travailleur,correspondant au travail abstrait producteur de plus-value, forme indirecte, formant le travailleuraliéné.

Les formes d’individuation ne sont pas nécessitantes sur le même mode et au même degré. Leurseffets sont surdéterminés par des logiques biographiques, puisque les déterminations de l’individupar les formes d’individuation passent par les activités appropriatives des individus. Les formescomme les rapports d’argent et de classe s’imposent actuellement de manière quasi universelle etinéluctable, mais à travers des médiations où elles deviennent méconnaissables. Elles peuvent laisser

un certain jeu aux individus.Les formes comme la division technique du travail ou l’éventail des partis, qui concernent les optionsprofessionnelles ou politiques de chacun, comportent une latitude formelle de choix, mais ces choixtiennent souvent de la prédestination biographique, voire de la carte forcée. Les formes éthiques ou

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artistiques semblent offrir une entière liberté d’attitude personnelle, en réalité cette liberté est sous-tendue par des logiques de champ social.

Le rapport entre nécessité et contingence varie selon les sociétés. Le capitalisme peut pousser très loinla liberté formelle des personnes, tout en portant l’aliénation à un point jamais vu, si bien que laliberté effective des individus reste à conquérir par le remodelage des formes d’individuation.

Les individus ne sont pas un support passif, porteur passifs de caractères sociaux obligés. Leslogiques contraignantes du mode de production ne sont jamais univoques. Le capitaliste estconfronté au conflit entre le penchant à l’abstinence pour accumuler et le penchant à la dépensepour accroître son crédit. Le prolétaire subit la tension entre observance et contestation des termesdu contrat de travail. Et ils doivent faire des choix. Ils sont à la fois supports de rapports structurels etacteurs de dynamiques qui font bouger ces rapports.

1. 13. Vulgairement, l’attachement à la cause de l’individu est une attitude bourgeoise ouanarchiste, les socialistes pensant en termes collectifs. La psychologie relève dumatérialisme biologique, du tout génétique, avec l’idéologie des dons et celle de l’égalité

des chances. Le marxisme relèverait de la science sociale, de la sociologie et expliqueraittout par l’économie. L’anthropologie devra donc s’orienter soit vers les superstructures,le symbolique, le relationnel, l’institutionnel, le normatif, soit vers les infrastructuresbiologiques, les invariants anthropologiques biologiques, la logique des corps, lesprocessus neuronaux, les déterminations génétiques. Dorénavant, l’homme est penséessentiellement comme un être de langage, la mise entre parenthèses de l’activitélaborieuse correspondant à la façon dont est traité le monde du travail. En fait, lemonde humain est non seulement le produit des activités outillées se métamorphosanten choses, en produits stockables, en équipements pérennes, mais aussi le produit des

activités langagières et symboliques qui sont des activités socialement réglées decommunication interpersonnelle dont la visée n’est pas la production de choses maisl’entrée en rapport avec un sujet, l’acheminement intersubjectif de sens. L’activitéoutillée n’est pas bornée dans son expansion par les capacités appropriatives de chaqueindividu en particulier, même si les choses qu’elle produit doivent être réappropriables.Par la division technique du travail en branches d’activité et la division sociale dutravail en classes, en ordres ou en états, la compétence globale de l’humanité laborieusese fragmente en savoir-faire inéchangeables que met en rapport un système d’échangesextérieur à ces savoir-faire, fragmentation qui permet l’appropriation d’un monde

humain en expansion illimitée par des individus aux capacités finies. Toute activitéoutillée peut être réduite à un temps de travail. La progression de la puissanceopératoire et la diminution du temps de travail entrent en contradiction avec lesprivilèges dans les rapports sociaux, ce qui provoque une évolution par révolutionssociales et politiques. Si dans chaque langue les accents, les fonctions, les vocabulairessont divers, il faut que la langue assure l’intercompréhension de la communauté, et quepar conséquent toute la communauté ait en commun une part suffisante de la langue. Sila variété des langues est illimitée, il faut que toute langue soit traduisible en une autrelangue, Dans l’univers symbolique, si les champs sont multiples, si les styles et lesgenres dans les champs sont multiples, si les provinces de l’esprit que sont le droit, la

philosophie, la morale, l’art sont nombreuses, si les créations sont diverses, il faut que leconcept soit concevable par tout esprit raisonnable, il faut que la proposition soitintelligible par tout citoyen conscient, il faut donc que chaque province de l’esprit aitune visée d’universalité. Les oeuvres symboliques sont incommensurables. L’évolution

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des langues est une diachronie lente quand il n’y a pas d’intervention externe.

L’attachement à la cause de l’individu est perçu comme une attitude bourgeoise ou comme fleurantl’anarchisme. Un socialiste pense en termes collectifs.

L’apport de Marx relève de la science sociale, de la sociologie, et éclaire l’avenir socialiste.

De plus, en matière psychologique, la culture des forces populaires avancées est, en opposition auspiritualisme religieux, pour un matérialisme biologique plus qu’historique, qu’étaye l’idéologie du «tout génétique ». C’est l’infériorité naturelle des femmes ou la croyance aux dons justifiant unepolitique scolaire d’égalité des chances, c’est-à-dire de résignation à l’inégalité sociale des résultats,quand la question est d’organiser la réussite pour tous.

Le marxisme expliquerait toute chose humaine par des considérants économiques à quoi l’onpourrait en dernière analyse la réduire. La pensée anthropologique s’oriente alors vers lesélaborations superstructurelles de la vie sociale et psychique, le symbolique, le relationnel,l’institutionnel, le normatif, dont l’autonomie par rapport aux processus économiques est patente, ou

vers ce qui passe pour infrastructurel par rapport à l’économique, le biologique, la logique du corps,les processus neuronaux, les déterminations génétiques, invariants anthropologiques incontestables.

L’occultation de l’anthropologie marxienne ne tient pas à sa disqualification intellectuelle mais, àpartir d’un tout autre lieu que celui du théorique, au discrédit politique du communisme, au passagede l’attraction pratique du fait du rôle de l’Armée rouge dans la victoire sur le nazisme, des militantscommunistes dans Résistance et des acquis de la Libération à son contraire, du fait des révélationssur les crimes staliniens et sur les carence démocratiques du socialisme existant.

La vraisemblance d’un dépassement du capitalisme est mise en doute du fait d’un déplacement des

évidences, d’un mouvement tectonique de l’idéologie passive, selon laquelle « l’homme » est penséessentiellement, voire exclusivement, comme être de langage. Le symbolique seul définiraitl’homme. Cette mutilation en pensée de l’humanitas réelle, cette mise entre parenthèses théoriquesde l’activité laborieuse s’accordent avec manière pratique dont est traité le monde du travail.

L’activité humaine s’accomplit de façon systématiquement médiatisée, ses médiateurs génériquesétant l’outil et le signe. Le monde humain dans lequel elle s’objectivise est ainsi le produit conjointd’activités de deux ordres, laborieuses et langagières, l’outil médiatisant les rapports des hommesavec la nature, le signe les rapports des hommes entre eux et avec eux-mêmes. Les activités

productives et signifiantes et ont des modes propres de fonctionnement et d’évolution, même sil’interpénétration des logiques sociales fait qu’il n’est guère de traits des unes dont ne soient affectéesles autres.

L’activité productive outillée est objectalisante, c’est-à-dire tend à se métamorphoser en réalitéschosales, nature domestiquée, équipements pérennes, produits stockables, inséparables des activitéscorrespondantes.

Le mode propre de matérialité de l’esprit n’est pas la chosalité. L’agitation de l’air qui achemine laparole est objective, mais ne constitue pas une chose subsistant par elle-même après que la bouche se

soit tue. Le signe, malgré ses aspects objectifs relèvent du subjectal. Avec l’écriture, le langage relèvede l’objectalisation, mais ce phénomène second ajoute sans lui en rien ôter au caractère fondamental

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de tout langage, plus largement de toute production symbolique, qui est activité socialement régléede communication interpersonnelle dont la visée n’est pas la production d’un objet mais l’entrée enrapport avec un sujet.

Parce qu’elle s’objectalise hors des organismes qui l’effectuent, l’activité outillée, bien que ses formeschoses aient à demeurer réappropriables, n’est pas bornée dans son expansion par les capacitésappropriatives de chaque individu en particulier et peut donc connaître une accumulation en elle-

même illimitée. Ce que le signe a d’irréductiblement subjectal s’oppose à une cumulativité sedéconnectant des individus.

Une langue change sans cesse, elle ne s’étend pas exponentiellement, faute de quoi tendrait àdisparaître, avec sa possible appropriation par toute une communauté, sa raison d’être, c’est-à-direla communication interpersonnelle, l’acheminement intersubjectif de sens, même si les membresd’une communauté n’ont en commun qu’une part de la langue, suffisante pour se parler.

La variété des langues n’a pas de limites, mais c’est sur la base d’une identité, puisque toutes leslangues sont traduisibles les unes dans les autres.

Le signe a une histoire de type évolutif plutôt que cumulatif.

Les activités productives outillées se déploient en division technique du travail en branches d’activitéet en division sociale du travail en états, ordres, classes, ce qui permet à l’objectalité technique en voied’accroissement illimité d’être appropriable par des individus aux capacités finies, la compétenceglobale de l’humanité laborieuse se fragmentant en savoir-faire inéchangeables, que met en rapportun système d’échanges extérieur à ces savoir-faire, surdéterminé par des structures et des luttes declasse.

Dans l’univers du symbolique, si les champs sont multiples, si les genres et les styles dans chaquechamp sont aussi multiples, s’ils sont redoublés par les orientations de classe, si une langue présentedes vocabulaires sectoriels, des accents régionaux, des parler de classe, des fonctions et des genresdivers, si l’esprit a des provinces diverses, l’éthique, le droit, la philosophie, l’art, si les créations sontdiverses, un concept n’est concept qu’en se rendant concevable par tout esprit raisonnable, une loin’est loi que dans une formulation intelligible pour tout citoyen conscient, une langue doit êtreparlée par l’immense majorité, chaque province de l’esprit ayant une visée d’universalité.

L’échange généralisé des marchandises ramène la variété des activités laborieuses à l’identité du

temps de travail socialement nécessaire, la réduction inégale de ce temps étant le but, alors que lesoeuvres symboliques sont incommensurables. Le monde du symbolique, soumis à la divisiontechnique des activités, est exposé à l’aliénation du sens et il n’est pas par lui-même générateur d’unedivision sociale du travail où s’alimentent exploitation de l’homme et lutte de classes.

Dans l’ordre des activités outillées, une progression quantitative en puissance opératoire et enréduction du temps de travail fait entrer périodiquement en crise structurelle des rapports sociauxrendus peu labiles par des privilèges de classe, induisant des épisodes de révolution technologique etpolitique. Dans l’ordre des activités symboliques, on a parfois des changements marquants et destensions vives, mais dans l’ensemble il s’agit d’une évolution lente, ainsi la diachronie des structures

linguistiques qui renvoie à une altération de la langue que régissent du dedans la loi du moindreeffort phonétique ou la loi de l’analogie grammaticale, à opposer à l’histoire de la langue,l’émergence du français, histoire qui vient du dehors, des avatars de la formation sociale où lalangue se parle et s’écrit.

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1. 14. L’anthropologie marxienne est ignorée par le matérialisme naturel de Levi Strausspour qui on trouve les mêmes schèmes logiques inconscients dans toute civilisation,chez les culturalistes américains pour qui la société et la culture sont des modèles decomportement, les gestes techniques, des modes de vie, mais aussi pour Habermas pourqui la communication et son éthique de la communication sont des données naturelles.Chez Freud, il y a la place pour le dynamisme, l’activité, il y a aussi la place pourl’histoire, pour le changement, pour l’évolution, enfin il y a la place pour le sens, la

signification.

Pour Levi Strauss, tous les hommes sans exception possèdent un langage, des techniques, un art, desconnaissances positives, des croyances religieuses, une organisation sociale, économique et politique.Ils impriment à toute forme mentale ou sociale les mêmes schèmes logiques tels que la dyade ou latriade, ce qui exprime les lois universelles qui régissent l’activité inconsciente de l’esprit. Cesuniversaux anthropologiques tiennent à la structure objective du psychisme et du cerveau, aux loisdu cortex cérébral et donc aux lois physico-chimiques de la matière. La culture est réintégrée dans lanature. La naturalisation est une déhistoricisation. Le symbolique superstructurel est lu selon une

infrastructure naturelle, selon un matérialisme naturel.Les culturalistes américains considèrent la culture comme une configuration de comportementacquis et transmis, l’ensemble des standards de comportement du mode de vie global, les façons detable, les idéaux, les coutumes matrimoniales, les croyances ou les incroyances au surnaturel. Leshabitudes et les attitudes individuelles sont induites par ces modèles, ces patterns sociaux, qui sontd’une extériorité comprise comme individualité psychique standardisée. La société est réduite à unsystème de patterns comportementaux. Elle n’est rien d’autre que de l’individualité. Si les objetsfabriqués sont dans la culture, c’est par l’aspect technique de leur fabrication, la façon de tresser lespaniers par exemple. Les rapports de production et la formation sociale ne sont pas évoqués. Les

activités d’appropriation à l’origine du développement individuel ne sont pas non plus évoquées. Lesubjectal est du côté du social, les comportements standards, et du côté individuel, les activitésmodelées par ces standards. La société est un groupe de gens ayant appris à travailler ensemble. Onne voit pas que l’homme s’hominise à partir des rapports sociaux. L’individu adopte tels patterns decomportement parce qu’ils satisfont à des besois individuels innés, la société étant un environnementconditionnant l’individu.

Pour Habermas, la dialectique des forces productives et des rapports de production passe par lamédiation des idéologies. Il ne faut pas sous-estimer la culture, l’agir communicationnel, la

communication. L’homme est réduit au langage et l’éthique de la discussion vire à une éthique del’espèce humaine.

Freud conjugue l’activité, l’histoire et le sens.

Il y a en effet du dynamisme et de l’activité dans les notions de refoulement, d’identification, dechoix d’objets, d’élaboration secondaire, de résistance, de sublimation. Le rôle actif du moi vausqu’à exercer une influence sur le ça et même à prendre sa place. L’individu dispose d’un

irréductible degré de liberté.

La topique de cette activité, de ce dynamisme se déploie à travers des histoires singulières.L’inconscient intemporel est capable d’évolution, d’histoire, en fonction des événements. La pulsionsexuelle, conservatrice, évolue en phases. Le moi est succession de choix d’objets.

 

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Il n’y a pas que le quantitatif. Le rêve, lapsus, le mot d’esprit, le symptôme, la résistance, lacroyance, la création, le transfert font sens, même si le sens qui affleure n’est pas le bon. On ne peutpas s’en tenir aux comportements.

