Lecon Im Prim

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Corpus Médical– Faculté de Médecine de Grenoble http://www-sante.ujf-grenoble.fr/SANTE/ 1/15 Bases physiopathologiques et évaluation de la douleur (65) Professeur Jean-François PAYEN Novembre 2002 Pré-Requis : Neuroanatomie (programme du 1er cycle des études médicales) Résumé : La douleur est définie comme «une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, associée à un lésion tissulaire réelle ou potentielle, ou décrite dans des termes évoquant une telle lésion». La transmission douloureuse est un phénomène complexe impliquant des mécanismes électrophysiologiques et neurochimiques, où 3 étapes vont se succéder : l'élaboration de l'influx au niveau du nocicepteur et sa transmission dans la fibre nerveuse périphérique le relais et la modulation au niveau de la corne dorsale de la moelle épinière (transmission de l’influx, blocage ou amplification, convergence des différents influx) l'intégration au niveau du cerveau qui le transforme en message conscient: sensation douloureuse avec une composante sensori-discriminative (intensité, localisation, durée du stimuli nociceptif), et une composante émotionnelle et affective désagréable. L’évaluation de la douleur est une étape essentielle avant la mise en oeuvre d’un traitement antalgique. Cette évaluation dépend de la présence ou non d’un contact verbal avec le patient : auto-évaluation (échelles unidimensionnelles, questionnaires) ou hétéro- évaluation (échelles comportementales). Mots-clés : Douleur, nociception, analgésie, physiopathologie, évaluation 1. Définition La douleur est définie comme «une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, associée à un lésion tissulaire réelle ou potentielle, ou décrite dans des termes évoquant une telle lésion». La transmission douloureuse est un phénomène complexe impliquant des mécanismes électrophysiologiques et neurochimiques, où 3 étapes vont se succéder : l'élaboration de l'influx au niveau du nocicepteur et sa transmission dans la fibre nerveuse périphérique le relais et la modulation au niveau de la corne dorsale de la moelle épinière (transmission de l’influx, blocage ou amplification, convergence des différents influx) l'intégration au niveau du cerveau qui le transforme en message conscient: sensation douloureuse avec une composante sensori-discriminative (intensité, localisation, durée du stimuli nociceptif), et une composante émotionnelle et affective désagréable.

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Evaluation de la douleur

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    Bases physiopathologiques et valuation de la douleur (65)

    Professeur Jean-Franois PAYEN Novembre 2002

    Pr-Requis : Neuroanatomie (programme du 1er cycle des tudes mdicales) Rsum : La douleur est dfinie comme une exprience sensorielle et motionnelle dsagrable, associe un lsion tissulaire relle ou potentielle, ou dcrite dans des termes voquant une telle lsion. La transmission douloureuse est un phnomne complexe impliquant des mcanismes lectrophysiologiques et neurochimiques, o 3 tapes vont se succder :

    l'laboration de l'influx au niveau du nocicepteur et sa transmission dans la fibre nerveuse priphrique

    le relais et la modulation au niveau de la corne dorsale de la moelle pinire (transmission de linflux, blocage ou amplification, convergence des diffrents influx)

    l'intgration au niveau du cerveau qui le transforme en message conscient: sensation douloureuse avec une composante sensori-discriminative (intensit, localisation, dure du stimuli nociceptif), et une composante motionnelle et affective dsagrable.

    Lvaluation de la douleur est une tape essentielle avant la mise en oeuvre dun traitement antalgique. Cette valuation dpend de la prsence ou non dun contact verbal avec le patient : auto-valuation (chelles unidimensionnelles, questionnaires) ou htro-valuation (chelles comportementales). Mots-cls : Douleur, nociception, analgsie, physiopathologie, valuation 1. Dfinition

    La douleur est dfinie comme une exprience sensorielle et motionnelle dsagrable, associe un lsion tissulaire relle ou potentielle, ou dcrite dans des termes voquant une telle lsion. La transmission douloureuse est un phnomne complexe impliquant des mcanismes lectrophysiologiques et neurochimiques, o 3 tapes vont se succder :

    l'laboration de l'influx au niveau du nocicepteur et sa transmission dans la fibre nerveuse priphrique

    le relais et la modulation au niveau de la corne dorsale de la moelle pinire (transmission de linflux, blocage ou amplification, convergence des diffrents influx)

    l'intgration au niveau du cerveau qui le transforme en message conscient: sensation douloureuse avec une composante sensori-discriminative (intensit, localisation, dure du stimuli nociceptif), et une composante motionnelle et affective dsagrable.

