Le vieux

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Le vieux de François Aubert Edition 2011

description

Nouvelle sur le thème bleu(s) à l'âme qui a remporté le Grand Prix Agglopole Provence, dans le cadre du concours littéraire Lire Ensemble 2011

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Le vieuxde François Aubert

Edition 2011

Concours de nouvelles Lire Ensemble 2011 Le vieux de François Aubert2/3

Le vieuxde François Aubert

« Le vieux » a reçu le Grand prix Agglopole Provence pour le concours de nouvelles adultes de Lire Ensemble 2011 sur le thème « Bleu(s) à l’âme »

Concours de nouvelles Lire Ensemble 2011 Le vieux de François Aubert4/5

Présidente du jury : > Mireille Disdero, auteure

Membres du jury : > Roselyne Elbel, bibliothécaire à Saint-Chamas> Lilla Fromont, présidente de l’association Salon

Culture> Frédérique Relu, bibliothécaire à Mallemort > Arlette Rousset, participante aux réunions lecture

de la librairie Actes Sud> Catherine Scherer, bibliothécaire à Berre-l’Etang> Régine Schir, libraire au « Grenier d’Abondance »

préface

Cette nouvelle en accord sensible avec le thème « Bleu à l’âme » a touché les membres du jury, par la tendresse impli-cite qui s’en dégage et par son humanité. Le récit est limpide, simple comme l’es-sentiel et juste à la façon d’une note de musique. Le jury a apprécié la présence des personnages qui, même sans description, occupent pleinement le récit. On retient, enfin, le message engagé de la nouvelle qui montre comment la société moderne met en place un système intrusif pour soutenir les hommes. Celui-ci les surprotège, les forçant à un assistanat qui, involontairement, les broie. Ce texte est un hymne au choix de vie, un cri de tendresse et d’aspiration à la liberté pour chacun d’entre nous. Un beau message !

Mireille Disdero

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Le vieux

Quand vous entrez dans la pièce ça sent le feu de bois refroidi, le café et peut-être un peu le tabac. Mais c’est pas sûr. La table massive occupe tout le centre de l’unique espace. La cheminée fait face à l’évier et au fond, à côté de la porte qui mène aux chambres, le buffet avec ses vitres en verre dépoli évoque à lui seul les soupes fumantes familiales ou les petits coups à boire entre amis. Une horloge rythme le temps. Pourtant dans cette maison le temps s’est arrêté. C’est aujourd’hui qu’ils viennent. Qui déjà ? Il ne le sait pas vraiment. Des infirmiers lui a-t-on dit. Mais s’il oppose la moindre résistance il y aura les gendarmes. C’est l’assistante sociale qui lui a monté la nouvelle. Dans le hameau perché où il vit il n’y a plus que lui et Marie. Et aujourd’hui ils viennent la cher-cher. Oh, c’est pour son bien qu’ils lui ont dit. Marie elle perd la tête de plus en plus souvent et il faut la protéger. Alors on va l’emmener en ville, là bas, en bas, et on va la placer (c’est comme ça qu’ils ont dit : la placer !) dans une maison spécialisée.

Elle ne manquera de rien et il pourra aller la voir quand il voudra. Et comment, hein ? Pas de voiture, pas de car... Il n’a que ses jambes et jusqu'à présent elles ont bien suffi. Au village il y a encore un boulanger et une épicerie. Savent pas si ça va durer en bas mais pour le moment ils y sont encore. Et ça leur va comme ça à Marie et à lui. Depuis toujours ils vivent là, avec la montagne derrière eux et rien d’autre. Il y a eu les terres et les troupeaux, mais à présent il est trop vieux. Il a vendu et il a assez d’argent pour vivre mille ans à sa façon. Pourtant voilà qu’au-jourd’hui Marie doit partir. Ils sont trop isolés lui a dit l’assistante sociale. Cela ne peut pas durer. Tout le village se fait du souci à cause d’eux. Mais lui, il leur a rien demandé à ceux du village ! Et puis les enfants aussi se font du souci. Ils sont loin les enfants. On les voit un peu l’été, de moins en moins car ils visi-tent le monde pendant leurs vacances. Des fois quand ils montent encore, il sent bien qu’ils languissent de repartir. Alors il leur dit que c’est trop petit ici ; qu’il ne peut plus les recevoir, surtout avec les derniers nés qu’il prend tendrement dans ses bras quand il en a l’occasion. Il n’y a plus la place. Pourtant il n’y a pas si