1. 15. Il y a trois niveaux de comportement chez animal, celui de la réaction instinctive, duréflexe absolu couplé de manière innée à un stimulus spécifique, celui de la réactionacquise, du réflexe conditionné permettant l’adaptation aux situations changeantes et

enfin celui de l’invention d’un comportement inédit, tel celui de l’utilisation d’un bâtonpour attraper un fruit. L’outil utilisé par l’animal doit être dans le champ visuel, il n’estni préparé, ni conservé, ni transmis, il n’est qu’un auxiliaire, car la recherche de lanourriture est le seul but, il n’est l’objet que d’une connaissance rudimentaire, il n’esten relation ni avec le travail, condition d’une maîtrise toujours plus grande sur lanature, ni avec le signe, condition d’une maîtrise de son propre comportement. Il resteun stimulus naturel, non artificiel, un signal, une stimulation naturelle. L’homme arecours à des instruments psychologiques, les signes, par exemple un noeud dans lemouchoir, qui lui permettent de transformer la mémoire spontanée en mémoireartificielle, mémoire volontaire, pour lui ou pour autrui. Avec le comptage sur lesdoigts, l’évaluation peut se développer sérieusement, l’attention spontanée devientattention volontaire. Avec le jeu de dé, le choix aléatoire peut devenir choix raisonné,choix volontaire. Le signe étant artificiel, il est plus qu’un signal naturel ayantseulement une fonction de signalisation. La stimulation devient auto stimulation,comportement volontaire, maîtrise de soi-même et de son propre comportement, ce quiaméliore la maîtrise de la nature. Le signe devient un stimulus conditionnel, mais créépar l’homme, avec pour fonction de maîtriser son comportement ou celui d’autrui. Lesigne a dorénavant une fonction de signification, dans un contexte de création etd’utilisation de signes, en relation avec le sens personnel. L’artificialité du signe induit

des liaisons nerveuses imprévues, des liaisons nerveuses qui ne sont plus le reflet passifdes liaisons naturelles, ce qui transforme l’individu et ses capacités. L’activité qui utilisel’outil comme médiateur, instrument entre l’homme et la nature, est tournée versl’extérieur, tandis que l’activité qui utilise le signe comme médiateur, instrument, esttournée vers l’intérieur, vers la maîtrise et la transformation du psychisme de l’autre oula maîtrise et la transformation de son propre psychisme, de soi-même, de ses capacités.Les activités se référant aux normes, aux règles du jeu, aux valeurs morales sont aussides activités médiatisantes ou instrumentales. L’apparition des fonctions psychiquessupérieures, c’est l’essor des habiletés outillées, des échanges verbaux, de la pensée

logique, des formes auto maîtrisées du comportement, avec les élaborations artificiellesque sont les outils, les techniques, les savoirs, le langage, les formes de comptage et decalcul, les moyens mnémotechniques, les symboles algébriques, les oeuvres d’art,l’écriture, les schémas, les diagrammes, les cartes, les plans. Ces formes supérieures dupsychisme viennent du dehors culturel, non du dedans organique. Ce n’est pas lecerveau qui commande ces comportements supérieurs.

La pensée du chimpanzé est indépendante du langage. Pensée et langage ont des racines évolutivesdifférentes.

Le bâton du chimpanzé n’est saisi que s’il est dans le champ visuel du fruit inaccessible. Il n’est pasconservé après usage ni préparé avant usage ni transmis de génération en génération.

 

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Pour le chimpanzé, l’outil est un auxiliaire d’une action à la structure de laquelle il ne change riend’essentiel. Seul le procédé est intelligent. L’action est instinctive.

Pour le singe, le bâton n’a pas la signification d’un outil. Alors que l’homme veut un bâton, le singeveut un fruit, non un outil. Le singe ne confectionne pas l’outil en prévision de l’avenir. L’outil chezle singe ne joue qu’un rôle second dans son adaptation à l’environnement. La chimpanzé connaît demanière rudimentaire l’outil.

Il ignore le travail. Il utilise un outil en l’absence de travail.

Ce qui manque à l’usage simiesque de l’outil, c’est le recours à cet autre instrument qu’est le signe.

L’adaptation de l’animal à la nature est passive. Il n’y a pas maîtrise du milieu par le travail.

Il n’y a pas non plus de maîtrise de l’animal sur son propre comportement au moyen de signesartificiels, contrôle de soi-même, car cela exige l’usage du symbole. L’invention de procéduresartificielles à base de signes donne aux hommes une maîtrise sur leurs activités psychiques, les leurs

comme celles des autres. La maîtrise outillée sur la nature va alors plus loin.En plus de la mémoire spontanée, il y a la mémoire artificielle, les bâtons à encoches, le noeud aumouchoir. Le signe est enrôlé comme moyen dans l’opération de mémorisation.

On peut agir sur la mémoire de l’autre, de même que sur la sienne propre. Les habitants d’un villageveulent que le représentant du pouvoir central n’oublie pas leur demande. Pour cela, ils lui donnentune griffe de lynx.

L’évaluation spontanée d’une quantité se précise avec le recours à des moyens artificiels, comptage

sur les doigts et articulations du corps.Il y a recours à des signes qui fonctionnent comme instrument psychologique rendant possible unemaîtrise du comportement.

Quand il y a incertitude de l’avenir, l’indifférence des options, la décision raisonnée n’est paspossible, et on utilise le lancement de dés, le tirage au sort, d’où l’émergence d’un choix volontaire.

Il y a trois niveaux de comportement, celui de la réaction instinctive, réflexe absolu couplé de façoninnée à un stimulus spécifique, celui de la réaction acquise, du réflexe conditionné, permettant

l’adaptation aux conditions changeantes, celui de l’invention d’un comportement inédit.Si le noeud au mouchoir agit comme un stimulus ordinaire, ce stimulus provient d’une sourceentièrement différente. Ce stimulus n’est pas donné par la nature mais produit par l’inventionhumaine. La stimulation se convertit en auto stimulation dans ces formes supérieures decomportement que sont la mémoire volontaire, l’attention volontaire, le choix volontaire.

On a une activité psychique qui révolutionne la maîtrise de l’objet en inaugurant la maîtrise dusujet.

Les stimuli artificiels créés par l’homme pour remplir la fonction d’auto stimulation sont des signes.Le signe est un stimulus conditionnel artificiellement créé par l’homme comme moyen de maîtrisedu comportement, celui d’autrui ou le sien propre.

 

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Le signe semble ne mettre en jeu que la fonction de signalisation. Son rapport à la réponse qu’il doitsusciter étant purement artificielle, il paraît n’avoir sens que d’assumer ce rôle de signal.

Mais cette artificialité lui confère un pouvoir d’une autre nature et portée que celle du signal naturel.Les liaisons nerveuses ne reflètent plus passivement les liaisons naturelles. Il y a transformation deschoses. Les liaisons nerveuses induites par les instruments psychologiques produits par l’hommeouvrent la voie à une activité de transformation de soi, clé d’un tout autre rapport au monde.

La signalisation se transmue en signification, création et emploi de signes, c’est-à-dire de signauxartificiels, structure interne de l’opération sémiotique, processus de généralisation, en rapportdialectique avec le sens personnel, le mot étant le microcosme de la conscience.

Toute activité humaine est médiatisation, avec l’activité utilisant l’outil, avec celle utilisant le signe,cet outil mental, avec celle utilisant les normes, comme les règles du jeu ou les valeurs morales.Toutes ces activités médiatisantes ou activités instrumentales ont en commun l’interposition d’untiers terme entre le sujet et l’objet.

L’outil, moyen d’une action physique tournée vers l’extérieur, médiatise l’activité humaine visant àmaîtriser la nature. La fonction instrumentale du signe est orientée en sens contraire, celle d’unmoyen d’une action psychique tournée vers l’intérieur qui tend à une maîtrise du comportementd’autrui ou de soi-même.

1. 16. Le psychisme proprement humain est d’origine externe. Chaque homme doits’approprier le patrimoine de l’humanité. Chaque comportement individuel supérieurest d’abord une relation sociale. Les rapports sociaux sont représentés, transposés audedans en fonctions de l’individu et en formes de la structure de l’individu.L’individuel est la forme supérieure du social. Chaque activité intérieure, chaquefonction intrapsychique, chaque structure psychique individuelle est d’abord rapportinterpsychique, relation entre individus, relation sociale. La réflexion est la formeinternalisée de la discussion. Le mot est d’abord un ordre, un rapport de pouvoir, etensuite un moyen de régulation volontaire. Le signe fait de l’outil un moyen de travail,ce qui constitue l’outil proprement humain dans sa structure. Mais cet outil humain aaussi spécifiquement une dimension temporelle, il est outil pour l’avenir, témoignantd’une vie dans le temps fondée sur une maîtrise du comportement, l’homme semunissant d’un outil pour réaliser une tâche à venir. L’action proprement humaine estmarquée du sceau de la volonté.

Il faut souligner l’importance de la fonction psychique du signe dans la genèse des fonctionshumaines supérieures. Mais histoire du travail et histoire du langage ne peuvent être compris l’unsans l’autre

La modification de la nature modifie la nature de l’homme.

L’apparition des fonctions psychiques supérieures est la relève d’un développement de typezoologique par un développement de type historique, avec l’essor des habiletés outillées, deséchanges verbaux, de la pensée logique, des formes auto maîtrisées du comportement, sur base

 biologique inchangée.

 

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Il y a donc production immense d’élaborations artificielles ouvrant des voies à la maîtrise de lanature et de soi-même, avec les outils, les techniques, les savoirs, avec les outils psychologiques, lelangage, les formes de comptage et de calcul, les moyens mnémotechniques, les symbolesalgébriques, les oeuvres d’art, l’écriture, les schémas, les diagrammes, les cartes, les plans.

La culture, ensemble de productions historiques à partir de quoi l’humanité s’élève à une existencecivilisée, avant d’être richesse interne, est patrimoine externe historiquement constitué. Les modalités

supérieures des comportements viennent du dehors culturel, non du dedans organique. L’hommedoit donc s’approprier activement ces modalités supérieures de comportement. Si au niveau del’élémentaire le cerveau commande le comportement, au niveau de l’activité culturellementmédiatisée l’homme gouverne du dehors son propre cerveau.

Le psychisme proprement humain est d’origine externe, donc sociale. Chaque comportementindividuel supérieur est d’abord une relation sociale.

Toute fonction psychique médiatisée apparaît deux fois, la première fois entre les individus commerapport interpsychique, la deuxième fois comme activité intérieure, fonction intrapsychique.

La réflexion est la forme internalisée de la discussion.

Le mot est d’abord ordre, rapport de pouvoir, puis devient en nous moyen de régulation volontaire.

« Je » est la relation sociale de « je » avec lui-même.

L’individuel chez l’homme est la forme supérieure du social.

Les rapports sociaux sont représentés, transposés au-dedans en fonctions de l’individu et en formes

de la structure de l’individu.Il y a clivage de la psychologie en psychologie à visée explicative et causale plus ou moinsmatérialiste qui n’explique au mieux que l’élémentaire, et en psychologie phénoménologiquecompréhensive qui se centre sur les formes supérieures du psychisme mais en renonçant à lesexpliquer au nom de conceptions idéalistes de la conscience. Il faut élaborer une théorie explicativede la conscience grâce à une perspective anthropologique nouvelle, marxiste.

Il y a chez l’homme entrelacement interne entre le signe et l’outil. Le signe commence à participer àl’usage de l’outil, faisant de lui un moyen social de travail.

Mais il n’y a pas seulement par rapport à l’animal une différence structurelle de l’outil, il y a unedifférence temporelle.

Le singe, esclave de son champ actuel de vision, ne prépare pas de bâton d’avance, alors quel’homme se munit d’un outil en vue d’une tâche à venir, un outil pour l’avenir, témoignant d’une viedans le temps fondée sur la maîtrise du comportement, grâce au signe, dont la forme la plus hauteest le mot, et qui élève l’action sur un plan supérieur, en lui imprimant le sceau de la volonté.

1. 17. Une activité comme l’écriture lie en un système fonctionnel plusieurs fonctions.

Mais les rapports ou liaisons existants entre fonctions ne doivent pas faire oublier queces rapports ou ces liaisons varient avec l’âge, et il en est de même des systèmesfonctionnels. La spécificité de chaque fonction ne doit pas faire oublier l’existence de lapersonnalité et la réflexion généralisée de la réalité dans la conscience. L’étude de la

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pensée et des fonctions mentales mobilisables, hiérarchisées et en développement, nedoit pas faire oublier l’étude de l’affectivité, les motivations, les impulsions, les besoins,les intérêts, les émotions, les volontés, variables aussi selon l’âge. Aux fonctionspsychiques d’essence relationnelle et historique ne peuvent pas correspondre desorganisations cérébrales données d’avance, mais seulement, formées ou construites aucours de l’histoire individuelle à partir de connexions extra cérébrales, des mises enrelation fonctionnelle évolutive entre des zones remplissant isolément un rôle

spécifique susceptible de changement et dont la connexion intégrative fait apparaître denouvelles propriétés dynamiques du système nerveux, ce qui constitue des organesmobiles, des systèmes labiles de connexions interzones.

Au-delà de l’étude des fonctions séparées, mémoire, attention, pensée, langage, opérationsmathématiques, il faut étudier les liaisons interfonctionnelles et les systèmes fonctionnels qui seforment à partir des fonctions, une activité comme l’écriture alliant en un tout organique denombreuses fonctions. Il faut étudier la dialectique de ces liaisons et de ces systèmes.

Les rapports entre fonctions varient. À chaque stade de développement se transforme la structure deces rapports, si bien que l’objet de la recherche devient l’évolution des systèmes fonctionnels.

Sans perdre de vue la spécificité de chaque fonction, l’objet de la psychologie doit être lapersonnalité. Ce n’est pas le muscle qui travaille mais l’homme.

Derrière la pensée il y a une tendance affective et évolutive. N’oublions pas qu’il n’y a pas que desfonctions mentales mobilisables et hiérarchisées. La pensée prend naissance dans la sphèremotivante de notre conscience qui englobe nos impulsions, besoins, intérêts, mobiles, affects,émotions, volontés. Il y a aussi un développement des intérêts selon les âges.

Si on se représente l’activité psychique comme une somme de fonctions séparées, chaque fonctionpsychique est normalement assumée par une région donnée du cerveau. C’est le localisationnisme.

Si on représente l’activité psychique comme un ensemble indivis de fonctionnements, le cerveaufonctionne comme un tout dans la régulation des fonctions supérieures. C’est le holisme ou leglobalisme.

Mais aussi il faut localiser les systèmes fonctionnels d’origine culturelle-historique. La théorie deslocalisations doit être fondée sur la théorie historique des fonctions psychiques supérieures, fondée

elle-même sur la théorie de la structure systémique et sémantique de la conscience, une consciencequi reconnaît non seulement la variabilité des liaisons et rapports interfonctionnels, mais aussi laformation de systèmes dynamiques complexes intégrant une série de fonctions élémentaires, maisaussi encore la réflexion généralisée de la réalité dans la conscience.

Le support cérébral ne peut se réduire à une mosaïque d’aires séparées données d’avance ni se diluerdans un fonctionnement global exempt de dimension historique.

Derrière la genèse des fonctions psychiques, il y a les rapports entre les hommes. Il n’y a donc pas decentre particulier des fonctions psychiques élevées. Celles-ci doivent être expliquées non par des liens

organiques internes, par des régulations, mais par l’extérieur, par le fait que l’homme commanded’activité du cerveau du dehors au moyen de stimuli, si bien que ses fonctions psychiquessupérieures ne sont pas des structures naturelles mais des constructions. Le principe essentiel del’activité des fonctions psychiques supérieures de l’individu est l’interaction de type social entre

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fonctions et non l’interaction entre les personnes. Il s’agit donc de localiser des fonctions, non lescentres. À des fonctions psychiques d’essence relationnelle et historique ne peuvent correspondre surle plan cérébral des organisations morphologiques données d’avance par la nature mais seulement,formées au cours de l’histoire individuelle à partir de connections extra cérébrales, des mises enrelations fonctionnelles évolutives entre zones remplissant isolément des rôles spécifiques et dont laconnexion intégrative fait apparaître de nouvelles propriétés dynamiques du système nerveux. Lesorganes fonctionnels, ou organes physiologiques mobiles du cerveau, systèmes labiles de connexion

interzones, concrétisent le fait que le cerveau humain, du point de vue fonctionnel, est un résultat del’histoire.