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    2. Bases physiopathologiques de la douleur

    L'influx douloureux est vhicul par deux grandes voies :

    l'une correspond la douleur rapide vhicule par les fibres A delta (A) responsable de la douleur localise et prcise capable de discriminer la topographie, la qualit. Elle rejoint le thalamus latral par le faisceau no-spino-thalamique puis le cortex sensitif avec les aires S1 et S2 (voie de la sensation).

    l'autre est celle de la douleur tardive diffuse vhicule par les fibres C amyliniques, responsables de la douleur diffuse lente. Aprs un relais au niveau des structures du tronc crbral, linformation douloureuse rejoint le thalamus mdian, puis les structures limbiques et le cortex frontal (voie de lmotion et du comportement).

    Cette dichotomie entre un systme qualitatif d'analyse rapide spatio-temporelle de la douleur et un systme lent vhiculant la douleur diffuse se retrouve tous les tages de la transmission sensitive nociceptive.

    2.1. La douleur priphrique

    2.1.1. Nocicepteurs

    Le message nociceptif rsulte de la stimulation des terminaisons libres amyliniques (nocicepteurs), trs nombreuses (200 par cm2), organises en plexus, arborises dans les tissus cutans et musculaires et les parois viscrales. Les nocicepteurs cutans existent sous 2 formes :

    les mcano-nocicepteurs, qui ne sont activs que par des stimulus douloureux mcaniques (pression, tirement). Ils se prolongent par des fibres de type A-delta.

    les nocicepteurs polymodaux, activs par des stimulus mcaniques, chimiques (substances algognes), thermiques (T > 42C). Ils se prolongent par des fibres de type C.

    Les nocicepteurs cutans ont pour caractristiques : un seuil de rponse lev, ncessitant une stimulation intense une absence dactivit spontane une sensibilisation par une stimulation nociceptive rpte, ou hyperalgsie primaire

    Il existe aussi des nocicepteurs profonds, prsents au niveau de la capsule des organes pleins, le rseau musculaire des viscres creux, les parois vasculaires, les muscles stris, et les structures pri-articulaires. Ce sont des mcano-nocicepteurs, activs par lischmie, la distention, la contraction.

    2.1.2. Transmission

    Aprs activation des nocicepteurs, le message est vhicul jusqu' la corne postrieure de la moelle par les fibres de petit calibre faiblement mylinises (A-delta, vitesse de 4 30 m/s), responsables de la douleur localise et prcise type de piqure, et par les fibres non mylinises (C, vitesse de 0,4 2 m/s) responsables de la douleur diffuse, mal localise, tardive type de brlure. Les affrences primaires fortement mylinises (A-alpha-bta, vitesse 30 120 m/s) rpondent aux stimulations mcaniques modres, comme le tact ou le toucher, mais ne rpondent pas aux stimulations nociceptives.

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    2.1.3. Substances algognes

    Les lsions tissulaires et linflammation engendrent la production dun grand nombre de mdiateurs qui, directement ou indirectement, contribuent la sensibilisation des fibres affrentes priphriques. Les neurotransmetteurs et neuromodulateurs priphriques sont nombreux, do le terme de soupe inflammatoire . Ils sont librs partir des tissus lss, des cellules sanguines (plaquettes, polynuclaires, mastocytes), des macrophages, et partir des terminaisons des fibres affrentes (substance P, peptide li au gene de la calcitonine ou CGRP). Parmi ces substances, on distingue :

    la bradykinine, maillon chimique essentiel. Outre son action directe pronociceptive, elle induit une cascade d'effets avec libration des autres mdiateurs, augmentation de la permabilit vasculaire, vasodilatation et chmotactisme leucocytaire.

    les prostaglandines (PG), qui ne sont pas algognes, mais sensibilisent les nocicepteurs laction dautres substances (abaissement du seuil dactivation).

    lhistamine, qui est prurigineuse puis douloureuse. Elle est issue de la dgranulation des mastocytes.

