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1 Le Tout-puissant Alex Irvine

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Le Tout-puissant

Alex Irvine

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Patient : Sergent Norwood Doakes de l’escadron Torche Sept. 7e peloton, 4

e division du corps des

marines. Nous nous trouvons sur le cuirassé Descendant, en orbite d’attente autour de la planète

Vygoire. Voici mon rapport et compte-rendu médical sur l’état du patient. En résumé : il va mal.

À quel point ?

Assez pour qu’il soit peut-être nécessaire de mettre fin à ses jours pour obtenir ce dont nous avons

besoin.

Essayons de ne pas en arriver là. Mais si ça se révèle indispensable…

Et donc, mon rapport. Je vais lui administrer une piqûre qui devrait le rendre lucide assez longtemps

pour qu’il nous raconte ce qui est arrivé. Voilà, ça devrait suffire. Pour l’instant en tout cas.

* * *

On savait que Vygoire ne serait pas notre meilleure amie, alors on y est allé franco. Largage

direct du transport comme dans le manuel, bottes au sol deux par deux à une seconde d’écart, façon

Torche Sept. Au sol, c’était jungle, jungle, et encore un peu de jungle, avec de temps en temps une

clairière ou une mangrove autour d’un coude du fleuve. On s’est regroupé sur une des mangroves et

on a fait envoyer les cartes et statuts météo à jour par le Descendant. Pas trop mal visé : le labo était à

moins d’un kilomètre de jungle du fleuve. « Sergent, c’est l’heure de la leçon, » m’a dit un de mes

rigolos.

Je dois être le seul du peloton à ne pas avoir été lobotomisé. Mes gars passent leur temps à me

le rappeler, comme si je m’étais engagé pour voir ce que c’est de vivre avec des mous du bulbe. Un

jour, sur Mar Sara, je me suis mis à parler Histoire juste pour passer le temps, et l’unité a décidé que

j’étais comme un professeur juste parce qu’il m’est arrivé de lire autre chose qu’un manuel

d’instruction militaire une fois ou deux. Parfois, on dirait des enfants : pourquoi ci, raconte-nous ça,

d’où vient ce truc-là…

Ça ne me gêne pas. Tant qu’ils écoutent quand je donne les ordres. Et, oui, ils écoutent. Ils

sont vingt-sept face à un homme seul, mais chez Torche Sept, tout le monde sait qui est le chef. Le

chef, c’est le sergent Doakes, oui madame.

Mais je n’avais rien à leur apprendre sur Vygoire. Tout ce que j’en savais était dans l’ordre de

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mission qu’on avait tous reçu. Une planète isolée, découverte récemment, envahie par l’Essaim trois

ans auparavant. Nettoyée deux ans plus tard. Abritait actuellement une installation scientifique avec

environ une centaine d’occupants. Désignée comme point d’intérêt parce que le labo en question ne

répondait plus aux messages de routine depuis presque six mois.

On avait des photos orbitales qui ne montraient aucun signe de mucus. Et les satellites avaient

des images plus proches qui indiquaient que le labo avait subi quelques dégâts, mais apparemment de

causes naturelles : les bâtiments étaient au pied d’une colline, et on distinguait une grande balafre

dans la végétation à côté de la partie endommagée. Ça ressemblait aux traces d’un glissement de

terrain, et c’est cette théorie qui avait été retenue.

De près, rien ne venait contredire cette version. Les gravats des murs touchés étaient

mélangés aux rochers et à la terre éboulés du flanc de colline et à des restes de troncs d’arbres. Il

pleuvait beaucoup, et il était assez facile de deviner que les glissements de terrain étaient assez

fréquents dans la jungle de Vygoire.

Le labo était composé de six bâtiments, avec au moins deux niveaux souterrains indiqués par

les plans de l’ordre de mission. Le bâtiment le plus proche de la colline était en ruine. Deux autres

étaient à moitié démolis, mais avaient encore leurs toits. Les trois autres étaient intacts. Le périmètre

était fermé par une clôture avec une porte pour les véhicules côté sud-ouest. Une route à deux voies

menait dans la jungle. Au total, la zone devait couvrir environ un hectare. Près de la porte, il y avait

un petit centre radar avec une tour radio et un lance-missiles.

On a suivi la procédure de reconnaissance standard en milieu urbain, une pièce après l’autre,

un bâtiment après l’autre. J’ai envoyé Milner et Jouvert devant à la tête de petites équipes, pour sauter

de pièce en pièce pendant que les autres avançaient en formation de soutien. Comme on ne savait pas

vraiment ce qu’on cherchait, on est resté groupés. On n’a pas mis longtemps à voir que le labo était

désert, mais seulement depuis peu ; il y avait encore le courant et certaines des tâches automatisées

continuaient à tourner, dans les parties pas démolies en tout cas. Je n’ai aucune idée de ce à quoi ils

travaillaient. On a jeté un coup d’œil aux terminaux principaux et trouvé quelques références à un

projet de recherche. Ça tournait autour d’une plante qui produisait une sorte de spore psychotrope.

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Un peu partout dans le labo, il y avait aussi un graffiti bizarre : deux lignes incurvées qui se

croisaient à environ deux tiers de leurs sommets. Comme des parenthèses tombées l’une sur l’autre.

On le trouvait dessiné sur les bureaux, gravés sur les murs… À un ou deux endroits on aurait dit qu’il

avait été peint avec du sang, mais c’était notre premier passage et on ne s’est pas arrêté pour faire une

vraie analyse.

On a trouvé des restes humains dans deux des bâtiments, près de la colline. On a compté de

quoi reconstituer quatre cadavres, mais sans certitude parce qu’ils étaient éparpillés.

* * *

Écoutez-moi ça. La piqûre en a fait un vrai robot.

Ça reste mieux que ses délires d’avant, non ?

C’est vous le doc, Langridge. Débrouillez-vous pour le maintenir en vie et qu’il continue à

parler. Il y a beaucoup de gens qui attendent le compte-rendu de cette mission avec grand intérêt.

* * *

Du côté nord du labo, une piste menait dans la jungle. On l’a suivie et on a trouvé des traces

de l’invasion zerg sur Vygoire ; il y avait eu une bataille. On distinguait encore des morceaux

d’armure et des épaves de Crotale dans la végétation en train de repousser. On aurait dit que nos

soldats étaient en train de tracer la piste qu’on venait de suivre, et que les Zergs avaient surgi des

arbres de tous les côtés. Je n’ai eu aucun mal à me projeter dans la scène.