Le rôle que jouent les diverses aires cérébrales dans l’accomplissement des fonctions psychiquessupérieures change au long du développement individuel. Une lésion d’une aire peut obérer chezl’enfant le développement de fonctions psychiques supérieures, tandis qu’elle peut perturber chezl’adulte surtout les fonctions élémentaires impliquées. Une lésion sous corticale perturbant uneactivité de marche non volontaire peut-être palliée par le transfert de l’activité sous corticale auniveau cortical, en imposant de marcher sur des repères, ce qui fait appel à une régulation consciente

impliquant l’activité corticale.1. 18. La pédagogie et la collaboration sont nécessaires pour passer la rupture entre

aptitudes élémentaires et capacités supérieures, les fonctions psychiques supérieuresvenant du dehors culturel et social, mais il faut tenir compte des logiques naturelles dudéveloppement, de l’existence de phases de développement. Les spontanéistes, adeptesdu tests, considèrent qu’il faut adapter les offres pédagogiques à la maturation del’enfant, sans tenir compte des potentiels de développement de l’enfant, sans anticipersur le développement de l’enfant pour le faire progresser, tandis que les dirigistesconsidèrent que l’apprentissage est un dressage ou une imitation de l’adulte, sans tenir

compte des possibilités actuelles de l’enfant, de sa zone proche de développement, entrece qu’il sait faire tout seul et ce qu’il peut apprendre à faire avec la collaboration del’adulte, sans tenir compte non plus du nécessaire travail d’appropriation de l’enfant dusens et de la structure des activités humaines, ce qui implique en particulier de donnerdu sens aux apprentissages pour que la motivation ne s’émousse pas, mais aussi dechanger le sens et les objets des apprentissages, les rafraîchir, pour que l’intérêt semaintienne et la satiété ne s’installe pas.

Comme des aptitudes élémentaires d’un enfant à ses capacités supérieures il y a non transition

continue mais rupture, la pédagogie doit lui apprendre à sauter. Il s’agit de s’appuyer sur leslogiques naturelles du développement, mais pour les dépasser et non s’y asservir.

Alors que la phylogenèse du genre humain se déroule uniquement dans l’histoire sociale à l’état pur,l’ontogenèse de la personne se déroule dans la vie d’un individu en croissance biologique, oùs’entremêlent des processus de nature hétérogène, où fusionnent deux lignes de développement, oùprocessus endogènes et exogènes sont entrelacés tout en demeurant autonomes.

Les uns donnent comme principal moteur au développement de l’enfant une maturation naturelleinterne, l’enseignement devant adapter ses offres à ce réquisit, c’est le spontanéisme.

Les autres donnent comme principal moteur au développement de l’enfant un apprentissage socialexterne qu’on doit prendre en main selon le principe du dressage. C’est le dirigisme.

 

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En fait, il y a des processus biologiques de maturation interne inducteurs de phases, mais lesfonctions psychiques supérieures viennent à l’enfant du dehors, des acquis historico-sociaux del’humanité constitutifs du monde culturel où se forment les capacités de l’enfant. Il n’y a pas dedéveloppement sans apprentissage, en particulier sans apprentissage scolaire.

Mais l’apprentissage n’est pas imitation, transfert spontané de compétence, selon le principe d’un «e vois faire, j’imite, je sais faire », car l’enfant ne peut imiter que ce qui est dans la zone de ses

possibilités intellectuelles. Il s’agit de passer de ce qu’il sait faire à ce qu’il ne sait pas faire.Il n’y a pas d’apprentissage sans développement. Pour que ce que j’apprends du dehors deviennentmien, je dois me l’approprier par un travail interne, une croissance en deux temps où se forment denouvelles capacités. Si l’apprentissage est moteur du développement, le développement est conditionde l’apprentissage. On ne peut sauter les stades psychiques. Il y a causalité enchevêtrée, dialectiqueentre apprentissage et développement, rapports évolutifs, spécifiques pour chaque âge.

L’enfant passe de ce qu’il sait faire à ce qui ne sait pas faire grâce à une nouvelle médiation, celle del’adulte sachant montrer comment cette objectalité qu’est l’acquis culturel externe peut être réincluse

dans la subjectalité d’une activité psychique interne dont cette objectalité devient l’instrument.

Le développement s’opère par la collaboration et l’imitation, source de toutes les propriétésspécifiquement humaines de conscience. L’enfant est capable d’apprendre en collaboration avecautrui et de s’approprier le sens et la structure des activités humaines.

La zone prochaine de développement s’étend entre ce que l’enfant sait déjà faire tout seul et ce qu’ilpeut apprendre à faire grâce à la collaboration de l’adulte. Elle concerne ses potentiels actuelsinhérents à son développement interne s’opérant à partir d’un apprentissage externe.

Le seul apprentissage valable est celui qui anticipe sur le développement et le fait progresser, mais onne peut enseigner à l’enfant que ce qu’il est déjà capable d’apprendre.

La période optimale d’apprentissage d’une matière donnée se situe entre deux seuils, pour quioriente sa pédagogie non sur l’hier mais sur le demain du développement.

Les tests d’aptitude, dans le meilleur des cas, évaluent les capacités actuelles d’un enfant en ignorantses potentiels de développement. Les tests ne tiennent pas compte que deux enfants de même niveaude performance peuvent différer sous l’angle de leur développement potentiel. Les tests risquent defaire oublier que les pratiques pédagogiques sont à déterminer en fonction du potentiel et non del’actuel. Les pratiques pédagogiques ne peuvent ignorer les fonctions venues à maturité, mais il nefaut pas oublier le futur, ce qui peut mûrir, les possibilités non réalisées. L’éducateur doit discernersans cesse le possible dans le réel.

Sous la dynamique ou l’inertie des apprentissages demandeurs de croissance en dedans, il y a desmoteurs, affects, émotions, pulsions, besoins, intérêts, mobiles. L’enfant n’est pas un système cognitiffonctionnant dans l’abstrait mais une personnalité concrète dont les activités font pour lui sens, ounon, si bien que l’enseignant doit rafraîchir la tâche pour entretenir une motivation faiblissante,changer la demande pour éviter que l’intérêt ne s’émousse, que la satiété ne s’installe, donner un

nouveau sens à la tâche et un nouvel investissement.

1. 19. Pour l’individu déficient, l’accès ordinaire aux fonctions psychiques supérieures estbarré, mais les formes culturelles de développement sont conventionnelles, si bienqu’avec les moyens organiques disponibles cet individu peut développer, avec l’aide de

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la collectivité, grâce à la collaboration et à la communication avec des individus à unniveau supérieur de développement, des activités culturelles supérieures dont lastructure profonde n’est pas affectée par l’appareil psychophysiologique utilisé. Àpartir du moment où l’individu lit avec ses doigts, sa déficience ne se transforme pas enhandicap. Il ne s’agit pas de socialiser coûte que coûte des comportements naturels donton ne peut changer la déficience, mais de somatiser d’une façon ou d’une autre lesacquis culturels.

Toute déficience est contradictoire, manque générateur d’obstacles dans l’adaptation au monde,développement d’effets surcompensateurs et voies de détour vers un autre mode d’adaptation.

Comme toute lutte, la compensation peut avoir deux issues, victoire ou défaite. La médiation dumonde des adultes est alors déterminante. La déficience n’est pas fatalement handicap, ledéveloppement naturel ne préjuge pas fatalement du développement culturel.

Comme tous nos outils et signes sont ajustés à un type « normal » d’individu, il y a l’illusion d’unpassage spontané du naturel au culturel, alors qu’il s’agit d’une immense construction historique.

Pour un individu déficient, lignes naturelle et culturelle de développement ne concordent plus.L’accès ordinaire aux fonctions psychiques supérieures est barré.

Le langage peut être approprié par d’autres voies sensorimotrices. Les formes culturelles dedéveloppement ont un caractère conventionnel et muable. On peut construire avec les moyensorganiques disponibles, souvent aiguisés par la surcompensation, des activités culturelles supérieuresdont la structure profonde n’est pas affectée par tel ou tel appareil psychophysiologique. On peutlire avec les doigts et parler avec les mains.

Alors que le défaut organique, c’est-à-dire la déficience, échappe à notre pouvoir, la collectivité entant que facteur de développement des fonctions psychiques supérieures est entre nos mains pour nepas transformer la déficience en handicap.

La constitution de collectivité d’enfants déficients n’est pas pédagogique, puisque la collaboration etla communication collective avec d’autres enfants à un niveau supérieur de développement estdécisive.

Il faut utiliser toutes les possibilités d’activités langagières, en tenant compte de l’unité de l’affectivité

et de l’intellect.Pour Piaget la source du psychisme humain est dans les attitudes biologiques de l’espèce, non dansles productions historico-sociales du genre humain, ce qui vient de la société étant pensé commenorme externe, non comme dynamisme internalisé, l’enfant étant un être biologique qui socialise sescomportements naturels, n ne on un être social qui somatise les acquis culturels.

1. 20. À toute perception ou activité perceptive correspond une action, une activitéinstrumentale, non un don ou une aptitude innée. L’audition verbale impliquel’imitation articulatoire. La grande qualité informative de la perception correspond à la

grande complexité de l’activité instrumentale correspondante. La réponse ou imagesensorielle à une activité perceptive intelligemment interrogative est une constanteperceptive, une représentation d’objet et non une simple affection fugace, dans lamesure où s’investissent dans cette image sensorielle le langage, la pensée conceptuelle,la mémoire événementielle, nos perceptions devenant des représentations généralisées

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du réel, des représentations objectives dans la mesure où le sujet se met entreparenthèses. Il faut donc un apprentissage de la perception. Le jeune Français doitapprendre à chanter juste, du fait du caractère peu tonal de la langue qu’il vientd’acquérir.

À l’opposé de la tradition empiriste qui tient l’information sensible comme passivement reçue, cetteinformation est activement produite. Il y a des fibres effectrices dans les nerfs sensitifs. Aucune

perception n’est possible sans action. L’ouïe verbale implique l’imitation articulatoire, l’ouïe tonaleune activité cachée de l’appareil vocal.

Le psychisme perceptif est en connexion avec l’activité instrumentale, chaque complexité nouvelledu comportement correspondant à une qualité informative supérieure de l’information.

Dès que l’activité perceptive est exploration intelligemment interrogative, la réponse sensorielle n’estplus simple affection mais représentation d’objet. La mobilité de l’image sensorielle se transmue enconstance perceptive. Quand je tourne la tête, les murs de la pièce ne bougent pas. S’investissentdans cette image sensorielle les fonctions psychiques complexes du langage, de la pensée

conceptuelle, de la mémoire événementielle. Je ne perçois pas un rectangle blanc mais une feuille depapier, voire celle-là même que j’avais égarée.

Toute notre expérience vivante se réfracte dans nos perceptions métamorphosées en représentationsgénéralisées du réel.

Le travail psychique met le sujet entre parenthèses pour se faire générateur d’objectivité. La chosepour nous est de plus en plus connaissance de la chose en soi.

Comme le français est une langue très peu tonale, le fait de s’approprier cette langue ne fait pas

acquérir l’ouïe tonale. La formation de l’audition est médiatisée par l’apprentissage de la langueparlée. Il faut une pédagogie appropriée pour apprendre à chanter juste à un jeune français.

Les dons existent pas. Ce que le cerveau renferme virtuellement, ce n’est pas tel ou tel attitudehumaine, mais seulement l’aptitude à la formation de ces attitudes.

1. 21. Une activité est un processus avec un motif, le motif global de l’activité, et un butcorrespondant, subordonné. Un processus sans motif, par exemple la mémorisation ensoi, n’est pas une activité. Le but de l’action de traquer du gibier ne prend sens que dans

le rapport au motif de l’activité de chasse qui est de se nourrir. L’activité se décomposeen actions. Une action appartient à une activité. Une activité peut se rebeller contre lebut qu’on lui impose et se fixer un autre but qui prend sens et devient alors motifgénérateur d’une nouvelle activité. Chacun trouve un système de significations prêt, lasignification étant une généralisation de la réalité cristallisée sur un mode sensible, parexemple la note scolaire, qui a une signification objective. Chacun s’approprie demanière personnelle cette signification. Ainsi la note est ressentie personnellementcomme plus ou moins valorisante, comme un succès ou un échec. Si le sens personnels’exprime dans des significations, il se crée dans une activité, il correspond à un motif, àun vécu, il fait corps avec le système variable des motifs de l’individu, et il est à la

source du dynamisme des apprentissages et des activités. La personnalité est l’ensembledes rapports de l’individu avec le monde, rapports qui se réalisent dans des activités enrelations hiérarchiques et animées par un système de sens personnels. Elle est ce quel’individu fait. Elle est donc d’essence temporelle, gros d’un passé qui ne décide

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pourtant pas de l’avenir dans la mesure où l’individu fait de son passé ce qu’il veut.L’activité personnelle s’inscrit avec une certaine distance dans un genre, dans unréférentiel collectif non écrit, dans une compétence transpersonnelle, dans unemémoire sociale, auxquels l’individu insuffle par son style une évolution. Lemalmenage des genres sociaux du travail est destructeur du développementpsychologique de l’individu.

L’activité est un processus impulsé et orienté par un motif vers un but correspondant. Tout processusn’est pas une activité.

Ainsi la mémorisation en soi, sans raison particulière, n’est pas une activité.

Chez les animaux, l’activité est sous-tendue par un but de nature biologique.

Avec l’homme, les motifs et les buts se diversifient. Avec la division du travail, le but et le motifpeuvent se dissocier. Cette scission s’internalise dans le psychisme individuel. Dans la traque dugibier, le but du rabatteur qui est de rabattre le gibier ne prend sens que par rapport au motif global

de l’activité commune, chasser pour se nourrir.

L’activité se décompose ainsi en actions, processus dont le motif ne coïncide pas avec son objet, avecce à quoi il vise, mais appartient à l’activité dans laquelle entre l’action considérée.

La non coïncidence des motifs et des buts, des activités et des actions est à la fois aliénation, dramede l’existence et moteur potentiel de progrès psychique, quand des activités entrent en rébellioncontre leur logique imposée et élisent d’autres buts, et les buts, prenant sens, deviennent motifs etsuscitent de nouvelles activités.

La signification est la généralisation de la réalité qui est cristallisée et fixée dans un vecteur sensibletel que le mot, forme idéale de l’expérience sociale par-delà le rapport au réel de l’individu singulier.

Chacun trouve un système de signification prêt, élaboré historiquement, et se l’approprie toutcomme il s’approprie l’outil, précurseur matériel de la signification.

Le sens est un rapport qui se crée dans la vie, dans l’activité du sujet. Le sens s’exprime dans lessignifications mais sa provenance et sa consistance sont toutes autres. Pour trouver le sens personnel,il faut trouver le motif qui lui correspond. Une note scolaire a une signification objectivement établie,mais son sens personnel varie, pouvant être vécu comme une moyenne ou comme une contre-performance. Le sens fait corps avec le système des motifs de l’individu et change avec lui. Il est à lasource de tout dynamisme d’apprentissage.

Le sens ne s’apprend pas, mais peut-être éduqué.

Le sens irrigue toutes les activités dans la mesure où ces activités ne s’adressent pas seulement àl’objet mais à des personnes. Le sens est recteur de l’activité, les affects et émotions étant plutôt desrésultats de l’activité.

La personnalité n’est pas la totalité confuse de l’individualité psychologique mais la néoformationqui se crée dans les rapports vivants de l’individu, néoformation du point de vue phylogénétique,mais d’apparence tardive dans l’ontogenèse. La personnalité n’est pas le prolongement de l’individu,de son idiosyncrasie physiologique, tempéramentale, caractérielle, fonctionnelle, des particularitésstables de son système nerveux.

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La personnalité est l’ensemble des rapports de l’individu avec le monde, rapports sociaux qui seréalisent à travers ses diverses activités, leurs relations hiérarchiques, le système des sens personnelsqui les animent.

La personnalité est ce que l’homme fait de lui-même en affirmant sa vie humaine. Elle est doncd’essence temporelle. L’avenir comme le passé constituent le présent de la personnalité.

La conception selon laquelle la personnalité est le produit de la biographie justifie une conceptionfataliste de la destinée humaine.

Le rapport de l’homme avec son passé est actif, donc indécidé d’avance.