    Schma : Gnse neurochimique de la douleur priphrique (soupe inflammatoire)

    (Daprs Guirimand et LeBars 1996) (J.F. Payen)

    2.1.4. Hyperalgsie priphrique et rflexe daxone

    Le message nociceptif initial peut tre amplifi par des mcanismes dhyperalgsie :

    Lhyperalgsie primaire concerne les tissus lss, les substances libres augmentent linflammation au niveau lsionnel. Elle se traduit par une modification des rponses avec un seuil d'activation plus bas, une latence diminue, des rponses exagres aux stimuli habituels non nociceptifs (allodynie) voire une activit spontane.

    Lhyperalgsie secondaire concerne les tissus sains pri-lsionnels, les fibres adjacentes sont sensibilises par le biais du rflexe daxone. Cette amplification du message nociceptif joue un rle dans le dclenchement de lalerte et des ractions servant la matriser.

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    Le rflexe daxone ou inflammation neurogne correspond la libration en priphrie des neuropeptides algognes (substance P, CGRP, neurokinine A) prsents dans le ganglion rachidien. Ces neuropeptides circulent par voie antidromique le long des fibres nociceptives actives. Ils sont librs au niveau du site lsionnel ainsi qu' la priphrie de la lsion initiale et vont intresser progressivement tous les tissus sains adjacents. Cest une hyperalgsie en tache dhuile ou hyperalgsie secondaire.

    Schma : Hyperalgsie et rflexe daxone

    (Daprs Guirimand et LeBars 1996) (J.F. Payen)

    Le blocage lectif des fibres nociceptives est possible, soit par les anesthsiques locaux pour les fibres C, soit par le bloc ischmique pour les fibres A-delta. Le blocage prcoce des fibres nociceptives interrompt le cercle vicieux de la douleur priphrique et empche linstallation de lhyperalgsie induite par les stimulations nociceptives rptes. La thermocoagulation utilise la plus grande sensibilit la chaleur des petites fibres (nociceptives) et permet de raliser une section lective des voies de la douleur avec respect des autres sensibilits.

    2.2. Le relais mdullaire

    2.2.1. Lentre des affrences primaires

    Les fibres affrentes primaires rejoignent la molle pinire par les racines postrieures. Les fibres A-delta et C se sparent des grosses fibres tactiles, pour se terminer dans les couches superficielles de la corne dorsale de la molle pinire (couches I, II et V). Elles envoient galement des collatrales aux tages mdullaires sus et sous-jacents, ralisant un recouvrement important entre des territoires diffrents. Les fibres C provenant des structures viscrales vont se projeter sur des couches profondes (V-VII). Les grosses fibres (A-alpha-bta) vont rejoindre les noyaux de Goll et Burdach par les cordons postrieurs (sensibilit tactile et proprioceptive). Elles interviennent dans le contrle de la porte. Ainsi, les neurones de la couche V recoivent des affrences de toutes les catgories de fibres. Ces informations peuvent tre cutanes, musculaires ou viscrales. Cette convergence viscro-spatiale permet dexpliquer lorigine des douleurs projetes.

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    Schma : entre des affrences douloureuses dans la corne postrieure de la moelle pinire

    (Daprs Guirimand et Le Bars 1996) (J.F. Payen)

    2.2.2. Les neurones mdullaires

    Le relais mdullaire se fait alors avec deux types de neurones : les neurones nociceptifs spcifiques ne vhiculent que des stimulis douloureux. Ils sont plus volontiers localiss dans les couches superficielles (I et II) ; les neurones nociceptifs non spcifiques, appels aussi neurones convergents , peuvent vhiculer la fois des stimulis douloureux et non douloureux. Ils sont localiss dans les couches profondes (V). Le neurone convergent transporte les informations venant dun champ rcepteur cutan, viscral, et/ou musculaire. En clinique : La convergence des affrences sensitives de provenance varie (peau, muscle ou viscres) sur les neurones convergents spinothalamiques de la corne postrieure transportant jusqu'au cerveau des influx d'origine topographique diverse et de qualit diffrente (nociceptif ou non), est le support des douleurs projetes. Les douleurs projetes sont des douleurs rapportes par "erreur" lors de l'analyse corticale au mtamre cutan (le plus largement reprsent) , alors que l'origine relle est viscrale, articulaire ou musculaire. En effet, la cartographie corticale paritale possde une somatotopie topographique trs prcise pour la peau, mais imprcise pour les muscles, les vaisseaux et les viscres. Les douleurs rfres sont dinterprtation plus difficiles et sont le support de piges bien connus en mdecine. La convergence des influx chaque niveau mtamrique explique les douleurs de mchoires et de membre suprieur lors des infarctus myocardiques, le Mac Burney de l'appendicite, les douleurs interscapulaires d'origine vsiculaire.