Jouvert est parti en éclaireur et a vu que la piste descendait jusqu’à une ravine environ cent

mètres après le site du combat. On s’est replié jusqu’à la zone du labo, près de la porte, et j’ai fait un

rapport rapide au Descendant. Je me suis aussi dit que si le personnel du labo était caché quelque part

sur la planète, il utiliserait sa propre fréquence radio pour communiquer, et j’ai envoyé Hamzi nous

connecter à la tour radio. Et pendant qu’on attendait qu’il ait établi et testé le relais, on a tous relevé

nos visières. Nos Porcs (UPORCI pour les profanes, Unité Portable d’Orientation, de Reconnaissance

et de Cartographie Individuelle) indiquaient un air de qualité satisfaisante et aucun composé ou

micro-organisme dangereux. Vygoire se présentait de mieux en mieux : atmosphère respirable et pas

de Zergs. Et il devait y avoir des tonnes de ressources si une telle jungle pouvait pousser. Je me

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souviens que je me suis dit : Dans une centaine d’années, cette planète deviendra la capitale du

secteur, une fois que les gros industriels auront envoyé des prospecteurs et se seront rendu compte de

ce qu’ils rataient.

« À l’attention du personnel du centre de recherche de Vygoire. Ici le sergent Norwood

Doakes du corps des marines du Dominion. Si vous recevez ce message, veuillez accuser réception. »

Rien. J’ai répété le message, puis attendu un peu.

« Ils sont morts, a dit Milner.

— Et qu’est-ce qui les a tués, alors ? On n’a rien vu de plus gros que mon poing, a répondu Jouvert.

Et les Zergs ont été exterminés depuis plus d’un an. »

J’ai coupé l’appel, et la conversation : « C’est bien pour le découvrir qu’on est là. »

Dans l’ordre de mission, il n’y avait rien qui ait pu laisser penser que la faune de Vygoire

puisse être un problème. C’était un écosystème de niveau permien. Fougères et insectes. Mais quelque

chose était arrivé aux chercheurs… J’ai rapporté nos découvertes au Descendant.

« Cuirassé Descendant. En attente de votre rapport, sergent Doakes.

— Je n’ai pas grand-chose, Descendant. Le laboratoire est désert. Vous confirmez qu’il n’y a pas de

vie avancée sur Vygoire ?

— Affirmatif.

— Et les Zergs ont été éradiqués.

— Affirmatif.

— Et aucune trace de mucus nulle part, vous êtes sûrs ?

— Affirmatif. Vygoire est propre.

— On va poursuivre la reconnaissance, alors. Je reviendrai au rapport quand on aura localisé le

personnel du labo et qu’on aura besoin d’un rapatriement.

— Prenez votre temps, Torche Sept. On quitte temporairement le système pour redéploiement

d’urgence sur une mission d’escorte.

— Et pour combien de temps, Descendant ? On est juste approvisionnés pour une reconnaissance et le

retour.

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— Durée courte. On vous recontactera quand le vaisseau sera de retour dans le système et disponible

pour rapatriement. Profitez bien de vos vacances, Torche Sept. Ici le Descendant, terminé.

— Durée courte, hein, a dit Jouvert une fois que j’ai fermé la com. Vaut sans doute mieux commencer

à construire des maisons. Sergent, vous pouvez vous occuper de l’école. »

* * *

J’ai transmis une version un poil plus formelle de mon rapport de reconnaissance en y

joignant les notes de recherches sur les spores. Nos Porcs ne relevaient rien de dangereux, mais j’ai un

principe : quand on ne sait pas vraiment ce qui est important, on envoie tout.

Comme le personnel du labo ne répondait pas, on est reparti en mode de reconnaissance. Il y

avait un chemin qui descendait la ravine, et on l’a suivi. Au fond, on a trouvé un espace dégagé, avec

au milieu un tronc d’arbre encore debout, portant le symbole aux deux courbes, partout dessus. Ça

devait être un des arbres les plus gros que j’avais vus de ma vie, même si les branches basses avaient

été arrachées et qu’il y avait d’énormes entailles dans le tronc. Tout autour, on voyait des sillons et

des tranchées, comme si un truc absolument énorme s’était amusé à faire des galipettes. Et des petits

bouts de ce qui était manifestement des restes humains.

« Je vous l’ai dit : ils sont morts, dit Milner.

— Quelques-uns en tout cas. » Il y avait eu une centaine de personnes employées au labo. Même s’il

n’y avait pas moyen d’estimer précisément le nombre de cadavres que représentaient les restes qu’on

avait trouvés jusque-là, on était très loin du compte. Mais, bon : quelque chose tuait nos chercheurs.

Dans un coin de mon cerveau, je tenais un relevé tactique du terrain traversé depuis la zone du

labo jusqu’à notre position. J’ai regardé tout autour de moi pour compléter mes impressions. À la

lisière sud de notre clairière, juste derrière une rangée d’arbres, je voyais une étendue d’eau ; ça

ressemblait à un lac un peu important. Le ruisseau qui suivait la ravine se vidait dedans. Les lisières

nord et est donnaient sur des pentes raides et très touffues. Et en remontant la ravine, le labo était à

quelque chose comme un demi-kilomètre à l’ouest-nord-ouest.

Toujours au bord de la clairière, de l’autre côté de la ravine, un nouveau chemin disparaissait

dans l’ombre de la jungle. Il semblait suivre le contour du lac et, d’après la densité des arbres de

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chaque côté, c’était le seul moyen d’arriver à la clairière depuis l’endroit où il menait. C’était une

piste, assez large pour cinq ou six marines en armure CMC de front, et les arbres qui l’encadraient

étaient abîmés ; certains des plus petits étaient déracinés, ou brisés à deux-trois mètres du sol. Des

branches pendaient, cassées, perdant de la sève encore fraîche. J’ai envoyé Chen regarder de plus

près, et en revenant il nous a dit qu’il y avait des empreintes. Énormes. Un quadrupède, d’après lui. Je

me souviens du mot parce qu’il venait à peine de le prononcer quand on a entendu le rugissement.

« Bordel, qu’est-ce que c’est que ça ? » a dit Jouvert. Torche Sept s’est mis en formation de

combat, armes levées, cinq mètres d’espace, tout le branle-bas.

Et il s’est passé quelque chose que je n’ai compris que bien plus tard. Un de mes hommes a

pété les plombs. Il s’est mis à crier des coordonnées qui n’avaient aucun sens, a armé son Gauss et

s’est mis à traverser la clairière en courant en direction du bruit. Il parlait de ses dieux, mais je ne

savais pas desquels.

Je crois aussi qu’il a dit les mots Tout-Puissant, mais à ce moment-là, je ne voyais pas ce que ça

pouvait vouloir dire.

Et je n’ai pas eu le temps de me poser la question parce que c’est à ce moment-là que l’ultralisk

a jailli de la jungle et a atterri droit au milieu de notre formation.