L’activité s’inscrit dans le genre, référentiel non écrit des règles élaborées en commun par uncollectif, composante transpersonnelle de la compétence à laquelle se tient le praticien d’une telleactivité.

Entre sujet au travail et objet il y a comme médiateur non seulement l’outil mais cet intercalaire

social qu’est le genre où s’est inscrit l’histoire du collectif, mémoire sociale à laquelle l’individu infuseson propre style, prenant ainsi distance avec le genre tout en lui imprimant une vivante évolution.

L’activité est triplement dirigée. Elle est dirigée par le sujet. Elle est dirigée vers l’objet. Elle estdirigée en direction des autres, puisque toute action est adressée.

Le travail est important, tout autant que le langage, pour le développement psychologique du sujet,d’où le coût incalculable du malmenage des genres sociaux du travail par le pilotage brutal desgestions par le taux de profit financier.

1. 22. Il faut comprendre le sujet de la vie individuelle, sa personnalité, l’ensemble desactes qui constituent la vie de l’individu, l’ensemble des événements singuliers qui sedéroulent entre la naissance et la mort, le moi de la vie quotidienne, le dramepersonnel. Il faut expliquer ce personnel par le personnel, par les expériences enpremière personne, par des actes du quotidien, et non par des processus impersonnelsinhumains comme les représentations, les tendances, les fonctions, les facultés, laperception, la volonté ou l’émotion, constituant une mythologie, substituant au dramepersonnel, au drame concret, un drame soi-disant plus vrai, moins apparent, un drameabstrait se déroulant dans une seconde nature, dans une réalité appelée réalité

spirituelle ou âme ou vie intérieure. Il faut résister au réalisme qui accorde une réalité àdes fictions, résister à l’abstraction qui, pour réaliser ses abstractions, déréalise leconcret pour n’en laisser que l’enveloppe, résister au formalisme qui élimine lasignification et le contenu particuliers. Les faits psychologiques sont des segments de lavie de l’individu, des significations. Un segment est expliqué par d’autres segments plusfondamentaux, de manière singulière et en s’attachant de manière compréhensive ausens personnel des actes. Il n’y a pas que le déterminisme psychologique dans la mesureoù la psychologie est enchâssée dans l’économie. Avant analyse, le sens latent du rêven’est ni conscient ni inconscient, il n’existe qu’après analyse, dans la mesure oùl’ignorance du sujet par rapport à son être psychique est un fait.

Ce que veut atteindre Freud, ce n’est pas le moi abstrait de la psychologie mais le sujet de la vieindividuelle, le moi de la vie quotidienne, l’agent d’un acte considéré dans sa déterminationsingulière, le drame personnel, l’ensemble des actes qui constituent la vie de l’individu, l’ensemble

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des événements singuliers qui se déroulent entre la naissance et la mort. La psychanalyse cherche àexpliquer le personnel par le personnel, contrairement à la psychologie qui, même si elle part d’uneintrospection par essence personnelle, en extrait des processus impersonnels tenus pour des faitspsychologiques véritables ont, ce qui constitue une mythologie. L’événement « mon fils pleure parcequ’on va le coucher », drame humain dont l’auteur est un individu concret, devient un drameabstrait dont les figurants sont des créatures mythologiques, représentations, tendances, images,instinct. « Les pleurs sont consécutifs à une représentation contrariant une tendance profonde ». Le

drame personnel, sans conjectures, ne serait qu’un drame apparent derrière lequel se jouerait le vraidrame. Les récits de psychologie ne sont pas des histoires de personnes mais des histoires de choses,des processus qui n’ont pas la forme de nos actions quotidiennes, des processus qu’on affirmedécouper dans une réalité sui generis, la réalité spirituelle. À la place du drame humain, noustrouvons un autre drame joué par des personnages inconnus et qui ne nous ressemblent pas. Onexplique la réalité des expériences en première personne par des entités fictives. C’est le monde àl’envers. C’est une imposture.

La psychologie classique est réaliste, c’est-à-dire elle donne ses fictions pour des réalités, elle attribue

une réalité substantielle ou phénoménale à la vie intérieure, siège imaginaire de fonctions ou defacultés de l’âme, instituant ainsi une seconde nature, le psychisme, genre original de matière, à lamanière des esprits animaux.

La psychologie classique est abstraite car elle remplace les histoires de personnes par des histoires dechoses, parce qu’elle remplace l’homme par des processus ou des phénomènes impersonnels seulsagissants, parce qu’elle transpose les expériences en première personne en expériences en troisièmepersonne, l’histoire d’un je étant remplacée par l’histoire d’un élément en forme de chose, comme siune idée pouvait aimer. La réalisation des abstractions est au prix de la déréalisation d’un concretqui n’a plus qu’une enveloppe.

La psychologie classique est formaliste en ce qu’elle élimine la signification particulière du fait dontelle s’occupe pour ne retenir que la forme, que les phénomènes psychiques pensés sous les rubriquesfonctionnelles générales de la perception, de l’émotion ou de la volition, sans référence au contenudramatique singulier tel que celui d’une vie de travail. Cette métapsychologie renvoie à l’âmesubstance, à la vie intérieure, aux fonctions psychiques, à la personne, en lien avec la systématisationthéologico-scolastique de l’âme.

La psychologie concrète remplace les notions inhumaines par des notions humaines renvoyant auxévénements humains non transposés, traitant selon leur sens personnel des faits comme le mariage,le crime, l’exercice d’un métier, le travail industriel, s’intéressant à la vie, dure aux uns, facile auxautres, ne cherchant pas des formules convenant à la fois à la psychologie humaine et à lapsychologie animale, élevant à l’état de science positive ce qui constitue l’étoffe de la littérature, duthéâtre ou du roman. La psychologie doit être science du drame, les faits psychologiques étant lessegments de la vie de l’individu particulier, des éléments homogènes à son drame, l’explicationdramatique expliquant les segments dramatiques par d’autres segments dramatiques plusfondamentaux, de manière toujours singulière, portant sur des individus considérés dans leuroriginalité, de manière compréhensive, c’est-à-dire s’attachant au sens d’actes rapportés au « je ».

Le drame n’est pas plus intérieur qu’extérieur, puisqu’il n’est rien d’autre que la signification.L’opposition entre psychologie objective et psychologie subjective est factice.

 

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Suivant son principe, la psychanalyse nous conduit au coeur de l’expérience individuelle, elle a uneinspiration concrète, clinique. Mais Freud s’exprime dans un langage qui fait disparaître le concretau profit d’un formalisme fonctionnel, d’une fiction d’un appareil psychique posé comme réel. Ildécompose l’acte du sujet en éléments qui sont au-dessous du niveau du « je » et veut ensuitereconstituer le personnel avec l’impersonnel, se croyant obligé de montrer que ces processuss’expliquent par les lois ordinaires de la psychologie.

La clinique nous apprend que le sujet raconte le contenu manifeste d’un rêve dont le sens latent luiéchappe, mais au cours de l’analyse le sujet fournit les éléments nécessaires à la compréhension de cesens latent. Le sujet sait donc plus qu’il ne croit savoir. Le sens caché est inconscient. Le sujet ignoreavant analyse le sens caché de son rêve, qui est donc inconscient. On s’en tient au fait négatif, maison ne peut conclure d’une absence à une présence, tirer le positif du négatif, et selon le réalismepsychologique dire que le sens latent est dans l’inconscient, projeter dans l’inconscient ce qu’on netrouve pas dans la conscience, dire que le rêve manifeste est un déguisement du rêve latent, unsymbole. L’ignorance du sujet par rapport à son être psychique est un fait, le contenu latent du rêveavant analyse n’est ni conscient ni inconscient, il n’existe pas et n’existera qu’à la suite de l’analyse.

Si la libido est une énergie idéale, c’est-à-dire idéaliste, il n’en est pas de même de l’identification quiest un acte qui a un sens pour la vie du sujet, ou du complexe d’Oedipe qui est taillée dans la matièredu drame humain, qui reste sur le plan du je. Il faut des explications ne recourant qu’à des élémentshomogènes au drame humain.

Les événements humains ont une structure et sont soumis à un déterminisme que le psychologuedoit connaître pour pouvoir considérer les mêmes événements par rapport à l’individu.

La psychologie du travail ou l’intelligence psychologique du crime doit s’intéresser à l’économie. La

psychologie n’est possible qu’enchâssée dans l’économie.Le déterminisme psychologique n’est pas souverain. Il agit dans les mailles du déterminismeéconomique.

Le lieu où le biologique et l’historique coïncident vraiment, ce n’est pas « la conscience », maisl’individu concret, son existence faite de tout ce qui se passe entre sa naissance et sa mort. Lapsychologie n’est pas science de la conscience, ou des fonctions psychiques, ces généralités, maisscience de l’être individuel en sa globalité et singularité dramatiques, science de la personnalité, seuleréalité où du psychique fonctionne, où de la conscience est en acte.

1. 23. La psychologie n’est pas la synthèse de deux sciences préalables qui l’ignorent, àsavoir la biologie et la sociologie, car ce serait réduire la personnalité, objet propre etautonome de la psychologie, à un caractère, un type physique, un tempérament uniqueset innés ou à la réalisation de rôles, d’attitudes culturelles, de valeurs. La biologie nenous apprend plus comment l’organique détermine le psychique mais comment lesactivités que l’individu s’approprie à partir du monde humain transforment le corps. Lasociologie ne nous apprend plus comment les fonctions psychiques naturelles sontconditionnées culturellement mais comment naissent socialement les fonctionspsychiques supérieures, dans les limites biologiques. La forme psychique, les affections,les sentiments personnels naissent de l’individu, même s’ils peuvent s’exprimersocialement, la douleur pouvant prendre la forme du deuil, la sympathie la forme de lasocialité, la forme psychique se projetant vers extérieur sous forme de psychisme socialet d’interactions sociales complexes. Les rapports sociaux matériels sont les formes dans

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lesquelles se réalisent les activités des individus qui font quelque chose dans le mondesocial et les logiques de ces rapports sont alors importées dans la personnalitéindividuelle. La psychologie est tributaire des études sociologiques sur les formeshistoriques d’individuation, sur les normes de genre, sur les relations de travail, sur lesidéologies de la réussite.

Entre la biologie et la sociologie, si l’homme est un animal socialisé justiciable d’une approche

 biologique et d’une approche sociologique, cette dernière ne pouvant changer les lois de laphysiologie, le social n’est qu’une spécification externe de l’animal humain. Il n’y a alors pas deplace pour une psychologie.

Affirmer l’existence d’une psychologie humaine insécable transmue cette dualité en tripartition.C’est à cette tripartition que conduit le projet d’une psychologie entendue comme science du drame,comme science de la personnalité considérée dans son évolution biographique.

De plus, le passage à l’anthropologie marxienne induit dans cette tripartition un changement decontenu et de structure. La psychophysiologie ne nous apprend pas comment l’organique ou le

génétique détermine le psychique mais comment les activités que l’individu humain s’approprie àpartir du monde humain impriment leurs logiques à leurs effecteurs corporels. La psychosociologiene nous apprend pas le conditionnement culturel des fonctions psychiques naturelles mais essaie decomprendre la genèse de fonctions qui sont sociales en leur essence dans les limites conditionnées parleurs présupposés biologiques.

La psychologie n’est pas synthèse d’approches préalables qui l’ignorent, ce qui réduirait lapersonnalité à un type physique, à un tempérament ou à un caractère idiosyncratiques et natifs, ouà l’exemplification de patterns, de rôles, de valeurs, c’est-à-dire à tout sauf à elle-même. La

psychologie doit commencer par l’étude de la personnalité.Le fondement de la personnalité humaine n’a pas la forme humaine, la forme de l’individualitépsychique. C’est à partir de l’objectal que se produit et reproduit le subjectal.

Mais les sentiments sont des affections personnelles, même s’ils ont un caractère quelque peu social,qu’ils soient éprouvés en solitaire ou dans un stade ou un meeting, même s’ils se manifestent dansdes formes socialisées, le chagrin s’exprimant dans le deuil, la sympathie dans la socialité. La formepsychique ne provient pas de la socialité mais de l’individualité. Le subjectal n’a pas sa source dansl’objectal. On ne peut ramener tout au social. Si la société produit les formes et le contenu concret du

psychique humain, c’est seulement dans des individus concrets où la forme psychologique est uneffet de l’individualité. Cette forme psychique se projette à partir des individus dans la société sousforme de psychisme social, d’interactions complexes entre individus. La forme psychique vient del’individu à la société et non l’inverse. Il n’y a de psychisme que dans et par les individus concrets.Bien que déterminées fonctionnellement par l’ensemble des rapports sociaux, les individus nesurgissent pas sur cette base, mais sont engrénés latéralement dans ces rapports sociaux sans y avoirleur source même.

La personnalité est autonome en tant que réalité psychique et donc n’est justiciable d’aucuneexplication sociale directe.

La base de la personnalité n’est pas une personnalité de base.

Les rapports sociaux ne sont pas des modèles culturels.

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Le capitalisme n’est pas l’esprit d’entreprise, plus la soif du profit, plus l’éthique protestante, mais unensemble de rapports objectifs étrangers au processus psychologique et aux représentationsidéologiques dont ces rapports sont le support, irréductibles à des rôles individuels et à des mentalitéscollectives.

Il y a une différence qualitative entre individus concrets et ensemble des rapports sociaux, absencede correspondance immédiatement visible pensable de l’un aux autres.

La personnalité est engendrée au dedans par un ensemble de rapports étrangers à la formehumaine, à la forme de l’individualité psychique. L’ensemble des rapports sociaux n’est rien depsychologique, relevant de l’objectalité transpersonnelle, mais ces rapports matériels en tant querapports entre humains sont les formes nécessaires dans lesquelles les activités matérielles etindividuelles des humains se réalisent, les matrices sociales au sein desquelles vient s’informerl’activité humaine concrète, activité qui fait quelque chose dans le monde social et qui doit en passerpar des logiques qui sont alors importées au sein de la personnalité même.

Les sciences sociales doivent donc se dédoubler en deux domaines connexes et distincts, selon

qu’elles prennent pour objet les divers aspects du monde humain, la logique des échanges, lesappareils de pouvoir, les systèmes juridiques, ou qu’elles prennent pour objet les formes historiquesde l’individuation, les formes historiques de l’individualité, les formes historiques de personnalisationque ce monde humain comporte, les normes de genre, les rapports de travail, les idéologies de laréussite. Ce dernier domaine remplit une fonction médiatrice entre sciences sociales et sciencespsychologiques.

La psychologie de la personnalité n’a pour cadre explicatif direct les sciences sociales que dans lamesure où ces sciences sociales prennent pour objet les formes historiques d’individualité, ce que fait

l’économie marxienne où la production est production et reproduction sociales des choses et despersonnes, les capitalistes, les prolétaires, etc.

La psychologie de la personnalité est tributaire de l’étude des formes historiques de personnalisationpar les sciences sociales et de l’étude des supports physiologiques de l’individuation, des supportsphysiologiques nécessaires à la forme psychologique de l’individualité par les sciences biologiques,mais ces études ont besoin d’une psychologie bien fondée de la personnalité, en particulier, pour lessciences sociales, pour repérer dans l’immense ensemble des rapports sociaux les rapports quiconstituent des formes de personnalisation pertinentes.

1. 24. Un concept dialectique n’est pas une abstraction privative des particularités duconcret mais au contraire la logique productive de ce concret. Il ne s’agit pas de direcomment le concret est en général mais comment il se produit, de dégager les élémentsthéoriques permettant de le penser dans son évolution. Dégager les ressorts de ceconcret permet d’anticiper son évolution. La psychologie élabore la théorie des rapportset des processus au sein desquels se produit la personnalité concrète, système deprocessus organisés dans le temps, dont le concept temporel central est celui d’emploidu temps. Caractériser la personnalité par des traits immuables ou non essentiels, c’estfavoriser la subordination, l’orienter vers des tâches auxquelles semble le préadapter

son idiosyncrasie.Il n’y aurait de science que du général. La seule voie d’accès à l’objet singulier serait de lecaractériser par ses différences avec l’objet général, de le viser comme déviant par rapport à uneconstruction schématique, un modèle. Le caractère se définirait comme écart avec les valeurs

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moyennes.