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    2.2.3. Neurochimie de la corne postrieure

    Au niveau de la corne dorsale, les fibres A-delta et C librent dans l'espace synaptique des peptides (substance P, Neurokinines A, CGRP, somatostatine, CCK, VIP) et des acides amins excitateurs (glutamate, aspartate). La substance P et le glutamate semblent jouer un rle important mais non exclusif dans la transmission du message nociceptif jusqu'aux couches profondes, point de dpart du faisceau spinothalamique. On distingue plusieurs types de rcepteurs du glutamate : le rcepteur AMPA, le rcepteur Kainate (KA), le rcepteur NMDA (N Methyl D Aspartate), et des rcepteurs mtabotropiques lis aux protines G. Les rcepteurs AMPA et KA sont relis des canaux ioniques (sodique), dactivation rapide et impliqus dans la transmission excitatrice rapide. Le rcepteur NMDA est li lentre de calcium dans la cellule. Son activation est beaucoup plus lente et il est contrl par la glycine et le magnsium. Le rcepteur NMDA est impliqu uniquement dans des modifications neuronales long terme. Lentre massive de calcium dans la cellule va dclencher une cascade de mcanismes intracellulaires: synthse de NO et de prostaglandines, activation de proteine kinase (PKC) et expression de proto-oncognes (C Fos protein). Ces neurotransmetteurs crent une dpolarisation post-synaptique lente et de dure prolonge qui permet une sommation temporelle des influx nociceptifs. La cellule devient hyperactivable, les canaux ioniques restent ouverts et la synapse est totalement permable. On assiste donc une hyperexcitabilit des neurones convergents pouvant aboutir au maximum un dysfonctionnement neuronal global avec destruction neuronale, perte des mcanismes inhibiteurs et accroissement de la douleur en intensit et dans le temps. Cest lhyperalgsie centrale ou sensibilisation centrale. En clinique : la stimulation des mcanorcepteurs de bas seuil vhiculant dans des conditions normales la sensibilit tactile, peut en cas de sensibilisation mdullaire dclencher une rponse douloureuse, expliquant l'allodynie et l'hyperalgesie des zones prilsionnelles. Ds lors, une douleur qui persiste peut tre responsable de modifications neurochimiques durables expliquant la prnisation et la mmorisation des phnomnes douloureux.

    2.2.4. Les contrles inhibiteurs de la corne postrieure de la

    moelle

    Schmatiquement, 2 systmes peuvent moduler au niveau spinal la transmission de linformation douloureuse.

    2.2.4.1. Le contrle de la porte (thorie de Melzack et Wall)

    Lactivation des fibres de gros diamtre (A-delta) met en jeu des inter-neurones situs dans la substance glatineuse qui vont inhiber la transmission des influx nociceptifs vers les neurones convergence des couches profondes de la corne dorsale. Lactivit de ces grosses fibres affrentes augmentent lactivit des inter-neurones et ferme la porte de la douleur, tandis que lactivit des fibres C et A-delta rduit ce tonus inhibiteur et ouvre la porte facilitant ainsi la transmission vers les neurones convergents. Ces mcanismes segmentaires pouvent tre galement contrls par des influences supra-spinales. Ces contrles sexercent par lintermdiaire dacides amins inhibiteurs comme la glycine ou lacide gamma amino butyrique (GABA).

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    Schma : thorie de la Porte

    Les fibres du tact, de gros calibre (A-alpha et A-bta) exercent une action inhibitrice sur les fibres noceptices au niveau de la corne dorsale de la moelle pinire.

    (J.F. Payen)

    En thrapeutique, le contrle de la porte est le support de lutilisation de la neurostimulation transcutane (TENS) et cordonale, vise antalgique. La stimulation mdullaire intresse les cordons postrieurs qui par une circulation contre-courant (antidromique) inhiberait les neurones nociceptifs convergents de la corne postrieure de la molle.