Si vous n’avez jamais vu un ultralisk… C’est plus gros qu’un char. Et plus bruyant, aussi. Plus

rapide. Ça fait quatre fois la hauteur d’un marine en armure complète, et c’est assez long pour que,

dans la jungle, vous soyez déjà en train d’en combattre la tête avant d’avoir vu la queue sortir des

arbres. Là où seraient les ailes sur un dragon, ça porte deux paires de lames qu’on appelle des lames

Kaiser. Je ne sais pas d’où vient le nom, mais je les ai déjà vues en action. Elles vous découpent une

armure de marine comme si c’était du beurre. Et vous pouvez lui décharger votre C-14 dessus jusqu’à

ce que le canon fonde, vous ne ferez que le mettre en colère. Le mettre encore plus en colère, en fait.

Les ultralisks sont déjà en colère. Tout le temps. Le matin, ils se lèvent affamés et en colère, et le soir,

ils se couchent pareil. Quand ils ont terminé de vous couper en morceaux, ils piétinent vos bouts de

membre avant que vous n’ayez fini de mourir.

C’était la première fois que j’en voyais un. J’avais fait les simulations, j’avais lu les dossiers,

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mais rien qui leur rende vraiment justice. En voyant un ultralisk, la première pensée qui vous vient à

l’esprit est : Jamais je pourrai tuer ce truc.

On a balancé tout ce qu’on avait et ça ne l’a même pas ralenti. En tirant, je criais des ordres

pour que Torche Sept utilise les abris disponibles, et j’essayais de trouver comment on pouvait

combattre un monstre pareil avec des armes légères en terrain ouvert. La bonne réponse est : on ne

peut pas.

Singh a perdu ses jambes puis sa tête avant même que l’ultralisk soit complètement sorti dans la

clairière. Ensuite ça a été au tour de Morrison, qui s’est retrouvé empalé au bout d’une lame et

balancé dans les fougères, avec des bouts de lui qui tombaient par le trou percé dans son armure. Là,

je n’ai plus réussi à suivre en détail. Torche Sept a subi trente pour cent de pertes avant que

l’entraînement reprenne le dessus et qu’ils prennent la seule formation un peu logique dans cette

situation : tir de couverture et on dégage le plus vite possible. On est remonté dans la ravine jusqu’à

ce qu’elle redevienne trop étroite pour l’ultralisk. Il s’est arrêté, et on a continué à tirer. Quelques

projectiles ont trouvé une articulation ou un défaut dans sa cuirasse et on a pu le blesser un peu.

Il a reculé jusqu’à la clairière en rugissant par-dessus le vacarme de nos C-14, et s’est retourné

lourdement pour repartir d’où il était arrivé. C’est là que j’ai vu que Twohy, dont la crise nous avait

mis dans ce pétrin, était bloqué sous un tronc d’arbre que l’ultralisk avait renversé en chargeant. Le

monstre ne l’a même pas vu, mais l’a aplati en lui marchant dessus au passage. J’ai vu la moitié de

mon soldat gicler de sous sa patte comme le ketchup d’une ration percée et maculer la terre remuée

d’une gerbe rouge et rosâtre.

À ce moment, j’ai compris le graffiti. C’était un avertissement ; en tout cas, c’est ce qu’on a

pensé sur le moment. Les deux lignes courbes étaient des lames Kaiser.

Sur mon communicateur, c’était la cacophonie. Tout le monde jacassait et, derrière, je

ressentais un étrange grondement, une colère noire, aveugle et insatiable. J’ai connu beaucoup de

batailles et massacré plein de trucs, mais jamais de ma vie je n’avais ressenti une telle envie de tuer

juste pour le principe de tuer. Tu vois ce que je veux dire, hein, Véra ? Tu y étais. Je sais bien que tu

dis que ça ne t’a pas touchée, mais ça ne peut pas être vrai. C’est partout, personne ne peut…

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* * *

Il recommence à délirer. Il est trop tôt pour une nouvelle piqûre ?

Vous en savez plus que nous sur les spores. À vous de nous dire.

Je n’en sais pas tellement plus. Ça ne devrait pas lui faire trop de mal. C’est un marine.

Oui, mais pas non plus un des bouchers décérébrés auxquels on a habituellement affaire.

C’est un marine. Allez-y.

* * *

Hein ?

Alors on pensait être en mission de sauvetage. On s’est regroupé, on a fait ce qu’on a pu pour

les blessés, et on a demandé une évac pour les morts.

La demande de rapatriement a été refusée malgré le fait que le Descendant était déjà en

approche du système. La réponse était que le vaisseau n’était pas équipé pour manœuvrer en

atmosphère et que les transports ne se poseraient pas avant que l’ultralisk soit ou éliminé, ou parti en

balade de l’autre côté de la planète. « Un ultra est capable de couper n’importe quel transport en deux,

m’a gravement expliqué l’officier com. Revenez au rapport quand vous l’aurez tué. »

Oh merde. Des années d’entraînement et une puissante analyse tactique condensées en deux

mots.

Que j’ai répétés tout haut quand on a été attaqué à nouveau.

Mais cette fois, ce n’était pas l’ultralisk. Des lances ont commencé à pleuvoir d’entre les

arbres, et ça m’a presque autant surpris que l’ultralisk. Qui s’amuserait à utiliser des lances contre des

marines en armure CMC ? Tout ce qu’elles pouvaient nous faire, c’était nous casser un peu les

oreilles en rebondissant sur nos casques. On a lancé un tir de couverture, puis j’ai envoyé quatre de

mes gars s’occuper des indigènes qui nous avaient confondus avec des cibles de foire.

Ils sont revenus avec trois humains vêtus de haillons qui avaient jadis été des blouses de

laboratoire. Deux hommes et une femme. Les trois déliraient sur un certain Tout-Puissant, et il était

assez facile de comprendre à quoi ils faisaient allusion. Mais les deux hommes avaient aussi peur d’un

certain professeur.

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Et qui donc était ce professeur ?

« Van Rijn ! » a crié l’un des deux. Il était complètement timbré ; il écumait, et les veines de

ses tempes avaient l’air prêtes à exploser. Il s’était mordu la langue quand les marines l’avaient

ramené, et j’avais presque envie de l’abattre juste pour qu’il se taise. Mais je ne veux pas donner ce

genre d’exemple à mes hommes. Je veux dire, ils ont beau être à moitié lobotomisés, ce ne sont pas

des animaux. Pas la plupart du temps, en tout cas.

« Qui est Van Rijn ?

— Le professeur ! On doit rentrer pour pouvoir être les prochains !

— Les prochains à quoi ?

— Pour le Tout-Puissant ! » a crié l’homme, postillonnant du sang partout. J’avais levé ma visière

pour l’interroger, et je l’ai vivement regretté.

J 'ai reculé d’un pas. « Vous travailliez au labo ? Avec le professeur ? »

Un de mes sous-officiers, le caporal Blodgett, est intervenu. « D’après nos infos, Gerhardt Van

Rijn était le directeur du labo. Et puis, sergent, qu’est-ce que vous faites de Twohy ?

— Comment ça ?