On définit le singulier par ses différences avec une pure abstraction, autrement dit avec rien, si bienque l’individu moyen n’a aucun caractère. L’approche du singulier relèverait de la descriptionclinique, de la science appliquée, de la pratique comme art. En fait, un concept dialectique n’est pasune abstraction privative des particularités du concret mais au contraire la logique productive de ceconcret, logique sans cesse à l’oeuvre de façon singulière bien que selon une nécessité universelle. La

pensée conceptuelle doit élaborer non un modèle substantiel disant comment le concret singulier esten général mais une topologie disant comment se produit ce concret singulier. Le singulier est alorssaisi dans la généralité du concept. L’essence peut être saisie dans sa réalité concrète.

Marx ne décrit pas une société capitaliste abstraite, il ne construit pas un modèle de la sociétécapitaliste, dont les sociétés capitalistes réelles ne seraient que des exemplaires singuliers, mais ildégage les éléments théoriques essentiels qui permettent de penser chaque société capitaliste et sonmouvement nécessaire, construisant au passage le concept concret de telle société capitalistesingulière. L’état à chaque fois spécifique des forces productives, de la concentration du capital et deson rapport à la propriété foncière, de la puissance bancaire, des possessions coloniales caractériserationnellement la logique propre à telle formation sociale.

C’est une théorisation qui saisit les ressorts profonds d’une histoire singulière sur le devenir delaquelle il est possible d’anticiper.

Le concept renvoie non à un objet général mais à un rapport producteur. L’individuel est saisiscientifiquement à travers les matériaux rationnels de sa logique concrète.

Le capital n’est pas un objet général ni une chose mais un rapport, non un simple rapport, mais unprocès.

Il s’agit en psychologie, à partir des formes d’individualité existantes, d’élaborer la théorie desrapports et processus au sein desquels se produit une personnalité concrète. Il faut penser l’appareilpsychique en termes de topique qu’il ne faut pas spatialiser sous peine de chosification maistemporaliser. La personnalité n’est pas une architecture, ce qui naturalise l’individu en tant qu’objetgénéral, mais un système de processus organisés dans le temps. Les concepts de la théorie depersonnalité sont des concepts temporels. L’infrastructure de personnalité est une structure dont lasubstance est le temps, car seule une structure temporelle peut être homogène à la logique interne del’activité d’un individu, de sa reproduction et de son développement. La structure de la personnalité

qui répond à la logique de fonctionnement de cette personnalité et à sa dialectique dedéveloppement dans le temps est la structure dialectique de l’activité réelle de l’individu concret, uneréalité pratique aux aspects empiriques visibles, l’emploi du temps.

On réduit souvent la psychologie de la personnalité à la seule forme psychologique de l’individualité.La personnalité serait un ensemble stable de traits formels identitaires, une organisation plus oumoins stable et relativement identique à elle-même dans le fonctionnement psychique de l’individu,l’organisation dynamique dans l’individu des systèmes psycho physiques qui déterminent sesajustements singuliers à l’environnement, une durable forme psychique d’ensemble indépendantedes contenus biographiques en quoi consiste pourtant l’essentiel d’une identité personnelle, ce quel’homme a de commun avec tel ou tel vertébré supérieur, un ensemble d’invariants formelsétrangers au contenu d’une vie humaine traitée en flux contingent d’événements traversant cetensemble sans y toucher.

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Peu importe qu’on soit militant syndical ou patron voyou, ce qui nous caractériserait serait notrerancune, notre capacité à raconter des histoires, une constitution originaire immuable issue dedispositions innées, d’expériences de la prime enfance, vides de ce qui fera un adolescent ou unadulte, un canevas original immobile auquel s’ajoute des modulations inessentielles.

Le seul usage de ce constat pragmatique et passif est l’orientation de l’individu vers les tâchesauxquelles semble le préadapter son idiosyncrasie, ce qui favorise la subordination des personnes au

système social existant et constitue la forme épistémologique du conservatisme.Intégrer les contenus d’activité c’est adopter une perspective développementale et émancipatrice. Cequi importe dans une individualité, c’est non ce qui l’enclos dans l’ordre de la nature mais ce quipeut ouvrir son histoire, sa dynamique, ses contradictions, ses possibles. Une science de lapersonnalité digne de son objet devrait avoir pour ambition de faire contribuer son savoir audéveloppement maximal de chacun.

La personnalité est ce qu’un homme fait de sa vie et en même temps ce que sa vie fait de lui. Qu’unhomme soit actif ou calme semble de peu d’importance par rapport à la question de ce qu’il fait

dans tous les domaines de la vie réelle, économique, sociale, politique, culturelle, familiale. L’êtrehumain n’a pas seulement, comme toute bête, une individualité, mais de plus une personnalité,originalité cardinale, du fait du monde humain, d’apparition historique comme biographiquetardive, présupposant l’inscription d’activités supérieures dans un monde de rapports sociaux.

Au sens large, la personnalité ou la personnalité biographique est l’individu en sont tout, y inclusesses formes psychiques même originaires, dans la mesure où ces formes sont reprises etsurdéterminées par les contenus biographiques.

L’ensemble des interventions ordonnées visant à modifier la croissance des personnalités, lesinterventions pédagogiques, culturelles, politiques, nous instruit pratiquement sur la biographie.

1. 25. On peut distinguer les actes mettant en oeuvre les capacités existantes et les actesvisant à produire de nouvelles capacités, ces derniers actes augmentant la compositionorganique de l’emploi du temps, développant les capacités. On peut distinguer lesactivités concrètes qui ont un contenu cohérent avec le résultat et qui sont maîtriséespar le salarié, activités dont fait partie le travail concret producteur de valeurs d’usageet les activités abstraites où le résultat de l’activité, en l’occurence un salaire ou unrevenu, n’a pas de rapport direct avec le contenu de l’activité, activités dont font partie

le travail abstrait producteur de valeurs d’échange

Une simple ventilation quantitative des temps selon leur affectation factuelle, travail, transport,sommeil, loisirs, n’atteint pas les différences qualitatives entre activités selon leur portée biographique.

Une première différence qualitative entre activités selon leur portée biographique, c’est-à-dire entreles actes qui font quelque chose dans le monde humain, et y reçoivent les déterminationscorrespondantes, est entre les actes mettant en oeuvre des capacités existantes et les actes visant àproduire de nouvelles capacités, actes pouvant s’entremêler, en sachant que les capacités nouvelles

mettent à l’ordre du jour le passage à des actes inédits et que la fonction progressive la plusimportante de la personnalité est le développement des capacités, d’où une composition organiqueplus ou moins importante de l’emploi du temps selon la place occupée par ce développement des

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capacités. Le taux de progrès des capacités tend à baisser à mesure que s’en accroît le fonds fixe avecdes scléroses qui en résultent pour la personnalité mais aussi de possibles reprises de croissancemême tardives.

La relation entre actes et capacités est médiée par des besoins qui sont moins causes qu’effets desactivités, de leur structure et de leurs motifs.

Les capacités sont dépréciées du dehors par des politiques génératrices de profonds dommages biographiques, d’autant plus profonds que l’individu est dans la culpabilisante inconscience dessources sociales effectives de ce qui lui arrive.

Les emplois du temps socialement possible peuvent entrer en conflit avec les exigences réelles de lapersonnalité.

Une deuxième différence qualitative entre activités selon leur portée biographique est entre d’unepart les activités concrètes, dont la personnalité maîtrise la logique interne, avec un résultat del’activité en rapport concret avec le contenu de l’activité, et d’autre part l’activité abstraite, régie par

des rapports sociaux aliénants, où le résultat de l’activité, en l’occurence le salaire ou l’argent, n’aplus de rapport naturel direct avec le contenu de l’activité. Le résultat de l’activité est médiatisée pardes rapports sociaux sur lesquels le salarié n’a aucune prise directe, ce qui introduit un type derapports psychologiques foncièrement nouveaux, un monde de structure de la personnalité vivantespécifique.

La diade travail concret producteur de valeurs d’usage/travail abstrait producteur de valeursd’échange est ainsi généralisée en dualité entre activité concrète et activité abstraite.

En croisant ces deux principes de classement, on obtient une représentation graphique

quadrangulaire de l’activité personnelle d’ensemble où chacun des quatre cercles, de grandeurproportionnelle à sa part supposée quantifiable d’emploi du temps, figure un secteur d’activité.

Par exemple, dans la jeune âge, la formation de capacité pour l’activité concrète est prépondérante.

Le passage d’un âge de vie à un autre a pour fond le passage d’une sorte d’emploi du temps à uneautre.

La part des activités abstraites détermine des trajectoires biographiques différentes, une vie satisfaitedans une équilibration relative, une vie souffrante dans une dichotomie résignée, un clivage refusédans une vie militante.

Une société post-capitaliste pourrait augmenter la part des activités concrètes.

1. 26. Le moi naît d’une multitude d’identifications souvent parcellaires, ambivalentes,contradictoires. L’idéal du moi et le surmoi sont des identifications. Les investissementspremiers deviennent des identifications. L’abandon contraint d’un objet peut conduireà des sublimations. L’identification peut servir de substitut à la perte de l’objet, unefaçon conservatrice de maintenir la relation à l’objet. L’identification post-infantile peut

tenir au mérite, à la supériorité ou à la réussite, à la cohésion, à l’équilibre, à la maturité,à l’autonomie de l’objet auquel on s’identifie, mais aussi à l’apprentissage scolaire, auxfigures de la fiction artistique, aux séductions des discours politiques et sociaux, auxmodèles publicitaires, toutes ces formes historiques d’individualité. Derrièrel’identification à une personne, il y a souvent l’adhésion à des valeurs, à des

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perspectives, à des mobiles de vie. Le miroir et autrui donnent de nous une imageunitaire à laquelle on s’identifie par introjection, tandis que nous projetons notre moisur autrui. Nous sommes le reflet de l’autre et nous voyons l’autre comme notre reflet.Notre système profond de motifs, formé par nos désirs, nos demandes et lesgratifications infantiles, décide de ce à quoi nous allons nous identifier, chacune de nosactivités motivées étant adressée à un destinataire auquel nous tenons et auquel nousnous identifions. Si notre identification est correcte, nous pouvons nous désidentifier

pour nous identifier à un autre objet. L’identification est appropriation donc activité.Chacun donne aux formes historiques d’individualité une signification personnelle,chaque activité étant colorée par un motif. Dans la société de classes avec activitéscontraintes, le but de l’action coïncide rarement avec le motif. Quand le motif del’activité devient son but conscient, l’action devient activité choisie. De nouvellesactivités et de nouveaux sens apparaissent ainsi.

Une singularité est catalyseur d’activités et de bifurcations biographiques où se décide son sens. Unesingularité biomédicale, par exemple une prédisposition, ou une singularité relationnelle, par

exemple le rang dans la fratrie, va être complexifié ou transfiguré par l’histoire individuelle sanspour autant disparaître. Toute singularité personnelle est en son fond activité.

L’identification est une activité qui n’est pas simple imitation mais aussi appropriation.L’identification est donc active.

Le moi naît d’une multitude d’identifications.

Les identifications sont souvent parcellaires, ainsi on reproduit la toux de celui auquel on s’identifie.

Les identifications sont toujours plurielles, les objets d’identifications étant nombreux, parents,proches, personnages réels ou fictifs.

Les identifications sont couramment polymorphes, ambivalentes, voire contradictoires entre elles.

L’appareil psychique est un appareil interpsychique avec un sujet qui n’est pas le centre, un sujetdisséminé, plusieurs. L’identité est un leurre.

Les contraintes sociales familialement relayées forcent à renoncer aux attachements premiers. Lemoi transmue ses investissements premiers en identifications qui ne maintiennent le lien avec l’objet

perdu qu’au prix d’une transformation de soi. C’est la constitution du sujet.La formation et la conformation du moi se fait par une identification primaire. L’idéal du moi estl’identification projective au père d’avant le complexe d’Oedipe. Le surmoi est l’identificationintrojective à l’instance parentale.

Quand l’identification est un substitut à l’abandon contraint du choix d’objet, elle engage unprocessus de désexualisation pulsionnelle débouchant sur la sublimation, ce refoulement plus oumoins réussi. Quand l’identification porte trace de ces renoncements successifs, elle est constitutivedu caractère, les traits de caractère étant alors des précipités d’anciens investissements d’objets.

Dans le stade du miroir, l’identification spéculaire de soi dont l’image dans le miroir anticipe lamaîtrise de l’unité corporelle ébauche la constitution du moi. L’enfant découvre son unité corporelle.L’identification est le processus par excellence où se constitue l’humain, identification imaginaire

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dans l’expérience du miroir où prend forme le moi, l’identification symbolique impliquée dansl’accès au langage où s’articule le sujet.

Chez Freud, l’identification concerne surtout l’inconscient, l’infantile, le sexuel, le névrotique, maisles vies humaines ont aussi d’autres dimensions.

Ce n’est pas seulement de manière inconsciente que l’enfant s’identifie à l’adulte, mais aussi pour des

raisons objectives, pour les mérites, la supériorité, la réussite de l’adulte.L’adolescence et l’âge adulte se tissent d’identifications conscientes à des objets nouveaux selon deslogiques spécifiques. Dans les identifications post-infantiles il faut faire la part de ce qu’induisentpour les identifications des formes historiques d’individualité comme les apprentissages scolaires, lesmodèles publicitaires, les figures de la fiction artistique, les séductions du discours politique ou social.

L’identification, comme sens biographique, essaye de maintenir la relation à l’objet perdu. Elle estalors un processus conservateur, voire régressif.

L’homme ne renonce pas à une satisfaction, si bien qu’il cherche des substituts conservatoires grâceà l’identification.

Le miroir n’est pas seulement dans l’objet où se réfléchit l’image du corps propre, il est dans le sujetqui me fait face, dans le regard d’autrui.

Il n’y a pas que la projection imaginaire du moi, il y a l’introjection de l’alter ego dans la genèse desoi-même, d’où la fonction de prestance qui commande les réactions multiples au fait d’être regardé.

Le devenir homme s’effectue par le double reflet de soi en autrui et d’autrui dans sa propre

personne, échange perpétuel.Le travail incessant d’identification s’accompagne d’un travail de désidentification, le mêmedevenant autre. Une identification assez sûre à la famille et à la classe autorise la formation d’unautre idéal que celui des parents.

Sans minorer le rôle des images du père et la mère, il y a la cohésion, l’équilibre, la maturité,l’autonomie de la personne, l’existence de la personne par rapport aux autres dans la famille, laprofession, la vie sociale qui sont des incitations à l’identification.

Sous l’identification à l’autre, il y a une identification plus profonde à des valeurs et à desperspectives, véritable mobile de la vie.

L’individu s’hominise à travers des processus identificatoires, les motifs décidant de ce à quoi ons’identifie. On a alors un réseau original d’activités en rapport avec un profil singulier de motifs. Lapartition propre à chacun des motifs se forme à partir des gratifications infantiles.

Les dialectiques du désir et les dynamiques du procès viennent s’étayer sur les demandes premières.

Les motivations prennent biographiquement corps en résonance avec des identifications, toutes nos

activités étant adressées à quelqu’un, d’où leur tragique perte de sens quand vient à mourir undestinataire très aimé.

Les activités personnelles et leurs motifs se construisent à partir des identifications, au sein d’unmonde de formes sociales d’individualité.