    2.2.4.2. Le systme opiode

    Il existe de nombreux rcepteurs pr- et postsynaptiques aux opioides, rpartis en 3 classes : Mu (ou OP3), Delta (ou OP1), et Kappa (ou OP2). Ces rcepteurs sont prsents dans tout le systme nerveux central mais galement en priphrie. Les agonistes des rcepteurs Mu (morphine) bloquent les rponses aux stimulius nociceptifs mcaniques, thermiques ou chimiques. Ces rcepteurs sont trs largement distribus dans le systme nerveux central, en particulier au niveau de la corne dorsale de la moelle pinire. Les endorphines sont des peptides endognes qui miment laction de la morphine et se fixent sur les rcepteurs opiacs. Elles appartiennent 3 grandes familles : la proenkphaline lorigine des enkphalines, la pro-opio-mlanocortine lorigine des bta-endorphines et la prodynorphine lorigine des dynorphines. Ces endorphines sont distribues largement dans les structures crbrales, principalement celles impliques dans la nociception, et au niveau de la corne dorsale de la moelle pinire. En clinique, ladministration rpte dopiodes peut conduire lapparition dune tolrance (diminution des effets pharmacologiques) et de dpendance physique ou psychique. Ces mcanismes dpendent de modifications neuronales mettant en jeu lactivation des rcepteurs aux acides amins excitateurs. Lactivation des rcepteurs opiodes pourrait, dans le mme temps que leffet analgsique, mettre en jeu des molcules endognes doues de proprits anti-opiodes.

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    2.2.5. Les contrles activateurs de la corne postrieure de la

    moelle

    Diffrents peptides ont t reconnus pour avoir une action pro-algique et anti-opiode : cholcystokinines (CCK), neuropeptide SF (NPFS), nociceptine. Les CCK sont prsentes dans le systme nerveux central, et leur distribution est peu prs superposable celle des rcepteurs opiodes et des enkphalines. Le CCK est un antagoniste endogne du systme opiode, qui par le biais des rcepteurs CCKB pourrait inhiber le systme opiode. Les opiodes endognes et le CCK rgiraient donc une homostasie entre le systme anti-nociceptif et le retour lapparition dune douleur. En clinique : Lhyperactivit des systmes anti-opiodes pourrait galement intervenir dans les douleurs neuropathiques expliquant en particulier la relative inefficacit des morphiniques pour soulager ce type de douleur.

    2.3. Les faisceaux ascendants

    La majeure partie des messages nociceptifs croisent la ligne mdiane par la commissure grise antrieure aprs leur relais avec les neurones de la corne postrieure. Deux voies ascendantes sont impliques dans la transmission ltage supra-spinal de la douleur :

    le faisceau spino-thalamique (FST) chemine au niveau du cordon antro-latral de la moelle. Les fibres du FST sont des fibres A-delta, et se projettent dans le thalamus latral, puis dans le cortex sensitif (voie de la sensation)

    le faisceau spino-rticulothalamique (FSRT) chemine aussi au niveau du cordon antro-latral de la moelle. Les fibres du FST sont des fibres C, et se projettent dans le thalamus mdian puis dans les structures limbiques et le cortex frontal avec intgration motionnelle, mmorisation et adaptation comportementale (fuite, anticipation).

    2.4. Intgration de la douleur au niveau crbral et contrles

    supraspinaux

    2.4.1. Intgration corticale de la douleur

    Les stimuli nociceptifs sont intgrs essentiellement au niveau du cortex insulaire, de laire SII, et du gyrus cingulaire antrieur et, de faon plus inconstante, dans le thalamus et laire SI. Les rponses au niveau insulaire/SII et thalamiques refltent la composante sensori-discriminitave de la douleur. La rponse du cortex SI est plus en rapport avec la stimulation nociceptive cutane de surface (dpendante des sommations temporelles et spatiales) et module par lattention porte au stimulus. La rponse thalamique, souvent bilatrale fait probablement intervenir des phnomnes dveil en rponse la douleur. La rponse cingulaire antrieure reflte plutt des processus attentionnels et motionnels. Lattention au stimulus douloureux fait intervenir galement le cortex parital postrieur et le cortex pr-frontal dorso-latral droits qui participent au rseau cortical attentionnel et/ou mnsique.