— Ben, il s’est mis à courir en hurlant… »

J’ai vu où il voulait en venir. Twohy était devenu cinglé et s’était jeté droit vers les lames de

l’ultralisk, et on avait devant nous trois rats de laboratoire qui avaient l’air de vouloir faire la même

chose, si c’était ce qu’ils voulaient dire par « être les prochains pour le Tout-Puissant ».

Il y avait manifestement quelque chose qui ne tournait pas rond.

« Emmenez-nous. On veut le rencontrer, » leur ai-je dit.

La femme, qui n’avait pas encore dit le moindre mot, s’est soudain adressée à moi. « Attendez.

C’est vous le chef ?

— C’est lui le chef, a répondu Blodgett. »

Elle a commencé à s’avancer vers moi, mais s’est arrêtée quand six C-14 se sont retrouvés

pointés droit sur elle. « Il faut que je vous parle.

— Allez-y, ai-je dit.

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— Je – mais juste tous les deux. » Elle avait l’air terrifiée, mais pas par moi. « Je vous en prie. »

Quelques hommes ont ricané. Je savais ce qu’ils avaient en tête, mais je n’ai pas pris la peine

d’y répondre. « Par là. » Je l’ai menée à l’écart. « Bon. Je vous écoute.

— Je m’appelle Véra Langridge.

— D’accord, Véra Langridge.

— J’étais une des directrices de recherche de la station. On analysait les effets secondaires du mucus

zerg sur un écosystème.

— Très bien.

— Et on a découvert les spores. »

Il m’a fallu une seconde pour percuter. « Les spores qui sont mentionnées dans les rapports de

recherche ?

— Vous les avez vus ?

— On a fouillé le labo avant de venir ici. Et donc, ces spores ? »

Véra s’est retournée vers ses deux copains, toujours entourés de marines et en train de divaguer

qu’ils devaient retourner voir le professeur pour être les prochains. « Mais vous ne comprenez pas ! »

a dit l’un d’entre eux à un marine, qui avait l’air de s’en cogner pas mal de comprendre.

« Moi, je suis immunisée.

— Immunisée ? » Le mot a déclenché toute une série d’associations dans mon esprit. « Qu’est-ce

qu’elles font ?

— Je suis encore en train d’essayer de comprendre, mais… Oh, non. Vous et vos hommes. Vous avez

les visières levées depuis que vous êtes arrivés ici ? »

J’ai réfléchi une seconde. « Oui.

— Alors vous êtes tous contaminés. »

* * *

Et vous aussi, sans doute, docteur.

Non. Mon immunité tient le coup, pour l’instant. Je me teste toutes les heures.

Ça ne va pas empêcher le commandement de tous nous mettre en quarantaine en attendant

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une analyse complète. Et peut-être même après, selon les résultats.

Ce serait prudent. On a Doakes comme sujet affecté par les spores, et moi comme sujet

immunisé. Tant qu’on ne sait pas pourquoi, je nous mettrais tous en quarantaine aussi.

Alors dépêchez-vous de trouver pourquoi.

* * *

Il n’y a pas un mot de notre langue que je déteste plus que contaminé. « Contaminés par

quoi ? lui ai-je crié dessus.

— C’est juste un terme technique. Il n’y a pas forcément de grande signification.

— Mort est aussi un terme technique. Et qui a une signification. Alors votre putain de spore, d’où elle

vient et qu’est-ce qu’elle fait ? » Je repensais à la sensation bizarre que j’avais ressentie à la fin du

combat, comme une hallucination, mais plus intense. On aurait dit une porte ouverte vers une

conscience tellement étrangère qu’on ne pouvait même pas vraiment la qualifier de conscience… Est-

ce que c’était l’effet des spores ? J’étais déjà contaminé ? Je le sentais encore un peu, comme si un

nouvel espace s’était ouvert dans mon esprit, mais habité par quelque chose d’autre que moi. Voilà

qui donnait une toute autre tournure à cette mission.

« Je n’en suis pas sûre, a-t-elle répondu.

— Sergent. » C’était Haddawy. J’ai détourné les yeux de Véra et j’ai vu que pendant que j’apprenais

qu’on avait tous été contaminé par des spores, le personnel du labo avait débarqué. Ils formaient un

groupe hétéroclite, tous vêtus d’une version plus ou moins reconnaissable de la blouse de labo que

portaient Véra et les deux autres. Au centre du groupe se tenait la seule exception : un homme grand,

avec plus de poils sur le visage que sur le haut du crâne. Sa blouse était en presque intacte. Et il s’était

gravé le symbole aux deux courbes sur le front. La cicatrice était posée sur ses rides, rose et gonflée,

comme s’il avait frotté quelque chose sur la blessure pour être sûr qu’elle ne se referme pas

correctement.

« Je suis Gerhardt Van Rijn. Vous n’êtes pas les bienvenus ici. Veuillez quitter Vygoire sur le

champ.

— Dès qu’on aura ce qu’on est venu chercher, ai-je répondu.

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— Et c’est… ?

— Vous. Et les autres.

— C’est impossible. Nous appartenons au Tout-Puissant, désormais. Veuillez libérer mes trois –

— Non. Si vous ne voulez pas nous suivre, comme vous voulez. Mais j’ai des blessés, et je vais les

emmener en terrain élevé et dégager d’ici avant que l’ultralisk revienne. Si vous voulez lui servir de

petit-déjeuner, ne vous gênez pas pour moi.

— Vous ne comprenez pas ! C’est le Tout-Puissant qui est ici pour nous, pas nous pour lui. Un par un,

nous devenons une partie de lui, selon les mérites de chacun d’entre nous. » Van Rijn posa la main sur

sa poitrine, doigts écartés. « Pour ce qui est de moi, je ne rejoindrai le Tout-Puissant qu’une fois que

tous mes enfants auront accompli leur voyage, bien sûr.

— Il est cinglé, ce type, » a dit Haddawy assez fort pour tout le monde. J’ai levé la main pour le faire

taire, mais Van Rijn avait entendu.

« Vous comprendrez bientôt. Vous rencontrerez le Tout-Puissant.

— Non ! se sont mis à crier certains des chercheurs. Pas lui avant nous !

— Patience, mes enfants, a répondu Van Rijn en ricanant. Le Tout-Puissant reviendra bientôt. Il doit

lui aussi entreprendre sa propre communion. »

Je venais de comprendre qu’il disait que l’ultralisk était lui aussi contaminé par les spores,

quand la créature est ressortie de la jungle.

Je ne sais toujours pas s’il les mangeait vraiment. D’après nos dossiers de formation, l’Essaim

avait créé l’ultralisk à partir du brontolithe, un animal végétarien. Mais je l’ai vu avaler des morceaux

de mes marines ; c’était peut-être par accident, mais je ne crois pas. Et je ne crois pas non plus que le

Tout-Puissant était disposé à se contenter de digérer ses adorateurs un par un. Ce qu’il voulait, c’était

le buffet entier à volonté, et quand il a surgi d’entre les arbres, il a bien failli l’avoir.