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Tout enfant donne un sens à son expérience scolaire quant à son horizon biographie personnel. Lesenfants d’ouvriers y voient la seule voie d’émancipation individuelle. Tel autre veut montrer par sontravail le milieu qu’il représente. Tel autre dit que ce n’est pas à l’école qu’on peut montrer ce quel’on est. Et l’autre voit dans l’école une possibilité de développement symbolique et social.

Le but d’une lecture est d’assimiler le contenu. Mais ce but d’action peut s’inscrire dans des activitésde motifs très différents, par exemple préparer dans l’ennui un examen, ou se réjouir au contraire de

cette incitation à se cultiver.Le rapport du but à l’action concerne la factualité pratique, le rapport du motif à l’activité renvoie ausens personnel.

Le motif de l’activité colore affectivement l’action, l’inscrit dans une humeur.

La non coïncidence des motifs et des buts est la règle dans les activités contraintes d’une société declasses. Le motif peut devenir le but conscient de l’action qu’il métamorphose en activité choisie, etc’est de cette façon que naissent de nouvelles activités et de nouveaux sens.

La construction d’une hiérarchie de motifs, processus individuel sous-tendu par des logiques sociales,est un aspect crucial de la formation d’une personnalité.

Le secret de l’identification motivante est l’appropriation. C’est de l’autre que naît et renaît le moi.L’appropriation est transformation du non moi en moi.

1. 27. L’aliénation se constitue avec l’appropriation privée de l’accumulation en dehors desproducteurs des moyens sociaux, accumulation par une classe sociale dont la raisond’être n’est ni de produire des objets utiles, ni même le gain personnel, mais la frénésie

du taux de profit, le mouvement sans trêve du gain, la pulsion d’accumulation de larichesse abstraite. Sous le capitalisme, il y a interversion des moyens et des fins, avec unmoyen promu en fin et une fin déchue en moyen, il y a une interversion du produit etdu donné, avec un produit dissimulant son donné, par exemple un produit de travaildont est dépossédé son auteur et qui mène une vie folle, non maîtrisée, et un donnémasquant son caractère de produit, il y a une interversion de la personne et de la chose,avec une personnification des choses, une fétichisation, et une chosification despersonnes, une réification. À côté du travail forcé rebutant, dont le but ne correspondpas à mes motifs, mais qui comporte une part de liberté quand il s’agit de surmonter

des obstacles et les contraintes externes, une part d’appropriation d’humanité puisqu’ilnous fait sortir de nous-mêmes, une part de formation de capacités et de compétences, ily a le travail libre non borné, auto-effectuation comportant une amorce dedéveloppement complet de l’individu, mais qui exige sérieux et effort intense.L’aliénation n’est pas amputation de notre mythique nature humaine mais forclusionde nos possibles développements, fermeture des possibles. Il ne peut y avoir consciencede l’aliénation, de la culture scientifique, de la jouissance artistique, de la pratiquesportive ou de l’expérience politique dont l’homme aliéné est privé. L’aliénation desrapports sociaux peut générer des logiques de vie satisfaite, avec la passion pour sontravail et l’épanouissement dans l’âpreté concurrentielle, mais la satisfaction est fragile,les retournements de situation étant fréquents. La satisfaction est partielle, il estdifficile de trouver son compte dans la logique impassible du capital. La satisfaction esttriviale, commune, non génératrice de grandeur humaine, puisqu’une telle satisfactionrepose sur l’acceptation de l’aliénation générale et sur le sacrifice de la fin de notre

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existence au profit de fins extérieures et de biens illusoires. La plupart du temps, leslogiques d’emploi du temps composent avec l’aliénation, en acceptant la condamnationà une vie clivée, en essayant de trouver des palliatifs à la frustration dans le travail etdes compensations, malheureusement limitées, bornées, dans le temps hors travail.L’engagement est une logique d’emploi du temps qui amorce une désaliénationgénéralisée. Il y a prise de conscience de la nature de l’aliénation et donc de la nécessitéde transformer la société. L’engagement est source d’expérience et de culture. Il

transforme le rapport aux autres, élargit le champ des motifs personnels, change le sensdes activités sociales, bouscule les limites de la vie privée, génère une satisfaction quin’a rien à voir avec le pharisaïsme de la vie satisfaite, avec la conscience des limites decette satisfaction dans ce contexte de non sens qu’il faut transformer. L’engagementn’échappe pas à l’aliénation, avec la fonctionnarisation du militantisme, avec lacontamination des motifs du militantisme par des intérêts personnels ou leursubordination à des logiques d’appareil.

Le statut de l’aliénation est celui d’un processus historique par lequel se forment les bases du

capitalisme, le point de départ du procès de production capitaliste, la séparation entre les conditionsobjectives du travail et la force de travail subjective avec l’accumulation initiale, l’expropriation desproducteurs immédiats dépouillés de tous leurs moyens de production.

Ce violent point de départ historique est sans cesse reproduit grâce à la continuité du procès et estpérenne comme résultat propre de la production capitaliste.

Avant même que l’ouvrier n’entre dans le procès de production, son propre travail est aliéné et larichesse qu’il produit vient grossir la puissance étrangère qui le domine et l’exploite. C’est donc laprivation de propriété sur leurs conditions de production qui produit l’aliénation des travailleurs.

Le renversement des moyens de production en moyens de domination sur le travailleur aliène dutravailleur les puissances intellectuelles du procès de travail en faisant de la science une propriété ducapital.

Le lieu de l’aliénation est donc les rapports sociaux.

Le contenu de l’aliénation est l’inscription des individus dans ce monde clivé où les produits de leurspropres activités sont d’avance des puissances dominatrices écrasantes et hostiles.

L’aliénation est issue du processus historico-social de la division du travail poussé jusqu’àl’antagonisme de classes. La transmutation des puissances sociales des hommes en forces socialeaveugles qui les dominent est le fait de toute société de classes, mais cette transcendance historiquedevient le ressort de la production des richesses, grâce à une interversion des fins et des moyens,seulement dans le capitalisme, constituant ainsi l’aliénation capitaliste spécifique.

L’aliénation est une dimension cardinale des formes historiques d’individualité.

Le concept d’aliénation est d’un ordre de généralité plus large que les concepts des diverses scienceshumaines, recouvrant une critique des apparences les plus générales du procès historique.

Dans les situations de travail, les rapports de sexe, les relations interpersonnelles, les clivagescommunautaires, sont à l’oeuvre de façon spécifique les logiques d’aliénation. L’inversion du rapportentre personne et chose, avec la chosification des personnes et la personnification des choses,l’inversion des rapports entre fin et moyen, avec la fin déchue en moyen et le moyen promu en fin,

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l’inversion des rapports entre produit et donné, avec le produit masquant ses éléments donnés et ledonné masquant son caractère produit, la dialectique sous-jacente à l’objet fétichisé, à l’activitéréifiée et à la conscience mystifiée sont liés à l’essence aliénante du capital.

L’aliénation est une catégorie à portée politique quand le communisme est défini comme ledépassement des grandes aliénations.

Les capacités sociales des hommes, avoirs, savoirs, pouvoirs, leur faisant face comme des puissancesdominatrices écrasantes, loi du marché, impératifs économiques, exigences politiques, contrainteinternationale, données scientifiques, évidence idéologique, autant de forces des choses, l’aliénation,en tant que procès affectant l’activité laborieuse et à travers elle l’individualité tout entière, relèved’une logique exogène.

Le travail n’est donc pas une malédiction, une activité complètement déshumanisante, aliénante, ouune activité non centrale.

L’individu éprouve le besoin d’effectuer une part normale de travail et de suspension de son repos,

surmonter des obstacles étant une activité de liberté. Si le travail dans ses formes historiques,esclavage, servage, salariat, apparaît comme un travail rebutant, comme un travail forcé imposé del’extérieur, en face duquel le non-travail représente la liberté et le bonheur, des travaux libres non bornés comme la composition d’une oeuvre par exemple, ne sont pas pur amusement maisrequierent sérieux et effort intense.

On peut imaginer des rapports sociaux faisant passer la face d’auto-effectuation du travail aupremier plan, le travail devenant le premier besoin vital. En tant qu’appropriation de forcesproductives objectales, le travail est déjà formateur de capacités individuelles, et avec le surgissementde forces productives universelles s’engage le passage du travailleur partiel à l’individu totalementdéveloppé.

L’aliénation ne provient pas du travail mais du capital.

Toute activité de l’individu est à mettre en rapport avec ses antécédents, mais l’activité ne réalise pasou n’actualise pas de mythiques potentialités substantielles plus ou moins préfigurées à l’intérieur del’individu, virtualités psychiques latentes, dons, prédispositions, vocations, qui n’auraient qu’àdevenir manifestes, l’aliénante étant alors une société empêchant l’individu de se réaliser enextériorisant sa nature, l’activité met en oeuvre des possibilités formelles largement indéterminées

autorisant la production de capacités qui ne se construisent que dans et par cette activité même,l’aliénation étant alors non amputation de réalité fictive mais forclusion d’authentiques possibles.

L’activité laborieuse n’est nullement aliénée par le simple fait d’être soumis à des contraintesexternes. En me pliant aux exigences de la technique, aux règles du genre, aux impératifs de lacoopération, j’acquiers une compétence professionnelle et plus largement humaine. Même exploité,le travail nous fait sortir de nous-mêmes. Il n’est pas perte de soi mais appropriation d’humanité.

Ce qu’il s’agit de dépasser dans le capitalisme, ce n’est pas l’accumulation de moyens sociaux endehors des producteurs mais leur confiscation par une classe étrangère positionnellement hostile à

leurs intérêts vitaux.

En tant qu’expérience vécue, l’aliénation consiste dans ce fait que mon activité sociale se voit imposersans recours des buts inassimilables à ses motifs. Elle est ce qui me contraint à perdre ma vie pour lagagner. L’aliénation fait plus qu’amputer l’individu d’un soi limité qu’il serait déjà, elle ferme à

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l’individu les portes de l’individu incomparablement plus vaste qu’il pourrait devenir.

Si ce qui est perdu dans le travail aliéné est l’essence humaine inhérente à l’individu, son soi-mêmeintérieur, il aurait par définition conscience de sa perte, la transcendance des puissances socialesapparaissant comme une insuppressible donnée de nature et le malheur personnel apparaissantcomme destinée inexorable d’ici-bas, mais du moins conscience de la part de lui-même qu’il ne peutréaliser. Or, la description du vécu aliéné montre au contraire que le pire de l’aliénation ordinaire est

l’inconscience de l’aliénation. L’individu ne peut avoir une idée concrète de ce dont il est privé par unordre social aliénant qui lui barre l’accès à une culture scientifique, à une jouissance artistique, à unemaîtrise sportive, à une expérience politique dont il ignore tout. Être aliéné, c’est ne pas mêmeéprouver que l’on est aliéné.

Définir l’aliénation comme perte de soi, perte d’un donné, et non fermeture au possible, c’est neprêter attention qu’au côté subjectal des choses. Or, le même rapport historique qui refuse à la massedes individus l’appropriation des puissances humaines objectivées est celui qui est en fait donc desforces aveugles immaîtrisées par eux et pour cela même ravageuses.

L’aliénation est à double face, individus entravés d’un côté, société déchaînée de l’autre.

Dans le capitalisme, l’individu est aux prises avec la contradiction entre la dimension concrète de sesactivités sociales, génératrices d’effets utiles au dehors et potentiellement gratifiants au-dedans, et ladimension abstraite de ces activités, productrices de valeur et fournisseuses d’un revenu, portantaussi le règne du profit et important dans la personnalité la contrainte de buts étrangers à ses motifs.

Cet antagonisme gouverne aussi à distance les activités de la vie hors travail social.

Les buts de l’économie capitaliste sont étrangers aux attentes concrètes de la majorité des individus.

Le capitaliste n’est tel que si son unique motif est l’appropriation croissante de la richesse abstraite.Produire des biens utiles n’est pas la fin mais le simple moyen de cet enrichissement. La valeurd’usage n’est pas le but immédiat du capitaliste, ni non plus son gain individuel, mais seulement lemouvement sans trêve du gain, la pulsion absolue d’enrichissement, la frénésie d’un taux de profit.

Il se peut que s’accordent avec ces buts objectifs les motifs subjectaux de certains individus,capitaliste ordinaire, travailleur indépendant s’épanouissant dans l’âpreté concurrentielle, voiresalarié faisant de sa passion son métier. L’aliénation des rapports sociaux peut donc générer deslogiques de vie satisfaite, mais satisfaction fragile, le retournement de situation étant la règle,

satisfaction partielle, les motifs personnels pouvant mal trouver leur compte dans les logiquesimpassibles du capital, satisfaction rarement génératrice de grandeur humaine, dès lors qu’ellerepose sur l’acceptation de l’aliénation générale. Dans la vie satisfaite qu’autorisent ou favorisent leslogiques capitalistes, il y a inévitablement, massive et discrète, une profonde trivialité.

Le capitalisme, c’est le sacrifice de la fin en soi à une fin complètement extérieure. Le mondemoderne laisse insatisfait, ou alors, là où il paraît satisfait de soi, il est commun. Qui s’y refuse estaux prises avec la variété des logiques de la vie satisfaite. La charge des buts aliénés qui s’imposentdu dehors ne permettent pas même le développement de vraies activités autour de motifsautonomes. Avoir une vie vraiment à soi est un luxe..

Des êtres immatures sont transformés en machines à fabriquer de la plus-value. C’est la désolation.

La distraction par le système de toute solidarité pour mieux dominer l’individu provoquepathologiquement solitudes et suicides.

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Certains trouvent des palliatifs. Ils mobilisent leurs moyens psychiques pour rendre au moinsvivables, voire gratifiantes les activités concrètes dans les limites étroites qu’autorisent leursubordination à des logiques aliénées. Hors travail, ils donnent libre cours à leurs motifs propres enles investissant dans des activités autonomes autant que le permettent les possibilités de la sphèreprivée.

Ces logiques d’emploi du temps réussissent plus ou moins à composer avec l’aliénation en acceptant

la condamnation à une vie clivée, avec le temps de travail contradictoire, le temps hors travailcompensatoire, dichotomie redoublée dans la séquence vie active-temps de retraite. Vie toujours plusou moins insatisfaite cependant, avec des activités sociales frustrantes, des activités privées bornées etune unité de soi-même inaccessible. Rares sont ceux qui parviennent à se satisfaire vraiment de leurvie insatisfaite.

La vie engagée est une autre logique d’emploi du temps avec l’adjonction ou la surimposition auxformules précédentes d’un refus plus ou moins profond de l’aliénation, refus selon lequel si la vie estinvivable, c’est que le monde est mal fait. Il faut donc le changer.

Si à première vue la vie engagée, les solidarités proches, le témoignage, les mouvements sociaux,l’action syndicale, la militance politique ne font qu’ajouter à l’emploi du temps une activitéspécifique, en fait elle est source d’expérience et de culture, métamorphosant le rapport aux autres,élargissant le champ des motifs personnels, ce qui constitue une désaliénation partielle, changeant lesens du travail social, bousculant les limites de la vie privée.

L’insatisfaction nourrit alors une sorte neuve de satisfaction, exempte en son principe du pharisaïsmede la vie satisfaite.

Mais la vie engagée n’échappe pas à l’omniprésence de l’aliénation et elle a ses contradictions et sespathologies, la fonctionnarisation du militantisme, la contamination de ses motifs par des viséespersonnelles, l’aliénation de ses logiques par des intérêts d’appareil.

Tout n’est pas aliénant dans le travail aliéné. Est possible l’intériorisation des logiques capitalistes enmotifs personnels.

Cependant la vie engagée est-elle la seule issue biographique à l’aliénation ? Le reflux de la vieengagée nous donne-t-il une leçon de logique biographique ? S’agit-il d’un phénomène d’origineendogène, la faible valeur biographique de l’engagement, ou bien est-il la rançon d’une défaite

historique, d’un phénomène d’origine exogène, la perte gravissime en crédibilité de ce qui seprésentait comme alternatif au capitalisme ? Or, avec ce vaste recul des engagementsanticapitalistes, avec l’affaiblissement des luttes syndicales et politiques transformatrices, avecl’effondrement du monde soviétique et la conversion massive à l’idée d’un capitalisme indépassable,l’aliénation vécue empire sous formes anciennes ou nouvelles.