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    2.4.2. Les contrles inhibiteurs descendants supraspinaux

    Schmatiquement, 2 types de contrles inhibiteurs descendants ont t identifis :

    2.4.2.1. les contrles descendant dclenchs par des

    stimulations crbrales

    Ils sont issus du tronc crbral (rgion bulbaire rostro-ventrale) pour agir sur la moelle. Au niveau bulbaire, plusieurs zones sont identifies comme ayant une fonction analgsique : la substance grise priaqueducale (SGPA), le noyau raph magnus (NRM), le noyau giganto cellulaire, le noyau rticul latral du tractus solitaire. A partir de cette rgion bulbaire, des fibres empruntent le funiculus dorsal et vont rejoindre les neurones spinaux chaque tage et raliser un effet inhibiteur sur les neurones convergents. Les neuromdiateurs impliqus dans ce systme inhibiteur sont les substances opiodes, la srotonine et la noradrnaline.

    Schma : contrles inhibiteurs descendants dclenchs par des stimulations crbrales

    (Daprs Guirimand et Le Bars 1996) (J.F. Payen)

    En thrapeutique, les mcanismes srotoninergiques inhibiteurs descendants justifient lutilisation des antidpresseurs tricycliques dans le traitement de la douleur.

    2.4.2.2. les controles inhibiteurs descendants dclenchs par

    stimulations nociceptives (CIDN)

    Lapplication dun stimulus nociceptif sur une zone du corps loigne dun champ rcepteur dun neurone convergent dclenche un mcanisme dinhibition sur ce mme neurone convergent.. Limportance du CIDN est proportionnelle lintensit du stimulus et sa dure. Lintgrit de la boucle de rtroaction est indispensable. La structure bulbaire implique dans cette boucle est la rticule bulbaire. Les neuromdiateurs des CIDN seraient srotoninergiques et endomorphiniques. Les CIDN pourraient jouer le rle dun filtre

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    facilitant la dtection des messages nociceptifs. Les neurones convergents vhiculent des informations nociceptives et non nociceptives, provenant dorigines diffrentes. Ces neurones ont donc une activit somesthsique de base quasi permanente. En cas de stimulation douloureuse provenant dune population de neurones convergents donns, il y a alors mise en jeu des CIDN. On assiste donc une rduction dactivit des neurones convergents non concerns par cette douleur. Le contraste augmente entre le champ du neurone activ et la mise sous silence des neurones non concerns afin de mieux identifier la localisation prcise de cette douleur. Par analogie, un chant au milieu du brouhaha dune foule a peu de chance dtre entendu ; par contre la foule rduite au silence va permettre dextraire le son dune meilleure faon.

    Schma : contrle inhibiteur descendant dclench par stimulation nociceptive (CIDN)

    (Daprs Guirimand et Le Bars 1996). (J.F. Payen)

    En clinique, la thorie des CIDN pourrait expliquer les douleurs de contre-irritation connues de longue date (pose de ventouses sur peau scarifie), ainsi que les effets de lacupuncture qui entraine une analgsie inhibe par la naloxone. 3. Les types de douleur

    3.1. Douleur aigu / douleur chronique

    Toute douleur aigue se manifeste par une sensation dsagrable, o le patient ressent une menace de son intgrit corporelle. Cela provoque des ractions vgtatives (tachycardie, ), musculaires et comportementales (vocalisations, .). Lattention est entirement mobilise par la douleur, et le sujet va organiser les moyens pour essayer de sy soustraire. Cest une douleur alarme. Quand la lsion gurit (cicatrisation par les processus inflammatoires locaux), le systme nociceptif revient son tat initial. La finalit biologique des modifications induite par la douleur est de favoriser la gurison par un ajustement des ractions et des comportements.

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    A linverse, toute stimulation nociceptive qui se prolonge va entraner des modifications structurelles du systme nerveux central, lies la plasticit neuronale. Les ractions inflammatoires et les transformations tissulaires sont responsables de modifications du seuil de dclenchement des influx nociceptifs. Les douleurs deviennent plus intenses (hyperalgsie). Des stimulations non nocives tactiles vont dclencher des douleurs (allodynie). Des douleurs spontanes sans stimuli nociceptif peuvent galement apparaitre. La douleur va alors conditionner la vie de l'individu, entraner des troubles de l'apptit, une perte du sommeil, envahir son univers affectif, retentir sur le vcu quotidien avec des rpercussions sociales, professionnelles et familiales. Elle va mobiliser la totalit des structures nerveuses et va devenir la proccupation dominante. On admet, de faon arbitraire, qu'une douleur devient chronique lorsqu'elle dure au-del de 3 6 mois.