Les chercheurs, ou fanatiques, ou appelez-les comme vous voulez, ont détalé comme des lapins.

Torche Sept s’est mis en action comme un seul homme, tirant, prenant position et, il faut bien le dire,

détalant aussi comme des lapins, jusque dans les fourrés.

Cette fois, l’ultralisk nous a poursuivis, les chercheurs et nous. Ses lames fendaient la jungle, et

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il a abattu des arbres et buissons par rangées entières en fonçant sur les fanatiques. Il en a attrapé un et

s’est arrêté pour le mettre en plus de morceaux que je n’ai réussi à en compter. L’air n’était plus

qu’une tornade de feuilles et de sang, et des fleurs arrachées volaient en captant la lumière qui

descendait de la canopée. On a retenu nos tirs pour ne pas toucher les chercheurs, mais si c’était à

refaire, je les abattrais sans hésiter une seconde.

Sa nouvelle victime, ou repas, ou… communion ? n’a pas suffi à arrêter l’ultralisk. En relevant

la tête, il a vu ou senti les deux chercheurs, ceux qu’on avait capturé, qui se disputaient pour le droit

de se faire égorger et n’avaient pas bougé de l’endroit où on les avait laissés. Il leur a donné

satisfaction à tous les deux : ses lames les ont transpercés en un vif aller-retour. Certains bouts sont

restés accrochés à des aspérités de sa carapace.

Et, coup d’horreur, j’ai senti mon esprit se brouiller à nouveau, comme si j’avais des voix dans

la tête… et au même moment, l’ultralisk s’est mis à secouer la tête. Pas comme s’il voulait frapper

quelque chose, mais comme s’il essayait de s’éclaircir les idées.

Les chercheurs s’étaient tous immobilisés. Certains sanglotaient, d’autres étaient tombés à

genoux. La voix de leur gourou s’est élevée par-dessus le vacarme.

« Non, non, non ! criait Van Rijn. Un par un !

— Torche Sept, ai-je appelé sur le canal ouvert. Pendant que l’ultra mange son quatre-heures, on

dégage d’ici. Repliez-vous au laboratoire, au pas de charge. »

Il n’était pas facile de formuler des phrases par-dessus le chaos de voix qui résonnait dans ma

tête et cette sensation étrange d’être en train de vivre des choses irréelles. J’ai eu un goût de sang dans

la bouche alors que je n’avais pas été blessé. Je n’ai pas eu le temps d’y réfléchir sur le moment parce

que j’étais en train de courir comme un dératé à travers la jungle, mais si j’y repense maintenant,

c’était comme si… Hum, attendez. Je sens que ça revient.

* * *

Non, non. Pas de nouvelle piqûre. Il faut observer ce qui va se passer.

Mais il divague.

Non, commandant. Il communie. C’est l’effet de la spore.

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Il communie avec quoi ?

Avec rien pour l’instant, parce qu’il n’a rien avec quoi le faire. Il est en quarantaine. C’est

pour ça qu’il est délirant.

Vous voulez dire que s’il y avait quelqu’un d’autre de contaminé par les spores… ?

Oui. Y compris, comme il le disait, l’ultralisk lui-même. Et par extension, les autres Zergs.

Vous voyez pourquoi c’est si important ?

* * *

Unité au rapport. Au… rapport. Ici le sergent Norwood Doakes de l’unité de marines des

Torche Sept, au rapport depuis le Tout-Puissant… Hein ?

Quoi ?

Ah, oui. Le labo. On s’est replié au laboratoire et on a passé les effectifs en revue une fois

retranchés loin dans un niveau souterrain.

Un groupe de chercheurs est entré dans le bâtiment. Ils avançaient les uns après les autres,

synchronisés, comme dans une procession. Van Rijn était en tête du cortège. Aucun n’avait l’air

d’avoir échappé à la mort dans les griffes d’un monstre zerg quelques instants auparavant à peine. Ils

étaient calmes et avançaient à l’unisson. J’ai repensé à ce qu’avait dit Véra sur une communion.

« Qu’est-ce que vous avez fait à cet ultralisk ?

— Moi, altérer le Tout-Puissant ? a demandé Van Rijn d’un ton moqueur. Ce serait impossible. Le

Tout-Puissant est ce qu’il est, et nous souhaitons ne faire qu’un avec lui. Quand nous le rejoignons,

nous ressentons la communion. Mais elle ne doit être consommée que par une personne, car si deux

ou plus se donnent au Tout-Puissant en même temps, les sensations sont brouillées. L’expérience

n’est plus pure. » Il m’a souri comme si j’étais un enfant qui venait de comprendre une leçon.

« Comme vous venez de le découvrir.

— Comment savez-vous ? »

Il s’est tapoté la tempe du doigt. « Je l’ai senti, tout comme vous. » Puis il a changé d’attitude,

est devenu sévère et hautain. « Votre présence a contrarié le Tout-Puissant. Sa faim est devenue

intempérante. »

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J’avais vraiment envie de le descendre. Mais j’ai dit : « Je ne pense pas que les ultralisks soient

connus pour leur appétit délicat. Ils naissent intempérants, et après ça ne fait qu’empirer. »

Il m’a regardé en reniflant. « C’est ce que vous pensez, parce que votre première expérience

était si désordonnée. C’est de votre faute, mais on ne peut pas vous reprocher de penser ainsi. Mais

nous, a-t-il dit en désignant ses fidèles d’un grand geste, nous comprenons la pureté de la communion.

Et les deux lunes sont sur le point d’être réunies. Nous repartons donc en quête du Tout-Puissant. »

Sans un mot de plus, ils sont repartis comme ils étaient arrivés.

« Véra. Deux lunes réunies ?

— Vous avez dû remarquer que Vygoire a deux satellites. » J’avais bien remarqué, mais ça ne m’avait

pas paru sortir de l’ordinaire. « L’une des deux est sur une orbite plus rapide que l’autre, et tous les

vingt-trois jours, on a l’impression qu’elles se chevauchent. C’est à ce moment-là que Van Rijn

commence sa cérémonie. »

Rien qui sortait de l’ordinaire effectivement, sauf pour ceux qui abusaient des spores. « Et ça,

c’est aujourd’hui ? »

Elle hocha la tête. « Oui. Enfin, ce soir. »

J’avais du mal à croire que l’ultralisk restait tranquille dans son coin en attendant que les vingt-

trois jours passent. « Et le reste du temps, qu’est-ce qu’ils font ?

— Ils se cachent. » Et avec un frisson, elle ajouta : « Tous ensemble, très proches. Apparemment, les

spores affectent les zones du cerveau qui prédisposent les êtres humains aux comportements rituels.

— Il y a des endroits du cerveau qui font ça ? a demandé Haddawy.

— Vous ne soupçonnez pas, a répondu Véra. Les spores agissent dessus, et, combiné aux liens qu’ils

créent entre les esprits… c’est imprévisible, mais extrêmement puissant.