L’aliénation est d’abord un processus historico-social objectif et sur cette base une logique subjectalede vies individuelles.

On ne peut échapper pour de bon à l’aliénation à l’intérieur des rapports capitalistes. Certains

parviennent à donner sens à leur travail social, mais ce sens est inexorablement enclavé dans un non-sens plus profond.

 

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On ne parviendra pas à changer la vie sans transformer la société. À l’échelle des individus resteimprobable que les contradictions de l’emploi du temps trouvent une issue effective sans orientationvers la vie engagée.

1. 28. La personnalité est une formation tardive commençant avec les activités sociales etse subordonnant en les remodelant les éléments identitaires plus précoces. Labiographie est l’histoire de la constitution de la personnalité. La personnalité produit la

biographie quand, excédé, je m’engage. La biographie produit la personnalité quand cetengagement me transforme. C’est par la biographie que le monde humain aliéné, avecla division du travail, le monde symbolique, les rapports de pouvoir, la conjoncturesociale et politique, des logiques et des buts contradictoires avec les motifs personnels,et les formes historiques d’individualité plus ou moins contraignantes, l’éventailpréétabli des professions, des loisirs, des engagements, la diversité des goûts, desvaleurs, des projets et des idées s’offrent à l’appropriation par la personnalité, avec uneplus ou moins grande autonomie dans cette appropriation, avec des idées auxquellesl’individu tient et qui le font tenir de manière cohérente à travers les aléas de labiographie. Seule la désaliénation enraye la déshumanisation et permet l’autonomie dela personnalité.

La personnalité, selon la psychologie, c’est un individu avec un ensemble d’invariants psychiquesformels étrangers à tout contenu biographique.

La personnalité, selon la sociologie, c’est un personnage avec un ensemble d’attitudes et de rôlesabstraitement détachés aussi bien de l’ensemble des rapports sociaux que des logiques de l’histoirepersonnelle.

La personnalité, selon la psychanalyse, c’est le moi avec un caractère configuré par les refoulements,les identifications et les sublimations au moyen desquels le moi a tenté de résoudre les conflits de lapetite enfance, ce qui fait abstraction de ce qui personnalise l’individu, à savoir l’ensemble évolutif deses activités, des motifs et des résultats de ces activités, c’est-à-dire ce que l’individu fait de sa vie.

La personnalité ne doit être amputée ni du contenu de ses activités ni de sa double temporalité, cellede l’histoire sociale et celle de la biographie personnelle.

Au sens strict, la personnalité est une formation psychique tardive qui ne se développe que quandl’individu commence à mener diverses activités sociales, sa base consistant dans l’ensemble des

rapports et logiques de ces activités, formation pouvant acquérir une telle prégnance qu’elle tend àse subordonner en les remodelant les éléments identitaires de nature plus formelle et d’origineprécoce, les éléments constitutionnels, caractériels, psychanalytiques, avec lesquels elle doit compter.

Au sens large, la personnalité renvoie à la singularité psychique de l’individu considéré en la totalitéde ses contenus et formes.

La biographie renvoie aux faits et gestes d’une existence singulière considérés dans leur successivité,vaste maillage d’activités individuelles et de logiques sociales, ce qu’un individu fait ou non de sa vieétant à chaque moment inséparable de ce que sa vie fait de lui.

La biographie est l’histoire dans laquelle la personnalité, pour autant qu’elle y réussisse, se constitue,s’active, se transforme jusqu’à sa fin.

 

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La biographie ne doit pas être réduite à une simple causalité psychique interne, ni à une fortuititésociale externe, ni à l’accumulation spontanée de ce que j’ai fait, ni à la succession contingente de cequi m’arrive.

La personnalité produit sa biographie. Excédé par ce que je subis, je me syndique.

La biographie produit sa personnalité. L’activité syndicale change quelque chose de profond en moi.

La personnalité s’efforce de rendre tenable une figure humaine face au défi de la biographie. On litune vie dans une personnalité.

La biographie met à l’épreuve de ses possibles et de ses conflits la construction personnelle. On jaugeune personnalité dans une vie.

Personnalité et biographie sont comme des pôles contraires dans l’unité dialectique d’une existence,contraires dissymétriques puisque c’est par la biographie que le monde humain s’offre àl’appropriation personnelle et que s’imposent à nous les logiques du monde aliéné dans cette

préhistoire de l’humanité où la personnalité propose et la biographie dispose, les désaliénationssociales permettant l’effective autonomie des personnalités.

Les rapports sociaux impriment leurs logiques à la personnalité par les formes historiquesd’individualité. Abstraction faite de ces formes, le monde humain et son histoire se réduisent pourl’individu à des circonstances objectives le conditionnant du dehors mais bien incapables de legouverner du dedans.

La biographie est l’histoire de l’inscription active de la personnalité dans les formes d’individualité deson monde et ce qui en résulte pour elle.

L’aliénation, forme historique d’individualité, est le déni exogène que les buts objectifs des activitésrégies par les logiques capitalistes opposent sans échappatoire à mes motifs personnels. Mêmesintériorisés, ces buts conspirent à me déshumaniser, preuve de l’emprise de la biographie au dedansde la personnalité.

De même façon, l’individu ne peut éviter de se situer dans la division du travail, dans l’ordre dusymbolique, dans le rapport au pouvoir, dans la conjoncture socio-politique, avec les effets encascade qui en résultent pour la personnalité. La connexion entre biographie et personnalité estintime et contradictoire. Je vis comme je suis, mais dans le cadre de logiques sociales qui merégissent sans mon aveu. Je suis ce que je vis, mais en lui donnant sens de façon plus ou moinsillusoirement ou réellement autonome.

Cette complexité est un enjeu conceptuel permettant de comprendre les sciences sociales, un enjeuexistentiel permettant l’autonomie vraie par la critique de son emploi du temps pour le changer, unenjeu politico-historique permettant de poser la question du sens et des fins de ces formes historiquesd’individualité qui produisent les biographies, la question du sens et des fins du changement del’homme par la formation sociale.

Certaines formes historiques d’individualité sont universellement contraignantes, telle l’aliénationdans le monde capitaliste, tel le préétablissement des grilles de choix, avec l’éventail des professionsreconnues, des loisirs organisés, des engagements politiques.

 

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D’autres formes historiques d’individualité semblent offrir une entière liberté de postureintellectuelle, même en des champs socialement structurés, ainsi en matière de goûts, de valeur,d’idées.

Nos idées, pour une part nous ont été inculquées dans l’enfance, pour une autre nous les avonsadoptées en confiance, pour une autre nous avons l’impression qu’elles ne viennent pas d’ailleurs,que les changer peut être un drame, que nous les avons longuement faites, qu’elles sont validées par

notre expérience.Ces dernières idées ne sont pas les effets en moi de fortuites causalités externes mais le produit de mavie et de ma personnalité dans ce qu’elles ont de plus intimement déterminant. Des idées auxquelleson tient, nées spontanément de la biographie précoce, deviennent une composante essentielle de lapersonnalité intellectuelle, se redéploient de là en activités biographiques délibérées où elles achèventde devenir identitaires. Une idée à laquelle on tient est une idée qui nous tient. Elle fait tenir deboutnotre pensée. Elle joue un rôle superstructurel, à la fois condensateur d’expériences et organisateurd’initiative. Tenir librement à une idée, cela veut dire que cette idée est profondément mienne. Direque je tiens à une idée, cela veut dire que cette idée fait nécessairement corps avec mon identité etma vie.

Certaines ruptures de pensée sont des ruptures de vie. À l’approche biographique individualisantedoit être associée l’approche socialisante de l’histoire des idées. Un changement marquant dans lesidées auxquelles on tient a essentiellement à voir avec une évolution biographique marquante,puisque les idées auxquelles on tient tiennent elles-mêmes à des expériences de vie.

Cependant il est aussi une vie intellectuelle que régissent pour l’essentiel les logiques autonomes dutravail de pensée. La singularité évolutive d’une personnalité renvoie aux logiques de base

qu’induisent ses activités sociales structurées en emploi du temps et emmaillées dans des formeshistoriques d’individualité, mais elle comporte aussi ces dimensions idéelles que constituent, dansl’ensemble flou des activités mentales de la personne, les idées, valorisations, projets auxquels lapersonne tient vraiment.

La détermination par le biographie de la personnalité est donc valable aussi pour la vie intellectuelle.

1. 29. La réduction du postérieur à l’antérieur, du supérieur à l’inférieur et de l’extérieur àl’intérieur ne laisse pas de place au renversement en son contraire ou au décentrement.La détermination par la prime enfance, souvent indéterminée substantiellement par

rapport à ses réemplois futurs, et qui donne donc simplement une coloration formelle,se renverse en détermination par l’ultérieur, les projets d’adolescence, l’avenir desactivités, les perspectives d’avenir, les acquis de la seconde enfance. La déterminationpar l’intérieur se renverse en détermination par l’extérieur quand les motifs seconstruisent dans les appropriations et les identifications, les motifs les plus puissantsétant décentrés, plus vastes que nous-mêmes, ce que nous pouvons faire pour unegrande cause étant inépuisable, une autonomie par rapport à soi se dégageant de ladétermination par soi. La détermination par l’inférieur se renverse en déterminationpar le supérieur se superposant en la réorganisant à la première détermination, ce qui

est vécu comme agrandissement de soi, conquête d’une nouvelle vie. Cette nouvelledétermination exige des logiques réorganisatrices, de nouvelles capacités et denouveaux motifs surpuissants. Elle bouscule les routines d’emploi du temps, prend durecul sur les idées acquises, remet en chantier de manière plus personnalisée les formessociales d’individualité, met en mouvement la personnalité et la biographie. De même,

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la cause devient effet, la quantité se convertit en qualité, la forme devient contenu, etvice versa. La détermination de la personnalité par les impératifs d’emploi du temps,par les attaches idéologiques difficilement modifiables, par les limites fixées et à noscapacités et à nos motifs n’empêche pas l’autonomie de la personnalité, quandl’engagement dans une grande cause déstabilise mes motifs, quand les logiquesd’activités sociales se font les censeurs de mes démarches personnelles, quandl’aliénation subie fait perdre la maîtrise de moi-même aux profits de fins étrangères,

quand le débat critique met à distance les idées auxquelles je tiens, quand ledécentrement cherché et les nouveau savoir-vivre me font gagner en autonomie.Cependant cette autonomie est issue de la biographie. L’autonomie morose dont l’issueest une vieillesse désengagée est la conséquence de la satiété d’une vie répétitive. Lavraie autonomie consistant en un engagement désengagé plus efficace, avecreconstruction des évaluations, des visées et des activités, est souvent la conséquence delourdes déconvenues dans lesquelles survivent les motifs en cause. Une personnalitéqui intervient dans un champ, le champ littéraire par exemple, peut sortir dudéterminisme de sa biographie, manifestant une autonomie par rapport à lui-même en

faisant siennes les lois du champ, mais d’autre part sa biographie spécifique imprimeune autonomie à son intervention dans le champ, une autonomie par rapport au mondehumain. La personnalité est un complexe de personnalités régionales. La biographie estun tissu de plusieurs vies.

Pour Freud, sous le contenu explicite de l’oeuvre, il y aurait un sens latent d’ordre libidineux qui enconstitue le secret, le plus souvent inconscient pour le producteur même. Sous la pulsion sublimée desavoir serait à l’oeuvre la pulsion première qui sous-tend l’infantile curiosité pour les choses du sexe.La sublimation devient le passe-partout de la serrurerie biographique.

L’attitude de Freud est réductrice sous le rapport chronologique, puisqu’elle ramène tout au passé,voire à des origines.

Cette attitude est réductrice aussi sous le rapport logique, puisqu’elle interprète le soi-disantsupérieur par l’inférieur.

Cette attitude est encore réductrice sous le rapport topologique, puisqu’elle explique tout par lededans psychique, rien par le dehors socio-historique.

Cette triple réduction à l’antérieur, à l’inférieur et à l’intérieur participe d’un déterminisme étriqué,

ne laissant aucune place aux logiques de renversement.

Comme tout rapport et tout processus recèlent des contradictions, le renversement en son contraire àpartir d’un certain seuil fait partie nécessaire des possibles de ces rapports et processus.

Le rapport à soi comporte une identité incluant la différence.

Comme processus évolutif, le développement inclut l’échappement à soi.

Ces rapports et processus contradictoires comportent des renversements. Le un se divise en deux. Le

deux fusionne en un. La quantité se convertit en qualité. L’effet s’inverse en cause, la forme encontenu, l’interne en externe.

 

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Les déterminations par l’antérieur, sans jamais s’annuler, structurations de la prime enfance, serenversent à divers moment et sous diverses formes en déterminations par l’ultérieur, acquis de laseconde enfance, projet d’adolescents, avenir des activités, perspective d’avenir. L’homme n’est pasrivé à son passé comme le promeneur à sa brouette, la vie entière se déterminant tout entière dans laprime enfance, les conflits ultérieurs, les traumatismes, les vécus ne faisant que se superposer sur cesantécédents infantiles où toute vie trouverait son axe et son pivot.

L’originaire, comme originaire, est indéterminé et indéterminant par rapport à ses réemplois futurs.Une attitude infantile d’opposition qui perdure peut hanter un vécu négatif de la scolarité oudynamiser positivement l’intelligence critique. Étranger aux spécifications de la vie adulte, l’infantileest assez prégnant pour tout y colorer formellement mais trop polysémique pour y rien déterminersubstantiellement.

L’unilatéralité de la détermination par l’intérieur ne tient pas compte de la conversion du dehorssocial en dedans psychique et inversement, du dialogue entre apprentissage et développement. Lesmotifs se construisent par le dehors dans les appropriations et identifications, les plus puissants étantdécentrés, plus vastes que nous-mêmes. Ce qu’on peut faire pour une grande cause à laquelle ontient est inépuisable. Il y a ici une autonomie à l’égard de soi au sein de la détermination par soi.

La détermination par l’inférieur se renverse souvent en détermination par le supérieur, laquellen’annule pas la précédente mais se superpose, voire se surimpose à elle. À partir d’exigences biographiques se forment de nouvelles instances de la personnalité réclamant appropriation decapacités supérieures, motifs surpuissants, logiques réorganisatrices, ces néoformations à vocationdominante étant vécues comme agrandissement de soi, conquête d’une nouvelle vie. Dans cessurélévations de la personnalité, l’individu trouve des ressources insoupçonnées pour transformer lessubstructures, en finir avec les routines d’emploi du temps, consentir des efforts d’apprentissage,

prendre du recul sur les idées acquises, mettre en mouvement la personnalité et la biographie,remettre en chantier les formes sociales d’individualités en un sens plus richement personnalisant.

Nous sommes le jouet de dynamiques de vie objectivées en limites de capacité et de motifs,impératifs d’emploi du temps, attaches idéologiques difficilement modifiables.

L’autonomie ne résulte pas d’un néant de déterminisme mais de modalités spécifiques dedétermination.

Une telle spécificité s’indique dans les logiques de renversement, génératrices de décentrement

changeant les choses en profondeur.L’engagement dans une cause de grande portée déstabilise le rapport à mes motifs, les logiquesd’activités sociales se font le censeur de mes démarches personnelles, l’expérience du débat critiqueme met à distance des idées auxquelles je tiens, l’aliénation subie fait perdre la maîtrise de moi-même sous le diktat de fins étrangères, le décentrement cherché me fait gagner en autonomie sousl’effet de nouveaux savoir-vivre.

Le décentrement est un devenir-plus-imprévisible pour soi-même comme pour les autres.