    3.2. Excs de nociception / douleur neuropathique

    On distingue classiquement plusieurs types de douleur selon le mcanisme physiopathologique :

    par excs de nociception. Le stimulus nociceptif est prolong, la raction inflammatoire intense (par ex, douleur post-opratoire, post-traumatique, viscrale)

    par lsion priphrique ou centrale du systme nociceptif. On parle de douleurs neuropathiques, neurognes, ou de daffrentation (par ex, tirements de plexus, atteintes thalamiques)

    par stimulation locale du systme sympathique, lorigine de troubles vasomoteurs, trophiques : causalgie, algodystrophie

    par dsordre motionnel svre modifiant lintgration du message douloureux conscient (douleurs psychognes)

    de mcanisme mal connu (douleurs sine materia). Par exemple, les cphales de tension, les fibromyalgies, les douleurs myofasciales

    par mcanisme mixte (par exemple, inflammatoire et eneuropathique), probablement le mcanisme le plus rpandu.

    Tableau : comparaison des douleurs par excs de nociception et des douleurs neuropathiques

    (J.F. Payen)

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    4. Examen du patient douloureux et valuation de la douleur

    Lexamen du patient douloureux est essentiel pour prciser les caractristiques smiologiques de la douleur. Lvaluation de la douleur constitue une part de cet examen. Quel que soit le site de la douleur, lexamen doit prciser au moins 7 items :

    le profil volutif : anciennet de la douleur (depuis plus de 3 6 mois ?), mode de dbut (accident de travail, effort, repas,...), horaire

    la topographie : sige, sige de la douleur maximale, irradiations le type de douleur (dcharges lectriques, brlure,...) (Cf QDSA) lintensit les facteurs de soulagement et daggravation les manifestations associes limpact sur la qualit de vie

    Comme il nexiste pas de paralllisme entre lintensit de la douleur et la gravit des lsions, lvaluation de lintensit est le seul moyen dapprcier leffet dun traitement antalgique, et ainsi, dadapter le traitement symptomatique analgsique. Schmatiquement, on distingue 2 modes dvaluation, lun tant bas daprs linformation verbale transmise par le patient (auto-valuation), lautre daprs des mesures faites par un tiers (htro-valuation) ou daprs la mesure de paramtres physiologiques.

    4.1. Echelles unidimensionnelles

    Il sagit dchelles globales car elles ne mesurent que lintensit de la douleur : chelle visuelle analogique (EVA), chelle numrique (EN), et chelle verbale simple (EVS). Ces chelles sont utilisables chez ladulte et chez lenfant partir de 5 ans, principalement en douleur aigu post-opratoire ou traumatique. Elles sont simples, rapides remplir, ce qui permet des mesures rptes et rapproches pour apprcier la rponse au traitement. LEVA utilise une rglette muni dun curseur se dplaant sur la face visble du patient entre absence de douleur et douleur maximale imaginable , correspondant une chelle gradue de 0 100 mm sur sa face cache. LEVA est la mthode de rfrence pour quantifier lintensit douloureuse et la rponse thrapeutique, puisquelle est simple, reproductible, sensible et linaire. On a ainsi montr que le seuil minimal partir duquel le patient prouve un dbut de soulagement aprs traitement est une baisse de 13 mm sur lEVA. Cependant, prs de 10% des patients ont des difficults pouvoir reprsenter lintensit de leur douleur sur une rglette, notamment les sujets gs ; de plus, en post-opratoire immdiat, son usage nest pas toujours ais. Aussi, lEN et lEVS 5 niveaux sont des alternatives fiables. LEN demande au patient de chiffrer lintensit de sa douleur entre 0 et 100, et lEVS quantifie la douleur en rponse des adjectifs proposs au patient : douleur absente, faible, modre, intense, extrmement intense. Quelle que soit la mthode utilise, il est prfrable dutiliser toujours la mme mthode pendant le traitement antalgique, et dvaluer le patient de manire rpte, au repos et en condition dynamique. Bien quil y ait une grande variabilit inter-individuelle dans le niveau de douleur ressentie, lobtention dune EVA (ou EN) infrieure 40 constitue un objectif thrapeutique raisonnable.