— Assez. Ça suffit. Et on est censé sauver ces abrutis ? s’est énervé Jouvert. Mais ils ne veulent pas

qu’on les sauve. Là, normalement, sergent, c’est le moment où on appelle les transports et où on

regarde les ogives pleuvoir depuis le vaisseau. Hein ?

— Pas encore. On n’aura pas d’évac tant qu’il y aura un ultralisk dans le coin. Le Descendant ne peut

pas venir en atmosphère. Vous voulez vraiment vous fier à sa précision depuis l’orbite ? Ça nous fera

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une belle jambe qu’ils bombardent l’ultralisk s’ils nous rôtissent avec. »

Il y a eu un bref silence, le temps que les marines encore vivants de Torche Sept fassent tourner

leurs petits engrenages et arrivent à la conclusion que j’attendais. « Donc si on ne descend pas

l’ultralisk, on est coincés ici, a dit Iger.

— C’est à peu près ça, les gars, ai-je répondu.

— Eh ben. Quelle merde. » Ça, c’était Haddawy.

* * *

Voilà, j’ai ce que je voulais. Un témoignage direct. Combien de temps peut-on encore

attendre ?

Le temps qu’il faudra. Ça pourrait tout changer. Tout.

Si vous voulez mon avis, il faudrait vitrifier la planète. Chercheurs ou pas, quarantaine ou

pas.

N’y pensez même pas. C’est une chance beaucoup trop belle. Un organisme non-zerg mais

capable de contrôler les Zergs. Vous saisissez les implications ? Sans parler des applications

tactiques et de Dieu sait quoi d’autre.

Très bien, professeur Langridge. Mais si vous voulez que je présente ça au commandement, il

me faut la fin du rapport de Doakes, et vite.

Compris. Mais les stimulants normaux ne suffisent plus. Il va falloir se rabattre sur du

bizarre. De l’expérimental.

Essayez tout ce qu’il faut. Tant que ça marche.

* * *

« Bon alors, voilà le plan. »

Je savais qu’un centre comme ça aurait des réservoirs de vespène comprimé comme source

d’énergie. Et que certains de mes marines étaient de bons mécaniciens, quoi qu’aient été leurs torts

sociétaux et criminels. Alors j’ai décidé qu’on allait transformer ces réservoirs en bombe, les installer

à l’endroit du goulot d’étranglement en bas du chemin en pierre là où il remontait vers la ravine, et

faire tomber toute la putain de colline sur l’ultralisk la prochaine fois qu’il essaierait de nous

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poursuivre depuis la clairière.

Il nous a fallu moins de deux heures pour sortir les réservoirs et les bidouiller avec deux

grenades et un Porc reconfiguré en détonateur à distance. Puis on s’est mis en route, et une équipe a

placé les réservoirs à la sortie de la ravine, sous un surplomb en pierre marqué du glyphe aux lames

Kaiser. Si la bombe et l’éboulement ne tuaient pas l’ultralisk, au moins il aurait besoin d’escalader

pour nous poursuivre au lieu de pouvoir charger en terrain plat. Le seul problème, c’était Van Rijn.

Lui et ses « enfants » n’ont pas arrêté de nous mettre des bâtons dans les roues. Ils se sont allongés par

terre devant la ravine et ont essayé de former des chaînes humaines. On n’avait pas trop de mal à les

dégager du chemin, mais j’ai dû refuser quelque chose comme un million de demandes de permission

officielle de tous les descendre pour qu’on puisse finir de se préparer à tuer l’ultralisk.

« Ô Tout-Puissant, entonnaient-ils, ô Tout-Puissant, nous venons à toi. »

Mais l’ultralisk ne montrait pas le bout de son nez. « Où est-ce qu’il va, quand il n’est pas là ?

s’est demandé Haddawy.

— Qu’est-ce qu’on s’en fout ? » a grogné Jouvert.

C’était un bon résumé.

Aucun de mes marines n’avait ouvert sa visière une fois depuis qu’on avait appris l’effet des

spores. On voyait ce qu’une exposition prolongée avait fait aux chercheurs. J’ai demandé à Véra.

« Une exposition répétée peut intensifier les effets, ou pas, m’a-t-elle répondu. Je n’ai pas eu le temps

d’étudier cet aspect. »

Il y avait aussi qu’ils voulaient la récupérer. Van Rijn, en tout cas. Il la fixait depuis le milieu

du groupe de chercheurs, après que j’ai détaché quatre marines pour les dégager du chemin et les

empêcher de revenir. Dans ses yeux, on lisait à la fois de la concupiscence, de la déception et de la

curiosité. Pas étonnant qu’elle n’ait pas été pressée d’y retourner.

« Tout est en place, m’a signalé Haddawy. Il ne nous manque plus qu’un ultralisk.

— À moi de jouer, » ai-je répondu.

Mon idée était que si l’ultralisk était habitué à trouver quelqu’un attaché au tronc après la

cérémonie mitonnée par Van Rijn, alors il le sentirait venir. À cause des spores. Peut-être même qu’il

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était réglé sur leur numéro et qu’il l’anticipait de manière pavlovienne. Donc, je descendrais dans la

clairière, il débarquerait, et je détalerais dans la ravine. « Vous êtes pas obligé d’y aller vous-même,

sergent, m’a dit Jouvert.

— Je refuse de désigner quelqu’un à ma place. Je vais y aller. »

Et j’y suis allé. Je suis descendu seul, j’ai marché jusqu’au centre de la clairière, au milieu des

cadavres et morceaux de mes soldats morts, et j’ai posé une main sur le tronc d’arbre. Puis j’ai

attendu. J’entendais les chercheurs crier et psalmodier tout en haut, et je me suis pris à regretter qu’on

ne les ait pas tous fusillés. En levant les yeux au ciel, j’ai vu les deux lunes qui se frôlaient.

Je n’ai pas attendu bien longtemps. Ça a d’abord été une sensation, puis une montée

d’adrénaline, suivie par cet éclair psychologique qu’on ressent quand on a pris le dessus et qu’on sait

qu’on va porter le coup de grâce. Mon cœur s’est affolé et je me suis mis à suer. J’ai failli ouvrir ma

visière mais j’ai tout juste réussi à me retenir.

Je l’ai entendu rugir avant de le voir. J’ai senti l’impact de ses foulées dans les semelles de ma

CMC. Mais je suis resté. En partie parce que je savais qu’il fallait qu’il me poursuive, mais aussi

parce que j’étais pris dans la communion. J’entendais les incantations des cinglés de Van Rijn dans un

coin de mon esprit, et le rugissement de l’ultralisk a vibré en moi comme l’appel d’un dieu.

Puis il a surgi de la jungle, et je me suis réveillé très vite.