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longtemps ils sont tous venus. On avait mis des tentes devant la maison. Ah, ça a été une belle fête. Une photo au mur s’en souvient. Quand il la regarde, il a un goût de nostalgie qui monte à la bouche. Il le sait, des photos comme celle-là, il n’y en aura plus... Pour le sortir de l’isolement les enfants ont voulu qu’il installe une ligne téléphonique. Ils voulaient qu’il s’équipe pour avoir internet. Ils lui ont expliqué ça comme s’il était gâteux. Mais il sait ce que c’est internet ! Il a la télé et avec Marie il la regarde souvent. Alors tous ces trucs modernes il connaît. Mais il n’en veut pas. A quoi ça lui servirait de parler ou de voir ses petits enfants sur un écran ? Lui il veut les serrer contre lui, leur montrer la montagne, leur faire respirer de l’air pur, du vrai. Alors il a dit non. Il a dit non pour s’installer ailleurs. Il a dit non pour internet. Il a dit non à l’in-quiétude du village. Et l’assistante sociale est venue. Elle lui a expliqué la solidarité intergénérationnelle. Et elle a conclu en lui disant que s’il voulait rester il pouvait, mais pas Marie qui était malade. Malade Marie ? Elle marche toujours autant. Elle s’occupe de la maison. C’est vrai qu’il la surveille. Elle fait de drôles

de choses et elle parle de plus en plus souvent à des gens qu’il ne voit pas. Mais elle est pas malade. Quand on est malade on est couché, on a la fièvre ou autre chose. Le médecin vient et il vous soigne. Là le médecin ne peut rien faire. Si le médecin ne peut pas la soigner, c’est qu’elle est pas malade ! Il a rien lâché et elle est partie l’assistante sociale. Quand elle est remontée c’était pour lui dire que les infirmiers viendraient. Avec les gendarmes s’il le fallait. Dès lors il a préparé son sac à dos. Il a mis dedans un peu de nourriture, du vin car il allait en avoir besoin. Et c’est tout. Pas utile d’emporter quoi que ce soit de plus. Il a décroché le fusil de dessus la cheminée. Son vieux fusil à chiens qui lui avait permis de chasser jusqu'à ces dernières années. Jusqu'à l’inau-guration du parc. A présent que l’état français lui avait interdit de tirer, le fusil restait sur ses crocs. Mêmes les herbes il ne pouvait plus les ramasser comme avant. Elles étaient « protégées »... Ca faisait des siècles qu’on se soignait avec et maintenant il fallait les protéger ! Oh il en cueillait bien encore un peu par ci par là. Les gardes regardaient ailleurs... Mais pour la première fois de sa vie il s’était senti hors la loi. A son âge ! Sa grand

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mère aurait bien ri, elle qui adorait la vie malgré sa dureté d’alors. La vie... Il ne la concevait pas ailleurs ou sans Marie. Il a pris deux cartouches, les a fourrées dans sa poche puis il est parti avec Marie.

Quand les gendarmes, alertés par les infirmiers, sont arrivés, voilà longtemps qu’il avait fermé la porte de son bonheur. Les représentants de la loi étaient deux. Le chef venait de la ville. Mais le plus jeune vivait au pays autrefois. Il connais-sait le vieux. Il avait parcouru quelquefois les chemins avec lui. Alors quand il a vu le vide dessus la cheminée, il a cherché des yeux la cartouchière. Le vieux, et il le savait, la laissait toujours garnie. Ca lui rappelait le temps où il chassait avec son père et ses oncles. Dans la cartouchière il y avait deux trous, deux emplacements sinistrement vides. Il est ressorti le jeune gendarme. Il s’est un peu éloigné comme s’il cherchait des traces pour donner le change au chef. Il fallait qu’il soit seul pour que nul ne le voie. On ne pleure pas quand on est un gendarme.

Œuvre certifiée originale, personnelle et inédite.

edition Lire ensemble 2011Fête intercommunale du Livre créée en 2006 par la communauté d’agglomération Agglopole Provence qui propose des spectacles, des rencontres d’auteurs, des ateliers… dans les 17 communes du territoire.

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Un vieux berger vit seul avec sa femme, Marie, au pied de la montagne, dans un hameau déserté. Même si elle perd un peu la tête et la mémoire, Marie s’occupe de la maison sous le regard attentif de son compagnon car tous deux vivent dans cet équilibre fragile fait de tendresse. Un jour, l’assistante sociale leur rend visite et lance son verdict…

Nouvelle primée dans le cadre de Lire ensemble 2011

Concours de nouvelles 2011

Fête intercommunale du livre

Le vieux de François Aubert