Si l’autonomie par rapport à soi met du jeu dans le déterminisme biographique, elle est l’issue dechemins biographiquement déterminés, de moments de vie. Ainsi l’autonomie morose,annonciatrice de vieillesse désengagée, est l’issue d’une satiété où une vie répétitive plonge ses motifs.Ainsi la vraie autonomie naît de lourdes déconvenues dans les expériences auxquelles survivent

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néanmoins les profonds motifs en cause, d’où une reconstruction des évaluations, visées, activitésdébouchant sur une façon plus dégagée d’être engagé et donc sur un engagement non affaibli maisplus productif. C’est une productive distance de soi à soi dans la proximité maintenue.

renons l’exemple de l’écrivain. Il a une certaine autonomie par rapport au champ culturel, sabiographie marquant dans une certaine mesure cette autonomie.

Pour certains, l’oeuvre d’un écrivain est étranger à sa vie. Il faut comprendre ce qu’il y a departiculier, d’immatériel dans l’inspiration et le travail littéraire, ce qui le différencie des occupationsdes autres hommes et des autres occupations de l’écrivain. Pour décrire la vie d’un artiste on ne doitpas donner la première place aux éléments biographiques. Mais si c’est l’écrivain qui écrit, l’écrivainnaît de l’homme.

Tout ce qui est de la vie personnelle se forme dans et par la biographie. Il faut penser ces deuxcontraires dans l’unité.

Nous ne sommes pas seulement divers mais plusieurs.

Les conjonctures biographiques poussent à la formation d’instances ou de registres de personnalitésnouvelles à partir d’apprentissages externes et de développements internes.

Une même personnalité héberge plusieurs personnalités aux spécificités marquées. Telle jeune filledouce devient calmement féroce en karaté, les logiques de ce sport ayant été appropriées par elleusqu’à devenir une seconde nature.

Une sorte sociale d’activité, avec ses normes, ses oeuvres, son histoire, rencontre l’adhésion plénièrede tel individu au point de devenir, en tant qu’excentré, le régulateur internalisé de ses activités en ce

domaine, l’individu s’y vouant. Se développe ainsi une personnalité régionale qui ne peut se dériverni de ses voisines ni de sa biographie antérieure.

Une personnalité d’écrivain se forme à travers des inscriptions dans le champ littéraire. L’écrivaindevient psychiquement autonome par rapport à sa propre individualité en faisant siennes les loisd’une activité spécifique, faisant parfois sortir de cette hétéronomie une autonomie supérieure, unstyle personnel. Une biographie d’écrivain doit rendre compte comment la vie spécifique dansl’univers spécifique de la littérature se distance de la vie non spécifique, témoignant d’une unité devie accessible ou impossible.

Le déterminisme biographique n’exclut donc pas la possibilité d’une autonomie personnelle. Pourêtre autonome par rapport à soi, penser librement ce que l’on pense, il faut assumer les hétéronomiesdu monde humain. Pour être autonome par rapport au monde humain, il faut opposer à ce mondeune hétéronomie de moi-même plus élaborée. Pour accéder à cette double autonomie, il ne faut pasun repli sur soi mais la confrontation avec le monde et ses contradictions qui compliquent la vie.

Notre personnalité est une abstraction puisque l’individualité psychique est constituée d’unemultiplicité de plans. Notre biographie est une abstraction, puisque nous vivons plusieurs vies plusou moins entretissées.

La science de la personnalité ou celle de la biographie doivent tirer au clair l’enchevêtrement desplans et des logiques de la personnalité et de la biographie en liaison avec l’enchevêtrement desformes historiques d’individuation à partir desquelles et contre lesquelles personnalité et biographie

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s’autonomisent par la triple dialectique de l’antérieur et de l’ultérieur, de l’intérieur et de l’extérieur,de l’inférieur et du supérieur.

1. 30. Réduire quelqu’un à son âge, c’est faire preuve de naturalisme raciste et de mépris.L’âge vient des autres. Il peut y avoir à tout âge stagnation relative du développementdes capacités et donc déphasage, du fait du manque de moyens ou de motivation, dufait aussi des changements de modes ou de techniques pour doper le marché, comme il

peut y avoir à toute âge reprise de croissance psychique. Le déclin organique peutinduire à un appauvrissement biographique, une moindre densité du réseau desactivités, une baisse de la composition organique de l’emploi du temps, mais il fauttenir compte des renversements propres à la personnalité, renversements quiempêchent d’entamer les fonctions psychiques supérieures. Le monde social estresponsable des personnalités recroquevillées, des autosatisfactions obstinées, desinventions taries, des existences pensées comme inutiles socialement, quand il éradiqueles espoirs d’une vie mieux faite, quand il multiplie les obstacles, quand il fruste demanière répétée les motifs, quand il ne prépare pas à la troisième vie par une formation

riche et diverse, par le renouvellement jamais longtemps interrompu des motivations etdes capacités, par l’apprentissage de savoirs et de vouloirs dans lesquels puisses’enraciner la longévité mentale de chacun, quand il n’organise pas les formeshistoriques d’individualité pour empêcher la sclérose de la personnalité, quand il n’aidepas à sortir du vivre individuel, quand il ne renforce pas l’autonomie de l’individu parrapport au monde et par rapport à lui-même, quand il ne développe pas les activitésétrangères à la finitude de l’existence humaine, la création intellectuelle et artistique, ledéveloppement des savoir-faire, les engagements associatifs. L’existence de lapersonnalité biographique, contrairement à celle de l’individu biologique, laisse destraces, effets sur la descendance, persistance des apports, inscriptions dans des héritages

culturels collectifs, source d’inspiration vivante à travers les siècles. La troisième viedoit échapper aux logiques du capital, faire profiter aux plus jeunes des expériencesparticiper à la création.

La question de la vie entière considérée en la succession temporelle de ses moments caractéristiques,la question du cours de la vie a souvent des réponses naturalistes, conduisant à cette sorte de racismequ’est l’âgisme, réduisant les « vieux », les « seniors » (senex signifiant plus vieux, vieillard), le« grand âge », le « troisième âge », à une humanité inférieure, donc à des citoyens de seconde zone,des personnes de moindre droit, au lieu de les définir par leur statut social comme retraité, situation

économique et juridique spécifique sur fond d’humanité plénière. L’âge n’est pas en nous, il vientdes autres, selon un ensemble d’interdits, de limites, d’obstacles.

Ce qui compte pour un artiste est son âge artistique. Jeune il sacrifiait à un académisme révolu, vieuxil est novateur.

Une personne retraitée qui s’occupe du ménage, de ses petits-enfants, de bricolage, d’associations,d’écriture est une personne active en rapport avec le monde humain par ses activités mêmes.

Il peut y avoir déphasage entre rapidité des transformations sociales et stagnation relative des

capacités individuelles correspondantes, par insuffisance de temps et moyens disponibles, d’aides etmotivations à se mettre au courant. Ce décalage n’exprime pas un déclin de l’individucaractéristique de la personne âgée, puisque de très jeunes gens font par exemple preuve de naïveté

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face au discours de type sarkozien. « La vieillesse » est exactement un décalage étendu entre lescapacités disponibles d’un individu et les capacités requises en l’état du monde humain. Elle n’a rienà voir avec l’âge de l’individu et tout à voir avec sa biographie.

Comme dans l’échec scolaire où c’est école qui échoue et non l’individu supposé privé de dons, dansla vieillesse c’est un monde social irresponsable qui périme, un monde à la recherche du profit àcourt terme, sans souci des dégâts anthropologiques induits, multipliant à plaisir les inversions de

mode, les ruptures technologiques, les césures sociétales, le dépaysement culturel pour doper lemarché au prix chez beaucoup de vieillissements artificiels non organiques, fossésintergénérationnels, désadaptations sociales, crises biographiques imputées à une supposée sclérosedes individus. Chez toute personne en bonne santé, quel que soit son âge, sont possibles des reprisesde croissance psychique pourvu que la vie donc le monde ne le prive pas des moyens et motifs de s’yengager. Le vieillissement est une question politique. Est insupportable le fait qu’un grand nombrede personnes sont biographiquement recroquevillées bien qu’en état physique convenable. Lavieillesse n’est pas une incapacité naturelle. Vieillir est un ensemble de processus relevant del’organique et du biographique entre lesquels les rapports sont complexes.

Le déclin organique peut induire parfois un appauvrissement biographique. L’évocation volontairede certains noms peut me faire renoncer à ma participation à des débats publics. Le vieillissementdes fonctions sensorielles, motrices, mnémoniques peut dégrader mes activités, mais lesrenversements constitutifs de la personnalité empêchent d’entamer les fonctions psychiquessupérieures. La vieillesse, c’est une moindre densité du réseau d’activités, la baisse de la compositionorganique de l’emploi du temps, le déphasage avec un nombre croissant d’activités sociales, ce quirésulte surtout de processus exogènes, de la récurrence des obstacles sociaux, de la frustration répétéedes motifs, de l’éradication idéologique des espoirs d’une vie mieux faite, et du fait biographique quel’individu considéré n’a pas acquis et renouvelé au long de son existence des capacités variées et

propres à nourrir envers et contre tout de nouveaux moments de vie.

Si je vieillis de moi-même, le monde du capital me vieillit, l’argent primant sur la personne, alors quele monde devrait nous garder jeune en organisant en conséquence les formes historiquesd’individualité.

Le rapport de la vieillesse à la mort n’est pas univoque. Si la courbe de vie aboutit à la mort, lesoccupations des personnalités biographiques, les savoir-faire professionnels, les recherchesintellectuelles, les créations artistiques, les engagements associatifs relèvent de durables activitéshumaines étrangères à la finitude de l’existence individuelle. Pour autant que je m’inscris dans cesmodalités pérennes de l’agir commun, je sors de la courbe en cloche du vivre individuel, j’existe dansle temps long de la production historique du monde humain, un temps où on n’en a jamais fini. Lavie de l’individu biologique va par nécessité interne vers un terme.

L’existence de la personnalité biographique est par essence inachevable.

Elle sera interrompue par une mort qui ne sera pas la sienne, mais celle de son support. L’existencepersonnelle a des suites après la mort, effets sur la descendance, persistance d’apports divers,inscription dans des héritages culturels collectifs, source d’inspiration vivante à travers les siècles. Il y

a certes ce pénible tourment pour la personnalité à l’approche de la mort de ne savoir ni la suite nis’il restera ou non quelque chose. Avec la vie qui ne meurt pas, la vieillesse relève non du naufragemais de la navigation au long cours.

 

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7/15/2019 Lecture de Lucien Sève (l'homme) Jean-Pierre Dussaud, blog

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23/06/13 Lecture de Lucien Sève | Jean-Pierre Dussaud, blog

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La vieillesse n’est pas synonyme d’invention tarie, d’autosatisfaction obstinée, de sclérose mentale,s’il existe des préalables biographiques, une formation riche et diverse, un renouvellement jamaislongtemps interrompu de motivations et de capacités, l’appropriation progressive d’une doubleautonomie envers soi-même et envers le monde tel qu’il est. La société doit favoriser la formation denouveaux savoirs et vouloirs où puisse s’enraciner la longévité mentale future de chacun.

Une politique de la vieillesse est nécessaire. Actuellement la modicité des retraites pousse à la

recherche de petits boulots, corrosion de la possibilité d’une troisième vie échappant à l’aliénationdirecte. La troisième vie est traitée comme une charge publique dépassant la mesure et comme une branche des affaires, avec la prolongation forcée de la vie de travail exploitée ou chômeuse, ladégradation des retraites, les compléments de retraite privés, les voyages organisés, l’exploitation dela dépendance, les équipements lucratifs du « senior », l’absence de réflexion sur les logiques socialesd’emploi du temps induites et appelées par la mutation biographique de la troisième vie.

Les contenus d’activité à proposer à la troisième vie ne doivent pas être seulement le repos, la vieprivée, les loisirs, les voyages, ce qui serait assigner à cette vie un sens anthropologique subalterne,vouant la personnalité au rabougrissement, enfermant cette époque biographique dans l’inutilitépublique justifiant un malthusianisme exigé par l’impératif de rentabilité.

La vision dominante de la troisième vie est en accointance avec la logique de vie de travail induit parle monde exploiteur, la vie clivée, temps de travail à la fois productif et aliéné, donc contradictoire,temps hors travail compensatoire, à la fois libre et atrophié, donc aussi contradictoire, dans lamesure où elle vise à reproduire dans la troisième vie l’antagonisme ravageur de la deuxième vie, lecycle entier d’existence étant voué aux clivages, c’est-à-dire à l’impossible accomplissement.

La troisième vie doit être une vie plénièrement humaine et donc soustraite aux logiques exploiteuses

du capital, unissant la détente privée par rapport à la tension sociale de la deuxième vie etl’innovante utilité publique dont devient capable une personnalité de riche expérience, vivifiée par lerenouvellement de ses capacités et motifs et par la double autonomie conquise envers le monde etenvers soi-même, avec transmission des savoirs professionnels et des expériences vécues, l’assistancepédagogique, le rôle consultatif, les fonctions de contrôle et d’incitation dans les domaines les plusvariés, les activités de recherche, d’invention et de création, sous un régime de bénévolat rendupossible par une réelle revalorisation des retraites.

Il n’y aura plus d’inactifs par essence. Une troisième vie active est une chance de reprise decroissance humaine pour des millions de personnes et de floraisons inédites de richesse sociale, d’où

un changement de la vision économique de la retraite et un changement des logiques de ladeuxième vie où le temps hors travail n’est plus simplement compensatoire d’une vie de travailaliénante mais temps préparatoire aux activités de la troisième vie, ce qui déclenche un mouvementde l’économie d’ensemble des logiques d’emploi du temps dans le sens d’une désaliénation biographique. Changer la vie devient possible.

1. 31. Le biographique est le lieu de l’unité entre l’historique, les formes historiquesd’individualité, et le psychique, la personnalité. L’individu, la personnalité, est la fin etle moyen de la transformation sociale vers une société sans classes.

La pensée de Marx est active, consacré non à l’interprétation verbale du monde mais à satransformation révolutionnaire. Il s’agit de comprendre l’histoire pour la changer. Pensée nonfondatrice de doctrine mais initiatrice de mouvement.

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23/06/13 Lecture de Lucien Sève | Jean-Pierre Dussaud, blog

Être fidèle à une pensée de cette sorte exige non une lecture cherchant à dégager un espritintemporel d’une lettre datée, mais un prolongement du mouvement de pensée d’hier par uneélaboration renouvelante lui donnant vie dans le monde d’aujourd’hui, ce qui était sa visée d’origine,et donc cela exige une élaboration avec Marx d’une théorie critique du capitalisme, l’intégration dessavoirs contemporains dans la logique dialectique de Marx, la construction de la stratégie del’organisation capable de dépasser de manière réussie le capitalisme actuel. Au-delà d’une fidélitépassive ou d’une altération irresponsable, retrouvons l’authenticité et l’inventivité.

L’anthropologie marxienne a deux faces, le monde des rapports sociaux où s’enracine les formeshistoriques d’individuation et le monde des existences individuelles où ces formes se transmuent enpersonnalités, les biographies personnelles étant le lieu de l’unité concrète entre l’historique et lepsychique, le point focal de la perspective anthropologique, le point focal de toute la visée pratiquede Marx, car c’est pour changer la vie qu’il faut transformer le monde. Le libre développement del’individu est le moyen et le but.

La société sans classes n’asphyxie pas l’initiative et le développement des individus. La société sansclasses est plus individuelle que toute autre. Le souci doit être l’émancipation individuelle.

La force des exploités ne tient pas qu’à leur masse anonyme, à leur cohésion sans faille, à leurconfiance suiviste en des chefs. Cette conception ne peut conduire qu’à l’improductivité deséconomies administrées, à la carence démocratique des sociétés immunisées et à la surdité des états-majors politiques autocrates.

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