Et j’ai aussi couru très vite. En passant au niveau de la bombe au vespène, j’ai lancé : « Faites

péter dans dix secondes ! Je répète, dix secondes ! » Puis j’ai patiné dans les graviers, pataugé une

seconde dans le petit ruisseau qui descendait de la ravine, et établi un nouveau record intergalactique

du cent mètres en armure de marine.

J’avais eu pas mal d’avance au début de ma fuite mais, maintenant, l’ultralisk m’avait assez

rattrapé pour que, si j’avais ralenti pour regarder par-dessus mon épaule, ça ait été la dernière

mauvaise idée de ma vie. J’aurais juré sentir son souffle sur ma nuque, mais ça devait être l’effet des

spores. Mes hommes ont commencé à tirer depuis leurs positions à l’entrée de la ravine. Je les avais

postés loin en arrière pour qu’ils ne soient pas pris dans un éboulement au moment de l’explosion. Les

projectiles de C-14 gardent une bonne vitesse même à quelques centaines de mètres, et j’entendais les

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impacts contre la carapace du monstre.

Et vous savez le pire ? J’avais aussi à moitié envie de m’arrêter. J’entendais toujours les voix

qui chantaient Tout-Puissant, Tout-Puissant, Tout-Puissant… et je voulais communier.

Mais l’onde de choc de l’explosion a balayé cette envie, avant de me balayer moi et de me jeter

face contre terre, assez brutalement pour faire voler quelques éclats de ma visière. Je me suis relevé en

vitesse et je me suis remis à courir jusqu’à ce qu’il arrête de pleuvoir des cailloux et des morceaux

d’arbres tout autour de moi. Alors seulement je me suis retourné et j’ai vu un grand nuage de fumée

monter de la ravine en tourbillonnant jusqu’à boucher toute la vue. « Torche Sept, votre rapport. Qui a

un visuel ?

— Là ? m’a répondu Haddawy. Personne. Attendez, je – oui, à l’infrarouge j’ai des signatures

thermiques qui diminuent mais c’est sans doute juste des rochers chauffés par l’explosion en train de

refroidir.

— Soldat, l’ultralisk ! Les cailloux ne m’intéressent pas.

— Je sais, sergent. Alors. L’ultralisk… Je ne sais pas. Je ne le vois pas. Mais les Zergs n’ont pas

toujours de très bonnes signatures thermiques. »

J’ai fini par m’apercevoir qu’il s’était mis à pleuvoir, et la fumée s’envolait sous la brise qui

accompagnait le front nuageux. « Restez en position, » ai-je ordonné à mon unité, et j’ai fait de même,

les yeux rivés en bas en attendant que la fumée se dissipe.

L’explosion avait désagrégé tout le fond de la ravine. Si on n’avait pas eu nos visières en place,

elle nous aurait éclaté les tympans, même à trois cents mètres, et les dernières répercussions

s’estompaient tandis que la pluie achevait de dissiper la fumée. Je ne voyais pas l’ultralisk ; pas le

moindre mouvement.

J’ai rejoint les survivants de Torche Sept à leurs positions juste au-dessus de l’entrée de la

ravine. De là, on ne voyait pas l’endroit où avait explosé la bombe. « Jouvert. Allez jeter un œil. »

Jouvert est parti vers la première corniche sur la droite. Il a testé les rochers pour vérifier qu’ils

n’avaient pas été fragilisés par l’explosion, puis s’est avancé dessus. Je l’ai vu faire des relevés sur

plusieurs plages de longueurs d’onde. C’était un bon éclaireur.

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Il y a eu un grondement au fond du ravin, le bruit des pierres qui finissaient de rouler suite à

l’explosion.

Puis Jouvert a lâché son détecteur et s’est mis à courir.

Suivi de près par l’ultralisk.

On a ouvert le feu quand il a chargé par-dessus le rebord de la ravine et a découpé Jouvert en

morceaux avec un double aller-retour de ses lames. Les projectiles de C-14 ont commencé à lui

pilonner la tête et les pattes antérieures avant que les membres de mon soldat aient eu le temps de

tomber au sol.

Les quatre gardes qui veillaient sur les chercheurs ont décidé que tirer sur le monstre géant était

plus important que faire du baby-sitting, et les fanatiques en ont profité. En criant « Tout-Puissant ! »

ils se sont mis à courir vers l’ultralisk. Et ils sont morts. En beauté.

Au beau milieu de la scène, j’ai reçu l’appel : « Torche Sept, avis de rapatriement. Rendez-vous

au point de largage immédiatement.

— On est en combat, » ai-je répondu. Ce n’était pas le même officier com que la fois précédente.

J’aurais pu demander pourquoi on recevait cet appel alors qu’on nous avait bien dit que non, mais ce

genre de conversation n’allait jamais nulle part avec les officiers de bord. « On ira au point

d’extraction dès que possible. » On n’était qu’à environ un kilomètre.

« Torche Sept, quelle est la nature de l’agression ?

— Ultralisk.

— Torche Sept, veuillez répéter ?

— J’ai dit un putain d’ultralisk, Descendant ! Le même putain d’ultralisk que j’ai signalé la dernière

fois ! Vous aviez dit que Vygoire était dégagée, mais j’ai des marines qui se font découper en

morceaux ! »

L’officier com a ignoré ma dernière phrase. C’est leur métier ; ils le font bien. « Quel est le

statut du personnel du laboratoire ? »

L’ultralisk avait fini de nous rattraper et était sur nous. Je voyais que l’explosion et la pluie de

pierres l’avaient amoché ; un fluide s’écoulait par plusieurs déchirures dans sa carapace, et son

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postérieur gauche était manifestement cassé. « Concentrez vos tirs sur la jambe arrière gauche !

— Pardon, Torche Sept ? »

« C’est pas à vous que je parlais, Descendant. » Je me suis mis à tirer sur l’ultra, et après tout

ce que j’avais déjà traversé, c’est à ce moment que je l’ai laissé approcher trop près. Il s’est cabré

devant un groupe des « enfants » de Van Rijn, puis s’est mis à les déchiqueter. Ils l’accueillaient à

bras ouverts. Partout sur le champ de bataille, on entendait résonner « Ô, Tout-Puissant ! », et dans ma

tête aussi. Je l’ai même entendu sur le canal radio : quelques marines le psalmodiaient tout en tirant.

J’étais couvert de morceaux des fanatiques. J’ai aperçu Véra au bord de la zone ; je me souviens

qu’elle se tenait à l’écart, assez près du labo pour pouvoir courir à l’abri si nécessaire, mais assez près

du combat aussi pour suivre ce qui se passait. Elle observait.

Elle étudiait la communion.

« Le rapatriement ne peut pas avoir lieu avec un ultralisk dans la zone, Torche Sept.