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    4.2. Echelles multidimensionnelles

    Au-del de laspect quantitatif, il y a tout un vocabulaire employe par le patient, qui dcrit la rpercussion de la douleur sur un plan affectif et sensoriel dans sa vie quotidienne (par exemple, gnante, angoissante, dprimante,...), son milieu socio-professionnel, sa vie familiale. Pour tenir compte de ces aspects qualitatifs, des questionnaires ont t labors, dont le Mc Gill Pain Questionnaire (MPQ) mis au point par Melzack, et sa version franaise, le Questionnaire Douleur Saint-Antoine (QDSA) (tableau 2). Le questionnaire franais comporte 61 qualificatifs rpartis en 17 sous-classes, 9 sensorielles, 7 affectives et 1 valuative. Aprs avoir slectionn le terme le plus appropri dans une sous-classe, le patient pondre son jugement grce une chelle de 0 4, ce qui permet de calculer un score. Ces questionnaires sont plus longs traiter quune EVA et peuvent poser des problmes de comprhension. Ils sont utiliss pour valuer la douleur chronique car ils apprcient lintensit douloureuse et le vcu de cette douleur.

    Tableau : questionnaire Douleur de Saint-Antoine (QDSA)

    Vous trouverez ci-dessous une liste de mots utiliss pour dfinir une douleur. Afin de prciser la douleur que vous ressentez, donnez une note chaque mot, entre 0 (absent), 1 (faible), 2 (modr), 3 (fort), 4

    (extrmement fort). Pour chaque classe de mots, entourez le mot le plus exact pour dcrire votre douleur (J.F. Payen)

    4.3. Echelles comportementales

    Il existe des mthodes par htro-valuation quand le contact verbal du patient nest pas possible, par exmple, chez le nouveau-n et nourrisson, le grand vieillard, le sujet

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    polyhandicap, le patient psychotique ou comateux. Ces chelles comportementales de douleur, base sur lexpression corporelle ltat de repos ou en rponse un stimulus douloureux. Pour tre utilisables, ces chelles doivent rpondre des critres de qualit bien prcis :

    tre sensible, cest--dire donner des rsultats diffrents dun individu lautre, et aussi diffrents chez le mme individu en fonction du traitement ou de lvolution de la pathologie

    tre fiable, cest--dire donner des rsultats concordants pour un mme patient lorsquil est valu par des observateurs diffrents

    tre valide, cest--dire mesurer effectivement la douleur et non un autre phnomne comme lanxit.

    Parmi de nombreuses chelles disponibles en pdiatrie, il faut citer lchelle de COMFORT, spcialement conue pour les enfants admis en ranimation. Utilisable pour tous les ges, elle associe des critres comportementaux et des variables physiologiques. Chez ladulte, une chelle de douleur a t rcemment propose pour les patients de ranimation, base sur lobservation du tonus des membres suprieurs, lexpression du visage, ladapation au ventilateur.

    Tableau : Echelle de COMFORT

    (J.F. Payen)

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    Tableau : echelle comportementale de douleur

    (Daprs Payen et al, 2001) (J.F. Payen)

    4.4. Paramtres physiologiques

    La variation de donnes physiologiques simples (frquence cardiaque, pression artrielle, pression intracrnienne) peut reflter indirectement la rponse de lorganisme lagression douloureuse. Cependant, ces paramtres sont influencs par de nombreux facteurs confondants (agents vaso-actifs, fivre, tat hmodynamique instable), ce qui rend ces mesures peu spcifiques. Dautres techniques sont ltude: variabilit de la frquence cardiaque, analyse quantitative de lEEG (spectre de puisssance), potentiels voqus auditifs, indice bispectral (BIS). Cependant, lheure actuelle, il ny a pas de mthode permettant de mesurer lintensit douloureuse pour ces patients non communiquants. Rfrences :

    Guirimand F, Le Bars D. Physiologie de la nociception. Ann Fr Anesth Ranim 1996 ; 15 :1048-79.

    Boureau F. Smiologie de la douleur. In : Douleurs Aigues, Douleurs Chroniques, Soins Palliatifs. Med-Line Editions, 2001, Paris, pp 15-40.

    Payen JF et al. Assessing pain in critically ill sedated patients by using a behavioral pain scale. Crit Care Med 2001 ; 29 : 2258-63.

    Liens :

    www.univ-st-etienne.fr/stephado/home.html www.pediadol.org