Opération annulée. »

Là-dessus au moins il était d’accord avec le type précédent. Et je n’ai pas eu le temps de

rouspéter, parce qu’un coup du revers d’une des lames m’a envoyé par terre en entaillant le côté de

ma cuirasse assez fort pour me casser plusieurs côtes. J’ai roulé de côté et l’immense patte de

l’ultralisk s’est abattue au sol à côté de ma tête en faisait gicler du sang et de la boue plein ma visière.

Je crois qu’il n’a pas été loin de m’aplatir le cerveau comme il l’avait fait à Twohy.

Puis il a chargé par-dessus moi. Au passage, j’ai enfoncé mon C-14 dans le creux caché

derrière son antérieur gauche et j’ai lâché une longue rafale. Il y a eu une gerbe de fluide qui a tapissé

tous les coins de ma visière qui n’étaient pas encore couverts de boue. Je n’y voyais plus rien, mais je

l’entendais. J’entendais sa fureur, sa douleur. Son élan m’a arraché mon fusil et il a continué sa charge

en se taillant un chemin au milieu de mes hommes pour foncer sur les fanatiques. Eux aussi, je les ai

entendus dans mon esprit. Mourir.

Je me suis relevé et j’ai essuyé ma visière juste à temps pour le voir arriver sur son adorateur

le plus dévoué. « TOUT-PUISSANT ! » a crié Van Rijn, un cri long et puissant, et je suis prêt à jurer

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que sa voix résonnait encore même après que l’ultralisk ait découpé son corps en huit ou dix

morceaux en traçant un X avec ses deux lames. Elles ont frotté l’une contre l’autre en traversant le

torse, et le bruit m’a fait mal aux dents même à travers les filtres des capteurs sonores de ma CMC.

Les fanatiques se jetaient sur l’ultralisk comme des adolescents sur le dernier holo à la mode.

Ils lui sautaient dessus, s’accrochaient à lui et se lançaient sous ses pieds. Il les massacrait aussi vite

que possible, mais les derniers soldats de Torche Sept continuaient à tirer. Ils se foutaient bien de

toucher les chercheurs, à présent, et balançaient tout ce qu’ils avaient.

Et pendant tout ce temps, la pilote en chef des transports me jacassait à l’oreille. « Torche

Sept, rendez-vous au point d’extraction sur le champ. Je répète, rapatriement sur le champ. Le

Descendant demande un rapport sur le personnel du laboratoire. »

Je me suis levé et j’ai ramassé mon C-14. Il dégoulinait de sang violacé. Je n’étais pas sûr

qu’il tirerait encore.

Mais l’ultralisk était en train de mourir.

Et j’avais l’impression de l’être aussi. Tout semblait baigner dans une aura multicolore. J’en

avais les larmes aux yeux. J’ai baissé les yeux sur mon propre corps, et je me suis aperçu que je

n’étais plus sur mes deux jambes. Le monde s’est mis à tourner, et j’ai perçu la conscience de

l’ultralisk, qui agonisait et luttait pour rester en vie à la simple force de sa colère. Je crois que j’ai dit

quelque chose à la radio, et je sais que la pilote continuait à me parler. J’ai entendu sa voix qui se

mêlait aux pensées de l’ultralisk. Son… esprit n’est pas le bon. J’ai ressenti sa présence dans ma tête.

J’ai regardé mon corps à nouveau et j’ai remarqué qu’une de mes jambes pointait dans le

mauvais sens. L’armure était déformée à l’endroit du genou. Les griffes de l’ultra, chacune aussi

grosse qu’un de mes poignets, avaient tracé un motif tordu sur le métal. « Tu m’as marché dessus, »

lui ai-je dit.

Mais il n’a pas répondu. Il était trop occupé à mourir. Je suis tombé sur le flanc et j’ai tapoté

mon Porc. « Torche Sept, » ai-je appelé. Enfin je crois. « Torche Sept demande communion. »

Je voulais dire extraction. Mais les dernières… pensées ?... du Tout-Puissant commençaient à

me submerger.

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Oui. C’était les spores. Je ne sais pas comment elles agissent. J’essaie juste de vous raconter

ce qui s’est passé pour que vous puissiez faire demi-tour et aller cramer cette saleté de jungle et de

corruption avant qu’elle ne fasse plus de mal. Des spores. Invisibles. Elles sont en moi. Comment

vous pouvez être sûrs qu’elles ne sont pas déjà en vous ?

Comment vous pouvez être sûrs que Véra ne les porte pas elle aussi, juste parce qu’elle ne

ressent pas la communion ? Laissez-moi vous raconter le reste. Non, non, pas une autre piqûre. Pas…

Je l’ai ramenée au vaisseau. Avec le reste de Torche Sept. On est partis à trente, revenus à

neuf. Où est le reste de mes hommes ?

Je vais m’endormir. Véra, oh, Véra, ne les laisse pas…

Tout-Puissant. J’entends ta voix.

* * *

Il recommence à divaguer. Il va survivre au trajet ? Et est-ce qu’il y a des survivants parmi

les chercheurs ? Il nous faut des données.

On a toutes les données qu’il faut dans les cuves de l’infirmerie. J’ai déjà dit aux médics de

se contenter de stabiliser, et de ne pas éliminer les spores.

Dr Langridge, vous êtes la seule immunisée aux spores de communion.

Pour l’instant.

Doakes est en soins intensifs. Il appelle votre nom à chaque fois qu’il reprend connaissance.

Je vous l’ai déjà dit : il est en quarantaine, et ce n’est pas facile à vivre avec des spores

actives. Dès qu’on aura pu le transférer dans une installation sécurisée, dans une partie plus civilisée

du secteur, nous pourrons…

Vous avez dit que vous avez un échantillon actif ?

Commandant, j’ai des ordres très stricts, je ne…

Dr Langridge, vos ordres ne m’intéressent pas. Quoi que vous ayez à faire avec cette spore,

vous devrez vous débrouiller avec celles que porte Doakes. Le Descendant est en train de bombarder

Vygoire.

Commandant, je dois insister, il faut…

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Dr Langridge. Vous avez dit avoir des ordres. Émanant de qui ?

Je n’ai pas le droit de vous répondre.

Et c’est un hasard si vous êtes immunisée ? Alors que vous faites des recherches dessus, avec

des ordres que vous refusez de m’expliquer ?

Commandant, cette conversation va s’arrêter sur le champ.

Mais Doakes a posé une bonne question. Où est le reste de ses hommes ?

On s’occupe d’eux. Et maintenant, comme je l’ai dit, cette conversation doit s’arrêter là.

Ce type a affronté un ultralisk. Pour vous.

Pour moi ? C’est un marine. Il a fait ce qu’on lui a dit de faire, tout comme moi maintenant.

Cette histoire est plus importante qu’un simple marine. Beaucoup plus importante. Maintenant il est

devenu porteur, c’est tout. Vous pouvez faire votre rapport au commandement. Dites-leur que Vygoire

n’est plus un problème, et qu’il me faut un laboratoire complet à disposition quand nous serons à

destination.